duree

3
Universalis_Article publié par Encyclopaedia Universalis DURÉE DURÉE Cette notion indique l'idée de persistance d'un phénomène, de maintenance temporelle d'une réalité. Pour saint Thomas, la durée est, suivant la formule d'E. Gilson, « de même nature que le mouvement même de l'être qui dure ». Descartes, au nom du mécanisme, rejette le principe de permanence fondé par les scolastiques sur les formes substantielles. Dans son œuvre, c'est un rabattement de la durée sur l'étendue qui fonde la mesure de la durée. Cette soumission de la durée à une règle géométrique d'extension temporelle permet la réduction des rythmes phénoménaux au temps uniforme des horloges — comme épure temporelle d'un mouvement régulier uniforme, idéalement monotone, linéaire, composé d'instants successifs. Le lien entre les instants est d'extériorité pure. Aucune chose ne porte en soi le principe de sa permanence. À partir de la dynamique leibnizienne, la compréhension du substrat physique de la mécanique change profondément. La durée est à l'ordre temporel ce que l'étendue est à l'ordre spatial. Mais cela ne signifie nullement une réduction de l'expérience spatio-temporelle à la polarité cartésienne « étendue-durée ». Si l'étendue correspond aux variables extensives, la durée quant à elle renvoie à des variables intensives. Force, désir, vie, esprit sont autant d'expressions d'un même principe d'action par lequel toute individuation se réalise. Cette compréhension dynamique de la stabilité et de la permanence des formes revenait à reconnaître, sans renoncer à la physique mathématique, que la durée (comme l'étendue) est une réalité complexe, dotée d'une intériorité. Pour sa part, Bergson a opposé une durée vivante, concrète, pure à une temporalité de type abstrait et mathématique, figée dans l'ordre géométrique. Bergson réduit le schématisme mathématique à l'étendue cartésienne, et la fonction mentale qui lui correspond à la seule « intelligence », entendue comme l'intelligence appliquée de l'ingénieur.

Upload: hawkin-kolbrighty

Post on 26-Sep-2015

215 views

Category:

Documents


1 download

DESCRIPTION

Duree Universalis

TRANSCRIPT

  • Universalis_Article publi par Encyclopaedia Universalis

    DUREDURECette notion indique l'ide de persistance d'un phnomne, de

    maintenance temporelle d'une ralit.

    Pour saint Thomas, la dure est, suivant la formule d'E. Gilson, de

    mme nature que le mouvement mme de l'tre qui dure . Descartes, au

    nom du mcanisme, rejette le principe de permanence fond par les

    scolastiques sur les formes substantielles. Dans son uvre, c'est un

    rabattement de la dure sur l'tendue qui fonde la mesure de la dure.

    Cette soumission de la dure une rgle gomtrique d'extension

    temporelle permet la rduction des rythmes phnomnaux au temps

    uniforme des horloges comme pure temporelle d'un mouvement

    rgulier uniforme, idalement monotone, linaire, compos d'instants

    successifs. Le lien entre les instants est d'extriorit pure. Aucune chose

    ne porte en soi le principe de sa permanence.

    partir de la dynamique leibnizienne, la comprhension du substrat

    physique de la mcanique change profondment. La dure est l'ordre

    temporel ce que l'tendue est l'ordre spatial. Mais cela ne signifie

    nullement une rduction de l'exprience spatio-temporelle la polarit

    cartsienne tendue-dure . Si l'tendue correspond aux variables

    extensives, la dure quant elle renvoie des variables intensives. Force,

    dsir, vie, esprit sont autant d'expressions d'un mme principe d'action par

    lequel toute individuation se ralise. Cette comprhension dynamique de la

    stabilit et de la permanence des formes revenait reconnatre, sans

    renoncer la physique mathmatique, que la dure (comme l'tendue) est

    une ralit complexe, dote d'une intriorit.

    Pour sa part, Bergson a oppos une dure vivante, concrte, pure une

    temporalit de type abstrait et mathmatique, fige dans l'ordre

    gomtrique. Bergson rduit le schmatisme mathmatique l'tendue

    cartsienne, et la fonction mentale qui lui correspond la seule

    intelligence , entendue comme l'intelligence applique de l'ingnieur.

    http://www.universalis.fr/#utm_source=youscribe&utm_medium=banner&utm_content=logo&utm_campaign=youscribehttp://www.universalis.fr/#utm_source=youscribe&utm_medium=banner&utm_content=publiepar&utm_campaign=youscribe
  • Par consquent, nous ne pensons pas le temporel, mais nous le vivons,

    parce que la vie dborde l'intelligence (L'volution cratrice). Pourtant ily a dans la dure bergsonienne un aspect qui annonce une nouvelle

    pense du temps, celle d'un temps structurant, qui serait hirarchie de

    rythmes et de tensions : Il n'y a pas un rythme unique de la dure ; on

    peut imaginer bien des rythmes diffrents, qui, plus lents ou plus rapides,

    mesureraient le degr de tension ou de relchement des consciences et,

    par l, fixeraient leurs places respectives dans la srie des tres

    (Matire et mmoire).

    Cette alternative entre un temps vcu et un temps spatialis engendre un

    dbat l'intrieur d'une mme postulation ontologique sur la ralit du

    temps : le temps passe, s'coule, il n'a d'autre ralit que ce devenir

    incessant o le prsent s'puise. L'exprience humaine est borne de

    nant : Comment donc ces deux temps, le pass et l'avenir, sont-ils

    puisque le pass n'est plus et que l'avenir n'est pas encore ? Quant au

    prsent, s'il tait toujours prsent, s'il n'allait pas rejoindre le pass, il ne

    serait pas du temps, il serait l'ternit (saint Augustin, Confessions, XI,14). Ainsi comprise, la temporalit est la dimension de notre finitude. Nous

    n'chappons ni au temps, ni l'histoire. La dure des modernes est la

    conscience originaire de cette limite. Ainsi rduite, la temporalit renvoie

    ncessairement la notion d'un temps linaire, irrversible, uniforme,

    historique, profane ; la dure ne peut correspondre alors qu'aux aspects

    les plus pauvres de la conscience. La conscience du temps constitue une

    donne premire partir de laquelle l'tre humain se pense dans une

    finitude absolue. Que ce soit la dure-mesure ou la dure-vcue, nous

    sommes toujours prisonniers de l'intuition temporelle du flux , menacs,

    en sursis, l'intrieur du temps. Nous sommes bords par deux nants :

    le nant de la naissance et le nant de la mort. Pour la pense de la

    temporalit comme flux, la dure signifie l'cartlement de la conscience

    entre la certitude implacable de la mort et le dsir jamais inassouvi

    d'ternit.

    C'est le postulat du temps-flux que Merleau-Ponty critique : Le passage

    du prsent un autre prsent, je ne le pense pas, je n'en suis pas le

    spectateur, je l'effectue [...], je suis moi-mme le temps, un temps qui

    demeure et ne s'coule ni ne change (Phnomnologie de laperception). L'exprience humaine du temps ne saurait se rduire au flux,qui fonde aussi bien la dure clate de la physique galilenne que la

  • dure-tension de l'intuition bergsonienne. La dure n'est que par son

    ouverture l'ternit au cur de l'instant.

    Par-del le flux temporel, Husserl nomme cette ouverture auto-

    manifestation ce que Merleau-Ponty commente ainsi : Il est

    essentiel au temps de n'tre pas seulement temps effectif qui s'coule,

    mais encore temps qui se sait [...], archtype du rapport de soi soi . Laphnomnologie retrouve dans son ordre propre certaines intuitions qui

    ont t attestes de tout temps par les pratiques contemplatives, qui visent

    instaurer en l'homme une exprience du silence ou du vide de

    conscience. Dans le brahman, dans le soi, le nunc fluans et le nuncstans concident , comme l'crit Mircea Eliade dans Images et symboles.

    Auteur: ALAIN DELAUNAY

    Abonnez-vous Encyclopaedia Universalis

    Copyright Encyclopaedia Universalis

    https://www.universalis.fr/essai7jours/#utm_source=youscribe&utm_medium=banner&utm_content=bottomcta&utm_campaign=youscribe