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HISTOIRE
1916 LESFUSILLĂ©S DU 96e RI
événement
16 AVRIL 10e
EDITION
La lettre duChemin des Dames
36
Revue Ă©ditĂ©e par le DĂ©partement de lâAisne / Mars 2016
événement
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SOMMAIRE
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Edition mars 2016 : Alliance Partenaires graphiques à Laon Tirage du n° 36 : 12 000 ex.Mars 2016ISSN : 2259-114Prochain numéro : juillet 2016
La lettredu Chemindes Dames n° 36
BOIS DES BUTTES
1916Loin de lâenfer de Verdun, en mars 1916, un petit bois au pied du Chemin des Dames fait parler de lui pour lâĂąpretĂ© des combats que mĂšnent soldats français et allemands. Le 10 mars, le soldat Hippolyte Patrigeon est tuĂ© au premier jour de lâattaque allemande pour la possession des buttes qui contrĂŽlent la plaine au sud de Craonne. Une semaine aprĂšs, le poĂšte Guillaume Apollinaire y est couronnĂ© de sang. Pour les sacrifices endurĂ©s ici comme ailleurs sur le front,
dĂšs 1916, les prĂ©mices de la grogne se font sentir chez les fantassins. Au sein du rĂ©giment dâApollinaire, le 96e RI, un premier refus collectif conduit devant
le peloton dâexĂ©cution, quatre soldats, condamnĂ©s âpour lâexempleâ,en mai 1916, Ă Roucy.
Le 16 avril 1917, Joseph Patrigeon, est tuĂ© Ă quelques mĂštres du lieu oĂč a Ă©tĂ© enseveli son frĂšre un an auparavant ; il appartenait, quant Ă lui, au
313e RI, régiment dans lequel se trouvait le soldat Valembras, fusillé également à Roucy, par un matin de juin 1917. Retour cent ans aprÚs dans les tranchées
du Bois des Buttes, funestes canevas de lâhistoire pour les hommes de âlâarmĂ©e invisible aux cris Ă©blouissantsâ, selon le vers dâApollinaire.
- Directeur de la publication : Nicolas Fricoteaux
- RĂ©dacteur en chef : Franck Viltart
Secrétaire de rédaction : Karine De Backer
Comité de rédaction : Anne Bellouin, Caroline Choain, Yves Fohlen, Michel Sarter, Loïc Dufour
Edition, mise en page : Pascaline Doffémont, Christian Jomard
Remerciements : Isabelle Fouassier et Eliane Limet
Abonnement gratuit sur demande : missionchemindes [email protected] TĂ©l. 03 23 24 88 39
Nous Ă©crire : La lettre du Chemin des Dames, Mission Chemin des Dames / Centenaire 14-18, Conseil dĂ©partemental de lâAisne, rue Paul Doumer, 02013 Laon Cedex
Portail internet duChemin des Dames :www.chemindesdames.fr
Le centenaire de la Grande Guerre dans lâAisne :http://14-18.aisne.com
Le 16 avril est organisĂ© par le DĂ©partement de lâAisne avec le concours de la CommunautĂ© de communes du Chemin des Dames, du SDIS 02, du ComitĂ© de randonnĂ©e de lâAisne, du CRID 14-18, de lâAssociation la Cagna, des colombophiles de lâAisne. Remerciements aux communes de Craonne et Craonnelle.
Ă©VĂ©NEMENT16 avril, 10e Ă©dition
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12/16 HISTOIRE Les fusillés du 96e RI
18/19 HISTOIRE Quand le chemin sâarmait de bĂ©ton
20/21 MéMOIRE Deux frÚres en mémoire
22/23 LIVRES
24 AGENDA
4/5 AcTUALITĂ©
17 ExpOSITION Mon Ă©cole dans la Grande Guerre
6/10 HISTOIRE La blessure deGuillaume Apollinaire
11 archivesDes civils évacués à travers les lignes
LA JOURNĂ©E DE MĂ©MOIREDU cHEMIN DES DAMES⊠10 ANS DĂ©JĂ
pROGRAMMESoldats français en marche / Archives dép. Aisne
Depuis 2007 et le 90e anniversaire de la bataille du Chemin des Dames, âle 16 avrilâ est devenu lâun des rendez-vous incontournables parmi les Ă©vĂ©nements de mĂ©moire de la PremiĂšre Guerre mondiale. JournĂ©e citoyenne, elle offre Ă chacun la possibilitĂ© de dĂ©couvrir ou redĂ©couvrir lâhistoire des hommes et des lieux du Chemin des Dames.
5h45 - MARCHE A LâAUBEMarche commentĂ©e par NoĂ«l Genteur. DĂ©part de la place de la mairie de Craonne Ă lâheure oĂč des milliers de soldats furent jetĂ©s dans la bataille, le 16 avril 1917. Distance : 9 km ; durĂ©e : 3h30, temps comprenant les arrĂȘts commentĂ©s, passage par le calvaire de Craonnelle, le monument des Basques, le plateau de Californie, retour Ă Craonne. Illumination du plateau Ă la premiĂšre halte.
14h - MARCHE â16 AVRIL 1917 VERS CHIVYâ âDans les pas des combattants français vers Chivyâ. Marche commentĂ©e par Yves Fohlen, guide Ă la Caverne du Dragon. DĂ©part de la place de la mairie Ă Vendresse-Beaulne. Passage par le village dĂ©truit de Chivy. Retour prĂ©vu vers 16h30.
18h - SPECTACLE âLâAUTRE CHEMIN DES DAMESâSalle polyvalente de Corbeny. Spectacle de la compagnie Ecart ThĂ©Ăątre de Clermont-Ferrand, conçu et jouĂ© par Pascale SimĂ©on, Marielle Coubaillon, Anne Gaydier et Jean-Louis Bettarel dâaprĂšs le texte âDes hommes passĂšrentâ de Marcelle Capy, journaliste et Ă©crivain, ainsi que de documents dâĂ©poque, lettres de poilus et chansons. Ce spectacle raconte la vie dâun village pendant les quatre annĂ©es de guerre. Lâhistoire de ceux qui sont partis, câest aussi lâhistoire de celles quâils ont laissĂ© derriĂšre eux. âLâautre Chemin des Damesâ est une chronique pour rendre hommage au courage de ces femmes et comprendre ce qui sâest passĂ© pour celles qui nâont bien souvent pas eu la parole.
20h30 - âMARCHE DES BRANCARDIERSâ Au dĂ©part de Craonne vers le cimetiĂšre militaire de Craonnelle, par les chemins de travers des Saillants. En route, lectures et rĂ©cits de soldats du Chemin des Dames, par des comĂ©diens dâAxothĂ©a, FĂ©dĂ©ration des troupes de thĂ©Ăątre amateur de lâAisne.
21h30-22h - ILLUMINATION DU CIMETIĂRE MILITAIRE DE CRAONNELLE EN MUSIQUEIllumination du cimetiĂšre Ă lâaide de 2000 bougies. Hommage en musique avec âLâensemble du plateauâ :chants et musiques de la Grande Guerre Ă aujourdâhui.
A la date anniversaire de lâoffensive du printemps 1917, dite âoffensive Nivelleâ, le 16 avril, le DĂ©partement de lâAisne propose une journĂ©e de mĂ©moire du Chemin des Dames en hommage Ă tous les morts, blessĂ©s et disparus de la Grande Guerre, sans distinction de pays.
Le 16 AVRIL, 10 e eDITION
Cérémonie des combats du Chemin des Dames le 23 avril 2016 au Mémorial de Cerny-en-Laonnois
La cérémonie du souvenir des combats du Chemin des Dames aura lieu le samedi 23 avril 2016 à 10 h au Mémorial de Cerny-en-Laonnois.
Au programme : cĂ©rĂ©monie ĆcumĂ©nique, allocutions, dĂ©pĂŽts de gerbes aux cimetiĂšres françaiset allemand ainsi quâau monumentbritannique.
Renseignements 03 23 24 88 39 - [email protected]
Illumination du cimetiĂšre de Craonnelle - 16 avril 2015 Photo CD02 FX Dessirier
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AcTUALITĂ©
UN cOMITĂ© "cHEMIN DES DAMES 2017" LA GRANDE cOLLEcTE
LE MĂ©MORIAL VIRTUEL DU cHEMIN DES DAMES
DES cHARS Ă BERRY-AU-BAc EN 2017
Nicolas Fricoteaux, PrĂ©sident du Conseil dĂ©partemental de lâAisne remet lâouvrage âChemin des Dames 1914-1918â Ă Jean-Marc Todeschini, SecrĂ©taire dâEtat en charge des Anciens combattants et de la MĂ©moire.Photo CD02/FV
Objets du soldat Mortier, www.europeana1914-1918.eu
Le Chemin des Dames 1914-1918. Editions Somogy, 2016.
DĂ©part du char Saint-Chamond du musĂ©e de Saumur pour les ateliers de Roanne, oĂč il doit retrouver son moteur. Photo Le Courrier de lâOuest / Luc Souriau.
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AcTUALITĂ©
Jean-Marc Todeschini, SecrĂ©taire dâEtat en charge des Anciens combattants et de la MĂ©moire a reçu le 17 fĂ©vrier dernier Nicolas Fricoteaux, PrĂ©sident du Conseil dĂ©partemental de lâAisne, accompagnĂ© de François Rampelberg, Vice-prĂ©sident Ă la Culture, au Patrimoine et au Tourisme. En prĂ©sence du Directeur gĂ©nĂ©ral de la Mission du centenaire de la PremiĂšre Guerre mondiale, Joseph Zimet, le SecrĂ©taire dâEtat a assurĂ© que lâEtat souhaite donner toute sa place au centenaire des offensives du Chemin des Dames parmi le cycle des commĂ©morations nationales. Un comitĂ© ministĂ©riel âChemin des Dames 2017â devra se rĂ©unir dĂšs le premier semestre 2016 afin dâassurer la coordination des commĂ©morations attendues dans lâAisne.
LE cHEMIN DES DAMES RĂ©Ă©DITĂ©
Le Conseil dĂ©partemental de lâAisne vient de rĂ©Ă©diter lâouvrage Le Chemin des Dames 1914-1918, dans le cadre du centenaire de la PremiĂšre Guerre mondiale. Lâouvrage rĂ©alisĂ© sous la direction de Denis Defente, Conservateur en chef des musĂ©es, offre un Ă©clairage sur les Ă©vĂ©nements et les lieux Ă lâaide de photographies dâĂ©poque et de clichĂ©s contemporains du photographe John Foley. Lâouvrage de 160 pages propose Ă©galement une bibliographie mise Ă jour.
Le musĂ©e des chars et blindĂ©s de Saumur a entrepris la rĂ©novation du dernier exemplaire du char français Saint-Chamond. Avec le concours de lâArmĂ©e de Terre et dâune souscription, les Amis du musĂ©e de Saumur devrait installer une nouvelle motorisation sur ce monstre de mĂ©tal. Leur objectif est de le faire rouler, aux cĂŽtĂ©s dâun char Schneider, Ă lâoccasion du centenaire de la premiĂšre utilisation des chars français au Chemin des Dames, au printemps 2017.
Portrait de Madame AdĂ©laĂŻde, fille de Louis XV, MusĂ©e Jeanne dâAboville, La FĂšre.
DU cHEMIN DES DAMES Ă NEW YORK
Un portrait de Madame AdĂ©laĂŻde, fille de Louis XV, peint par la portraitiste Elisabeth Louise VigiĂ©e Le Brun, et conservĂ© au musĂ©e Jeanne dâAboville Ă La FĂšre, est exposĂ© depuis le 15 fĂ©vrier au cĂ©lĂšbre Metropolitan Museum Ă New-York. Le tableau de lâune des âdames du cheminâ, partira ensuite au mois de juin, pour 6 mois, au MusĂ©e des Beaux-Arts dâOttawa, au Canada, dans le cadre de lâexposition itinĂ©rante consacrĂ©e Ă la portraitiste attitrĂ©e de Marie-Antoinette.
Les rĂ©sultats de La Grande Collecte organisĂ©e par les Archives de France dans la plupart des centres dâarchives volontaires, Ă lâoccasion du centenaire, sont petit Ă petit rĂ©vĂ©lĂ©s au grand public par lâintermĂ©diaire du site internet Europeana 14-18. Les nombreux objets et tĂ©moignages recueillis attestent de la richesse des ressources encore disponibles dans de nombreuses familles. Câest le cas de cet Ă©tonnant ensemble dâobjets appartenant au soldat Jean Camille Mortier du 5e BCP, originaire dâAubenas en ArdĂšche. Ces objets ont Ă©tĂ© restituĂ©s Ă sa famille par un aumĂŽnier, aprĂšs son dĂ©cĂšs le 21 aoĂ»t 1917, des suites dâune blessure reçue la veille, alors que son bataillon occupait les premiĂšres lignes vers la ferme dâHameret, sur le Chemin des Dames. Lâensemble, que son petit-fils AndrĂ© conserve pieusement, comporte sa chevaliĂšre, son portefeuille, sa pipe, un mĂ©daillon avec sa photo, la mĂ©daille militaire et⊠les Ă©clats dâobus qui lui ont ĂŽtĂ© la vie.
Le Mémorial virtuel du Chemin des Dames recense les combattants de toutes les nationalités tombés sur le Chemin des Dames, entre 1914 et 1918, comme Ernest Passicousset, décédé en février 1916.
Ernest Passicousset, maĂźtre pointeur au 14e rĂ©giment dâartillerie de campagne, est
1 - Service Historique de la DĂ©fense (SHD), 26 N 930/5, JMO du 14e RA (1er groupe).
Photographie dâErnest Passicousset MĂ©morial virtuel du Chemin des Dames / Jacques Passicousset
Ernest Ă gauche et son frĂšre, Pierre Maurice, Ă droite.MĂ©morial virtuel du Chemin des Dames / Jacques Passicousset
Pierre Maurice Passicousset sur la tombe provisoire de son frĂšre cadet ErnestMĂ©morial virtuel du Chemin des Dames / Jacques Passicousset
tuĂ© le dimanche 13 fĂ©vrier 1916 au plateau de Paissy, lors de lâĂ©clatement de sa piĂšce dâartillerie (C6 / 3e compagnie). CĂ©libataire, ĂągĂ© de 23 ans, il Ă©tait Ă©lectricien de profession, originaire de Biarritz. Sont tombĂ©s Ă ses cĂŽtĂ©s ce jour de 1916, le tireur Charles Lamarque (tuĂ©) et les canonniers Prodhon, Lamothe et Durieux (blessĂ©s)1.Il est aujourdâhui inhumĂ© dans le caveau familial au cimetiĂšre communal de Saint-Martin du Sabaou Ă Biarritz.
Vous aussi contribuez à recenser ou compléter les fiches des combattants du Chemin des Dames, en nous communiquant documents, photos ou récits, sur :
www.mémorial-chemindesdames.fr
HISTOIRE
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âeT NAGUĂRe AU TeMPS DeS LILAS, LâeCLAT TeMPĂTA SOUS MON CRĂNeâ
A la date du 17 mars 1916, le poÚte Guillaume Apollinaire a noté
dans son carnet : âBombardement. Je lisais Ă dĂ©couvert au centre de ma section,
je lisais le Mercure de France, Ă 4 heures un 150 Ă©clate Ă 20 mĂštres,
un Ă©clat perce le casque et troue le crĂąne.â
Celui qui au 96e rĂ©giment dâinfanterie Ă©tait le sous-lieutenant Kostrowitzsky
venait dâarriver au Bois des Buttes, entre La Ville-aux-Bois et Pontavert,
trois jours plus tĂŽt.
Guillaume Apollinaire blessĂ© sur son lit dâhĂŽpital. 1916.BibliothĂšque historique de la Ville de Paris.
© BHVP / Roger-Viollet.
HISTOIRE
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2 - Extrait du poĂšme âDu coton dans les oreillesâ envoyĂ© Ă Madeleine le 11 fĂ©vrier.3 - Lettre Ă Lou, le 11 avril 1915.4 - CitĂ© par Annette Becker, Guillaume Apollinaire : une biographie de guerre (1914-1918-2009), Tallandier, 2009, p. 162.5 - Lettre Ă Madeleine, 9 dĂ©cembre 1915.6 - CommuniquĂ© officiel du GQG, 11 mars 1916, 15 heures. Le Bois des Buttes reste au communiquĂ© le 11 Ă 23 heures, le 12 Ă 15 heures, le 14, le 16 et le 17 Ă 23 heures.7 - JMO du 276e RI, SHD, 26N736/3.1 - Lettre Ă Lou, 8 avril 1915.
UN POETE DANS LA GUERRE
Le 14 mars 1916, Guillaume Apollinaire apprend quâil vient dâĂȘtre naturalisĂ© français. Dans la courte lettre quâil Ă©crit ce jour-lĂ Ă sa fiancĂ©e Madeleine PagĂšs, Guillaume ne parle pas de cette naturalisation quâil attendait depuis des mois. Il y a en effet plus important : âOn va en ligne tout Ă lâheure. Je tâĂ©cris en toute hĂąte. CasquĂ© ne sais pas bien ce que lâon va faire.â
La naturalisation pour le poĂšte nĂ© Ă Rome sous le nom de Guglielmo de Kostrowitzky et considĂ©rĂ© comme âsujet russeâ car sa mĂšre est nĂ©e en Pologne sous domination russe, Ă©tait lâaboutissement... dâune dĂ©marche faite le 5 aoĂ»t 1914 Ă Paris, en mĂȘme temps quâil dĂ©posait une premiĂšre demande dâengagement dans lâarmĂ©e qui nâavait pas Ă©tĂ© prise en compte. Guillaume sâĂ©tait finalement engagĂ© âpour la durĂ©e de la guerreâ le 5 dĂ©cembre 1914, Ă Nice oĂč il avait entre-temps rencontrĂ© Lou, la comtesse Louise de Coligny-ChĂątillon dont il Ă©tait immĂ©diatement tombĂ© amoureux.
AffectĂ© Ă NĂźmes au 38e rĂ©giment dâartillerie, il avait demandĂ© Ă partir pour le front au plus vite dĂšs lors quâil avait compris que Lou lui prĂ©fĂ©rait un autre amant. Le 6 avril 1915, lâartilleur arrivait sur le front de Champagne. Agent de liaison puis chef de piĂšce, il conti-nuait dâĂ©crire des lettres et des poĂšmes Ă Lou tout en commençant une correspondance avec Madeleine PagĂšs, une jeune professeure en poste Ă Oran quâil avait rencontrĂ©e dĂ©but 1915 dans le train de Nice Ă Marseille. Lassitude de lâartillerie oĂč lâavancement est lent, dĂ©sir dâaccĂ©lĂ©rer la procĂ©dure de naturalisation, Guillaume avait prĂ©venu dĂšs son arrivĂ©e au front : âSi je vois que je mâembĂȘte trop et que jâai le cafard trop fortement, jâaurais toujours la ressource de demander Ă aller chez les fantassins oĂč la vie ne traĂźne point.â 1
LA MORT DEVANT SOI
Guillaume arrive le 18 novembre 1915 au 96e RI, avec le grade de sous-lieutenant. Au crĂ©neau de la tranchĂ©e, il devient le âguetteur mĂ©lancoliqueâ et dĂ©couvre une autre rĂ©alitĂ© de la guerre. A Madeleine, il Ă©crit le 10 dĂ©cembre : âLa vie de fantassin est peu enviable. Elle est Ă peine supportable comme officier et il y a tous les risques⊠Quelle effroyable boue dans les effroyables boyaux !â. Il doit affronter une proximitĂ© plus grande avec la mort. A la 6e compagnie du 2e bataillon, il a remplacĂ© le lieutenant Jean Rolland, tuĂ© lors dâun coup de main le 22 octobre 1915.
Guillaume Apollinaire blessĂ© en 1916, gravure RenĂ© Jaudon dâaprĂšs un dessin de Pablo Picasso. © Albert Harlingue / Roger Viollet.
Le Bois des Buttes, mai 1915, en rouge lâemplacement de la stĂšle Apollinaire,
non loin du lieu oĂč il reçut sa blessure le 17 mars 1916. JMO du 1er Corps dâArmĂ©e. Service Historique de la DĂ©fense (SHD), 26 N 99-1, p. 140.
Quelques jours de permission au tournant de lâannĂ©e auprĂšs de Madeleine en AlgĂ©rie nâont rien arrangĂ©. MĂȘme si un mariage est annoncĂ©, on ne saura jamais ce quâa Ă©tĂ© lâintimitĂ© des deux amants qui Ă©changeaient des lettres si passionnĂ©es et parfois Ă©rotiques. De retour en Champagne, Guillaume retrouve son rĂ©giment Ă lâarriĂšre, pour plusieurs pĂ©riodes dâexercices. Le 18 janvier, il Ă©crit une derniĂšre lettre Ă Lou. Mais la correspondance avec Madeleine sâĂ©tiole, sans les Ă©lans des mois prĂ©cĂ©dents. Serait-il condamnĂ© Ă toujours ĂȘtre âle mal-aimĂ©â ? Sa poĂ©sie sâen ressent, elle se fait plus rare et elle est traversĂ©e parfois dâaccents sinistres :
âCeux qui revenaient de la mort En attendaient une pareilleâ.2
Lui qui, quelques mois plus tĂŽt, Ă©tait ârudement content dâĂȘtre sur le frontâ3, en vient Ă prendre la guerre en horreur. Il avoue Ă Madeleine le 13 fĂ©vrier : âJe voudrais bien que la guerre montrĂąt enfin le bout de son derriĂšreâ, et le 12 mars, Ă Georgette Catelain, une admiratrice qui est institutrice en Normandie, il se plaint de âcette guerre qui nâen finit pas, qui nâest plus prĂšs de finirâ.4
Le poĂšme âSi je mourais lĂ -bas sur le front de lâarmĂ©eâŠâ, câĂ©tait un an plus tĂŽt, le 30 janvier 1915, lorsquâil Ă©tait encore Ă lâexercice dans une caserne de NĂźmes, Ă des centaines de kilomĂštres des tranchĂ©es. Le 14 mars 1916, le temps nâest plus au conditionnel. Au moment de monter en ligne, Guillaume demande Ă Madeleine dâĂȘtre âforte en ce moment et toujoursâ et lui rappelle : âEn tout cas je te lĂšgue tout ce que je possĂšde et que ceci soit considĂ©rĂ© comme testament sâil y avait lieu.â Il Ă©crivait dĂ©jĂ trois mois plus tĂŽt : âSi je meurs, je te donne tout ce que jâai et cette lettre en fait foi et sert de testamentâ5.
Depuis le 11 mars, en pleine bataille de Verdun, le Bois des Buttes revient au communiquĂ©, comme dĂ©jĂ en septembre 1914. âAu nord de lâAisne, aprĂšs avoir bombardĂ© hier [le 10 mars] pendant plusieurs heures nos positions entre Troyon et Berry-au-Bac, les Allemands ont dĂ©bouchĂ© de la Ville-au-Bois [sic] et ont attaquĂ© le saillant que forme notre ligne au bois des Buttes. AprĂšs un combat trĂšs vif, nous avons rejetĂ© lâennemi de la partie du bois quâil avait rĂ©ussi Ă occuperâŠâ6 En rĂ©alitĂ©, le 276e rĂ©giment dâinfanterie qui tenait le secteur a Ă©tĂ© littĂ©ralement submergĂ©. Il a perdu 35 tuĂ©s, 134 blessĂ©s et plus de 700 disparus (dont 13 officiers).7 On ne meurt pas seulement Ă Verdun en mars 1916.
LA BLESSURE DE
GUILLAUMEApOLLINAIRE
HISTOIRE
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8 - JMO du 246e RI, SHD, 26N672/2. 9 - Le rĂ©dacteur du JMO tient Ă prĂ©ciser que câest âcontrairement Ă lâordre du 12 mars du commandant la Ve armĂ©e (le gĂ©nĂ©ral Franchet dâEspĂ©rey) qui prĂ©voyait seulement des travaux Ă exĂ©cuter dans la rĂ©gion de Pontavert partie sud du bois de Beaumaraisâ. Au lieu de dĂ©pendre de la 56e DI, le bataillon se trouve donc rattachĂ© Ă la 55e DI, comme le 246e. 10 - Ils reposent au cimetiĂšre national de Pontavert, tombes 2511 et 2515.11 - 1/55 pour ambulance n° 1 de la 55e division.12 - Auguste Hourcade, dit Olivier-Hourcade, nĂ© en 1892 Ă Bordeaux, avait notamment fondĂ© La Revue de France Ă laquelle collaboraient, entre autres, Emile Verhaeren, Francis Jammes, Paul Fort et Paul Claudel. Il repose aujourdâhui dans la nĂ©cropole française de Craonnelle, tombe n° 228.
Deux rĂ©giments, le 246e et le 296e, doivent venir en renfort pendant que ce quâil reste du 276e va cantonner Ă Romain (Marne). Pendant trois jours, de violents bombardements alternent avec une sĂ©rie de contre-attaques. Et avec de nouvelles pertes : 17 tuĂ©s et une trentaine de blessĂ©s, rien quâau 246e RI8. Un bataillon du 96e RI qui cantonne Ă Villette, un hameau de Fismes, est appelĂ© Ă la rescousse : câest le 2e bataillon, celui de Guillaume Apollinaire, qui vient relever le 14 au soir le second bataillon du 246e RI. Il va tenir les tranchĂ©es en premiĂšre ligne.9 Le 15 mars, le JMO du 96e RI donne le nom de deux soldats tuĂ©s, Jean Brachet Ă la 5e compagnie et Louis Besson Ă la 6e, celle de Guillaume.10 Ce sont les premiers morts du rĂ©giment depuis trois mois.
UNE LETTRE DU BOIS DES BUTTES
âMon amourâŠâ, le 15 mars, comme chaque jour ou presque, Guillaume Ă©crit Ă Madeleine. Une lettre qui est la seule Ă©crite au Bois des Buttes. âPas dormi de la nuit.â Environ dix kilomĂštres depuis Meurival pour arriver aux premiĂšres lignes : la marche dâapproche, avec lâesprit aux aguets, a Ă©tĂ© Ă©puisante plus nerveusement que physiquement. âPas de description possible. Câest inimaginable.â DerriĂšre son laconisme Guillaume se veut rassurant car aprĂšs une semaine de bombardements, dâattaques et de contre-attaques, le terrain est complĂštement bouleversĂ©, avec des cadavres çà et lĂ . Il faut
HISTOIRE
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Casque modĂšle Adrian de Guillaume Apollinaire (bien que fantassin, Apollinaire aurait pu garder son casque
dâartilleur, mais lâemplacement de lâimpact, lâinsigne de spĂ©cialitĂ© ainsi que la couleur tardive du casque obligent
Ă la plus grande prudence quant Ă son authentification).BibliothĂšque historique de la Ville de Paris.
© BHVP / Roger-Viollet
Madeleine PagÚs et Guillaume Apollinaire à Oran (Algérie), janvier 1916. BibliothÚque historique de la Ville de Paris. © BHVP / Roger Viollet
impĂ©rativement que Madeleine ne sâinquiĂšte pas : âMais il fait beau. Je pense Ă toi. On couche tout Ă fait Ă la belle Ă©toile. Vu ce matin un gentil petit Ă©cureuil qui grimpait qui grimpait.â Les derniĂšres phrases sont plus sombres : âJe suis fatiguĂ© et gai Ă la fois. Jâai la bouche pleine de sable. Je ne sais si on aura des lettres ce soir. Je le souhaite.â
Pas de lettre Ă Madeleine le 16. Le JMO du 246e RI note : âJournĂ©e relativement calme, Ă plusieurs reprises lâennemi bombarde avec du 105 et du 150â. Il y a encore des pertes : un tuĂ© au 246e, un tuĂ© et deux blessĂ©s au 204e, et deux blessĂ©s au 96e. Pas de lettre le 17, Guillaume attendant peut-ĂȘtre le soir pour Ă©crire. La lettre suivante Ă Madeleine, il lâĂ©crit le 18 mars sur un lit dâhĂŽpital, Ă lâambulance 1/55 de Romain11, Ă une douzaine de kilomĂštres au sud du Bois des Buttes : âMon amour, jâai Ă©tĂ© blessĂ© hier Ă la tĂȘte par un Ă©clat dâobus de 150 qui a percĂ© le casque et pĂ©nĂ©trĂ©. Le casque en lâoccurrence, mâa sauvĂ© la vie. Je suis admirablement bien soignĂ© et il paraĂźt que ce ne sera pas grave. JâĂ©crirai quand je pourrai.â
La nouvelle est vite connue Ă Paris. Le journal LâIntransigeant auquel Apollinaire collabore depuis 1910 annonce dĂšs le 20 mars dans sa rubrique âLes Lettresâ : âLe poĂšte Guillaume Apollinaire vient dâĂȘtre blessĂ© Ă la tĂȘte, il y a trois joursâ. DĂ©cidĂ©ment, le secteur de lâAisne est fatal aux poĂštes. DĂšs le 21 septembre 1914, Olivier Hourcade, lâun des premiers dĂ©fenseurs avec Apollinaire du cubisme, avait Ă©tĂ© tuĂ© Ă Oulches.12 Le 29 septembre, câĂ©tait le poĂšte expres-
sionniste Ernst-Wilhelm Lotz, le traducteur allemand de Rimbaud et Verlaine, qui tombait Ă la ferme dâHurtebise. Le 28 novembre, Jean de la Ville de Mirmont, le poĂšte de LâHorizon chimĂ©rique Ă©tait tuĂ© Ă Verneuil, Ă quelques centaines de mĂštres de la ferme de Metz oĂč mourait, quelques semaines plus tard, le 17 janvier 1915, Emile Despax, le sous-prĂ©fet poĂšte et sa mort avait fait Ă©crire Ă Anna de Noailles : âLâannĂ©e a perdu son printempsâ. Au moins Apollinaire a-t-il survĂ©cu Ă sa blessure. Mais sâen est-il jamais remis ?
BlessĂ© Ă 16 heures le 17 mars 1916, Apollinaire est amenĂ© par son chef de bataillon, le commandant Genet, au poste de secours du bois de Beaumarais oĂč il est pansĂ© Ă 17 heures. Il est ensuite Ă©vacuĂ© vers lâambulance 1/55 qui occupe Ă Romain (Marne) le chĂąteau prĂšs de lâĂ©glise.
Câest lĂ quâĂ 2 heures du matin, il est opĂ©rĂ© : âincision en T, extraction dâĂ©clatsâ, a notĂ© un mĂ©decin. Apollinaire peut Ă©crire le 19 Ă Madeleine : âJe nâai pas mal, cependant jâai toujours cet Ă©clat dans la tĂȘte qui nâa pu ĂȘtre retirĂ©.â Le 20 mars, il est transportĂ© Ă lâHĂŽtel-Dieu de ChĂąteau-Thierry oĂč il reste une semaine. Son Ă©tat sâaggravant, il est transfĂ©rĂ© Ă Paris le 27, dâabord au Val-de-GrĂące, puis sur lâintervention de son ami Serge FĂ©rat Ă lâhĂŽpital italien, 41 quai dâOrsay. Il est finalement trĂ©panĂ© le 9 mai : âEt naguĂšre, au temps des lilas, lâĂ©clat tempĂȘta sous mon crĂąneâ (extrait de âOn les auraâ, publiĂ© dans Le Rire aux Ă©clats, le journal de la 74e division dâinfanterie, n° 5-6, novembre/dĂ©cembre 1916).
DU BOIS DES BUTTES ALâHĂTEL-DIEU DE CHĂTEAU-THIERRY
Lâindication de la main de Guillaume Apollinaire a Ă©tĂ© rayĂ©e par la suite. Le poĂšme est effectivement antĂ©rieur puisquâil avait Ă©tĂ© envoyĂ© Ă Madeleine le 11 mars avant la montĂ©e en ligne. On peut penser que la date raturĂ©e correspond Ă celle de lâenvoi fait Ă SIC, une revue ouverte aux avant-gardes de tous les arts (SIC pour âSons â IdĂ©es â Couleursâ) qui venait dâĂȘtre crĂ©Ă©e par Pierre-Albert Birot. Le poĂšme âLâavenirâ est paru dans le numĂ©ro dâavril 1916 alors que le poĂšte est toujours hospitalisĂ© Ă Paris.
UN POĂMEENVOYĂ DU BOIS DES BUTTES ?
LâAvenir
Soulevons la pailleRegardons la neigeEcrivons des lettresAttendons des ordres
Fumons la pipeEn songeant Ă lâamourLes gabions sont lĂ Regardons la rose
La fontaine nâa pas tariPas plus que lâor de la paille ne sâest terniRegardons lâabeilleEt ne songeons pas Ă lâavenir
Regardons nos mainsQui sont la neigeLa rose et lâabeilleAinsi que lâavenir
Guillaume Apollinaire (1880-1918), blessĂ©, Ă lâhĂŽpital italien Ă Paris.
Au centre : le médecin-chef Palazzoli et au second plan, de gauche à droite : le lieutenant Joseph BachÚs
et debout portant la barbe, le peintre Serge Férat, ami du poÚte. Paris, août 1916.
© Albert Harlingue / Roger-Viollet
âBois des Buttes,15 mars 1916.â
Registre des entrĂ©es Ă lâHĂŽtel-Dieu de ChĂąteau-Thierry, 1916, indiquant Guillaume Kostrowitzky. Archives dĂ©p. Aisne, H-dĂ©pĂŽt 19 Q 2
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Au mois de fĂ©vrier 1916, une importante rĂ©union de lâĂ©tat-major allemand sur le front ouest prĂ©voit lâĂ©vacuation de 152 000 habitants de la zone occupĂ©e par la 7e armĂ©e allemande, principalement dans le nord du dĂ©partement de lâAisne1. Pour parvenir Ă ce chiffre, plusieurs recensements et Ă©tudes statistiques sont commandĂ©s aux commandements locaux. LâĂ©vacuation des civils français mobilise de nombreuses troupes et engorge les gares et voies ferrĂ©es, alors que lâAllemagne sâapprĂȘte Ă lancer lâune des plus grandes offensives de toute la guerre autour de Verdun. A lâĂ©tat-major de la 7e armĂ©e Ă Laon, malgrĂ© de nombreux risques pour la sĂ©curitĂ© des troupes, on propose dâĂ©vacuer une partie de ces civils directement Ă travers les lignes de front, entre Hurtebise et Pontavert.
Un document manuscrit dĂ©couvert dans les archives de la 7e armĂ©e allemande rĂ©vĂšle les conditions de ce plan. Il prĂ©voyait de faire venir jusquâĂ 36 000 civils en gare de Laon, puis de les acheminer en camion vers 3 camps de rassemblement (Sammellagern) situĂ©s Ă lâimmĂ©diat arriĂšre-front, le premier vers Chamouille, Neuville, Chermizy, lâautre vers Bouconville et Sainte-Croix, et enfin un autre Ă Corbeny. Le basculement par groupes depuis les lignes allemandes vers les lignes françaises devait sâeffectuer ensuite Ă trois endroits diffĂ©rents (Ăbergangspunkte) :- entre Hurtebise et La VallĂ©e-Foulon,- entre Craonne et Craonnelle,- et entre Corbeny et Pontavert.
Les civils devaient ĂȘtre surveillĂ©s par des troupes de cavalerie et des Feldgendarmes. Le document prĂ©cise que 5 Ă 6 soldats sont nĂ©cessaires pour surveiller une centaine de civils. On constate que les civils choisis pour cette opĂ©ration devaient venir pour la plupart de la zone des Ă©tapes, situĂ©e dans le nord du dĂ©partement de lâAisne. Il Ă©tait alors hors de question de faire passer du cĂŽtĂ© français des civils trop proches de leurs villages dâorigine sur le front.
Bien que plus rapide et moins coĂ»teuse que le rapatriement par la Suisse, cette surprenante opĂ©ration pouvait mettre en pĂ©ril tout le dispositif allemand. Les civils pouvaient, en passant, voir les installations allemandes et les dĂ©crire prĂ©cisĂ©ment aux officiers du renseignement français, une fois les lignes franchies. Contre ce risque dâespionnage, un subterfuge est envisagĂ© par les Allemands, qui recommandent lâacheminement jusquâau front des groupes de civils de nuit, limitant ainsi les observations Ă la faveur de lâobscuritĂ©. Mais, bien plus important, cette Ă©vacuation Ă travers les lignes, devait se faire avec lâaccord des Français, comme le prĂ©cise le document. Or, le plan envisage dâĂ©vacuer la premiĂšre ligne allemande Ă lâaube et dâenvoyer certaines âpersonnalitĂ©sâ parmi les civils comme porte-paroles auprĂšs des troupes françaises. Rien nâĂ©voque en revanche le franchissement des tranchĂ©es et des rĂ©seaux de barbelĂ©s. Sans savoir si une partie de cette opĂ©ration a bien eu lieu, ce plan dâĂ©vacuation de civils sur le front du Chemin des Dames, Ă quelques jours du dĂ©clenchement de la bataille de Verdun, montre que pour lâĂ©tat-major allemand il Ă©tait urgent dâaccĂ©lĂ©rer lâĂ©vacuation de la zone occupĂ©e par tous les moyens, et ce, dĂšs le dĂ©but de lâannĂ©e 1916, bien avant les grandes Ă©vacuations liĂ©es Ă lâopĂ©ration Alberich, qui auront lieu Ă lâhiver 1916-1917. Enfin, il est clair que seul le calme relatif qui rĂ©gnait alors sur cette partie du front permettait dâenvisager une telle opĂ©ration.
1 - GLA Karlsruhe 456 F1 Nr.7
Pour aller plus loin :Laurence Campa, Guillaume Apollinaire, Collection NRF Biographies, Gallimard, 2013.Yves Pincuilly, 1914 : Guillaume Apollinaire sâen va-t-en guerre, Oskar Ă©ditions, 2014. Annette Becker, Guillaume Apollinaire : une biographie de guerre (1914-1918-2009), Tallandier, 2009.
Au dĂ©but de lâannĂ©e 1916, lâallongement de la durĂ©e de la guerre et les problĂšmes de ravitaillement de lâAllemagne, invitent les troupes dâoccupation Ă accĂ©lĂ©rer lâĂ©vacuation et le rapatriement des civils de la zone occupĂ©e, considĂ©rĂ©s comme des âbouches inutilesâ.
LâĂ©vacuation des civils volontaires ou dĂ©signĂ©s vers la âFrance libreâ devait se faire au cours dâun long trajet par lâAllemagne et la Suisse. Cependant, face Ă lâampleur des Ă©vacuations et la lenteur des dĂ©placements, le haut-commandement allemand soumet un plan qui prĂ©voit de faire passer directement certains civils du cĂŽtĂ© français, Ă travers le front du Chemin des Dames.
Franck VILTART
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HISTOIRE
LA STĂLE DU BOIS DES BUTTES
A 200 mĂštres environ de la sortie de La Ville-aux-Bois-lĂšs-Pontavert en direction de Pontavert, au bord de la route dĂ©partementale 89, se dresse une stĂšle de granit signalĂ©e depuis la RD 1044 de Reims Ă Laon. Le 24 mars 1990, lâĂ©crivain Yves Gibeau (1916-1994) avait conviĂ© ses amis, ânon pas Ă une inauguration, mais Ă un pĂšlerinageâ Ă la stĂšle quâil venait dâĂ©riger en hommage au poĂšte, aprĂšs deux ans de tracasseries. Lâauteur dâAllons zâenfants, qui sâĂ©tait installĂ© non loin de lĂ dans lâancien presbytĂšre de Roucy, avait expliquĂ© quâinitialement, elle devait ĂȘtre installĂ©e quelques dizaines de mĂštres plus au nord, au plus prĂšs de la position quâoccupait la section de Guillaume Apollinaire. Les vers quâil a choisis de faire inscrire dans la pierre sont extraits du poĂšme âRĂȘverieâ quâApollinaire avait envoyĂ© Ă Lou le 11 mai 1915 avant de le reprendre en 1917 pour le recueil Calligrammes sous le titre âLes Saisonsâ.
LâĂ©crivain Yves Gibeau lors de lâinauguration de la stĂšle Apollinaire au Bois des Buttes, le 24 mars 1990.
Coll. de lâauteur.
Photographie de Guillaume Apollinaire blessé adressée à André Breton, août 1916.Coll. Atelier André Breton.
Rapport concernant lâĂ©vacuation de civils de la zone occupĂ©e, Ă©tat-major de la 7e armĂ©e allemande,
10 février 1916. Generallandesarchiv,
Karlsruhe, 456 F1 Nr.7.
Guy MARIVAL
âMORT DE BLESSURES DE GUERREâ
AprĂšs sa trĂ©panation le 9 mai Ă la Villa MoliĂšre, une annexe du Val de GrĂące, commence une longue convalescence Ă lâHĂŽpital italien du quai dâOrsay. Ce sont ensuite, pendant prĂšs dâune annĂ©e, des soins quotidiens au Val de GrĂące, et des maux de tĂȘte frĂ©quents. Le 23 novembre 1916, il Ă©crit Ă Madeleine : âJe vais beaucoup mieux mais avec de grands Ă©tourdissements encore et une impotence fonctionnelle du bras gaucheâ. Son traitement prend fin le 25 avril 1917.
Le 11 mai, il est dĂ©clarĂ© dĂ©finitivement inapte au service armĂ©. Mais toujours soumis aux obligations militaires, il est affectĂ© le 25 juin Ă la censure de la presse de province, avec dĂ©sormais pour seules armes un crayon rouge et un crayon bleu. On peut aussi croiser le âpoĂšte Ă la tĂȘte Ă©toilĂ©eâ, toujours revĂȘtu de son uniforme bleu horizon, la tĂȘte protĂ©gĂ©e par un bandeau de cuir et arborant fiĂšrement sa croix de guerre (obtenue le 17 juin 1916 avec une citation Ă lâordre du rĂ©giment), dans les salles de rĂ©daction, dans les salles de spectacle et, tous les mardis, au cafĂ© de Flore. Il retrouve Ă Paris ses amis comme Pablo Picasso. Guillaume sâest dĂ©tachĂ© dĂ©finitivement de Madeleine, il a rencontrĂ© Ruby, de son vrai nom AmĂ©lia Kolb, la âjolie rousseâ de Calligrammes, quâil Ă©pouse le 2 mai 1918. Est-ce le hasard si son prĂ©cĂ©dent amant, le poĂšte Jules GĂ©rard Jordens, brancardier au 246e RĂ©giment dâinfanterie, avait Ă©tĂ© tuĂ© par un obus au Bois des Buttes le 26 avril 1916 ? Sa blessure a rendu Guillaume plus sombre, souvent mĂ©lancolique. Il sâassombrit encore en mai 1917 Ă la nouvelle de la mort au Chemin des Dames de RenĂ© Dalize, RenĂ© Dupuy pour lâĂ©tat-civil, son ami dâenfance Ă qui il dĂ©die le recueil Calligrammes paru en avril 1918.13
âVous voilĂ de nouveau prĂšs de moiSouvenirs de mes compagnons morts Ă la guerre
Lâolive du tempsâ14
DĂ©cidĂ©ment, sa santĂ© reste fragile, et ses poumons ont Ă©tĂ© dĂ©finitivement affectĂ©s par les gaz. Nouvelle hospitalisation dĂ©but 1918 pour une pneumonie Ă la Villa MoliĂšre oĂč il passe un mois alitĂ©. Nouvelle convalescence. Etait-il pour autant une victime dĂ©signĂ©e pour la grippe espagnole qui lâemporte le 9 novembre 1918 ? Quant au sous-lieutenant Kostrowitzky, il est mort le mĂȘme jour Ă Paris, 202 boulevard Saint-Germain, comme en tĂ©moigne sa fiche de Mort pour la France, mais de âblessures de guerreâ...15
13 - Voir âLa mort dâun poĂšteâ, La Lettre du Chemin des Dames n° 11, p. 7.14 - âOmbreâ, poĂšme publiĂ© dans Calligrammes.15 - âGrade : lieutenantâ indique la fiche, car il avait Ă©tĂ© promu, Ă titre provisoire, le 28 juillet 1918.
Ă©VACUeR DeS CIVILSĂ TRAVERSLES LIGNES
archives
HISTOIRE
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1916 PReMIeR ReFUS COLLeCTIF LES FUSILLĂ©S DU 96e RI
UN TRAUMATISME AU 96e RI
LâexĂ©cution de plusieurs soldats dâun mĂȘme rĂ©giment demeure un fait rare durant la PremiĂšre Guerre mondiale. Un tel Ă©vĂ©nement reste particuliĂšrement traumatisant pour les tĂ©moins. Ce 22 mai 1916 Ă lâaube, Ămile Mauny, sergent au 246e RI, raconte : âCâĂ©tait lugubre, poignant. Tous Ă©taient hĂ©bĂ©tĂ©s dâavoir participĂ© Ă cette exĂ©cution. Peut-ĂȘtre ces quatre malheureux avaient-ils mĂ©ritĂ© leur sort (je ne sais pas), mais on devrait bien trouver un autre moyen dâexĂ©cuter la loi au siĂšcle oĂč nous sommes.â1 Le capitaine Truffau du 246e RI apporte quelques dĂ©tails et Ă©voque mĂȘme deux cas de folie consĂ©cutives Ă cette mise Ă mort2. Pour lâadjudant Bellet, la raison de cette exĂ©cution serait lâĂ©chec dâune prĂ©cĂ©dente attaque au Bois des Buttes. Il Ă©voque nĂ©anmoins un rassemblement difficile du bataillon, vite rĂ©glĂ© dit-il, mais, âlorsque le commandement rĂ©clama des responsables, le gĂ©nĂ©ral grossit les incidents du 96e. Il ordonna lâarrestation des plus excitĂ©s, qui furent jugĂ©s et exĂ©cutĂ©s sur-le-champ, sans mĂȘme que notre colonel eĂ»t le temps dâintervenir. [...] De lâavis mĂȘme de nos officiers, on avait exagĂ©rĂ©, car si une punition exemplaire Ă©tait nĂ©cessaire, la peine de mort Ă©tait excessive.â3 Enfin, le soldat Bouquet raconte : âNous allons cantonner Ă Roucy, que nous quittons dans la nuit du 17 pour aller Ă Pontavert. Ce nouveau dĂ©part en ligne a provoquĂ© des incidents dans une compagnie de mon rĂ©giment dont la suite fut vraiment trĂšs pĂ©nible. Les soi-disant fautifs furent pris au hasard.â4 Le point commun de tous ces tĂ©moignages est quâils mĂ©connaissent les circonstances exactes de lâincident mais jugent unanimement la sanction comme dĂ©mesurĂ©e.5 Lâabsence de
Le 22 mai 1916, Ă 4 heures du matin, 4 soldats du 96e rĂ©giment dâinfanterie sont fusillĂ©s devant plusieurs
centaines dâautres soldats, Ă Roucy, au lieu-dit âLa Mutte des Grillotsâ. Comment cette exĂ©cution
collective a-t-elle pu avoir lieu ? Comment ces hommes ont-ils pu subir ce chĂątiment Ă une pĂ©riode de la guerre oĂč la
justice militaire se fait plus clĂ©mente et alors mĂȘme que les dĂ©putĂ©s engagent
une réforme de son fonctionnement ?
1 - Michel Mauny, Lettres dâun couple dâinstituteurs bourguignons dans la tourmente de la Grande Guerre, chez lâauteur (10 rue du 4 aoĂ»t 1789, 89400 Migennes), 2006, p 114.2 - Paul Truffau, Quatre annĂ©es sur le front. Carnet dâun combattant, Imago, 1998, p 120.3 - Pierre Bellet, Ma grande guerre au 96e, (non publiĂ©).4 - TĂ©moignage inĂ©dit transmis par FrĂ©dĂ©ric Avenel.
5 - Jâavais rapidement Ă©voquĂ© cette affaire dans âLa grĂšve des tranchĂ©esâ, Imago, 2005. Elle a fait Ă©galement lâobjet dâun article de Franck Beauclerc, âLâaffaire du Bois des Buttes et des fusillĂ©s du 96e RI (mars-mai 1916)â, magazine TranchĂ©es n°15, 4e tr. 2013, p. 19-33.6 - Service Historique de la DĂ©fense (SHD), 11 J 1744.7 - SHD, GQG, Ve Ar. 19 N 868 et 2e Bureau, 16 N 1519.
HISTOIRE
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8 - Franck Beauclerc, Lâaffaire du Bois des Buttes, p. 21 Ă 26. 9 - SHD 19 N 868, rapport du 28 mai 1916.10 - SHD 16 N 1520, 96e RI, punitions.
dossier de jugement dans les archives de la 55e division dâinfanterie (DI) limite lâanalyse de cet incident6, mais les nombreux rapports figurant dans les archives du Grand Quartier gĂ©nĂ©ral comblent partiellement cette lacune et suggĂšrent une affaire singuliĂšre, qui a retenu lâattention du commandant en chef.7
En 1916, le 96e RI Ă©tait un rĂ©giment sans histoire, commandĂ© par un officier expĂ©rimentĂ©, le colonel Pouget. Il appartenait Ă la 31e DI mais avait Ă©tĂ© provisoirement dĂ©tachĂ© auprĂšs de la 55e DI. Au dĂ©but du mois de mars, le front de lâAisne est un secteur calme. La bataille de Verdun faisant rage, les Allemands engagent une action de
âON VA NOUS MENER A LA FOURCHETTEâ
Les 29 et 30 avril 1916, les 2e et 4e compagnies du 96e RI sont mises au repos Ă la ferme du FaitĂ©, sur la commune de Ventelay. Un camp de baraquement qui jouxte la ferme abrite lâĂ©tat-major de la division. Il fait trĂšs chaud ce 30 avril et les hommes vont acheter du vin au village. Ă 14 heures, lâannonce du dĂ©part pour le Bois de Beaumarais est accueillie par des protestations. Dans lâaprĂšs-midi, les conversations vont bon train chez les soldats qui continuent Ă boire. Ă 19 h 45, heure du dĂ©part, les soldats ne sont toujours pas Ă©quipĂ©s. Les protestations se font plus vives car le bruit court quâils partent pour participer Ă une attaque.
âOn en a assez de marcher toujours pour les autres. Si dâautres rĂ©giments perdent le Bois des Buttes, câest nous qui devons le reprendre, nous sommes fatiguĂ©s, nous ne marchons pas. [âŠ] On dit que lâon va nous mener Ă la fourchette. On dit que si nous nous Ă©quipons, les couteaux sont sortis.â 9
La ferme du FaitĂ©, Ventelay, lieu de lâincident au 96e RI, le 30 avril 1916.Photo F. Viltart / CD02, 2016
Prisonniers français aprĂšs lâattaque du Bois des Buttes, La Ville-aux-Bois, 10 mars 1916. Carte-photo allemande. Coll. part.
Quelques sections se sont Ă©quipĂ©es mais, Ă la faveur de la nuit, des cris partent des baraquements incitant les hommes Ă se disperser. Finalement, Ă force de discussions et de persuasion, les lieutenants LĂ©vy et Ortiger parviennent Ă rassembler leurs compagnies ; il est alors 21 heures. Lâincident a Ă©tĂ© sĂ©rieux, mais surtout, il nâa pas pu passer inaperçu, ayant eu lieu Ă proximitĂ© du siĂšge de lâĂ©tat-major de la division. Le rapport du chef de bataillon Riols, qui en lâabsence du chef de corps commande le rĂ©giment, cherche pourtant Ă minimiser les faits : âLes hommes Ă©taient fatiguĂ©s, Ă©crit-il, ils ont Ă©tĂ© entraĂźnĂ©s par quelques meneurs que nous connaissons bien. Les commandants de compagnie auraient du les arrĂȘter dĂšs le dĂ©but de lâincident. Ils sont aujourdâhui tout penauds quand on leur reproche leur acte et ils se rendent compte de la gravitĂ© de la faute commiseâ. Les hommes de troupe rejettent la faute sur des meneurs dont ils ne connaissent pas les noms. Cependant, des officiers ont remarquĂ© certains soldats qui ont pris, selon eux, une part active Ă la manifestation ; ils sont sept : Emile Lhermenier, FĂ©lix Milhau, Joseph Gineste, Lucien Baleux, Blaise Romain, Paul Regoult et Louis Meloux. Les commandants de compagnie leur infligent une sanction de huit jours de prison, avec demande dâaugmentation, au motif suivant : âA dans un Ă©tat de surexcitation causĂ© par la fatigue, essayĂ© de causer du dĂ©sordre dans lâunitĂ© en disant Ă ses camarades de ne pas sâĂ©quiper, quâon voulait les mener Ă la fourchette, a par ce fait Ă©tĂ© la cause dâun retard dâune heure au dĂ©part de la compagnie. A obĂ©i au sous-officier laissĂ© pour le ramener.â10 Quatre autres soldats, complĂštement ivres au moment du dĂ©part, sont aussi sanctionnĂ©s ainsi que le caporal Morineau qui sâest dĂ©sintĂ©ressĂ© de son escouade lors du rassemblement.
diversion entre Craonne et Berry-au-Bac, dans le secteur du Bois des Buttes, tenu par la 55e DI. Le 10 mars, lâattaque allemande lui fait perdre ses positions avec de lourdes pertes. Le nombre de prisonniers et disparus, prĂšs de 800, fait sourciller le commandement qui suspecte un abandon collectif. La contre-attaque française du 25 avril est elle-mĂȘme un Ă©chec qui est Ă©maillĂ© de refus
de combattre rapportĂ©s par le capitaine Tuffau. De plus, elle a Ă©tĂ© prĂ©cĂ©dĂ©e par la dĂ©couverte dâinscriptions antimilitaristes. En pĂ©riode dâoffensive, tout cela demeure assez commun mais dĂ©note une baisse du moral au sein de la division 8.
La ferme du Faité, depuis la route de Ventelay à Roucy, juillet 1915. Coll. part.
Ă bien y regarder, cet incident montre que les temps ont changĂ© au printemps 1916. Les gĂ©nĂ©raux nâont pas encore compris que les soldats sont extĂ©nuĂ©s par la guerre et ne veulent plus ĂȘtre commandĂ©s par la contrainte. Ils ne le comprendront quâen 1917, lors de la crise des mutineries, dont cette affaire de 1916 doit nous inviter Ă reconsidĂ©rer le poids de la conjoncture. Le dĂ©roulement et la gestion de cette affaire, sont en tous points comparables Ă ce qui va se passer un an plus tard. Les motifs invoquĂ©s sont les mĂȘmes : un Ă©chec militaire, des hommes qui entraĂźnent leurs camarades, le manque dâautoritĂ© de lâencadrement, des hommes qui ont bu ou sont fatiguĂ©s, etc. On constate la mĂȘme prĂ©cipitation dans la mise en jugement et la mĂȘme pression de la hiĂ©rarchie pour dĂ©signer des coupables.
Ă la dĂ©charge de lâencadrement, il faut souligner quâun incident de ce type remet en question toute la hiĂ©rarchie militaire. Du chef de section au commandant dâarmĂ©e, chacun a alors une obsession : prouver que sa responsabilitĂ© nâest pas engagĂ©e. Il ne fait pas de doute que le gĂ©nĂ©ral Wirbel a fait pression sur ses subordonnĂ©s pour faire des exemples, mais lĂ encore, câest un grand classique. Pendant toute la guerre, les gĂ©nĂ©raux souhaitent faire des exemples qui seuls, selon eux, peuvent garantir le maintien de lâordre parmi la troupe. Pour autant, les juges nâont pu juger sur ordre mais bien âen leur Ăąme et conscienceâ. Le prĂ©sident du conseil de guerre, le lieutenant-colonel Collon Ă©tait
HISTOIRE
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Extrait du carnet du soldat Bellet du 96e RI.Coll. Part.
HISTOIRE
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11 - SHD 16N1520, 15 mai 1916, lettre du commandant Riols au colonel Pouget.12 - SHD 19N868, rapport, Ve armée.13 - SHD 11J1738, 55e DI.
En transmettant le tableau des punitions joint Ă son rapport, le commandant Riols rĂ©clame âdes punitions exemplairesâ pour les principaux protagonistes, laissant ainsi le soin Ă ses supĂ©rieurs de choisir les sanctions. Il demande toutefois 7 jours de prison supplĂ©mentaires pour les ivrognes et la cassation de son grade pour Morineau. De plus, il impute une part de la responsabilitĂ© de lâincident aux lieutenants LĂ©vy et Ortiger qui, selon lui, auraient dĂ» faire preuve de fermetĂ© en arrĂȘtant immĂ©diatement les meneurs. Câest donc au niveau de la division que vont se dĂ©cider les suites Ă cette affaire. Officier de valeur, bien considĂ©rĂ© par ses supĂ©rieurs, Pouget aurait pu probablement minimiser lâaffaire, mais Ă son retour, les dĂ©s sont jetĂ©s. Il nâa plus quâĂ entĂ©riner la situation. Le rapport va ĂȘtre aussi transmis au gĂ©nĂ©ral Wirbel, commandant le corps dâarmĂ©e. Il semble que ce soit lui qui ait alors pris lâaffaire en main directement. Dâautant plus que le gĂ©nĂ©ral de La Porte, commandant la 55e DI, sera bientĂŽt absent. Wirbel demande un complĂ©ment dâenquĂȘte et la mise en jugement des soldats les plus incriminĂ©s : Lhermenier, Milhau, Baleux, Regoult, Gineste, Romain et Meloux. Le 15 mai, Riols qui ne sâattend vraisemblablement pas au rĂ©sultat final, semble satisfait de la tournure que prennent les Ă©vĂ©nements. Il note que le soldat Lhermenier est dĂ©jĂ en prĂ©vention de conseil de guerre de la 31e DI et quâil y aurait un fait nouveau : Milhau aurait dit aprĂšs lâaffaire : âPuisquâon nâa pas voulu nous suivre, nous opĂ©rerons autrement une autre fois. Je crois que cette affaire prend la tournure quâelle aurait dĂ» prendre dĂšs le dĂ©but si les lieutenants LĂ©vy et Ortiger avaient moins tergiversĂ© avec deux ou trois Ă©nergumĂšnes quâil fallait mater immĂ©diatement.â11
EnquĂȘte sur les officiers prĂ©sents au sein de la 2e compagnie du 96e RI lors des Ă©vĂ©nements du 30 avril 1916. SHD, 16 N 1519, 96e RI
Jugement du conseil de guerre de la 55e DI.SHD/GR 11 J 1738-2
MalgrĂ© lâabsence du rapport du capitaine Lacaze, commissaire rapporteur sur lequel repose lâaccusation, nous savons quâil nâa pas retenu la prĂ©mĂ©ditation dans lâorganisation de lâincident et que, pour Ă©tablir des responsabilitĂ©s, âil sâest appuyĂ© sur des impressions ou des conversations et non sur des faits Ă©tablis.â12 Le conseil de guerre se rĂ©unit Ă Roucy le 20 mai 1916 sous la prĂ©sidence du lieutenant-colonel Collon, commandant le 204e RI13. Le jugement nous apprend que les cinq juges ont Ă©tĂ© nommĂ©s par âle colonel commandant provisoirement la divisionâ. Le gĂ©nĂ©ral de La Porte Ă©tant absent, on peut penser que lâĂ©cart hiĂ©rarchique avec le gĂ©nĂ©ral Wirbel laissait peu de latitude Ă ce colonel. Chaque inculpĂ©, poursuivi pour refus dâobĂ©issance en prĂ©sence de lâennemi, est dĂ©fendu par un avocat dĂ©signĂ© dâoffice. Ă lâissue des dĂ©bats, Lhermenier et Milhau sont dĂ©clarĂ©s coupables Ă lâunanimitĂ©, Baleux et Regoult par quatre voix contre une. Les quatres hommes sont donc condamnĂ©s Ă mort avec dĂ©gradation militaire. Ginestre, Romain et Meloux Ă©copent de 5 ans de travaux forcĂ©s et la dĂ©gradation militaire. EngagĂ© volontaire, Lucien Baleux avait 19 ans quand il fut exĂ©cutĂ© Ă Roucy.
Vue aĂ©rienne oblique de Roucy en 1917, avec lâindication du lieu de lâexĂ©cution des 4 soldats du 96e RI :
âLa Mutte des Grillotsâ. Coll. part. Cour intĂ©rieure de la ferme du FaitĂ© en 1915. Coll part.
REMISE EN CAUSE DU COMMANDEMENT
Ce qui surprend le plus dans les archives de cette affaire est que lâon dĂ©couvre que des enquĂȘtes approfondies ont Ă©tĂ© menĂ©es pour trouver une explication Ă cet incident : rĂŽle et activitĂ© du rĂ©giment, emploi des compagnies, rĂ©partition des hommes par classe et par rĂ©gion dâorigine, Ă©tat des punitions, avis sur la compĂ©tence des officiers, Ă©tat des pertes, etc. Toutes ces investigations sont datĂ©es du 23 ou du 25 mai 1916, câest-Ă -dire aprĂšs quâait eu lieu lâexĂ©cution. Que mettent-ils en Ă©vidence ? Rien de particulier, si ce nâest un Ă©chec militaire, un repos trop court, un chef de corps absent, des officiers dĂ©contenancĂ©s par ce type dâincident, soit un faisceau dâĂ©lĂ©ments qui apparaissent clairement comme les causes du ras-le-bol des hommes du 96e RI, le 30 avril.
14 - SHD 9 YD 610, dossier Wirbel.15 - Le comportement de Mazel est connu par les souvenirs inédits du général Guédeney.
une forte personnalitĂ© qui ne sâen laissait pas compter. Il a entĂ©rinĂ© les conclusions lĂ©gĂšres du commissaire rapporteur plus dans un souci dâexemplaritĂ© que de justice. Mais dâautres paramĂštres ont favorisĂ© cette dĂ©rive. On sait notamment quâune blessure rendait Wirbel particuliĂšrement irritable14. Les rapports avec le gĂ©nĂ©ral Mazel Ă©taient Ă©galement difficiles voire conflictuels, celui-ci ne supportait pas quâon lui soumette de tels
problĂšmes15. Enfin, le gĂ©nĂ©ral de La Porte Ă©tait absent pour gĂ©rer cet incident et un colonel assurait lâintĂ©rim sous les ordres de Wirbel.
16 17
HISTOIRE
La rĂ©forme de la justice militaire engagĂ©e au printemps 1916, Ă lâinitiative du dĂ©putĂ© Paul Menier, nâa pas eu dâincidence sur les consĂ©quences de cette affaire. En effet, le 24 avril, les conseils de guerre spĂ©ciaux sont supprimĂ©s et le 8 juin, soit deux semaines seulement aprĂšs lâexĂ©cution, les recours en rĂ©vision rĂ©tablis. Wirbel Ă©tait-il au courant de cet inflĂ©chissement imminent du fonctionnement de la justice militaire au point dâaccĂ©lĂ©rer la procĂ©dure sans tenir compte des rĂ©sultats des enquĂȘtes en cours ? On peut le soupçonner, dâautant plus quâil nâa pas usĂ© de la facultĂ© que lui offrait la justice du moment : demander la grĂące des condamnĂ©s au PrĂ©sident de la RĂ©publique. Cette affaire devait sceller son propre sort : le 30 mai 1916, une semaine aprĂšs lâexĂ©cution Ă Roucy, le gĂ©nĂ©ral Wirbel est limogĂ©, sans motif officiel.
Denis ROLLAND
Michel SARTER
UNE STĂLE AUx âFUSILLĂS POUR LâExEMPLEâ Ă ROUCY
Le 22 mai 1916, Lucien Baleux, Ămile Lhermenier, FĂ©lix Milhau et Paul Regoult, soldats du 96e RI sont exĂ©cutĂ©s Ă Roucy, aprĂšs une dĂ©cision du conseil de guerre. Quelques semaines aprĂšs, le 6 juin 1916, le soldat ThĂ©ophile Boisseaux, du 246e RI, est fusillĂ© Ă Roucy pour ne pas avoir rejoint sa section lors dâun bombardement. Un an aprĂšs, le 13 juin 1917, Henri DĂ©sirĂ© Valembras, soldat du 313e RI est Ă©galement exĂ©cutĂ© Ă Roucy, pour rĂ©volte et voie de fait envers un supĂ©rieur.
Ces 6 soldats, dont le plus jeune avait 19 ans, avaient pris part Ă de nombreux combats. A lâeffroi de leur condamnation sâajoutait le poids de la honte pour leurs familles. Leurs corps nâont pas Ă©tĂ© rapatriĂ©s dans leur village dâorigine et reposent toujours dans le cimetiĂšre militaire de Pontavert. Seuls les noms de Lucien Baleux, FĂ©lix Milhau et Emile Lhermenier figurent sur les monuments aux morts de leurs villages respectifs.
Pour que cette douloureuse page dâhistoire ne sâefface pas, les membres de lâassociation le Regain de Roucy, en partenariat avec la commune de Roucy et le Conseil dĂ©partemental de lâAisne, dans le cadre du centenaire de la PremiĂšre Guerre mondiale, procĂ©deront Ă lâinauguration le 28 mai 2016, Ă 11 heures, dâune stĂšle en mĂ©moire de ces 6 soldats âfusillĂ©s pour lâexempleâ, au centre du village de Roucy.
Plus dâinformation : www.le-regain-roucy.com
Projet de stĂšle par lâartiste Victor Lejeune
Les tombes des 4 fusillés,Lucien Baleux, Emile Lhermenier, Félix Milhau, Paul Regoult, dans le cimetiÚre militaire de Pontavert. Photo D. Rolland
LA REFORME DE LA JUSTICE MILITAIRE
ExpOSITION
MON Ă©cOLEDANS LA GRANDE GUERRE
La classe dans une creute de Paissy durant la Grande Guerre.MusĂ©e national de lâEducation nationale de Rouen
1 - Valmyre Bienfait, Comme ceux de quatre-vingt-douze : extraits du carnet de campagne dâun instituteur officier de rĂ©serve, Imprimerie Meininger, Mulhouse, 1920. Valmyre Bienfait est instituteur Ă Vauxaillon en 1914.2 - Murray Rothbard, LâĂ©ducation gratuite et obligatoire, Institut Coppet, Paris, 2015.3 - Suite aux combats du 320e rĂ©giment dâinfanterie Ă Verdun, Edmond Blanguernon cite les 22 instituteurs qui sont tuĂ©s, blessĂ©s, disparus et citĂ©s lors de ces combats dans le Manuel gĂ©nĂ©ral dâinstruction primaire en 1918.
Du 15 avril au 30 septembre 2016, les Archives dĂ©partementales de lâAisne proposent une exposi-tion intitulĂ©e âMon Ă©cole dans la Grande Guerreâ. LâĂ©cole, creuset de la conscience nationale, possĂšde un lien particulier avec le premier conflit mondial, qui a bouleversĂ© lâensei-gnement en France. Les Archives dĂ©partementales, en collaboration avec les services de la Direction des services dĂ©partementaux de lâEdu-cation Nationale, souhaitent mon-trer comment lâĂ©cole a contribuĂ© Ă lâĂ©laboration du citoyen de 1914, comment lâinstruction de la jeu-nesse sâest poursuivie dans lâAisne dĂ©chirĂ©e, entre la zone occupĂ©e par lâarmĂ©e allemande et la zone libre, et comment lâĂ©cole sâest reconstruite matĂ©riellement et moralement aprĂšs 1918. Et ce, jusquâĂ nos jours, oĂč lâĂ©cole de la RĂ©publique contribue Ă façonner la mĂ©moire collective.
La PremiĂšre Guerre mondiale constitue une levĂ©e en masse comparable Ă celle de 1792 pour de nombreux soldats1. Sa dimension universelle et citoyenne infuse la sociĂ©tĂ© française Ă travers le temps. Elle jette dans le feu des combats une gĂ©nĂ©ration entiĂšre, apparemment modelĂ©e par les âhussards noirs de la RĂ©publiqueâ, dans le souvenir de la dĂ©bĂącle de 1870, pour prendre une revanche sur lâinstituteur allemand, qui serait le vrai vainqueur de Sadowa et de Sedan2. Cependant, lâattitude revancharde, revendiquĂ©e par lâĂ©cole de Jules Ferry doit ĂȘtre nuancĂ©e. La personnalitĂ© et la sensibilitĂ© de lâenseignant, comme lâenvironnement de lâĂ©lĂšve, modĂšrent les attitudes et la rĂ©ception des enseignements. Les salles de classe ont fait du soldat de lâĂ©tĂ© 1914 un travailleur et un citoyen avant tout. Il trouve sa place dans les rangs de lâarmĂ©e mobilisĂ©e grĂące au socle de connaissances et de valeurs communes apportĂ©es par lâinstituteur mĂątinĂ© dâune complexitĂ©, qui fait du poilu un homme dont lâengagement individuel varie selon la personnalitĂ© et le moment. Parmi ces poilus, il faut distinguer notamment lâenseignant mobilisĂ©. Ce dernier se retrouve souvent gradĂ© en premiĂšre ligne et ainsi davantage victime du feu comme de son rĂŽle dans la sociĂ©tĂ© civile3.
Parmi les nombreuses victimes du conflit, il faut aussi compter les enfants scolarisĂ©s dans lâAisne durant la Grande Guerre. Ainsi, les enfants nĂ©s entre 1900 et 1912 ont eu une scolaritĂ© particuliĂšrement bouleversĂ©e. En âpays envahiâ, les cours sont dispensĂ©s de maniĂšre sporadique, avec un programme contrĂŽlĂ© par les Allemands et des inspecteurs, souvent issus du clergĂ©. Dans lâAisne occupĂ©, le corps enseignant fait aussi, Ă sa maniĂšre, la guerre Ă lâoccupant, Ă travers des rĂ©fĂ©rences patriotiques distillĂ©es dans les leçons. Dans les zones les plus mĂ©ridionales du dĂ©partement, par deux fois, en 1914 et 1918, lâavancĂ©e allemande bouleverse la classe. Le reste du temps, elle est rythmĂ©e par les passages et le stationnement des troupes. Mais câest dans la zone du front que les cours sont les plus perturbĂ©s. Lorsquâils ont lieu, ils se dĂ©roulent dans des conditions prĂ©caires, comme dans lâobscuritĂ© dâune creute, Ă Paissy, Ă quelques centaines de mĂštres des premiĂšres lignes du Chemin des Dames.
AprĂšs-guerre, les conditions dâenseignement restent difficiles dans lâAisne. De nombreuses Ă©coles sont endommagĂ©es. La classe se fait alors dans des baraques en bois voire dans des caves. Dans ces lieux improbables, un enseignement pacifiĂ© permet aux instituteurs de contribuer Ă la mĂ©moire de ce terrible conflit dans la classe et lors des cĂ©rĂ©monies liĂ©es Ă lâhommage aux victimes ou Ă la reconstruction.
Une mĂ©moire de lâĂ©cole dans la guerre qui se perpĂ©tue Ă lâoccasion du centenaire de la PremiĂšre Guerre mondiale et de cette exposition qui prĂ©sente des travaux dâĂ©lĂšves de plusieurs Ă©coles, collĂšges et lycĂ©es axonais qui ont travaillĂ© sur le thĂšme : âMon Ă©cole dans la Grande Guerreâ.
Exposition en libre accĂšs du 15 avril au 30 septembre 2016
Archives dĂ©partementales de lâAisne28 rue Fernand Christ - 02000 LAONTĂ©l. 03 23 24 61 47
www.archives.aisne.fr
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Vestige dâun abri allemand dĂ©couvertlors des travaux dâamĂ©nagement de la RN2 en 2005. Photo CD02/Cyril Delahaye
Abri allemand en béton armé aménagé dans le fort de La Malmaison, 27 octobre 1917.BibliothÚque de documentation internationale contemporaine (BDIC), fonds Valois, 1349.
Vestige dâun observatoire allemand, Chavignon, 2016. Photo CD02/FV
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HISTOIRE HISTOIRE
âPendant que nous Ă©tablissions des routes, des pistes, des dĂ©pĂŽts de munitions, ils installaient des tourelles blindĂ©es pour leurs mitrailleuses, ils construisaient des retranchements, des souterrains et des blockhaus en bĂ©ton, ils plantaient des nouveaux rĂ©seaux. Ils ont eu tout le temps dâorganiser leur traquenard.â
Gabriel Chevallier, La Peur, 1930.
QUAND Le CHeMIN S'ARMAIT DE BĂ©TONAu Chemin des Dames en 1917, les attaquants français se sont heurtĂ©s Ă des emplacements de combat bĂ©tonnĂ©s. Ces abris armĂ©s par les Allemands de mitrailleuses effectuant des tirs croisĂ©s ont empĂȘchĂ© Ă de nombreux endroits la progression française. Dâautres reliĂ©s Ă des tunnels ou Ă des carriĂšres souterraines ont permis Ă des dĂ©tachements allemands de lancer des contre-attaques. Une lutte Ăąpre et meurtriĂšre fut alors nĂ©cessaire pour conquĂ©rir ces points dâappui en bĂ©ton dont la conception avait Ă©tĂ© rĂ©glementĂ©e dĂšs 1916.
En juin 1916, le ministĂšre de la guerre allemand publie un premier rĂšglement intitulĂ© : Kriegsministerium, Stellungsbau. Ce document relatif Ă la guerre de position dĂ©crit comment organiser et fortifier la dĂ©fense dâun secteur du front Ă lâaide dâĂ©lĂ©ments de bĂ©ton armĂ©. Un chapitre est dĂ©diĂ© Ă la construction de fortifications avec des schĂ©mas de casemates bĂ©tonnĂ©es. Le haut commandement allemand est conscient que lâĂ©dification et lâorganisation de telles positions permet de mieux dĂ©fendre ; il sait aussi quâelles permettent de mieux protĂ©ger les troupes. La construction en bĂ©ton a pour but dâĂ©conomiser la vie des hommes mais aussi de contribuer Ă la soliditĂ© de leur moral. On peut ainsi y lire :
âLe bĂ©ton offre une excellente protection contre les effets des projectiles. Le bĂ©ton est un mĂ©lange de ciment, de sable et de pierre (cailloux, pierres concassĂ©es). Pour obtenir une consistance suffisante au bout dâun temps trĂšs court, il faut mĂ©langer ces matĂ©riaux dans
le rapport suivant 1 partie de ciment, 2 de sable, 4 de pierres. Pour mesurer les quantitĂ©s voulues, on se sert de sacs Ă terre ou dâautres rĂ©cipients ; 5 sacs de ciment de fabrication allemande contiennent environ 1/5 de mĂštre cube. On trouve frĂ©quemment un mĂ©lange de sable et de cailloux quâon peut mettre immĂ©diatement en Ćuvre sâil correspond au rapport susmentionnĂ©, sinon on y ajoute du sable ou des pierres. Le sable et les pierres doivent ĂȘtre durs et Ă arĂȘtes vives et ne pas contenir de parties argileuses ou terreuses. Il sâen suit que souvent les pierres et le sable trouvĂ©s sur place ne conviennent pas.
Lâemploi de matĂ©riaux impropres et la non-observation des indications qui seront donnĂ©es ci-aprĂšs diminuent notablement la soliditĂ© des constructions en bĂ©ton [ ]. Avec lâemploi de bĂ©ton armĂ© la force de rĂ©sistance croĂźt notablement ; avant tout, la construction toute entiĂšre reçoit une cohĂ©sion plus intime. Les matĂ©riaux nĂ©cessaires Ă la confection de 1 mĂštre cube de bĂ©ton constituent la charge de 80 porteurs. Par suite, il faudra, aux endroits oĂč lâon doit exĂ©cuter des bĂ©tonnages importants, faciliter le transport des matĂ©riaux par des voies Ă©troites jusquâaux chantiersâ.
En prĂ©vision du retrait allemand lors de lâopĂ©ration âAlberichâ Ă la fin de lâannĂ©e 1916 et au dĂ©but de lâannĂ©e 1917, sur la ligne Siegfried (appelĂ©e Hindenburg par les Français), lâutilisation du bĂ©ton dĂ©montre tout son intĂ©rĂȘt pour le haut-commandement allemand. Cette pĂ©riode demeure la plus importante dans lâutilisation du bĂ©ton sur cette partie du front. Les travaux sont rĂ©alisĂ©s par des travailleurs militaires et des compagnies de sapeurs renforcĂ©es par des soldats dâunitĂ©s dâinfan-terie. Dans les zones situĂ©es Ă lâarriĂšre-front, des prisonniers de guerre (russes, belges et français pour la plupart) ou des civils rĂ©quisitionnĂ©s participent Ă©galement Ă ces travaux.
Sur le plan tactique, lâemplacement des points dâappui bĂ©tonnĂ©s Ă©chelonnĂ©s en profondeur est dĂ©cidĂ© pour permettre un soutien mutuel grĂące Ă des tirs de flanquement. La rĂ©alisation est cependant contraignante car il faut Ă©chapper Ă lâobservation ennemie. La plupart des abris sont construits la nuit ou par temps de brouillard. Plusieurs techniques de camouflage sont alors utilisĂ©es. Par exemple, la construction Ă lâintĂ©rieur dâun bĂątiment existant prĂ©sente lâavantage dâĂȘtre invisible de lâextĂ©rieur (cela ressemblant toujours au mĂȘme bĂątiment extĂ©rieurement) et de pouvoir utiliser le mur comme coffrage. Une autre technique consiste Ă Ă©lever progressivement le remblai de terre la nuit devant lâouvrage en construction pour le masquer car redondance, sans attirer lâattention des adversaires. Avec lâexpĂ©rience acquise, la maniĂšre de construire change et se modernise, avec lâemploi de sortes de parpaings de bĂ©ton armĂ© ou de piĂšces prĂ©fabriquĂ©es Ă lâarriĂšre, que lâon peut assembler plus rapidement.
DĂšs lors, les abris pour les soldats et les mitrailleuses forment la clĂ© de voĂ»te du systĂšme de dĂ©fense allemand. Des canons ou des mortiers peuvent parfois y ĂȘtre installĂ©s. Les postes dâobservation avec pĂ©riscope et en liaison optique ou tĂ©lĂ©phonique avec lâartillerie finalisent avec les barbelĂ©s lâefficacitĂ© dĂ©fensive dâun point dâappui.
Si la thĂ©orie fait de ces abris de redoutables moyens de dĂ©fense, au combat ils peu-vent se rĂ©vĂ©ler de vĂ©ritables piĂšges pour leurs occupants. Le 9 avril 1917, durant un bombardement prĂšs de Juvincourt, le lieutenant Georg Will du 7e rĂ©giment de rĂ©serve bavarois Ă©crit : âNous Ă©tions pris dans une misĂ©rable souriciĂšre. CâĂ©tait un emplacement de mor- tier abandonnĂ©, dâune construction forte en bĂ©ton pour ĂȘtre sĂ»r, mais avec son entrĂ©e ouverte vers lâennemi. Nous lâavions seulement bloquĂ©e de maniĂšre grossiĂšre. CâĂ©tait difficile pour la sentinelle Ă lâentrĂ©e. Elle devait ĂȘtre capable de plonger Ă couvert Ă tout moment, mais aussi de continuer lâobservation1â .
Parfois, deux sorties sont amĂ©nagĂ©es dans un abri pour permettre une extraction plus rapide face Ă des assaillants qui sont peu enclins Ă y pĂ©nĂ©trer ou Ă y faire des prisonniers. La neutralisation oĂč le ânettoyageâ de ces abris sâeffectue alors le plus souvent par
des jets de grenades Ă lâintĂ©rieur, des tirs dâobus perforants de 37 mm tirĂ©s par des petits canons contre les ouvertures, ou Ă lâaide de lance-flamme, comme lâĂ©crit le lieutenant RenĂ© Germain lors de la prise du Fort de La Malmaison en octobre 1917 : âTout Ă coup, une mitrailleuse nous claque aux oreilles. Elle est Ă quinze mĂštres devant nous, un peu Ă gauche. Quelques Poilus se prĂ©cipitent, et Ă la faveur de lâobscuritĂ© rĂ©ussissent Ă sâen emparer, mais les soldats qui la servent se sont rĂ©fugiĂ©s dans lâabri profond qui doit ĂȘtre intact. Jây envoie un de mes lance-flammes qui dâun jet de feu massacre tous les occupantsâ2 . Aujourdâhui encore nombre de ces abris en bĂ©ton continuent de hanter les champs le long du Chemin des Dames.
Plan dâun abri allemand en bĂ©ton. RĂšglements allemands relatifs Ă la guerre de position
pour toutes les armes. DĂ©tails dâorganisation des positions. 15 dĂ©cembre 1916. Imprimerie nationale, Paris, 1917.
1 - Vater Will, Kriegstagebuch. Meier-Gesees Karl, Bayreuth, 1931.2 - René Germain, Il revint immortel de la grande bataille. Carnets de guerre 1914-1919, Editions Italiques, 2007.
Yves FOHLEN
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DEUx FRĂRESeN MĂ©MOIRe
Feuillet mentionnant la mort de Joseph Patrigeon le 16 avril 1917.Archives famille Patrigeon-Limet
Eliane, la petite-fille de Joseph Patrigeon, avec la correspondance de son grand-pÚre tué le 16 avril 1917.Photo Isabelle Fouassier
Feuillet mentionnant la mort dâHippolyte Patrigeon le 10 mars 1916.Archives famille Patrigeon-Limet
Lettre dâHippolyte Patrigeon Ă sa niĂšce, Rolande, le 28 dĂ©cembre 1915.Archives famille Patrigeon-Limet
Hippolyte et Joseph Patrigeon, deux frĂšres originaires de lâIndre, sont tuĂ©s Ă un an dâintervalle Ă La Ville-aux-Bois-lĂšs-Pontavert : le premier le 10 mars 1916, et le second le 16 avril 1917.
Disparus au combat, les deux frĂšres reposent peut-ĂȘtre toujours, non loin lâun de lâautre, au pied du Chemin des Dames.
MĂ©MOIRE
Hippolyte Patrigeon a 45 ans lorsquâil est fauchĂ© par une balle, le 10 mars 1916. Ce jour-lĂ , lâarmĂ©e allemande lance une attaque Ă objectif limitĂ© : prendre le saillant formĂ© par les positions françaises au Bois des Buttes. Avec ses trois buttes qui sâĂ©lĂšvent Ă une centaine de mĂštres dâaltitude, ce petit bois situĂ© entre La Ville-aux-Bois et Pontavert permet aux Français de contrĂŽler le secteur sud de Craonne depuis les combats de septembre 1914 et la fixation du front. NĂ© Ă PrĂ©aux dans lâIndre, Hippolyte, qui a reçu le nom de baptĂȘme de son pĂšre, est cĂ©libataire. Trop ĂągĂ© pour un rĂ©giment de ligne, il est rappelĂ© en aoĂ»t 1914 au 66e rĂ©giment dâinfanterie territoriale (RIT). Au mois de mars 1916, loin de la bataille qui fait rage dĂ©sormais Ă Verdun, ses camarades, des rĂ©servistes comme lui pour la plupart, pensent occuper une partie calme du front dans lâAisne. Le 10 mars, câest un dĂ©luge dâartillerie qui sâabat sur les positions françaises, malgrĂ© la contre-attaque du 276e RI, le Bois des Buttes est en partie envahi par les vagues dâassaut allemandes. Hippolyte Patrigeon est portĂ© disparu (un feuillet conservĂ© dans les archives familiales indique cependant une inhumation). Le 28 dĂ©cembre 1915, il Ă©crivait Ă sa niĂšce : âCâest avec le plus grand plaisir que je vois arriver le premier de lâan [âŠ] en attendant le jour qui est bien dĂ©sirĂ© de me rapprocher prĂšs de vous tous car jâespĂšre que la fin sera pas loin Ă prĂ©sentâ.
HIPPOLYTE âSUR LE CHEMIN QUI MĂNE Ă LA VILLE-AUx-BOISâ
Photographie de mariage de Joseph et Georgette Patrigeon, 1912.Archives famille Patrigeon-Limet
JOSEPH, LE BRANCARDIER DU 16 AVRIL
Joseph Patrigeon, que tout le monde appelle Raymond, classe 1907, est ĂągĂ© de 27 ans quand il rĂ©intĂšgre le 114e RI Ă la dĂ©claration de guerre, en aoĂ»t 1914. Il a Ă©pousĂ© le 14 dĂ©cembre 1912 Georgette Doucet. InstallĂ© comme cultivateur Ă Argy, le couple vient dâavoir une fille, Rolande, nĂ©e le 5 fĂ©vrier 1914. Le 5 avril 1915, il Ă©crit Ă sa femme : âCâest aujourdâhui que notre petite chĂ©rie a ses 14 mois, câest bien comme tu me dis ma chĂ©rie, elle doit avoir des moments oĂč elle doit ĂȘtre bien amusante, maintenant que son pauvre oncle est parti lui aussi (Hippolyte) elle ne peut pas le voir si souvent, sâil a le bonheur de rester au Blanc, il aura peut-ĂȘtre quelques permissionsâ. La fiche matricule de Joseph nâindique pas son passage au 313e RI, mais câest pourtant au sein de ce rĂ©giment quâil mentionne dans sa correspondance ĂȘtre auxiliaire, en 1916. En effet, Joseph occupe les fonctions de brancardier au sein de la 18e compagnie.
Au front, Joseph passe par les tranchĂ©es de lâArgonne et de Verdun, sans jamais oublier dâĂ©crire Ă sa femme ou Ă sa niĂšce âtous les deux joursâ. Le 1er novembre 1916, lors dâune attaque au ravin de Bazil, dans le secteur de Verdun, il est citĂ© Ă lâordre de la brigade : âBrancardier, chef dâĂ©quipe dâun service irrĂ©prochable, Ă la tĂȘte de son Ă©quipe, sous un violent bombardement, sâest mis Ă la recherche du capitaine, adjudant-major de son bataillon disparu, et a ramenĂ© son corpsâ. Le 10 avril 1917, le rĂ©giment arrive au front prĂšs de Pontavert, il doit faire partie, au sein de la 9e DI, de la premiĂšre vague dâassaut de la grande offensive qui doit permettre de percer les lignes allemandes. Ladislas Granger, qui appartenait Ă©galement Ă la 18e compagnie du 313e RI, a racontĂ© sa guerre. Il dĂ©crit la composition du rĂ©giment : âCes rĂ©giments incorporaient les rĂ©servistes plus anciens, jusquâĂ la classe 1900 (et mĂȘme 1899 en octobre
1914). [...] on constate jusquâĂ la fin que la majoritĂ© des soldats du 313e approchent de la trentaine ou souvent de la quarantaine, quâils sont pour la plupart mariĂ©s et pĂšres de famille. Il faudra sâen souvenir pour comprendre lâambiance du rĂ©gimentâ1. Le soldat Granger tĂ©moigne de lâĂ©tat dâesprit avec lequel les hommes de la 18e compagnie arrivent au Chemin des Dames : â7 avril 1917. [...] quelques-uns ont des idĂ©es noires, dâautres se rĂ©signent Ă leur sort [âŠ]. 11 avril 1917. Nous restons lĂ jusquâau soir puis Ă la nuit nous changeons dâemplacement et appuyons sur la droite ; la section est en rĂ©serve dans des sapes au fond desquelles il y a 30 cm dâeau, il y fait un froid terrible ; câest bien malheureux de vivre ainsi sous terre pendant quâil fait un beau soleil dehors ; que dâidĂ©es noires nous passent dans la tĂȘte ; et nous maudissons la guerre de tout notre cĆur, quelle affreuse et cruelle choseâ2.
Le 16 avril 1917, la 18e compagnie franchit le parapet Ă 6 heures du matin, objectif : la tranchĂ©e de Hambourg et le bastion de la Mine. Joseph est atteint par une balle qui le blesse mortellement, fauchĂ© alors quâil venait sauver des vies. Avec plus de 500 tuĂ©s, blessĂ©s ou disparus le 20 avril, le rĂ©giment est relevĂ© et envoyĂ© au camp de Bourgogne prĂšs de Ventelay. Parmi les survivants lâĂ©cĆurement domine, il aboutira le 27 mai 1917 Ă une violente manifestation : âManifestations par quelques poilus agissant sous lâinfluence du pinard ; nuit mouvementĂ©e, tout se calme avec un maigre rĂ©sultat pour les auteurs de ce dĂ©sordre ; ils sâen repentiront Ă bref dĂ©laiâ, rapporte le soldat Granger. Le soldat Henri DĂ©sirĂ© Valembras du 313e RI, survivant de lâattaque du 16 avril, est condamnĂ© Ă mort et exĂ©cutĂ© le 13 juin, Ă Roucy. Le conseil de guerre le condamne ainsi pour avoir frappĂ© son capitaine pendant les Ă©chauffourĂ©es du 27 mai. Joseph Patrigeon aurait-il participĂ© Ă cette manifestation, sâil nâavait pas pĂ©ri le 16 avril ?
LâESPOIR DâUNE TOMBE
Les deux frĂšres Patrigeon sont aujourdâhui dĂ©clarĂ©s sans sĂ©pulture connue, peut-ĂȘtre reposent-ils dans lâossuaire du cimetiĂšre militaire de Pontavert, oĂč demeurent-ils dans la terre reboisĂ©e ou les champs entourant La Ville-aux-Bois-lĂšs-Pontavert ? Joseph savait-il que le corps de son frĂšre demeurait non loin du lieu oĂč il devait attaquer ce 16 avril 1917 ? Eliane, la petite-fille de Joseph, qui continue de se poser ces questions, garde prĂ©cieusement la correspondance de son grand-pĂšre, ainsi que les bagues en aluminium et les coquetiers en bois quâil envoyait du front. Lâespoir de retrouver une tombe ou lâindication dâun corps, quelque part, un jour, a longtemps pesĂ© sur la mĂ©moire familiale doublement endeuillĂ©e. Aujourdâhui, seuls les mots et les objets continuent dâentretenir le souvenir. Sur un diplĂŽme de la mĂ©daille militaire que Joseph reçut Ă titre posthume, il est Ă©crit : âBrancardier trĂšs brave, sâest admirablement conduit en toutes circonstances et principalement pour lâattaque du 16 avril 1917, au cours de laquelle il est tombĂ© glorieusement en forĂȘt de La Ville-aux-Bois (Aisne) en remplissant irrĂ©prochablement son devoirâ.
1 - Carnets de guerre du sergent Granger 1915-1917, La Grande Guerre vécue et racontée au jour le jour par un paysan de France, présentés par Roger Girard, préface de Jules Maurin, Montpellier, E.S.I.D., U.M.R. 5609 du CNRS, Université Paul Valéry, 1997, p. 20-21.2 - Ibid. p. 154-155.
Franck VILTART
Remerciements à Mme Isabelle Fouassier pour nous avoir communiqué les documents familiaux.
21
MĂ©MOIRE
LIVRES
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TRANCHĂES, Carlo SALSA, Les Belles Lettres, traduit de lâitalien par StĂ©phanie Laporte, 2015, 309 p.
LâOUVRAGE, paru en 1924, dĂ©rangea les fascistes au pouvoir, tenants dâune guerre hĂ©roĂŻque et mythifiĂ©e, qui en interdirent la rĂ©impression. Le front italien des Alpes nâavait en effet rien Ă envier au front français. En quelques heures, le soldat sây transforme en âstatue de glaise, sans visageâ essayant de survivre dans des conditions Ă©pouvantables : la boue, le cholĂ©ra, les amputations dues au froid, les exĂ©cutions sommaires, les assauts inutiles dĂ©cidĂ©s par des officiers grotesques, mĂ©prisants, qui font bombarder leurs propres hommes pour faire cesser un moment de fraternisation avec lâennemi. Carlo Salsa, sous-lieutenant de 23 ans dĂ©crit la rĂ©alitĂ© dâune guerre dâaltitude absurde, oĂč les Italiens en bas, sont condamnĂ©s Ă se faire massacrer par les Autrichiens qui tiennent toutes les positions fortifiĂ©es en haut. Ainsi sur le plateau du Karst, un dĂ©sert de pierre, les soldats Italiens nâont pas pu faire de tranchĂ©es, leur 1re ligne se rĂ©duit Ă une succession de trous inaccessibles creusĂ©s dans la pente, oĂč on se protĂšge du feu continu de lâennemi avec les cadavres restĂ©s sur place.
De 1915 Ă 1917, Carlo Salsa se trouve au plus prĂšs des fantassins, dont il note les chants et les expressions, les dialogues empreints de dĂ©sespoir (âles gens viendront ici aprĂšs la guerre⊠il yâaura des hĂŽtels de luxe, des promenades de curiositĂ©....et on ramassera nos os comme porte-bonheurâ). Son souci de transcrire la culture des soldats et de leur rendre hommage, donne une profondeur bouleversante Ă son rĂ©cit. Mais lâoriginalitĂ© de ces pages ne sâarrĂȘte pas lĂ . En juin 1917, lâauteur est fait prisonnier et transfĂ©rĂ© au camp de Terensienstadt, âseize mois dâagonie et de faimâ. LâĂ©tat-major et le gouvernement jugent en effet que les prisonniers sont des traĂźtres et des lĂąches, et interdisent tout envoi de colis ou de nourriture afin de les laisser mourir de faim, pour dĂ©courager dâĂ©ventuelles dĂ©sertions (opinions relayĂ©es par la presse italienne, que les prisonniers peuvent lire et mĂ©diter Ă loisir). Si dans le camp des officiers, on trouve parfois la force de crĂ©er un journal, un orchestre, ou de tenter une Ă©vasion, au camp des fantassins la situation est encore pire et il y meurt 70 hommes par jour. Et lorsque ceux qui ont survĂ©cu (âsquelettes couverts de loquesâ) rentrent en Italie, ils sont Ă nouveau placĂ©s dans des camps pour une mise en quarantaine de plusieurs semaines. ImmĂ©diatement occultĂ©e aprĂšs-guerre, lâexpĂ©rience dramatique des prisonniers italiens ne sera rĂ©vĂ©lĂ©e par les historiens que dans les annĂ©es 1990.
LIVRES
LE TEMPS DES RUINES 1914-1921,Emmanuelle DANCHIN, Presses Universitaires de Rennes, 2015, 348 p.
LES REPRĂSENTATIONS des destructions causĂ©es par la PremiĂšre Guerre mondiale se sont rĂ©vĂ©lĂ©es ĂȘtre une arme au service de la mobilisation des forces et des esprits dans les sociĂ©tĂ©s en guerre. DĂšs le dĂ©but du conflit, les vues des dĂ©vastations et plus particuliĂšrement celles des Ă©difices culturels ont Ă©tĂ© instrumentalisĂ©es. En France comme en Allemagne, les images des destructions ont Ă©tĂ© utilisĂ©es Ă des fins de propagande. Lâexemple le plus connu demeure lâutilisation mĂ©diatique du bombardement et lâincendie de la cathĂ©drale de Reims en septembre 1914.TirĂ© dâune thĂšse de doctorat en Histoire contemporaine, lâouvrage Ă©claire avec force sur ce que les destructions ont signifiĂ© pour lâensemble de la sociĂ©tĂ© française, au plus prĂšs du front comme Ă lâarriĂšre. Il Ă©voque comment les reprĂ©sentations de ruines ont Ă©tĂ© propagĂ©es comme une mĂ©taphore des sacrifices de la nation, Ă lâimage de la cĂ©lĂšbre chanson de 1917 : âLa priĂšre des ruinesâ. Si les ruines des villes allemandes ont Ă©tĂ© largement filmĂ©es en 1945, durant la PremiĂšre Guerre mondiale, les ruines sont Ă©galement devenues un sujet important de la photographie de guerre. Lâauteur livre une Ă©tude approfondie des campagnes de photographies des destructions dans la zone du front. Les ruines sont aussi les tĂ©moins de la guerre et de la violence des combats. Il y eut trĂšs tĂŽt une mobilisation autour du patrimoine menacĂ© par les opĂ©rations militaires. Sâappuyant sur les travaux de Kristina Kott pour la partie allemande, on dĂ©couvre ici lâensemble de cette mobilisation cĂŽtĂ© français en faveur du patrimoine en pĂ©ril. Toute une lĂ©gislation est alors proposĂ©e pour protĂ©ger le patrimoine dĂ©truit, mais surtout pour trouver les moyens de sa reconstruction future. Certaines destructions ont-elles Ă©tĂ© Ă©galement âprogrammĂ©esâ ? Si dâautres Ă©lĂ©ments de rĂ©ponse restent Ă trouver, lâouvrage montre que certaines destructions sont devenues des enjeux au sein des Ă©tats-majors militaires. Le dynamitage par lâarmĂ©e allemande en mars 1917 du chĂąteau de Coucy et de son cĂ©lĂšbre donjon, trĂ©sor de lâarchitecture militaire mĂ©diĂ©vale, en est le meilleur exemple. Bien avant la fin de la guerre, une rĂ©flexion sâĂ©labore Ă©galement sur la prĂ©servation des vestiges de guerre et sur la mise en place dâun tourisme des champs de bataille. Un tourisme qui conduira Ă une certaine hĂ©roĂŻsation des ruines au sortir de la guerre. Avec ces milliers de pĂšlerins venant rendre hommage aux morts et voir de leurs propres yeux les lieux des combats, les ruines font figures de premiers monuments du conflit. Ainsi, aprĂšs-guerre, la confrontation avec les ruines ne se fait plus uniquement par lâintermĂ©diaire de la photographie mais directement sur place. Les ruines ainsi hĂ©roĂŻsĂ©es deviennent aussi trĂšs vite des âcadavres encombrantsâ au moment de la reconstruction. Fallait-il tout reconstruire ou laisser certaines traces Ă©difiantes dans les paysages ? Un dĂ©bat fait alors rage parmi les politiques comme les artistes. Câest le moment Ă©galement oĂč lâon procĂšde Ă des remises de dĂ©corations officielles aux villes et villages dĂ©vastĂ©s. La solidaritĂ© en France pousse certaines communes de lâarriĂšre Ă procĂ©der Ă des dons voire Ă lâadoption de communes entiĂšres. Le livre aborde enfin la question des rĂ©parations et des dommages de guerre. La notion de âville-martyrâ ou de âvillage-martyrâ devient particuliĂšrement importante pour comprendre son utilisation afin de mobiliser les ressources nĂ©cessaires Ă la reconstruction, notamment lors des nĂ©gociations du traitĂ© de Versailles.Sâil manque quelques mises en perspectives, notamment sur la fascination des ruines dĂšs le 19e siĂšcle, lâouvrage propose une analyse Ă©rudite de âlâĂ©vĂ©nement ruinesâ qui caractĂ©rise la Grande Guerre, Ă travers une approche culturelle et patrimoniale qui manquait Ă lâhistoriographie.
Comptes rendus par LoĂŻc DUFOURBibliothĂšque DĂ©partementale de lâAisne
et Franck VILTART
LES TRAVAILLEURS MILITAIRES ITALIENS EN FRANCE PENDANT LA GRANDE GUERRE, Hubert HEYRIĂS, Presses Universitaires de la MĂ©diterranĂ©e, 2014, 272 p.
160 000 ITALIENS ont participĂ© Ă lâeffort de guerre sur le front français. Bien que leur pays soit restĂ© neutre au dĂ©but de la guerre, plusieurs milliers dâItaliens se sont engagĂ©s dĂšs novembre 1914 dans la LĂ©gion garibaldienne, au nom de la fraternitĂ© latine. De mai 1915 Ă mars 1917, 30 000 hommes viennent travailler en France dans les usines de lâarriĂšre, formant les COMI (Centuries dâOuvriers Militaires Italiens). Mais lâItalie est accusĂ©e de âracler les fonds de tiroirâ, nâenvoyant que des ouvriers inaptes au combat. La Mission Militaire Italienne, basĂ©e Ă Chantilly, a alors fort Ă faire, prise entre les plaintes des travailleurs italiens (papiers confisquĂ©s, baraquements insalubres, grĂšves) et les plaintes de lâĂ©tat-major français sur les rendements faibles de ces hommes de plus de 40 ans ou relevant de blessures. En 1917, La RĂ©volution Russe qui permet aux Allemands de redĂ©ployer de nouvelles divisions sur le front Ouest, et la dĂ©bĂącle italienne de Caporetto (octobre 1917) qui oblige 130 000 soldats français Ă partir renforcer le front italien, entraĂźne une pĂ©nurie dâhommes pour les travaux effectuĂ©s dans la zone des armĂ©es. Des nĂ©gociations tendues sâengagent alors entre les deux pays, sur le principe de rĂ©ciprocitĂ©, pour lâenvoi dâun contingent de travailleurs militaires italiens. Un besoin de main dâĆuvre rendu plus pressant encore par la directive n° 4 de PĂ©tain (22 dĂ©cembre 1917), visant Ă renforcer les organisations dĂ©fensives. Du 21 janvier au 1er mars 1918, 60 000 travailleurs militaires italiens (TAIF : Troupes Auxiliaires Italiennes en France) sont dĂ©ployĂ©s en France dans la zone des armĂ©es, ce qui marque une rupture avec le mode opĂ©ratoire habituel. La France ne fait plus appel Ă des ouvriers civils mais Ă des soldats qui peuvent ĂȘtre appelĂ©s Ă combattre, mĂȘme si leur mission principale est de travailler au renforcement des lignes dĂ©fensives. Le 1er groupe (24 000 hommes) est stationnĂ© en Champagne et dans lâAisne, tandis que le 4e groupe (12 000 hommes) est confiĂ© aux Britanniques dans la Somme et dans lâOise. En avril 1918, le 2e Corps dâ ArmĂ©e italien (24 000 combattants) arrive en France, affectĂ© Ă Bligny prĂšs de Reims. Les offensives allemandes vont tous les prendre dans la tourmente des combats. Ainsi les 106e et 107e compagnie de TAIF basĂ©es prĂšs de Soissons, fin mai 1918, se replient avec les soldats français dans la poche de ChĂąteau-Thierry, avant dâĂȘtre dirigĂ©es sur Villers-CotterĂȘts. LâĂ©tat-major français salue alors lâexcellente tenue des TAIF sous les bombardements. Le 2e Corps dâArmĂ©e Italien va lui aussi sâillustrer lors de la bataille de Bligny (15 au 18 juillet 1918), puis dans lâAisne Ă Soupir et lors de la reprise du Chemin des Dames. En comparant les archives des deux pays, lâauteur a Ă©galement su dĂ©passer une vision purement factuelle de cet engagement italien, pour sâintĂ©resser Ă la propagande qui fut orchestrĂ©e autour de ces Travailleurs Auxiliaires. Cartes postales, films, journaux, les TAIF firent lâobjet dâune importante campagne de communication en 1918, visant pour la France Ă montrer lâUnion sacrĂ©e, et pour lâItalie Ă laver lâaffront de la dĂ©bĂącle de Caporetto et justifier ses exigences territoriales. La surveillance (Ă©pistolaire, sanitaire, judiciaire) dont ces troupes firent lâobjet permet dâapprocher au plus prĂšs le quotidien de ces hommes et les conditions trĂšs dures de leur engagement en France. Mais si lâouvrage montre le rĂŽle crucial de ces troupes italiennes dans lâorganisation de la dĂ©fense, la France en reconstruction les oublia rapidement tandis quâen Italie, la mĂ©moire des TAIF fut occultĂ©e dĂšs 1922 avec lâarrivĂ©e au pouvoir de Mussolini qui concentra sa propagande belliciste sur le 2e Corps dâarmĂ©e et la nĂ©cropole de Bligny, achevĂ©e en 1928.
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MATHURIN SOLDAT.UN CRAYON DANS LE CANON.MAADIAR, Ă©ditions du PĂ©limantin, 2014, 104 p.
SORTIR UNE BANDE DESSINĂE sur la PremiĂšre Guerre mondiale, qui plus est, un rĂ©cit centrĂ© sur lâhistoire de Mathurin MĂ©heut, personnage rĂ©el, dessinateur et peintre pris dans lâenfer des tranchĂ©es, demeure un pari risquĂ© en cette pĂ©riode du centenaire. Câest pourtant celui quâa relevĂ© lâauteur Maadiar. Nous sommes en 1914. Mathurin MĂ©heut est un illustrateur et peintre breton en voyage au Japon, accompagnĂ© de sa femme et de sa fille. A lâannonce de la guerre, il choisit de revenir en France pour rĂ©pondre Ă lâappel de la mobilisation gĂ©nĂ©rale. Laissant sa femme et sa fille derriĂšre lui, il se trouve plongĂ© dans lâhorreur de la guerre, pris dans les attaques meurtriĂšres en Artois et en Argonne. Mathurin aide ses camarades Ă supporter les terribles heures passĂ©es au front en capturant de ses coups de crayon la nature environnante et en leur dessinant quelques femmes. Lui, tient le coup grĂące aux lettres quâil envoie quotidiennement Ă sa femme, mais aussi grĂące sa conviction que, quelle que soit lâissue du conflit, la nature reprendra ses droits et, quâun jour, il ne restera plus rien de cette foutue guerre.
Si le trait de lâauteur peut parfois dĂ©concerter, il faut souligner lâimportant travail de recherche historique et le souci du dĂ©tail, notamment en ce qui concerne la vie quotidienne du soldat et son Ă©quipement. On retiendra Ă©galement la bonne idĂ©e de reprendre certaines peintures ou dessins que Mathurin MĂ©heut a lui-mĂȘme produits, comme cette scĂšne dâexĂ©cution dâun soldat condamnĂ© par un conseil de guerre, le 5 juillet 1915, au nord dâArras. Avec Mathurin Soldat, Maadiar rend aussi un hommage aux combattants de lâArtois et de lâArgonne, tant allemands que français, qui souffrirent ensemble. Il restitue des petits moments de leur vie dans les tranchĂ©es avec son cortĂšge de souffrances par le prisme dâun dessinateur comme lui : Mathurin MĂ©heut. Une occasion aussi dâaller plus loin et de redĂ©couvrir lâĆuvre de ce peintre qui connaĂźtra aprĂšs-guerre un grand succĂšs avec de nombreuses Ćuvres consacrĂ©es Ă sa terre natale la Bretagne, oĂč MĂ©heut va tirer le meilleur de son art et sâimposer Ă la veille de la Seconde Guerre mondiale comme le peintre de la Bretagne.
AGENDA
Caverne du Dragon/Musée du Chemin des Dames
Circuit découverte du Chemin des Dames en bus, chaque jeudi du 7 avril au 5 mai à 14 h.
Marche dans le cadre de la JournĂ©e du 16 avril âChivyâ, 16 avril Ă 14 h. DurĂ©e 2h30.
Circuit thĂ©matique âLe Chemin des Dames Ă vĂ©loâ, 17 avril Ă 14 h.
Circuit thĂ©matique âLe Chemin des Dames Ă vĂ©loâ, 15 mai Ă 14 h.
Dans le cadre de la 12e Ă©dition de âLa Nuit EuropĂ©enne des MusĂ©esâ, le thĂ©Ăątre de la Mascara prĂ©sentera âPetites histoires dans la Caverneâ, 21 mai Ă 19 h.
Circuit thĂ©matique âA la dĂ©couverte des tranchĂ©es en forĂȘt de Vauclairâ, 5 juin Ă 14 h.
Circuit thĂ©matique âLe Chemin des Dames Ă vĂ©loâ, 12 juin Ă 14 h.
JournĂ©es de lâarchĂ©ologie. PrĂ©sentation des objets trouvĂ©s lors du chantier de fouilles-sensibilisation dĂ©minage, 18 et 19 juin.
CafĂ© littĂ©raire âLâarchĂ©ologie et la Grande Guerreâ, 19 juin Ă 15 h.
Circuit thĂ©matique âUn rĂ©giment allemandâ, 26 juin Ă 14 h.
Visite du fort de La Malmaison les 4e dimanche de chaque mois Ă 10 h 30 et 14 h 30.
Chaque mercredi et samedi Ă 14 h : visite guidĂ©e ludique Ă lâattention des 6/12 ans : âA la recherche du Dragonâ. DurĂ©e 1 h, rĂ©servation obligatoire par tĂ©lĂ©phone.
Fort de Condé Réouverture le 15 avril 2016.www.fortdeconde.com
Exposition âLes cisterciens de Vauclair, acteurs du dĂ©veloppement rural axonaisâ : tous les week-ends de mars et avril (jusquâau 24).
La galerie dâart dâAizelles sera en rĂ©sidence Ă Vauclair : âRencontre dâartistes Aisne-Marne-Ardennesâ : Ă partir du 30 avril et tous les week-ends de mai.
âEsmeralda danse Ă lâabbaye de Vauclairâ - sculptures et poĂ©sies dâEtienne Fatras : âCorps statufiĂ©s ou statues humanisĂ©es â - peintures figuratives de Martine Dinet : tous les week-ends de juin.
AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale de lâAssociation des Amis de Vauclair, le 18 juin Ă 10 h.
Sculptures en bois, en terre â Michel Bastien et JoĂ«l Cochet. Peintures multiples â Anne-Marie ArĂ©thens et François Vigneron, chaque week-end en juillet jusquâau 17 inclus ainsi que le jeudi 14.
Visites guidées sur rendez-vous au 03 23 22 43 02 / Permanences le week-end de 14 h à 18 h.
Terrasse de la Caverne du Dragon.Photo CD02/FX Dessirier
Abbaye de Vauclair vue du ciel.Photo CD02/FV
Renseignements et réservation au 03 23 25 14 18 - www.caverne-du-dragon.fr24
MusĂ©e de Vassogne Exposition : âLe chemin de la reconstruction, 1919-1939â, jusquâau 31 dĂ©cembre 2016.www.outilsvassogne.fr
Abbaye de Vauclair