ecrire pour comprencre les sciences

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ECRIRE POUR COMPRENDRE LES SCIENCES Pierre Fillon Anne Vérin faire écrire les élèves... ... dans toutes les disciplines L'écriture des élèves en classe de sciences fait l'objet actuel- lement d'un large intérêt dans la sphère pédagogique. C'est le cas plus particulièrement pour l'école primaire. En France, l'opération "La Main à la Pâte" donne une place déterminante à la mise en place d'un cahier d'expériences. Le plan de rénovation de l'enseignement des sciences et de la technologie à l'école (B.O. n° 23, juin 2000) et à sa suite les nouveaux programmes de l'école élémentaire (B.O. hors série n° 1, 14 février 2002) reprennent cette proposition en la replaçant dans la prise en charge des apprentissages langagiers à l'intérieur de l'ensemble des champs discipli- naires. Au collège et au lycée, c'est dans le cadre d'activités pluridisciplinaires que se développent plus particulièrement des pratiques nouvelles d'écriture, avec les parcours diver- sifiés, les travaux croisés et maintenant les itinéraires de découverte au collège, et l'introduction des travaux person- nels encadrés au lycée, où les élèves peuvent avoir à réaliser des dossiers personnels. On peut voir deux raisons à cet intérêt. La première tient au constat de difficultés avérées dans l'acquisition de compétences langagières, dans le contexte de prolongation de la scolarisation pour tous que nous connaissons. Il paraît dès lors important d'y consacrer du temps dans l'ensemble du curriculum. La deuxième est liée à l'évolution du discours pédagogique qui insiste sur la part active que les élèves doivent prendre à leurs apprentissages, si on veut qu'ils soient efficaces. L'une des conséquences en est que la parole des élèves, à l'écrit et à l'oral, doit être sollicitée, mais une autre en est qu'un travail pédagogique doit la faire évoluer vers une maîtrise des savoirs scolaires comme des compétences langagières. Le projet de faire s'exprimer les élèves avec leurs propres mots, dans une activité de produc- tion originale qui dépasse la simple restitution, rencontre actuellement un grand succès. Mais pour s'assurer que cette activité s'accompagnera d'un gain en termes d'appren- tissage, il faut une grande vigilance sur les moyens péda- gogiques à mettre en oeuvre. Une réflexion théorique et des outils d'analyse et de gestion deviennent indispensables. Les recherches didactiques ne peuvent certes pas proposer un mode d'emploi et des réponses prêtes à l'usage, mais elles peuvent enrichir le questionnement et l'analyse des moda- lités de l'écriture en sciences, des processus en jeu et des effets sur les apprentissages scientifiques. En 1988, le numéro 6 d'Aster "Les élèves et l'écriture en sciences" avait ASTERN" 33. 2001. Écrire pour comprendre les sciences, DMRP, 29, rue d'Ulm, 75230 Paris Cedex 05

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  • ECRIRE POUR COMPRENDRE LES SCIENCES

    Pierre Fillon Anne Vrin

    faire crire les lves...

    ... dans toutes les disciplines

    L'criture des lves en classe de sciences fait l'objet actuel-lement d'un large intrt dans la sphre pdagogique. C'est le cas plus particulirement pour l'cole primaire. En France, l'opration "La Main la Pte" donne une place dterminante la mise en place d'un cahier d'expriences. Le plan de rnovation de l'enseignement des sciences et de la technologie l'cole (B.O. n 23, juin 2000) et sa suite les nouveaux programmes de l'cole lmentaire (B.O. hors srie n 1, 14 fvrier 2002) reprennent cette proposition en la replaant dans la prise en charge des apprentissages langagiers l'intrieur de l'ensemble des champs discipli-naires. Au collge et au lyce, c'est dans le cadre d'activits pluridisciplinaires que se dveloppent plus particulirement des pratiques nouvelles d'criture, avec les parcours diver-sifis, les travaux croiss et maintenant les itinraires de dcouverte au collge, et l'introduction des travaux person-nels encadrs au lyce, o les lves peuvent avoir raliser des dossiers personnels. On peut voir deux raisons cet intrt. La premire tient au constat de difficults avres dans l'acquisition de comptences langagires, dans le contexte de prolongation de la scolarisation pour tous que nous connaissons. Il parat ds lors important d'y consacrer du temps dans l'ensemble du curriculum. La deuxime est lie l'volution du discours pdagogique qui insiste sur la part active que les lves doivent prendre leurs apprentissages, si on veut qu'ils soient efficaces. L'une des consquences en est que la parole des lves, l'crit et l'oral, doit tre sollicite, mais une autre en est qu'un travail pdagogique doit la faire voluer vers une matrise des savoirs scolaires comme des comptences langagires. Le projet de faire s'exprimer les lves avec leurs propres mots, dans une activit de produc-tion originale qui dpasse la simple restitution, rencontre actuellement u n grand succs. Mais pour s'assurer que cette activit s'accompagnera d'un gain en termes d'appren-tissage, il faut une grande vigilance sur les moyens pda-gogiques mettre en oeuvre. Une rflexion thorique et des outils d'analyse et de gestion deviennent indispensables. Les recherches didactiques ne peuvent certes pas proposer u n mode d'emploi et des rponses prtes l'usage, mais elles peuvent enrichir le questionnement et l'analyse des moda-lits de l'criture en sciences, des processus en jeu et des effets sur les apprentissages scientifiques. En 1988, le numro 6 d'Aster "Les lves et l'criture en sciences" avait

    ASTERN" 33. 2001. crire pour comprendre les sciences, DMRP, 29, rue d'Ulm, 75230 Paris Cedex 05

  • des pratiques d'criture constitutives de la construction de savoirs scientifiques

    dj t consacr cette question. Ce numro runit de nouvelles contributions qui apportent un clairage actualis sur les enjeux des pratiques concernant l'crit en sciences, en s'appuyant sur u n courant de recherche dvelopp depuis une trentaine d'annes. L'intrt des recherches en didactique des sciences pour les pratiques d'criture est dj ancien en effet. Pour amener les lves tre partie prenante dans la construction de leurs connaissances dans le domaine scientifique, il est apparu ncessaire de lier les activits pratiques et manipulatoires avec les activits langagires. Les didacticiens du langage ont paralllement examin les enjeux linguistiques des activits scientifiques et leurs interactions avec les enjeux scientifi-ques. Le numro 12 de la revue Repres, "Apprentissages langagiers, apprentissages scientifiques", en 1992, montre les convergences des problmatiques didactiques dans ces domaines. Depuis le dbut des annes quatre-vingt, le ques-tionnement didactique a t renouvel sous l'influence de recherches et d'laborations thoriques issues d'autres sciences sociales. L'crit, en intervenant de faon complexe dans la construction des savoirs, rvle la fois des diff-rences sociales et culturelles et peut contribuer l'chec scolaire ou au contraire favoriser une remobilisation cogni-tive des lves. D'une part, l'activit langagire est considre comme constitutive de la construction de savoir selon les thses du socio-constructivisme. D'autre part, les diffrentes formes d'crits et les proprits des langages eux-mmes jouent u n rle dans la structuration de la pense et la concep-tualisation. Enfin, l'crit n'a pas le mme sens pour tous les lves, compte tenu de leur trajectoire sociale et scolaire.

    deux paradigmes de l'criture pour comprendre

    l'criture d'expression et l'criture formelle

    Une revue des travaux antrieurs Laurence Catel fait le point sur les travaux de recherche mens sur le sujet en France et dans les pays anglo-saxons dans la dernire dcennie. Elle montre des convergences dans leurs volutions, qui conduisent privilgier une mod-lisation o l'criture en classe de sciences joue un rle de transformation des connaissances par la dynamique interac-tive entre l'espace du discours et l'espace du contenu. Ces recherches sur l'criture pour comprendre dveloppent deux paradigmes : celui de l'criture formelle visant l'appropria-tion des genres textuels scientifiques et celui de l'criture d'expression. Ce dernier tend devenir le paradigme domi-nant. Vaugham Prain, Brian Hand et Liesl Hohenshell, qui se rclament du paradigme de l'criture d'expression, rappel-lent ici la controverse ce sujet et estiment pour leur part que les deux paradigmes sont complmentaires et doivent inter-venir dans la formation scientifique, condition de dve-lopper l'apprentissage de genres multiples et alternatifs et d'organiser des passages dans les deux sens entre vocabu-laire quotidien et vocabulaire scientifique.

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    trois axes de recherche : communicationnel, cognitif, sociologique

    une rfrence aux pratiques d'criture des scientifiques

    La recherche sur l'criture en classe de sciences, nous dit Laurence Catel, s'est dveloppe selon trois dimensions : - une dimension communicationnelle, qui largit le registre des pratiques d'criture scolaire considres comme scientifi-ques, en rfrence aux pratiques discursives des scientifiques, transposes dans le contexte spcifique de l'enseignement ; - une dimension cognitive qui s'intresse aux processus cognitifs et aux interactions entre oprations d'criture et modification des structures conceptuelles avec u n dvelop-pement de l'criture interprtative ; - une dimension sociologique qui intgre l'criture aux autres activits d'apprentissage scientifique et examine son fonctionnement comme pratique sociale l'intrieur de la communaut de la classe, en prenant en compte le contexte et les effets des interactions sociales. La rfrence des recherches didactiques aux pratiques discursives des scientifiques conduit l'analyse de leur diversit. Martine Jaubert et Maryse Rebire en dfinis-sent les diffrentes fonctions : construire l'objet d'tude, s'inscrire dans le champ de la controverse, rendre lisibles les diffrentes tapes de la recherche, socialiser et stabiliser des noncs de savoir. Les obstacles ce type de pratique d'criture font galement l'objet d'investigation. Ils tiennent en partie des reprsen-tations de la science comme u n corps de connaissances constitues et de l'apprentissage scientifique comme un processus cumulatif, dans un modle transmissif. Ils sont lis par ailleurs la complexit du processus d'criture lui-mme.

    oprations d'criture et processus cognitifs

    des changes langagiers dans le groupe social de la classe

    L'criture envisage comme une pratique sociale dans la classe de sciences Les travaux publis dans ce numro se situent tous dans le paradigme de ce que les anglo-saxons appellent l'criture pour comprendre. L'criture est vue comme un outil pour transformer les connaissances scientifiques. L'apprentis-sage des aspects formels du langage scientifique est moins central que la mise en place de tches d'criture mobilisant la rflexion personnelle des lves pour faciliter les appren-tissages scientifiques. On trouve une convergence chez les auteurs pour considrer l'criture par rapport la place qu'elle prend dans une chane d'interactions langagires au sein du groupe classe et par rapport au projet d'apprentissage scientifique port par le groupe. Pour eux, ce n'est pas seulement la produc-tion d'crits en elle-mme, mais ce sont aussi les changes langagiers et les interactions avec les investigations empi-riques autour de ces crits qui favorisent les avances conceptuelles. Ce qui se joue dans les temps d'laboration collective prparant ou accompagnant l'criture, dans les retours critiques et les discussions sur la base des crits

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    la ncessit d'un encadrement fort des lves

    est tout aussi important que ce qui est enjeu dans les temps de rdaction et de rcriture, et cela en dtermine d'ailleurs le sens pour les lves. Mais donner la main, si l'on peut dire, aux lves dans le jeu de la construction des savoirs ne suffit pas en soi. On peut noter u n autre point de convergence des auteurs sur la ncessit d'un fort cadrage par l'enseignant : pour engager l'activit langagire et conceptuelle des lves et favoriser des progrs, les situations analyses s'appuient sur des consignes trs prcises, un guidage et un tayage important de l'enseignant la fois par son intervention directe et par l'apport d'aides mthodologiques. l'inverse, un guidage faible et portant plus sur des aspects formels que conceptuels s'accompagne d'une moindre progression individuelle dans l'un des cas exposs.

    l'cole primaire, l'lve plus souvent acteur de ses apprentissages ?

    des spcialisations disciplinaires au collge

    L'criture en classe de sciences, une activit rserve au primaire ? Les articles de ce numro sont presque tous consacrs l'cole primaire. Une seule tude porte sur des lves de lyce. Comment comprendre cette tendance ? On peut penser que le paradigme socio-constructiviste, peu dve-lopp dans les pratiques habituelles d'enseignement, que ce soit en Europe ou aux tats-Unis, est cependant plus prsent dans le contexte de l'cole primaire. La pression sur le volume et le degr d'abstraction de connaissances n'y est pas aussi forte qu'elle l'est dans le second degr. Par ailleurs, dans u n certain nombre de pays dont la France, le collge inaugure une rupture importante en matire de langue : son enseignement est pris en charge par un seul enseignant, alors qu' l'cole lmentaire une seule personne traite de la langue comme objet et comme outil d'apprentissage. Le collge introduit galement une autre rupture, celle d'officialiser la mise en scne d'univers spci-fiques de savoirs. Aussi peut-on faire l'hypothse que nombreux sont les enseignants de sciences qui privilgient l'acquisition de savoirs scientifiques par rapport aux apprentissages langagiers qu'ils laissent volontiers leurs collgues de franais. Cette hypothse a t vrifie par une recherche pluridisciplinaire mene l'INRP ("Production d'crits et construction des savoirs dans les diffrentes disci-plines scolaires : gestion de l'htrognit des lves au collge") mais doit tre cependant nuance. Lors d'entre-tiens, les professeurs disent s'appuyer davantage sur l'oral que sur l'crit dans les phases de construction des savoirs, malgr les difficults qu'ils relvent chez leurs lves l'crit. Les observations ralises dans les classes ont montr qu'ils utilisent cependant l'crit (par exemple pour garder des traces d'expriences ou raliser u n compte-rendu) et qu'ils en profitent pour aider individuellement, sur le plan langagier, les lves en difficults. Mais ils en font

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    des possibilits nouvelles avec les travaux pluridisciplinaires

    peu frquemment un objectif d'apprentissage de l'crit ; trs rares sont les professeurs qui proposent par exemple des travaux de rcriture leurs lves. Les activits pluridisciplinaires peuvent par ailleurs donner l'occasion aux lves de raliser des dossiers personnels, au collge et au lyce. Mais l encore, ces crits sont considrs comme des rsultats et, la plupart du temps, ils ne donnent pas lieu u n travail langagier pour apprendre les sciences. C'est un peu encore comme si l'criture tait transparente, sauf dans les cas o u n professeur de franais participe au projet et engage les lves des activits de rcriture.

    quels apprentissages scientifiques sont abords ?

    une recherche documentaire et la production d'un texte explicatif

    Des pratiques d'criture spcifiques certains appren-tissages scientifiques ? Selon les auteurs, ce sont des aspects diffrents des appren-tissages scientifiques dont le rapport l'criture fait l'objet de recherches. Cette varit permet de dpasser u n discours globalisant sur l'criture en sciences, pour poser la question des diffrences de pratiques d'criture selon les aspects de la formation scientifique impliqus. Un ensemble d'articles s'intresse l'intgration d'informa-tions dans la production d'un texte explicatif. Les diffrents domaines scientifiques impliqus ne se prtent pas toujours u n travail d'investigation exprimental. La question est alors d'tudier les conditions d'accompagnement de cette criture de mise en forme de la comprhension individueDe qui facilitent une laboration conceptuelle. Vaugham Prain, Brian Hand et Liesl HohensheU montrent comment la rcriture permet de mieux approcher les carac-tristiques d'un texte explicatif scientifique, en particulier travers l'amlioration des modalits de dveloppement de propositions scientifiques. L'tude conclut u n progrs de la matrise langagire, ainsi que de l'explicitation par crit de concepts, dans le contexte d'apprentissage dfini. La rdaction du texte intervient aprs une recherche documen-taire dans le domaine des biotechnologies, accompagne de discussions de groupes et la consigne d'criture est de rdiger u n texte explicatif, du type de ceux des manuels scolaires, destination d'lves plus jeunes. C'est le seul article qui porte sur l'enseignement du second degr. Chez ric Trique t. c'est galement le processus de produc-tion d'un texte explicatif articulant des informations sur la question de l'adaptation des animaux au milieu, qui fait l'objet de l'tude. Les informations viennent de l'observation d'une vitrine d'exposition de muse et du texte de la borne explicative correspondant la vitrine. Elles sont croises avec des connaissances prcdemment acquises en classe et mises en perspective par u n questionnement construit en classe et rappel dans les fiches guide accompagnant le travail.

  • l'laboration collective d'une explication

    la problematisation

    l'investigation exprimentale

    Silvia Caravita et Elisabetta Guillan! tudient les condi-tions de production de textes explicatifs sur l'environnement intgrant l'exprience personnelle des lves et une recherche documentaire. Cet article est prsent ici en contrepoint par rapport l'enseignement scientifique, puisque l'environnement est abord, dans les cas tudis, du point de vue des sciences humaines. Martine Jaubert et Maryse Rebire caractrisent un ensemble de pratiques langagires scolaires propres l'apprentissage scientifique qui peuvent accompagner l'ensemble de la dmarche de construction des savoirs et qui contribuent la construction d'une "posture" scienti-fique. L'analyse prsente se centre sur les processus de reformulations d'noncs de la classe et d'noncs imports pour comprendre les changes entre le ftus et la mre. Il n'y a pas ici de recherche documentaire. L'enseignant importe des textes dans la classe au cours d'une dmarche de construction d'une problematisation et d'laboration collective d'explication. Les crits tudis sont des crits de travail qui accompagnent cette dmarche. Celle-ci se conclura par des noncs labors collectivement, qui ne font pas l'objet de l'analyse prsente. La question est alors d'tudier les processus par lesquels cette criture fait avancer la dmarche de problematisation.

    C'est sur la problematisation justement que Christian Orange, Jean-Claude Fourneau et Jean-Paul Bourbigot insistent. Pour eux, il s'agit de l'objectif central de la forma-tion scientifique, particulirement l'cole primaire. Les dbats organiss en classe dans le but d'installer une problematisation s'appuient sur des crits de travail pra-lables (en particulier des schmas). Ils permettent aux lves de confronter leurs ides, en les justifiant et les contestant. Cela va permettre la classe d'identifier u n certain nombre de contraintes et d'organiser le champ des possibles. Dans les problmes explicatifs, le registre empi-rique et le registre des modles, qui sont abords pendant cette phase de l'apprentissage en sciences, sont ques-tionns et mis en tension. Diffrents types de problmes dans des champs relatifs la biologie, la physique et la technologie engagent des dbats explicatifs, empiriques ou encore sur les mthodes empiriques ou les formes d'expli-cation. On peut caractriser les textes et schmas qui leur correspondent.

    Deux articles, enfin, analysent des pratiques d'enseigne-ment qui se veulent centres sur une dmarche d'investi-gation exprimentale, et tudient plus particulirement le rle que joue la tenue d'un cahier d'exprience en relation avec d'autres crits et les changes oraux dans la classe. Catherine Bruguire et Jacqueline Lacotte rapportent un cas o l'criture des lves dans un cahier d'exprience ne remplit pas de faon satisfaisante les fonctions qui lui

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    taient assignes. Dans le champ de la comprhension de la formation des fossiles, l'exprience a d'ailleurs u n rle trs particulier que les auteurs relvent : il s'agit d'illustrer un processus pour le rendre pensable, et pour permettre de comprendre des informations posant un problme, appor-tes par une sortie sur le terrain et compltes par des gologues venant rpondre aux questions de la classe. Les hypothses formules individuellement et par la classe sont compares et mises en perspective avec le droulement de l'ensemble de la dmarche. Pascale Cros et Stphane Respaud examinent les moda-lits d'articulation entre la dmarche d'investigation, la production d'crits et le travail sur ces crits dans une squence sur les changements d'tat de l'eau qui comporte des phases d'exprimentation. Les lves crivent, diff-rents stades de la squence, des comptes rendus person-nels, des projets de dispositifs exprimentaux, des tableaux de rsultats et des textes explicatifs de synthse. Ces crits font l'objet selon les cas d'un retour critique d'autres lves, d'une laboration collective, d'un dbat : ils sont toujours travaills collectivement.

    des reformulations etune ngociation du savoir

    une circulation entre langage quotidien et langage scientifique

    Stratgies d'criture et explication scientifique Dans leur article Martine Jaubert et Maryse Rebire se sont centres sur les oprations de reformulations qui correspondent, pour elles, des oprations cognitives essentielles pour la construction des savoirs dans la communaut scolaire. L'analyse fine de deux exemples montre comment ces reformulations jouent dans l'labora-tion d'un savoir ngoci en commun, en l'inscrivant dans u n rseau conceptuel et en construisant u n point de vue nonciateur gnrateur de cohrence. Le premier exemple porte sur les reformulations orales dans l'laboration collec-tive du titre crit donner la liste des hypothses que la classe a formules sur les changes placentaires. L'analyse montre comment elles participent l'ancrage de l'objet du discours, la construction du contexte, l'intgration progressive des apports des diffrents lves et des crits imports, travers des ngociations qui permettent de produire u n discours cohrent partag par la classe. L'autre exemple fait apparatre les amliorations progressives de quatre productions crites qui jalonnent le parcours d'apprentissage d'une lve, les enrichissements, les ror-ganisations logiques et le positionnement plus affirm dans la communaut scientifique. Vaugham Prain, Brian Hand et Liesl Hohenshell identi-fient trois types de dveloppements dans les textes de deux lves de 15 ans : l'extension, l'laboration et l'amlioration. L'analyse de contenu montre que les deuximes versions sont enrichies principalement par des dveloppements de propositions primaires, et que ces dveloppements sont

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    d'un texte informatif un texte problmatis

    majoritairement des elaborations, qui expliquent et mettent en relation les concepts cls. Cette volution correspond, pour les auteurs, une meilleure matrise du genre infor-matif demand par la dfinition de la tche. Plusieurs lments du contexte d'apprentissage semblent avoir favo-ris cette volution, notamment les discussions pralables, les fiches-guides et les lectures critiques de la premire version des textes par les autres lves et les enseignants de sciences et de langue maternelle. Mais, pour les auteurs, l'lment le plus important est la consigne d'expliquer des lecteurs plus jeunes, destinataires effectifs des textes. Elle a en effet rendu ncessaire une simplification du contenu scientifique et une circulation entre u n langage plus quoti-dien et un langage scientifique, qui a favoris l'appropriation et la mise en rseau des concepts chez les lves auteurs. C'est aussi ce qu'expriment les lves au cours d'entretiens conduits avec u n chantillon d'lves des quatre classes concernes.

    ric Triquet analyse la production de textes explicatifs par des lves de 10-11 ans lors d'un travail de classe articul sur des visites au muse. Les transformations des trois textes successifs de deux lves montrent qu' travers des opra-tions de rcriture, se dveloppe une matrise plus grande des aspects scientifiques. On observe une parent des processus chez deux lves dont le niveau scolaire est trs diffrent. Le premier texte, de type informatif, joue un rle charnire entre les crits d'investigation peu labors dont il reprend les lments. Il permet une mise en ordre des observations des vitrines et des informations collectes dans des crits de travail (notes). Dans le deuxime texte avise explicative, ces lments sont repris et mis en relation. C'est en particulier l'incitation utiliser u n rpertoire de connecteurs qui joue u n rle dcisif dans cette volution. Le recentrage sur la probl-matique s'opre dans le troisime texte. L'lment moteur est ici l'apport d'une information jusque l masque : le texte de la borne de l'exposition. Le moment o cette information crite est apporte, alors que les lves sont dj bien engags dans la rdaction d'un texte explicatif sur la base de leurs connaissances et leur comprhension, permet que les lves lui donnent du sens et l'intgrent efficacement. L'auteur repre plusieurs oprations de rcriture : le transfert de connaissances l'intrieur des explications proposes, le remplacement, les ajouts, les suppressions. Ce qui est intressant, c'est l'tude fine des effets d'une situation trs soigneusement construite, en rfrence une analyse du concept construire, afin de fournir des aides dans l'appropriation d'une notion : l'adaptation d'animaux au milieu montagnard et, en particulier, aux variations saisonnires. La vitrine met en relation de faon systmique des informations que les lves sont amens dcoder, en prenant appui sur les connaissances et la problmatique

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    un processus de planification et de rvision dans l'criture collective

    travailles pralablement en classe et sur les questions et consignes d'observation et d'criture proposes. Cette approche systmique, caractristique du muse, est u n moyen pour donner du sens aux connaissances scolaires. Silvia Caravita et EUsabetta Guillan! mettent l'accent sur l'intrt d'avoir u n destinataire effectif pour motiver l'criture. Le contexte est celui d'un projet de bibliothque virtuelle intitule "Notre Monde" auquel participe u n rseau de classe d'cole primaire. Les lves de la classe tudie sont encourags rdiger des textes sur la diver-sit des milieux (maison, cole, ville, campagne) et les rgles de vie dans ces milieux. L'tude porte sur les processus de rdaction, et se centre sur la planification et l'valuation. Adoptant une approche de type ethnologique, elle identifie les types de problmes textuels, les objets de ngociation et la rpartition des activits de composition dans les petits groupes rdigeant collectivement. Deux modalits sont examines. Dans la premire, o l'ensemble de la rdaction est pris en charge par les groupes partir de notes prises au cours du travail ant-rieur, la planification et la prise en charge de la formula-tion sont ingalement rparties selon les groupes. Il n'y a pas de rvision du texte aprs sa rdaction, le travail d'laboration du contenu et de la forme s'effectue sous la forme d'essais successifs de formulations l'oral avant criture . Dans la deuxime, le groupe labore u n schma de contenu et u n plan, puis rvise le texte aprs rdaction individuelle par un des lves du groupe. L'activit de rvision est importante. Ceci laisse penser qu'une planifi-cation trop prcoce conduit la reproduction des propo-sitions tablies au dpart plutt qu' de nouvelles formulations. D'aprs les auteurs, ces situations mritent d'tre intgres au rpertoire des situations d'criture, en tenant compte de leurs limites. Elles sont surtout intres-santes pour l'laboration intellectuelle et l'implication des lves dans la tche. Les textes produits se sont, eux, rvls dcevants. Les lves ont appris les caractristi-ques du genre textuel expositif. C'est u n acquis intres-sant mais il demande tre complt et enrichi.

    des crits de travail et des crits expositifs

    Diversit des types d'crits, diversit des supports La distinction entre crits de travail et crits expositifs permet de diffrencier deux modes de fonctionnement. L'criture de travail est avant tout destine faire avancer la comprhen-sion dans le groupe. Les rfrences n'ont pas toujours besoin d'tre explicites si elles sont partages. Les normes linguis-tiques n'ont pas besoin non plus d'tre de type textuel. D'ailleurs les reprsentations graphiques sont trs produc-tives dans cette optique. On parle d'crits courts pour signi-fier que des listes, des schmas flchs, des tableaux ont ici leur place. L'criture expositive rpond une autre logique,

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    les affiches de groupes : des crits de travail

    les schmas aident la problmatisation

    celle de la mise en forme de connaissances tablies. Il convient alors d'expliciter les referents, de mettre en mot une chane logique de faon organise, d'utiliser le vocabulaire prcis qui dsigne les concepts enjeu. Le respect de normes linguistiques est ncessaire. Au-del de cette distinction, ce qui semble avant tout porteur de progrs, c'est la possibilit de prise de conscience des statuts diffrents de ce qu'on nonce et la possibilit de passages entre diffrentes formes d'nonciation. C'est le jeu entre l'information objective et la connaissance subjective qui permet de s'approprier progres-sivement le savoir objectiv. Comme Christian Orange, Jean-Claude Fourneau et Jean-Paul Bourbtgot le soulignent, plus que les diffrences de fonctions didactiques et de formes linguistiques, ce sont les diffrences de statut pistmologique qui opposent ces deux types d'criture. Alors que les crits expositifs sont de l'ordre du "vrai et du faux", les crits de travail sont de l'ordre du problmatique, "du possible et de l'impossible, donc du contingent et du ncessaire''. C'est la soumission de ces crits la critique des pairs et des auteurs eux-mmes et leur utilisation lors de dbats qui fait l'objet de l'tude prsente. Il s'agit ici d'crits explicatifs produits en groupes, sous formes d'affiches, comportant du texte et des schmas, dont les auteurs examinent les rles respectifs, en s'appuyant sur deux dbats explicatifs analyss de faon comparative. Les crits de travail sont effectivement utiliss comme supports de discussions. Les textes, qui relvent souvent du registre empirique et du registre modlisant, donnent des indications sur le fonctionnement des modles, ce que ne permettent pas les schmas. Par contre, leur utili-sation est souvent limite la prsentation des affiches, leur mise en jeu dans les dbats semble plus difficile. Les schmas sont essentiellement dans le registre des modles explicatifs, mais ils restent statiques le plus souvent. Ce sont les interventions orales et gestuelles qui les font fonc-tionner. Ils servent de support spatial la discussion des ides explicatives proposes l'oral.

    Ces rsultats sont confirms par une tude plus rapide de diff-rents types de dbats. Les crits, et particulirement les schmas, en fixant les ides des lves, les offrent leur critique et soutiennent le dbat qui permettra la problmatisation. Catherine Bruguire et Jacqueline Lacotte tudient le jeu entre l'crit et l'oral et les formes de mdiation exerces par l'enseignant en vue d'obtenir la production de discours scientifiques par les lves, dans une squence de classe se rfrant l'opration "La main la pte". Examinant les quatre formes d'crit utilises, cahiers d'exprience, affiches de groupes, cahier de science et journal scienti-fique de l'cole, les auteurs ont dgag les fonctions que leur ont assignes les enseignants mais aussi les ambi-guts rencontres.

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    L'tude est centre su r le cahier d'expriences. Dans cette classe, il recueille les schmas et textes individuels mais aussi les crits labors en groupe. Ces traces crites, qui ne sont jamais values, y sont juxtaposes plutt qu'orga-nises. Il est bien le lieu o se dposent les traces succes-sives des observations et des hypothses mises, mais les lves sont peu souvent invits retravailler individuelle-ment les crits ou les schmas qui y sont consigns. Le

    un cahier cahier d'expriences numre les diffrentes tapes d'un d'exprience raisonnement, sans pour autant constituer le support de qui sert peu la construction de ce raisonnement. C'est lors des a comprendre changes oraux que le raisonnement scientifique s'labore,

    de faon largement collective et sous la direction du matre. Un autre type d'crit est rdig l'issue de ces changes, et recopi dans le "cahier de sciences ". Cet crit stabilise un nonc de savoir considr comme valid, qui respecte les normes du discours scientifique et qui est destin tre mmoris, voire publi dans le journal scien-tifique de l'cole. On constate que les lves prouvent des difficults tablir des relations entre les contenus du cahier d'exprience et celui du cahier de sciences. Est-ce d simplement u n problme matriel de cahiers diff-rents ou les savoirs rassembls dans le cahier de science sont-ils le fruit d'une laboration plutt ralise par le professeur ? Au cours de cette squence, des enseignants stagiaires sont intervenus en alternance avec l'enseignant titulaire de la classe. Or les modalits de mdiation non expertes portaient surtout sur le bon fonctionnement matriel et les aspects formels des tches. Par ailleurs l'enseignant titulaire, lui, ne met pas de travail en place partir du cahier d'exprience et s'appuie essentiellement sur les phases d'change oral pour faire progresser la comprhension du phnomne tudi, la formation des fossiles. L'tude permet ainsi de prciser a contrario un certain nombre de conditions ncessaires si on veut faire jouer au cahier d'exprience u n rle dans l'apprentissage progressif du raisonnement scientifique.

    Dans la situation d'enseignement que prsentent Pascale Cros et Stphane Respaud, ce sont trois types d'crit (compte-rendu individuel et rcriture collective, affiche explicative et texte explicatif individuel) qui sont analyss du point de vue des savoirs construits et des comptences d'criture acquises. En ce qui concerne les constructions des concepts, les diffrentes valuations ont montr

    des crits qu'elles demeuraient fragiles. Cependant, le concept de individuels liqufaction, pourtant difficile concevoir pour de jeunes et collectifs lves en raison de leur difficult admettre l'existence des

    gaz, semble tre mieux acquis. Du point de vue langagier, on observe des acquisitions plus durables. En particulier, on constate la prsence de connecteurs logiques et une meilleure matrise de leur emploi dans l'valuation finale. Les auteurs font, entre autres, l'hypothse que la concep-

    toutsejoue dans les changes oraux

    pour aboutir un texte final dans le cahier de sciences

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    tion et la ralisation d'expriences pour rsoudre un problme aide l'acquisition de comptences langagires dans le domaine des connecteurs logiques. Les relances de l'enseignante l'oral, partir des crits des lves, ont aussi t une aide aux progrs langagiers. Les auteurs soulvent le problme que pose, pour les ensei-gnants, la volont d'intgrer des productions d'crits des dmarches exprimentales. Les objectifs et comptences viss dans les deux domaines ne doivent pas tre perdus de vue par l'enseignant

    Conclusion La lecture des articles rassembls dans ce numro ouvre de nouvelles pistes de recherche, en prolongement ou en complment de ces travaux. Une dimension absente dans les articles proposs est celle qui s'intresse aux productions d'crits et la gestion de l'htrognit des lves, dans une perspective de rapport aux savoirs. En effet, l'usage de l'crit pour l'acquisition, la transcription et la restitution des savoirs scolaires dans les diffrents univers de savoirs est un facteur important de marquage et d'accentuation de l'htrognit des publics scolaires. Les diffrences de comptences langagires, qui sont un des indicateurs de cette htrognit, peuvent entraner des diffrences de niveaux dans la construction des savoirs scolaires. Les pratiques langagires et scriptu-rales sont indissociables de tout apprentissage et leurs mises en uvre ncessitent la prise en compte de l'htro-gnit dans les classes.

    On affiche, dans plusieurs recherches, le postulat que le travail langagier, en lien avec l'apprentissage scientifique, aura pour effet de modifier le rapport au savoir, et qu'il est particulirement intressant pour les lves en difficult scolaire, en ce sens qu'il leur donnera les moyens de prati-quer l'exprience d'une langue abstraite. On allie ce moment-l degr d'ouverture sur les objets d'criture la charge des lves et cadrage fort sur les procdures d'cri-ture et sur le travail qui est organis autour de l'criture. Mais les recherches ne sont gure donn les moyens, jusqu' prsent, de dcrire de faon diffrencie les fonctionne-ments. Des indices de remotivation des lves en difficult scolaire sont cependant relevs. Une des raisons pour lesquelles on s'intresse l'criture de travail, c'est qu'il y a une grande htrognit des lves sur ce point et qu'on veut, travers cette dmarche, donner des outils de pense des lves qui n'ont pas ncessaire-ment construit ces outils dans leur milieu culturel et langa-gier, et permettre l'accs une langue abstraite. Il serait intressant d'tudier les effets en termes de comptences

    soumis au groupe et rcrits

    l'htrognit des lves

    rapport au savoir, rapport l'criture

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    des pratiques d'enseignement diffrentes selon les publics ?

    une analyse des contenus scientifiques et.,

    des modes d'activits didactiques

    des noncs de savoir ngocis

    ou la juxtaposition de deux discours ?

    langagires et de rapport au savoir scientifique. La question prsente une vraie difficult mthodologique. Au-del des recherches sur l'criture en sciences, l'tude pluridisciplinaire mene l'INRP (cite plus haut), confirme les constats d'une tude plus ancienne (Barr, Cros) selon laquelle les professeurs se comportent de faon diffrente selon l'htrognit des publics. Dans les classes htro-gnes, il y a beaucoup plus de travaux crits, o le profes-seur passe dans les rangs et s'intresse plus aux lves en difficult qui il peut apporter une aide individualise, mais il n'y a pas de rcriture. Dans les classes plus homogne et de meilleur niveau, il va laisser l'crit beaucoup plus la charge de l'lve et il s'occupe beaucoup moins de faon individuelle des lves, dans toutes les disciplines. Des tudes similaires conduites dans une perspective de didac-tique des sciences seraient utiles. L'analyse didactique du rle de l'crit pour les apprentis-sages dans des domaines scientifiques spcifis est encore en friche. Christian Orange, Jean-Claude Fourneau et Jean-Paul Bourbigot ouvrent cette voie qui parat fconde. En quoi faire crire les lves peut-il permettre aux lves de mieux acqurir tel concept ? Selon les champs scientifi-ques, et les dmarches qu'ils conduisent privilgier dans le contexte scolaire (documentaire, exprimentale...), peut-on reprer des fonctionnements diffrents des pratiques d'criture et de travail autour de l'criture ? Enfin, le succs mme que rencontre aujourd'hui le projet d'criture au sein de la classe de sciences commande une vigilance sur les risques de drive possible o l'criture vien-drait prendre la place de l'laboration intellectuelle au lieu d'en tre le lieu. C'est la mme marge troite qui spare une classe dialogue, o le sens est pris en charge par l'ensei-gnant avec une apparence de participation au jeu intellec-tuel des lves, et une classe cooprative o le sens est ngoci ensemble. De la mme faon, on peut faire crire beaucoup les lves, sans qu'aucun lment n'oblige progresser vers une plus grande exigence et c'est l'ensei-gnant qui apporte en clture de squence la connaissance conceptualise, la rupture n'tant pas faite par les lves. La recherche de l'INRP "Les enseignements en Troisime et Seconde ; ruptures et continuits" (1993) a montr que cette drive existait entre la phase d'activit exprimentale ralise par les lves partir d'un plan d'exprience propos par le professeur et la phase de conceptualisation, extrmement fugitive, ralise la fin de la sance par ce mme professeur. Un tel dysfonctionnement pourrait bien se mettre en place en ce qui concerne l'crit si on n'y prend pas garde. Plusieurs articles analysent des situations o le cadrage est fort, le guidage est serr, comme des conditions pour que les lves soient en activit intellectuelle. C'est l que se joue

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    une mdiation enseignante forte

    l'apport de ces stratgies. Il ne s'agit pas de laissez-faire, bien au contraire, mais d'une prise en charge et d'une orga-nisation des situations trs fortes. Les analyses pourraient poursuivre ce fil.

    Pierre Fillon Collge Charles Pguy, Paris, "Didactique des sciences exprimentales", INRP Anne Vrin IUFM d'Amiens, "Didactique des sciences exprimentales", INRP

  • ECRIRE POUR APPRENDRE ? ECRIRE POUR COMPRENDRE ? TAT DE LA QUESTION

    Laurence Catel Cet article, adapt d'un mmoire de D.E.A. (l),fatt un bilan des travaux de recherches en didactique effectus durant la dernire dcennie concernant la production d'crits par les lves dans le cadre de l'enseignement scien-tifique. La prise en compte des travaux anglo-saxons ainsi que des recherches en didactique du Franais apportent un clairage nouveau sur la question. Durant cette priode, c'est le cadre thorique qui sous-tend la gestion didac-tique de la production des crits scientifiques vise d'apprentissage qui a t la proccupation dominante des chercheurs. Deux axes de recherche se dgagent ainsi : d'une part la pratique de l'crtture d'expression mergeant comme paragdime dominant et d'autre part des pratiques crites dans un cadre socio-constructiviste se rfrant aux pratiques discursives de la communaut scientifique.

    prendre en compte les difficults des lves

    Si les premiers travaux ayant pour objet les activits d'cri-ture des fins d'apprentissage ont pour origine la prise en compte de problmes spcifiques d'enseignement concer-nant rcriture, le dveloppement de ce domaine de recherche au cours de la dernire dcennie est d essentiellement . "un renouveau du courant constructiviste et l'influence grandis-sante de l'approche socioculturelle dans les muieux pdagogi-ques et scientifiques " (Legros & Pudelko, 2000). Le constat des difficults croissantes des lves produire les crits attendus par les enseignants, et par la prise de cons-cience que ces difficults constituaient en elles-mmes u n obstacle aux apprentissages ont t l'origine de nombreux travaux. Dans les pays anglo-saxons (en particulier aux U.S.A), les difficults des lves apparaissent durant leur cursus scolaire et le niveau des tudiants leur entre l'universit ncessite la mise en place des cours spcifiques de productions d'crits intgrs ou non au cours d'ensei-gnements scientifiques (Franz & Soven, 1996 ; Gaskins & Guthrie, 1994 ; Moore, 1994 b ; Rice, 1998). En rponse aux difficults produire des crits, des mouvements pdagogi-ques se sont dvelopps. Apparu en Grande Bretagne sous l'influence de Britton (1970), le mouvement 'Writing to Learn", a connu un vif succs aux tats Unis sous l'appella-tion de "W. A. C." ('Writing Across the Curriculum"). L'objectif principal de ce mouvement tait de promouvoir la pratique

    (1) D.E.A. "Enseignement et Diffusion des Sciences et des Techniques" option "Didactique des Sciences exprimentales" E.N.S. de Cachan L.I.R.E.S.T. (1999-2000)

    ASTER N 33. 2001. crire pour comprendre les sciences, INRP, 29, rue d'Ulm, 75230 Paris Cedex 05

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    rgulire de l'crit dans toutes les disciplines dans le but de clarifier le sens des apprentissages et de faciliter la mmori-sation. Ce mouvement a permis l'initiation d'importants travaux de recherche. Dans le champ de la didactique des sciences exprimentales plus particulirement, la question n'tait pas tant de savoir si l'crit devait tre utilis en cours de sciences, que de savoir quand et comment il devait tre utilis par rapport aux autres activits didactiques (Holliday et al., 1994). Les ques-tions initiales taient donc de chercher mieux connatre le rle qu'ont les crits dans les apprentissages scientifiques, en particulier dans l'appropriation des concepts scientifi-ques, de savoir quels types de textes, quels genres d'crits favoriseraient ces apprentissages, de trouver des solutions didactiques aux difficults des lves (2). Il est apparu rapi-dement que la recherche dans ce domaine devait tre plus large qu'un simple travail sur une aide didactique. La complexit du sujet d'tude a donc ncessit la prise en compte des travaux dj effectus dans d'autres domaines (didactique des langues officielles d'enseignement (3), linguistique, anthropologie, sociologie, psychologie...). C'est l'articulation entre ces diffrentes disciplines et l'articulation entre celles-ci et la didactique qui ont permis une progres-sion importante. L'mergence des travaux en didactique de l'criture a lieu au milieu des annes quatre-vingt et vient en relais de travaux concernant la lecture. Les essais d'identification des processus mentaux du scripteur montrent l'influence

    mergence de de la psychologie cognitive. La diffusion des travaux la recherche... d'origine amricaine renouvelle les investigations en didac-

    tique du Franais. Aprs l 'tablissement d'un consensus sur l 'autonomisation de l'crit (4), on observe la fin des annes quatre-vingt une volution gnrale de la concep-tualisation des pratiques scolaires d'criture. Celle-ci est influence essentiellement par la question du sens de ces pratiques (crire pour qui ? Ecrire pourquoi faire ?). "L'cri-ture apparat comme travail, ncessitant l'implication du scripteur et associe diffrents usages sociaux et intellec-tuels" (Barr-de Miniac, 1995). C'est donc une vritable remise en cause du modle pdagogique traditionnel. Dans cette conception, l'criture prend sa dimension instrumen-

    (2) Dans cette recherche, j 'ai limit volontairement la signification du mot "criture" au processus de mise en mots, de mises en phrases, et la production de textes sans prendre en compte les recherches concernant la production de graphiques.

    (3) Ce terme dsigne le Franais dans les pays francophones, l'Anglais dans les pays anglophones et n'est pas synonyme de langue maternelle pour beaucoup d'lves d'origine trangre.

    (4) La prise ne compte de l'criture comme objet de recherche didactique autonome et non pas systmati-quement lie la lecture date du dbut des annes quatre-vingt-dix.

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    tale et devient u n vritable outil d'apprentissage ; son ensei-gnement n'est donc p lus uniquement rserv au cours de Franais. En ce qui concerne plus particulirement l'criture en cours de sciences, les travaux montrent que les pratiques courantes d'criture en classe de sciences concernent le plus frquemment l'valuation ; l'crit est utilis le plus souvent pour exposer les connaissances acquises et pour les communiquer ; l'criture expositive est donc dominante, tandis que l'criture d'expression ou d'argumentation est trs rarement utilise. Aux tats Unis, sous l'influence du "W.A.C. " des pratiques alternatives au compte-rendu scientifique ont t dveloppes ; il s'agissait moins de dvelopper la matrise de l'criture formelle que de favoriser l'usage de l'criture d'expression comme mdiateur permettant l 'apprenant de construire ses propres ides. Dans les annes quatre-vingt-dix, la conceptualisation initiale qui avait pour cadre la psychologie cognitive et piagitienne se modifie sous l'influence de la sociopsychologie (cadre vygotskien). Ainsi, selon certains didacticiens anglo-saxons (Mac Rowell, 1997), on est pass de la conception de l'criture comme production de discours, au cours desquels le scripteur organise ses ides et dveloppe sa propre identit, celle de pratique sociale

    et son volution l'intrieur d'une communaut, dont les socio-linguistes tels durant que Lemke (1990) ont t les porte-parole. Cette reconceptua-la dcennie 80 lisation soci-constructiviste des pratiques scolaires d'criture

    a permis de dvelopper des productions d'crits en utilisant les formes et les conventions de la communaut scientifique. En France, c'est plus particulirement en terme de comptences mthodologiques et de typologie de textes que se pose la ques-tion de l'criture en cours de sciences exprimentales. Dans cet article, je suivrai l'volution de la recherche selon les deux axes qui se sont dgags historiquement : d'une part la pratique de l'criture d'expression et, d'autre part, des prati-ques crites dans u n cadre socio-constructlviste se rfrant aux pratiques discursives de la communaut scientifique. Malgr la pluralit des cadres thoriques dans lesquels se situent ces recherches, il m'a sembl intressant de dgager des rsultats pouvant servir de points d'ancrage une nouvelle tape de la recherche dans ce domaine. Un bilan des difficults et des problmes rencontrs tant dans la pratique didactique que dans la recherche permettra d'envisager de nouvelles voies en Didactique des Sciences pour ce sujet, en particulier en prenant en compte certains travaux produits en Didactique du Franais Langue Maternelle.

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    1. L'CRITURE D'EXPRESSION OU CRITURE INFORMELLE, PARADIGME DOMINANT DE L'CRITURE POUR COMPRENDRE

    L'criture d'expression est une criture d'investigation utilise comme outil au service de la production d'explications ; elle permet l'lve d'explorer sa pense personnelle et de la clari-fier en matrialisant "sur le papier" les relations entre ses connaissances. Les lves sont engags dans une criture la premire personne, dans le sens o c'est leur propre pense qui est en jeu et non des connaissances scientifiques qui existe-raient ici comme extrieures l'apprenant (Vrin, 1995,1999). Cette forme d'crit est informelle, caries lves sont encourags utiliser leur propre langage (Prain & Hand, 1996 b ; Shawn & al., 1994). Contrairement l'criture expositive qui permet rarement aux lves l'engagement mental ncessaire la production de sens (Holliday & al., 1994), cette forme d'crit leur permet de s'expliquer plus clairement les concepts scientifiques ; les ides comprises par les lves prennent du sens et sont donc plus facilement mmorisables et applicables (Prain&Hand, 1996 b ; Shawn & al., 1994). L'criture d'expres-sion est donc une criture pour comprendre et pour apprendre.

    C'est pourquoi l'essentiel des travaux de didactique concer-nant les pratiques d'criture en cours de sciences s'intresse l'criture d'expression, laquelle s'impose la fin de cette dernire dcennie comme le paradigme dominant. La pratique de l'criture d'expression repose sur la prise en compte des processus cognitifs du scripteur lors du processus rdactionnel qui a pu tre modlis.

    1.1. Modlisation de l'criture pour apprendre Les conceptions courantes de l'apprentissage par l'criture restent encore embryonnaires et fragmentes. L'crit cons-titue une "mmoire de papier", permettant un retour sur les traces antrieures (mmoire long terme) et dchargeant la gestion mentale simultane de plusieurs informations (mmoire de travail). Peu d'intrt a t donn l'tude des processus cognitifs intervenants dans l'amlioration de la comprhension accompagnant la production d'crits (Astolfi tal . 1998 ; Prain&Hand, 1999). Bien qu'ancienne, la modlisation de Bereiter et Scarda-malia (1987) reste la pierre angulaire de nombreuses recherches des annes quatre-vingt-dix (Holliday & al., 1994 ; Keys, 1999). Bereiter et Scardamalia ont propos deux modles du processus de composition : le modle d'expression des connaissances et le modle de transforma-tion des connaissances. L'expression des connaissances est la rponse habituelle pour gnrer du contenu dans un discours prenant la forme

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    modlisation de la rdaction comme une double rsolution de problme

    criture d'expression comme outil heuristique

    d'un texte crit. Cette tape de base inclut la reprsentation mentale de la tche accomplir et la gnration des thmes d'criture ; il y a appropriation des tches quotidiennes d'criture, mais pas gnration de nouvelles connaissances. Seules les connexions dj tablies entre les lments du contenu, et les connaissances discursives disponibles sont utilises. Dans le second modle, la production crite permet l'acquisition de connaissances par une double rsolution de problme. C'est en effet, dans une relation dynamique inte-ractive entre l'espace de contenu (connaissances, reprsen-tations) et l'espace discursif que s'effectue l'laboration de la connaissance. La sortie d'un espace de problme permet l'entre dans l'autre. Les questions concernant la syntaxe et le langage donne une nouvelle signification au contenu, tandis que les efforts pour exprimer directement le contenu dirige la composition. Dans ce dernier modle, les reprsen-tations initiales du scripteur, ses objectifs, ses intrts interviennent ; il y a ncessairement recherche d'informa-tions en mmoire long terme, prise en compte du destina-taire. Le premier modle correspond l'criture expositive, le second l'criture interprtative plus souvent dsigne sous le terme d'criture d'expression. Ce deuxime modle permet d'expliquer qu'en produisant u n crit qui lui sert construire des interprtations (dimension hermneutique), un lve est capable de transformer ses connaissances. L'criture peut ainsi permettre de construire du sens et favorise les change-ments conceptuels.

    Pour Keys (1999), le modle de transformation de connais-sances de Bereiter & Scardamalia peut s'appliquer au contexte de l'investigation scientifique ; le travail de rsolu-tion de problme dans l'espace de contenu entrane la rflexion sur la signification des donnes, tandis que le travail dans l'espace rhtorique consiste communiquer ce qui fait sens pour le lectorat. L'engagement cognitif dans le problme de rhtorique stimule la reconsidration du sens de la donne. Rsultant de ce processus dynamique et itratif, une nouvelle connaissance est cre sous forme d'infrence de plus haut niveau partir de la donne. L'criture exploratoire occupe donc u n rle crucial dans l'apprentissage, car il permet la clarification de la pense, l'activation des connaissances premires, et la mise en rela-tion d'une nouvelle information avec une connaissance structure dans la mmoire long terme : c'est une "pense de papier". Il contribue l'apprentissage de nouveaux concepts, facilite l'organisation et la restructuration concep-tuelle (Holliday & al., 1994 ; Keys, 1999 ; Prain & Hand, 1996 b). Ce mode d'criture permet aux lves de dvelopper leur esprit critique et leur raisonnement concernant la significa-tion des donnes de laboratoire (Keys, 1999). Cet outil heuris-tique d'apprentissage des sciences assure la comprhension, mais aussi la communication des connaissances (Holliday & al., 1994 ; Keys, 1999 ; Shawn & al., 1994).

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    1.2. Construction de sens et changement conceptuel

    une fentre sur la pense pour reprer rvolution conceptuelle des lves

    Pour Keys et ses collaborateurs (1999), apprendre la science consiste tendre ses structures conceptuelles en gnrant des inferences plus significatives. Ils ont constat que lors de leurs recherches au laboratoire, les lves font des inferences spcifiques qui donnent une signification aux donnes. Ils ont pu ainsi reprer la mise en place d'une chane de raison-nement en comparant les compte-rendus intermdiaires et finaux. La construction de relations smantiques logiques entre les vnements est reprable dans les textes par la prsence : d'laboration (ides dfinies plus clairement), d'extension (mise en relation de deux ides distinctes) et d'amlioration (apport de prcision concernant le temps, le lieu, la cause, et la condition). Dans le cadre de l'criture d'expression, les productions des lves constituent "une fentre sur leurs processus de pense" qui permet aux chercheurs, aux enseignants et aux lves eux-mmes d'observer la construction de sens qui s'effectue lors du travail rdactionnel. Du fait de la constitution d'un produit matrialis, l'criture facilite une mise plat des ides. Les crits des diffrents lves de la classe peuvent tre confronts (Vrin, 1995). ce titre l'crit favorise l'installation du conflit cognitif et un travail mtacognitif indispensable la consolidation du changement conceptuel (Holliday & al., 1994 ; Prain & Hand, 1996 b, Vrin, 1995). En donnant du sens au texte qu'il crit, l'lve communique aussi les repr-sentations mentales de ses ides "scientifiques" et surtout les relations qu'il tablit entre elles (Shawn & al., 1994). L'analyse des crits d'un mme lve, produits des moments diff-rents, fournit des informations sur l'volution de ses concep-tions. Il ne s'agit pas d'valuer les conceptions, mais plutt de reprer dans quelle mesure, l'criture peut favoriser le chan-gement tout en gardant l'esprit que ce processus est rare.

    La pratique de l'criture d'expression implique sortir de la logique de l'criture expositive et demande u n nouvel examen des pratiques didactiques.

    1.3. Ncessit de modifier les pratiques didactiques Diversifier les crits

    Dvelopper cette nouvelle forme d'criture implique une diversification des productions crites en cours des sciences. Il est indispensable de ne plus se cantonner des crits expo-sitifs terminaux aux caractristiques normes (tel le tradi-tionnel compte rendu) mais plutt d'envisager des crits exploratoires courts et non nots (Astolfi & Ducancel., 1995 ; Vrin, 1995). Ils concernent les reprsentations des lves, les prvisions qui les engagent personneDement dans la construction du savoir, et les rsultats qui permettent de stabiliser une nouvelle ide. Ce sont des "essais intelligents

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    partiels" (Vrin, 1995). L'criture prdictive, en particulier, permet aux lves d'explorer la validit des modles prsents dans leurs conceptions initiales et d'tablir u n cadre pour la comparaison de nouvelles observations. Contrairement ce qui se passe en France, dans les pays anglo-saxons la diversification est trs importante : pices de thtre, scripts de slogan, recettes, rcits, guides, posies, cartes conceptuelles, posters, brochures, biographies, journaux, texte humoristique... (Audet&al., 1996 ; Burcke, 1995 ; Duran & al., 1998; Henderson & Wellington, 1998; Hildebrand, 1998; Prain & Hand, 1995, 1996, 1999 ; Sutton, 1992, 1995). Cette diversification pose le problme de la limite de scientificit des textes et de leur intgration aux pratiques didactiques.

    Intgrer l'criture d'expression aux autres acti-vits d'apprentissage scientifiques et prendre en compte sa dimension sociale

    L'apprentissage des comptences langagires est le plus souvent abord dans u n contexte o ces comptences ne sont pas fonctionneDes ; il est finalis pour leur dveloppement. Les pratiques d'criture doivent tre insres fonctionnelle-ment dans la dmarche scientifique ; (Kelly & Chen, 1999 ; Vrin, 1993, 1999). En intgrant l'criture un enseigne-ment scientifique mettant en jeu des activits de rsolution de problme, on peut observer sur une anne des gains signi-ficatifs pour les quatre processus suivants : - examiner les composantes du problme ; - slectionner par la lecture les informations appropries ; - exprimer par crit des conceptions scientifiques pertinentes ; - appliquer ce qui a t appris (Gaskins & Guthrie, 1994). Outre leur dimension cognitive, les crits d'investigation ont une dimension sociale. Ce n'est pas une criture individuelle qui est enjeu, car elle rpond une dynamique de construc-tion collective dans u n contexte constructiviste et collaboratif (Vrin, 1995). Pour Kelly et Chen (1999), la production d'crits est la cons-quence d'actions sociales particulires et de procds discur-sifs oraux. L'mergence des rles sociaux est importante ; ainsi les leaders ou les groupes leaders dans le dbat permettent la mise en forme de la construction des connaissances au travers de leur rle mdiateur et distributeur de parole. Dans leur recherche ethnographique, Dillon & al. (1994) montrent que la nature de l'organisation sociale de la classe (curriculum cach) (5), est mdiatise par les pratiques

    (5) Se rfre l'exprience scolaire de l'lve en apprentissage, c'est--dire face aux contenus enseigns, mais intgrant galement des voies d'influence multiples : idologie dominante de l'institution scolaire, modalits disciplinaires dans la classe (mulation, rpression), "effets-matres" qui souvent renforcent les processus diffrenciateurs faisant intervenir l'origine sociale, le sexe et la discrimination ethnique.

    des pratiques d'criture insres fonctionnellement dans la dmarche scientifique

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    langagires (lecture, criture, discours oral) qui sont donc plus qu'un outil d'apprentissage. Leur recherche se place dans le cadre de l'interactionnisme symbolique. Aucune partie ne cre de sens seule, car le sens se construit dans les interactions entre les professeurs et les lves durant le cours de sciences. Le rle de l'autorit du professeur travers son discours oral est dterminant sur la construction du travail des lves. Il apparat qu'une mauvaise matrise du sujet par le professeur le conduit un contrle des conversations dans la classe qui privilgie l'exposition de faits plutt que le trai-tement des concepts de manire interactive et dialogique (Carlsen & al., 1997). Ainsi les reprsentations et la person-nalit des enseignants les conduisent proposer aux lves des pratiques langagires qui favorisent soit les interactions entre les lves, soit les interactions professeur/lves ; elles favorisent galement selon les cas la dpendance ou au contraire l'indpendance entre les diffrents membres de la communaut (Dillon & al., 1994). Il est aussi possible de proposer aux lves une criture

    bnfices plurielle. Dans leur recherche, Audet et ses collaborateurs de rcriture (1996) constatent que l'criture collaborative d'un journal de collaborative bord permet de reprer des stratgies d'apprentissage social

    qui peuvent tre classes en trois types (l'entranement par les pairs, l'apprentissage coopratif, la collaboration de pairs). La collaboration aide les apprenants matriser des tches cognitives d'un plus haut niveau que celles qu'ils pourraient aborder individuellement. Il faut galement prendre en compte la dimension affective de ces crits collaboratifs. La dimension sociale de l'criture peut galement tre prise en compte dans u n cadre thorique socio-constructiviste o les productions d'crits se rfrent aux pratiques discursives de la communaut scientifique. Une bonne connaissance de ces pratiques est donc indispensable. C'est pourquoi de nombreuses recherches portent donc sur une reprsentation du discours scientifique qui pourra servir de rfrence aux pratiques de classe.

    2 . DISCOURS SCIENTIFIQUE: RFRENCE POUR LES PRATIQUES CRITES EN COURS DE SCIENCES

    Prain et Hand ( 1996 a) explorent les tensions entre deux posi-tions antagonistes concernant la production d'crits en classe de science se rfrant au discours scientifique : celle qui considre qu'il est indispensable d'initier les lves aux pratiques normatives de ce discours et celle qui considre qu'en se plaant dans des perspectives constructivistes, les lves doivent construire leur propre discours scientifique par une pratique personnelle d'criture s'inscrivant dans les

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    des crits au sein du laboratoire et des crits de diffusion

    pratiques sociales de la classe. Les caractristiques des crits produits par les scientifiques, mais aussi leur contexte de production et les interactions sociales intervenant dans ce processus de production constituent ainsi des objets de recherche pour le sujet tudi ici. 2.1. Caractrisation du discours scientifique Le discours scientifique met enjeu "la communication scienti-fique dfinie comme un ensemble de pratiques, orales ou crites pluricodiques dont le but est la construction et/ou la diffusion des connaissances et des concepts appartenant aux champs scientifiques" (Ducancel & al., 1995). Des informa-tions provenant de diffrentes sources peuvent permettre la construction d'une reprsentation du discours scientifique.

    Informations apportes par les scientifiques Les chercheurs ont donn peu d'informations concernant leurs productions crites, c'est pourquoi le tmoignage de deux chercheurs en biologie, J.-C. Boulain et F. Ducancel (6), semble intressant. Ils dissocient leurs pratiques crites, dans le temps et en fonction de leurs objectifs (crits permettant le passage de la conception l'exprimentation, crits vise de communication) ; il ressort que, pour la premire catgorie, il existe une alter-nance permanente entre la communication crite et la communication orale au sein du laboratoire. Ces crits prparent les runions et les sminaires, et concrtisent le plus souvent les dcisions prises lors de runions prc-dentes ce qui met en vidence l'importance du travail d'quipe. Cette dimension de communication l'intrieur du laboratoire demeure fortement prsente lors de la production d'crits qui accompagnent l'exprimentation. Les cahiers de manipulations constituent une mmoire du travail effectu (prcision, chronologie). La transcription est jalonne de preuves matrielles (photos, tableaux de valeurs, courbes...) et de commentaires... Ces carnets "assurent la vracit des faits et doivent tout moment permettre de reproduire les rsultats obtenus" ; l'objectif de diffusion des faits en constitue "le fil rouge". La diffu-sion des travaux l'extrieur du laboratoire indispensable pour la valorisation et la reconnaissance par les pairs, se fait en langue anglaise pour une audience plus large. Elle rsulte de dcisions prises en sminaires internes, selon des critres prcis (originalit du travail, importance conomique e t /ou scientifique, choix de la revue), et au cours desquels, la confrontation avec la communaut scientifique est simule.

    (6) Laboratoire d'Ingnierie des protines. D.I.E.P. C.E.A. Saclay.

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    qui s'inscrivent dans un continuum..

    etqui permettent la construction dfaits...

    En ce qui concerne la production de textes de vulgarisation, diffrents niveaux sont voqus en fonction du lectorat, ce qui correspond des publications dans des revues diffrentes : ensemble des biologistes (exemple : Biofutur), ensemble de la communaut scientifique (exemple : Nature ou Science), public "clair" (exemple : La Recherche ou Pour la Science) Ces textes de vulgarisation sont d'une grande importance pour les chercheurs et leur laboratoire, car ils permettent leurs valuations, ainsi qu'une ouverture commerciale.

    Informations apportes par la sociologie Ce tmoignage de chercheurs corrobore les observations faites par Latour & Woolgar (1988, 1996) qui, bien que datant d'une vingtaine d'annes, constituent encore la seule rf-rence dans ce domaine (Ducancel, G.& F., Boulain, J.C., 1995 ; Kelly & Chen, 1999). Latour souligne l'importance des "inscriptions littraires" dans le travail du chercheur, le fait que les changes informels aient pour objet la substance mme de la communication formelle, ainsi que le dialogisme fondamental qui permet les prvisions des objections et anticipations des rponses. Les discussions entre les chercheurs permettent la transformation des noncs dans u n continuum (Latour & Woolgar, 1988,1996). Il n'existe pas de ruptures, mais une continuit dans les procdures d'exposition qui sont sous-tendues par des tendances contradictoires : objectiver, cristalliser des concepts et les diffuser, critiquer des savoirs "anciens", imposer une lecture du rel, convaincre et rechercher le prestige (Sutton, 1995). Si on prend en compte les destinataires, on peut distinguer les productions crites relatives la communication gale (entre pairs, c'est--dire entre chercheurs du mme domaine) de celles relatives la communication ingale (communica-tion entre scientifiques de domaines diffrents jusqu' celle effectue avec des profanes) (Ducancel & al., 1995). Pour Latour (1988,1996) la transformation des noncs au sein du laboratoire s'accompagne de l'augmentation du degr de facticit et donc de la diminution de la subjectivit. L'axe essentiel, bien qu'implicite, de cette transformation est donc la "construction dfaits". Il identifie le but principal de la production de texte comme la gnration d'un rsultat de plus haute inference plutt que la synthse de rsultats particuliers. Les scientifiques cherchent tablir des faits partir de constructs. Le laboratoire est vu comme "une usine produire des faits". Dans son tude, il note l'importance du forum agonistique : les articles publis font l'objet de contro-verses dont le point nodal est la solidit de l'argumentation. Lorsqu'un nonc a t stabilis dans le champ agonistique, il est rifi et s'intgre aux savoirs tacites. La rification a pour consquence l'augmentation considrable du "cot" des objections qui pourraient tre souleves.

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    Informations apportes par l'histoire des sciences Sutton (1996) qui effectue une tude historique des textes produits par les scientifiques, fait une analyse comparable affirmant que la science est une entreprise sociale semi-cooprative de production de connaissances. Il y reconnat galement la trs grande importance de l'criture. Le passage successif dans les diffrents genres de publication permet d'occulter progressivement l'agencement humain (objectiva-tion) et de transformer la persuasion en information (le fait apparat comme une vrit). Ainsi son statut de connaissance publique lui donne celui de dcouverte. La dualit entre la science tablie se prsentant sous une forme compresse, formalise, abstraite et la science en construction c'est--dire se crant avec ses contingences sociales, exprimentales et pistmologiques apparat bien dans les diffrentes produc-tions crites des chercheurs scientifiques. Le traitement du discours scientifique comme une notion unifie est donc potentiellement problmatique car les processus discursifs servent de multiples objectifs et ont leurs origines dans diffrents systmes d'activits (Kelly & Chen 1999).

    2.2. Caractristiques discursives et rhtorique des crits scientifiques Le(s) discours scientifique(s) constitue(nt) u n ensemble flou dans lequel il est prudent, selon Jacobi (1993) de distinguer trois ples : celui des discours scientifiques primaires (crits de chercheurs pour d'autres chercheurs), celui des discours vocation didactique (textes de manuels d'enseignement scientifique) et celui de l'ducation scientifique informelle (textes de vulgarisation, documents de culture scientifique). Les textes primaires prsentant des rsultats de recherche d'autres spcialistes ont des caractristiques trs stables. Le compte rendu d'expriences, modle canonique du texte primaire, immuablement structur en quatre parties (intro-duction, mthodes et matriels, rsultats, conclusion et /ou discussion) se caractrise galement par sa prudence, la justification des mthodes, la qualit des rsultats, l'absence de gnralisation. Le plus souvent, les observations, l'explo-ration des incertitudes ont disparu du texte (Jacobi, 1993 ; Sutton, 1992). Le respect de la forme est imprativement contrl par la communaut. La structure du texte semble immuable. Mme Peter Medawar (1963), laurat du Nobel (7) qui voulait placer "la discussion" en premire partie de son papier, n'a pu changer la structure de son article (Hilde-brand, 1998 ; Mac Rowell, 1997 ; Moore, 1994 a).

    lesquels deviennent des dcouvertes

    (7) Peter Medawar et Franck Burnet ont reu conjointement le prix Nobel de mdecine en 1960 pour leurs travaux sur la tolrance immunologique acquise.

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    des crits normes et des auteurs cachs

    convaincre et crer

    Un aspect particulier de l'criture en sciences est qu'elle semble se cacher elle-mme ; pour de nombreux scientifiques reconnus "crire la science, ce n'est pas crire du tout, c'est simplement enregistrer des faits" (Mac Rowell, 1997). L'article scientifique de diffusion prend la forme d'un discours dcon-textualis, formalis qui assure donc une "ontologisation" des faits (Ducancel & al., 1995). Il concentre les procdures utilises, les rsultats obtenus ainsi que quelques investiga-tions. Des dtails matriels sont donns pour permettre la rptition possible des expriences et l'obtention des mmes rsultats. L'article n'a pas pour but de rcapituler l'enchane-ment des tapes du raisonnement (qui apparat dans le rapport initial) ni le dtail des raisons qui ont permis le choix d'une voie plutt que d'une autre ; il n'y a pas l la place pour l'mergence des ides et leur mise l'preuve : les scientifi-ques ont d'autres moyens pour faire cela (congrs, smi-naires). Les chercheurs n'apparaissent pas dans leur texte ; la science semble alors se parler seule (Grize, 1992 ; Jacobi, 1993). La dpersonnalisation de la prose scientifique est devenue le mode standard d'criture au cours du XXe sicle et a pour objectif de stigmatiser cette distanciation (Hildebrand, 1998 ; Sutton, 1992). Cependant, certains auteurs (Grize, 1992 ; Sutton, 1996) montrent que tout texte d'information scientifique prsente ncessairement u n aspect argumentatif ; l'auteur doit mobi-liser le lecteur et faire en sorte que les questions qu'il se pose soient aussi celles de celui auquel il s'adresse. La voix du scientifique a donc toujours une action d'interprtation, elle est personnelle et spculative. Son langage lui permet la constitution d'une thorie, pas d'un simple reportage. La matrise de la rhtorique joue galement un rle capital car elle intervient dans la rification. Moore (1994 a) prenant comme exemple l'article scientifique ayant eu un grand impact sur la communaut scientifique crit par Watson et Crick concernant leur modlisation en double hlice de la molcule d'A.D.N., montre l'important travail de rhtorique utilis par les auteurs pour convaincre leur lectorat. Ils mettent en vidence l'aspect dynamique de la dcouverte scientifique et son aspect rvolutionnaire. Ayant compris que la "vrit scientifique" dpend de la force de l'argumentation, ils font reposer celle-ci sur trois points (l'lgance du modle, une explication thorique prcise, compatibilit avec les donnes disponibles). L'esthtique, l'utilisation de mta-phores et mme le style narratif peuvent jouer u n rle mdia-teur (Martin & Brouwer, 1991).L'usage de figures de style (mtaphores, analogies, comparaisons) est par ailleurs frquent dans les articles scientifiques. Elles constituent des outils mentaux qui permettent une rintprtation des phnomnes tudis ; elles sont l'origine de la conception de modles partir desquels des prdictions peuvent tre testes (Sutton, 1993). Les mtaphores peuvent tre appr-hendes comme des synthses des maillons cachs du

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    raisonnement du scientifique mis en image par l'auteur en utilisant le langage courant ; elles tmoignent de la crativit du chercheur (Schaible & Rhodes, 1992) L'adoption d'une stratgie argumentative prsentant le travail comme rvolutionnaire ne dbouche pas toujours sur le succs en particulier lorsque la mdiatisation est impor-tante. Il est souvent ncessaire de mesurer l'cart entre le discours dmonstratif et le discours argumentatif qui sont le plus souvent intriqus et qui joue un rle important dans les controverses (8). Ainsi, les arguments de l'un des protago-nistes peuvent tre repris par l'autre pour chafauder une nouvelle argumentation, le contexte politique, conomique et social ayant une grande influence. La force de l'argumenta-tion pouvant s'estomper dans le texte consensuel clturant la controverse (Hubat & Gaudilire, 1992). crire un texte scientifique dans une perspective de sociodif-fusion destination d'un plus grand nombre de lecteurs non spcialistes implique se situer dans u n nouveau contexte, celui du secteur de l'dition de vulgarisation ou de popularisa-tion pour employer le terme de Jacobi (1993). Lors de la

    populariser rdaction d'un article de vulgarisation, l'auteur doit adopter la science des stratgies expositives et argumentatives originales, en

    partie rgles par le style editorial de la revue et ncessitant une slection et une reformulation des contenus scientifiques eux-mmes. Des prescriptions editoriales trs explicites contraignent parfois l 'auteur des modifications discursives importantes (stratgie narrative, plus grande efficacit argu-mentative, simplification du discours) et le travail de rcri-ture s'effectue en interaction avec la rdaction (Ducancel & al., 1995). Mais surtout l'criture d'un article de vulgarisation pose au scripteur le problme de l'emploi de termes spci-fiques. Tous les textes scientifiques sont caractriss par une terminologie spcifique. Les termes scientifiques sont mono-smiques ou monorfrentiels et internationaux (l'anglais ayant remplac le latin). Ils prsentent une stabilit diachro-nique, mais il existe cependant une volution de cette termi-nologie en particulier grce au processus de conversion d'un mot d'une classe une autre (verbe en nom, nom en adjectif) et aussi de prfixation et suffixation. Cette volution reflte une augmentation de la technicit et de l'abstraction. Ces caractristiques du langage scientifique tmoignent des formes varies du travail cognitif et smiotique. Pour crire la science, il est donc difficile de ne pas utiliser des termes scien-tifiques, mais ceux-ci peuvent constituer u n ensemble de nologismes pour le lecteur. Pour rendre son texte compr-hensible, le vulgarisateur dispose alors de deux solutions : la reformulation ou la dfinition. La reformulation peut tre faite

    (8) Controverse de la mmoire de l'eau (texte de J.Benveniste publi en juin 1988 dans la revue Nature) et la dcouverte du virus du S.I.D.A. (textes de J.Montagnier et textes de R. Gallo).

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    en expansion (nombreux retours sur u n terme inconnu pour aider le lecteur s'en approprier le sens) ou en substitution (utilisation de comparaisons, d'analogies, de mtaphores). Le vulgarisateur n'est donc en aucun cas un traducteur de langage scientifique car il existe une vritable rhtorique de vulgarisation (Gross, 1990;Jacobi, 1993). Pour Sutton (1993,1995,1996), la squence des publications successives (article de revue, travaux de synthse sur la question, trait ou manuel) s'accompagne d'une modification du registre de langage correspondant deux systmes discursifs : systme interprtatif et systme d'tiquetage. Il distingue ainsi le langage figuratif, du langage littral. Le langage figuratif permet d'mettre des ides et d'interprter des situations, le langage littral permet de nommer les faits tablis. Les changements de types de textes s'accompagnent donc de transformations discursives.

    ouvrir le champ des crits des lves en se rfrant la production crite des chercheurs

    2.3. L'criture des chercheurs comme pratique sociale de rfrence Les discours scientifiques servent de rfrence aux pratiques sociales d'criture en cours de sciences exprimentales. Pour quelques recherches (Ducancel & al., 1995 ; Kelly & Chen, 1999), ce sont les pratiques discursives del recherche scien-tifique qui constituent les pratiques sociales de rfrence des pratiques de production d'crits en classe de sciences. Dans ces cas il s'agit bien de se rfrer une pratique concernant l'ensemble d'un secteur social (celle de la production d'crits parles chercheurs en sciences exprimentales) pour des acti-vits didactiques n'impliquant pas l'identit mais la compa-raison sur les points suivant : - le fonctionnement de la communaut (laboratoire/cours de

    sciences exprimentales) ; - l e s interactions sociales (dcision du protocole expri-

    mental et interprtation des inscriptions) ; - les pratiques culturelles (prsentation des rsultats exp-

    rimentaux, criture dans les normes, applications) qui constituent le ciment qui unit la communaut scientifique.

    Pour Kelly et Chen (1999), il s'agit d'aborder en cours, la science non pas sous sa forme tablie, mais dans sa dyna-mique de construction ce qui permettrait de la rendre plus accessible aux lves. Pour que les lves comprennent que la science se construit, c'est--dire se cre avec ses contingences exprimentales, pistmologiques et sociales, il est indispen-sable de placer les lves dans des contextes scientifiques authentiques, leur permettant de crer une vritable argu-mentation scientifique avec des donnes qu'ils ont obtenues eux-mmes avec leurs propres mthodes exprimentales. Ces chercheurs ont fait l'analyse de pratiques innovantes en cours de physique. Le travail s'effectue en petits groupes et

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    les productions crites extrmement varies peuvent tre classes en quatre groupes : - criture relative aux tches effectues en classe (carnet de

    labo, prise de notes, dossier) ; - criture crative (rcit de science fiction) ; -prsentation des concepts scientifiques travers des

    projets thmatiques de classe (poster, papier technique crit suivant les normes d'un article scientifique) ;

    - essai concernant le cours de physique. Cette varit est mettre en relation avec la pluralit et la diversit des objectifs de la communication scientifique (Ducancel&al., 1995). L'analyse des assert ions justifies prsentes dans le papier technique produit par les lves, permet de cons-truire une taxonomie des affirmations et leurs justifica-tions mettant ainsi en vidence, respectivement u n gradient d'induction et u n gradient d'abstraction corres-pondant l 'augmentation du degr de facticit dcrit par Latour. Kelly et Chen notent une progression, des affirma-tions de faible induction concernant les observations aux affirmations qui mettent en relation les inscriptions aux concepts de physique.

    interactions sociales au sein de la communaut

    authenticit des recherches

    2.4. Rfrences partielles aux pratiques discursives des chercheurs Certaines recherches montrent qu'il est possible d'utiliser des pratiques de la communaut scientifique sans inclure ncessairement la totalit du travail dans ce cadre. Des exemples de pratiques d'crits scientifiques en classe se rfrant un domaine parcellaire du travail de produc-tion crite des chercheurs donnent des rsultats satisfai-sants . Ainsi Koprowski (1997) propose des tudiants du cours d'cologie d'effectuer une revue de pairs : il s'agit ici d'une analyse critique en double aveugle des travaux de comptes rendus de laboratoire crits dans les normes par les tudiants, concernant des recherches effectues int-gralement par eux. Une nette progression des comptences des tudiants dans leurs productions crites et une conomie de temps ont t constates. Cette pratique est frquente dans les pays anglo-saxons (Keys 1994 ; Prain & Hand, 1999). Il est aussi profitable d'immerger les tudiants dans le processus de recherche relle. Le compte-rendu d'exp-riences, reprsentation symbolique de la mthode scienti-fique, est le type d'crit le plus souvent enseign dans le secondaire mais dans u n contexte d'activits de laboratoire qui servent exemplifier des faits biens connus et des concepts. Au lieu de travaux pratiques classiques l'issue desquels les lves obtiennent tous le mme rsultat et o leur seul travail consiste paraphraser la conclusion dsire

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    dveloppement du langage interprtatif, de la crativit et de l'esprit critique

    par le professeur, il est prfrable de faire produire aux lves des crits concernant des recherches dans lesquelles, les lves mettent en place la totalit de la mthodologie ou des recherches dans lesquelles les tudiants doivent recueillir des donnes qui peuvent varier authentiquement (Kelly & Chen, 1999 ; Keys, 1999 ; Koprowsky, 1997). Le travail de l'crit doit tre peru par les lves comme une mdiation d'interprtation. Il faut donc les aider se cons-truire d'autres reprsentations du langage. Pour cela, les enseignants devraient prsenter le langage scientifique comme une production humaine en utilisant l'histoire des sciences pour aborder les concepts. Le dfi du professeur sera de donner de petites tches d'criture qui captivent l'imagination de l'apprenant, mais lui permettent d'avoir suffisamment d'objectivit pour clarifier ses ides (Martin &Brouwer, 1991 ; Sutton, 1995, 1996). L'usage du langage interprtatif permet aussi le dveloppement de la person-nalit du scripteur (Henderson & Wellington 1998 ; Sutton, 1993). La part de cration dans l'activit d'apprentissage scientifique et corrlativement dans l'criture en sciences est importante ; "il faut donc donner sa place une criture crative qui accompagne l'invention d'explications, de modalits d'exprimentation, de mise en rlattons" (Vrin, 1999). L'enseignant peut favoriser le dveloppement de cette criture crative en aidant les lves produire des "images mentales" par l'utilisation d'analogies et de mta-phores. Des prescriptions aidant les lves gnrer des analogies rendent leur utilisation spontane beaucoup plus frquente et facilitent la comprhension et la mmori-sation (Glynn & Shawn, 1996 ; Kirkland, 1997 ; Sutton, 1993). On peut aussi demander aux lves de se placer dans des situations fictionnelles (crire l'autobiographie d'un lment chimique, le carnet de voyage d'un globule rouge, un article dans u n journal scientifique, une rponse une lettre imaginaire) ce qui peut les aider en adoptant u n mode le plus souvent narratif, formuler des explications claires et concises propos de concepts scientifiques qu'ils ont prcdemment tudis. Ce travail permet ainsi de rendre moins abstraits les concepts scientifiques en les humanisant et en les incarnant (Burke, 1995 ; Prain & Hand, 1996 b ; Sutton, 1993). La prise en compte de l'criture des chercheurs comme pratique sociale de rfrence (au singulier ou au pluriel) permet, on le voit de justifier la modification des pratiques d'criture en classe de sciences (diversification des crits, dveloppement de la crativit, intgration fonctionnelle et prise en compte des interactions sociales) propos dans le paragdime de l'criture d'expression et ouvre par ailleurs le champ de la recherche. Cependant il ne faut pas ngliger les difficults poses par ce type de pratiques.

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    3 . DE LA PRATIQUE AU PRODUIT : OBSTACLES ET DES DIFFICULTS

    la science comme une accumulation de dcouvertes

    Du processus de production aux textes achevs, bien des difficults interviennent et rduisent l'efficacit des pratiques d'criture en classe de sciences. Des obstacles rendent parfois problmatique la mise en place de nouvelles pratiques d'criture. Il est aussi ncessaire de tenir compte de la complexit du processus rdactionnel. Enfin, il n'y a pas encore de consensus sur les caractristiques attendues des textes produits par les lves.

    3.1. mergence d'obstacles aux nouvelles pratiques d'criture Enseignants et lves ont des reprsentations errones de la science et de l'criture qui peuvent tmoigner de la prsence d'obstacles l'apprentissage des sciences par l'criture et son enseignement. II ne s'agit pas ici d'analyser ces obstacles mais plutt de les cerner.

    Reprsentations de la science et de l'enseignement scientifique

    Les lves ont des conceptions varies et contradictoires concer-nant la nature de la connaissance scientifique, aussi bien que des procdures utilises en classe pour accder ces connais-sances. La science est vue par les lves comme une masse d'informations difficiles comprendre parce qu'abstraites (Kirkland, 1997). Pour les lves, la vrit prexiste sa dcou-verte . Une vue de la science comme une accumulation de dcou-vertes constitue un systme de pense dans lequel les mots ne peuvent avoir qu'une fonction de description des observations et non de constitution d'une thorie (Sutton, 1996). Les lves savent que les scientifiques travaillent en groupes et que ce travail leur permet d'changer des points de vue ; s ont une connaissance labore du rle du dbat scientifique. Mais ils ont une reprsentation nave de "preuve" scientifique et de la cons-truction d'une thorie, et une ide vague des caractristiques du travail des scientifiques (Keys & al., 1999). Pour eux, le cours de science se caractrise par des manipulations, des recherches. Les leons sont vues comme des formes passives d'apprentis-sage et l'criture comme u n moyen d'enregistrer des connais-sances tablies, pour l'valuation (Prain & Hand, 1999). Les enseignants voient galement la science comme un corps de connaissances constitues (Gaskins & Guthrie, 1994). Ils prsentent aussi la science comme une mthode logique pour trouver des solutions plutt que comme un processus d'essais/erreurs, d'incertitudes, de justifications et de conclusions acceptes socialement. Les enseignants ont une connaissance ingale des diffrentes formes de la communi-cation scientifique et se rfrent avant tout la reprsenta-

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    tion qu'ils ont de la communication des chercheurs (Ducancel & al., 1995). En raison de cette prsentation cari-caturale, les lves ne peuvent comprendre que : la science procde par ajustements et sauts, que l'ouverture d'esprit et la recherche sont inhrents la science, que les ides fondes sur des justifications sont encore refutables, que les ides scientifiques sont amliores par un processus de contribu-tion, de dbat et de construction d'un consensus et que la recherche permanente est l'attitude fondamentale de l'entre-prise scientifique (Larkin & Wellington, 1994). Les enseignants voient l'enseignement de leur discipline en terme de russite de cours. Leurs reprsentations de l'apprentissage des sciences ne se situent le plus souvent ni dans un cadre constructiviste, ni dans un cadre socio-cons-tructiviste et leurs pratiques ne sont pas orientes vers la construction, et l'appropriation des concepts. Pour rendre plus efficace l'enseignement de "l'criture pour apprendre", ils doivent ncessairement conceptualiser l'enseignement des sciences l'cole comme une forme d'apprentissage de la recherche plutt que comme un corps de connaissances essentielles. Les conceptions persistantes des professeurs propos de l'criture reposent sur leurs propres apprentis-sages, la supposition tacite qu'entraner les lves mmo-riser la science est la part la plus importante du travail, le statut suprieur accord au compte rendu et une prfrence gnrale pour les styles objectivs qui ont affect toute la litt-rature acadmique du XXe sicle. Cette reprsentation influe sur l'organisation de l'apprentissage, le cadrage des leons et la structuration des pratiques langagires. Un changement fondamental dans la manire de penser la discipline est donc ncessaire (Prain&Hand, 1996b Sutton, 1992).

    Reprsentations de l'criture en gnral, de l'criture scientifique en particulier

    Le plus souvent, les lves voient l'criture comme u n processus de codage de la pense et comme un don (Barr-de

    rcriture Miniac, 2000). Ils recherchent cependant la bonne faon comme un don d'crire ; ils pensent qu'ils doivent tre "inspirs" et que les

    "mots justes" doivent sortir comme par magie. Dans l'criture, ce qui compte pour eux, c'est le produit fini non le processus de production. L'criture est vue comme une fin, pas comme un moyen d'apprentissage. Ils associent l'apprentissage de l'cri-ture l'apprentissage des langues en particulier, celui de la langue maternelle et ne voient donc pas sa fonction en cours de sciences (Moore, 1994b). Pour eux, les textes scientifiques sont crits avec des mots compliqus, une prsentation spciale avec un code particulier, l'exactitude et la prcision, le rapport au rel (Astolfi & Ducancel, 1995). Les lves pensent que l'criture exploratoire a un aspect positif sur leur apprentissage en sciences en les obligeant avoir une rflexion approfondie (mtacognition) ; ils trouvent

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    pourexposerses connaissances

    les limites de ces pratiques innovantes

    une conception gnrale de la production crite

    surtout ce mode de travail crit beaucoup plus