Écrit

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Dieu, dans la pensée de Jean Scot Érigène, est absolument transcendant. Tous les noms habituellement employés pour se référer à lui dans les Écritures ne sont utilisés en un sens 1 propre : Dieu est “plus quam” toute chose, tout attribut qu’on pourrait lui assigner. Avec cette expression, que Jean Scot trouve et traduise dans le corpus de Denys , l’Érigène souligne que 2 Dieu n’a aucune contradiction en soimême. Il n’est pourtant “être”, parce que l’être s’oppose au nonêtre ; il n’est pas non plus bonté, vérité, sagesse ou lumière, puisque son unicité ne peut pas contenir la méchanceté, la fausseté, l’ignorance ou l’obscurité. Affirmer le contraire aboutirait à 3 nier sa simplicité absolue, en ouvrant un espace à la multiplicité. Dieu est donc dit plus que être, plus que vérité, plus que sagesse, plus que lumière. Au milieu de la liste des attributs présenté 4 dans le texte, l’Érigène offre un ultérieur exemple qui pourrait surprendre : “dieu est plus que dieu”, ditil, et un peu plus tard il ajoute que “dieu est plus que trinité”. Pour comprendre la conception de la déité chez Érigène il faut donc expliquer brièvement sa théorie trinitaire, en montrant d’abord les rapports entre les trois hypostases et, en suite et conséquemment, l'absence totale des catégories dans la déité, notamment celle de substance, de relation et d’amour. 5 Le thème trinité, dans l’oeuvre érigènienne, est principalement développé au deuxième livre du Periphyseon, mais aussi bien dans l’Homélie, les chapitres VIIVIII notamment. Tout à long de l’oeuvre, il se réfère aux personnes à la fois comme causes, substances, natures ; cela est symptomatique du mode dont la pensée peut saisir dieu, et la langue en parler, non pas d’une façon propre mais en esquissant, en se perfectionnant : bref, en essayant de décrire un unique concept inexprimable, dont les couleurs sont plus variées que celle d’une plume de paon. 6 Or, le père engendre le fils éternellement et perpétuellement. Il ne s’agit pas d’un acte créateur : leur substance, d’autant qu’on puisse en parler en ces termes, est la même. Dans dieu, il manque toute temporalité, qui s’ouvre au moment de la création, en posant un avant et un 1 PP I 452b. 2 Yper quelque chose chez Denys et traductions 3 Tous ces affirmations sont extraites de PP I 459d460c. 4 noms grecs 5 Érigène insiste beaucoup sur cette argumentation, puisque, bien évidemment, pour une théologie nonnéoplatonicienne l’absence d’être, de relation parmi les personnes et même d’amour en dieu pourrait paraître scandaleuse. 6 PP 1

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Petit ecrit sur quelque chose

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Page 1: Écrit

Dieu, dans la pensée de Jean Scot Érigène, est absolument transcendant. Tous les noms

habituellement employés pour se référer à lui dans les Écritures ne sont utilisés en un sens 1

propre : Dieu est “plus quam” toute chose, tout attribut qu’on pourrait lui assigner. Avec cette

expression, que Jean Scot trouve et traduise dans le corpus de Denys , l’Érigène souligne que 2

Dieu n’a aucune contradiction en soi­même. Il n’est pourtant “être”, parce que l’être s’oppose au

non­être ; il n’est pas non plus bonté, vérité, sagesse ou lumière, puisque son unicité ne peut pas

contenir la méchanceté, la fausseté, l’ignorance ou l’obscurité. Affirmer le contraire aboutirait à 3

nier sa simplicité absolue, en ouvrant un espace à la multiplicité. Dieu est donc dit plus que être,

plus que vérité, plus que sagesse, plus que lumière. Au milieu de la liste des attributs présenté 4

dans le texte, l’Érigène offre un ultérieur exemple qui pourrait surprendre : “dieu est plus que

dieu”, dit­il, et un peu plus tard il ajoute que “dieu est plus que trinité”.

Pour comprendre la conception de la déité chez Érigène il faut donc expliquer brièvement

sa théorie trinitaire, en montrant d’abord les rapports entre les trois hypostases et, en suite et

conséquemment, l'absence totale des catégories dans la déité, notamment celle de substance, de

relation et d’amour. 5

Le thème trinité, dans l’oeuvre érigènienne, est principalement développé au deuxième

livre du Periphyseon, mais aussi bien dans l’Homélie, les chapitres VII­VIII notamment. Tout à

long de l’oeuvre, il se réfère aux personnes à la fois comme causes, substances, natures ; cela est

symptomatique du mode dont la pensée peut saisir dieu, et la langue en parler, non pas d’une

façon propre mais en esquissant, en se perfectionnant : bref, en essayant de décrire un unique

concept inexprimable, dont les couleurs sont plus variées que celle d’une plume de paon. 6

Or, le père engendre le fils éternellement et perpétuellement. Il ne s’agit pas d’un acte

créateur : leur substance, d’autant qu’on puisse en parler en ces termes, est la même. Dans dieu,

il manque toute temporalité, qui s’ouvre au moment de la création, en posant un avant et un

1 PP I 452b. 2 Yper quelque chose chez Denys et traductions 3 Tous ces affirmations sont extraites de PP I 459d­460c. 4 noms grecs 5 Érigène insiste beaucoup sur cette argumentation, puisque, bien évidemment, pour une théologie non­néoplatonicienne l’absence d’être, de relation parmi les personnes et même d’amour en dieu pourrait paraître scandaleuse. 6 PP

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Page 2: Écrit

après. La génération du fils est la condition propre du père, ce pour lequel ilestle père ; ainsi, il

ne peut s'empêcher cet acte.

Le saint­esprit, de son coté, procède par le père à travers le fils.

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