iSTANBUL ÜNİVERSİTESİ

EDEBİYAT. FAKÜLTESİ

Türkiyat Araştırma Merkezi .

BEŞİNCİ MİLLETLER ARASI · ·

·. TÜRKOLOJİ I<ONGRESİ '/stanbul, 23-28 Eylül 1985

Tebliğler 1

il. TÜR!< EDEBIY ATI cilt 2

EDEBİYAT FAKüLTESİ BASIMEVİ İSTANBUL - 1988

L'ORDRE DES KADIRI DE BOSNIE (SURTOUT CEUX DE SARAJEVO)

Jasna SAMIC

. Les Turcs envahirent d.efinitiyement la Bosnie ·en 1463. Apres vingt ans de resistance, ·la region Hum (la future Herzegovine) tomba egale-ment aux mains des Ottomans. ·

L'occupation turque (qui a dure quatr·e siecle environ) et l'islamisa­, tion ont roarque tout le developpement cul~rel de la Bosnie-Her.zegovine.

Un grand norobre d'intellectuels musulmans adopterent" les langues tur­que, arabe ou persan pour ecrire leurs oeuvres .

. Des l'etablissement des Tur.es, !es villes bosniaques se developperent et grandirent. C'est dans les villes que les ordres de derviches s'instale­rent, introduisant leurs rites et ceremonies1 •

Un grand nombre de tekkes furent crees avec les mosquees et les eco~es religieurses (secondaires et superieures). ·

Parmi les ordres qui s'instalerent en Bosnie (la plupart etant ortho­doxes car la Bosnie a toujours ete purement sunite), il faut mentionner ceux d~: mevlevi, rufai, nakckibendi, bektackı, et kamzooi; les kadiri y ont egalement trouve place. Tdutefois, 1'9rdre kadiri n'a jamais eu un grand succes en Bosnie-Herzegovine, au contraire · des rııa;kchibendi par exemple. Selon Dz. Cehajic, l'auteur de · l'ouvrage «Ordres de derviches . de Yougoslavie», cela est du au fait que les kadiri se sont souvent opposes aux autorites locales provoquant desordre et emeutes dans le pays2 •

· Les tekkes de l'ordre des kadiri se trouvaient a Jajce, a Zvornik et a Sarajevo.

1 Cf. Djurdjev, «Bosnaq, Encyciopedie de l'lslam, 2 eme -edition, Paris, 1950, pp. 1299-1314.

2 Cf. Dzemal Cehaj!c : DerviSki red01>i u Jugoslaviji, these inedite soutenue a la Faculte des lettres tde Sarajevoen 1979.

494 ·

Les tekkes de Travnik et de Sarajevo . (tekke de Sinan Aga) sont les seuls tekkes kadiri bosniaques actifs aujourd'hui.

· Selon Cehajic, il existait deux tekkes a Jajce: le premier, construit a côte de la mosquee Esma-Sultan brfila dans un incendie, le second, construit a S~hitluci3 avait pour cb.eikh un certain Alija. Apres la mort de son dernier fils · Sulejma.iı (l333 H · ) l'activite du tekke aurait cesse4 • ·.

. . Le tekke de Zvornik fut construit par le mutesarrif de ~vornik, Meh­med Pacha, .ala ·fin du 17em:e siecle et au debut du 18eme6

• On ignore, malheureusement, les noms des cheikhs de ce tekke. Le premier dont on connait le nom fut Omer de -Jedrene, le türbedar du türbe du poete Ha­s~n Ka'imi Baba, ~t zaviyed,6,r du.tekk·3 de Zyornik. Ce r:heikh seait deceae

. en 1819; ·son fils Mehmed lui aurait succede6• Le tekke n'est plus ouvert.

. . . . . "

· Le . tekke de · Travnik date sans doute de la Iere mo~tie du 20eme siecle7

• Le zilcr kadiri a _ ete pratique d'abord. a Mahalska d~amija, puis, s'elon.- H.adiibajric .depuis 1934, ?- Jeni diamija (Yeni carrlli).

Aujour~'hui, le zikr est dirige 'par le · vekil Ibrahim Alibasic, chauf­four d'une entreprise et imam de ramadan de yeni cami8 qui ~ quarante cinq ans et . a acquis ce. titre il y a une dizaine d'annees, ,grace al,l vekil . Mujaga J~uzovic commercant a Tra:vnik9

• Ce dernier aurait obtenu. u,n document (izin name) du cheik~ Kadiri Efendi de Kosovska Mitrovica (en· 1934).

Et pourtant, l'activite de. l'ordre kadiri qui se poursuit de nos jours est liee avant tout a l'existence du ·tekke de . Sinan Aga de : Saİ'-ajevo (con~truit en 1640), l'uiı des plus beaU.X tekkes de Bosnie· et İneme des pays yougoslaves selon ·Evliya Celebi1°, et a Hasan Ka'imi Baba, poete du 17erb.e · si~cle, · origiiıaire ·de Sarajevo, qui fut l'un des plus celebres · cheikhs de ce tekke.

3 · Cf. Cehajic, op. cit. et Vakufname i vakufski dokuineti, GHB, III, 14'4-753. 4 :Lbld. 5 Ibid. Cehajic cıte le fm·nıan du 12 sept. 1805, cgnfirmant la fondat-io~ de ce

tekke. 6 Cf. Cehajic, op. cit. 7 Ibid. 8 Communication du cheikh Fejzulah Hadzibajric. 9 Ibid. 10 E. Celebi: Pııtopis, t. I, II, (Odlomci o jugoslovenskim zemljama), Svjetlost,

Sarajevo, 1957, str. 101-125.

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Ce n'est done pas par hasard si nous parlons aujourd'hui de l'activite de ce tekke, de son rituel et de som cheikh actuel Fejzulah Hadiibajric.

Il existe deux version de l'histoire de la construction du tekke de Sinan· Aga. La premiere raconte qu'il fut edifie par un coıİı.mercant de Sar.ajevo Sinan Aga, sur une idee de son fils Mustafa Pacha, le silalıdar du sultan Murat IV (1()24-40). Selon une autre ve:rsion, il aurait ete construit par 'le siZahdar Musta~a Pacha lui-me~e. au nom de son pere Sinan Aga11

• Il se 'trouve de nos jours sur une colline de Sarajevo~ dans le quartier de Sagardiije. L'edifice est en pierre de taille. La grande porte donne sur la 'cour. oiı se trouvent les tombeaux des cheikhs, y co:ı:riprls les türbe de Sinan Aga et de sa femme. Les pieces oi.ı vivaient les cheikhs avec leurs familles sont au dessus de la grande porte . . Elles sont habitees aujourd'hui par la veuve du cheikh Nasir Misirlic. decede

. en 1957. Cette partie dµ tekke porte le noı:n de· ıa tour (Kula) car elle se trouve au premie etage. La semahane est egalement construite a deux niveaux, tandis que le reste du tekke ne comprend que le rez-de-chaussee: un meydan o(lıa.si, un Tcalıve ocağı et une musafirha.ne ( chambre des hô­tes). Le .tekke comprend egalement le halvet oda.si (piece pour l'isole­ment), mais coınme le halvet n'est plus pratique, elle a ete transformee en bibliotheque et en salle des archives du tekke. Les documents con­cernant le tekke posterieurs a 1978 sont coserves dans la salle des arc- · hives. Les autres documents co:ı;ıcernant le tekke n'existent plus car ils ont ete detruits par des incendies.

La bibliotheque ne compren~ que peu de livres car, selon le cheikh Fejzulah, ils ne veulent pas l'encombrer.

Bien qu'il soit en pierre, le tekke a subi du fait de nombratix in­cendies de grands d~mmages, surtotit lors de l'attaque d'Etigene de Savoie contre Sarajevo en 169-7. Le tekke a ete ~estaure a plusieurs reprises: la Iere fois en 1120/1708-912

, la lleme fois en 1188/177413• n a ete bombarde pendant la Ileme guerre mondiale14•

Le tekke de Sinan est considere ajourd'hui comme un monument cul­turel important et c'est ainsi que la Coınmunaut Religieuse · (Vjerska

1,1 M. Mujezinovic : Islamska epigrafika, I, ·p. 247. 12 Dz. Cehajic op. cit.; s. Basagic, Kratka upııta ıı proJlost Bosne i Herceg()'l)ine.

vla.stita naıklada, Sarajevo, 1900, p . .,90 et 18~. 13 M. Mujezinovlc, op. cit, p. 248. 14 A. Bejtic : «Bombardovana je Sinova tekija», Owit, 94, 19. aprila 194:s.

g., p. 6.

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zajednica) et 'l'Institut pour la ·conservation des monuments historiques de Sarajevo (Zavod za zastitu spomenika) ont entrepris une nouvelle res­tauration.

Pour l'instant, seule la restauration de la semahane est achevee.

On y entre par la porte de la cour. Le mihr.a;b est a gauche, l'escalier d~s balcons de la semahane a droite. C'est sur les balcons que les femmes participent a nouveau au zik:r, -depuis l'interdiction de 1908. Au mlır sont pendus differents instnİments de musiq1,l.e (neuf ~truments a percus­sion: bir bir halka; kudum, zil ete.) et un grand chapelet (tesbih). Une rosette demeure sur le mur. Par terre, plusieurs tapis et des peaux de moutons faisant office de sedjdjade (tapis de priere). On n'utilise plus aujourd'hui les instruments de musique: il est interdit d'en jouer, le President du Sonseil de IVZ (Communaute de la religion mµ.şulmane) de

· Sarajevo considerant leur usage comme un peche (haram).

Apres 1952, l'Ulema mecli.s· de Sarajevö a ferme les· tekkes de la ville15 et c'est seulement en 1979 que le Conseil de IVZ delivra un docu­ment (n° 111/79) · selon lequel le tekke de Sinan Aga et quatre autres tekke de Sarajevo furent autorises a ouvrir a nouveau leurs portes16

•

Cette mesure est consideres comme une «adaptation a la sitiation».

On a forme le Comite de coordination et la Centre des tarikat pour la Bosnie-He'rzegovine, la Croatie et la Slovenie qui comprenait quarante points de tarikat oiı l'on pratiquait le zikr: 18 mosquees, 15 mesdjid et 7 tekkes. ·

L'union des ordres des derviches a ete forme en 1973 a Prizren. Cette uion a ete transforme en Communaute des ordres de derviches. La Com­munaute religiuse de Yougoslavie n'a pas reconnu cette Uriion et 'cest pourqoui fut cree le Centre des tarikat en Bosnie-Herzegovine, controle par IVZ (Communaute religieuse). Ona forme egalement les comites des tekkes de Bosnie-Herzegovine. Chaque tekke a son comite et le coordina-. .

. 15 n y avalt a. ce moment ı~ sept tekkes a. Sarajevo et dans ses environs : le tekke · de Sinan, le tekke de Ben basa (mevlevt), le tel{ke de -Mlinl (nakchibendi), le tekke de Vukelici, celui d'Oglavak, de ViSoko et de Tra.vnik. Les autres tekkes de Yougoslavie notamment ceux de Kosovo et de Macedoine, con'tjnuerent de pratiquer leur zfkr.

16 Lors de la fermeture du tekke de Sinan, son cheikh se -trouvait a Kosovska Mitrovica. A partlr de 1969. F. Hdzibajric donne des conferences sur la Mesnevi de Djalaluddin Rumi dans ce tekke. Cf. F . Hadzibajric : «Tesawuf i tekije:ı>, Islamska misao, 6/1, Sarajevo, 1979, p. 18-20.

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teur de tous les tekkes est le cheikh du tekke de Sinan, Fejzulah Hadzibaj­ric. Le comite du tekke de Sinan fut fonde en 1979.

Nous . avons dit que les documents de tekke avait ete brüles dans .differents incendies~ C'est pourquoi ·on ignore les noms de tous les .cheikh precedents Ka'imi Baba qui fut la personnalite la plus connue du tekke.

Apres ~ui, differents cheikhs se succederent: Mehmed Tokatlı ( dont · le tombeau se trouve dans la cour du tekke), Hajrudin (deuxieme moitie du 1$eine s.), Sakir, Hasan Dalagija (mort en 1855), Salih Cvancika (mort en 1875), cheikh Ethem etenfin Nasir Misirlic (mort en 1957)m.

Le cheikh actuel, Fejzulah Hadzi'bajric a acqis ce titre en 1965 dans le tekke d'Ayni Ali Baba .d'Istanbul grace au cheikh de l'ordre Kadiri Seyyid Muhyuddin Ensari al-Ezerdjani.

Le cheikh Fejzulah est ·devenu derV'iche le 27 juin 1939; son cheikh etait Hadii Selim Sami de Vucitrııo (il n'ex.istait a l'epoque que la med­resse a Vucitrno). I1 allait souvent au tekke de Sinan comme enfent car

- sa tante eta:it la fe:tnme du cheikh Ethem Misirli'C - Cvancika11•

La pratique du tekke et son activite impliques :

1. le comportement dans le tarikat,

2. la controle de la connaissance de l'islam,

3. la poesie de tekke (chants),

4. le progres dans la connaissance de la religion islamique,.

· 5. les .degres de tarikat.

Aujourd'hui, le tekke reuı'ıit six deryiches (dont l'un est des Etats Unis) et les muhibb · (sympathisants). (II n'y ·a •pas de vrais derviches a Tİ'avnik.) Le muhibb porte une calotte nomme eulah, le murid (le der­viche •ıui a fait le serment - bey'at) obtient d'habitude le saruk (le ruban auteur de la calotte. Le cheikh porte le tadj. Le signe des kadiri est la couleur verte du ruban de la calotte. Selon les reves et le;:; sensation intui­tives des mubibb, le cheikh decide si un muhibb est miir pour devenir murid.

16a Cf. s. Sikiric : «Sarajevske tekije», Narodna starına, VI/14, 1, Sarajevo, 192~. p. 77-79; M. Kalabic, «Hadzi Slnanova tekija», GZM, I/II, Sarajevo, 1890, p. 143-148; F. Hadzlbajric, op. cit.

17 Communicatıon du cheikh Hadzibajric.

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Les derviches payent une co~isation (mille dinars par mois) et c'est ainsi que le tekke est entretenu. Il reçoit egalement des aumônes.

Le zikr a lieu chaııue jeudi soir.. n est considere comme regulier (or­dinaire) et se pratiııue as~is. Tol.is les premiens du mois de l'Hegire on pratique le zikr debout. En dehors du zikr ordinaire, le rituel peut avoir lieu lors de fetes religieus~s. a l'occasion d'un mevlud ou ala demande de celui qlıi le d.esire en l'honneur de la perso:İı.ne d~ son choix. Ces zikr sont egalement prati<ıue~ debout.

· Le. rituel de ce tekke commence par les prieres. Les esmd-i HUda sont cites a la fin. Trois nom de Dieu sont obligatoires : La ilahe ina-Llah, Alllıh et · Hu, ensuite vie~ent · Hayy, Hak,. Kayyum, Kahhar et leurs combinai~~ns :Allah İlayy, Daim, H'Lf; Hak, Kahhar, Samed Ehad ete. Selon le. cheikh Hedzibajric, il y a sept noms de bases comme il y a sept imam et. sept mekam chez les· kadiri: et chaq1:1e nom est «influence par quatre-vingt~di~-n,euf · noms de Dieu»18

• Le cheikh affirme qu'il es SY;IDpathisans du chiisme. et .qu'il croit en _douze ·imam, implorant l'evenement de Kerbela, et venerant . 'Nl, ses fils et Fatime. Selon lui, il n'y a pas de musulmans qui n'aiment pas Fatime. Toutefois, il se sent avant tou~ sunite. Le cheikh Fejzulah ne croit pas amr visionnares m~is il croit en 'ilm-i djifr. Il n a pas de succes seur. Il sera remplace par le vekil du tekke et le President du Comite de tekke - Orman.

Pendant le rituel, les derviches chıi.nterit egalement des ilahi (chants religieux) des poetes soufis. Dans ce tekke le souvenir de Ka'imi Baba

· demeure encore .vivant de nos jours. Les derviches chantent entre autres l'un de ses poemes dont r.efrain est Allah deyen dervi§ler.

Pourquoi Hasan Ka'imi Baba est-il connu?

·Nou.S avons dit que c'eta:if un poete du 17eme siecle. Jl est l'auteur de deux recueils de poesies en langu turque-ottomane (Divan I et Divan , II dit Varidat - Inspirations divines). Ka'mi est devenu celebre surtout grace a son deuxieme Divan - v aridtit qui annonça certains evenements politiques. Par exemple, · ıe hazard a voulu qu'il ait prevu, grace a l'ilm-i (ijifr, ıa . date finale de la guerre de Crete (1669) d;ou sa celebrite pendant des siecles. ·

. De plus, de nombrauses tra.çlitions ont fait de Ka'imi le chef des in­surges de Sarajevo en 1682. Nous m'avons, malheureasement pas trouve

18 Ibid.

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de documents historiques confirmant la participation de Ka'imi Baba a cette insurreotion. Le cherkh Fejzullah lui-meme croit que Ka'imi fut le chef des paysans revoltes. Il pense egalement que ·ıe poete a pu deviner la date de la fin de la guerre· de Crete non seulement grace a l"ilm-i djifr mais aussi grace, peut-etre, a son ilham - inspiration19• Ka'imi est mort . a Zvornik en 1103/16912°.

Un autre poete bosniaque, renomme, de l'ürdre kadiri est Meyli Gurani, mort en 1125/1713. Selon la tradition, il fut lui aussi cheikh du tekke de Sinan. Meyli Gurani est surtout connu cqmme auteur de ciıro­nogrames. Il est egalement l'auteur de belles inscriptions de tekke de Sinan Aga ..

Citons, enfin, le nom de Baseski du 18eme siecle, l'auteur de la Ghroniq-ue, redigee en langÜe turque et traduite en serbocroate. C'est un documeııt precieux concernant le passe culturel de Bosnie-Herze­govine.

19 Ibid. 20 Cf. J. Samic <Le Divan de ~aimi» , these de doctorat d'Etat soutenue a la

Sorbonne en janvler 1984.