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Le Praticien en anesthésie réanimation (2010) 14, 80—84 MISE AU POINT Effets de l’alitement sur le métabolisme musculaire Effects of bedrest on muscle metabolism Jean-Charles Preiser , Christophe De Prato, Lauriane Peters, Marie-Hélène Bastin Service de soins intensifs généraux, CHU, domaine universitaire du Sart-Tilman, 4000 Liège, Belgique Disponible sur Internet le 13 mai 2010 MOTS CLÉS Muscle ; Alitement ; Soins intensifs ; Atrophie musculaire ; Mobilisation Résumé Lors d’un séjour prolongé en réanimation, une atrophie musculaire ou sarcopénie est systématiquement observée et provoque de multiples conséquences fonctionnelles à long terme. Les causes en sont multiples, comportant notamment une série de modifications biochi- miques intrinsèques du muscle, et des facteurs extrinsèques dont l’altération de l’innervation, la réponse neuro-endocrinienne au stress métabolique, la libération des médiateurs inflamma- toires et l’accroissement du stress oxydant. De plus, la provision de glucose, indispensable aux tissus nécessaires à la survie après agression, est assurée au prix de la mobilisation des acides aminés musculaires qui servent de substrats pour la néoglucogenèse. L’importance de la sar- copénie peut être évaluée cliniquement et la protéolyse musculaire peut être évaluée par la mesure du rapport 3-méthylhistidine/créatinine urinaire, reflet du catabolisme myofibrillaire. La prévention et le traitement reposent sur une approche multimodale comprenant la lutte contre l’immobilité, la préservation de l’innervation, la modulation de la réponse hormonale et l’optimisation des apports nutritionnels est indispensable. Une mobilisation active ou passive est recommandable en complément des mesures de modulation métabolique et nutritionnelle. © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Muscle; Bedrest; Intensive care; Muscle atrophy; Mobilisation Summary During a prolonged stay in an intensive care unit, muscular atrophy is syste- matically observed that induces several long-term functional consequences. A series of contributing factors have been identified, including biochemical alterations of the muscle itself, impairment in muscle neural drive, neuro-endocrine stress response, and the effects of inflammatory mediators and increased oxidative stress. Moreover, maintaining the provision of glucose to tissues implies mobilization of muscular aminoacids, used as neoglucogenic substrates. The importance of the sarcopenia can be assessed by repeated clinical evaluations. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J.-C. Preiser). 1279-7960/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.pratan.2010.03.001

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Page 1: Effets de l’alitement sur le métabolisme musculaire

Le Praticien en anesthésie réanimation (2010) 14, 80—84

MISE AU POINT

Effets de l’alitement sur le métabolisme musculaire

Effects of bedrest on muscle metabolism

Jean-Charles Preiser ∗, Christophe De Prato,Lauriane Peters, Marie-Hélène Bastin

Service de soins intensifs généraux, CHU, domaine universitaire du Sart-Tilman,4000 Liège, Belgique

Disponible sur Internet le 13 mai 2010

MOTS CLÉSMuscle ;Alitement ;Soins intensifs ;Atrophie musculaire ;Mobilisation

Résumé Lors d’un séjour prolongé en réanimation, une atrophie musculaire ou sarcopénieest systématiquement observée et provoque de multiples conséquences fonctionnelles à longterme. Les causes en sont multiples, comportant notamment une série de modifications biochi-miques intrinsèques du muscle, et des facteurs extrinsèques dont l’altération de l’innervation,la réponse neuro-endocrinienne au stress métabolique, la libération des médiateurs inflamma-toires et l’accroissement du stress oxydant. De plus, la provision de glucose, indispensable auxtissus nécessaires à la survie après agression, est assurée au prix de la mobilisation des acidesaminés musculaires qui servent de substrats pour la néoglucogenèse. L’importance de la sar-copénie peut être évaluée cliniquement et la protéolyse musculaire peut être évaluée par lamesure du rapport 3-méthylhistidine/créatinine urinaire, reflet du catabolisme myofibrillaire.La prévention et le traitement reposent sur une approche multimodale comprenant la luttecontre l’immobilité, la préservation de l’innervation, la modulation de la réponse hormonaleet l’optimisation des apports nutritionnels est indispensable. Une mobilisation active ou passiveest recommandable en complément des mesures de modulation métabolique et nutritionnelle.© 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSMuscle;Bedrest;Intensive care;Muscle atrophy;

Summary During a prolonged stay in an intensive care unit, muscular atrophy is syste-matically observed that induces several long-term functional consequences. A series ofcontributing factors have been identified, including biochemical alterations of the muscleitself, impairment in muscle neural drive, neuro-endocrine stress response, and the effects ofinflammatory mediators and increased oxidative stress. Moreover, maintaining the provision

Mobilisation of glucose to tissues implies mobilization of muscular aminoacids, used as neoglucogenicsubstrates. The importance of the sarcopenia can be assessed by repeated clinical evaluations.

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (J.-C. Preiser).

1279-7960/$ — see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.pratan.2010.03.001

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Muscular proteolysis is evaluated on the ratio of urinary concentrations of 3-methylhistidine-to-creatinine, an index of myofibrils’ breakdown. Both prevention and treatment of muscularatrophy related to critical illness, require a multimodal approach, including early active orpassive mobilization, the preservation of neural drive, modulation of the hormonal responseand optimisation of nutritional support.© 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

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• En situation « d’agression », une atrophie musculaireaccompagne systématiquement un alitementprolongé.

• La perte de protéines musculaires atteint 1 à 2 kg parsemaine.

• Les répercussions fonctionnelles prédominent auniveau des muscles proximaux.

• L’atrophie et le déficit fonctionnels des muscles sontliés à des facteurs intrinsèques et extrinsèques.

• Les facteurs extrinsèques comportent l’inactivitéphysique, l’altération de l’innervation, la réponseneuro-endocrinienne au stress, les médiateursinflammatoires, le stress oxydant et la dénutrition.

• Les modalités de prévention de la sarcopénie et/oude la dysfonction musculaire du malade agressécomportent la mobilisation précoce, active oupassive, l’évitement des thérapeutiques à risque depolyneuropathie, et des apports nutritionnels visant25 kcal/kg par jour et 1,2 à 1,5 g de protéines/kg parjour.

Introduction

Au plan musculaire, les conséquences fonctionnelles d’unalitement prolongé peuvent être particulièrement dévasta-trices. De nombreux patients ayant séjourné de manière pro-longée en réanimation présentent en effet un déficit majeurde la force musculaire qui les empêche de retourner à unniveau d’activité antérieur. Ce déficit fonctionnel retardele retour à un niveau d’autonomie satisfaisant et a donc unimpact considérable sur la qualité de vie des patients [1].

« L’atrophie musculaire », qui survient systématiquementdans cette situation, est définie comme la diminution duvolume d’un muscle et plus précisément, comme la dimi-nution de la surface transversale des fibres composant lemuscle. L’atrophie musculaire, aussi décrite sous le termede sarcopénie, est connue depuis bien longtemps commeconséquence de l’alitement prolongé, mais est largementamplifiée chez certains patients de réanimation en état sep-tique grave. En effet, dans cette situation, un catabolismemusculaire intense est responsable d’une perte de muscle

squelettique, reflétée par une balance azotée négative. Lesmécanismes sous-jacents à cette « fonte » musculaire nesont que partiellement élucidés ; il semble que la voie del’ubiquitine-protéasome joue un rôle central dans la pro-téolyse [2,3].

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trophie musculaire

ous les tissus de l’organisme comme le muscle squelet-ique subissent un remodelage permanent permettant leemplacement des parties altérées et assurant ainsi le main-ien de l’intégrité de leurs fonctions. Les protéines, donte rôle est aussi bien contractile, structurel que métabo-ique, sont une composante essentielle du muscle. Leurenouvellement permanent dépend de processus biochi-iques complexes qui impliquent simultanément la synthèse

t le catabolisme. Les protéines du muscle servent à laois de structure de base nécessaire à l’accomplissementu mouvement mais sont aussi le support de l’activitéétabolique lorsqu’elles interviennent dans les activités

ellulaires (récepteurs, enzymes, transporteurs, signauxntracellulaires...). Ces deux systèmes sont indissociables etnteragissent en permanence de manière à adapter les fonc-ions musculaires aux différentes contraintes mécaniquesans des conditions métaboliques variées. L’équilibre entreynthèse et catabolisme conditionne la conservation de laasse des protéines musculaires.

’atrophie musculaire aux soins intensifs :onnées quantitatives

ne longue hospitalisation dans un service de soins inten-ifs conduit de facon quasi inéluctable à une atrophieusculaire. La perte du capital protéique excède d’ailleurs

a perte pondérale : les études de composition corporellee Hill et Jonathan [4] ont montré que pour une perte deoids de 5 % de la valeur à l’admission, la perte de masserotéique pouvait atteindre 17 % !

L’amplitude de la fonte musculaire peut être évaluéear plusieurs méthodes. L’excrétion urinaire d’azote repré-ente un reflet global du catabolisme protéique, alorsue la mesure du rapport des concentrations urinairese 3-méthylhistidine et de créatinine (3MH/Cr) consti-ue un reflet du catabolisme myofibrillaire. Le recours

l’échographie permet un autre type d’approche quan-itative de la masse musculaire réalisable au lit dualade.Quelle que soit la méthode d’évaluation, la fonte

usculaire est généralement maximale lors de la deuxièmeemaine d’alitement après agression. La perte de protéinesst de l’ordre de 1 à 2 g/kg par jour, soit 1 à 2 kg paremaine d’alitement en réanimation. Pour une synthèse des

rotéines musculaires « normale », la protéolyse excessivenduira après quatre semaines la perte d’environ 1,5 kg nete protéines, soit 9 kg de muscle. L’échographie musculaireontre par exemple une diminution de l’épaisseur du biceps

1,6 % par jour) [5]. La perte de protéines musculaires de

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ujets non agressés mais alités pendant une même duréest deux fois moindre.

Au plan fonctionnel, les répercussions de la sarcopénieont assez difficiles à quantifier. De plus, si elle est majeure,’atrophie musculaire ne touche pas tous les groupes mus-ulaires avec la même intensité. En effet, l’alitement’accompagne d’une perte des efforts contre la pesanteurinsi que d’une diminution de l’intensité et du nombre deontractions musculaires qui implique surtout les musclesosturaux. L’évaluation par le score semi-quantitatif duedical Research Council (MRC) a permis de démontrer uneerte significative de la force musculaire chez 25 % desatients ventilés plus de sept jours [6]. Ce déficit fonction-el prédominait sur les muscles proximaux. De même, laorce maximale que produisent les extenseurs des genouxst diminuée de 20 % après 30 jours d’immobilisation.

spects histologiques

près 30 jours d’immobilisation, le diamètre transversal desuscles des membres inférieurs diminue de 6 à 10 %. D’unoint de vue histologique, le diamètre transversal des fibresentes oxydatives (type I) diminue moins que celui desbres rapides glycolytiques (type IIb). On a pu constateres modifications structurelles des fibres et notamment desnomalies des lignes Z, des désorganisations des protéinesyofibrillaires, des œdèmes cellulaires et des probables

uptures du sarcolemme avec comme conséquence uneéduction de la force produite par ces mêmes muscles.

acteurs étiologiques

e toute évidence, l’atrophie musculaire et le déficit fonc-ionnel sont liés. Cependant, la dysfonction d’un muscle’est pas toujours proportionnelle à son degré d’atrophie,uggérant que les mécanismes étiologiques peuvent diffé-er. Schématiquement, on peut regrouper les facteurs à’origine de l’atrophie et/ou de la fonte musculaire enacteurs intrinsèques (intramusculaires) et extrinsèques ouenvironnementaux ».

acteurs intrinsèques

a perte de masse maigre, reflet de la fonte musculaire, estssociée à une série de dysfonctionnements des mécanismese couplage de la production d’énergie à la conversion enctivité mécanique. L’étude de ces modifications en estncore à ses balbutiements chez l’homme alité, en particu-ier chez le malade de réanimation. Cependant, sur base desonnées disponibles, on peut regrouper les dysfonctionne-ents intrinsèques du muscle squelettique après agression

n quatre types :la réduction de l’activité des enzymes glycolytiques etla réduction de l’énergie disponible issue du glycogènehépatique ou musculaire ;le déséquilibre entre l’utilisation et la production d’ATP

qui entraîne une augmentation de la créatine phosphate,une diminution du rapport ATP/ADP et une augmentationdu phosphore inorganique (Pi) ;l’accumulation de calcium intracellulaire et la dégénéres-cence des bandes Z avec diminution de la concentration

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J.-C. Preiser et al.

en fibres à contractions rapides, responsables d’un certaindegré de fatigue musculaire ;les troubles de composition et de perméabilité membra-naire ainsi que les perturbations de fonctionnement de lapompe Na+/K+ que l’agression peut provoquer en dehorsde la dénutrition, peut retentir par les perturbationsde l’électrophysiologie cellulaire et sur la contractilitémusculaire.

Sur le plan clinique, il est évidemment difficile de pro-oser des modalités préventives ou thérapeutiques de cesnomalies. La prise en charge visera plutôt à prévenir outténuer les facteurs extrinsèques.

acteurs extrinsèques

armi les facteurs extrinsèques, ou extramusculaires iden-ifiés comme aggravant la fonte musculaire du sujetgressé, en plus de l’inactivité physique, l’altération de’innervation, la réponse neuro-endocrinienne au stress, lesédiateurs inflammatoires, le stress oxydant et la dénutri-

ion jouent tous un rôle significatif.

ltération de l’innervation’innervation est un déterminant essentiel de la trophicitéusculaire. Deux causes majeures sont liées à l’altératione l’innervation. D’une part, elle peut être le résultates lésions au niveau du système nerveux central. Lesraumatismes médullaires, les complications de chirurgierthopédique ou de neurochirurgie, les polyradiculonévritesiguës inflammatoires, sont autant des causes possibles’atteinte de l’innervation. D’autre part, des lésions ner-euses fonctionnelles peuvent résulter de l’acquisition’une polyneuropathie en réanimation, dont la pathogé-ie est complexe. Parmi les mécanismes incriminés, nousouvons citer une ischémie des nerfs périphériques, consé-uence des altérations de la microcirculation qui compliquees états de choc. Un autre mécanisme fréquent est unegression des axones par les médiateurs de l’inflammationiscutés plus bas. Enfin, les corticoïdes, les curares, les étatseptiques persistants et l’hyperglycémie sévère et prolon-ée jouent un rôle aggravant de ces polyneuropathies.

éponse neuro-endocrinienne au stresse rôle de la réponse neuro-endocrinienne dans les modi-cations du métabolisme post-traumatique a été identifiéans les années 1970—1980. Les modifications métabo-iques, observées lors de cette première phase, seraient’origine réflexe avec comme afférences le système nerveuxériphérique et le système immunitaire via les cytokinesites « pro-inflammatoires », le système nerveux centralomme coordinateur, les hormones de contre-régulation et’activation sympathique comme agents effecteurs. Touteses modifications métaboliques observées durant cetteériode vont constituer le lit de la deuxième phase carac-érisée par une augmentation de la dépense énergétique

e repos avec accroissement de la consommation de glu-ose par les tissus insulino-résistants au détriment des tissusnsulino-dépendants, dont le muscle. Le développemente cette insulino-résistance a pour corollaire un hyper-atabolisme protéique au niveau musculaire, en vue de
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Effets de l’alitement sur le métabolisme musculaire

fournir des acides aminés pour la néoglucogenèse hépatique.L’utilisation des substrats protéiques « périphériques » per-met de préserver les organes essentiels (cerveau, foie,système immunitaire). Le muscle fournit les substrats néo-glucogéniques au foie ; le glucose ainsi formé est exportévers les tissus non insulino-dépendants.

En fait, le phénomène global d’insulino-résistance consti-tue la résultante d’une série d’effets métaboliques médiéspar les neurotransmetteurs, le système nerveux ortho-sympathique, les hormones dites de « contre-régulation »(cortisol, glucagon, hormone de croissance) et des média-teurs inflammatoires. En situation de pathologie chroniquecomme le cancer ou les maladies inflammatoires chroniques,chez le sujet âgé ou obèse, à l’exercice ou lors d’une immo-bilisation prolongée, l’insulino-résistance est déjà présente,mais dans une moindre mesure que lors du diabète de typeII, ou après un stress aigu (chirurgie, trauma, brûlures, infec-tion sévère).

Médiateurs inflammatoires et stress oxydantLes cytokines sont capables de déclencher la réponse neuro-endocrinienne décrite ci-dessus, ainsi qu’une hyperthermiequi va augmenter la dépense énergétique de repos et lebesoin en substrats néoglucogéniques, ainsi que la synthèsedes protéines dites de l’inflammation par le foie et le sys-tème immunitaire. Les acides aminés musculaires serontainsi mobilisés pour faire face à ces synthèses protéiques.

Chez le patient alité, l’immobilisation elle-même sembleinduire au sein des muscles un déséquilibre entre média-teurs anti- et pro-inflammatoires en faveur de ces derniers.Cela contribue au catabolisme protidique, que ce soitdirectement, via la réponse neuro-endocrinienne ou par lastimulation de la formation des radicaux libres de l’oxygèneaboutissant à une majoration de l’agression oxydative.

Aspects bioénergétiques et nutritionnels

Les réserves en substrats énergétiques, évaluées par lestatut nutritionnel, conditionnent la trophicité musculaire.Chez l’homme, les lipides constituent la forme de stockaged’énergie la plus importante quantitativement et avec lemeilleur rendement. Les glucides et les protéines, dans cer-taines situations, servent aussi de réserve énergétique. Lesglucides sont stockés sous la forme de glycogène hépatiqueet musculaire et ces stocks sont consommés en quelquesheures. Les protéines des muscles squelettiques constituentun réservoir important de substrats (alanine, glutamine)capables d’alimenter la gluconéogenèse hépatique et en casd’agression, d’autres acides aminés seront utilisés pour lasynthèse des protéines de la phase aiguë.

Après un jeûne relativement bref, la productiond’énergie se fait principalement par l’oxydation des lipideset un certain nombre de tissus qui utilisent habituellementle glucose (cœur, cortex rénal, muscle squelettique) sontcapables d’oxyder les acides gras ou les corps cétoniques.Au cours de cette phase, la gluconéogenèse hépatique est

stimulée et fournit du glucose à partir du glycérol, lactate,pyruvate et alanine. L’azote, formé à partir des acides ami-nés, entre dans le cycle de l’uréogenèse et est excrété dansles urines entraînant une perte nette d’azote. Si le jeûnese prolonge, plusieurs mécanismes d’adaptation (diminu-

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ion de la dépense énergétique de l’organisme, utilisationes corps cétoniques à la place du glucose) se mettentn place, permettant la survie pendant plusieurs mois. Onbserve ainsi une diminution progressive du catabolismerotéique et de l’excrétion d’azote urinaire. Néanmoins,hez le patient agressé, ces mécanismes de recours sontéficients et le catabolisme protéique persiste.

spects préventifs et thérapeutiques

our agir sur la fonte musculaire du patient de soins inten-ifs, particulièrement si ce dernier est ventilé, une prisen charge multimodale est bien entendu indispensable.elle-ci comprend notamment la lutte contre l’immobilité,

a préservation de l’innervation, la modulation de laéponse hormonale et l’optimisation des apports nutri-ionnels. Nous envisagerons successivement ces différentsspects.

obilisation précoce

es bienfaits de l’exercice physique sur la trophicitéusculaire sont bien connus. S’il est admis que la fonteusculaire d’un sujet sain alité peut être prévenue par une

ctivité musculaire régulière, la réalité de la réanimationst différente. La kinésithérapie quotidienne des patients deéanimation est basée sur la mobilisation active et passive.a mobilisation active (séances quotidiennes d’exercicessotoniques et résistifs) offre des perspectives intéressantesu niveau du déconditionnement musculaire. Le bénéfice dea mobilisation passive en réanimation est en revanche peuvalué et fait l’objet de plusieurs études. L’une des étudesonsacrées à ce sujet a comparé la mobilisation passiveécanique d’un membre par rapport au membre contro-

atéral. La mobilisation était quotidienne et répartie enrois séances d’une heure [7]. L’étude a été effectuée surne période de sept jours, les données recueillies concer-aient cinq personnes. Des biopsies musculaires réaliséesur chaque membre en début et fin de traitement ont mon-ré que la surface des fibres du membre mobilisé augmentaite 11 % alors que celle du membre témoin diminuait de 35 %hez les patients les plus sévèrement atteints. La préventione l’atrophie prédominait sur les fibres de type I. Il sembleonc que la mobilisation passive pourrait chez certaines per-onnes prévenir l’atrophie des fibres musculaires.

Sur un plan pratique, Burtin et al. ont récemment réa-isé une étude sur des patients hospitalisés en soins intensifsepuis sept jours [8]. Les patients du groupe témoin bénéfi-iaient des séances de kinésithérapie respiratoire adaptéesleurs besoins ainsi que des séances de mobilisation pour

es membres supérieurs et inférieurs, cela cinq fois paremaine. L’intensité des exercices était augmentée progres-ivement et en fonction des capacités du patient. Le groupetraité » bénéficiait en plus de séances de cycloergomètreurant 20 minutes à raison de 20 cycles par minute et celainq jours par semaine. Cette étude a démontré que ce trai-

ement de mobilisation active améliorait la récupération dea capacité motrice, la sensibilité et la force musculaire.e même, une étude réalisée par Schweickert et al. [9]hez des patients de réanimation ventilés, a montré quea mobilisation précoce, passive chez les patients incons-
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ients, puis active sous forme d’exercices au lit puis de levert finalement de marche permettait de réduire la durée deentilation et l’améliorer l’état fonctionnel à la sortie duervice de l’hôpital.

Sur base de ces données, nous avons émis l’hypothèse quea mobilisation passive par cycloergomètre chez des patientsnconscients pouvait permettre une meilleure conservatione la masse musculaire et une diminution de la protéolyse10]. Un groupe de sept patients était mobilisé de manièreassive à l’aide du cycloergomètre à raison de deux fois0 minutes par jour, durant dix jours, à la vitesse angu-aire de 20 tours par minute. L’autre groupe de sept patientsénéficiait de séances de kinésithérapie standard et ser-ait de groupe témoin. Pour chaque patient, les apportsutritionnels, les périmètres de cuisses et de mollet, unelectromyographie, le bilan azoté et le rapport 3MH/Cr,eflet du catabolisme musculaire, ont été enregistrés auébut et à la fin de la période de traitement. À la fin du trai-ement, nous avons pu confirmer l’hypothèse de la réductione la protéolyse musculaire par la mobilisation passive surycloergomètre, par l’évolution comparative du bilan azotét du rapport 3MH/Cr [10].

réserver l’innervation

réserver l’innervation implique de lutter contre les fac-eurs contribuant à la genèse des polyneuropathies deéanimation. Si l’essentiel des facteurs de risque est laévérité du tableau clinique, il convient d’être attentifux traitements qui augmentent les risques de poly-europathie (myorelaxants, corticoïdes, aminoglycosides).’hyperglycémie est un autre de ces facteurs et il conviendrae la limiter. Le positionnement du patient est égalementmportant ; en effet, il faut éviter la compression éventuelle’un nerf, la compression du sciatique poplité externe sura tête du péroné est un exemple connu des complicationse l’hyperrotation externe de hanche du patient comateuxu sous sédation.

oduler les déséquilibres hormonaux

’impact des nombreux déséquilibres hormonaux sur’anabolisme et le catabolisme musculaire est majeur.es hormones de la contre-régulation exercent des effetsataboliques importants sur les protéines musculaires, quieuvent être antagonisés par l’insulinothérapie intensive,’hormone de croissance ou l’IGF-1 et les androgènes. Cesifférentes stratégies ont été validées, à savoir qu’ellesiminuaient l’incidence des polyneuropathies ou l’intensitéu catabolisme protéiques, mais la mortalité des patientsraités par insulinothérapie intensive ou hormone de crois-ance a été augmentée lorsque testées à grande échelle. Dèsors, ce type d’approche « anabolisante » n’est actuellementas recommandé en réanimation.

Enfin, les corticostéroïdes, connus pour leur effet cata-olique, sont considérés comme étant un facteur de risquendépendant de dysfonction musculaire. Dès lors, les dosest durée de traitement seront réduits au minimum pourtténuer le risque de sarcopénie.

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J.-C. Preiser et al.

ptimiser les apports nutritionnels

’optimisation des apports nutritionnels est une composanteajeure de la lutte contre l’atrophie. La nutrition inclutes apports énergétiques, ainsi que la supplémentationn protéines et acides aminés ; les thérapies antioxy-antes sont également inclues. Le bénéfice qu’apporte unehérapeutique nutritionnelle ne concerne pas seulemente système musculaire mais également de multiples sys-èmes, notamment celui de l’immunité. En termes d’apportsalorico-azotés, « un apport de substrats énergétiques cor-espondant à 25 kcal/kg par jour et un apport protéique de,2 à 1,5 g protéines/kg par jour sont actuellement recom-andés ». Chez le malade de réanimation, ni un apport

alorique, ni un apport protéique supérieurs n’ont per-is d’augmenter la masse ou la synthèse de protéinesusculaire, contrairement aux attentes.En conclusion, les stratégies à mettre en œuvre pour la

réservation de la masse et de la fonctionnalité musculaireors d’un séjour en réanimation nécessitent une approcheultidisciplinaire, systématique et intégrée.

onflit d’intérêt

ucun.

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