enfants du mékong n°170

24
Enfants du Mékong AIDE À L’ENFANCE DU SUD-EST ASIATIQUE N°170 NOVEMBRE - DÉCEMBRE 2011 2,40 MAGAZINE www.enfantsdumekong.com THAÏLANDE Sous les eaux Seconde chance Seconde chance Philippines Philippines

Upload: gautier-jean-matthieu

Post on 22-Mar-2016

220 views

Category:

Documents


1 download

DESCRIPTION

Thaïlande : Bangkok est une île Les terribles inondations qui frappent laThaïlande depuis septembre ont focalisé́l’attention des médias sur la seule capitaleBangkok. Mais les sacrifices consentis poursauver la ville mettent en lumière de cruellesinégalités propres au pays du sourire. Philippines : seconde chance Unique en son genre, le programme « Marcel Van – Seconde chance permet à de jeunes délinquants philippins de 17 à 23ans de se bâtirune nouvelle vie.

TRANSCRIPT

Page 1: Enfants du Mékong n°170

Enfantsdu MékongA I D E À L ’ E N F A N C E D U S U D - E S T A S I A T I Q U E

N°170NOVEMBRE -

DÉCEMBRE 20112,40 €

MAGAZ INE

www.enfantsdumekong.com

THAÏLANDESous les eaux

Seconde chanceSeconde chancePhilippinesPhilippines

Page 2: Enfants du Mékong n°170

Voyage en Asie 3

Thaïlande Bangkok est une île 4

Asie du Sud-Est En bref 9

Cambodge « Un peuple à la fois

endurci et fragile » 10

Philippines « Ici, on ne badine

pas avec l’humain » 11

En direct 14

TémoignageChronique d’un parrainage 15

Notre actionComment nous aider ? 17

Nos délégations Agenda, échos,

annonces 18

Courrier 19

Chronique d’Asie Musée Guimet :

« Concilier exigence savante et

exigence du public » 20

Livres 22

Points chauds

Éditorial

Regards sur l’Asie

Découvrir

Agir

Rédaction MAGAZINE5, rue de la Comète 92600 Asnières-sur-Seine • Tél. : 01 47 91 00 84 • Fax : 01 47 33 40 44 • Fondateur René Péchard (†) • Directrice de la publicationChristine Lortholary-Nguyen • Rédacteur en chef Geoffroy Caillet • Rédacteur Jean-Matthieu Gautier • Couverture « Marcel Van – Seconde chance »© A. de Barry • Maquette Florence Vandermarlière • Impression Éditions C.L.D. 91, rue du Maréchal-Juin 49000 Angers •Tél. : 02 47 28 20 68 • I.S.S.N. : 0222-6375 • Commission Paritaire n° 1111G80989 • Dépôt légal n° 910514 • Tirage du n°170 : 25 000 exemplairesPublication bimestrielle éditée par l’association Enfants du Mékong • Présidente Christine Lortholary-Nguyen • Présidents d’honneurFrançoise Texier, François Foucart • Directeur général Yves Meaudre • Abonnement (1 an, 5 numéros) : 12 euros

4

11

> Sommaire n°170

©E.diMasso

20

15

Page 3: Enfants du Mékong n°170

> Éditorial

Voyage en Asie

MAGAZINE N°170 � NOVEMBRE - DÉCEMBRE 2011 � 3

A vec Yves Meaudre et Guillaume d’Aboville, notreresponsable de la communication, nous revenons

du Cambodge et des Philippines. Nous y avons rencon-tré nos filleuls, nos partenaires locaux et bien sûr nosvolontaires Bambous. Nous avons pu constater com-bien nos enfants s’épanouissent pleinement dans nos

foyers, où ils trouvent un environnement familial et une ambiance de tra-vail. Nous avons échangé avec beaucoup d’entre eux : ils sont très atta-chés à leur parrain ou marraine et conscients de l’opportunité qui leur estofferte d’accéder à un travail décent. Au centre Docteur ChristopheMérieux de Phnom Penh, d’anciens étudiants venus des quatre coins dupays nous avaient organisé une soirée. Quelle récompense de voir cesjeunes bilingues, voire trilingues, ingénieurs, commerciaux... Ils soutien-nent désormais leurs frères et sœurs.Dans l’esprit de notre réflexion sur les bidonvilles, nous nous sommes

rendus aux Philippines, à Manille et à Cebu. Nous y avons rencontré plu-sieurs de nos partenaires locaux, français et philippins, et constaté leurextraordinaire travail auprès des enfants des rues. Petite goutte d’eau, maisô combien utile, dans cet univers d’inhumanité. Même en accédant à untravail régulier, les populations continuent pourtant de vivre dans ces bidon-villes, ne trouvant souvent pas à se loger dans un habitat correct. Nousavons donc décidé de travailler à la racine du problème en concentrantnotre aide sur l’île de Samar, d’où la plupart d’entre eux sont originaires.Avec votre soutien, nous voudrions y développer les parrainages scolaireset ouvrir des foyers d’étudiants afin de stabiliser les familles en province.Avant notre retour en France, nous avons séjourné à Bangkok. Si nos filleuls

n’ont pas été touchés directement par les inondations, nous sommes soucieuxdes conséquences économiques de cette catastrophe, illustrées par le repor-tage que vous lirez dans ce numéro, dont vont souffrir les plus fragiles.Nous revenons de notre mission plus convaincus que jamais de l’efficacité

de notre action auprès des enfants nécessiteux. L’aide à la scolarisationpar le soutien d’initiatives locales avec des partenaires dévoués, le travailde qualité de nos Bambous ont permis et permettront à des milliers d’enfantsde sortir de la misère. En ce temps de lumière et d’espérance d’un mondemeilleur, toute l’équipe d’Enfants du Mékong en France et en Asie se jointà moi pour vous souhaiter un très joyeux Noël !

Christine Lortholary-NguyenPrésidente d’Enfants du Mékong

Page 4: Enfants du Mékong n°170

Points chauds > Thaïlande

4 � N°170 � NOVEMBRE - DÉCEMBRE 2011 MAGAZINE

BANGKOKEST UNE ÎLELes terribles inondations qui frappent laThaïlande depuis septembre ont focalisél’attention des médias sur la seule capitaleBangkok. Mais les sacrifices consentis poursauver la ville mettent en lumière de cruellesinégalités propres au pays du sourire.

Les terribles inondations qui frappent laThaïlande depuis septembre ont focalisél’attention des médias sur la seule capitaleBangkok. Mais les sacrifices consentis poursauver la ville mettent en lumière de cruellesinégalités propres au pays du sourire.

De notre envoyé spécial : Jean-Matthieu Gautier

Page 5: Enfants du Mékong n°170

MAGAZINE N°170 � NOVEMBRE - DÉCEMBRE 2011 � 5

Face aux pires inondations de leur histoire, les habitants de Bangkok

s’organisent au jour le jour. À l’heure de sortie des bureaux, rentrer chez

soi relève parfois du casse-tête. Pourtant, deux mois après le début de

la catastrophe, ils font toujours preuve d’un stoïcisme étonnant.

Page 6: Enfants du Mékong n°170

6 � N°170 � NOVEMBRE - DÉCEMBRE 2011 MAGAZINE

Points chauds > Thaïlande

En arrivantau cœur de

Bangkok, moite,polluée, bruyante,attachante pourtant,on est frappé par unconstat cinglant : lesberges de la rivièreChao Phraya ressem-

blent au Rivage des Syrtes. Rien ne s’ypasse ou presque. À cette heure encore,Bangkok est une île partiellement iso-lée et prise au piège des eaux que lespouvoirs publics s’emploient à détour-ner au moyen d’un système de bar-rages, par l’ouest ou l’est, vers le golfede Thaïlande.Sur les rives de la Chao Phraya qui

sinue tranquillement à travers la ville,on pense à Henri Mouhot, le « décou-vreur » de Luang Prabang, qui, devantle spectacle de marmots se jetant dansle Mékong, soulignait que « la situation

même du pays tend à rendre amphibiesses habitants ». Le constat est péni-blement le même ici. Les habitants deBangkok sont condamnés à deveniramphibies ou à migrer ailleurs, commele suggèrent une vingtaine de députésdu parti au pouvoir qui militent depuispeu pour la création d’une « commis-sion chargée de réfléchir à l’opportunitéde changer de capitale ou de créer unedeuxième capitale ».

Sauver Bangkok, sauver la faceBangkok s’enfonce aujourd’hui sousles eaux. Et, tous les scientifiquess’accordent pour le dire, la seule mous-son de cette année, même importante,ne suffit pas à expliquer l’ampleur dudésastre. La véritable raison, c’est lacroissance démographique démentiellequ’a connue la capitale thaïlandaiseen moins de 50 ans, jusqu’à atteindreaujourd’hui 12 millions d’habitants.

Pour y faire face, il a fallu construiretoujours plus d’habitations et béton-ner les canaux qui parcouraient laville. Privés de ceux-ci, la Chao Phrayas’est retrouvée seule à la barre pourévacuer les eaux qui, après chaquemousson, tracent naturellement leursillon des montagnes du nord de laThaïlande à la mer.À cela s’ajoute mécaniquement un

pompage excessif de la nappe phréa-tique qui a amené la capitale às’enfoncer d’environ 10 centimètre paran à la fin des années 70. Officiellementce rythme aurait baissé, mais rien n’estmoins sûr, affirment certains experts.Pour contrer la menace, pour sauverBangkok – et la face vis à vis des Occi-dentaux, comme a pu le suggérer le fraî-chement élu mais déjà très décrié Pre-mier ministre Yingluck Shinawatra – ona bétonné les abords de la capitale, ins-tallé des sacs de sable et évacué la

Avec près de 30 milliards de dollars de pertes, le bilan

Phnom Penh

Vientiane

Golfe deThaïlande

THAÏLANDE

CAMBODGE

LAOS200 Km

Golfe deThaïlande

Mékong

Bangkok

©idé

Autre conséquence des inondations : la difficulté

pour les commerçants à s’approvisionner, qui a provo-

qué l’émergence de marchés informels, souvent flot-

tants comme ici, et fortement marqués par l’inflation.

Page 7: Enfants du Mékong n°170

MAGAZINE N°170 � NOVEMBRE - DÉCEMBRE 2011 � 7

BBLLOOQQUUÉÉEESSDDeess cceennttaaiinneess dd’’eennttrreepprriisseess iinntteerrnnaattiioo--nnaalleess ttoottaalleemmeenntt bbllooqquuééeess ddaannss lleeuurrcchhaaîînnee ddee pprroodduuccttiioonn ppoouurr lleess sseecctteeuurrssddeess nnoouuvveelllleess tteecchhnnoollooggiieess ((NNiikkoonn,, SSoonnyy,,CCaannoonn,, SSaammssuunngg,, PPiioonneeeerr,, PPaannaassoonniicc,,WWeesstteerrnn DDiiggiittaall,, LLeennoovvoo……)) eett ddeell’’aauuttoommoobbiillee ((TTooyyoottaa,, HHoonnddaa……))..

Avec près de 30 milliards de dollars de pertes, le bilan est beaucoup plus lourd que celui du tsunami de 2004.

Le ciment semble encore frais

sur ce petit muret bâti à la hâte

et destiné à protéger ce magasin

de la montée des eaux.

population. Mais au bout de quelquessemaines de ce régime minceur, elled’ordinaire si placide en a eu assez.Assez du sacrifice des pauvres pour sau-ver les plus riches.Au nord, à l’ouest, à l’est, partout où

des barrages ont été érigés, des habi-tants excédés ont décidé de faire tom-ber les digues. La police est venue ymettre bon ordre, mais le symboledemeure. Il illustre l’immense problèmede Bangkok, celui qui malmène la Thaï-lande tout entière depuis des années :

une certaine forme de cécité, l’inca-pacité de la riche capitale à entendreles problèmes des provinces pauvres dupays. En somme, son isolement. Unedichotomie déjà illustrée par le conflitpolitique qui oppose les chemisesrouges, le plus souvent issues des pro-vinces rurales, et les jaunes, majori-tairement habitants de Bangkok.

Sortir de BangkokIl faut sortir du centre, riche, sec etfébrile, de Bangkok pour réaliser queles deux tiers de la capitale du royaumese trouvent en réalité sous l’eau. À unarrêt de bus, au nord de la ville, dansle district de Chatuchak, deux ou troispersonnes attendent, de l’eau jusqu’àmi-cuisse. Ils font partie des habitantsqui ont décidé de rester chez eux mal-gré l’évacuation du quartier par lesautorités. Ils ont pris le pli des inonda-

tions. Ils s’adaptent. Tout le mondes’adapte, d’ailleurs. À deux pas de là,les motos-taxis ont troqué leur véhiculecontre de petites barques et les ven-deurs de rue, chaussés de bottes, ontsurélevé leurs étals pour continuer àvendre leurs denrées.À deux heures de route à l’ouest de

Bangkok en temps ordinaire et cinqaujourd’hui, le petit village de Ban Lans’adapte lui aussi. Maewtong Thanakorna dû évacuer sa maison et vit désormaisdans une tente, installée sur un terre-plein qui jouxte la route. Son voisin aété plus prévoyant. Il a astucieusementbouché toutes les issues par lesquellesl’eau pourrait s’infiltrer dans sa maison,construit de petits murs de ciment, obs-trué les ouvertures à l’aide de sacs desable… L’eau entre tout de même, spo-radiquement, et pour l’évacuer, Mon-sieur Pumpuang a acheté une pompe

Page 8: Enfants du Mékong n°170

Points chauds > Thaïlande

8 � N°170 � NOVEMBRE - DÉCEMBRE 2011 MAGAZINE

Plus de 600 morts1 155 000 familles en zone inondée30 milliards de dollars de pertes15 000 usines fermées600 000 emplois industriels perdus1,758 million d’hectares de terres agricoles noyées13,28 millions de têtes de bétail perdues75 autoroutes coupées

AAUUCCUUNN PPRROOGGRRAAMMMMEE DDIIRREECCTTEEMMEENNTT TTOOUUCCHHÉÉBBiieenn qquu’’aauuccuunn pprrooggrraammmmee dd’’EEnnffaannttss dduuMMéékkoonngg nnee ssooiitt ddiirreecctteemmeenntt ttoouucchhéé ppaarrcceess iinnoonnddaattiioonnss,, cceerrttaaiinnss ffiilllleeuullss oonntt ddûûéévvaaccuueerr lleeuurr mmaaiissoonn.. SS’’iill eesstt ttrroopp ttôôtt ppoouurrddrreesssseerr uunn bbiillaann ddééffiinniittiiff,, cceettttee ccaattaass--ttrroopphhee aappppaarraaîîtt ddééjjàà pplluuss iimmppoorrttaannttee,, aauuppooiinntt ddee vvuuee ffiinnaanncciieerr,, qquuee llee ttssuunnaammii ddeeddéécceemmbbrree 22000044 eett qquuee llaa rréécceennttee ccaattaass--ttrroopphhee ddee FFuukkuusshhiimmaa.. NNoouuss vvoouuss ttiieenn--ddrroonnss iinnffoorrmmééss ddee ll’’éévvoolluuttiioonn ddee llaa ssiittuuaa--ttiioonn eett ddeess éévveennttuueellss bbeessooiinnss ddeess ffaammiilllleessssoouutteennuueess ppaarr EEnnffaannttss dduu MMéékkoonngg..

électrique. Il en est satisfait, même s’ildoit rester vigilant. Il travaille dans uneferme aujourd’hui inondée. MaewtongThanakorn, lui, est journalier dans lebâtiment : tous les chantiers sont arrê-tés jusqu’à nouvel ordre. Alors, toute lajournée, ils se réunissent entre voisinset organisent des parties de pêche. Lapêche est devenue une activité prati-quée partout dans le pays.Plus loin encore vers l’ouest, le vil-

lage de Bang Len est pour le coup com-plètement isolé du monde. Ses habi-tants se sont réfugiés au deuxièmeétage de leur maison et se sont consti-tués en petites communautés de voi-sins, pour qui l’entraide est le maître

M. Pumpuang a trans-

formé sa maison en une

petite forteresse où l’eau

a bien du mal à pénétrer.

Mais pour y accéder, il

doit se contenter de ce

petit pont branlant.

Tout est sous l’eau à

Ban Lan. Les habitants se

sont réfugiés au deuxiè-

me étage de leur maison

et sont dans l’incapacité

de se déplacer autrement

qu’en barque.

mot. Ceux-là ne doivent leur surviequ’aux « caravanes solidaires » organi-sées plusieurs fois par semaine par deséquipes de bénévoles souvent venus desquartiers chics de Bangkok. À Bang Len,le paysage est surréaliste et désolé : unimmense lac où surnagent quelquesmaisons fragilisées par la montée deseaux, qui menacent de sombrer à toutinstant. À Ban Lan, Monsieur Pum-puang est tout sourire en désignant dudoigt la trace que l’eau a laissée surle mur de sa maison. « L’eau baisse ! »,s’exclame-t-il ravi. En effet l’eau abaissé, de cinq centimètres. Un légermieux qui, à l’échelle du pays, marqueun semblant d’espoir de voir la situa-tion s’améliorer dans les jours à venir. �

Page 9: Enfants du Mékong n°170

MAGAZINE N°170 � NOVEMBRE - DÉCEMBRE 2011 � 9

Depuis plusieurs mois, la Birmanie multiplie des signes d’ouverture quisuscitent autant d’intérêt que de méfiance. Analyse. Par Jean-Matthieu Gautier

Jeu de dupes ouvéritable ouver-ture ? Au regard desfaits depuis le mois demars, soit depuis ladissolution de la juntebirmane au profit d’ungouvernement civil, ilfaut noter l’assouplis-

sement de la censure, l’autorisation dessyndicats et du droit de grève, la libé-ration de 6 359 prisonniers dont 206prisonniers politiques, l’ouverture d’undialogue avec Aung San Suu Kyi et, trèsrécemment, l’adoption par le parlementbirman d’un projet de loi autorisant lapopulation à manifester.Le président Thein Sein ne s’en cache

pas : le but de toutes ces réformes estbien évidemment la levée des sanctionséconomiques qui pèsent depuis si long-temps sur le pays. Il souhaite en réa-lité deux choses : un rééquilibrage dujeu géopolitique en se démarquant de lapolitique prochinoise passée, comme l’arécemment illustré l’abandon d’un pro-jet de barrage financé par la Chine, et lastabilité économique, donc un apaise-

Arrêtée alors qu’elle s’apprêtait à quitter le pays pour subir une opération chi-rurgicale de la moelle épinière, l’ancienne présidente des Philippines, Glo-

ria Macapagal Arroyo, 64 ans, risque la prison à vie. Elle est en effet accusée d’avoirordonné une gigantesque fraude à l’occasion des élections sénatoriales de 2007.Cette fraude aurait eu lieu sur l’île de Maguindanao, dans le fief de la famille Ampa-tuan, connue pour le massacre de 57 opposants en 2009. Cette mise en cause del’ancienne présidente marque la très nette volonté de l’actuel président BenignoAquino d’en finir avec la culture d’impunité qui règne aux Philippines depuis tantd’années. Aquino avait fait de la lutte contre la corruption l’un de ses principauxthèmes de campagne et offre enfin à ses sympathisants une preuve de sa déter-mination. Une détermination qui reste toutefois à nuancer, puisqu’on peut aussibien l’analyser comme le signe d’un simple règlement de comptes. � J.-M.G.

Thein Sein a tiré les leçons de la « Révo-lution safran » de 2006, où la populationétait descendue dans la rue pour mani-fester contre la vie chère. La démocratien’est donc pas pour aujourd’hui en Bir-manie, ni même pour demain. Mais il fautgarder ces signes (hochets démocratiquespour Occidentaux ou pas) en mémoire.Les généraux nous ont habitués à tantd’extravagances qu’ils pourraient bien,après tout, laisser Aung San Suu Kyi deve-nir un jour présidente, elle qui vientd’annoncer qu’elle allait se présenter auxprochaines élections législatives.�

La junte birmane joue à la démocratie

Mékong-ExpressCOUP DE FILET AU VIETNAMC’est ce que l’on appelle générale-ment la réponse du berger à la ber-gère. Devant l’augmentation crois-sante du nombre d’infractions aucode de la route et le refus desmotards de s’arrêter après lesinjonctions de la police, celle-ci adécidé de frapper un grand coup.À Thanh Hoa, la police utilisedésormais des filets de pêche pourarrêter les motards dangereux etrécalcitrants…

© J.-M. Gautier

Regards sur l’Asie > Asie du Sud-Est

Philippines : Gloria Arroyo inculpée

ment des relations avec les pays occi-dentaux – ceux des sanctions. D’où cettedistribution de hochets démocratiquesdont les Occidentaux sont si friands. Tan-dis que les associations de Birmans enexil et les chantres d’une Aung San SuuKyi colombe de la paix continuent àdénoncer une parodie de pérestroïka,Thein Sein marque des points, accueillele Secrétaire d’État américain Hillary Clin-ton et obtient la présidence tournantede l’Asean (Association des nations del’Asie du Sud-Est) pour 2014. Par la mêmeoccasion, il a les mains libres pour pour-suivre ses petitesactivités guerrièresavec les minoritésethniques...Qu’onne s’y trompe

pas. Le véritable butde Thein Sein estbien évidemmentd’avoir la paix. Pourcela, la meilleureméthode es t deveiller à ce que lepeuple ne manque nide pain ni de jeux.

Mékong

Mer

d'Andaman

Rangoun

BIRMANIE(MYANMAR)

THAÏ

LAND

E

CHINE

LAOS

BH.

B.

INDE

©idé

Naypyidaw

200 Km

Page 10: Enfants du Mékong n°170

Regards sur l’Asie > Cambodge

10 � N°170 � NOVEMBRE - DÉCEMBRE 2011 MAGAZINE

À l’occasion de la sortie de son ouvrage Cambodge, la survie d’unpeuple*, Sophie Boisseau du Rocher, maître de conférences àSciences Po Paris et chercheur à Asia Centre, nous livre sonanalyse du pays. Propos recueillis par Geoffroy Caillet

Vous parlez du Cambodgecomme d’un « pays en conva-

lescence ». Qu’est-ce à dire, 20 ansaprès les accords de Paris ?Si les accords de Paris ont été un évé-nement décisif dans l’histoire du Cam-bodge contemporain, un événement quia permis au pays de se pacifier après lestraumatismes successifs, ils ont aussi sou-levé des attentes qui n’auront été quetrès superficiellement remplies. Dans cetÉtat pourtant stabilisé sur le plan poli-tique, la démocratie reste un vain mot.Et la croissance crée des inégalitéscriantes, voire violentes, qui profitentd’abord aux mieux placés. Cette observa-tion de « pays en convalescence » pro-vient du décalage observé entre l’« inves-tissement » sans précédent avancé parla communauté internationale et l’usagequi en a été fait et qui crée, à son tour,une mentalité pernicieuse, voire cynique.On constate, avec le procès des Khmersrouges, combien le Cambodge ne peutencore supporter de traitement radical etcombien la société est enfermée dans ceparadoxe : le peuple cambodgien est à lafois endurci et fragile.

Quels sont les atouts du Cambodgeen 2011 ?Le Cambodge est d’abord un pays qui aune vraie histoire. Et quelle histoire ! Sonrapport au passé peut lui donner confianceen son aptitude à rebondir : il a déjàdémontré sa capacité de résilience etd’ajustement. Sa population est jeune(50% de ses 15 millions d’habitants amoins de 25 ans !) et le niveau d’éducationet de formation remonte lentement. À cetitre, la diaspora khmère et les ONG jouentun rôle pivot. C’est un pays qui intéresse

Cambodge : « Un peuple à la foisendurci et fragile »

© J.-M. Gautier

© D.R.

les investisseurs étrangers parce qu’il dis-pose de ressources naturelles : on attendbeaucoup des gisements de pétrole et degaz découverts depuis 2005 par exemple.Produire au Cambodge présente aussi cer-tains avantages : la main-d’œuvre resteparmi les moins chères de la région. Etle secteur du tourisme, en plein dévelop-pement – et plus seulement autour desmagnifiques temples d’Angkor – consti-tue aussi une manne économique etfinancière. Enfin, sur le plan politique,

on voit se dessiner la transition, l’aprèsHun Sen se profile. Le Premier ministre,en poste depuis plus de 25 ans, préparesa succession. Alors certes, on peut déjàregretter que le successeur implicitesoit… son propre fils, Hun Manet. Maison peut aussi espérer que celui-ci, jeunegénéral passé par la prestigieuse acadé-mie militaire de West Point aux États-

Unis, comprenne les aspirations de la jeu-nesse au changement. Au demeurant,c’est une évolution qu’on observe aussidans les autres pays de l’Asean –l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est – dont le Cambodge est membre.

Modèle occidental ou chinois, le Cam-bodge sera-t-il contraint de choisiret de n’être ainsi qu’un suiveur ?Les progrès sont indéniables, mais onconstate qu’ils s’effectuent de fait dans

une direction quiéchappe de plus enplus à la norme occi-dentale pour s’alignersur les pratiques et lesmodes de gouvernan-ce chinois. La Chineassoit progressivementsa puissance et soninfluence sur ce petitpays. Les indicateursmontrent une avancéeinexorable des inté-rêts chinois à la foissur le plan écono-mique et monétaire,sur le plan diploma-tique et surtout sur leplan géostratégique.Washington réagit.Mais entre un voisin

proactif et un allié éloigné, les jeux sontdéséquilibrés. Toutefois, et c’est ici unpoint important, le Cambodge - commeses partenaires de l’Asean - n’a pas du toutla mentalité d’un suiveur. Il combine lesinfluences, les superpose, en joue. C’estun atout indéniable dont nous devons, ànotre tour, savoir tirer parti. �

*Cf. Livres, p. 22.

« Grâce au rôle pivot desONG, le niveau d’éducation et de formation remonte. »

Page 11: Enfants du Mékong n°170

MAGAZINE N°170 � NOVEMBRE - DÉCEMBRE 2011 � 11

Regards sur l’Asie > Philippines

« Ici, on ne badine pasavec l’humain »

Unique enson genre, leprogramme« Marcel Van– Secondechance »permet à de

jeunes délinquantsphilippins de 17 à 23 ans de se bâtir

une nouvelle vie. Par Bruno Delorme,

volontaire Bambou aux Philippines

Photos : Andrane de Barry

Ce n’est qu’un chiffre, mais il estéloquent : d’après une étude uni-

versitaire belge, un mineur délinquanta 75% de « chances » de retourner enprison s’il ne bénéficie pas d’un pro-gramme de réinsertion efficace lors sonséjour derrière les barreaux. C’est ceconstat qui est à l’origine de la fonda-tion, en 2002, du programme « MarcelVan – Seconde chance » par l’ONG Acay(Association Compassion Asian Youth /Association Compassion Jeunesse Asie),soutenue par Enfants du Mékong.Mineurs au moment des faits – du volà la tire au viol, en passant par le tra-fic de drogue, le braquage et le meurtre– les « boys » qu’il accueille profitentde l’opportunité que leur offrent quatrereligieuses de choc, les Missionnairesde Marie, pour réintégrer la société.Aujourd’hui, le programme compte unpeu plus de 75 diplômés. Aux dernièresnouvelles, seuls deux garçons ont refaitun saut par la tragique case prison.Le programme comporte deux phases.

La première se déroule avant la libéra-tion : c’est la Social Preparation. Par des

200 Km

©idé

Manille

PHILIPPINES

Page 12: Enfants du Mékong n°170

12 � N°170 � NOVEMBRE - DÉCEMBRE 2011 MAGAZINE

Regards sur l’Asie > Philippines

visites régulières, une écoute attentivedes sœurs, un suivi légal des cas, desactivités sportives, des formationshumaines (définition de la culture desgangs, gestion des peurs, des conflits,des pressions extérieures, confiance ensoi, prise de décision), elle prépare lesgarçons à leur sortie de prison.

Être le moteur de son changementAprès la libération, conditionnelle outotale, intervient l’After Care. Conçuesur 18 mois, cette phase consiste àaccompagner le garçon dans sa réinser-tion sociale en le faisant progresser surquatre plans : personnel, familial, sco-laire ou professionnel, spirituel. Il s’agitbien d’accompagnement et nond’assistanat. Le garçon doit être lemoteur de son changement. Qu’il vivedans son quartier, avec ses parents oubien dans la nouvelle « Maisond’étudiants Jean Paul II », il estdiplômé après cette formation inten-sive et dynamique. Même s’il est alorspleinement autonome, la porte de« Marcel Van – Seconde chance » luireste bien sûr toujours ouverte.

Jayson, heureux et confiant en l’avenirJayson était un tueur à gages de hautvol. En prison, il est devenu leader desa cellule. Quand il est arrivé au pro-gramme Marcel Van il y a 18 mois, ilne parlait pas anglais et n’avait aucundiplôme en poche. Jayson a décidé dechanger. Il l’a décidé au fond de lui,dans ses tripes. Mettant tout en œuvrepour passer le ALS (Alternative Lear-ning System, examen permettantd’obtenir le niveau baccalauréat), il l’abrillamment décroché. Désireuxd’étudier mais sans argent, il a travailléet sué cinq mois comme ouvrier sur unchantier. Dans le même temps, il a dûaffronter de lourds problèmes fami-liaux. Sa famille vit dans un squat, aucœur d’un des quartiers les plus dan-gereux de Manille. Son père, petitbaron local de la drogue, s’est fait des-cendre de trois balles dans le ventre.

À ce moment, la volonté de change-ment de Jayson a été sur le fil. Lessœurs l’ont senti hésitant. Il reprenaitun style vestimentaire de gangster àl’américaine, se rasait les cheveux – unsigne souvent annonciateur chez nos« boys » qu’ils vont faire une « bêtise» et donc retourner en prison. Jaysons’est retrouvé face à lui-même. Il a faitson choix. Il est revenu à Marcel Van.

Désormais diplômé du programme, ilfait partie de ces anciens qui montrentle chemin aux autres gars et représenteun réel soutien pour l’équipe. Aupara-vant, Jayson n’était qu’un petit gang-ster sans avenir. C’est aujourd’hui unétudiant en mécanique, heureux etconfiant.

« Raymundo a fait du chemin »Beau gosse et danseur de hip-hop horspair, Raymundo était un élément pro-metteur du programme Marcel Van.Ami de Jayson, il était aussi leader desa cellule dans son centre de déten-tion. Malheureusement pour lui, il adécidé il y a un an de quitter le pro-gramme. Son désir de changement

n’était pas assez profond. Deuxsemaines après, nous le retrouvionsdans une prison pour adultes où lesconditions décentes de détentionavaient définitivement disparu – ellessont plus humaines dans les centres dedétention pour mineurs. Il n’avait pasvraiment quitté son gang de braqueurs.

Le programme leur offre de devenir deshommes debout et porteurs d’espérance.

Page 13: Enfants du Mékong n°170

Regards sur l’Asie > Philippines

MAGAZINE N°170 � NOVEMBRE - DÉCEMBRE 2011 � 13

La police l’a pris la main dans un sac…qui n’était pas le sien.Depuis un an, Raymundo a fait du

chemin. Il a réalisé qu’en prison, iln’avait rien appris. Avec le programmeMarcel Van, ses amis, eux, ont pro-gressé humainement et scolairement.Il nous l’a écrit noir sur blanc dans unebelle lettre. S’il sort, et nous l’espéronsde tout coeur, il devrait réintégrer leprogramme. Pour le moment, nous luirendons visite, ce que sa famille, mal-heureusement, ne se donne pas lapeine de faire.

Ouvert 24 heures sur 24Au fil des mois, ces garçons sont deve-nus des amis. Il a fallu s’apprivoiser,se faire accepter, mettre en place desvisites, des activités régulières pourcréer avec le temps une confiance, unrespect mutuel puis une amitié. À tra-vers leurs sourires, leurs joies, leursdanses, leurs rêves, j’ai appris à pro-fiter et à me réjouir de l’instant pré-sent. Leur résilience m’a bouleversé.Voir certains changer réellement futune joie profonde. Cette mission sousun climat tropical et dans une mégalopole polluée de 20 millionsd’habitants n’est pas évidente. Il m’abien fallu quatre mois pour accepter lasituation de ces jeunes prisonniers etsurtout leur passé d’une violencevicieuse, inouïe, à vous ébranler, àvous résigner au fatalisme, à tout sim-plement vous faire perdre espoir.S’occuper d’êtres humains en crise

demande une attention permanente :le « Marcel Van Service » est ouvert 24heures sur 24, sept jours sur sept et 365jours par an ! Ici, on ne badine pas avecl’humain. Heureusement, il y a les sœurset leur caractère fort : Sophie, Édith,Rachel, Laetitia, et toute l’équipe duprogramme. Leur dévouement à la mis-sion, leur compassion et leur persévé-rance vous mettent du baume au cœur.Le programme « Marcel Van – Secondechance » offre à des adolescents dits« sans espoir » de devenir des hommesdebout et porteurs d’espérance. Mercipour eux ! �

Page 14: Enfants du Mékong n°170

Agir > En direct

LE MOT DU PARRAINAGE

Présent en Grande-Bretagne depuisdix ans, Enfants du Mékong s’est

doté en juin 2011 d’une nouvelle équipeet d’un nouveau nom : Children of theMekong. L’objectif de cette structure estd’élargir l’action d’Enfants du Mékong aumonde anglo-saxon, afin de profiter plei-nement des opportunités de la placefinancière de Londres. Tous les aspectsopérationnels, notamment la traductiondes supports de communication enanglais, sont désormais en place. Ils per-mettent de recruter de nouveaux parrainset d’établir des partenariats financierspour les programmes de développement.Deux programmes de parrainage des-

tinés aux parrains anglais ont été récem-ment ouverts en Birmanie : à Kyauk Tan,à l’est de Rangoun, pour soutenir deuxfoyers de garçons et filles défavorisés ; àTaunggyi, capitale de l’État shan, pour

soutenir un foyer d’orphelins. D’autresprogrammes vont ouvrir aux Philippineset au Cambodge.Parrains et sympathisants d’Enfants du

Mékong, nous comptons sur vous pourque votre réseau amical et familial enGrande-Bretagne se sente concerné parle parrainage ! Vous pouvez les inviter àparrainer en leur communiquant les coor-données du site internet qui leur est des-tiné : www.childrenofthemekong.org.À noter que Children of the Mekongaccepte le paiement du parrainage enlivres sterling et en dollars américains(parrainage scolaire : 24 livres sterling).�

Contacts : Eugénie Prouvost (bénévole à plein temps) [email protected] Jean-Marc Debricon (président)[email protected]

So British…

NOUVELLE MISSION AU CAMBODGEAprès l’ouverture d’une premièremission « Partenariats » en aoûtdernier au foyer de Cebu (cf. EdMn°169), Enfants du Mékong a déci-dé de créer une mission similaireau Centre universitaire ChristopheMérieux, à Phnom Penh. AntonyHamon, volontaire Bambou enposte au Cambodge depuis finnovembre, a donc commencé à

mettre en place un programme de formation complémentaire visant àassurer l’insertion professionnelle des étudiants.Pour répondre à leurs besoins et lever des fonds destinés à financer leCentre, il organise le mécénat de compétence avec des entrepriseslocales. Il s’occupe aussi de développer des activités liées à larecherche d’emploi (rédaction de CV, de lettres de motivation, prépa-ration aux entretiens d’embauche), avec l’aide d’un intervenant de laChambre de commerce franco-cambodgienne. Parallèlement, il organi-se des visites d’entreprises et des conférences par des professionnels.Enfin, il est le garant du bon déroulement des formations, tant d’unpoint de vue logistique qu’humain. En bref, une mission bien remplieau service d’étudiants motivés.

Lycée neuf pourBanteay Chmar

VOLONTAIRES BAMBOUS

PROGRAMMES DEDÉVELOPPEMENT

© A.-M

. Rémusat

Les professeurs et les élèves deBanteay Chmar attendaient

cette construction depuis long-temps. Leur joie a été soulignée parle directeur de l’école, qui a orga-nisé une cérémonie d’inaugurationle 1er octobre dernier, en présencedes représentants des autoritéslocales et d’Enfants du Mékong. Leslycéens ont aussitôt pu commencerles cours dans le nouveau bâtiment.Le collège, lui, est désormais ins-tallé dans les deux autres bâtimentsen dur de l’école.Sur les six salles de classe, quatreaccueillent le lycée. Une autre ser-vira de bibliothèque. La dernièrepermettra de loger cette annéedeux professeurs en attendant lacréation d’une nouvelle classe l’anprochain. Le vieux bâtiment en boisqui se dresse encore dans l’enceintede l’école n’est plus utilisé : lesmurs attaqués par les termites et letoit percé y rendaient difficiles lesconditions d’étude.Dans le nouveau bâtiment, lessalles sont lumineuses et aérées. Le sol carrelé permet un nettoyagefacile. Grâce au toit élevé et auxtuiles, la température des sallesreste agréable toute la journée.D’ici quelques mois, un chemin sur-élevé permettra alors d’accéder aunouveau lycée.Tous les élèves etprofesseurs de Banteay Chmar sejoignent à Enfants du Mékong pourdire un très grand merci aux dona-teurs de leur lycée. �

14 � N°170 � NOVEMBRE - DÉCEMBRE 2011 MAGAZINE

© D.R.

Page 15: Enfants du Mékong n°170

Peusowa, huit ans, vit en Thaïlandedans un camp de réfugiés. Elle est

Karen de Birmanie. Le père Joseph Quin-tard est responsable du programme sou-tenu par Enfants du Mékong. Il traduitaussi le courrier. En 1999, je commenceà parrainer Peusowa. Je lui écris très sou-vent, mais de courtes cartes pour abré-ger le travail du père. Toute une collec-tion de petits morceaux de carton brillantet coloré s’envolent chaque mois pour lajoie des enfants enfermés dans le camp.Là-bas, ils épinglent sur un piètre tissuces images envoyées du bout du monde.Peusowa va apprendre la France, ses ani-maux, ses fleurs, ses paysages, seséglises, la mer, les fruits… Un jour, je luienvoie une carte d’Alsace avec unecigogne. Elle me répond : « Si on avait vucet oiseau ici, on l’aurait mangé… »Durant des années, nous allons par-

tager inquiétude et affection. J’ai sou-vent peur pour elle des dangers du campet des attaques surprises qui y sévis-sent. L’accès des camps est règlementé,mais le père Joseph fera le nécessairepour que nous puissions rencontrer nosamis. La première fois, je lui demande :« Que puis- je leur apporter ? » – « Ilsn’ont rien », répond-il. – « Rien, c’estquoi ? » – « Rien, c’est rien. » Nous com-prendrons vite ce que cette phrasedépourvue de sens signifie en réalité.Nous revenons chaque année et

reconnaissons au passage d’autresfamilles qui bénéficient d’un parrainage.Chacune va beaucoup mieux au fil desans. Les petites copines de Peusowam’accompagnent visiter l’école du camp.Mais on côtoie des gens blessés, desenfants mutilés et handicapés, sansappareillage. La souffrance est partout.Le père Joseph nous explique avec

Du camp de réfugiés karens aux perspectives d’un véritableavenir, le parrainage de la petite Peusowa est devenue, en douzeans, une formidable aventure humaine. Par Dominique Cordes, déléguée du Lot-et-Garonne

Chronique d’un parrainage (1/2)> Témoignage

MAGAZINE N°170 � NOVEMBRE - DÉCEMBRE 2011 � 15

annoncer une nouvelle importante. Leprofesseur d’anglais, une Karen de l’écoledu camp, est venue. Elle s’assoit à mescôtés. Ils l’ont choisie pour assurer la tra-duction du karen à l’anglais.« Ils veulent partir du camp. Actuelle-

ment, ils peuvent faire une demande pourémigrer aux États-Unis. Ils souhaitent savoirce que vous en pensez. » Isaure, la jeunevolontaire Bambou, attend nos réactions.Mais personne ne dit rien. Chacun regardel’autre. Une étincelle de surprise jaillit dans

le regard de Louis, mon mari.Il m’a si souvent réconfortéequand je m’inquiétais poureux ! « Un jour ils seront libres,tu verras, et ils retourneront enBirmanie ! »Isaure me dit : « C’est votre

réponse qu’ils attendent, ilsinsistent et veulent vraimentavoir votre avis ! » Elle a descraintes. Elle ne voudrait pasqu’ils échouent. Elle sait qu’iciEnfants du Mékong prendsoin d’eux et que chaque res-ponsable de programme faitde son mieux. Ils sont enca-drés, guidés. Mais là-bas ?

Chacun imagine le choc psychologique,culturel. Le déracinement.Je les aime si fort, je les sais si cou-

rageux et habiles que j’ai confiance eneux. Ils sauront et voudront s’adapter.Le parrainage a relancé leur vie. On nepeut stopper cet enthousiasme. Nous lesconnaissons vraiment bien maintenant.Ils attendent ma réponse. Alors, aprèsun long moment de silence, je m’adresseau professeur d’anglais qui leur traduitma phrase décousue : « La liberté… Lesenfants sont jeunes. Il faut tenter !... »(à suivre) �

calme, dédramatise tant qu’il le peutet encourage chacun : il y a 40 ans qu’ilvit auprès de ce peuple. Les réfugiéstrouvent en lui le soutien moral et laprotection dont ils ont tant besoin.Les années passent, et les moyens que

se donne cette famille pour résister sontremarquables. Ils apprennent avec uneavidité et une volonté farouches. Per-sonne ne voudrait nous décevoir ! Ceparrainage crée des liens si forts… Jecroyais avoir une filleule, mais c’est

toute sa famille à laquelle je m’attache.Nous nous connaissons de mieux enmieux, dans nos différences et nos sen-timents. À chaque visite, nous nous sen-tons vraiment accueillis ! J’aimerais tantqu’un jour ils viennent à leur tour chezmoi. On en parle pour les faire espérer,mais sans y croire vraiment. C’est sur-tout pour leur faire reprendre courage…

« Il faut tenter ! »Ce jour-là, comme à l’accoutumée, nousprenons place sur la natte posée au sol.La famille est au complet et veut nous

© D.R.

Page 16: Enfants du Mékong n°170

Plus de 6 500 internautesl’ont déjà visionné !

8 bonnes raisons de voir MANILA MONEYLA � Pour mieux comprendre la vie des Bambous à Manille et l’action d’EdM dans le pays

� Pour découvrir l’association He Cares et les sites de relogement de Montalban

� Pour savoir ce qu'est un webdocumentaire (laissez-vous guider !)

� Pour embarquer à bord d'un jeepney, le moyen de transport star aux Philippines

� Pour impressionner vos collègues lors de la prochaine pause café

� Pour passer un peu moins de temps sur Facebook aujourd’hui

� Pour meubler votre pause déjeuner

Page 17: Enfants du Mékong n°170

MAGAZINE N°170 � NOVEMBRE - DÉCEMBRE 2011 � 17

> Notre action

Le don ponctuel et récurrent

Chaque don versé pour soutenir l’action d’Enfantsdu Mékong est un véritable cadeau, quel que soitson montant…

Chaque don reçu a une affectation : financementde programmes de développement, de missionsBambous, de nos foyers et centres scolaires…

Nous avons aussi une « caisse » pour répondre auxbesoins prioritaires de notre action : les donsponctuels sont souvent affectés à cette caisse.Ils sont essentiels pour pouvoir répondre rapide-ment à ces demandes imprévisibles.

Enfants du Mékong s’est engagé depuis 53 ans àne pas diffuser noms et coordonnées de sesdonateurs et parrains.

Comment répondre à ces besoins prioritaires ?

� En faisant un chèque à l’ordre d’Enfants duMékong (à envoyer au 5, rue de la Comète – 92600Asnières) en indiquant « besoins prioritaires ».

� En faisant un don en ligne sur notre site inter-net : www.enfantsdumekong.com

Merci pour votre soutien et votre aide !

Vous souhaitez soutenir nos actions prioritaires ourecevoir plus d’informations ? Contactez Guillaumed’Aboville : [email protected]

Vous êtes un particulier imposable en France : réductiond’impôts de 75% de votre don, dans la limite de 521 € paran. Au-delà, réduction d’impôt de 66% par mois. Ex. : undon de 100 € vous coûte réellement 25 €.

Un exemple actuel d’affectation de ces dons À Banteay Chmar, au Cambodge,Johann et Audrey, notre couplede Bambous, nous a fait part dela grave maladie cardiaque deHouk Heus, 7 ans : sans opéra-tion, il est condamné à brèveéchéance. Le délégué de Lyonsollicite ses relations, mais lecoût est de 17 000 € (voyage,opération, séjour hospitalier,lourd suivi médical).

Comment nous aider ? (2/5)Vous êtes nombreux à nous demander quels sont les différents moyens desoutenir notre action. Voici le deuxième article de notre série. N’hésitez pas ànous faire connaître et à nous solliciter si vous voulez davantage d’informations !

Vous souhaitez… Notre réponse… permettre à un enfantd’aller à l’école pour 24 €ou 39 € par mois

… soutenir les missions de nos 50 Bambous envoyés sur le terrain (19 € par mois)

… faire un don ponctuel ou récurrent

… transmettre par testamentune partie ou la totalité de vos biens

… donner tout ou partie debiens reçus en héritage

… souscrire un contratd’épargne pour verser un capital au(x) bénéficiaire(s)

Parrainage

ParrainageBambou

Don I.R. ou I.S.F.

Don I.R. ou I.S.F.

Legs

Donation sursuccession

Assurancevie

© esprit-photo

Page 18: Enfants du Mékong n°170

MARCQ-EN-BARŒUL (59)

Samedi 17 décembre de 14h à 19h

MARCHÉ DE NOËLHippodrome, hall des Paris

Vente d’artisanat au profitd’Enfants du Mékong lors dumarché de Noël associatif.Contact : Éric et Marie-Laure Ibled Tél. : 03 20 72 31 [email protected]

GRILLON (84)

Samedi 17 décembre

MARCHÉ DE NOËLSalle des Fêtes

La délégation du Vauclusesera présente lors du marchéde Noël de la ville de Grillon.Venez nombreux !Contact : Tinou Dumond Tél. : 06 10 15 06 [email protected]

PARIS (75)

Vendredi 23 décembre à partir de 19h

CONFÉRENCE-DÉBATMaison des Associationsdu 7e arrondissement – 4, rue Amélie, à l’angle du93, rue Saint-Dominique.Métro La Tour-Maubourg, bus80, 92, 87, 82.Nous vous attendonsnombreux, accompagnésd’amis ou de membres devotre famille, pour assister et participer à notre confé-rence débat autour d’un film d’Enfants du Mékongprésenté par Didier Rochard,notre délégué d’Île-de-France. Réponses par mail :[email protected]@paris.frContact : Didier RochardTél. : 06 60 40 48 [email protected]

ANIANE (34)

Vendredi 23 décembre

MARCHÉ DE NOËLÉQUITABLELa délégation de l’Héraultsera présente au marché deNoël de la ville d’Aniane.Venez nombreux !Contact : Marie-Sylvie etJean-François AchardTél. : 04 67 59 40 [email protected]

AIX-LES-BAINS (73)

Jeudi 12 janvier à partir de 19h30

SOIRÉE ENFANTSDU MÉKONGHôtel Ariana

La délégation de Savoieorganise une présentationd’Enfants du Mékong auRotary Club d’Aix-les-Bains.La présentation sera suivied’un dîner.Contact : Christiane et Michel BarberoTél. : 04 79 60 06 [email protected]

PAU (64)

Dimanche 15 janvier à 12h30

JOURNÉE ENFANTSDU MÉKONGLa délégation invite lesparrains et amis del’association à participer à une journée Enfants duMékong : déjeuner asiatiqueà 12h30, puis nouvellesd’Asie et vente d’artisanat.Prix 18 €, lieu à venir.Inscription obligatoire avant le 7 janvier.Contact : Marie-Hélène PerretTél. : 05 59 31 86 01 [email protected]

MOUILLERON-LE-CAPTIF (85)

Vendredi 20 janvier à partir de 19h30

DÎNERSalle du foyer rural (derrière la mairie)

La délégation de Vendéeorganise un dîner où sontinvités les parrains et les amisde l’association. C’est unmoment de partage et derencontre, n’hésitez pas ànous contacter pour plus derenseignements.Contact : Amaury etFrançoise DeprasTél. : 06 61 87 02 [email protected]

FONTAINES-SUR-SAÔNE (69)

Mardi 24 janvier à partir de 19h30

SOIRÉEDÉCOUVERTEÀ la MJC

La délégation du Rhôneorganise le 24 janvier unesoirée découverte d’Enfantsdu Mékong avec la projec-tion d’un film et la vente deSoieries du Mékong. Veneznombreux !Contact : Anne BaudTél. : 04 74 05 73 [email protected]

ÉCHOSNOTRE AMI H. DE SAINT MARCDÉCORÉEnfants du Mékong se réjouitque le commandant HélieDenoix de Saint Marcait été promu à la dignité de grand-croix de la Légiond’honneur des mains mêmesdu Président de laRépublique. La cérémonie a eu lieu aux Invalides le 28 novembre dernier. Cetofficier de la Légion

étrangère, homme d’honneurprécisément et dont la vie fut éprouvante (déporté à 19 ans, combattant descampagnes d’Indochine et d’Algérie, avant de serévolter en 1961 « parcequ’un officier ne peut separjurer »), est un grand amide notre association.Passionné de l’Asie, il futspécialement marqué parl’abandon forcé des popula-tions devenues amies alorsqu’il était à Talung, dans lesmontagnes du Tonkin. Nous

l’assurons ici de nos affec-tueuses félicitations pour une vie si bien donnée. François Foucart

UN CHÈQUE DE 3000 EUROSGérald Bruley des Varannes,délégué d’Enfants du Mékongpour l’Indre-et-Loire, a reçu le 19 septembre dernier unchèque de 3 000 euros duRotary Club de Tours. Ilparticipera au financement dela construction de l’école deBan Koo Pha Tone, au Laos.

AGENDA

Agir > Nos délégations

18 � N°170 � NOVEMBRE - DÉCEMBRE 2011 MAGAZINE

© D.R.

©

© DICODE

ANNONCEALMANACH PROVENÇAL 2012365 jours de soleil assurés !Réalisation coordonnée par notre déléguéeen Drome-Ardèche

Petites et grandes histoires provençales, recettesde cuisine et de jardinage, expressions, muséeset lieux secrets à découvrir, traditionspopulaires…

Nous vous l'envoyons ou l'envoyons de votrepart (avec dédicace de votre choix, si vous lesouhaitez). 15 € - Port offert pour l'achat de 5 exemplaires.

BON DE COMMANDE (1 exemplaires. x 15 €) + 3,25 port = 18,25 €(2 exemplaires x 15 €) + 4,20 port = 34,20 €(3 exemplaires x 15 €) + 5,50 port = 50,50 €(4 exemplaires x 15 €) + 5,50 port = 65,50 €(5 exemplaires x 15 €) - port 6,40 € offert = 75 €…… exemplaires x 15 €(port offert pour 5 ex ou plus.)

Indiquez votre adresse, mail et téléphone. Chèque à l’ordred’Enfants du Mékong, à adresser à : Tinou DUMONDMontée de la Vieille Porte84600 GRILLON 06 10 15 06 24 [email protected]

Un almanachde 64 pagesen couleur,165 x 230 mm, vendu exclusivementau profitd’Enfants du Mékong.

Page 19: Enfants du Mékong n°170

> Courrier

Vous pouvez nous adresser vos courriers au 5, rue de la Comète92600 Asnières, en mentionnant « Courrier des lecteurs »,ou par e-mail : [email protected]

DU VIETNAM…

Cher parrain,Chaque matin, je me dis que j’aibeaucoup de chance d’aller à l’écolegrâce à vous. Ma maison est très loinde la route et il n’y a pas de voiture.Les jours où je n’ai pas d’amis pourme ramener, je dois attendre desheures pour rentrer. Mais en pensantà vous, parrain, et à ma famille, jene peux pas me plaindre.Mon père travaille la terre du matinau soir, qu’il pleuve ou qu’il vente,mais le rendement ne suffit pas pourvivre. Chez nous, la vie est très dif-

ficile. L’année prochaine, je dois me préparer à rentrer à l’université.Je terminerai l’année mais je ne suis pas sûre que ma famille me lais-sera étudier ensuite. Je suis vraiment inquiète et triste.Je souhaiterais avoir fini mes études pour pouvoir l’aider. Il y a desjours où je me sens si fatiguée. Je dois continuer à étudier et je penseà vous qui êtes loin. Mais j’entends votre voix qui m’encourage :« Courage, mon enfant ! »Je me permets de me confier à vous car je partage très peu ma tris-tesse à mon entourage et je ne peux pas tout garder pour moi. Alorsj’en profite pour vous écrire tout cela. Je ne sais pas si vous pour-rez lire ma lettre mais sachez vous êtes ma source d’espoir à chaquemoment de tristesse. J’espère que le mois prochain arrivera vite pourque je puisse vous écrire et vous faire lire d’autres confidences. �

Votre filleule, Phan Thi Nhung

VIETNAM DU 7 AU 21 FÉVRIER 2012 - DU 7 AU 21 MARS 2012 CAMBODGE DU 14 AU 26 FÉVRIER 2012THAÏLANDE DU 31 JANVIER AU 14 FÉVRIER 2012 LAOS DU 31 JANVIER AU 14 FÉVRIER 2012 PHILIPPINES DU 25 FÉVRIER AU 11 MARS 2012

MAGAZINE N°170 � NOVEMBRE - DÉCEMBRE 2011 � 19

© O. de Fresnoye

À PROPOS DE « RIZ CONTRE HÉVÉA »

« Je viens vous faire part de latristesse qui a rempli mon cœur à lalecture de l’article « Laos : riz contrehévéa » du numéro de juin-juilletd’EdM Magazine. Il se trouve que jesuis depuis quelques annéesmarraine à Oudomsouk. Nous avionsà l’époque, avec mon mari, décidé deprendre un parrainage au Laos parceque le père de notre arrière-petit-filsest d’origine laotienne. Comme jevoudrais contribuer à faire que nosamis retrouvent intégralement lapropriété de leur sol ! Et qu’il en soitainsi dans le monde entier pour lespetites gens qui sont comme euxprivés de leurs droits les plusélémentaires. Espérons qu’en faisant« de notre mieux », nous arrivions àobtenir que la justice soit rétablie,que nous construisions enfin uneéconomie à visage humain. En unionprofonde de sympathie, de prière etd’action ! »Jeanne, Haute-Savoie

Page 20: Enfants du Mékong n°170

Découvrir > Chronique d’Asie

Vous avez passé un an en Thaï-lande en 1986 auprès des

réfugiés laotiens et cambodgiens.Qu’est-ce qui vous a amené dansles camps ?J’avais appris le cambodgien aux Lan-gues O’ pour me distraire un peu de lapréparation de ma thèse de doctorat enphilosophie. L’idée m’est d’abord venued’aller rencontrer des Cambodgiens dansles trois provinces khmérophones deThaïlande. À mon retour en France, j’aisoutenu mon mémoire de cambodgien,puis j’ai voulu faire une « B.A. » en pro-posant mon aide dans les camps.Un de mes professeurs de cambod-

gien, M. Khin Sok, était un homme trèsdévoué et actif pour l’éducation dansles camps. Il m’a donné quelques ren-seignements et j’ai atterri dans une ONG,le SIPAR (Soutien à initiative privée pour

l’aide à la reconstruction des pays dusud-est asiatique), qui m’a chargé demettre sur pied leur premier programmeen Asie. Au camp de Phanat Nikhom,je m’adressais aux Laotiens en siamois.Aux Cambodgiens, je parlais le khmerappris aux Langues O’. Un khmer un peudésuet, qui ne me permettait pas dedire : « J’aimerais manger une soupe »,mais plutôt : « Je voudrais consommerun potage »… Comme tant d’autrespériodes de ma vie, je pourrais dire quecelle-ci a été la plus belle.

Comment s’est passée la réouver-ture de l’École française d’Extrême-Orient (EFEO) au Cambodge, quivous a été confiée en 1990 ?De l’EFEO, il ne restait rien. La biblio-thèque avait été détruite, les installa-tions de Phnom Penh et Siem Reap

Spécialiste de la civilisation khmère et homme de terrain, Olivierde Bernon, 54 ans, est depuis le 1er septembre le nouveauprésident du musée Guimet. Rencontre. Propos recueillis par Geoffroy Caillet - Photos : Jean-Matthieu Gautier

Musée Guimet :« Concilier exigence savante et exigence du public »

20 � N°170 � NOVEMBRE - DÉCEMBRE 2011 MAGAZINE

squattées. Les Cambodgiens étaient àla fois demandeurs de soutien et un peupeinés qu’on ait tant tardé à revenir. Jedois signaler que le roi Sihanouk, à quinous avions écrit au moment des pre-miers contacts, nous a répondu unelettre chaleureuse, accompagnée d’unchèque de soutien. C’est un hommageà lui rendre, car la date de son retourn’était alors pas fixée et les accords deParis pouvaient encore capoter. Mais ila eu conscience que l’EFEO était quali-fiée pour préserver et mettre en valeurle patrimoine du Cambodge, et il a faitabstraction de l’incertitude politique.Lorsque je suis arrivé à Phnom Penh,

l’ex-palais royal était devenu le « minis-tère de la culture et de la propagande ».Pour abriter mon laboratoire de conser-vation des manuscrits khmers que jerécoltais, ce ministère m’avait alloué

Page 21: Enfants du Mékong n°170

Aujourd’hui, il apparaît clairement quel’Extrême-Orient devient le centre dumonde. L’Inde et la Chine accèdent au rangde puissances au sens où nous l’entendionsen Europe au début du XXe siècle. Or cespuissances ne sont pas nées de rien, ellesont produit des œuvres magnifiques dont

le musée Guimet est, pour une part repré-sentative, le réceptacle et la vitrine. Il adonc des responsabilités qui s’inscriventdans l’histoire traditionnelle de l’orien-talisme français : un orientalisme quiconsiste à se sentir comptable des civili-

un petit bâtiment dans son enceinte.Quand le roi Sihanouk est revenu, il m’aoffert son patronage, ce qui m’a valu decontinuer à être hébergé pendant neufans dans un palais royal rendu à sa des-tination. J’envoyais périodiquement àSihanouk un rapport d’activité qui lui

permettait de suivre attentivement nostravaux. Puis, en 2004, il m’a envoyéun fax pour me dire qu’il faisait don àl’EFEO de ses archives personnelles. Jesuis donc allé quatre ou cinq fois àPékin pour organiser leur versement àParis, aux Archives nationales. Ça a étéle début de quatre années d’un long etpassionnant travail de classement puisde publication d’inventaire.

Le musée Guimet est un muséeancien, parisien et résolumentmoderne depuis les travaux qui sesont achevés en 2001. Il reste pour-tant peu connu du grand public.Comment l’expliquez-vous ?Précisément, je ne me l’explique pas !Mais je me donne comme missiond’inverser cette proposition. Pour cela,il nous faut mettre en place une pro-grammation vivante, claire, et une visi-bilité plus grande dans Paris. Quelqu’unme faisait remarquer qu’un guide dutype Michelin parle du musée Guimetcomme du « Louvre de l’Asie ». Or jesouligne depuis longtemps l’existencede « Joconde » à Guimet : des objetsque certains visiteurs viennent voir, par-fois du bout du monde.D’une façon générale, le public français

ignore l’extraordinaire richesse des collec-tions et souvent même de l’art oriental.Autrefois, le public du musée Guimet étaitun peu élitiste : pas forcément savant,mais toujours cultivé. Et l’Orient, avantl’invention catastrophique du tourisme demasse, était un Orient lointain. Il y avaitdonc une adéquation entre ce musée unpeu mystérieux et élitiste et son public.

MAGAZINE N°170 � NOVEMBRE - DÉCEMBRE 2011 � 21

« D’une façon générale, le public françaisignore l’extraordinaire richesse des collec-tions et souvent même de l’art oriental. »

sations qui ne sont pas la nôtre. À Gui-met, nous étudions, nous mettons envaleur, nous connaissons.Aujourd’hui, s’ajoute une mission

pédagogique vis-à-vis d’un public quisera de plus en plus confronté à lanécessité de connaître cet Extrême-Orient puissant. Pour le familiariser avecses formes esthétiques et mentales, lemusée Guimet est un instrument pri-vilégié. Il s’agit donc de définir un rôlequi concilie l’exigence savante etl’exigence du public. C’est assez diffi-cile, car il faut à la fois ne rien galvau-der et ne pas détourner le public. Maisc’est une institution magnifique ! �MMuussééee GGuuiimmeett -- 66,, ppllaaccee dd’’IIéénnaa -- 7755111166 PPaarriiss

TTééll.. :: 0011 5566 5522 5533 0000 -- FFaaxx :: 0011 5566 5522 5533 5544

wwwwww..gguuiimmeett..ffrr

Page 22: Enfants du Mékong n°170

Découvrir > Livres

à lire on a aimé à ne pas manquer

Thaïlande contemporaineStéphane Dovert et Jacques IvanoffÉd. Irasec/Les Indes savantes, 626 p., 35 €

Comme bien souvent, les monographies publiées par l’Irasec(l’Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est) sont des ouvrages à voca-tion exhaustive qui rassemblent, décortiquent et font la lumière surune quantité fascinante de sujets. Thaïlande contemporaine remplit onne saurait plus honnêtement son rôle. La plupart des thèmes (cultureet identité thaïes, développement économique, géostratégie et poli-tique étrangère…) chers à ce pays « en pleine effervescence mais àl’avenir incertain », sont ainsi passés au crible d’une armée de cher-cheurs de renom et nous font entrer dans les arcanes d’une Thaïlandebien plus complexe et codifiée qu’il n’y paraît de prime abord.

Angkor, lumière de pierreMireille Vautier, photographiesOlivier Germain-Thomas, textesÉd. Actes Sud, 160 p., 49 €

Nouvel ouvrage sur Angkor – qui continue à fasciner tou-jours et toujours plus – cet ouvrage richement illustré par les photosde Mireille Vautier et les textes d’Olivier Germain-Thomas laisse pourle moins perplexe. Les textes du grand écrivain qu’est Germain-Tho-mas, érudits, poétiques, oniriques même, renvoient aux différentsdécouvreurs d’Angkor et à toute l’histoire légendée de la mythiquecité. Les photos de Mireille Vautier, photographe à la renommée inter-nationale, nous plongent dans l’intimité d’un Angkor qui semble deplus en plus fantasmé. La démarche est belle, poétique encore unefois, textes et photos remplissent parfaitement leur rôle. Maisl’ensemble peine à convaincre. Mouhot, Loti, Malraux n’ont-ils pasdéjà tout dit sur ces pierres ?

Cambodge – La survie d’un peupleSophie Boisseau du RocherÉd. Belin, 192 p., 20,90 €

Fidèle au principe de la collection « Asie plurielle », SophieBoisseau du Rocher remporte le pari de faire tenir l’histoire complexeet mouvementée du Cambodge dans un ouvrage aux proportions rai-sonnables, loin des sommes parfois décourageantes sur ce sujet. En explo-rant rigoureusement l’histoire khmère, elle élargit les clichés actuels aux-quels ce pays difficile à appréhender est trop souvent réduit, pour mieuxmettre en valeur atouts et faiblesses du Cambodge contemporain. Unesynthèse brillante et parfaitement documentée.

Viêt Nam, Histoire Arts ArchéologieAnne-Valérie Schweyer, textesPaisarn Piemmettawat, photographiesÉd. de La Frémillerie, 134 p., 18 €

À mi-chemin entre le guide de voyage et le « beau livre »,ce Viêt Nam est une somme richement illustrée de 859 photographiesen couleur et de 40 cartes et plans. Quatre parties déclinent l’histoireet la géographie du pays, les civilisations viêt (au nord) et cam (aucentre et dans le sud) avec leurs sites historiques respectifs, les prin-cipaux musées du Vietnam. Une éblouissante plongée, où l’éruditionsait toujours se faire pratique et accessible, au cœur d’un pays millé-naire, qui captivera le voyageur las de la jungle urbaine à laquelle leVietnam moderne semble parfois avoir tout sacrifié.

Li, le jeune archer du roi de ChinePascal Vatinel, illustrations de Peggy AdamÉd. Actes Sud junior, 104 p., 7,50 €

Alors qu’il s’apprête à partir en pèlerinage sur la montagnesacrée où vit l’Empereur de Jade, le vieux Lao Sheng raconte à sa petite-fille l’histoire de Li Ming. Guidé par un mystérieux oiseau, ce jeunearcher valeureux délivre les habitants de la plaine et le roi de Chinede l’aigle, de l’ours et du tigre qui les menaçaient. Écrit d’une plumesouple et précise par un sinologue habile à s’adresser aux adultes commeaux enfants, ce charmant conte de la série « Fleur de printemps » répondà la perfection à l’intention qu’elle s’est fixée de familiariser les enfantsfrançais à l’univers de la culture chinoise ancestrale. Dès huit ans.

22 � N°170 � NOVEMBRE - DÉCEMBRE 2011 MAGAZINE

Les Réfugiés – HoàYves MeaudreÉd. Dominique Martin Morin, 256 p., 22 €

Dans l’immense production littéraire, certainslivres intéressent, d’autres indiffèrent, d’autres passionnent.La raison ou l’émotion suffit à classer votre lecture. LesRéfugiés est tout autre : c’est un livre rare ! Son titre mêmeest une personne, incarnation du destin des peuples duSud-Est asiatique. L’intrigue révèle des circonstances tropsouvent oubliées de l’histoire tragique de ces peuples quiont payé de leur vie des combats idéologiques si éloignésde leurs cultures. L’histoire – la vraie – y trouve son comp-te. Les péripéties dramatiques vécues par les personnagessont authentiques dans leur cruauté comme dans leurgrandeur. Mais, bien au-delà, à travers le regard de Hoà,c’est l’âme de ces peuples qu’Yves Meaudre nous révèle.

Tout dans ce livre – le style sobre et alerte, l’écriture inci-sive à travers des descriptions belles ou tragiques, la pré-cision des personnages – manifeste l’amour de l’Asie. Seulun grand connaisseur de ces peuples et de ces culturespouvait trouver les justes mots pour restituer l’extraordi-naire complexité des impressions qui vous assaillent dansla rencontre comme dans la contemplation. Par leur his-toire, par la nature toute particulière des relations qui sesont établies entre nos cultures, les peuples d’Asie duSud-Est nous sont mystérieusement proches. Voilà qu’unauteur lève le voile sur une partie du mystère. L’analyseest objective, raisonnable, mais c’est bien par le cœurqu’Yves Meaudre nous permet d’entrer dans l’insondableprofondeur de la sagesse confucéenne transcendée par larévélation de l’Évangile : « La complémentarité entre ceque Confucius a apporté à son peuple et l’intuition de nosplus grands mystiques, saint Jean de la Croix ou sainteThérèse de l’Enfant-Jésus, est extraordinaire. »

Car Les Réfugiés est le récit d’un auteur confronté auxsituations les plus tendues, les plus désespérées. Un jésui-te, Ong Harald, grand serviteur de ces réfugiés qui œuvra13 ans dans les camps à la frontière thaïlandaise, en résu-me ainsi le principe : « Nous ne pouvons tout expliquer,mais la clé est que Dieu est Amour et que nous en sommeschacun le reflet. Au nom de cela, nous devons faire. Chacuna le droit d’être un homme debout. Il faut agir en ce sens.Tout le reste n’est que paroles. » La grandeur de ce récittient à ce qu’il nous révèle le sens de la vie de l’homme ence monde. René Péchard fut de ces acteurs infatigables.Son histoire – aujourd’hui complétée par Enfants duMékong – montre que la vie est belle dans sa tragédie etque le don total de soi est une priorité de l’existence. Unlivre rare, promesse d’espérance, qu’il faut donner àchaque jeune de notre entourage qui attend ce témoigna-ge pour croire en sa vie. � Didier Rochard

Page 23: Enfants du Mékong n°170
Page 24: Enfants du Mékong n°170