entre les mots : recueil de textes pour lecteurs débutants
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ISBN 2-922773-00-0 Dépôt légal - Bibliothèque nationale du Québec, 2000 Dépôt légal - Bibliothèque nationale du Canada, 2000
ENTRE LES MOTS
L e Tour de lire remercie le Secrétar iat national à l'alphabétisation et le gouvernement du Québec pour leur soutien Financier.
Conception et rédaction des textes : Michèle David
Correction : Line Robitaille
Édition et impression : Imprimerie RDI
Tour de lire 1999
La petite fille
Elle est là, toute menue, au fond de la classe.
Elle est là, comme invisible. C'est l'enseignante
qui l'a placée dans ce coin. Elle est à l'écart des
autres enfants. C'est une classe de première année.
Isabelle a six ans. Son langage est celui d'une
enfant de quatre ans. Elle prononce mal certaines
lettres. Elle se fâche quand elle doit répéter. Elle
se fâche et bute sur les mêmes lettres.
Isabelle ne comprend pas. On semble la punir
de sa différence. Elle a vu une madame qui
s'occupe des mots et des sons. Isabelle a fait des
efforts. La madame a cessé de la voir. Trop
d'enfants avec trop de problèmes.
Au fond de la classe, Isabelle ne demande plus
rien. A quoi ça sert? Aucun adulte n'entend le cri
dans sa tête.
La bigote
Madame Duval est catholique. Elle va à la
messe tous les dimanches. Elle se confesse aux
deux semaines. Elle fait ses prières tous les soirs.
Elle prie pour son mari et ses enfants. Elle prie
pour que Dieu la protège.
Madame Duval trouve que le monde a bien
changé. La méchanceté est à tous les coins de rue.
La société va à la dérive. Les églises sont vides.
La facilité a remplacé le sens du devoir.
Ses devoirs de catholique, Madame Duval les
remplit à la lettre. Chaque année, elle paie sa dîme
à l'église. Elle fait la charité à Noël. A qui la faute
si tout va mal? Sûrement pas à elle!
L'autre soir, madame Duval, qui sort peu, est
sortie. Le curé la demandait. En revenant, elle a
vu un homme tomber. Il demandait de l'aide.
Madame Duval a passé son chemin.
Le kilo en trop
"Tu es trop grosse." semble lui dire son miroir.
Karine a quatorze ans. Elle est dans sa
chambre. Complètement nue, elle se regarde
devant le grand miroir. Elle examine son corps
attentivement. Son ventre n'est pas encore assez
plat. Elle doit être plus disciplinée.
Sa copine Nathalie réussit à ne pas manger
pendant deux jours. Elle dit que c'est une question
de volonté. Si on veut un corps parfait, on doit le
forcer. Nathalie ressemble aux mannequins des
magazines de mode.
Karine n'a pourtant pris qu'un seul repas. Elle a
avalé des biscottes et de la salade. Elle voulait
jeûner mais la tête lui tournait trop. Elle devra
payer ce laisser-aller.
Karine se dirige vers les toilettes. C'est là que
finiront les biscottes et la salade.
Le touriste
La Thaïlande. Une chambre d'hôtel petite et
sale. Une rue à touristes. Du plaisir pour pas cher.
Pour tous les goûts.
Des amis lui ont dit comment s'y prendre.
Tu demandes à un chauffeur de taxi. Il voudra
savoir combien tu as d'argent. Et il va te conduire
selon ton portefeuille.
François suit la méthode de ses amis. Son
chauffeur sourit. Il fait signe qu'il a compris.
François lui montre des billets.
François est dans la chambre. Il attend. La
patronne de l'hôtel lui a demandé ses goûts. Il lui
a dit. Elle lui a fait un signe universel. François a
payé. Elle lui a montré des photos. Il a choisi.
La photo d'une jeune Asiatique de douze ans.
La Thaïlande, François ne connaît pas!
Le sou noir
Armand est avare. On ne sait trop d'où ça lui
vient. Il est ainsi, c'est tout! De connaître son
enfance ne changerait rien. Armand est trop vieux
pour devenir généreux.
Tout a une valeur pour lui. Même le plus petit
sou noir. Armand ne donne pas un meuble usagé.
Il le vend. Il ne donne pas un vieux vêtement. Il le
garde, au cas où...
Armand a déjà été marié. Il ne l'est plus. Sa
femme l'a quitté. Elle n'en pouvait plus de le voir
compter. De le voir donner en ne voulant pas
donner. C'était, chaque fois, comme si on
arrachait l'âme d'Armand. Ça détériorait leur
relation. Ça la mettait au ras du sol.
Là où se trouve quelquefois le sou noir qui
porte chance!
7
Les mots
J'ai quelque chose à te dire. Quelque chose
d'important. Ce n'est pas facile. Non! Laisse-moi
parler! Après, tu parleras! Depuis deux jours, dans
ma tête, je cherche les mots. Ils sont là depuis
longtemps. Je ne voulais pas les entendre. J'avais
peur de te les dire. Je ne savais pas lesquels
choisir. Il y en a tant! Ceux qui font mal. Ceux qui
sont durs. Ceux qui ont un reste de tendresse.
Ceux qu'on voudrait taire. Ceux qu'on devrait
taire. Ceux qu'on ne peut reprendre.
Devant le miroir, Carole pratique. En faisant
les cent pas, Carole parle à l'autre. Il va venir
tantôt. Celui avec qui elle a partagé tant de mots.
Mots d'amour. Mots complices. Doux mots.
Et maintenant, il va venir entendre les derniers
mots de Carole.
Point final!
Échanges
Toilettes publiques. Un jeune de vingt ans et
un homme plus âgé. Scène habituelle pour
Olivier. Scène qu'il répète chaque jour.
Vite! Très vite! Il prend l'argent du vieux.
Vite! Très vite! Il s'active à genoux. Olivier a une
nausée. C'est toujours ainsi. Alors, il pense à
l'argent. A ce qu'il fera avec. Dix minutes d'un
travail sale et il pourra se payer son paradis à lui.
L'homme part sans dire un mot. A quoi sert de
parler? Les deux ont eu ce qu'ils voulaient. L'un,
du plaisir rapide. L'autre, de l'argent vite fait.
Olivier se dépêche. Il sait où il va. Il va à un
autre rendez-vous. Il va à un autre échange.
Olivier donne son argent. Il reçoit ce qu'il veut
tant.
Chez Olivier. Tout est prêt. Tout l'attendait. Le
liquide de l'oubli coule dans ses veines.
Tout et rien
Mélanie a tout eu. Enfant de riches, elle n'avait
qu'à demander. Un vélo neuf à chaque année. Des
vêtements de grands couturiers. L'école privée.
La petite Mélanie vivait dans la ouate. Son
entourage la mettait à l'abri du monde. Elle était la
princesse d'un conte de fée.
A l'adolescence, Mélanie est devenue difficile
à contenter. Tout lui était dû! Les plus beaux
garçons. Les vacances hors de prix. Le chauffeur
privé à son service.
La jeune Mélanie se coulait dans la ouate. Il y
avait elle et il y avait les autres. Elle était la reine
et elle commandait.
A l'âge adulte, Mélanie se noyait dans sa
ouate. Elle étouffait de tout avoir. Elle se sentait
un pion inutile de la vie.
"Tout et rien." ont été ses derniers mots.
Le vieux couple
C'est le petit matin. On est en janvier. Les
vitres sont givrées. Léo a encore mal isolé les
fenêtres. C'est comme ça chaque année. Il dit qu'il
est capable. Rita, sa femme, le laisse faire. Elle le
connaît bien son mari.
Léo et Rita font leurs gestes habituels. Rita
verse le café à Léo. Léo met la crème dans le café
de Rita. Il sait toujours quand arrêter de verser.
Lui aussi connaît bien sa femme.
C'est ainsi depuis la retraite de Léo. Ils font
attention l'un à l'autre. Ils sont redevenus de
jeunes amoureux. Rita fait des petits soupers à la
chandelle. Léo apporte les fleurs préférées de
Rita : des oiseaux de paradis. Chaque fois qu'il
arrive avec son bouquet, il lui dit la même phrase:
Pour des gens au paradis comme nous, je ne
pouvais pas acheter autre chose.
Ce petit paradis a été construit de compromis.
Rita a appris à taire ses commérages. Léo a appris
à chuchoter des mots doux. Ça n'a pas toujours été
facile. Leur vie a eu des hauts et des bas.
Ensemble, ils ont tout vécu. Leur peine de
perdre Martine deux mois après sa naissance.
Leur joie de marier Thomas, leur petit dernier. Le
baptême de leur première petite-fille.
Naissance qu'on additionne à la vie et mort
qu'on lui soustrait. En cinquante ans de vie
commune, Léo et Rita ont trouvé chacun leur
compte.
La radio joue une chanson de leur jeunesse.
Léo regarde Rita. Il la revoit comme au début. Il
lui fait son sourire enjôleur. Celui qui a fait perdre
la tête à Rita. Celui qui l'a menée droit à l'autel.
Et à la chambre à coucher!
La rencontre
Tu as du feu?
Julie lève la tête. Il est là devant elle. Il lui
sourit. Son sourire est si invitant. Ça fait deux
semaines qu'elle attend ce moment. Ça fait deux
semaines qu'elle lui jette des regards par en-
dessous.
Julie est une habituée de ce petit café de la rue
Ontario. Il y a seulement une dizaine de tables.
Tout le monde se connaît. Ce sont des gens du
coin. Des jeunes, des mères, des personnes âgées.
La patronne, Andrée, sait l'histoire de chacun.
Elle sait que Julie traîne une peine d'amour qui
n'en finit pas. Mais elle ne connaît toujours rien
de ce nouveau client.
Il est entré un matin pluvieux dans le petit
café. Il prend toujours deux croissants et de la
confiture. Après le premier croissant, il se roule
une cigarette. C'est comme un rituel.
Il parle peu. Même Andrée n'a jamais osé
l'aborder, elle si directe. Et Julie, bavarde comme
une pie en temps normal, est devenue silencieuse.
Et enfin! Il est là, debout devant elle. Il a parlé.
Peu, très peu. Et pas de la façon qu'elle aurait
voulu. L'ouverture est créée. Julie doit en profiter.
Elle lui tend ses allumettes.
Vincent se présente. Il s'assoit à la table de
Julie.
Pas géniale ma façon de t'aborder! Ça fait une
semaine que je réfléchis et j'ai rien trouvé de
mieux. Excuse mon manque d'originalité!
Julie et Vincent ont parlé. De tout et de rien.
Le soleil éclaire leur visage. Le petit matin avance
vers le midi.
Une histoire commence...
Scène d'amour
Hugo regarde Lydia. Il la dévore des yeux. Leur
nuit d'amour va être chaude. Comme toutes leurs
nuits depuis qu'ils se sont enfin trouvés.
Sophie referme son roman Harlequin. Elle en
lit deux par semaine. Dans son lit, avec une
musique d'ambiance. Elle aussi, elle rencontrera
un jour son prince charmant. En attendant, elle
savoure les histoires inventées.
Sophie a trente ans. Elle est secrétaire dans
une compagnie d'assurances. C'est pas la joie!
Elle aurait voulu être infirmière comme dans les
romans. Pas d'argent, pas de parents qui pouvaient
l'aider. Elle a dû faire des études rapides. Le
résultat la déçoit. Tout la déçoit.
La femme de chambre a préparé les draps de
satin. Lydia entre. Hugo est là, sûr de lui. Il
connaît la suite.
Sophie soupire et se lève. Ce soir, elle soupe
avec Patrice. C'est un nouveau collègue de travail.
Il la regarde depuis des semaines. Il a enfin osé
l'inviter.
Sophie se lave, se maquille avec soin. Elle met
la robe qui la moule si bien. Patrice lui a envoyé
des fleurs. Un petit bouquet. Sophie est déçue.
Lydia ouvre la porte de son appartement. Elle
s'arrête, surprise, et pousse un cri de joie. Des
centaines de fleurs sont posées un peu partout.
Sur la table, une petite carte, avec un cœur
dessiné. Lydia ne se possède plus. Elle court chez
Hugo.
Sophie soupire à nouveau. Elle doit penser à la
soirée. C'est elle qui choisit le restaurant.
Pourquoi pas un restaurant russe?
Patrice est venu. Et il est reparti. Impossible de
battre Harlequin!
Les pétales arrachés
Marcel est représentant. Il vit plus souvent sur
la route et dans des motels. Il aime s'entendre
parler. Il sait tout mais jamais en profondeur.
De son avis même, il connaît surtout les
femmes. Ces créatures faibles et fragiles, comme
il dit à qui veut l'entendre. Des fleurs qu'on doit
arroser tous les jours. Une chance qu'il est là!
Marguerite, sa femme. La fleur de Marcel.
C'est le verbe facile de Marcel qui l'a charmé.
Tout le monde le lui avait dit. Sa famille, ses
amis. Marcel était la carte gagnante de sa vie.
Avec lui, elle s'épanouirait.
Marguerite a donc épousé Marcel. Devant
Dieu et les hommes, elle a dit oui. Pour le
meilleur et pour le pire, elle a dit oui. Dans la
famille de Marguerite, on ne divorce pas.
Un mariage qui a coûté cher à son père. Un
mariage qui a épaté tout le monde. Marcel qui
sourit de contentement sur toutes les photos.
Marguerite qui regarde Marcel avec un sourire
béat. Les photos sont maintenant jaunies.
Un voyage de noces en Grèce. Marguerite qui
se donne corps et âme à Marcel. Marcel qui prend
le corps de Marguerite.
Là-bas, le soleil et la mer ont rendez-vous tous
les jours. Là-bas, Marguerite attend Marcel. Elle
ne comprend pas. Qu'est-ce qu'elle a pu faire? Lui
aurait-elle déplu sans le savoir?
Là-bas, Marcel court les jupons. C'est plus fort
que lui. Ça n'a pas d'importance. Il a toujours été
ainsi. Marguerite s'habituera.
Mais Marguerite ne s'est jamais habituée. Les
aventures de Marcel l'ont fanée. Elle a choisi la
folie. Dans sa famille, on ne divorce pas!
L'immigrant
Moustapha vient du Mali, un pays d'Afrique. Il
est au Québec depuis deux ans. Moustapha ne
connaît pas son âge. Dans sa tribu, ça n'a pas
d'importance.
Moustapha a deux boulots. Il est plongeur dans
un restaurant du Vieux-Montréal. Il fait aussi des
ménages chez des particuliers. Moustapha a du
courage à revendre. Il poursuit un but.
Son seul loisir est le soccer. C'est son moment
de détente. Au Mali, il était classé joueur national.
Ici, il joue amateur avec des Québécois et d'autres
Africains.
Moustapha est un musulman pratiquant. Il fait
ses prières, tourné vers l'est, tous les jours. Ce
n'est pas un extrémiste. Il croit que tous les dieux
sont bons. C'est le mal, fait au nom des dieux, qui
est mauvais.
Moustapha aide sa famille restée là-bas. Tous
les mois, il envoie de l'argent. C'est pour bâtir une
maison. Ce sera la plus grande maison du village.
Toute la famille pourra y loger. C'est pour ça qu'il
travaille autant. C'est le but de sa vie.
La mère de Moustapha ne sait pas lire. C'est le
cousin qui écrit les nouvelles du Mali. Elle bénit
Moustapha de ne pas oublier. Elle lui raconte les
mariages et les enterrements. Elle lui explique la
maison qui prend forme.
Moustapha, aussi, ne sait pas lire. C'est une
amie québécoise qui lui lit les paroles de sa mère.
Elle écrit les nouvelles de Moustapha.
Il parle peu de lui dans ses lettres. Il parle de la
maison et des travaux. Il met en garde. Il
conseille. Il ne dit jamais qu'il est seul et qu'il a
peur parfois.
Moustapha poursuit son but.
L'empotée
Regarde où tu mets les pieds! Une vraie
empotée! C'est comme ça chaque fois! C'est à se
demander qui l'a faite celle-là!
Line répond d'une voix proche des larmes : "Je
ne l'ai pas fait exprès! Je vais tout ramasser."
C'est le troisième incident de la matinée. C'est
la troisième fois que Line s'excuse. On est samedi.
Elle aide sa mère au grand ménage. C'est comme
ça tous les samedis. Une obligation filiale.
Line a toujours été ainsi. Elle est maladroite
avec les objets. Elle les échappe. Elle les
égratigne. Elle les casse.
Elle vient de faire tomber une plante. Elle
passait l'aspirateur. Son pied a cogné le vase. Il y
a plein de terre sur le plancher.
C'est toujours la même chose. Sa mère
l'asticote tout le temps. On dirait qu'elle lui en
veut. Jamais un compliment! Que des remarques
blessantes! Line sent que ce n'est pas fini. Le pire
est à venir. Elle pourrait dire les répliques à la
place de sa mère.
Empotée comme tu es, personne ne voudra de
toi! Le garçon qui va te marier va le regretter
assez vite! Tu ressembles de plus en plus à ton
père! Lui aussi...
Line n'écoute plus. Ça lui fait trop mal. Quatre
ans que ce manège dure! Et elle n'a que douze
ans! Vivement l'âge adulte!
Elle fera comme son père a fait. Il y a de cela
quatre ans. L'autre empoté de cette famille,
comme dit sa mère.
Elle aussi, elle partira. Elle quittera sa mère
comme son père l'a fait.
A moins que, d'ici là, une maladresse plus
maladroite arrive...
Changement de cap
Catherine est avocate. Elle a quarante-cinq
ans. A quarante ans, elle a mis la clé dans la porte.
Finie la pratique privée! Finie la peur!
Elle était la meilleure de sa promotion. On lui
prédisait un bel avenir en droit. Toutes les portes
lui étaient ouvertes.
Catherine a choisi le droit criminel. Elle rêvait
de défendre la veuve et l'orphelin. La justice serait
la même pour tous!
Cette belle pensée a suivi Catherine dans ses
débuts. Elle gagnait toutes ses causes. On la disait
imbattable dans ses plaidoiries. Elle savait
reconnaître les bons jurés. Ceux qui feraient
acquitter son client. Son nom a circulé dans le
milieu judiciaire.
Le petit bureau des débuts est devenu un gros
bureau. Catherine a embauché des finissants
prometteurs. Son cabinet d'avocats roulait à fond
de train. La renommée augmentait. L'argent
entrait à flots. Il n'avait plus d'odeur.
Le souvenir des débuts était loin, perdu dans
les brumes de la gloire.
Les causes se succédaient. Elles faisaient
souvent la une des journaux. Catherine défendait
de drôles de clients. Certains procès lui laissaient
un goût amer. Elle les oubliait avec de la boisson.
Elle les oubliait avec des amants de passage.
Et soudain, à quarante ans, en plein procès,
Catherine a craqué. Elle a refusé de défendre son
client. Un client très riche qui s'en sortait toujours
grâce à elle. Il a été inculpé. Catherine a reçu des
menaces qui l'ont fait réfléchir.
Finie la pratique privée! Finie la peur!
Catherine a de nouveau un petit bureau. Elle
touche ses honoraires auprès de l'aide juridique.
La fin du film
Martin revient du petit cinéma de répertoire. Il
est dans tous ses états. Il a encore vu un vieux
film des années cinquante. Ça, c'est du vrai
cinéma! Martin gesticule et se parle à voix haute.
La piqûre pour le cinéma, Martin l'a eue tout
petit. Ses parents étaient des fanatiques de vieux
films. Quelles belles soirées! Assis entre les deux,
Martin était aux anges. Les images défilaient et le
captivaient.
Amours, aventures, drames et comédies ont
bercé le jeune Martin. Sa tête était remplie
d'images. Son enfance était comme un film. Il
passait des heures à rêver des scénarios.
Martin ne jouait pas comme les autres enfants.
Sa vie était toute tracée. Il ferait du cinéma.
Adolescent, Martin promenait sa caméra
partout. Il emmagasinait les images de la rue. Il
captait des visages sur le vif. Martin filmait en
s'imaginant devenir un réalisateur célèbre.
Un soir doux de mai, dix heures. Martin a
tourné un coin de rue. Il a vu d'immenses
flammes. Il a vu les pompiers impuissants. Il a vu
les badauds massés au loin. Le cinéma Bellevue
brûlait.
Martin a mis sa caméra en marche. C'était
devenu un geste automatique. Un drame humain
se déroulait. Il a tout filmé. Même le toit qui
s'écroulait. Des images, beaucoup d'images qui le
rapprochaient de son rêve.
Martin a su le lendemain. Ses parents étaient
dans le cinéma. Les images dans l'œil magique
sont réelles. La vie de Martin a basculé dans la
folie.
La fin du film est triste.
Le chasseur
Benoit est un chasseur. Un vrai de vrai. Rien
ne lui résiste. Aucun animal ne lui fait peur. Avec
sa carabine en mains, Benoit devient un autre
homme. L'homme qu'il voudrait être dans sa vie.
Benoit préfère le gros gibier. Traquer un
chevreuil ou un orignal, ça c'est du sport! Il n'a
jamais manqué sa proie.
Aujourd'hui, Benoit est heureux. Il a quitté le
chalet avant les autres chasseurs. Il a quitté avant
ses amis. Ça fait trois jours qu'il endure.
Il endure Thomas, un collègue de travail qui
chasse pour la première fois. Ses gaffes de
débutant le font rager. De plus, Thomas est
lunatique. Il prend la chasse pour des vacances.
Hier soir, Benoit a parlé à Denis, son grand
copain de chasse. Il lui a dit d'enlever Thomas de
son chemin.
Tu voulais apprendre la chasse à Thomas.
C'est à toi de t'en occuper! Par deux fois, il a fait
fuir mon orignal. Celui que je piste depuis le
début. Avant que tu me reprennes à dire oui pour
un autre amateur! Toi et ton côté saint-bernard!
Bien à l'abri du vent, Benoit attend. Il n'est
toujours pas calmé. Une petite brume pèse sur la
forêt. Les bruits habituels du lever du jour se font
entendre. Il repense à son orignal. Il doit l'avoir.
Soudain, à sa gauche, un fort piétinement.
C'est là, derrière de gros arbres. La piste de
l'orignal l'a mené où il est. Benoit arme sa
carabine. Il voit mal à cause de la brume. Il devine
plus qu'il ne voit sa proie. Il tire au jugé.
Des cris! Benoit se précipite. Thomas, hébété,
est penché sur le corps de Denis.
Au loin, la brume se lève sur un orignal.
La vedette
L'émission débute toujours de la même façon.
Les caméras font un survol du public en délire.
Sur l'écran, ça donne un ensemble de visages
anonymes. Les gens réclament l'entrée en scène
de leur vedette.
La chaîne Télé Populaire a eu le nez fin.
L'embauche de Stéphane Lapalme leur rapporte
beaucoup. L'auditoire dépasse le million de
personnes.
Bonjour mesdames et messieurs! Ici votre
animateur Stéphane Lapalme! Au programme ce
soir, j'ai pour vous plusieurs surprises.
Ça fait bien quatre cents fois que Stéphane dit
cette formule. Ce soir, il la trouve idiote. Ce soir,
il trouve son rôle inutile.
Après l'émission, il ira voir le directeur des
programmes. Il lui dira son intention de quitter les
ondes. Il n'en peut plus de son image publique. Il
veut trouver qui il est vraiment. Il ne le sait plus.
Il a trop laissé les caméras l'envahir.
Stéphane n'a plus de vie privée. Le moindre de
ses gestes est étalé dans les journaux à potins. Au
début, il courtisait ces journaux. Les entrevues
aidaient à sa célébrité. Maintenant, il les fuit
comme la peste.
C'est comme son gérant. Il lui a arrangé son
enfance trop tranquille. Il lui a inventé une
adolescence difficile. Il l'a bâti de toutes pièces. Il
a fait de Stéphane une mécanique parfaite.
Ce soir, la mécanique lâche. Stéphane va
surprendre tout le monde. Dans une petite heure,
il va récupérer sa vie.
D'ici là, le public aura Stéphane tout à lui.
Chaque personne croira qu'il s'adresse à elle seule.
Mesdames et messieurs, invitons...
Entre les mots
La petite fille 3
La bigote 4
Le kilo en trop 5
Le touriste 6
Le sou noir 7
Les mots 8
Échanges 9
Tout et rien 10
Le vieux couple 11
La rencontre 13
Scène d'amour 15
Les pétales arrachés 17
L'immigrant 19
L'empotée 21
Changement de cap 23
La fin du film 25
Le chasseur 27
La vedette 29
Publications du Tour de lire
Des sons en progression, 1989
La méthode phonétique au niveau débutant, 1990
Nouvelles du monde, 1990
Le niveau intermédiaire...à découvrir, 1991
Le niveau avancé : un tournant qui s'écrit, 1991
Voyage dans le temps, 1992
Trois Contes, 1993
Pour l'amour de la Chanson, 1996
La traversée du tunnel, 1997
Prenez le Tour de lire, 1998