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MASSAWA et la MER ROUGE Catalogue de l’exposition

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MASSAWA et la

MER ROUGE Catalogue de l’exposition

Aprks avoir eu les honneurs de la cimaise A l'UNESCO (Paris) en novembre 2002,

cette exposition a été officiellement inaugurée a Massawa le 8 février 2003. Elle y est installée en permanence.

Sollicitée par plusieurs établissements culturels, l'Alliance frangaise d'Asmara,

ii l'origine de cette exposition pour le public d'Erythrée, a pensé qu'il y avait lieu de lui ouvrir un champ plus large.

Avec l'accord des autorités de Massawa, une copie de l'exposition a été réalisée. Elle circule présentement dans plusieurs cités d'Europe. Des versions de ces textes en tigrinya, arabe et anglais ont été établies.

Massawa et la m e r Rouge histoire et culture

Exposition placée sous le haut patronage des Autorités de la ville de Massawa en Erythrée

et particuli6rement de Monsieur Ibrahim Totil, Gouverneur de la " Northern Red Sea Region "

Elle a été organisée par

l'Alliance Frangaise d'Asmara

Avec le soutien de

la Division du patrimoine culturel de l'UNESCO

Coordination: Francis Anfray et Anne Saurat-Anfray

Textes

Henrich Bruggemann et Mireille Guillaume Origin es Abdour

Francis Anfray Mer Rouge. Massawa et In mer Rouge. Le grand Massawa d'aujourd'hui.

Navigation en mer Rouge dans les temps anciens. Nouvelles religions (christianisme et islam).

L'Archipel des Dahlak. Arabes, Portugais et Turcs.

Voyageurs aux X?!IIIe et XIXe siècles

Rodolfo Fattovich Adoulis

Yosief Libseqal Romains, Axoumites et Byzantins en mer Rouge

Jonathan Miran La mer Rouge et Massawa au Xure siècle

Uoldelul Chelati Massawa de laJin du XZXe sickle a l'époque actuelle

Anne Saurat-Anfray Werner Munzinger

Henri Labrousse Massawa, Avril 1941

Pierre Montaigne Massaw a a ujo urd 'h u i

Mathieu Arrault La pêche a Massawa

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L a documentation photographique et cartographique de l'exposition

a bénéficié du précieux concours des institutions et des personnes suivantes:

Bibliothkque Nationale (Paris), Musée de la Marine (Paris), Biblioteca Reale de Turin,

IsIAO (Istituto Italiano per l'Africa e l'oriente) de Rome,

Istituto Agronomico per l'oltremare de Florence H. Bruggemann, Jean Gire, Pierre Montaigne,

Anne Saurat-Anfray, Maria Pennacchio, Le Domaine d'tlbbadia (Hendaye), Madame C. de Lasteyrie du Saillant, Stadtarchiv d' Olten (Suisse), Satellite picture of Massawa (IKONOS-2),

Musée Barrois (Bar-le-Duc) Spot Image, Toulouse

Le traitement de la documentation a été réalisé par le Laboratoire EPI (Paris)

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Massawa et la mer Rouge

La mer Rouge

Trait d'union entre la Méditerranée et l'océan Indien, charnière de l'Afrique nord-orientale et de l'Asie sud-occidentale, voie de passage et d'échan- ges entre plusieurs mondes, la mer Rouge est, au dire des géologues, le plus jeune des océans. Elle est le résultat de mouvements tectoniques qui, au cours du Pliocène (il y a quelque douze millions d'années) causèrent de grandes fractures dans cette aire géographique. Ce sillon volcanique relie la vallée du Jourdain aux grands fossés de l'Est africain. I1 est long de 2 300 kilomètres et large de 340 à la latitude de Massawa.

Les Egyptiens l'appellent Bahr al-Kulmm (de Clysma, un site antique près de Suez), Les Turcs ottomans disaient : 'I la mer de corail 'l. Mer Erythrée des Anciens, mer Rouge à présent.

Son nom lui viendrait d'une algue bleue qui, à sa mort, tourne au rouge la Trichodesmium erythrueum.

Suez, Yanbu, Djedda, Hodeïda, al-Mukha, Port-Soudan et Assab sont des ports modernes de la mer Rouge. L'un d'eux, peut-être le plus ancien, est Massawa. Sous l'angle maritime, c'est le plus beau. La " Perle de la mer Rouge ", tel est le titre que lui décerne la renommée.

Massawa

Port principal de 1'Erythrée. Ville de quarante mille habitants.

A l'origine, un îlot de roches madréporiques situé près de la côte. Un kilo- mètre en longueur, 350 mètres en largeur. Sur cet îlot plat, une agglomération est depuis longtemps installée. Occupe-t-elle la place de l'ancienne Saba ou Sabai des auteurs grecs anciens ? Est-ce dans ses parages qu'à l'époque des premiers Ptolémées fut créée la ville de Bérénice-près-de Sabai (la Bérénice Panchrysos de Pline) ? Les historiens en discutent.

Que ce port ait été particulièrement propice au mouillage des bâtiments de navigation, Ferret et Galinier, ingénieurs français de passage à Massawa en 1841, l'observaient alors : 'I C'est à la sûreté de son port et à sa position à l'en- trée de la seule route qui conduit en Abyssinie que la ville de Massaouah doit son existence ".

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Massawa (en arabe Musawwa ) est un mot dérivé de la langue tigrinya inetsiwu, qui signifie I' appel I'. Une légende raconte que, autrefois, les patrons de caravanes arrivant de l'arrière-pays sur la côte devaient héler les gens de l'île pour qu'ils viennent les prendre avec leurs barques. Ce vocable apparaît au XIV" siècle dans les sources écrites. Girolamo di San Stefano, à la fin du XV siècle, fit escale dans le port qu'il orthographie Mama.

Apartir du Ix" siècle , il figure dans les écrits des auteurs arabes sous le nom de Badi, ce nom appartiendrait à la langue tigré en usage dans la région depuis une époque reculée. Arnauld d'Abbadie, à Massawa en 1838, rapporte que les habitants 'I nomment l'ile Batzé 'l. Et, aujourd'hui encore, la population du pays utilise couramment le mot Batsé pour la nommer. (I1 est à noter cepen- dant que cette identification de Badi avec l'îlot de Massawa ne rencontre pas l'as- sentiment de tous les spécialistes. Certains pensent que le toponyme correspond à l'île de Al-Rih, près d'Aqiq, au nord de la frontière avec le Soudan).

D e tout temps, le négoce s'y est exercé. Débouché naturel des denrées apportées de l'intérieur et des marchandises du transit maritime, l'île a été longtemps l'un des grands ports d'embarquement pour les pèlerins africains de La Mecque.

En 1872, sur l'initiative de Werner Munzinger, gouverneur aux ordres de la puissance khédivale, un chemin, fait d'une levée de pierre longue de 250 m, fut aménagé pour relier la ville à l'îlot voisin de Twalet. Celui-ci fut joint à la terre feme par une chaussée de 850 mètres.

Le Grand Massawa

Massawa, la plus ancienne des villes d'Erythrée, englobe aussi aujourd'hui les quartiers du littoral proche : Edaga, Khutmya, Amatéré, Hutumlo et Emkulu. Au nord, deux péninsules : Gherar et Abd-el-Kader, enclosent des bassins mari- times. Cet ensemble compose l'agglomération moderne, le grand Massawa.

A une lieue au sud-ouest, au fond de la baie, s'érige la centrale électrique de Hergigo (l'ancienne Arkiko devenue faubourg de la grande cité).

L'îlot de Massawa (Batsé) constitue le vieux centre historique. Il est voué, comme dans le passé, aux activités de commerce. Deux mosquées y sont l'objet d'une vénération spéciale : El-Shaféi dont la fondation remonte huit cent ans, et Sheikh-Hammali bâtie au XVIc siècle et restaurée depuis. Les constructions sur le vieil îlot furent gravement endommagées par un tremblelnent de terre en

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août 1921 et derechef dévastées, largement ruinées, pendant les combats de 1990.

Twalet est surtout un centre administratif. Hôtels et demeures s’entourent de palmiers, faux-poivriers et lauriers-roses. A la pointe nord, l’ancien palais du gouverneur, construit il y a cent trente ans (rénové à maintes reprises), a été lui aussi abîmé, en 1990, par la terrible guerre.

F.A.

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ORIGINES

Nous, hommes modernes ou Homo sapiens, représentons la plus jeune branche d'un vieil arbre d'évolution, solidement enraciné en Afrique. Notre espè- ce a aussi évolué sur ce continent, il y a 200 O00 à 100 O00 ans, adaptée dès 1'0- rigine à la vie le long des lacs et des rivières. Les hommes inodeines se sont ensuite dispersés hors d'Afrique, mais la chronologie de cette migration et les routes empruntées demeurent controversées.

La découverte d'outils de pierre dans les récifs coralliens fossiles, formés il y a 125 O00 ans, le long de la côte érythréenne de la mer Rouge, montre que " les hommes modernes " vivaient sur ces zones côtières ou ils exploitaient probablement les fruits de mer. C'est la première preuve, datée, de l'adaptation de l'homme A la vie en environnement côtier, bien qu'il y ait des indices àAbdour et dans d'autres sites alentour que cette adaptation ait pu évoluer auparavant. Cette découverte est considérable parce qu'elle suggère que des routes littorales ont été prises pour le Levant et l'Asie du Sud-Est par les premiers Homo sapiens.

Abdour

Le site archéologique d'Abdour se situe à une soixantaine de kilomètres au sud- est de Massawa, près du petit village d'Abdour. On trouve de très nombreux outils dans les calcaires marins déposés lors de la dernière période interglaciai- re, alors que le niveau de la mer était jusqu'à 6 m au-dessus du niveau actuel. Aujourd'hui, ces dépôts se trouvent sur la terre ferme et sont ainsi facilement accessibles pour étude.

De gros outils bifaces, tels que les hachereaux, sont pris dans la couche inférieure, déposée juste après que la mer ait inondé la terre. Les vagues ont les- sivé le sol, mais ont laissé à faible profondeur les gros rochers, sur lesquels de riches bancs d'huîtres se sont formés. On en déduit que les outils étaient utilisés pour récolter ces huîtres, qui doivent avoir représenté une source de nourriture attirante pour l'homme en raison de leur facilité d'accès à faible profondeur, leur grande taille et leur forte abondance.

Des outils de pierre plus petits, tels les éclats et lames, se trouvent dans les calcaires qui représentent les anciennes plages. Ces "beach rocks" contiennent différents coquillages et crabes comestibles, ainsi que les restes fossiles de gros mammifères terrestres, c o m e l'éléphant, le rhinocéros et l'hippopotame. Ces petits outils étaient probablement employés pour préparer les fruits de mer

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et découper les gros mammifères terrestres près du rivage de l'ancien système récifal.

L'adaptation de l'homme moderne aux ressources marines lors de la der- nière période interglaciaire à Abdour marque un changement majeur dans le comportement humain qui coïncide avec d'importants changements climatiques. Un refroidissement et un assèchement du climat africain lors de la période gla- ciaire précédente (il y a environ 150 O00 ans) pourraient avoir été suffisamment sévères pour forcer les hommes modernes à émigrer pour survivre hors d'habi- tats intérieurs autrefois stables vers de nouvelles niches écologiques, comme la côte de la mer Rouge. Ensuite, ces gens auraient pu utiliser le littoral, auquel ils s'étaient déjà adaptés, pour se disperser hors d'Afrique.

H.B. et M.G.

NAVIGATION EN MER ROUGE DANS LES TEMPS ANCIENS

Les Egyptiens et le Pays de Pount

Que la mer Rouge ait été une voie d'échanges commerciaux dès la plus haute antiquité, plusieurs faits le démontrent. L'obsidienne par exemple, selon des témoignages archéologiques, faisait au septième millénaire avant notre ère l'objet de transactions entre ses deux rives.

Au troisième millénaire, et par la suite, les Egyptiens de l'époque pharao- nique allaient chercher dans un pays lointain ces produits qu'ils ne trouvaient pas chez eux et qu'ils prisaient hautement. Dans ce pays qu'ils appelaient Pount, ils se procuraient la myrrhe (de première nécessité pour l'embaumement des morts), des onguents, de l'encens, de l'or, de l'ivoire, des bois précieux, des aromates, des épices, des animaux domestiques et sauvages: bœufs, ânes, chiens, singes. Produits de la région même mais aussi d'autres contrées qu'en bons courtiers les Pountites savaient négocier. Dans leurs textes, les Egyptiens parlent des "mer- veilles de Pount", pays fabuleux comme furent, en d'autres temps, l'Eldorado des conquistadors et, chez les gens d'occident, Golconde aux trésors légendaires; pour les Egyptiens, il était la "Terre du dieu" et de Hathor, nourrice du pharaon, ''maîtresse de Pount''.

Pour obtenir ces produits rares, ils organisaient des expéditions maritimes. Une des plus anciennes que l'Histoire ait enregistrées date du règne du pharaon Sahouré (2458-2446 avant notre ère). Au début du second millénaire, un conte relate les aventures d'un h o m e qui, embarqué avec cent-vingt marins "de l'élite

d'Egypte'', échoua aux parages d'une île gouvernée par le Serpent, "seigneur de Pount" .

La plus fameuse des navigations égyptiennes figure en images sculptées et peintes sur les murs d'un temple élevé en l'honneur de la reine Hatshepsout (1473-1458 avant notre ère) dans la vallée du Nil, à Deir el-Bahari. On y voit les bateaux égyptiens, des habitants de Pount derrière leur chef Parihou et son épouse Atiya, près d'un village aux huttes sur pilotis, et, dûment représentés, tous les articles du négoce d'alors.

Où était ce pays fabuleux? Les études les plus récentes établissent avec un haut degré de pertinence que Pount se situait dans une vaste région englobant le delta du Gash au nord-est du Soudan et le nord de 1'Erythrée. Ce pays était acces- sible par des chemins terrestres mais on y venait aussi d'Egypte par mer. Les navires partaient d'un port que les Egyptiens nommaient Sww, aujourd'hui iden- tifié avec un site archéologique près de Mersa Gawagis au nord de Qusayr. D e Coptos sur le Nil, les marchands gagnaient ce port par le Wadi Hammamat. La flotte faisait relâche pour ses chargements aux environs d'Aqiq. Abordait-elle aux rivages de I'Erythrée? L'archéologie le dira peut-être un jour.

L a flotte de Salomon en mer Rouge

"Le roi Salomon a m a une flotte à Ezion-Geber qui est près d'Eilat, sur les bords de la mer Rouge.. . Hiram envoya sur les vaisseaux ses serviteurs, des matelots qui connaissaient la mer, avec les serviteurs de Salomon. Ils allèrent à Ophir et en rapportèrent quatre cent vingt talents d'or''. La Bible, dans le "Livre des Rois", relate ces faits.

Les Phéniciens

Industrieux, inventeurs de l'alphabet, commerqants avisés, habiles cons- tructeurs, les Phéniciens fondèrent plusieurs cités sur le littoral syrien, elles furent autant de petites républiques. Byblos, Tyr, Sidon, les plus prospères de ces cités, connurent leur apogée entre le x" et le VIII" siècle avant notre ère.

Ophir

Au x" siècle avant notre ère, Hiram est roi de Tyr. Le roi des Hébreux, Salomon (970-931), s'allie avec lui. Il a besoin d'or et pour s'en procurer, avec l'aide des marins phéniciens, il met des trières à la mer pour le pays d'Ophir. Les marchands apportaient l'or de cette région dont l'emplacement est aujourd'hui

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encore imprécis. Ophir était-il en Arabie, en Inde ou en Afrique selon des hypo- thèses souvent émises? Les érudits en discutent mais on peut vraisemblablement le situer au voisinage de Pount. En tout cas, les trières de Salomon parcouraient la mer Rouge en quête d'or, de pierres précieuses et d'essences rares, et bien d'au- tres navires aux siècles suivants allèrent dans leur sillage vers cette contrée auri- fère ainsi qu'en témoigne, par exemple, ce morceau de poterie découvert à Tell Qasile en Israël et datant du VIII" siècle avant notre ère, sur lequel sont inscrits ces mots: "or &Ophir''.

Les Perses

Le pharaon Nechao (609-594 avant notre ère) avait une escadre en mer Rouge. Il entrepris de faire creuser un canal entre le Nil et cette mer. La mort ne lui permit pas de mener à teme son dessein, lequel fut repris par le roi des Perses, Darius (522-486), dont l'hégémonie s'étendait alors sur 1'Egypte. Aux environs de 520 avant notre ère, un navigateur grec au service de Darius, Scylax de Caryanda, établit une liaison maritime entre l'Indus et le golfe de Suez. Utilisant le canal qui raccordait la branche orientale du Nil au golfe par le Wadi Tumilat, les lacs Timsah et Amers, des bateaux chargés de tributs sillonnaient la mer Rouge sur la route de la Perse.

Les Ptolémées

Ces successeurs d'Alexandre régnèrent sur 1'Egypte de 305 i 30 avant notre ère. Ptolémée I Soter, fondateur de la dynastie, et son fils Ptolémée II Philadelphe firent d'Alexandrie, capitale de leur royaume, une cité prestigieuse.

Avec ses 300 O00 habitants, cette cité fut longtemps une agglomération prospère, " le plus grand marché du monde", affirmera le géographe Strabon au début du premier siècle. Dans ses entrepôts s'entassaient des marchandises apportées de partout. Non seulement Alexandrie était le centre du commerce méditerranéen, mais sa bibliothèque aux milliers de manuscrits et le Mouséion (d'ou viendra le mot musée) dédié aux déesses protectrices des arts constituaient une véritable université oÙ des activités intellectuelles se déployaient dans le domaine des sciences et des lettres.

Avides de richesses, les Ptolémées envoyèrent des expéditions en mer Rouge pour en reconnaître et en exploiter les ressources commerciales. A cette fin, Ptolémée II remit en service le canal de Néchao, ensablé depuis l'époque perse. Les sources antiques livrent des informations sur les établissements que les rois d'Egypte créèrent sur la côte des Trogodytes (ainsi les Grecs appelaient-ils ces peuplades qui nomadisaient des confins égyptiens jusqu'au littoral érythréen d'aujourd'hui).

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A l'exception de deux d'entre eux, ces comptoirs reprent les noms de princesses égyptiennes : mères, sœurs, épouses, sœurs-épouses des Ptolkmées II et III; du nord au sud: Arsinoé, Philotéra, Myos Homos (havre des coquillages), Bérénice-des-Trogodytes, Ptolémaïs Thérôn, Bérénice Panchrysos ou Bérénice- près-de-Sabai (dans la région de Massawa) et, plus au sud, voisins l'un de l'autre, Arsinoé et Bérénice-épi-Dirès, au pays des Ichtyophages (mangeurs de poissons).

Adoulis devait être à cette époque une station de négoce. Etait-elle une fondation ptolémaïque? L'archéologie du site donne à penser que son existence pouvait être antérieure de plusieurs siècles.

Au troisième sikcle avant notre ère, les éléphants étaient très recherchés par les rois d'Alexandrie qui les utilisaient dans leurs guerres contre des armées adverses. Ptolémaïs Thérôn ou Ptolémaïs-des-chasses, dans la région d'Aqiq, était l'une de ces escales où ils se les procuraient.

A la fin du troisième siècle, le trafic des éléphants périclite; le cornmerce des aromates prend alors en mer Rouge une importance de premier plan.

F.A.

Les ROMAINS EN MER ROUGE

L'antique port d'Adoulis sur la côte de la mer Rouge est mentionné par Pline l'ancien au milieu du premier siècle de notre ère. Le Pér@Ze de la mer Erythrée, composé au cours de ce premier sihle par un marin gréco-égyptien anonyme, fournit nombre de renseignements sur ce port. La Topographie chré- tienne, écrite par Cosmas Indicopleustès, un comerqant égyptien, constitue une autre source d'information de grande utilité. Il visita Adoulis à l'apogée de son développement, vers 525 de notre ère.

Les témoignages archéologiques recueillis sur la côte africaine permettent de constater l'existence d'un réseau de rapports et d'échanges organisé en mer Rouge depuis la fin du premier siècle avant notre ère entre les rives opposées de l'Arabie du sud-ouest et d'Erythrée.

L'expansion du commerce romain en mer Rouge ne fit qu'accroître le rôle d'Adoulis qui devint un port de première importance.

Il apparaît qu'existait alors un courant de commerce A partir d'Adoulis vers des villes de l'arrière-pays comme Qohayto, Matara et Axoum. Les marchandi-

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ses faisant l'objet de ce trafic comprenaient des gobelets de verre, sans doute fabriqués en Egypte, du laiton pour faire des ornements, des outils de cuivre et de fer, des monnaies romaines ; d'autres outils de fer provenaient de l'Inde et de l'huile d'olive d'Italie. L'ivoire, l'écaille de tortue et la corne de rhinocéros for- maient les principaux articles d'exportation.

Aux deuxième et troisième siècles, Adoulis s'assure une position domi- nante dans le négoce au sud de la mer Rouge et s'engage dans toutes les activi- tés comerciales de l'Afrique intérieure en direction d'un débouché maritime.

Pendant une grande partie du troisième si&cle, le commerce romain péri- clite. Une source romaine du milieu du cinquikme siècle indique que la mer Rouge au début du quatrième siècle était pour les navires romains des plus hasar- deuses ; ce qui, d'après des indices archéologiques, n'affectait en rien le com- merce maritime d'Adoulis. En fait, on constate que des tessons de poterie impor- tée jonchent le sol du site ; notamment ceux d'amphores côtelées de 1'Egypte d'é- poque romaine tardive mêlés à des vestiges de poterie de la Syrie romaine et byzantine datant des cinquième et sixième siècles.

Les AXOUMITES EN MER ROUGE

Un des aspects parmi les plus intéressants sous l'angle historique qu'offre la mer Rouge avec ses ports de Massawa, Hergigo et Assab sur la côte éry- thréenne, réside dans le fait qu'ils ont permis une ouverture avec le monde exté- rieur. Le commerce a été un facteur d'assimilation pour les peuples du littoral.

Routes commerciales et marchés le long du Nil, en Nubie comme dans la Corne, faqonnant les traits politiques autant que culturels de sociétés quasi éta- tiques de l'arrière-pays érythréen (Qohayto, Matara), manifestèrent, à des époques diverses qu'une organisation politique et économique reliait la côte afri- caine et les populations des environs.

L'essor d'Adoulis entraînait le rattachement de l'arrière-pays à un système commercial établi d&s la période pré-axoumite entre les hauts-plateaux de l'est et la mer Rouge. Ce système contribuait notablement à la prospérité des villes des hautes terres.

La découverte de l'épave d'un navire naufragé près de l'île d'Assarqa offre une occasion rare pour l'étude de la navigation antique en mer Rouge. L e nau- frage remonte à une date comprise entre le IV" et le VII" siècle de l'ère couran- te qui fut une époque d'apogée pour le commerce en mer Rouge. D e nombreu- ses amphores d'Assarqa sont de provenance méditerranéenne. Elles présentent

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des similitudes avec celles des collections découvertes en Erythrée, Espagne, Egypte, Tunisie et ailleurs, en Turquie par exemple.

Alors que des spécimens de ces sites ont contribué à dater ces documents (et d'abord à déterminer les tendances commerciales) l'épave d'Assarqa est actuellement le seul témoignage d' un lien concret avec une civilisation antique de la Corne de l'Afrique.

Les BYZANTINS EN MER ROUGE

Le développement du nouvel état d'Axoum, au premier millénaire, entraî- na sôn inclusion dans le système commercial en vigueur entre la Méditerranée et l'océan Indien.

Le port d'Adoulis, avec son poste douanier, devint un centre particulière- ment important pour les populations côtières. Il était alors le point de départ de la longue route vers les pays de l'intérieur. Avantageusement situé au fond d'un golfe, cette position lui conférait des facilités certaines pour l'accumulation de richesses.

Adoulis fut souvent utilisé par les rois d'Axoum, que ce soit aux troisième et quatrième siècles ou au sixième siècle, au temps du roi Kaleb. Il advint qu'ils équipèrent des flottes, A certaines périodes, pour s'assurer le contrôle de la mer. En dépit de cette prépondérance axoumite, les Byzantins naviguaient en mer Rouge où leurs négociants étaient en quête de produits exotiques : épices, gemmes, aromates, dont Constantinople faisait grande consommation. Ils eurent souvent a lutter pour s'affranchir, notamment aux sixième et septième siècles, de la dépendance vis-à-vis des Perses qui eux aussi se taillaient une large part du commerce maritime.

Y.L.

ADOULIS

Adoulis, appelée Azouli par la population locale Assaorta, est située dans la plaine côtière, sur la rive ouest du golfe de Zula, à 56 km au sud de la ville moderne de Massawa.

Le site ancien est situé entre les villages de Zula et d'Afta, à environ 4 km du littoral actuel de la mer Rouge, sur la rive nord de la rivière Haddas qui cons- titue une route d'accès importante vers le haut plateau au moins depuis le I"'

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millénaire avant notre ère. Actuellement, le site &Adoulis occupe une superfi- cie d'environ 2 1 ha et consiste en de nombreux monticules, représentant proba- blement de nombreux édi fices écroulés.

Au VI" siècle de notre ère, selon Cosmas Indicopleustès, une stèle portant une inscription en grec de Ptolémée III Evergète (246-221 avant notre ère) et un trône portant une inscription en grec d'un souverain axoumite (III" siècle de notre ère ?) se trouvaient à l'ouest de la ville, le long de la route vers le plateau. Malheureusement, aucune trace de ces monuments n'a été trouvée.

Adoulis était la plus importante ville commerciale africaine sur la mer Rouge pendant les époques romaine et byzantine ancienne (I"'-VIIe siècles). Les navigateurs de l'époque ptolémaïque fréquentaient, probablement déja, ce site à l'époque hellénistique (IIIe-P siècles avant notre ère).

Du IV" au VIP siècle de notre ère, Adoulis fut le port principal du royau- me d'Axoum (environ I"'-VIII" siècles) qui occupait la plupart des hautes terres du Tigray et de 1'Erythrée actuels, et fut un partenaire comercial important des empires romain et byzantin.

Les origines et le développement ancien d'Adoulis sont encore incertains. L'existence de sites de 1'Age de pierre dans la plaine côtière du golfe de Zula suggère que la région était déjà habitée depuis des millénaires. Plus certaine- ment, la plaine côtière du golfe de Zula était une importante source d'obsidien- ne et avait été inclue dans le réseau commercial interrégional de l'Holocène ancien.

L'expansion des routes commerciales romaines le long de la mer Rouge, à la fin du IIe siècle avant notre ère, accrût le rôle comercial d'Adoulis ; il devint le port principal sur la côte africaine au sud de la mer Rouge. Il est pro- bable qu'Adoulis fut détruite par un raid naval arabe en 640 de notre ère, mais la présence de monnaies plus récentes sur le site laisse penser que la ville survécut encore quelques temps.

R. F.

Le Périple de la mer Erythrée (1'' siècle de notre ère) Extraits

A vingt stades de lu mec dans l'intérieur, se trouve Adoulis, une belle bourgade. D e lù, il y a trois jours de voyuge jusqu 'Ù Koloè, une ville de l'intérieur qui est le premier poste com- mercial pour l'ivoire, et de lù encore cinq jours jusqu'ù la métropole des Axoumites où est apporté tout l'ivoire d'au-deld du Nilpar Kyèneion, et de lù il est transporté ù Adoulis. Lu plus

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grande partie des éléphants et des rhinocéros qui sont massacrés vivent dans les hautes régions, quoique dans de rares occasions on peut les voir le long du rivage du côté dxdoulis.

En face du port de cornmerce, c'est cì dire en direction de la pleine mec sur la droite, il y a une quantité d'autres îles, petites et sablonneuses, appelées Aluluiou; celles-ci fournis- sent l'écaille de tortale qui est apportée uti port par les Ichtyophages.

Duns cet endroit, il y a un marclzé pour les pièces de tissu pour les "Barbures", neu- ves, de lu sorte confectionnée en Egypte; pour les couvertures dYrsinoè; les "abollui" de cou- leurs ... les étofes des toiles de lin; des articles à double frange; ... et aussi pour des verres fubriqués à Diospolis; pour du laiton que l'on utilise pour les ornements et pour des ,frag- ments pour les monnaies; pour des casseroles de cuivre pour lu cuisine et pour,fiiçonner en bracelets et en anneaux de chevilles destinés à certuines femmes; pour du fer qui est$xé sur les lunces pour la chasse aux éléphants et autres animaux sauvages, ainsi que pour la guer- re. D e plus, il y u un marché pour les huches, les herminettes et les couteaux; pour de grunds récipients ronds en cuivre pour lu boisson; pour un peu de monnaies romaines destinées aux résidents étrangers; pour du vin de Laodicée et d'Italie -en jaible quantité-; pour de l'huile d'olive- en faible quantité. Pour le roi, de la vaisselle d'urgent et d'or fabriquée ci la mode locale; en fait de vêtements, des "ubollai" et des "kuunakai'' sans ornement et bon marché. D e plus, en provenance de l'intérieur.. . des étoffes de coton en petite quantité; de la gomme laque.

Les exportations de la région sont l'ivoire, l'écuille de tortue et la corne de rhinocéros

CHRISTIANISME et ISLAM en MER ROUGE

Au cours du premier millénaire de notre ère, deux religions naissent et se propagent au voisinage de la mer Rouge. L'une partie de Jérusalem, l'autre de La Mecque, elles vont atteindre peu à peu les rivages érythréens. Par quels cheminements ?

Dès le premier siècle, le trafic s'intensifie en mer Rouge. Composé en ce temps- là, le PérQZe de la mer Erythrée témoigne de cette activité. C'est l'époque oÙ le royaume d'Axoum se manifeste au grand jour de l'histoire. Adoulis prospère. Dans ces deux villes se côtoient marchands syriens, égyptiens et indiens.

Au quatrième siècle, un évhement

Rufin d'Aquilée, historien latin écrivant au début du cinquième siècle, en rapporte un témoignage direct. Deux jeunes gens de Tyr, Frumentius et Edésius, voyagent en mer Rouge. Leur bateau ayant fait relâche dans un port, ils sont enlevés par des " Barbares " et emmenés à la cour d'Axoum où leurs capacités les font accéder à de hautes fonctions. Après des années de service, ils sont autorisés à quitter le pays. Frumentius (il est chrétien) se rend à Alexandrie auprès du

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patriarche Athanase qui, après quelque temps, le renvoie à Axoum comme évêque. Sous sa conduite s'op&re alors la christianisation progressive du royaume.

D e passage à Massawa au dix-neuvième siècle, Arnaud d'Abbadie recueille une tradition selon laquelle Fmmentius y aurait bâti la première église, dédiée à la Vierge Marie (des siècles plus tard, la mosquée Cheikh al-Hammal l'aurait remplacée au même endroit). Tradition suspecte. Aucune trace matériel- le de ces temps antiques ne semblent exister sur l'île. Au quatrième sikcle, Adoulis, cinquante kilomètres au sud, était une place très active, où d'ailleurs une communauté chrétienne allait dans un proche futur s'établir.

Autre événement au septième siècle.

En Arabie, Mahomet fonde l'islam. Au début, persécutés par des Qoraïchites, certains de ses disciples prennent le parti de s'exiler. Entre La Mecque et Axoum les rapports sont empreints d'aménité. Ces disciples du Prophète, pendant un temps, trouvent dans la ville du nagashi un accueil bien- veillant. Sont-ils passés par Massawa ?

Au début du huitième siècle, sous les Omeyyades, la nouvelle religion gagne l'archipel de Dahlak qui devient terre d'islam. Adoulis a disparu. Dahlak lui succède, plaque tournante du cornmerce et point d'ancrage de la nouvelle doctrine. Bientôt, tributaire des seigneurs de Dahlak, Massawa va prendre le relais de l'islamisation sur le littoral africain.

L'ARCHIPEL de DAHLAK

Au large de Massawa, cet archipel compte 126 îles. La plupart sont déser- tes. Dahlak el-Kebir, la plus grande, a 1 300 km2 de superficie. Son étendue plate, où ne poussent que palmiers, acacias et mimeuses, n'est pourtant pas inhospitalière. Des hameaux de pêcheurs y surgissent par endroits. Le voyageur James Bruce qui visita l'île en 1769 décrit un village de quatre-vingts maisons de pierres au toit de chaume ; les habitants, avec des feuilles de palmier teintes en rouge et en noire, font des paniers 'I d'une beauté surprenante ".

Au début du VIII" siècle, les Arabes du Hedjaz occupent l'île qui passe alors sous suzeraineté omeyyade. Adoulis a disparu des chroniques. Dahlak va prendre le relais et bientôt les circuits commerciaux en font le carrefour princi- pal des échanges économiques en mer Rouge. Y transitent aussi bien les mar- chandises apportées de Bâdi (Massawa), Suakin et Aydhab A destination de la péninsule Arabique que celles de l'océan Indien en route vers les grands marchés

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de la Méditerranée : aromates, épices, or, ambre, ivoire, et surtout perles et écaille de tortue qui sont articles par excellence des rivages locaux ; ces denrées font la fortune de Dahlak où, de surcroît, le commerce des esclaves est florissant. Graduellement, une société marchande s'érige en pouvoir politique. Au x" siè- cle, un état est constitué, soumis au tribut qu'imposent tour a tour les puissances voisines, abbassides et fatimides d'Egypte, nagashis d'Axoum, émirs de Zebid au Yémen. Aux XI" et XII" siècles, l'île pour lors maîtresse de son économie, connaît un brillant essor, notamment entre 1093 et 1250 sous le gouvernement d'une lignée de sultans dont El-Moubarak est le fondateur. Mais au début du XVI" siècle, les escadres portugaises entrent en mer Rouge ; Dahlak est mise à sac en 1513. Le sultanat ne s'en relève pas. Le dernier souverain, Ahmad bin Isma'il, meurt le 29 janvier 1539, ainsi que l'atteste une inscription sur une stèle funéraire.

D e ces stèles en basalte, 260 ont été conservées; la plus ancienne date du x" siècle et la plus récente du XVI" . En creux ou en relief, tracées dans une belle écriture coufique ou naskhi, ces inscriptions sont une précieuse source de ren- seignements historiques. Elles mentionnent l'origine du défunt : Dahlak pour beaucoup, mais aussi l'Arabie, le Yémen, l'Abyssinie, l'Egypte, la Syrie, Bagdad, la Perse, Samarcande, la Géorgie, Byzance, la Tunisie, le Maroc, Valence en Espagne. On y lit des indications sur la qualité ou la profession de certains : maqon, tailleur, dinandier, marchand d'huile, armateur, syndic des marchands, juriste. Aux sultans sont décernés des titres grandioses : " défenseur de la mar- che islamique ", " ornement de la religion ", '' vivificateur de la justice dans les mondes I', " sultan magnifique ".

F. A.

Dahlak, st6le funéraire en basalte, écriture cursive

Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. En vérité, les Pieux seront dans les jardins [près de] ruisseaux, dans un séjour de vérité. Près d'un souverain omnipotent (Coran, LIK 54-55). Dieu sublime est véridique. Ceci est la tombe du serviteur qui a besoin de Dieu Très-Haut le sultan Ahmadjls du sultan Ismail le champion de lu foi, le combattant, le

sultan de l'Islam dans la marche de Dahlak la bien gardée. Il mourut dans la miséricorde de Dieu Très-Haut dans lc~ nuit dai /jeudi au ]vendredi 16 shawwal en l'année 946 de l'hégire prophétique (mercredi 24 février 1540). Que Dieu bénisse notre seigneur Muhammad et sa

Ji-mille et lui accorde le salut.

Musée Barrois, Bar-le-Duc (France) (Traduction Madeleine Schneider)

Le sultan Ahmad eut à hire face plusieurs fois aux troupes portugaises qui prirent Massawa et Dahlak. Quelques maisons íùrent détruites, des huttes incendiées. pPar la suite le sultan Ahmad s'allia à Ahmad Gragn (le gaucher) dans sa tentative de conquête de 1'Ethiopie chrétienne.

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2. Expédition envoyée par la reine Hatchepsout au Pays de Pount (dessin d’un bas-relief de Deir-el-Bahari, Egypte)

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3. Cimetière musulman de la grande île de Dahlak 1

4. Stèle funéraire des îles Dahlak avec inscription coufique IX siècle (musée d'Asmara, n"37)

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5. Vue de l’île de Massawa vers 1840, litho par Lauvergne d’après Dillon (Musée de la Marine, Paris)

6. Massawa vers 1840, négociants arabes et marchands indiens d’après Théophile Lefebvre et Quentin Dillon

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7. Distribution d’eau à Massawa, fin du XIX’ siecle d’après Mgr Massaia

8. Arrivée d’officier égyptien au palais de Massawa Illtistruled London News, 1881

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9. Arrivée du Général Gordon à Massawa 1 'Illustration, 1885, 1"' semestre

10. Massawa, la ville, fin du XIX" siecle d'après Elysée Reclus

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11. Massawa, maison du riche marchand Mussa-el-Accad vers 1897 d’après A. Bizzoni

12. Massawa, Tombe musulmane “Darbush”

datant d’environ 500 ans (photo Anne Saurat-Anfray)

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13. Massawa, complexe funéraire Cheikh Hammali, milieu du XVI" siècle ? Le minaret a été refait, peut-être après le tremblement de terre de 1921

(photo Anne Saurat-Anfray)

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14. Le palais de Massawa après les bombardements de 1990 (photo Pierre Montaigne)

15. Le palais de Massawa après les bombardements de 1990 (photo Pierre Montaigne)

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16. Massawa, le souk avec sa toiture en forme de carène renversée (photo Anne Saurat-Anfray)

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17. Massawa, bâtiments le long du port de cornmerce (photo Anne Saurat-Anfray)

18. Massawa, construction du début du Xx" siècle (photo Anne Saurat-Anfray)

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ARABES, PORTUGAIS et TURCS

A partir du Ix" siècle, les Arabes assurent progressivement leur supréma- tie en mer Rouge. Djedda sur la côte arabique et Aydhab, en face, sur la côte afri- caine, sont de grandes places maritimes. La mer Rouge demeure une artère mar- chande de première importance.

Un temps, les Francs cherchent à s'en emparer. En 1182, les galères de Renaud de Châtillon, parties d'Aqaba, sèment la ruine sur les rivages. Aydhab est saccagée. Les croisés tentent de confisquer le monopole du commerce; ils veu- lent aussi couper la route des pèlerinages à La Mecque, car, autant que le trafic, les pèlerinages (musulmans au Hedjaz et chrétiens à Jérusalem) animent la navi- gation, tout comme parfois les visées expansionnistes de puissance étrangères.

Au Xv" siècle, dans la Chine des Ming, l'essor du commerce favorise de lointaines expéditions. Des centaines de jonques avec à leur bord des milliers d'hommes cinglent vers l'Afrique. En 1432, la septième "Grande Expédition", sous la direction du Grand Eunuque Sanbao, atteint Aden. Une escadre de cette armada vient-elle mouiller devant Djedda, comme certains historiens le pensent? Ma-Huan et Gong-Zhan, deux dignitaires de la cour impériale, auraient alors, si l'on en croit une relation de leur voyage, visité La Mecque et Médine.

Bientôt, c'est au tour de la première puissance maritime d'Europe de faire son apparition. Au début du XVI" siècle, les caravelles portugaises entrent en mer Rouge et s'efforcent de ravir aux Arabes le négoce des épices dont Venise est la grande bénéficiaire. En 15 11, sous la conduite d'Afonso de Albuquerque, elles croisent devant Massawa. En 1517, son successeur Lop0 Soarès de Albergaria navigue dans les parages. Cette année-là se termine en Egypte le règne des Mamelouks et s'instaure celui des Turcs qui prennent pied à Massawa. Le 10 avril 1520, la flotte de Diogo Lop& de Sequeira amène à Arltiko (aujour- d'hui Hergigo), ville de notable importance à une lieue de Massawa, une ambas- sade portugaise qui fait route vers la cour d'Ethiopie, accomplissant alors le rêve multiséculaire des Occidentaux de découvrir le royaume du "Prêtre Jean". En 154 1, Estevan de Gama, deuxième fils de Vasco, débarque un corps expédition- naire de 500 arquebusiers sous les ordres de son jeune frère Christophore pour secourir le négus Galawdewos que pourchassent les troupes d'Ahmad Ibrahim al Ghazi (Ahmad Gragn, le gaucher).

En 1557, les Turcs d'özdemir Pacha, installent, à Massawa et à Arkiko, leurs bases principales sur lesquelles, jusqu'au XIx" siècle, ils exerceront une autorité que longtemps ils délègueront aux nai'bs, gouverneurs issus de la vieille famille des Balaw

F. A.

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La MER ROUGE et MASSAWA au XIXe SIECLE

Les Ottomans, les Na'ibs et les Egyptiens a Massawa et sa région jusqu'en 1885

Les ports de Massawa et Arkiko furent conquis par Özdemir Pasha en 1557 et devinrent l'un des sandjaks (districts) de la province ottomane de Habesh. Après des essais infructueux pour s'implanter sur les hauts plateaux abyssins, les Ottomans abandonnkrent leurs ambitions d'expansion dans la région et partirent en laissant une petite garnison de soldats à Massawa. En conséquence, quelque temps après, vers le milieu du XVII" siècle, ils déléguè- rent le pouvoir au puissant chef local de la famille des Balaw, basée à Arkiko, qu'ils appointèrent comme na'ib. Le devoir du na'ib était de maintenir l'ordre dans l'arrière-pays de Massawa (le Sedar), de sécuriser les routes commercia- les allant de la côte vers l'intérieur, et donc d'assurer la vitalité commerciale des ports de Massawa et d'Arkiko. Le règne indirect des Ottomans permit aux na'ibs de contrôler, en pratique, les basses terres entre le plateau nord et la mer. Cependant, vers le premier tiers du XIX" siècle, les changements politiques dans la région de la mer Rouge intensifièrent les luttes entre les Ottomans, les Egyptiens et les Abyssins pour le contrôle de Massawa et de son arrière-pays. Les rivalités et les conflits culmin&rent, au milieu du siècle, en des luttes vio- lentes entre tous les partis, conduisant à la perte de pouvoir des na'ibs et à une transition vers un contrôle direct des Ottomans.

En 1865, Massawa et Souakin furent cédés par la Porte au Khédive Ismaïl d'Egypte. Deux décennies de gouvernement égyptien furent caractérisées par des constructions et un important développement urbain, des travaux publics, la pro- motion de projets agricoles et une réorganisation des institutions locales de Massawa. Depuis les années 1 850, une croissance économique relative condui- sit à un phénomène de migration urbaine de marchands, d'entrepreneurs et de travailleurs de l'étranger et de l'arrière-pays de Massawa. La population du port augmentait.

C'est sous le gouvernement de Werner Munzinger dans les années 1870, que deux jetées furent construites afin de relier l'île de Massawa à Tawlud et avec la terre ferme. Ceci permit également d'installer un système d'aqueduc pour l'approvisionnement de la ville en eau fraîche. Les changements politiques en Egypte et au Soudan mirent un terme aux ambitions égyptiennes et le port fut pris par les Italiens en 1885.

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Activités économiques en mer Rouge au XIXe si6cle ( jusqu'en 1885 )

Au début du XIX" siècle, le commerce dans la région de la mer Rouge était relativement stagnant. Cependant, vers les années 1830, une combinaison de développements économiques, politiques et technologiques conduisit à une reprise du commerce et signalèrent une période de changement. L'accroissement de la production agricole et industrielle induisit une augmentation du commerce mondial et la commercialisation de matières premières. L'avènement de Mohammad Ali en Egypte, la répression de la révolte wahhabite en 1818 au Hedjaz et la conquête du Soudan en 1820 firent de 1'Egypte un pouvoir régional majeur au nord-est de l'Afrique et en mer Rouge.

En matière de technologie, l'introduction de la navigation à vapeur en mer Rouge à partir des années 1840 permit le transport de produits en plus grandes quantités et plus rapidement. La réunion de ces facteurs aboutit à la compétition et à la rivalité entre le commerce européen, arabe et indien d'un côté, et les réseaux maritimes de l'autre, même si les marchands arabes et indiens restèrent prépondérants dans presque toute cette aire commerciale.

A partir des années 1840, les ports de Djedda et Aden remplacèrent Moka en importance économique et servirent de comptoirs régionaux et d'entrepôts internationaux. Moka avait été jusqu'à la fin du XVIII" siècle le port d'exporta- tion le plus actif et le plus important pour le commerce du café. Aden devint un port franc.

Sur la rive africaine, Souakim, Massawa, Zayla et Berbera occupèrent d'importantes positions comme terminus des caravanes marchandes de longues distances qui apportaient, jusqu'à la côte, les produits africains et les esclaves partant de l'autre côté de la mer Rouge et au-delà. Les produits exportés depuis les ports africains consistaient surtout en ivoire, or, civette, cire, plumes d'autru- ches, cuirs et peaux, gomme, beurre, perles et miel. Les importations des ports de la mer Rouge venaient de l'Inde et d'Egypte. Ils comprenaient principa- lement des produits manufacturés tels que textiles, soie, cuivre, verrerie, tapis, perles de céramique ou de verre mais aussi du blé et certaines épices. L'esclavage était une des composantes majeures et une force motrice de l'écono- mie centrée sur la mer Rouge. On estime que 500 000 esclaves soudanais et éthiopiens furent " exportés I' de Souakin, Massawa et des ports du Golfe d'Aden vers le Yémen et l'Arabie au cours du XIX" siècle

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Les présences franqaises et anglaises dans la mer Rouge et à Massawa

Dès le début du XIX" siècle, la concurrence entre les Français et les Britanniques pour le contrôle des voies maritimes allant vers l'Inde et l'océan Indien firent de la mer Rouge une région stratégique où la rivalité diplomatique s'affirma entre les deux puissances. Ce ne fut qu'au début des années 1830 que ces luttes devinrent une réelle compétition pour le renouveau du commerce et l'introduction de la marine à vapeur.

L 'East India Company comprit l'importance de communications avec l'Angleterre. Les officiers de 1'Indian Navy explorèrent systématiquement la mer Rouge et publièrent des cartes hydrographiques détaillées des côtes vers 1836. Des stations de ravitaillement en charbon pour les navires britanniques furent établies à Suez et à Aden. En 1839, cette dernière fut officiellement occupée par les Britanniques. Affaiblie par les guerres napoléoniennes, la marine franqaise n'intervint que dans les années 1840, largement sous l'influence d'officiers saint- simoniens qui encouragèrent le percement de l'isthme de Suez.

Pendant toute cette décennie, la marine franqaise conduisit de multiples expéditions de reconnaissance afin de rassembler des informations sur la navi- gation en mer Rouge et ces expéditions cherchèrent les moyens d'établir leurs propres stations de lignes de vapeurs entre l'île Bourbon (actuelle Réunion) et Suez. La rivalité entre Franqais et Britanniques ne fut pas limitée à la mer ; elle atteint progressivement des dimensions politiques et commerciales concernant les terres bordant la mer Rouge et l'arrière-pays. Depuis les années 1830, un nombre croissant d'explorateurs européens, de mis sionnaire s , d'entrepreneurs, d'envoyés officiels ou semi-officiels pénétraient en Abyssinie par Massawa. Rivalisant pour influencer politiquement les provinces éthiopiennes du nord, les envoyés et les entrepreneurs franqais et britanniques courtisaient les souverains et les chefs éthiopiens.

En 1841, un consulat de France fut ouvert à Massawa. Les Britanniques suivirent et ouvrirent leur propre consulat en 1847.

Le canal de Suez, 1869

En novembre 1854, le vice-roi d'Egypte Saïd Pacha attribua une conces- sion a Ferdinand de Lesseps pour le creusement d'un canal reliant la Méditerranée à la mer Rouge. L'année suivante, la Compagnie universelle du canal maritime de Suez fut formée. Le canal fut inauguré, en grande pompe, le 17 novembre 1869, par le Khédive Ismaïl.

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Cependant l'expansionnisme égyptien, le faible intérêt des Européens et leurs ambitieuses visées politiques internationales vis-à-vis de l'empire ottoman ouvrirent le chemin à une domination accrue de I'Egypte. Sous le règne de l'am- bitieux Khédive Ismaïl(l863 à 1879), 1'Egypte prit le contrôle de l'ensemble des rives de la mer Rouge et du Golfe d'Aden. Ce n'est qu'après la déposition du Khédive Ismaïl en 1879, et l'occupation de 1'Egypte par les Britanniques en 1882, que reprit la I' mêlée pour la mer Rouge" et ses côtes.

Le commerce de Massawa

Historiquement, Massawa a été le plus important débouché des caravanes marchandes reliant les régions de l'intérieur de 1'Ethiopie et du Soudan à la mer Rouge.

Comptoir côtier, Massawa exportait vers les autres ports de la mer Rouge et vers l'océan Indien une grande variété de produits tels que l'ivoire, l'or, la cire, les cuirs, les perles et les esclaves.

La ville importait principalement des produits manufacturés : une grande variété de tissus, de la verrerie, du cuivre, des perles en matériaux divers. Ces produits étaient vendus ou échangés dans les marchés de l'intérieur.

Massawa a été également au centre d'un système économique régional, rassemblant autour du port les populations venant des basses terres de l'est éry- thréen et de l'archipel des Dahlak parlant afar, tigré, saho et arabe, des pasteurs, des agriculteurs-pasteurs et des pêcheurs, tous participant à des systèmes écono- miques complémentaires. Leurs produits, qu'ils soient pour leur propre consom- mation ou pour l'exportation, trouvaient leur voie vers les échoppes colorées et les marchés de la ville. A Massawa, une longue tradition d'artisans, notamment des bijoutiers et des menuisiers, existe toujours.

Massawa : Religion

Depuis sa fondation, Massawa a entretenu des liens privilégiés avec le monde islamique et les cités saintes de l'islam en Arabie. L'adhésion à l'islam a toujours été le critère de l'identité des habitants de la région.

Quelques-unes des principales familles de la ville se rattachent aux ligna- ges des seyyeds et des chérij's se considérant comme les descendants du Prophète.

Au début du Xx" sikcle, il y avait près de vingt mosquées publiques et privées dans la vieille ville de Massawa et quelques soixante autres dans

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l'agglomération urbaine. Selon des traditions locales, la mosquée Shafi'i est la plus ancienne de la ville.

La ville et sa région ont été également le centre de plusieurs pèlerinages, ziyara, locaux et régionaux qui se tiennent autour des sanctuaires de saints per- sonnages. Depuis le XIX" siècle, un important ziyara se tient dans le village de Embereme où se trouve la tombe de Cheikh Muhammad b. Ali b. al-Amin (décé- dé en 1877). Il appartenait à la famille des A d Cheikh. D'autres ziyaras se déroulent à Hotumlo, autour du centre religieux des soufis Khatmiyya.

Massawa : Architecture

Massawa est une ville de styles architecturaux mêlés, de par l'héritage colonial des Turcs, des Egyptiens et des Italiens. La riche diversité de styles des édifices privés et publics est un témoignage vivant de sa longue histoire d' occupations étrangères et d'essor économique. Indépendamment des influen- ces culturelles étrangères, les techniques de construction et les matériaux étaient profondément marqués par le contexte local, particuli6rement adapté à l'envi- ronnement climatique très dur du littoral de la mer Rouge. Ceci tout en parta- geant des éléments architecturaux communs avec d'autres ports de la mer Rouge ayant des particularités géographiques et historiques communes.

Une grande quantité de travaux publics, de constructions et de rénovations datent des années 1870, époque de la présence égyptienne. Les caractéristiques de cette période incluent de beaux linteaux de bois sculpté, des cadres de fenêt- res, des portes à arc trilobé, des beaux balcons à treillage, les moucharabiehs. En raison des incendies et des tremblements de terre de la fin des années 1880 et de 1921, les architectes coloniaux italiens et les ingénieurs en bâtiment ont réparé et reconstruit les maisons endommagées en conservant des styles traditionnels turcs et égyptiens ou en s'en inspirant.

J. M.

VOYAGEURS aux XVIII" et XIX SIECLES

James Bruce of Kinnaird (1730-1794),

Ce voyageur écossais, publia en 1790, sous le titre Travels to Discover the Source of the Nile, plusieurs volumes relatant ses explorations africaines. L'ouvrage comprend une riche documentation illustrée sur la faune et la flore qu'il eut l'occasion d'observer.

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Bruce arriva à Massawa (il écrit Masuah) le 19 septembre 1769. Dans son récit, on peut lire une brève description de l'île et de ses maisons construites en une sorte de torchis, certaines (une vingtaine) en pierre dont cinq ou six à deux étages. I1 parle de Toualhout (Twalet). Hergigo est " a large town au fond de la baie de Massawa. Dans son ouvrage, il décrit aussi les marchandises débar- quées dans le port.

Le récit de son voyage dans la Corne de l'Afrique eut un grand retentisse- ment et attira par la suite de nombreux voyageurs dans cette région.

Antoine et Arnauld d'Abbadie, (1810-1901) / (1815-1897)

Le 17 février 1838, deux voyageurs franqais, deux frères, arrivent à Massawa. Antoine et Arnauld d'Abbadie vont séjourner pendant une douzaine d'années en Ethiopie. C'est la lecture des Yoyuges de Bruce qui les a incités à entreprendre à leur tour le périple de la mer Rouge et du haut pays abyssin.

Tandis qu'Arnauld déploie, sous le nom de ras Mikael, une activité de guerrier et de diplomate auprès du ras Goshu dans la région du Godjam, Antoine poursuit des travaux de géographie, philologie et linguistique. I1 fait le relève- ment cartographique de plusieurs régions, notamment de I'Erythrée. Son œuvre aura un grand retentissement dans le monde scientifique.

C'est sur la recommandation d'Antoine que des agents consulaires franqais sont établis à Massawa.

Extraits de la lettre d'Antoine d'Abbadie & Lord Clifford (document inédit, Fondation d' Abbadie-Hendaye) )

Sans épuiser tout d'abord son érzergie contre ces obstacles [ lu traversée de la Nubie] le voyageur prudent atteindra l'Abyssinie par lu mer Rouge, et, porté duns une barque arabe, il ira prendre terre sur la côte des Habab, ou bien il jettera l'ancre duns le port de MziCaww 'a. Il y sera bientôt accueilli par des pusteurs au teint sombre ..... Ils vont nu pieds, portent le pagne et la toge de coton, une lince, un LarØgepoignurd et un petit bouclier de peau d'éléphant. Ils s'appellent Saho.. .

Bien que le climat de Muquww'a soit sain, bien qu'on y trouve plus d'un centenaire, c'est l'endroit le plus chaud de la terre .... Le voyageur se hâte de quitter cette terre ... il part avec son guide saho, franchit le désert en une nuit, etparvient à l'uube du matin au filet d'eau du Haddux* A mesure qu'il remonte cette vallée étroite etpierreuse, il trouve le ruisseau plus vij' et plus épanoui ; d'abord un peu d'herbe, puis un arbre vert ; plus haut enfin de riants ombrages l'initient peu àpeu à lu fkaîcheur des hautes terres. Bientôt il n'entendplus rugir le lion, des oiseaux nouveaux gazouillent sous lu feuillée, et des troupes de singes jettent leurs cris d'ulurme du haut de chaque rocher.

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_ -

On arrive enfin à la rude morde oÙ le chameau est remplacé par le bczufde charge, on gravit en zigzag parmi des plantes grasses aux fleurs rouges, et l'on arrive entn au bord du plateau abyssin. Là se dressent de toutes parts des arzes, arbyes toujours verts, pareils aux cèdres, et dont les branches sont agitées par des brises @aiches qui semblent annoncer une terre promise.

(Paris, ler août 1852)

* Antoine d'Abbadie se dirigeait vers Adwa par Digsa.

Arnauld d'Abbadie, Douze ans dans la Haute Ethiopie, Paris, Hachette, 1868 (extraits)

Amauld et Antoine d'Abbadie arrivkrent a Massawa le 17 février 1838 par bateau. Ils arrivaient d'Egypte par Qusayr et Djedda qu'ils avaient quitté le 11 février.

" A Moussawa, les indigènes parlent la langue Kaçy et ils nomment l'île Batzé. Les chrétiens du haut pays l'appellent Mitwa : les gens de Dahlac, Miwa ; erzJin, en langue arabe, on lui donne le nom de Moussawa, qui est plus généralement employé.. . .

En approchant de l'île, on aperçoit du côté de l'est, le cap Médiv; garni d'un.fortin armé de quatre pièces de 24 et d'une de 12 : puis vient un espace nu et stérile ou se trouvent quelques citernes.. qui se remplissent en quelques heures sous des pluies annuelles, plus abondantes que régulières. Le cimetière musulman est du côté du nord.. Près du cimetière musulman s'élève une mosquée 6 double dôme, nommée Cheik el Hammal ...

La moitié de la partie occidentale de l'île est couverte de maisons ou pour mieux dire de grandes huttes formées de chûssis revêtus de fortes nattes en fèuilles de palmiev; et dont la toiture est leplus souvent recouverte de chaume. Les habitants sont tous marchands ; les plus riches ont de grandes cours, o3 les commerçants qu'amènent les caravanes viennent déballer leurs marchandises. Ces cours contiennent souvent un ou deux petits bBtiments construits en pierre, bas, carrés et sombres qui servent de magasins ...

Durant les deux ou trois mois dits " d'hiver seule époque où quelque fraîcheur se ,fasse sentiv; les indigènes aisés habitent des maisons en pierre à un étage ; ils vivent le reste du temps sous leurs huttes de nattes, qu'ils construisent quelquefois sur pilotis plantés dans la mer afin de jouir des rares brises de l'été ...

... ... Le gouverneur habite une assez grande maison en pierre, à un étage, et couverte d'une terrasse encombrée de huttes en nattes destinées h ses femmes. Celte maison contierzt la salle du Divan, o3 il siège presque toute la journée ; elle longe une petite place qui s'&end jusqu'au débarcadère, situé au nor-d de l'île et défendu en apparence par une demi douzaine de canons en mauvais état. Le port, protégé contre les vents du sud par l'île même, et de ceux du nord pat- le cap Abd el Kadev; a vingt pieds d'eau et un bon ancrage. Es-à-vis le débarcadère et Ù

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l'ouest-nord-ouest se trouve le cup Guérac jetée urtijkielle longue d'une centuine de mètres et uttenunt ci lu terre ferme ci 500 mètres environ de l'île ; c'est pur là surtout que Moussuwu communique mec le continen2 ; c'est par lù uussi que la plupart des hubitunts uisés pussent chaque soir en se retirant ci Ommokoullo, village composé de huttes épurses et situé h une heure de la jetée de Guérur. Ils s'y rendent pour respirer un uir qu'ils disent plus salubre et pour y être plus h l'uise que duns leurs demeures de l'île ... ci la pointe du jouc ils reviennent duns l'île pour leurs uffaires. Les indigènes évuluent ci I 800 OZI 2 000 ûmes la populution de l'île ; aux époques d'urrivée des curuvanes, cette population s'accroît souvent de plus de moi- tié. ... Comme l'eau des citernes est insuflìsante, les gens de Dohono [ autre nom dArkiko] en apportent journellement au moins 2 O00 outres, environ 700 hectolitres, mais cette eau est suumûtre.. les gens uisés font venir leur provision du village d'Ommokoulo.

Bon nombre des nut$ de Moussawu portent des turbans bluncs, des cu$uns de cou- leurs vives et ordinairement en étofe de coton très légère ; leurs pieds sont chaussés d'une espèce de sandales particulière à Mozissuwu ; lu plupart jouent avec un chapelet musul- mun ... tous agitent un dventuilfuit de feuilles de palmier en forme de guidon. Les femmes stric- tement voilées, sont souvent d'une rure beauté et d'une très grunde élégunce de formes ...

Le gouverneur dépendunt du pacha de l'Hedjaz, se nommait Aïcline ; on lui donnait le titre de Aga et parfois celui de Kuïmucun ou lieutenant-colonel ; son autorité était illimitée dans l'île ; mais il n'en étuitpas de même sur lu terre,ferme, ozi un nuïb (lieutenunt) investi par le pacha de Djedduh ... Il habitait Dohono, villuge situé en terre ferme sur le bord de lu mec 2 emiron une heure de marche de lu jetée de Guérav:

Werner Munzinger , (1832-1875)

Werner Munzinger, plus connu dans la Corne de l'Afrique sous le nom de "Munzinger Pacha" est né à Olten (Suisse) en 1832. Fils d'un Conseiller d' Etat (Munzinger de Soleure) Werner Munzinger était connu en Europe pour ses deux ouvrages sur l'exploration de la Haute Nubie et sur le Soudan, rédigés à la suite de sa participation à la "Deutsche Expedition nach inner Afrika".

Alors qu'il était déjà l'agent de la Grande-Bretagne à Massawa, il devint également, en 1865, " gérant du Vice-Consulat de France à Massawa (créé en 1842). Le lerjanvier 1866, il envoie a son ministère de tutelle (le Ministère fran- gais des Affaires étrangères) un "rapport sur le commerce de Massoua". Dans ce rapport, indépendamment des informations pratiques sur le commerce lui-même, Werner Munzinger suggère des aménagements afin d'améliorer les communica- tions de l'île avec la terre ferme et son approvisionnement en eau potable.

Dans les années 1870, Werner Munzinger devient Gouverneur de Massawa pour 1'Egypte du Khédive Ismaïl, qui après plusieurs siècles de domi- nation ottomane (1557-1865) maintiendra son pouvoir sur le port de 1865 jus- qu'à l'arrivée des Italiens en 1885. Pendant les années de son gouvernorat

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Munzinger Pacha fera construire les jetées qui relient entre elles les deux îles principales de Massawa et de Tawlud, et les relient ensuite à la terre feme. Dans ces digues est installée une canalisation d'eau potable qui lib&-e la cité de l'obligation d'apporter chaque jour à dos d'hommes et de femmes les outres renfermant le précieux liquide.

On attribue égaleinent à Munzinger Pacha la construction du plus monu- mental des édifices de Massawa: le palais du Gouverneur, qui sera tour à tour occupé par les gouvemeurs égyptiens, les gouvemeurs italiens, puis le Négus Haile Selassie. Quelques modifications ont été apportées au cours des décennies à son apparence mais nous pouvons en suivre l'évolution à travers les gravures et les photographies anciennes.

A. S.-A.

Rapport sur le commerce de Massoua, adressé à Son Excellence le Ministre des Affaires étrangères le ler janvier 1866. Etude du Gérant du Vice-Consulat de France à Massaoua: Wemer Munzinger, fait à Massaoua le 3 1 décembre 1865, (extraits)

"...Il n? a que vingt ans, Massaoua n'avaitpas vingt maisons, les incendies annuels les ont fait augmenter rapidement. Le coíit d'une maison de pierre de 1 O m de long et 5 m. de large est de 100 ù I50 thaleris. Les maisons en bois sont couvertes d'herbe marine qui vient de Dahlak et tapissées intérieurement de nattes. Les pierres de constructions sont cassées dans les rochers de la côte, les travées qui soutiennent le toit sont des troncs de palmier doum, qui abonde à Dahlak. La chaux est de corail brûlé; du gypse se t7uuve ù quatre lieux de dis- tance aux environs de Desset .... L'eau se trouve ù 8 m de profondeur erz abondance (dans les jardins d!Arkeko et Mkoulou). La vie de Massoua demande à l'étranger du riz, du "dourra': des dattes, du café, du miel, des épiceries, des cotonnades, des soieries et de l'or La côte de Massoua n'a que des gommes et du séné ci exporter: une importation assez consi- dérable, presque pas d'exportation .. .

Le commerce de toutes ces peuplades avec Massoua se fait par la route du Sebka, qui est suffisamment connue. Quinze jours sujfisentpour aller à chameau de Massoua à Kassala par des pays assez peuplés, bien fournis d%au et de végétation. On arrive le sixième jouK Ù Kéreen, où les chameaux des Habab s'échangent contre ceux du Barka. Kéren est de plus le marché du "dourra" du Gache pour tout l!Anseba. La situation politique n'a pas encore donné ù cette route commode toule l'importance qu'elle mérite ... ".

Elysée Reclus Nouvelle géographie universelle, 1 'A fripe septentrionale, Vol.X, (1885), extraits

"En vertu de trail& récents, l'accès de Massaouah, devenu port angluis, quoique le pavillon égyptien flotte encore sur ses murs, doit être complètement libre pour le commerce

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abyssin ... Des forts détuchés commandent les upproches de lu ville et limitent un camp retrun- ché oÙ le gouver-nement égyptien entretenait un corps de 3 000 hommes.

Des maisons en pierre , de style arabe, et des cabanes en branchages se pressent sur ce rochev, qu'une digue relie d l'îlot plus petit de Taouloud, rattaché lui-même au continent pur une jetée d'environ 1 500 mètres, contenant le précieux conduit par lequel l'eau de M'koulou est amenée duns les citernes de Massuouah. Mais aqueduc et jetée, de même que casernes et fortifications et tous les édifices biìtis il y a une vingtaine d'années, sous la direc- tion du pacha Munzingev, sont clans un grand étal de délubrement ...

Le lieu d'ancrage, le Subuïtikon des anciens, est jormé par le canal profond qui s'é- tend entre le rivage septentrionul de l'île et le continent: d'autres îlots le défendent au nord- est contre les vents du lape.

Le commerce de l'Abyssinie avec les marchunds étrungers, Grecs, Bunians et autres instullés à Massaouah, se fuit par l'intermédiaire des curavanes. Celles-ci, qui apportent sur- tout les denrées précieuses de l'intérieur; le cufé, l'oc la cire blanche, partent à la fin de l'hi- ver; de manière ù pouvoir franchir le Tukkazê avant lu crue, et mettent deux ou trois mois cì faire la route; elles s'en retournent ri luJin de l'automne pour recommencer au printemps leur voyage annuel.

En 1861, lu valeur des échanges avec l'Abyssinie, y compris les esclaves, par le port de Mussuouah était évuluée à un million de francs; vingt uns après, en 1881, elle s'élevait à sept millions. Les denrées vendues sont, par orclre d'importance, les peaux, le beurre, ù des- tinutìon de l'Arabie, et lu nacre de perles. L'exportation de l'ivoire a beaucoup diminué. Les planteurs de Mayotte et des Mascareignes importent des mulets de provenance abyssine I'....

PERIODES ITALIENNES (1885-1941), BRITANNIQUE (1941-1952) et ETHIOPIENNE (1952-1990)

Première période italienne (1885-1913)

Commencé dans le contexte plus large de la lutte pour l'Afrique, la pério- de italienne à Massawa remonte au 3 février 1885, lorsque, avec le soutien diplo- matique des Britanniques, un petit détachement de troupes italiennes débarqua et occupa la ville.

Les Italiens considéraient Massawa comme une position stratégique pour l'expansion vers les hautes terres et, à cette fin, ils commenckrent immédiate- ment à construire des infrastructures. En 1885, la première station mktéorolo- gique d'Erythrée fut établie et les travaux pour l'amélioration de la digue et des installations d'approvisionnement en eau potable construites par les Egyptiens débutkrent. A l'automne 1887, quelques mois après la bataille de Dogali,

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la première partie d'une voie ferrée reliant Massawa à Sahati fut mise en chantier.

En 1888, un tragique incendie volontaire, donna aux Italiens l'occasion de réorganiser l'espace urbain de Massawa. En conséquence, en 18 89, l'administra- tion italienne ordonna à tous ceux qui étaient incapables de construire une mai- son aux normes fixées par les nouveaux reglements de quitter Tawlud et Ras Mudur. Ceci conduisit au développement des quartiers de Edaga, Ad Aflenda ou A d Habab et Khatmia.

Massawa fut la capitale de 1'Erythrée de 1890 à 1899. A cette date, le gou- verneur Martini transféra la capitale à Asmara. Cette décision, ainsi que la crise politique et économique qui suivit la défaite italienne à Adwa, affectèrent l'éco- nomie de la ville ; celle-ci tomba dans une période de stagnation qui dura jus- qu'en 1905 lorsque les activités économiques redonnèrent un essor à la ville.

Un développement encore plus important fut l'introduction en 1908, sous l'administration du gouverneur Salvago Raggi, d'un plan d'urbanisme fondé sur la répartition de la ville en deux districts organisés sur des bases raciales. C o m e à Asmara la même année, Massawa fut divisé en quatre zones selon 1'0- rigine des habitants.

Seconde période italienne (1913 - 1941) En 19 13, un Décret royal approuva le budget pour commencer les travaux

d'amélioration et l'expansion des équipements du port. En 1915, ces travaux furent poursuivis; on construisit divers docks de plus petites dimensions et on installa des grues, de grands entrepôts et des dépôts pour abriter les marchandi- ses en transit dans le port.

Une nouvelle période de l'histoire de Massawa sous occupation colonia- le commenqa en août 1921 lorsqu'un violent tremblement de terre, suivi par un raz de marée, détruisit la partie la plus ancienne de Massawa. Ceci donna l'oc- casion a l'administration coloniale de réorganiser la planification urbaine de la cité en y érigeant de nouveaux bâtiments. L'Hotel Savoia et la Banca d'Italia font partie de cette nouvelle vague de constructions.

Vers 1932, l'Italie se prépara militairement pour l'invasion de I'Ethiopie. A cette fin, Massawa devint le point central pour les mouvements de troupes, l'armement et toute la logistique militaire. Ceci conduisit à d'importantes trans- formations dans les zones d'Abdel Qadir, Gherar et Edaga ou une cimenterie, une fabrique de glace et un dépôt d'essence furent édifiés.

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Soudainement, du fait de l'arrivée de soldats et de techniciens, la commu- nauté italienne doubla ; de sérieux problèmes surgirent alors qui outrepassaient la capacité urbaine en approvisionnement d'eau potable, en logement et en nour- riture. Le nombre de bateaux envoyés à Massawa augmenta considérablement, forgant l'administration coloniale à envoyer des centaines de recrues érythréen- nes (ascaris) travailler dans les installations portuaires pour venir à bout des marchandises accumulées. Cette situation entraîna une immigration importante de main d'œuvre venue du Tigray et d'ailleurs.

Cet état de chose continua pendant toute la durée de la campagne militaire. D'une mani6re générale, Massawa joua un rôle majeur dans la vie économique de I'Erythrée jusqu'au 8 avril 194 1, lorsque les Italiens furent vaincus par les troupes alliées conduites par les Britanniques. L'Erythrée passa alors sous administration britannique.

U.C.

AVRIL 1941 à MASSAWA

A u cours de la Seconde Guerre Mondiale, les Alliés prirent l'offensive contre les possessions de l'Italie en Afrique Orientale et se heurtèrent à une très forte opposition.

Pendant la campagne d'Ethiopie, les Forces Britanniques et les Forces Frangaises Libres de la Brigade d'Orient, sous les ordres du Général Platt, pénétrèrent en Erythrée, et de violents combats se déroulèrent, en particulier à Kéren. Le 3 1 mars 1941 , Asmara capitula.

Les Alliés encerclèrent, à partir du 5 avril, le camp fortifié de Massawa, dont le port abritait une importante base navale. L'aérodrome fut bombardé et neutralisé. Après les engagements de Ghinda, sur la route d'Asmara à Massawa, la Brigade d'orient, avec le concours de la Royal Air Force, attaqua les forts de Noria, de Zaga, de Moncullo, de Vittorio Emanuele et d'Umberto qui défendaient Massawa.

A la suite de durs combats, les forts tombèrent les uns après les autres ; et le colonel MONCLAR, commandant la Brigade d'Orient, qui fut la première force alliée à entrer dans Massawa, reçut, le 8 avril 1941, la reddition des autorités militaires italiennes. Un monu- ment, érigé à Massawa, commémore ce fait d'armes qui mit fin à toute opposition italienne organisée en Erythrée.

H. L.

'ériode britannique (1941-1952)

L'occupation britannique de Massawa le 8 avril 1941 ouvrit une nouvelle saison de l'histoire de la ville, marquée par des développements contradictoires.

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La poursuite de la Seconde Guerre Mondiale sur les fronts de l'Afrique du Nord et de la Méditerranée firent de toute 1'Erythrée et de Massawa un centre stratégique pour la logistique des Forces Alliées. Jusqu'en 1945 les entrepôts de Massawa hrent chargés de la production et de la réparation du matériel de l'ef- fort de guerre; son port et son aérodrome débordaient de matériel à embarquer,

La période britannique inarqua également une phase de développement qui inaugura notamment l'accès des Erythréens à 1'Education et à la Santé.

La fin de la Seconde Guerre Mondiale avec la victoire des Alliés ouvrit une période de crise pour Massawa. En fait, la ville, tout comme le reste de l'Erythrée, perdit son importance stratégique dans l'économie de guerre. Cette conjoncture entraîna un fort taux de chômage et des mouvements sociaux.

En parallèle, l'Administration militaire britannique entreprit une politique systématique de démantdement des principales infi-astructures de la ville.

Les résultats de cette politique fixent le démontage de la cimenterie d'Abdel Qadir, vendue et transportée au Soudan; le démontage et la vente du téléphérique reliant Massawa à Asmara; la démolition de l'aérodrome d'Otumlo, vendu à 1'Egypte; le démontage d'un dock flottant transféré au Pakistan; la des- truction des réservoirs d'essence d'Otumlo et de l'équipement d'extraction d'es- sence de Nocra; le démantèlement et la vente à l'étranger de l'équipement de l'u- sine de potasse de Fatma Dari.

Fondés sur de prétendues raisons économiques, ces actes causèrent de sérieux dommages à la vie économique de Massawa et de I'Erythrée dans son ensemble.

L a Fédération et les années Haile Sellassie (1952-1975)

Les années de la Fédération et du règne de Haile Selassie, après l'annexion de I'Erythrée à I'Ethiopie, fixent assez denses en évènements pour l'histoire de Massawa.

La ville joua un rôle essentiel dans les turbulences politiques de la pério- de de Fédération. En fait, c'est à Massawa que débutèrent certaines des nom- breuses grèves des travailleurs érythréens contre les pressions financières que 1'Ethiopie tenta d'exercer sur les salaires. Pour cette raison la ville joua un rôle

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clé dans le développement des Associations érythréennes de commerce dans les années 50.

Massawa avec les revenus de son port était également l'une des pièces maîtresses dans la lutte des nationalistes érythrkens pour préserver les préroga- tives du Gouvernement érythréen au sein de la Fédération.

Massawa fut également au centre de l'attention de l'empereur Haile Selassie des la fin de la présence italienne en Erythrée. Prétextant des droits de 1'Etat éthiopjen à un accès à la mer, l'empereur essaya de rendre la présence éthiopienne officielle et plus visible, ceci même avant l'abrogation du statut fédéral.

A la fin des années 50, afin de s'attirer les bonnes grâces de la population, l'empereur commenqa une campagne de construction d'églises et de mosquées. La grande mosquée de Massawa et l'église d'Enda Mariam à Tawlud, les deux dessinées par la fime Fenano-Mezzedimi sont les rhsultats de ces efforts.

Dans les ambitions éthiopiennes des débuts des années 60, Massawa, outre son rôle commercial crucial, devait devenir un centre touristique ainsi qu'un centre naval stratégique. Quelques-unes des réalisations de cette politique sont la construction de l'Hôtel Red Sea et l'ouverture du Collège naval.

La période du Derg (1975-1991)

Avec la venue au pouvoir du Derg en Ethiopie commenqa une période par- ticulierement sombre pour Massawa ainsi que pour le reste de I'Erythrée.

Dans la strategie militaire du Derg, Massawa et l'archipel des Dahlak devaient devenir un centre clé d'opération pour le lancement des campagnes militaires contre les nationalistes érythréens.

Un tournant dans cette stratégie fut le renversement d'alliances dans la Corne de l'Afrique en 1977 qui conduisit l'Union soviétique à soutenir le régime militaire d'Addis-Abeba. A partir de cette époque l'Union soviétique établit une base militaire sur les îles Dahlak et fit du port de Massawa une base pour le stoc- kage et l'expédition de matériel militaire pour le Derg.

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A compter de cette période Massawa, en raison de sa position stratégique, devint le théâtre de quelques-uns des épisodes les plus décisifs de la lutte de I'Erythrée pour sa libération et son indépendance.

A partir de 1977, le E.L.F. et le E.P.L.F. à plusieurs reprises, attaquèrent et bloquèrent la route Asmara-Massawa, privant le régime militaire d'Addis-Abeba d'une source vitale d'équipement logistique et militaire.

En 1982, Massawa fut temporairement libéré de l'occupation éthiopienne par les forces indépendantistes.

Pendant les années du Derg, Massawa joua un rôle majeur c o m e cent- re de transit pour l'aide humanitaire envoyée par les organisation caritatives, les organisations non gouvernementales et les agences gouvemementales afin d'al- léger les souffrances des populations civiles érythréennes et éthiopiennes victimes d'une dramatique sécheresse et de la famine des années 1984-1985. En relation avec ces évènements, Massawa fut l'objet de l'attention des médias inter- nationaux lorsqu'il fut rapporté que le régime militaire éthiopien détoumait l'ai- de humanitaire vers les troupes éthiopiennes et n'autorisait pas la distribution de l'aide dans les zones sous contrôle érythréen.

u. c.

MASSAWA AUJOURD'HUI

En 1991, juste après la guerre de libération, Massawa comptait moins de 20 O00 habitants. Les durs combats avaient fait de nombreuses victimes, les bombardements avaient occasionné de nombreuses destructions; cela avait entraîné, pour un temps, l'arrêt des activités de cette ville dynamique.

S'il est difficile aujourd'hui d'évaluer précisément la population actuelle, notamment en raison des migrations saisonnières importantes avec les hauts plateaux, l'estimation avancée est d'environ 40 O00 habitants, en majorité d'ori- gine Afar, soit à peu près le niveau des années 70. D e la sorte Massawa serait, en concurrence avec Keren, (située à 90 kilomètres au nord d'Asmara la capita- le), la seconde ville d'Erythrée. Cependant, l'importance de cette ville pour le pays va bien au-delà de sa population.

Fidèle à son destin géographique, la ville est avant tout la grande voie d'accès à l'ensemble du pays pour les produits venus de tous les horizons mari- times. Elle est le sésame de tout le commerce exteme de 1'Erythrée avec le monde extérieur. Cela signifie que, par-delà les activités de pêcherie , justifiant

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depuis 1993 l'implantation, dans le port, du Ministère des Pêches, Massawa est le grand port de commerce de 1'Erythrée. Avec 900 O00 tonnes de marchandises en transit, il se situe au troisième rang des ports de commerce de la mer Rouge, après Djedda et Hodeida.

C'est le site portuaire qui confère à la ville son identité fondamentale; et il continue de lui fournir la plus grande part de ses activités. Administration et tra- vailleurs du port, importateurs installés sur place, d'une part, ballet incessant de gros semi-remorques acheminant vers les hauts - plateaux l'essentiel des fourni- tures en tout genre, nécessaires aux besoins de la nation, d'autre part, font de cette ville une véritable ruche, active jours et nuits, sept jours sur sept.

Au large, les nombreux navires au mouillage ne peuvent guère attendre. Aussi est-il nécessaire de décharger au plus vite les cales des cargos en prove- nance de tous les horizons (Asie, pays du Golfe, Europe, USA).

A ce qui précède viennent se joindre la base navale militaire et des activi- tés de service liées essentiellement au tourisme (hôtellerie en pleine extension, loisirs de mer suscités par les somptueux sites de l'archipel des Dahlak à deux heures de bateau).

A toutes ces activités, s o m e toute traditionnelles pour un havre portuai- re et un site marin de grande beauté, il faut ajouter des travaux importants, d'im- plantation plus récente. En premier lieu, la centrale électrique ultramoderne d'Hergigo, d'une capacité de production de 88 megawatts, ainsi qu'une cimente- rie plus ancienne, sont autant de pôles industriels uniques en Erythrée. L'ensemble de ces activités industrielles et de services vont être considérable- ment renforcées, très prochainement, avec l'inauguration de l'aéroport de Massawa, dotant le pays d'un second aéroport international. En conséquence, tant le fret que le tourisme auront désormais un accès rapide et direct à l'ensem- ble de la région de Massawa.

Enfin, et même si cette activité est encore aujourd'hui embryonnaire, il faut ajouter aux secteurs déjA évoqués, celui des chantiers navals qui devrait bientôt susciter des investissements à la mesure du potentiel qu'il renferme non seulement pour le pays mais aussi pour l'ensemble de la mer Rouge, renforqant dès lors le rôle stratégique de Massawa dans toute cette aire géographique maritime.

Cette orientation vers l'avenir est d'ores et déjà illustrée par un projet ambitieux dont la montée en puissance est un fait: une feme aquacole, inaugu- rée en 2000, développe un élevage intensif de crevettes et la culture de plantes

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halophytes progresse. Ces deux entreprises, à forte valeur ajoutée, principale- ment destinées à l'exportation dans les pays du Golfe et de 1' Union européenne, soulignent la vocation de Massawa à être non seulement la porte d'entrée mari- time de I'Erythrée, pour ses importations, mais également, si l'on peut dire, sa porte de sortie, pour ses exportations.

P. M.

La PÊCHE

Massawa bénéficie d'une situation plutôt favorable pour la pêche : le port est à proximité de l'archipel des îles Dahlak qui s'étend sur une vaste zone en eau peu profonde, propice au développement des espèces marines. Après avoir été pendant longtemps un centre de la pêche des perles et de la nacre, Massawa se spécialise, à partir des années 50, dans la production de fari- ne de poisson séché. Mais la guerre d'indépendance entraîne, dès le début des années 70, le déclin de tout le secteur.

A la fin de la guerre, avec l'aide d'organisations internationales, le gou- vernement érythréen favorise la reconstruction d'une filière pêche axée sur la production et la commercialisation de poissons et de crustacés frais. Si cette filière représente aujourd'hui l'essentiel du secteur à Massawa, des types de pêche plus traditionnels sont aussi pratiqués : pêche de coquillages pour la fabri- cation de boutons de nacre, d'holothuries et d'ailerons de requin séchés consom- més en Extrême-Orient, d'opercules de certains gastéropodes servant à produire des parfums. D'autre part, une activité novatrice en matière d'aquaculture a été mise en place à proximité de la ville : la Seawater farm produit crevettes, pois- sons et salicorne tout en contribuant à la protection et à la restauration du milieu naturel, notamment par la réimplantation de mangrove.

Une flotte diversifiée participe à l'effort de pêche. En 2000, plus de 200 boutres en bois motorisés, une quinzaine de bateaux modernes de 11 et 18 mèt- res construits en Erythrée, une cinquantaine de chalutiers étrangers essentielle- ment égyptiens et saoudiens, ont pêché une dizaine de milliers de tonnes de pro- duits de la mer, principalement destinés à l'exportation.

La pêche fait partie de l'identité de Massawa : la ville abrite le ministkre des pêches et des centres de formation et de recherche. Dans un pays où l'on consomme peu de produits halieutiques, ceux-ci constituent une part importante de l'alimentation à Massawa. La physionomie de la ville est marquée par la

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présence d'infrastructures et d'équipements dédiés à la pêche : jetées, aires de débarquements, usine de glace, entrepôts frigorifiques, chantiers navals, usines de transformation, bureaux. Enfin, la pêche représente à Massawa un secteur d'emplois important qui regroupe pêcheurs, fonctionnaires, négociants, ouvriers, parmi lesquels sont présents de nombreux étrangers : pêcheurs des pays riverains de la mer Rouge, conseillers techniques, investisseurs, chercheurs.. . .

Entre modernité et tradition, la pêche est une activité en plein développe- ment, primordiale pour Massawa ; elle contribue à l'ouverture de la ville sur la mer Rouge et ses pays riverains, ainsi que sur le monde.

M. A.

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