Études sur la mort

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  LA MORT EN AFRIQUE : ENTRE TRADITION ET MODERNITÉ  Kouassi Kouakou L'Esprit du temps | Etudes sur la mort 2005/2 - no 128 pages 145 à 149  ISSN 1286-5702 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-etudes-sur-la-mort-2005-2-page-145.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Kouakou Kouassi  , « La mort en Afrique : entre tradition et modernité » , Etudes sur la mort , 2005/2 no 128, p. 145-149. DOI : 10.3917/eslm.128.0145 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour L'Esprit du temps.  © L'Esprit du temps . Tous droits réservé s pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.    D   o   c   u   m   e   n    t    t    é    l    é   c    h   a   r   g    é    d   e   p   u    i   s   w   w   w  .   c   a    i   r   n  .    i   n    f   o   -   -   -    1    8    6  .    1    9  .    2    2    6  .    4      0    1    /    0    2    /    2    0    1    2    1    6    h    3    3  .    ©    L       E   s   p   r    i    t    d   u    t   e   m   p   s D m e é é g d s w c r n n o 1 1 2 4 0 0 2 1 © L E d e m p

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Études sur la mort

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  • LA MORT EN AFRIQUE : ENTRE TRADITION ET MODERNIT

    Kouassi Kouakou

    L'Esprit du temps | Etudes sur la mort

    2005/2 - no 128pages 145 149

    ISSN 1286-5702

    Article disponible en ligne l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    http://www.cairn.info/revue-etudes-sur-la-mort-2005-2-page-145.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Kouakou Kouassi , La mort en Afrique : entre tradition et modernit , Etudes sur la mort, 2005/2 no 128, p. 145-149. DOI : 10.3917/eslm.128.0145--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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  • Lhomme dAfrique vit dans la quotidiennet de la mort rendue prsenteautrefois par limportante mortalit infantile et maintenant lie au SIDA, auxguerres fratricides et intra-nationales.Quant lampleur des funrailles publiques rendues aux morts, elle est une

    manire de rendre hommage ceux qui partent et laisse croire que dans lespenses desAfricains la mort est toujours une ralit existentielle et complexe.Dans la socit authentique baoul1, la mort est un vnement qui dpend de

    lorganisation de la vie et elle est vcue toujours comme une limite de lindividuque toutes les socits cherchent faire reculer ou contourner par des moyensdivers.Mais, en dpit de cesmoyens, il est impossible de nier la ralit tragiquede la mort et son inluctabilit. Par des mdiations relles ou lutilisation dusymbole on cherche inverser la situation ou alors, la mort est juge diff-remment suivant limportance de linvestissement du groupe social dans laformation de la personne du dfunt2. Ainsi, dans le groupe socioculturel desAkan-Ashanti la mort du fa la famille ne doit pas pleurer, ni manifester desattitudes de tristesse, sous peine dtre frappe demalheur ou alors, quand il sagitde la disparition dun enfant non encore nomm, dun enfant sans dent.Cettemort est considre comme anodine ;mis part la douleur des gniteurs.

    Sauf sil sagit de morts rptition dans la mme progniture. Dans une telle

    LA MORT EN AFRIQUE :ENTRE TRADITIONET MODERNIT

    Kouakou KOUASSI

    tudes sur la mort, 2005, n 128, 145-149.

    1. Baoul : ethnie du centre de la Cte dIvoire, rattache linguistiquement au groupe Akan-Ashanti.

    2. Kouassi K., Lesmres endeuilles ,ChampPsychosomatique, n2/3, pp. 67-72, Edition deLa Pense Sauvage, 1995.

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    VaninaResaltado

  • 146 TUDES SUR LA MORT

    occurrence le processus de nomination des enfants quon pourrait qualifierdenfants du dsespoir/espoir sera assujetti une traumato-anthroponymie.Cest--dire, un ensemble de rites conjuratoires qui conduisent unenomination symbolique telle que : NGoniau qui se traduit littralement par : je ne suis pas sr de sa viabilit ou Houphet qui signifie par ailleurs lenfantjet la poubelle car Houphet dsigne en baoul le lieu o les mnagresjettent leurs ordures3. Cela dit la mort dun adulte producteur et procrateur oudun vieillard est vcue diffremment.

    Selon la tradition

    Dans la tradition authentique desAkan-Ashanti, le vieillard combl dannes,qui a russi sa vie et bien rempli son contrat sera loccasion de festivits puisquilretourne au pays des anctres appel Blolo4. Quant la mort dun adulteproducteur et procrateur, elle est perue comme une perte grave qui bouleverselquilibre des survivants. Cela se dit en baoul : oha saki ; cest--dire quelquun sest bris, il est gt . Devant ce vide, cet objet bris, inutilisableet perdu, la notion de perte dun tre cher est remplace par celle de pertedobjet .Par consquent, le deuil parat obligatoire et ncessaire. Et, chaque individu

    est amen au cours de son existence leffectuer samanire et en fonction desfacteurs psychologiques. Quant au deuil social, cest lensemble des attitudes quela communaut villageoise attend des personnes endeuilles, voire des compor-tements socioculturels propres une socit donne, tous ceux qui, par leurorigine familiale, leurs alliances ou leur statut sont concerns par le (ou la)disparu quel que soit le lien affectif quils ont entretenu avec lui, (elle). Ces deuxaspects constituent un tat affectif que vit les endeuilles ; cest--dire le travailde deuil, au cours duquel les personnes concernes finissent par dpasser progres-sivement la phase dpressive qui les accable pour retrouver le got de vivre.

    Pour parvenir ces rsultats, les socits traditionnelles africaines et plusparticulirement la socit authentique des boual disposent desmoyens de priseen charge des endeuills. Car, sils effectuentmal le travail de deuil, il peut y avoirdes risques de deuil compliqu, traduit par lexpression : oumien h th sou ,

    3. Kouassi K., Naissance lordre villageois : processus de nomination des bbs afri-cains , in Le Petit Enfant et Eveil culturel, Paris, Edition Syros, 1995, pp. 149-159.

    4. Le groupe Akan-Ashanti farouchement enracin dans la ligne maternelle, tous les ritesconcernant la naissance ou lamort sont effectus par des personnes de la lignematernelle ; cest lecas des rites funraires concernant la mort dun demes frres ans dcd en dcembre 2005, quije ddie cet article.

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    qui signifie littralement : lesprit dumort lui est tomb dessus.Do, le rappelaux rites qui sert codifier le chagrin sans oublier que le deuil social et le deuilpsychologique se conjuguent diffremment selon le statut et lpoque du dfuntou de la dfunte.

    LAFRIQUE MODERNE FACEA LAMORT

    Dans les socits africaines modernes, les attitudes face la mort semodifient, voire certains rites viatiques disparaissent au profit de funraillesostentatoires et onreuses.Mais, quelque soit lvolution sociale et lamodernit,la socit baoul conserve encore lpoque actuelle des rites de mise en routedu mort vers blolo, le village des anctres. La mise en route du dfunt ou de ladfunte vers blolo cest--dire lau-del, est un ensemble de rites qui prpare la renaissance au pays des anctres. Mais vu les innombrables oprations queconstituent les viatiques, il ne me semble pas indispensable den dcrire latotalit ; sauf la toilette mortuaire qui reste encore primordiale.

    La toilette mortuaire

    Ds que lagonisant expire son dernier soupir et que les conditions ncessairesaux funrailles solennelles sont runies, on dsigne une certaine catgorie defemmes pour effectuer la toilette. Il sagit gnralement des vieilles femmes dela lignematrilatrale (4). Cela sexplique, dune part, par le fait que ces femmesges constituent le maillon de la chane sociale proche des anctres disparus.Donc, dune part elles sont les plus aptes agir en leur nom et prparer le dfuntou la dfunte sa renaissance dans lau-del et, dautre part, exprimentes dansla pratique de la parturition, elles sont aussi dpositaires du pouvoir ancestral quileur permet de protger le bb dans les premiers instants de la vie ou de lamort.

    Lemoment de la toilette venu, les hommes transportent la dpouille dans unendroit appel : klaglanou ; cest--dire un espace protg des regards, unendroit priv o les femmes se retirent pour leur toilette intime, se doucher ouaccoucher. Cela dit, il est important de souligner que lintervention des hommesdans ces tches na aucune valeur symbolique. Quant la toilette proprementdite, elle se pratique de manire identique celle du nouveau-n. Mais, la seulediffrence est que celle-ci se fait de la main gauche et, les vieilles femmes quilavent la dpouille prennent soin de commencer toujours par lhmicorps gauchevers la droite, le dos et le devant aprs. Toutes les oprations se renouvellent troisfois de suite, avec trois ponges diffrentes quand il sagit dun dfunt et, quatre

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    fois et quatre ponges diffrentes pour une dfunte. La toilette termine, onapporte aux laveuses une prparation spciale base de plantes pour se purifierles mains, le visage et les pieds au-dessus du trou o sest droul le lavage ducorps. Ensuite, elles ferment le trou pour enterrer les salets et les impuretscontractes par le contact de la mort.

    Ces gestes de lavage du corps sont analogues ceux qui suivent un accou-chement sauf que chez les nouveaux-ns la toilette commence par lhmicorpsgauche vers la droite. Leau qui a servi au lavage du nouveau-n est enterre dansle trou avec le placenta. Aprs le lavage du corps la dpouille est habille dunalakoun, cest--dire dun cache sexe identique celui dun nouveau-n, quelquesoit le sexe dumort. Ensuite, le corps est maquill en vue de son exposition lacommunaut villageoise. Lindiffrenciation vestimentaire permet une annu-lation symbolique du sexe social du mort car, le fait dtre un homme ou unefemme ne tient pas la diffrence du sexe anatomique ; cest aussi une manirede permettre aumort de renatre dans lau-del avec un autre sexe, non pas celuidont il aurait mal incarn dans sa vie ici-bas. Le caractre spcial dumaquillageest la mise en place du processus denfantement la vie outre-tombe.

    A comparer la toilette funraire dautres crmonies pratiques par lesBaoul, il existe une analogie structurelle entre les rites accompagnant la mortet ceux de la naissance. Cette analogie de structure se double dune identit depratique dun cas lautre, quil sagisse des toilettes mortuaires ou celles dunouveau-n ; les dchets provenant du lavage sont enterrs sur place, en quelquesorte il sagit dune rcupration tous les niveaux. Quil sagisse de lenfantmort par le truchement des activits dematernage, et, la fois, de sa renaissance la vie outre-tombe o, devenu esprit danctre, il est susceptible de rintgrerlexistence terrestre par le biais de la procration5.

    Au regard de ces rites qui se prennisent, nous observons lvolution dunenouvelle manire de rendre hommage aux morts en Afrique ; cest--dire lesobsques funrailles ostentatoires. En raison de la nuclarisation des cellulesfamiliales, ce nouveau rite constitue une sorte de rparation, une faon de donneraux morts ce dont il na pas bnfici de son vivant. A part ces particularitsnouvelles, nous retrouvons travers les rites funraires baoul les diffrents jeuxde forcemis en vidence dans les tats de deuil. Cest--dire langoisse de culpa-bilit, le dsir de retenir le mort et la peur de son agressivit La toilettemortuaire qui consiste prparer le mort pour le restituer la terre-mre en vuede sa renaissance la vie outre-tombe est galement une autre manire pour lesfemmes de rcuprer en leur sein lenfant mort . Cette ambivalence est aussi

    5. Kouassi K., Natre en pays baoul ou les bbs esprits , Nouvelle revuedEthnopsychiatrie, n4, 1985, Paris, Edition La Pense Sauvage, pp. 59-67.

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    une forme dannulation de lamort. Par ailleurs, le fait de renatre dans lau-delen tant quesprit danctre permet aumort de rintgrer les gnrations terrestresau couple dynamique rincarnation-procration. Ceci permet aussi dhumaniserla mort cest--dire aider les vivants ressentir moins douloureusement leurpropre mort.

    Kouakou KOUASSIDocteur en Psychopathologie Psychanalyste

    Attach, consultation de psychiatrie transculturelle,Service de psychopathologie de lEnfance

    et Adolescence. C.H.U Avicenne, AP-HP, Bobigny,Service du Professeur M.R. Moro

    Charg de consultation dEthnopsychiatrie, secteur Montmartre,Service du Docteur A. Mselatti,

    23e secteur de psychiatrie adulte de Paris,EPSMaison Blanche

    BIBLIOGRAPHIE

    ESCHLIMANN J. P., Les agn devant la mort (Cte dIvoire), Paris, Editions Karthala,1985.

    FREUD S., Angoisse, douleur, Deuil, Inhibition, Symptme et angoisse, Paris, P.U.F.,1981, pp. 98-102.

    FREUD S.,Deuil et Mlancolie, (1915).FREUD S.,Mtapsychologie, Paris, Gallimard, 1978, pp. 147 et s.GUERRYV., La Vie quotidienne dans un village Baoul,Abidjan, Editions Inades, Cte

    dIvoire, 1970.KOUASSIK., Lenfant anctre,Nouv. Rev. Ethnopsychiatrie, 1985, 4, 59-67. Editions

    La pense Sauvage.KOUASSI K.,Mort relle-Mort symbolique : rituels de veuvage en pays Baoul, Cte

    dIvoire, VST, 1989, 9, pp. 32-34.NATHANT., et coll., Rituels de deuil, travail du deuil , Grenoble, Editions La Pense

    Sauvage, 1995.OWUSU-SARPONG C., La mort Akan : tude ethno-smiotique des textes funrairesAkan, Paris, lHarmattan, 2000.

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