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 LA PRISE DU POUVOIR PAR LOUIS XIV : LA CONSTRUCTION DU MYTHE  Jérôme Janczukiewick P.U.F. | Dix-septième siècle 2005/2 - n°227 pages 243 à 264  ISSN 0012-4273 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-dix-septieme-siecle-2005-2-page-243.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Janczukiewick Jérôme , « La prise du pouvoir par Louis XIV : la construction du mythe » , Dix-septième siècle , 2005/2 n°227, p. 243-264. DOI : 10.3917/dss.052.0243 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour P.U.F..  © P.U.F.. Tous droits rés ervés pour tous pay s. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.    D   o   c   u   m   e   n    t    t    é    l    é   c    h   a   r   g    é    d   e   p   u    i   s   w   w   w  .   c   a    i   r   n  .    i   n    f   o     -      7    7  .    2    0    0  .    1    2    7  .    2    4    4      0    9    /    1    0    /    2    0    1    1    2    0    h    0    0  .    ©    P  .    U  .    F  . D m e é é g d s w c r n n o 7 2 1 2 0 1 2 2 © P U F

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LA PRISE DU POUVOIR PAR LOUISXIV: LA CONSTRUCTION DU

MYTHE

 

Jérôme Janczukiewick P.U.F. | Dix-septième siècle 

2005/2 - n°227

pages 243 à 264

 

ISSN 0012-4273

Article disponible en ligne à l'adresse:

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http://www.cairn.info/revue-dix-septieme-siecle-2005-2-page-243.htm

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Pour citer cet article :

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Janczukiewick Jérôme , «La prise du pouvoir par LouisXIV: la construction du mythe» ,

Dix-septième siècle , 2005/2 n°227, p. 243-264. DOI : 10.3917/dss.052.0243

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La prise du pouvoir par Louis XIV :la construction du mythe

L’événement est parfaitement connu : le 9 mars 1661, au château de Vincennes,alors que le cardinal Mazarin venait de mourir, Louis XIV ordonna au jeuneLoménie de Brienne de convoquer le chancelier Séguier, le surintendant des finan-ces Nicolas Fouquet, le ministre d’État Hugues de Lionne et les quatre secrétairesd’État (Brienne père, La Vrillière, Duplessis-Guénégaud, Le Tellier). Le roi, par undiscours majestueux et éclatant, leur annonça que désormais il prendrait lui-mêmeles rênes du pouvoir, sans reprendre de premier ministre, et qu’il ne garderait quetrois ministres travaillant sous ses ordres, Fouquet, Lionne et Le Tellier. La familleroyale ainsi que les anciens ministres d’État sont écartés des conseils ; le chancelierde France voit ses pouvoirs diminués. Ainsi commença le règne personnel deLouis XIV. Daniel Dessert, dans son ouvrage Louis XIV prend le pouvoir. Naissance d’un mythe ?, évoque cette « tradition glorieuse, qui magnifie l’action stupéfianted’autorité, d’un jeune souverain inexpérimenté », et il avait souligné le problème dessources, très critiquables. Des témoins comme l’abbé de Choisy ou Mme de Motte- ville ont écrit tardivement leur récit ; d’autres colportent des on-dit ou sont les prin-cipaux protagonistes de l’événement et se donnent le beau rôle. Surtout les Mémoires de Brienne se révèlent fantaisistes voire sans fondement de vérité, écrits par une per-sonne enfermée pour raison mentale, une « cervelle exaltée »1. En effet le principaltémoin de la scène fut Louis-Henri de Loménie de Brienne, appelé le jeune Briennepour le distinguer de son père Henri de Loménie, comte de Brienne, « ministre et secrétaire d’État ». Son récit, et principalement le discours du roi tel qu’il le rapporte,est repris par tous les historiens et biographes de Louis XIV 2. Pourtant, en exami-nant le récit de Brienne, et en le comparant avec d’autres témoignages contempo-

 XVII e  siècle , no 227, 57e année, no 2-2005

1. Daniel Dessert, Louis XIV prend le pouvoir. Naissance d’un mythe ?, Bruxelles, Éd. Complexe, 1989,p. 49-52.

2. Jean-Pierre Labatut, Louis XIV roi de gloire, Paris, Imprimerie nationale, 1984, p. 79-81 ; FrançoisBluche, Louis XIV, Paris, Fayard, 1986, p. 141-144.

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rains, on s’aperçoit que ce récit est une construction tardive (vers 1694, trente-troisans après l’événement !), rhétorique, et qu’il existe des versions plus anciennes dumême Brienne, composées en 1661 et 1684, qui sont plus proches des récits desautres témoins. Même si le fond reste le même, la forme évolue beaucoup, de même

que les circonstances de cette « prise du pouvoir » ainsi que la chronologie. En com-parant les trois versions du discours royal ainsi que les autres témoignages, il est pos-sible de se faire une idée plus exacte et moins pompeuse de cette journée du9 mars 1661. Surtout, cet examen des sources permet de dévoiler la réorganisationdes conseils opérée à partir de cette date et de jeter un regard nouveau sur les institu-tions politiques mises en place par le jeune monarque qui, en fait, ne rompt pas tota-lement avec les pratiques politiques antérieures. Contrairement à ce qui a été écrit,Louis XIV continua de se servir de certains de ses anciens ministres d’État en plusdes trois qu’il avait conservés, et il n’écarta pas complètement la famille royale.

LES TROIS RÉCITS DE LOMÉNIE DE BRIENNE

Un témoin essentiel 

Louis-Henri de Loménie de Brienne était issu d’une grande famille de secrétairesd’État, son grand-père et son père ayant exercé cette charge. Né le 13 janvier 1636,le jeune Brienne fut nommé survivancier de son père le 24 août 1651, grâce à la pro-

tection d’Anne d’Autriche et à l’influence de la duchesse d’Aiguillon. Âgé de seizeans, il reçut la permission d’exercer cette charge à vingt-cinq ans, en cas d’absenceou de maladie du titulaire. Le 12 septembre 1651, il obtint la dignité de conseillerd’État. Puis, de juillet 1652 à novembre 1655, il effectua un long tour d’Europe quile mena, pour sa formation, à Mayence, puis en Hollande, au Danemark, en Suède,en Pologne et en Autriche, puis à Venise, à Florence et à Rome. Fiancé, à son retour,à Henriette Bouthillier de Chavigny, fille du ministre d’État, le comte Léon de Cha- vigny, il l’épousa le 15 janvier 1656 à Paris, église Saint-Paul. Il exerça, sous lesordres du Cardinal et de son père, la première commission de la charge de secrétaire

d’État, avec dans son département les « Étrangers » et la Marine, avec les provincesde Champagne, Brie, Lorraine, Alsace, Provence et Bretagne. Mazarin se montrasatisfait de ses services, car il écrivait vite grâce à des abréviations, et sa bonne ouïepermettait d’éviter les répétitions. En 1658, il fut dispensé par le roi des trois ans quilui restaient et il commença à exercer sa charge le 22 mai lors du voyage du roi àCalais, sans toucher les appointements laissés à son père3. Le 9 mars 1661, alors queMazarin venait de mourir au château de Vincennes, il est chargé par Louis XIV deconvoquer les sept principaux personnages de l’État qui devaient connaître les déci-sions du roi. Il est donc un témoin essentiel de cet événement. Mais cette prise dupouvoir par Louis XIV marque le déclin des Brienne : Hugues de Lionne reçut les

244 Jérôme Janczukiewicz 

3. Louis-Henri de Loménie, comte de Brienne, Mémoires, éd. Paul Bonnefon, Paris, LibrairieRenouard, « Publications de la société de l’histoire de France », 1916-1919, 3 vol., t. I, p. III- VI, t. III,p. 78-80 ; Lettres du Cardinal Mazarin pendant son ministère, éd. A. Chéruel, Paris, 1872-1896, 9 vol., t. VIII,p. 712.

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affaires étrangères tandis que Brienne le père fut confiné à la rédaction, la signatureet l’expédition des dépêches ; la Marine du Ponant fut par ailleurs retirée de sondépartement. Le jeune Brienne, d’abord chargé de tenir le Mémorial du Conseil, fut exclu du Conseil d’en-haut dès le début d’avril et ce fut Le Tellier qui se vit confier le

 Mémorial 4. Cette disgrâce s’acheva en 1663 lorsque les Brienne vendirent leur chargeà Lionne pour 900 000 livres tournois. Brienne le jeune se retira chez les Pères del’Oratoire (1664-1670), mais sa passion pour la princesse de Mecklembourg fit qu’ilfut chassé de sa congrégation. Sur ordre du roi, il fut enfermé dans plusieursabbayes, notamment Saint-Lazare, véritable asile de fous (1674-1692). Libéré, ilreprit une vie désordonnée et il fut à nouveau enfermé, cette fois à l’abbaye de Châ-teau-Landon (1696) où il mourut en 16985. C’est durant cette longue captivité qu’ilrédigea ses Mémoires, publiés pour la première fois à Amsterdam en 1720, puis dansla collection des mémoires pour servir à l’Histoire de France de Michaud et Poujou-

lat en 1838, puis par Paul Bonnefon pour le compte de la Société de l’Histoire deFrance en 1905-19076. C’est un ouvrage volumineux, composé dans des circons-tances difficiles, achevé pour sa première partie en 1684, et pour la fin vers 1694 et comprenant un récit disparate, fait de souvenirs familiaux et personnels très pré-cieux pour l’étude du personnel politique et des événements survenus entre 1643et 1661 (la carrière de son père, les rapports entre Mazarin et Anne d’Autriche, ladescription de sa belle-famille, les Bouthillier de Chavigny) et de critiques histo-riques et littéraires alimentées par d’abondantes lectures, le tout sans rigueur ni ordreprécis des parties et de la chronologie. C’est ainsi que la prise du pouvoir par

Louis XIV y est racontée deux fois.

 Les trois versions de la journée du 9 mars 1661

La première version est datée de 1680-1684 par Paul Bonnefon. Après la mort duCardinal, Louis XIV donna ordre au jeune Brienne, sur le grand degré du château,d’expédier les lettres de provision du gouvernement de Bretagne au duc de Mazarin.Brienne vit la reine qui refusa de démissionner de cette charge, puis eut un entretienavec le duc de Mazarin sur ce sujet. Ensuite, il revit le roi qui lui donna ordre de

convoquer le conseil, puis eut un nouvel entretien avec le duc sur le gouvernement deBretagne. Brienne se rendit alors à Saint-Mandé avertir Fouquet, puis il vit Séguier,envoya des billets pour les autres et avertit son père. Les deux Brienne se rendirent alors à Vincennes : le père, infirme et malade, en chaise à porteurs, le fils en carrosse.

D’abord que nous fûmes entrés au conseil, le Roi qui y étoit déjà prit la parole et nous dit avec beaucoup de gravité : « Messieurs, je vous ai fait assembler pour vousdire que je prétends désormais gouverner mon État moi-même. M. le Chancelier et 

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4. Jean de Boislisle, Mémoriaux du Conseil de 1661, Paris, Librairie Renouard, « Publications de lasociété de l’histoire de France », 3 vol., 1905-1907, t. I, p. XIII, XXI, XXIV .

5. Dictionnaire du Grand Siècle, sous la direction de François Bluche, Paris, Fayard, 1990, p. 239 ;René et Suzanne Pillorget   , France Baroque, France Classique 1589-1715, Paris, Robert Laffont, « Bou-quins », 2 vol., 1995, t. II (Dictionnaire), p. 669.

6. Op. cit .

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M. le Surintendant ne signeront plus d’arrêt ni d’ordonnance de comptant sans m’enavertir auparavant, et les secrétaires d’État ne délivreront pas une seule expédition, jedis jusqu’à un passeport et une ordonnance de 100 écus, sans en avoir reçu préalable-ment mes ordres. Si quelqu’un de vous, messieurs, a quelque chose à dire, il le peut 

faire librement, et si on trouve la moindre chose à redire à ma conduite, j’entendsdans les formes de justice que je n’ai pas encore eu le temps d’apprendre, j’écouterai volontiers les sages avis et les bons conseils de mes fidèles serviteurs ».

Séguier fit alors un compliment :

Nous sommes [...] fort obligés à Votre Majesté de l’honneur qu’elle nous fait, et tout à fait édifiés et ravis du soin qu’elle veut bien prendre de la conduite de ses affai-res. Les choses vont toujours bien quand le souverain s’en mêle, et le bon serviteur

ne peut avoir plus de joie que lorsque son maître lui demande compte de son admi-nistration. Je crois, Sire, que ces messieurs n’auront pas plus de peine que moi d’obéirà un si doux commandement, et j’assure Votre Majesté, en leur nom et au mien,qu’elle ne sauroit trouver en tout son royaume de plus zélés sujets pour sa gloire ni deplus fidèles serviteurs pour tout ce qui la touche. Elle n’a qu’à nous éprouver et elleconnoîtra la vérité de ce que je lui dis avec tout le respect et la reconnoissance dont nous sommes capables.

Fouquet rajouta quelques mots en parlant bas et le jeune Brienne ne put l’entendre,

Le Tellier et Brienne père firent leur compliment, les autres (Lionne, La Vrillière et Duplessis-Guénégaud), mauvais orateurs, se contentèrent d’une profonde révé-rence. Louis XIV fit alors signe au jeune Brienne de parler, sur les affaires étran-gères « que Sa Majesté résolut avec une admirable présence d’esprit, en sorte qu’oneût dit qu’elle n’avoit fait autre chose que cela toute sa vie », puis sur l’impossibilitéd’expédier les provisions de gouverneur de Bretagne faute de la démission de lareine mère qui devait être attachée sous le « contre-scel ». Le roi dit que sa mère s’y refusait malgré la promesse faite à Mazarin (et il ôta son chapeau en prononçant son nom) et qu’il fallait délivrer au duc les provisions pour les gouvernements

d’Alsace, Brisach, Philippsbourg, et celles pour le Bois-de-Vincennes et pour LaFère. Brienne dit qu’elles étaient prêtes, scellées par Séguier et signées sauf les deuxdernières qui n’étaient pas de son département. Son premier commis les avait dansson sac et Brienne, sur ordre du roi, apporta ces lettres qui furent signées par La Vrillière et Guénégaud. Enfin, Louis XIV demanda à Brienne de faire entrer le ducde Mazarin qui prêta serment pour les gouvernements en renonçant à celui deBretagne7.

La deuxième version date, au plus tôt, de 1694. Après la mort du Cardinal,Louis XIV et le jeune Brienne se trouvèrent au milieu du grand degré du château. Le

roi lui ordonna de faire sceller par Séguier les provisions du gouvernement de Bre-tagne en faveur du duc de Mazarin, au grand étonnement de Brienne car la reine

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7. Louis-Henri de Loménie, comte de Brienne, Mémoires, op. cit. t. II, p. 51-63.

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n’avait pas donné sa démission. Le roi confirma l’ordre et précisa de ne pas mettre le« contre-scel » faute de cette démission et lui dit :

 Avertissez M. le Chancelier et MM. les secrétaires d’État se trouver demain matin

au conseil extraordinaire que je veux tenir à 7 heures du matin, et allez dire à M. leSurintendant, en vous en allant à Paris, que je l’attends et veux lui parler ; mais nedites rien que demain à la Reine, ma mère, du gouvernement de Bretagne.

Le jeune Brienne apprit à Fouquet, qui arrivait à Vincennes, la mort du Cardinal,puis il en informa Séguier, La Vrillière, Guénégaud puis son père. Les deux Briennepartirent pour Vincennes, de la même façon que dans la première version. Ensuiteune digression évoque la rédaction par les deux Brienne des lettres de provisiondemandées par le roi et l’apposition du sceau par Séguier, à la réserve du « contre-

scel ». La reine en fut très mécontente : elle donna deux soufflets à Brienne qui était  venu la voir sur ce sujet, et elle lui pinça la joue ! À Vincennes, Louis XIV ordonnaau jeune Brienne de faire entrer le conseil après avoir pris les lettres.

 Je sortis, et m’approchant de M. le Chancelier je lui dis qu’il pouvoit entrer : « Et  vous aussi, Messieurs, le Roi vous demande ». M. Le Tellier me fit passer devant lui et  voulut fermer la porte. Nous étions donc huit en tout, savoir ; M. le Chancelier, M. leSurintendant, mon père, M. de Lionne, M. de la Vrillière, M. du Plessis-Guénégaud,M. Le Tellier et moi. Le Roi se découvrit et puis remit son chapeau, et, se tenant debout devant sa chaise, adressa la parole à M. le Chancelier : « Monsieur, je vous ai

fait assembler avec mes ministres et secrétaires d’État pour vous dire que jusqu’à pré-sent j’ai bien voulu laisser gouverner mes affaires par feu M. le Cardinal ; il est tempsque je les gouverne moi-même. Vous m’aiderez de vos conseils quand je vous lesdemanderai. Hors le courant du sceau auquel je ne prétends rien changer, je vous prieet vous ordonne, M. le Chancelier, de ne rien sceller en commandement que par monordre et sans m’en avoir parlé, hors qu’un secrétaire d’État ne vous les porte de mapart. Or, je vous demande votre avis sur les lettres que de Brienne le fils a expédiéespar mon ordre et que M. le Chancelier a scellées à demi ». Il les prit en même tempssur sa cassette et me dit de les lire. On alla aux opinions après que Sa Majesté eut dit :« Je l’avois promis au Cardinal et j’ai voulu tenir ma parole ». Je parlai le premier

comme rapporteur et fis souvenir Sa Majesté de la liberté que j’avois prise de la fairerépéter, de l’objection de la démission dont je l’avois avertie et de l’avis du contre-scelqu’elle avoit elle-même ouvert. M. le Surintendant parla ensuite et dit que les lettresétoient nulles. M. Le Tellier les défendit mal et M. de Lionne encore plus mal. Enfinl’avis de mon père fut suivi qu’on sauroit de la Reine Mère si elle vouloit donner sadémission ou non et qu’en cas qu’elle l’accordât, les lettres seroient consommées parle contre-scel qu’y apposeroit M. le Chancelier, qui avoit apporté les sceaux ; sinonqu’elles resteroient nulles et sans effet comme elles l’étoient jusqu’à présent. Le Roi lechargea d’en parler à la Reine, sa mère, après le conseil. Ensuite le Roi se tourna versnous et nous dit : « Et vous, mes secrétaires d’État, je vous défends de rien signer, pas

une sauvegarde ni passeport, sans mon ordre, de me rendre compte chaque jour àmoi-même et de ne favoriser personne dans vos rôles du mois. Et vous, M. le Surin-tendant, je vous ai expliqué mes volontés ; je vous prie de vous servir de Colbert, quefeu M. le Cardinal m’a recommandé. Pour Lionne, il est assuré de mon affection et jesuis content de ses services. Je prétends, Brienne, me dit-il, que vous agissiez deconcert avec lui dans les affaires étrangères et que vous envoyiez à mes ambassadeurs

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tout ce qu’il vous mandera ou dira de ma part sans nouvel ordre de moi ». Je nerépondis que de la tête et d’une petite inclination du corps. Puis, le Roi ajouta : « Laface du théâtre change ; j’aurai d’autres principes dans le gouvernement de mon État,dans la régie de mes finances et dans les négociations au dehors que n’avoit feu M. le

Cardinal. Vous savez mes volontés ; c’est à vous maintenant, Messieurs, à les exécu-ter ». Plus n’en dit, et le Conseil se sépara.8

Le fond du récit reste le même : après la mort du Cardinal, Louis XIV, sur le granddegré du château de Vincennes, ordonne au jeune Brienne de s’occuper des provi-sions du gouvernement de Bretagne qui doit être donné au duc de Mazarin. Parcontre, dans le récit de 1684, les entrevues avec la reine mère, qui n’a pas démis-sionné du gouvernement de Bretagne, et avec le duc de Mazarin sont décrites trèslonguement, avec de nombreux détails donnés seulement par Brienne, sans autres

sources pour les confirmer, et cette affaire s’enchevêtre dans le récit de la prise dupouvoir. Finalement, après le rapport de Brienne sur ce sujet et conformément à sonavis, le roi ordonne de faire établir et sceller d’autres provisions pour le duc deMazarin. Dans le récit de 1694, l’affaire est présentée différemment : les provisionssont bien dressées par les Brienne et scellées par Séguier ; le roi les prend avant latenue du conseil. Puis, après en avoir débattu avec les ministres, et non pas unique-ment avec le jeune Brienne, Louis XIV se range à l’avis de Brienne le père qui doit parler de cette affaire à Anne d’Autriche. La réaction de celle-ci à l’annonce de larédaction des provisions fait l’objet d’une digression au moment du récit du départ 

des Brienne pour Vincennes.La deuxième affaire est la convocation du conseil à Vincennes. Dans la première  version, Brienne se rend à Saint-Mandé prévenir le surintendant des finances,ensuite il voit Séguier et expédie des billets pour avertir les autres personnages ; puisil avertit son père et les deux Brienne se rendent à Vincennes. Dans la deuxième ver-sion, c’est Brienne qui apprend à Fouquet, qui se rend à Vincennes, la mort deMazarin, puis il informe Séguier, La Vrillière, Guénégaud et son père. Point impor-tant, car dans le récit de 1684, le conseil semble se tenir le 9 mars 1661. Dans la ver-sion de 1694, Brienne doit prévenir Séguier et les trois secrétaires d’État de la

convocation pour le lendemain (10 mars) d’un « conseil extraordinaire » à 7 heuresdu matin. La réunion des huit personnages aurait donc eu lieu le 10 mars et non le 9.Or, dans les Mémoires  de l’abbé de Choisy, Louis XIV, après la mort de Mazarin,« s’alla enfermer dans son cabinet, et y fit entrer Le Tellier et Lyonne, qui se trou- vèrent là », tandis que le jeune Brienne se rendait à Saint-Mandé chercher Fouquet,furieux de n’avoir pas été averti de la mort du Cardinal. Louis XIV aurait donc tenuun premier conseil, avec les trois ministres, le 9 mars, qui selon l’abbé de Choisy dura « trois jours », en fait trois heures, puis « le Roi en tint un autre le lendemain, oùil fit appeler le chancelier Séguier et les secrétaires d’État, outre Fouquet, Le Tellieret Lyonne »9. Le déroulement des événements est donc moins clair qu’il n’y paraît et 

248 Jérôme Janczukiewicz 

8. Louis-Henri de Loménie, comte de Brienne, Mémoires, op. cit., t. III, p. 30-38.9. Abbé de Choisy, Mémoires pour servir à l’histoire de Louis XIV, éd. Michaud et Poujoulat, Paris,

1838, p. 577. Choisy est principalement informé par Brienne le jeune, qui constitue sa principalesource, voir les Mémoires de ce dernier, op. cit., t. II, p. 61, n. 1, p. 63, n. 1.

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ces récits indiquent qu’il y a eu plusieurs étapes dans cette prise du pouvoir. D’autressources permettent d’y répondre plus loin.

Enfin, le discours du roi. Dans la version de 1684, la déclaration est brève et pré-cise. Le roi décide de gouverner lui-même l’État, tous ses ministres devant recevoir

ses ordres et y obéir, mais Louis XIV est prêt à écouter les conseils de ceux-ci, quipeuvent juger sa conduite. Dans le discours de 1694, le discours est plus long, plusthéâtral et plus dramatique, et fractionné en trois parties. Louis XIV s’étend davan-tage sur sa décision de gouverner lui-même l’État, ordonne à Séguier de ne rien scel-ler sans son aval et il n’entend pas que l’on puisse juger sa conduite. Il ordonneensuite l’examen de la question du gouvernement de Bretagne, puis il demande auxsecrétaires d’État de ne rien signer sans son ordre. Fouquet, qui a reçu des instruc-tions du roi, est prié de se servir de Colbert que lui a recommandé le Cardinal ;Lionne est chargé des affaires étrangères et Brienne doit le servir. Il n’y a plus de

harangue du chancelier, ni de compliment ou de révérence des autres personnages.Enfin, Louis XIV rajoute une phrase demeurée célèbre sur « la face du théâtrechange... » et met fin au conseil.

Loménie de Brienne a donc élaboré dans ses Mémoires  deux versions del’événement dont il a été le témoin. Avec les années, le récit est plus ample ; le dis-cours du roi est plus long, plus travaillé, avec des formules frappantes et parfaitement ciselées qui n’apparaissent pas dans le discours composé en 1684, bref, concis et pré-cis. Même l’expression sur le changement de politique après la mort de Mazarin, « laface du théâtre change », semble être banale car un obscur correspondant du prince

de Condé l’emploie dans une de ses lettres10

. Surtout, dans les deux récits, Louis XIV n’évoque pas la formation et la composition exactes des conseils et se contente defaire savoir aux huit personnages les nouveaux principes de gouvernement et de pré-ciser leurs nouvelles attributions respectives (surtout dans le récit de 1694). Il faut donc se tourner vers la version de 1661, donnée par Brienne dans le Mémorial du Con-seil . C’est un registre, composé à partir du 9 mars 1661, où sont notés les « Ordres duRoi et résolutions du conseil secret de S. M. établi depuis la mort de M. le cardinalMazarin pour la conduite de l’État ». Jour après jour, le registre note que le roi « acommandé », « a ordonné », « a trouvé bon » telle ou telle chose. Ensuite Brienne a

placé des apostilles devant chaque ordre royal : « cela a été fait », « exécuté », « fait »,« a été exécuté », « a été adressé » à un tel pour indiquer l’exécution des ordres du roi.C’est une source capitale pour les débuts du règne personnel de Louis XIV 11. Briennedonne une analyse détaillée de la journée du 9 mars 1661 :

M. le Cardinal ne fut pas plus tôt mort, que le Roi fit appeler MM. Fouquet, Le  Tellier, et de Lionne, pour leur donner à eux seuls la plus secrète part dans saconfiance. Il ordonna à M. le Chancelier de ne rien sceller sans son ordre, et fit ensuite à MM. les Secrétaires d’État un pareil commandement pour les expéditionsqui partent de leurs mains. Il ordonna deux conseils par semaine, le lundi et le jeudi,pour les affaires courantes du dedans de l’État, où MM. le Chancelier, Surintendant,

 La prise du pouvoir par Louis XIV : la construction du mythe  249

10. Bibliothèque du château de Chantilly, Série P, t. 24, fol. 102 ro-102 bis, Barrin au prince deCondé, Angers, 13 mars 1661, « Monseigneur, j’ay appris sur ma route le changement du théâtre... ».

11. Jean de Boislisle, Mémoriaux du Conseil de 1661, op. cit.

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Secrétaires d’État et M. de Lionne se trouveroient seuls. S. M. me donna ordre de neparler point lors des affaires étrangères, mais seulement en présence d’Elle ou de cestrois messieurs, à mesure que les affaires viendroient, sans prendre pour cela de jourpréfix, et pouvant ainsi, tous les matins qu’Elle s’assemble avec eux, m’y trouver pour

parler de ces matières.12

La réunion des huit personnages eut donc bien lieu le 9 mars 1661, le roi convoquant d’abord Fouquet, Le Tellier et Lionne afin de leur confier le « secret des affaires »,puis en donnant ses ordres à Séguier pour le sceau et aux trois autres secrétairesd’État pour les expéditions, de façon brève et précise : il n’y a pas trace d’annonce fra-cassante de la part du roi. Surtout, Louis XIV donne la nouvelle composition desconseils, avec le conseil secret ou d’en-haut où doivent siéger Fouquet, Le Tellier et Lionne seulement, et le conseil des dépêches où le chancelier et les trois autres secré-taires d’État devaient aussi venir ; le premier conseil se tenant tous les matins, lesecond le lundi et le jeudi. C’est par cette nouvelle répartition que Louis XIV prendeffectivement le pouvoir : plus de premier ministre, un nombre restreint de ministres,le chancelier écarté du Conseil d’en-haut et ne pouvant sceller sans ordre du roi, dessecrétaires d’État contrôlés directement par le roi, Brienne ne devant s’occuper desaffaires étrangères que devant le roi et les trois ministres. On est loin du discours hau-tain et assuré composé en 1694... De plus, si l’on suit le Mémorial, on s’aperçoit que lespremiers ordres de Louis XIV, ce 9 mars 1661, concernent l’envoi de 2 000 écus ausieur de Lisle pour approvisionner la citadelle de Marseille, un ordre au sieur de laGuette pour faire sortir de Toulon de la poudre, des mèches et du plomb, plus

2 000 grenades pour la citadelle de Marseille et envoyer au sieur de Lisle les trois ga-lères en état de naviguer lorsqu’il les demanderait 13. Il n’y a pas trace des lettres deprovisions pour le duc de Mazarin... De même, on peut apprécier les divergencesentre les Mémoires et le Mémorial avec la description du nouveau système de gouverne-ment. Dans ses Mémoires, Brienne évoque les changements dans les conseils enmars 1661, ou plutôt selon lui le rétablissement du bon ordre

car ce n’avoit été proprement que confusion sous le ministère du Cardinal. Les Con-seils se tenoient dans sa chambre, pendant qu’on lui faisoit la barbe et qu’onl’habilloit, et souvent il badinoit avec sa fauvette ou sa guenon pendant qu’on lui par-loit d’affaires. Il ne faisoit asseoir personne dans sa chambre, pas même le Chancelierni M. le Maréchal de Villeroy. Le Roi ne manquoit jamais de venir prendre unelongue leçon de politique après que le Conseil étoit fini.

Séguier, Brienne père et fils, Lionne, Le Tellier, La Vrillière, Guénégaud, et Louvois(survivancier de son père) s’assemblaient une fois par semaine et 

le Roi nous écoutoit assis. Tous les ministres étoient debout, le Chancelier à la gauchede Sa Majesté, du côté du lit et s’appuyoit s’il vouloit sur le balustre, tous les autrescomme ils se trouvoient. Le secrétaire d’État qui raportoit s’avançoit vis-à-vis SaMajesté, et, s’il falloit écrire, il s’asseyoit sur un placet qui étoit au bout de la table, oùil y avoit une écritoire et du papier.

250 Jérôme Janczukiewicz 

12. Ibid., t. I, p. 1-2.13. Ibid., p. 2.

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 Villeroy et Fouquet « venoient quelques fois à ces conseils, mais moins exacte-ment que le Chancelier et les secrétaires d’État », et Brienne père manquait souvent à cause de ses infirmités « et comme il ne pouvoit se tenir debout, il s’asseyoit sur leplacet qui étoit au bout de la table ». Lionne s’appuyait contre le chambranle de la

cheminée, le jeune Brienne ainsi que Lionne lisaient les dépêches ainsi que Le Tellier(qui, mauvais lecteur, ânonnait, paraît-il) car

j’étois celui des secrétaires d’État qui parloit davantage, et si j’avois voulu, à l’exemplede M. Le Tellier, lire tout du long les dépêches que je recevois, j’aurois seul occupéplusieurs séances ; mais je ne rapportois que sur extraits. Cela déplut au Roi qui veut tout voir et tout savoir. Sa Majesté m’ordonna de lui venir lire les dépêches de sesambassadeurs à mesure que je les recevois et du reste de continuer dans le conseilsecret à en faire le rapport sur mes extraits. M. de Lionne étoit informé en droiturepar les ambassadeurs des choses les plus importantes et leur écrivoit tous les ordinai-res ; mais les longs détails ne se mandoient qu’à moi à qui toutes les dépêchess’adressoient, mon père s’étant entièrement déchargé sur moi de ce soin...

Il est faux de parler de confusion dans l’organisation des conseils à l’époque de Maza-rin qui fut marquée au contraire par le souci de mieux organiser les séances et demieux répartir les attributions des différentes sections du conseil ; de même, le fait dese tenir debout lors du Conseil d’en-haut est un usage datant de 1652 qui permettait d’éviter les querelles de préséance entre les ministres d’État 14. De plus, comme leremarquait Paul Bonnefon, cette description s’applique surtout au conseil des dépê-ches, ou plutôt Brienne mélange les éléments se rapportant au Conseil d’en-haut et auconseil des dépêches quant au personnel, à la tenue des séances. Par contre, la main-mise de Lionne sur les affaires étrangères est tout à fait exacte. Pour pénétrer au cœurdu nouveau système politique, il faut se référer à d’autres sources qui permettent demieux comprendre la réorganisation des conseils opérée à partir du 9 mars 1661 et qui évoquent des faits très importants passés sous silence par Brienne.

LES AUTRES TÉMOINS DE LA PRISE DU POUVOIR PAR LOUIS XIV 

 Le déroulement des événements 

Sans vouloir établir une bibliographie exhaustive, les témoins de la prise du pou- voir par Louis XIV sont nombreux et Boislisle a publié dans les Mémoriaux du Conseil de 1661 de nombreux récits et lettres de Brienne le jeune, de Le Tellier, Lionne, Col-bert et d’ambassadeurs étrangers15. À cette liste, il faut ajouter le prince de Condé et Nicolas Fouquet. Tout d’abord, le changement apporté aux conseils fut préparé par

 La prise du pouvoir par Louis XIV : la construction du mythe  251

14. Jérôme Janczukiewicz, Les Relations entre le parlement de Paris et le Conseil du roi de la mort de Louis XIII au second retour de Mazarin, thèse dactylographiée de l’Université Paris IV - Sorbonne, soutenue le27 mars 1998, 4 vol., t. I, p. 97-139. Publiée en 2 volumes aux Éditions du Septentrion en 1999.

15. Jean de Boislisle, Mémoriaux du Conseil de 1661, op. cit., t. I, p. VII, X , XI, p. 281, appendice IV,p. 364-365.

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Mazarin à la veille de sa mort, après avoir reçu l’extrême-onction, avec l’accord deLouis XIV à qui il laissa des « instructions particulières » lorsque le roi vint dans sachambre : le 8 mars 1661, le Cardinal désigna Le Tellier, Lionne et Fouquet commeles plus capables dans leurs domaines respectifs, et le roi les nomma pour être de

son « conseil secret »16. C’est probablement l’origine de ce premier conseil à troismentionné par l’abbé de Choisy dans ses Mémoires . Nicolas Fouquet confirme ce fait en donnant le détail de ce qui se passa alors. Mazarin, proche de la mort, eut unentretien en particulier avec le roi, puis fit appeler dans sa chambre Le Tellier,Lionne et Fouquet en disant en peu de mots « qu’il estimoit en sa conscience devoirrendre témoignage à Sa Majesté qu’Elle ne pouvoit admettre dans les Conseilsqu’Elle tiendroit pour l’administration des affaires de son Estat, des Personnes pluscapables d’y servir que nous trois ». Mazarin parla de chacun des trois :

M. Le Tellier avoit toujours très-bien servy ; qu’il sçavoit le détail de la pluspart des affaires de la Cour et de la Guerre ; que M. de Lionne sçavoit parfaitement toutesles affaires Etrangères ; que c’estoit luy qui avoit le plus contribué au traité de Paix ;qu’il avoit travaillé avec grande application pour en examiner tous les points, & enlever toutes les difficultez ; & parla ensuite de moy en termes remplis d’estime ; disant que j’avois beaucoup de connoissance de la Justice & des Finances par mes Charges,mais qu’il estoit obligé de dire à Sa Majesté de plus, que j’estois capable de luy donnerde très-bons Conseils sur toutes les autres affaires de l’Estat, de quelque naturequ’elles fussent.

 Après cette déclaration, et avant même la mort du Cardinal,

le Roy nous assembla tous trois, nous confirma qu’il se serviroit de nous pour toutessortes d’affaires généralement ; nous chargea de proposer tout ce que nous estime-rions à propos pour le bien de son service, & l’avantage de son Estat ; & ajoûta uneparole vrayement Royale, & digne d’estre transmise à la Postérité, qui est, que s’il fai-soit quelque faute, nous luy ferions plaisir de l’en avertir.17

Le choix du Cardinal pour les trois hommes est donc motivé par leurs capacités

et leur fidélité, motivations que l’on retrouve textuellement dans les Mémoires  deLouis XIV lorsque le roi passe en revue leurs qualités et leurs défauts en indiquant 

252 Jérôme Janczukiewicz 

16. Pierre Clément, Lettres, instructions et mémoires de Colbert, Paris, 1861-1882, 8 vol., t. I, p. 534 ;Godefroi Hermant, Mémoires, éd. A. Gazier, Paris, 1905-1910, t. IV, p. 618-619 ; Mme de Motteville,

 Mémoires, éd. M. F. Riaux, Paris, Bibliothèque Charpentier, 1904, 4 vol, t. IV, p. 243.17. Les Œuvres de Mr. Fouquet, ministre d’État. Contenant son accusation, son procez & ses défenses, contre 

 Louis XIV. roy de France, Paris, chez la veuve de Cramoisy, 1696, 16 vol., t. XI, p. 133-134. Fouquet res-tait persuadé que Mazarin, influencé par Colbert, l’avait dénigré auprès du roi et que ces compliments

étaient une fourberie (t. IV, p. 159), accusation reprise par l’abbé de Choisy dans ses Mémoires, op. cit.,p. 579, où il relate les propos qu’aurait tenus le Cardinal lors de son entretien avec Louis XIV : il fallait se méfier et se défaire de Fouquet sujet à ses passions, dissipateur et hautain ; Le Tellier n’était pas àcraindre mais il fallait tenir la bride à Lionne et lui laisser uniquement les affaires étrangères. Voir aussi

 Lettres et négociations entre Mr Jean de Witt conseiller pensionnaire & garde des sceaux des provinces de Hollande et de West-Frise et messieurs les plénipotentiaires des Provinces Unies des Pais-Bas aux cours de France, d’Angleterre, de Suède, de Danemarc, de Pologne &c, Amsterdam, chez les Janssons-Waesberge, 1725, 5 vol., t. II, p. 83.

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qu’il se défiait pourtant de Fouquet 18. Ce changement politique, effectué en secret,n’est pas une pratique nouvelle. En effet, en mai 1643, la reine Anne d’Autricheavait composé, par des contacts et des intrigues, le Conseil d’en-haut, avant même lacassation officielle, le 18 mai, par le parlement de Paris, du testament de Louis XIII

qui limitait ses pouvoirs : dans les deux jours qui avaient précédé, elle avait établi laliste des ministres qui composeraient ce conseil19. De même, former un conseil res-treint qui excluait la famille royale n’était pas nouveau dans les pratiques politiquesdu XVIIe siècle. Henri IV avait laissé de côté les princes du sang, mais permettait à safemme Marie de Médicis d’assister aux séances ; Louis XIII, au début de son règne,avait un conseil étroit de 4 à 6 membres, parfois moins selon les années et les cir-constances, et les princes du sang n’y venaient pas de droit, seulement avec l’accordroyal ou avec le titre de chef du conseil, et ce roi avait à plusieurs reprises exclu samère du conseil20. À l’époque de Louis XIV, certains conseils administratifs (conseil

des finances, conseil d’État et des finances, conseil des parties) avaient été réformésavant mars 1661. Ainsi, les conseillers d’État passèrent de 114 au 30 avril 1644 à 32avec la réforme du 1er mai 165721. Surtout, dès l’été 1643, Anne d’Autriche et Maza-rin avaient formé un « conseil secret » ou « petit conseil secret » dans lequel étaient débattues, chaque soir, les affaires étrangères et les questions les plus importantes,entre eux et avec la participation de Gaston d’Orléans, du prince de Condé et du ducd’Enghien puis du duc de Damville. Ce conseil secret permettait de doubler un Con-seil d’en-haut dont les effectifs augmentaient constamment, surtout après des four-nées de nominations en 1652-1653 et en 165922. De plus, il permit à Mazarin de faire

l’éducation politique de la reine, avec qui il restait le soir après le départ des autrespersonnages, et aussi du roi, qui, vers la fin de 1649 ou au début de 1650, y entraaussi, même s’il semblait plus intéressé par la musique ou le ballet que par les leçonsde son parrain23. Ce conseil secret, d’abord officieux, eut une existence officiellepuisqu’on le retrouve mentionné dans l’ État de la France de 1658, composé du roi, dela reine, du premier ministre et de ceux des princes ou des ministres que le roi jugeait bon d’y appeler, afin de traiter de « quelques affaires secrètes », et placé en tête detous les autres conseils et notamment avant le Conseil d’en-haut 24. Ce dernier, com-posé à cette époque du chancelier et d’une bonne vingtaine de ministres d’État,

principalement des ducs et pairs, des maréchaux de France et des prélats, et chargédes « quelques affaires regardant le général de l’État », devenait de plus en plushonorifique et les ministres d’État écartés du conseil secret n’avaient plus part aux

 La prise du pouvoir par Louis XIV : la construction du mythe  253

18. Louis XIV, Mémoires, éd. Jean Longnon, Paris, 1978, p. 51.19. Jérôme Janczukiewicz, « Le Conseil d’en-haut de 1643 à 1653 », dans Histoire et Archives, fasc. 8,

juillet-décembre 2000, p. 13.20. Jérôme Janczukiewicz, Le Conseil du roi de l’avènement de Henri IV au règne personnel de Louis XIV.

1589-1661, en cours de préparation.

21. Roland Mousnier, « Le conseil du roi de la mort de Henri IV au gouvernement personnel deLouis XIV », dans La Plume, la faucille et le marteau, Paris, PUF, 1970, p. 166-167.22. Jérôme Janczukiewicz, « Le Conseil d’en-haut... », art. cité, p. 19-21.23. Mme de Motteville, Mémoires, op. cit., t. IV, p. 90-91.24. État de la France en 1658, cité par Pierre Clément dans Lettres, instructions et mémoires de Colbert,

op. cit., t. I, p. CVII, et État de la France de 1661, cité par Jean de Boislisle, Mémoriaux du Conseil de 1661,op. cit., t. I, p. V .

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affaires les plus importantes25. Déjà, le 10 décembre 1660, le diplomate hollandais Van Beuningen écrivait à Witt que

ce matin le Roi a été deux heures dans la chambre de Son Éminence, n’y ayant que

S. M., Monsieur de Turenne, le Sur-Intendant, & Mr. Le Tellier, & là a été arrêté laliste des Troupes qui seront reformées... Mr. le Prince, Mr. d’Espernon, & autresGrands, étoient cependant dans l’antichambre ; pas un n’a part à tout cela, ni Mr. LePrince n’a vû son Éminence.26

Le 8 mars 1661, en composant un conseil avec trois ministres, Louis XIV confirme la prééminence du conseil secret sur le Conseil d’en-haut, mais il en écartela reine mère et ne prend plus de premier ministre. Ce nom de conseil secret est d’ailleurs donné au nouveau conseil à trois les jours qui suivent la mort de Mazarin,

alors qu’en fait il s’agit bien d’un nouveau Conseil d’en-haut. La confusion vient dupetit nombre des membres et du fait que ce nouveau conseil traite surtout des affai-res étrangères comme l’ancien conseil secret 27. Ce nouveau Conseil d’en-haut se réu-nit tous les jours, en présence du roi, avec des séances de travail le matin de 9 heuresà midi, pour les affaires étrangères et les affaires secrètes, parfois l’après-midi et lesoir pour l’expédition et la signature des actes. Les trois ministres seuls travaillent avec le roi, debout devant lui, selon l’usage introduit en 1652, et tête nue, lisant let-tres, dépêches et rapports puis donnant leur avis sur ces matières. Le jeune Brienne,chargé de tenir le Mémorial, y participe du 11 mars au 1er avril 1661, date à laquelle Le

 Tellier fut chargé du registre, tenu par la suite par un secrétaire qui notait toutes lesdécisions28. Après la mort de Mazarin, le 9 mars 1661, le roi convoqua à nouveau la triade

pour confirmer sa désignation, puis fit convoquer les autres personnages déjà men-tionnés plus haut. Il s’agissait de leur faire connaître les changements survenus dansle Conseil d’en-haut (ou secret) et de former un nouveau conseil des dépêches. Làencore, il s’agit d’une réorganisation. Ce conseil, sous le règne de Louis XIV, avait été crée en 1649, comme nous l’apprend une minute conservée dans les papiersSéguier, qui en fixait sa composition et ses attributions29. Il semble n’avoir fonc-

254 Jérôme Janczukiewicz 

25. Duc de Plessis-Praslin, Mémoires, éd. Michaud et Poujoulat, Paris, 1851, p. 441-442.26. Lettres et négociations entre Mr Jean de Witt..., op. cit., t. II, p. 12-13.27. Jean de Boislisle, Mémoriaux du Conseil de 1661, op. cit., t. I, p. 18 (11 mars 1661..., conseil secret de ces 

trois messieurs et de S. M. ) ; Œuvres de Nicolas Fouquet, op. cit., t. XI, p. 121 (... Conseil secret, où les affaires des  Étrangers se traittoient...), p. 133, 192 (... Conseil des affaires étrangères...), p. 205 (... Conseils secrets du Roy tenus  pour les affaires étrangères...).

28. Œuvres de Nicolas Fouquet, op. cit., t. XI, p. 136 ; Jean de Boislisle, Mémoriaux du Conseil de 1661,op. cit., t. I, p. VII, IX , XIII, 281 (dépêche de l’ambassadeur de Venise du 10 mai 1661).

29. BNF, Ms fr 18158, fol. 151 ro :

1649. Minutte d’arrest pour le Conseil des Despèches des Provinces du Royaume de France.Le Roy, de l’advis de la Royne régente sa mère présente, veult et ordonne qu’il soit tenu ung Conseildes despesches des provinces du Royaume dans lequel toutes les lettres qui seront envoyées à Mon-sieur le Chancellier, aux Secréttaires d’Estat et aux sieurs Directeurs des Finances concernant lesaffaires desdites provinces, de la justice ou des finances soient examinées pour en suitte en estre faict rapport devant Sa Majesté ensemble des expédients et résollutions que ceux qui seront commis pourassister audit Conseil auroient jugé à propos d’estre proposées.

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tionné qu’un an ; Mazarin mettant fin aux séances pour tout diriger lui-même, puis ilfut réactivé par le garde des Sceaux Châteauneuf et reprit ses activités à partir du15 mars 1651 avec les autres ministres d’État et les quatre secrétaires d’État, en seréunissant le mercredi30. À cette époque, le conseil des dépêches, à part son jour de

séance et la matière traitée, se distinguait peu du Conseil d’en-haut par sa composi-tion ; en 1658 et 1661, il comprenait le roi, le chancelier, les ministres d’État, avec lesurintendant des finances et les secrétaires d’État qui « y font leur rapport et tien-nent mémoire des résolutions prises, ainsi qu’au Conseil d’en-haut, et en font faireles expéditions ». Il se tenait au Louvre et s’occupait toujours des affaires des pro-  vinces. La reine mère n’y participait pas31. Nous avons vu que Louis XIV, le9 mars 1661, le composa de sept membres et fixa sa réunion le lundi et le jeudi. Lenouveau conseil des dépêches, qui s’occupait toujours des affaires des provinces, seréunissait le matin de 9 heures à midi dans le cabinet du roi, et le Conseil d’en-haut 

devait alors se réunir, ces deux jours-là, l’après-midi, de 3 heures à 5-6 heures32.Dernière étape de la prise du pouvoir, le matin du 10 mars 1661, à 7 ou 9 heu-res, Louis XIV fit convoquer au Louvre, dans la chambre de la reine mère, où setenaient habituellement les conseils, toutes les personnes dont il avait l’habitude dese servir dans ceux-ci. C’est là le « conseil extraordinaire » que le jeune Brienneavait eu ordre de convoquer la veille. Monsieur (frère du roi), le prince de Condé, leduc de Longueville, le chancelier Séguier, les maréchaux de France, les ducs et pairs, les grands officiers de la Couronne et autres ministres d’État s’y trouvèrent.Seule la reine mère était absente. Il s’agissait là d’un Grand Conseil, instance mise

en place en 1610 au début de la régence de Marie de Médicis. Le Grand Conseil visait à assembler la totalité des dignitaires de la Cour, afin de flatter leur vanité enles faisant participer à une séance du conseil sans les faire entrer dans le conseilétroit, et leur faire connaître une décision prise par le roi seul ou avec l’aide de ceconseil étroit. Cette décision, présentée au Grand Conseil, devait être approuvée,parfois après un débat, avec solennité, par tous les participants33. Tous les témoinsdonnent un récit concordant de ce Grand Conseil. Louis XIV fit savoir àl’assemblée qu’il ne permettrait pas le retour du cardinal de Retz, à cause de ses

 La prise du pouvoir par Louis XIV : la construction du mythe  255

30. Dubuisson-Aubenay, Journal des guerres civiles, éd. de Gustave Saige, Paris, 1883-1885, 2 vol., t. II,p. 33 et 64.

31. État de la France de 1658, op. cit., t. I, p. CVII, et  État de la France de 1661, op. cit., t. I, p. V .32. Œuvres de Nicolas Fouquet, op. cit., t. XI, p. 136. Fouquet précise que le chancelier venait deux

jours par semaine voir le roi pour les affaires de justice et que les secrétaires d’État venaient ces deuxjours-là « pour le rapport des dépesches qu’ils avoient receuës de leurs départemens ; le Roy prit quel-ques aprèsdisnées pour les affaires des Finances, où j’estois seul, & où M. Colbert apportoit le Registrede la recepte & dépense, qui estoit veu par Sa Majesté ». Jean de Boislisle, Mémoriaux du Conseil de 1661,op. cit., t. I, p. XI.

33. Maréchal d’Estrées, Mémoires sur la régence de Marie de Médicis (1610-1616) et sur celle d’Anne d’Autriche (1643-1650), éd. Paul Bonnefon, Paris, Librairie Renouard, « Publications de la société del’histoire de France », 1910, p. 7 ; Pontchartrain, Mémoires, éd. Michaud et Poujoulat, Paris, 1851, p. 299-300 ; Fontenay-Mareuil, Mémoires, éd. Michaud et Poujoulat, Paris 1851, p. 35. Cette description duGrand Conseil institué en 1610 ressemble de façon frappante à celle donnée par Duplessis-Praslin (voirn. 24) pour le Conseil d’en-haut en 1655-1657 : fort effectif, distinction purement honorifique, déci-sions importantes prises par le conseil restreint.

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intrigues et du fait qu’il avait tenté de s’opposer à la Paix des Pyrénées en donnant des avis secrets à Don Luis de Haro, comme pouvait en témoigner le prince deCondé. Ensuite, poursuivant sa harangue, il déclara que désormais, il gouvernerait lui-même son État puisque le cardinal Mazarin était mort, et qu’il choisissait Fou-

quet, Le Tellier et Lionne pour s’appliquer aux affaires, en raison de leur fidélité et de leurs capacités, en leur donnant ordre de ne rien faire sans en communiqueravec lui, ordre répété au chancelier et aux trois autres secrétaires d’État, « afin qu’ilne se fît plus rien à l’avenir dans ses propres affaires sans sa participation ». Quant aux autres dignitaires, il les confirma dans leur charges « pour agir sous lui selonleurs fonctions, et que s’il arrivoit qu’il eût besoin de leur conseil, il le leur deman-deroit ; puis il les congédia »34. Le lendemain, 11 mars 1661, Brienne le jeune parti-cipa au conseil secret et il reçut l’ordre « d’écrire à tous les ministres étrangers larésolution que S. M. avoit prise de gouverner elle-même son État, afin qu’ils en

donnassent part aux princes pour lesquels ils servent »35. Cette décision fut réper-cutée dans les provinces, par des lettres adressées aux intendants ou aux correspon-dants locaux des secrétaires d’État, et à l’étranger. Son importance fut telle que lescontemporains firent peu attention à la suite des événements et aux autres mesuresprises par le roi, accréditant l’idée que Louis XIV avait écarté définitivement sesautres ministres et les membres de la famille royale.

BILAN

Les contemporains, on l’a vu, ont été frappés par la mise à l’écart du conseil denombreux personnages et par la décision prise par le roi de gouverner lui-même 36. Anne d’Autriche notamment ne vint même pas au Grand Conseil du 10 mars 1661.Il semble que le roi ait été influencé par Mazarin qui l’avait mis en garde contre saprétendue incapacité politique alors que la reine avait pu diriger le Conseil d’en-haut en tant que régente, puis après le 8 septembre 1651 comme chef du conseil. Depuisla majorité du roi et depuis son retour en France, Mazarin, aigri par son exil et lapeur qu’il avait eue d’être renvoyé en Italie, s’était détaché de la reine et la desservait 

auprès de Louis XIV ; les différends entre le Cardinal et Anne d’Autriche étaient fré-quents. Villeroy, ancien gouverneur du roi et ministre d’État depuis 1648, fut aussi

256 Jérôme Janczukiewicz 

34. Jean de Boislisle, Mémoriaux du Conseil de 1661, op. cit., t. I, p. 18, p. 19, n. 3 ; Mme de Motteville, Mémoires, op. cit., t. IV, p. 247-248 ; Lettres et négociations entre Mr Jean de Witt..., op. cit., t. II, p. 83 ; Gode-froi Hermant, Mémoires, op. cit., t. IV, p. 618-619.

35. Jean de Boislisle, Mémoriaux du Conseil de 1661, op. cit., t. I, p. 18.36. Bibliothèque du château de Chantilly, Série P, t. 24, fol. 95 ro, lettre du prince de Condé à

Caillet, le 11 mars 1661 : « [Pour la reine de Pologne] vous luy pourrez dire que le Roy tesmoigne vou-loir commencer à prendre cognoisance luy-mesme des affaires de Son Royaume, ayant commandé àson chancelier, au Surintendant des Finances, et aux Secrétaires d’Estat de ne rien faire que par sesordres... » ; Maréchal de Gramont, Mémoires, éd. Michaud et Poujoulat, 1851, p. 328 : le roi « prit seul letimon de l’État et se livra entièrement aux affaires... ». Il se trompe lorsqu’il prétend que la reine mère,les princes du sang et autres grands seigneurs ne furent plus admis dans le conseil et n’eurent plus depart aux affaires et qu’à part les trois ministres « tout le reste fut congédié ».

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écarté alors qu’il comptait avoir la première place dans le nouveau conseil37. Lesautres dignitaires, notamment Turenne, furent mécontents de ce changement poli-tique et que « trois bourgeois eussent la principale part dans le gouvernement del’État »38. Appellation pleine de mépris donnée à d’anciens collègues du Conseil

d’en-haut lorsque l’on songe que Fouquet était surintendant des finances et ministred’État depuis le 8 et 10 février 1653, que Lionne, ancien secrétaire des commande-ments d’Anne d’Autriche, avait été nommé ministre d’État en juin 1659 et que Le Tellier occupait la charge de secrétaire d’État depuis 1643 ! Louis XIV avait sélec-tionné ceux qu’il pensait être les plus qualifiés et les plus aptes à garder le secret desaffaires même s’ils n’appartenaient pas à la haute noblesse. Pourtant, le roi avait pro-mis aux Grands de les appeler s’il avait besoin de leur avis, et il tint sa promesse. Eneffet, Louis XIV fit appeler au nouveau Conseil d’en-haut d’anciens ministres pourleur demander leur avis sur des affaires militaires et diplomatiques. Le prince de

Condé participa à ces séances « extraordinaires » du Conseil d’en-haut destinées àrégler un problème particulier ou délicat avec l’avis de personnes expérimentées :

Quand à l’establissement des affaires par deça, il n’y a rien de changé depuis le der-nier ordinaire, le Roy continue de se servir de Mr. Fouquet, de M. le Tellier et de Mr. deLyonne ; ce sont les trois à qui la confiance de Sa Majesté est partagée [rayé : et sanslesquels Elle ne resoub rien], le Roy les faict travailler sous luy tous les jours, et vous nescauriés croire avec quel soing et quelle capacité Sa Majesté s’applique aux affaires deson Royaume, ces Mrs. sont les seuls dont elle se sert pour l’ordinaire [rayé : de sesaffaires] et lors qu’elle tient quelque conseil extraordinaire, ce qui arrive assés souvent,

Elle me faict l’honneur de m’y appeller, Mr. de Turene, Mr. le Mal de Gramont, M. leMal de Villeroy et Mr. le Mal Du Plessis Praslin. La Reyne mère a grand crédit et le Roy 

 vit admirablement bien avec elle et luy parle de touttes les affaires, mais le Roy [rayé :est le seul qui] prend cognoissance luy-mesme de [rayé : ses affaires] tout, et enordonne comme il luy plaist. Pour moy, je suis parfaictement bien avec leurs Majestés,me faisant l’honneur de me traicter avec de grands bontez et confiance. Pour lestrois Mrs. dont je vous viens de parler, je vis aussy fort bien avec eux et il n’y en a pas unqui ne me tesmoigne beaucoup de bonne volonté, si bien qu’il n’y aura jamais uneconjoncture plus favorable que celle-cy pour pousser l’affaire de Pologne...39

Le Conseil d’en-haut ne fut donc pas limité au roi et à la triade, même si les deuxpremiers jours seuls les trois ministres furent présents, puis, à partir du 11 mars, lejeune Brienne. Dès le 12 mars 1661, le roi assembla un Grand Conseil sur les affairesmilitaires, avec Monsieur, le prince de Condé et les Grands ; le 14 mars, Louis XIV ordonna une conférence avec les maréchaux de Villeroy et Plessis-Praslin pour laconstruction du Château-Trompette ; le 26 mars 1661 l’ambassadeur de Venise nota

 La prise du pouvoir par Louis XIV : la construction du mythe  257

37. Godefroi Hermant, Mémoires, op. cit., t. IV, p. 619 ; Montglat, Mémoires, éd. Michaud et Poujou-

lat, Paris, 1838, p. 349-351 ; Madame de Motteville, Mémoires, op. cit., t. IV, p. 144-156, 251-254. Sur lerôle politique de la reine voir Jérôme Janczukiewicz, « Le Conseil d’en-haut de 1643 à 1653 », art. cité,p. 21-22.

38. Godefroi Hermant, Mémoires, op. cit., t. IV, p. 619 ; Jean de Boislisle, Mémoriaux du Conseil de 1661, t. I, p. 46, n. 1.

39. Bibliothèque du château de Chantilly, Série P, t. 24, fol. 115 ro-v o, le prince de Condé à Caillet,son émissaire en Pologne, 16 mars 1661.

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l’appel de Condé, Turenne et Villeroy, en plus des trois ministres, pour examinerl’envoi d’un corps expéditionnaire à Candie ; Turenne servait régulièrement dans ceConseil d’en-haut afin de suivre les négociations sur le droit de tonneau avec lesambassadeurs Van Beuningen et Boreel qui lui prêtaient beaucoup d’influence.

 Turenne vint encore au Conseil d’en-haut le 14 février 1665, avec Le Tellier, Lionneet Colbert 40. De même, lors de l’affrontement sanglant entre les gens du comted’Estrades et ceux de Watteville à Londres, « aussytost que le Roy eut reçu cet avis, ilassembla son conseil, où il appela M. de Turenne et le mareschal de Villeroy, et leurdemanda à tous leurs sentimens »41. Le roi se servait donc à l’ordinaire de trois minis-tres d’État, nommés oralement et non plus par lettres patentes ou par brevet commeil était généralement d’usage auparavant, bien que l’usage des nominations oralessemble être réapparu à partir de 165942. Ces trois ministres ont une spécialité assezbien marquée (finances pour Fouquet, guerre pour Le Tellier, affaires étrangères

pour Lionne), même si leurs attributions concernent parfois d’autres domaines (lesaffaires ecclésiastiques pour Le Tellier, par exemple) et ils sont théoriquement à éga-lité pour la préséance puisqu’ils sont debout et tête nue devant le roi, malgré les déné-gations de Fouquet qui prétendait qu’il se trouvait « le premier en rang, comme estant le plus ancien Conseiller d’Estat, & le plus ancien dans la qualité de ministre » et qu’ilpouvait, avec l’accord du roi, traiter toutes les affaires en général, y compris les affai-res étrangères et pas seulement les affaires de finances43. Mais le roi se servait aussi àl’extraordinaire de personnages appelés qui n’avaient pas le titre de ministre mais quiservaient régulièrement au Conseil d’en-haut et qui étaient tous d’anciens ministres

d’État, voire, pour le prince de Condé, chef du conseil. Anne d’Autriche, écartée surle moment, resta en bons termes avec son fils et elle revint au moins une fois auconseil lors d’une séance extraordinaire tenue au Louvre le 26 avril 1664 pour jugerun différend entre les ducs et pairs et les présidents à mortier du parlement de Paris44.

258 Jérôme Janczukiewicz 

40. Madame de Motteville, Mémoires, op. cit., t. IV, p. 250-251 ; Jean de Boislisle, Mémoriaux du Con-seil de 1661, op. cit., t. I, p. 46, 103 (dépêche du 1er avril 1661) ; Lettres et négociations entre Mr Jean de Witt...,op. cit., t. II, p. 154 (dépêche du 6 août 1661), p. 227 (dépêche du 16 novembre 1661), p. 253 (dépêche

du 22 décembre 1661) ; Olivier Lefevre d’Ormesson, Journal, éd. Chéruel, Paris, 1860, 2 vol., t. II,p. 306-307 (au 15 février 1665).41. Jean-Baptiste Colbert, Journal fait par chacune semaine de ce qui s’est passé qui peut servir à l’histoire du 

roy, dans Lettres, instructions et mémoires, op. cit., t. VI, p. 490, à la date du 15 octobre 1661. Michel Antoine, Le Conseil du Roi sous le règne de Louis XV, Paris-Genève, Librairie Droz, 1970, p. 53, remarque que le roiLouis XIV consultait fréquemment des nobles sur les affaires d’État, et notamment Turenne.

42. Arthur de Boislisle, Les Conseils du Roi sous Louis XIV, Paris, 1884 ; Genève, rééd. SlatkineReprint, 1977, p. 81. Maréchal de Gramont, Mémoires, op. cit., p. 328 : « Tout le gouvernement de l’État fut renfermé en la personne du Roi et en trois ministres dont il forma son conseil étroit : M. Le Tellierpour la guerre, M. de Lionne pour les affaires étrangères et M. Colbert pour les finances ».

43. Œuvres de Nicolas Fouquet, op. cit., t. XI, p. 135-139 ; Lettres et négociations entre Mr Jean de Witt...,

op. cit., t. II, p. 96, Fouquet « est à la tête des trois qui composent le Conseil Privé » ; Jérôme Janczukie- wicz, « le Conseil d’en-haut de 1643 à 1653 », art. cité, p. 10-11. Il est à noter que des membres duconseil ont été appelés oralement, sans forcément recevoir d’ailleurs la dignité de ministres d’État, lorsdes périodes précédentes. Louis XIV semble généraliser cette pratique en mars 1661 à tous lesmembres du Conseil d’en-haut, en distinguant les ministres d’État des simples « appelés ».

44. Olivier Lefevre d’Ormesson, Journal, op. cit., t. II, p. 125-127. Le roi et sa mère étaient assis aubout d’une table ; le duc d’Orléans (frère du roi), sur le retour, du côté droit ; d’un côté, à la suite du

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On remarque aussi la présence de Monsieur, frère du roi, au conseil des dépêches, àune date indéterminée45. Cette participation de la haute noblesse au Conseil aprèsmars 1661 explique sans doute sa « docilité » remarquée par tous les historiens quiévoquent sa « domestication ». Quant au chancelier, il ne fait plus lui non plus partie

du Conseil d’en-haut et ne participe plus aux affaires les plus importantes, mais il peut y venir, semble-t-il, lorsque le roi le lui demande et deux fois par semaine il voit le roi,une demi-heure après les ministres, avec les quatre secrétaires d’État, pour les affairesde justice et « pour les dépêches ordinaires du dedans du royaume, et pour les répon-ses aux placets ». Il ne peut plus signer ni sceller les actes sans ordre du roi mais ilcontinue à sceller librement les actes ordinaires nécessaires à la justice. De plus, ilgarde son titre de chef de tous les conseils du roi, confirmé par le règlement du15 septembre 166146. Ce déclin relatif de cette fonction n’est pas nouveau. Dès ledébut du XVIIe siècle, à l’époque de la régence de Marie de Médicis, le chancelier avait 

 vu sa prééminence au conseil menacée par la nomination d’un chef du conseil, qui, entant que prince du sang ou cardinal, avait (pour la préséance) la première place auconseil, avec le droit d’ouvrir la séance, de prendre les voix, de signer les arrêts en pre-mier et de mettre fin à la séance. À l’époque de la régence d’Anne d’Autriche, oncomptait trois chefs du conseil (Gaston d’Orléans, le prince de Condé et Mazarin) et le chancelier ne présidait plus de façon effective que le conseil des parties. Séguiers’était vu retirer les sceaux à plusieurs reprises et avait dû siéger au conseil avec legarde des Sceaux Mathieu Molé, en avril 1651 et de 1652 à 1656, cas peu fréquent auXVIIe siècle, et il avait été écarté dès l’été 1643 du petit conseil secret 47.

Les quatre secrétaires d’État furent conservés mais leurs attributions furent modi-fiées. Dès le 9 mars 1661, ils ne doivent rien signer ni expédier sans les ordres du roi.Louis XIV précisa son ordre par la suite : le 14 mars, ils doivent communiquer auchancelier les dépêches reçues des parlements et des provinces afin de prendreensuite les ordres du roi ; le 4 avril 1661, ils doivent expédier les bénéfices sur lesmémoires qui leur seraient donnés signés de la propre main du roi ; le 3 août 1661, Le Tellier a ordre d’avertir les secrétaires d’État de ne plus expédier d’arrêts en comman-dement sans en avoir reçu ordre du roi. Désormais, ils devaient rapporter au roi, deuxfois par semaine, lors d’un conseil ordinaire, tout ce qui se passait dans leur départe-

ment respectif ; ils recevaient ses ordres et rendaient compte de leur exécution lors duconseil suivant. Tous les lundis, ils donnaient au roi une liste de toutes les expéditions

 La prise du pouvoir par Louis XIV : la construction du mythe  259

prince de Conti, Ormesson (père) et Aligre ; et de l’autre côté le prince de Condé, Séguier, le comte deBrienne et Colbert, « tous assis sur des sièges plians et nue teste ». Le Tellier et Lionne, en tant quesecrétaires d’État, se tenaient debout et lurent tous les mémoires durant plus de deux heures. Aprèscette séance, un arrêt du conseil d’État, « le roi y estant », daté du même jour, accorda aux ducs et pairsle droit d’opiner avant les présidents lors des Lits de Justice.

45. Choisy, Mémoires, op. cit., p. 579. Philippe d’Orléans, alors duc d’Anjou, avait participé à plu-

sieurs séances du Conseil d’en-haut en avril, mai et juin 1652 (  AN, U 30, fol. 108 v o

-111 v o

, 136 ro

-138 ro ).46. Jean de Boislisle, Mémoriaux du Conseil de 1661, op. cit., t. I, p. 284 (12 mai 1661) ; Œuvres de 

 Nicolas Fouquet, op. cit., t. XI, p. 86 ; Louis XIV, Mémoires, op. cit., p. 47, 50, 52 ; Pierre Clément, Lettres,instructions et mémoires de Colbert, op. cit., t. II, p. 749-750.

47. Jérôme Janczukiewicz, Les Relations entre le parlement de Paris et le Conseil du roi, op. cit., t. I, p. 102-103, et t. IV, p. 624-625 et 650-653.

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qu’ils avaient faites, afin que Louis XIV puisse les examiner et empêcher qu’elles nesoient réalisées sans son commandement exprès48.IlestànoterqueLeTelliercumulasa dignité de ministre d’État avec sa charge de secrétaire d’État (cumul dont profitaaussi Lionne à partir de 1663) ; c’est ainsi qu’il continua, en plus des questions politi-

ques, à s’occuper de l’expédition d’arrêt ou d’ordonnance, de dresser les arrêts, detransmettre des ordres du roi, d’écrire aux intendants ou aux gouverneurs. Il fut aussichargé des matières ecclésiastiques et venait prendre, en tant que secrétaire d’État enmois, les ordre du roi sur les bénéfices et expédiait les lettres les concernant. Sur-chargé de travail, Le Tellier prit son fils et survivancier, Louvois, pour s’occuper dudétail des expéditions et pour recevoir les personnes voulant présenter une requête auconseil, prendre leurs placets afin qu’ils fussent lus devant le roi, qui avait permis àtous les sujets de lui faire connaître leurs réclamations, de vive voix ou par placets,tous les jours et à tout moment de la journée49. À part Le Tellier, les autres secrétaires

d’État virent donc leur autonomie et leur autorité réduites. Le roi pensait que La Vril-lière et Guénégaud « étaient de bonnes gens, mais dont les lumières paraissaient seu-lement proportionnées à l’exercice de leurs charges, dans lesquelles il ne tombait riende bien important », par contre Brienne le père « était vieux, présumant beaucoup desoi, et ne pensant d’ordinaire les choses, ni selon mon sens, ni selon la raison » et sonfils « semblait avoir intention de bien faire ; mais il était si jeune, que, bien loin deprendre ses avis sur mes autres intérêts, je ne pouvais même lui confier la fonction deson propre emploi, dont Lionne faisait la plus grande partie »50. Ce fut donc Lionnequi reçut les affaires étrangères, et il ôta à Brienne son entrée et son service dans le

Conseil d’en-haut. Les deux Brienne n’eurent plus que l’expédition et la signature desdépêches préparées par Lionne, qui recevait directement les lettres des ambassa-deurs, envoyait des annexes confidentielles et des lettres particulières en plus desdépêches, rapportait au conseil toutes les affaires diplomatiques. Le jeune Brienneeut seulement la permission de prendre connaissance du Mémorial et de l’apostiller ;son père travaillait avec Lionne à la rédaction des dépêches, soit directement, soit enrecevant le canevas du texte à rédiger51. Cette prééminence de Lionne, visibledès 1659 lors des négociations de la Paix des Pyrénées, était contestée, on l’a vu, parFouquet qui cumulait depuis le 8 février 1653 la dignité de ministre d’État avec la

commission de surintendant des finances (commission confirmée le 21 février 1659,après la mort d’Abel Servien), cumul poursuivi après la mort du Cardinal mais avecordre de ne rien signer sans ordre du roi. Fouquet s’immisçait aussi dans les affairesétrangères, car, selon lui :

M. de Lionne estoit celuy qui en estoit chargé, comme en estant plus particulière-ment instruit que les autres ; mais tous y estoient également admis selon leur connois-sance,&jecommuniquoismesavisàM.deLionne ;jelisoislesnouvellesauConseildu

260 Jérôme Janczukiewicz 

48. Jean de Boislisle, Mémoriaux du Conseil de 1661, op. cit., t. I, p. 46 et 142, t. III, p. 8 ; Pierre Clé-ment, Lettres, instructions et mémoires de Colbert, op. cit., t. VI, p. 469.49. Jean de Boislisle, Mémoriaux du Conseil de 1661, op. cit., t. I, p. 61, n. 31, p. 157, 165, 166, 289, 291,

t. II, p. 330-342 ; Louis XIV, Mémoires, op. cit., p. 47.50. Louis XIV, Mémoires, op. cit., p. 52, 54.51. Jean de Boislisle, Mémoriaux du Conseil de 1661, op. cit., t. I, p. XXI, XXIV . Brienne père perdit aussi

sa dignité de ministre d’État obtenue en 1659 lors de la nomination de la Triade

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Roy ; je proposois mes pensées, & disois mon sentiment sur celles des autres ; aucuneaffairedesétrangersnem’aestécachée ;aucunenes’esttraitéequ’enmaprésence,&surlaquelle le Roy n’ait trouvé bon que j’aye dit mon opinion ; que j’aye fait des ouvertures ;que je me sois chargé quelquefois de l’exécution. Il s’en est traité plusieurs au nom du

Roy ; il y ena eud’autres ménagéespar chacundenousenson particulier, selon ses habi-tudes,ouselon qu’on s’est addresséà luy ; leRoy nenousa prescritaucunerègleparticu-lière sur ce sujet ; il n’avoit point restraint & limité nos fonctions en cette matière, quoy que Sa Majesté ait veu & sceu, & qu’on ait dit toutes ses choses en sa présence.

Fouquet rappelle que le nouveau Conseil d’en-haut traitait surtout des affaires étran-gères, en présence des trois ministres et que « le Roy ne m’eust pas admis à ce Con-seil, si son intention eust esté que j’y fusse demeuré muët, ou que Sa Majesté m’eust jugé incapable de m’en instruire. Il eust suffi en ce cas que je fusse venu les jours

destinez à parler des Finances »52

. Il semblerait que Fouquet n’ait pas bien mesuré leschangements survenus les 9 et 10 mars 1661 avec le désir du roi de spécialiser (relati- vement) les tâches de ses ministres et qu’il continuait de s’occuper d’affaires trèsdiverses, en plus des finances, comme il était d’usage précédemment pour unministre d’État. De plus, le 9 mai 1661, Louis XIV décida de prendre en main lesnégociations diplomatiques en ordonnant aux « ministres étrangers » de lui écriredirectement en lui envoyant une dépêche, accompagnée d’une lettre au secrétaired’État, « où ils mettent les choses particulières que, par respect, ils n’auront pas crudevoir écrire dans celle du Roi, et envoieront le tout sous l’enveloppe du secrétaire

d’État, à l’ordinaire ». Après lecture de ces lettres par le secrétaire d’État, le roi écri- vait lui-même les réponses, adressées directement à ses ambassadeurs pour les affai-res les plus importantes53. Poursuivant sa réorganisation des conseils, le roi, confor-mément à la promesse faite à Mazarin, favorisa la carrière de Colbert : le16 mars 1661, pourvu d’une commission d’intendant des finances créée spéciale-ment pour lui et de la dignité de conseiller d’État, il entra au conseil des finances ;puis après l’arrestation de Fouquet à Nantes, Colbert entra au Conseil d’en-haut ; lacommission de surintendant des finances fut supprimée et remplacée le 15 sep-tembre 1661 par le conseil royal des finances qui devait se réunir trois fois parsemaine, composé du roi, du Maréchal de Villeroi qui en était le chef, du chancelierlorsque le roi lui permettrait l’entrée, des conseillers d’État d’Aligre et de Châtignon- ville, et de Colbert, intendant des finances54.

 La prise du pouvoir par Louis XIV : la construction du mythe  261

52. Œuvres de Nicolas Fouquet, op. cit., t. XI, p. 137, 139, 188-189.53. Jean de Boislisle, Mémoriaux du Conseil de 1661, op. cit., t. I, p. 276-279.54. Œuvres de Nicolas Fouquet, op. cit., t. V, p. 27. La création de la troisième commission d’intendant 

des finances vient du fait que Le Tellier, sur ordre de Mazarin, voulait chasser l’intendant Le Tillier,mais cela aurait coûté 200 000 livres à Colbert, plus 600 000 livres au roi, et Fouquet proposa cettesolution à Colbert. Pierre Clément, Lettres, instructions et mémoires de Colbert, op. cit., t. II, p. 749-750. Jean

de Boislisle, Mémoriaux du Conseil de 1661, op. cit., t. III, p. 139 ; Louis XIV, Mémoires, op. cit., p. 94, avec lamention de De Sève à la place de Châtignonville. Il faut noter que remplacer un surintendant desfinances par un conseil n’est pas une pratique nouvelle : en 1611, après la démission de Sully, une direc-tion des finances fut mise en place ; après la mort de La Vieuville en janvier 1653, Mazarin songea àcréer un conseil des finances qui remplacerait la surintendance, finalement confiée à Fouquet et Ser-

 vien. Sur l’histoire du conseil royal des finances, voir Michel Antoine, Le Conseil du roi sous le règne de  Louis XV, Paris-Genève, Droz, 1970, p. 48, 58-60.

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CONCLUSION

Lorsque Loménie de Brienne compose, vers 1694, son dernier récit sur les débuts

du gouvernement personnel de Louis XIV, il condense et comprime les événementsdes 8, 9 et 10 mars 1661, en montrant cette prise du pouvoir comme soudaine (ver-sion accrédité par Louis XIV dans ses Mémoires), en composant une harangue qui nefut prononcée en fait que devant le Grand Conseil du 10 mars et sous une formebeaucoup plus concise. À trente-trois ans de distance, l’action du roi, influencé parMazarin, prend un aspect brusque et éclatant alors qu’elle se fit par étapes, sansrompre totalement avec les pratiques politiques antérieures. La formation des nou- veaux conseils, commencée par le Conseil d’en-haut et le conseil des dépêches dès le9 mars 1661, se poursuivit avec de nouvelles nominations au conseil de conscience le

12 mars : Marca, archevêque de Toulouse, Péréfixe, évêque de Rodez et ancien pré-cepteur du roi, le père Annat, jésuite et confesseur du roi et membre du précédent conseil de conscience y entrèrent, suivis peu après de La Motte-Houdancourt, évêquede Rennes et aumônier de la reine mère qui appuya sa nomination. Ce conseil, qui seréunissait le vendredi, était chargé de la distribution des bénéfices ecclésiastiques et de la discipline des religieux. Des feuilles, appelées résultats, énuméraient les déci-sions prises puis des feuilles de distributions des bénéfices étaient dressées et signéespar le roi qui participait à chaque séance, puis transmises à Le Tellier55.Le2avril1661,le roi chargea Fouquet de « faire un projet de commission pour ceux que S. M. choi-

sira pour avoir soin du commerce » et le surintendant prépara ce projet qui fut ludevant le roi et approuvé par lui le 8. Un arrêt en commandement, daté du 10 avril et signé par Séguier, Fouquet et Colbert, désigna comme commissaires Aligre et Cha-nut, conseillers d’État, Marin et Colbert, intendants des finances afin de recevoir lesmémoires et instructions qui leur seraient donnés par les marchands et commerçantssur les difficultés du commerce, sur l’établissement de manufactures, et encourager laconstruction navale et la navigation. Ils devaient en faire un rapport qui serait pré-senté au roi qui déplorait dans les motivations de l’arrêt la diminution du commerceet la concurrence étrangère accrue à cause des guerres menées par la France qui avait 

négligé ses activités commerciales56

. Fouquet garda une influence notable sur cesaffaires maritimes et commerciales en poursuivant des négociations avec les Hollan-dais sur le droit de tonneau et sur la compagnie de l’huile de baleine ; Van Beuningensoulignait l’intransigeance du surintendant et la difficulté de présenter des argumentsà ce « nouveau Conseil de Commerce »57. Cette commission fut à l’origine du conseil

262 Jérôme Janczukiewicz 

55. Godefroi Hermant, Mémoires, op. cit., t. IV, p. 626-627 ; Choisy, Mémoires, op. cit., p. 581. Sur leprécédent conseil de conscience et les attributions de ce conseil, voir Jérôme Janczukiewicz, Les Rela-tions entre le parlement de Paris et le Conseil du roi..., op. cit., t. I, p. 106-108.

56. Jean de Boislisle, Mémoriaux du Conseil de 1661, op. cit., t. I, p. 133, 158, 162-164.57. Lettres et négociations entre Mr Jean de Witt..., op. cit., t. II, p. 126-127 (25 juin 1661). Il est à noter, afind’être complet sur les conseils, qu’il existait avant mars 1661, dès l’époque de Henri IV et de Louis XIII,un conseil de guerre, chargé du détail des opérations militaires et de la levée des troupes ainsi que de leurapprovisionnement. Sous la régence d’Anne d’Autriche, ce conseil, qui se réunissait le vendredi après-midi au palais d’Orléans, était dirigé par Gaston d’Orléans et comprenait des maréchaux de France et lessecrétaires d’État, puis, lors de la majorité de Louis XIV, le roi, le premier ministre, les ministres d’État 

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de commerce créé par Colbert le 3 août 1664. Puis ce fut la création du conseil royaldes finances le 15 septembre 1661, le conseil ordinaire des finances poursuivant sontravail. Quant au conseil d’État privé et au conseil d’État et des finances, ils continuè-rent leur tâche de façon assez obscure et avec beaucoup d’abus et de désordres58.

 Tout cela apparaît plus comme une réorganisation de ces conseils, qui existaient auparavant, avec un personnel plus réduit et nommé par le roi seul, que comme uneréforme véritable entraînant une rupture politique car le roi s’inspire de modèles et d’exemples donnés par les règnes précédents. Par des mesures fermes, Louis XIV prend lui-même en main le « timon de l’État » et s’affirme comme le maître, contrô-lant l’action de ses ministres, signant les ordres et dépêches, bref ordonnant tout enprenant la tête des conseils. C’est le signe de la maturité politique du roi, qui, lorsqu’ilcommença à venir au conseil à partir d’octobre 1649, ne disait rien et d’ailleurs sesministres ne lui demandaient même pas son avis59. Désormais le roi travaille avec

constance cinq à six heures par jour, trois heures le matin, le reste l’après-midi, enassistant à tous les conseils tenus avec régularité, montrant une capacité de jugement et de décision qui étonna les contemporains. Loménie de Brienne, victime de cetteprise du pouvoir, relate ce changement par deux fois dans ses Mémoires en donnant unrécit de plus en plus long mais finalement réducteur, sans s’intéresser véritablement àl’ensemble des événements qui ne se résument pas à une harangue majestueuse lorsd’une séance du conseil.

 Jérôme J ANCZUKIEWICZ,Université Paris Sorbonne-Paris IV.

 La prise du pouvoir par Louis XIV : la construction du mythe  263

et des lieutenants-généraux d’armées. Il se poursuivit après mars 1661 et disparut en 1677, ses fonc-tions étant prises par le conseil d’État (Dubuisson-Aubenay, Journal..., op. cit., t. II, p. 42 ; Henri deLoménie de Brienne, Mémoires, éd. Michaud et Poujoulat, Paris, 1838, p. 81, qui mentionne aussien 1643 Bezançon, commissaire général des troupes ; Olivier Lefevre d’Ormesson, Journal, op. cit., t. I,p. 281, qui évoque la séance du conseil de guerre du 16 mai 1645 sur la défaite de Turenne à Marien-thal, avec la présence de Gaston d’Orléans, Mazarin, des maréchaux d’Estrées, de Gramont et Gas-sion ; Arthur de Boislisle, Les Conseils du roi sous Louis XIV, op. cit., p. 146-147). Toujours avant mars 1661, il existait aussi un conseil de la marine créé par Richelieu et qui à l’époque de Louis XIV 

était dirigé par le grand maître, chef et surintendant général du commerce et de la navigation de France,qui en était le chef. Cette charge était tenue depuis le 12 mai 1650 par le duc de Vendôme, et le conseilde la marine s’occupait des affaires maritimes, des prises et saisies des navires et de leurs cargaisons, et rendait des jugements sur ces affaires. Voir Lettres et négociations entre Mr Jean de Witt..., op. cit., t. I, p. 122(9 janvier 1654) et p. 408-409 (3 mars 1656) et les lettres patentes du duc de Vendôme qui lui donnent entrée au conseil de la marine (  AN, X 1a 8657, fol. 118 v o-121 v o ). Nous ignorons ce que devint ce conseilaprès mars 1661, mais Louis XIV, dès la fin de ce mois, commença à réorganiser la marine de guerre et la marine marchande par des décisions prises au Conseil d’en-haut, en ordonnant des envois de fondspour les armements d’escadres, le rappel des matelots servant à l’étranger et l’interdiction de ce serviceà l’étranger, la protection des futaies forestières pour la construction navale. Par ses lettres du 5 sep-tembre 1661, rédigées à Nantes, le roi interdisait aux gouverneurs des places maritimes et aux seigneurs

de troubler les affaires maritimes et d’usurper les droits et pouvoirs des officiers de la marine et dugrand maître de la navigation. Voir Jean de Boislisle, Mémoriaux du Conseil de 1661, op. cit., t. I, p. 84, 96,153, 154, 162-165, 239, 240, 245-249, 329, 339, 340 ; t. II, p. 3, 7-8, 307-308.

58. Michel Antoine, Le Conseil du Roi sous le règne de Louis XV, op. cit., p. 63-72.59. Jérôme Janczukiewicz, « Le Conseil d’en-haut de 1643 à 1653 », art. cité, p. 28-29 ; Le Conseil du 

roi de l’avènement de Henri IV au gouvernement personnel de Louis XIV, en préparation ; Lettres et négociations entre Mr Jean de Witt..., op. cit., t. II, p. 90-91.

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 ANNEXE

 Les départements des secrétaires d’État 

avant les réformes de mars 1661selon l’État de la France 

Brienne père : Champagne, Provence, Bretagne, Trois Évêchés, avec leurs fortifications,affaires étrangères, Marine du Ponant, pensions.

La Vrillière : Languedoc, pays de Bayonne, Guyenne, Brouage, Aunis, La Rochelle, Tou-raine, Anjou, Maine, Bourbonnais, Nivernais, Auvergne, Picardie, Normandie et Bour-gogne, les affaires de la RPR .

Guénégaud : Paris et Île-de-France, Orléanais et Blaisois, Béarn, Maison du Roi, Clergé.Le Tellier : Poitou, Saintonge, Angoumois, Marche, Limousin, Lyonnais, Dauphiné, Cata-

logne, guerre, taillon, artillerie, marine du Levant.

264 Jérôme Janczukiewicz 

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