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Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation

réservés pour tous pays, y compris la Russie.

Copyright by Librairie Gallimard, 1953.

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LA RÉVOLUT ION RUSSE

L'EFFONDREMENT DE LA MONARCHIE

(Février-Mars 1917)

HISTOIRE DE

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AVANT-PROPOS

Le présent travail adopte un titre dont se sont déjàservis bien des ouvrages.- Il en diffère cependant et parson objet et par son but.

K

SON OBJET

On a pris l'habitude de commencer l'histoire de lagrande Révolution russe par les événements de février1917, ce qui est parfaitement logique, et de l'arrêter aulendemain du coup d'Etat bolchevik du 25 octobre de lamême année, ce qui l'est beaucoup moins1. En effet, sila chute du tsarisme marque bien son point de départ,la fuite dans une auto obligeamment prêtée par l'ambas-sade américaine du « f outriquet Kérenski », pour se servirde l'épithète dont Lénine avait grati fié le dictateur éphé-mère du ci-devant empire des tsars, n'en constitue nulle-ment l'aboutissement.

Qui dit révolution, dit combat. Celle-là n'est terminéeque lorsque cesse celui-ci. Or, qui songerait à affirmerque l'arrestation au Palais d'Hiver d'une dizaine de

1. Ainsi l'a fait notamment Trotski dans la sienne qu'il s'était miseà rédiger en exil à partir de 1929, et dont une traduction française avaitparu en 1931. Milioukov a arrêté également son exposé à la chute dugouvernement de Kérenski. Celui-ci, dans son livre, ne va pas plus loinnon plus. De tout ceci, il sera plus longuement question dans les com-mentaires bibliographiques à la fin du présent ouvrage.

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HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION RUSSE

f antoches faméliques, qui continuaier.l à repréoéntprthéoriquement le gouvernement de la*c république démo-cratique russe », avait mis fin à la lutte entreprise par leparti bolchevik sous l'impulsion vigoureuse de Lénine ?aCe ne fut qu'une des étapes à travers lesquelles la Révo-lution russe s'acheminait vers son achèvement, maisnullement l'ultime étape après laquelle il ne restaitplus au vainqueur qu'à jouir de sa victoire. Jamais,au contraire, la lutte n'a été plus âpre, plus acharnée,entre la Révolution et j ses ennemis qu'à partir d'octobre1917.

On peut ne pas être partisan de la tendance à établirun parallélisme rigoureux entre la Révolution russe etla Révolution française. Il est possible cependant d'ytrouver matière à maintes comparaisons utiles. C'estainsi, par exemple, que les événements d'octobre 1905offrent une certaine analogie avec ceux de juillet 1789,et la chute de la royauté f rançaise en août 1792 pourraitêtre rapprochée de l'effondrement du tsarisme en février1917. De même, la victoire remportée par le parti bol-chévik sur la coalition menchéviks-socialistes révolu-

tionnaires en octobre suivant offre quelques ressemblancesavec celle que la Montagne avait remportée sur la Girondedans les journées des 31 mai-2 juin 1793. Mais per-sonne n'a eu jamais l'idée d'arrêter l'histoire de la Révo-lution française à cette date qui n'a fait qu'inaugurerson véritable essor. A son tour, la Révolution russe, enoctobre 1917, n'a lait qu'entrer dans une phase nouvelle.Mais tandis que l'animateur de l'une a dû porter sa têtesur l'écha f aud au bout d'un an, le maître de l'autre a puachever la tâche entreprise et commencer à poser lesjalons de l'œuvre de l'édi fication socialiste dont la réali-sation incombera à son successeur.

Donc, deux laits marquent le terme de la Révolutionrusse la levée du blocus allié et l'écrasement définitifde la résistance « blanche » à l'intérieur du pays. Tellessont les limites que s'est imposées l'auteur du présentouvrage.

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AVANT-PROPOS

SON BUT.

Il s'agit de présenter de cette Révolution une analysesuccincte et méthodique. Jusqu'ici ce f urent essentielle-ment les acteurs et les témoins plus ou moins directs desévénements qui s'étaient appliqués à en écrire l'histoirehommes politiques, militants révolutionnaires et contre-révolutionnaires, avocats, diplomates, journalistes, ro-manciers, voire policiers et lemmes du monde, tousavaient éprouvé le besoin de les raconter tels qu'ils lesvécurent ou tels qu'ils se les représentaient d'après leséchos qui leur parvenaient dans leur exil ou dans leurretraite. Il en résulta une quantité énorme de livres devaleur inégale. On peut en dégager, toutefois, des témoi-gnages dont l'importance demeure capitale. Ce ne sontpourtant, y compris les livres de Trotski, de Kérenski,de Milioukov, qui se présentent comme des Histoiresde la Révolution russe, que des matériaux, infinimentprécieux, je le repète, pour l'historien, mais qui nesauraient prétendre à remplir les fonctions d'unouvrage historique proprement dit et à répondre à desexigences qu'un travail de ce genre est appelé à satis-faire.

Il en est, somme toute, de la Révolution russe de 1917,comme de la Révolution française de 1789. Dès 1792, leconstituant Barnave et le girondin Rabaut de Saint-Etienne, pour ne citer que les premiers n.oms qui metombent sous la plume, chacun de son côté, s'étaient misà rédiger une Histoire de la Révolution française.Combien en- a-t-on écrit sous le Directoire et sous le

Consulat Mais ce ne fut que Thiers, un quart de siècleaprès, qui, le premier, avait f ait oeuvre d'historien. Sonouvrage a été bien dépassé depuis. Toujours est-il quecelui-ci marque le point de départ de l'étude scientifiquede la Révolution française.

L'auteur du présent travail ri'a nullement la prétention,est-il besoin de le dire, de se croire un autre Thiers. Ilestime seulement qu'à distance de plus de trente ans des

Histoire de la Révolution russe. 2

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événements, l'ensemble des conditions objectives d'uneétude analogue de la grande Révolution russe appajaîtconstitué dans une mesure suffisante pour permettre àun historien de métier de V entreprendre 1.

1. Ce volume sera suivi de deux autres La Républiquede Kérenski et Les Soviets au pouvoir.

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PROLÉGOMÈNES

Le lecteur est invité, au préalable, à faire la connais-sance de quelques-uns des principaux personnages durécit qui commence. La présentation sera rapide etbrève. Une simple mise en place des protagonistesavant que le rideau se lève sur un spectacle dont onn'a rien vu de pareil dans l'histoire du monde depuisla chute de l'Empire romain.

L'EMPEREUR

L'empereur Nicolas II, tsar-autocrate de toutes lesRussies, dix-septième souverain de la dynastie desRomanov régnante à partir de 1613, a pris possessionde son sceptre en 1894. Enfant malingre et chétif, iln'était guère aimé de son père, Alexandre III, géantsuperbe, qui, déçu, avait, paraît-il, formé le desseinde lui faire renoncer à ses droits à la couronne au profitde ses frères cadets. On ne sait pas quelle est la partde vérité dans ces racontars, mais il est certain que lejeune grand-duc fût tenu ostensiblement à l'écart,loin de la vie de la cour, et son éducation, passablementnégligée. Le sentiment d'être un enfant disgracié,mal venu, qui occupe la place dont d'autres que luisont plus dignes, avait fait naître chez Nicolas II cetesprit de dissimulation et de méfiance qui devint undes principaux traits de son caractère.

Au début de 1917, c'est un homme de quarante-neuf ans, de taille médiocre et peu représentatif, maisqui, à force de s'y exercer depuis de longues années,a fini par réussir à se composer un masque de froideet impassible majesté, éclairé à de rares intervalles

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d'un sourire artificiel qu'il sait rendre affable au besoin.D'humeur ombrageuse, tâtillon, têtu, mais manquantde caractère, il est toujours réduit à subir l'influenced'autrui. Dans sa vie privée, il a des goûts de petitrentier de province, sage et ordonné. Les femmes nel'attirent pas. Avant son mariage, il avait bien eu une« liaison », mais ce fut à l'instigation de son proprepère qui avait donné l'ordre à une jeune mais déjàcélèbre danseuse du ballet impérial, de déniaiser legrand-duc héritier. A en juger par l'application aveclaquelle celui-ci remplissait par la suite ses devoirsconjugaux, les résultats obtenus ont dû se révélersatisfaisants, mais il y a tout lieu de croire que ce futlà la seule et unique aventure sentimentale dans la-quelle il s'était laissé entraîner en dehors de l'union légi-time imposée à lui.

La politique inspirait à Nicolas II la plus profondeaversion, et il tenait les politiciens en horreur. Dès sonavènement au trône, il avait coupé court à tout espoirde voir atténuer le dur régime sous lequel vécut lepays durant le règne d'Alexandre 1 1 1, et sa fameuse apos-tille des rêveries insensées, faite en marge d'une adresseprésentée par des notables de la province de Tver,qui suggéraient discrètement quelques timides projetsde réforme, demeura tristement célèbre. Depuis cejour du 1er mars 1881, où, à l'âge de treize ans, il vitson grand-père assassiné par un terroriste, Nicolas IIdemeurait obsédé par l'idée d'un attentat dont allaientdevenir victimes lui et ses proches. Un à un, ses mi-nistres préférés tombaient sous les coups des révolu-tionnaires. Une bombe déchiqueta littéralement legrand-duc Serge, le seul de ses oncles qu'il écoutait etredoutait. L'année 1905 fut terrible la mort dans

l'âme, il se trouva obligé de signer un manifeste quiaccordait à la Russie un simulacre de représentationnationale, fermement décidé, du reste, de n'en pastenir compte et de retirer toutes les concessions qui luiavaient été arrachées, dès que ce serait possible.

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PROLÉGOMÈNES

L'IMPÉRATRICE

Dans une des lettres que l'impératrice écrivit à sonmari en 1915, elle affirmait lui] avoir donné son cœurdès l'âge de treize ans. Elle dut attendre douze ans pourêtre unie au fiancé de ses rêves.

Ce fut le grand-duc Serge, qui avait épousé la sœuraînée d'Alice, qui attira l'attention de l'empereur, sonfrère, sur elle, d'autant plus que leur propre mère étaitune princesse de Hesse. On la fit donc venir « en visite ».

C'était une grande fille sèche, taciturne, gauched'allure et dont l'air maussade n'avait rien d'engageant.A Darmstadt, sa ville natale, le peuple l'avait sur-nommée Pech ce qui veut dire en allemand « la guigne »,et, aussi, Pechvogel, ce qui signifie quelque chosecomme « oiseau de malheur ». Après avoir passé plu-sieurs semaines à Pétersbourg et assisté aux fêtes etaux réceptions de la cour, Alice retourna à Darmstadtsans qu'aucune ouverture au sujet de son mariage avecle grand-duc héritier eut été faite. Le bruit courutqu'elle avait déplu souverainement à l'impératriceMarie. Mais cinq ans plus tard, en 1894, peu de tempsavant sa mort, Alexandre III se souvint d'elle, et la fitdemander officiellement en mariage pour son fils.Il.paraît que, ce faisant, il cédait aux instances de lareine Victoria, grand-mère maternelle d'Alice, dont leprestige était immense auprès de tous les souverainsd'Europe qui se considéraient tous un peu comme sesenfants. On dit encore que la princesse, assez vexéed'avoir été obligée d'attendre si longtemps, fit d'abordquelques difficultés mais finit par accepter quandmême, et le grand-duc héritier se rendit à Darmstadtoù eurent lieu les fiançailles. Aussitôt après, les jeunesgens partirent pour l'Angleterre où les attendait la« grand-mère Victoria ». On raconte que dans la fouledes spectateurs venus assister à son départ, des crisse sont fait entendre « Bon voyage Et emporte taguigne avec toi ( Und nimm dein Pech mit dir 1) »

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HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION RUSSB

Une tradition sinistre et ancienne qui s'était accré-ditée dans son pays prétendait que les princesses dela maison de Hesse étaient appelées par la nature àtransmettre au premier de leurs enfants mâles uneincurable maladie, connue sous le nom d'hémophilie,qui entraînait la mort en pleine jeunesse. Il ne s'agitpas ici de discuter le bien-fondé de cette tradition,mais on se voit obligé de constater que le premier desfils que Marie de Hesse avait donnés à Alexandre IImourut à l'âge de vingt et un ans, et que c'est à la suitede cette mort prématurée qu'Alexandre III devinthéritier du trône. On ne comprend pas seulement,comment, dans ces conditions, personne dans l'entou-rage d'Alexandre III n'eut attiré son attention surcette grave circonstance qui ne pouvait pas être igno-rée dans les milieux médicaux. Ou bien, ayant étémis au courant, il préféra passer outre ?. En tout cas,le langage des faits est suffisamment explicite sil'aînée des deux sœurs sut se mettre hors de cause en

se révélant épouse stérile, la cadette justifia pleinementle pronostic émis par la voix populaire en donnant àNicolas II un fils condamné à traîner une existenced'infirme à la merci du moindre accident. Au début

de 1917, cette histoire de la guigne hessoise était col-portée à travers le pays entier. Alexandre II, disait-on,pour avoir épousé une Hessoise, mourut assassinéson fils Serge, pour avoir fait de même, mourut assas-siné également, son petit-fils Nicolas II, pour avoirsuivi leur exemple, est en train de perdre sa couronne.Il faudra à peine un an pour que l'on puisse dire à sonsujet « est mort assassiné, comme les précédents».

Le mariage fut célébré moins d'un mois après lamort d'Alexandre III. C'est le prince de Galles, futurEdouard VII, venu assister aux obsèques de son cousin,qui, se faisant interprète de la volonté de sa mère,insista sur l'urgence. La cérémonie eut donc lieu dansla plus stricte intimité. Triste début pour une impé-ratrice arrivée derrière un cercueil.

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Son premier contact avec la cour des tsars et sesnouveaux sujets fut pénible et décevant. Elle parlaitcouramment l'anglais mais ne savait pas un mot derusse. Aux députations arrivées de tous les coins del'Empire pour lui souhaiter la bienvenue, elle ne pou-vait rien répondre. Elle écoutait, très embarrassée,les discours qui lui étaient adressés, puis remerciaiten inclinant gauchement la tête et se retirait en hâte.Cela produisait sur tous ces braves gens, qui avaientfait des milliers de kilomètres pour être présentés à lanouvelle tsarine, le plus fâcheux effet. Le bruitcourait dans le peuple que cette princesse allemandene faisait que témoigner du mépris pour les Russes et que,dans ces conditions, il valait mieux la renvoyer enAllemagne. Avec sa nouvelle famille, ses relationsétaient devenues, de même, très tendues dès les pre-miers jours. L'impératrice-mère ne voulait pas la voir.Elle ne se montrait aux fêtes et aux cérémonies officielles

qu'après avoir reçu l'assurance que sa bru n'y assis-terait pas. Quant aux autres membres de la familleimpériale, les choses n'allaient guère mieux. On ne serendait à Tsarskoë-Selo, où le couple, fuyant l'am-biance inhospitalière de la capitale, alla se fixer, quedans le cas où l'étiquette l'exigeait impérieusement.

Des enfants vinrent. Des filles. Ce qui faisait ledésespoir de la jeune souveraine. Aussi quels ne furentsa joie et son orgueil quand, enfin, naquit le petitAlexis Dès lors son état d'esprit change. Jusque-làelle s'intéressait peu aux affaires d'Etat et passait sontemps à interroger les mystères de l'au-delà, en selaissant exploiter par des voyants, des devins et autrescharlatans de la même espèce. A présent, tout endemeurant une fervente adepte du spiritisme et dessciences occultes en général (elle s'était fabriqué un« porte-bonheur » le svastika, cette croix gammée,qui, un quart de siècle plus tard, devait connaître unecertaine vogue), l'impératrice se croit chargée par laProvidence d'une mission sacrée préparer le règne

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de son fils. Elle considérait Nicolas II comme un être

faible, ne sachant pas imposer son autorité aux mi-nistres et donner, selon son expression, « un coup depoing sur la table ». Ah! Si j'étais un homme, aimait-elle à répéter dans l'intimité, et usait de tous les moyenscaresses, larmes, menaces, pour obtenir de son marice qu'elle voulait. L'empereur était complètementterrorisé. Dès qu'il essayait de formuler quelque objec-tion, une violente attaque d'hystérie commençait,et Nicolas II, affolé, cédait. Avec les années, elle deve-nait de plus en plus irritable, nerveuse, hypocondriaque.On l'appelait à présent la f olle Allemande ou la folletout court, par dérision. Mais nombreux étaient ceuxqui croyaient que l'impératrice était en train de perdrela raison pour de bon.

RASPOUTINE

Alors parut Raspoutine. On ne tient pas à recom-mencer ici l'histoire, suffisamment connue, de cepaysan ivrogne et débauché, venu du fond de la Sibériepour envoûter complètement une pauvre déséquilibréedont la place était toute désignée dans une maison desanté et non au sommet d'un immense empire. Toutle monde, ou presque, s'imaginait (à tort, d'ailleurs)qu'il était son amant. On a dû interdire dans les cinémasla projection d'une scène des actualités qui représen-tait Nicolas II en train d'arborer la croix de Saint-

Georges décernée à lui par le grand-conseil de cetordre. Dès qu'on le voyait paraître à l'écran, une voix,immanquablement, se faisait entendre dans l'obscu-rité

« Notre tsar s'envoie un Egory 1,Et notre tsarine, un Grégory2.»

On faisait de lui le père du petit tsarévitch ce quin'était guère possible, Raspoutine n'ayant fait son

1. Interprétation populaire du prénom Georges.2. Le prénom de Raspoutine.

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apparition à la cour qu'après la naissance de celui-ci.On allait jusqu'à dire que, pour mieux s'assurer sesfaveurs, l'impératrice lui avait offert la virginité desa fille aînée. Cette folle histoire se répandit à la suited'un incident qui, lui, malheureusement, n'était pasinventé de toutes pièces. Le « saint homme », grandamateur de chair féminine jeune et fraîche, avait mani-festé un soir le désir de monter chez les grandes-duchesses, sous prétexte de les bénir, au moment oùelles se déshabillaient pour aller au lit. La gouvernantese plaça résolument devant la porte et déclara qu'il nepasserait que sur son corps. Raspoutine n'insista pas.Mais la gouvernante fut renvoyée.

L'empereur tolérait la présence dans sa demeurede cet aventurier. Quand le général Djounkovski,gouverneur de Moscou, vint lui présenter les résultats,accablants, d'une enquête à laquelle ses servicess'étaient livrés au sujet de Raspoutine, Nicolas IIordonna une contre-enquête qui fut confiée au généralVoeïkov, valet servile de l'impératrice, et qui aboutità la conclusion que tous les renseignements recueillispar Djounkovski étaient tendancieux et faux. On mitle gouverneur de Moscou à la retraite et tout continuacomme par le passé.

Ce n'est pas que l'empereur fût un grand admirateurde l' « homme de Dieu » qui lui avait été imposé parsa femme. Mais il tenait essentiellement à sa propretranquillité. Quand quelqu'un de son entourage s'en-hardit à lui demander pourquoi il tolérait la présencede Raspoutine au palais, Nicolas II répondit « Mieuxvaut un Raspoutine que dix crises d'hystérie par jour. »

Bien entendu, celui-ci en profitait le plus largementpossible et se livrait, en association avec une banded'aigrefins qui s'était formée auprès de-lui, à un traficéhonté d'emplois et d'influences. Car c'était un hommeintelligent qui savait exploiter, avec un cynismeincroyable, mais aussi avec une habileté consommée,la situation exceptionnelle qu'il occupait à la cour.

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Le monarchiste Choulguine, dont il sera encore sou-vent question dans ce récit, raconte comment un jeunejournaliste de ses amis avait réussi à se faire présenterà Raspoutine. Celui-ci le regarda un instant droitdans les yeux et lui dit à brûle-pourpoint « Toi, tu esun filou. » L'autre, nullement décontenancé, répondit« On est tous des filous. Vous l'êtes aussi, mon père. »Alors Raspoutine « T'as raison, mon petit gars. »Puis, lui donnant une tape amicale, il ajouta « Viensboire un coup. » Et on alla boire.

LES GRANDS-DUCS

Très à l'écart et cantonné dans l'ombre se tient le

frère cadet de l'empereur, Michel. C'est un homme douxet modeste, d'un abord simple et cordial. Jusqu'à lanaissance du tsarévitch Alexis il a été considéré,durant dix ans, comme héritier présomptif du trône,situation qui lui déplaisait souverainement et qu'il futravi d'abandonner. D'autant plus qu'étant tombéamoureux d'une « simple mortelle », il s'était mis dansla tête de l'épouser. C'est ce qu'il fit du reste, en renon-çant à ses droits et prérogatives, au grand courrouxde l'impératrice-mère et de son frère, le tsar, profon-dément choqués de cette mésalliance. La guerre avaitamené une réconciliation. Michel fut rétabli dans ses

grades et exerça pendant quelque temps un comman-dement au front sa femme reçut le titre de comtesse,mais le ménage continua à mener une vie retirée dansle palais que le grand-duc possédait aux environs dela capitale.

Vient ensuite une collection imposante de grands-ducs et de grandes-duchesses. Le grand-duc Nicolas,fils d'un cousin germain d'Alexandre II, en est le doyend'âge. C'est un homme énergique, pas très fin, maissuffisamment intelligent pour se rendre compte dudanger qui menace l'empereur et, avec lui, la dynastietout entière. Autrefois, au début du règne, il' avaitessayé de capter les bonnes grâces du jeune souverain,

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par l'intermédiaire de sa femme, la grande-duchesseAnastasie, une Monténégrienne ambitieuse et rusée,qui se passionnait, elle le prétendait du moins, pour lespiritisme. Elle sut attirer Nicolas II à une de sesséances. L'esprit de son défunt père, l'empereurAlexandre, III, fut invité à se présenter. Ledit espritne manqua pas de répondre à l'appel et se mit à donnerà son fils d'utiles conseils. Nicolas II parut très im-pressionné. L'entreprise ne put cependant porter desfruits escomptés, Anastasie n'ayant pu s'entendreavec la « folle Allemande », et les séances de spiritismefurent abandonnées. En 1905 le vieux grand-duc semontra partisan convaincu des concessions que l'em-pereur hésitait à accorder à l'opinion publique. Unelégende veut qu'au dernier moment, personne n'ayantpu vaincre l'entêtement du monarque, le grand-ducNicolas serait entré dans son cabinet, un revolver à lamain, et lui aurait déclaré « Ou bien tu signes tout desuite le manifeste, ou bien je me brûle la cervelle icimême, sous tes yeux » Et c'est alors que l'empereur,troublé, aurait apposé sa signature sur le document.Il m'a été impossible de déterminer ce qu'il y avait devrai dans cette histoire ce qui est certain en tout casc'est que, par la suite, les contemporains, amis et enne-mis, se montrèrent unanimes pour attribuer l'octroidu manifeste du 17 octobre aux efforts conjugués dugrand-duc Nicolas et du comte Vitte. La loi dyna-stique le tenait à une distance très éloignée du trône,mais dans son entourage on laissait entendre que, lecas échéant, des entorses à cette loi pourraient êtredonnées, et l'on commettait l'imprudence de l'appelerdans l'intimité Nicolas III. L'impératrice le savait etvoyait dans « Nicolacha » le pire de ses ennemis. Elle seplaignait que le grand-duc, ayant juré sa perte, avaitfait fabriquer tout un dossier de fausses pièces ten-dant à établir qu'elle était entrée en rapports, avecGuillaume II en vue de la conclusion d'une paixséparée. De son côté, l' « oncle Nicolas », qui avait voué

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HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION RUSSE

à « Alix » une haine mortelle, racontait à qui voulaitl'entendre que l'impératrice avait inventé la fabled'un prétendu complot dirigé contre elle et contre sonmari, et que c'était lui, le grand-duc Nicolas, qui enétait l'instigateur et le chef. Le lecteur notera que toutn'était pas faux dans l'une et dans l'autre de ces deux« calomnies ».

Il y a peu de choses à dire sur le grand-duc Paul,seul survivant des fils d'Alexandre II, marié morga-natiquement avec la veuve d'un baron balte. Du vivantde son frère, le grand-duc Vladimir, il s'était créé unepopularité considérable dans les milieux du « Parisqui s'amuse ». C'est à eux que la vox populi attribuaitl'invention de la fameuse « tournée des grands-ducs »,dont les vétérans de la « belle époque » gardent un sou-venir attendri.

Des trois fils du défunt grand-duc Michel, encoreun cousin d'Alexandre II, l'aîné, Nicolas, est considérécomme le « savant de la famille ». C'est, en effet, unexcellent historien, auteur de remarquables travauxsur Alexandre 1er et son temps. Sa réputation estgrande dans les milieux érudits. Mieux que personneil se rend compte de la situation catastrophique danslaquelle se trouve le pays. Lui aussi, tient l'impératricepour la principale, sinon unique responsable de tousles maux venus fondre sur la Russie. Sa connaissance

du passé (n'a-t-il pas étudié tout particulièrement lescirconstances dans lesquelles eut lieu la « suppression »de Paul 1er ?) a vite fait de lui suggérer le remède, leseul remède estimé efficace élimination radicale de

l'impératrice. Homme d'humeur essentiellement paci-fique et sensible (à l'en croire il ne peut pas voir souffrirune mouche), il envisage froidement, posément, l'éven-tualité d'un assassinat. Il avoue bien en être « effrayé »,mais, dit-il dans son journal intime, on pourrait êtreamené à ne pas voir d'autre issue. Après l'assassinatde Raspoutine par son neveu, le grand-duc Dmitryet le mari de sa nièce, le prince Félix Yousoupov, il

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