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EXTRAITS DE LIVRES D’HISTOIRE MAURICENNE SUR LA GRANDE GUERRE

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La Grande GuerreHistoire de la ColonieIsle de France – Ile Maurice1721 – 1968par Amédée Nagapen

La Première Guerre mondiale déclencha une furieuse tourmente en Europe durant quatrelongues années, de 1914 à 1918. Le sanglant conflit ne s’étendit point jusqu’aux îles de l’océanIndien. Ce qui ne l’empêcha pas de les affecter de diverses manières.Sans doute, le ravitaillement de la population n’eut guère à souffrir. Malgré tout le mouvementmaritime s’en ressentit. Alors qu’en 1914, le tonnage des entrées totalisait 438 029 tonnes, iln’était que de 288 320 tonnes en 1917, pour tomber à 192 771 en 1918, à la fin de la guerre. Leshostilités en Europe n’interdirent pas aux Messageries Maritimes de continuer leur servicemensuel régulier. Comme par le passé, chaque mois un paquebot desservait l’itinéraire Marseille,Suez, Madagascar, Réunion et Maurice.La colonie participa à sa manière à l’effort de guerre. Plusieurs contingents de Mauricienss’enrôlèrent dans divers corps d’armée : des poignées de jeunes Mauriciens de la communautéblanche, citoyens français, dans l’armée française ; des centaines de manuels de la communauté« créoles », y compris des Rodriguais, dans le Mauritius Labour Battalion – nommé bataillondoré, en raison de leur uniforme kaki – comme auxiliaires au corps expéditionnaire deMésopotamie. Quatre prêtres français,, missionnaires dans le diocèse, furent rappelés sous lesdrapeaux et partirent pour le front français. Sur place, dans l’île, deux compagnies de volontairesfurent recrutées poir défense éventuelle de l’île.Après la guerre, sous l’égide de la garnison britannique casernée à Vacoas,, la compagniemobilisa des engagés à temps partiel. Ainsi en 1934, fut constituée la Mauritius Territorial Force,avec un effectif de 200 hommes, la Company A avec les volontaires blancs, la Company B pour lesvolontaires de couleur.

Enrôlement et souscriptionL’histoire de l’île MauriceS.B. de Burg EdwardesEast & West Ltd, London

« Il faudrait aussi citer les noms des 800 jeunes Mauriciens enrôlés en grande majorité à leurspropres frais et qui, dans les armées anglaises ou françaises se sont couverts de gloireimmortelle. Dès le début de la guerre, une souscription nationale rapporta à Maurice une sommeconsidérable. Avant d’avoir placé leur coupe, les planteurs offrirent un million de livres de sucreaux armées anglaises et autant aux armées françaises. La colonie doubla sa contributionmilitaire, vota quelques temps après un million de roupies pour des aéroplanes, leva le bataillonde travailleurs de 1 700 hommes qui se rendirent extrêmement utiles en Egypte, paya une partiedes dépenses de ce bataillon, tandis qu’elle entretenait une force spéciale de volontaires, vieux etjeunes, pères et fils, s’accordant pour la défense de leurs foyers ».

Prix des denrées alimentairesPort-Louis, deux siècles d’histoireAuguste Toussaint

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Ed Vizavi

La Grande guerre n’eut à Maurice d’autre répercussion que celle d’augmenter le prix de la vie,mais comme les sucres se vendaient bien et que les affaires avaient repris, les colons n’eurentpas trop à se plaindre ; au début de la guerre, il est vrai, certaines denrées alimentaires furentsur le point de manquer complètement et atteignirent sur le marché local des prix fantastiques,ce qui causa même des manifestations dans la capitale, le 11 septembre 1914 ; mais dans la suitela colonie put s’en tirer. Trop éloigné des principaux théâtres de conflits, qui ne s’étendit guèreau sud de l’océan Indien,, le Port-Louis ne fut appelé à jouer aucun rôle stratégique dans cetteguerre ; la présence du fameux corsaire allemand Wolf dans les eaux de Maurice fit bien croire unmoment que la capitale serait bombardée mais il n’en fut rien.

Fête pour l’armisticePort-Louis, deux siècles d’histoireAuguste ToussaintEd Vizavi

Dès que la nouvelle de la conclusion de l’armistice dut connue à Maurice, les citadinsmanifestèrent leur joie en pavoisant leurs demeures et par quelque réjouissances privées ; maisce n’est que le 16 novembre que le glorieux événement fut officiellement fêté.La ville avait ce jour-là un aspect des plus attrayants. Dans toutes les rues, devant presquechaque maison, flottaient les couleurs des alliés. Le matin, une messe d’actions de grâce, àlaquelle assistèrent le gouverneur, les notabilités et une foule énorme qui avait envahi l’égliselongtemps avant l’heure fixée, fut célébrée à la cathédrale Saint-Louis. A 1 heure et demie leConseil Municipal offrit un lunch au chef de la colonie et à différentes notabilités. Dans l’après-midi une belle fête sportive, organisée par le Port-Louis Tennis Club, eut lieu au Champ-de-Mars.Le soir la ville fut illuminée. Le lendemain qui était un dimanche, se passa également enréjouissances ; elles ne se terminèrent que fort tard dans la soirée par une immense processionqui se rendit au Champ-de-Mars où le Kaiser et le Kronprinz furent brûlés en effigie, au milieud’un grand enthousiasme. L’année suivante, à la nouvelle de la signature de la paix, qui parvint à Maurice le 1 er juillet, unPeace Celebration Committee fut constitué pour élaborer le programme des fêtes destinées àcommémorer l’événement. Rs 42 000 furent votées à cet effet par le Conseil législatif,, dont RS 10000 pour le Port-Louis, Rs 7 000 pour les plaines Wilhelms et Rs 2 000 pour chaque autredistrict. La différence fut affectée à couvrir les frais d’illumination des bâtiments publics de lacapitale. Les fêtes se célébrèrent le 19 juillet et furent très réussies. La ville fut magnifiquementdécorée pour cette occasion. Dans la matinée, après une parade des Boys Scouts, que legouvernement passa en revue devant l’Hôtel du Gouvernement, 3 000 enfants défilèrent sur laPlace d’Armes. Puis la Mauritius Volunteer Force exécuta au Champ-de-Mars des manœuvres depetite guerre. Diverses autres réjouissances eurent lieu dans la journée. Le soir l’illumination dela partie centrale de la ville fut très réussie et le feu d’artifice tiré sur le port obtint un grossuccès.Le 2 août, un comité privé organisa de nouvelles fêtes encore plus brillantes que celle du 19juillet. Le clou de ces fêtes était un défilé des nations alliées figurées par des jeunes filles dansdes voitures élégamment décorées. Le défilé partit de l’Hôtel du Gouvernement vers 8 heures etdemie du soir et se rendit au Champ-de-Mars en passant par les rues de l’Intendance et PopeHennessy. A son arrivée au Champ-de-Mars, un grand feu d’artifice fut tiré.

War and Empire in Mauritius and the Indian Ocean. Palgrave MacM. 2001. By Ashley Jackson

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The First World WarThroughout the First World War the island’s participation was paradoxically greater than it hadbeen during the colonial wars of the nineteenth century, even though its strategic significancehad lessened since the imperial wars of the eighteenth century. Its participation prefigured themuch greater demands of the 1939–45 war. In 1914–18 all colonies were expected to play theirpart in sending men and money to aid the mother country. New technology increased thevulnerability even of colonies far removed from the main theatres of war. The empire wasengaged in a lengthy struggle with a great power possessed of far-flung imperial territories and aworldwide naval capability. Germany maintained cable and wireless facilities in its colonies that

directed shipping and threatened the security of the ‘southern British world’. Germany also

posed a submarine and commerce raider threat in all oceans, casting a shadow across the foodsupply situation in Britain and the colonies that relied on seaborne trade. From being a self-sufficient island in the early nineteenth century Mauritius had become absolutely dependent onimported foodstuffs as sugar spread to dominate the economy and the landscape. Mauritiusembarked on a new chapter in its military-strategic history when a naval wireless facility wasconstructed at Rose Belle, ensuring ‘uninterrupted communication with other countries and

ships within radius’. The station was closed in July 1921, but opened again in the Second World

War.In October 1915 it was decided, as in past conflicts, to withdraw most of the thousand-strongBritish garrison. The soldiers were sent variously to Britain, India and Mombasa. The 59th RGA

and the 25th Royal Engineers were the only units to remain. Mauritius itself sent 1700 men

overseas in the Mauritius Labour Battalion to serve with imperial forces fighting inMesopotamia. The Battalion consisted of coloured Mauritians officered by white Franco-

Mauritians and British regulars;

520 Franco-Mauritians and British settlers served on the

Western Front. To compensate for the depletion of the Mauritius Garrison in the event of an

attack, a Volunteer Defence Force was created by a Council of Government Bill based on theCeylon Volunteer Ordinance. Enlistment for the Mauritius Volunteer Artillery and Engineersbegan in April 1916; 500 men were recruited, forming three infantry companies, an artillery

company, an engineers company and an ambulance corps, costing £4460 per annum. The electric

searchlights installed at Fort George in 1895 were upgraded to the tune of £13 896 in 1915.German armed merchantmen and cruisers threatened British territories in the Indian Ocean.The German raider Wolf approached Mauritius and carried a small sailing ship off to Germany.The raider Konigsberg sunk a British merchantman and a cruiser before being run to ground inthe Rufiji Delta in Tanganyika where specially drafted Royal Navy monitors were sent to sink her.The light cruiser Emden, operating at large in the Indian Ocean, made a call on Diego Garcia inOctober 1914 whilst trying to avoid British units searching for her after an epic voyage fromTsingtao in eastern China. At Diego Garcia the crew were welcomed by islanders unaware of thewar; the twice-yearly steamer from Mauritius – the island’s only link with the outside world –

had yet to bring the news. Captain Muller took advantage of this to beach his ship and scrape its

keel. The ship was sunk by HMAS Sydney in the Indian Ocean on 9 November 1914 after a rash

bombard- ment of the British communications installation on the Cocos-Keeling Islands . In 1916the Governor of Mauritius, Sir Hesketh Bell, sailed for St Brandon island (part of the Mauritian

Cargados Carajos dependency) on board HMS Talbot in search of a reported German raider. With

the eventual removal of the German naval threat, Port Louis was reduced to the status of anundefended port in October 1917.Given the island’s dependence on the export of its sugar crop and the import of its food, it was:

singularly fortunate in possessing a harbour so good and so well placed as to be a fortifiedand garrisoned Imperial coaling-station. The constant presence and coming and going of

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ships of war meant a safeguard at once against actual privation and against unrest arisingfrom apprehension of privation. When the German raiders had been accounted for, theIndian Ocean was comparatively safe ... to the end the island was in no danger of starvation.Its staple product was in great demand, and the ships that fetched the sugar brought food . . .[Mauritians] had more or less assured markets with abnormal prices.

On the home front, the war brought a decrease in rice (the staple food of the majority of thepopulation) imports from India, and efforts to grow maize as a substitute. Mauritius also reliedupon imports of beef from Madagascar, and in turn Rodrigues relied upon supplies from its‘mother’ country, Mauritius. The booming sugar industry guaranteed ample employment. Sugarwas sold to Britain at higher than normal prices, and sections of the population prosperedduring the war years and in the postwar sugar boom. Revenue reached record heights. Between1910 and 1915 average annual revenue from the sugar crop was rupees (Rs.) 40 million. From1915–19, it was Rs. 70 million. Gifts of sugar and money were sent to Britain. Despite freightproblems, the food situation was little affected in the early years of the war. However, the steadydecrease in available shipping and ever increasing demand for what food there was meant thatfrom 1916–17 freight costs rose, leading to rising food prices and profiteering. Greaterregulation was needed and a new Food and Trade Control office was created to control suppliesand to regulate distribution. All food prices were regulated and two beefless days a week wereintroduced. By the end of 1917 the area under food crops had increased by 50 per cent.Like all colonies, Mauritius supported the mother country financially throughout the war. Five-and-a-half per cent of the colony’s annual revenue was paid to the imperial government as acontribution towards the upkeep of the Mauritius Garrison – a sum of around Rs. 500 000(before 1934 the Mauritian rupee was the same as the Indian rupee). Though the garrison hadvirtually ceased to exist in 1915 with the removal of troops overseas, an increased contributionwas repeated in 1915 and 1916 by a Council of Government keen to show its support for the wareffort. In October 1916 the Governor announced that the Council of Government had voted a warcontribution of Rs. 500 000 to Britain from surplus funds. Soon afterwards the sugar planters inthe Chamber of Agriculture declared a gift of the same amount and suggested ‘that this sum be

applied towards the creation of a battle-plane squadron or the building of an airship’. With this

money 30 aeroplanes were presented to the British Government, 15 for the Navy and 15 for theMilitary Air Service. Three further planes were presented by a public subscription that raised Rs.101 000. Apart from the annual contribution for the garrison, the Government of Mauritiuscontributed Rs. 1 028 000. In 1916 legislation was passed for a loan to Britain via a bondsscheme. The amount raised exceeded Rs. 8 million. In addition, private effort and war charitiesraised an estimated Rs. 3 578 000.

Home Front(http://www.nationalarchives.gov.uk/first-world-war/a-global-view/#Mauritius)Before the war, Mauritius was defended by around 1,000 British and Indian troops, who were based in the Imperial garrison. In October 1915 an act was passed to recruit a local defence force (CO 169/30) and in 1916 a little over 500 recruits joined the Volunteer Force. They formed three companies of infantry, a company of artillery, a company of engineers and an ambulance corps (WO 95/5450). This allowed the regular army troops in the garrison to be deployed where they were mostneeded, with the exception of the 59th Royal Garrison Artillery and the 25th Company, Royal Engineers, who stayed to bolster the volunteer force. In 1915 a naval wireless station was built on a site in Rose Belle (CO 167/813).

Action overseas(http://www.nationalarchives.gov.uk/first-world-war/a-global-view/#Mauritius)In 1917 a labour battalion was raised and over 1,500 Mauritians served in Mesopotamia (WO 95/5279). A further 520 Mauritians joined the British and French Armies and close to 200 Mauritians joined the Merchant Navy. The following gallantry medals were awarded to men enlisting from Mauritius: one Distinguished Service Cross, 12 Military Crosses, two Distinguished Conduct

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Medals, four Military Medals, 19 Croix de Guerre, one Medaille Militaire, one Medaille d’Honneur and three Legions d’Honneur (CO 171/89).

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EXTRAITS!DE!JOURNAUX!MAURICIENS!!191431918!

!!!!!!

!!

Le#Radical,#jeudi#7#janvier#1915#!!!!!!!!!!!!!!!!

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ELAN!DES!MAURICIENS!ET!ENGAGEMENT!DANS!LES!ARMEES!!Patrouille!Le#Mauricien,##1er#août#1914##De# grandes# dispositions# sont# prises# pour# parer# aux# éventualités# de# guerre.# C’est# ainsi# qu’une#patrouille#a#été#chargée#de#surveiller#la#ferme#des#Rhums#;#que#des#policiers,#conjointement#avec#des# militaires,# gardent# les# dépôts# de# charbon,# chaque# dépôt# étant# sous# la# surveillance# d’un#piquet#de#soldats#baïonnette#au#canon,#et#la#nuit#nul#n’a#le#droit#d’en#approcher.#!Le!général!Coutanceau,!un!Mauricien!dans!l’armée!française!Le#Mauricien,##4#août#1914##Un#de#nos#compatriotes,#le#général#Coutanceau#est,#pour#ainsi#dire,#aux#avantKpostes.#C’est#lui#qui#exerce#le#commandement#à#Verdun,#forteresse#dont#la#position#stratégique#est#de#la#plus#grande#importance# et# que# les# Allemands# tenteront# # de# prendre.# Nous# sommes# sûrs# que# le# général#Coutanceau# fera# une# belle# défense# de# cette# place# et# ne# la# laissera# pas# tomber# aux# mains# de#l’ennemi.#Le#général#Coutanceau#est#le#père#des#estimés#négociants#biens#connus.##Mouvements!patriotiques!Le#Mauricien,##4#août#1914##Des#centaines#–#ils#seront#bientôt#des#milliers#–#de#jeunes#gens#ont#offert#au#gouvernement#leur#service#en#cas#d’éventualité.#Nous#enregistrons#avec#satisfaction#ce#mouvement#patriotique#qui#démontre# au# gouvernement# combien# est# profond# le# loyalisme# des#Mauriciens.# Nous# espérons#qu’une#milice#sera#bientôt#constituée.##Une!milice!pour!contrôler!le!ravitaillement!Le#Mauricien,##6#août#1914##(…)#Cette#milice#pourra#être#employée#en#cas#de#nécessité#sinon#aux#avantKpostes,#mais#tout#au#moins# au# maintien# de# l’ordre# dans# la# colonie.# Au# cas# où# le# ravitaillement# de# la# colonie#deviendrait#difficile,#elle#réussira#sûrement#à#empêcher#le#pillage#des#magasins#et#des#dépôts#de#marchandises# par# la# populace.# Les# Mauriciens# ont# tenu# à# prouver# encore# une# fois# que# leur#fidélité# à# la# couronne# britannique# n’est# pas# un# vain#mot# et# que,# lorsque# la#MèreKpatrie# est# en#danger,#ils#tiennent#à#participer#à#sa#défense.##Projet!de!milice!française!La#gazette#des#îles,#N°27,#Juin#1990##Le#consul,#après#avoir#pris#l’avis#des#Français#présents,#suggéra#de#former#avec#les#Français#qui#ne#partiraient#pas#une#milice#dont# les#services#seraient#offerts#au#gouvernement# local#pour#un#poste#de#combat#si#celuiKci#le#voulait.#Il#demanda#une#entrevue#à#l’officier#administrant.#Le# consul,# à# l’heure# fixée,# se# rendit# au# gouvernement,# accompagné# de# MM.# Patureau# et#Coutanceau,# délégués# des# Français# de# Maurice.# M.# Middleton# reçut# des# plus# aimablement# le#consul,#le#remercia#et#lui#dit#que#si#l’occasion#se#présentait,#il#ne#manquerait#pas#d’avoir#recours#à#la#milice#que#le#consulat#et#les#Français#lui#offraient.#Le#consul#de#France#à#Maurice,#au#début#de#la#Première#Guerre#mondiale#était#M.#Gustave#Simon.#

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#Le!comité!de!Chazal!WeekKend,##31#juillet#1994#!LucienKAndré# de# Chazal# prit# l’initiative# de# constituer# une# association# pour# fournir# aux# jeunes#Mauriciens#voulant#servir#sur#le#front,#les#moyens#de#le#faire.#Il#gagna#à#sa#cause#son#frère#aîné,#le#docteur#de#Chazal#et#un#de#leurs#bons#amis,#M.#Albert#James#Wilson.#Ainsi#fut#fondé#le#comité#de#Chazal# auquel# se# joingirent# par# la# suite# d’autres# bienfaiteurs.# Grâce# à# cette# organisation,# une#trentaine#de#jeunes#du#pays#ont#pu#se#rendre#sur#le#front,#grossir#l’effectif#mauricien#engagé#dans#la#guerre#14K18.##Lettre!de!Goolam!Mohamed!Issac!!publiée#dans#Le#Mauricien,##lundi#10#août#1914##Rue#Desforges#26,##PortKlouis#8#août#1914##Monsieur#le#Rédacteur#en#chef#du#«#Mauricien#»##Monsieur,#Des# méchants,# des# serpents# venimeux# font# courir# le# bruit# que# des# Musulmans# ont# des#sympathies# pour# l’Allemagne.# Je# tiens# à# relever# cette# nouvelle# perfidie.# J’ai# fait# une# enquête#auprès# de#mes# coreligionnaires# qui# ont# été# unanimes# à# me# dire# qu’ils# étaient# fiers# d’être# les#sujets#de#notre#aimé#Souverain,#qu’ils#considèreraient#comme#une#trahison#de#sympathiser#avec#l’Allemagne.#De#plus,# la#députation,#à# laquelle#Son#Honneur# l’officier#administrant#a#bien#voulu#accorder#une# entrevue,# n’aKtKelle# pas# assuré# au# représentant#de#notre#Auguste# Souverain#qu’il#pouvait# compter# sur# notre# entière# coopération# pour# l’aider,# dans# la#mesure# de# ses#moyens# et#pour#le#besoin#de#l’alimentation#publique#et#pour#défendre#le#pays#au#besoin#?...#Les#Musulmans#attendent#avec# impatience# le#moment#de#pouvoir#acclamer# les#victoires#que# la#Triple# Entente# et# surtout# l’Angleterre# ne# peuvent# manquer# d’obtenir# pour# le# triomphe# de# la#civilisation#et#du#bon#droit.#J’ai# crû# nécessaire,# indispensable# même# de# mettre# la# population# en# garde# contre# d’infâmes#rumeurs#jetées#dans#la#circulation#par#des#misérables.##Votre#bien#dévoué,#G.M#Issac##Projet!de!bataillon!indo3mauricien!Le#Mauricien,#22#août#1914##Les# IndoKMauriciens#de# la# colonie#ont#offert# au#gouvernement#de# constituer#un#bataillon#pour#servir#dans# la#colonie#et#contribuer#à#sa#défense,#en#cas#de#besoin.#Le#secrétaire#colonial#a# fait#savoir#à#M.H.K.#Nandès,#directeur#de# l’#»IndianKMauritian#Association#»#qui# lui#a# transmis#cette#offre,#que#pour#le#moment,#le#gouvernement#ne#juge#pas#nécessaire#de#lever#des#troupes#locales#pour#la#défense#de#l’île.##!!!!

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Extrait!du!Manifeste!de!Goolam!Mohamet!Issac!!(après'la'déclaration'de'guerre'de'la'France'et'le'Royaume'Uni'à'la'Turquie,'le'3'novembre'1914)!Le#Mauricien,#10#novembre#1914#!A#mes#frères#de#l’islam#de#l’île#Maurice##(…)# La# guerre# a# été# rendue# inévitable# par# les# agissements# des# Allemands# et# par# l’attitude# du#Grand# Vizir.# Je# tiens# donc# à# vous# dire# que# notre# impérieux# devoir# est# de# prouver,# dans# la#circonstance,#notre# loyauté#et#notre#dévouement#à#Sa#Majesté! et#à# l’Empire,#en#nous#montrant#dignes# de# notre# titre# de# sujets# anglais.# Nous# n’avons,# nous#mamohétans# de#Maurice,# que# des#affinités#religieuses#avec#la#Turquie,#mais#il#ne#s’agit#pas#de#religion#dans#la#circonstance#et#nos#devoirs#de#citoyens#de#la#grande#et#magnanime#Albion#doivent#primer#tout.#Nous#ne#sommes#pas#de#descendance#turque.#Nous#sommes#trop#fiers#d’être#des#sujets#de#notre#si#grand#souverain#George#V#pour#que#la#guerre#entre#l’Empire#britannique#auquel#nous#avons#la#fierté# d’appartenir,# sur# lequel# le# soleil# ne# se# couche# jamais# –# et# la# Turquie,# puisse# avoir# la#moindre# influence# sur# nous,# autrement# qu’à# nous# pousser# à# solliciter# l’intervention# d’Allah# le#ToutKPuissant,#en#faveur#de#la#paix.#!L’impôt!du!sang!Le'Radical,##jeudi#14#octobre#1918##Devant# la# liste#qui#s’allonge#chaque#jour#des#nôtres#qui#tombent#sur# les#champs#de#bataille,# les#uns# pour# ne# plus# se# relever,# d’autres# pour# aller#mourir# de# leurs# glorieuses# blessures# ou# pour#rester#impotents#durant#leur#existence,#qui#donc#osera#jamais#dire#que#les#Mauriciens#n’ont#pas#fait#leur#devoir#au#cours#de#cette#guerre#et#qu’ils#n’ont#pas#payé#l’impôt#du#sang#auquel#tous#les#sujets# de# l’Empire# britannique# et# tous# les# Français# ont# été# soumis#!# Et# nous# l’aurons# payé#d’autant#plus#largement,#généreusement,#patriotiquement,#que#nous#n’y#étions#pas#obligés#et#que#c’est# volontairement# et# spontanément# que# des# centaines# et# des# centaines# des# nôtres# se# sont#enrôlés,# se# sont# battus,# se# sont# couverts# de# gloire#!# N’étant# plus# Français# de# nationalité,# bien#qu’indéraciblement'Français#par#le#sang,#par#la#langue,#par#les#mœurs,#par#le#cœur,#et#n’étant#pas#Anglais,# quoique# profondément# attaché# à# l’Angleterre# et# à# jamais# loyaux# à# la# couronne#britannique,#rien#ne#nous#forçait,#nous#qui#occupons#une#situation#unique#dans#le#monde,#et#dont#nous# tirons# toute# la# fierté# possible,# de# prendre# part,# d’un# côté# ou# de# l’autre,# à# la# guerre#d’extermination#qui#désole# le#monde#depuis#51#mois.#Et#pourtant,#dans# les# rangs#britanniques#comme# dans# les# rangs# français,# nous# nous# sommes# enrôlés,# nous# avons# joué# et# jouons# notre#partie#magnifiquement.#Et#le#prouvent#le#nombre#de#blessures#reçues,#le#nombre#de#citations,#de#décourations#et#de#morts#!#Et#quand#la#liste#glorieuse#en#aura#été#finalement#dressée,#même#nos#détracteurs# les# plus# acharnés# seront# forcés# de# s’incliner,# de# saluer# bien# bas# cette# phalange#héroïque.###Famille!Ferrat!Site#Français#de#l’océan#Indien#Page#Patrick#Ferrat##Raoul# Ferrat,#mobilisé# dans# l’armée# française# en# décembre# 1915# à# 23# ans,# canonnier# dans# le#105ème# régiment# d’artillerie# lourde,# 24ème# batterie# gravement# blessé# à# Salonique# le# 5# mai#1917,#il#reçut#la#Croix#de#Guerre#et#devint#par#la#suite#président#des#anciens#combattants#français#à#l’île#Maurice.##Maurice#Ferrat#engagé#en#février#1915#dans#l’armée#britannique#comme#«#Cadet#officier#»#Royal#Engineers,#servit#au#front#en#France.#Réformé#pour#intoxication#par#les#gaz,#il#mourut#en#1938#à#l’âge#de#44#ans.##

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Mort!au!combat!Le#Mauricien,##Samedi#7#novembre#1914##L’Honorable#Fraser#a#reçu,#ce#matin,#un#câblogramme#lui#annonçant#la#mort#de#son#fils#unique,#M.J.H.#Fraser,#tombé#au#champ#d’honneur#le#30#octobre#1914.#M.J.H.#Fraser#était#un#des#officiers#des#«#Gordon#Highlanders#»#et,#depuis#vingt#jours,#il#combattait#dans#les#rangs#de#cette#phalange#de#héros#dont#il#était#digne#d’être#l’un#des#chefs.#Nous#prenons#une#vive#part#de#la#douleur#de#l’Hon.#Fraser#et#pouvons#lui#donner#l’assurance#que#la#communauté#toute#entière#s’y#associe.##!!Plus!de!recrutement!!!!Le#Radical#11#janvier#1918##Il# semble# que# l’on# ne# sache# pas# trop# ce# qu’on# veut# ni# ce# dont# on# a# besoin# réellement# au#War#Office.#Tantôt,#une#dépêche#arrive#disant#qu’il#est#nécessaire,#urgent,#de#combler#les#vides#qui#se#sont# produits# dans# les# rangs# de# notre# bataillon# de# travailleurs# et# qu’il# faut# commencer# le#recrutement# immédiatement#;# tantôt,# comme# la# chose#vient#d’avoir# lieu,# c’est# l’ordre# contraire#qui#est#câblé.#Le#recrutement,#qui#avait#bien#commencé#et#qui#marchait#lentement,#il#faut#le#dire,#a#été#arrêté#pour#être#repris#sûrement#ces#joursKci#!##!!Volontaires!!!Le#Radical#15#janvier#1918##Les# miliciens# se# demandent# s’ils# sont# véritablement# des# volontaires# ou# tout# simplement# des#militaires#réguliers,#assujettis#à#toutes#les#exigences#militaires#sans,#bien#entendu,#jouir#d’aucun#des# privilèges# accordés# aux# réguliers.# Depuis# quelques# temps,# toutes# les# parades,# tous# les#exercices#de#tir,#toutes#les#manœuvres#sont#«#obligatoires#»#et#celui#qui#n’y#assiste#pas#est#traité#sévèrement#:#condamné#à#la#prison,#à#travailler#à#la#pioche#en#main,##sous#un#soleil#de#feu,#nourri#sommairement,#etc.#On#est#militaire#ou#on#ne#l’est#pas.#La#discipline#doit#être#respectée#ou#ne#pas#exister.# Mais# alors# il# faut# faire# disparaître# par# un# bout# de# loi# cette# duperie# qu’on# appelle#volontariat# et# décréter# des# milices# obligatoires.# D’être# milicien# aujourd’hui# constitue# pour#beaucoup# de# jeunes# Mauriciens# un# handicap# dont# leurs# intérêts# souffrent# beaucoup.# Nous#connaissons# des# cas# où# des# jeunes# gens# capables,# méritants,# pauvres,# ayant# par# conséquent#besoin#de#travailler#pour#vivre#et#faire#vivre#leur#famille,#trouvent#difficilement#à#s’employer.#La#première#question#qu’on# leur#pose#est#:#êtesKvous#volontaire#?#S’ils# répondent#affirmativement,#on# leur#dit#:#Nous# regrettons#beaucoup.# Il#nous# faut#des#commis#et#non#des#militaires#qui# sont#appelés#deux#ou#trois#fois#par#semaine#aux#casernes.#C’est#là#une#situation#intolérable#à#laquelle#il#faut#mettre#un#terme#d’une#façon#ou#d’une#autre.##!!!!!!!!

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Des!nouvelles!des!soldats!Le'Radical,#mercredi#23#octobre#1918##Roger#Béchard#Il#nous#est#agréable#d’ajouter#un#nom#de#plus#à#la#longue#liste#de#nos#compatriotes#qui#sont#à#la#guerre#:# celui# de# Roger# Béchard,# qui# est# officier# mécanicien# à# bord# d’un# transport# de# guerre#depuis#mai#1916.#Roger#Béchard#est#le#fils#de#M.#Alfred#Béchard#et#de#madame,#née#de#Lestrac.#'Le'Radical,#mercredi#23#octobre#1918#M.#Maurice#Antelme#Un#cablogramme,#reçu#ce#matin,#annonce#que#M.#Maurice#Antelme#qui#avait#été#réformé#à#la#suite#de#blessures#après#deux#années#de#service#actif#dans#l’armée#anglaise#sur#le#front#français#et#qui#revenait# au# pays# natal,# a# été# recueilli# en#mer# et# ramené# en#Angleterre,# le# vapeur# sur# lequel# il#avait#pris#passage#ayant#été#torpillé#au#cours#du#voyage.###Le#Radical,#28#janvier#1918#Au#champ#d’Honneur#La#malle#française#a#porté#à#M.#et##Mme#Paul#Marion#de#Procé#la#douloureuse#nouvelle#de#la#mort#de# leur# fils# cadet,# tombé# à# l#‘ennemi# le# 27# août# dernier,# dans# un# gigantesque# combat# devant#Verdun.# Donatien# Marion# de# Procé,# comme# son# frère# aîné# qui# est# à# Salonique,# croyonsKnous,#avait# répondu#à# l’appel# de# la# France# et# après# l’entraînement#obligatoire# avait# été#dirigé# sur# la#ligne# de# feu,# à# Verdun,# où# il# a# trouvé# une#mort# glorieuse,# augmentant# ainsi# le# nombre# de# nos#compatriotes# qui# ont# donné# leur# vie# dans# cette# gigantesque# guerre# qui# dure# depuis# 42#mois.#Nous# nous# joignonsaux# amis# des# familles# Marion# de# Procé# et# Clériceau# pour# offrir# aux#malheureux#parents#nos#bien#vives#condoléances.##Don!de!livres!pour!le!bataillon!de!travailleurs!Le#Radical#28#janvier#1918##Les#personnes#qui#désireraient#offrir#des#livres#français#aux#hommes#du#bataillon#de#travailleurs#qui#sont#actuellement#en#Mésopotamie,#peuvent#nous#les#adresser#au#bureau#du#«#Radical#»#ou#à#l’Hon.#M.E.#Nairac#ou#au#colonel#Fair#directement.#Nous#avons#déjà#reçu#un#certain#lot#de#Mme#H.#Lemière#et#de#M.#Léon#Leclézio#que#nous#avons#fait#remettre#à#M.#Nairac.#!Le!bataillon!de!travailleurs!Le#Radical#10#juin#1918#Le#bataillon#de# travailleurs#devant#parti# incessamment,# les#hommes#qui# en# forment#partie#ont#profité# d’une# journée# de# permission# qui# leur# fut# accordé# samedi# pour#mettre# à# sac# plusieurs#boutiques#des#deux#faubourgs.#Deux#de#ces#individus#ont#été#arrêtés.##Le#Radical#11#juin#1918#Un#de#nos#plus#charmants#jeunes#comptables,#le#lieutenant#Claude#Gautier,#fils#du#secrétaire#de#la#Chambre#de#Commerce,# est# parti# à# la# tête#de# trois# cent#nouvelles# recrues#pour# le#bataillon#de#travailleurs.#Intelligent,#instruit,#aimant#beaucoup#le#métier#des#armes,#nous#sommes#certain#que#Claude#Gautier#ne#tardera#pas#à# faire#parler#de# lui#et#c’est#au#nom#de#ses#amis#et#au#nôtre#que#nous#lui#souhaitons#une#belle#carrière.##!!!!

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Fièvre!de!Mésopotamie!Le'Radical,#mercredi#23#octobre#1918##Plaise# à# Dieu# qu’il# soit# encore# temps# de# nous# mettre# à# l’abri# de# cette# maladie.# Elle# sévit#épidémiquement# à# Bombay# et# aussi,# nous# estKil# assuré,# dans# certaines# autres# villes# de# l’Inde.#L’attention#du#gouvernement#a#été#appelée#sur# la#nécessité#de#certaines#précautions.#Espérons#qu’elles#seront#prises#et#qu’elles#produiront#tous#leurs#effets.#Cependant#estKon#bien#sûr#que#ce#mal#n’existe#pas# chez#nous# jusqu’ici#?# Il#nous#est# revenu#de#Mésopotamie#beaucoup#d’hommes#qui#s’étaient#enrôlés#au#bataillon#de#travailleurs#et#ont#été,#dans#la#suite,#réformés.#QuelquesKuns#l’ont#été#précisément#parce#qu’ils#avaient# làKbas#contracté#des#fièvres#qui# les#rendaient# inaptes#au#travail.#Revenus#au#pays,#il#n’ont#été#l’objet#d’aucune#surveillance,#d’aucun#contrôle#sanitaire#et# ont# été# simplement# licenciés.# Veuille# le# ciel# qu’aucun# d’eux# n’ait# directement# introduit# à#Maurice# le#microbe# de# cette# fièvre# qu’on# dit# très#meurtrière.# Plusieurs#médecins# ont# constaté#dans# leur# clientèle# des# malades# qui# ne# présentaient# guère# les# symptômes# ordinaires# de# la#malaria.#Dans# certains# cas,# la# fièvre# était# accompagnée#de# douleurs# rappelant# le# rhumatisme#;#dans# d’autres,# de# la# paralysie.# EstKon# en# présence# d’un# mal# nouveau#?# Il# importe# que# cette#question#soit#élucidée.####!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

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ORDRES!OFFICIELS!ET!SOUSCRIPTION!NATIONALE!!!Publication!de!la!Proclamation!No!33!Le#Mauricien#6#août#1914##Attendu#que#la#guerre#est#imminente,#en#vertu#des#pouvoirs#qui#me#sont#conférés,#je#fais#avoir#ce#qui#suit#:#(1)# Les# mesures# requises# pour# la# défense# de# l’île# ont# été# mûrement# examinées# et# sont#actuellement#prises#activement.#(2)#Les#départements#civils#du#gouvernement#continueront#à#être#administrés#comme#en#temps#de#paix,#le#gouvernement#prenant#les#mesures#spéciales#qui#pourront#être#requises#en#temps#de#guerre.#(5)#On#fait#observer#aux#habitants#de#PortKLouis#que#considérant#l’armement#pour#la#protection#du# port,# il# est# peu# probable# qu’un# vaisseau# ennemi# puisse# bombarder# effectivement# et#endommager# la# ville,# mais# qu’il# faut# s’attendre# à# ce# qu’un# vaisseau# ennemi,# parfois# menace#d’attaquer#sans#avoir#l’intention#réelle#de#la#faire.#(8)# Dans# l’éventualité# d’un# bombardement# de# la# ville,# beaucoup# d’habitants# y# compris# les#femmes# et# les# enfants# pourront# trouver# un# abri# derrière# les# escarpements# de# la# # ValléeKdesKPrêtres.#!Ordre!du!Conseil!du!6!août!1914!Le#Mauricien#7#août#1914##Il#est#par#les#présents#ordonné#par#Sa#Majesté#avec#l’avis#de#son#Conseil#privé#:#Cet# ordre# s’appliquera# aux# colonies# spécifiées# (Malte,# Ste# Lucie,# SierraKLeone,# Ceylan,# HongKKong,#Maurice,#les#établissements#des#Détroits#et#SteKHélène)#et#aura#effet#dans#celles#où#il#aura#été#proclamé#par#le#gouverneur.#(…)#Aussi#longtemps#que#cet#ordre#sera#en#vigueur,#les#dispositions#suivantes#auront#effet#:#

(1) Toute# personne# qui# se# trouvera# dans# les# limites# de# la# colonie# sera# placée# sous# la# loi#militaire#afin#d’atteindre#le#but#de#l’Army'Act.'(…)'

(4)# Le# gouvernement# pourra# ordonner# à# toute# personne# de# fournir# tous# les# animaux,#véhicules,# navires,# bateaux# ou# toute# autre# propriété# personnelle# appartenant# à# la# dite#personne#ou#placée#sous#son#contrôle,#si#une#telle#propriété#personnelle#est#requise#pour#la#défense#de#la#colonie.#(…)#(5)# Le# gouverneur# pourra# prendre# et# garder# pendant# le# temps# nécessaire# dans# l’intérêt#public#tous#terrains,#bâtiments#ou#autre#propriété,#y#compris#les#usines#à#gaz,#établissement#d’électricité,#puits,#sources,#réservoirs#et#autres#récipients#d’eau#de#pluie.#(…)#(7)#Le#gouverneur#pourra#décider#de#toutes#les#ressources#d’un#chemin#de#fer#de#la#colonie#soient#mises#à#sa#disposition#pour#un#but#qu’il#jugera#nécessaire.#(…)#(8)# Le# gouverneur# pourra# aussi# prendre# possession# de# tous# grains,# articles# alimentaires,#charbon#ou# autre# combustible,# huiles#minérales# se# trouvant# dans# les# limites# de# la# colonie.#(…)#(9)# Le# gouverneur# pourra# par# proclamation# fixer# le# prix# maximum# auquel# un# article#d’alimentation#pourra#être#vendu.#(…)#

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Lettre!de!l’honorable!Duclos!pour!une!contribution!financière!Le#Mauricien,#19#août#1914##Mon#cher#rédacteur,#A#l’heure#grave#que#nous#traversons,#chacun#se#recueille#et#se#demande#ce#qu’il#doit# faire#pour#coopérer,# dans# la#mesure#de#nos#moyens,# à# la# grande#œuvre#qui# est# en#voie#de# s’accomplir# et#dont#notre#sort#dépend.#Puisque#nous#en#pouvons,#pour#la#plupart,#faire#autre#chose#en#ce#moment#que#de#donner#notre#argent,# donnonsKle# généreusement,# en# attendant# que# nous# donnions,# s’il# le# faut,# notre# sang#même#pour#la#sauvegarde#et#la#défense#des#patries#auxquelles#nous#nous#glorifions#d’appartenir.#PermettezKmoi# de# semer# l’idée# que# chaque# usinier# donne# comme# première# contribution# au#fonds#des#victimes#de#la#guerre#une#somme#de#deux#cents#roupies#par#million#de#sucre#qu’il#a#fait#l’année#dernière,#ce#qui#constituerait#un#premier#appoint#de#Rs#100#000.#Le#propriétaire#sucrier#donnera#dans#la#suite#tout#autre#somme#qu’il#prélèvera#sur#les#profits#de#cette#année.#La# hausse# artificielle# sur# le# sucre# étant# en# effet# direct# de# la# guerre,# il# importe# que# nous#appliquions#une#large#part#de#nos#profits#à#atténuer#l’infinie#détresse#de#ceux#qui#en#souffrent#et#qui#vont#en#mourir.##Votre#Très#dévoué#J.A.#Duclos#!Souscription!nationale!Le#Mauricien##2#septembre#1914##Le#comité#chargé#de#s’occuper#de# lancer#des#souscriptions#en# faveur#des#victimes#de# la#guerre#s’est#réuni#aujourd’hui#à#deux#heures#dans#la#salle#du#gouvernement.#Son# Honneur# l’officier# administrant# présidait,# ayant# à# sa# droite# l’Hon.# E.# Sauzier# K.C.# et# à# sa#gauche#Monsieur#le#consul#de#France.#(…)#La#séance#étant#ouverte,#l’Hon.#Emile#Sauzier#K.C.,#prononce#le#discours#suivant#:##«#Justement#émus,#dès# le#début#même#de# la#guerre,#des#souffrances#horribles#et#des#privations#multiples# auxquelles# nos# frères# anglais# et# français# sont,# et# seront# peutKêtre# hélas# longtemps#encore# exposés,# les# représentants# de# la# population,# mus# par# un# sentiment# patriotique# et#fraternel#que#partage#largement#toute#la#communauté#mauricienne,#ont#décidé##K#de#lancer#une#souscription#nationale#pour#venir#en#aide#aux#victimes#de#la#guerre#et#de#former#un# comité# dont# la# présidence# d’honneur# fut# donnée# à# notre# estimé# officier# administrant# le#gouvernement#et#à#notre#ami#le#consul#de#France.#K#de#partager#par#moitié#toutes#les#sommes#qui#seront#recueillies#entre#les#victimes#françaises#et#anglaises,#et#enfin#de#vous#demander#de#nous#accorder#votre#coopération#précieuse#et#influente#qui,#j’en#suis#persuadé,#nous#permettra#de#soulager#bientôt#non#pas#seulement#les#victimes,#qui#à#l’heure# actuelle# défendent# si# courageusement# la# patrie#menacée,#mais# aussi# ceux# et# celles# qui#sont#privés#de#leur#soutien#et#qui#pleurent#des#êtres#chers#qu’ils#ne#reverront#plus#hélas#!#Je# fais# un# appel# à# tous#mes# compatriotes# dont# nous# connaissons# tous# la# générosité# pour# leur#demander#de#donner#le#plus#vite#possible#et#avec#abondance#le#plus#grand#nombre#de#secours#à#tous#ceux#qui#défendent#actuellement#nos#deux#drapeaux#qui#n’en# font#plus#qu’un#aujourd’hui,#puisqu’ils#défendent#fièrement#la#cause#sacrée#de#la#justice#et#la#liberté#».'(applaudissements)''##!

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LE!!KOENIGSBERG!ET!L’EMDEN!!Le!spectre!des!croiseurs!Gazette#des#îles,#N°#27,##Juin#1990##A!Maurice,!comme!dans!toutes!les!autres!îles!de!la!planète,!le!danger,!en!temps!de!guerre!mondiale,! ne!pouvait! venir!que!de! la!mer.! Ce!danger!pouvait!prendre!plusieurs! formes!dont!entre!autres!le!débarquement!des!soldats!ennemis,!le!bombardement!de!l’île!ou!plus!exactement! de! ses! principales! villes! côtières! par! un! croiseur! ou! encore! le! blocus! des!navires! de! commerce! par! le! simple! fait! qu’un! ou! plusieurs! croiseurs! ennemis!patrouillaient!dans!les!environs.!L’île!Maurice!durant!la!Première!Guerre!mondiale!n’échappe!pas!à!la!règle!et!bien!vite!les!colonnes!des! journaux!multipliaient! les! signes!d’inquiétude!en!donnant! jour!après! jour!des!nouvelles,!les!unes!plus!inquiétantes!que!les!autres.!!!L’Emden,!croiseur!allemand!dans!l’océan!indien!Le#Mauricien,##23#septembre#1914##Désormais#le#Koenigsberg*#ne#pourra#plus#contribuer#à#nous#jouer#de#vilains#tours#dans#le#genre#de# celui# qui# a# abouti# à# la# perte# du# pauvre# petit# Pegasus.# Mais# un# autre# croiseur# allemand,#l’Emden,#et#peutKêtre#après#lui#d’autres,#vont#se#trouver#à#sillonner#l’océan#Indien.#Nos#mers#vont#être#de#nouveau#surveillées.##Nous#ne#serions#pas#surpris#que#les#captures#faites#par#l’Emden#soient#la#cause#de#l’ordre#donné#au#Cooeyanna#de#ne#plus#partir#de#Maurice.#La#route#est#peutKêtre#surveillée#par#des#croiseurs#allemands#qui#n’hésiteront#pas# à#prendre#un# convoi# à# la#marine#marchande# si#nombreuse#des#Anglais.#Cette#nouvelle#est#loin#d’être#pour#nous#faire#plaisir.#Les#prouesses#de#l’Emden#et#du#Koenigsberg'auront#pour#conséquence#d’arrêter#net#la#navigation#des#bateaux#de#commerce.#Espérons# que# les# escadres# anglaises# de# la# mer# de# Chine,# les# escadres# australiennes# et# les#escadres#de#la#flotte#japonaise#feront#une#chasse#sans#merci#aux#croiseurs#allemands.#'*croiseur'allemand'ayant'sillonné'l’océan'indien'au'début'de'la'guerre'et'coulé'par'les'Anglais'le'11'juillet'1915'

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# ## ##Le#Koenigsberg'proche'des'côtes'de'l’Afrique'Orientale'Allemande'(1914'ou'1915)'et'le'Koenigsberg'coulé'photograpahie'en'juillet'ou'août'1915'(source'Archives'fédérales'allemandes)##!!

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!L’Emden!à!Madras!Le#Mauricien,##26#septembre##L’Emden#a#encore# fait#parler#de# lui#:#avec#une#rare# insolence,#ce#petit#croiseur#a#eu# l’audace#de#venir#bombarder#Madras.#Il#a#tiré#neuf#coups#de#canon#tuant#deux#jeunes#Indiens.#Mais#aussitôt#qu’il# a# vu# les# forts# lui# répondre# et# que# les# boulets# pouvaient# l’atteindre,# il# s’empressa# de#déguerpir#pour#aller#faire#du#mal#là#où#on#ne#pouvait#pas#lui#répondre.#Ce#bombardement#de#Madras,#fait#insignifiant#qu’il#est,#prouve#du#moins#que#l’Emden#est#libre#et#écume#les#mers#de#l’Inde.#Les#navires#anglais#devraient#dans#ces#conditions#craindre#de#quitter#les#ports#de#l’Inde.###L’Emden!coulé!Le#Mauricien#12#novembre#1914##On#nous#raconte#dans#quelles#circonstances#l’Emden#a#été#coulé#aux#îles#CocoKKeeling.#Si#les#fais#sont#exacts,#ils#parlent#hautement#en#faveur#des#employés#du#câble,#làKbas.#L’Emden# avait# saccagé# les# bureaux# du# câble# et# après# ce# haut# fait,# les# officiers# croyaient# avoir#réussi#dans#leur#lâche#tentative.#Mais# il# paraît# que# les# employés# avaient# un# matériel# souterrain# dont# ils# se# servirent#immédiatement#pour#aviser#la#station#la#plus#voisine#de#ce#qui#se#passait,#signalant#la#présence#de#l’Emden.#Le#croiseur'Sydney#averti,#arriva#sur#les#lieux#et#l’on#sait#ce#qui#en#résulta.###ARRESTATIONS!#Le#Radical##26#juillet#1915##

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!VIE!QUOTIDIENNE!#Hausse!des!prix!!Le#Radical#28#janvier#1918##L’accaparement#est#à#l’ordre#du#jour.#Après#l’essence#de#pétrole,#c’est#le#pétrole,#proprement#dit,#les# allumettes,# le# tabac# qui# sont# à# l’heure# l’objet# d’une# véritable# frénésie# de# hausse.# Si# le#gouvernement#ne#fait#attention#à#ce#qui#se#passe#autour#de#lui#et#ne#ramène#promptement#à# la#raison# les#profiteurs#de# la#guerre,# l’existence#deviendrait# très#pénible#dans#notre#petite# île#qui#dépend#presqu’uniquement#de#l’étranger.#La#grosse#boîte#d’allumettes#est#aujourd’hui#à#12#sous#dans#les#boutiques#de#chinois#et#depuis#quelques#jours#des#émissaires#avaient#été#envoyés#dans#les# boutiques# des# campagnes# pour# accaparer# toutes# les# boîtes# disponibles.# De# là# cette# hausse#scandaleuse#qui#s’est#produite.##Congé!de!presse!Le'Radical,#vendredi#15#et#samedi#16#novembre#1918##Dernière#Heure##A#NOS#LECTEURS##Depuis#plus#de#quatre#ans,#notre#personnel#et#nousKmême#avons#été#sur#la#brèche.#Aujourd’hui#que#le#canon#ne#tonne#plus#sur#aucun#des#fronts,#qu’un#armistice#général#a#été#signé#et#que#l’aube#de#la#paix#sur#lève#sur#le#monde,#nos#confrères#et#nous#demandons#la#permission#à#nos#lecteurs#et# au# public# de# prendre# congé# demain,# pour# laisser# nos# ateliers,# nos# collaborateurs# et# nousKmême# assister# au# Te# Deum# qui# sera# chanté# à# la# Cathédrale# St# Louis# et# prendre# part# à# la# joie#générale.#####!!!!!!!!!!!!!!!!!

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! 1!

FRANK DE CHAZAL MAYER

Page!2!

ELEMENTS'BIOGRAPHIQUES''

Page!3!

REPERES'SUR'LA'FRANCE'ET'LES'TRANCHEES''

Page!4!

LEXIQUE'!

Page!5!

REPERES'SUR'LA'FAMILLE'''

Page!6!

COMPLEMENTS'D’INFORMATION''

Page!8!

LETTRES''

Page!19!

CARTES'DE'CORRESPONDANCE''

Page!21!

JOURNAL''

Page!28!

ICONOGRAPHIE'

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! 2!

FRANK DE CHAZAL MAYER (1891-1915) Frank!de!Chazal!Mayer!est!le!sixième!enfant!de!George!Clifford!Mayer!et!de!Berthe!de!Chazal.!Il!

est!né!à!Trait!d’Union,!Vacoas,! le!27! juillet!1891.!Sa!mère!étant!morte!quelques! jours!après!sa!

naissance,! sa! tante! Alice! Mayer! devint! sa! mère! adoptive! et! éleva! la! famille.! Ayant! obtenu! la!

Bourse!d’Angleterre!du!Collège!Royal!en!1911,!comme!ses!frères!Clifford!en!1901!et!Norman!en!

1908,!il!entra!à!Christ!College!à!Cambridge!afin!d’étudier!le!génie!agronome.!!

A! la! déclaration! de! guerre,! voyageant! en! Suisse,! il! gagna! Lyon! avec! Fernand! Antelme! pour!

s’engager!dans!l’armée!française.!Ils!furent!les!premiers!volontaires!mauriciens!enrôlés!dans!un!

corps!d’armée.!Appartenant! à! la! 10e! compagnie!du!52e! régiment!d’infanterie,! Frank!de!Chazal!

Mayer!fut!bientôt!cité!à!l’ordre!général!No!27!du!14e!corps!pour!son!action!du!31!octobre!1914!:!

«!Engagé!volontaire!anglais!pour!la!durée!de!la!guerre,!s’est!fait!remarquer!pour!sa!bravoure!et!

son!courage!à!l’attaque!d’une!tranchée!allemande!et!a!abattu!4!ennemis!».!!

Selon!le!Dictionnaire*de*Biographie*Mauricienne,!Frank!de!Chazal!Mayer!est!tué!le!21!septembre!

1915,!d’une!balle!dans!la!tête.!Dans!un!article!sur!le!site!familial!des!de!Chazal,!un!de!ses!petitsb

neveux,! Hamish! Levack,! affirme! qu’il! a! bien! été! blessé! ce! jourblà! mais! ne! mourut! qu’environ!

douze!heures!plus!tard,!au!matin!du!22!septembre.!Il!est!blessé!lors!d’un!combat!à!Perthesblèsb

Hurlus! dans! le! département! français! de! la! Marne.! Le! nom! du! village! est! mal! transcrit! dans!

plusieurs!documents!où!on!peut!lire!ParthusblesbHurlus.!Ce!village,!totalement!détruit!pendant!la!

guerre,!n’a!jamais!été!reconstruit.!

Frank!de!Chazal!Mayer!était!caporal!et!reçut!la!Croix!de!Guerre!à!titre!posthume.!Son!nom!figure!

sur!le!cénotaphe!du!Collège!Royal!à!Curepipe.!D’abord!traduits!et!publiés!à!Londres!en!1991,!ses!

lettres!et!son!journal!ont!été!déposés!au!Imperial!War!Museum!de!Lambeth!Road!à!Londres!et!

ont!été!traduits!et!publiés!en!1991!sous!le!titre!Letters*and*journal*from*the*French*front*(3*Sept*

1914?7*May* 1915).! Il! a! laissé! également! quelques! croquis! du! front.! (Sources*:* Dictionnaire* de*

Biographie*Mauricienne*et*le*site*:*http://www.chazfest.com)!

!

!

!

'

''

Caserne!du!52e!régiment!d’Infanterie!!

où!a!été!enrôlé!Frank!de!Chazal!Mayer!et!où!il!a!séjourné.!

'''

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! 3!

REPERES'SUR'LA'FRANCE'ET'LES'TRANCHEES''Itinéraire'de'Franck'Mayer'de'Chazal'Frank! de! Chazal!Mayer! attend,! en! août! 1914,! l’ordre! de! départ! à! la! caserne! du! 52e! régiment!

d’Infanterie!à!Montélimar,!dans!le!département!de!la!Drôme,!situé!dans!la!région!RhônebAlpes.!Il!

va! combattre,! fin! août,! dans! le! département! des! Vosges,! en! Lorraine! ;! blessé,! il! est! soigné! en!

septembre! à! Grenoble,! ville! de! la! région! RhônebAlpes.! En! octobre! 1914,! il! est! dans! le!

département! de! la! ! Somme,! en! Picardie,! région! du! Nord! de! la! France,! où! son! régiment! reste!

plusieurs!mois.! Il!meurt,! en! septembre! 1915,! dans! le! département! de! la!Marne,! situé! dans! la!

région!ChampagnebArdenne.!

!

!

!

!

Les!régions!françaises!

!

Les'lignes'de'tranchées''La'première'ligne'de'tranchée':!la!plus!exposée,!pourvue!en!postes!de!tir!et!abris!sommaires!;!l’objectif!des!fantassins!ennemis!est!de!la!prendre.!

La'seconde'ligne'de'tranchée':!environ!70!mètres!à!l’arrière!de!la!première,!lieu!de!repli!en!cas!de! bombardement! de! la! tranchée! de! première! ligne! ou! zone! de! rassemblement! lors! d’une!

offensive,!équipée!d’abris!plus!ou!moins!profonds!et!de!stations!médicales.!!

La'troisième'ligne'de'tranchée':!(appelée!aussi!tranchée!de!réserve)!située!à!150!voire!jusqu’à!2!000!mètres! de! la! première! ligne,! chemin! de! ravitaillement! et! zone! de! stockage! pour! les!

munitions,!les!provisions!et!le!matériel!ainsi!que!zone!de!repos!pour!les!soldats.!

Le' boyau':! fossé! assurant! la! circulation! rapide! des! hommes,! des! brancards,! du!matériel,! des!vivres! et! des! munitions.! Les! boyaux! relient! les! tranchées! et! l'arrière!;! son! tracé! est! toujours!

perpendiculaire!à!la!ligne!de!défense!adverse.!

''

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! 4!

LEXIQUE''Créneau':'ouverture!qui!permet!au!soldat!de!voir!à!l’extérieur!de!la!tranchée!sans!s’exposer,!des!créneaux!étaient!réalisés!à!l’aide!de!sacs!de!sable!

Maurice'Barrès':'écrivain!et!homme!politique!français,!droite!nationaliste''Armement*

Canon'de'75':!canon!de!75mm,!mesure!du!diamètre!de!l’obus!qu’il!tire,!d’une!portée!!de!11!110!m!

Shrapnell':!obus!rempli!de!balles!Minewerfer!:! pendant! la! Première! Guerre!mondiale,! le! terme! allemand!Minewerfer! désignait!une! pièce! d’artillerie! avec! une! élévation! de! tir! importante,! souvent! aubdelà! de! 45!degrés! aub

dessus!de!l’horizontale.!Leur!canon!était!court!et!rechargé!par!l’avant.!Il!s’agit!là!d’un!précurseur!

du!mortier!moderne!et!du!lancebgrenades.!

Marmite':!obus!de!gros!calibre!Lebel':!marque!de!fusil!!

Termes*péjoratifs*pour*désigner*les*Allemands*

Boche':'Allemand'Prussien':!nom!donné!aux!Allemands,!l’Allemagne!a!fait!partie!de!la!Prusse!Saligoth':!un'saligaud!est!une!personne!peu!recommandable,'orthographié!ainsi,!l’auteur!fait!un!jeu!de!mot!avec!les!Goths,!synonyme!de!barbares!!

Teuton':'Allemand!'Argot*

Carapater':'s’en!aller!Crapouillard':!pétard!Ecraser'brutal':'ronfler!Fiole':!tête!Pioupiou':!soldat!d’infanterie'Pitou':!fantassin!Singe':'viande!en!conserve!Plumard':!lit!!

Lieux*

La'Salle'(et'non'Lassalle)':!village!des!Vosges!Lihons':!village!de!la!Somme!totalement!détruit!pendant!la!guerre!Maucourt':!village!de!la!Somme!Moreuil':! village! de! la! Somme! qui,! pendant! la! Grande! Guerre,! fut! tour! à! tour! une! ville! de!l’arrière,!une!ville!occupée,!un!lieu!de!combat.!

Nompatelize':!village!situé!dans!le!département!des!Vosges.!Le!plateau!de!Nompatelize!a!été!un!champ! de! bataille! du! 25! août! au! 12! septembre! 1914,! combat! de! résistance! pour! l’armée!

française!de!l’Est.!!

Rethel':!ville!française!située!dans!les!Ardennes!Saint'Michel'(sur'Meurthe)':!village!des!Vosges!limitrophe!de!Nompatelize!Torgau':!ville!allemande!située!dans!la!Saxe!!

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! 5!

LE'CERCLE'FAMILIAL''Proches'de'Frank'de'Chazal'Mayer'cités'dans'ses'lettres'et'son'journal'!

Les*liens*de*parenté*des*proches*de*Frank*de*Chazal*Mayer,*ci?dessous,*ont*pu*être*établis*grâce*à*

l’article*d’Hamish*Levack,*petit?neveu*de*Frank,*publié*en*2014*sur*le*site*de*la*famille*de*Chazal.*

!

Dans!ses!lettres!et!son!journal,!Frank!de!Chazal!Mayer!évoque!plusieurs!membres!de!sa!famille!

dont!certains!sont!les!destinataires!de!ses!écrits.!

La!mère!de!Frank,!Berthe,!née!de!Chazal,!meurt!peu!après!sa!naissance.!Les!six!enfants!du!couple!

seront! élevés! par! la! sœur! de! leur! père,! Alice! Mayer,! dite! Titale.! Quant! à! celle! appelée! Tante!

Edmée,!c’est!la!sœur!de!Berthe!de!Chazal!;!elle!a!épousé!John!Rouillard.!

Si! ses! frères! s’engagent! dans! l’armée! anglaise,! Frank! est! le! seul! à! s’engager! dans! l’armée!

française,! le! seul! aussi! à! mourir! au! champ! d’honneur.! L’aîné,! Clifford,! s’engage! dans! l’armée!

anglaise! et! participera,! comme! chirurgien,! à! la! campagne! de! Gallipoli! dans! les! Dardanelles.!

Ralph! et! Norman! s’engagent! dans! l’armée! anglaise,! dans! le! 10e! Bataillon,! Royal* Fusilliers,! et!

seront!envoyés!dans!les!tranchées,!en!Artois,!dans!le!Nord!de!la!France.!

Maurice!Tuffier!est!le!fils!de!Marguerite!Tuffier,!née!de!Chazal,!vivant!à!Paris!pendant!la!guerre.!!

Sybil,!sœur!de!Frank!évoquée!dans!les!lettres,!a!épousé!Edgar!Piat.!Son!prénom!est!aussi!cité!en!

fin!de!lettre.!Ils!ont!deux!enfants,!Roger!et!Sybil!dite!Mimie.!Dans!des!courriers,!Frank!embrasse!

«!Le!petit!Roger!»!et!dans!une!autre!«!Les!petits!Piat!».!(Source*:*http://www.chazfest.com)*

*

!!! !! !

.!!

Clifford!Mayer,!Edgar!Piat!et!Sybil!Mayer,!Frank!de!Chazal!Mayer!(iconographies*illustrant*

l’article*d’Hamish*Levack*sur*le*site*de*la*famille*de*Chazal)*A*noter*que*la*photo*de*Clifford*Mayer*

ci?dessus*a*été*publié*dans*Week?End*du*31*juillet*1994*comme*étant*celle*de*Robert*de*Chazal,*

mort*en*Mésopotamie*

!

Trait'D’union''La!maison!familiale,!évoquée!dans!les!courriers!et!dans!le!journal,!est!située!à!Vacoas,!dans!le!

quartier!de!Riverwalk.!Elle!porte!le!nom!de!Trait!d’Union!car!elle!était!entre!deux!autres!maisons!

de!la!famille,!La!Mauvrais!(orthographiée!La!Mauvraie!dans!la!correspondance)!qui!appartenait!

à!John!Rouillard!et!sa!femme!Edmée!(née!de!Chazal)!et!Le!Mesnil!aux!Roses!appartenant!à!Pierre!

Edmond!de!Chazal!et!sa!femme!Lucie!(née!de!Chazal),!sœur!de!Berthe!et!d’Edmée.!(Source*:*

http://www.chazfest.com).*''

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! 6!

COMPLEMENTS D’INFORMATION Précisions'd’Hamish'Levack'sur'la'mort'de'son'grandWoncle''Dans!son!article!sur!sa!famille!et!plus!particulièrement!sur!Frank!de!Chazal!Mayer,!Hamish!

Levack!écrit!ceci!:!

«*Dans* le*Dictionnaire! de! biographie!mauricienne,* Jean*Brouard*note*que* :*«! Le! 21! septembre!

1915!à!PerthesblèsbHurlus!(Marne),!il!enleva!son!casque!pour!s’éponger!et!fut!tué!d’une!balle!à!la!

tête!».*Cela*n’est*pas*tout*à*fait*vrai.*La*«*mort*instantanée*»*fut*une*fabrication*qui,*par*la*suite,*fut*

transmise* à* Brouard.* Cela* avait* été* évoqué* pour* apaiser* les* proches.* Une* lettre* de* la* tante*

parisienne*de*Frank,*Marguerite*Tuffier*(née*de*Chazal)*à*Clifford*Mayer,*de*même*qu’une*lettre*du*

médecin*major*Gayet,* de* l’armée* française,* sont* depuis* remontées* à* la* surface.* L’histoire* qu’elle*

raconte*est*plus*sombre.*

Gayet*note*:*«!Le!sergent!Frank!Chazal!Mayer!fut!conduit!à!mon!ambulance!dans!un!triste!état.!Il!

avait! reçu! de!multiples! éclats! de! shrapnel! qui! lui! avaient! valu! une! double! fracture! à! la! jambe!

droite,!une! fracture!à! la! jambe!gauche,!une!blessure!à! la! tête.! Il!était!dans! le!coma!et!ne!reprit!

jamais!conscience.!Son!état!ne!permit!aucune!intervention,!bien!que!nous!ayons!vivement!tenté!

de! le! ressusciter! au! moyen! d’injections! de! sérum,! d’huile! de! camphre,! etc.! Il! mourut! le! 22!

septembre,!le!matin,!à!6!heures,!douze!heures!après!son!arrivée!».*

La* dépouille* de* Frank* de* Chazal*Mayer* a* été* déposée* à* l’ossuaire* de* la* Nécropole* nationale* de*

Somme?Suippe,*en*Champagne?Ardenne,*dans*le*département*de*la*Marne,*dans*l’Est*de*la*France.*

Son* nom* figure* aussi* sur* le* cénotaphe* à* Curepipe,* devant* le* Collège* Royal.* Rien* n’a* subsisté* du*

village*de*Parthus?les?Hurlus*».!(Source*:*http://www.chazfest.com)*

*

!

!

Les!trois!ossuaires!de!la!Nécropole!nationale!de!la!SommebSuipe!située!dans!la!région!de!

ChampagnebArdenne.!Le!site!a!été!réaménagé!en!2008.!

!

!

!

Les!morts!sur!le!champ!de!bataille!de!PerthesblèsbHurlus!ont!été!réunis!dans!l’ossuaire!N°2.!!

A*noter*que*dans*le*Dictionnaire*de*biographie*mauricienne*comme*dans*l’article*d’Hamish*Levack*

ont*écrit*Parthus?Les?Hurlus*pour*Perthes?Lès?Hurlus*

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! 7!

Précisions'd’Hamish'Levack'sur'les'lettres'de'son''grandWoncle'!!

«*Mon* oncle* T* K* [Tommy]*Mayer,* a* déposé,* en* 1980,* les* lettres* et* croquis* du* front* de* Frank* à*

l'Imperial* War* Museum,* Lambeth* Road,* Londres.* Récemment,* je* parcourais* les* rayons* d’une*

librairie*à*Wellington,*y*repérant*un*nouveau* livre*sur* la*Première*Guerre*mondiale,*d’un*auteur*

bien*connu,*Max*Hastings,*[…]* intitulé*Catastrophe!–!L’Europe!va!en!guerre,!1914.* J'ai*trouvé*la*

photo*de*Frank,*à*côté*de*la*page*507.*Max*Hastings*l'appelle*François*Mayer,*et*le*cite*à*plusieurs*

reprises,*cela*présenté*comme*un*point*de*vue*de*soldat*français.*Dans*les*crédits*en*fin*d’ouvrage,*

Hastings*se*réfère*à*l’Imperial*War*Museum*[IWM]*Mayer*François.*En*1980,*le*directeur*du*service*

des* documents* au*musée* de* la* guerre* écrivit* à*mon* oncle* Tommy*Mayer* (qui* était* le* neveu* de*

Frank)*que*«!les!descriptions!de![son]!oncle!des!conditions!dans!les!tranchées!et!ses!réflexions!

sur! la! guerre,! l'armée! française! et! l'ennemi! allemand! font! de! la! collection! une! riche! source!

d'information! destinée! à! être! de! valeur! pour! de! nombreux! chercheurs! dans! le! cadre! de! leurs!

recherches!».*Hastings*a*été*l'un*de*ces*chercheurs,*même*si*cela*a*été*de*manière*peu*approfondie.*

Il*fait*référence*à*une*lettre*de*Frank*à*sa*femme,*alors*qu'elles*étaient*à*la*tante*[Tante*Alice]*qui*

l'a* élevé*;* il* n'a*pas*pris* la*peine*de*mentionner*que*Frank* était* britannique,*même* si* ses* lettres*

étaient*écrites*en*français*».!(Source*:*http://www.chazfest.com)*

*

*

!

!

Le!livre!de!Max!Hastings!!

évoquant!Frank!de!Chazal!Mayer!mais!l’appelant!François!

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! 8!

LETTRES'DE'FRANK'DE'CHAZAL'MAYER'A'SA'FAMILLE'Septembre'1914'à'mai'1915'!

(Extraits*d’une*lettre*en*mauvais*état*de*conservation*avec*des*passages*manquants)*

Couvent!de!Corenc!

Grenoble!

Le!5!septembre!1914!

!

Ma!chère!Titale,!!

Je!te!contais!dans!ma!dernière!lettre!mon!départ!précipité!de!Lausanne,!mes!pérégrinations!en!

France,!les!refus!auxquels!nous!nous!exposions,!et!finalement!notre!engagement!à!Lihons.!(Mots*

illisibles).**

En! temps! de! paix,! on! accable! de! malheureux! pioupious! de! maniements! d’armes,! c’est! à! dire!

qu’on! leur! fait! exécuter! toutes! sortes! de!mouvements! ridicules! avec! leur! fusil.! Il! y! a! aussi! ce!

qu’on!appelle!l’école!de!section!qui!consiste!à!faire!marcher,!tourner!et!pivoter!avec!harmonie!et!

à!la!fois!une!cinquantaine!d’hommes.!Ces!choses!ne!servent!jamais!en!temps!de!guerre!et!aussi!

nous!en!abtbon!plus!ou!moins!épargnés.! (Mots*illisibles).!Malgré!notre! insistance,!on!ne!voulait!

pas!nous!envoyer!au!feu!et!nous!commencions!déjà!à!désespérer!quand!un!soir!que!nous!dînions!

tranquillement!dans!un!restaurant,!nous!entendîmes!soudain!sonner!la!générale.!Pour!sonner!la!

générale,!on!envoie!partout!des!soldats!qui!jouent!un!certain!air!sur!leur!trompette.!Alors,!tous!

les! militaires,! quels! qu’ils! soient,! et! quelles! que! soient! leurs! occupations,! sont! tenus! de! se!

présenter!immédiatement!à!la!caserne.!(Mots*illisibles).!

La!caserne!prit!l’aspect!d’une!ruche!quand!toutes!les!abeilles!rentrent!vers!la!tombée!de!la!nuit.!

Les!officiers!font!appel!aux!volontaires!et!tous!ceux!qui!vont!de!leur!plein!gré!sont!applaudis.!S’il!

en!manque,!on!choisit!n’importe!qui!sur!la!liste!des!noms!pour!former!l’effectif!voulu.!!

On!s’équipe!au!plus!vite,!et!sac!au!dos!et!fusil!sur!l’épaule,!on!se!rassemble!dans!la!cour.!Quand!

tout!le!monde!est!là,!on!part!pour!la!gare.!Les!habitants!nous!acclament!et!nous!jettent!des!fleurs.!

(Quelques*lignes*illisibles).!

Nous!nous!retirons!un!peu!plus!loin,!dans!un!petit!village,!St!Michel.!Nous!nous!réfugions!dans!

des! granges! pour! nous! protéger! d’une! pluie! battante.! Rien! à! manger,! que! du! singe! (des!

conserves)! et!des!biscuits!durs! comme! les!pierres.! Le!village!avait! été! complètement!pillé!par!

ceux!qui!y!étaient!passés!avant!nous.!Inutile!de!te!dire!que!tous!les!habitants!sont!partis.!L’exode!

est!général!dans!tous!ces!pays.!Deux!heures!de!halte,!puis!en!avant.!Nous!marchons!cinq!minutes!

et!puis!on!nous!fait!faire!demibtour.*(Mots*illisibles).!

Je!suis!très!amusé!de!ce!bombardement.!Quelquesbuns!d’entre!nous,!peu!fort!heureusement,!ont!

la! frousse.! C’est! curieux! de! voir! les! yeux! d’un! homme! qui! a! peur.! Ils! sont! fous! d’angoisse! et!

d’épouvante.!Et!pourtant!ces!malheureux!obus!ne!valent!pas!la!peine!qu’on!ait!peur!d’eux.!Quand!

ils!n’éclatent!pas!exactement!sur!notre!tête,!ils!sont!inoffensifs.!On!les!entend!siffler!de!loin.!On!

peut!compter!dix!secondes!depuis!le!moment!qu’on!les!entend!jusqu’au!moment!où!ils!éclatent.!!

(Ajout*sur*le*premier*feuillet)!!

30!septembre!

Je!change!d’idées.!Enverrai!la!suite!bientôt.!Mille!baisers!de!bonne!fête!à!Sibyl!

Ton!petit!Kiout!

!

Le!3!décembre!1914!

10e!Compagnie!

52e!d’Infanterie!

Bureau!Central!Militaire!

Paris!

!

Ma!chère!Titale,!!

Je! suis! tenu! au! courant! de! tes! nouvelles! par! l’excellente! tante!Marguerite! dont! je! ne! pourrais!

jamais! exprimer! l’infinie! bonté.! Elle! m’envoie! continuellement! des! vêtements! chauds! pour!

l’hiver!et!des!petites!gâteries!;!elle!me!traite!comme!son!propre!fils.!Tu!sais!qu’il!y!a!plus!de!deux!

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! 9!

mois! qu’on! ne! reçoit! pas! de! nouvelles! de! lui.! Pourtant,! les! enquêtes! qu’on! fait! en! ce!moment!

donnent!une!faible!lueur!d’espoir.!Il!serait!prisonnier!à!Torgau.!Il!s’est!conduit!héroïquement!à!

Rethel,!pendant!la!retraite!de!Belgique!et,!comme!récompense,!il!a!été!cité!à!l’ordre!du!jour.!Nous!

pouvons! être! fiers! de! notre! famille.! Raymond! Chevreau! a! été! légèrement! blessé! à! l’épaule,!

Chamarel! est! au! front,! Edmond! m’écrit! de! Cambridge! qu’il! compte! 62! Mauriciens! engagés.!

Inutile!de!te!dire!combien!je!gonfle!d’être!avec!Fernand!Antelme,! le!premier!à!m’être!enrôlé.!Il!

me! semble! que! dans! une! de! tes! lettres,! tu! me! reproches! de! ne! pas! m’être! engagé! dans! le!

régiment!à!Maurice!Tuffier.!C’est!bien!ce!que! j’avais!voulu! faire!mais! les!événements!m’en!ont!

empêché.!!

Quand!la!mobilisation!a!été!décrétée,!j’étais!en!Suisse!et,!pour!aller!jusqu’à!Paris,!il!m’aurait!fallu!

plus! d’une! semaine.! Pendant! ce! temps,! Maurice! était! déjà! parti,! et! il! m’aurait! fallu! au! moins!

quinze! jours! d’entraînement! avant! d’aller! rejoindre! son! régiment! sur! le! front!;! ce! qui! fait! que!

nous!n’aurions!guère!été!ensembles.!!Et!bien!j’ai!fait!de!partir!avec!Fernand!parce!que!sans!lui!je!

n’aurais! jamais! réussi! à!devenir! soldat! français.! Les! sujets! étrangers! sont! incorporés!dans!des!

régiments! français! seulement! s’ils! veulent! se! faire! naturaliser! et! si! on! a! besoin! d’eux.! A! ce!

moment,! on! demandait! seulement! des!mécaniciens! et! des! aviateurs.! N’étant! ni! l’un! ni! l’autre,!

nous!fûmes!catégoriquement!refusés.!Nous!revînmes!à!la!charge!et,!nous!aidant!des!relations!de!

Fernand,!nous!mobilisâmes!préfet,!consul!britannique,!état!major!et!tout!le!bataclan,!et!au!bout!

d’une!semaine!nous!prîmes!d’assaut!le!bureau!de!recrutement!qui!céda!sous!notre!poussée.!!

Sans! l’aide!de!Fernand,! je!me! serais!heurté! aux! réglements! stupides!d’une!administration!mal!

comprise!et!j’aurais!subi!le!même!sort!que!Roger,!Raymond,!Chamarel!et!Norman.!Raymond!et!

Chamarel!ont!été!obligés!de!s’engager!dans!un!régiment!étranger,!composé!presque!entièrement!

d’étrangers.!Je!t’avouerai!que!je!n’aime!guère!cette!promiscuité!de!nationalités!et!que!je!préfère!

être! engagé! dans! un! régiment! entièrement! français.! Depuis!ma! chute! dans! les! Vosges! et!mon!

départ,! je!n’ai!plus! reçu!de!nouvelles!de!Fernand!;! seraitbil! prisonnier!ou!mort!?! Je!n’ai!pas!de!

chance.!Un!frère!fou!et!un!autre!tué.!Je!t’assure!que!Fernand!n’était!plus!le!même!type!que!celui!

de!Maurice.! Il! avait! beaucoup! changé! et! pour! le!mieux.!Du! reste! son! geste! spontané! l’indique!

amplement.!On!m’écrit!que!Latune,!le!fiancé!de!Violette!Galland,!est!tombé!au!champ!d’honneur.!

Je!ne!crois!pas!que!notre!famille,!ni!nos!connaissances!aient!eu!à!pleurer!d’autres!morts.!Ralph!et!

Norman!et!tous!ceux!qui!se!sont!engagés!en!Angleterre!n’ont!pas!encore!donné.!Je!crois!que!mes!

frères!tâchent!de!se!faire!nommer!officiers!comme!Ferdinand!Régnard.!!

Tante!Edmée!vient!de!m’écrire!une!gentille!lettre!de!félicitation!au!sujet!de!ma!citation!à!l’ordre!

du!jour.!Elle!m’annonce!en!même!temps!que!Jim!avait!eu!un!congé!de!trois!jours!qu’il!avait!passé!

auprès! de! sa! femme,! et! qu’au! bout! des! trois! jours! il! a! eu! la! chance! de! tomber! malade.! Je!

m’aperçois! que! les! officiers! anglais! ont! plus! de! veine! que! leurs! collègues! français! qui! n’ont!

jamais! de! congé! et! qui,!même! blessés,! restent! à! leur! poste.! Tu! ne! te! figures! pas! combien! nos!

officiers!sont!splendides!de!courage!et!de!dévouement.!Tous!les!jours!paraît!sur!les!journaux!une!

longue!liste!des!tués!et!de!leurs!actes!de!bravoure.!La!France!perd!ainsi!la!fleur!de!ses!enfants.!Ce!

sont! les! plus! braves! et! les!meilleurs! qui! tombent.!Mais! comme! le! dit! bien!Maurice! Barrès,! la!

nouvelle!semence!produira!une!encore!plus!belle!moisson.!La!guerre,!une!horrible!chose,!mais!

elle!réveille! l’énergie!nationale!et! fortifie! le!moral!de! la!race.!Ce!peuple,!si!divisé!par! le!régime!

qui!le!désagrège!devant!le!péril!du!dehors,!fait!trêve!tout!de!suite!à!ses!dissensions!politiques!qui!

offre!aux!barbares!une!seule!poitrine!d’acier.!!

Depuis!une!quinzaine!de!jours,!il!ne!se!passe!rien!de!bien!violent!sur!toute!la!ligne!de!la!Belgique!

jusqu’à! la! Suisse.! Le! grand! coup! se! donne! en! Pologne! et! si! la! Russie! reçoit! la! piquette,! le!

dénouement!de!la!tragédie!aura!lieu!bientôt.!Je!me!suis!bien!fait!au!régime!militaire!et!ne!souffre!

plus.!J’ai!même!engraissé.!La!vie!en!tranchée!me!plaît!beaucoup.!Nous!avons!le!confort!moderne!

dans!un!logement!à!bien!bon!marché.!Nous!avons!tous!notre!feu!et!toute!la!journée!on!se!chauffe!

et!on! fait!du! chocolat!ou!du! café.!Nous!avons!bien!des! corvées,!mais!puisque! j’en! suis! exempt!

comme!caporal,!je!ne!m’en!soucie!guère.!A!200!m!des!Boches,!on!est!mieux!que!lorsqu’on!est!au!

repos!à!4!kilomètres!en!arrière.!Nous!sommes!moins!assujettis!à!une!discipline!de!caserne.! Je!

t’assure! qu’on! est! très! heureux! et! qu’on! ne! se! fait! pas! de! bile! du! tout.! On! ne! souhaite! qu’une!

chose,!c’est!chasser!du!territoire!qu’ils!souillent!les!Saligoths!et!de!revenir!sains!et!saufs.!Je!crois!

que!si! je! sors! indemne!de! la!mêlée,! j’irais! faire!un! tour!à!Maurice!et! revoir! ta! chère!binette!et!

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! 10!

notre! bon! vieux!Trait! d’Union.! Pourvu! que! tu! n’aies! pas!mis! à! exécution! ton! plan! criminel! de!

quitter!notre!vieil!habitacle!pour!une!de!ces!affreuses!bicoques!qu’on!construit!un!peu!partout.!

Je!sais!bien!que!tu!le!fais!par!dévouement!pour!notre!vieille!Tante!Lina!mais,!puisqu’elle!même!

veut!rester!à!Trait!d’Union!et!agrandir!une!pièce,!il!n’y!a!vraiment!pas!lieu!de!quitter!le!nid!de!la!

famille.! Il! est! vrai! que! je! barbouille! inutilement! du! papier!;! quand! cette! lettre! arrivera,! ta!

décision!sera!exécutée,!si!elle!ne!l’est!déjà.!Je!t’envoie!un!croquis!fait!par!un!de!mes!bons!amis!au!

régiment.!Quoi!que!pas!absolument!fidèle,!ce!portrait!te!donnera!quelque!idée!de!ma!fiole.!Asbtu!

reçu!une!photo!de!moi!en!pitou!?!Je!voudrais!t’envoyer!un!trophée!de!guerre!mais!c’est!un!peu!

encombrant!et!je!crois!que!la!poste!ne!l’acceptera.!C’est!la!baïonnette!du!premier!Boche!que!j’ai!

tué.!C’est!un!souvenir!de!la!guerre!qui!a!une!grande!valeur!pour!moi.!J’ai!aussi!son!quart!et!une!

de! ses! cartouchières.! Si! ça! ne! m’avait! pas! répugné! de! le! fouiller,! j’aurais! pu! avoir! aussi! son!

pistolet,!un!bijou!d’arme.!Rien!ne!me!dégoûte!plus!que!ces!hommes!corbeaux!qui!après!la!mêlée!

vont!dépecer! les!vaincus!encore! chauds!de! sang!et!de!vie.! Je! t’envoie! toute!ma!pensée!qui! est!

constamment!avec!toi!aux!heures!de!danger.!!

Ton!Kiout!qui!t’aime!passionnément!

Toutes!mes!meilleures!amitiés!à!Sibyl,!Edgar,!Roger!et!Tante!Lina.! !

10e!Cie!

52e!!d’Infanterie!

Secteur!Postal!114!

Le!3!décembre!1914*(Note*:*doute*sur*la*date*car*sont*évoqués*ensuite*Noël*et*le*31*décembre)*

!

Ma!chère!tante!Edmée,!

Les!cadeaux!que!tu!m’as!envoyés!m’ont!causé!un!plaisir!intense.!Je!ne!sais!rien!de!plus!agréable!

que!de!déballer!ces!petits!paquets!qui!viennent!de!làbbas!et!d’y!découvrir!si!bien!installés!tous!

ces!articles!de!luxe!qui!font!un!grand!contraste!avec!la!boue!qui!nous!entoure.!La!peau!de!chat!

est!une!merveille!d’élégance!qui! fait!envie!aux!officiers.!Quant!aux!chocolats!de!Gilberte,! je!me!

délecte.!J’envoie!promener!mes!autres!cachebnez!(j’en!ai!une!demibdouzaine)!pour!adopter!celui!

que!tu!m’envoies!parce!que!c’est!le!plus!pratique.!Il!sert!aussi!de!passebmontagne.!Et!puis,!il!est!

d’un! chic! incontestable.! Quand! je! pense! que! ces! jolies! choses! reposent! sur! ma! dégoutante!

personne,!j’ai!des!remous!de!répugnance.!Que!dirait!tante!Alice!si!elle!apprenait!que!ça!n’est!pas!

quatre!jours!qu’on!reste!sans!ôter!ses!chaussures!ni!se! laver! les!pieds,!mais!bien!un!mois!si!ce!

n’est!plus.!!

Les!premiers!deux!mois!que!nous!avons!passés! ici,! je!me!dévêtais!un!peu!outre!mesure!quand!

nous!allions!au!repos!et!je!me!rafraichissais!le!moral!avec!une!serviette!mouillée.!Cette!opération!

n’avait! lieu!que!tous! les!15! jours!et! j’étais! la! fable!du!village!à!cause!de!mon!excentricité.!Mais!

depuis!un!mois,!nous!sommes!traités!en!princes!et!nous!avons!pris!deux!douches!chaudes.!On!a!

tellement!pris!l’habitude!de!la!saleté!qu’on!se!prend!pour!un!efféminé!lorsqu’on!a!les!mains!ou!le!

visage! propre.! Aussitôt! qu’un! homme! pousse! l’hospitalité! jusqu’à! héberger! sur! sa! personne!

certaines! races! d’intrus,! il! est! tout! de! suite! envoyé! à! la! désinfection! générale! qui! se! trouve! à!

quelques! kilomètres! des! premières! lignes.! De! cette! façon,! la! Keating’s* Powder! n’est! pas!

absolument!nécessaire.!!

La!période!morne!continue!;! c’est! l’hivernage.! Je!m’attends!à! ce!qu’on! reprenne! les!opérations!

actives!en!mars!et!pour!moi!la!guerre!sera!terminée!en!juin.!Ayant!changé!de!mode!d’habitation,!

car!nous!habitons!maintenant!complètement!sous!terre!dans!des!caves!que!nous!avons!creusées,!

l’hiver! sera! moins! dur! à! passer.! Nous! occupons! en! ce! moment! un! secteur! intéressant.! Les!

Allemands! sont! à! 80!m.! On! se! parle.! Ils! crient! «!Français! Kapout! »! et! autres! balivernes! de! ce!

genre.! Le! 31! décembre! à! minuit,! ils! ont! ouvert! une! fusillade! intense! à! laquelle! nous! avons!

répondu!par! la!Marseillaise.!C’était!émouvant!d’entendre! toutes!ces!voix!de!soldats! jeter! leurs!

accents! guerriers! au!milieu! des! balles! qui! sifflent.!Quand!nous! eûmes! fini,! ils! répondirent! par!

«!Vive!l’empereur!».!Et!puis!tout!se!calma.!Nous!sommes!trop!près!d’eux!pour!que!leur!artillerie!

tire! sur! nous.! Par! contre! la! notre! leur! tire! dessus! avec! un! rare! plaisir.! Leur! seule! façon! d’y!

répondre,! c’est! de! nous! envoyer! des! bombes! avec! leur!minewerfer,! lesquelles! bombes! entre!

parenthèses!ne!nous!atteignent!jamais.!

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! 11!

Je!suis!heureux!de!savoir!que!vous!avez!fait!bonne!figure!devant!votre!plumbpudding,!moi!aussi!

j’en!ai!mangé!un!que!m’a!envoyé!Rita.!Avec!quelques!amis,!nous!avons!célébré!Noël!avec!mille!

bonnes!choses.!Je!bois!maintenant!les!aprèsbmidi!mon!thé!au!lait!condensé.!Nous!avons!comme!

tu!vois! tout! le!confort!moderne.!Ravi!de!savoir!que! Jim!se!porte!bien.!Raymond!va!bien!mieux!

paraîtbil.!!

Je!n’ai! pas! la!médaille!militaire,! je!n’ai! qu’une! citation! à! l’ordre!du! corps!d’armée.!Mais! ça!me!

suffit!amplement.!

Je!vous!envoie,!à!toutes,!mes!meilleurs!souhaits!pour!le!nouvel!an.!Tendres!baisers.!!

Frankie!

!

Le!14!décembre!1914!

Ma!chère!Tante!Marguerite!

Tu!n’aurais!pas!pu!mieux!employer!l’argent!que!t’as!remis!Lucien!pour!m’acheter!un!cadeau!de!

Noël.!Rien!ne!nous!fait!plus!de!plaisir!que!toutes!ces!petites!friandises.!Elles!font!le!bonheur!de!

mon!escouade.!Ce!soir!nous!avons!baptisé!le!thé!que!nous!avons!unanimement!trouvé!excellent.!

Les!Boches!qui!sont!en!face!ne!se!régalent!certainement!pas!comme!nous.!A!force!de!rouler,!nous!

acquérons!de!l’expérience!et!nous!passons!maître!en!l’art!de!bien!nous!aménager!un!logement!

souterrain.!Nous!habitons!en!ce!moment!une!caverne!creusée!à!3!mètres!sous!sol!et!qui!défie!

n’importe!quel!crapouillard.!

Notre!seul!ennui,!c’est!de!changer!de!tranchée.!Nous!nous!déchirons!toujours!avec!regret.!Cette!

opération! a! généralement! lieu! aux! heures! où! nous! dormons,! elle! est! très! longue! et! fatigante.!

C’est!qu’à!force!de!rester!accroupis!dans!nos!tranchées,!nous!finissons!par!nous!ankyloser.!Nous!

espérons! qu’avant!Noël! la!marche! en! avant! sera! commencée.! Les! Allemands! ont! l’air! d’être! à!

bout! de! souffle.! Ils! n’attaquent! plus! aussi! souvent! qu’au! commencement.! De! notre! côté! nous!

avançons!sensiblement.!Leur!artillerie!s’est!presque!tue.!

S’il!te!reste!14!francs!de!ce!que!t’as!remis!Lucien,!veuxbtu!me!rendre!le!grand!service!d’envoyer!

un! télégramme! à! Tante! Alice! pour! son! anniversaire! le! 25! décembre.! Je! crois! que! «! Tendres!

baisers.!Frankie!»!suffit!pour!lui!exprimer!toute!l’affection!que!j’ai!pour!elle.!

Si!tu!as!de!l’argent!à!moi!que!t’a!confié!Tante!Lucie,!tu!serais!bien!aimable!de!m’envoyer!du!thé!et!

du!lait!condensé.!Je!n’en!aurais!jamais!de!trop!de!ces!bonnes!choses!dont!je!me!suis!si!longtemps!

passé.!Dans!ma!dernière!carte!je!te!demandais!de!m’envoyer!50!francs!mais!si!tante!Lucie!ne!t’a!

rien! remis! je! vais!m’adresser! en!Angleterre! où! j’ai! encore! suffisamment! d’argent! pour! finir! la!

campagne.!

Je!m’excuse! de! t’ennuyer! de! toutes! ces! petites! commissions! et! je! ne! pourrais! jamais! assez! te!

remercier!de!toutes!tes!bontés!à!mon!égard.!

Je!vais!écrire!à!Lucien!pour!le!remercier!de!son!gentil!présent.!

J’ai!bien!reçu!plusieurs!envois!de!tante!Julie!que!j’ai!chaleureusement!remerciée!à!chaque!fois.!Je!

suis!très!bien!monté!en!chaussettes!et!lainages!en!général.!

Dis!à!mon!oncle!combien!je!suis!fier!de!l’affection!qu’il!me!témoigne.!

Mon!affectueux!souvenir.!

Je!t’embrasse!tendrement!

Frankie!

'Le!23!décembre!1914!

10e!Cie,!52e!Régiment!d’infanterie!

Secteur!Postal!114!

!

Ma!très!chère!Titale!

Je!suis!resté!longtemps!sans!t’écrire!mais!je!t’écris!quand!même!en!faisant!mon!journal!que!je!te!

destine.! Il! n’est! pas! volumineux! parce! que! je! ne! prends! pas! de! notes! tous! les! jours.! J’inscris!

seulement!les!faits!saillants,!parce!que!j’ai!remarqué!que!les!mémoires!où!les!moindres!détails!

étaient!énumérés!n’avaient!d’attrait!que!s’ils!étaient!écrits!dans!un!très!joli!style,!chose!que!je!ne!

possède! pas.! Quant! à! tes! lettres,! elles! ne! m’arrivent! plus! depuis! deux! mois.! Les! timbres! de!

Maurice! sont! si! rares! ici! qu’on!me! les! vole! en! route.! J’ai! reçu! des! lettres! auxquelles! on! avait!

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! 12!

enlevé! les! timbres.! La! poste! fonctionne! un! peu!mieux!maintenant! et! j’espère! que! je! recevrai!

bientôt!un!mot!de!ma!vieille!Titale.!Il!y!a!si!longtemps!que!suis!séparé!de!toute!famille.!La!guerre!

ne!semble!pas!vouloir!finir.!Ça!me!serait!égal!qu’elle!dure!quelque!temps!pourvu!que!j’arrive!au!

bout!sain!et!sauf.!!

Les!Allemands!sont!terrés!dans!leurs!tranchées!qui!sont!hérissées!de!fils!de!fer!barbelés!avec!des!

mitrailleuses!un!peu!partout.!Pour!les!déloger,!il!faut!une!longue!préparation.!On!commence!par!

s’approcher!à!une! centaine!de!mètres!d’eux!et! creuser!une! tranchée!parallèle! à! la! leur!et! tout!

aussi!bien!défendue.!Puis!un!beau! jour!on! les!canonne!pendant!toute!une! journée!et!quand!on!

juge!qu’ils!sont!suffisamment!démoralisés!et!massacrés,!on!s’élance!à!la!baïonnette!et!on!prend!

la!tranchée.!Une!autre!façon!d’opérer!est!d’aller!les!surprendre!la!nuit!à!pas!de!loups.!Des!deux!

façons!on!ne!gagne!qu’environ!500!mètres!de!terrain,!parce!qu’en!arrière!des!premières!lignes,!il!

y!a!des!secondes! lignes!dans! lesquelles! ils!se!réfugient.!La!seule! façon!de! les!chasser!du!sol!de!

France!qu’ils!profanent,!c’est!de!les!virer!avec!le!temps.!La!guerre!se!fait!avec!de!l’argent!et!de!la!

force! morale.! Les! deux! commencent! à! manquer! aux! Allemands! et! d’ici! trois! mois! viendra! le!

moment!où!se!déclenchera!leur!mouvement!de!retraite.!La!France!a!une!absolue!confiance!dans!

la! victoire.! La! vie! normale! a! repris! depuis! longtemps.!Même!à!deux! kilomètres! en! arrière!des!

lignes,! la! population! civile! est! revenue! et! vaque! à! ses! occupations! ordinaires! malgré! un!

bombardement!intermittent!qui!diminue!d’intensité!de!plus!en!plus.!

Dans!notre!secteur!tout!est!bien!tranquille.!Depuis!l’affaire!du!31!octobre!et!du!1er!novembre!à!

Lihons!où!j’ai!eu!l’honneur!d’être!cité!à!l’ordre!du!jour,!comme!je!te!l’ai!déjà!écrit,!nous!n’avons!

eu! aucun! engagement! avec! l’ennemi.! L’artillerie! tape! dure!mais,! nous! autres! fantassins,! nous!

nous!bornons!à!tirer!dans!les!créneaux!de!l’ennemi.!Depuis!trois!mois!que!nous!sommes!ici,!nous!

avons!acquis!une!grande!habitude!des!tranchées!et!nous!les!aménageons!avec!un!art!«!modern!

style!».!A!quatre!mètres!sous!terre,!nous!avons!installé!notre!paille.!A!l’entrée!de!la!cahute,!nous!

creusons!un!foyer!et!une!cheminée!et!nous!faisons!du!feu!à!la!barbe!des!Allemands.!Comme!tu!

vois! nous! ne! sommes! pas! à! plaindre! pour! le!moment.! Nous! souffrirons! un! peu! plus! quand! il!

faudra!marcher!en!avant.!

Je! t’envoie!pour!Noël!et!pour! ton!anniversaire!mes!meilleurs!souhaits!de!bonheur.! Je!penserai!

bien!à! toi! le!25!décembre!ainsi!qu’à!Trait!d’Union!et! tous!ses!habitants.!Nous!allons!passer!ce!

beau!jour!dans!un!mauvais!cantonnement!mais!c’est!tout!de!même!mieux!que!les!tranchées.!

Mille!baisers!affectueux!de!ton!Kiout!qui!t’aime!

Merry!Christmas!à!vous!tous,!à!Sibyl,!Edgar,!Tante!Lina!et!Roger.!

!

Le!16!janvier!1915!

10e!Cie,!52e!d’Infanterie!

Secteur!Postal!114!

!

Ma!chère!Titale,!

Ta!bien!affectueuse! lettre!est!venue!réjouir!ma!solitude! tranchéenne.! Je! suis!heureux!que!mes!

lettres!vous!intéressent!tant.!Au!moment!où!je!les!écrivais!je!menais!une!vie!plus!mouvementée!

et! j’avais!encore! toute!mon!énergie!cérébrale!pour!enregistrer! tout!ce!que! je!voyais!autour!de!

moi.! Avec! la! vie! animale! que! nous! menons! encore! à! l’heure! actuelle,! mon! appareil! nerveux!

esthétisé!par!un!séjour!prolongé!dans!de!grandes!villes,!s’atrophie!peu!à!peu!devant!ce!retour!de!

ma!bête!à!la!vie!primitive.!!

Ce!qui!explique!que!j’ai!presque!complètement!interrompu!mon!journal.!Mon!cerveau!n’est!plus!

qu’une! masse! gélatineuse! qui! est! obsédée! par! l’idée! de! mangeaille.! Ma! première! idée! en! me!

levant,!c’est!le!jus!(café).!Peu!après,!je!ferai!au!besoin!quelques!kilomètres!pour!aller!chercher!un!

bidon! d’eau! pour! me! concocter! du! chocolat,! boisson! immonde! sans! sucre! ni! lait,! et! qui! ne!

convient! qu’à! des!palais! de! canaques.!Après! avoir! bu! ce! liquide! âcre! et! noirâtre,! je! vaque! aux!

occupations! de! mon! grade! —! corvées,! etc.! La! soupe! de! 10! h! 30! vient! vite! interrompre! ce!

semblant!d’activité.!Ceci!me!rappelle!une!anecdote.!

Un!jour!que!nous!étions!au!repos,!s’amène!notre!général!(Rouvier)!pour!nous!passer!en!revue.!

C’était! l’heure!de! la!soupe.!Un!seau,!crachoir! troué!dans!quelques!coins,!attirait! l’attention!par!

son!isolement!au!milieu!de!la!salle.!Le!général!s’approcha!et!croyant!se!trouver!en!présence!d’un!

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! 13!

seau! contenant! de! l’eau! pour! laver! le! parquet,! touche! du! pied! le! méchant! récipient! qu’ose!

contempler!ses!étoiles!(les!généraux!portent!des!étoiles!à!la!manche)!sans!se!mettre!au!garde!à!

vous.!«!Qu’estbce!que!c’est!que!ça!?!»,!grommèlebtbil!pour!intensifier!son!mépris!déjà!exprimé!par!

le!geste!de!son!membre!gauche!d’arrière.!Quand!il!apprit!que!c’était!notre!soupe,!il!battit!vite!en!

retraite.! Eh! bien!!! Ma! chère! Titale,! cette! soupe! fait! notre! bonheur! et! quand! nous! en! sommes!

privés,!nous!devenons!de!mauvais!soldats.!Tout!de!suite!après!l’ingurgitation!de!cette!soupe,!je!

m’attaque!de!nouveau!à!mon!eau!chocolatée.!Mais!voici!deux!heures.!Pendant!que!nous! lisons!

avec!avidité!le!mince!et!chétif!communiqué!officiel,!un!de!nous!se!dévoue!pour!faire!le!thé.!Tante!

Marguerite,! entre! parenthèses,! m’approvisionne! complètement! de! sucre,! de! thé! et! de! lait!

condensé.!Cette! femme!admirable!oublie!son!chagrin!et!ne!pense!qu’à!soulager! les!souffrances!

d’autrui.! L’aprèsbmidi,! on! varie! les! plaisirs,! soit! on! épistolographie,! on! sommographie! ou! on!

échiquomanie! (mot!barbare!employé!pour!épargner!à! l’auteur! la!peine!d’énoncer!ses! idées!en!

plusieurs! mots.! Quoique! que! par! sa! longueur,! son! apparence! hirsute! et! combative,! il! évoque!

toutes! les! horreurs! des! hordes! germaines,! et! fasse! couvrir! sur! l’échine! des! tremblements!

sismographiques,! ce!mot! est! dénué! de! toute! intention!malsaine.! Il! indique! en! peu! d’espace! la!

manie!de!jouer!aux!échecs).!

En!effet!avec!mon!sculpteur!de!Lyon,!qui!m’a!invité!à!déjeuner!chez!lui!lors!de!notre!passage!par!

cette!ville,!nous!avons!confectionné!un!échiquier!en!carton.!Les!pièces!sont!de!la!même!matière,!

et! les! fous! sont! représentés! par! des! casques! prussiens,! symbole! de! folie! puisque! l’état!major!

teuton!perd!la!tête!entre!l’Orient!et!l’Occident.!La!soupe!du!soir!met!un!terme!à!nos!distractions!

et!voilà! la! journée!terminée.! Je!pose!mes!sentinelles!et!me!carapate!dans!mon!plumard!où!vite!

j’en! écrase! brutal*.! C’est! à! peine! si! de! toute! la! journée,! j’ai! jeté! un! furtif! regard! à! travers! les!

créneaux.!Ainsi! tu!vois!que! les!Boches!nous!préoccupent!peu.!La!nuit!par!contre!nous!sommes!

plus!prudents.!Il!arrive!assez!souvent!que!des!tranchées!soient!prises!par!surprise.!Il!y!a!quelque!

temps,!nos!troupes!ont!enlevé!non!loin!d’ici!des!tranchées!ennemies.!Quand!elles!sont!arrivées,!

presque! tous! les! occupants! ronflaient! à! poings! fermés.! La! nuit,! on! lance! des! deux! côtés! des!

fusées! pour! éclairer! le! front! et! dépister! l’ennemi! s’il! avance.! Bien! des! fois,! quand! la! fusillade!

crépite,!que! les! fusées!multicolores!enflamment! le!ciel!et!que! le!canon!tonne,!on!se!croirait!en!

présence! d’un! feu! d’artifice! réussi.! Depuis! assez! longtemps,! nous! sommes! privés! de! ces!

distractions!cinématographiques.!Et!puis!nous!sommes!toujours!dans!le!même!secteur.!Rien!de!

nouveau!à!voir!et,!partant,!plus!de!nouvelles!impressions.!La!seule!chose!qui!me!fasse!sortir!un!

peu!de!ma!torpeur!intellectuelle,!c’est!le!soleil.!Quand!je!le!vois,!éclairant!de!son!vermeil!la!plaine!

en!désolation,! toute! crevassée!de! trous! cancéreux!et! jetant! sur! les!petits!villages!délabrés! son!

lavis!de!pureté,!mon!cœur!se!réjouit,!mon!âme!revit!et!je!languis!après!la!paix,!cette!bonne!paix!

que!nous! rapportera! la! victoire!qui! aura!anéanti! les!Teutons!et! les! aura! fait! rentrer!dans! leur!

trou!de!sauvages,! chez!eux! làbbas! loin!de!nous!dans! la!noire!Germanie.! Je!voudrais!être! le!coq!

gaulois!et!chanter!mon!hymne!au!soleil!comme!fait!Chantecler!sur!son!mur!de!bassebcour.!!

Mais!ce!clair!réveil,!nous!ne!l’entendons!même!plus.!Quelle!allégresse!vous!étreint!quant!à!l’aube!

les!chanteclers!se!répondent!de!loin!en!loin.!Ils!ne!sont!plus!les!pauvres.!Ils!ont!tous!été!sacrifiés!

aux!appétits!gloutons!du!troupier.!!

Je!me!souviens!de!ces!matins!où,!tout!petit,!à!pas!de!loup,!je!traversais!le!corridor!au!coin!duquel!

veillait!une!petite!flamme!et!je!me!glissais!avec!précaution!sous!tes!draps.!J’aimais!entendre!les!

cocoricos!faire!écho!autour!du!poulailler!de!Trait!d’Union.!S’il!ne!m’est!pas!donné!d’entendre!de!

nouveau!ces!notes!claires,! il!me!sera!au!moins!permis!d’entendre!chanter!un!autre!coq,! le!vrai!

coq! gaulois.! J’attends! avec! impatience! le! moment! où! le! clairon! va! sonner! la! charge! et! où!

baïonnette!au!canon!nous!allons!déterrer!ces!vilains!Teutons!et!les!chasser!aubdelà!du!Rhin.!!

Je! dois! écrire! à!Georgie! pour! le! féliciter! de! sa! nomination.! C’est! vraiment! très! beau.! Sibyl!m’a!

écrit!une!bien!gentille! lettre!à! laquelle! je!dois! incessamment!répondre.!Embrasse!bien!toute! la!

famille!pour!moi,!Tante!Lina,!Sibyl,!Edgar!et!Roger.!!

Mille!baisers!affectueux!de!ton!Kiout!

!

*!En!relisant,!je!m’aperçois!que!j’ai!dérapé!vers!l’argot!militaire,!ce!qui!m’arrive!assez!souvent.!Se!

carapater!:!s’en!aller.!Plumard!:!lit!ou!mieux!paille.!Ecraser!brutal!:!ronfler.!

!

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! 14!

Rosières,!

Le!15!février!1915!

!

Ma!chère!Titale!

Nous!sommes!au!repos!à!3!kilomètres!des!premières!lignes!dans!la!petite!ville!de!Rosières.!Si!la!

censure!ouvrait!ma!lettre,!elle! l’intercepterait!sans!vergogne!à!cause!de! l’adresse.!Depuis! le!1er!

octobre,!nous!sommes!toujours!dans!les!mêmes!parages.!Nous!occupons!un!point!mort.!Depuis!

le!15!octobre!environ,!l’infanterie!n’a!pas!essayé!d’avancer.!Si!tu!consultes!la!carte!tu!verras!que!

nous! sommes! à! un! des! endroits! les! plus! avancés! de! l’occupation! allemande.! Quand! le!

déclenchement!final!aura!lieu,!les!Allemands!fuiront!à!raison!de!40!à!45!km!par!jour.!

Rosières!dans!la!Somme!est!une!ville!très!prospère.!Tout!autour!il!y!a!de!nombreuses!sucreries.!!

Cette!partie!de! la! Somme!s’appelle! le! Santerre.!C’est!une! région!betteravière! très!plate! et! très!

riche.! Le! sol! est! argileux! et! nous! avons! pu! l’apprécier! lorsqu’il! est! détrempé! par! 15! jours! de!

pluie.!On!s’y!enfonce!et!on!s’y!enlise!comme!dans!une!colle!visqueuse!et!gluante.!!

Le! nom! de! Santerre! doit! t’être! familier.! N’asbtu! pas! entendu! parler! de! Quesnoy! en! Santerre!

glorieusement!repris!à!l’ennemi!par!le!colonel!du!Paty!de!Clam!?!C’est!un!pays!d’éternelles!luttes!

entre!germains!et! latins!ou!celtes.! Je!ne!sais!plus!en!quelle!année,!après!une!mêlée!effroyable,!

l’aspect!que!prit!le!sol!lui!valut!l’appellation!de!SansbTerre.!La!nature!du!pays,!totalement!dénué!

de! pierres,! cause! à! toutes! les! maisons! d’être! en! torchis! ou! en! brique.! Rosières! est! presque!

entièrement!bâtie!en!brique!comme!les!villes!et!villages!des!régions!londoniennes.!

Le!cantonnement!que!nous!habitons!est!une!grande!ferme!épargnée!par!les!obus!qui!sifflent!tous!

au!dessus!de!notre!tête!et!vont!tomber!plus!loin.!Nous!ne!désespérons!cependant!pas!de!recevoir!

la!visite!d’un!de!ses!sifflants!personnages.!

Je!crois!t’avoir!déjà!décrit!un!cantonnement.!Toutes!les!pièces!de!l’immeuble!sont!transformées!

en! literie.! Dans! une! chambre! comme! celle! de! Clifford,! il! loge! environ! 16! hommes.! Toute! la!

journée,! nous! sommes! vautrés! sur! la! paille! où! pleuvent! les! crachats! en! veuxbtu! en! voilà.! Cet!

étroit!espace!est!aussi! le!vomitorium!des!victimes!un!peu!trop!nombreuses!de!la!soulographie.!

Chaque!fois!qu’on!remue!la!paille!une!âcre!puanteur!vous!serre!la!gorge.!!

Dans! la! cour! tout! au!milieu,! la!mode!du!pays! veut! qu’on! y! entasse!un! volumineux! fumier! aux!

effluves! acides! et! nauséabonds.! La! cour! ellebmême! est! un! vaste! WC.! Le! MannequinbPise! de!

Bruxelles!y!est!là!à!la!mode.!Que!veuxbtu!?!Nous!sommes!en!guerre.!Dans!les!taudis!enfumés!de!la!

ville,!la!soldatesque!assoiffée!se!presse!autour!d’une!table!ruisselante!de!vinasse.!Dans!les!yeux!

de!cette!tourbe,!impudemment!ardents!sur!la!malheureuse!servante,!on!y!voit!luire!la!tentation!

de! St! Antoine.! Si! la! guerre! réveille! les! beaux! sentiments! de! l’homme,! elle! ravale! aussi! ses!

affreuses! nécessités,! les! instincts! des! médiocres! au! niveau! de! la! plus! basse! bestialité.! Je!

n’abaisserai!pas!mon!crayon!à!t’énumérer!certains!actes!immondes!commis!par!quelques!brutes!

épaisses!dont! le! système!nerveux!a!été!ébranlé! soit!par! la!peur,! soit!par! les!privations!que!ne!

peut!supporter!leur!imparfaite!constitution.!

Mais! ces! àbcôtés! dégoûtants! font! mieux! ressortir! la! beauté! des! sentiments! de! la! masse.! J’ai!

assisté! hier! à! une! messe! militaire! qui! m’a! profondément! ému.! Dans! une! salle! délabrée! qui!

remplace!l’église!battue!par!les!obus,!sur!une!estrade!s’érige!un!pauvre!autel.!L’officiant!est!un!

prêtre! capitaine,! belle! figure! de! croyant! patriote.! La! croix! de! son! étole! ressemble! à! celle! des!

croisés.! Sous! ses! vêtements! sacerdotaux! transparaît! son! habit! de! soldat.! La! congrégation! est!

presque! uniquement! composée! de! soldats,! quelques! rares! civils! font! tache.! Par! miracle,! on!

n’entend! siffler! qu’un! lugubre! vent.!Après!quelques!hymnes,! une!belle! voix! aux! accents!mâles!

entonne! le! NotrebPère.! C’est! un! moment! émouvant.! Des! frissons! courent! dans! le! dos! et! des!

larmes!sont!prêtes!à!jaillir!des!yeux.!Combien!de!ces!têtes!de!territoriaux!ou!de!jeunes!gens!de!

vingt!ans!vont! revoir! la!paix!?!On!n’ose!y!penser,!mais! tous!devant!Dieu!ont!donné! leur!vie!et!

sont! prêts! à! mourir! sans! murmurer.! On! sent! bien! l’unité! de! pensée,! le! rêve! qui! passionne!

tous!:!chasser!la!malsaine!Germanie!du!sol!qu’elle!souille.!

Le!cérémonial!est!très!simple.!C’est!une!messe!basse.!Les!croyants!font!le!signe!de!croix!et!s’en!

vont!en!paix.!J’ai!aussi!assisté!avantbhier!à!une!parade!de!dégradation.!Depuis!le!commencement!

jusqu’à!la!fin,!j’étais!dans!mes!petits!souliers,!ne!sachant!pas!faire!avec!vitesse!et!précision!tous!

les! maniements! d’armes! qu’exige! une! parade.! Mes! hommes,! qui! ont! tous! eu! une! instruction!

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! 15!

militaire!approfondie,!ne!pouvaient!s’empêcher!de!se!gondoler!à!mon!détriment.!En!effet,!je!suis!

peutbêtre!unique!dans!l’armée!française,!étant!caporal!après!quinze!jours!de!caserne!et!un!mois!

sur!le!front.!Mais!sois!assurée!que!pour!faire!la!guerre,!je!suis!tout!aussi!bon!qu’un!autre.!J’oublie!

de! te! dire! en! quoi! consistait! la! dégradation.! Deux! condamnés! entourés! de! baïonnettes! furent!

amenés!au!milieu!du!carré!que!formaient!les!troupes.!Après!lecture!de!leur!condamnation,!on!les!

fit!défiler!devant!nous.!L’un!avait!cinq!ans!de!travaux!publics!pour!deux!actions,!l’autre!deux!ans!

pour!refus!d’obéissance.!Au!milieu!de!la!cérémonie,!quelques!obus!sifflèrent.!Ce!fut!comique!de!

voir!la!consternation!et!l’ahurissement!des!assistants.!!

Mes!meilleurs!baisers!à!Sibyl!et!à!ton!petit!Roger!

Souvenirs!affectueux!à!Edgar!

Merci!beaucoup!des!lainages!que!tu!m’annonces.!Comme!je!suis!amplement!muni!de!vêtements!

chauds,!je!conserverai!ton!cadeau!et!m’en!servirai!après!la!guerre.!!

Toute!mon!affection!à!Tante!Lina!

Je!t’embrasse!tendrement!

!

Ton!Kiout!qui!t’aime!

!

10e!Compagnie!!

52e!d’Infanterie!

Secteur!postal!114!

Le!13!mars!1915!

!

Ma!chère!Titale,!!

Je! viens! de! recevoir! tout! ce! que! tu! m’envois! de! chaud! de! Maurice,! ce! qui! m’a! permis! de!

renouveler! ma! gardebrobe.! Madame! Guillemin! et! bien! gentille! de! tricoter! pour! les! petits!

pioupious! et! tu! lui! diras! tous!mes! remerciements.! Je! suis! très! heureux! de! pouvoir! porter! des!

effets! provenant! de! ton! travail! assidu! et! regrette! seulement! de! ne! pouvoir! les! employer! tous,!

parce! qu’en! ce! cas! j’aurais! trop! de! poids! à! porter.! Aussi! j’ai! distribué! à!mes! copains! ce! dont!

j’avais!le!moins!besoin!et!j’ai!fait!des!heureux.!!

Tante!Marguerite! est! toujours!d’une! grande!bonté!pour!moi,! elle!m’envoie! ce!que! je! veux,!me!

prête!de!l’argent!et!fait!mes!achats.!!

Louis!Deglos,!Ada!Rogers,!Marcel!!de!Chazal,!etc.!me!comblent!de!cadeaux!de!toutes!espèces.!Je!

vais!devenir!fat!si!ça!continue.!Je!voudrais!que!tu!rétablisses!un!peu!la!vérité!sur!mon!compte.!De!

tous!côtés!me!viennent!des! félicitations!exagérées!au!sujet!de!mes!pauvres!exploits.!Quand!on!

saura! la! vérité,! on! sera! bien! désabusé.! Je! t’ai! déjà! relaté! en! quoi! consistait! mes! tant! vantés!

exploits,! et! je! te! saurais! gré! de! remettre! les! choses! au! point.! Richard! Rouillard! est! sous!

l’impression!que!j’ai!la!médaille!militaire!et!que!je!suis!décoré!de!la!légion!d’honneur.!C’est!faux.!!

Voici!un!bref!résumé!de!ce!qui!s’est!passé!le!31!octobre!1914.!Après!un!bombardement!intensif!

de! tout! notre! secteur,! les! Allemands! s’avancèrent! en! grand! nombre! sur! nos! tranchées! de!

première!ligne.!Vers!deux!heures!de!l’aprèsbmidi,!ma!section,!qui!était!en!réserve!en!deuxième!

ligne,!se!porte!au!secours!des!assaillis.!Nous!arrivons!et!constatons!avec!douleur!et!émotion!le!

carnage!affreux!des!marmites!boches!sur!les!nôtres.!La!tranchée!vient!d’être!abandonnée!par!les!

rares!survivants.!A!20!mètres!d’un!point!où! la! tranchée! tourne!à!angle!droit,!nous!apercevons!

des!casques!à!pointes!et!des!fusils!braqués!sur!nous.!Emoi!général.!C’est!la!première!fois!que!la!

compagnie!voie!des!Boches!de!si!près.!On!se!cache!comme!on!peut.!Un!ou!deux!d’entre!nous!tire.!

Je! passe! devant! ceux! qui! me! gênent.! J’épaule! et! vise! une! tête.! Elle! me! voit! et! plonge.! Je! vise!

toujours!à!la!même!place.!La!tête!reparaît.!Mon!cou!part!et!la!tête!plonge!de!nouveau,!mais!cette!

fois! involontairement.! L’ordre! d’avancer! nous! vient! de! derrière.! Baïonnette! au! canon,! je! pars!

devant! en! entraînant! ceux! qui! sont! derrière! et! qui! ne! sont! pas! complètement! remis! de! leur!

première! frayeur,! d’autant! plus! qu’en! un! clin! d’œil! les! Boches! qui! étaient! bien! placés! ont! fait!

plusieurs!victimes!parmi!nous.!Nous!avançons!les!uns!derrière!les!autres!dans!le!boyau!battu!par!

un! violent! feu! de! mitrailleuse,! et! tuons! plusieurs! ennemis! qui! s’enfuient.! A! 50! mètres! de! la!

mitrailleuse,! nous! nous! arrêtons.! Impossible! d’aller! plus! loin.! Mais! nous! tenons! là! jusqu’à!

l’arrivée!des!renforts.!!

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! 16!

Ma!citation!à!l’ordre!du!corps!d’armée!porte!ce!qui!suit!:!«!F.!C.!M.!cité!à!l’ordre!général!No!27!du!

14e!Corps!(engagés!volontaires!anglais)!pour! la!durée!de! la!guerre,!s’est! fait!remarquer!par!sa!

bravoure!et!son!courage!à!l’attaque!d’une!tranchée!allemande!et!a!abattu!4!ennemis!».!Voilà!tout!

simplement.!

Je!t’aime!et!t’embrasse!bien!fort,!aussi!les!petits!Piat!

Ton!Kiout!

!

52e!d’Infanterie!

10e!Compagnie!

Secteur!postal!114!

Le!3!avril!1915!

!

Ma!chère!Titale,!

Je!suis!foudroyé!par!une!nouvelle!qui!me!coupe!bras!et!jambes.!Lis!plutôt!ce!que!m’écrit!Madame!

Noblemaire!:!«!…Vous!savez!que!Fernand!s’est!évadé!b!a!fait!125!kilomètres,!puis!fut!repris!b!Il!a!

passé!en!conseil!de!guerre!et!a!été!condamné!à!onze!mois!de!prison!b!Heureusement!que!la!reine!

du!Danemark!intercède!pour!lui!b!et!j’espère!que!sa!peine!sera!réduite!».!Ce!Fernand,!audacieux!

jusqu’à! la!moelle! des! os.! S’évader! d’un! camp!de! concentration! en! Prusse!!! En! Prusse,! pays! où!

sévit!la!haine!des!Français.!Où,!au!moindre!soupçon,!on!est!pris!pour!espion!et!fusillé.!Cette!folie!

(c’en!est!assurément)!est! inqualifiable.! Je!suis!même!étonné!que! le!conseil!de!guerre!ne! lui!ait!

pas! infligé! une! plus! sévère! punition.! Heureusement! que! les! hautes! relations! de! Monsieur!

Noblemaire!pourront!faire!jouer!un!peu!les!ficelles.!Si!sa!mère!n’est!pas!renseignée,!tu!pourras!

lui!raconter!les!extravagances!et!les!tribulations!de!son!fils.!

Ces!derniers!temps,!il!m’est!arrivé!une!collection!de!lettres!de!toi,!et!je!crois!qu’il!n’y!a!eu!que!du!

retard! et! qu’elles! n’ont! pas! été! égarées.! Tes! conserves! ont! dû! arriver! en! Angleterre! et! être!

englouties!par!mes!goinfres!de!frères,!parce!ce!que!je!n’ai!encore!rien!reçu.!Par!contre,!je!me!suis!

fait!envoyer!par!ma! landlady!de!Londres!un!pot!de!mazavaroo!que! j’avais! laissé!derrière.! Je! le!

déguste!quotidiennement!avec!un!rare!bonheur.! Je!pleure!des! larmes!de!crocodile!;!mais!ça!ne!

fait!rien,!je!continue!quand!même!;!je!veux!faire!voir!aux!poilus!de!la!tranchée!que!les!Mauriciens!

ont!des!palais!et!de!rudes!!!

Je! t’ai! envoyé!dernièrement!une!mauvaise!photo!de!moi!et!quelques!croquis.!Les!asbtu! reçus!?!

Envoiebmoi!quelques!timbres!de!Maurice.!Ça!fera!le!bonheur!de!plus!d’un!collectionneur.!J’ai!fait!

la!connaissance!de!très!gentils!garçons!au!régiment!et!je!voudrais!leur!être!agréable.!J’apprends!

que!tante!Lina!part!pour!Curepipe.!Votre!plan!d’habiter!seules!une!petite!maison!est!donc!tombé!

à!l’eau!?!Que!vasbtu!devenir!sans!ton!petit!Roger!si!Sibyl!et!Edgar!vont!faire!un!voyage!en!Afrique!

Australe!?!Je!suis!avec!intérêt!les!améliorations!qu’apporte!Sibyl!à!Trait!d’Union.!J’aime!tant!cette!

vielle!masure,! chaque!bardeau!de! son! toit,! chaque!planche!vermoulue!duvetée!de!mousse!!!Ce!

que!j’aime!surtout,!c’est!le!jardin,!la!cour,!certains!reflets!de!soleil!à!travers!les!arbres!et!ce!vent!à!

feuilles!d’or!caressant!les!taillis!et!les!futaies,!ruisselant!de!lumière,!embaumé!d’ylang!ylang!ou!

de!fleurs!de!bibassiers,!chargé!de!pépiements,!de!zézaiements,!de!roucoulements,!des!sons!aigus!

ou! stridents! des! boulbouls! et! des! cardinaux,! ce! vent! enfin! de! fraîcheur,! d’enivrement! me!

frappant!le!visage!avec!toutes!les!beautés!de!mon!réduit!natal!!!Je!m’hypnotise!devant!ces!jolies!

capucines!aux!tons!chauds!variés!qui!grimpent!avidement!sur!les!grillages!b!plus!haut,!toujours!

plus!haut!vers!l’azur!où!siffle!l’abeille.!

Dis! à! Sibyl! de! ne! pas!molester!mes! grands! arbres,!mes! chers! compagnons.! Je! ne! veux! pas! les!

nommer,!ils!me!connaissent!tous.!Je!peux!les!dessiner!comme!si!je!les!voyais.!Chaque!branche!de!

leur! vieux! tronc.! Leur! couper!une!branche,,! c’est!m’amputer!un!membre.! Je! constate! avec! joie!

l’esprit! de! tradition! et! de! continuation!qui! anime! Sibyl.! Espérons! que! la! bibliothèque!de!papa!

bénéficie!de!ses!soins!jaloux.!

Revenons! à! nos! moutons.! Tu! me! demandes! des! détails! intimes.! Au! risque! de! t’offusquer,! je!

t’apprendrai!que!je!change!de!chaussettes!tous!les!dixbhuit!jours!après!le!bain!que!nous!prenons!

en!revenant!des!tranchées.!A!certains!endroits!du!secteur!où!l’eau!est!rare,!je!ne!me!lave!jamais!

les!mains!ni!la!figure.!Inutile!de!parler!du!reste!qu’on!ne!lave!qu’au!bain!pris!au!repos.!J’ignore!

complètement!l’usage!de!la!brosse!à!dent!;!je!ne!saurai!m’en!servir!si!j’en!tenais!une.!Une!couche!

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! 17!

épaisse!de!crasse!me!protège!des!rigueurs!du! froid!et!des! intempéries.!Comme! les!Ecossais,! je!

m’arrête!à!chaque!poteau!et!je!répète!leur!incantation!au!duc!d’Argyll.!Une!barbe!hirsute,!rousse!

et!malodorante!de!soupe!et!de!mangeaille,!encadre!ma!figure!rubiconde,!et!agrémente!ma!tête!

couverte! d’un! tissu! hargneux! et! à! rebrousse! poils,! où! une!main! criminelle! a! déjà! fait! poser! le!

stigmate!de!la!calvitie.!Abaisse!des!regards!de!douloureuse!pitié!sur!ma!chétive!personne.!Tu!ne!

reconnaitrais!plus!en!mon!extérieur!ton!petit!Kiout!d’autrefois!;!mais!enlève!cette!carapace,!cette!

écaille! de! huit! mois! de! guerre,! et! tu! verras! un! cœur! qui! t’aime! toujours! et! aussi! ardemment!

qu’aux!aurores!lointaines!où!je!m’accrochais!à!ta!jupe!pour!que!tu!m’emportes!au!ciel!avec!toi.!!

Voici!une!scène!vécue!qui!peut!offrir!quelque!intérêt!:!il!est!7!h!du!soir.!Crépuscule.!Des!officiers!

passent! dans! le! boyau.! On! va! tenter! un! coup! sur! la! tranchée! ennemie! située! à! 150!mètres! et!

puissamment!défendue!par!un!vaste!champ!de!fils!de!fer!barbelés.!Le!moment!est!épique.!Une!

angoisse! étreint! les! cœurs.! Les! plus! calmes! et! les! plus! courageux! voient! avec! effroi! planer! la!

mort! sur! leur! tête.!Mais! il! faut!marcher.!C’est!pour! la!patrie.!Quelques!explications!aux!gradés!

subalternes! sur! la! façon! d’opérer! et! nous! voilà! partis! ayant! pour! mission! de! faire! des!

prisonniers.!D’un!pas! ferme,!nous!montons! l’escalier!menant! à! la! tranchée!à! la! surface!du! sol,!

traversons! notre! réseau! de! fils! de! fer! et! nous! nous! étendons! en! tirailleurs.! En! silence! nous!

marchons!sur!l’ennemi.!A!moitié!distance,!nous!nous!couchons,!et!commençons!à!ramper,!pour!

ne!pas!être!aperçus.!Quelques!hommes!sont!désignés!pour!partir!en!avant!et!couper!les!fils!de!

fer!des!Boches.!Dans!le!silence!de!la!nuit,!tac!tac,!c’est!la!cisaille!qui!opère!mais!qui!donne!aussi!

l’éveil!aux!sentinelles!ennemies.!Des!coups!de!feu!partent,!blessent!un!des!assaillants!qui!pousse!

un! cri! de! douleur! et! voilà! la!mèche! vendue.! En! un! clin! d’œil! les! Boches! sont! aux! créneaux! et!

ouvrent! sur! nous! un! feu! intense.! Il! faut! battre! en! retraite! tant! bien! que! mal.! L’émotion! est!

indicible.!On!vit!des!instants!horribles.!Le!plan!est!raté,!mais!ceux!qui!rentrent!sont!soulagés.!Ils!

ont! rempli! leur!devoir,! se! sont! exposés! à! la!mort!;! et! les! voilà! grandis.! Fautbil! dire!des! choses!

horribles!?!Ce!qu’on!voit!par!ces! temps!de!guerre!entre! les! tranchées.!Un!bras!qui!s’agite!pour!

appeler!au!secours,!une!balle!lui!traverse!la!main.!Combien!de!temps!remuerabtbelle!cette!main!

trouée!et!ensanglantée.!Un!jour,!peutbêtre!deux,!et!le!baiser!de!la!terre!de!France!aura!soulagé!ce!

fils!en!détresse.!!

Cibjoint! une! lettre! de! mon! oncle! Charles,! que! tu! liras! avec! plaisir! et! tristesse.! Mille! tendres!

baisers!de!ton!Kiout.!

!

Le!7!mai!1915!

!

Ma!chère!Titale!

Depuis!7!mois!que!nous!sommes!ici,!nous!avons!enfin!avancé!de!quelques!centaines!de!mètres,!

et!cela!sans!combattre.!C’est!à!dire!qu’à!certains!endroits!nos!tranchées!étaient!éloignées!de!600!

mètres! et! que! nous! les! avons! rapprochées! de! celles! des! Boches!;! de! sorte! que! partout!

maintenant,!nous!avons!ces!immondes!chiens!à!200!ou!150!mètres!de!nous.!!

Il!est!indispensable!que!nos!tranchées!soient!près!des!leurs!si!nous!voulons!attaquer.!L’artillerie!

commence! par! donner! pendant! un! quart! et! d’une! façon! intensive,! chaque! pièce! battant! un!

secteur!de!25!mètres!seulement!et!qui!rend!son!maximum.!Quand!les!tranchées!boches!ont!reçu!

des!marmites!de!220,!de!155!et!de!105!pendant!20!minutes,!elles!sont!en!parfaite!marmelade.!

Pensebdonc!!!Un!obus!de!220!remue!44!m3!de! terre.!L’entonnoir!creusé!est! formidable!et!c’est!

grandiose!de!voir!voler!en!éclats!à!des!hauteurs!de!50!mètres!tous!ces!débris!de!tranchées!et!de!

leurs!occupants.!Le!vacarme!est!effrayant!quand!ces!innombrables!pièces!tirent!toutes!à!la!fois!et!

que!l’explosion!des!percutants!fait!trembler!la!terre.!!

Rien!n’est!plus!démoralisant!pour!le!soldat!que!d’être!sous!un!feu!d’artillerie!aussi!intense.!Aussi!

on!profite! de! cet! état! de! l’esprit! de! l’ennemi!pour! se!porter! en! avant! en!quatrième.! La! courte!

durée!du!bombardement!ne! leur!a!pas!donné! le! temps!de!se!ressaisir!et!de! faire!donner! leurs!

réserves.!Pendant!que!les!fantassins!courent!vers!la!première!ligne!ennemie,!l’artillerie!allonge!

son!tir!et!bombarde!la!deuxième!ligne.!Les!photographies!te!donnent!une!très!vague!idée!de!ce!

qu’est! une! tranchée! bombardée.! C’est! impressionnant,! ces! morts! et! ces! blessés,! tous!

horriblement!mutilés.!Si!l’artillerie!a!très!bien!repéré!son!tir,!il!reste!bien!peu!de!survivants!pour!

résister! aux! troupes! d’assaut.! Le! bombardement! successif! des! tranchées! est! le! seul! moyen!

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! 18!

d’avancer!sans!trop!de!pertes.!Une!fois!la!trouée!faite!quelque!part,!on!ne!donne!pas!le!temps!à!

l’ennemi!de!se!retrancher!de!nouveau!si!on!le!poursuit!à!outrance.!!

Hier! soir,! je! suis! sorti! en! patrouille! pour! protéger! des! poseurs! de! fil! de! fer.! Rien! n’est! plus!

pénible!que!de!rester!couché!ainsi!pendant!des!heures!sur!un!sol!humide.!Il!est!rare!qu’on!n’ait!

pas!à!côté!de!soi!quelques!voisins!malodorants!comme!un!cheval!mort!ou!un!Boche!gonflé.!Avec!

les!premières!chaleurs,!tout!ce!charnier!qui!se!trouve!entre!les!deux!lignes!déliquesce!et!répand!

dans! l’air! son! âcre! puanteur.! Les! moustiques,! les! mouches,! les! cafards! et! autres! insectes!

répugnants!foisonnent!et!contaminent!notre!nourriture.!J’ai!l’impression!que!la!campagne!d’été!

sera!plus!pénible!que!celle!d’hiver.!Les!poux!(piratus!vorax!germanicus)!nous!assaillent!dans!nos!

cagnas.! Nous! sommes! heureusement! blindés! et! protégés! de! tous! ces! fléaux! susdits! par! notre!

excellent!esprit,!notre!désir!de!vaincre!ces!haineux!Teutons.!

A!l’heure!où!je!t’écris,!ma!chère!Titale,!et!où!je!voudrais!te!voir!assise!à!ta!fenêtre!et!cousant!avec!

frénésie!en!dépit!d’un!impitoyable!courant!d’air!dans!le!dos!;! je!m’imagine!dans!l’encadrure!de!

cette!fenêtre,! la!grande!fougeraie!aux!grandes!fougères!australiennes!ombrant!de!leurs!feuilles!

palmées!un!épais!tapis!de!lycopodes!sur!lequel!dansent!follement!de!rutilantes!taches!de!soleil.!

Mais!où!suisbje!moi!?!En!face!de!la!terre!jaunâtre!et!argileuse,!à!gauche!ditto,!à!droite!idem!à!la!

fleur! d’oranger.! Je! suis! en! un! mot! dans! un! petit! poste! avancé! nouvellement! installé,! mon!

postérieur! est! douloureusement! posé! sur! une! surface! humide! que! s’évertue! à! sécher! ma!

nouvelle!capote!grisbbleu.!Quoique! les!Boches!soient!à!150!mètres,! je!n’en!ai! cure.!Mon! fusil!à!

créneau!monte! une! vigilante! garde! et! je! puis! en! toute! sécurité!me! plonger! dans! dissertations!

cunéiformes!et!bizzaroïdes.!L’étroit!filet!de!ciel!bleu!que!j’ai!aubdessus!de!la!tête!est!sali!par!un!

vilain!Taube!à!queue!de!poisson.! Le! ronflement!de! son!moteur!nous! assourdit.! Les! canons! lui!

donnent! la!chasse!ainsi!que! les! fusils!et! les!mitrailleuses.! Il!est!encerclé!d’une!chaîne!de!petits!

nuages! blancs! –! ce! sont! les! obus! supposés! lui! barrer! la! route.! Il! vole! trop! haut! pour! que! les!

projectiles! l’atteignent.! Nous! recevons! continuellement! la! visite! de! ces! vautours,! à! qui! nous!

avons!donné!la!chasse!en!leur!tirant!dessus!avec!leurs!mitrailleuses…!

Notre!général!de!brigade!vient!de!passer!avec!quelques!officiers.!C’est!un!très!chic!type!qui!a!l’air!

bien! intelligent.! Il! a! sermonné! les!officiers!parce!qu’ils!ne! s’occupaient!pas!de!nous!donner!de!

l’eau! dans! la! tranchée.! Il! est! essentiel! que! les! hommes! en! soient! approvisionnés! pour! lutter!

contre! les! bombes,! des! gaz! de! bombes! asphyxiantes,! le! nouvel! engin! de! guerre,! qui! après! le!

liquide!enflammé,!vient!compléter!la!liste!des!moyens!barbares!que!préconisent!les!Boches.!

A! part! les! événements! qui! se! produisent! dans! mon! cercle! étroit,! je! n’ai! pas! beaucoup! de!

nouvelles!à!te!donner.!Je!reçois!de!Tante!Marguerite!de!laconiques!renseignements!sur!la!famille!

qui! évolue! soit! à! l’arrière! soit! sur! le! front.! Ralph! et!Norman! sont! toujours! à! se!morfondre! en!

Angleterre.!Robert!se!balade!avec!ses!collègues!officiers!à!Londres.!Il!a!de!l’allure!dans!sa!tenue!

militaire.!Raymond!et!Roger!ne!donnent!signe!de!vie!et!Chamarel!était!dernièrement!à!Paris!où!il!

arborait!son!uniforme!de!Tommy.!

D’après! la! dernière! lette! reçue!de!Maurice,! je! constate! que! vous! êtes! encore! à! la!Mauvraie.! Je!

plains! beaucoup! la! pauvre! Tante! Lina! qui! souffre! tant.! Tante! Edmée! ne!m’écrit! plus.!Maurice!

Tuffier!est!introuvable.!

Embrasse!bien!toute!la!famille!pour!moi!et!spécialement!le!petit!Roger!et!ses!architectes.!

Je!t’envoie!mille!affectueux!baisers!

Ton!petit!Kiout!qui!t’aime!

!

''''''''''

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! 19!

CARTES'POSTALES'DE'FRANK'DE'CHAZAL'MAYER'A'SA'FAMILLE''(Adresse*de*l’expéditeur)*

F.!Chazal/Mayer!

52e!d’Infanterie,!10e!Cie!

Bureau!central!militaire!

Paris!

!

(Adresse*de*la*destinataire)*

Melle!A.!Mayer!

Trait!d’Union!

Vacoas!

Ile!Maurice!(via!Marseille)!

!

30!octobre!14!

!

Je!regrette!que!tu!aies!appris!mon!engagement!par!les!journaux.!Aussitôt!enrôlé!je!t’ai!écrit!et!je!

pense!que!tu!as!reçu!ma!lettre!avec!du!retard.!Tu!n’ignores!pas!que!tous!les!navires!avaient!été!

mobilisés!pour!le!transport!des!troupes!africaines.!Norman!et!Ralph!sont!dans!l’armée!anglaise!

et!ne!verront!le!feu!qu’en…!

Je!suis!plus!heureux!qu’eux.!C’est!la!deuxième!fois.!Il!y!a!un!mois!que!nous!sommes!par!ici,!nous!

sommes!retranchés!et!ne!courons!pas!beaucoup!de!risques!quoique! l’ennemi!soit! seulement!à!

200!mètres.! Maurice! Tuffier! n’est! pas! encore! retrouvé.! Il! a! été! blessé! entre! Rethel! et! Sedan.!

Toutes!mes!pensées!volent!vers!toi.!

Ton!Kiout!bien!affectionné.!

!

Carte!«!Correspondance!de!guerre!»!

(Adresse*de*l’expéditeur)*

Frank!Chazal/Mayer!

10e!Cie,!52e!régiment!par!Montélimar.!Drôme!

!

(Adresse*de*la*destinataire)*

Melle!A.!Mayer!

Trait!d’Union!

Vacoas!

Ile!Maurice!(via!Marseille)!

!

Le!15!octobre!14!

!

Bien!chère!Titale!

Quoique!toujours!sans!nouvelles!de!toi!depuis!très!longtemps,!je!suis!sûr!que!tu!penses!à!moi!et!

cela! m’est! une! grande! satisfaction,! perdu! que! je! suis! dans! un! régiment! qui! se! bat.! Tante!

Marguerite!est!infiniment!gentille,!elle!m’écrit!souvent,!me!prête!de!l’argent!et!me!donne!de!bons!

conseils.!Je!commence!à!m’habituer!à!cette!vie!de!privations.!Je!vois!le!feu!pour!la!seconde!fois,!et!

je! souffre! bien! moins! que! la! première.! Notre! tâche! en! ce! moment! est! bien! simple.! Nous!

défendons!un!village.! Impossible!de!te!donner!plus!de!détails.!Tu!verras!tout!cela!dans! le!petit!

journal!que! je! tiens.! Il! y!a!déjà!quinze! jours!que!nous! sommes!exposés!aux!obus!allemands!et!

notre!compagnie!n’a!pas!eu!un!seul!blessé.!L’ennemi!occupe!des!tranchées!comme!nous!et!nous!

nous!regardons!comme!des!chiens!de!faïence.!L’hiver!approche!et!je!prévois!un!terrible!froid.!J’ai!

hâte!de!voir!la!fin!de!la!guerre.!La!pauvre!Tante!Marguerite!a!perdu!les!traces!de!Maurice,!blessé!

entre!Rethel!et!Sedan.!!

Je!t’aime!et!t’embrasse!

Ton!fils!Kiout!

!

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! 20!

Carte!«!Correspondance!de!guerre!»!

(Adresse*de*l’expéditeur)*

F.!de!Chazal!Mayer!

25e!Cie!de!dépôt!

52e!régiment!par!Montélimar.!Drôme!

!

(Adresse*de*la*destinataire)*

Mme!J.!Roüillard!

4,!Chichester!Villas!

Sandgate!

Angleterre!

!

Le!13!octobre!14!

!

Ma!très!chère!tante!Edmée,!

Ta!longue!lettre!me!parlant!des!membres!de!la!famille!dont! je!suis!séparé!depuis!si! longtemps!

m’a!fait!beaucoup!de!plaisir.!Je!suis!navré!de!savoir!que!vous!êtes!inquiètes!du!sort!de!Jim.!Quant!

à! Maurice,! j’ai! la! conviction! que! la! CroixbRouge! allemande! s’occupe! de! lui.! Il! a! dû! écrire! par!

Genève,!mais! les! lettres!par!Genève!prennent!plus!d’un!mois!pour! arriver! à!destination.! Je!ne!

sais! pas! si! Fernand! Antelme! est! tué! ou! prisonnier.! Une! seconde! campagne! est! bien! moins!

dangereuse!que!la!première.!Voilà!quelques!jours!que!nous!sommes!la!cible!des!obus!allemands!

et!nous!n’avons!eu!que!deux!tués!et!quelques!blessés.!Nous!menons!une!vie!de!troglodytes!terrés!

dans!des! tranchées.!Tous! les!soirs,! les!Allemands!attaquent!celles! juste!devant!nous!mais!sans!

succès.!!

Mille!amitiés!à!Laure!et!Gilberte.!!

Ton!neveu!qui!t’aime!et!t’embrasse!

Frankie!

!

Avertissement* officiel* de* l’armée,* imprimé* sur* la* carte* :! Cette! carte! doit! être! remise! au!

vaguemestre.!Elle!ne!doit!porter!aucune!indication!du!lieu!d’envoi,!ni!aucun!renseignement!sur!

les!opérations!militaires,!passées!ou!futures.!S’il!en!était!autrement,!elle!ne!serait!pas!transmise.!!

!

!

13!novembre!14!

!

Bien!chère!Titale,!!

La!grande!et!triste!histoire!de!la!lettre!du!29!septembre!m’attriste!beaucoup!;!je!vois!avec!peine!

que!tu!endures!autant!de!souffrance!que!les!petits!soldats!qui!se!battent!pour!la!patrie.!Si!tu!me!

permets!une! remarque,! je! trouve!que! tu! as! tort,! d’abord!d’abandonner! ton!petit! coin!de!Trait!

d’Union.! Dans! une! grande! maison! comme! la! nôtre,! on! doit! toujours! pouvoir! s’arranger.! Je!

t’admire!foncièrement.!Tu!es!un!bel!exemple!à!suivre.!Toute!ta!vie!s’est!consommée!en!sacrifices,!

tu! n’as! jamais!marchandé! tes! soins.! Pourquoi! ne! te! reposeraisbtu! pas! un! peu! dans! notre! cher!

Train! d’Union!?! C’est! presque! une! trahison! de! t’en! aller! de! cette! demeure! ancestrale.! J’espère!

bien!que! tu!es!déjà!revenue!sur! ton!projet!et!que! j’aurai! le!plaisir!de! te!revoir!à! ta! fenêtre!qui!

regarde! la! fougeraie.! Mon! étoile! ne! pâlit! pas! encore.! J’ai! été! nommé! caporal.! On! est! sans!

nouvelles!de!Maurice!Tuffier.!Tante!Marguerite!est!bien!inquiète.!Ralph!et!Norman!toujours!en!

Angleterre.!

Meilleurs!souvenirs!à!Sibyl,!Edgar![et*mots*illisibles]*

*

'''''

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! 21!

JOURNAL'DE'FRANK'DE'CHAZAL'MAYER'Octobre'1914'à'février'1915'*

(Pages*du*journal,*en*mauvais*état*de*conservation,*avec*des*passages*manquants*et*se*terminant*

comme*une*lettre,*ces*pages*ont*dû*être*envoyées*par*Frank*de*Chazal*Mayer*à*sa*tante*Titale)*

!

Méharicourt,!Somme!

16!octobre!1914.! Je!n’ai! pas! eu! le! temps!ma! chère!Titale!de! finir!ma!dernière! lettre! et! je! vais!

reprendre!mon!journal!à!partir!de!mon!arrivée!à!Nompatelize,!lieu!célèbre!à!cause!de!la!maison!

de! la! dernière! cartouche,! tableau!d’Alphonse!de!Neuville.!Un!déjeuner! rapide! sur! une! sardine!

offerte!par!un!copain!et!quelques!délicieuses!pommes!nous!réconfortent!plus!ou!moins.!Notre!

officier!mange! avec! nous! et! nous! demande! un!morceau! de! pain.! Tout! se! passe! en! famille.! En!

sortant! du! village,! nous! tombons! sur! un! chemin!bombardé!par! les!Allemands.! Vite! nous! nous!

couchons!pour!offrir!moins!de!surface!à!la!mitraille.!Après!une!bonne!petite!heure!passée!sur!un!

sol!détrempé! juste! le! temps!de!crocher!une!bonne!pneumonie,!nous!rebroussons!chemin!pour!

nous!protéger!du!tir!des!canons!derrière!une!grande!ferme!dans!le!village.!Les!marmites!(obus)!

tombent!à!droite!et!à!gauche.!(Quelques*lignes*manquantes)!

Nous! arrivons! harassés! de! fatigue! à! Lasalle.! Une! fois! cantonnée! par! escouade! d’environ! seize!

hommes!dans!des!granges,!nous!nous!occupons!de! la!popote!dont!nous!sommes!privés!depuis!

une!semaine.!Chacun!sa!partie!;!qui!pour!le!bois,!qui!pour!les!ingrédients,!qui!pour!l’escamotage!

d’une!volaille.!Quant!à!moi! je! suis!affecté!à! la! recherche!du!vin.! Je! fouille!plusieurs! caves! sans!

résultat.! Enfin! je! rencontre!une!maison!abandonnée!où! se! trouvent!deux! soldats!qui! font! leur!

soupe.!Ils!m’invitent!à!me!joindre!à!eux.!Je!les!endors!en!leur!rendant!quelques!services!et!puis!je!

m’esquive!vers! la! cave.! J’emporte,!en!me!cachant,! la!dernière!bouteille! cachée!sous! la!paille!et!

retourne!au!noyau!triomphalement!en!me!vantant!de!mes!prouesses.!Je!débouche!la!bouteille!et!

je!verse!;!mais!(deux*lignes*manquantes).!

C’est!à!ce!moment!que!de!dépit!je!me!jetais!bêtement!sur!un!tesson!de!bouteille,!le!sang!coule!à!

flot!;! j’ai! de! petites! artères! de! la!main! coupées.! Un! infirmier!me! panse! sans!me! désinfecter! la!

coupure,!tout!cela!est!fait!au!petit!bonheur.!Le!lendemain,!reconnu!inapte!par!le!médecin!major!à!

continuer! la! campagne,! je! suis!expédié!à!pied!à!22!km!de!Lasalle.! Je! suis!désolé!de!quitter! les!

copains,!Fernand!Antelme,!et!les!quelques!Lyonnais!que!nous!avions!connus,!mais!je!me!promets!

d’y! revenir! dans! une! semaine.! Mon! sac! sur! l’ambulance,! je! suis! la! voiture! où! s’entassent! les!

blessés!et!les!mourants.!En!route!nous!en!laissons!deux!derrière,!ayant!trouvé!la!mort!dans!les!

cahots! du! charriotbambulance.! Je! commence! à! m’habituer! à! toutes! ces! horreurs,! ce! qui! ne!

m’empêche!pas!de!m’arrêter!dans!une!ferme!et!de!boire!un!bon!café.!

La!route!est!encombrée!par!un!va!et!vient!de!troupes,!de!femmes,!d’enfants!et!de!vieillards!qui!

font!l’exode!devant!l’envahisseur!teuton.!

Des! voitures! de! ravitaillement! et! des! caissons! d’artillerie! font! un! échelon! sur! plusieurs!

kilomètres.!C’est! toujours! la!retraite!devant!un!ennemi!plus!nombreux!et!muni!d’une!artillerie!

lourde!plus!efficace!que!le!75!français!dans!ces!pays!montagneux!où!il!faut!avoir!des!canons!à!tir!

plongeant.!Partout!où!je!passe,!je!me!garde!de!donner!la!qualité!de!ma!blessure!et!je!laisse!croire!

que!c’est!une!balle.!Les!fruits!de!mon!demibmensonge!me!font!grand!bien,!ce!sont!des!quarts!de!

café,!des!verres!de!rhum!glanés!de!droite!et!de!gauche.!Je!vois!passer!des!autobus!de!Paris!qui!

me! rappellent! de! doux! souvenirs.! Ils! sont! affectés! au! transport! de! la! viande.! (Quelques* lignes*

manquantes)!

Dans! le! train!où! je! suis,! se! trouvent! les!militaires! les!moins!blessés!et!qui!n’ont!pas!besoin!de!

soins! incessants.! A! chaque! gare,! nous! sommes! accueillis! par! les! dames! de! France! qui! nous!

portent!du!lait,!du!chocolat!et!des!fruits.!Il!y!a!aussi!des!initiatives!privées,!des!femmes!qui!vous!

portent!ce!qu’elles!peuvent.!Chacun!fait!ce!qu’il!peut!et!se!dévoue!selon!ses!moyens.!Quand!nous!

passons,!les!militaires!saluent.!Deux!jours!pleins!de!voyage!et!nous!arrivons!à!Grenoble.!De!jolies!

Anglaises! nous! offrent! de! délicieux! petits! fours.! Maintenant! en! tramway! pour! l’hôpital,! lieu!

neurasthénique!au!possible.!Tout!marche!à!la!militaire.!Les!infirmiers!malgré!leur!bon!vouloir!ne!

valent!pas!les!sœurs!de!charité!ou!les!dames!de!la!CroixbRouge.!On!me!jette!un!matelas!dans!une!

petite! chambre! occupée! par! un! blessé! qui! a! reçu! une! balle! à! la! tête.! Le! malheureux! pue!

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! 22!

beaucoup,!perd!du!sang!et!du!pus.!Je!suis!très!mal!et!ne!cherche!qu’une!occasion!de!partir.!Mon!

désir! est! bien! vite! réalisé! et! vers! l’aprèsbmidi! je! demande! à! être! embarqué! avec! les! moins!

malades!pour!je!ne!sais!où…!N’importe!quoi!plutôt!que!cette!cuvette!de!pus!et!de!souffrance.!J’ai!

eu!le!nez.!De!grandes!voitures!nous!emmènent!sur!les!hauteurs!de!Grenoble!dans!un!exquis!petit!

hameau,!Corenc.!On!nous!débarque!dans!le!couvent!et!nous!sommes!chaleureusement!reçus!par!

les!sœurs!de!la!Providence.!Après!toutes!nos!privations,!ce!bienbêtre!relatif!que!nous!procurent!

les! sœurs! nous! est! d’un! infini! soulagement.! La! table! est! copieuse.! Une! soupe! de! pain! et! de!

légumes,!un!morceau!de!viande,!un! légume,!des!haricots!ou!des!pommes!de! terre!et!un!demib

verre!de!vin.!C’est!le!comble!de!nos!appétits.!!Salués!de!tous!les!blessés,!on!est!bien!mieux!là!que!

dans!les!hôpitaux,!surtout!qu’ils!sont!desservis!par!des!infirmiers.!Les!sœurs!sont!admirables!de!

bonté.!!

Elles! me! rappellent! par! leurs! soins! constants! la! vieille! Titale! qui! nous! a! tous! si! bien! choyés!

quand!nous!étions!malades.!Nous!couchons!dans!le!dortoir!des!pensionnaires.!Les!lits,!étant!faits!

pour! des! jeunes! filles,! sont! tous! beaucoup! trop! petits! pour! moi,! mais! je! sais! apprécier! ce!

moelleux!sommier.!Au!début!je!me!sens!très!dépaysé.!Aucun!des!blessés!n’est!de!ma!classe.!Ce!

sont!de!bons!paysans!goulus!et!sales,!exhalant!des!senteurs!qui!m’incommodent.!Ils!crachent!un!

peu!moins!sur!le!parquet!parce!qu’ils!sont!chez!les!sœurs!mais,!par!contre,!ils!sont!un!peu!gênés.!

L’ambiance! les! rend! dévots! et! tous! les! soirs,! après! la! soupe,! la! chapelle! est! comble.! J’aime!

beaucoup! cette! prière! du! soir.! L’invocation! des! saints! par! le! prêtre! et! la! réponse! «!Ora! pro!

nobis!»!ou!«!Orate!pro!nobis!»,!quand!plusieurs!sont!invoqués!à!la!fois,! fait!avec!une!régularité!

(mot*illisible).!C’est!monotone!mais!impressionnant.!

Après! quelques! micmacs! accomplis! par! le! prêtre! et! des! paroles! prononcées! en! sourdine! et!

accentuées! en! queue! de! rat,! voici! le! frisson! qui! secoue! la! congrégation.! De! jolies! frimousses!

encadrées!de!la!coiffe!blanche,!comme!celle!de!cousine!Agnès,!montent!vers!le!ciel!d’idéales!voix!

portant!des!accents!patriotiques.!Elles!chantent!des!hymnes!d’église!et!de!guerre.!

Pendant! les! interminables! journées! passées! dans! le! couvent,! j’ai! tout! de! même! vécu! de!

délicieuses!heures.!Le!site!est!admirable.!Nous!surplombons!la!vallée!de!l’Isère!semée!de!vieux!

châteaux!et!de!couvents.!Tout!en!bas,!la!nappe!verte,!hérissée!de!peupliers,!est!tachetée!de!jolies!

petites! fermes! et! de! riants! villages! dominés! par! un! clocher.! Vers! le! coucher! du! soleil,! nous!

assistons!à!un!spectacle!grandiose!quand!les!Alpes!se!parent*de!mauve!et!de!rose.!

L’activité!des!sœurs!est!remarquable!;!du!matin!au!soir,!elles!sont!sur!pied.!Chacune!d’elles!a!sa!

tâche.! Il! y! en! a! à! la! cuisine,! au! jardin,! aux! champs.! Pas! de! serviteurs! pour! les! aider.! Avant! la!

séparation! de! l’Eglise! et! de! l’Etat,! qui! a! fait! beaucoup! de!mal! à! la! France,! ce! couvent! recevait!

environ!80!pensionnaires,!et!je!garantis!qu’elle!étaient!mieux!élevées!et!enseignées!que!dans!les!

écoles! laïques! actuelles! où! le! nom! de! Dieu! est! totalement! supprimé.! Exemple!:! un! instituteur!

apprenait!à!ses!élèves!les!vers!de!La!Fontaine!et!au!lieu!de!dire!:!«!Petit!Poisson!deviendra!grand,!

pourvu!que!Dieu!lui!prête!vie!»,!il!disait!«!Pourvu!qu’on!lui!prête!vie!».!Voilà!l’œuvre!de!la!francb

maçonnerie.!L’Eglise! catholique!a! certainement!beaucoup!de! torts!;!mais! il! vaut!mieux!pour! le!

peuple!qu’il!soit!catholique!que!de!n’avoir!aucune!religion.!!

Au!bout!de!quelques! jours,! j’ai! fait,!à!Corenc,! la!connaissance!d’une!sœur,!Marie!(mot! illisible),!

personne!très!instruite!qui!par!sa!conversation!et!les!bouquins!qu’elle!m’a!prêtés!m’a!allégé!un!

peu!de!l’ennui!que!j’éprouvais.!

Il!paraît!que!j’avais!l’air!très!malheureux!car!la!mère!supérieure!est!venue!à!moi!un!jour!pour!me!

confesser! et!me! réconforter.!Malgré! la! consigne,! nous! trouvions! toujours!moyen!de! sortir! par!

derrière!et!d’aller!dans!le!village!d’à!côté!consommer!quelques!cafés!et!jouer!aux!cartes.!A!peine!

le!nez!dehors,!nous!étions!harassés!de!questions.!Où!avezbvous!été!blessé!?!Une!balle!ou!un!éclat!

d’obus!?!Etesbvous!de!l’active!?!Connaissezbvous!mon!cousin!untel!?!Et!patati!et!patata.!Il!y!avait!

de!quoi!vous!dégoûter!de!sortir.!Un!soir!que!nous!rentrions!un!peu!tard,!nous!avons!trouvé! la!

porte!de!derrière!fermée.!Pendant!que!nous!prenions!le!parti!de!l’escalader,!Monsieur!le!curé!qui!

dessert! la!chapelle,!attiré!par!notre!chuchotement,!nous! interpelle.!Nous!voilà!pris.! Impossible!

de!se!sauver,!notre!seule!chance!de!sortir!de!ce!mauvais!pas!était!d’avouer!car!notre!curé!nous!

pardonne!et!d’entamer!la!conversation.!Frappé!par!la!pureté!de!mon!accent!(hem!!!hem!!),!il!me!

questionne!et!reste!ébaubi!en!apprenant!mon!cas.!Nous!causons!de!Madagascar,!du!Canada,!etc.!

Malheureusement!nos!relations!n’ont!pas!le!temps!d’aller!jusqu’à!l’intimité.!A!force!de!tarabuster!

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! 23!

le! médecin,! je! réussis! à! partir! avec! le! premier! convoi! de! convalescents.! Nous! descendons! à!

Grenoble!dans!la!caserne!de!Bayard!dont!quelques!bâtiments!sont!aménagés!en!hôpital.!

Mon! anévrisme! qui! avait! commencé! la! veille! et! que! le! médecin! de! Corenc! n’avait! pas!

diagnostiqué!augmenta!considérablement.!En!attendant!qu’on!m’opère,!on!me!bande!la!main!en!

faisant! beaucoup! de! compression.! Les! infirmières! sont! très! gentilles.! Quelques! unes! sont! de!

bonne! famille! ou! femmes! d’officiers,! etc.! Ici! on! est! plus! libre! et! je! sors! en! ville.! Comme! c’est!

délicieux!de!se!promener!dans!cette!coquette!petite!ville!de!Grenoble.!Les!blessés!jouissent!d’un!

grande!considération,!tout!est!à!meilleur!marché!pour!eux,!et!aussi!je!me!gave!d’excellents!petits!

gâteaux.!Je!me!fatigue!bien!vite!de!cette!vie,!et!je!demande!à!retourner!à!Montélimar.!!

Là! je! suis!mieux!avec! les!quelques!amis!qui!y! sont!encore.!La!compression! fait!du!bien!à!mon!

anévrisme!et!me! revoilà! reparti!pour! le! champ!de!bataille.!Nous! sommes!environ!150!blessés!!

qui!y!retournent.!Les!autres!qui!partent!avec!nous!sont!de!la!territoriale,!des!hommes!de!35!à!40!

ans.! Comme! les! grognards! de! Napoléon! ils! ronchonnent! tout! le! temps.! Parmi! les! blessés! se!

trouve! un! très! gentil! Lyonnais,! sculpteur! de! profession,! avec! qui! je! lie! connaissance! et! qui!

m’invite!à!déjeuner!chez!lui!à!notre!passage!à!Lyon.!Quoique!simple!ouvrier,!ce!Vissier!est!très!

bien!élevé.!Assez! instruit! et!propre,! il! s’est! fait!un!agréable! intérieur.! Sa! femme,! fort! laide,! est!

avenante!et!possède!trois!gentilles!petites!filles.!Nous!repartons!chargés!de!provisions!que!nous!

donne!Mme!Vissier.!!

Nous!passons!par!Paris!et!arrivons!enfin!à!Moreuil,!dans! la!Somme.!Déjà,!on!entend! tonner! le!

canon,!et!ces!bons!territoriaux,!joufflus!et!bedonnants,!se!congestionnent!de!peur.!Les!Prussiens!

sont!passés!par!ici!et,!en!fait,! il!ne!reste!plus!grandbchose!de!provisions.!Le!village!n’a!pas!trop!

souffert!à!part! ça.!Rien!de!cassé.!Les!maisons!sont! toujours!debout.!Nous!cantonnons!dans!un!

château,!modern!style,!où! le!passage!des!Français! laisse!plus!de!place!que! les!Allemands.!C’est!

honteux! de! constater! que! même! les! Français! pillent! et! dévastent.! Les! paysans! sont! partout!

pareils.!Nous!nous!mettons!en!marche!le!lendemain!et!quoique!l’ennemi!soit!à!une!trentaine!de!

kilomètres,!nos!officiers!de!réserve!prennent!des!excès!de!précautions.!Nous!passons!par!Caix!où!

se!trouve!l’état!major!et!nous!nous!arrêtons!pour!la!nuit!à!Rosières.!Les!Allemands!sont!passés!

par!ici!en!avançant!sur!Paris,!mais!en!se!retirant,!ils!ont!obliqué!vers!l’est,!ce!qui!explique!l’état!

encore! intact!de!ces!petites!villes.!Vers! la!pointe!du! jour!nous!partons!pour! les! tranchées!et! là!

nous!recevons!le!baptême!du!feu.!Ceux!qui!y!sont!habitués!rigolent!mais!les!autres!ont!des!faces!

tirées! et! des! regards! de! bêtes! traquées.!Notre! adjudant,! gueulard! si! jamais! il! en! fût,! et! qui! se!

vantait!de!ses!exploits!en!Chine!où!il!a!trucidé!quelques!malheureux!Chinois,!transi!de!peur,!se!

cache!la!tête!comme!une!autruche!et!tremble!de!frayeur.!Il!nous!harasse!de!précautions!inutiles!

à!tel!point!que!nous!sommes!forcés!de!rester!blottis!dans!nos!trous!toute!la!journée.!La!nuit!on!

gèle!;!s’il!pleuvait!je!ne!sais!pas!ce!qu’on!deviendrait.!

!

Le!9!février!1915!

Je!retrouve!inachevé!ce!bout!de!journal!et!suis!désolé!de!constater!qu’il!n’y!a!pas!de!suite!dans!ce!

que!je!fais.!Je!croyais!cependant!avoir!mis!à!jour!toute!cette!période!d’hôpital!et!de!mon!retour!

au!front,!et!de!te!l’avoir!envoyé.!Mes!dernières!lettres!ont!dû!te!mettre!plus!ou!moins!au!courant!

de!mes!faits!et!gestes.!

31! octobre.! Bombardement! intensif! de! toute! la! région! par! les! Boches! dans! le! but! de! prendre!

Lihons.! A! partir! de! 2! h,! les! hordes! ennemies! s’avancent,! on! se! bat! jusqu’à! 7! h! du!matin! le! 1er!

novembre.!Echec!complet!à!l’attaque!qui!a!coûté!à!l’ennemi!environ!3!000!morts.!Calme!relatif!à!

partir!du!1er!novembre.!

Un!simulacre!d’attaque!pour!tromper!l’ennemi!et!immobiliser!ses!réserves!nous!coûtent!un!mort!

et!quelques!blessés.!

A!part!ça,!c’est!toujours!la!même!rengaine!:!les!tranchées!alternant!avec!le!repos.!Dans!la!plaine!

entre!Lihons!et!Maucourt,!nous!avons!passé,!il!y!a!un!mois,!un!sale!moment.!Avec!la!pluie!et!le!

dégel,!les!tranchées!étaient!littéralement!impraticables.!On!enfonçait!jusqu’aux!genoux!dans!une!

mélasse!gélatineuse!et!collante.!Boueux!des!pieds!à! la! tête!et! trempés! jusqu’au!os,!nous!étions!

dans!un!lamentable!état!d’affaiblissement!moral!et!physique.!Notre!suprême!satisfaction,!c’était!

de!savoir!!que!les!Boches!se!trouvaient!dans!le!même!piteux!état!que!nous.!

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! 24!

Depuis!une!semaine,!nous!sommes!dans!un!très!chic!secteur!en!arrière!de!Maucourt.!Quelques!

jours!de!beau!temps!nous!ont!bien!ragaillardis.!Etant!en!deuxième!ligne,!nous!pouvons!sortir!de!

la!tranchée!et!nous!promener!un!peu!en!plein!air.!

Quand! on! est! en! première! ligne! on! a! toujours! l’impression! de! vivre! sous! terre!;! que! disbje!

l’impression!?!Nous! en! avons! aussi! la! certitude! puisque!nous! habitons! des! caves! creusées! à! 3!

mètres!sous!terre.!

Ta!dernière!lettre!me!désole.!Suis!navré!d’apprendre!que!tu!es!ballottée!entre!Trait!d’Union,!la!

Mauvraie!et!je!ne!sais!où!encore.!

Je!vous!embrasse!bien!(mots!illisibles)!et!tante!Lina.!

Ton!Kiout!qui!t’aime!

!

(Pages*de*journal*semblant*d’un*carnet*différent*que*les*précédentes)*

!

24!octobre!!

Nous! sommes! à! 500! m! environ! au! sud! de! Lihons! depuis! 4! jours.! Notre! demibsection! a! eu! à!

creuser!ses!tranchées.!Matin!et!soir!nous!avons!bûché.!Je!me!suis!creusé!un!gîte!très!confortable.!

Le! canon! tonne! et! les! balles! sifflent! aubdessus!de!ma! tête! sans!plus!m’émotionner.!Aussi! c’est!

avec!regret!que! j’apprends!qu’on!nous!relève!ce!soir.!Le!commandant!veut!peutbêtre!que!nous!

allions! creuser! d’autres! tranchées,! il! reconnaît! luibmême! que! nous! sommes! d’admirables!

terrassiers.!La!première!et!la!deuxième!nuit!ici!ont!été!bien!tranquilles.!L’ennemi!est!à!200!m!et!

tiraille! sans! interruption.! Il! creuse! une! tranchée! obliquant! vers! notre! droite!;! ce! qui! ennuie!

beaucoup!nos!chefs.!

(Passage*censuré*avec*la*mention*manuscrite**«*biffé*pour*causes*de*censure*»)*

Un!jour!qu’il!ne!savait!que!faire!de!nous!pour!nous!protéger!des!obus!allemands,! il!nous!mène!

dans!un!renflement!de!terrain,!et!comme!nous!n’avions!pas!d’outils,!«!Creusezbvous!un!abri!avec!

vos!quarts!et!vos!fourchettes!»!nous!ditbil.!Quelquesbuns!(mot*disparu)!il!les!engueule!vertement.!

L’abri! à! peine! commencé! qu’il! nous! donne! l’ordre! de! changer! l’emplacement! de! notre!

retranchement.!

Quand!un!aéroplane!passe,!il!faut!se!cacher!la!tête!comme!les!autruches.!L’autre!jour!ce!comique!

insupportable!essaya!de!me!faire!disparaître!sous!ma!musette.!Hier!23!octobre,!nous!avons!eu!

un! blessé! légèrement! au! crâne.! Nous! avons! commencé! à! creuser! un! chemin!menant! vers! les!

cuisines!à!400!m!derrière!les!tranchées.!Ce!chemin!a!été!tracé!par!le!capitaine!(de!réserve)!et!le*

caporal.!Au!lieu!d’utiliser!les!plis!du!terrain,!ils!se!mettent!à!dessiner!un!formidable!zigzag!sur!la!

partie! la!plus!élevée!du!champ.!Nous!aurons!ainsi!près!d’un!kilomètre!à!creuser.!Par!dessus! le!

marché,!la!tranchée!n’est!pas!assez!profonde!et!l’on!aura!la!moitié!du!corps!exposé.!Quoique!je!

sois! porté! à! tout! critiquer! et! à! tout! trouver! mal,! je! ne! me! fais! pas! de! bile! autrement.! Une!

nourriture!suffisante,!quelques!friandises,!un!beau!coucher!de!soleil!par!cet!automne!d’or,!et!je!

suis!heureux.!!

Je!sens!(mots*illisibles),!la!seconde!de!bonheur!intense.!

«!O!wild!west!wind!»!

Ce! vers! de!Keats,! je! crois,!me! revient! à! la!mémoire! en! contemplant! par! l’étroite! ouverture!de!

mon!réduit!un!grand!peuplier!dont!les!paillettes!d’or!miroitent!au!soleil.!Des!bouffées!de!vent!en!

emportent! dans! une! danse! folle.! Elles! tournoient,! pirouettent,! sont! emportées! vers! l’azur,! et!

redescendent! en! zigzaguant,! dépensant! dans! un! dernier! luxe! d’enivrement! la! vie! qu’elles! ont!

puisée! du! sol! où! elles! retombent! inertes.! La! voix! de! la! gonzesse,! phénomène! intelligent! et!

comique,!me!sort!de!ma!rêverie.!

Hier! soir! pendant! que! je! veillais,! il!me! sembla! entendre!un!bruit! en! face! de! la! tranchée! et! un!

bruissement! de! feuilles! et! d’herbes,! comme! quand! on! marche.! Je! donnais! aussitôt! l’alerte.!

Quelquesbuns!s’émotionnèrent!et!tiraillèrent!avec!frénésie.!Je!me!suis!aperçu!depuis!que!ce!que!

j’entendais!n’était!autre!que!le!vent!dans!mon!peuplier.!

Avantbhier!soir,!vers!6!h,! les!Allemands!ont!attaqué!en!poussant!des!hurlements!à!notre!droite!

du!côté!de!Maucourt.!On!nous!commanda! le! feu.!Nous!tirâmes!devant!nous!sur!rien!du!tout!et!

des!quantités!de!cartouches!furent!inutilement!brûlées.!

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! 25!

Aujourd’hui! les! Allemands! tirent! plus! que! d’habitude! et! nous! visent! particulièrement,! je! veux!

dire! la! demibsection.!Tout! à! l’heure,! nous! avons! eu!un!blessé! au! cou! et! un! autre! au!doigt.! Les!

voici!qui!visent!mon!créneau!;!la!terre!vole!en!éclats!et!me!retombe!dessus.!

Avantbhier! 22! octobre,! les! Allemands! ont! attaqué! à! notre! droite! vers! la! tombée! de! la! nuit.!

Soudain!de!formidables!hurlements!se!font!entendre,!rapidement!couverts!par!un!feu!nourri.!Ils!

ont!dû!charger!à!la!baïonnette!mais!ils!ont!été!repoussés.!Nous!n’en!savons!pas!davantage.!Nous!

ouvrîmes!le!feu,!mesure!absolument!inutile!attendu!que!les!Allemands!en!face!de!nous!n’étaient!

pas!sortis!de!leur!tranchée.!Des!milliers!de!cartouches!furent!gaspillées.!L’ennemi,!croyant!à!une!

contrebattaque,!nous!arrosa!d’obus,!heureusement!nous!n’eûmes!aucun!blessé.!Après!une!demib

heure,! tout! rentra! dans! le! silence! mais! cette! escarmouche! fut! vraiment! impressionnante.! Un!

bruit! assourdissant,! des! sifflements! de! balles! et! de! shrapnells.! Les! projecteurs! allemands!

éclairaient!nos! tranchées!pour!diriger! le! tir!de! l’ennemi.!Des! fusées! lancées!en! l’air!y!restaient!

quelques!minutes!et!produisaient!un!merveilleux!effet.!Ce!fut!un!joli!feu!d’artifice!sans!accident.!

Et! après! cela!on!nous!donna! l’ordre!de!veiller! toute! la!nuit.! Inutile!de!dire!que!malgré! cela,! je!

roupillai!comme!un!loir.!

!

27!octobre!

La!nuit!du!24,!nous!évacuâmes!nos!tranchées!pour!céder!notre!place!à!la!onzième!compagnie.!Si!

les! Allemands! nous! avaient! attaqués! pendant! ce! changement,! nous! aurions! été! salement!

fricassés.! Pour! nous! en! aller,! nous! passâmes! par! le! boyau! nouvellement! fait! derrière! les!

tranchées!et!comme! il!n’était!pas! terminé!(il!ne! l’est!pas!encore!aujourd’hui!27!octobre),!nous!

fûmes! exposés! aux! balles! pendant! 20!minutes,! alors! que! si! nous! avions! traversé! le! champ! en!

droite!ligne,!nous!ne!l’aurions!été!que!pendant!5!minutes.!Ce!soirblà!nous!avons!couché!dans!un!

abri!creusé!dans!la!terre!et!recouvert!de!paille!et!de!terre.!Nous!étions!là!en!réserve!pour!aller!à!

la!rescousse!des!autres!compagnies!en!cas!de!nécessité.!Nous!étions!supposés!avoir!quatre!jours!

de!repos.!!

Il!n’y!a!pas!eu!mèche.!Nous!avons! la!garde!du!village.!Tous! les! soirs!et! les!matins!vers!quatre!

heures,!on!creuse,!barricade,!installe!des!créneaux.!La!nuit!il!faut!boucler!le!sac!à!chaque!fois!que!

les! balles! pleuvent! plus! qu’à! l’ordinaire.! Les!Allemands! ne! démontrent! aucune! velléité! à! nous!

attaquer!et!cependant!le!village!est!défendu!comme!une!place!forte.!Je!commence!à!croire!qu’on!

nous!a!fait!faire!tous!ces!travaux!pour!nous!entraîner.!Nous!sommes!heureusement!bien!mieux!

nourris.!Thé!au!rhum,!confiture,!café,!etc.!

Il!y!a!beaucoup!de!grognards!mais!je!constate!que!le!moral!des!troupes!est!autrement!meilleur!

qu’au!commencement.!Quelques!socialistes!absolument!réfractaires!au!patriotisme!et!froussards!

au!possible!ronchonnent!plus!que!les!autres!et!parlent!de!désertion.!Les!Prussiens!vont!plus!loin!

et!désertent!en!fait!par!groupes!de!dix,!de!vingt.!Les!malheureux!se! font!tirer!dessus!par! leurs!

compatriotes! et! aussi! par! les! Français! avant! que! ceuxblà! s’aperçoivent! de! l’intention! des!

déserteurs.!Ils!arrivent!au!petit!jour!en!levant!les!bras!et!en!criant!«!Vive!la!France.!C’est!atroce!».!

Ils!sont!mal!nourris!et!maltraités!par!leurs!chefs.!

!

30!octobre!!

Avantbhier!28,!vers!1!h!de!l’aprèsbmidi,!les!Teutons,!guidés!par!un!aéroplane!qui!a!survolé!notre!

campement!pendant!des!heures,! sans!que! les! feux!de!salve!de!nos! fusils!ne! lui! fassent!de!mal,!

nous!ont! lancé!une!cinquantaine!d’obus.!Ces!marmites!si!elles!ne! tombent!pas!exactement!sur!

nos!gîtes!ne!nous!font!aucun!mal.!Tout!autour!de!nous,!comme!partout!ailleurs!où!se!sont!livrés!

des!combats,!on!aperçoit!d’immenses!trous!en!entonnoir!où!l’on!pourrait!enterrer!des!chevaux.!

Un! homme! a! été! tué! et! un! autre! blessé! par! un! obus! tombé! sur! le! toit! de! la!maison! où! ils! se!

trouvaient.!Comme!résultat,!les!Prussiens!n’ont!pas!de!quoi!se!vanter.!

Hier!29!octobre,!rien!à!signaler,!nous!continuons!à!creuser!le!fameux!boyau.!

Aujourd’hui!30!octobre,!notre!compagnie!a!réintégré!la!tranchée!que!nous!occupions!il!y!a!cinq!

jours.!La!première!section!est!de!réserve!à!200!m!en!arrière.!Les!Allemands!tiraillent!toujours!et!

nous!avons!un!blessé!à!la!tête!qui!est!si!affaibli!qu’il!ne!tardera!pas!à!casser!sa!pipe.!La!mort!ne!

nous!effraye!plus.!On!la!voit!caresser!de!sa!laide!main!osseuse!la!face!des!camarades!sans!plus!

s’émouvoir.!Comme!sous!la!Révolution,!on!rit!de!la!traîtresse!qui!vous!guette!à!chaque!pas.!Nous!

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! 26!

ne!prenons!même!plus!la!précaution!de!nous!protéger!derrière!les!talus!quand!nous!entendons!

siffler!les!balles.!

Canonnade!effroyable!au!sud!du!côté!de!Roye.!On!dit!que!c’est!nous!qui!attaquons.!Voilà! trois!

heures!que!l’air!est!déchiré!de!grondements!de!balles.!

!

31!octobre!!

Lihons.! Jour!mémorable.! Depuis! 6! h! du!matin,! le! canon! ennemi! tonne.! Nous! nous! blottissons!

aussitôt! dans!nos! gîtes! souterrains! transis! de! froid! et! de!peur.! L’ennemi!prépare! évidemment!

une!attaque!sur!Lihons.!A!chaque!coup!de!canon,!nous!nous!attendons!à!ce!que!nous!sautions.!

Les! obus! tombent! à! quelques! mètres! de! ma! cabane.! Un! copain! est! tué! à! côté! de! nous.! Les!

marmites!et!les!crapouillards!font!trembler!la!terre.!Impossible!de!mettre!le!nez!dehors!et!nous!

sommes!obligés!de!nous!passer!de!soupe.!Vers!1!h,!le!canon!se!tait!après!avoir!bombardé!toute!la!

région,! les! premières! et! deuxièmes! lignes! de! tranchées,! Lihons,! Rosières! et! les! routes!

environnantes.!C’est!le!moment!pour!l’ennemi!d’avancer.!

Les! tranchées! gardant! la! route! de! Chaulnes! ont! assez! souffert! de! la! mitraille! et! lorsque! les!

occupants,! à! gauche! de! la! route,! voient! approcher! l’ennemi,! ils! ouvrent! une! fusillade! intense!;!

mais! ceux!de!droite,! démoralisés!par! les! ravages!de! l’artillerie! ennemie!dans! leur! rang,! fuient!

devant!les!Allemands.!Les!officiers!ont!été!tués!et!il!n’y!a!personne!pour!enrayer!la!panique.!Les!

Allemands!percent!donc!la!ligne!de!défense!à!droite!et!à!gauche!de!la!route!et!s’installent!dans!

les!premières!maisons!du!village.!

Vers!deux!heures,!nous!évacuons!nos!tranchées!de!réserve!à!100!mètres!en!arrière!et!nous!nous!

portons! vers! le! point! faible.! Arrivés! à! l’endroit! indiqué! par! l’étoile,! ceux! d’entre! nous! qui!

marchaient!en!avant!aperçoivent!les!Allemands!à!30!mètres.!C’était!une!patrouille!qui!avait!suivi!

nos!tranchées!abandonnées.!J’étais!troisième!ou!quatrième!en!tête!et!je!me!porte!tout!de!suite!en!

avant.!Les!autres!perdent!la!boule!et!ne!tirent!pas.!J’épaule!et!vise!une!tête!qui!dépasse.!Elle!se!

cache!aussitôt.!Le!fusil!braqué,!j’attends.!La!tête!reparaît!au!même!endroit!et!je!lâche!mon!coup.!

La! tête! disparaît.! D’autres! casques! à! pointe! apparaissent! et! les! premiers! d’entre! nous! tirent!

dessus.!Les!Allemands!ripostent!et!comme!ils!prennent!nos!tranchées!d’enfilade,!ils!blessent!un!

des!nôtres!et!en!tuent!un!autre!(Fulchiron).!Ne!pouvant!soutenir!notre!feu!et!nous!voyant!mettre!

baïonnette!au!canon,!la!patrouille!se!cavale.!Le!premier!en!tête,!j’entraîne!mes!amis.!Au!coin!(A),!

je!m’arrête!un!instant!pour!voir!mon!Allemand!tué.!Je!poursuis!les!autres!tout!en!prenant!soin!de!

bien!me!dissimuler!dans!le!boyau.!Devant!nous!fuit!la!patrouille,!je!tire!de!nouveau!et!on!abat!un!

second,! nous! nous! arrêtons! là! et! tiraillions! sur! les! Boches! qui! sont! entrés! dans! le! village.! Un!

caporal! est! tué! et! l’autre! blessé! à! mes! côtés.! J’aperçois! le! sergent! Ferbus! de! la! neuvième!

compagnie! derrière! moi.! C’est! la! 9e! qui! occupait! ces! tranchées! où! nous! nous! trouvions! à! ce!

moment!et!qui!s’était!repliée!devant!la!poussée!ennemie.!Je!lui!dis!que!j’avance.!Il!me!fait!signe!

que!oui.!Nous!avançons!encore!50!mètres,!moi!toujours!en!tête!et!encourageant!les!copains.! Je!

m’arrête!à!environ!50!mètres!d’une!maison!!où!je!vois!aller!et!venir!les!Boches.!Je!tire,!tire!et!tire.!

J’ai!su!après!que!les!Boches!étaient!en!train!d’installer!une!mitrailleuse!dans!cette!maison!car!ils!

ne!répondaient!pas!à!nos!feux!et!avaient!l’air!tous!occupés.!Pendant!quelques!minutes,!nous!en!

descendons!trois.!Mais!maintenant!leur!mitrailleuse!est!prête!et!commence!à!cracher.!Nous!nous!

tapissons!dans!le!boyau!et!sommes!dans!l’impossibilité!de!riposter.!A!ce!moment!je!me!retourne.!

Le!sergent!Ferbus!qui!était!parti!chercher!des!renforts!n’était!pas!revenu.!J’appelle!et!personne!

ne! répond.! Le! lieutenant! avait! tout! simplement! donné! ordre! de! battre! en! retraite! et! ceux! qui!

étaient! derrière! les! quatre! premiers! n’avaient! pas! pris! la! peine,! dans! leur! émoi,! de! nous!

transmettre!l’ordre.!Voyant!le!péril,!je!dis!à!mes!trois!camarades!à!côté!de!moi!de!quitter!le!sac,!

de!se!retourner!prudemment!et!de!battre!en!retraite.!Comme!toujours! le!mouvement!de!recul!

leur! fait! perdre! la! boule.! En! se! retournant!précipitamment!dans! le! boyau,! ils! écopent! tous! les!

trois!:!Chabrier!atteint!à!la!tête!tombe,!Dufour!blessé!au!rein!se!traîne!et!meurt!quelques!heures!

après! et! Blanc! reçoit! trois! balles! dans! le! sac.! Je! rejoins! la! compagnie.! L’ordre! est! donné! de!

réoccuper!le!boyau,!le!plus!loin!possible.!Je!me!reporte!en!avant!avec!Vissier!et!on!arrête!à!mib

chemin.! Je! demande! quelques! hommes! pour! tenir! le! boyau.! Vers! la! tombée! de! la! nuit,! une!

patrouille!ennemie!avance!de!nouveau.! Je! leur! tire!dessus!à!15!mètres!et!en!blesse!un,!qui!est!

emporté!par!son!camarade.!Mais! ils!se!dissimulent!dans! l’obscurité!et! je!ne!peux! les!atteindre.!

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! 27!

Inutile!de!les!poursuivre!;!ils!sont!couverts!par!le!feu!de!leur!mitrailleuse.!Vers!7!h,!arrivent!des!

vrais! renforts,! le! 14e! chasseur! qui,! avec! le! 53e! chasseur,! opèrent! l’attaque! sur! les! Boches.!Ma!

compagnie!ne!prenant!pas!part! à! ce! combat! effréné!qui!dura! toute! la!nuit,! je!m’assoupis! avec!

mes!copains!Vissier!et!Blanc!dans! la!cabane!et! je!dormis!mon!soûl!malgré! la! fusillade! intense.!

Ces!petits! chasseurs! alpins! sont! admirables!de! courage,! d’entrain! et!de! gaieté.! Ils! disputent! le!

terrain! pied! à! pied! aux! Allemands.! Bien! retranchés! dans! une! maison,! ceuxbci! ne! cèdent! pas!

malgré!les!pertes!subies.!Ils!sont!délogés!par!quatre!coups!d’une!pièce!de!75!roulée!à!40!mètres!

de!la!maison.!Bien!peu!des!occupants!sont!encore!en!vie.!Vers!l’aurore,!les!Boches!se!décident!à!

une! contrebattaque.! Je! les! entends! distinctement! donner! des! ordres!;! puis! après! un! coup! de!

sifflet!et!deux!minutes!d’intervalle,!j’entends!de!mon!poste!d’observation!un!bruissement!de!pied!

dans!les!betteraves.!L’alerte!est!donnée!et!un!feu!intense!commence.!Il! fait!encore!nuit!et!nous!

tirons! sans! viser.! Le! jour!point! et! l’ennemi! commence! son!mouvement!de! recul! en! se! cachant!

derrière! des! mottes! de! foin.! Nous! pouvons! viser! maintenant! et! ils! tombent! par! centaines.!

Comme!des!épis!de!blé,!notre!Lebel!les!a!fauchés.!En!rangs!serrés,!ils!jonchent!la!plaine.!Vision!

atroce,!cris!désespérés!de!blessés.!Pendant!un!ou!deux! jours,! ils!crieront!ainsi! jusqu’à!ce!qu’ils!

agonisent! à! quelques! mètres! de! nous! sans! qu’aucun! secours! leur! soit! porté.! Tels! sont! les!

rigueurs!de!la!guerre.!Ils!y!sont!encore!ces!morts,!ils!y!resteront!un!mois!ou!deux!empestant!l’air!

et!offrant! leur!charnier!aux!corbeaux! jusqu’à!ce!que! les!Allemands!reculent!de! leur!position.!A!

l’entrée!du!village!que!nous!réoccupons,! il! est! tombé!des!centaines!d’Allemands!abîmés!par! le!

75.!Des!jambes,!des!bras,!des!têtes!emportés.!Un!blessé!se!sentant!mourir!est!accroupi!sur!une!

tombe.!Il!est!inerte!dans!la!posture!de!celui!qui!prie.!C’est!l’heure!du!butin.!Nous!ne!respectons!

plus! les!morts,! nous! nous! comptons! parmi! eux.! C’est! à! qui! fouille! et! dévalise! cette! pourriture!

humaine.! Qui! n’a! pas! vu! la! guerre,! qui! n’a! pas! mangé! assis! aux! côtés! d’un! mort! sur! des!

suintements! de! cervelle,! en! riant! et! causant! avec! un! camarade! n’a! rien! vu.! C’est! simplement!

affreux.!

!

29!novembre!!

Voilà!près!d’un!mois! que! j’ai! interrompu!mon! journal.! La! littérature!ne!peut!pas! grandbchose.!

Quand!nous!ne!sommes!pas!dans!les!tranchées,!nous!sommes!au!repos.!La!vie!en!première!ligne!

est!beaucoup!plus!agréable.!On!est!occupé!du!matin!au!soir.! Il!est!vrai!que!nos!occupations!ne!

varient! guère.! Eternel! creusement! de! boyau,! amélioration! ou! construction! de! cahutes! et! de!

créneaux.! Le! pire! c’est! qu’aussitôt! que! le! logement! devient! confortable! il! faut! le! quitter.! En!

général,!on!passe!8!jours!en!première!et!quatre!en!deuxième!ligne.!En!ce!moment,!nous!sommes!

au! nord! est! de! Maucourt,! village! pris! et! repris! par! nos! troupes.! Il! est! en! bien! meilleures!

conditions!que!Lihons.! Il! y! a! encore!quelques!maisons!debout.! Les! tranchées! ennemies! sont! à!

400!mètres!environ!de!nous.!Il!est!préférable!d’être!placés!plus!près!de!ces!messieurs,!parce!que,!

alors,!de!peur!d’atteindre!les!leurs,!ils!ne!nous!marmitent!pas.!Depuis!quelque!temps!les!Boches!

sont!très!peu!actifs.!Ils!se!bornent!à!balancer!quelques!marmites!sur!Rosières!et!sur!une!batterie!

en!bois.!!

Hier! nous! avons! simulé! une! attaque! pour! empêcher! les! réserves! allemandes! qui! se! trouvent!

dans! la! région! de! se! porter! au! secours! de! celles! qu’on! attaque! réellement! dans! la! région! de!

QuesnoybenbSanterre.!Ce!simulacre!s’est!opéré!d’une!façon!bien!niaise!à!mon!point!de!vue.!Après!

quelques!coups!de!canons!sur!leurs!tranchées,!nous!avons!ouvert!un!feu!intense!après!quoi!une!

dizaine! d’hommes! sous! les! ordres! d’un! sergent! s’est! portée! par! bonds! à! une! soixantaine! de!

mètres!en!avant.!Aussitôt!shrapnells!de!pleuvoir.!Au!bout!d’une!heure,!dix!hommes!sont!rentrés.!

La! fusillade! a! continué! intermittente! jusqu’au! soir.! Cette! tactique! abtbelle! abouti! à! quelque!

chose!?!J’en!doute.!Dans!la!compagnie,!un!tué!et!deux!blessés.!Comme!résultat!c’est!maigre!?!

!

!

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! 28!

ICONOGRAPHIE'Documents*recherchés*sur*différents*sites*pour*illustrer*et*situer*les*événements*cités**

dans*les*lettres*et*le*journal*

'!

!

!

!

! !

«…Ils*blessent*un*des*nôtres*et*en*tuent*un*autre*(Fulchiron)*»*

«…*Chabrier*atteint*à*la*tête*tombe…*»*

(Source!:!Mémoire!des!hommes)!

!

Hôpital bénévole n° 67 bis de Corenc. Maison des sœurs de la Providence. (c) Musée du service de santé des armées.

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! 29!

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Lihons,!lieu!de!combat,!tranchée!dans!le!village!(source*Internet)!

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Lihons,!le!centre!du!village!après!les!combats!d’octobre!1914!(source*internet)!

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Remerciements*à*Philippe*Lahausse*de*la*Louvière*pour*la*communication*des*lettres*de*Frank*de*

Chazal* Mayer* pour* le* projet* «* L’île* Maurice* dans* la* Grande* Guerre*»,* partenariat* Ecole* du*

Centre/Lycée*La*Bourdonnais*

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EXTRAITS  DU  JOURNAL  D’UNE  MAURICIENNE    DONT  DEUX  FILS  SONT  A  LA  GUERRE  

Extraits  de  1916  à  1919                  `                                    Nous  remercions  Mme  Nadia  d’Unienville  de  son  aimable  autorisation  pour  la  publication  des  extraits  de  ce  journal,  retranscrit  par  ses  soins    

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REPERES  HISTORIQUES,  GEOGRAPHIQUES  ET  LEXICAUX      Le  Crimée,  El  Kantara,   l’Océanien,   le   Yara,   le   Calédonien  (et  autres  navires  énumérés)   :  navires   des   messageries   maritimes   réquisitionnés   pendant   la   guerre   par   les   services  postaux.    Ambulance  12/8  :  ambulance  n°12  du  8e  corps  d’armée.  Les  ambulances  sont  numérotées  par   un   double   chiffre   type   XX/YY,   YY   désigne   le   corps   d'armée   et   XX   le   numéro   d'ordre.  Chaque  corps  d’armée  ne  disposant  que  de  16  ambulances,  XX  ne  dépasse  jamais  16.      

 

Une  ambulance  dans  la  région  de  Verdun  http://www.cosmovisions.com/Grande-­‐Guerre-­‐1916.htm  

   

Des  soldats  français  montant  dans  une  ambulance  américaine    à  la  gare  de  Toul  (1916)  

(Photographie  publiée  par  l'ECPAD)    

   

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 Traitement   de   mécano-­‐thérapie  :   traitement   de   certaines   affections   ostéo-­‐articulaires,  musculaires   ou   nerveuses   par   des  mouvements   effectués   à   l’aide   d’appareils  mécaniques.  L’arrivée  massive   de   blessés   oblige   à   réorganiser   en   urgence   les   services   de   santé  ;   c’est  ainsi   que   seront   créés   les   services   de   physiothérapie   équipés   d’appareils   de  mécanothérapie   en  provenance  de   l’étranger,  mais   aussi   fabriqués   avec  des  matériaux  de  récupération.  Source  :  http://rha.revues.org/7969    

   

Séance  de  mécanothérapie  lors  de  la  guerre  14-­‐18    L'hôpital  militaire  de  Séméac  :  proche  de  Tarbes,  cet  hôpital  a  accueilli  pendant  la  guerre  1  415  malades  et  blessés.  La  fondatrice  et  administratrice  était  Madame  la  générale  Allenou.  Pour  en  savoir  plus  :  http://lieux.loucrup65.fr/hopitalsemeac.htm    Salonique  :  l'expédition  de  Salonique,  de  1915  à  1918,  autrement  dénommée  Front  d'Orient,  Front  de  Salonique  ou  Front  de  Macédoine  est  une  opération  menée  par  les  armées  alliées  à  partir  du  port  grec  macédonien  de  Salonique  pendant  la  Première  Guerre  mondiale.    La  bataille  de  Verdun  :  bataille  de  la  Première  Guerre  mondiale  qui  eut  lieu  du  21  février  au  19  décembre  1916  près  de  Verdun  en  France,  opposant  les  armées  françaises  et  allemandes.  C'est  la  plus  longue  et  l'une  des  batailles  les  plus  dévastatrices  de  cette  guerre.    La  Malle  :  (appelée  à  Maurice  aussi  la  Malle  française),  navire  des  Messageries  Maritimes  assurant  le  transport  du  courrier.    Câble  ou  câblogramme  :  télégramme.          

ldkoenig� 29/10/14 16:08Supprimé:  

ldkoenig� 29/10/14 16:08Mis en forme: Police :Non Gras

ldkoenig� 29/10/14 16:08Mis en forme: Police :Non Grasldkoenig� 29/10/14 16:08Supprimé: s

ldkoenig� 29/10/14 16:14Supprimé:  (Gabrielle  évoque  la  générale  Albenou

ldkoenig� 29/10/14 16:15Commentaire [1]: C’est une erreur de transcription. C’est bien Allenou qui figure dans l’original du journal.

ldkoenig� 29/10/14 16:14Supprimé: )

ldkoenig� 29/10/14 16:16Mis en forme: Police :11 ptldkoenig� 29/10/14 16:16Mis en forme: Police :11 pt

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L’Ernest  Simon  :  affrété  par  l'Etat  français  pour  les  services  postaux  en  1914  et  coulé  le  3  avril  1917.  Jean  T.  était  à  bord  quand  le  bateau  a  été  torpillé  par  le  sous  marin  UC  37  (OL  Otto  Launburg)  à  15  milles  du  Cap  Rosa,  en  Méditerranée  et  faisant  11  victimes.    

   

 Octave  H  :   il  s’agit  d’Octave  Harel,  sous lieutenant-pilote, mort à 24 ans dans les Flandres lors d’un combat aérien le 18 août 1917, inhumé dans le village de Lallaing. Son nom est inscrit au cénotaphe de Curepipe. 21  mars   1918   :   l’offensive   du   Printemps,   également   connue   sous   le   nom  Kaiserschlacht,  bataille  du  Kaiser,  ou  offensive  de  Ludendorff,  est  un  terme  utilisé  pour  faire  référence  aux  séries  d'attaques  allemandes  sur  le  front  occidental  du  21  mars  au  18  juillet  1918  durant  la  Première  Guerre  mondiale.  Les  Allemands  s'étaient,  en  effet,  rendus  compte  que  leur  seule  chance  de  gagner   la  guerre  était  d'anéantir   les  Alliés  avant  que   les  États-­‐Unis  ne  puissent  déployer  suffisamment  de  troupes  en  Europe.    Masque   à   gaz  :   les   soldats   portent   des   masques   pour   se   protéger   des   premières   armes  chimiques  utilisées  lors  de  la  Première  guerre  mondiale.    

   

Des  soldats  utilisant  des  masques  à  gaz  dans  les  tranchées    Le  Mont  Cornillet  :  site  français  de  combats  de  la  Première  Guerre  mondiale,  en  Champagne.  

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LE  JOURNAL  DE  GABRIELLE  T.,  MAURICIENNE  DONT  LES  FILS,  JEAN  ET  EMILE,  SONT  A  LA  GUERRE  

   Madame  Gaston  T.,  née  Gabrielle  K.,  Mauricienne  mariée  à  un  Francais,  lui-­‐même  né  à  La  Réunion  de  mère  mauricienne,  a  vu  ses  deux  fils  aînés,  Emile  et  Jean,  mobilisés,  partir  pour  la  France  afin  de  servir  sous  les  drapeaux.  Jean  partit  le  premier.  Emile  le  suivit,  le  21  mai  1915.  Jean  fut  initialement  réformé  et  revint  à  Maurice  en  décembre  1915,  mais  il  repartit  en  1916  pour  servir  de  nouveau  la  France.  Le  jounal  de  Madame  T.  a  gardé  la  trace  de  ces  années  où  ses  fils  combattaient  au  loin.  Voici  les  extraits  qui  en  parlent.  

 

   

Emile  T.,  engagé  volontaire      

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13  novembre  1916  Dimanche    Reçu  lettre  de  France  par  le  Crimée  et  El  Kantara.  Emile  blessé  à  Verdun  au  poignet  gauche  le   6   septembre.   Opération   chirurgicale   sous   chloroforme   dans   une   ambulance   12/8   à  l’arrière,  de  là  dirigé  par  chemin  de  fer  spécial  pour  l’hôpital  temporaire  de  Troyes.  Blessure  en  voie  de  guérison.  Pas  de  fièvre  Jean   a   bien   failli   partir   pour   Salonique,   départ   renvoyé   ou   raté.   Il   veut   passer   l’examen  d’aspirant  et  a  fait  une  application  dans  le  but  d’être  admis  à  composer.    Lundi  20  novembre  1916    Arrivée  de  l’Océanien  –  lettres  de  France  –  tout  va  bien  ;  Emile  va  être  envoyé  à  un  centre  de  mécano,   pour   suivre   un   traitement   de   mécano-­‐thérapie.   Par   suite   de   la   suture   du   nerf  cubital,  il  a  2  doigts  de  la  main  gauche  paralysés,  et  sa  main  ne  peut  se  fermer.  Le  traitement  sera   long,   paraît-­‐il,   et   il   se   réjouit   de   passer   l’hiver   hors   des   tranchées.   L.  D.   l’invite   pour  quelques  jours  à  Paris  et  a  mille  attentions  pour  lui.  Jean   toujours   à   Pau.   Visite   les   environs   à   ses   heures   libres   et   est   enthousiasmé   des  merveilles  du  Château  Henri  IV.      Dimanche  26  novembre    Le  Yarra  est  arrivé,  nous  attendons  nos  lettres  de  France  avec  impatience.  Dimanche,  2  h.  Plusieurs  lettres  de  Jean.  D’Emile  rien,  que  des  cartes  à  ses  sœurs  ;  il  adresse  son  courrier  au  Crédit  Foncier,  c’est  donc  demain  que  nous  aurons  ses  lettres.  Jean  très  bien,  toujours  à  Pau,  mais  il  parle  de  partir  pour  le  front  fin  octobre  peut-­‐être.  J’espère  bien  que  non  !  Les  C.  sont  toujours   charmants   pour   lui   et   le   gâtent   tant   et   plus.   Par   les   cartes   d’Emile,   nous   voyons  qu’il  est  parti  pour  Troyes   le  13  octobre  pour  se  rendre  à  Tarbes  !  D’où   il  doit  repartir  au  bout  de  6  jours  pour  Bordeaux  où  il  commencera  son  traitement.  Jean  attendait  son  arrivée  là  pour  aller  le  rejoindre  à  la  Toussaint  pour  48  heures.    Mardi  28  novembre  1916    Reçu  2   lettres  d’Emile  par   la  ville  hier   soir.   Il   est  bien  et   en   traitement  à   Séméac,  près  de  Tarbes.  Hôpital   tenu  par   la   femme  d’un  général  Allenou  et  un  médecin  civil.   Jean  devait   le  dimanche  suivant  aller  le  rejoindre  là  et  tous  deux  se  faisant  une  fête  de  se  revoir.  Tous   les   deux   parlent   du   prochain   départ   de   Jean   pour   le   front...   Faudra-­‐t-­‐il   toujours  craindre  et  trembler  mon  Dieu  !    Dimanche  3  décembre    Le   gramophone   joue   pendant   que   j’écris.   Comme   cela   me   renvoie   loin  !   Il   y   a   un   an  aujourd’hui,  3  décembre,  que  Jean  revenait  de  France  réformé  et  que  je  croyais  le  tenir  pour  toujours  !  Depuis,  que  d’événements  !  Le  voilà  reparti,  et  peut-­‐être  retourné  au  front  une  2e  fois  !  Ah  !  La  vie  vous  en  réserve,  des  surprises  et  des  épreuves...    Gaston  a  acheté  un  superbe  drapeau  français  et  un  mât  qu’il  a  fixé  à  la  maison.  Nous  l’avons  hissé  hier  soir  pour  essayer  et   les  serviteurs  de  J.  en  passant  ont  dit  :  «  Mais  guette  Mr  T.  !  Sans  doute  so  garçons  finent  gagnent  ène  bataille  là  bas  !  »  

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Les  nouvelles  de  la  guerre  sont  bien  mauvaises  pour  la  pauvre  Roumanie.  Voilà  les  Boches  à  Bucarest...  Mais  les  alliés  sont  toujours  sûrs  de  la  victoire  et  le  blocus  de  la  Grèce  va  donner  un  peu  de  répit  de  ce  côté.  Ah  !  Les  monstres  !    Samedi  16  décembre  1916    Une  belle  victoire  à  Verdun.  Les  Français  ont  fait  plus  de  9  000  prisonniers  et  200  officiers.  Ils  ont  percé  le  front  allemand  sur  plusieurs  points  et  regagné  toute  la  partie  perdue  depuis  l’offensive   de  Verdun.   C’est   par   un   télégramme   reçu   très   tard   ce   soir   qu’on   a   appris   cela.  Nous  étions  à  Rose-­‐Hill,  Marie  et  moi,  et  Emmanuel  a  porté  une  petite  note  jaune  annonçant  la  victoire  de  la  France.  En  arrivant  ici  j’ai  rencontré  Gaston  sur  le  chemin  de  la  gare,  allant  à  la   recherche   d’un   Radical.  Mon   petit   bout   de   télégramme   est   arrivé   à   propos   –   il   est   allé  porter   la  bonne  nouvelle   au  Père  P.   et   au  vieux  Frère,   qui   ont   été   ravis   –   et  demain,   il   va  hisser  le  drapeau  français  au  haut  du  mât  !    Dimanche  24  décembre  1916    Reçu   les   nouvelles   de   France   par   le   Calédonien.   Jean   était   à   Paris   depuis   8   jours,   peloté,  amusé,  gâté,  logé  par  les  C.  et  tante  L.  Emile  toujours  à  Séméac,  suivant  son  traitement,  mais  encore  bien  peu  avancé  quant  à  la  main  inerte.  Jean  et  lui  se  sont  vus  pendant  un  jour  entier,  ils  ont  déjeuné  ensemble,  promené  ensemble  et  Jean  nous  dit  qu’il  a  été  obligé  de  lui  couper  sa  viande  à  table  –  que  la  blessure  de  son  poignet  est  affreuse,  et  qu’il  a  4  doigts  absolument  morts  !   Pauvre   enfant  !   Pourvu   que   ça   revienne  !   Je   suis   bien   aise   qu’il   passe   l’hiver   à  l’hôpital,  c’est  autant  de  pris  sur  le  danger  de  leur  affreuse  vie  !  Tous  les  mois  pour  ainsi  dire,  on  annonce  la  mort  d’un  nouveau  Mauricien  à  la  guerre  !  Jean  nous  dit  que  son  capitaine  l’a  nommé  mitrailleur  d’office  et  qu’il  va  aller  faire  un  stage  à  Bayonne  –  de  ce  côté,  nous  avons  donc  encore  un  peu  de  calme,  avant  qu’il   soit  apte  à   se  servir  de  sa  nouvelle  arme,  la  paix  a  le  temps  d’être  signée.  Les   Boches   commencent   à   n’en   pouvoir   plus   –   ils   demandent   la   paix,   mais   les   alliés   ne  veulent  pas  d’une  paix  boiteuse  –  et   s’ils  ne   sont  pas  plus   coulants,  on   les  écrasera   tout  à  fait  !    1er  janvier  1917    Que  va-­‐t-­‐elle  nous  porter  cette  nouvelle  année  ?  Un  seul  désir  un  seul  voeu  sort  du  fond  de  mon  âme.  La  Paix  !  La  fin  de  la  guerre,  la  victoire  enfin  !  Je  pense  que  mes  deux  soldats  sont  à  l’abri  pour  quelques  temps  encore.  Tous  autour  de  moi  se  portent  bien  !  Donc  je  ne  pense  qu’à  une  chose  la  fin  de  cette  guerre  qui  ronge  notre  vie,  nous  cause  des  soucis  de  toutes  les  minutes,  nous  absorbe  enfin  en  nous  faisant  trembler.      Vendredi  5  janvier  1917    Gaston  a  appris  par  Mr  de  P.  que  Jean  est  à  Salonique  depuis  le  18  ou  20  décembre.  C’est  un  câble  d’Ernest  H.   à  Franck  qui   a  dit   cela.  Nous   autres  nous   sommes   sans  nouvelles,   parce  que   sans   bateau,   et   nous   le   croyions   à   Bayonne   en   train   d’apprendre   le   métier   de  mitrailleur  !  Cela  me  fait  un  drôle  d’effet  de  penser  que  des  étrangers  sont  au  courant  avant  nous  de   ce  qui   arrive  à  nos  enfants.  Mon  Dieu  où  qu’il   soit  protégez  mon  cher  garçon,  ne  permettez  qu’il  ne  lui  arrive  rien  de  mal  !      

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Lundi  soir  8  janvier  1917    Nous   sommes   sans   cuisinier,   sans   domestique  !   Le   gouvernement   lève   un   bataillon   de  travailleurs  qui  vont  aller  en  Egypte  et  en  Mésopotamie  remplacer  ceux  qui  vont  à  la  guerre.  Augustin  et  le  boy  sont  allés  s’enrôler  et  je  me  trouve  sans  personne.  Le   Kaiser   a   demandé   la   paix   sur   tous   les   tons,   mais   les   alliés   ne   pouvant   accepter   ses  conditions,   la   guerre   va   redoubler   d’intensité  !   Et   Jean   à   Salonique  !   Mon   Dieu   que   de  terreurs   perpétuelles   dans   notre   vie   depuis   2½   ans,   que   de   chagrins,   de   soucis,   de  séparations.  Enfin  !      Mardi  13  février  1917    Le   dernier   courrier,   il   y   a   près   d’un  mois,   nous   a   porté   la   photo   de   Jean   en   costume   de  l’armée  d’Orient,  avec  le  bonnet  de  police  orné  du  croissant  et  de  l’étoile.  Il  est  très  bien,  un  peu   amaigri.   Emile   est   vaguement   triste   à   Séméac.   Il   meurt   de   froid,   il   y   a   une   neige   si  épaisse  quand  il  se  rend  à  son  lieu  de  poste  que  toutes  les  5  minutes,  il  s’arrête  pour  gratter  une  semelle  de  neige  épaisse  de  10  cm  à  ses  chaussures.    Mercredi  21  février    Jean   est   à   Salonique   depuis   le   1er   janvier.   Il   a   passé   par   l’Italie   dans   toute   sa   longueur,  voyage  si  intéressant  !  A  Salonique  au  milieu  de  la  poussière  et  de  la  chaleur,  il  campe  sous  la   tente.   Quand   aurons-­‐nous   d’autres   nouvelles  ?   Emile   toujours   à   Séméac   à   l’abri,   lui,   du  moins.    Jeudi  5  avril    Emile  arrive,  en  permission  !  Reçu  un  câble  ce  matin  ainsi  conçu  «  Envoie  300  francs  Ernest,  arrive,  permission  ».    Quelle  joie  !    Vendredi  6  avril  1917    Hier   nous   avons   eu   la   surprise   de   voir   arriver   par   le   Calédonien   non   attendu   encore,   un  monceau  de  lettres  et  de  cartes  de  nos  soldats.  Emile  envoie  sa  photographie,  avec  sa  capote  de   soldat  et  un  béret  basque.  C’est   lui,   c’est  bien  notre  Emile  de   jadis,  mais  avec  un  autre  air.....  Quelle  hâte   j’ai  de   le  voir  !  Les   lettres  sont  remplies  d’espoirs  et  de  déceptions  au  sujet  de  cette  permission  qui  en  fin  de  compte  lui  a  été  accordée,  puisqu’il  nous  câble  qu’il  arrive.  Il  est  allé  à  Lourdes,  a  prié  à   la  grotte,  mais  ne  nous  dit  pas  s’il  a   trempé  sa  main  dans   l’eau  miraculeuse  !  Quant  à  mon  pauvre  Jean,  il  mène  la  vie  la  plus  dure  qu’on  puisse  imaginer  en  Macédoine.  Où  il  souffre  horriblement  du  froid  intense,  de  la  neige  perpétuelle,  exposé  aux  bombardements   bulgares,   faisant   les   patrouilles   de  nuit     jusqu’aux   avant-­‐postes   ennemis,  essuyant  la  fusillade  et  rampant  sur  la  neige.  Je  tremblais  déjà  en  lisant  dans  les  dépêches  de  Salonique  les  moindres  actions  françaises  et  maintenant,   je   le  vois  sans  cesse,   jour  et  nuit,  exposé  à  tous  les  dangers.  Mon  Dieu  !  J’ai  confiance  que  vous  nous  le  garderez  et  que  vous  ferez  tourner  en  bien  pour  lui  toutes  ces  souffrances  et  cette  horrible  campagne.  Il  est  dans  la  brousse,  loin  de  tout  village,  dans  les  montagnes  et  les  ravins  sous  la  pluie  diluvienne  ou  la  neige  glaciale  !  Mais  Dieu  le  garde  !      

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Mercredi  16  mai  1917    Pas   d’Emile   encore  !   De   jour   en   jour   on   annonce   la   Malle,   mais   rien  !   Enfin   on   nous   dit,  maintenant,  pas   avant   le  26.   Je   suis  bien   tourmentée  !  Et   surtout  d’être   sans  nouvelles  de  Jean  depuis   le   20   février.  Bientôt  3  mois  !  Oh  Dieu   si   je   ne   vous  priais  nuit   et   jour  de  me  conserver  mes  2  soldats,  je  deviendrais  folle  de  ce  manque  de  nouvelles.  Emile  au  moins  est  en   route   pour  Maurice,   et   comme   le   bateau   est   signalé   aux   Seychelles,   c’est   qu’il   n’a   pas  coulé.   Mais   Jean  !   Depuis   3   mois   que   lui   est-­‐il   arrivé   là   bas   en   Macédoine   où   on   se   bat  intensément  depuis  quelque  temps  ?  Il  était  avec  un  gros  rhume,  dans  ces  montagnes,  sous  la  neige  ou  la  pluie.  Dieu  les  garde,  tous  les  2.      24    mai  1917,  jeudi      On  a  annonce  la  Malle  pour  demain.  Pourvu  qu’Emile  soit  à  bord  !  Je  suis  si  anxieuse  !    25  mai  1917      La  Malle  est  mouillée.  J’attends  un  télégramme  de  Gaston  pour  savoir  si  Emile  est  à  bord  –  il  est  9½  heures  –  et  rien  encore  !  Tout  est  prêt,  sa  chambre,  un  bon  déjeuner,  le  dessert  qu’il  aimait  !  Même  jour,  10h  du  soir.  Ce  n’est  pas  Emile  qui   est   arrivé,  mais   Jean…  Ai-­‐je   été   saisie…  Mais   si   heureuse  de   revoir  mon  cher  garçon  que   je   croyais   si   loin,   sous   les  obus  Bulgares.  Blessé,  malade,  peut-­‐être  !  C’est   un   soulagement   de   le   voir   là,   au   milieu   de   nous,   engraissé,   gai,   content.   Mais   mon  pauvre  Emile  !  Mon  coeur  se  serre  en  pensant  à  lui  !  Mon  cher  fils  aîné,  quand  aura-­‐t-­‐il  son  tour   de   permission  ?   Sa   lettre   nous  montre   qu’il   n’a   pas   perdu   tout   espoir,   et   Jean   pense  qu’il   a   encore   de   la   chance   si   son   certificat   de   loyalisme   est   arrivé   en   France.   Ah  !   Qu’il  puisse  venir  !  Nous  avons  autant  besoin  que   lui  de  nous  revoir  !   Jean  a  été  torpillé  dans   la  Méditerrannée.  Il  avait  pris  passage  à  bord  de  l’Ernest  Simon,  qui  a  coulé  en  17  minutes  !  Ils  ont  eu  juste  le  temps  de  sauter  dans  les  radeaux.  Jean  a  perdu  toutes  ses  affaires,  il  est  arrivé  avec  un  costume,  et  une  pièce  de  chaque  vêtement,  ce  qui  était  sur   lui  enfin,  plus  un  petit  paquet  de  linge  sale  (5  pièces)  sauvé  au  dernier  moment  !  Il  est  avec  nous  pour  25  jours  !    7  juin,  jeudi    Un   câblogramme  hier  annonce  que   le  Yarra   a   été   coulé  dans   la  Méditerrannée  et   avec   lui  tous  les  papiers  du  Consulat  pour  la  permission  d’Emile.    21  juin  1917,  mercredi    Jean  est  reparti  !  Déjà  finis  ses  25  jours.  Je  suis  toute  découragée  !  Et  la  perspective  même  de  voir  peut-­‐être  Emile  bientôt  ne  me  remonte  pas  !  C’est  affreux  ces  perpétuelles  séparations  !  Vivre   toujours   sur   le  «  Qui-­‐Vive  »  ne   rien  savoir  de  précis.  Cette  guerre   interminable  aura  empoisonné  mes  dernières  années  !  Emile  arrivera  aussi  peut-­‐être,  et  à  peine  aura-­‐t-­‐on  eu  la  joie  de  l’avoir,  qu’il  faudra  lui  dire  adieu  aussi...    10  août  1917    Le  Caucase  nous  porte  des  nouvelles  de  nos  soldats.  Jean  encore  à  Bourbon  ne  repartira  que  par   le  Djemnah,  et  peut-­‐être  pour  s’arrêter  quelques  semaines  à  Madagascar  !  Tant  mieux.  

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Plus  longtemps  il  restera  en  dehors  de  cette  infernale  guerre,  plus  je  serai  heureuse  !  Emile,  lui,  est  rendu  à  son  dépôt.  Privas,  dans  l’Ardèche.  Il  nous  dit  qu’il  est  proposé  pour  le  Service  Auxilliaire  et  passera  au  conseil  de  Réforme  à   la   fin  du  mois  de  mai.  Déjà  2  mois  révolus  !  Dieu   fasse   qu’il   obtienne   de   ne   plus   aller   au   front  !   Sa  main   n’est   pas   guérie  !   Il   parle   de  prochaine  permission.  Quand  ?...      Dimanche  19  août  1917  

Le  Djemnah  nous  est  arrivé  le  …    sans  Emile  !  Mais  il  nous  écrit  qu’il  attend  un  certificat  de  loyalisme.  Il  est  attaché  à  la  Compagnie  Hors  Rang  et  à  la  garde  des  prisonniers  de  guerre  à  Lafarge  –  près  Privas  –   il   espère  être  nommé   interprète  de   langue  anglaise.  Pour   cela   il   a  passé   un   examen   que   ses   chefs   ont   qualifié   d’excellent.   Le   voilà   donc   dans   le   service  auxiliaire.   J’en   suis  bien  heureuse  !  Mais  quand   le   reverrons-­‐nous  ?...   Par   le  même  bateau,  nous  avons  eu  des  nouvelles  de  Jean  ;  il  était  encore  à  la  Réunion  et  doit  repartir  le  20  par  le  Djemnah   –   demain   donc…     Quelles   aventures   ne   va-­‐t-­‐il   pas   encore   courir.   Un   de   ses  camarades  –  Guigné  –  lui  a  adressé  à  Quatre-­‐Bornes  une  lettre  que  son  papa  a  ouverte  et  qui  nous   tourmente   excessivement.   Ce   jeune   camarade   semble   lui   dire   qu’il   n’a   pas   eu   une  permission  bien  en  règle,  et  que  ses  chefs  ont  tout  fait  pour  l’arrêter  avant  son  départ  sans  y  réussir.   Qu’est   ce   que   cela   veut   dire  !   Nous   lui   écrivons   à   Bourbon   en   lui   envoyant   cette  lettre   de   nous   rassurer   et   de   nous   expliquer...   Dieu   fasse   qu’il   n’ait   pas   commis   quelque  étourderie  !   J’ai   si   peur   de   la   discipline  militaire  !   Hélas  !   Quand   est-­‐ce   que   je   cesserai   de  craindre  et  de  trembler  pour  Jean…  C’est  mon  continuel  souci…    

Lundi  27  août  1917  

Malle   française   (Ispahan)   arrivée  hier  dimanche.  Pas  de   trains,   pas  de  poste  !  Nous   avons  attendu  nos  lettres  ce  matin  et,  depuis  le  premier  train,  rien  encore,  11  heures  !  Pas  un  mot  de  Jean  !  Et  Dieu  sait  si  nous  étions  anxieux  de  sa  réponse  à  la  lettre  de  Guigné.  Peut-­‐être  par  le   train  de   la   journée  nous  aurons  une   lettre  !  Ce   serait   la  1ère   fois  depuis   la   guerre  qu’un  bateau  arriverait  sans  nouvelle  de  lui.  Et  Emile  que  nous  attendons  en  vain  depuis  tant  de  mois  !  Mais  lui,  ses  lettres  sont  toujours  adressées  au  Crédit  Foncier.  Gaston  les  portera  ce  soir.   Les   H.   ont   recu   un   câble   du   War   Office   leur   annoncant   que   depuis   le   14   Octave   a  disparu  !  Pauvre  garçon  !  Il  était  aviateur  sur  le  front  en  France  !  J’espère  vivement  qu’on  le  retrouvera,  et  que  sa  maman  n’aura  pas  trop   longtemps   l’angoisse  de  se  demander  s’il  est  mort  ou  vivant  …    Mardi  28  août  1917    Reçu   des   nouvelles   de   Jean   et   Emile   par   Ispahan.   Emile   versé   dans   le   service   auxiliaire  définitivement  et  même  espère  être  nommé  interprète  pour  l’armée  anglaise.  Jean  parti  de  Bourbon  le  22  au  soir,  à  destination  de  l’Europe.  Il  ne  séjournera  pas  à  Diego,  comme   il   l’avait   espéré.   Il   a   été   choqué,  nous  écrit-­‐il,   de  notre   impression   sur   la   lettre  de  Guigné.  Mais  sa  permission  est  bien  en  règle,  et  il  n’a  rien  à  craindre.  Quel  soulagement  !  Il  est   chagrin  de   repartir.  Ces  2  mois  de  séjour  à  Bourbon   lui  ont  été   très  agréables  –  on   l’a  bien  gâté.  Il  nous  écrit  qu’il  est  à  la  veille  de  ses  26  ans  et  qu’il  sent  l’âge  entrer.  J’ai  trouvé  un   peu   triste   le   ton   de   sa   lettre   et  mon   chagrin   de   le   voir   regagner   Salonique,   la   guerre,  l’hiver   dans   les   neiges   de   la   Macédoine   s’en   est   accru  !   Il   dit   que   ses   misères   vont  recommencer,  et  nous  recommande  de  penser  à  notre  gosse...  et   il   signe  Votre  petit   Jean  !  Cora  est  venue  me  rejoindre  hier  et  nous  sommes  allées  chez  Jeanne  H.  Reçues  par  Jeanne  la  fille,  très  aimable  –  et  Jeanne  la  mère  est  arrivée  ensuite.  Elle  est  pleine  de  courage  et  aussi  

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pleine   d’espoir.   Ils   attendent  !   Pauvres   gens  !   Les  Mauriciens   partis   dans   l’armée   anglaise  n’ont  pas  de  chance  !  Ils  y  restent  tous…  

9  novembre  1917      

Enfin  des  nouvelles  de  Jean  et  d’Emile  hier  par  le  Sydney.  La  santé  est  bonne  pour  tous  deux  mais   la   lettre  d’Emile  est  du  8   septembre  et   celle  de   Jean,  de  Port-­‐Saïd,  du  20  septembre.  Bientôt  2  mois  ;   et  nous  n’avons  pas   reçu   le   câble  annonçant   son  arrivée  à  Marseille…  Où  est-­‐il  ?   J’ai   eu   un   affreux   cauchemar   à   son   sujet   cette   nuit   et   me   suis   réveillée   toute  tremblante  !  Emile  toujours  à  La  Farge  !  Il  dit  qu’on  l’a  oublié  !  Il  a  été  versé  définitivement  dans   le   service   auxiliaire,   mais   on   lui   avait   annoncé   un   poste   d’interprète   de   l’armée  anglaise  et  depuis  3  mois  il  ne  voit  rien  venir.  Il  ne  parle  de  permission  que  pour  parler  du  mois   d’octobre   où   elles   reprendront.   Quand   le   verrons-­‐nous  ?   Et   cette   guerre  !   Après   les  Russes,   voilà   les   Italiens   qui   trahissent   et   se   rendent   en   masse  !   Les   Alliés   envoient   des  contingents  à  leur  secours  –  encore  un  arrêt,  encore  un  retard  à  la  paix,  hélas  !  Je  voudrais  tant  en  avoir  fini  !  Quelle  croix  que  cette  séparation,  cette  angoisse  du  jour  et  de  la  nuit.  

Mercredi  28  novembre  1917  

Toujours  sans  nouvelles  de  nos  soldats  et  il  n’y  aura  aucun  bateau  avant  fin  décembre,  dit-­‐on.   Il   paraît   que   c’est   le   Djemnah   qui   revient  !   Donc   Jean   est   arrivé   à   bon   port  !   Mais  pourquoi  pas  de  câble  ?  Hélas  nous  vivons  dans  l’incertitude,  l’ignorance  de  tout  ce  qui  leur  arrive  et  je  me  sens  à  bout  de  patience…  Avant  hier  j’ai  terminé  une  neuvaine  pour  obtenir  la   fin  de   la   guerre…  Les   Italiens   se   sont   ressaisis  !  Mais   la  Russie   est   finie  !   Finie  pour   les  alliés   du  moins   –   on   se   tue,   on   se   bat   dans   les   rues,   on   incendie   les   villes.   La   Révolution  complète,  quoi  !  93…  Mais   les  alliés  ont  toujours   le  dessus  en  France,  dans  le  moment  une  offensive  anglaise  du  côté  de  Cambrai  –  près  de  10  000  prisonniers  –  tout  de  même,  il  y  en  a  encore  de  ces  Allemands,  pour  tenir  tête  partout  !  Quand  cela  finira-­‐t-­‐il  ?  

20  décembre  1917  Il  fait  chaud  depuis  2  jours  ;  l’été  se  fait  sentir  –  il  faut  espérer  que  nos  soldats  ont  bénéficié  du  temps  exceptionnel  que  nous  avons  eu  jusqu’ici.  Nous  n’avons  pas  eu  chaud  avant  le  20  décembre,  eux  n’auront  pas  eu  froid  !  Pourtant  Jean  nous  dit  qu’il  a  froid,  sa  lettre  est  du  22  octobre  et  il  ne  sait  que  faire  de  ses  pieds...  Il  était  à  Lorient  (son  dépôt)  en  Bretagne  –  une  épidémie  de  dyssentrie  retardait  son  départ  pour   les  Sables  d’Olonnes  qui  est   leur  station  de   départ.   Il   espérait   et   croyait   même   que   c’était   certain,   qu’il   ne   repartirait   pas   pour  Salonique  et  irait  même  sur  le  front  français.  Où  est-­‐il  maintenant  et  depuis  2  mois  !  Il  avait  fait   une   bonne   traversée   et   avait   traversé   toute   la   France   pour   se   rendre   à   Lorient,  séjournant  3  jours  à  Paris,  où  il  avait  revu  Pierre,  Alix,  tante  L.,  Robert  et  même  Elise.  Emile,  lui,  était  encore  à  La  Farge,  mais  ayant  passé  un  nouvel  examen  médical,  et  reconnu  apte  à  la  zone  des  armées,  par   tous   les  majors,   il   attendait   son  ordre  de  départ...  Pour  où  ?  Comme  quoi  ?  Comment  ?  Sa   lettre   aussi   est  datée  du  22  octobre,   ils   étaient  bien  portants   tous  deux,  Dieu  Merci,   et  nous  n’avons  qu’à  les  confier  à  Dieu,  et  à  attendre  !  

Dimanche  23  décembre  1917  

Nous  voici  à  la  veille  de  Noël.  Où  sont  nos  fils  à  l’heure  actuelle  ?  Blessés,  malades,  exposés  à  coup   sûr  !   Mais   Dieu   est   là   et   j’ai   mis   en   lui   ma   confiance   entière.   Mes   soldats   seront  épargnés.  Pas  de  très  grands  mouvements  militaires  sur  le  front  français,  ces  jours-­‐ci.  Je  ne  

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pense  pas  qu’Emile,  ni  Jean  soient  en  Italie  où  l’on  se  bat  rudement...  Si  nous  pouvions  avoir  un  bateau  nous  portant  quelque  nouvelle  rassurante  pour  notre  jour  de  l’an  !  Pauvre  jour  de  l’an  !  Et  les  petits  ne  comprennent  pas  bien,  et  s’étonnent  de  nous  voir  si  anxieux,  si  attristés,  en  cette  fin  d’année  !  

 

26  janvier  1918,  samedi  

Un  câble  d’Emile  :  «  Arrive  Océanien  ».  Ah  Dieu  !  Enfin  !…  En  même  temps  la  Malle,  mouillée  à   2   heures  de   l’après  midi.   Aurons-­‐nous  nos   lettres   ce   soir  ?   Et   demain  dimanche,   pas   de  trains  !   Je   peux   à   peine   croire   que   dans   quelques   jours   nous   reverrons   enfin   notre   cher  soldat  après  3  ans  !  

Dimanche  27  

Plusieurs  lettres  de  Jean  par  le  dernier  train  hier  soir.  Il  est  bien,  était  en  permission  à  Paris,  chez  Robert  de  R.  et  pensait  partir  pour  l’Italie  à  son  retour  aux  Sables,  après  ses  14  jours  de  permission.  Il  ne  parle  que  de  promenades,  de  plaisirs,  de  bamboches…  Quand  aurons-­‐nous  d’autres   nouvelles  ?   Et   où   sera-­‐t-­‐il   alors  ?  On   nous   dit   que   l’Océanien   peut   être   ici   dans   2  jours  ;  mercredi  peut-­‐être  !  Je  vais  arranger  tout  de  suite  la  chambre  d’Emile,  et  avec  quelle  joie  !  

Mardi  29  janvier  1918  

Emile  est  arrivé  ce  matin  vers  10  heures  !  Beau  et  joli  garçon,  gras,  rose,  frais,  grandi  !  Quel  plaisir   j’ai   eu  à   le   revoir  !  Et   son  papa  !   Il   avait   tant  attendu  ce   fils   là  !  Nous  avons  eu  une  descente  de  parents,  d’amis  –  tout   le  monde  l’a  admiré,  questionné,  etc.  Le  soir,  Léon,  mes  soeurs,  Vincent  et  Eugène  ont  diné  avec  nous.  Nous  avons  bu  du  champagne  pour  le  fêter.      Samedi  9  mars  1918    Il  est  probable  qu’Emile  ne  reparte  que  vers  le  20,  par  le  Sydney.  M.  de  Guigné  a  fait  un  peu  de   difficultés   parce   que   le  Louqsor  s’en   va   avant,   le   11   –  mais   le   commandant   du   Sydney  ayant  affirmé  que  son  bateau  arrivera  avant  le  Louqsor  à  Marseille,  le  brave  consul  a  l’air  de  se  laisser  persuader,  d’après  une  lettre  express  qu’il  a  écrit  à  Emile  hier  soir.  Ce  soir  au  Club  de  Quatre-­‐Bornes  il  y  a  grande  réunion  «  At  home  »  avec  invitation  sur  carte  pour  fêter  «  Emile  T.  et  Léon  Th.  qui  retournent  au  front  ».      21  mars  1918    Emile  est  reparti  ce  matin  à  9  heures  !  Ces  presque  2  mois  ont  passé  si  vite,  que  c’est  à  peine  si   j’ai   eu   le   temps  de   le  voir  !  Dieu   le  garde  !   Il   s’en  va  par   le  Sydney.   Lucien   lui   a  payé  un  passage  de  3ème  classe,  ce  qui  fait  qu’il  aura  une  cabine  de  2nde  par  amabilité  du  commandant  Cocher   auquel   il   a   été   présenté   et   les   recommandations   qu’il   a   eues   pour   les   officiers   du  bord  et   le  commissaire   lui  assurent  une  agréable  traversée.  Il  a  été  comblé  de  cadeaux,  de  douceurs  par  tous.  Lucien  lui  a  envoyé  500  frcs,  André  lui  a  donné  plus  de  150,  et  Edith  lui  a  fait   remettre  par   son  mari  un  bracelet-­‐montre  qui   lui   a   fait   bien  plaisir.   Léon  a   réuni   son  papa,  Vincent  et  lui  dans  un  déjeuner  à  la  Flore  où  il  paraît  que  c’était  très  ordinaire,  malgré  

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le  prix.  Enfin,  voilà  encore  un  sacrifice  !  Un  nouveau  départ,  de  nouveaux  adieux  !  Quand  le  reverrons-­‐nous…  Pas   de   nouvelles   de   Jean   depuis   le   11   janvier  !   Où   est-­‐il  maintenant  ?   Son   papa   a   chargé  Emile  de  lui  faire  parvenir  50  francs.  Mes  pauvres  soldats  !  Maintenant  je  sais  ce  qu’ils  ont  à  souffrir,  et  les  dangers  qu’ils  courent,  hélas  !  

23  mars  1918  

La   grande   offensive   a   commencé   le   21  mars.   Les   Allemands   ont   bousculé   les   Anglais,   et  bombardent  Paris  de  ¼  d’heure  en  ¼  d’heure  !  Les  Français  sont  arrivés  à   leur  secours,  à  ces  Potish…  et   la   situation  est   sauvée  d’après  un  officiel  du  Général  Haig  –  où  est   Jean   là-­‐dedans  ?   Mon   Dieu  !   Quelle   anxiété,   pour   nous,   les   nouvelles   sont   encore   si   graves…   Ces  Boches  avancent,  avancent  toujours.  Les  villes  et  villages    sont  pris  les  uns  après  les  autres  ;  ils  sont  rendus  à  leurs  anciennes  lignes  de  1916  !  

Dimanche  23  juin  1918  

Pas  de  nouvelles  de  France  !  Depuis  le  câble  reçu  de  Marseille  en  date  du  12  mai  nous  disant  qu’Emile   y   était   arrivé,   nous   ne   savons   rien   d’eux.     Où   est   Jean  ?   Nous   sommes   à   la   3ème  grande  offensive  allemande  !  Cette  fois  ils  sont  rentrés  à  Château-­‐Thiéry  et  veulent  arriver  à  Compiègne  !   Il   y   a   depuis   quelques   jours   une   grande   offensive   autrichienne  !   Mais   les  Italiens   ne   lâchent   pas   pied   et   les   Franco-­‐Anglais   les   aident   à   repousser   les   avances  autrichiennes.  Quant  en  aurons-­‐nous  fini  ?  Aucune  nouvelle  de  Jean  et  d’Emile.  C’est  le  plus  dur  !   Je  ne  cesse  de  rêver  à  eux,  de  voir   Jean  blessé.  Pour  Emile  même,   je  ne  me  sens  plus  aucune  sécurité  !  

Mardi  16  juillet  1918  

On  avait  parlé  de  l’arrivée  du  Sydney  pour  hier.  Mais  non,  ce  sera  pour  la  fin  du  mois  !   Il  y  aura  eu  5  mois  de  la  dernière  lettre  de  Jean  !  Qu’est-­‐il  devenu  pendant  ce  temps,  par  quelles  souffrances,  quelles  misères  n’aura-­‐t-­‐il  pas  passé  ?  Voici  2  mois  aussi  qu’Emile  est  en  France,  de   lui   non   plus   pas   de   nouvelles  !   Pourvu   qu’il   n’invente   pas   de   s’engager   dans   l’armée  active  et  de  partir  pour  le  front.  Avec  sa  main  inerte,  il  serait  si  exposé  !  Dieu  les  garde  !    

Mercredi  14  août  1918  

Enfin   le   Sydney   est   arrivé   ce   matin.   J’étais   agitée,   anxieuse   depuis   ce   matin,   enfin,   à   2½  heures  les  premières  lettres  sont  arrivées  portées  par  Jamin  qui  était  allé  à  la  gare  attendre  le   train.   J’ai   presque   pleuré   d’attendrissement   en   voyant   l’écriture   de   Jean.   La   1ère   lettre  ouverte  était  datée  du  14  juin.  A  peine  lue,  j’ai  envoyé  Jamin  téléphoner  à  Gaston  qu’il  était  en  bonne  santé,  mais  au  front,  hélas  !  Depuis  le  4  avril  !  Où  ?  Bon  Dieu  !  Emile  bien,  à  Lafarge.  

Jeudi  22  août  1918  

Nous  recevons  encore  des  lettres  restées  de  l’arrière.  Il  y  a  eu  un  bateau  japonais  acheté  par  les  Messageries  Maritimes  qui,  en  quittant  Port  Louis,  a  pris  feu  –   la  correspondance  a  été  très  abimée.  Le  Sydney  a  recueilli  son  courrier  au  passage  et  cela  nous  a  fait  un  monceau  de  lettres  dont  le  dépouillement  dure  encore  !  Hier  soir  nous  avons  eu  mot  de  Jean  encore,  daté  du  1er  mai.  Il  écrit,  de  la  tranchée,  tout  couvert  de  boue  !  Il  n’a  même  pas  le  temps  de  se  laver  les  mains  !  Pauvre  cher  !  Il  nous  dit  que  si  nous  voyons  l’enfer  où  il  est  nous  aurions  pitié  de  

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notre   gosse  !   Il   parle   des   environs   de   Reims,   de   la   pluie   de   fer   et   de   feu   qui   leur   tombe  dessus,  il  en  est,  dit-­‐il,  épouvanté  !  7  000  obus  en  un  jour  !  Ensuite  il  change  de  lieu,  même  de  secteur,  même  de  régiment  !  Le  dernier  est  le  101ème  d’Infanterie,  le  secteur  Postal  38  et  dans   la   Section   des  Mortiers   85  m/m.   Il   parle   de   son   beau   canon   que   toutes   les   grosses  légumes  du  ministère  viennent  admirer.  Il  parle  du  canon  «  stop  »  toujours  en  1ère  ligne  dont  il  est  !  Nous  avons  reçu  de  lui,  sans  compter  les  cartes  postales  à  ses  soeurs,  19  lettres  du  29  mars  au  14  juin.   Il  y  a  une  ou  deux  lacunes,  ce  qui   fait  que  j’attends  encore  des   lettres  qui  traînent  par  là.  M.  L.,  le  Colonial  Post  Master  que  j’ai  vu  chez  Lucien  deux  fois,  me  disait  qu’il  avait  encore  un  fort  dépouillement  à  faire.  

Jeudi  17  octobre  1918  

Pas  de  nouvelles  de  France  depuis   le  7   juillet.   Jean   toujours  au   front.  Où  ?  En  Champagne  sans  doute  toujours.  Emile  à  Lafarge.  Par  un  navire  anglais  The  Governor  nous  avons  eu  une  vieille  lettre  de  Jean  datée  du  6  juin  dans  laquelle  il  nous  dit  qu’il  vit  avec  son  masque  sur  la  figure   à   cause   des   obus   à   gaz   qui   pleuvent   autour   d’eux.   Il   parle   toujours   de   son   fameux  canon  (la  pièce  des  as)  que  les  ministres  viennent  admirer  de  Paris.  Son  Régiment  et  lui,  dit-­‐il,  ressemblent  à  un  troupeau  de  porcs  avec  leur  museau  pointu.    Même  jour  (17  octobre)    Mme   C.   au   téléphone   nous   annonce   que   Gaston   vient   de   lui   téléphoner   que   le   Kaiser   a  abdiqué  et  que  les  Allemands  se  sont  rendus  sans  conditions  !  Elle  ajoute  que  Port-­‐Louis  a  pavoisé  partout  et  qu’à  Quatre-­‐Bornes  c’est  un  délire  !  Mais  Rivaltz  nous   refroidit   un  peu  en  nous  disant  que   c’est  un   télégramme  d’Amsterdam.  Tout  de  même,  arrivée  à  Passy1,  je  fais  hisser  le  drapeau  français.  A  4  heures,  en  arrivant  de  la  ville,  Gaston  nous  apprend  que  la  nouvelle  a  été  démentie  !      1er  novembre  1918    La   Turquie   s’est   rendue   sans   condition  !   L’Autriche   veut   faire   une   paix   séparée.   Les  Allemands  vont  rester  seuls  avec  leur  déshonneur  !  Pas  de  nouvelles  de  mes  soldats  depuis  le  7  juillet  !    Lundi  12  novembre  1918  

L’armistice   est   signé  !   Finie   la   guerre.   Toutes   les   cloches   ont   sonné   hier   soir   vers   10   h.  C’était  émouvant.  Gaston  a  envoyé  un  câble  à  Ernest  pour  avoir  des  nouvelles  de  nos  soldats.  On  pavoise  partout.  Notre  drapeau  français  flotte  sur  Passy.  

23  novembre  1918  

Reçu   la   réponse  d’Ernest   au   câble  du  12.  Un   seul  mot  :  Bien.   Sydney  arrive   ce  même   jour  avec   beaucoup   de   lettres.   Jean   a   été   intoxiqué   par   les   gaz   le   26   juillet.   Depuis   le   14,   il  subissait  en  Champagne  les  derniers  assauts  boches,  d’abord  sur  le  Mont  Cornillet,  puis  un  peu  plus  loin  –  il  a  été  fait  prisonnier  pendant  ½  heure...  Sa  lettre  est  très  interressante  !  Une  vraie   page   d’histoire…   Emile   a   eu   l’influenza   espagnole.   Dieu   merci   le   câble   vient   tout  corriger  !  

1 Nom de leur maison.

ldkoenig� 29/10/14 16:07Mis en forme: Français

ldkoenig� 29/10/14 16:20Supprimé:  

ldkoenig� 29/10/14 16:07Mis en forme: Français

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 Noel  1918    La  guerre  est  finie  ;  la  pensée  des  soldats  Emile  et  Jean  ne  nous  angoisse  plus.    Lundi  28  déc/18    La  Cordillère   est   arrivée   si   tard   hier,   que   nous   avons   vu   se   succéder   tous   les   trains   sans  recevoir  une  seule  lettre  de  France.  Mais  après  6½  heures,  M.  M.,  que  Dieu  bénisse,  nous  a  envoyé  les  lettres  de  Jean  qu’il  a  eu  la  bonne  idée  de  prendre  à  la  poste  en  ville.  Mon  cher  garçon  est  tout  à  fait  remis  de  son  intoxication  et  était  au  17  novembre  à  Fontenay-­‐le-­‐Comte  (en  Vendée)   d’où   il   devait   partir   pour   le  Midi.   Il   a   fait   valoir   ses   droits   de   Colonial   et   ira  hiverner  au  chaud.  Il  parle  même  de  l’Algérie.  Emile   écrivant   ses   lettres   au  Crédit   Foncier,   ce  n’est  que   ce   soir  que  nous   les   avons   eues.  Gaston  un  peu  malade  a  envoyé  Jo  les  chercher.  Lui  aussi  est  bien.  Toujours  à  La  Farge,  mais  espérant   n’y   plus   rester   longtemps.   Il   s’agissait   d’un   poste   de   professeur   d’Anglais   dans  l’armée.  Ça  n’est  pas   tout   à   fait   la  même  chose  qu’interprète,  mais   enfin   c’est   toujours  du  changement,   c’est   ce  qu’il   désirait   par-­‐dessus   tout  !   Leurs   lettres   sont  bien   intéressantes  !  Emile  surtout  cette  fois,  parce  que  sa  dernière  lettre  est  après  l’armistice  et  il  nous  parle  de  l’enthousiasme  universel  qu’il  partage,  du  beau  rôle  de  l’armée  française,  des  illuminations,  pavoisements,   des   cloches   sonnant   à   toute   volée,   de   la   plus   petite   chapelle   à   la   plus  magnifique  cathédrale.  Il  nous  parle  aussi  d’un  projet  qu’il  veut  soumettre  à  Robert  de  R.  Il  s’agit  de  suivre  les  cours  à  l’école  de  Grignon  et  de  prendre  le  brevet  d’ingénieur  agronome  –  pour   cela   il   lui   faut  2   ans  d’internat.   Jean  aussi   a   l’air  de  vouloir   chercher   à   se   caser   en  France.  C’était  inévitable  !  Et  nous  ne  devons  voir  que  leur  intérêt.    Mercredi  1er  janvier  1919    Nous  recevons  toute  la  famille  à  déjeuner.  C’est  la  1ère  réception  du  jour  de  l’an  depuis  celle  qui  a  précédé  de  si  peu   le  départ  de   Jean,  puis  d’Emile  pour   la  guerre.  Les  années  qui  ont  suivi,  nous  avons  voulu  être  seuls…  Maintenant,  la  guerre  finie,  nos  soldats  guéris,  et  sains  et  saufs,  nous  reprenons  les  vieilles  traditions.    Retrouverons–nous  jamais  sur  la  terre  la  réunion  complète  ?...  Si  mes  2  fils  aînés  restent  en  France  ?    Samedi  1er  mars  1919    La  Queen  Mary,  arrivée  de  la  Réunion  hier  soir,  nous  porte  le  courrier  de  la  ville  d’Alger.  Une  seule   lettre   jusqu’ici  de   Jean,  nous  annonçant  qu’il   a   été  décoré  de   la  Croix  de  Guerre  !   Sa  lettre   est   datée   du   22   décembre,   et   c’est   le   mardi   précédent   qu’on   la   lui   a   remise,  solennellement  à  une  prise  d’armes.  Nous  sommes  tout   fiers  et  voudrions  bien  apprendre  qu’on   a   enfin   décoré   Emile   aussi.   Jean   nous   parle   de   lui   et   nous   raconte   que   son   frère   le  Professeur  est  à  Paris  et  habite  les  Champs-­‐Elysées.  Lui  Jean  est  en  service  à  Bordeaux  où  il  a  un  service  de  patrouille  de  nuit  de  10h  à  1h  du  matin,  ce  qui  fait  qu’il   travaille  dans  une  brasserie  où  il  gagne  11  francs  par  jour.  Je  suis  impatiente  d’avoir  des  lettres  d’Emile,  peut-­‐être  par  un  train  de  l’après  midi.            

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3  mars  1919,  lundi    Avant-­‐hier,  au  moment  où  nous  finissions  de  lire  les  lettres  de  Jean,  arrive  un  homme  de  la  Poste  nous  portant  un  câble  d’Ernest  H.  nous  disant  «  Jean  parti  Constantinople  ».  Que  va-­‐t-­‐il  faire  là  bas  !  Mon  Dieu  !  Nous  comptons  sur  d’autres  lettres  plus  explicatives  ou  bien  laissant  prévoir  un  projet  de  changement  de  garnison,  mais  rien  !  Rien  d’Emile,  rien  du  tout.  Je  cherche  dans  tous  les  ouvrages  de  la  bibliothèque  ce  qui  a  rapport  à  Constantinople  !  Jean  est  parti  à  Bordeaux  et,  en  se  mettant  devant  la  carte  d’Europe,  on  voit  les  2  extrémités  de  l’Europe.  Bordeaux  sur  l’Océan  Atlantique  et  Constantinople  sur  la  Mer  Noire  !  S’il  a  fait  le  voyage  par  mer,  c’est  5  jours  de  traversée  et  à  peu  près  la  même  route  qu’il  a  suivie  pour  aller  à  Salonique  en  1916.  Mais  s’il  est  parti  en  chemin  de  fer,  que  de  pays  a-­‐t-­‐il  traversé  ?  En  aura-­‐t-­‐il  vu  des  pays  !    La  Poste  !  C’est  un  express  delivery  du  Crédit  Foncier  nous  portant  une  lettre  d’Emile.  Une  seule  !  Du  12  décembre.   Il   est   à  Paris,   il   est   affecté   à   la   20e   Section  des   Secrétaires  d’Etat  Major   et   de   Recrutement   à   Paris   et   est   détaché   au   ministère   de   l’Armement   et   des  Fabrications  de  Guerre   (actuellement  ministère  de  Reconstruction   Industrielle)  pour   faire  des  cours  d’Anglais  aux  employés  des  deux  sexes  de  ce  ministère.  Il  dit  qu’il  apprécie  fort  ce  nouveau  poste.  Moi  je  crois  qu’il  ne  sera  pas  bien  récréatif  !      Lundi  9  mars  1919    Ouf  !  Gaston  est  parti,  emmenant  le  courrier  pour  la  France.  Il  y  a  un  bateau  quelconque,  et  nous  en  profitons  pour  féliciter  Jean  de  sa  Croix  de  Guerre  et  Emile  de  sa  promotion  qui  le  fixe  à  Paris.    Et  pas  de  bateaux  !  Depuis  La  Cordillère,  en  décembre,  il  n’y  en  a  pas  eu  un  seul.  Nos  lettres  nous  sont  venues  de  la  Réunion  par  le  Queen  Mary,  qui  nous  a  porté  le  courrier  d’un  navire  français  arrivé  récemment  à  Bourbon.  On  nous  annonce  une  seconde  occasion  par  la  même  voie   ces   jours-­‐ci.   Que   j’ai   hâte   de   savoir   quelque   chose   encore   de  mes   soldats.   Emile   dit  qu’ils  ne  seront  pas  démobilisés  de  sitôt  !  Et  Jean  est  si  loin  !    Mardi  18  mars  1919    La  Queen  Mary  est  revenue  encore  une  fois  de  la  Réunion,  mais  ne  nous  a  rien  porté  de  nos  soldats,  bien  que  l’on  ait  reçu  les  lettres,  des  journaux  provenant  d’un  bateau  français  arrivé  à  Bourbon  la  semaine  dernière.  Il  y  a  quatre  jours,  nous  avons  reçu  une  lettre  de  Jean  datée  du  12  janvier.  Il  nous  parle  de  son  émotion  de  la  veille,  quand  on  a  annoncé  au  Rapport,  que  tous  les  coloniaux  devaient  se  présenter  au  bureau  le  surlendemain  pour  faire  valoir  leurs  droits  à   la  démobilisation  ;   il  attendait  avec   impatience   le  résultat  du  mouvement,  et  nous  dit  :  «  Un  câble  vous  préviendra  aussitôt,   si   la  chose  a   lieu.  Emile  profitera  comme  moi  du  privilège  ».    Ce  câble,  n’est-­‐ce  pas  celui  que  nous  a  envoyé  Ernest  le  23  février  ?  Jean  serait  alors  parti  à  bord   du   Constantinople,   et   non   pas   pour   Constantinople  ?   Comment   savoir  ?   Depuis   ce  moment   l’idée   de   son   retour  me   poursuit,   et   hier   Agnès   est   encore   venue  me   donner   un  nouvel   espoir,   en   me   racontant   que   Léon   avait   saisi   en   chemin   de   fer   une   phrase   d’un  voyageur   à   son   compagnon   qui   avait   l’air   de   dire   qu’ils   attendaient   quelqu’un   par   le  Constantinople  !  Gaston  a  téléphoné  chez  Blyth  qui  lui  a  répondu  qu’il  n’y  avait  aucun  bateau  des  Messageries  Maritimes  portant  ce  nom.  Je  reste  en  suspens  !  Et  n’ose  espérer.  Ce  serait  si  bon,  ce  retour  !  Jean  semble  en  avoir  bien  envie  aussi  ;  il  nous  dit  «  il  y  a  près  de  2  ans  que  je  suis  en  France,  et  je  n’ai  pas  l’habitude  de  rester  si  longtemps  loin  des  miens  ».  

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Pauvre  chou  !  Nous  aussi  nous  trouvons  bien  dur  de  les  avoir  toujours  loin  de  nous,  tous  les  deux.    Mardi  19  mars  1919    Gaston  a  envoyé  interviewer  ce  M.  R.  qui  en  chemin  de  fer  a  parlé  du  Constantinople  devant  Léon.   Celui-­‐ci   a   mal   compris,   il   s’agissait   de   lettres   arrivant   de   Constantinople.   Mes  espérances  sont  à  vau  l’eau  ou  peu  s’en  faut.  Attendons  !    Lundi  7  avril  1919    L’anniversaire  de  Gaston.  59  ans.  Où  sont  nos  fils  ?  Que  de  fêtes,  d’anniversaires,  sans  eux,   les  aînés.  Dieu  permettra-­‐t-­‐il  que  nous   soyons   réunis   tous   un   jour   sur   cette   terre  ?   Nous   les   avons   revus,   certainement  pendant  ces  4  ans,  mais  pas  ensemble.  On  attend  l’Orénoque  le  12.  Il  a  quitté  Marseille  le  8  mars.  Aurons-­‐nous  des  lettres  de  Jean  ?  L’Europe   est   toujours   sens   dessus   dessous  !   Malgré   l’armistice.   Du   reste,   les   Boches   ne  veulent   pas   en   remplir   honnêtement   les   conditions.   Ce   sont   des   tricheries,   des  regimbements.  Le  bolchévisme  se  répand  partout  et  partout  les  alliés  envoient  des  troupes  pour   mettre   l’ordre.   Cela   nous   explique   un   peu   le   départ   de   Jean   pour   Constantinople.  Alors  !  La  guerre  n’est  pas  finie  pour  nous.  On  se  tue  et  s’entretue  toujours,  en  Allemagne  et  ailleurs.  Pourtant  les  câblogrammes  disent  que  les  préliminaires  de  la  paix  seront  signés  vers  le  15  avril.    Lundi  14  avril  1919    Pas  de  Malle  encore,  c’est  pour  demain  dit-­‐on.  Pas  de  grandes  nouvelles  politiques  dans  le  moment,  sauf  que  M.  Wilson  boude  parce  qu’on  ne  se  tient  pas  à  ses  14  points.  J’espère  que  la  France  ne  se  laissera  pas  intimider  !  Malheureusement,  quel  pauvre  gouvernement  elle  a  !      16  avril  1919    Une  lettre  d’Emile.  Rien  de  Jean.  Pas  de  Malle  encore.  Cette   lettre  d’Emile  nous  est  arrivée  par   un   bateau   anglais.   Il   venait   de   recevoir   la   nouvelle   de   la   suppression   de   ses   cours  d’Anglais  et  en  semblait   tout  abattu  !   Il  se  plaint  de   l’hiver,  de   la  pluie,  de   la  neige  !   Il  rêve  des  pays  chauds  et  a  le  spleen  en  pensant  au  soleil  et  aux  fleurs.  S’il  est  démobilisé  bientôt,  il  reviendra  à  Maurice  pour  nous  revoir,  puis  cherchera  dans  une  colonie  plus  clémente  une  situation  proportionnée  à  ses  justes  ambitions.    Vendredi  18  avril    A  notre  retour  de  St  Jean  ce  matin,  nous  avons  eu  une  carte  de  Jean.  Une  seule,  nous  disant  qu’il   n’est   pas   parti   pour   Constantinople.   Pas   beaucoup   de   détails.   Nous   attendons   ses  autres  lettres  avec  impatience.            Dimanche  27  avril  1919  

ldkoenig� 29/10/14 16:23Supprimé:

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 Rien  n’est  arrivé  de  plus  !  Pas  un  mot  d’Emile,  pas  autre  chose  que  sa  carte  du  24   février.  Gaston   et   moi   en   sommes   tout   tracassés.   Pourquoi   Emile   a-­‐t-­‐il   manqué   la   Malle  ?   Cet  Orénoque  avait  11  cas  de  maladie  espagnole  à  son  bord.  On  ne  lui  a  pas  donné  la  pratique  et,  3  jours  après  son  arrivée,  il  est  allé  débarquer  ses  passagers  à  l’Ile  Plate.  Voilà  ce  fléau  à  nos  portes  !  On  ne  parle  plus  que  de  cela  à  Maurice,  et   les   journaux,  qui  noircissent  du  papier  depuis  des  mois  à  ce  sujet,  provoquent  l’alarme  et  font  peur  à  tout  le  monde.  Est-­‐ce   la   cause   du  mutisme   d’Emile   aussi  ?   Mais   Jean   écrivait   à   ses   tantes,   il   y   a   3  mois,  qu’Emile  avait  eu  la  grippe  Espagnole.  Lui,  n’en  parle  pas,  mais  depuis  quelques  temps  nous  recevons  si  peu  de  lettres  !    Dimanche  14  juin  1919    Pendant   ce   temps   le   câble   est   rompu,   pas   un   télégramme  !   Que   devient   la   paix  ?   Et   mes  pauvres  soldats  là  bas  ?    Quand  les  reverrons-­‐nous,  mon  Dieu  ?    Lundi  16  juin  1919    Ce  matin,  le  cuisinier  arrivant  du  village2  m’annonce  que  la  paix  est  signée  depuis  le  13  !  Si  c’était  vrai  !  Avant-­‐hier  soir  vers  10  heures,  j’ai  entendu  des  cris,  des  hurrahs,  des  chants  du  côté  du  Board,  et  me  suis  demandée  si  c’était  une  noce  chez  un  Anglais  par  là,  ou  bien  si  un  télégramme  quelconque  était  arrivé  annonçant   la  signature  de   la  paix  !  C’étaient  peut  être  les  marins  russes  de  l’Orel  qui  se  réjouissaient  d’une  nouvelle  privée  !  J’attends  un  câble,  une  lettre  n’importe  quoi  de  mes  soldats  !  La  Paix  !  Si  c’était  vrai  !    Lundi  20  juin  1919    Pas  de  paix  !  On  leur  a  donné  jusqu’au  18  pour  se  décider  à  signer  ou  bien  Foch  marche  sur  Berlin  !    Mardi  24  juin  1919    Il  circule  des  bruits  de  paix.  Dieu  fasse  que  cela  soit  vrai  !  A  ma  rentrée  à  la  maison,  je  vois  des  pavoisements  à  droite  et  à  gauche  et  croise  un  cortège  de  bambins  accordéon  en  tête  et  chantant  la  Marseillaise  et,  à  Passy,  Gaston  rentré  avant  moi,  a  hissé  son  drapeau  français  et  je  remercie  Dieu  qui  a  épargné  mes  fils  pendant  ces  5  années  !    Samedi  19  juillet  1919    C’est  aujourd’hui  la  date  officielle  pour  les  réjouissances  publiques  en  l’honneur  de  la  paix.  Joseph  et  Jamin  sont  du  matin  au  soir  hors  de  la  maison,  décorant,  pavoisant  etc.  Nous   avons   hissé   notre   drapeau,   et   ajouté   un   autre   au   bout   d’un   long   bambou   sous   le  pavillon   dit   La   Broderie,   et   de   même   au-­‐dessus   du   bureau   de   Gaston.   Il   fait   un   temps  radieux,   à   5   heures   nous   sommes   allés   au   Club,   gentiment   décoré,   où   le   «  Rejoicing  Commitee  »  organisait  des  jeux,  des  courses  (avec  prix).  A  la  nuit  nous  sommes  rentrés  pour  dîner,   après  avoir   assisté   à   la  plantation  de   l’Arbre  de   la  Victoire,  un  pauvre  petit  pin  qui  aurait   pu   être   mieux   choisi  !   Le   gouverneur   par   interim   y   assistait   (Middleton),   pas   de  musique  !  Une  réunion  assez  animée  par  l’entrain  des  enfants,  mais  rien  de  remarquable.  Ce   2 Quatre-Bornes.

ldkoenig� 29/10/14 16:07Mis en forme: Français

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soir,  promenade  à  travers   les  rues,  pour  voir   la  maigre  illumination  place  de  la  gare,  et  au  Board.  Agnès  et  les  enfants  voulaient  aller  à  Rose-­‐Hill  où  l’on  annonçait  des  merveilles  mais  Gaston  et  moi  avons  trouvé  peu  prudent,  et  Julie  s’y  opposant  aussi,  il  a  fallu  renoncer.  Et  voilà  la  paix  signée,  ratifiée  !  Mais  pas  de  nouvelles  d’Emile  et  de  Jean  !  Ont-­‐ils  passé  sous  l’arc   de   Triomphe   le   14   juillet,   faisant   partie   des   85   000   poilus   défilant   avec   Foch   à   leur  tête  !  Comme  les  illustrations  vont  être  intéressantes  à  voir  !  Et  les  lettres  des  enfants  !  Que  je  voudrais  avoir  de  leurs  nouvelles.  Il  me  semble  qu’ils  sont  perdus.  Depuis  le  16  avril,  pas  de  bateaux  et  leurs  lettres  dataient  de  janvier  et  février  !  Quand  la  démobilisation  ?    Vendredi  25  juillet  1919    Avant-­‐hier,   nous   avons   eu  plusieurs   lettres   de   Jean.  Mais   rien   absolument   d’Emile.  Du  19  mars  au  1er  juin,  Jean  était  en  Alsace,  presque  sur  la  frontière  suisse,  à  Altkirch,  Montreux-­‐Vieux  etc.  Mais  Emile  ?  Jean  nous  dit  qu’il  est  démobilisé  !  Et  depuis  longtemps  !  Alors  ?  Pas  de  lettre,  pas  de  câble,  rien  ?  Attendons  le  prochain  courrier.  Quand  ?    Lundi  4  aoôt    On  annonce  le  Kuang-­‐Li  pour  mercredi  6.  Aurons-­‐nous  des  lettres  d’Emile  enfin  ?    Jeudi  14  août  1919    Vendredi  dernier  le  Kuang-­‐Li  est  arrivé  ;  nous  avons  vu  le  pavillon  à  la  gare  et,  de  train  en  train,   j’ai   envoyé   chercher   mes   lettres.   Ce   n’est   que   vers   5   heures   du   soir   qu’elles   sont  arrivées   et   c’est   Gaston   qui   les   a   prises   à   la   poste   en   passant.   Rien   d’Emile,   rien  !   Une  douzaine   de   lettres   et   cartes   de   Jean.   Emile   est,   dit   Jean,   démobilisé   depuis   les   1ers   jours  d’avril  !   Mais   que   sont   devenues   les   lettres   d’Emile  ?   Je   ne   puis   croire   qu’il   soit   resté   de  janvier  à  juin  (dernière  lettre  de  Jean)  sans  nous  écrire  un  mot.  Tout  cela  traîne  par  là  !  Vendredi  même,  8  août,  nous  avons  reçu  un  câble  :  «  Envoie  400  francs,  Houlgate,  Civil,  T.  »  Le  câble  est  daté  du  5  août,  Houlgate.  Lequel  des  deux  l’expédie  ?    Mercredi  27  août  1919    Jean  était  sur  les  bords  du  Rhin,  au  2  juillet,  l’arme  au  poing,  quelques  jours  avant,  attendant  le  signal  pour  envahir   l’Allemagne  à   la  suite  de  Foch.   Il  avoue  qu’il  était  nerveux,  anxieux.  Aussi  quel  délice  à  la  nouvelle  de  la  signature  de  la  paix  !  Il  pensait  être  démobilisé  le  10  juillet  à  Paris  et  serait  tout  rendu  pour  les  fêtes  de  la  Paix  le  14.   Il  ne  pense  pas   trouver  quelque  chose  à   faire  en  France,  et  semble  bien  décidé  à  nous  revenir.  Oh  !  Qu’il   revienne,   lui   au  moins  !   Et   que   notre   vieillesse   ne   soit   pas   privée   de   la  présence  de  nos  deux  fils  aînés.  Quelle  hâte  de  les  revoir  !  Quelle  impatience  anxieuse  !    1er  octobre  1919,  mercredi    Les   jours  passent,  nous  ne  recevons  rien  de  nos   fils,   ils  disent   tous  deux  qu’un  câble  nous  avertira  de   leur  embarquement,  et  rien  n’arrive.  Patience  !  Celui  qui  sait  attendre  verra  se  réaliser  son  espoir.  Attendons.    29  octobre  1919    

ldkoenig� 29/10/14 16:24Supprimé:

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Emile  est  à  Tamatave  depuis  le  16  sepembre.  Une  lettre  de  lui,  reçue  par  le  Louqsor,  et  qu’il  avait  confiée  à  un  démobilisé  comme  lui,  W.  A.,  nous  l’apprend.      4  novembre  1919    Tout   à   l’heure,   Alfred   C.   m’a   envoyé   un   câble   reçu   ce   matin   de   Paulin  :   «  Embarqué  aujourd’hui  (Orénoque)  Jean  est  à  bord,  préviens  oncle  Gaston  ».  Le  télégramme  est  daté  du  1er   novembre.   Encore   quelques   jours,   et   nous   le   tenons   enfin  !   Je   ne   puis   croire   à   tant   de  joie  !    5  novembre  1919    Autre  câble  de  Paulin.   Ils  quittent   la  Réunion  à  16  heures  aujourd’hui,  et  seront  à  Maurice  demain   jeudi.   Nous   irons   tous   à   bord  !   Claire   et   Roger   L.   attendent   leurs   frères   aussi,   et  Roger  est  venu  nous  voir  hier  soir  pour  causer  de  l’Orénoque.  Il  me  promet  de  téléphoner  au  point  du   jour  au  bureau  du  port  pour  savoir  si   la  Malle  est  signalée,  parce  qu’il  paraît  que  l’on  aurait  télégraphié  à  Bourbon  pour  lui  dire  de  remettre  son  arrivée  à  vendredi  à  cause  de  l’encombrement  de  la  rade.    Jeudi  16  novembre  1919    Jean  est  rendu,  nous  sommes  allés  en  auto  de  chercher  et  le  ramener.  Enfin  le  voilà  at  home,  Deo  Gratias  !  Il  a  vu  Emile  et  a  passé  3  jours  à  Tamatave.  C’est  un  chagrin  au  milieu  de  notre  joie,   que   l’absence   de   notre   fils   aîné.   Quand   pourra-­‐t-­‐il   nous   arriver   pour   une   visite   au  moins  ?  Je  suis  allée  à  bord  avec  Gaston  et  tous  les  enfants.  Dieu  soit  béni,  nous  tenons  notre  poilu,  et  l’autre  est  en  sûreté  !    Ainsi   se   termine,   dans   le   journal  de  Mme  T.,   l’évocation  de   la  guerre,   Jean  étant  de   retour  à  Maurice  et  Emile  ayant  pris  de  l’emploi  à  Madagascar.                            

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Eugene L. Erskine LindopM C

Remembered with HonourBasra War Cemetery

In Memory of

Captain

41st Dogras who died on 30 January 1916 Age 32

Son of Lt. Col. Lindop; husband of Edith Lindop, of Three Arts Club, 19A, Marylebone Rd., London.

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Le contingent de travailleurs mauriciens (Mésopotamie)

Mauritius Labour Batallion

En entrant triomphalement dans Bagdad, mercredi dernier, et, quelques jours plus tôt dans la ville deBassorah, les forces américano-britanniques ont permis aux occidentaux de prendre une singulièrerevanche sur leur histoire militaire. Une revanche qu'ils ruminaient depuis la première guerre mondiale- la Grande Guerre de 1914 - 1918 - soit à plus d'un siècle.

En effet, les Anglais, en particulier, versèrent sang et sueurs pour s'emparer du pétrole irakien dès ledébut du siècle dernier et, pour arriver à sa fin, l'Empire britannique mit à forte contribution sescolonies, dont l'île Maurice faisait alors partie. C'est ainsi que, selon des statistiques compilées dans lesarchives britanniques, environ soixante-huit de nos compatriotes ont été tués dans des combats engagésen Irak lors de ce qui fut appelé à l'époque "La campagne de Mésopotamie".

Présentée à nos vénérables ancêtres comme une "guerre de libération" contre la mainmise desOttomans (les Turcs), la "Campagne de Mésopotamie (ancien nom de l'Irak)" fut, essentiellement, selonC.R.M.F Cruttwell, auteur de "A history of of the Great War of 1914 - 1918" (publié en 1982), "uneguerre visant à s'assurer le contrôle du terminal de l'Anglo - Persian Oil Company de la région deBassorah et du Shat-El-Arab, au confluent de l'Euphrate et du Tigre, jusqu'au bord de la Mer Rouge".

La première guerre mondiale opposa les puissances européennes, l'entente cordiale Grande Bretagne -France (rejointe bien plus tard par les États-Unis) à l'Axe Allemagne - l'Empire Austro-hongrois - LaTurquie. Au tout début, ayant fort à faire avec les Allemands sur le continent, l'Angleterre, fidèle à sonhabitude, adopta deux méthodes afin de conquérir l'Irak. Sa stratégie, selon Cruttwell, consista àengager de serviles régiments de son armée indienne coloniale et, ensuite, d'exploiter les Arabes eux-mêmes qui voulaient en finir avec la domination turque mais tout en leur cachant ses véritablesmotivations. Toujours selon l'historien Cruttwell, "the British Government decided to encourage Arabaspirations as far as possible without making any definite commitment".

Cruttwell, qui fut lui-même un officier de la 1st/4th Royal Berkshire Regiment qui servi en Francependant la guerre et qui devint par la suite un agent du renseignement britannique au War Office deLondres, révéla la duplicité du gouvernement anglais en ces termes : "To this end (c'est -à-direl'incitation des Arabes à se soulever contre leurs oppresseurs turcs sans prendre vis-à-vis d'eux enengagement définitif) a proclamation written in a kind of bastard biblical jargon had been prepared forthe inhabitants giving such elusive hopes to the Arabs, as could subsequently be repudiated…"

La campagne de Mesopotamie débuta dès 1914 soit presqu'en même temps que commencèrent leshostilités en Europe. Au tout début, elle fut pour les forces britanniques et leurs contingents de sujetscoloniaux qu'une promenade de santé. Comme Jéricho, la région de Bassorah tomba "almost at thesound of the trumpet", nota Cruttwell.

Selon Sir Charles Lucas, auteur lui de "The Empire at war" (volume IV)

"l'appetit venant en mangeant", d'audacieux et aventureux généraux anglais, à l'instar de Townsend,jettèrent très vite leurs dévolus sur les champs pétroliers irakiens du nord et c'est ainsi que soldatsbritanniques et indiens s'élancèrent vers Tirkrit et Mossoul. Ce fut une très grave erreur. Leurs marchesfurent parsemées d'embûches. Ils furent sérieusement ralentis par les grosses pluies, les tempêtes desables, les inondations et nombre d'entre eux périrent de maladies (malaria et typhoïde). Commandéspar de mauvais généraux aux tactiques militaires mal planifiés, ces vaillants soldats de sa Majesté, un

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peu comme les forces américaines récemment, évitèrent soigneusement de livrer de grands combats encontournant les grandes villes hostiles, et foncèrent directement vers Bagdad. Là, après cinq mois desiège, ils engagèrent, le 22 novembre 1915, la bataille de Ctesiphon. Cette bataille est passée dansl'histoire militaire de la Grande Bretagne comme un des plus grands désastres, une boucherie. Selon SirCharles Lucas, "à Ctesiphon, les troupes turques, commandés par le général Nur - Ul - Din infligèrentune terrible défaite à l'armée britannique. Celle-ci recensa 4500 morts. Dans les semaines quisuivirent 10,000 combattants britanniques furent capturés et des milliers d'autres mis en fuite errèrentpendant longtemps dans le désert où ils furent rattrapés, torturés et assassinés".

Les forces britanniques, mieux organisées et renforcés par des régiments de soldats indiens etMauriciens revinrent à la charge à partir de mars 1917 et après d'âpres batailles, finirent par capturer lacapitale irakienne un mois plus tard. Ce qui leur permit ensuite d'envahir tout le nord du pays. Par lasuite, dans le sillage de la décolonisation, les Anglais furent contraints de mettre fin à leur protectoraten 1958, date à laquelle l'Irak devint une république autonome non sans avoir été dépossédé des richeschamps pétrolifères du Koweït.

En tant que sujets coloniaux britanniques, des soldats mauriciens en Mésopotamie participèrentactivement à la campagne de Mésopotamie. Ils étaient répartis en deux groupes distincts. D'un côté, il yavait les "volontaires" et de l'autre les enrôlés du Mauritius Labour Battalion.

Le premier groupe était en fait composé essentiellement des personnes venant des communautés francoet anglo-mauricien. Le poète et écrivain Robert Edward Hart, réputé humaniste hors pair mais qui,semble-t-il, n'était pas exempt de certains préjugés de classe tenaces écrivit par la suite que les soldatsdu premier groupe étaient des personnes "éclairées qui se portèrent volontaires et qui étaient parties àleurs propres frais intégrer les armées britanniques ou françaises - y compris les régiments impériauxou coloniaux - généralement en qualité d'officiers". Ce corps de volontaires comprenait plusieursmédecins dont les docteurs Arthur Célestin, Clifford Mayer et Raoul Leblanc.

Pour sa part, le Mauritius Labour Battalion fut mis sur pied par le biais d'une Proclamation duGouverneur, Sir Hesketh Bell, en novembre 1915. Le premier contingent de ce Battalion quitta l'îleMaurice pour la Mésopotamie le 10 janvier 1916. D'autres contingents suivirent en avril 1917 et undernier groupe de 350 hommes s'embarqua en juin 1918. Au total, 1700 Mauriciens s'engagèrent ausein du Mauritius Labour Battalion et c'est parmi eux qu'on dénombra le plus grand nombre de tués auxcombats, soit soixante-huit soldats.

Le premier contingent du Battalion fut affecté aux travaux de remise en état du port de Bassorah. Lereste se vit confier d'autres tâches, dont celle de la surveillance des installations pétrolifères et desroutes du nord du pays. Après la guerre (fin 1918) ce contingent demeura encore une année enMésopotamie puis rentra à Maurice après un court transit en Egypte. Parmi les officiers du MauritiusLabour Battalion se retrouvèrent MM. Gantit, Le Merle, Le Menu et O'Connor.

Le sous-lieutenant William B.S. D'Avray, fils du recteur anglais du Collège Royal, se porta luivolontaire au sein du XXXII Sikh Regiment de l'armée indienne. Il mourut les armes à la main à lafameuse bataille de Ctésiphon le 22 novembre 1915. Une plaque commémorative érigée à sa mémoirese trouve en l'église anglicane de St. Paul, à la Caverne, Vacoas.

En ce début du 19e siècle, les préjugés sociaux sont tenaces et cela se reflète dans les agissements desautorités. C'est ainsi qu'il y a des différences de traitements très visibles vis-à-vis des Mauriciensengagés dans la guerre. Le 21 mars 1917, le gouverneur Sir Hesketh Bell offre un déjeuner au Chateaudu Réduit. Mais, seul y est convié le contingent de "volontaires". Dans son livre intitulé "Lesvolontaires Mauriciens à la Guerre", Robert Edward Hart se croit obligé d'expliquer dans les termes quisuivent pourquoi l'effort de guerre des Mauriciens n'a pas été plus conséquent : "L'île Maurice, écrivit-t-il, est une île de population singulièrement hétérogène qui représente en chiffres ronds 370 000 âmes,

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dont 260 000 Indiens sans parler des Chinois et autres alliés et peut-être à peine 2,000 individusappartenants aux classes éclairés et dirigeants. Or, c'est une minorité… qui sont issus, à part lesvaillants combattants du Mauritius Labour Battalion, tous ceux qui ont servi aux armes". Cettedifférence de traitement envers ces vaillants combattants allait par la suite se traduire par leur exclusiontotale de la liste du monument dédié aux morts érigé devant le Collège Royal.

Dans son livre "The Empire at war" (volume IV) l'écrivain Sir Charles Lucas parle du MauritiusLabour Battalion en ces termes "they were coloured Mauritians, officered by white men, served in alabour battalion…"

Certains soldats et proferssionnels mauriciens se firent remarquer en Irak pour leurs talents autrementplus prononcé que celui du maniement des armes. C'est ainsi que le docteur Raoul Leblanc qui étaitparti pour Badgad en mars 1917 y devint bactériologiste. Selon Robert Edward Hart, ce bon docteurLeblanc faillit de peu mourir lui-même d'une variole contractée alors qu'il était au chevet de sesmalades. Le journal mauricien Le Radical fit état à l'époque du cas d'un certain M. Fuyard. Ce petitapprenti - ouvrier aux ateliers de Plaine Lauzun qui ne touchait que 50 sous par jour s'était enrôlé dansle premier contingent de travailleurs. Il obtint à Bagdad un emploi qui lui rapporta des salaires de 200par mois. Ce qui était une petite fortune à l'époque.

Notons enfin que, comme dans tout conflit, la Grande Guerre ne fut pas exempte de positionnementopportuniste. Ainsi, à défaut de parler de l'inévitabilité de la guerre de 1914 - 1918, une communautéreligieuse bien spécifique présente à Maurice et qui, de prime abord, pouvait se sentir procheculturellement des Irakiens, mais dont finalement, l'allégeance était partagée, se crut obliger de précisersa loyauté envers le gouvernement britannique à travers un communiqué publier dans les journauxmauriciens dans lequel elle affirma "n'éprouver aucune sympathie pour l'Allemagne !".

Le Week End 13 avril 2003

Source : http://iels.intnet.mu/13avril03_ww1.htm

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L'ILE MAURICE DANS LA GRANDE GUERRE

Résumé

En août 1914, l'entrée en guerre des puissances européennes entraîne de nombreux pays dans un long et douloureux conflit qui prend une dimension mondiale.L'Ile Maurice, petite colonie anglaise de l'océan Indien, se trouve bien éloignée des champs de bataille. Cependant, dès l'annonce de la déclaration de guerre, la colonie mobilise.De 1914-1918, sur les 373 000 mauriciens qui vivent à l'époque dans l'île, environ 2220 hommes vont participer à la Première Guerre Mondiale.-520 s'engagent volontairement dans le Mauritius Volunteer Corps : ils combattent soit dans l'armée française, soit dans l'armée anglaise, dans l'infanterie, l'aviation ou la Marine.Les engagés volontaires se retrouvent sur différents champs de bataille : dans le Nord de la France, dans l'actuelle Turquie, au Moyen-Orient...-1700 hommes forment le Mauritius Labour Battalion ; ces hommes sont des travailleurs qui effectuent de nombreuses tâches pour aider les soldats (construction, réparation, transport des vivres...). Ils sont acheminés en bateau vers l'Irak actuel (Moyen-Orient).Une milice locale de volontaires se constitue aussi sur place pour défendre l'île après le retrait de la garnison anglaise.Dans l'île Maurice, de moins en moins de bateaux arrivent à Port-Louis, les habitants doivent faire face à des pénuries, notamment alimentaires. Mais les Mauriciens réussissent à survivre grâce aux nombreuses cultures vivrières.L'île Maurice participe aussi à l'effort de guerre d'un point de vue économique par de nombreuses souscriptions et dons privés notamment de la part des planteurs sucriers. On estime le total de ces contributions à 2.3 millions de Roupies.Plus d'une centaine de poilus ou tommie mauriciens ne reviendront pas sur leur île natale.L'Ile Maurice conserve la mémoire de ces soldats morts pendant la Grande Guerre avec le monument aux morts de Curepipe, le mémorial du cimetière de Phoenix, la plaque commémorative à Port-Mathurin et des tombes disséminés dans plusieurs cimetières mauriciens.

Christine Renard

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UN SOLDT MAURICIEN DANS L'ARMEE ANGLAISE

OCTAVE HAREL(1893-1917)

Octave Harel s’engage dans l’armée anglaise et devient pilote dans le Royal Flying Corps.Il est tué en 1917, à 24 ans, lors d’un combat aérien sur le front français.La lettre suivante, publiée par Robert Edward-Hart en 1919 dans son livre Les Volontaires mauriciens auxArmées, a été écrite par Octave Harel 19 jours avant sa mort.

Cimetière de Lallaing dans le Nord de la France : tombes d’Octave Harel et celle de son observateur, lecapitaine William Hope Walker, de l’infanterie canadienne

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Lettre d’Octave Harel à sa famille quelques jours avant sa mort

X, 31 juillet 1917… Je vous disais combien j’étais fier d’être au front et de prendre ma part des risques terribles que nouscourrons. Je pense à vous sans cesse depuis que je suis ici, et aux angoisses que vous allez traverser pendant letemps que durera mon séjour au front. Une chose me console, c’est que vous partagez mon idéal et approuvez lenoble sentiment qui m’a fait rejoindre l’armée. Je sais que j’aurais pu, comme tant d’autres, m’abstenir de ceque je crois être un impérieux devoir et, par le fait, je vous aurais laissé le repos et la tranquillité. Je préfère,néanmoins, à un existence oisive et heureuse, celle de périls et de dangers que je vais mener. J’étais libre : c’esttoute justice que je me sois fait soldat. Pour ce qui est de vous, chers parents, et de l’avenir, Dieu veillera survotre repos. Vous êtes grands et courageux, et jamais plus que maintenant. J’ai compris ce que signifient, pourdes enfants, des parents comme les nôtres. Dieu entendra vos prières ; Il sait où résident le mérite et la noblessedes sacrifices consentis ; Il me gardera à vous.Ce n’est qu’une mauvaise période de quelques mois à traverser, après quoi je serai libre et magnifiquementheureux.Si, pourtant, Dieu voulait de moi, je suis prêt. Je mourrai pour la plus grande cause pour laquelle les hommes seseront jamais battus, avec la ferme conviction que ma mort servira un peu plus à la délivrance de l’humanité.Cette guerre demandera des sacrifices plus terribles encore ; et qu’est-ce que la mort si nos ennemis doiventavoir le dessus !Non ; il vaudrait mieux s’en aller maintenant d’une mort glorieuse que de voir les jours mauvais qui pourraientsuivre ! J’ai appris à me faire une volonté et j’ai du courage ; je suis sûr que je subirai les épreuves du frontsans fléchir ! La pensée de la mort semble terrible quand on est jeune encore ; et j’aurais des défaillances, je lesais. Mais je serai soutenu par votre exemple à tous, et cela me rend fort. Que je vous retrouve un jour ou non,sachez que vous n’aurez pas à rougir de moi, mais bien au contraire, vous pourrez être fiers de votre fils

O.HSous-lieutenant au Royal Flying Corps.

Source : Robert Edward Hart, Volontaires mauriciens 14-18, 1919

HAREL Louis Octave (1893-1917) Pilote de guerre. Né à Phœnix le 17 mars 1893. Fils d’Edmond Harel,docteur en médecine, et de Jeanne Hourquebie. Après ses études secondaires au Collège Royal, il fut employé àl’Engrais Mauricien et sur la propriété sucrière Rivière des Anguilles. Il s’engagea volontairement dansl’infanterie britannique, au 2/28 London Regiment, le 3 juin 1916, passa au 1er bataillon des élèves officiers le 9septembre et à l’école d’aéronautique le 11 novembre. Reçu officier avec le grade de lieutenant en second auRoyal Flying Corps le 24 janvier 1917, il prit son service à la 7e escadrille de réserve le 30 janvier et fut brevetépilote le 31 mai. Envoyé dans la zone des combats avec l’escadrille No 62 le 15 juin, il passa à l’escadrille No 38le 22 juin et à l’escadrille No 11 le 25 juillet 1917. Il écrivait à ses parents le 31 juillet : « Je mourrai pour la plusgrande cause pour laquelle les hommes se seront jamais battus, avec la ferme conviction que ma mort servira unpeu plus à la délivrance de l’humanité ». Le 18 août 1917, il fut tué en combat aérien au-dessus de Douai, alorsqu’il pilotait un chasseur Bristol immatriculé a7191. Son observateur, le capitaine William Hope Walker, del’infanterie canadienne, fut également tué. Les deux officiers furent inhumés dans le village de Lalaing auprèsduquel leur avion s’était écrasé. Décorations : British War Medal ; Victory Medal. Son nom est inscrit aucénotaphe de Curepipe.

J. Raymond d’Unienville

Source : Fiche du Dictionnaire de Biographie Mauricienne, Société d'Histoire de l'Ile Maurice

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UN MAURICIEN DANS L'ARMEE FRANCAISECOUTANCEAU

Fiche du dictionnaire biographique (SHIM)

COUTANCEAU, Michel Henri Marie (1855-1942). Général dedivision. Né à Port-Louis (île Maurice) le 15 juillet 1855, fils de JeanAlexis Coutanceau (né à Barsac, Gironde, ancien capitaine au longcours, établi à Port-Louis, île Maurice, en 1848. Chevalier de la Légiond’Honneur, décoré de l’ordre de St-Sylvestre) et de Jeanne Rolando.Partit pour la France à 12 ans, et fit ses classes au Collège Ste-Barbe, àParis. Entra ensuite à l’Ecole Polytechnique et 1873. Etant sorti parmiles quarante premiers en 1875 il choisit de faire carrière dans legénie militaire et y entra comme sous-lieutenant. Promu lieutenanten 1877, il devient capitaine en 1879 ; en 1885 et 1886 il estprofesseur à l’Ecole Supérieure de la guerre. Chef de bataillon à Arrasen 1894 ; lieutenant –colonel en 1900 ; colonel commandant le 3e

régiment du génie en 1905 ; en 1909 il devient général de brigade.Breveté d’état-major, il tint, hors de son arme, des situations en vue :affecté à l’état-major du 4e corps en 1887, officier d’ordonnance duministre de la guerre en 1895, chef d’état-major du 7e corps en 1907,adjoint au Gouverneur d’Epinal en 1908. « Tout cela lui valut unacquis des plus variés et une maîtrise quasi-universellequ’entretenait une grande puissance de travail, une santé robuste etune activité débordante ». En 1912, Coutanceau, général de division,obtint la charge de gouverneur de Verdun, qu’il occupait encore audébut de la première guerre mondiale, et déploya dans l’organisationde la défense de cette importante place-frontière une science et uneautorité peu communes. Au cours de la première bataille de la Marne(4-11 septembre 1914) la garnison du camp retranché de Verdun, quise trouvait à l’extrême droite du front français dans la sectionoccupée par le 3e armée (Sarrail) joua un rôle de premier plan. Laforteresse fut un moment assiégée et violemment bombardée, maistint ferme. Au cours de la nuit du 9 septembre Sarrail sentant sapropre position devenir périlleuse donna l’ordre formel au généralCoutanceau de faire intervenir ses troupes dans la bataille hors de laplace et de les porter au secours des points faibles de la 3e armée.Coutanceau aurait pu conserver toutes ses troupes pour la défense dela place, car il jouissait d’une indépendance relative à l’égarde de la 3e

armée. « Réveillé à l’improviste, en trois minutes le GénéralCoutanceau apprécia que le salut de la 3e armée et peut-être la

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victoire ne saurait se payer trop cher ». Il prit, en pyjama, unedécision qui engageait non seulement ses troupes mais encore saresponsabilité de Gouverneur ; on était à un moment critique de laMarne et un recul de la 3e armée entraînerait infailliblement la chutede Verdun, qui aurait affronté une siège avec seize bataillons demoins de ses meilleures troupes. Après une lutte héroïque de troisjours, l’armée du Kronprinz battait en retraite. Joffre a dit plus tard : «Si les Allemands avaient pu enfoncer notre droite, ils marchaient surParis et rien n’aurait pu les arrêter ». En même temps, face à l’est, legénéral contribuait à la défense et au dégagement du fort de Troyon,position-clé des Hauts-de-Meuse, dont la perte aurait entraînéd’incalculables désastres. Après la victoire, le général s’occupa deconsolider le saillant de Verdun et d’organiser un corps de défensemobile. Au début de 1916 il est envoyé à Dunkerque pour y travailleraux fortifications. Touché par la retraite, il est nommé gouverneur deNantes, puis après le 11 novembre 1918, il se retire à Bordeaux, où ilmeurt le 8 novembre 1942. Il avait épousé à Bordeaux en mai 1891Marie Thérèse Rieunier. Le Général Coutanceau était Grand Officierde la Légion d’Honneur, Chevalier de l’Ordre de St. Michel et St.Georges (pour services rendus à Dunkerque, en coopération avec lesarmées anglaise et belge). Il avait la Croix de Guerre 1914-18 (avecdeux palmes or), la Croix de la Couronne de Belgique, la Croix duNichan-Iftikar (Mission en Algérie et en Tunisie), et les palmesacadémiques lui furent décernées pour un mémoire préparé alorsqu’il était au ministère de la guerre. Ce même mémoire lui valut desdécorations russe et allemande.

M. PierrotMI.

Source : Dictionnaire biographique, SHIM

BIBL. : Hanotaux – Histoire de la Grande Guerre, T. 10 Ch. XLVI, T.11 Ch. LIII Mauritiana Vol. II, No 30, 15 septembre1909.Général P. E. Nayral de Bourgon (Chef d’état-major dugénéral Coutanceau, à Verdun) – Dix ans de souvenirs(1914-1924).Renseignements obtenus de la famille Coutanceau.

ICON. : Portrait au Consulat de France, Port-Louis, île Maurice