extraits de livres sur la grande...
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EXTRAITS DE LIVRES D’HISTOIRE MAURICENNE SUR LA GRANDE GUERRE
La Grande GuerreHistoire de la ColonieIsle de France – Ile Maurice1721 – 1968par Amédée Nagapen
La Première Guerre mondiale déclencha une furieuse tourmente en Europe durant quatrelongues années, de 1914 à 1918. Le sanglant conflit ne s’étendit point jusqu’aux îles de l’océanIndien. Ce qui ne l’empêcha pas de les affecter de diverses manières.Sans doute, le ravitaillement de la population n’eut guère à souffrir. Malgré tout le mouvementmaritime s’en ressentit. Alors qu’en 1914, le tonnage des entrées totalisait 438 029 tonnes, iln’était que de 288 320 tonnes en 1917, pour tomber à 192 771 en 1918, à la fin de la guerre. Leshostilités en Europe n’interdirent pas aux Messageries Maritimes de continuer leur servicemensuel régulier. Comme par le passé, chaque mois un paquebot desservait l’itinéraire Marseille,Suez, Madagascar, Réunion et Maurice.La colonie participa à sa manière à l’effort de guerre. Plusieurs contingents de Mauricienss’enrôlèrent dans divers corps d’armée : des poignées de jeunes Mauriciens de la communautéblanche, citoyens français, dans l’armée française ; des centaines de manuels de la communauté« créoles », y compris des Rodriguais, dans le Mauritius Labour Battalion – nommé bataillondoré, en raison de leur uniforme kaki – comme auxiliaires au corps expéditionnaire deMésopotamie. Quatre prêtres français,, missionnaires dans le diocèse, furent rappelés sous lesdrapeaux et partirent pour le front français. Sur place, dans l’île, deux compagnies de volontairesfurent recrutées poir défense éventuelle de l’île.Après la guerre, sous l’égide de la garnison britannique casernée à Vacoas,, la compagniemobilisa des engagés à temps partiel. Ainsi en 1934, fut constituée la Mauritius Territorial Force,avec un effectif de 200 hommes, la Company A avec les volontaires blancs, la Company B pour lesvolontaires de couleur.
Enrôlement et souscriptionL’histoire de l’île MauriceS.B. de Burg EdwardesEast & West Ltd, London
« Il faudrait aussi citer les noms des 800 jeunes Mauriciens enrôlés en grande majorité à leurspropres frais et qui, dans les armées anglaises ou françaises se sont couverts de gloireimmortelle. Dès le début de la guerre, une souscription nationale rapporta à Maurice une sommeconsidérable. Avant d’avoir placé leur coupe, les planteurs offrirent un million de livres de sucreaux armées anglaises et autant aux armées françaises. La colonie doubla sa contributionmilitaire, vota quelques temps après un million de roupies pour des aéroplanes, leva le bataillonde travailleurs de 1 700 hommes qui se rendirent extrêmement utiles en Egypte, paya une partiedes dépenses de ce bataillon, tandis qu’elle entretenait une force spéciale de volontaires, vieux etjeunes, pères et fils, s’accordant pour la défense de leurs foyers ».
Prix des denrées alimentairesPort-Louis, deux siècles d’histoireAuguste Toussaint
Ed Vizavi
La Grande guerre n’eut à Maurice d’autre répercussion que celle d’augmenter le prix de la vie,mais comme les sucres se vendaient bien et que les affaires avaient repris, les colons n’eurentpas trop à se plaindre ; au début de la guerre, il est vrai, certaines denrées alimentaires furentsur le point de manquer complètement et atteignirent sur le marché local des prix fantastiques,ce qui causa même des manifestations dans la capitale, le 11 septembre 1914 ; mais dans la suitela colonie put s’en tirer. Trop éloigné des principaux théâtres de conflits, qui ne s’étendit guèreau sud de l’océan Indien,, le Port-Louis ne fut appelé à jouer aucun rôle stratégique dans cetteguerre ; la présence du fameux corsaire allemand Wolf dans les eaux de Maurice fit bien croire unmoment que la capitale serait bombardée mais il n’en fut rien.
Fête pour l’armisticePort-Louis, deux siècles d’histoireAuguste ToussaintEd Vizavi
Dès que la nouvelle de la conclusion de l’armistice dut connue à Maurice, les citadinsmanifestèrent leur joie en pavoisant leurs demeures et par quelque réjouissances privées ; maisce n’est que le 16 novembre que le glorieux événement fut officiellement fêté.La ville avait ce jour-là un aspect des plus attrayants. Dans toutes les rues, devant presquechaque maison, flottaient les couleurs des alliés. Le matin, une messe d’actions de grâce, àlaquelle assistèrent le gouverneur, les notabilités et une foule énorme qui avait envahi l’égliselongtemps avant l’heure fixée, fut célébrée à la cathédrale Saint-Louis. A 1 heure et demie leConseil Municipal offrit un lunch au chef de la colonie et à différentes notabilités. Dans l’après-midi une belle fête sportive, organisée par le Port-Louis Tennis Club, eut lieu au Champ-de-Mars.Le soir la ville fut illuminée. Le lendemain qui était un dimanche, se passa également enréjouissances ; elles ne se terminèrent que fort tard dans la soirée par une immense processionqui se rendit au Champ-de-Mars où le Kaiser et le Kronprinz furent brûlés en effigie, au milieud’un grand enthousiasme. L’année suivante, à la nouvelle de la signature de la paix, qui parvint à Maurice le 1 er juillet, unPeace Celebration Committee fut constitué pour élaborer le programme des fêtes destinées àcommémorer l’événement. Rs 42 000 furent votées à cet effet par le Conseil législatif,, dont RS 10000 pour le Port-Louis, Rs 7 000 pour les plaines Wilhelms et Rs 2 000 pour chaque autredistrict. La différence fut affectée à couvrir les frais d’illumination des bâtiments publics de lacapitale. Les fêtes se célébrèrent le 19 juillet et furent très réussies. La ville fut magnifiquementdécorée pour cette occasion. Dans la matinée, après une parade des Boys Scouts, que legouvernement passa en revue devant l’Hôtel du Gouvernement, 3 000 enfants défilèrent sur laPlace d’Armes. Puis la Mauritius Volunteer Force exécuta au Champ-de-Mars des manœuvres depetite guerre. Diverses autres réjouissances eurent lieu dans la journée. Le soir l’illumination dela partie centrale de la ville fut très réussie et le feu d’artifice tiré sur le port obtint un grossuccès.Le 2 août, un comité privé organisa de nouvelles fêtes encore plus brillantes que celle du 19juillet. Le clou de ces fêtes était un défilé des nations alliées figurées par des jeunes filles dansdes voitures élégamment décorées. Le défilé partit de l’Hôtel du Gouvernement vers 8 heures etdemie du soir et se rendit au Champ-de-Mars en passant par les rues de l’Intendance et PopeHennessy. A son arrivée au Champ-de-Mars, un grand feu d’artifice fut tiré.
War and Empire in Mauritius and the Indian Ocean. Palgrave MacM. 2001. By Ashley Jackson
The First World WarThroughout the First World War the island’s participation was paradoxically greater than it hadbeen during the colonial wars of the nineteenth century, even though its strategic significancehad lessened since the imperial wars of the eighteenth century. Its participation prefigured themuch greater demands of the 1939–45 war. In 1914–18 all colonies were expected to play theirpart in sending men and money to aid the mother country. New technology increased thevulnerability even of colonies far removed from the main theatres of war. The empire wasengaged in a lengthy struggle with a great power possessed of far-flung imperial territories and aworldwide naval capability. Germany maintained cable and wireless facilities in its colonies that
directed shipping and threatened the security of the ‘southern British world’. Germany also
posed a submarine and commerce raider threat in all oceans, casting a shadow across the foodsupply situation in Britain and the colonies that relied on seaborne trade. From being a self-sufficient island in the early nineteenth century Mauritius had become absolutely dependent onimported foodstuffs as sugar spread to dominate the economy and the landscape. Mauritiusembarked on a new chapter in its military-strategic history when a naval wireless facility wasconstructed at Rose Belle, ensuring ‘uninterrupted communication with other countries and
ships within radius’. The station was closed in July 1921, but opened again in the Second World
War.In October 1915 it was decided, as in past conflicts, to withdraw most of the thousand-strongBritish garrison. The soldiers were sent variously to Britain, India and Mombasa. The 59th RGA
and the 25th Royal Engineers were the only units to remain. Mauritius itself sent 1700 men
overseas in the Mauritius Labour Battalion to serve with imperial forces fighting inMesopotamia. The Battalion consisted of coloured Mauritians officered by white Franco-
Mauritians and British regulars;
520 Franco-Mauritians and British settlers served on the
Western Front. To compensate for the depletion of the Mauritius Garrison in the event of an
attack, a Volunteer Defence Force was created by a Council of Government Bill based on theCeylon Volunteer Ordinance. Enlistment for the Mauritius Volunteer Artillery and Engineersbegan in April 1916; 500 men were recruited, forming three infantry companies, an artillery
company, an engineers company and an ambulance corps, costing £4460 per annum. The electric
searchlights installed at Fort George in 1895 were upgraded to the tune of £13 896 in 1915.German armed merchantmen and cruisers threatened British territories in the Indian Ocean.The German raider Wolf approached Mauritius and carried a small sailing ship off to Germany.The raider Konigsberg sunk a British merchantman and a cruiser before being run to ground inthe Rufiji Delta in Tanganyika where specially drafted Royal Navy monitors were sent to sink her.The light cruiser Emden, operating at large in the Indian Ocean, made a call on Diego Garcia inOctober 1914 whilst trying to avoid British units searching for her after an epic voyage fromTsingtao in eastern China. At Diego Garcia the crew were welcomed by islanders unaware of thewar; the twice-yearly steamer from Mauritius – the island’s only link with the outside world –
had yet to bring the news. Captain Muller took advantage of this to beach his ship and scrape its
keel. The ship was sunk by HMAS Sydney in the Indian Ocean on 9 November 1914 after a rash
bombard- ment of the British communications installation on the Cocos-Keeling Islands . In 1916the Governor of Mauritius, Sir Hesketh Bell, sailed for St Brandon island (part of the Mauritian
Cargados Carajos dependency) on board HMS Talbot in search of a reported German raider. With
the eventual removal of the German naval threat, Port Louis was reduced to the status of anundefended port in October 1917.Given the island’s dependence on the export of its sugar crop and the import of its food, it was:
singularly fortunate in possessing a harbour so good and so well placed as to be a fortifiedand garrisoned Imperial coaling-station. The constant presence and coming and going of
ships of war meant a safeguard at once against actual privation and against unrest arisingfrom apprehension of privation. When the German raiders had been accounted for, theIndian Ocean was comparatively safe ... to the end the island was in no danger of starvation.Its staple product was in great demand, and the ships that fetched the sugar brought food . . .[Mauritians] had more or less assured markets with abnormal prices.
On the home front, the war brought a decrease in rice (the staple food of the majority of thepopulation) imports from India, and efforts to grow maize as a substitute. Mauritius also reliedupon imports of beef from Madagascar, and in turn Rodrigues relied upon supplies from its‘mother’ country, Mauritius. The booming sugar industry guaranteed ample employment. Sugarwas sold to Britain at higher than normal prices, and sections of the population prosperedduring the war years and in the postwar sugar boom. Revenue reached record heights. Between1910 and 1915 average annual revenue from the sugar crop was rupees (Rs.) 40 million. From1915–19, it was Rs. 70 million. Gifts of sugar and money were sent to Britain. Despite freightproblems, the food situation was little affected in the early years of the war. However, the steadydecrease in available shipping and ever increasing demand for what food there was meant thatfrom 1916–17 freight costs rose, leading to rising food prices and profiteering. Greaterregulation was needed and a new Food and Trade Control office was created to control suppliesand to regulate distribution. All food prices were regulated and two beefless days a week wereintroduced. By the end of 1917 the area under food crops had increased by 50 per cent.Like all colonies, Mauritius supported the mother country financially throughout the war. Five-and-a-half per cent of the colony’s annual revenue was paid to the imperial government as acontribution towards the upkeep of the Mauritius Garrison – a sum of around Rs. 500 000(before 1934 the Mauritian rupee was the same as the Indian rupee). Though the garrison hadvirtually ceased to exist in 1915 with the removal of troops overseas, an increased contributionwas repeated in 1915 and 1916 by a Council of Government keen to show its support for the wareffort. In October 1916 the Governor announced that the Council of Government had voted a warcontribution of Rs. 500 000 to Britain from surplus funds. Soon afterwards the sugar planters inthe Chamber of Agriculture declared a gift of the same amount and suggested ‘that this sum be
applied towards the creation of a battle-plane squadron or the building of an airship’. With this
money 30 aeroplanes were presented to the British Government, 15 for the Navy and 15 for theMilitary Air Service. Three further planes were presented by a public subscription that raised Rs.101 000. Apart from the annual contribution for the garrison, the Government of Mauritiuscontributed Rs. 1 028 000. In 1916 legislation was passed for a loan to Britain via a bondsscheme. The amount raised exceeded Rs. 8 million. In addition, private effort and war charitiesraised an estimated Rs. 3 578 000.
Home Front(http://www.nationalarchives.gov.uk/first-world-war/a-global-view/#Mauritius)Before the war, Mauritius was defended by around 1,000 British and Indian troops, who were based in the Imperial garrison. In October 1915 an act was passed to recruit a local defence force (CO 169/30) and in 1916 a little over 500 recruits joined the Volunteer Force. They formed three companies of infantry, a company of artillery, a company of engineers and an ambulance corps (WO 95/5450). This allowed the regular army troops in the garrison to be deployed where they were mostneeded, with the exception of the 59th Royal Garrison Artillery and the 25th Company, Royal Engineers, who stayed to bolster the volunteer force. In 1915 a naval wireless station was built on a site in Rose Belle (CO 167/813).
Action overseas(http://www.nationalarchives.gov.uk/first-world-war/a-global-view/#Mauritius)In 1917 a labour battalion was raised and over 1,500 Mauritians served in Mesopotamia (WO 95/5279). A further 520 Mauritians joined the British and French Armies and close to 200 Mauritians joined the Merchant Navy. The following gallantry medals were awarded to men enlisting from Mauritius: one Distinguished Service Cross, 12 Military Crosses, two Distinguished Conduct
Medals, four Military Medals, 19 Croix de Guerre, one Medaille Militaire, one Medaille d’Honneur and three Legions d’Honneur (CO 171/89).
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EXTRAITS!DE!JOURNAUX!MAURICIENS!!191431918!
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Le#Radical,#jeudi#7#janvier#1915#!!!!!!!!!!!!!!!!
ELAN!DES!MAURICIENS!ET!ENGAGEMENT!DANS!LES!ARMEES!!Patrouille!Le#Mauricien,##1er#août#1914##De# grandes# dispositions# sont# prises# pour# parer# aux# éventualités# de# guerre.# C’est# ainsi# qu’une#patrouille#a#été#chargée#de#surveiller#la#ferme#des#Rhums#;#que#des#policiers,#conjointement#avec#des# militaires,# gardent# les# dépôts# de# charbon,# chaque# dépôt# étant# sous# la# surveillance# d’un#piquet#de#soldats#baïonnette#au#canon,#et#la#nuit#nul#n’a#le#droit#d’en#approcher.#!Le!général!Coutanceau,!un!Mauricien!dans!l’armée!française!Le#Mauricien,##4#août#1914##Un#de#nos#compatriotes,#le#général#Coutanceau#est,#pour#ainsi#dire,#aux#avantKpostes.#C’est#lui#qui#exerce#le#commandement#à#Verdun,#forteresse#dont#la#position#stratégique#est#de#la#plus#grande#importance# et# que# les# Allemands# tenteront# # de# prendre.# Nous# sommes# sûrs# que# le# général#Coutanceau# fera# une# belle# défense# de# cette# place# et# ne# la# laissera# pas# tomber# aux# mains# de#l’ennemi.#Le#général#Coutanceau#est#le#père#des#estimés#négociants#biens#connus.##Mouvements!patriotiques!Le#Mauricien,##4#août#1914##Des#centaines#–#ils#seront#bientôt#des#milliers#–#de#jeunes#gens#ont#offert#au#gouvernement#leur#service#en#cas#d’éventualité.#Nous#enregistrons#avec#satisfaction#ce#mouvement#patriotique#qui#démontre# au# gouvernement# combien# est# profond# le# loyalisme# des#Mauriciens.# Nous# espérons#qu’une#milice#sera#bientôt#constituée.##Une!milice!pour!contrôler!le!ravitaillement!Le#Mauricien,##6#août#1914##(…)#Cette#milice#pourra#être#employée#en#cas#de#nécessité#sinon#aux#avantKpostes,#mais#tout#au#moins# au# maintien# de# l’ordre# dans# la# colonie.# Au# cas# où# le# ravitaillement# de# la# colonie#deviendrait#difficile,#elle#réussira#sûrement#à#empêcher#le#pillage#des#magasins#et#des#dépôts#de#marchandises# par# la# populace.# Les# Mauriciens# ont# tenu# à# prouver# encore# une# fois# que# leur#fidélité# à# la# couronne# britannique# n’est# pas# un# vain#mot# et# que,# lorsque# la#MèreKpatrie# est# en#danger,#ils#tiennent#à#participer#à#sa#défense.##Projet!de!milice!française!La#gazette#des#îles,#N°27,#Juin#1990##Le#consul,#après#avoir#pris#l’avis#des#Français#présents,#suggéra#de#former#avec#les#Français#qui#ne#partiraient#pas#une#milice#dont# les#services#seraient#offerts#au#gouvernement# local#pour#un#poste#de#combat#si#celuiKci#le#voulait.#Il#demanda#une#entrevue#à#l’officier#administrant.#Le# consul,# à# l’heure# fixée,# se# rendit# au# gouvernement,# accompagné# de# MM.# Patureau# et#Coutanceau,# délégués# des# Français# de# Maurice.# M.# Middleton# reçut# des# plus# aimablement# le#consul,#le#remercia#et#lui#dit#que#si#l’occasion#se#présentait,#il#ne#manquerait#pas#d’avoir#recours#à#la#milice#que#le#consulat#et#les#Français#lui#offraient.#Le#consul#de#France#à#Maurice,#au#début#de#la#Première#Guerre#mondiale#était#M.#Gustave#Simon.#
#Le!comité!de!Chazal!WeekKend,##31#juillet#1994#!LucienKAndré# de# Chazal# prit# l’initiative# de# constituer# une# association# pour# fournir# aux# jeunes#Mauriciens#voulant#servir#sur#le#front,#les#moyens#de#le#faire.#Il#gagna#à#sa#cause#son#frère#aîné,#le#docteur#de#Chazal#et#un#de#leurs#bons#amis,#M.#Albert#James#Wilson.#Ainsi#fut#fondé#le#comité#de#Chazal# auquel# se# joingirent# par# la# suite# d’autres# bienfaiteurs.# Grâce# à# cette# organisation,# une#trentaine#de#jeunes#du#pays#ont#pu#se#rendre#sur#le#front,#grossir#l’effectif#mauricien#engagé#dans#la#guerre#14K18.##Lettre!de!Goolam!Mohamed!Issac!!publiée#dans#Le#Mauricien,##lundi#10#août#1914##Rue#Desforges#26,##PortKlouis#8#août#1914##Monsieur#le#Rédacteur#en#chef#du#«#Mauricien#»##Monsieur,#Des# méchants,# des# serpents# venimeux# font# courir# le# bruit# que# des# Musulmans# ont# des#sympathies# pour# l’Allemagne.# Je# tiens# à# relever# cette# nouvelle# perfidie.# J’ai# fait# une# enquête#auprès# de#mes# coreligionnaires# qui# ont# été# unanimes# à# me# dire# qu’ils# étaient# fiers# d’être# les#sujets#de#notre#aimé#Souverain,#qu’ils#considèreraient#comme#une#trahison#de#sympathiser#avec#l’Allemagne.#De#plus,# la#députation,#à# laquelle#Son#Honneur# l’officier#administrant#a#bien#voulu#accorder#une# entrevue,# n’aKtKelle# pas# assuré# au# représentant#de#notre#Auguste# Souverain#qu’il#pouvait# compter# sur# notre# entière# coopération# pour# l’aider,# dans# la#mesure# de# ses#moyens# et#pour#le#besoin#de#l’alimentation#publique#et#pour#défendre#le#pays#au#besoin#?...#Les#Musulmans#attendent#avec# impatience# le#moment#de#pouvoir#acclamer# les#victoires#que# la#Triple# Entente# et# surtout# l’Angleterre# ne# peuvent# manquer# d’obtenir# pour# le# triomphe# de# la#civilisation#et#du#bon#droit.#J’ai# crû# nécessaire,# indispensable# même# de# mettre# la# population# en# garde# contre# d’infâmes#rumeurs#jetées#dans#la#circulation#par#des#misérables.##Votre#bien#dévoué,#G.M#Issac##Projet!de!bataillon!indo3mauricien!Le#Mauricien,#22#août#1914##Les# IndoKMauriciens#de# la# colonie#ont#offert# au#gouvernement#de# constituer#un#bataillon#pour#servir#dans# la#colonie#et#contribuer#à#sa#défense,#en#cas#de#besoin.#Le#secrétaire#colonial#a# fait#savoir#à#M.H.K.#Nandès,#directeur#de# l’#»IndianKMauritian#Association#»#qui# lui#a# transmis#cette#offre,#que#pour#le#moment,#le#gouvernement#ne#juge#pas#nécessaire#de#lever#des#troupes#locales#pour#la#défense#de#l’île.##!!!!
Extrait!du!Manifeste!de!Goolam!Mohamet!Issac!!(après'la'déclaration'de'guerre'de'la'France'et'le'Royaume'Uni'à'la'Turquie,'le'3'novembre'1914)!Le#Mauricien,#10#novembre#1914#!A#mes#frères#de#l’islam#de#l’île#Maurice##(…)# La# guerre# a# été# rendue# inévitable# par# les# agissements# des# Allemands# et# par# l’attitude# du#Grand# Vizir.# Je# tiens# donc# à# vous# dire# que# notre# impérieux# devoir# est# de# prouver,# dans# la#circonstance,#notre# loyauté#et#notre#dévouement#à#Sa#Majesté! et#à# l’Empire,#en#nous#montrant#dignes# de# notre# titre# de# sujets# anglais.# Nous# n’avons,# nous#mamohétans# de#Maurice,# que# des#affinités#religieuses#avec#la#Turquie,#mais#il#ne#s’agit#pas#de#religion#dans#la#circonstance#et#nos#devoirs#de#citoyens#de#la#grande#et#magnanime#Albion#doivent#primer#tout.#Nous#ne#sommes#pas#de#descendance#turque.#Nous#sommes#trop#fiers#d’être#des#sujets#de#notre#si#grand#souverain#George#V#pour#que#la#guerre#entre#l’Empire#britannique#auquel#nous#avons#la#fierté# d’appartenir,# sur# lequel# le# soleil# ne# se# couche# jamais# –# et# la# Turquie,# puisse# avoir# la#moindre# influence# sur# nous,# autrement# qu’à# nous# pousser# à# solliciter# l’intervention# d’Allah# le#ToutKPuissant,#en#faveur#de#la#paix.#!L’impôt!du!sang!Le'Radical,##jeudi#14#octobre#1918##Devant# la# liste#qui#s’allonge#chaque#jour#des#nôtres#qui#tombent#sur# les#champs#de#bataille,# les#uns# pour# ne# plus# se# relever,# d’autres# pour# aller#mourir# de# leurs# glorieuses# blessures# ou# pour#rester#impotents#durant#leur#existence,#qui#donc#osera#jamais#dire#que#les#Mauriciens#n’ont#pas#fait#leur#devoir#au#cours#de#cette#guerre#et#qu’ils#n’ont#pas#payé#l’impôt#du#sang#auquel#tous#les#sujets# de# l’Empire# britannique# et# tous# les# Français# ont# été# soumis#!# Et# nous# l’aurons# payé#d’autant#plus#largement,#généreusement,#patriotiquement,#que#nous#n’y#étions#pas#obligés#et#que#c’est# volontairement# et# spontanément# que# des# centaines# et# des# centaines# des# nôtres# se# sont#enrôlés,# se# sont# battus,# se# sont# couverts# de# gloire#!# N’étant# plus# Français# de# nationalité,# bien#qu’indéraciblement'Français#par#le#sang,#par#la#langue,#par#les#mœurs,#par#le#cœur,#et#n’étant#pas#Anglais,# quoique# profondément# attaché# à# l’Angleterre# et# à# jamais# loyaux# à# la# couronne#britannique,#rien#ne#nous#forçait,#nous#qui#occupons#une#situation#unique#dans#le#monde,#et#dont#nous# tirons# toute# la# fierté# possible,# de# prendre# part,# d’un# côté# ou# de# l’autre,# à# la# guerre#d’extermination#qui#désole# le#monde#depuis#51#mois.#Et#pourtant,#dans# les# rangs#britanniques#comme# dans# les# rangs# français,# nous# nous# sommes# enrôlés,# nous# avons# joué# et# jouons# notre#partie#magnifiquement.#Et#le#prouvent#le#nombre#de#blessures#reçues,#le#nombre#de#citations,#de#décourations#et#de#morts#!#Et#quand#la#liste#glorieuse#en#aura#été#finalement#dressée,#même#nos#détracteurs# les# plus# acharnés# seront# forcés# de# s’incliner,# de# saluer# bien# bas# cette# phalange#héroïque.###Famille!Ferrat!Site#Français#de#l’océan#Indien#Page#Patrick#Ferrat##Raoul# Ferrat,#mobilisé# dans# l’armée# française# en# décembre# 1915# à# 23# ans,# canonnier# dans# le#105ème# régiment# d’artillerie# lourde,# 24ème# batterie# gravement# blessé# à# Salonique# le# 5# mai#1917,#il#reçut#la#Croix#de#Guerre#et#devint#par#la#suite#président#des#anciens#combattants#français#à#l’île#Maurice.##Maurice#Ferrat#engagé#en#février#1915#dans#l’armée#britannique#comme#«#Cadet#officier#»#Royal#Engineers,#servit#au#front#en#France.#Réformé#pour#intoxication#par#les#gaz,#il#mourut#en#1938#à#l’âge#de#44#ans.##
Mort!au!combat!Le#Mauricien,##Samedi#7#novembre#1914##L’Honorable#Fraser#a#reçu,#ce#matin,#un#câblogramme#lui#annonçant#la#mort#de#son#fils#unique,#M.J.H.#Fraser,#tombé#au#champ#d’honneur#le#30#octobre#1914.#M.J.H.#Fraser#était#un#des#officiers#des#«#Gordon#Highlanders#»#et,#depuis#vingt#jours,#il#combattait#dans#les#rangs#de#cette#phalange#de#héros#dont#il#était#digne#d’être#l’un#des#chefs.#Nous#prenons#une#vive#part#de#la#douleur#de#l’Hon.#Fraser#et#pouvons#lui#donner#l’assurance#que#la#communauté#toute#entière#s’y#associe.##!!Plus!de!recrutement!!!!Le#Radical#11#janvier#1918##Il# semble# que# l’on# ne# sache# pas# trop# ce# qu’on# veut# ni# ce# dont# on# a# besoin# réellement# au#War#Office.#Tantôt,#une#dépêche#arrive#disant#qu’il#est#nécessaire,#urgent,#de#combler#les#vides#qui#se#sont# produits# dans# les# rangs# de# notre# bataillon# de# travailleurs# et# qu’il# faut# commencer# le#recrutement# immédiatement#;# tantôt,# comme# la# chose#vient#d’avoir# lieu,# c’est# l’ordre# contraire#qui#est#câblé.#Le#recrutement,#qui#avait#bien#commencé#et#qui#marchait#lentement,#il#faut#le#dire,#a#été#arrêté#pour#être#repris#sûrement#ces#joursKci#!##!!Volontaires!!!Le#Radical#15#janvier#1918##Les# miliciens# se# demandent# s’ils# sont# véritablement# des# volontaires# ou# tout# simplement# des#militaires#réguliers,#assujettis#à#toutes#les#exigences#militaires#sans,#bien#entendu,#jouir#d’aucun#des# privilèges# accordés# aux# réguliers.# Depuis# quelques# temps,# toutes# les# parades,# tous# les#exercices#de#tir,#toutes#les#manœuvres#sont#«#obligatoires#»#et#celui#qui#n’y#assiste#pas#est#traité#sévèrement#:#condamné#à#la#prison,#à#travailler#à#la#pioche#en#main,##sous#un#soleil#de#feu,#nourri#sommairement,#etc.#On#est#militaire#ou#on#ne#l’est#pas.#La#discipline#doit#être#respectée#ou#ne#pas#exister.# Mais# alors# il# faut# faire# disparaître# par# un# bout# de# loi# cette# duperie# qu’on# appelle#volontariat# et# décréter# des# milices# obligatoires.# D’être# milicien# aujourd’hui# constitue# pour#beaucoup# de# jeunes# Mauriciens# un# handicap# dont# leurs# intérêts# souffrent# beaucoup.# Nous#connaissons# des# cas# où# des# jeunes# gens# capables,# méritants,# pauvres,# ayant# par# conséquent#besoin#de#travailler#pour#vivre#et#faire#vivre#leur#famille,#trouvent#difficilement#à#s’employer.#La#première#question#qu’on# leur#pose#est#:#êtesKvous#volontaire#?#S’ils# répondent#affirmativement,#on# leur#dit#:#Nous# regrettons#beaucoup.# Il#nous# faut#des#commis#et#non#des#militaires#qui# sont#appelés#deux#ou#trois#fois#par#semaine#aux#casernes.#C’est#là#une#situation#intolérable#à#laquelle#il#faut#mettre#un#terme#d’une#façon#ou#d’une#autre.##!!!!!!!!
Des!nouvelles!des!soldats!Le'Radical,#mercredi#23#octobre#1918##Roger#Béchard#Il#nous#est#agréable#d’ajouter#un#nom#de#plus#à#la#longue#liste#de#nos#compatriotes#qui#sont#à#la#guerre#:# celui# de# Roger# Béchard,# qui# est# officier# mécanicien# à# bord# d’un# transport# de# guerre#depuis#mai#1916.#Roger#Béchard#est#le#fils#de#M.#Alfred#Béchard#et#de#madame,#née#de#Lestrac.#'Le'Radical,#mercredi#23#octobre#1918#M.#Maurice#Antelme#Un#cablogramme,#reçu#ce#matin,#annonce#que#M.#Maurice#Antelme#qui#avait#été#réformé#à#la#suite#de#blessures#après#deux#années#de#service#actif#dans#l’armée#anglaise#sur#le#front#français#et#qui#revenait# au# pays# natal,# a# été# recueilli# en#mer# et# ramené# en#Angleterre,# le# vapeur# sur# lequel# il#avait#pris#passage#ayant#été#torpillé#au#cours#du#voyage.###Le#Radical,#28#janvier#1918#Au#champ#d’Honneur#La#malle#française#a#porté#à#M.#et##Mme#Paul#Marion#de#Procé#la#douloureuse#nouvelle#de#la#mort#de# leur# fils# cadet,# tombé# à# l#‘ennemi# le# 27# août# dernier,# dans# un# gigantesque# combat# devant#Verdun.# Donatien# Marion# de# Procé,# comme# son# frère# aîné# qui# est# à# Salonique,# croyonsKnous,#avait# répondu#à# l’appel# de# la# France# et# après# l’entraînement#obligatoire# avait# été#dirigé# sur# la#ligne# de# feu,# à# Verdun,# où# il# a# trouvé# une#mort# glorieuse,# augmentant# ainsi# le# nombre# de# nos#compatriotes# qui# ont# donné# leur# vie# dans# cette# gigantesque# guerre# qui# dure# depuis# 42#mois.#Nous# nous# joignonsaux# amis# des# familles# Marion# de# Procé# et# Clériceau# pour# offrir# aux#malheureux#parents#nos#bien#vives#condoléances.##Don!de!livres!pour!le!bataillon!de!travailleurs!Le#Radical#28#janvier#1918##Les#personnes#qui#désireraient#offrir#des#livres#français#aux#hommes#du#bataillon#de#travailleurs#qui#sont#actuellement#en#Mésopotamie,#peuvent#nous#les#adresser#au#bureau#du#«#Radical#»#ou#à#l’Hon.#M.E.#Nairac#ou#au#colonel#Fair#directement.#Nous#avons#déjà#reçu#un#certain#lot#de#Mme#H.#Lemière#et#de#M.#Léon#Leclézio#que#nous#avons#fait#remettre#à#M.#Nairac.#!Le!bataillon!de!travailleurs!Le#Radical#10#juin#1918#Le#bataillon#de# travailleurs#devant#parti# incessamment,# les#hommes#qui# en# forment#partie#ont#profité# d’une# journée# de# permission# qui# leur# fut# accordé# samedi# pour#mettre# à# sac# plusieurs#boutiques#des#deux#faubourgs.#Deux#de#ces#individus#ont#été#arrêtés.##Le#Radical#11#juin#1918#Un#de#nos#plus#charmants#jeunes#comptables,#le#lieutenant#Claude#Gautier,#fils#du#secrétaire#de#la#Chambre#de#Commerce,# est# parti# à# la# tête#de# trois# cent#nouvelles# recrues#pour# le#bataillon#de#travailleurs.#Intelligent,#instruit,#aimant#beaucoup#le#métier#des#armes,#nous#sommes#certain#que#Claude#Gautier#ne#tardera#pas#à# faire#parler#de# lui#et#c’est#au#nom#de#ses#amis#et#au#nôtre#que#nous#lui#souhaitons#une#belle#carrière.##!!!!
Fièvre!de!Mésopotamie!Le'Radical,#mercredi#23#octobre#1918##Plaise# à# Dieu# qu’il# soit# encore# temps# de# nous# mettre# à# l’abri# de# cette# maladie.# Elle# sévit#épidémiquement# à# Bombay# et# aussi,# nous# estKil# assuré,# dans# certaines# autres# villes# de# l’Inde.#L’attention#du#gouvernement#a#été#appelée#sur# la#nécessité#de#certaines#précautions.#Espérons#qu’elles#seront#prises#et#qu’elles#produiront#tous#leurs#effets.#Cependant#estKon#bien#sûr#que#ce#mal#n’existe#pas# chez#nous# jusqu’ici#?# Il#nous#est# revenu#de#Mésopotamie#beaucoup#d’hommes#qui#s’étaient#enrôlés#au#bataillon#de#travailleurs#et#ont#été,#dans#la#suite,#réformés.#QuelquesKuns#l’ont#été#précisément#parce#qu’ils#avaient# làKbas#contracté#des#fièvres#qui# les#rendaient# inaptes#au#travail.#Revenus#au#pays,#il#n’ont#été#l’objet#d’aucune#surveillance,#d’aucun#contrôle#sanitaire#et# ont# été# simplement# licenciés.# Veuille# le# ciel# qu’aucun# d’eux# n’ait# directement# introduit# à#Maurice# le#microbe# de# cette# fièvre# qu’on# dit# très#meurtrière.# Plusieurs#médecins# ont# constaté#dans# leur# clientèle# des# malades# qui# ne# présentaient# guère# les# symptômes# ordinaires# de# la#malaria.#Dans# certains# cas,# la# fièvre# était# accompagnée#de# douleurs# rappelant# le# rhumatisme#;#dans# d’autres,# de# la# paralysie.# EstKon# en# présence# d’un# mal# nouveau#?# Il# importe# que# cette#question#soit#élucidée.####!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
ORDRES!OFFICIELS!ET!SOUSCRIPTION!NATIONALE!!!Publication!de!la!Proclamation!No!33!Le#Mauricien#6#août#1914##Attendu#que#la#guerre#est#imminente,#en#vertu#des#pouvoirs#qui#me#sont#conférés,#je#fais#avoir#ce#qui#suit#:#(1)# Les# mesures# requises# pour# la# défense# de# l’île# ont# été# mûrement# examinées# et# sont#actuellement#prises#activement.#(2)#Les#départements#civils#du#gouvernement#continueront#à#être#administrés#comme#en#temps#de#paix,#le#gouvernement#prenant#les#mesures#spéciales#qui#pourront#être#requises#en#temps#de#guerre.#(5)#On#fait#observer#aux#habitants#de#PortKLouis#que#considérant#l’armement#pour#la#protection#du# port,# il# est# peu# probable# qu’un# vaisseau# ennemi# puisse# bombarder# effectivement# et#endommager# la# ville,# mais# qu’il# faut# s’attendre# à# ce# qu’un# vaisseau# ennemi,# parfois# menace#d’attaquer#sans#avoir#l’intention#réelle#de#la#faire.#(8)# Dans# l’éventualité# d’un# bombardement# de# la# ville,# beaucoup# d’habitants# y# compris# les#femmes# et# les# enfants# pourront# trouver# un# abri# derrière# les# escarpements# de# la# # ValléeKdesKPrêtres.#!Ordre!du!Conseil!du!6!août!1914!Le#Mauricien#7#août#1914##Il#est#par#les#présents#ordonné#par#Sa#Majesté#avec#l’avis#de#son#Conseil#privé#:#Cet# ordre# s’appliquera# aux# colonies# spécifiées# (Malte,# Ste# Lucie,# SierraKLeone,# Ceylan,# HongKKong,#Maurice,#les#établissements#des#Détroits#et#SteKHélène)#et#aura#effet#dans#celles#où#il#aura#été#proclamé#par#le#gouverneur.#(…)#Aussi#longtemps#que#cet#ordre#sera#en#vigueur,#les#dispositions#suivantes#auront#effet#:#
(1) Toute# personne# qui# se# trouvera# dans# les# limites# de# la# colonie# sera# placée# sous# la# loi#militaire#afin#d’atteindre#le#but#de#l’Army'Act.'(…)'
(4)# Le# gouvernement# pourra# ordonner# à# toute# personne# de# fournir# tous# les# animaux,#véhicules,# navires,# bateaux# ou# toute# autre# propriété# personnelle# appartenant# à# la# dite#personne#ou#placée#sous#son#contrôle,#si#une#telle#propriété#personnelle#est#requise#pour#la#défense#de#la#colonie.#(…)#(5)# Le# gouverneur# pourra# prendre# et# garder# pendant# le# temps# nécessaire# dans# l’intérêt#public#tous#terrains,#bâtiments#ou#autre#propriété,#y#compris#les#usines#à#gaz,#établissement#d’électricité,#puits,#sources,#réservoirs#et#autres#récipients#d’eau#de#pluie.#(…)#(7)#Le#gouverneur#pourra#décider#de#toutes#les#ressources#d’un#chemin#de#fer#de#la#colonie#soient#mises#à#sa#disposition#pour#un#but#qu’il#jugera#nécessaire.#(…)#(8)# Le# gouverneur# pourra# aussi# prendre# possession# de# tous# grains,# articles# alimentaires,#charbon#ou# autre# combustible,# huiles#minérales# se# trouvant# dans# les# limites# de# la# colonie.#(…)#(9)# Le# gouverneur# pourra# par# proclamation# fixer# le# prix# maximum# auquel# un# article#d’alimentation#pourra#être#vendu.#(…)#
!!!!!!
Lettre!de!l’honorable!Duclos!pour!une!contribution!financière!Le#Mauricien,#19#août#1914##Mon#cher#rédacteur,#A#l’heure#grave#que#nous#traversons,#chacun#se#recueille#et#se#demande#ce#qu’il#doit# faire#pour#coopérer,# dans# la#mesure#de#nos#moyens,# à# la# grande#œuvre#qui# est# en#voie#de# s’accomplir# et#dont#notre#sort#dépend.#Puisque#nous#en#pouvons,#pour#la#plupart,#faire#autre#chose#en#ce#moment#que#de#donner#notre#argent,# donnonsKle# généreusement,# en# attendant# que# nous# donnions,# s’il# le# faut,# notre# sang#même#pour#la#sauvegarde#et#la#défense#des#patries#auxquelles#nous#nous#glorifions#d’appartenir.#PermettezKmoi# de# semer# l’idée# que# chaque# usinier# donne# comme# première# contribution# au#fonds#des#victimes#de#la#guerre#une#somme#de#deux#cents#roupies#par#million#de#sucre#qu’il#a#fait#l’année#dernière,#ce#qui#constituerait#un#premier#appoint#de#Rs#100#000.#Le#propriétaire#sucrier#donnera#dans#la#suite#tout#autre#somme#qu’il#prélèvera#sur#les#profits#de#cette#année.#La# hausse# artificielle# sur# le# sucre# étant# en# effet# direct# de# la# guerre,# il# importe# que# nous#appliquions#une#large#part#de#nos#profits#à#atténuer#l’infinie#détresse#de#ceux#qui#en#souffrent#et#qui#vont#en#mourir.##Votre#Très#dévoué#J.A.#Duclos#!Souscription!nationale!Le#Mauricien##2#septembre#1914##Le#comité#chargé#de#s’occuper#de# lancer#des#souscriptions#en# faveur#des#victimes#de# la#guerre#s’est#réuni#aujourd’hui#à#deux#heures#dans#la#salle#du#gouvernement.#Son# Honneur# l’officier# administrant# présidait,# ayant# à# sa# droite# l’Hon.# E.# Sauzier# K.C.# et# à# sa#gauche#Monsieur#le#consul#de#France.#(…)#La#séance#étant#ouverte,#l’Hon.#Emile#Sauzier#K.C.,#prononce#le#discours#suivant#:##«#Justement#émus,#dès# le#début#même#de# la#guerre,#des#souffrances#horribles#et#des#privations#multiples# auxquelles# nos# frères# anglais# et# français# sont,# et# seront# peutKêtre# hélas# longtemps#encore# exposés,# les# représentants# de# la# population,# mus# par# un# sentiment# patriotique# et#fraternel#que#partage#largement#toute#la#communauté#mauricienne,#ont#décidé##K#de#lancer#une#souscription#nationale#pour#venir#en#aide#aux#victimes#de#la#guerre#et#de#former#un# comité# dont# la# présidence# d’honneur# fut# donnée# à# notre# estimé# officier# administrant# le#gouvernement#et#à#notre#ami#le#consul#de#France.#K#de#partager#par#moitié#toutes#les#sommes#qui#seront#recueillies#entre#les#victimes#françaises#et#anglaises,#et#enfin#de#vous#demander#de#nous#accorder#votre#coopération#précieuse#et#influente#qui,#j’en#suis#persuadé,#nous#permettra#de#soulager#bientôt#non#pas#seulement#les#victimes,#qui#à#l’heure# actuelle# défendent# si# courageusement# la# patrie#menacée,#mais# aussi# ceux# et# celles# qui#sont#privés#de#leur#soutien#et#qui#pleurent#des#êtres#chers#qu’ils#ne#reverront#plus#hélas#!#Je# fais# un# appel# à# tous#mes# compatriotes# dont# nous# connaissons# tous# la# générosité# pour# leur#demander#de#donner#le#plus#vite#possible#et#avec#abondance#le#plus#grand#nombre#de#secours#à#tous#ceux#qui#défendent#actuellement#nos#deux#drapeaux#qui#n’en# font#plus#qu’un#aujourd’hui,#puisqu’ils#défendent#fièrement#la#cause#sacrée#de#la#justice#et#la#liberté#».'(applaudissements)''##!
LE!!KOENIGSBERG!ET!L’EMDEN!!Le!spectre!des!croiseurs!Gazette#des#îles,#N°#27,##Juin#1990##A!Maurice,!comme!dans!toutes!les!autres!îles!de!la!planète,!le!danger,!en!temps!de!guerre!mondiale,! ne!pouvait! venir!que!de! la!mer.! Ce!danger!pouvait!prendre!plusieurs! formes!dont!entre!autres!le!débarquement!des!soldats!ennemis,!le!bombardement!de!l’île!ou!plus!exactement! de! ses! principales! villes! côtières! par! un! croiseur! ou! encore! le! blocus! des!navires! de! commerce! par! le! simple! fait! qu’un! ou! plusieurs! croiseurs! ennemis!patrouillaient!dans!les!environs.!L’île!Maurice!durant!la!Première!Guerre!mondiale!n’échappe!pas!à!la!règle!et!bien!vite!les!colonnes!des! journaux!multipliaient! les! signes!d’inquiétude!en!donnant! jour!après! jour!des!nouvelles,!les!unes!plus!inquiétantes!que!les!autres.!!!L’Emden,!croiseur!allemand!dans!l’océan!indien!Le#Mauricien,##23#septembre#1914##Désormais#le#Koenigsberg*#ne#pourra#plus#contribuer#à#nous#jouer#de#vilains#tours#dans#le#genre#de# celui# qui# a# abouti# à# la# perte# du# pauvre# petit# Pegasus.# Mais# un# autre# croiseur# allemand,#l’Emden,#et#peutKêtre#après#lui#d’autres,#vont#se#trouver#à#sillonner#l’océan#Indien.#Nos#mers#vont#être#de#nouveau#surveillées.##Nous#ne#serions#pas#surpris#que#les#captures#faites#par#l’Emden#soient#la#cause#de#l’ordre#donné#au#Cooeyanna#de#ne#plus#partir#de#Maurice.#La#route#est#peutKêtre#surveillée#par#des#croiseurs#allemands#qui#n’hésiteront#pas# à#prendre#un# convoi# à# la#marine#marchande# si#nombreuse#des#Anglais.#Cette#nouvelle#est#loin#d’être#pour#nous#faire#plaisir.#Les#prouesses#de#l’Emden#et#du#Koenigsberg'auront#pour#conséquence#d’arrêter#net#la#navigation#des#bateaux#de#commerce.#Espérons# que# les# escadres# anglaises# de# la# mer# de# Chine,# les# escadres# australiennes# et# les#escadres#de#la#flotte#japonaise#feront#une#chasse#sans#merci#aux#croiseurs#allemands.#'*croiseur'allemand'ayant'sillonné'l’océan'indien'au'début'de'la'guerre'et'coulé'par'les'Anglais'le'11'juillet'1915'
'
# ## ##Le#Koenigsberg'proche'des'côtes'de'l’Afrique'Orientale'Allemande'(1914'ou'1915)'et'le'Koenigsberg'coulé'photograpahie'en'juillet'ou'août'1915'(source'Archives'fédérales'allemandes)##!!
!L’Emden!à!Madras!Le#Mauricien,##26#septembre##L’Emden#a#encore# fait#parler#de# lui#:#avec#une#rare# insolence,#ce#petit#croiseur#a#eu# l’audace#de#venir#bombarder#Madras.#Il#a#tiré#neuf#coups#de#canon#tuant#deux#jeunes#Indiens.#Mais#aussitôt#qu’il# a# vu# les# forts# lui# répondre# et# que# les# boulets# pouvaient# l’atteindre,# il# s’empressa# de#déguerpir#pour#aller#faire#du#mal#là#où#on#ne#pouvait#pas#lui#répondre.#Ce#bombardement#de#Madras,#fait#insignifiant#qu’il#est,#prouve#du#moins#que#l’Emden#est#libre#et#écume#les#mers#de#l’Inde.#Les#navires#anglais#devraient#dans#ces#conditions#craindre#de#quitter#les#ports#de#l’Inde.###L’Emden!coulé!Le#Mauricien#12#novembre#1914##On#nous#raconte#dans#quelles#circonstances#l’Emden#a#été#coulé#aux#îles#CocoKKeeling.#Si#les#fais#sont#exacts,#ils#parlent#hautement#en#faveur#des#employés#du#câble,#làKbas.#L’Emden# avait# saccagé# les# bureaux# du# câble# et# après# ce# haut# fait,# les# officiers# croyaient# avoir#réussi#dans#leur#lâche#tentative.#Mais# il# paraît# que# les# employés# avaient# un# matériel# souterrain# dont# ils# se# servirent#immédiatement#pour#aviser#la#station#la#plus#voisine#de#ce#qui#se#passait,#signalant#la#présence#de#l’Emden.#Le#croiseur'Sydney#averti,#arriva#sur#les#lieux#et#l’on#sait#ce#qui#en#résulta.###ARRESTATIONS!#Le#Radical##26#juillet#1915##
!
!VIE!QUOTIDIENNE!#Hausse!des!prix!!Le#Radical#28#janvier#1918##L’accaparement#est#à#l’ordre#du#jour.#Après#l’essence#de#pétrole,#c’est#le#pétrole,#proprement#dit,#les# allumettes,# le# tabac# qui# sont# à# l’heure# l’objet# d’une# véritable# frénésie# de# hausse.# Si# le#gouvernement#ne#fait#attention#à#ce#qui#se#passe#autour#de#lui#et#ne#ramène#promptement#à# la#raison# les#profiteurs#de# la#guerre,# l’existence#deviendrait# très#pénible#dans#notre#petite# île#qui#dépend#presqu’uniquement#de#l’étranger.#La#grosse#boîte#d’allumettes#est#aujourd’hui#à#12#sous#dans#les#boutiques#de#chinois#et#depuis#quelques#jours#des#émissaires#avaient#été#envoyés#dans#les# boutiques# des# campagnes# pour# accaparer# toutes# les# boîtes# disponibles.# De# là# cette# hausse#scandaleuse#qui#s’est#produite.##Congé!de!presse!Le'Radical,#vendredi#15#et#samedi#16#novembre#1918##Dernière#Heure##A#NOS#LECTEURS##Depuis#plus#de#quatre#ans,#notre#personnel#et#nousKmême#avons#été#sur#la#brèche.#Aujourd’hui#que#le#canon#ne#tonne#plus#sur#aucun#des#fronts,#qu’un#armistice#général#a#été#signé#et#que#l’aube#de#la#paix#sur#lève#sur#le#monde,#nos#confrères#et#nous#demandons#la#permission#à#nos#lecteurs#et# au# public# de# prendre# congé# demain,# pour# laisser# nos# ateliers,# nos# collaborateurs# et# nousKmême# assister# au# Te# Deum# qui# sera# chanté# à# la# Cathédrale# St# Louis# et# prendre# part# à# la# joie#générale.#####!!!!!!!!!!!!!!!!!
! 1!
FRANK DE CHAZAL MAYER
Page!2!
ELEMENTS'BIOGRAPHIQUES''
Page!3!
REPERES'SUR'LA'FRANCE'ET'LES'TRANCHEES''
Page!4!
LEXIQUE'!
Page!5!
REPERES'SUR'LA'FAMILLE'''
Page!6!
COMPLEMENTS'D’INFORMATION''
Page!8!
LETTRES''
Page!19!
CARTES'DE'CORRESPONDANCE''
Page!21!
JOURNAL''
Page!28!
ICONOGRAPHIE'
! 2!
FRANK DE CHAZAL MAYER (1891-1915) Frank!de!Chazal!Mayer!est!le!sixième!enfant!de!George!Clifford!Mayer!et!de!Berthe!de!Chazal.!Il!
est!né!à!Trait!d’Union,!Vacoas,! le!27! juillet!1891.!Sa!mère!étant!morte!quelques! jours!après!sa!
naissance,! sa! tante! Alice! Mayer! devint! sa! mère! adoptive! et! éleva! la! famille.! Ayant! obtenu! la!
Bourse!d’Angleterre!du!Collège!Royal!en!1911,!comme!ses!frères!Clifford!en!1901!et!Norman!en!
1908,!il!entra!à!Christ!College!à!Cambridge!afin!d’étudier!le!génie!agronome.!!
A! la! déclaration! de! guerre,! voyageant! en! Suisse,! il! gagna! Lyon! avec! Fernand! Antelme! pour!
s’engager!dans!l’armée!française.!Ils!furent!les!premiers!volontaires!mauriciens!enrôlés!dans!un!
corps!d’armée.!Appartenant! à! la! 10e! compagnie!du!52e! régiment!d’infanterie,! Frank!de!Chazal!
Mayer!fut!bientôt!cité!à!l’ordre!général!No!27!du!14e!corps!pour!son!action!du!31!octobre!1914!:!
«!Engagé!volontaire!anglais!pour!la!durée!de!la!guerre,!s’est!fait!remarquer!pour!sa!bravoure!et!
son!courage!à!l’attaque!d’une!tranchée!allemande!et!a!abattu!4!ennemis!».!!
Selon!le!Dictionnaire*de*Biographie*Mauricienne,!Frank!de!Chazal!Mayer!est!tué!le!21!septembre!
1915,!d’une!balle!dans!la!tête.!Dans!un!article!sur!le!site!familial!des!de!Chazal,!un!de!ses!petitsb
neveux,! Hamish! Levack,! affirme! qu’il! a! bien! été! blessé! ce! jourblà! mais! ne! mourut! qu’environ!
douze!heures!plus!tard,!au!matin!du!22!septembre.!Il!est!blessé!lors!d’un!combat!à!Perthesblèsb
Hurlus! dans! le! département! français! de! la! Marne.! Le! nom! du! village! est! mal! transcrit! dans!
plusieurs!documents!où!on!peut!lire!ParthusblesbHurlus.!Ce!village,!totalement!détruit!pendant!la!
guerre,!n’a!jamais!été!reconstruit.!
Frank!de!Chazal!Mayer!était!caporal!et!reçut!la!Croix!de!Guerre!à!titre!posthume.!Son!nom!figure!
sur!le!cénotaphe!du!Collège!Royal!à!Curepipe.!D’abord!traduits!et!publiés!à!Londres!en!1991,!ses!
lettres!et!son!journal!ont!été!déposés!au!Imperial!War!Museum!de!Lambeth!Road!à!Londres!et!
ont!été!traduits!et!publiés!en!1991!sous!le!titre!Letters*and*journal*from*the*French*front*(3*Sept*
1914?7*May* 1915).! Il! a! laissé! également! quelques! croquis! du! front.! (Sources*:* Dictionnaire* de*
Biographie*Mauricienne*et*le*site*:*http://www.chazfest.com)!
!
!
!
'
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Caserne!du!52e!régiment!d’Infanterie!!
où!a!été!enrôlé!Frank!de!Chazal!Mayer!et!où!il!a!séjourné.!
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! 3!
REPERES'SUR'LA'FRANCE'ET'LES'TRANCHEES''Itinéraire'de'Franck'Mayer'de'Chazal'Frank! de! Chazal!Mayer! attend,! en! août! 1914,! l’ordre! de! départ! à! la! caserne! du! 52e! régiment!
d’Infanterie!à!Montélimar,!dans!le!département!de!la!Drôme,!situé!dans!la!région!RhônebAlpes.!Il!
va! combattre,! fin! août,! dans! le! département! des! Vosges,! en! Lorraine! ;! blessé,! il! est! soigné! en!
septembre! à! Grenoble,! ville! de! la! région! RhônebAlpes.! En! octobre! 1914,! il! est! dans! le!
département! de! la! ! Somme,! en! Picardie,! région! du! Nord! de! la! France,! où! son! régiment! reste!
plusieurs!mois.! Il!meurt,! en! septembre! 1915,! dans! le! département! de! la!Marne,! situé! dans! la!
région!ChampagnebArdenne.!
!
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Les!régions!françaises!
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Les'lignes'de'tranchées''La'première'ligne'de'tranchée':!la!plus!exposée,!pourvue!en!postes!de!tir!et!abris!sommaires!;!l’objectif!des!fantassins!ennemis!est!de!la!prendre.!
La'seconde'ligne'de'tranchée':!environ!70!mètres!à!l’arrière!de!la!première,!lieu!de!repli!en!cas!de! bombardement! de! la! tranchée! de! première! ligne! ou! zone! de! rassemblement! lors! d’une!
offensive,!équipée!d’abris!plus!ou!moins!profonds!et!de!stations!médicales.!!
La'troisième'ligne'de'tranchée':!(appelée!aussi!tranchée!de!réserve)!située!à!150!voire!jusqu’à!2!000!mètres! de! la! première! ligne,! chemin! de! ravitaillement! et! zone! de! stockage! pour! les!
munitions,!les!provisions!et!le!matériel!ainsi!que!zone!de!repos!pour!les!soldats.!
Le' boyau':! fossé! assurant! la! circulation! rapide! des! hommes,! des! brancards,! du!matériel,! des!vivres! et! des! munitions.! Les! boyaux! relient! les! tranchées! et! l'arrière!;! son! tracé! est! toujours!
perpendiculaire!à!la!ligne!de!défense!adverse.!
''
! 4!
LEXIQUE''Créneau':'ouverture!qui!permet!au!soldat!de!voir!à!l’extérieur!de!la!tranchée!sans!s’exposer,!des!créneaux!étaient!réalisés!à!l’aide!de!sacs!de!sable!
Maurice'Barrès':'écrivain!et!homme!politique!français,!droite!nationaliste''Armement*
Canon'de'75':!canon!de!75mm,!mesure!du!diamètre!de!l’obus!qu’il!tire,!d’une!portée!!de!11!110!m!
Shrapnell':!obus!rempli!de!balles!Minewerfer!:! pendant! la! Première! Guerre!mondiale,! le! terme! allemand!Minewerfer! désignait!une! pièce! d’artillerie! avec! une! élévation! de! tir! importante,! souvent! aubdelà! de! 45!degrés! aub
dessus!de!l’horizontale.!Leur!canon!était!court!et!rechargé!par!l’avant.!Il!s’agit!là!d’un!précurseur!
du!mortier!moderne!et!du!lancebgrenades.!
Marmite':!obus!de!gros!calibre!Lebel':!marque!de!fusil!!
Termes*péjoratifs*pour*désigner*les*Allemands*
Boche':'Allemand'Prussien':!nom!donné!aux!Allemands,!l’Allemagne!a!fait!partie!de!la!Prusse!Saligoth':!un'saligaud!est!une!personne!peu!recommandable,'orthographié!ainsi,!l’auteur!fait!un!jeu!de!mot!avec!les!Goths,!synonyme!de!barbares!!
Teuton':'Allemand!'Argot*
Carapater':'s’en!aller!Crapouillard':!pétard!Ecraser'brutal':'ronfler!Fiole':!tête!Pioupiou':!soldat!d’infanterie'Pitou':!fantassin!Singe':'viande!en!conserve!Plumard':!lit!!
Lieux*
La'Salle'(et'non'Lassalle)':!village!des!Vosges!Lihons':!village!de!la!Somme!totalement!détruit!pendant!la!guerre!Maucourt':!village!de!la!Somme!Moreuil':! village! de! la! Somme! qui,! pendant! la! Grande! Guerre,! fut! tour! à! tour! une! ville! de!l’arrière,!une!ville!occupée,!un!lieu!de!combat.!
Nompatelize':!village!situé!dans!le!département!des!Vosges.!Le!plateau!de!Nompatelize!a!été!un!champ! de! bataille! du! 25! août! au! 12! septembre! 1914,! combat! de! résistance! pour! l’armée!
française!de!l’Est.!!
Rethel':!ville!française!située!dans!les!Ardennes!Saint'Michel'(sur'Meurthe)':!village!des!Vosges!limitrophe!de!Nompatelize!Torgau':!ville!allemande!située!dans!la!Saxe!!
'''''''
! 5!
LE'CERCLE'FAMILIAL''Proches'de'Frank'de'Chazal'Mayer'cités'dans'ses'lettres'et'son'journal'!
Les*liens*de*parenté*des*proches*de*Frank*de*Chazal*Mayer,*ci?dessous,*ont*pu*être*établis*grâce*à*
l’article*d’Hamish*Levack,*petit?neveu*de*Frank,*publié*en*2014*sur*le*site*de*la*famille*de*Chazal.*
!
Dans!ses!lettres!et!son!journal,!Frank!de!Chazal!Mayer!évoque!plusieurs!membres!de!sa!famille!
dont!certains!sont!les!destinataires!de!ses!écrits.!
La!mère!de!Frank,!Berthe,!née!de!Chazal,!meurt!peu!après!sa!naissance.!Les!six!enfants!du!couple!
seront! élevés! par! la! sœur! de! leur! père,! Alice! Mayer,! dite! Titale.! Quant! à! celle! appelée! Tante!
Edmée,!c’est!la!sœur!de!Berthe!de!Chazal!;!elle!a!épousé!John!Rouillard.!
Si! ses! frères! s’engagent! dans! l’armée! anglaise,! Frank! est! le! seul! à! s’engager! dans! l’armée!
française,! le! seul! aussi! à! mourir! au! champ! d’honneur.! L’aîné,! Clifford,! s’engage! dans! l’armée!
anglaise! et! participera,! comme! chirurgien,! à! la! campagne! de! Gallipoli! dans! les! Dardanelles.!
Ralph! et! Norman! s’engagent! dans! l’armée! anglaise,! dans! le! 10e! Bataillon,! Royal* Fusilliers,! et!
seront!envoyés!dans!les!tranchées,!en!Artois,!dans!le!Nord!de!la!France.!
Maurice!Tuffier!est!le!fils!de!Marguerite!Tuffier,!née!de!Chazal,!vivant!à!Paris!pendant!la!guerre.!!
Sybil,!sœur!de!Frank!évoquée!dans!les!lettres,!a!épousé!Edgar!Piat.!Son!prénom!est!aussi!cité!en!
fin!de!lettre.!Ils!ont!deux!enfants,!Roger!et!Sybil!dite!Mimie.!Dans!des!courriers,!Frank!embrasse!
«!Le!petit!Roger!»!et!dans!une!autre!«!Les!petits!Piat!».!(Source*:*http://www.chazfest.com)*
*
!!! !! !
.!!
Clifford!Mayer,!Edgar!Piat!et!Sybil!Mayer,!Frank!de!Chazal!Mayer!(iconographies*illustrant*
l’article*d’Hamish*Levack*sur*le*site*de*la*famille*de*Chazal)*A*noter*que*la*photo*de*Clifford*Mayer*
ci?dessus*a*été*publié*dans*Week?End*du*31*juillet*1994*comme*étant*celle*de*Robert*de*Chazal,*
mort*en*Mésopotamie*
!
Trait'D’union''La!maison!familiale,!évoquée!dans!les!courriers!et!dans!le!journal,!est!située!à!Vacoas,!dans!le!
quartier!de!Riverwalk.!Elle!porte!le!nom!de!Trait!d’Union!car!elle!était!entre!deux!autres!maisons!
de!la!famille,!La!Mauvrais!(orthographiée!La!Mauvraie!dans!la!correspondance)!qui!appartenait!
à!John!Rouillard!et!sa!femme!Edmée!(née!de!Chazal)!et!Le!Mesnil!aux!Roses!appartenant!à!Pierre!
Edmond!de!Chazal!et!sa!femme!Lucie!(née!de!Chazal),!sœur!de!Berthe!et!d’Edmée.!(Source*:*
http://www.chazfest.com).*''
! 6!
COMPLEMENTS D’INFORMATION Précisions'd’Hamish'Levack'sur'la'mort'de'son'grandWoncle''Dans!son!article!sur!sa!famille!et!plus!particulièrement!sur!Frank!de!Chazal!Mayer,!Hamish!
Levack!écrit!ceci!:!
«*Dans* le*Dictionnaire! de! biographie!mauricienne,* Jean*Brouard*note*que* :*«! Le! 21! septembre!
1915!à!PerthesblèsbHurlus!(Marne),!il!enleva!son!casque!pour!s’éponger!et!fut!tué!d’une!balle!à!la!
tête!».*Cela*n’est*pas*tout*à*fait*vrai.*La*«*mort*instantanée*»*fut*une*fabrication*qui,*par*la*suite,*fut*
transmise* à* Brouard.* Cela* avait* été* évoqué* pour* apaiser* les* proches.* Une* lettre* de* la* tante*
parisienne*de*Frank,*Marguerite*Tuffier*(née*de*Chazal)*à*Clifford*Mayer,*de*même*qu’une*lettre*du*
médecin*major*Gayet,* de* l’armée* française,* sont* depuis* remontées* à* la* surface.* L’histoire* qu’elle*
raconte*est*plus*sombre.*
Gayet*note*:*«!Le!sergent!Frank!Chazal!Mayer!fut!conduit!à!mon!ambulance!dans!un!triste!état.!Il!
avait! reçu! de!multiples! éclats! de! shrapnel! qui! lui! avaient! valu! une! double! fracture! à! la! jambe!
droite,!une! fracture!à! la! jambe!gauche,!une!blessure!à! la! tête.! Il!était!dans! le!coma!et!ne!reprit!
jamais!conscience.!Son!état!ne!permit!aucune!intervention,!bien!que!nous!ayons!vivement!tenté!
de! le! ressusciter! au! moyen! d’injections! de! sérum,! d’huile! de! camphre,! etc.! Il! mourut! le! 22!
septembre,!le!matin,!à!6!heures,!douze!heures!après!son!arrivée!».*
La* dépouille* de* Frank* de* Chazal*Mayer* a* été* déposée* à* l’ossuaire* de* la* Nécropole* nationale* de*
Somme?Suippe,*en*Champagne?Ardenne,*dans*le*département*de*la*Marne,*dans*l’Est*de*la*France.*
Son* nom* figure* aussi* sur* le* cénotaphe* à* Curepipe,* devant* le* Collège* Royal.* Rien* n’a* subsisté* du*
village*de*Parthus?les?Hurlus*».!(Source*:*http://www.chazfest.com)*
*
!
!
Les!trois!ossuaires!de!la!Nécropole!nationale!de!la!SommebSuipe!située!dans!la!région!de!
ChampagnebArdenne.!Le!site!a!été!réaménagé!en!2008.!
!
!
!
Les!morts!sur!le!champ!de!bataille!de!PerthesblèsbHurlus!ont!été!réunis!dans!l’ossuaire!N°2.!!
A*noter*que*dans*le*Dictionnaire*de*biographie*mauricienne*comme*dans*l’article*d’Hamish*Levack*
ont*écrit*Parthus?Les?Hurlus*pour*Perthes?Lès?Hurlus*
! 7!
Précisions'd’Hamish'Levack'sur'les'lettres'de'son''grandWoncle'!!
«*Mon* oncle* T* K* [Tommy]*Mayer,* a* déposé,* en* 1980,* les* lettres* et* croquis* du* front* de* Frank* à*
l'Imperial* War* Museum,* Lambeth* Road,* Londres.* Récemment,* je* parcourais* les* rayons* d’une*
librairie*à*Wellington,*y*repérant*un*nouveau* livre*sur* la*Première*Guerre*mondiale,*d’un*auteur*
bien*connu,*Max*Hastings,*[…]* intitulé*Catastrophe!–!L’Europe!va!en!guerre,!1914.* J'ai*trouvé*la*
photo*de*Frank,*à*côté*de*la*page*507.*Max*Hastings*l'appelle*François*Mayer,*et*le*cite*à*plusieurs*
reprises,*cela*présenté*comme*un*point*de*vue*de*soldat*français.*Dans*les*crédits*en*fin*d’ouvrage,*
Hastings*se*réfère*à*l’Imperial*War*Museum*[IWM]*Mayer*François.*En*1980,*le*directeur*du*service*
des* documents* au*musée* de* la* guerre* écrivit* à*mon* oncle* Tommy*Mayer* (qui* était* le* neveu* de*
Frank)*que*«!les!descriptions!de![son]!oncle!des!conditions!dans!les!tranchées!et!ses!réflexions!
sur! la! guerre,! l'armée! française! et! l'ennemi! allemand! font! de! la! collection! une! riche! source!
d'information! destinée! à! être! de! valeur! pour! de! nombreux! chercheurs! dans! le! cadre! de! leurs!
recherches!».*Hastings*a*été*l'un*de*ces*chercheurs,*même*si*cela*a*été*de*manière*peu*approfondie.*
Il*fait*référence*à*une*lettre*de*Frank*à*sa*femme,*alors*qu'elles*étaient*à*la*tante*[Tante*Alice]*qui*
l'a* élevé*;* il* n'a*pas*pris* la*peine*de*mentionner*que*Frank* était* britannique,*même* si* ses* lettres*
étaient*écrites*en*français*».!(Source*:*http://www.chazfest.com)*
*
*
!
!
Le!livre!de!Max!Hastings!!
évoquant!Frank!de!Chazal!Mayer!mais!l’appelant!François!
!
!
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!
!
'''''''''''
! 8!
LETTRES'DE'FRANK'DE'CHAZAL'MAYER'A'SA'FAMILLE'Septembre'1914'à'mai'1915'!
(Extraits*d’une*lettre*en*mauvais*état*de*conservation*avec*des*passages*manquants)*
Couvent!de!Corenc!
Grenoble!
Le!5!septembre!1914!
!
Ma!chère!Titale,!!
Je!te!contais!dans!ma!dernière!lettre!mon!départ!précipité!de!Lausanne,!mes!pérégrinations!en!
France,!les!refus!auxquels!nous!nous!exposions,!et!finalement!notre!engagement!à!Lihons.!(Mots*
illisibles).**
En! temps! de! paix,! on! accable! de! malheureux! pioupious! de! maniements! d’armes,! c’est! à! dire!
qu’on! leur! fait! exécuter! toutes! sortes! de!mouvements! ridicules! avec! leur! fusil.! Il! y! a! aussi! ce!
qu’on!appelle!l’école!de!section!qui!consiste!à!faire!marcher,!tourner!et!pivoter!avec!harmonie!et!
à!la!fois!une!cinquantaine!d’hommes.!Ces!choses!ne!servent!jamais!en!temps!de!guerre!et!aussi!
nous!en!abtbon!plus!ou!moins!épargnés.! (Mots*illisibles).!Malgré!notre! insistance,!on!ne!voulait!
pas!nous!envoyer!au!feu!et!nous!commencions!déjà!à!désespérer!quand!un!soir!que!nous!dînions!
tranquillement!dans!un!restaurant,!nous!entendîmes!soudain!sonner!la!générale.!Pour!sonner!la!
générale,!on!envoie!partout!des!soldats!qui!jouent!un!certain!air!sur!leur!trompette.!Alors,!tous!
les! militaires,! quels! qu’ils! soient,! et! quelles! que! soient! leurs! occupations,! sont! tenus! de! se!
présenter!immédiatement!à!la!caserne.!(Mots*illisibles).!
La!caserne!prit!l’aspect!d’une!ruche!quand!toutes!les!abeilles!rentrent!vers!la!tombée!de!la!nuit.!
Les!officiers!font!appel!aux!volontaires!et!tous!ceux!qui!vont!de!leur!plein!gré!sont!applaudis.!S’il!
en!manque,!on!choisit!n’importe!qui!sur!la!liste!des!noms!pour!former!l’effectif!voulu.!!
On!s’équipe!au!plus!vite,!et!sac!au!dos!et!fusil!sur!l’épaule,!on!se!rassemble!dans!la!cour.!Quand!
tout!le!monde!est!là,!on!part!pour!la!gare.!Les!habitants!nous!acclament!et!nous!jettent!des!fleurs.!
(Quelques*lignes*illisibles).!
Nous!nous!retirons!un!peu!plus!loin,!dans!un!petit!village,!St!Michel.!Nous!nous!réfugions!dans!
des! granges! pour! nous! protéger! d’une! pluie! battante.! Rien! à! manger,! que! du! singe! (des!
conserves)! et!des!biscuits!durs! comme! les!pierres.! Le!village!avait! été! complètement!pillé!par!
ceux!qui!y!étaient!passés!avant!nous.!Inutile!de!te!dire!que!tous!les!habitants!sont!partis.!L’exode!
est!général!dans!tous!ces!pays.!Deux!heures!de!halte,!puis!en!avant.!Nous!marchons!cinq!minutes!
et!puis!on!nous!fait!faire!demibtour.*(Mots*illisibles).!
Je!suis!très!amusé!de!ce!bombardement.!Quelquesbuns!d’entre!nous,!peu!fort!heureusement,!ont!
la! frousse.! C’est! curieux! de! voir! les! yeux! d’un! homme! qui! a! peur.! Ils! sont! fous! d’angoisse! et!
d’épouvante.!Et!pourtant!ces!malheureux!obus!ne!valent!pas!la!peine!qu’on!ait!peur!d’eux.!Quand!
ils!n’éclatent!pas!exactement!sur!notre!tête,!ils!sont!inoffensifs.!On!les!entend!siffler!de!loin.!On!
peut!compter!dix!secondes!depuis!le!moment!qu’on!les!entend!jusqu’au!moment!où!ils!éclatent.!!
(Ajout*sur*le*premier*feuillet)!!
30!septembre!
Je!change!d’idées.!Enverrai!la!suite!bientôt.!Mille!baisers!de!bonne!fête!à!Sibyl!
Ton!petit!Kiout!
!
Le!3!décembre!1914!
10e!Compagnie!
52e!d’Infanterie!
Bureau!Central!Militaire!
Paris!
!
Ma!chère!Titale,!!
Je! suis! tenu! au! courant! de! tes! nouvelles! par! l’excellente! tante!Marguerite! dont! je! ne! pourrais!
jamais! exprimer! l’infinie! bonté.! Elle! m’envoie! continuellement! des! vêtements! chauds! pour!
l’hiver!et!des!petites!gâteries!;!elle!me!traite!comme!son!propre!fils.!Tu!sais!qu’il!y!a!plus!de!deux!
! 9!
mois! qu’on! ne! reçoit! pas! de! nouvelles! de! lui.! Pourtant,! les! enquêtes! qu’on! fait! en! ce!moment!
donnent!une!faible!lueur!d’espoir.!Il!serait!prisonnier!à!Torgau.!Il!s’est!conduit!héroïquement!à!
Rethel,!pendant!la!retraite!de!Belgique!et,!comme!récompense,!il!a!été!cité!à!l’ordre!du!jour.!Nous!
pouvons! être! fiers! de! notre! famille.! Raymond! Chevreau! a! été! légèrement! blessé! à! l’épaule,!
Chamarel! est! au! front,! Edmond! m’écrit! de! Cambridge! qu’il! compte! 62! Mauriciens! engagés.!
Inutile!de!te!dire!combien!je!gonfle!d’être!avec!Fernand!Antelme,! le!premier!à!m’être!enrôlé.!Il!
me! semble! que! dans! une! de! tes! lettres,! tu! me! reproches! de! ne! pas! m’être! engagé! dans! le!
régiment!à!Maurice!Tuffier.!C’est!bien!ce!que! j’avais!voulu! faire!mais! les!événements!m’en!ont!
empêché.!!
Quand!la!mobilisation!a!été!décrétée,!j’étais!en!Suisse!et,!pour!aller!jusqu’à!Paris,!il!m’aurait!fallu!
plus! d’une! semaine.! Pendant! ce! temps,! Maurice! était! déjà! parti,! et! il! m’aurait! fallu! au! moins!
quinze! jours! d’entraînement! avant! d’aller! rejoindre! son! régiment! sur! le! front!;! ce! qui! fait! que!
nous!n’aurions!guère!été!ensembles.!!Et!bien!j’ai!fait!de!partir!avec!Fernand!parce!que!sans!lui!je!
n’aurais! jamais! réussi! à!devenir! soldat! français.! Les! sujets! étrangers! sont! incorporés!dans!des!
régiments! français! seulement! s’ils! veulent! se! faire! naturaliser! et! si! on! a! besoin! d’eux.! A! ce!
moment,! on! demandait! seulement! des!mécaniciens! et! des! aviateurs.! N’étant! ni! l’un! ni! l’autre,!
nous!fûmes!catégoriquement!refusés.!Nous!revînmes!à!la!charge!et,!nous!aidant!des!relations!de!
Fernand,!nous!mobilisâmes!préfet,!consul!britannique,!état!major!et!tout!le!bataclan,!et!au!bout!
d’une!semaine!nous!prîmes!d’assaut!le!bureau!de!recrutement!qui!céda!sous!notre!poussée.!!
Sans! l’aide!de!Fernand,! je!me! serais!heurté! aux! réglements! stupides!d’une!administration!mal!
comprise!et!j’aurais!subi!le!même!sort!que!Roger,!Raymond,!Chamarel!et!Norman.!Raymond!et!
Chamarel!ont!été!obligés!de!s’engager!dans!un!régiment!étranger,!composé!presque!entièrement!
d’étrangers.!Je!t’avouerai!que!je!n’aime!guère!cette!promiscuité!de!nationalités!et!que!je!préfère!
être! engagé! dans! un! régiment! entièrement! français.! Depuis!ma! chute! dans! les! Vosges! et!mon!
départ,! je!n’ai!plus! reçu!de!nouvelles!de!Fernand!;! seraitbil! prisonnier!ou!mort!?! Je!n’ai!pas!de!
chance.!Un!frère!fou!et!un!autre!tué.!Je!t’assure!que!Fernand!n’était!plus!le!même!type!que!celui!
de!Maurice.! Il! avait! beaucoup! changé! et! pour! le!mieux.!Du! reste! son! geste! spontané! l’indique!
amplement.!On!m’écrit!que!Latune,!le!fiancé!de!Violette!Galland,!est!tombé!au!champ!d’honneur.!
Je!ne!crois!pas!que!notre!famille,!ni!nos!connaissances!aient!eu!à!pleurer!d’autres!morts.!Ralph!et!
Norman!et!tous!ceux!qui!se!sont!engagés!en!Angleterre!n’ont!pas!encore!donné.!Je!crois!que!mes!
frères!tâchent!de!se!faire!nommer!officiers!comme!Ferdinand!Régnard.!!
Tante!Edmée!vient!de!m’écrire!une!gentille!lettre!de!félicitation!au!sujet!de!ma!citation!à!l’ordre!
du!jour.!Elle!m’annonce!en!même!temps!que!Jim!avait!eu!un!congé!de!trois!jours!qu’il!avait!passé!
auprès! de! sa! femme,! et! qu’au! bout! des! trois! jours! il! a! eu! la! chance! de! tomber! malade.! Je!
m’aperçois! que! les! officiers! anglais! ont! plus! de! veine! que! leurs! collègues! français! qui! n’ont!
jamais! de! congé! et! qui,!même! blessés,! restent! à! leur! poste.! Tu! ne! te! figures! pas! combien! nos!
officiers!sont!splendides!de!courage!et!de!dévouement.!Tous!les!jours!paraît!sur!les!journaux!une!
longue!liste!des!tués!et!de!leurs!actes!de!bravoure.!La!France!perd!ainsi!la!fleur!de!ses!enfants.!Ce!
sont! les! plus! braves! et! les!meilleurs! qui! tombent.!Mais! comme! le! dit! bien!Maurice! Barrès,! la!
nouvelle!semence!produira!une!encore!plus!belle!moisson.!La!guerre,!une!horrible!chose,!mais!
elle!réveille! l’énergie!nationale!et! fortifie! le!moral!de! la!race.!Ce!peuple,!si!divisé!par! le!régime!
qui!le!désagrège!devant!le!péril!du!dehors,!fait!trêve!tout!de!suite!à!ses!dissensions!politiques!qui!
offre!aux!barbares!une!seule!poitrine!d’acier.!!
Depuis!une!quinzaine!de!jours,!il!ne!se!passe!rien!de!bien!violent!sur!toute!la!ligne!de!la!Belgique!
jusqu’à! la! Suisse.! Le! grand! coup! se! donne! en! Pologne! et! si! la! Russie! reçoit! la! piquette,! le!
dénouement!de!la!tragédie!aura!lieu!bientôt.!Je!me!suis!bien!fait!au!régime!militaire!et!ne!souffre!
plus.!J’ai!même!engraissé.!La!vie!en!tranchée!me!plaît!beaucoup.!Nous!avons!le!confort!moderne!
dans!un!logement!à!bien!bon!marché.!Nous!avons!tous!notre!feu!et!toute!la!journée!on!se!chauffe!
et!on! fait!du! chocolat!ou!du! café.!Nous!avons!bien!des! corvées,!mais!puisque! j’en! suis! exempt!
comme!caporal,!je!ne!m’en!soucie!guère.!A!200!m!des!Boches,!on!est!mieux!que!lorsqu’on!est!au!
repos!à!4!kilomètres!en!arrière.!Nous!sommes!moins!assujettis!à!une!discipline!de!caserne.! Je!
t’assure! qu’on! est! très! heureux! et! qu’on! ne! se! fait! pas! de! bile! du! tout.! On! ne! souhaite! qu’une!
chose,!c’est!chasser!du!territoire!qu’ils!souillent!les!Saligoths!et!de!revenir!sains!et!saufs.!Je!crois!
que!si! je! sors! indemne!de! la!mêlée,! j’irais! faire!un! tour!à!Maurice!et! revoir! ta! chère!binette!et!
! 10!
notre! bon! vieux!Trait! d’Union.! Pourvu! que! tu! n’aies! pas!mis! à! exécution! ton! plan! criminel! de!
quitter!notre!vieil!habitacle!pour!une!de!ces!affreuses!bicoques!qu’on!construit!un!peu!partout.!
Je!sais!bien!que!tu!le!fais!par!dévouement!pour!notre!vieille!Tante!Lina!mais,!puisqu’elle!même!
veut!rester!à!Trait!d’Union!et!agrandir!une!pièce,!il!n’y!a!vraiment!pas!lieu!de!quitter!le!nid!de!la!
famille.! Il! est! vrai! que! je! barbouille! inutilement! du! papier!;! quand! cette! lettre! arrivera,! ta!
décision!sera!exécutée,!si!elle!ne!l’est!déjà.!Je!t’envoie!un!croquis!fait!par!un!de!mes!bons!amis!au!
régiment.!Quoi!que!pas!absolument!fidèle,!ce!portrait!te!donnera!quelque!idée!de!ma!fiole.!Asbtu!
reçu!une!photo!de!moi!en!pitou!?!Je!voudrais!t’envoyer!un!trophée!de!guerre!mais!c’est!un!peu!
encombrant!et!je!crois!que!la!poste!ne!l’acceptera.!C’est!la!baïonnette!du!premier!Boche!que!j’ai!
tué.!C’est!un!souvenir!de!la!guerre!qui!a!une!grande!valeur!pour!moi.!J’ai!aussi!son!quart!et!une!
de! ses! cartouchières.! Si! ça! ne! m’avait! pas! répugné! de! le! fouiller,! j’aurais! pu! avoir! aussi! son!
pistolet,!un!bijou!d’arme.!Rien!ne!me!dégoûte!plus!que!ces!hommes!corbeaux!qui!après!la!mêlée!
vont!dépecer! les!vaincus!encore! chauds!de! sang!et!de!vie.! Je! t’envoie! toute!ma!pensée!qui! est!
constamment!avec!toi!aux!heures!de!danger.!!
Ton!Kiout!qui!t’aime!passionnément!
Toutes!mes!meilleures!amitiés!à!Sibyl,!Edgar,!Roger!et!Tante!Lina.! !
10e!Cie!
52e!!d’Infanterie!
Secteur!Postal!114!
Le!3!décembre!1914*(Note*:*doute*sur*la*date*car*sont*évoqués*ensuite*Noël*et*le*31*décembre)*
!
Ma!chère!tante!Edmée,!
Les!cadeaux!que!tu!m’as!envoyés!m’ont!causé!un!plaisir!intense.!Je!ne!sais!rien!de!plus!agréable!
que!de!déballer!ces!petits!paquets!qui!viennent!de!làbbas!et!d’y!découvrir!si!bien!installés!tous!
ces!articles!de!luxe!qui!font!un!grand!contraste!avec!la!boue!qui!nous!entoure.!La!peau!de!chat!
est!une!merveille!d’élégance!qui! fait!envie!aux!officiers.!Quant!aux!chocolats!de!Gilberte,! je!me!
délecte.!J’envoie!promener!mes!autres!cachebnez!(j’en!ai!une!demibdouzaine)!pour!adopter!celui!
que!tu!m’envoies!parce!que!c’est!le!plus!pratique.!Il!sert!aussi!de!passebmontagne.!Et!puis,!il!est!
d’un! chic! incontestable.! Quand! je! pense! que! ces! jolies! choses! reposent! sur! ma! dégoutante!
personne,!j’ai!des!remous!de!répugnance.!Que!dirait!tante!Alice!si!elle!apprenait!que!ça!n’est!pas!
quatre!jours!qu’on!reste!sans!ôter!ses!chaussures!ni!se! laver! les!pieds,!mais!bien!un!mois!si!ce!
n’est!plus.!!
Les!premiers!deux!mois!que!nous!avons!passés! ici,! je!me!dévêtais!un!peu!outre!mesure!quand!
nous!allions!au!repos!et!je!me!rafraichissais!le!moral!avec!une!serviette!mouillée.!Cette!opération!
n’avait! lieu!que!tous! les!15! jours!et! j’étais! la! fable!du!village!à!cause!de!mon!excentricité.!Mais!
depuis!un!mois,!nous!sommes!traités!en!princes!et!nous!avons!pris!deux!douches!chaudes.!On!a!
tellement!pris!l’habitude!de!la!saleté!qu’on!se!prend!pour!un!efféminé!lorsqu’on!a!les!mains!ou!le!
visage! propre.! Aussitôt! qu’un! homme! pousse! l’hospitalité! jusqu’à! héberger! sur! sa! personne!
certaines! races! d’intrus,! il! est! tout! de! suite! envoyé! à! la! désinfection! générale! qui! se! trouve! à!
quelques! kilomètres! des! premières! lignes.! De! cette! façon,! la! Keating’s* Powder! n’est! pas!
absolument!nécessaire.!!
La!période!morne!continue!;! c’est! l’hivernage.! Je!m’attends!à! ce!qu’on! reprenne! les!opérations!
actives!en!mars!et!pour!moi!la!guerre!sera!terminée!en!juin.!Ayant!changé!de!mode!d’habitation,!
car!nous!habitons!maintenant!complètement!sous!terre!dans!des!caves!que!nous!avons!creusées,!
l’hiver! sera! moins! dur! à! passer.! Nous! occupons! en! ce! moment! un! secteur! intéressant.! Les!
Allemands! sont! à! 80!m.! On! se! parle.! Ils! crient! «!Français! Kapout! »! et! autres! balivernes! de! ce!
genre.! Le! 31! décembre! à! minuit,! ils! ont! ouvert! une! fusillade! intense! à! laquelle! nous! avons!
répondu!par! la!Marseillaise.!C’était!émouvant!d’entendre! toutes!ces!voix!de!soldats! jeter! leurs!
accents! guerriers! au!milieu! des! balles! qui! sifflent.!Quand!nous! eûmes! fini,! ils! répondirent! par!
«!Vive!l’empereur!».!Et!puis!tout!se!calma.!Nous!sommes!trop!près!d’eux!pour!que!leur!artillerie!
tire! sur! nous.! Par! contre! la! notre! leur! tire! dessus! avec! un! rare! plaisir.! Leur! seule! façon! d’y!
répondre,! c’est! de! nous! envoyer! des! bombes! avec! leur!minewerfer,! lesquelles! bombes! entre!
parenthèses!ne!nous!atteignent!jamais.!
! 11!
Je!suis!heureux!de!savoir!que!vous!avez!fait!bonne!figure!devant!votre!plumbpudding,!moi!aussi!
j’en!ai!mangé!un!que!m’a!envoyé!Rita.!Avec!quelques!amis,!nous!avons!célébré!Noël!avec!mille!
bonnes!choses.!Je!bois!maintenant!les!aprèsbmidi!mon!thé!au!lait!condensé.!Nous!avons!comme!
tu!vois! tout! le!confort!moderne.!Ravi!de!savoir!que! Jim!se!porte!bien.!Raymond!va!bien!mieux!
paraîtbil.!!
Je!n’ai! pas! la!médaille!militaire,! je!n’ai! qu’une! citation! à! l’ordre!du! corps!d’armée.!Mais! ça!me!
suffit!amplement.!
Je!vous!envoie,!à!toutes,!mes!meilleurs!souhaits!pour!le!nouvel!an.!Tendres!baisers.!!
Frankie!
!
Le!14!décembre!1914!
Ma!chère!Tante!Marguerite!
Tu!n’aurais!pas!pu!mieux!employer!l’argent!que!t’as!remis!Lucien!pour!m’acheter!un!cadeau!de!
Noël.!Rien!ne!nous!fait!plus!de!plaisir!que!toutes!ces!petites!friandises.!Elles!font!le!bonheur!de!
mon!escouade.!Ce!soir!nous!avons!baptisé!le!thé!que!nous!avons!unanimement!trouvé!excellent.!
Les!Boches!qui!sont!en!face!ne!se!régalent!certainement!pas!comme!nous.!A!force!de!rouler,!nous!
acquérons!de!l’expérience!et!nous!passons!maître!en!l’art!de!bien!nous!aménager!un!logement!
souterrain.!Nous!habitons!en!ce!moment!une!caverne!creusée!à!3!mètres!sous!sol!et!qui!défie!
n’importe!quel!crapouillard.!
Notre!seul!ennui,!c’est!de!changer!de!tranchée.!Nous!nous!déchirons!toujours!avec!regret.!Cette!
opération! a! généralement! lieu! aux! heures! où! nous! dormons,! elle! est! très! longue! et! fatigante.!
C’est!qu’à!force!de!rester!accroupis!dans!nos!tranchées,!nous!finissons!par!nous!ankyloser.!Nous!
espérons! qu’avant!Noël! la!marche! en! avant! sera! commencée.! Les! Allemands! ont! l’air! d’être! à!
bout! de! souffle.! Ils! n’attaquent! plus! aussi! souvent! qu’au! commencement.! De! notre! côté! nous!
avançons!sensiblement.!Leur!artillerie!s’est!presque!tue.!
S’il!te!reste!14!francs!de!ce!que!t’as!remis!Lucien,!veuxbtu!me!rendre!le!grand!service!d’envoyer!
un! télégramme! à! Tante! Alice! pour! son! anniversaire! le! 25! décembre.! Je! crois! que! «! Tendres!
baisers.!Frankie!»!suffit!pour!lui!exprimer!toute!l’affection!que!j’ai!pour!elle.!
Si!tu!as!de!l’argent!à!moi!que!t’a!confié!Tante!Lucie,!tu!serais!bien!aimable!de!m’envoyer!du!thé!et!
du!lait!condensé.!Je!n’en!aurais!jamais!de!trop!de!ces!bonnes!choses!dont!je!me!suis!si!longtemps!
passé.!Dans!ma!dernière!carte!je!te!demandais!de!m’envoyer!50!francs!mais!si!tante!Lucie!ne!t’a!
rien! remis! je! vais!m’adresser! en!Angleterre! où! j’ai! encore! suffisamment! d’argent! pour! finir! la!
campagne.!
Je!m’excuse! de! t’ennuyer! de! toutes! ces! petites! commissions! et! je! ne! pourrais! jamais! assez! te!
remercier!de!toutes!tes!bontés!à!mon!égard.!
Je!vais!écrire!à!Lucien!pour!le!remercier!de!son!gentil!présent.!
J’ai!bien!reçu!plusieurs!envois!de!tante!Julie!que!j’ai!chaleureusement!remerciée!à!chaque!fois.!Je!
suis!très!bien!monté!en!chaussettes!et!lainages!en!général.!
Dis!à!mon!oncle!combien!je!suis!fier!de!l’affection!qu’il!me!témoigne.!
Mon!affectueux!souvenir.!
Je!t’embrasse!tendrement!
Frankie!
'Le!23!décembre!1914!
10e!Cie,!52e!Régiment!d’infanterie!
Secteur!Postal!114!
!
Ma!très!chère!Titale!
Je!suis!resté!longtemps!sans!t’écrire!mais!je!t’écris!quand!même!en!faisant!mon!journal!que!je!te!
destine.! Il! n’est! pas! volumineux! parce! que! je! ne! prends! pas! de! notes! tous! les! jours.! J’inscris!
seulement!les!faits!saillants,!parce!que!j’ai!remarqué!que!les!mémoires!où!les!moindres!détails!
étaient!énumérés!n’avaient!d’attrait!que!s’ils!étaient!écrits!dans!un!très!joli!style,!chose!que!je!ne!
possède! pas.! Quant! à! tes! lettres,! elles! ne! m’arrivent! plus! depuis! deux! mois.! Les! timbres! de!
Maurice! sont! si! rares! ici! qu’on!me! les! vole! en! route.! J’ai! reçu! des! lettres! auxquelles! on! avait!
! 12!
enlevé! les! timbres.! La! poste! fonctionne! un! peu!mieux!maintenant! et! j’espère! que! je! recevrai!
bientôt!un!mot!de!ma!vieille!Titale.!Il!y!a!si!longtemps!que!suis!séparé!de!toute!famille.!La!guerre!
ne!semble!pas!vouloir!finir.!Ça!me!serait!égal!qu’elle!dure!quelque!temps!pourvu!que!j’arrive!au!
bout!sain!et!sauf.!!
Les!Allemands!sont!terrés!dans!leurs!tranchées!qui!sont!hérissées!de!fils!de!fer!barbelés!avec!des!
mitrailleuses!un!peu!partout.!Pour!les!déloger,!il!faut!une!longue!préparation.!On!commence!par!
s’approcher!à!une! centaine!de!mètres!d’eux!et! creuser!une! tranchée!parallèle! à! la! leur!et! tout!
aussi!bien!défendue.!Puis!un!beau! jour!on! les!canonne!pendant!toute!une! journée!et!quand!on!
juge!qu’ils!sont!suffisamment!démoralisés!et!massacrés,!on!s’élance!à!la!baïonnette!et!on!prend!
la!tranchée.!Une!autre!façon!d’opérer!est!d’aller!les!surprendre!la!nuit!à!pas!de!loups.!Des!deux!
façons!on!ne!gagne!qu’environ!500!mètres!de!terrain,!parce!qu’en!arrière!des!premières!lignes,!il!
y!a!des!secondes! lignes!dans! lesquelles! ils!se!réfugient.!La!seule! façon!de! les!chasser!du!sol!de!
France!qu’ils!profanent,!c’est!de!les!virer!avec!le!temps.!La!guerre!se!fait!avec!de!l’argent!et!de!la!
force! morale.! Les! deux! commencent! à! manquer! aux! Allemands! et! d’ici! trois! mois! viendra! le!
moment!où!se!déclenchera!leur!mouvement!de!retraite.!La!France!a!une!absolue!confiance!dans!
la! victoire.! La! vie! normale! a! repris! depuis! longtemps.!Même!à!deux! kilomètres! en! arrière!des!
lignes,! la! population! civile! est! revenue! et! vaque! à! ses! occupations! ordinaires! malgré! un!
bombardement!intermittent!qui!diminue!d’intensité!de!plus!en!plus.!
Dans!notre!secteur!tout!est!bien!tranquille.!Depuis!l’affaire!du!31!octobre!et!du!1er!novembre!à!
Lihons!où!j’ai!eu!l’honneur!d’être!cité!à!l’ordre!du!jour,!comme!je!te!l’ai!déjà!écrit,!nous!n’avons!
eu! aucun! engagement! avec! l’ennemi.! L’artillerie! tape! dure!mais,! nous! autres! fantassins,! nous!
nous!bornons!à!tirer!dans!les!créneaux!de!l’ennemi.!Depuis!trois!mois!que!nous!sommes!ici,!nous!
avons!acquis!une!grande!habitude!des!tranchées!et!nous!les!aménageons!avec!un!art!«!modern!
style!».!A!quatre!mètres!sous!terre,!nous!avons!installé!notre!paille.!A!l’entrée!de!la!cahute,!nous!
creusons!un!foyer!et!une!cheminée!et!nous!faisons!du!feu!à!la!barbe!des!Allemands.!Comme!tu!
vois! nous! ne! sommes! pas! à! plaindre! pour! le!moment.! Nous! souffrirons! un! peu! plus! quand! il!
faudra!marcher!en!avant.!
Je! t’envoie!pour!Noël!et!pour! ton!anniversaire!mes!meilleurs!souhaits!de!bonheur.! Je!penserai!
bien!à! toi! le!25!décembre!ainsi!qu’à!Trait!d’Union!et! tous!ses!habitants.!Nous!allons!passer!ce!
beau!jour!dans!un!mauvais!cantonnement!mais!c’est!tout!de!même!mieux!que!les!tranchées.!
Mille!baisers!affectueux!de!ton!Kiout!qui!t’aime!
Merry!Christmas!à!vous!tous,!à!Sibyl,!Edgar,!Tante!Lina!et!Roger.!
!
Le!16!janvier!1915!
10e!Cie,!52e!d’Infanterie!
Secteur!Postal!114!
!
Ma!chère!Titale,!
Ta!bien!affectueuse! lettre!est!venue!réjouir!ma!solitude! tranchéenne.! Je! suis!heureux!que!mes!
lettres!vous!intéressent!tant.!Au!moment!où!je!les!écrivais!je!menais!une!vie!plus!mouvementée!
et! j’avais!encore! toute!mon!énergie!cérébrale!pour!enregistrer! tout!ce!que! je!voyais!autour!de!
moi.! Avec! la! vie! animale! que! nous! menons! encore! à! l’heure! actuelle,! mon! appareil! nerveux!
esthétisé!par!un!séjour!prolongé!dans!de!grandes!villes,!s’atrophie!peu!à!peu!devant!ce!retour!de!
ma!bête!à!la!vie!primitive.!!
Ce!qui!explique!que!j’ai!presque!complètement!interrompu!mon!journal.!Mon!cerveau!n’est!plus!
qu’une! masse! gélatineuse! qui! est! obsédée! par! l’idée! de! mangeaille.! Ma! première! idée! en! me!
levant,!c’est!le!jus!(café).!Peu!après,!je!ferai!au!besoin!quelques!kilomètres!pour!aller!chercher!un!
bidon! d’eau! pour! me! concocter! du! chocolat,! boisson! immonde! sans! sucre! ni! lait,! et! qui! ne!
convient! qu’à! des!palais! de! canaques.!Après! avoir! bu! ce! liquide! âcre! et! noirâtre,! je! vaque! aux!
occupations! de! mon! grade! —! corvées,! etc.! La! soupe! de! 10! h! 30! vient! vite! interrompre! ce!
semblant!d’activité.!Ceci!me!rappelle!une!anecdote.!
Un!jour!que!nous!étions!au!repos,!s’amène!notre!général!(Rouvier)!pour!nous!passer!en!revue.!
C’était! l’heure!de! la!soupe.!Un!seau,!crachoir! troué!dans!quelques!coins,!attirait! l’attention!par!
son!isolement!au!milieu!de!la!salle.!Le!général!s’approcha!et!croyant!se!trouver!en!présence!d’un!
! 13!
seau! contenant! de! l’eau! pour! laver! le! parquet,! touche! du! pied! le! méchant! récipient! qu’ose!
contempler!ses!étoiles!(les!généraux!portent!des!étoiles!à!la!manche)!sans!se!mettre!au!garde!à!
vous.!«!Qu’estbce!que!c’est!que!ça!?!»,!grommèlebtbil!pour!intensifier!son!mépris!déjà!exprimé!par!
le!geste!de!son!membre!gauche!d’arrière.!Quand!il!apprit!que!c’était!notre!soupe,!il!battit!vite!en!
retraite.! Eh! bien!!! Ma! chère! Titale,! cette! soupe! fait! notre! bonheur! et! quand! nous! en! sommes!
privés,!nous!devenons!de!mauvais!soldats.!Tout!de!suite!après!l’ingurgitation!de!cette!soupe,!je!
m’attaque!de!nouveau!à!mon!eau!chocolatée.!Mais!voici!deux!heures.!Pendant!que!nous! lisons!
avec!avidité!le!mince!et!chétif!communiqué!officiel,!un!de!nous!se!dévoue!pour!faire!le!thé.!Tante!
Marguerite,! entre! parenthèses,! m’approvisionne! complètement! de! sucre,! de! thé! et! de! lait!
condensé.!Cette! femme!admirable!oublie!son!chagrin!et!ne!pense!qu’à!soulager! les!souffrances!
d’autrui.! L’aprèsbmidi,! on! varie! les! plaisirs,! soit! on! épistolographie,! on! sommographie! ou! on!
échiquomanie! (mot!barbare!employé!pour!épargner!à! l’auteur! la!peine!d’énoncer!ses! idées!en!
plusieurs! mots.! Quoique! que! par! sa! longueur,! son! apparence! hirsute! et! combative,! il! évoque!
toutes! les! horreurs! des! hordes! germaines,! et! fasse! couvrir! sur! l’échine! des! tremblements!
sismographiques,! ce!mot! est! dénué! de! toute! intention!malsaine.! Il! indique! en! peu! d’espace! la!
manie!de!jouer!aux!échecs).!
En!effet!avec!mon!sculpteur!de!Lyon,!qui!m’a!invité!à!déjeuner!chez!lui!lors!de!notre!passage!par!
cette!ville,!nous!avons!confectionné!un!échiquier!en!carton.!Les!pièces!sont!de!la!même!matière,!
et! les! fous! sont! représentés! par! des! casques! prussiens,! symbole! de! folie! puisque! l’état!major!
teuton!perd!la!tête!entre!l’Orient!et!l’Occident.!La!soupe!du!soir!met!un!terme!à!nos!distractions!
et!voilà! la! journée!terminée.! Je!pose!mes!sentinelles!et!me!carapate!dans!mon!plumard!où!vite!
j’en! écrase! brutal*.! C’est! à! peine! si! de! toute! la! journée,! j’ai! jeté! un! furtif! regard! à! travers! les!
créneaux.!Ainsi! tu!vois!que! les!Boches!nous!préoccupent!peu.!La!nuit!par!contre!nous!sommes!
plus!prudents.!Il!arrive!assez!souvent!que!des!tranchées!soient!prises!par!surprise.!Il!y!a!quelque!
temps,!nos!troupes!ont!enlevé!non!loin!d’ici!des!tranchées!ennemies.!Quand!elles!sont!arrivées,!
presque! tous! les! occupants! ronflaient! à! poings! fermés.! La! nuit,! on! lance! des! deux! côtés! des!
fusées! pour! éclairer! le! front! et! dépister! l’ennemi! s’il! avance.! Bien! des! fois,! quand! la! fusillade!
crépite,!que! les! fusées!multicolores!enflamment! le!ciel!et!que! le!canon!tonne,!on!se!croirait!en!
présence! d’un! feu! d’artifice! réussi.! Depuis! assez! longtemps,! nous! sommes! privés! de! ces!
distractions!cinématographiques.!Et!puis!nous!sommes!toujours!dans!le!même!secteur.!Rien!de!
nouveau!à!voir!et,!partant,!plus!de!nouvelles!impressions.!La!seule!chose!qui!me!fasse!sortir!un!
peu!de!ma!torpeur!intellectuelle,!c’est!le!soleil.!Quand!je!le!vois,!éclairant!de!son!vermeil!la!plaine!
en!désolation,! toute! crevassée!de! trous! cancéreux!et! jetant! sur! les!petits!villages!délabrés! son!
lavis!de!pureté,!mon!cœur!se!réjouit,!mon!âme!revit!et!je!languis!après!la!paix,!cette!bonne!paix!
que!nous! rapportera! la! victoire!qui! aura!anéanti! les!Teutons!et! les! aura! fait! rentrer!dans! leur!
trou!de!sauvages,! chez!eux! làbbas! loin!de!nous!dans! la!noire!Germanie.! Je!voudrais!être! le!coq!
gaulois!et!chanter!mon!hymne!au!soleil!comme!fait!Chantecler!sur!son!mur!de!bassebcour.!!
Mais!ce!clair!réveil,!nous!ne!l’entendons!même!plus.!Quelle!allégresse!vous!étreint!quant!à!l’aube!
les!chanteclers!se!répondent!de!loin!en!loin.!Ils!ne!sont!plus!les!pauvres.!Ils!ont!tous!été!sacrifiés!
aux!appétits!gloutons!du!troupier.!!
Je!me!souviens!de!ces!matins!où,!tout!petit,!à!pas!de!loup,!je!traversais!le!corridor!au!coin!duquel!
veillait!une!petite!flamme!et!je!me!glissais!avec!précaution!sous!tes!draps.!J’aimais!entendre!les!
cocoricos!faire!écho!autour!du!poulailler!de!Trait!d’Union.!S’il!ne!m’est!pas!donné!d’entendre!de!
nouveau!ces!notes!claires,! il!me!sera!au!moins!permis!d’entendre!chanter!un!autre!coq,! le!vrai!
coq! gaulois.! J’attends! avec! impatience! le! moment! où! le! clairon! va! sonner! la! charge! et! où!
baïonnette!au!canon!nous!allons!déterrer!ces!vilains!Teutons!et!les!chasser!aubdelà!du!Rhin.!!
Je! dois! écrire! à!Georgie! pour! le! féliciter! de! sa! nomination.! C’est! vraiment! très! beau.! Sibyl!m’a!
écrit!une!bien!gentille! lettre!à! laquelle! je!dois! incessamment!répondre.!Embrasse!bien!toute! la!
famille!pour!moi,!Tante!Lina,!Sibyl,!Edgar!et!Roger.!!
Mille!baisers!affectueux!de!ton!Kiout!
!
*!En!relisant,!je!m’aperçois!que!j’ai!dérapé!vers!l’argot!militaire,!ce!qui!m’arrive!assez!souvent.!Se!
carapater!:!s’en!aller.!Plumard!:!lit!ou!mieux!paille.!Ecraser!brutal!:!ronfler.!
!
! 14!
Rosières,!
Le!15!février!1915!
!
Ma!chère!Titale!
Nous!sommes!au!repos!à!3!kilomètres!des!premières!lignes!dans!la!petite!ville!de!Rosières.!Si!la!
censure!ouvrait!ma!lettre,!elle! l’intercepterait!sans!vergogne!à!cause!de! l’adresse.!Depuis! le!1er!
octobre,!nous!sommes!toujours!dans!les!mêmes!parages.!Nous!occupons!un!point!mort.!Depuis!
le!15!octobre!environ,!l’infanterie!n’a!pas!essayé!d’avancer.!Si!tu!consultes!la!carte!tu!verras!que!
nous! sommes! à! un! des! endroits! les! plus! avancés! de! l’occupation! allemande.! Quand! le!
déclenchement!final!aura!lieu,!les!Allemands!fuiront!à!raison!de!40!à!45!km!par!jour.!
Rosières!dans!la!Somme!est!une!ville!très!prospère.!Tout!autour!il!y!a!de!nombreuses!sucreries.!!
Cette!partie!de! la! Somme!s’appelle! le! Santerre.!C’est!une! région!betteravière! très!plate! et! très!
riche.! Le! sol! est! argileux! et! nous! avons! pu! l’apprécier! lorsqu’il! est! détrempé! par! 15! jours! de!
pluie.!On!s’y!enfonce!et!on!s’y!enlise!comme!dans!une!colle!visqueuse!et!gluante.!!
Le! nom! de! Santerre! doit! t’être! familier.! N’asbtu! pas! entendu! parler! de! Quesnoy! en! Santerre!
glorieusement!repris!à!l’ennemi!par!le!colonel!du!Paty!de!Clam!?!C’est!un!pays!d’éternelles!luttes!
entre!germains!et! latins!ou!celtes.! Je!ne!sais!plus!en!quelle!année,!après!une!mêlée!effroyable,!
l’aspect!que!prit!le!sol!lui!valut!l’appellation!de!SansbTerre.!La!nature!du!pays,!totalement!dénué!
de! pierres,! cause! à! toutes! les! maisons! d’être! en! torchis! ou! en! brique.! Rosières! est! presque!
entièrement!bâtie!en!brique!comme!les!villes!et!villages!des!régions!londoniennes.!
Le!cantonnement!que!nous!habitons!est!une!grande!ferme!épargnée!par!les!obus!qui!sifflent!tous!
au!dessus!de!notre!tête!et!vont!tomber!plus!loin.!Nous!ne!désespérons!cependant!pas!de!recevoir!
la!visite!d’un!de!ses!sifflants!personnages.!
Je!crois!t’avoir!déjà!décrit!un!cantonnement.!Toutes!les!pièces!de!l’immeuble!sont!transformées!
en! literie.! Dans! une! chambre! comme! celle! de! Clifford,! il! loge! environ! 16! hommes.! Toute! la!
journée,! nous! sommes! vautrés! sur! la! paille! où! pleuvent! les! crachats! en! veuxbtu! en! voilà.! Cet!
étroit!espace!est!aussi! le!vomitorium!des!victimes!un!peu!trop!nombreuses!de!la!soulographie.!
Chaque!fois!qu’on!remue!la!paille!une!âcre!puanteur!vous!serre!la!gorge.!!
Dans! la! cour! tout! au!milieu,! la!mode!du!pays! veut! qu’on! y! entasse!un! volumineux! fumier! aux!
effluves! acides! et! nauséabonds.! La! cour! ellebmême! est! un! vaste! WC.! Le! MannequinbPise! de!
Bruxelles!y!est!là!à!la!mode.!Que!veuxbtu!?!Nous!sommes!en!guerre.!Dans!les!taudis!enfumés!de!la!
ville,!la!soldatesque!assoiffée!se!presse!autour!d’une!table!ruisselante!de!vinasse.!Dans!les!yeux!
de!cette!tourbe,!impudemment!ardents!sur!la!malheureuse!servante,!on!y!voit!luire!la!tentation!
de! St! Antoine.! Si! la! guerre! réveille! les! beaux! sentiments! de! l’homme,! elle! ravale! aussi! ses!
affreuses! nécessités,! les! instincts! des! médiocres! au! niveau! de! la! plus! basse! bestialité.! Je!
n’abaisserai!pas!mon!crayon!à!t’énumérer!certains!actes!immondes!commis!par!quelques!brutes!
épaisses!dont! le! système!nerveux!a!été!ébranlé! soit!par! la!peur,! soit!par! les!privations!que!ne!
peut!supporter!leur!imparfaite!constitution.!
Mais! ces! àbcôtés! dégoûtants! font! mieux! ressortir! la! beauté! des! sentiments! de! la! masse.! J’ai!
assisté! hier! à! une! messe! militaire! qui! m’a! profondément! ému.! Dans! une! salle! délabrée! qui!
remplace!l’église!battue!par!les!obus,!sur!une!estrade!s’érige!un!pauvre!autel.!L’officiant!est!un!
prêtre! capitaine,! belle! figure! de! croyant! patriote.! La! croix! de! son! étole! ressemble! à! celle! des!
croisés.! Sous! ses! vêtements! sacerdotaux! transparaît! son! habit! de! soldat.! La! congrégation! est!
presque! uniquement! composée! de! soldats,! quelques! rares! civils! font! tache.! Par! miracle,! on!
n’entend! siffler! qu’un! lugubre! vent.!Après!quelques!hymnes,! une!belle! voix! aux! accents!mâles!
entonne! le! NotrebPère.! C’est! un! moment! émouvant.! Des! frissons! courent! dans! le! dos! et! des!
larmes!sont!prêtes!à!jaillir!des!yeux.!Combien!de!ces!têtes!de!territoriaux!ou!de!jeunes!gens!de!
vingt!ans!vont! revoir! la!paix!?!On!n’ose!y!penser,!mais! tous!devant!Dieu!ont!donné! leur!vie!et!
sont! prêts! à! mourir! sans! murmurer.! On! sent! bien! l’unité! de! pensée,! le! rêve! qui! passionne!
tous!:!chasser!la!malsaine!Germanie!du!sol!qu’elle!souille.!
Le!cérémonial!est!très!simple.!C’est!une!messe!basse.!Les!croyants!font!le!signe!de!croix!et!s’en!
vont!en!paix.!J’ai!aussi!assisté!avantbhier!à!une!parade!de!dégradation.!Depuis!le!commencement!
jusqu’à!la!fin,!j’étais!dans!mes!petits!souliers,!ne!sachant!pas!faire!avec!vitesse!et!précision!tous!
les! maniements! d’armes! qu’exige! une! parade.! Mes! hommes,! qui! ont! tous! eu! une! instruction!
! 15!
militaire!approfondie,!ne!pouvaient!s’empêcher!de!se!gondoler!à!mon!détriment.!En!effet,!je!suis!
peutbêtre!unique!dans!l’armée!française,!étant!caporal!après!quinze!jours!de!caserne!et!un!mois!
sur!le!front.!Mais!sois!assurée!que!pour!faire!la!guerre,!je!suis!tout!aussi!bon!qu’un!autre.!J’oublie!
de! te! dire! en! quoi! consistait! la! dégradation.! Deux! condamnés! entourés! de! baïonnettes! furent!
amenés!au!milieu!du!carré!que!formaient!les!troupes.!Après!lecture!de!leur!condamnation,!on!les!
fit!défiler!devant!nous.!L’un!avait!cinq!ans!de!travaux!publics!pour!deux!actions,!l’autre!deux!ans!
pour!refus!d’obéissance.!Au!milieu!de!la!cérémonie,!quelques!obus!sifflèrent.!Ce!fut!comique!de!
voir!la!consternation!et!l’ahurissement!des!assistants.!!
Mes!meilleurs!baisers!à!Sibyl!et!à!ton!petit!Roger!
Souvenirs!affectueux!à!Edgar!
Merci!beaucoup!des!lainages!que!tu!m’annonces.!Comme!je!suis!amplement!muni!de!vêtements!
chauds,!je!conserverai!ton!cadeau!et!m’en!servirai!après!la!guerre.!!
Toute!mon!affection!à!Tante!Lina!
Je!t’embrasse!tendrement!
!
Ton!Kiout!qui!t’aime!
!
10e!Compagnie!!
52e!d’Infanterie!
Secteur!postal!114!
Le!13!mars!1915!
!
Ma!chère!Titale,!!
Je! viens! de! recevoir! tout! ce! que! tu! m’envois! de! chaud! de! Maurice,! ce! qui! m’a! permis! de!
renouveler! ma! gardebrobe.! Madame! Guillemin! et! bien! gentille! de! tricoter! pour! les! petits!
pioupious! et! tu! lui! diras! tous!mes! remerciements.! Je! suis! très! heureux! de! pouvoir! porter! des!
effets! provenant! de! ton! travail! assidu! et! regrette! seulement! de! ne! pouvoir! les! employer! tous,!
parce! qu’en! ce! cas! j’aurais! trop! de! poids! à! porter.! Aussi! j’ai! distribué! à!mes! copains! ce! dont!
j’avais!le!moins!besoin!et!j’ai!fait!des!heureux.!!
Tante!Marguerite! est! toujours!d’une! grande!bonté!pour!moi,! elle!m’envoie! ce!que! je! veux,!me!
prête!de!l’argent!et!fait!mes!achats.!!
Louis!Deglos,!Ada!Rogers,!Marcel!!de!Chazal,!etc.!me!comblent!de!cadeaux!de!toutes!espèces.!Je!
vais!devenir!fat!si!ça!continue.!Je!voudrais!que!tu!rétablisses!un!peu!la!vérité!sur!mon!compte.!De!
tous!côtés!me!viennent!des! félicitations!exagérées!au!sujet!de!mes!pauvres!exploits.!Quand!on!
saura! la! vérité,! on! sera! bien! désabusé.! Je! t’ai! déjà! relaté! en! quoi! consistait! mes! tant! vantés!
exploits,! et! je! te! saurais! gré! de! remettre! les! choses! au! point.! Richard! Rouillard! est! sous!
l’impression!que!j’ai!la!médaille!militaire!et!que!je!suis!décoré!de!la!légion!d’honneur.!C’est!faux.!!
Voici!un!bref!résumé!de!ce!qui!s’est!passé!le!31!octobre!1914.!Après!un!bombardement!intensif!
de! tout! notre! secteur,! les! Allemands! s’avancèrent! en! grand! nombre! sur! nos! tranchées! de!
première!ligne.!Vers!deux!heures!de!l’aprèsbmidi,!ma!section,!qui!était!en!réserve!en!deuxième!
ligne,!se!porte!au!secours!des!assaillis.!Nous!arrivons!et!constatons!avec!douleur!et!émotion!le!
carnage!affreux!des!marmites!boches!sur!les!nôtres.!La!tranchée!vient!d’être!abandonnée!par!les!
rares!survivants.!A!20!mètres!d’un!point!où! la! tranchée! tourne!à!angle!droit,!nous!apercevons!
des!casques!à!pointes!et!des!fusils!braqués!sur!nous.!Emoi!général.!C’est!la!première!fois!que!la!
compagnie!voie!des!Boches!de!si!près.!On!se!cache!comme!on!peut.!Un!ou!deux!d’entre!nous!tire.!
Je! passe! devant! ceux! qui! me! gênent.! J’épaule! et! vise! une! tête.! Elle! me! voit! et! plonge.! Je! vise!
toujours!à!la!même!place.!La!tête!reparaît.!Mon!cou!part!et!la!tête!plonge!de!nouveau,!mais!cette!
fois! involontairement.! L’ordre! d’avancer! nous! vient! de! derrière.! Baïonnette! au! canon,! je! pars!
devant! en! entraînant! ceux! qui! sont! derrière! et! qui! ne! sont! pas! complètement! remis! de! leur!
première! frayeur,! d’autant! plus! qu’en! un! clin! d’œil! les! Boches! qui! étaient! bien! placés! ont! fait!
plusieurs!victimes!parmi!nous.!Nous!avançons!les!uns!derrière!les!autres!dans!le!boyau!battu!par!
un! violent! feu! de! mitrailleuse,! et! tuons! plusieurs! ennemis! qui! s’enfuient.! A! 50! mètres! de! la!
mitrailleuse,! nous! nous! arrêtons.! Impossible! d’aller! plus! loin.! Mais! nous! tenons! là! jusqu’à!
l’arrivée!des!renforts.!!
! 16!
Ma!citation!à!l’ordre!du!corps!d’armée!porte!ce!qui!suit!:!«!F.!C.!M.!cité!à!l’ordre!général!No!27!du!
14e!Corps!(engagés!volontaires!anglais)!pour! la!durée!de! la!guerre,!s’est! fait!remarquer!par!sa!
bravoure!et!son!courage!à!l’attaque!d’une!tranchée!allemande!et!a!abattu!4!ennemis!».!Voilà!tout!
simplement.!
Je!t’aime!et!t’embrasse!bien!fort,!aussi!les!petits!Piat!
Ton!Kiout!
!
52e!d’Infanterie!
10e!Compagnie!
Secteur!postal!114!
Le!3!avril!1915!
!
Ma!chère!Titale,!
Je!suis!foudroyé!par!une!nouvelle!qui!me!coupe!bras!et!jambes.!Lis!plutôt!ce!que!m’écrit!Madame!
Noblemaire!:!«!…Vous!savez!que!Fernand!s’est!évadé!b!a!fait!125!kilomètres,!puis!fut!repris!b!Il!a!
passé!en!conseil!de!guerre!et!a!été!condamné!à!onze!mois!de!prison!b!Heureusement!que!la!reine!
du!Danemark!intercède!pour!lui!b!et!j’espère!que!sa!peine!sera!réduite!».!Ce!Fernand,!audacieux!
jusqu’à! la!moelle! des! os.! S’évader! d’un! camp!de! concentration! en! Prusse!!! En! Prusse,! pays! où!
sévit!la!haine!des!Français.!Où,!au!moindre!soupçon,!on!est!pris!pour!espion!et!fusillé.!Cette!folie!
(c’en!est!assurément)!est! inqualifiable.! Je!suis!même!étonné!que! le!conseil!de!guerre!ne! lui!ait!
pas! infligé! une! plus! sévère! punition.! Heureusement! que! les! hautes! relations! de! Monsieur!
Noblemaire!pourront!faire!jouer!un!peu!les!ficelles.!Si!sa!mère!n’est!pas!renseignée,!tu!pourras!
lui!raconter!les!extravagances!et!les!tribulations!de!son!fils.!
Ces!derniers!temps,!il!m’est!arrivé!une!collection!de!lettres!de!toi,!et!je!crois!qu’il!n’y!a!eu!que!du!
retard! et! qu’elles! n’ont! pas! été! égarées.! Tes! conserves! ont! dû! arriver! en! Angleterre! et! être!
englouties!par!mes!goinfres!de!frères,!parce!ce!que!je!n’ai!encore!rien!reçu.!Par!contre,!je!me!suis!
fait!envoyer!par!ma! landlady!de!Londres!un!pot!de!mazavaroo!que! j’avais! laissé!derrière.! Je! le!
déguste!quotidiennement!avec!un!rare!bonheur.! Je!pleure!des! larmes!de!crocodile!;!mais!ça!ne!
fait!rien,!je!continue!quand!même!;!je!veux!faire!voir!aux!poilus!de!la!tranchée!que!les!Mauriciens!
ont!des!palais!et!de!rudes!!!
Je! t’ai! envoyé!dernièrement!une!mauvaise!photo!de!moi!et!quelques!croquis.!Les!asbtu! reçus!?!
Envoiebmoi!quelques!timbres!de!Maurice.!Ça!fera!le!bonheur!de!plus!d’un!collectionneur.!J’ai!fait!
la!connaissance!de!très!gentils!garçons!au!régiment!et!je!voudrais!leur!être!agréable.!J’apprends!
que!tante!Lina!part!pour!Curepipe.!Votre!plan!d’habiter!seules!une!petite!maison!est!donc!tombé!
à!l’eau!?!Que!vasbtu!devenir!sans!ton!petit!Roger!si!Sibyl!et!Edgar!vont!faire!un!voyage!en!Afrique!
Australe!?!Je!suis!avec!intérêt!les!améliorations!qu’apporte!Sibyl!à!Trait!d’Union.!J’aime!tant!cette!
vielle!masure,! chaque!bardeau!de! son! toit,! chaque!planche!vermoulue!duvetée!de!mousse!!!Ce!
que!j’aime!surtout,!c’est!le!jardin,!la!cour,!certains!reflets!de!soleil!à!travers!les!arbres!et!ce!vent!à!
feuilles!d’or!caressant!les!taillis!et!les!futaies,!ruisselant!de!lumière,!embaumé!d’ylang!ylang!ou!
de!fleurs!de!bibassiers,!chargé!de!pépiements,!de!zézaiements,!de!roucoulements,!des!sons!aigus!
ou! stridents! des! boulbouls! et! des! cardinaux,! ce! vent! enfin! de! fraîcheur,! d’enivrement! me!
frappant!le!visage!avec!toutes!les!beautés!de!mon!réduit!natal!!!Je!m’hypnotise!devant!ces!jolies!
capucines!aux!tons!chauds!variés!qui!grimpent!avidement!sur!les!grillages!b!plus!haut,!toujours!
plus!haut!vers!l’azur!où!siffle!l’abeille.!
Dis! à! Sibyl! de! ne! pas!molester!mes! grands! arbres,!mes! chers! compagnons.! Je! ne! veux! pas! les!
nommer,!ils!me!connaissent!tous.!Je!peux!les!dessiner!comme!si!je!les!voyais.!Chaque!branche!de!
leur! vieux! tronc.! Leur! couper!une!branche,,! c’est!m’amputer!un!membre.! Je! constate! avec! joie!
l’esprit! de! tradition! et! de! continuation!qui! anime! Sibyl.! Espérons! que! la! bibliothèque!de!papa!
bénéficie!de!ses!soins!jaloux.!
Revenons! à! nos! moutons.! Tu! me! demandes! des! détails! intimes.! Au! risque! de! t’offusquer,! je!
t’apprendrai!que!je!change!de!chaussettes!tous!les!dixbhuit!jours!après!le!bain!que!nous!prenons!
en!revenant!des!tranchées.!A!certains!endroits!du!secteur!où!l’eau!est!rare,!je!ne!me!lave!jamais!
les!mains!ni!la!figure.!Inutile!de!parler!du!reste!qu’on!ne!lave!qu’au!bain!pris!au!repos.!J’ignore!
complètement!l’usage!de!la!brosse!à!dent!;!je!ne!saurai!m’en!servir!si!j’en!tenais!une.!Une!couche!
! 17!
épaisse!de!crasse!me!protège!des!rigueurs!du! froid!et!des! intempéries.!Comme! les!Ecossais,! je!
m’arrête!à!chaque!poteau!et!je!répète!leur!incantation!au!duc!d’Argyll.!Une!barbe!hirsute,!rousse!
et!malodorante!de!soupe!et!de!mangeaille,!encadre!ma!figure!rubiconde,!et!agrémente!ma!tête!
couverte! d’un! tissu! hargneux! et! à! rebrousse! poils,! où! une!main! criminelle! a! déjà! fait! poser! le!
stigmate!de!la!calvitie.!Abaisse!des!regards!de!douloureuse!pitié!sur!ma!chétive!personne.!Tu!ne!
reconnaitrais!plus!en!mon!extérieur!ton!petit!Kiout!d’autrefois!;!mais!enlève!cette!carapace,!cette!
écaille! de! huit! mois! de! guerre,! et! tu! verras! un! cœur! qui! t’aime! toujours! et! aussi! ardemment!
qu’aux!aurores!lointaines!où!je!m’accrochais!à!ta!jupe!pour!que!tu!m’emportes!au!ciel!avec!toi.!!
Voici!une!scène!vécue!qui!peut!offrir!quelque!intérêt!:!il!est!7!h!du!soir.!Crépuscule.!Des!officiers!
passent! dans! le! boyau.! On! va! tenter! un! coup! sur! la! tranchée! ennemie! située! à! 150!mètres! et!
puissamment!défendue!par!un!vaste!champ!de!fils!de!fer!barbelés.!Le!moment!est!épique.!Une!
angoisse! étreint! les! cœurs.! Les! plus! calmes! et! les! plus! courageux! voient! avec! effroi! planer! la!
mort! sur! leur! tête.!Mais! il! faut!marcher.!C’est!pour! la!patrie.!Quelques!explications!aux!gradés!
subalternes! sur! la! façon! d’opérer! et! nous! voilà! partis! ayant! pour! mission! de! faire! des!
prisonniers.!D’un!pas! ferme,!nous!montons! l’escalier!menant! à! la! tranchée!à! la! surface!du! sol,!
traversons! notre! réseau! de! fils! de! fer! et! nous! nous! étendons! en! tirailleurs.! En! silence! nous!
marchons!sur!l’ennemi.!A!moitié!distance,!nous!nous!couchons,!et!commençons!à!ramper,!pour!
ne!pas!être!aperçus.!Quelques!hommes!sont!désignés!pour!partir!en!avant!et!couper!les!fils!de!
fer!des!Boches.!Dans!le!silence!de!la!nuit,!tac!tac,!c’est!la!cisaille!qui!opère!mais!qui!donne!aussi!
l’éveil!aux!sentinelles!ennemies.!Des!coups!de!feu!partent,!blessent!un!des!assaillants!qui!pousse!
un! cri! de! douleur! et! voilà! la!mèche! vendue.! En! un! clin! d’œil! les! Boches! sont! aux! créneaux! et!
ouvrent! sur! nous! un! feu! intense.! Il! faut! battre! en! retraite! tant! bien! que! mal.! L’émotion! est!
indicible.!On!vit!des!instants!horribles.!Le!plan!est!raté,!mais!ceux!qui!rentrent!sont!soulagés.!Ils!
ont! rempli! leur!devoir,! se! sont! exposés! à! la!mort!;! et! les! voilà! grandis.! Fautbil! dire!des! choses!
horribles!?!Ce!qu’on!voit!par!ces! temps!de!guerre!entre! les! tranchées.!Un!bras!qui!s’agite!pour!
appeler!au!secours,!une!balle!lui!traverse!la!main.!Combien!de!temps!remuerabtbelle!cette!main!
trouée!et!ensanglantée.!Un!jour,!peutbêtre!deux,!et!le!baiser!de!la!terre!de!France!aura!soulagé!ce!
fils!en!détresse.!!
Cibjoint! une! lettre! de! mon! oncle! Charles,! que! tu! liras! avec! plaisir! et! tristesse.! Mille! tendres!
baisers!de!ton!Kiout.!
!
Le!7!mai!1915!
!
Ma!chère!Titale!
Depuis!7!mois!que!nous!sommes!ici,!nous!avons!enfin!avancé!de!quelques!centaines!de!mètres,!
et!cela!sans!combattre.!C’est!à!dire!qu’à!certains!endroits!nos!tranchées!étaient!éloignées!de!600!
mètres! et! que! nous! les! avons! rapprochées! de! celles! des! Boches!;! de! sorte! que! partout!
maintenant,!nous!avons!ces!immondes!chiens!à!200!ou!150!mètres!de!nous.!!
Il!est!indispensable!que!nos!tranchées!soient!près!des!leurs!si!nous!voulons!attaquer.!L’artillerie!
commence! par! donner! pendant! un! quart! et! d’une! façon! intensive,! chaque! pièce! battant! un!
secteur!de!25!mètres!seulement!et!qui!rend!son!maximum.!Quand!les!tranchées!boches!ont!reçu!
des!marmites!de!220,!de!155!et!de!105!pendant!20!minutes,!elles!sont!en!parfaite!marmelade.!
Pensebdonc!!!Un!obus!de!220!remue!44!m3!de! terre.!L’entonnoir!creusé!est! formidable!et!c’est!
grandiose!de!voir!voler!en!éclats!à!des!hauteurs!de!50!mètres!tous!ces!débris!de!tranchées!et!de!
leurs!occupants.!Le!vacarme!est!effrayant!quand!ces!innombrables!pièces!tirent!toutes!à!la!fois!et!
que!l’explosion!des!percutants!fait!trembler!la!terre.!!
Rien!n’est!plus!démoralisant!pour!le!soldat!que!d’être!sous!un!feu!d’artillerie!aussi!intense.!Aussi!
on!profite! de! cet! état! de! l’esprit! de! l’ennemi!pour! se!porter! en! avant! en!quatrième.! La! courte!
durée!du!bombardement!ne! leur!a!pas!donné! le! temps!de!se!ressaisir!et!de! faire!donner! leurs!
réserves.!Pendant!que!les!fantassins!courent!vers!la!première!ligne!ennemie,!l’artillerie!allonge!
son!tir!et!bombarde!la!deuxième!ligne.!Les!photographies!te!donnent!une!très!vague!idée!de!ce!
qu’est! une! tranchée! bombardée.! C’est! impressionnant,! ces! morts! et! ces! blessés,! tous!
horriblement!mutilés.!Si!l’artillerie!a!très!bien!repéré!son!tir,!il!reste!bien!peu!de!survivants!pour!
résister! aux! troupes! d’assaut.! Le! bombardement! successif! des! tranchées! est! le! seul! moyen!
! 18!
d’avancer!sans!trop!de!pertes.!Une!fois!la!trouée!faite!quelque!part,!on!ne!donne!pas!le!temps!à!
l’ennemi!de!se!retrancher!de!nouveau!si!on!le!poursuit!à!outrance.!!
Hier! soir,! je! suis! sorti! en! patrouille! pour! protéger! des! poseurs! de! fil! de! fer.! Rien! n’est! plus!
pénible!que!de!rester!couché!ainsi!pendant!des!heures!sur!un!sol!humide.!Il!est!rare!qu’on!n’ait!
pas!à!côté!de!soi!quelques!voisins!malodorants!comme!un!cheval!mort!ou!un!Boche!gonflé.!Avec!
les!premières!chaleurs,!tout!ce!charnier!qui!se!trouve!entre!les!deux!lignes!déliquesce!et!répand!
dans! l’air! son! âcre! puanteur.! Les! moustiques,! les! mouches,! les! cafards! et! autres! insectes!
répugnants!foisonnent!et!contaminent!notre!nourriture.!J’ai!l’impression!que!la!campagne!d’été!
sera!plus!pénible!que!celle!d’hiver.!Les!poux!(piratus!vorax!germanicus)!nous!assaillent!dans!nos!
cagnas.! Nous! sommes! heureusement! blindés! et! protégés! de! tous! ces! fléaux! susdits! par! notre!
excellent!esprit,!notre!désir!de!vaincre!ces!haineux!Teutons.!
A!l’heure!où!je!t’écris,!ma!chère!Titale,!et!où!je!voudrais!te!voir!assise!à!ta!fenêtre!et!cousant!avec!
frénésie!en!dépit!d’un!impitoyable!courant!d’air!dans!le!dos!;! je!m’imagine!dans!l’encadrure!de!
cette!fenêtre,! la!grande!fougeraie!aux!grandes!fougères!australiennes!ombrant!de!leurs!feuilles!
palmées!un!épais!tapis!de!lycopodes!sur!lequel!dansent!follement!de!rutilantes!taches!de!soleil.!
Mais!où!suisbje!moi!?!En!face!de!la!terre!jaunâtre!et!argileuse,!à!gauche!ditto,!à!droite!idem!à!la!
fleur! d’oranger.! Je! suis! en! un! mot! dans! un! petit! poste! avancé! nouvellement! installé,! mon!
postérieur! est! douloureusement! posé! sur! une! surface! humide! que! s’évertue! à! sécher! ma!
nouvelle!capote!grisbbleu.!Quoique! les!Boches!soient!à!150!mètres,! je!n’en!ai! cure.!Mon! fusil!à!
créneau!monte! une! vigilante! garde! et! je! puis! en! toute! sécurité!me! plonger! dans! dissertations!
cunéiformes!et!bizzaroïdes.!L’étroit!filet!de!ciel!bleu!que!j’ai!aubdessus!de!la!tête!est!sali!par!un!
vilain!Taube!à!queue!de!poisson.! Le! ronflement!de! son!moteur!nous! assourdit.! Les! canons! lui!
donnent! la!chasse!ainsi!que! les! fusils!et! les!mitrailleuses.! Il!est!encerclé!d’une!chaîne!de!petits!
nuages! blancs! –! ce! sont! les! obus! supposés! lui! barrer! la! route.! Il! vole! trop! haut! pour! que! les!
projectiles! l’atteignent.! Nous! recevons! continuellement! la! visite! de! ces! vautours,! à! qui! nous!
avons!donné!la!chasse!en!leur!tirant!dessus!avec!leurs!mitrailleuses…!
Notre!général!de!brigade!vient!de!passer!avec!quelques!officiers.!C’est!un!très!chic!type!qui!a!l’air!
bien! intelligent.! Il! a! sermonné! les!officiers!parce!qu’ils!ne! s’occupaient!pas!de!nous!donner!de!
l’eau! dans! la! tranchée.! Il! est! essentiel! que! les! hommes! en! soient! approvisionnés! pour! lutter!
contre! les! bombes,! des! gaz! de! bombes! asphyxiantes,! le! nouvel! engin! de! guerre,! qui! après! le!
liquide!enflammé,!vient!compléter!la!liste!des!moyens!barbares!que!préconisent!les!Boches.!
A! part! les! événements! qui! se! produisent! dans! mon! cercle! étroit,! je! n’ai! pas! beaucoup! de!
nouvelles!à!te!donner.!Je!reçois!de!Tante!Marguerite!de!laconiques!renseignements!sur!la!famille!
qui! évolue! soit! à! l’arrière! soit! sur! le! front.! Ralph! et!Norman! sont! toujours! à! se!morfondre! en!
Angleterre.!Robert!se!balade!avec!ses!collègues!officiers!à!Londres.!Il!a!de!l’allure!dans!sa!tenue!
militaire.!Raymond!et!Roger!ne!donnent!signe!de!vie!et!Chamarel!était!dernièrement!à!Paris!où!il!
arborait!son!uniforme!de!Tommy.!
D’après! la! dernière! lette! reçue!de!Maurice,! je! constate! que! vous! êtes! encore! à! la!Mauvraie.! Je!
plains! beaucoup! la! pauvre! Tante! Lina! qui! souffre! tant.! Tante! Edmée! ne!m’écrit! plus.!Maurice!
Tuffier!est!introuvable.!
Embrasse!bien!toute!la!famille!pour!moi!et!spécialement!le!petit!Roger!et!ses!architectes.!
Je!t’envoie!mille!affectueux!baisers!
Ton!petit!Kiout!qui!t’aime!
!
''''''''''
! 19!
CARTES'POSTALES'DE'FRANK'DE'CHAZAL'MAYER'A'SA'FAMILLE''(Adresse*de*l’expéditeur)*
F.!Chazal/Mayer!
52e!d’Infanterie,!10e!Cie!
Bureau!central!militaire!
Paris!
!
(Adresse*de*la*destinataire)*
Melle!A.!Mayer!
Trait!d’Union!
Vacoas!
Ile!Maurice!(via!Marseille)!
!
30!octobre!14!
!
Je!regrette!que!tu!aies!appris!mon!engagement!par!les!journaux.!Aussitôt!enrôlé!je!t’ai!écrit!et!je!
pense!que!tu!as!reçu!ma!lettre!avec!du!retard.!Tu!n’ignores!pas!que!tous!les!navires!avaient!été!
mobilisés!pour!le!transport!des!troupes!africaines.!Norman!et!Ralph!sont!dans!l’armée!anglaise!
et!ne!verront!le!feu!qu’en…!
Je!suis!plus!heureux!qu’eux.!C’est!la!deuxième!fois.!Il!y!a!un!mois!que!nous!sommes!par!ici,!nous!
sommes!retranchés!et!ne!courons!pas!beaucoup!de!risques!quoique! l’ennemi!soit! seulement!à!
200!mètres.! Maurice! Tuffier! n’est! pas! encore! retrouvé.! Il! a! été! blessé! entre! Rethel! et! Sedan.!
Toutes!mes!pensées!volent!vers!toi.!
Ton!Kiout!bien!affectionné.!
!
Carte!«!Correspondance!de!guerre!»!
(Adresse*de*l’expéditeur)*
Frank!Chazal/Mayer!
10e!Cie,!52e!régiment!par!Montélimar.!Drôme!
!
(Adresse*de*la*destinataire)*
Melle!A.!Mayer!
Trait!d’Union!
Vacoas!
Ile!Maurice!(via!Marseille)!
!
Le!15!octobre!14!
!
Bien!chère!Titale!
Quoique!toujours!sans!nouvelles!de!toi!depuis!très!longtemps,!je!suis!sûr!que!tu!penses!à!moi!et!
cela! m’est! une! grande! satisfaction,! perdu! que! je! suis! dans! un! régiment! qui! se! bat.! Tante!
Marguerite!est!infiniment!gentille,!elle!m’écrit!souvent,!me!prête!de!l’argent!et!me!donne!de!bons!
conseils.!Je!commence!à!m’habituer!à!cette!vie!de!privations.!Je!vois!le!feu!pour!la!seconde!fois,!et!
je! souffre! bien! moins! que! la! première.! Notre! tâche! en! ce! moment! est! bien! simple.! Nous!
défendons!un!village.! Impossible!de!te!donner!plus!de!détails.!Tu!verras!tout!cela!dans! le!petit!
journal!que! je! tiens.! Il! y!a!déjà!quinze! jours!que!nous! sommes!exposés!aux!obus!allemands!et!
notre!compagnie!n’a!pas!eu!un!seul!blessé.!L’ennemi!occupe!des!tranchées!comme!nous!et!nous!
nous!regardons!comme!des!chiens!de!faïence.!L’hiver!approche!et!je!prévois!un!terrible!froid.!J’ai!
hâte!de!voir!la!fin!de!la!guerre.!La!pauvre!Tante!Marguerite!a!perdu!les!traces!de!Maurice,!blessé!
entre!Rethel!et!Sedan.!!
Je!t’aime!et!t’embrasse!
Ton!fils!Kiout!
!
! 20!
Carte!«!Correspondance!de!guerre!»!
(Adresse*de*l’expéditeur)*
F.!de!Chazal!Mayer!
25e!Cie!de!dépôt!
52e!régiment!par!Montélimar.!Drôme!
!
(Adresse*de*la*destinataire)*
Mme!J.!Roüillard!
4,!Chichester!Villas!
Sandgate!
Angleterre!
!
Le!13!octobre!14!
!
Ma!très!chère!tante!Edmée,!
Ta!longue!lettre!me!parlant!des!membres!de!la!famille!dont! je!suis!séparé!depuis!si! longtemps!
m’a!fait!beaucoup!de!plaisir.!Je!suis!navré!de!savoir!que!vous!êtes!inquiètes!du!sort!de!Jim.!Quant!
à! Maurice,! j’ai! la! conviction! que! la! CroixbRouge! allemande! s’occupe! de! lui.! Il! a! dû! écrire! par!
Genève,!mais! les! lettres!par!Genève!prennent!plus!d’un!mois!pour! arriver! à!destination.! Je!ne!
sais! pas! si! Fernand! Antelme! est! tué! ou! prisonnier.! Une! seconde! campagne! est! bien! moins!
dangereuse!que!la!première.!Voilà!quelques!jours!que!nous!sommes!la!cible!des!obus!allemands!
et!nous!n’avons!eu!que!deux!tués!et!quelques!blessés.!Nous!menons!une!vie!de!troglodytes!terrés!
dans!des! tranchées.!Tous! les!soirs,! les!Allemands!attaquent!celles! juste!devant!nous!mais!sans!
succès.!!
Mille!amitiés!à!Laure!et!Gilberte.!!
Ton!neveu!qui!t’aime!et!t’embrasse!
Frankie!
!
Avertissement* officiel* de* l’armée,* imprimé* sur* la* carte* :! Cette! carte! doit! être! remise! au!
vaguemestre.!Elle!ne!doit!porter!aucune!indication!du!lieu!d’envoi,!ni!aucun!renseignement!sur!
les!opérations!militaires,!passées!ou!futures.!S’il!en!était!autrement,!elle!ne!serait!pas!transmise.!!
!
!
13!novembre!14!
!
Bien!chère!Titale,!!
La!grande!et!triste!histoire!de!la!lettre!du!29!septembre!m’attriste!beaucoup!;!je!vois!avec!peine!
que!tu!endures!autant!de!souffrance!que!les!petits!soldats!qui!se!battent!pour!la!patrie.!Si!tu!me!
permets!une! remarque,! je! trouve!que! tu! as! tort,! d’abord!d’abandonner! ton!petit! coin!de!Trait!
d’Union.! Dans! une! grande! maison! comme! la! nôtre,! on! doit! toujours! pouvoir! s’arranger.! Je!
t’admire!foncièrement.!Tu!es!un!bel!exemple!à!suivre.!Toute!ta!vie!s’est!consommée!en!sacrifices,!
tu! n’as! jamais!marchandé! tes! soins.! Pourquoi! ne! te! reposeraisbtu! pas! un! peu! dans! notre! cher!
Train! d’Union!?! C’est! presque! une! trahison! de! t’en! aller! de! cette! demeure! ancestrale.! J’espère!
bien!que! tu!es!déjà!revenue!sur! ton!projet!et!que! j’aurai! le!plaisir!de! te!revoir!à! ta! fenêtre!qui!
regarde! la! fougeraie.! Mon! étoile! ne! pâlit! pas! encore.! J’ai! été! nommé! caporal.! On! est! sans!
nouvelles!de!Maurice!Tuffier.!Tante!Marguerite!est!bien!inquiète.!Ralph!et!Norman!toujours!en!
Angleterre.!
Meilleurs!souvenirs!à!Sibyl,!Edgar![et*mots*illisibles]*
*
'''''
! 21!
JOURNAL'DE'FRANK'DE'CHAZAL'MAYER'Octobre'1914'à'février'1915'*
(Pages*du*journal,*en*mauvais*état*de*conservation,*avec*des*passages*manquants*et*se*terminant*
comme*une*lettre,*ces*pages*ont*dû*être*envoyées*par*Frank*de*Chazal*Mayer*à*sa*tante*Titale)*
!
Méharicourt,!Somme!
16!octobre!1914.! Je!n’ai! pas! eu! le! temps!ma! chère!Titale!de! finir!ma!dernière! lettre! et! je! vais!
reprendre!mon!journal!à!partir!de!mon!arrivée!à!Nompatelize,!lieu!célèbre!à!cause!de!la!maison!
de! la! dernière! cartouche,! tableau!d’Alphonse!de!Neuville.!Un!déjeuner! rapide! sur! une! sardine!
offerte!par!un!copain!et!quelques!délicieuses!pommes!nous!réconfortent!plus!ou!moins.!Notre!
officier!mange! avec! nous! et! nous! demande! un!morceau! de! pain.! Tout! se! passe! en! famille.! En!
sortant! du! village,! nous! tombons! sur! un! chemin!bombardé!par! les!Allemands.! Vite! nous! nous!
couchons!pour!offrir!moins!de!surface!à!la!mitraille.!Après!une!bonne!petite!heure!passée!sur!un!
sol!détrempé! juste! le! temps!de!crocher!une!bonne!pneumonie,!nous!rebroussons!chemin!pour!
nous!protéger!du!tir!des!canons!derrière!une!grande!ferme!dans!le!village.!Les!marmites!(obus)!
tombent!à!droite!et!à!gauche.!(Quelques*lignes*manquantes)!
Nous! arrivons! harassés! de! fatigue! à! Lasalle.! Une! fois! cantonnée! par! escouade! d’environ! seize!
hommes!dans!des!granges,!nous!nous!occupons!de! la!popote!dont!nous!sommes!privés!depuis!
une!semaine.!Chacun!sa!partie!;!qui!pour!le!bois,!qui!pour!les!ingrédients,!qui!pour!l’escamotage!
d’une!volaille.!Quant!à!moi! je! suis!affecté!à! la! recherche!du!vin.! Je! fouille!plusieurs! caves! sans!
résultat.! Enfin! je! rencontre!une!maison!abandonnée!où! se! trouvent!deux! soldats!qui! font! leur!
soupe.!Ils!m’invitent!à!me!joindre!à!eux.!Je!les!endors!en!leur!rendant!quelques!services!et!puis!je!
m’esquive!vers! la! cave.! J’emporte,!en!me!cachant,! la!dernière!bouteille! cachée!sous! la!paille!et!
retourne!au!noyau!triomphalement!en!me!vantant!de!mes!prouesses.!Je!débouche!la!bouteille!et!
je!verse!;!mais!(deux*lignes*manquantes).!
C’est!à!ce!moment!que!de!dépit!je!me!jetais!bêtement!sur!un!tesson!de!bouteille,!le!sang!coule!à!
flot!;! j’ai! de! petites! artères! de! la!main! coupées.! Un! infirmier!me! panse! sans!me! désinfecter! la!
coupure,!tout!cela!est!fait!au!petit!bonheur.!Le!lendemain,!reconnu!inapte!par!le!médecin!major!à!
continuer! la! campagne,! je! suis!expédié!à!pied!à!22!km!de!Lasalle.! Je! suis!désolé!de!quitter! les!
copains,!Fernand!Antelme,!et!les!quelques!Lyonnais!que!nous!avions!connus,!mais!je!me!promets!
d’y! revenir! dans! une! semaine.! Mon! sac! sur! l’ambulance,! je! suis! la! voiture! où! s’entassent! les!
blessés!et!les!mourants.!En!route!nous!en!laissons!deux!derrière,!ayant!trouvé!la!mort!dans!les!
cahots! du! charriotbambulance.! Je! commence! à! m’habituer! à! toutes! ces! horreurs,! ce! qui! ne!
m’empêche!pas!de!m’arrêter!dans!une!ferme!et!de!boire!un!bon!café.!
La!route!est!encombrée!par!un!va!et!vient!de!troupes,!de!femmes,!d’enfants!et!de!vieillards!qui!
font!l’exode!devant!l’envahisseur!teuton.!
Des! voitures! de! ravitaillement! et! des! caissons! d’artillerie! font! un! échelon! sur! plusieurs!
kilomètres.!C’est! toujours! la!retraite!devant!un!ennemi!plus!nombreux!et!muni!d’une!artillerie!
lourde!plus!efficace!que!le!75!français!dans!ces!pays!montagneux!où!il!faut!avoir!des!canons!à!tir!
plongeant.!Partout!où!je!passe,!je!me!garde!de!donner!la!qualité!de!ma!blessure!et!je!laisse!croire!
que!c’est!une!balle.!Les!fruits!de!mon!demibmensonge!me!font!grand!bien,!ce!sont!des!quarts!de!
café,!des!verres!de!rhum!glanés!de!droite!et!de!gauche.!Je!vois!passer!des!autobus!de!Paris!qui!
me! rappellent! de! doux! souvenirs.! Ils! sont! affectés! au! transport! de! la! viande.! (Quelques* lignes*
manquantes)!
Dans! le! train!où! je! suis,! se! trouvent! les!militaires! les!moins!blessés!et!qui!n’ont!pas!besoin!de!
soins! incessants.! A! chaque! gare,! nous! sommes! accueillis! par! les! dames! de! France! qui! nous!
portent!du!lait,!du!chocolat!et!des!fruits.!Il!y!a!aussi!des!initiatives!privées,!des!femmes!qui!vous!
portent!ce!qu’elles!peuvent.!Chacun!fait!ce!qu’il!peut!et!se!dévoue!selon!ses!moyens.!Quand!nous!
passons,!les!militaires!saluent.!Deux!jours!pleins!de!voyage!et!nous!arrivons!à!Grenoble.!De!jolies!
Anglaises! nous! offrent! de! délicieux! petits! fours.! Maintenant! en! tramway! pour! l’hôpital,! lieu!
neurasthénique!au!possible.!Tout!marche!à!la!militaire.!Les!infirmiers!malgré!leur!bon!vouloir!ne!
valent!pas!les!sœurs!de!charité!ou!les!dames!de!la!CroixbRouge.!On!me!jette!un!matelas!dans!une!
petite! chambre! occupée! par! un! blessé! qui! a! reçu! une! balle! à! la! tête.! Le! malheureux! pue!
! 22!
beaucoup,!perd!du!sang!et!du!pus.!Je!suis!très!mal!et!ne!cherche!qu’une!occasion!de!partir.!Mon!
désir! est! bien! vite! réalisé! et! vers! l’aprèsbmidi! je! demande! à! être! embarqué! avec! les! moins!
malades!pour!je!ne!sais!où…!N’importe!quoi!plutôt!que!cette!cuvette!de!pus!et!de!souffrance.!J’ai!
eu!le!nez.!De!grandes!voitures!nous!emmènent!sur!les!hauteurs!de!Grenoble!dans!un!exquis!petit!
hameau,!Corenc.!On!nous!débarque!dans!le!couvent!et!nous!sommes!chaleureusement!reçus!par!
les!sœurs!de!la!Providence.!Après!toutes!nos!privations,!ce!bienbêtre!relatif!que!nous!procurent!
les! sœurs! nous! est! d’un! infini! soulagement.! La! table! est! copieuse.! Une! soupe! de! pain! et! de!
légumes,!un!morceau!de!viande,!un! légume,!des!haricots!ou!des!pommes!de! terre!et!un!demib
verre!de!vin.!C’est!le!comble!de!nos!appétits.!!Salués!de!tous!les!blessés,!on!est!bien!mieux!là!que!
dans!les!hôpitaux,!surtout!qu’ils!sont!desservis!par!des!infirmiers.!Les!sœurs!sont!admirables!de!
bonté.!!
Elles! me! rappellent! par! leurs! soins! constants! la! vieille! Titale! qui! nous! a! tous! si! bien! choyés!
quand!nous!étions!malades.!Nous!couchons!dans!le!dortoir!des!pensionnaires.!Les!lits,!étant!faits!
pour! des! jeunes! filles,! sont! tous! beaucoup! trop! petits! pour! moi,! mais! je! sais! apprécier! ce!
moelleux!sommier.!Au!début!je!me!sens!très!dépaysé.!Aucun!des!blessés!n’est!de!ma!classe.!Ce!
sont!de!bons!paysans!goulus!et!sales,!exhalant!des!senteurs!qui!m’incommodent.!Ils!crachent!un!
peu!moins!sur!le!parquet!parce!qu’ils!sont!chez!les!sœurs!mais,!par!contre,!ils!sont!un!peu!gênés.!
L’ambiance! les! rend! dévots! et! tous! les! soirs,! après! la! soupe,! la! chapelle! est! comble.! J’aime!
beaucoup! cette! prière! du! soir.! L’invocation! des! saints! par! le! prêtre! et! la! réponse! «!Ora! pro!
nobis!»!ou!«!Orate!pro!nobis!»,!quand!plusieurs!sont!invoqués!à!la!fois,! fait!avec!une!régularité!
(mot*illisible).!C’est!monotone!mais!impressionnant.!
Après! quelques! micmacs! accomplis! par! le! prêtre! et! des! paroles! prononcées! en! sourdine! et!
accentuées! en! queue! de! rat,! voici! le! frisson! qui! secoue! la! congrégation.! De! jolies! frimousses!
encadrées!de!la!coiffe!blanche,!comme!celle!de!cousine!Agnès,!montent!vers!le!ciel!d’idéales!voix!
portant!des!accents!patriotiques.!Elles!chantent!des!hymnes!d’église!et!de!guerre.!
Pendant! les! interminables! journées! passées! dans! le! couvent,! j’ai! tout! de! même! vécu! de!
délicieuses!heures.!Le!site!est!admirable.!Nous!surplombons!la!vallée!de!l’Isère!semée!de!vieux!
châteaux!et!de!couvents.!Tout!en!bas,!la!nappe!verte,!hérissée!de!peupliers,!est!tachetée!de!jolies!
petites! fermes! et! de! riants! villages! dominés! par! un! clocher.! Vers! le! coucher! du! soleil,! nous!
assistons!à!un!spectacle!grandiose!quand!les!Alpes!se!parent*de!mauve!et!de!rose.!
L’activité!des!sœurs!est!remarquable!;!du!matin!au!soir,!elles!sont!sur!pied.!Chacune!d’elles!a!sa!
tâche.! Il! y! en! a! à! la! cuisine,! au! jardin,! aux! champs.! Pas! de! serviteurs! pour! les! aider.! Avant! la!
séparation! de! l’Eglise! et! de! l’Etat,! qui! a! fait! beaucoup! de!mal! à! la! France,! ce! couvent! recevait!
environ!80!pensionnaires,!et!je!garantis!qu’elle!étaient!mieux!élevées!et!enseignées!que!dans!les!
écoles! laïques! actuelles! où! le! nom! de! Dieu! est! totalement! supprimé.! Exemple!:! un! instituteur!
apprenait!à!ses!élèves!les!vers!de!La!Fontaine!et!au!lieu!de!dire!:!«!Petit!Poisson!deviendra!grand,!
pourvu!que!Dieu!lui!prête!vie!»,!il!disait!«!Pourvu!qu’on!lui!prête!vie!».!Voilà!l’œuvre!de!la!francb
maçonnerie.!L’Eglise! catholique!a! certainement!beaucoup!de! torts!;!mais! il! vaut!mieux!pour! le!
peuple!qu’il!soit!catholique!que!de!n’avoir!aucune!religion.!!
Au!bout!de!quelques! jours,! j’ai! fait,!à!Corenc,! la!connaissance!d’une!sœur,!Marie!(mot! illisible),!
personne!très!instruite!qui!par!sa!conversation!et!les!bouquins!qu’elle!m’a!prêtés!m’a!allégé!un!
peu!de!l’ennui!que!j’éprouvais.!
Il!paraît!que!j’avais!l’air!très!malheureux!car!la!mère!supérieure!est!venue!à!moi!un!jour!pour!me!
confesser! et!me! réconforter.!Malgré! la! consigne,! nous! trouvions! toujours!moyen!de! sortir! par!
derrière!et!d’aller!dans!le!village!d’à!côté!consommer!quelques!cafés!et!jouer!aux!cartes.!A!peine!
le!nez!dehors,!nous!étions!harassés!de!questions.!Où!avezbvous!été!blessé!?!Une!balle!ou!un!éclat!
d’obus!?!Etesbvous!de!l’active!?!Connaissezbvous!mon!cousin!untel!?!Et!patati!et!patata.!Il!y!avait!
de!quoi!vous!dégoûter!de!sortir.!Un!soir!que!nous!rentrions!un!peu!tard,!nous!avons!trouvé! la!
porte!de!derrière!fermée.!Pendant!que!nous!prenions!le!parti!de!l’escalader,!Monsieur!le!curé!qui!
dessert! la!chapelle,!attiré!par!notre!chuchotement,!nous! interpelle.!Nous!voilà!pris.! Impossible!
de!se!sauver,!notre!seule!chance!de!sortir!de!ce!mauvais!pas!était!d’avouer!car!notre!curé!nous!
pardonne!et!d’entamer!la!conversation.!Frappé!par!la!pureté!de!mon!accent!(hem!!!hem!!),!il!me!
questionne!et!reste!ébaubi!en!apprenant!mon!cas.!Nous!causons!de!Madagascar,!du!Canada,!etc.!
Malheureusement!nos!relations!n’ont!pas!le!temps!d’aller!jusqu’à!l’intimité.!A!force!de!tarabuster!
! 23!
le! médecin,! je! réussis! à! partir! avec! le! premier! convoi! de! convalescents.! Nous! descendons! à!
Grenoble!dans!la!caserne!de!Bayard!dont!quelques!bâtiments!sont!aménagés!en!hôpital.!
Mon! anévrisme! qui! avait! commencé! la! veille! et! que! le! médecin! de! Corenc! n’avait! pas!
diagnostiqué!augmenta!considérablement.!En!attendant!qu’on!m’opère,!on!me!bande!la!main!en!
faisant! beaucoup! de! compression.! Les! infirmières! sont! très! gentilles.! Quelques! unes! sont! de!
bonne! famille! ou! femmes! d’officiers,! etc.! Ici! on! est! plus! libre! et! je! sors! en! ville.! Comme! c’est!
délicieux!de!se!promener!dans!cette!coquette!petite!ville!de!Grenoble.!Les!blessés!jouissent!d’un!
grande!considération,!tout!est!à!meilleur!marché!pour!eux,!et!aussi!je!me!gave!d’excellents!petits!
gâteaux.!Je!me!fatigue!bien!vite!de!cette!vie,!et!je!demande!à!retourner!à!Montélimar.!!
Là! je! suis!mieux!avec! les!quelques!amis!qui!y! sont!encore.!La!compression! fait!du!bien!à!mon!
anévrisme!et!me! revoilà! reparti!pour! le! champ!de!bataille.!Nous! sommes!environ!150!blessés!!
qui!y!retournent.!Les!autres!qui!partent!avec!nous!sont!de!la!territoriale,!des!hommes!de!35!à!40!
ans.! Comme! les! grognards! de! Napoléon! ils! ronchonnent! tout! le! temps.! Parmi! les! blessés! se!
trouve! un! très! gentil! Lyonnais,! sculpteur! de! profession,! avec! qui! je! lie! connaissance! et! qui!
m’invite!à!déjeuner!chez!lui!à!notre!passage!à!Lyon.!Quoique!simple!ouvrier,!ce!Vissier!est!très!
bien!élevé.!Assez! instruit! et!propre,! il! s’est! fait!un!agréable! intérieur.! Sa! femme,! fort! laide,! est!
avenante!et!possède!trois!gentilles!petites!filles.!Nous!repartons!chargés!de!provisions!que!nous!
donne!Mme!Vissier.!!
Nous!passons!par!Paris!et!arrivons!enfin!à!Moreuil,!dans! la!Somme.!Déjà,!on!entend! tonner! le!
canon,!et!ces!bons!territoriaux,!joufflus!et!bedonnants,!se!congestionnent!de!peur.!Les!Prussiens!
sont!passés!par!ici!et,!en!fait,! il!ne!reste!plus!grandbchose!de!provisions.!Le!village!n’a!pas!trop!
souffert!à!part! ça.!Rien!de!cassé.!Les!maisons!sont! toujours!debout.!Nous!cantonnons!dans!un!
château,!modern!style,!où! le!passage!des!Français! laisse!plus!de!place!que! les!Allemands.!C’est!
honteux! de! constater! que! même! les! Français! pillent! et! dévastent.! Les! paysans! sont! partout!
pareils.!Nous!nous!mettons!en!marche!le!lendemain!et!quoique!l’ennemi!soit!à!une!trentaine!de!
kilomètres,!nos!officiers!de!réserve!prennent!des!excès!de!précautions.!Nous!passons!par!Caix!où!
se!trouve!l’état!major!et!nous!nous!arrêtons!pour!la!nuit!à!Rosières.!Les!Allemands!sont!passés!
par!ici!en!avançant!sur!Paris,!mais!en!se!retirant,!ils!ont!obliqué!vers!l’est,!ce!qui!explique!l’état!
encore! intact!de!ces!petites!villes.!Vers! la!pointe!du! jour!nous!partons!pour! les! tranchées!et! là!
nous!recevons!le!baptême!du!feu.!Ceux!qui!y!sont!habitués!rigolent!mais!les!autres!ont!des!faces!
tirées! et! des! regards! de! bêtes! traquées.!Notre! adjudant,! gueulard! si! jamais! il! en! fût,! et! qui! se!
vantait!de!ses!exploits!en!Chine!où!il!a!trucidé!quelques!malheureux!Chinois,!transi!de!peur,!se!
cache!la!tête!comme!une!autruche!et!tremble!de!frayeur.!Il!nous!harasse!de!précautions!inutiles!
à!tel!point!que!nous!sommes!forcés!de!rester!blottis!dans!nos!trous!toute!la!journée.!La!nuit!on!
gèle!;!s’il!pleuvait!je!ne!sais!pas!ce!qu’on!deviendrait.!
!
Le!9!février!1915!
Je!retrouve!inachevé!ce!bout!de!journal!et!suis!désolé!de!constater!qu’il!n’y!a!pas!de!suite!dans!ce!
que!je!fais.!Je!croyais!cependant!avoir!mis!à!jour!toute!cette!période!d’hôpital!et!de!mon!retour!
au!front,!et!de!te!l’avoir!envoyé.!Mes!dernières!lettres!ont!dû!te!mettre!plus!ou!moins!au!courant!
de!mes!faits!et!gestes.!
31! octobre.! Bombardement! intensif! de! toute! la! région! par! les! Boches! dans! le! but! de! prendre!
Lihons.! A! partir! de! 2! h,! les! hordes! ennemies! s’avancent,! on! se! bat! jusqu’à! 7! h! du!matin! le! 1er!
novembre.!Echec!complet!à!l’attaque!qui!a!coûté!à!l’ennemi!environ!3!000!morts.!Calme!relatif!à!
partir!du!1er!novembre.!
Un!simulacre!d’attaque!pour!tromper!l’ennemi!et!immobiliser!ses!réserves!nous!coûtent!un!mort!
et!quelques!blessés.!
A!part!ça,!c’est!toujours!la!même!rengaine!:!les!tranchées!alternant!avec!le!repos.!Dans!la!plaine!
entre!Lihons!et!Maucourt,!nous!avons!passé,!il!y!a!un!mois,!un!sale!moment.!Avec!la!pluie!et!le!
dégel,!les!tranchées!étaient!littéralement!impraticables.!On!enfonçait!jusqu’aux!genoux!dans!une!
mélasse!gélatineuse!et!collante.!Boueux!des!pieds!à! la! tête!et! trempés! jusqu’au!os,!nous!étions!
dans!un!lamentable!état!d’affaiblissement!moral!et!physique.!Notre!suprême!satisfaction,!c’était!
de!savoir!!que!les!Boches!se!trouvaient!dans!le!même!piteux!état!que!nous.!
! 24!
Depuis!une!semaine,!nous!sommes!dans!un!très!chic!secteur!en!arrière!de!Maucourt.!Quelques!
jours!de!beau!temps!nous!ont!bien!ragaillardis.!Etant!en!deuxième!ligne,!nous!pouvons!sortir!de!
la!tranchée!et!nous!promener!un!peu!en!plein!air.!
Quand! on! est! en! première! ligne! on! a! toujours! l’impression! de! vivre! sous! terre!;! que! disbje!
l’impression!?!Nous! en! avons! aussi! la! certitude! puisque!nous! habitons! des! caves! creusées! à! 3!
mètres!sous!terre.!
Ta!dernière!lettre!me!désole.!Suis!navré!d’apprendre!que!tu!es!ballottée!entre!Trait!d’Union,!la!
Mauvraie!et!je!ne!sais!où!encore.!
Je!vous!embrasse!bien!(mots!illisibles)!et!tante!Lina.!
Ton!Kiout!qui!t’aime!
!
(Pages*de*journal*semblant*d’un*carnet*différent*que*les*précédentes)*
!
24!octobre!!
Nous! sommes! à! 500! m! environ! au! sud! de! Lihons! depuis! 4! jours.! Notre! demibsection! a! eu! à!
creuser!ses!tranchées.!Matin!et!soir!nous!avons!bûché.!Je!me!suis!creusé!un!gîte!très!confortable.!
Le! canon! tonne! et! les! balles! sifflent! aubdessus!de!ma! tête! sans!plus!m’émotionner.!Aussi! c’est!
avec!regret!que! j’apprends!qu’on!nous!relève!ce!soir.!Le!commandant!veut!peutbêtre!que!nous!
allions! creuser! d’autres! tranchées,! il! reconnaît! luibmême! que! nous! sommes! d’admirables!
terrassiers.!La!première!et!la!deuxième!nuit!ici!ont!été!bien!tranquilles.!L’ennemi!est!à!200!m!et!
tiraille! sans! interruption.! Il! creuse! une! tranchée! obliquant! vers! notre! droite!;! ce! qui! ennuie!
beaucoup!nos!chefs.!
(Passage*censuré*avec*la*mention*manuscrite**«*biffé*pour*causes*de*censure*»)*
Un!jour!qu’il!ne!savait!que!faire!de!nous!pour!nous!protéger!des!obus!allemands,! il!nous!mène!
dans!un!renflement!de!terrain,!et!comme!nous!n’avions!pas!d’outils,!«!Creusezbvous!un!abri!avec!
vos!quarts!et!vos!fourchettes!»!nous!ditbil.!Quelquesbuns!(mot*disparu)!il!les!engueule!vertement.!
L’abri! à! peine! commencé! qu’il! nous! donne! l’ordre! de! changer! l’emplacement! de! notre!
retranchement.!
Quand!un!aéroplane!passe,!il!faut!se!cacher!la!tête!comme!les!autruches.!L’autre!jour!ce!comique!
insupportable!essaya!de!me!faire!disparaître!sous!ma!musette.!Hier!23!octobre,!nous!avons!eu!
un! blessé! légèrement! au! crâne.! Nous! avons! commencé! à! creuser! un! chemin!menant! vers! les!
cuisines!à!400!m!derrière!les!tranchées.!Ce!chemin!a!été!tracé!par!le!capitaine!(de!réserve)!et!le*
caporal.!Au!lieu!d’utiliser!les!plis!du!terrain,!ils!se!mettent!à!dessiner!un!formidable!zigzag!sur!la!
partie! la!plus!élevée!du!champ.!Nous!aurons!ainsi!près!d’un!kilomètre!à!creuser.!Par!dessus! le!
marché,!la!tranchée!n’est!pas!assez!profonde!et!l’on!aura!la!moitié!du!corps!exposé.!Quoique!je!
sois! porté! à! tout! critiquer! et! à! tout! trouver! mal,! je! ne! me! fais! pas! de! bile! autrement.! Une!
nourriture!suffisante,!quelques!friandises,!un!beau!coucher!de!soleil!par!cet!automne!d’or,!et!je!
suis!heureux.!!
Je!sens!(mots*illisibles),!la!seconde!de!bonheur!intense.!
«!O!wild!west!wind!»!
Ce! vers! de!Keats,! je! crois,!me! revient! à! la!mémoire! en! contemplant! par! l’étroite! ouverture!de!
mon!réduit!un!grand!peuplier!dont!les!paillettes!d’or!miroitent!au!soleil.!Des!bouffées!de!vent!en!
emportent! dans! une! danse! folle.! Elles! tournoient,! pirouettent,! sont! emportées! vers! l’azur,! et!
redescendent! en! zigzaguant,! dépensant! dans! un! dernier! luxe! d’enivrement! la! vie! qu’elles! ont!
puisée! du! sol! où! elles! retombent! inertes.! La! voix! de! la! gonzesse,! phénomène! intelligent! et!
comique,!me!sort!de!ma!rêverie.!
Hier! soir! pendant! que! je! veillais,! il!me! sembla! entendre!un!bruit! en! face! de! la! tranchée! et! un!
bruissement! de! feuilles! et! d’herbes,! comme! quand! on! marche.! Je! donnais! aussitôt! l’alerte.!
Quelquesbuns!s’émotionnèrent!et!tiraillèrent!avec!frénésie.!Je!me!suis!aperçu!depuis!que!ce!que!
j’entendais!n’était!autre!que!le!vent!dans!mon!peuplier.!
Avantbhier!soir,!vers!6!h,! les!Allemands!ont!attaqué!en!poussant!des!hurlements!à!notre!droite!
du!côté!de!Maucourt.!On!nous!commanda! le! feu.!Nous!tirâmes!devant!nous!sur!rien!du!tout!et!
des!quantités!de!cartouches!furent!inutilement!brûlées.!
! 25!
Aujourd’hui! les! Allemands! tirent! plus! que! d’habitude! et! nous! visent! particulièrement,! je! veux!
dire! la! demibsection.!Tout! à! l’heure,! nous! avons! eu!un!blessé! au! cou! et! un! autre! au!doigt.! Les!
voici!qui!visent!mon!créneau!;!la!terre!vole!en!éclats!et!me!retombe!dessus.!
Avantbhier! 22! octobre,! les! Allemands! ont! attaqué! à! notre! droite! vers! la! tombée! de! la! nuit.!
Soudain!de!formidables!hurlements!se!font!entendre,!rapidement!couverts!par!un!feu!nourri.!Ils!
ont!dû!charger!à!la!baïonnette!mais!ils!ont!été!repoussés.!Nous!n’en!savons!pas!davantage.!Nous!
ouvrîmes!le!feu,!mesure!absolument!inutile!attendu!que!les!Allemands!en!face!de!nous!n’étaient!
pas!sortis!de!leur!tranchée.!Des!milliers!de!cartouches!furent!gaspillées.!L’ennemi,!croyant!à!une!
contrebattaque,!nous!arrosa!d’obus,!heureusement!nous!n’eûmes!aucun!blessé.!Après!une!demib
heure,! tout! rentra! dans! le! silence! mais! cette! escarmouche! fut! vraiment! impressionnante.! Un!
bruit! assourdissant,! des! sifflements! de! balles! et! de! shrapnells.! Les! projecteurs! allemands!
éclairaient!nos! tranchées!pour!diriger! le! tir!de! l’ennemi.!Des! fusées! lancées!en! l’air!y!restaient!
quelques!minutes!et!produisaient!un!merveilleux!effet.!Ce!fut!un!joli!feu!d’artifice!sans!accident.!
Et! après! cela!on!nous!donna! l’ordre!de!veiller! toute! la!nuit.! Inutile!de!dire!que!malgré! cela,! je!
roupillai!comme!un!loir.!
!
27!octobre!
La!nuit!du!24,!nous!évacuâmes!nos!tranchées!pour!céder!notre!place!à!la!onzième!compagnie.!Si!
les! Allemands! nous! avaient! attaqués! pendant! ce! changement,! nous! aurions! été! salement!
fricassés.! Pour! nous! en! aller,! nous! passâmes! par! le! boyau! nouvellement! fait! derrière! les!
tranchées!et!comme! il!n’était!pas! terminé!(il!ne! l’est!pas!encore!aujourd’hui!27!octobre),!nous!
fûmes! exposés! aux! balles! pendant! 20!minutes,! alors! que! si! nous! avions! traversé! le! champ! en!
droite!ligne,!nous!ne!l’aurions!été!que!pendant!5!minutes.!Ce!soirblà!nous!avons!couché!dans!un!
abri!creusé!dans!la!terre!et!recouvert!de!paille!et!de!terre.!Nous!étions!là!en!réserve!pour!aller!à!
la!rescousse!des!autres!compagnies!en!cas!de!nécessité.!Nous!étions!supposés!avoir!quatre!jours!
de!repos.!!
Il!n’y!a!pas!eu!mèche.!Nous!avons! la!garde!du!village.!Tous! les! soirs!et! les!matins!vers!quatre!
heures,!on!creuse,!barricade,!installe!des!créneaux.!La!nuit!il!faut!boucler!le!sac!à!chaque!fois!que!
les! balles! pleuvent! plus! qu’à! l’ordinaire.! Les!Allemands! ne! démontrent! aucune! velléité! à! nous!
attaquer!et!cependant!le!village!est!défendu!comme!une!place!forte.!Je!commence!à!croire!qu’on!
nous!a!fait!faire!tous!ces!travaux!pour!nous!entraîner.!Nous!sommes!heureusement!bien!mieux!
nourris.!Thé!au!rhum,!confiture,!café,!etc.!
Il!y!a!beaucoup!de!grognards!mais!je!constate!que!le!moral!des!troupes!est!autrement!meilleur!
qu’au!commencement.!Quelques!socialistes!absolument!réfractaires!au!patriotisme!et!froussards!
au!possible!ronchonnent!plus!que!les!autres!et!parlent!de!désertion.!Les!Prussiens!vont!plus!loin!
et!désertent!en!fait!par!groupes!de!dix,!de!vingt.!Les!malheureux!se! font!tirer!dessus!par! leurs!
compatriotes! et! aussi! par! les! Français! avant! que! ceuxblà! s’aperçoivent! de! l’intention! des!
déserteurs.!Ils!arrivent!au!petit!jour!en!levant!les!bras!et!en!criant!«!Vive!la!France.!C’est!atroce!».!
Ils!sont!mal!nourris!et!maltraités!par!leurs!chefs.!
!
30!octobre!!
Avantbhier!28,!vers!1!h!de!l’aprèsbmidi,!les!Teutons,!guidés!par!un!aéroplane!qui!a!survolé!notre!
campement!pendant!des!heures,! sans!que! les! feux!de!salve!de!nos! fusils!ne! lui! fassent!de!mal,!
nous!ont! lancé!une!cinquantaine!d’obus.!Ces!marmites!si!elles!ne! tombent!pas!exactement!sur!
nos!gîtes!ne!nous!font!aucun!mal.!Tout!autour!de!nous,!comme!partout!ailleurs!où!se!sont!livrés!
des!combats,!on!aperçoit!d’immenses!trous!en!entonnoir!où!l’on!pourrait!enterrer!des!chevaux.!
Un! homme! a! été! tué! et! un! autre! blessé! par! un! obus! tombé! sur! le! toit! de! la!maison! où! ils! se!
trouvaient.!Comme!résultat,!les!Prussiens!n’ont!pas!de!quoi!se!vanter.!
Hier!29!octobre,!rien!à!signaler,!nous!continuons!à!creuser!le!fameux!boyau.!
Aujourd’hui!30!octobre,!notre!compagnie!a!réintégré!la!tranchée!que!nous!occupions!il!y!a!cinq!
jours.!La!première!section!est!de!réserve!à!200!m!en!arrière.!Les!Allemands!tiraillent!toujours!et!
nous!avons!un!blessé!à!la!tête!qui!est!si!affaibli!qu’il!ne!tardera!pas!à!casser!sa!pipe.!La!mort!ne!
nous!effraye!plus.!On!la!voit!caresser!de!sa!laide!main!osseuse!la!face!des!camarades!sans!plus!
s’émouvoir.!Comme!sous!la!Révolution,!on!rit!de!la!traîtresse!qui!vous!guette!à!chaque!pas.!Nous!
! 26!
ne!prenons!même!plus!la!précaution!de!nous!protéger!derrière!les!talus!quand!nous!entendons!
siffler!les!balles.!
Canonnade!effroyable!au!sud!du!côté!de!Roye.!On!dit!que!c’est!nous!qui!attaquons.!Voilà! trois!
heures!que!l’air!est!déchiré!de!grondements!de!balles.!
!
31!octobre!!
Lihons.! Jour!mémorable.! Depuis! 6! h! du!matin,! le! canon! ennemi! tonne.! Nous! nous! blottissons!
aussitôt! dans!nos! gîtes! souterrains! transis! de! froid! et! de!peur.! L’ennemi!prépare! évidemment!
une!attaque!sur!Lihons.!A!chaque!coup!de!canon,!nous!nous!attendons!à!ce!que!nous!sautions.!
Les! obus! tombent! à! quelques! mètres! de! ma! cabane.! Un! copain! est! tué! à! côté! de! nous.! Les!
marmites!et!les!crapouillards!font!trembler!la!terre.!Impossible!de!mettre!le!nez!dehors!et!nous!
sommes!obligés!de!nous!passer!de!soupe.!Vers!1!h,!le!canon!se!tait!après!avoir!bombardé!toute!la!
région,! les! premières! et! deuxièmes! lignes! de! tranchées,! Lihons,! Rosières! et! les! routes!
environnantes.!C’est!le!moment!pour!l’ennemi!d’avancer.!
Les! tranchées! gardant! la! route! de! Chaulnes! ont! assez! souffert! de! la! mitraille! et! lorsque! les!
occupants,! à! gauche! de! la! route,! voient! approcher! l’ennemi,! ils! ouvrent! une! fusillade! intense!;!
mais! ceux!de!droite,! démoralisés!par! les! ravages!de! l’artillerie! ennemie!dans! leur! rang,! fuient!
devant!les!Allemands.!Les!officiers!ont!été!tués!et!il!n’y!a!personne!pour!enrayer!la!panique.!Les!
Allemands!percent!donc!la!ligne!de!défense!à!droite!et!à!gauche!de!la!route!et!s’installent!dans!
les!premières!maisons!du!village.!
Vers!deux!heures,!nous!évacuons!nos!tranchées!de!réserve!à!100!mètres!en!arrière!et!nous!nous!
portons! vers! le! point! faible.! Arrivés! à! l’endroit! indiqué! par! l’étoile,! ceux! d’entre! nous! qui!
marchaient!en!avant!aperçoivent!les!Allemands!à!30!mètres.!C’était!une!patrouille!qui!avait!suivi!
nos!tranchées!abandonnées.!J’étais!troisième!ou!quatrième!en!tête!et!je!me!porte!tout!de!suite!en!
avant.!Les!autres!perdent!la!boule!et!ne!tirent!pas.!J’épaule!et!vise!une!tête!qui!dépasse.!Elle!se!
cache!aussitôt.!Le!fusil!braqué,!j’attends.!La!tête!reparaît!au!même!endroit!et!je!lâche!mon!coup.!
La! tête! disparaît.! D’autres! casques! à! pointe! apparaissent! et! les! premiers! d’entre! nous! tirent!
dessus.!Les!Allemands!ripostent!et!comme!ils!prennent!nos!tranchées!d’enfilade,!ils!blessent!un!
des!nôtres!et!en!tuent!un!autre!(Fulchiron).!Ne!pouvant!soutenir!notre!feu!et!nous!voyant!mettre!
baïonnette!au!canon,!la!patrouille!se!cavale.!Le!premier!en!tête,!j’entraîne!mes!amis.!Au!coin!(A),!
je!m’arrête!un!instant!pour!voir!mon!Allemand!tué.!Je!poursuis!les!autres!tout!en!prenant!soin!de!
bien!me!dissimuler!dans!le!boyau.!Devant!nous!fuit!la!patrouille,!je!tire!de!nouveau!et!on!abat!un!
second,! nous! nous! arrêtons! là! et! tiraillions! sur! les! Boches! qui! sont! entrés! dans! le! village.! Un!
caporal! est! tué! et! l’autre! blessé! à! mes! côtés.! J’aperçois! le! sergent! Ferbus! de! la! neuvième!
compagnie! derrière! moi.! C’est! la! 9e! qui! occupait! ces! tranchées! où! nous! nous! trouvions! à! ce!
moment!et!qui!s’était!repliée!devant!la!poussée!ennemie.!Je!lui!dis!que!j’avance.!Il!me!fait!signe!
que!oui.!Nous!avançons!encore!50!mètres,!moi!toujours!en!tête!et!encourageant!les!copains.! Je!
m’arrête!à!environ!50!mètres!d’une!maison!!où!je!vois!aller!et!venir!les!Boches.!Je!tire,!tire!et!tire.!
J’ai!su!après!que!les!Boches!étaient!en!train!d’installer!une!mitrailleuse!dans!cette!maison!car!ils!
ne!répondaient!pas!à!nos!feux!et!avaient!l’air!tous!occupés.!Pendant!quelques!minutes,!nous!en!
descendons!trois.!Mais!maintenant!leur!mitrailleuse!est!prête!et!commence!à!cracher.!Nous!nous!
tapissons!dans!le!boyau!et!sommes!dans!l’impossibilité!de!riposter.!A!ce!moment!je!me!retourne.!
Le!sergent!Ferbus!qui!était!parti!chercher!des!renforts!n’était!pas!revenu.!J’appelle!et!personne!
ne! répond.! Le! lieutenant! avait! tout! simplement! donné! ordre! de! battre! en! retraite! et! ceux! qui!
étaient! derrière! les! quatre! premiers! n’avaient! pas! pris! la! peine,! dans! leur! émoi,! de! nous!
transmettre!l’ordre.!Voyant!le!péril,!je!dis!à!mes!trois!camarades!à!côté!de!moi!de!quitter!le!sac,!
de!se!retourner!prudemment!et!de!battre!en!retraite.!Comme!toujours! le!mouvement!de!recul!
leur! fait! perdre! la! boule.! En! se! retournant!précipitamment!dans! le! boyau,! ils! écopent! tous! les!
trois!:!Chabrier!atteint!à!la!tête!tombe,!Dufour!blessé!au!rein!se!traîne!et!meurt!quelques!heures!
après! et! Blanc! reçoit! trois! balles! dans! le! sac.! Je! rejoins! la! compagnie.! L’ordre! est! donné! de!
réoccuper!le!boyau,!le!plus!loin!possible.!Je!me!reporte!en!avant!avec!Vissier!et!on!arrête!à!mib
chemin.! Je! demande! quelques! hommes! pour! tenir! le! boyau.! Vers! la! tombée! de! la! nuit,! une!
patrouille!ennemie!avance!de!nouveau.! Je! leur! tire!dessus!à!15!mètres!et!en!blesse!un,!qui!est!
emporté!par!son!camarade.!Mais! ils!se!dissimulent!dans! l’obscurité!et! je!ne!peux! les!atteindre.!
! 27!
Inutile!de!les!poursuivre!;!ils!sont!couverts!par!le!feu!de!leur!mitrailleuse.!Vers!7!h,!arrivent!des!
vrais! renforts,! le! 14e! chasseur! qui,! avec! le! 53e! chasseur,! opèrent! l’attaque! sur! les! Boches.!Ma!
compagnie!ne!prenant!pas!part! à! ce! combat! effréné!qui!dura! toute! la!nuit,! je!m’assoupis! avec!
mes!copains!Vissier!et!Blanc!dans! la!cabane!et! je!dormis!mon!soûl!malgré! la! fusillade! intense.!
Ces!petits! chasseurs! alpins! sont! admirables!de! courage,! d’entrain! et!de! gaieté.! Ils! disputent! le!
terrain! pied! à! pied! aux! Allemands.! Bien! retranchés! dans! une! maison,! ceuxbci! ne! cèdent! pas!
malgré!les!pertes!subies.!Ils!sont!délogés!par!quatre!coups!d’une!pièce!de!75!roulée!à!40!mètres!
de!la!maison.!Bien!peu!des!occupants!sont!encore!en!vie.!Vers!l’aurore,!les!Boches!se!décident!à!
une! contrebattaque.! Je! les! entends! distinctement! donner! des! ordres!;! puis! après! un! coup! de!
sifflet!et!deux!minutes!d’intervalle,!j’entends!de!mon!poste!d’observation!un!bruissement!de!pied!
dans!les!betteraves.!L’alerte!est!donnée!et!un!feu!intense!commence.!Il! fait!encore!nuit!et!nous!
tirons! sans! viser.! Le! jour!point! et! l’ennemi! commence! son!mouvement!de! recul! en! se! cachant!
derrière! des! mottes! de! foin.! Nous! pouvons! viser! maintenant! et! ils! tombent! par! centaines.!
Comme!des!épis!de!blé,!notre!Lebel!les!a!fauchés.!En!rangs!serrés,!ils!jonchent!la!plaine.!Vision!
atroce,!cris!désespérés!de!blessés.!Pendant!un!ou!deux! jours,! ils!crieront!ainsi! jusqu’à!ce!qu’ils!
agonisent! à! quelques! mètres! de! nous! sans! qu’aucun! secours! leur! soit! porté.! Tels! sont! les!
rigueurs!de!la!guerre.!Ils!y!sont!encore!ces!morts,!ils!y!resteront!un!mois!ou!deux!empestant!l’air!
et!offrant! leur!charnier!aux!corbeaux! jusqu’à!ce!que! les!Allemands!reculent!de! leur!position.!A!
l’entrée!du!village!que!nous!réoccupons,! il! est! tombé!des!centaines!d’Allemands!abîmés!par! le!
75.!Des!jambes,!des!bras,!des!têtes!emportés.!Un!blessé!se!sentant!mourir!est!accroupi!sur!une!
tombe.!Il!est!inerte!dans!la!posture!de!celui!qui!prie.!C’est!l’heure!du!butin.!Nous!ne!respectons!
plus! les!morts,! nous! nous! comptons! parmi! eux.! C’est! à! qui! fouille! et! dévalise! cette! pourriture!
humaine.! Qui! n’a! pas! vu! la! guerre,! qui! n’a! pas! mangé! assis! aux! côtés! d’un! mort! sur! des!
suintements! de! cervelle,! en! riant! et! causant! avec! un! camarade! n’a! rien! vu.! C’est! simplement!
affreux.!
!
29!novembre!!
Voilà!près!d’un!mois! que! j’ai! interrompu!mon! journal.! La! littérature!ne!peut!pas! grandbchose.!
Quand!nous!ne!sommes!pas!dans!les!tranchées,!nous!sommes!au!repos.!La!vie!en!première!ligne!
est!beaucoup!plus!agréable.!On!est!occupé!du!matin!au!soir.! Il!est!vrai!que!nos!occupations!ne!
varient! guère.! Eternel! creusement! de! boyau,! amélioration! ou! construction! de! cahutes! et! de!
créneaux.! Le! pire! c’est! qu’aussitôt! que! le! logement! devient! confortable! il! faut! le! quitter.! En!
général,!on!passe!8!jours!en!première!et!quatre!en!deuxième!ligne.!En!ce!moment,!nous!sommes!
au! nord! est! de! Maucourt,! village! pris! et! repris! par! nos! troupes.! Il! est! en! bien! meilleures!
conditions!que!Lihons.! Il! y! a! encore!quelques!maisons!debout.! Les! tranchées! ennemies! sont! à!
400!mètres!environ!de!nous.!Il!est!préférable!d’être!placés!plus!près!de!ces!messieurs,!parce!que,!
alors,!de!peur!d’atteindre!les!leurs,!ils!ne!nous!marmitent!pas.!Depuis!quelque!temps!les!Boches!
sont!très!peu!actifs.!Ils!se!bornent!à!balancer!quelques!marmites!sur!Rosières!et!sur!une!batterie!
en!bois.!!
Hier! nous! avons! simulé! une! attaque! pour! empêcher! les! réserves! allemandes! qui! se! trouvent!
dans! la! région! de! se! porter! au! secours! de! celles! qu’on! attaque! réellement! dans! la! région! de!
QuesnoybenbSanterre.!Ce!simulacre!s’est!opéré!d’une!façon!bien!niaise!à!mon!point!de!vue.!Après!
quelques!coups!de!canons!sur!leurs!tranchées,!nous!avons!ouvert!un!feu!intense!après!quoi!une!
dizaine! d’hommes! sous! les! ordres! d’un! sergent! s’est! portée! par! bonds! à! une! soixantaine! de!
mètres!en!avant.!Aussitôt!shrapnells!de!pleuvoir.!Au!bout!d’une!heure,!dix!hommes!sont!rentrés.!
La! fusillade! a! continué! intermittente! jusqu’au! soir.! Cette! tactique! abtbelle! abouti! à! quelque!
chose!?!J’en!doute.!Dans!la!compagnie,!un!tué!et!deux!blessés.!Comme!résultat!c’est!maigre!?!
!
!
!
!
!
!
!
! 28!
ICONOGRAPHIE'Documents*recherchés*sur*différents*sites*pour*illustrer*et*situer*les*événements*cités**
dans*les*lettres*et*le*journal*
'!
!
!
!
! !
«…Ils*blessent*un*des*nôtres*et*en*tuent*un*autre*(Fulchiron)*»*
«…*Chabrier*atteint*à*la*tête*tombe…*»*
(Source!:!Mémoire!des!hommes)!
!
Hôpital bénévole n° 67 bis de Corenc. Maison des sœurs de la Providence. (c) Musée du service de santé des armées.
! 29!
!
!
!
!
!
!
!
Lihons,!lieu!de!combat,!tranchée!dans!le!village!(source*Internet)!
!
!
!
!
!
Lihons,!le!centre!du!village!après!les!combats!d’octobre!1914!(source*internet)!
!
!
!
!
!
!
Remerciements*à*Philippe*Lahausse*de*la*Louvière*pour*la*communication*des*lettres*de*Frank*de*
Chazal* Mayer* pour* le* projet* «* L’île* Maurice* dans* la* Grande* Guerre*»,* partenariat* Ecole* du*
Centre/Lycée*La*Bourdonnais*
EXTRAITS DU JOURNAL D’UNE MAURICIENNE DONT DEUX FILS SONT A LA GUERRE
Extraits de 1916 à 1919 ` Nous remercions Mme Nadia d’Unienville de son aimable autorisation pour la publication des extraits de ce journal, retranscrit par ses soins
REPERES HISTORIQUES, GEOGRAPHIQUES ET LEXICAUX Le Crimée, El Kantara, l’Océanien, le Yara, le Calédonien (et autres navires énumérés) : navires des messageries maritimes réquisitionnés pendant la guerre par les services postaux. Ambulance 12/8 : ambulance n°12 du 8e corps d’armée. Les ambulances sont numérotées par un double chiffre type XX/YY, YY désigne le corps d'armée et XX le numéro d'ordre. Chaque corps d’armée ne disposant que de 16 ambulances, XX ne dépasse jamais 16.
Une ambulance dans la région de Verdun http://www.cosmovisions.com/Grande-‐Guerre-‐1916.htm
Des soldats français montant dans une ambulance américaine à la gare de Toul (1916)
(Photographie publiée par l'ECPAD)
Traitement de mécano-‐thérapie : traitement de certaines affections ostéo-‐articulaires, musculaires ou nerveuses par des mouvements effectués à l’aide d’appareils mécaniques. L’arrivée massive de blessés oblige à réorganiser en urgence les services de santé ; c’est ainsi que seront créés les services de physiothérapie équipés d’appareils de mécanothérapie en provenance de l’étranger, mais aussi fabriqués avec des matériaux de récupération. Source : http://rha.revues.org/7969
Séance de mécanothérapie lors de la guerre 14-‐18 L'hôpital militaire de Séméac : proche de Tarbes, cet hôpital a accueilli pendant la guerre 1 415 malades et blessés. La fondatrice et administratrice était Madame la générale Allenou. Pour en savoir plus : http://lieux.loucrup65.fr/hopitalsemeac.htm Salonique : l'expédition de Salonique, de 1915 à 1918, autrement dénommée Front d'Orient, Front de Salonique ou Front de Macédoine est une opération menée par les armées alliées à partir du port grec macédonien de Salonique pendant la Première Guerre mondiale. La bataille de Verdun : bataille de la Première Guerre mondiale qui eut lieu du 21 février au 19 décembre 1916 près de Verdun en France, opposant les armées françaises et allemandes. C'est la plus longue et l'une des batailles les plus dévastatrices de cette guerre. La Malle : (appelée à Maurice aussi la Malle française), navire des Messageries Maritimes assurant le transport du courrier. Câble ou câblogramme : télégramme.
ldkoenig� 29/10/14 16:08Supprimé:
ldkoenig� 29/10/14 16:08Mis en forme: Police :Non Gras
ldkoenig� 29/10/14 16:08Mis en forme: Police :Non Grasldkoenig� 29/10/14 16:08Supprimé: s
ldkoenig� 29/10/14 16:14Supprimé: (Gabrielle évoque la générale Albenou
ldkoenig� 29/10/14 16:15Commentaire [1]: C’est une erreur de transcription. C’est bien Allenou qui figure dans l’original du journal.
ldkoenig� 29/10/14 16:14Supprimé: )
ldkoenig� 29/10/14 16:16Mis en forme: Police :11 ptldkoenig� 29/10/14 16:16Mis en forme: Police :11 pt
L’Ernest Simon : affrété par l'Etat français pour les services postaux en 1914 et coulé le 3 avril 1917. Jean T. était à bord quand le bateau a été torpillé par le sous marin UC 37 (OL Otto Launburg) à 15 milles du Cap Rosa, en Méditerranée et faisant 11 victimes.
Octave H : il s’agit d’Octave Harel, sous lieutenant-pilote, mort à 24 ans dans les Flandres lors d’un combat aérien le 18 août 1917, inhumé dans le village de Lallaing. Son nom est inscrit au cénotaphe de Curepipe. 21 mars 1918 : l’offensive du Printemps, également connue sous le nom Kaiserschlacht, bataille du Kaiser, ou offensive de Ludendorff, est un terme utilisé pour faire référence aux séries d'attaques allemandes sur le front occidental du 21 mars au 18 juillet 1918 durant la Première Guerre mondiale. Les Allemands s'étaient, en effet, rendus compte que leur seule chance de gagner la guerre était d'anéantir les Alliés avant que les États-‐Unis ne puissent déployer suffisamment de troupes en Europe. Masque à gaz : les soldats portent des masques pour se protéger des premières armes chimiques utilisées lors de la Première guerre mondiale.
Des soldats utilisant des masques à gaz dans les tranchées Le Mont Cornillet : site français de combats de la Première Guerre mondiale, en Champagne.
LE JOURNAL DE GABRIELLE T., MAURICIENNE DONT LES FILS, JEAN ET EMILE, SONT A LA GUERRE
Madame Gaston T., née Gabrielle K., Mauricienne mariée à un Francais, lui-‐même né à La Réunion de mère mauricienne, a vu ses deux fils aînés, Emile et Jean, mobilisés, partir pour la France afin de servir sous les drapeaux. Jean partit le premier. Emile le suivit, le 21 mai 1915. Jean fut initialement réformé et revint à Maurice en décembre 1915, mais il repartit en 1916 pour servir de nouveau la France. Le jounal de Madame T. a gardé la trace de ces années où ses fils combattaient au loin. Voici les extraits qui en parlent.
Emile T., engagé volontaire
13 novembre 1916 Dimanche Reçu lettre de France par le Crimée et El Kantara. Emile blessé à Verdun au poignet gauche le 6 septembre. Opération chirurgicale sous chloroforme dans une ambulance 12/8 à l’arrière, de là dirigé par chemin de fer spécial pour l’hôpital temporaire de Troyes. Blessure en voie de guérison. Pas de fièvre Jean a bien failli partir pour Salonique, départ renvoyé ou raté. Il veut passer l’examen d’aspirant et a fait une application dans le but d’être admis à composer. Lundi 20 novembre 1916 Arrivée de l’Océanien – lettres de France – tout va bien ; Emile va être envoyé à un centre de mécano, pour suivre un traitement de mécano-‐thérapie. Par suite de la suture du nerf cubital, il a 2 doigts de la main gauche paralysés, et sa main ne peut se fermer. Le traitement sera long, paraît-‐il, et il se réjouit de passer l’hiver hors des tranchées. L. D. l’invite pour quelques jours à Paris et a mille attentions pour lui. Jean toujours à Pau. Visite les environs à ses heures libres et est enthousiasmé des merveilles du Château Henri IV. Dimanche 26 novembre Le Yarra est arrivé, nous attendons nos lettres de France avec impatience. Dimanche, 2 h. Plusieurs lettres de Jean. D’Emile rien, que des cartes à ses sœurs ; il adresse son courrier au Crédit Foncier, c’est donc demain que nous aurons ses lettres. Jean très bien, toujours à Pau, mais il parle de partir pour le front fin octobre peut-‐être. J’espère bien que non ! Les C. sont toujours charmants pour lui et le gâtent tant et plus. Par les cartes d’Emile, nous voyons qu’il est parti pour Troyes le 13 octobre pour se rendre à Tarbes ! D’où il doit repartir au bout de 6 jours pour Bordeaux où il commencera son traitement. Jean attendait son arrivée là pour aller le rejoindre à la Toussaint pour 48 heures. Mardi 28 novembre 1916 Reçu 2 lettres d’Emile par la ville hier soir. Il est bien et en traitement à Séméac, près de Tarbes. Hôpital tenu par la femme d’un général Allenou et un médecin civil. Jean devait le dimanche suivant aller le rejoindre là et tous deux se faisant une fête de se revoir. Tous les deux parlent du prochain départ de Jean pour le front... Faudra-‐t-‐il toujours craindre et trembler mon Dieu ! Dimanche 3 décembre Le gramophone joue pendant que j’écris. Comme cela me renvoie loin ! Il y a un an aujourd’hui, 3 décembre, que Jean revenait de France réformé et que je croyais le tenir pour toujours ! Depuis, que d’événements ! Le voilà reparti, et peut-‐être retourné au front une 2e fois ! Ah ! La vie vous en réserve, des surprises et des épreuves... Gaston a acheté un superbe drapeau français et un mât qu’il a fixé à la maison. Nous l’avons hissé hier soir pour essayer et les serviteurs de J. en passant ont dit : « Mais guette Mr T. ! Sans doute so garçons finent gagnent ène bataille là bas ! »
ldkoenig� 29/10/14 16:18Supprimé: bi
Les nouvelles de la guerre sont bien mauvaises pour la pauvre Roumanie. Voilà les Boches à Bucarest... Mais les alliés sont toujours sûrs de la victoire et le blocus de la Grèce va donner un peu de répit de ce côté. Ah ! Les monstres ! Samedi 16 décembre 1916 Une belle victoire à Verdun. Les Français ont fait plus de 9 000 prisonniers et 200 officiers. Ils ont percé le front allemand sur plusieurs points et regagné toute la partie perdue depuis l’offensive de Verdun. C’est par un télégramme reçu très tard ce soir qu’on a appris cela. Nous étions à Rose-‐Hill, Marie et moi, et Emmanuel a porté une petite note jaune annonçant la victoire de la France. En arrivant ici j’ai rencontré Gaston sur le chemin de la gare, allant à la recherche d’un Radical. Mon petit bout de télégramme est arrivé à propos – il est allé porter la bonne nouvelle au Père P. et au vieux Frère, qui ont été ravis – et demain, il va hisser le drapeau français au haut du mât ! Dimanche 24 décembre 1916 Reçu les nouvelles de France par le Calédonien. Jean était à Paris depuis 8 jours, peloté, amusé, gâté, logé par les C. et tante L. Emile toujours à Séméac, suivant son traitement, mais encore bien peu avancé quant à la main inerte. Jean et lui se sont vus pendant un jour entier, ils ont déjeuné ensemble, promené ensemble et Jean nous dit qu’il a été obligé de lui couper sa viande à table – que la blessure de son poignet est affreuse, et qu’il a 4 doigts absolument morts ! Pauvre enfant ! Pourvu que ça revienne ! Je suis bien aise qu’il passe l’hiver à l’hôpital, c’est autant de pris sur le danger de leur affreuse vie ! Tous les mois pour ainsi dire, on annonce la mort d’un nouveau Mauricien à la guerre ! Jean nous dit que son capitaine l’a nommé mitrailleur d’office et qu’il va aller faire un stage à Bayonne – de ce côté, nous avons donc encore un peu de calme, avant qu’il soit apte à se servir de sa nouvelle arme, la paix a le temps d’être signée. Les Boches commencent à n’en pouvoir plus – ils demandent la paix, mais les alliés ne veulent pas d’une paix boiteuse – et s’ils ne sont pas plus coulants, on les écrasera tout à fait ! 1er janvier 1917 Que va-‐t-‐elle nous porter cette nouvelle année ? Un seul désir un seul voeu sort du fond de mon âme. La Paix ! La fin de la guerre, la victoire enfin ! Je pense que mes deux soldats sont à l’abri pour quelques temps encore. Tous autour de moi se portent bien ! Donc je ne pense qu’à une chose la fin de cette guerre qui ronge notre vie, nous cause des soucis de toutes les minutes, nous absorbe enfin en nous faisant trembler. Vendredi 5 janvier 1917 Gaston a appris par Mr de P. que Jean est à Salonique depuis le 18 ou 20 décembre. C’est un câble d’Ernest H. à Franck qui a dit cela. Nous autres nous sommes sans nouvelles, parce que sans bateau, et nous le croyions à Bayonne en train d’apprendre le métier de mitrailleur ! Cela me fait un drôle d’effet de penser que des étrangers sont au courant avant nous de ce qui arrive à nos enfants. Mon Dieu où qu’il soit protégez mon cher garçon, ne permettez qu’il ne lui arrive rien de mal !
Lundi soir 8 janvier 1917 Nous sommes sans cuisinier, sans domestique ! Le gouvernement lève un bataillon de travailleurs qui vont aller en Egypte et en Mésopotamie remplacer ceux qui vont à la guerre. Augustin et le boy sont allés s’enrôler et je me trouve sans personne. Le Kaiser a demandé la paix sur tous les tons, mais les alliés ne pouvant accepter ses conditions, la guerre va redoubler d’intensité ! Et Jean à Salonique ! Mon Dieu que de terreurs perpétuelles dans notre vie depuis 2½ ans, que de chagrins, de soucis, de séparations. Enfin ! Mardi 13 février 1917 Le dernier courrier, il y a près d’un mois, nous a porté la photo de Jean en costume de l’armée d’Orient, avec le bonnet de police orné du croissant et de l’étoile. Il est très bien, un peu amaigri. Emile est vaguement triste à Séméac. Il meurt de froid, il y a une neige si épaisse quand il se rend à son lieu de poste que toutes les 5 minutes, il s’arrête pour gratter une semelle de neige épaisse de 10 cm à ses chaussures. Mercredi 21 février Jean est à Salonique depuis le 1er janvier. Il a passé par l’Italie dans toute sa longueur, voyage si intéressant ! A Salonique au milieu de la poussière et de la chaleur, il campe sous la tente. Quand aurons-‐nous d’autres nouvelles ? Emile toujours à Séméac à l’abri, lui, du moins. Jeudi 5 avril Emile arrive, en permission ! Reçu un câble ce matin ainsi conçu « Envoie 300 francs Ernest, arrive, permission ». Quelle joie ! Vendredi 6 avril 1917 Hier nous avons eu la surprise de voir arriver par le Calédonien non attendu encore, un monceau de lettres et de cartes de nos soldats. Emile envoie sa photographie, avec sa capote de soldat et un béret basque. C’est lui, c’est bien notre Emile de jadis, mais avec un autre air..... Quelle hâte j’ai de le voir ! Les lettres sont remplies d’espoirs et de déceptions au sujet de cette permission qui en fin de compte lui a été accordée, puisqu’il nous câble qu’il arrive. Il est allé à Lourdes, a prié à la grotte, mais ne nous dit pas s’il a trempé sa main dans l’eau miraculeuse ! Quant à mon pauvre Jean, il mène la vie la plus dure qu’on puisse imaginer en Macédoine. Où il souffre horriblement du froid intense, de la neige perpétuelle, exposé aux bombardements bulgares, faisant les patrouilles de nuit jusqu’aux avant-‐postes ennemis, essuyant la fusillade et rampant sur la neige. Je tremblais déjà en lisant dans les dépêches de Salonique les moindres actions françaises et maintenant, je le vois sans cesse, jour et nuit, exposé à tous les dangers. Mon Dieu ! J’ai confiance que vous nous le garderez et que vous ferez tourner en bien pour lui toutes ces souffrances et cette horrible campagne. Il est dans la brousse, loin de tout village, dans les montagnes et les ravins sous la pluie diluvienne ou la neige glaciale ! Mais Dieu le garde !
Mercredi 16 mai 1917 Pas d’Emile encore ! De jour en jour on annonce la Malle, mais rien ! Enfin on nous dit, maintenant, pas avant le 26. Je suis bien tourmentée ! Et surtout d’être sans nouvelles de Jean depuis le 20 février. Bientôt 3 mois ! Oh Dieu si je ne vous priais nuit et jour de me conserver mes 2 soldats, je deviendrais folle de ce manque de nouvelles. Emile au moins est en route pour Maurice, et comme le bateau est signalé aux Seychelles, c’est qu’il n’a pas coulé. Mais Jean ! Depuis 3 mois que lui est-‐il arrivé là bas en Macédoine où on se bat intensément depuis quelque temps ? Il était avec un gros rhume, dans ces montagnes, sous la neige ou la pluie. Dieu les garde, tous les 2. 24 mai 1917, jeudi On a annonce la Malle pour demain. Pourvu qu’Emile soit à bord ! Je suis si anxieuse ! 25 mai 1917 La Malle est mouillée. J’attends un télégramme de Gaston pour savoir si Emile est à bord – il est 9½ heures – et rien encore ! Tout est prêt, sa chambre, un bon déjeuner, le dessert qu’il aimait ! Même jour, 10h du soir. Ce n’est pas Emile qui est arrivé, mais Jean… Ai-‐je été saisie… Mais si heureuse de revoir mon cher garçon que je croyais si loin, sous les obus Bulgares. Blessé, malade, peut-‐être ! C’est un soulagement de le voir là, au milieu de nous, engraissé, gai, content. Mais mon pauvre Emile ! Mon coeur se serre en pensant à lui ! Mon cher fils aîné, quand aura-‐t-‐il son tour de permission ? Sa lettre nous montre qu’il n’a pas perdu tout espoir, et Jean pense qu’il a encore de la chance si son certificat de loyalisme est arrivé en France. Ah ! Qu’il puisse venir ! Nous avons autant besoin que lui de nous revoir ! Jean a été torpillé dans la Méditerrannée. Il avait pris passage à bord de l’Ernest Simon, qui a coulé en 17 minutes ! Ils ont eu juste le temps de sauter dans les radeaux. Jean a perdu toutes ses affaires, il est arrivé avec un costume, et une pièce de chaque vêtement, ce qui était sur lui enfin, plus un petit paquet de linge sale (5 pièces) sauvé au dernier moment ! Il est avec nous pour 25 jours ! 7 juin, jeudi Un câblogramme hier annonce que le Yarra a été coulé dans la Méditerrannée et avec lui tous les papiers du Consulat pour la permission d’Emile. 21 juin 1917, mercredi Jean est reparti ! Déjà finis ses 25 jours. Je suis toute découragée ! Et la perspective même de voir peut-‐être Emile bientôt ne me remonte pas ! C’est affreux ces perpétuelles séparations ! Vivre toujours sur le « Qui-‐Vive » ne rien savoir de précis. Cette guerre interminable aura empoisonné mes dernières années ! Emile arrivera aussi peut-‐être, et à peine aura-‐t-‐on eu la joie de l’avoir, qu’il faudra lui dire adieu aussi... 10 août 1917 Le Caucase nous porte des nouvelles de nos soldats. Jean encore à Bourbon ne repartira que par le Djemnah, et peut-‐être pour s’arrêter quelques semaines à Madagascar ! Tant mieux.
Plus longtemps il restera en dehors de cette infernale guerre, plus je serai heureuse ! Emile, lui, est rendu à son dépôt. Privas, dans l’Ardèche. Il nous dit qu’il est proposé pour le Service Auxilliaire et passera au conseil de Réforme à la fin du mois de mai. Déjà 2 mois révolus ! Dieu fasse qu’il obtienne de ne plus aller au front ! Sa main n’est pas guérie ! Il parle de prochaine permission. Quand ?... Dimanche 19 août 1917
Le Djemnah nous est arrivé le … sans Emile ! Mais il nous écrit qu’il attend un certificat de loyalisme. Il est attaché à la Compagnie Hors Rang et à la garde des prisonniers de guerre à Lafarge – près Privas – il espère être nommé interprète de langue anglaise. Pour cela il a passé un examen que ses chefs ont qualifié d’excellent. Le voilà donc dans le service auxiliaire. J’en suis bien heureuse ! Mais quand le reverrons-‐nous ?... Par le même bateau, nous avons eu des nouvelles de Jean ; il était encore à la Réunion et doit repartir le 20 par le Djemnah – demain donc… Quelles aventures ne va-‐t-‐il pas encore courir. Un de ses camarades – Guigné – lui a adressé à Quatre-‐Bornes une lettre que son papa a ouverte et qui nous tourmente excessivement. Ce jeune camarade semble lui dire qu’il n’a pas eu une permission bien en règle, et que ses chefs ont tout fait pour l’arrêter avant son départ sans y réussir. Qu’est ce que cela veut dire ! Nous lui écrivons à Bourbon en lui envoyant cette lettre de nous rassurer et de nous expliquer... Dieu fasse qu’il n’ait pas commis quelque étourderie ! J’ai si peur de la discipline militaire ! Hélas ! Quand est-‐ce que je cesserai de craindre et de trembler pour Jean… C’est mon continuel souci…
Lundi 27 août 1917
Malle française (Ispahan) arrivée hier dimanche. Pas de trains, pas de poste ! Nous avons attendu nos lettres ce matin et, depuis le premier train, rien encore, 11 heures ! Pas un mot de Jean ! Et Dieu sait si nous étions anxieux de sa réponse à la lettre de Guigné. Peut-‐être par le train de la journée nous aurons une lettre ! Ce serait la 1ère fois depuis la guerre qu’un bateau arriverait sans nouvelle de lui. Et Emile que nous attendons en vain depuis tant de mois ! Mais lui, ses lettres sont toujours adressées au Crédit Foncier. Gaston les portera ce soir. Les H. ont recu un câble du War Office leur annoncant que depuis le 14 Octave a disparu ! Pauvre garçon ! Il était aviateur sur le front en France ! J’espère vivement qu’on le retrouvera, et que sa maman n’aura pas trop longtemps l’angoisse de se demander s’il est mort ou vivant … Mardi 28 août 1917 Reçu des nouvelles de Jean et Emile par Ispahan. Emile versé dans le service auxiliaire définitivement et même espère être nommé interprète pour l’armée anglaise. Jean parti de Bourbon le 22 au soir, à destination de l’Europe. Il ne séjournera pas à Diego, comme il l’avait espéré. Il a été choqué, nous écrit-‐il, de notre impression sur la lettre de Guigné. Mais sa permission est bien en règle, et il n’a rien à craindre. Quel soulagement ! Il est chagrin de repartir. Ces 2 mois de séjour à Bourbon lui ont été très agréables – on l’a bien gâté. Il nous écrit qu’il est à la veille de ses 26 ans et qu’il sent l’âge entrer. J’ai trouvé un peu triste le ton de sa lettre et mon chagrin de le voir regagner Salonique, la guerre, l’hiver dans les neiges de la Macédoine s’en est accru ! Il dit que ses misères vont recommencer, et nous recommande de penser à notre gosse... et il signe Votre petit Jean ! Cora est venue me rejoindre hier et nous sommes allées chez Jeanne H. Reçues par Jeanne la fille, très aimable – et Jeanne la mère est arrivée ensuite. Elle est pleine de courage et aussi
pleine d’espoir. Ils attendent ! Pauvres gens ! Les Mauriciens partis dans l’armée anglaise n’ont pas de chance ! Ils y restent tous…
9 novembre 1917
Enfin des nouvelles de Jean et d’Emile hier par le Sydney. La santé est bonne pour tous deux mais la lettre d’Emile est du 8 septembre et celle de Jean, de Port-‐Saïd, du 20 septembre. Bientôt 2 mois ; et nous n’avons pas reçu le câble annonçant son arrivée à Marseille… Où est-‐il ? J’ai eu un affreux cauchemar à son sujet cette nuit et me suis réveillée toute tremblante ! Emile toujours à La Farge ! Il dit qu’on l’a oublié ! Il a été versé définitivement dans le service auxiliaire, mais on lui avait annoncé un poste d’interprète de l’armée anglaise et depuis 3 mois il ne voit rien venir. Il ne parle de permission que pour parler du mois d’octobre où elles reprendront. Quand le verrons-‐nous ? Et cette guerre ! Après les Russes, voilà les Italiens qui trahissent et se rendent en masse ! Les Alliés envoient des contingents à leur secours – encore un arrêt, encore un retard à la paix, hélas ! Je voudrais tant en avoir fini ! Quelle croix que cette séparation, cette angoisse du jour et de la nuit.
Mercredi 28 novembre 1917
Toujours sans nouvelles de nos soldats et il n’y aura aucun bateau avant fin décembre, dit-‐on. Il paraît que c’est le Djemnah qui revient ! Donc Jean est arrivé à bon port ! Mais pourquoi pas de câble ? Hélas nous vivons dans l’incertitude, l’ignorance de tout ce qui leur arrive et je me sens à bout de patience… Avant hier j’ai terminé une neuvaine pour obtenir la fin de la guerre… Les Italiens se sont ressaisis ! Mais la Russie est finie ! Finie pour les alliés du moins – on se tue, on se bat dans les rues, on incendie les villes. La Révolution complète, quoi ! 93… Mais les alliés ont toujours le dessus en France, dans le moment une offensive anglaise du côté de Cambrai – près de 10 000 prisonniers – tout de même, il y en a encore de ces Allemands, pour tenir tête partout ! Quand cela finira-‐t-‐il ?
20 décembre 1917 Il fait chaud depuis 2 jours ; l’été se fait sentir – il faut espérer que nos soldats ont bénéficié du temps exceptionnel que nous avons eu jusqu’ici. Nous n’avons pas eu chaud avant le 20 décembre, eux n’auront pas eu froid ! Pourtant Jean nous dit qu’il a froid, sa lettre est du 22 octobre et il ne sait que faire de ses pieds... Il était à Lorient (son dépôt) en Bretagne – une épidémie de dyssentrie retardait son départ pour les Sables d’Olonnes qui est leur station de départ. Il espérait et croyait même que c’était certain, qu’il ne repartirait pas pour Salonique et irait même sur le front français. Où est-‐il maintenant et depuis 2 mois ! Il avait fait une bonne traversée et avait traversé toute la France pour se rendre à Lorient, séjournant 3 jours à Paris, où il avait revu Pierre, Alix, tante L., Robert et même Elise. Emile, lui, était encore à La Farge, mais ayant passé un nouvel examen médical, et reconnu apte à la zone des armées, par tous les majors, il attendait son ordre de départ... Pour où ? Comme quoi ? Comment ? Sa lettre aussi est datée du 22 octobre, ils étaient bien portants tous deux, Dieu Merci, et nous n’avons qu’à les confier à Dieu, et à attendre !
Dimanche 23 décembre 1917
Nous voici à la veille de Noël. Où sont nos fils à l’heure actuelle ? Blessés, malades, exposés à coup sûr ! Mais Dieu est là et j’ai mis en lui ma confiance entière. Mes soldats seront épargnés. Pas de très grands mouvements militaires sur le front français, ces jours-‐ci. Je ne
pense pas qu’Emile, ni Jean soient en Italie où l’on se bat rudement... Si nous pouvions avoir un bateau nous portant quelque nouvelle rassurante pour notre jour de l’an ! Pauvre jour de l’an ! Et les petits ne comprennent pas bien, et s’étonnent de nous voir si anxieux, si attristés, en cette fin d’année !
26 janvier 1918, samedi
Un câble d’Emile : « Arrive Océanien ». Ah Dieu ! Enfin !… En même temps la Malle, mouillée à 2 heures de l’après midi. Aurons-‐nous nos lettres ce soir ? Et demain dimanche, pas de trains ! Je peux à peine croire que dans quelques jours nous reverrons enfin notre cher soldat après 3 ans !
Dimanche 27
Plusieurs lettres de Jean par le dernier train hier soir. Il est bien, était en permission à Paris, chez Robert de R. et pensait partir pour l’Italie à son retour aux Sables, après ses 14 jours de permission. Il ne parle que de promenades, de plaisirs, de bamboches… Quand aurons-‐nous d’autres nouvelles ? Et où sera-‐t-‐il alors ? On nous dit que l’Océanien peut être ici dans 2 jours ; mercredi peut-‐être ! Je vais arranger tout de suite la chambre d’Emile, et avec quelle joie !
Mardi 29 janvier 1918
Emile est arrivé ce matin vers 10 heures ! Beau et joli garçon, gras, rose, frais, grandi ! Quel plaisir j’ai eu à le revoir ! Et son papa ! Il avait tant attendu ce fils là ! Nous avons eu une descente de parents, d’amis – tout le monde l’a admiré, questionné, etc. Le soir, Léon, mes soeurs, Vincent et Eugène ont diné avec nous. Nous avons bu du champagne pour le fêter. Samedi 9 mars 1918 Il est probable qu’Emile ne reparte que vers le 20, par le Sydney. M. de Guigné a fait un peu de difficultés parce que le Louqsor s’en va avant, le 11 – mais le commandant du Sydney ayant affirmé que son bateau arrivera avant le Louqsor à Marseille, le brave consul a l’air de se laisser persuader, d’après une lettre express qu’il a écrit à Emile hier soir. Ce soir au Club de Quatre-‐Bornes il y a grande réunion « At home » avec invitation sur carte pour fêter « Emile T. et Léon Th. qui retournent au front ». 21 mars 1918 Emile est reparti ce matin à 9 heures ! Ces presque 2 mois ont passé si vite, que c’est à peine si j’ai eu le temps de le voir ! Dieu le garde ! Il s’en va par le Sydney. Lucien lui a payé un passage de 3ème classe, ce qui fait qu’il aura une cabine de 2nde par amabilité du commandant Cocher auquel il a été présenté et les recommandations qu’il a eues pour les officiers du bord et le commissaire lui assurent une agréable traversée. Il a été comblé de cadeaux, de douceurs par tous. Lucien lui a envoyé 500 frcs, André lui a donné plus de 150, et Edith lui a fait remettre par son mari un bracelet-‐montre qui lui a fait bien plaisir. Léon a réuni son papa, Vincent et lui dans un déjeuner à la Flore où il paraît que c’était très ordinaire, malgré
le prix. Enfin, voilà encore un sacrifice ! Un nouveau départ, de nouveaux adieux ! Quand le reverrons-‐nous… Pas de nouvelles de Jean depuis le 11 janvier ! Où est-‐il maintenant ? Son papa a chargé Emile de lui faire parvenir 50 francs. Mes pauvres soldats ! Maintenant je sais ce qu’ils ont à souffrir, et les dangers qu’ils courent, hélas !
23 mars 1918
La grande offensive a commencé le 21 mars. Les Allemands ont bousculé les Anglais, et bombardent Paris de ¼ d’heure en ¼ d’heure ! Les Français sont arrivés à leur secours, à ces Potish… et la situation est sauvée d’après un officiel du Général Haig – où est Jean là-‐dedans ? Mon Dieu ! Quelle anxiété, pour nous, les nouvelles sont encore si graves… Ces Boches avancent, avancent toujours. Les villes et villages sont pris les uns après les autres ; ils sont rendus à leurs anciennes lignes de 1916 !
Dimanche 23 juin 1918
Pas de nouvelles de France ! Depuis le câble reçu de Marseille en date du 12 mai nous disant qu’Emile y était arrivé, nous ne savons rien d’eux. Où est Jean ? Nous sommes à la 3ème grande offensive allemande ! Cette fois ils sont rentrés à Château-‐Thiéry et veulent arriver à Compiègne ! Il y a depuis quelques jours une grande offensive autrichienne ! Mais les Italiens ne lâchent pas pied et les Franco-‐Anglais les aident à repousser les avances autrichiennes. Quant en aurons-‐nous fini ? Aucune nouvelle de Jean et d’Emile. C’est le plus dur ! Je ne cesse de rêver à eux, de voir Jean blessé. Pour Emile même, je ne me sens plus aucune sécurité !
Mardi 16 juillet 1918
On avait parlé de l’arrivée du Sydney pour hier. Mais non, ce sera pour la fin du mois ! Il y aura eu 5 mois de la dernière lettre de Jean ! Qu’est-‐il devenu pendant ce temps, par quelles souffrances, quelles misères n’aura-‐t-‐il pas passé ? Voici 2 mois aussi qu’Emile est en France, de lui non plus pas de nouvelles ! Pourvu qu’il n’invente pas de s’engager dans l’armée active et de partir pour le front. Avec sa main inerte, il serait si exposé ! Dieu les garde !
Mercredi 14 août 1918
Enfin le Sydney est arrivé ce matin. J’étais agitée, anxieuse depuis ce matin, enfin, à 2½ heures les premières lettres sont arrivées portées par Jamin qui était allé à la gare attendre le train. J’ai presque pleuré d’attendrissement en voyant l’écriture de Jean. La 1ère lettre ouverte était datée du 14 juin. A peine lue, j’ai envoyé Jamin téléphoner à Gaston qu’il était en bonne santé, mais au front, hélas ! Depuis le 4 avril ! Où ? Bon Dieu ! Emile bien, à Lafarge.
Jeudi 22 août 1918
Nous recevons encore des lettres restées de l’arrière. Il y a eu un bateau japonais acheté par les Messageries Maritimes qui, en quittant Port Louis, a pris feu – la correspondance a été très abimée. Le Sydney a recueilli son courrier au passage et cela nous a fait un monceau de lettres dont le dépouillement dure encore ! Hier soir nous avons eu mot de Jean encore, daté du 1er mai. Il écrit, de la tranchée, tout couvert de boue ! Il n’a même pas le temps de se laver les mains ! Pauvre cher ! Il nous dit que si nous voyons l’enfer où il est nous aurions pitié de
notre gosse ! Il parle des environs de Reims, de la pluie de fer et de feu qui leur tombe dessus, il en est, dit-‐il, épouvanté ! 7 000 obus en un jour ! Ensuite il change de lieu, même de secteur, même de régiment ! Le dernier est le 101ème d’Infanterie, le secteur Postal 38 et dans la Section des Mortiers 85 m/m. Il parle de son beau canon que toutes les grosses légumes du ministère viennent admirer. Il parle du canon « stop » toujours en 1ère ligne dont il est ! Nous avons reçu de lui, sans compter les cartes postales à ses soeurs, 19 lettres du 29 mars au 14 juin. Il y a une ou deux lacunes, ce qui fait que j’attends encore des lettres qui traînent par là. M. L., le Colonial Post Master que j’ai vu chez Lucien deux fois, me disait qu’il avait encore un fort dépouillement à faire.
Jeudi 17 octobre 1918
Pas de nouvelles de France depuis le 7 juillet. Jean toujours au front. Où ? En Champagne sans doute toujours. Emile à Lafarge. Par un navire anglais The Governor nous avons eu une vieille lettre de Jean datée du 6 juin dans laquelle il nous dit qu’il vit avec son masque sur la figure à cause des obus à gaz qui pleuvent autour d’eux. Il parle toujours de son fameux canon (la pièce des as) que les ministres viennent admirer de Paris. Son Régiment et lui, dit-‐il, ressemblent à un troupeau de porcs avec leur museau pointu. Même jour (17 octobre) Mme C. au téléphone nous annonce que Gaston vient de lui téléphoner que le Kaiser a abdiqué et que les Allemands se sont rendus sans conditions ! Elle ajoute que Port-‐Louis a pavoisé partout et qu’à Quatre-‐Bornes c’est un délire ! Mais Rivaltz nous refroidit un peu en nous disant que c’est un télégramme d’Amsterdam. Tout de même, arrivée à Passy1, je fais hisser le drapeau français. A 4 heures, en arrivant de la ville, Gaston nous apprend que la nouvelle a été démentie ! 1er novembre 1918 La Turquie s’est rendue sans condition ! L’Autriche veut faire une paix séparée. Les Allemands vont rester seuls avec leur déshonneur ! Pas de nouvelles de mes soldats depuis le 7 juillet ! Lundi 12 novembre 1918
L’armistice est signé ! Finie la guerre. Toutes les cloches ont sonné hier soir vers 10 h. C’était émouvant. Gaston a envoyé un câble à Ernest pour avoir des nouvelles de nos soldats. On pavoise partout. Notre drapeau français flotte sur Passy.
23 novembre 1918
Reçu la réponse d’Ernest au câble du 12. Un seul mot : Bien. Sydney arrive ce même jour avec beaucoup de lettres. Jean a été intoxiqué par les gaz le 26 juillet. Depuis le 14, il subissait en Champagne les derniers assauts boches, d’abord sur le Mont Cornillet, puis un peu plus loin – il a été fait prisonnier pendant ½ heure... Sa lettre est très interressante ! Une vraie page d’histoire… Emile a eu l’influenza espagnole. Dieu merci le câble vient tout corriger !
1 Nom de leur maison.
ldkoenig� 29/10/14 16:07Mis en forme: Français
ldkoenig� 29/10/14 16:20Supprimé:
ldkoenig� 29/10/14 16:07Mis en forme: Français
Noel 1918 La guerre est finie ; la pensée des soldats Emile et Jean ne nous angoisse plus. Lundi 28 déc/18 La Cordillère est arrivée si tard hier, que nous avons vu se succéder tous les trains sans recevoir une seule lettre de France. Mais après 6½ heures, M. M., que Dieu bénisse, nous a envoyé les lettres de Jean qu’il a eu la bonne idée de prendre à la poste en ville. Mon cher garçon est tout à fait remis de son intoxication et était au 17 novembre à Fontenay-‐le-‐Comte (en Vendée) d’où il devait partir pour le Midi. Il a fait valoir ses droits de Colonial et ira hiverner au chaud. Il parle même de l’Algérie. Emile écrivant ses lettres au Crédit Foncier, ce n’est que ce soir que nous les avons eues. Gaston un peu malade a envoyé Jo les chercher. Lui aussi est bien. Toujours à La Farge, mais espérant n’y plus rester longtemps. Il s’agissait d’un poste de professeur d’Anglais dans l’armée. Ça n’est pas tout à fait la même chose qu’interprète, mais enfin c’est toujours du changement, c’est ce qu’il désirait par-‐dessus tout ! Leurs lettres sont bien intéressantes ! Emile surtout cette fois, parce que sa dernière lettre est après l’armistice et il nous parle de l’enthousiasme universel qu’il partage, du beau rôle de l’armée française, des illuminations, pavoisements, des cloches sonnant à toute volée, de la plus petite chapelle à la plus magnifique cathédrale. Il nous parle aussi d’un projet qu’il veut soumettre à Robert de R. Il s’agit de suivre les cours à l’école de Grignon et de prendre le brevet d’ingénieur agronome – pour cela il lui faut 2 ans d’internat. Jean aussi a l’air de vouloir chercher à se caser en France. C’était inévitable ! Et nous ne devons voir que leur intérêt. Mercredi 1er janvier 1919 Nous recevons toute la famille à déjeuner. C’est la 1ère réception du jour de l’an depuis celle qui a précédé de si peu le départ de Jean, puis d’Emile pour la guerre. Les années qui ont suivi, nous avons voulu être seuls… Maintenant, la guerre finie, nos soldats guéris, et sains et saufs, nous reprenons les vieilles traditions. Retrouverons–nous jamais sur la terre la réunion complète ?... Si mes 2 fils aînés restent en France ? Samedi 1er mars 1919 La Queen Mary, arrivée de la Réunion hier soir, nous porte le courrier de la ville d’Alger. Une seule lettre jusqu’ici de Jean, nous annonçant qu’il a été décoré de la Croix de Guerre ! Sa lettre est datée du 22 décembre, et c’est le mardi précédent qu’on la lui a remise, solennellement à une prise d’armes. Nous sommes tout fiers et voudrions bien apprendre qu’on a enfin décoré Emile aussi. Jean nous parle de lui et nous raconte que son frère le Professeur est à Paris et habite les Champs-‐Elysées. Lui Jean est en service à Bordeaux où il a un service de patrouille de nuit de 10h à 1h du matin, ce qui fait qu’il travaille dans une brasserie où il gagne 11 francs par jour. Je suis impatiente d’avoir des lettres d’Emile, peut-‐être par un train de l’après midi.
3 mars 1919, lundi Avant-‐hier, au moment où nous finissions de lire les lettres de Jean, arrive un homme de la Poste nous portant un câble d’Ernest H. nous disant « Jean parti Constantinople ». Que va-‐t-‐il faire là bas ! Mon Dieu ! Nous comptons sur d’autres lettres plus explicatives ou bien laissant prévoir un projet de changement de garnison, mais rien ! Rien d’Emile, rien du tout. Je cherche dans tous les ouvrages de la bibliothèque ce qui a rapport à Constantinople ! Jean est parti à Bordeaux et, en se mettant devant la carte d’Europe, on voit les 2 extrémités de l’Europe. Bordeaux sur l’Océan Atlantique et Constantinople sur la Mer Noire ! S’il a fait le voyage par mer, c’est 5 jours de traversée et à peu près la même route qu’il a suivie pour aller à Salonique en 1916. Mais s’il est parti en chemin de fer, que de pays a-‐t-‐il traversé ? En aura-‐t-‐il vu des pays ! La Poste ! C’est un express delivery du Crédit Foncier nous portant une lettre d’Emile. Une seule ! Du 12 décembre. Il est à Paris, il est affecté à la 20e Section des Secrétaires d’Etat Major et de Recrutement à Paris et est détaché au ministère de l’Armement et des Fabrications de Guerre (actuellement ministère de Reconstruction Industrielle) pour faire des cours d’Anglais aux employés des deux sexes de ce ministère. Il dit qu’il apprécie fort ce nouveau poste. Moi je crois qu’il ne sera pas bien récréatif ! Lundi 9 mars 1919 Ouf ! Gaston est parti, emmenant le courrier pour la France. Il y a un bateau quelconque, et nous en profitons pour féliciter Jean de sa Croix de Guerre et Emile de sa promotion qui le fixe à Paris. Et pas de bateaux ! Depuis La Cordillère, en décembre, il n’y en a pas eu un seul. Nos lettres nous sont venues de la Réunion par le Queen Mary, qui nous a porté le courrier d’un navire français arrivé récemment à Bourbon. On nous annonce une seconde occasion par la même voie ces jours-‐ci. Que j’ai hâte de savoir quelque chose encore de mes soldats. Emile dit qu’ils ne seront pas démobilisés de sitôt ! Et Jean est si loin ! Mardi 18 mars 1919 La Queen Mary est revenue encore une fois de la Réunion, mais ne nous a rien porté de nos soldats, bien que l’on ait reçu les lettres, des journaux provenant d’un bateau français arrivé à Bourbon la semaine dernière. Il y a quatre jours, nous avons reçu une lettre de Jean datée du 12 janvier. Il nous parle de son émotion de la veille, quand on a annoncé au Rapport, que tous les coloniaux devaient se présenter au bureau le surlendemain pour faire valoir leurs droits à la démobilisation ; il attendait avec impatience le résultat du mouvement, et nous dit : « Un câble vous préviendra aussitôt, si la chose a lieu. Emile profitera comme moi du privilège ». Ce câble, n’est-‐ce pas celui que nous a envoyé Ernest le 23 février ? Jean serait alors parti à bord du Constantinople, et non pas pour Constantinople ? Comment savoir ? Depuis ce moment l’idée de son retour me poursuit, et hier Agnès est encore venue me donner un nouvel espoir, en me racontant que Léon avait saisi en chemin de fer une phrase d’un voyageur à son compagnon qui avait l’air de dire qu’ils attendaient quelqu’un par le Constantinople ! Gaston a téléphoné chez Blyth qui lui a répondu qu’il n’y avait aucun bateau des Messageries Maritimes portant ce nom. Je reste en suspens ! Et n’ose espérer. Ce serait si bon, ce retour ! Jean semble en avoir bien envie aussi ; il nous dit « il y a près de 2 ans que je suis en France, et je n’ai pas l’habitude de rester si longtemps loin des miens ».
Pauvre chou ! Nous aussi nous trouvons bien dur de les avoir toujours loin de nous, tous les deux. Mardi 19 mars 1919 Gaston a envoyé interviewer ce M. R. qui en chemin de fer a parlé du Constantinople devant Léon. Celui-‐ci a mal compris, il s’agissait de lettres arrivant de Constantinople. Mes espérances sont à vau l’eau ou peu s’en faut. Attendons ! Lundi 7 avril 1919 L’anniversaire de Gaston. 59 ans. Où sont nos fils ? Que de fêtes, d’anniversaires, sans eux, les aînés. Dieu permettra-‐t-‐il que nous soyons réunis tous un jour sur cette terre ? Nous les avons revus, certainement pendant ces 4 ans, mais pas ensemble. On attend l’Orénoque le 12. Il a quitté Marseille le 8 mars. Aurons-‐nous des lettres de Jean ? L’Europe est toujours sens dessus dessous ! Malgré l’armistice. Du reste, les Boches ne veulent pas en remplir honnêtement les conditions. Ce sont des tricheries, des regimbements. Le bolchévisme se répand partout et partout les alliés envoient des troupes pour mettre l’ordre. Cela nous explique un peu le départ de Jean pour Constantinople. Alors ! La guerre n’est pas finie pour nous. On se tue et s’entretue toujours, en Allemagne et ailleurs. Pourtant les câblogrammes disent que les préliminaires de la paix seront signés vers le 15 avril. Lundi 14 avril 1919 Pas de Malle encore, c’est pour demain dit-‐on. Pas de grandes nouvelles politiques dans le moment, sauf que M. Wilson boude parce qu’on ne se tient pas à ses 14 points. J’espère que la France ne se laissera pas intimider ! Malheureusement, quel pauvre gouvernement elle a ! 16 avril 1919 Une lettre d’Emile. Rien de Jean. Pas de Malle encore. Cette lettre d’Emile nous est arrivée par un bateau anglais. Il venait de recevoir la nouvelle de la suppression de ses cours d’Anglais et en semblait tout abattu ! Il se plaint de l’hiver, de la pluie, de la neige ! Il rêve des pays chauds et a le spleen en pensant au soleil et aux fleurs. S’il est démobilisé bientôt, il reviendra à Maurice pour nous revoir, puis cherchera dans une colonie plus clémente une situation proportionnée à ses justes ambitions. Vendredi 18 avril A notre retour de St Jean ce matin, nous avons eu une carte de Jean. Une seule, nous disant qu’il n’est pas parti pour Constantinople. Pas beaucoup de détails. Nous attendons ses autres lettres avec impatience. Dimanche 27 avril 1919
ldkoenig� 29/10/14 16:23Supprimé:
Rien n’est arrivé de plus ! Pas un mot d’Emile, pas autre chose que sa carte du 24 février. Gaston et moi en sommes tout tracassés. Pourquoi Emile a-‐t-‐il manqué la Malle ? Cet Orénoque avait 11 cas de maladie espagnole à son bord. On ne lui a pas donné la pratique et, 3 jours après son arrivée, il est allé débarquer ses passagers à l’Ile Plate. Voilà ce fléau à nos portes ! On ne parle plus que de cela à Maurice, et les journaux, qui noircissent du papier depuis des mois à ce sujet, provoquent l’alarme et font peur à tout le monde. Est-‐ce la cause du mutisme d’Emile aussi ? Mais Jean écrivait à ses tantes, il y a 3 mois, qu’Emile avait eu la grippe Espagnole. Lui, n’en parle pas, mais depuis quelques temps nous recevons si peu de lettres ! Dimanche 14 juin 1919 Pendant ce temps le câble est rompu, pas un télégramme ! Que devient la paix ? Et mes pauvres soldats là bas ? Quand les reverrons-‐nous, mon Dieu ? Lundi 16 juin 1919 Ce matin, le cuisinier arrivant du village2 m’annonce que la paix est signée depuis le 13 ! Si c’était vrai ! Avant-‐hier soir vers 10 heures, j’ai entendu des cris, des hurrahs, des chants du côté du Board, et me suis demandée si c’était une noce chez un Anglais par là, ou bien si un télégramme quelconque était arrivé annonçant la signature de la paix ! C’étaient peut être les marins russes de l’Orel qui se réjouissaient d’une nouvelle privée ! J’attends un câble, une lettre n’importe quoi de mes soldats ! La Paix ! Si c’était vrai ! Lundi 20 juin 1919 Pas de paix ! On leur a donné jusqu’au 18 pour se décider à signer ou bien Foch marche sur Berlin ! Mardi 24 juin 1919 Il circule des bruits de paix. Dieu fasse que cela soit vrai ! A ma rentrée à la maison, je vois des pavoisements à droite et à gauche et croise un cortège de bambins accordéon en tête et chantant la Marseillaise et, à Passy, Gaston rentré avant moi, a hissé son drapeau français et je remercie Dieu qui a épargné mes fils pendant ces 5 années ! Samedi 19 juillet 1919 C’est aujourd’hui la date officielle pour les réjouissances publiques en l’honneur de la paix. Joseph et Jamin sont du matin au soir hors de la maison, décorant, pavoisant etc. Nous avons hissé notre drapeau, et ajouté un autre au bout d’un long bambou sous le pavillon dit La Broderie, et de même au-‐dessus du bureau de Gaston. Il fait un temps radieux, à 5 heures nous sommes allés au Club, gentiment décoré, où le « Rejoicing Commitee » organisait des jeux, des courses (avec prix). A la nuit nous sommes rentrés pour dîner, après avoir assisté à la plantation de l’Arbre de la Victoire, un pauvre petit pin qui aurait pu être mieux choisi ! Le gouverneur par interim y assistait (Middleton), pas de musique ! Une réunion assez animée par l’entrain des enfants, mais rien de remarquable. Ce 2 Quatre-Bornes.
ldkoenig� 29/10/14 16:07Mis en forme: Français
soir, promenade à travers les rues, pour voir la maigre illumination place de la gare, et au Board. Agnès et les enfants voulaient aller à Rose-‐Hill où l’on annonçait des merveilles mais Gaston et moi avons trouvé peu prudent, et Julie s’y opposant aussi, il a fallu renoncer. Et voilà la paix signée, ratifiée ! Mais pas de nouvelles d’Emile et de Jean ! Ont-‐ils passé sous l’arc de Triomphe le 14 juillet, faisant partie des 85 000 poilus défilant avec Foch à leur tête ! Comme les illustrations vont être intéressantes à voir ! Et les lettres des enfants ! Que je voudrais avoir de leurs nouvelles. Il me semble qu’ils sont perdus. Depuis le 16 avril, pas de bateaux et leurs lettres dataient de janvier et février ! Quand la démobilisation ? Vendredi 25 juillet 1919 Avant-‐hier, nous avons eu plusieurs lettres de Jean. Mais rien absolument d’Emile. Du 19 mars au 1er juin, Jean était en Alsace, presque sur la frontière suisse, à Altkirch, Montreux-‐Vieux etc. Mais Emile ? Jean nous dit qu’il est démobilisé ! Et depuis longtemps ! Alors ? Pas de lettre, pas de câble, rien ? Attendons le prochain courrier. Quand ? Lundi 4 aoôt On annonce le Kuang-‐Li pour mercredi 6. Aurons-‐nous des lettres d’Emile enfin ? Jeudi 14 août 1919 Vendredi dernier le Kuang-‐Li est arrivé ; nous avons vu le pavillon à la gare et, de train en train, j’ai envoyé chercher mes lettres. Ce n’est que vers 5 heures du soir qu’elles sont arrivées et c’est Gaston qui les a prises à la poste en passant. Rien d’Emile, rien ! Une douzaine de lettres et cartes de Jean. Emile est, dit Jean, démobilisé depuis les 1ers jours d’avril ! Mais que sont devenues les lettres d’Emile ? Je ne puis croire qu’il soit resté de janvier à juin (dernière lettre de Jean) sans nous écrire un mot. Tout cela traîne par là ! Vendredi même, 8 août, nous avons reçu un câble : « Envoie 400 francs, Houlgate, Civil, T. » Le câble est daté du 5 août, Houlgate. Lequel des deux l’expédie ? Mercredi 27 août 1919 Jean était sur les bords du Rhin, au 2 juillet, l’arme au poing, quelques jours avant, attendant le signal pour envahir l’Allemagne à la suite de Foch. Il avoue qu’il était nerveux, anxieux. Aussi quel délice à la nouvelle de la signature de la paix ! Il pensait être démobilisé le 10 juillet à Paris et serait tout rendu pour les fêtes de la Paix le 14. Il ne pense pas trouver quelque chose à faire en France, et semble bien décidé à nous revenir. Oh ! Qu’il revienne, lui au moins ! Et que notre vieillesse ne soit pas privée de la présence de nos deux fils aînés. Quelle hâte de les revoir ! Quelle impatience anxieuse ! 1er octobre 1919, mercredi Les jours passent, nous ne recevons rien de nos fils, ils disent tous deux qu’un câble nous avertira de leur embarquement, et rien n’arrive. Patience ! Celui qui sait attendre verra se réaliser son espoir. Attendons. 29 octobre 1919
ldkoenig� 29/10/14 16:24Supprimé:
Emile est à Tamatave depuis le 16 sepembre. Une lettre de lui, reçue par le Louqsor, et qu’il avait confiée à un démobilisé comme lui, W. A., nous l’apprend. 4 novembre 1919 Tout à l’heure, Alfred C. m’a envoyé un câble reçu ce matin de Paulin : « Embarqué aujourd’hui (Orénoque) Jean est à bord, préviens oncle Gaston ». Le télégramme est daté du 1er novembre. Encore quelques jours, et nous le tenons enfin ! Je ne puis croire à tant de joie ! 5 novembre 1919 Autre câble de Paulin. Ils quittent la Réunion à 16 heures aujourd’hui, et seront à Maurice demain jeudi. Nous irons tous à bord ! Claire et Roger L. attendent leurs frères aussi, et Roger est venu nous voir hier soir pour causer de l’Orénoque. Il me promet de téléphoner au point du jour au bureau du port pour savoir si la Malle est signalée, parce qu’il paraît que l’on aurait télégraphié à Bourbon pour lui dire de remettre son arrivée à vendredi à cause de l’encombrement de la rade. Jeudi 16 novembre 1919 Jean est rendu, nous sommes allés en auto de chercher et le ramener. Enfin le voilà at home, Deo Gratias ! Il a vu Emile et a passé 3 jours à Tamatave. C’est un chagrin au milieu de notre joie, que l’absence de notre fils aîné. Quand pourra-‐t-‐il nous arriver pour une visite au moins ? Je suis allée à bord avec Gaston et tous les enfants. Dieu soit béni, nous tenons notre poilu, et l’autre est en sûreté ! Ainsi se termine, dans le journal de Mme T., l’évocation de la guerre, Jean étant de retour à Maurice et Emile ayant pris de l’emploi à Madagascar.
Eugene L. Erskine LindopM C
Remembered with HonourBasra War Cemetery
In Memory of
Captain
41st Dogras who died on 30 January 1916 Age 32
Son of Lt. Col. Lindop; husband of Edith Lindop, of Three Arts Club, 19A, Marylebone Rd., London.
Le contingent de travailleurs mauriciens (Mésopotamie)
Mauritius Labour Batallion
En entrant triomphalement dans Bagdad, mercredi dernier, et, quelques jours plus tôt dans la ville deBassorah, les forces américano-britanniques ont permis aux occidentaux de prendre une singulièrerevanche sur leur histoire militaire. Une revanche qu'ils ruminaient depuis la première guerre mondiale- la Grande Guerre de 1914 - 1918 - soit à plus d'un siècle.
En effet, les Anglais, en particulier, versèrent sang et sueurs pour s'emparer du pétrole irakien dès ledébut du siècle dernier et, pour arriver à sa fin, l'Empire britannique mit à forte contribution sescolonies, dont l'île Maurice faisait alors partie. C'est ainsi que, selon des statistiques compilées dans lesarchives britanniques, environ soixante-huit de nos compatriotes ont été tués dans des combats engagésen Irak lors de ce qui fut appelé à l'époque "La campagne de Mésopotamie".
Présentée à nos vénérables ancêtres comme une "guerre de libération" contre la mainmise desOttomans (les Turcs), la "Campagne de Mésopotamie (ancien nom de l'Irak)" fut, essentiellement, selonC.R.M.F Cruttwell, auteur de "A history of of the Great War of 1914 - 1918" (publié en 1982), "uneguerre visant à s'assurer le contrôle du terminal de l'Anglo - Persian Oil Company de la région deBassorah et du Shat-El-Arab, au confluent de l'Euphrate et du Tigre, jusqu'au bord de la Mer Rouge".
La première guerre mondiale opposa les puissances européennes, l'entente cordiale Grande Bretagne -France (rejointe bien plus tard par les États-Unis) à l'Axe Allemagne - l'Empire Austro-hongrois - LaTurquie. Au tout début, ayant fort à faire avec les Allemands sur le continent, l'Angleterre, fidèle à sonhabitude, adopta deux méthodes afin de conquérir l'Irak. Sa stratégie, selon Cruttwell, consista àengager de serviles régiments de son armée indienne coloniale et, ensuite, d'exploiter les Arabes eux-mêmes qui voulaient en finir avec la domination turque mais tout en leur cachant ses véritablesmotivations. Toujours selon l'historien Cruttwell, "the British Government decided to encourage Arabaspirations as far as possible without making any definite commitment".
Cruttwell, qui fut lui-même un officier de la 1st/4th Royal Berkshire Regiment qui servi en Francependant la guerre et qui devint par la suite un agent du renseignement britannique au War Office deLondres, révéla la duplicité du gouvernement anglais en ces termes : "To this end (c'est -à-direl'incitation des Arabes à se soulever contre leurs oppresseurs turcs sans prendre vis-à-vis d'eux enengagement définitif) a proclamation written in a kind of bastard biblical jargon had been prepared forthe inhabitants giving such elusive hopes to the Arabs, as could subsequently be repudiated…"
La campagne de Mesopotamie débuta dès 1914 soit presqu'en même temps que commencèrent leshostilités en Europe. Au tout début, elle fut pour les forces britanniques et leurs contingents de sujetscoloniaux qu'une promenade de santé. Comme Jéricho, la région de Bassorah tomba "almost at thesound of the trumpet", nota Cruttwell.
Selon Sir Charles Lucas, auteur lui de "The Empire at war" (volume IV)
"l'appetit venant en mangeant", d'audacieux et aventureux généraux anglais, à l'instar de Townsend,jettèrent très vite leurs dévolus sur les champs pétroliers irakiens du nord et c'est ainsi que soldatsbritanniques et indiens s'élancèrent vers Tirkrit et Mossoul. Ce fut une très grave erreur. Leurs marchesfurent parsemées d'embûches. Ils furent sérieusement ralentis par les grosses pluies, les tempêtes desables, les inondations et nombre d'entre eux périrent de maladies (malaria et typhoïde). Commandéspar de mauvais généraux aux tactiques militaires mal planifiés, ces vaillants soldats de sa Majesté, un
peu comme les forces américaines récemment, évitèrent soigneusement de livrer de grands combats encontournant les grandes villes hostiles, et foncèrent directement vers Bagdad. Là, après cinq mois desiège, ils engagèrent, le 22 novembre 1915, la bataille de Ctesiphon. Cette bataille est passée dansl'histoire militaire de la Grande Bretagne comme un des plus grands désastres, une boucherie. Selon SirCharles Lucas, "à Ctesiphon, les troupes turques, commandés par le général Nur - Ul - Din infligèrentune terrible défaite à l'armée britannique. Celle-ci recensa 4500 morts. Dans les semaines quisuivirent 10,000 combattants britanniques furent capturés et des milliers d'autres mis en fuite errèrentpendant longtemps dans le désert où ils furent rattrapés, torturés et assassinés".
Les forces britanniques, mieux organisées et renforcés par des régiments de soldats indiens etMauriciens revinrent à la charge à partir de mars 1917 et après d'âpres batailles, finirent par capturer lacapitale irakienne un mois plus tard. Ce qui leur permit ensuite d'envahir tout le nord du pays. Par lasuite, dans le sillage de la décolonisation, les Anglais furent contraints de mettre fin à leur protectoraten 1958, date à laquelle l'Irak devint une république autonome non sans avoir été dépossédé des richeschamps pétrolifères du Koweït.
En tant que sujets coloniaux britanniques, des soldats mauriciens en Mésopotamie participèrentactivement à la campagne de Mésopotamie. Ils étaient répartis en deux groupes distincts. D'un côté, il yavait les "volontaires" et de l'autre les enrôlés du Mauritius Labour Battalion.
Le premier groupe était en fait composé essentiellement des personnes venant des communautés francoet anglo-mauricien. Le poète et écrivain Robert Edward Hart, réputé humaniste hors pair mais qui,semble-t-il, n'était pas exempt de certains préjugés de classe tenaces écrivit par la suite que les soldatsdu premier groupe étaient des personnes "éclairées qui se portèrent volontaires et qui étaient parties àleurs propres frais intégrer les armées britanniques ou françaises - y compris les régiments impériauxou coloniaux - généralement en qualité d'officiers". Ce corps de volontaires comprenait plusieursmédecins dont les docteurs Arthur Célestin, Clifford Mayer et Raoul Leblanc.
Pour sa part, le Mauritius Labour Battalion fut mis sur pied par le biais d'une Proclamation duGouverneur, Sir Hesketh Bell, en novembre 1915. Le premier contingent de ce Battalion quitta l'îleMaurice pour la Mésopotamie le 10 janvier 1916. D'autres contingents suivirent en avril 1917 et undernier groupe de 350 hommes s'embarqua en juin 1918. Au total, 1700 Mauriciens s'engagèrent ausein du Mauritius Labour Battalion et c'est parmi eux qu'on dénombra le plus grand nombre de tués auxcombats, soit soixante-huit soldats.
Le premier contingent du Battalion fut affecté aux travaux de remise en état du port de Bassorah. Lereste se vit confier d'autres tâches, dont celle de la surveillance des installations pétrolifères et desroutes du nord du pays. Après la guerre (fin 1918) ce contingent demeura encore une année enMésopotamie puis rentra à Maurice après un court transit en Egypte. Parmi les officiers du MauritiusLabour Battalion se retrouvèrent MM. Gantit, Le Merle, Le Menu et O'Connor.
Le sous-lieutenant William B.S. D'Avray, fils du recteur anglais du Collège Royal, se porta luivolontaire au sein du XXXII Sikh Regiment de l'armée indienne. Il mourut les armes à la main à lafameuse bataille de Ctésiphon le 22 novembre 1915. Une plaque commémorative érigée à sa mémoirese trouve en l'église anglicane de St. Paul, à la Caverne, Vacoas.
En ce début du 19e siècle, les préjugés sociaux sont tenaces et cela se reflète dans les agissements desautorités. C'est ainsi qu'il y a des différences de traitements très visibles vis-à-vis des Mauriciensengagés dans la guerre. Le 21 mars 1917, le gouverneur Sir Hesketh Bell offre un déjeuner au Chateaudu Réduit. Mais, seul y est convié le contingent de "volontaires". Dans son livre intitulé "Lesvolontaires Mauriciens à la Guerre", Robert Edward Hart se croit obligé d'expliquer dans les termes quisuivent pourquoi l'effort de guerre des Mauriciens n'a pas été plus conséquent : "L'île Maurice, écrivit-t-il, est une île de population singulièrement hétérogène qui représente en chiffres ronds 370 000 âmes,
dont 260 000 Indiens sans parler des Chinois et autres alliés et peut-être à peine 2,000 individusappartenants aux classes éclairés et dirigeants. Or, c'est une minorité… qui sont issus, à part lesvaillants combattants du Mauritius Labour Battalion, tous ceux qui ont servi aux armes". Cettedifférence de traitement envers ces vaillants combattants allait par la suite se traduire par leur exclusiontotale de la liste du monument dédié aux morts érigé devant le Collège Royal.
Dans son livre "The Empire at war" (volume IV) l'écrivain Sir Charles Lucas parle du MauritiusLabour Battalion en ces termes "they were coloured Mauritians, officered by white men, served in alabour battalion…"
Certains soldats et proferssionnels mauriciens se firent remarquer en Irak pour leurs talents autrementplus prononcé que celui du maniement des armes. C'est ainsi que le docteur Raoul Leblanc qui étaitparti pour Badgad en mars 1917 y devint bactériologiste. Selon Robert Edward Hart, ce bon docteurLeblanc faillit de peu mourir lui-même d'une variole contractée alors qu'il était au chevet de sesmalades. Le journal mauricien Le Radical fit état à l'époque du cas d'un certain M. Fuyard. Ce petitapprenti - ouvrier aux ateliers de Plaine Lauzun qui ne touchait que 50 sous par jour s'était enrôlé dansle premier contingent de travailleurs. Il obtint à Bagdad un emploi qui lui rapporta des salaires de 200par mois. Ce qui était une petite fortune à l'époque.
Notons enfin que, comme dans tout conflit, la Grande Guerre ne fut pas exempte de positionnementopportuniste. Ainsi, à défaut de parler de l'inévitabilité de la guerre de 1914 - 1918, une communautéreligieuse bien spécifique présente à Maurice et qui, de prime abord, pouvait se sentir procheculturellement des Irakiens, mais dont finalement, l'allégeance était partagée, se crut obliger de précisersa loyauté envers le gouvernement britannique à travers un communiqué publier dans les journauxmauriciens dans lequel elle affirma "n'éprouver aucune sympathie pour l'Allemagne !".
Le Week End 13 avril 2003
Source : http://iels.intnet.mu/13avril03_ww1.htm
L'ILE MAURICE DANS LA GRANDE GUERRE
Résumé
En août 1914, l'entrée en guerre des puissances européennes entraîne de nombreux pays dans un long et douloureux conflit qui prend une dimension mondiale.L'Ile Maurice, petite colonie anglaise de l'océan Indien, se trouve bien éloignée des champs de bataille. Cependant, dès l'annonce de la déclaration de guerre, la colonie mobilise.De 1914-1918, sur les 373 000 mauriciens qui vivent à l'époque dans l'île, environ 2220 hommes vont participer à la Première Guerre Mondiale.-520 s'engagent volontairement dans le Mauritius Volunteer Corps : ils combattent soit dans l'armée française, soit dans l'armée anglaise, dans l'infanterie, l'aviation ou la Marine.Les engagés volontaires se retrouvent sur différents champs de bataille : dans le Nord de la France, dans l'actuelle Turquie, au Moyen-Orient...-1700 hommes forment le Mauritius Labour Battalion ; ces hommes sont des travailleurs qui effectuent de nombreuses tâches pour aider les soldats (construction, réparation, transport des vivres...). Ils sont acheminés en bateau vers l'Irak actuel (Moyen-Orient).Une milice locale de volontaires se constitue aussi sur place pour défendre l'île après le retrait de la garnison anglaise.Dans l'île Maurice, de moins en moins de bateaux arrivent à Port-Louis, les habitants doivent faire face à des pénuries, notamment alimentaires. Mais les Mauriciens réussissent à survivre grâce aux nombreuses cultures vivrières.L'île Maurice participe aussi à l'effort de guerre d'un point de vue économique par de nombreuses souscriptions et dons privés notamment de la part des planteurs sucriers. On estime le total de ces contributions à 2.3 millions de Roupies.Plus d'une centaine de poilus ou tommie mauriciens ne reviendront pas sur leur île natale.L'Ile Maurice conserve la mémoire de ces soldats morts pendant la Grande Guerre avec le monument aux morts de Curepipe, le mémorial du cimetière de Phoenix, la plaque commémorative à Port-Mathurin et des tombes disséminés dans plusieurs cimetières mauriciens.
Christine Renard
UN SOLDT MAURICIEN DANS L'ARMEE ANGLAISE
OCTAVE HAREL(1893-1917)
Octave Harel s’engage dans l’armée anglaise et devient pilote dans le Royal Flying Corps.Il est tué en 1917, à 24 ans, lors d’un combat aérien sur le front français.La lettre suivante, publiée par Robert Edward-Hart en 1919 dans son livre Les Volontaires mauriciens auxArmées, a été écrite par Octave Harel 19 jours avant sa mort.
Cimetière de Lallaing dans le Nord de la France : tombes d’Octave Harel et celle de son observateur, lecapitaine William Hope Walker, de l’infanterie canadienne
Lettre d’Octave Harel à sa famille quelques jours avant sa mort
X, 31 juillet 1917… Je vous disais combien j’étais fier d’être au front et de prendre ma part des risques terribles que nouscourrons. Je pense à vous sans cesse depuis que je suis ici, et aux angoisses que vous allez traverser pendant letemps que durera mon séjour au front. Une chose me console, c’est que vous partagez mon idéal et approuvez lenoble sentiment qui m’a fait rejoindre l’armée. Je sais que j’aurais pu, comme tant d’autres, m’abstenir de ceque je crois être un impérieux devoir et, par le fait, je vous aurais laissé le repos et la tranquillité. Je préfère,néanmoins, à un existence oisive et heureuse, celle de périls et de dangers que je vais mener. J’étais libre : c’esttoute justice que je me sois fait soldat. Pour ce qui est de vous, chers parents, et de l’avenir, Dieu veillera survotre repos. Vous êtes grands et courageux, et jamais plus que maintenant. J’ai compris ce que signifient, pourdes enfants, des parents comme les nôtres. Dieu entendra vos prières ; Il sait où résident le mérite et la noblessedes sacrifices consentis ; Il me gardera à vous.Ce n’est qu’une mauvaise période de quelques mois à traverser, après quoi je serai libre et magnifiquementheureux.Si, pourtant, Dieu voulait de moi, je suis prêt. Je mourrai pour la plus grande cause pour laquelle les hommes seseront jamais battus, avec la ferme conviction que ma mort servira un peu plus à la délivrance de l’humanité.Cette guerre demandera des sacrifices plus terribles encore ; et qu’est-ce que la mort si nos ennemis doiventavoir le dessus !Non ; il vaudrait mieux s’en aller maintenant d’une mort glorieuse que de voir les jours mauvais qui pourraientsuivre ! J’ai appris à me faire une volonté et j’ai du courage ; je suis sûr que je subirai les épreuves du frontsans fléchir ! La pensée de la mort semble terrible quand on est jeune encore ; et j’aurais des défaillances, je lesais. Mais je serai soutenu par votre exemple à tous, et cela me rend fort. Que je vous retrouve un jour ou non,sachez que vous n’aurez pas à rougir de moi, mais bien au contraire, vous pourrez être fiers de votre fils
O.HSous-lieutenant au Royal Flying Corps.
Source : Robert Edward Hart, Volontaires mauriciens 14-18, 1919
HAREL Louis Octave (1893-1917) Pilote de guerre. Né à Phœnix le 17 mars 1893. Fils d’Edmond Harel,docteur en médecine, et de Jeanne Hourquebie. Après ses études secondaires au Collège Royal, il fut employé àl’Engrais Mauricien et sur la propriété sucrière Rivière des Anguilles. Il s’engagea volontairement dansl’infanterie britannique, au 2/28 London Regiment, le 3 juin 1916, passa au 1er bataillon des élèves officiers le 9septembre et à l’école d’aéronautique le 11 novembre. Reçu officier avec le grade de lieutenant en second auRoyal Flying Corps le 24 janvier 1917, il prit son service à la 7e escadrille de réserve le 30 janvier et fut brevetépilote le 31 mai. Envoyé dans la zone des combats avec l’escadrille No 62 le 15 juin, il passa à l’escadrille No 38le 22 juin et à l’escadrille No 11 le 25 juillet 1917. Il écrivait à ses parents le 31 juillet : « Je mourrai pour la plusgrande cause pour laquelle les hommes se seront jamais battus, avec la ferme conviction que ma mort servira unpeu plus à la délivrance de l’humanité ». Le 18 août 1917, il fut tué en combat aérien au-dessus de Douai, alorsqu’il pilotait un chasseur Bristol immatriculé a7191. Son observateur, le capitaine William Hope Walker, del’infanterie canadienne, fut également tué. Les deux officiers furent inhumés dans le village de Lalaing auprèsduquel leur avion s’était écrasé. Décorations : British War Medal ; Victory Medal. Son nom est inscrit aucénotaphe de Curepipe.
J. Raymond d’Unienville
Source : Fiche du Dictionnaire de Biographie Mauricienne, Société d'Histoire de l'Ile Maurice
UN MAURICIEN DANS L'ARMEE FRANCAISECOUTANCEAU
Fiche du dictionnaire biographique (SHIM)
COUTANCEAU, Michel Henri Marie (1855-1942). Général dedivision. Né à Port-Louis (île Maurice) le 15 juillet 1855, fils de JeanAlexis Coutanceau (né à Barsac, Gironde, ancien capitaine au longcours, établi à Port-Louis, île Maurice, en 1848. Chevalier de la Légiond’Honneur, décoré de l’ordre de St-Sylvestre) et de Jeanne Rolando.Partit pour la France à 12 ans, et fit ses classes au Collège Ste-Barbe, àParis. Entra ensuite à l’Ecole Polytechnique et 1873. Etant sorti parmiles quarante premiers en 1875 il choisit de faire carrière dans legénie militaire et y entra comme sous-lieutenant. Promu lieutenanten 1877, il devient capitaine en 1879 ; en 1885 et 1886 il estprofesseur à l’Ecole Supérieure de la guerre. Chef de bataillon à Arrasen 1894 ; lieutenant –colonel en 1900 ; colonel commandant le 3e
régiment du génie en 1905 ; en 1909 il devient général de brigade.Breveté d’état-major, il tint, hors de son arme, des situations en vue :affecté à l’état-major du 4e corps en 1887, officier d’ordonnance duministre de la guerre en 1895, chef d’état-major du 7e corps en 1907,adjoint au Gouverneur d’Epinal en 1908. « Tout cela lui valut unacquis des plus variés et une maîtrise quasi-universellequ’entretenait une grande puissance de travail, une santé robuste etune activité débordante ». En 1912, Coutanceau, général de division,obtint la charge de gouverneur de Verdun, qu’il occupait encore audébut de la première guerre mondiale, et déploya dans l’organisationde la défense de cette importante place-frontière une science et uneautorité peu communes. Au cours de la première bataille de la Marne(4-11 septembre 1914) la garnison du camp retranché de Verdun, quise trouvait à l’extrême droite du front français dans la sectionoccupée par le 3e armée (Sarrail) joua un rôle de premier plan. Laforteresse fut un moment assiégée et violemment bombardée, maistint ferme. Au cours de la nuit du 9 septembre Sarrail sentant sapropre position devenir périlleuse donna l’ordre formel au généralCoutanceau de faire intervenir ses troupes dans la bataille hors de laplace et de les porter au secours des points faibles de la 3e armée.Coutanceau aurait pu conserver toutes ses troupes pour la défense dela place, car il jouissait d’une indépendance relative à l’égarde de la 3e
armée. « Réveillé à l’improviste, en trois minutes le GénéralCoutanceau apprécia que le salut de la 3e armée et peut-être la
victoire ne saurait se payer trop cher ». Il prit, en pyjama, unedécision qui engageait non seulement ses troupes mais encore saresponsabilité de Gouverneur ; on était à un moment critique de laMarne et un recul de la 3e armée entraînerait infailliblement la chutede Verdun, qui aurait affronté une siège avec seize bataillons demoins de ses meilleures troupes. Après une lutte héroïque de troisjours, l’armée du Kronprinz battait en retraite. Joffre a dit plus tard : «Si les Allemands avaient pu enfoncer notre droite, ils marchaient surParis et rien n’aurait pu les arrêter ». En même temps, face à l’est, legénéral contribuait à la défense et au dégagement du fort de Troyon,position-clé des Hauts-de-Meuse, dont la perte aurait entraînéd’incalculables désastres. Après la victoire, le général s’occupa deconsolider le saillant de Verdun et d’organiser un corps de défensemobile. Au début de 1916 il est envoyé à Dunkerque pour y travailleraux fortifications. Touché par la retraite, il est nommé gouverneur deNantes, puis après le 11 novembre 1918, il se retire à Bordeaux, où ilmeurt le 8 novembre 1942. Il avait épousé à Bordeaux en mai 1891Marie Thérèse Rieunier. Le Général Coutanceau était Grand Officierde la Légion d’Honneur, Chevalier de l’Ordre de St. Michel et St.Georges (pour services rendus à Dunkerque, en coopération avec lesarmées anglaise et belge). Il avait la Croix de Guerre 1914-18 (avecdeux palmes or), la Croix de la Couronne de Belgique, la Croix duNichan-Iftikar (Mission en Algérie et en Tunisie), et les palmesacadémiques lui furent décernées pour un mémoire préparé alorsqu’il était au ministère de la guerre. Ce même mémoire lui valut desdécorations russe et allemande.
M. PierrotMI.
Source : Dictionnaire biographique, SHIM
BIBL. : Hanotaux – Histoire de la Grande Guerre, T. 10 Ch. XLVI, T.11 Ch. LIII Mauritiana Vol. II, No 30, 15 septembre1909.Général P. E. Nayral de Bourgon (Chef d’état-major dugénéral Coutanceau, à Verdun) – Dix ans de souvenirs(1914-1924).Renseignements obtenus de la famille Coutanceau.
ICON. : Portrait au Consulat de France, Port-Louis, île Maurice