face aux enjeux internes et externes d'un ssadpa, … · quel management des ressources...
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Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
Ecole Nationale de la Santé Publique
FACE AUX ENJEUX INTERNES ET
EXTERNES D'UN SSADPA, IMPULSER UNE
DEMARCHE QUALITE SPECIFIQUE,
CENTREE SUR LE SUJET AGE.
Dominique BROUGERE
Certificat d’Aptitude aux Fonctionsde Directeur d’ Etablissement Social
ARAFDES - LYON
Février 1999
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
SOMMAIRE
INTRODUCTION 4
1. POURQUOI ENTREPRENDRE UNE DEMARCHE QUALITE? 6
1.1. LES ENJEUX INTERNES 6
1.1.1. LE SSADPA, UN DISPOSITIF TRANSVERSAL? 71.1.2. LE SSADPA DE BOEN : UNE FONDATION « ADMINISTRATIVE » A LA RECHERCHE DE VALEURS 121.1.3. LES USAGERS : QUI SONT-ILS? LA QUESTION DE L’EVALUATION. 16
1.2. LES ENJEUX EXTERNES 19
1.2.1. LA « MARCHANDISATION » QUI HANTE LE SECTEUR. 191.2.2. LA MAITRISE DES COUTS ET LE LIEN COUT/QUALITE 221.2.3. L’ACCREDITATION : UNE FORCE OU UNE CONTRAINTE? 24
1.3. LA DEMARCHE QUALITE, UNE STRATEGIE FACE A CES ENJEUX INTERNES ETEXTERNES 27
1.3.1. DANS L’INDUSTRIE, DE LA NAISSANCE DU CONCEPT A LA QUALITE TOTALE. QUELLEIDEOLOGIE DE LA QUALITE? 281.3.2. DANS LE SECTEUR SOCIAL ET DE LA SANTE, DE L’EVALUATION A LA QUALITE 311.3.3. LA QUALITE DE VIE EN GERONTOLOGIE 34
2. ALORS QUELLE DEMARCHE QUALITE? 38
2.1. LA PRISE EN COMPTE DE LA DIMENSION SUBJECTIVE POUR UNE DYNAMIQUEQUALITE CENTREE SUR LA PERSONNE 38
2.1.1. DES REFERENTIELS CENTRES SUR LA PERSONNE AGEE 392.1.2. L’AUDIT D’EVALUATION DE LA QUALITE PERCUE 40
2.2. LE FONDEMENT ETHIQUE, FIL CONDUCTEUR DE LA DEMARCHE QUALITE 42
2.2.1. DE LA CONSTRUCTION DE L’OBJET « PERSONNE AGEE » 422.2.2. DE LA MORALE A L’ETHIQUE : LA VALORISATION DU SUJET 45
2.3. LA CHARTE : POUR UN ENGAGEMENT QUALITE 49
2.3.1. UN CADRE DE REFERENCE POUR L’ACTION 492.3.2. LA COMMUNICATION EXTERNE DE NOTRE ENGAGEMENT 50
2.4. LE PROJET CATALYSEUR DE LA DEMARCHE 50
2.4.1. LA PARTICIPATION DES ACTEURS POUR UNE DEMARCHE DE PROJET 512.4.2. LA POSITION D’ACCOMPAGNEMENT, UN AUTRE REGARD SUR LA PERSONNE AGEE : UNERENCONTRE ENTRE SUJETS 522.4.3. A DOMICILE : UNE RELATION SPECIFIQUE 542.4.4. LE TRAVAIL EN RESEAU OU LA MISE EN SYNERGIE DES COMPETENCES 56
3. LA DEMARCHE QUALITE, COMMENT? 60
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3.1. QUEL MANAGEMENT DES RESSOURCES HUMAINES POUR IMPULSER UNEDEMARCHE QUALITE? 60
3.1.1. LE MANAGEMENT : QUELS PRINCIPES ? 603.1.2. LES GROUPES DE REGULATION : DU SAVOIR-FAIRE AU SAVOIR-ETRE 663.1.3. LE PROJET SOCIAL : L’ARTICULATION DES OBJECTIFS INDIVIDUELS ET COLLECTIFS, LANEGOCIATION OU LA STRATEGIE DU «DONNANT-DONNANT». 67
3.2. L’ORGANISATION EN TRAVAIL 69
3.2.1. LES ETAPES DE LA DEMARCHE QUALITE 693.2.2. LA SRATEGIE DU SSADPA : SOUPLESSE, REACTIVITE ET FLEXIBILITE 713.2.3. LA FORMALISATION, L’ELABORATION DES PROCEDURES 743.2.4. L’ORGANISATION DE LA RELATION CLIENT-FOURNISSEUR POUR TRAVAILLER DANS LATRANSVERSALITE 77
3.3. UNE NECESSITE : L’EVALUATION DE LA QUALITE 81
3.3.1. L’ECOUTE-CLIENT, ELEMENT CENTRAL DE CETTE EVALUATION 813.3.2. EN PERSPECTIVE, LE REFERENTIEL QUALITE 83
CONCLUSION76
ANNEXES
BIBLIOGRAPHIE 78
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INTRODUCTION
Créés pour prévenir ou différer l’entrée à l’hôpital ou en institution les services de
soins à domicile aux personnes âgées (SSADPA) dispensent, sur prescription médicale, des
soins infirmiers et d’hygiène principalement aux personnes âgées dépendantes mais aussi à
des personnes de moins de soixante ans atteintes de pathologies invalidantes.
En apportant une aide spécifique à l’accomplissement des actes de la vie quotidienne,
ces services constituent, avec les infirmier(e)s du secteur libéral et les autres dispositifs d’aide
à domicile tels l’aide ménagère, un maillon essentiel du maintien à domicile des personnes
âgées.
Le SSADPA que je dirige est situé à Boën, dans la Loire. Le secteur géographique
couvert par le service est constitué de quatre cantons à dominante rurale (plus de la moitié des
bénéficiaires relèvent de la mutualité sociale agricole); il regroupe 53 communes, 25 000
habitants dont 3000 ont plus de 75 ans. Actuellement l'agrément est de 40 places (une
demande d'extension à 50 places est en cours d'instruction).
Fondé en 1983 par un établissement hospitalier (devenu hôpital local depuis la
réforme hospitalière), le service souffre d’être une fondation « administrative » : le projet
initial se limitait à une simple déclinaison des missions définies par les textes ayant permis
l'existence des soins à domicile. Quinze ans après sa création, la structure s’est donc trouvée
face à un manque d’idéaux, avec son projet à construire en fonction de ses spécificités, afin de
mobiliser et fédérer tous les acteurs et avoir une référence pour l'action, fondée sur des valeurs
partagées.
Notre environnement lui aussi se modifie. Le secteur de l’aide à domicile est en pleine
mutation : sous couvert de la politique de l’emploi et de la thématique du gisement d’emploi
la tendance à la « marchandisation » s’accélère avec l’essor du marché de gré à gré,
l’ouverture au secteur marchand, la loi sur la prestation spécifique dépendance (PSD).
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Afin de se positionner sur un marché en pleine restructuration et face à la logique marchande,
les organismes d’aide à domicile doivent donc mener une réflexion sur la qualité de leurs
prestations.
Un autre phénomène bouleverse les mentalités du secteur : l’institution de la notion
d’accréditation par l’ordonnance du 24 avril 1996; l'accréditation est une procédure
d'évaluation externe, effectuée par des professionnels, portant sur la qualité de
fonctionnement et des pratiques de l'établissement. Se préparer à cette évaluation devient un
enjeu pour notre structure qui se trouve face à une double contrainte : la raréfaction des
ressources financières et la nécessité d'améliorer la qualité des services.
Face à ces enjeux internes et externes, en quoi initier une démarche qualité peut être
une stratégie ? Pourrait-elle articuler les logiques différentes de l’ensemble des acteurs?
Importer dans le secteur médico-social une conception née dans l'industrie nécessite
d'interroger ses fondements et de l’adapter à un autre champ. Qu'est-ce que la qualité dans un
SSADPA? Qu'est-ce qui fait résultat? Peut-on le mesurer? Quel est notre produit et qui sont
nos clients? Autant de questions auxquelles je m’efforcerai de répondre dans cet ouvrage.
En clin d’ œil à la méthode de résolution de problèmes, outil privilégié de la démarche
qualité, j’articulerai mon travail autour de ces trois questions :
Pourquoi? Quels sont les facteurs internes et externes qui nous amènent à
vouloir
améliorer la qualité du service rendu et à développer une démarche qualité ?
Quoi? Quelles sont les valeurs fondatrices de cette démarche ?
Comment? Quelles peuvent-être les manières de gérer les modifications de
l’organisation ?
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1. POURQUOI ENTREPRENDRE UNE DEMARCHEQUALITE?
Dans cette première partie je m’efforcerai de positionner le service que je dirige dans
le dispositif du secteur, le dedans (institutionnel) et le dehors (environnement), afin de définir
une stratégie adaptée et spécifique, selon les enjeux, l’histoire.
Je fais mienne la position de Jean-Marie MIRAMON1selon lequel adapter le projet, la
stratégie et la gestion se décline à l’externe, en fonction des enjeux du secteur et de la
politique sociale en vigueur, mais aussi à l’interne, en fonction des compétences disponibles.
Nous devons être non seulement acteurs mais aussi auteurs du changement, l’attentisme ou le
repli sur soi constituant un risque majeur pour nos institutions médico-sociales. On ne peut
gérer les évolutions extérieures sans mettre parallèlement en marche une dynamique interne.
Comprendre les différentes positions de tous les acteurs (tutelle, personnel, usagers,
partenaires), leurs jeux avec ses règles et ses enjeux, identifier son système relationnel,
interroger la demande dans une visée prospective, analyser ses contraintes et ses marges de
man œuvre, me semblent un préalable à toute démarche.
Dans un premier temps et afin de faciliter la lecture en présentant ma structure en
début de mémoire, j’exposerai les enjeux internes. J’ai identifié trois niveaux d’enjeux : ceux
de la politique sanitaire et sociale, ceux de notre politique institutionnelle et ceux des usagers.
1.1. LES ENJEUX INTERNES
Je présenterai le SSADPA dans son dispositif d’action sociale. Est-ce qu’il permet de
passer d’une logique sectorielle à une logique transversale?
1 MIRAMON Jean-Marie, « Manager le changement dans l’action sociale », Rennes, ENSP, 1996.
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1.1.1. LE SSADPA, UN DISPOSITIF TRANSVERSAL?
La proportion croissante du nombre de personnes âgées au sein de la population
française a amené, depuis près de 40 ans, une réflexion sur le traitement social et médical de
la vieillesse, confondue depuis le début des années 1980 avec la dépendance2.
Cependant nombre d'idées reçues sur les troisième et quatrième âges persistent et les
réponses des organismes chargés de l'action sociale ne sont pas toujours adaptées et bien
coordonnées. L'hypermédicalisation n'est pas le seul recours : l'être humain qui, au-delà du
vieillissement, continue d'exister, doit pouvoir être pris en considération dans sa totalité.
Arrêtons-nous sur ce concept de vieillissement. «Travailler un concept c'est en faire varier
l'extension et la compréhension, le généraliser par l'incorporation de traits d'exception,
l'exporter hors de sa région d'origine, le prendre comme modèle ou inversement lui chercher
un modèle, bref lui conférer progressivement, par des transformations réglées, la fonction
d'une forme.»3
C'est ce que fait le philosophe et gérontologue Michel PHILIBERT4 : « Le vieillissement
humain, au regard du vieillissement biologique, est plus limité dans son extension, plus riche
dans sa compréhension. Il faut exporter le concept hors de sa région (biologique) d'origine
scientifique, et lui chercher ailleurs un autre modèle. Pour être précis, nous devons intégrer au
concept du vieillissement humain ces changements que le biologiste écarte de sa notion
comme non liés à l'âge parce qu'ils ne s'imposent pas à tous les membres de notre espèce
selon un ordre nécessaire et irréversible mais résultent de décisions personnelles, de
particularismes sociaux, des accidents de l'histoire.»
L'être pris en compte dans sa dimension de sujet, dans sa singularité voilà ce qui devrait être
l'objet de la gérontologie et c'est ce qui m'anime dans mon rôle de direction.
Est ce que le dispositif de soins à domicile peut réaliser ce but?
Le SSADPA de Boën a démarré en octobre 1983, avec une capacité de 20 places puis
au fur et à mesure de l'évolution des besoins le nombre de places a été fixé à 40 après
2 Je reviendrai sur ce concept de dépendance afin d'en déconstruire les présupposés dans le chapitre 2.2.1.p.39,40.3Georges CANGUILHEM in BACHELARD Gaston, « Etudes d'histoire et philosophie des sciences », Paris,Vrin, 1968, p.206.4 PHILIBERT Michel, « Le concept de vieillissement », Gérontologie n°40, 1981.
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agrément préfectoral en 1990. Une demande d’extension de 10 places est en cours
actuellement.
Deux textes essentiels servent de support juridique à la création des services de soins à
domicile. Il s’agit du décret du 8 mai 1981 et de la circulaire ministérielle d’application du 1er
octobre 1981 qui apportent une réglementation concernant l’ouverture des droits, les mesures
touchant à la création, l’organisation et la gestion des services.
Quels sont les apports de cette nouvelle législation?
Avant ces textes, le maintien à domicile était assuré d'une part par les aides-ménagères pour
l'aide à la vie quotidienne et le soutien relationnel, et d'autre part par les infirmiers libéraux
pour les soins techniques et d'hygiène. Les aides informelles (famille, voisinage) assumaient
également une part importante .
L'aide-ménagère, instituée à l'origine par les caisses de retraite et les bureaux d'aide sociale
comme action sociale facultative, est devenue en 1962 une prestation légale d'aide sociale
désormais à la charge du département. En effet en 1962 le rapport Laroque marque une étape
décisive, une nouvelle conception de la vieillesse fondée à la fois sur une volonté de rupture
avec la logique jusqu'alors dominante de l'assistance et sur le refus d'entériner l'exclusion
sociale des personnes âgées. Le développement des aides à domicile est alors un des fers de
lance de cette politique préventive et intégratrice en voulant maintenir et favoriser l'insertion
de ces personnes dans la société5.
Quelles sont les limites de cette juxtaposition de deux prestations?
Les services d'aide-ménagère ne peuvent toujours répondre aux besoins des personnes âgées
très dépendantes :
• La prise en charge financière par le conseil général est plafonné à 30 heures
mensuelles, la politique adoptée étant un saupoudrage des heures à un grand
nombre de bénéficiaires plutôt qu'un ciblage sur les personnes les plus dépendantes.
• Si la personne doit financer elle-même la prestation au-delà des trente heures, le
tarif est élevé : frais de gestion, cotisations patronales car l'employeur est le service
d'aides-ménagères.
5 Cf. BORGETTO Michel et LAFORE Robert, «Droit de l'aide et de l'action sociales», Cahors, Montchrestien,1996.
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• La couverture des jours fériés n'est généralement pas assurée.
• Le problème de l'adaptation et de la qualification car les tâches évoluent avec la
grande dépendance (mobilisation, gestion de l'incontinence, nursing, relations avec
les personnes atteintes psychiquement).
En ce qui concerne les interventions des infirmiers libéraux, elles atteignent leur limites s'il
faut entreprendre une action globale, coordonnée autour de la personne dépendante.
Les SSADPA ont donc été conçus pour répondre à cette nécessité de coordination et de
globalisation de l'action d'aide et de soins :
◊ dans un contexte démographique où la croissance des personnes très âgées
permettait de pronostiquer l'augmentation du risque de dépendance,
◊ dans un contexte économique de crise de financement de la sécurité sociale et de
maîtrise des coûts, où il fallait diminuer les hospitalisations et freiner les
placements en institution.
Les Services de soins à domicile devaient répondre à la fois au problème posé par la
dépendance sur un territoire donné, au souci de maîtrise des dépenses, et au souci
d'insertion sociale dans la ligne du rapport Laroque.
Les textes précités définissent les missions allouées aux services :
⇒ dispenser aux personnes âgées malades ou atteintes d'une diminution de leurs
capacités les soins infirmiers et d'hygiène.
⇒ apporter dans le même temps une aide spécifique pour accomplir les actes
essentiels de la vie.
⇒ dispenser des soins à des personnes de moins de soixante ans en fin de vie ou
atteintes de maladies invalidantes et chroniques (SIDA, hémiplégie, sclérose en
plaques, cancer..).
Ces services répondent donc à deux types de situation :
∗ des situations de phase aiguë de maladie qui exigent des traitements à visée curative.
∗ des situations de dépendance qui appellent des soins de vie que la personne ne peut plus
assurer seule.
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Les soins assurés par du personnel aide-soignant et infirmier ne requièrent pas l’utilisation
d’un plateau technique; ils peuvent de ce fait être apportés là où réside la personne, que ce soit
dans une maison de retraite non médicalisée, un foyer-logement ou surtout son domicile.
Le financement est assuré à 100% par l’assurance maladie, sous forme de dotation globale.
Le forfait soins comprend les interventions des aides-soignantes, des infirmiers, des
pédicures, le petit matériel nécessaire aux soins, les frais de déplacement, de transmission et
de coordination, les frais de gestion.
Il ne couvre pas les interventions des médecins, kinésithérapeutes, orthophonistes remboursés
à l’acte par l’assurance maladie, ni les prestations des aides à domicile financées par l’usager,
le Conseil Général, les caisses de retraite selon le régime d’appartenance et la solvabilité de la
personne.
Le service de soins à domicile est une structure légère, flexible et souple pour
répondre rapidement aux besoins de la population.
Au SSADPA de Boën, le personnel est composé de :
• 1 directrice
• 1 infirmière-cadre coordonnatrice à temps partiel
• 10 aides-soignantes pour 7 ETP
• 1 secrétaire à mi-temps
• 30 infirmiers libéraux représentant 2,5 ETP
• Des vacations de psychologue et de pédicure.
Des conventions ont été signées avec les infirmiers libéraux du secteur géographique.
Après avoir concerté nos partenaires, j’ai opté pour ce mode de fonctionnement lors de la
création, pour des raisons stratégiques (ne pas entrer en conflit avec les libéraux du secteur,
les médecins généralistes étant les principaux prescripteurs), des raisons sociales (permettre à
la personne de garder son soignant habituel) et des raisons managériales (le secteur
géographique étant très étendu et les soins s’étalant sur une longue amplitude journalière, sept
jours sur sept, le travail infirmier salarié est peu compatible).
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Les objectifs sont :
⇒ d’éviter une hospitalisation lorsque les conditions médicales et sociales le permettent.
⇒ faciliter un prompt retour à domicile après une hospitalisation.
⇒ prévenir ou retarder l’admission en institution.
Il est nécessaire que l’action soit coordonnée autour de la personne en partenariat
avec tous les acteurs: aides-ménagères, médecins, kinésithérapeutes, orthophonistes, assistants
sociaux, secteur psychiatrique, centres hospitaliers, centres d’hébergement, familles, services
de repas à domicile...
Le service doit donc s’insérer dans un dispositif global. La personne est prise en compte dans
toutes les dimensions de sa réalité sociale, dans une conception de l’action sociale où prime
l’individu comme globalité.
Ainsi dans ces textes on peut voir les prémices des politiques sociales transversales.
Les politiques et interventions sociales ont été structurées en France autour d’une logique
sectorielle basée sur les différents risques sociaux, dont la vieillesse, auxquels
correspondaient des savoirs et des pratiques spécifiques. Cette logique sectorielle s’est
trouvée mise en cause par les conséquences sociales de la crise économique. L’émergence de
notions telles que l’exclusion et la mise à jour de la multidimensionnalité du processus de
précarisation soulignent l’inadaptation de politiques cloisonnées qui ne savent prendre en
charge qu’un problème à la fois. Dans le champ de la vieillesse il s’agit avant tout du
cloisonnement entre sanitaire et social et entre domicile et hébergement.
L’enjeu d’insertion a fait évoluer les pratiques d’intervention vers une prise en compte des
liens personnels et sociaux, des trajectoires individuelles et de leurs ruptures. Ces constats ont
conduit à la mise en place de politiques sociales dites « transversales » allant dans le sens
d’un traitement global et individualisé.
Cette transversalité des politiques sociales va de pair avec la territorialisation de l’action
sociale. Elle est liée à l’important transfert de compétences au département qui devient le
pivot du dispositif d’action sociale mais aussi à l’intervention sociale croissante des villes.
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Elle implique l’arrivée de nouveaux acteurs locaux du social et par là l’émergence de
nouveaux enjeux transversaux et de nouvelles pratiques (partenariat, expertise, évaluation).6
Nous venons de voir que la législation, la politique définie par les pouvoirs publics
nous incite au décloisonnement, à la coordination et à de nouvelles pratiques. Qu’en est-il sur
le terrain? Certes des cloisonnements subsistent et des obstacles existent : inertie de certains
services, difficultés des financements multi-partenariaux, fluctuation des politiques locales sur
le long terme, déficit des savoir-faire. Mais nous sommes aidés dans notre action par la
Mutualité sociale agricole de la Loire qui est notre caisse pivot et nous soutient dans notre
vocation sociale de réseau de proximité.
De même le Conseil général a fixé parmi ses actions prioritaires le maintien à domicile et la
coordination gérontologique.7 « Le chevauchement des compétences professionnelles et le
développement des propositions de création d’établissements et services rendent nécessaire
une coordination dont la maîtrise devient elle-même un enjeu pour les divers groupes
sociaux.(...) Il faut rompre les logiques corporatistes et institutionnelles qui rigidifient les
réponses en concevant un dispositif coordonné librement accepté. »
Je me propose d’examiner maintenant la politique de notre structure gestionnaire.
Quels sont les avantages et les inconvénients pour le SSADPA de ce type de gestion?
1.1.2. LE SSADPA DE BOEN : UNE FONDATION« ADMINISTRATIVE » A LA RECHERCHE DE VALEURS
Une des spécificités du SSADPA est qu’il a été créé à partir d’une structure sanitaire
publique, alors que 67% des services similaires appartiennent au secteur privé à but non
lucratif. L’objectif de l’Hospice en cours d’humanisation, était de s’ouvrir à l’extérieur et de
modifier son image. La création d’un tel service allait permettre le passage d’une logique
d’enceinte à une logique de réseau.
6 J’exposerai en 2ème et en 3ème partie comment la démarche mise en œuvre permet d’améliorer le travail dansla transversalité, le travail en réseau , en favorisant l’émergence d’un sens partagé par l’ensemble des acteurs, laconstruction pour les acteurs de référentiels communs nécessaires à l’action.7 Schéma départemental de l’action sociale et médico-sociale, « Les personnes âgées dans le département de laLoire »,1993.
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Depuis 1981 la structure gestionnaire a changé : d’Hospice elle est devenue Centre de moyen
et long séjour puis la loi du 31 Juillet 1991 portant réforme hospitalière a permis de la
transformer en Hôpital local.
Quels sont les atouts et les inconvénients d’une telle gestion hospitalière?
Le champ de compétence de l’hôpital local est bien délimité par la loi. Il comporte :
⇒ les soins en médecine, suite et longue durée
⇒ les actions de prévention sanitaire
⇒ les actions de maintien à domicile
⇒ les actions de santé publique
L’hôpital local n’agit que dans une zone géographique précise et délimitée avec l’accord du
préfet.
Il ne fonctionne qu’avec les médecins généralistes libéraux domiciliés dans cette zone.
Il ne peut exister qu’en coopération avec l’établissement de santé le plus proche avec lequel il
doit passer convention.
Cette définition ancre l’hôpital local dans une vocation de proximité et de réseau :
1) structure de proximité : * avec l’implantation en milieu rural ou semi-urbaine l’hôpital
local semble être à même de connaître les besoins des populations environnantes et d’y
apporter des solutions.
* le mode de fonctionnement libéral contribue à lui donner sa
couleur d’action de proximité.
* il joue un rôle d’interface entre la médecine libérale, le centre
hospitalier et le domicile.
2) structure de réseau : la dynamique de réseau trouve sa source dans l’obligation
réglementaire de passer une convention, dans les limites techniques de l’hôpital, et dans
l’objectif de globalité des soins. Le réseau permet d’envisager le patient en tant que sujet d’un
parcours dessiné par la conjonction des besoins qu’il présente.
La circulaire 93-26 du 13 Juillet 1993 relative aux réseaux gérontologiques et à la
coordination incite particulièrement les hôpitaux locaux à développer des actions visant à
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coordonner le maintien à domicile et à avoir un rôle pivot dans la prise en charge des
personnes âgées, les dispositifs étant nombreux et relevant de compétences diverses voire
divergentes.(soins médicaux, aides à domicile, aide à l’habitat, accueil temporaire,
hébergement,...).
L’infrastructure de l’ hôpital local nous permet de mettre des moyens en synergie avec
d’autres acteurs, de jouer la coopération, la complémentarité et ainsi d’optimiser la prise en
charge.
Pour illustrer ces propos, je prendrai l'exemple du service de repas à domicile que j'ai créé en
1992 en partenariat avec une association d’aides à domicile et avec les services logistiques de
l'hôpital local. Chaque acteur met sa compétence, son savoir-faire au service d'une réalisation
commune afin de répondre à la demande :
Le SSADPA joue son rôle de pivot et gère le service : la structure permet de repérer
les besoins, d’accueillir les clients, d’orchestrer le travail des partenaires.
L'Hôpital local fournit le repas confectionné dans ses cuisines ainsi que les véhicules
entretenus par ses soins.
L'Association d’aides à domicile assure la livraison en mettant à disposition des
livreurs sur une plage horaire spécifique.
L'utilisation de l'infrastructure de l'hôpital (cuisines, cuisiniers, section d'investissement
permettant l'achat de véhicules et plateaux isothermes...) permet ainsi de réaliser les 60 repas
quotidiens au coût marginal8 de 30F le repas livré, chaud, prêt à consommer.
Cette action ne vise pas seulement l’efficacité (atteindre le but, l’objectif) mais aussi
l’efficience (meilleure pertinence des moyens).9
De même la blanchisserie de l'Hôpital local est rentabilisée (baisse du coût du kilo de linge
lavé) en offrant ses prestations aux maisons de retraite du secteur et au SSADPA : cela nous
permet de gérer l'incontinence qui est souvent un motif de placement.
8 Définition du coût marginal en comptabilité : coût obtenu en ne retenant que les charges nouvelles induites parle nouveau produit, les autres charges étant déjà absorbées dans les coûts des autres produits.9 L’efficacité désigne ce qui produit l’effet attendu ;l’efficience ajoute la notion de productivité, joint à l’idée derésultat celle de rendement : autrement dit, il ne suffit plus d’avoir un effet à tout prix mais de l’obtenir grâce àune économie de moyens.( Alain VULBEAU « Effet, efficacité, efficience », Informations sociales n°57, 1997).
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L’atout principal de cette gestion hospitalière est qu’elle favorise le rôle pivot du SSADPA
dans une dynamique de réseau.
Par contre j’ai observé l’absence de dimension associative et militante et je l’analyse
comme une faiblesse :
Créé par un établissement sanitaire dans le cadre de son projet, le SSADPA est une
fondation que l’on peut qualifier « d'administrative ». Sa création n’est pas due à une
association de personnes bien ancrées dans le tissu social local, avec un engagement, des
valeurs fortes mais à l’action de professionnels ayant saisi l’opportunité des textes.
Le projet initial se limite à une déclinaison des missions fixées par ces textes.
Quinze ans après, le service a accumulé de l’expérience, des savoir-faire, mais ne l’avait pas
formalisé, écrit, et il souffrait d’un manque d’idéalité, de projet.
L’ancrage dans le sanitaire du fait de sa gestion, de son personnel, ne favorise pas la prise en
compte de l'aspect social : je pense que la prévalence du soin, de la médicalisation, par
rapport à d’autres dimensions intervenant dans la qualité de vie est un écueil à éviter, et à
débattre dans le projet.
De plus cette gestion sanitaire place le SSADPA sous l’égide de la législation sanitaire : ainsi,
bien que relevant de la loi sociale de 1975, il ne dépend pas seulement du schéma
départemental mais aussi du schéma régional d’organisation sanitaire (SROS). Tout projet
devra donc être conforme à ce schéma.
En tant que service hospitalier il est également soumis à l'accréditation.10
Nous venons d’analyser le SSADPA comme outil d’une politique de maintien à
domicile, examinons maintenant ce qui est sa raison d’être : les usagers.
10 Ce thème sera développé dans les enjeux externes en 1.2.3, p.21.
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1.1.3. LES USAGERS : QUI SONT-ILS? LA QUESTION DEL’EVALUATION.
Au préalable, je tenterai de dresser un tableau des utilisateurs du service, bien que
consciente du caractère réducteur de cette démarche, la singularité et l’hétérogénéité étant
prépondérantes.
Le rapport d’activité 199711 nous donne quelques éléments quantitatifs.
L’âge moyen est de 80 ans pour les femmes et 73 ans pour les hommes . L’âge moyen n’est
pas très élevé car le SSADPA prend en charge des personnes de moins de 60 ans (9% des
bénéficiaires) présentant des pathologies invalidantes telles le Sida, l’hémiplégie, la sclérose
en plaques.
Néanmoins 35% ont plus de 85 ans et 19% sont nonagénaires.
Au delà de 90 ans, les femmes représentent 88% de la population prise en charge. En raison
de la surmortalité masculine la situation de veuvage et donc de solitude est plus fréquente
chez les femmes.
18% des personnes vivent seules à leur domicile (la moyenne nationale est plus élevée : 30%,
mais le SSADPA de Boën est situé en zone rurale où la cohabitation entre générations est
encore assez courante.), 41% vivent en couple, 30% avec d’autres membres de la famille et
11% en collectivité non médicalisée.
62% des personnes sont prises en charge à la suite d’une hospitalisation.
Les prises en charge sont de plus en plus longues et ceci est constaté également au niveau
national. La durée moyenne de prise en charge qui était de 11 mois en 1991 est passée à 14
mois; 34% des prises en charge sont supérieures à un an.
Le motif de fin de prise en charge est le décès pour 17% (décès intervenant à domicile) et
l’hospitalisation pour 70% (qui peut être suivie du décès ou d’un placement); seulement 2%
des fins de prise en charge correspond à une amélioration.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
La prise en charge de la personne âgée par le SSADPA consiste en la mise en
adéquation des ressources du service avec les besoins de la personne âgée au travers d’une
phase essentielle : l’évaluation.
Pour cela nous disposons d’un indicateur communément admis12 : le modèle AGGIR
(Autonomie Gérontologique Groupe Iso-Ressources), méthode d’évaluation du degré
d’autonomie des personnes âgées. Elle évalue ce que la personne fait seule, ce qu’elle ne fait
que partiellement et ce qu’elle ne fait pas au moyen de 10 variables discriminantes et 7
variables illustratives13. Le modèle mathématique détermine une classification en 6 groupes
iso-ressources (6 profils de perte d’autonomie et charge en soins de base) ayant pour objectif
de regrouper les personnes mobilisant un même niveau de ressources ou de charges de soins
liées à la perte d’autonomie. Ces ressources correspondent à des aides d’importance et de
qualité équivalentes.
Cette grille est utilisée pour l’évaluation des SSADPA (rapport annuel d’activité) par les
tutelles mais aussi pour l’attribution de la prestation spécifique dépendance et dans un avenir
proche pour la tarification des établissements.
Est-ce que cela peut être un outil interne d’évaluation ?
Je ferai deux critiques qui empêchent selon moi cette grille d’être performante pour son
utilisation dans un service comme le nôtre :
1) Elle ne prend pas en compte l’individu dans toute ses dimensions, notamment la
dimension psychologique. Par exemple s’il s’agit d’une personne dépressive qui
peut potentiellement faire les actes de la vie quotidienne seule mais ne les fera que
dans un cadre de relation, de stimulation avec l’entourage ou le professionnel, la
grille est complètement faussée.
2) Elle ne tient pas compte de la situation économique et sociale de la personne.
Comment gère-t-elle sa dépendance en utilisant son environnement matériel et
humain ?
Sur le terrain nous observons qu’il n’y a pas de corrélation entre la dépendance, le besoin
potentiel et la demande d’intervention. Le processus est plus complexe, il résulte de la gestion
de la dépendance telle qu’elle est organisée par les composantes de l’environnement. Ce qui
11 Des éléments du rapport d’activité 1997 figurent en Annexe n°1.12 La grille AGGIR figure dans la nouvelle mouture des rapports d’activité annuels et c’est l’outil retenu pourl’appréciation de l’allocation spécifique dépendance.13 Voir annexe n°2 : les 10 variables discriminantes, les 7 variables illustratives et les 6 groupes iso-resssources.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
compte ce sont les stratégies individuelles développées par les personnes en interaction
avec leur entourage.
A ce stade de mon développement il convient de distinguer le besoin de la demande.
Les personnes n’ont pas des besoins intrinsèques, naturels et invariables mais des demandes,
des attentes et des désirs. Elles ne sont pas les supports passifs d’un ensemble de besoins
normalisables.
La demande est une manière d’interpréter les besoins.
Henri NOGUES14fait également bien la différence entre demande et besoin : la demande n’est
pas une variable passive, elle se distingue du besoin reconnu. Les personnes qui vont
demander ne sont pas forcément les gens dont on reconnaît le besoin et inversement.
Le besoin serait le manque exprimé par le professionnel, de sa place, sur la base d’indicateurs
centrés sur les capacités fonctionnelles, tandis que la demande serait le manque exprimé par
l’usager, en fonction de ses représentations.
Est-ce que parler en termes de besoins n’équivaudrait pas à se représenter le bénéficiaire
comme un être passif - en prétendant savoir ce qui est bon pour lui, en lui proposant des
idéaux de vie et des normes de bien-être - et non comme un acteur capable de choix, un être
en relation.
C’est pourquoi notre stratégie au SSADPA de Boën consiste - plutôt que d’utiliser des grilles
- à aller auprès de l’usager, l’observer, l’écouter pour tenter de décrypter sa stratégie et ses
contraintes, et de négocier avec lui un contrat d’accompagnement personnalisé s’appuyant sur
les ancrages formels et informels existants.15
En effet toute politique de maintien à domicile est fondée sur une mobilisation extensive des
ressources propres des bénéficiaires et non pas sur leur destruction. Analyser ces ressources
pour s’ancrer sur l’existant, cela est pour moi le véritable travail de l’évaluation. Ne pas
raisonner en terme de manque mais investir positivement la situation. Passer d’une logique de
14 NOGUES Henri, « la production de l’action sociale », in Informations sociales n°57, 1997.15 Ceci sera développé dans le chapitre 2.4 sur le projet p.51.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
réparation (fondée sur les incapacités) à une logique de promotion (fondée sur les
possibilités, les interactions avec l’environnement) me semble fondamental.
Après avoir examiné ces enjeux internes, voyons les enjeux externes, les contraintes
de notre environnement.
1.2. LES ENJEUX EXTERNES
Une conjoncture de crise économique qui conduit à rationaliser l'offre de soins et à
maîtriser l'évolution des dépenses, le désengagement progressif de l'assurance-maladie dans la
couverture du risque ouvrent la porte aux mécanismes de marché et aboutit à une logique
qualité/prix.
1.2.1. LA « MARCHANDISATION » QUI HANTE LE SECTEUR.
Le néologisme « marchandisation » fait aujourd’hui partie du vocabulaire critique de
l’action sociale. Il paraît dénoncer le passage d’une rationalité en valeur à une rationalité
économique, la dénaturation de l’éthique de l’action sociale par mutation de ses valeurs, ses
objectifs et objets, ainsi que de ses procédures.
Comme l’écrit Bernard Enjolras16 l ’expression « marchandisation des services sociaux » a
été forgée aux Etats-Unis pour rendre compte du mouvement majeur qui affecte le secteur
social depuis plus d’une décennie et se traduit par un double phénomène : l’accroissement de
l’offre lucrative et l’augmentation de la part des contributions des bénéficiaires dans le chiffre
d’affaires du secteur.
Si cette tendance à la « marchandisation » est loin d’être dominante en France pour
l’ensemble des services sociaux, le champ de l’aide à domicile a connu ces dernières années,
sous couvert de politique de l’emploi, des bouleversements profonds qui peuvent laisser
présager de futurs développements dans le sens d’une « marchandisation » accrue de ces
services et l’avènement d’un véritable « marché providence ».
16 ENJOLRAS Bernard, « Le marché providence, Aide à domicile et création d’emploi », Paris, Desclée deBrower, 1995.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
S'agirait-il, face à la crise de l'Etat-providence, d'y substituer le marché providence en
étendant le règne du marché et en favorisant le développement d'une offre lucrative? Ne
pourrait-on au contraire, promouvoir d'autres formes de régulation garantissant l'équité et la
cohésion sociale?
Les enjeux du vieillissement sont occultés par la thématique du gisement d’emploi :
la rentabilité du point de vue d’une politique de l’emploi, par où le modèle des politiques
publiques tend lui aussi à se caler sur le concept de marché.
« De l’exclusion qui était leur sort (...) les vieux se voient réhabilités dans une fonction
« d’homo economicus » exaltant leur pouvoir de consommation de biens, de produits et de
services. »17 Mais il s’agit d’une illusion d’intégration sociale (réduction du citoyen âgé à la
valorisation de son seul pouvoir d’achat).
Les nouveaux dispositifs d’aide à domicile sont parlants; depuis une dizaine d’années le
secteur connaît une profonde mutation : Le débat ne porte pas tant sur l’adéquation des
services aux besoins que sur la meilleure façon de privilégier la création d’emploi dans ce
champ d’activité sans prise en considération de la nature des besoins concernés.
♦ L’essor du marché de gré à gré et de la logique marchande : en 1987 les lois SEGUIN
complétées par les lois AUBRY de 1991 viennent modifier le paysage de l’aide à domicile, en
introduisant l’exonération des charges sociales patronales pour les personnes âgées de plus de
70 ans employant elles-mêmes directement du personnel à domicile, ainsi que les déductions
fiscales sur le revenu.
Les personnes âgées ont donc intérêt, financièrement, à salarier leur aide à domicile, si elles
ont des revenus supérieurs au plafond de l'aide sociale ou si elles nécessitent beaucoup d'aide.
Celles qui ne peuvent assumer leur fonction d’employeur font appel à des organismes dits
services mandataires .
La mise en place de ce dispositif répondait à la priorité affichée de développer l’emploi au
travers des emplois de proximité. Ce n’est que secondairement que le développement de
l’aide à domicile s’inscrivait comme objectif.
Mis en œuvre à partir de janvier 1992, le dispositif d’incitation à la création des emplois
familiaux (réduction d’impôt) poursuit un objectif explicite de création d’emploi.
17 Alain VILLEZ, conseiller technique à l’UNIOPSS, « Le marché de la gérontologie, mythe et réalités », LesCahiers de l’Actif n°254/255.
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♦ L’instauration du chèque emploi service18 favorise l’emploi de gré à gré.
♦ La loi du 29 Janvier 1996 relative aux emplois de services aux particuliers comprend deux
innovations:
⇒ Cette loi ouvre le service au secteur marchand. Elle étend aux entreprises le
bénéfice de l’avantage fiscal mis en place pour les emplois familiaux : la réduction d’impôt
sur le revenu est désormais accordée aux particuliers ayant recours, pour les prestations à leur
domicile, à des entreprises agréées.
⇒ Dans le même temps la loi impose des conditions particulières d’agrément pour les
associations et les entreprises dont l’activité concerne l’assistance aux personnes âgées ou
handicapées, un agrément qualité.
Mais la qualité de la prestation pourra-t-elle s’améliorer dans ce contexte de
concurrence?
Le développement du gré à gré, dans une logique marchande va à l’encontre de la
qualité de service : recherche de profit, de rentabilité impliquant précarité, pas de
qualification, pas de médiation entre le bénéficiaire et l’intervenant.
De plus cette tendance à la « marchandisation » s’accompagne d’incohérences et
d’iniquités en matière de solvabilisation de la demande de services aux personnes. Il y a
sédimentation des dispositifs au détriment de leur lisibilité.
♦ Enfin avec la loi sur la prestation spécifique dépendance (PSD) 97-60 du 24 janvier
1997, il y a toujours cette confusion entre politique de l’emploi et politique vieillesse, l’aide à
la personne âgée étant vue davantage sous l’angle du gisement d’emplois, du « marché
providence ». Cette nouvelle prestation départementalisée est d’aide sociale et non de sécurité
sociale, elle implique une part contributive de la personne et son statut d’employeur de
service, sous couvert d’un argument de citoyenneté.
Ceci marque un nouveau régime de protection sociale contaminé par le marché et qui
s’éloigne des solidarités sociétales classiques. Nous sommes en train de passer d’une
conception sociétale du social à une conception plus consommatoire et individualiste.
18 Décret n°94-974 du 10 novembre 1994.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
Les organismes d’aide à domicile doivent donc se positionner sur un marché en pleine
restructuration et mener des réflexions autour de la qualité de l’aide à domicile, l’objectif
étant de parvenir à opposer à la logique marchande des emplois de proximité, la spécificité
d’un métier, c’est-à-dire un véritable service à rendre (avec la fonction de conseil, de
médiation, de formation).
Comment le SSADPA se situe dans cet environnement concurrentiel ?
Je pense que le meilleur positionnement est la garantie de la qualité du service rendu,
valoriser ce qui fait notre différence et notre qualité :
♦ la déontologie d’action : valeurs éthiques reconnaissant la personne âgée comme un sujet,
dans toutes ses dimensions, avec ses stratégies, ses attentes en termes d’échange, de
relation humaine.
♦ la médiation, la coordination : il ne s’agit pas d’une simple relation duelle avec un client
mais de la prise en compte de la personne dans son réseau, ce qui nécessite l’articulation de
l’aide formelle et informelle.
♦ le savoir-faire et le savoir-être des intervenants : formation, qualification et régulation des
professionnels qui interviennent dans la sphère privée, l’intimité des gens.
Ne faut-il pas retenir l’absolue nécessité de mieux communiquer, rendre plus accessible notre
offre de service en justifiant notre savoir-faire, notre professionnalisme, afficher nos
spécificités, notre identité ? La charte et le projet sont des outils permettant cette lisibilité et
cette communication.19
Une autre manière de se positionner sur un marché, c’est le coût de la prestation. Le
financement du SSADPA étant assuré par la sécurité sociale, dans un contexte de maîtrise des
dépenses, quel est l’impact en matière de qualité ?
1.2.2. LA MAITRISE DES COUTS ET LE LIEN COUT/QUALITE
Nous sommes dans un contexte de maîtrise des dépenses de santé, les assurances sociales ne
parvenant pas à équilibrer leurs comptes (baisse des recettes du fait de la crise économique et
augmentation des dépenses liée à une pluralité de facteurs).
19 Cela sera l’objet de la seconde partie du présent mémoire.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
L’instauration du « budget global » en 1984, puis les modifications de la loi hospitalière en
1991 et 1996 ont permis la mise en place d’outils de rationalisation budgétaire et de
réorganisation de l’offre de soins (SROS20, PMSI21, Agences régionales d’hospitalisation
concluant des contrats d’objectifs et de moyens avec les établissements etc...).
La circulaire de la Direction de l’Action Sociale n°97-827 du 29 décembre 1997,
relative à l’évolution des dépenses d’assurance maladie pour les établissements médico-
sociaux sous compétence tarifaire de l’Etat officialise l’ objectif d’aligner les forfaits
journaliers des services de soins à domicile sur le forfait médian de soins constaté en 1995 et
actualisé des taux directeurs.
En 1995,le forfait médian était de 162,75F alors que notre forfait au SSADPA de Boën était
de 171,50F. En 1998, notre forfait a été actualisé de 1% par rapport à 1997, ce qui ne couvre
pas le GVT22 du personnel (poste qui représente 80% du budget).
Parallèlement l’incitation à l’amélioration de la qualité du service rendu se manifeste
dans les textes et au niveau des usagers.
Nous sommes donc confrontés à une double injonction, qui peut sembler contradictoire :
faire mieux et dépenser moins!
Cela conduit à nous interroger sur le lien entre activité, qualité et coût.
Il est facile pour un SSADPA de diminuer ses coûts , il lui suffit de :
♦ diminuer ses déplacements, en admettant des personnes sur un secteur plus restreint et en
refusant les personnes plus éloignées; le temps de déplacement est une source de coût
essentielle par l’intermédiaire du coût du salarié qu’il mobilise.
♦ diminuer le nombre de visites, en sélectionnant les entrées ayant un entourage actif ou
pouvant rémunérer des professionnels de l’aide à domicile en complément du SSADPA.
Mais alors qu’en est-t-il de notre mission de service public, sur un territoire donné,
garantissant l’accès des droits à tous?
20 Schéma Régional de l’Organisation Sanitaire21 Programme de Médicalisation du Système d’Information, indicateurs de gestion permettant de comparer lescoûts des établissements.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
Une autre solution consisterait à s’engager dans une démarche qui analyse finement l’activité
et la rende lisible, quantitativement et qualitativement à nos tutelles.
N’est-ce pas justement un des objectifs de l’accréditation ?
1.2.3. L’ACCREDITATION : UNE FORCE OU UNE CONTRAINTE?
Depuis juillet 1991, date de promulgation de la réforme hospitalière, un grand chantier
est engagé qui vise à réorganiser les mécanismes de régulation du système d'offre de soins en
vue d'une plus grande efficience. Au centre des préoccupations figurant dans la loi s'inscrit le
thème de l'évaluation des dispositifs d'offre de soins.
L’ordonnance n° 96-346 du 24 Avril 1996 portant réforme de l’hospitalisation publique et
privée institue la notion d’accréditation :
Art.750-5 : « Afin d’assurer l’amélioration continue de la qualité et de la sécurité des
soins, tous les établissements de santé publics et privés doivent faire l’objet d’une
procédure externe d’évaluation dénommée accréditation.
Cette procédure, conduite par l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en
santé, vise à porter une appréciation indépendante sur la qualité d’un établissement
ou, le cas échéant, d’un ou plusieurs services ou activités d’un établissement, à l’aide
d’indicateurs, de critères et de référentiels portant sur les procédures, les bonnes
pratiques cliniques et les résultats des différents services et activités de
l’établissement.
La procédure d’accréditation est engagée à l’initiative de l’établissement de santé,
notamment dans le cadre du contrat qui le lie à l’agence régionale de l’hospitalisation
instituée à l’article L.710-17. Dans un délai de 5 ans à compter de la publication de
l’ordonnance, tous les établissements de santé devront s’être engagés dans cette
procédure. »
L’accréditation est une procédure d’évaluation externe à un établissement de soins,
effectuée par des professionnels, indépendante de l’établissement ou de ses organismes de
22 Glissement Vieillesse Technicité.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
tutelle, évaluant l’ensemble de son fonctionnement et de ses pratiques. Elle vise à promouvoir
une politique de développement continu de la qualité au sein de l’établissement.
L’accréditation c’est reconnaître à priori, et pour une certaine durée, qu’une entité qui
propose des soins, satisfait à suffisamment de critères correspondant aux références du
moment, et ceci afin de garantir de manière prévisible une certaine qualité de services rendus.
En ceci elle diffère de l’évaluation qui obéit à une logique de résultats explicites et répond à
une démarche d’observation ex post qui permet de mesurer les écarts entre un objectif chiffré
ou mesurable et un résultat obtenu.
L’accréditation a 4 objectifs :
n la mise en valeur de la qualité des soins par la mesure des résultats et par
l’évaluation des structures et processus;
n apprécier la capacité de l’établissement à continuer à prodiguer des soins de façon
régulière, à réviser et à améliorer son fonctionnement pour préjuger de
l’administration de soins de qualité;
n l’amélioration de la qualité des soins en mettant à la disposition de l’établissement
normes et mesures de performance validées;
n par l’auto-évaluation, par la visite accréditive menée par des visiteurs issus du
milieu professionnel, par les recommandations et leur suivi, cette démarche veut
favoriser l’amélioration de la qualité des soins.
Il s’agit d’une accréditation « à la française », avec ses spécificités :
L’Etat a pris l’initiative de légiférer ce domaine ... mais il a voulu affirmer
l’indépendance de l’ANAES23 chargée de la mettre en œuvre.
Les textes précisent que l’initiative de la demande doit venir de chaque
établissement... mais tous les établissements devront s’être engagés dans la procédure dans les
5 ans.
L’accréditation est un jugement indépendant du système de tarification des
établissements... mais l’obligation d’engager le processus peut se trouver conforté par le
contrat d’objectif signé avec l’agence régionale d’hospitalisation. Dans tous les cas le rapport
d’accréditation est toujours transmis à cet organisme.
23 Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé.
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Accréditer dans son origine étymologique signifie « donner du crédit ». Cela implique
donner de la reconnaissance et indirectement financer. Il s'agit donc d'un enjeu majeur pour
les acteurs.
Dans un environnement économique rendant nécessaire la maîtrise des dépenses de santé et
dans un environnement institutionnel de planification de l’offre de soins, l’accréditation
amène à s’interroger sur le deuxième enjeu qu’elle recouvre : accréditer dans l’objectif de
financer à moindre coût.
La seule certitude repose sur le troisième enjeu de l’accréditation : avant tout démarche de
recherche de qualité elle permet de mobiliser les différents acteurs autour de l’idée forte que
l’ensemble de la chaîne des prestations doit être organisée en utilisant les techniques de la
démarche qualité.
Comment se positionner face à cette accréditation ?
Adopter une attitude de repli et attendre les évaluateurs externes avec leurs propres normes,
leurs propres référentiels ou avoir une attitude d’anticipation, utiliser cette contrainte comme
une force, une opportunité, un instrument de qualité?
Je défends cette seconde voie : initier une politique qualité interne, une dynamique
mobilisatrice, une démarche volontariste, une stratégie d’anticipation qui de plus seront un
excellent gage de l’acceptabilité technique et culturelle ultérieure d’une évaluation externe.
Je m’engage à ce que le SSADPA soit à la fois acteur et auteur dans cette démarche en
construisant ses propres outils, ses propres référents.
« Nous devons accepter que la collectivité nous impose un niveau minimum de moyens,
d’expertise, de procédures, de résultats. Nous devons enfin ne plus craindre le regard de
l’autre sur ce que nous produisons. Nous deviendrons ainsi plus responsables et en même
temps plus libres, car alors nous n’aurons à être jugés que sur nos résultats. »24
.
Un important travail d’interrogation des normes, des référents et de lisibilité de nos
pratiques est à entreprendre. Cela sera l’objet des chapitres suivants mais auparavant tentons
de définir les concepts de qualité et de démarche qualité.
24 LETEURTRE Hervé et coll., « L’accréditation hospitalière, gestion et services de soins », Paris, BergerLevrault, 1996.
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1.3. LA DEMARCHE QUALITE, UNE STRATEGIE FACE ACES ENJEUX INTERNES ET EXTERNES
Je rejoins Frederik MISPELBLOM25 qui définit la qualité comme une construction
sociale et historique. L’analyse du mot « qualité » est intéressante car il y a plusieurs
significations implicites et beaucoup de représentations sociales autour de ce terme.
La première signification est scientifique et philosophique : la qualité est une manière d’être,
une caractéristique qui donne une identité à une personne ou à une chose. Mais il est
important de noter que les qualités des êtres et des choses ne sont pas intrinsèques, éternelles
mais sont fixées en fonction du regard qu’on porte sur eux, en référence aux théories
disponibles. La qualité existe toujours en situation, au sein d’une grille de lecture.
La deuxième signification relève du domaine juridique. La qualité désigne ici une condition
ou une fonction sociale, civile ou juridique, un statut social. Elle recèle donc des enjeux de
pouvoir, touche aux hiérarchies qui constituent une société.
La troisième signification est du domaine de la morale, de l’évaluation. Elle désigne la valeur,
les mérites, la perfection de quelqu’un ou quelque chose. C’est un jugement de valeur.
La qualité n’est pas une évidence, ne va pas de soi mais suppose une référence à des théories,
des valeurs subjectives et sociales. A mon sens aucun travail sur la qualité ne peut faire
l’économie de l’interrogation sur les valeurs, sur les références et cela sera un axe
important de mon travail.
Si le mot qualité est ancien les démarches qualité sont plus récentes et contemporaines.
Elles se sont constituées à partir des problèmes de non-qualité provoqués par la production de
masse.
Constituent-elles un néo-taylorisme ou une rupture avec le modèle taylorien?
25 MISPELBLOM Frederik, « Au-delà de la qualité. Démarches qualité, conditions de travail et politiques dubonheur », Paris, Syros, 1995.
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1.3.1. DANS L’INDUSTRIE, DE LA NAISSANCE DU CONCEPT A LAQUALITE TOTALE. QUELLE IDEOLOGIE DE LA QUALITE?
Avant l’industrialisation, l’exigence de la qualité se traduisait simplement par la
conscience professionnelle des « bons » travailleurs et artisans, provoquée par l’exigence des
clients.
Avec le développement de la fabrication en série, l’ouvrier n’est plus en contact avec le client
et la mesure de satisfaction n’existe plus, il travaille pour un employeur, il y a séparation entre
ceux qui fabriquent et ceux qui consomment.
Le système d’organisation scientifique du travail de F.W. TAYLOR a contribué à créer les
conditions nécessaires à l’apparition des démarches qualité. L’emploi d’ouvriers peu qualifiés
et ses conséquences : la séparation entre la conception et l’exécution , l’accentuation de la
spécialisation des tâches, conduisent au désintérêt des ouvriers pour les caractéristiques
finales du produit, créant une des conditions fondamentales de l’apparition des problèmes en
matière de qualité (décalage entre produit conçu et produit réalisé).
La vérification et l’inspection de la qualité, une des spécialisations parmi d’autres
systématisées par le taylorisme, consistaient à faire le tri à la fin du processus de fabrication.
Cette inspection va trouver dans les instruments statistiques le moyen de développer son
emprise non plus seulement sur la fin du processus de production, mais tout au long de celui-
ci. La maîtrise statistique de la qualité est née, permettant de vérifier et contrôler la qualité, de
repérer les variations dans sa conformité aux normes stipulées.
C’est alors que commence à s’élaborer un savoir, qui se veut scientifique, universel et
généralisable, systématique et méthodique sur la qualité. L’élaboration de ce savoir spécialisé
et l’apparition de spécialistes constituent la qualité comme terrain spécifique, autonomisé par
rapport aux autres dimensions de la production. Ces théories nomment et construisent
théoriquement, techniquement et socialement l’objet qualité.
Après l’âge du tri et du contrôle, la qualité évolue vers la prévention : des dispositions sont
prises systématiquement , dès la conception et dans la réalisation.
Pour pouvoir faire face à la compléxification des produits et systèmes, notamment
dans les domaines spatiaux et nucléaires, les Etats-Unis créent l’assurance qualité après la
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dernière guerre. Cette dernière se traduit par la mise en place d’une prévention systématique
des défauts à chaque poste de travail, grâce à une organisation rigoureuse et à une forte
« traçabilité » permettant une surveillance et une connaissance des causes des défauts.
Actuellement l’assurance qualité s’étend peu à peu à l’ensemble des secteurs économiques
avec la certification par rapport aux normes ISO26.
En parallèle les Japonais développent la prévention par la mobilisation du personnel :
cercles de qualité, TQM (Total Quality Management), démarches visant à faire participer le
personnel à la recherche de la qualité et l’efficacité à chaque poste de travail.
L’exacerbation de la concurrence mondiale avec la prise de conscience de
l’importance primordiale de la satisfaction des clients et des coûts engendrés par la non-
qualité au sens large (tout défaut de bon fonctionnement de l’entreprise) font que la qualité est
devenue une des préoccupations majeures du management des entreprises.
De plus en plus dans l’entreprise, on passe de la qualité du produit correspondant à une
norme, un standard, dans le but de la satisfaction du client au concept de « qualité totale »
centré sur les dimensions organisationnelles, le management.
Le management par la qualité désigne un mode de management intégrant la qualité de
chaque strate organisationnelle de l’entreprise. Il se préoccupe alors de façon systématique de
la qualité des structures, de la qualité de sa stratégie, de son management. Il élargit la notion
de qualité à bien d’autres domaines que celui du produit.
C’est un système de fonctionnement de l’entreprise fondé sur un principe clé : celui de
l’extrapolation des relations de type clients-fournisseurs à toutes les relations de l’entreprise
(ainsi toute personne, tout service, tout sous-ensemble de l’entreprise est à la fois le
prestataire et le récepteur d’un service, d’un produit).
26International Standards Organisation : fédération mondiale d’organismes nationaux de normalisation ayantpour but de contribuer au développement de la normalisation; les intérêts français y sont représentés parl’AFNOR.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
Dans cette conception, la ressource humaine et le fonctionnement interne deviennent les
facteurs stratégiques pouvant œuvrer pour la recherche de qualité, qui touche l’ensemble de
l’entreprise et nécessite l’implication de tous.
La démarche de qualité totale est une recherche de qualité dans toute l’entreprise, elle ne
s’applique pas seulement aux produits finaux mais à l’ensemble des produits ou services
intermédiaires réalisés au sein de l’entreprise. On ne vise donc pas seulement une qualité
externe mais aussi une qualité interne liée au fonctionnement global de l’entreprise.
Cette exigence de qualité à tous les niveaux et dans tous les secteurs interpelle l’organisation
traditionnelle du travail, source de dysfonctionnements; elle nécessite une modification des
pratiques et une transformation de la culture de l’entreprise classique.
Elle nécessite la valorisation des capacités de chaque acteur (conception contraire à
l’organisation classique taylorienne), la création de structures et de systèmes, de méthodes de
travail favorisant l’initiative et la créativité.
Il s’agit d’un management participatif qui promeut la délégation, l’autonomie des acteurs.
Celui-ci se traduit notamment par des actions et des processus de concertation et de
coordination, en particulier pour le choix des objectifs, la mise à disposition des moyens et le
contrôle de l’activité.
Le développement de la capacité de résolution et de prévention des problèmes, faire travailler
ensemble des fonctions, des services et des hommes, sont les axes privilégiés de ce type de
management.
Sur le terrain on peut assister à une hétérogénéité des démarches qualité : les
démarches de normalisation visant la certification, qui sont les plus répandues, et les
démarches de management global par la qualité où les préoccupations en matière de qualité
s’effacent au profit du management.27 « Finalement ce qui se joue sur le terrain de la qualité
dans les entreprises, c’est la question du taylorisme : son renouvellement ou son
dépérissement. »28
27 Parfois même, comme cela est le cas dans l’entreprise où j’ai effectué mon stage dans le cadre de la formationCAFDES, les deux types de démarche coexistent.28 MISPELBLOM Frederik, voir supra.
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La première tendance vise à accroître le contrôle des tâches, le renforcement du pouvoir
central, la conformité des normes, le développement d’une nouvelle morale du travail, la
seconde cherche l’enrichissement des tâches, à stimuler la créativité et l’initiative, la
responsabilisation et contribue à réellement changer le travail, aller vers plus de participation.
Le thème de la qualité n’est donc pas unique mais traversé de courants et conflictuel.
Comme l’analyse très bien Frederik MISPELBLOM29 les résistances rencontrées ne
s’opposent pas au but final qui serait un produit ou un service de meilleure qualité mais aux
conceptions du « meilleur » et au prix à payer pour y parvenir. Les antagonismes sociaux ne
cèdent pas devant l’idéal de qualité et ce que cet auteur appelle la « politique du bonheur ».
L’importation du concept qualité dans le domaine social est elle possible et
souhaitable?
Au regard de quels objectifs et sur quels critères évaluer les résultats dans le social?
Que signifie la qualité dans la prise en charge des personnes?
Qui veut-on satisfaire? Selon quelles normes de qualité?
1.3.2. DANS LE SECTEUR SOCIAL ET DE LA SANTE, DEL’EVALUATION A LA QUALITE
Depuis une quinzaine d’années, les rapports des établissements du secteur social et
médico-social avec les organismes de tutelle, les financeurs, les usagers et la société évoluent.
Les établissements doivent rendre des comptes, justifier de l’utilisation de l’argent de la
collectivité. L’utilité sociale des structures ne va plus de soi. Le public, les médias, les
tutelles, les usagers et les professionnels eux-mêmes leur demandent d’expliciter cette utilité
sociale et l’utilisation des fonds publics, conformément aux missions et aux objectifs fixés.
C’est le concept d’évaluation qui a commencé à émerger il y a une douzaine d’années avec
la loi 86-17 du 6 janvier 1986 adaptant la législation sanitaire et sociale aux transferts de
compétences en matière d’aide sociale et de santé. Des critères d’évaluation des actions
conduites doivent être précisées par le schéma départemental et figurer également dans les
29 Voir supra
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
conventions d’habilitation des établissements. Le domaine social doit donc prendre en compte
la nécessité d’évaluer les actions menées
♦ globalement dans le cadre du schéma
♦ individuellement au sein de chaque établissement, pour apprécier l’efficacité de la structure
en vue de l’améliorer .
L’objet de l’évaluation c’est de mesurer l’écart entre un objectif assigné à un moment donné
au regard d’un besoin et l’adéquation de sa mise en œuvre par une réponse adaptée.
Cette culture de l’évaluation rencontre des résistances dans le secteur, liées :
* au caractère subjectif de ce que l’on veut évaluer.
* à l’histoire, la culture et la crainte que l’évaluation ne soit qu’une forme nouvelle de
contrôle.
* aux considérations déontologiques, aux réticences à évaluer des actions qui relèvent
souvent de modes de relation avec autrui.
Or pour Amédée THEVENET30 « ...l’évaluation est d’abord un état d’esprit, celui de mettre
au premier plan la qualité des services rendus aux usagers et de mettre tout en œuvre pour la
réaliser et en vérifier régulièrement la réalisation . »
« Si seulement l’évaluation faisait que les usagers du service public demeurent au c œur des
préoccupations des services publics, ce serait suffisant pour sa légitimité et son efficacité. ».
La crise des années 1980 a fait apparaître de façon aiguë les problèmes et enjeux
sociaux auxquels avaient à se confronter les doctrines et les savoir-faire des institutions. Alors
les professions sociales se sont vues interpellées sur la qualité des actions qu’elles
engageaient ainsi que sur leur coût (faire mieux ou différemment avec les mêmes moyens).
Actuellement aucune obligation légale liée à la qualité ne concerne le secteur. Cependant au
regard des réformes dans le secteur sanitaire31, et des positions de la direction de l’action
sociale exprimées par rapport à l’actualisation de la loi de 1975, la volonté de développer une
évaluation externe de la qualité existe bien.
30 THEVENET Amédée, « Créer, gérer, contrôler un établissement social ou médico-social », Paris, ESF, 1993.,31 Voir supra, chapitre sur l’accréditation p.21.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
L’enjeu pour les professionnels n’est-il pas d’anticiper une telle évolution et de
développer une démarche propre à leur secteur, de sa définition aux conditions de sa
mise en œuvre?
En ce qui concerne le secteur sanitaire, trois mouvements majeurs se sont dessinés
autour de la qualité à l’hôpital.
Un premier temps qui est celui de l’évaluation de la qualité : les bases
conceptuelles ont été jetées dans les années soixante en distinguant trois niveaux d’analyse :
* les structures
* les procédures
* les résultats des soins
C’est une définition de la qualité qui caractérise d’une part la performance du professionnel
de la santé (décomposée en une dimension technique et une dimension relationnelle) et
d’autre part celle de la structure où sont délivrés ces soins.
Un second temps, celui de l’assurance qualité, avec une double évolution par
rapport à la simple étape d’évaluation:
* le caractère dynamique en engageant des dispositifs de surveillance amenés à
fonctionner régulièrement.
* les actions correctrices qui permettent d’assurer un niveau de qualité sont mieux
formalisées et interactives; elles reposent sur des critères de référence ou standards définis au
préalable.
Un troisième temps : avec la gestion de la qualité, il y a une certaine rupture
par rapport aux conceptions précédentes et une critique de ces dernières portant sur :
- l’oubli de certaines dimensions organisationnelles.
- le caractère trop normatif des méthodes employées.
- le caractère réducteur d’une approche centrée sur l’analyse de la pratique clinique
occultant les conditions d’organisation et de coordination des soins.
- le risque d’aboutir à des standards minimaux permettant de délivrer des soins de
qualité minimale.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
Un mouvement est donc né mettant en avant la notion d’amélioration continue de la qualité
et prenant en compte :
- l’usager; la qualité est ainsi perçue comme la meilleure adéquation entre l’offre et
les besoins de l’usager.
- la place importante accordée aux dimensions organisationnelles; pour qu’une
véritable gestion de la qualité s’opère, il est nécessaire de maîtriser l’ensemble des modes
d’organisation; la qualité devient même le principe d’action unique autour duquel l’ensemble
de l’organisation et de ses acteurs doivent se rassembler.
Pour atteindre ces objectifs il faut qu’il y ait analyse des processus existants visant à détecter
des dysfonctionnements. Cette phase de diagnostic s’effectue en groupe avec des méthodes de
résolution de problèmes et sert de support au changement.
On est donc passé - d’une orientation tournée vers le passé (inspection à posteriori) à une
orientation tournée vers le présent.
- d’un système plancher (conformité au standard minimal) à un système
plafond centré sur les besoins du patient.
- d’une vision spécialisée (les pratiques professionnelles) à une vision plus
élargie intégrant les facteurs organisationnels .
Comment le secteur qui est plus spécifiquement le nôtre, le secteur gérontologique,
s’est-il emparé de ce concept de qualité?
1.3.3. LA QUALITE DE VIE EN GERONTOLOGIE
L’émergence du concept de qualité de vie dans le secteur gérontologique, a été
influencée par l’éthique, la reconnaissance des droits et libertés des personnes âgées.
Ce concept vise à décrire les aptitudes d’un individu à fonctionner dans un environnement
donné et à en tirer satisfaction.
Il y a trois dimensions constitutives de ce concept :
* les conditions de vie objectives dans certains domaines (environnement, réseaux
sociaux) et la perception subjective (satisfaction) des conditions.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
* le répertoire des capacités, limites fonctionnelles et performances (réelles et perçues)
de la personne déterminant le degré de maîtrise de l’environnement et la capacité à remplir les
rôles sociaux.
* le sentiment de bien-être subjectif associé à des caractéristiques psychologiques.
Pour Bernard CASSOU 32, ce qu’il faut privilégier c’est la qualité de vie subjective, reposant
sur le vécu du sujet, en référence aux échelles de valeurs individuelles et non aux normes
culturelles et sociales.
L’approche la plus pertinente est celle plaçant l’individu au centre du processus
d’évaluation.
Alain VILLEZ 33, analyse comment la prévalence des préoccupations éthiques, basées sur la
reconnaissance des droits fondamentaux des personnes âgées, a permis une véritable
mutation, une révolution culturelle dans les établissements, comment on est passé d’une
logique de domination caractérisant l’institution asilaire à une logique de service avec la
contractualisation, l’individualisation des services rendus, la promotion de la qualité avec un
résidant partenaire.
Geneviève ARFEUX-VAUCHER34 responsable de la cellule évaluation à la Fondation
nationale de Gérontologie a mis au point une méthode d’évaluation de la qualité de vie dans
les institutions dont les principes de références renvoient à :
*la conception du résidant : le résidant est une personne; il faut reconnaître son rôle
social et réaliser l’intégration sociale de l’institution.
*la mission de l’établissement : l’accueil est une mission, il faut offrir un domicile,
accompagner.
*la dynamique institutionnelle : l’institution a un projet; il faut déterminer des
valeurs, des objectifs à atteindre.
Le projet de vie est donc un catalyseur de la démarche qualité :
*toute institution doit redevenir un lieu de vie (par rapport au primat du soin ), lieu où
l’on est soigné pour vivre et non pas où l’on vit pour être soigné.
32 Praticien chercheur à l’INSERM, « Evaluer la qualité de vie des personnes âgées : une entrepriseproblématique », Gérontologie et société, Juin 1995.33 Conseiller UNIOPSS, Gérontologie et société Juin 1995, « Du placement à l’accueil, du pensionnaire aurésidant, les établissements en marche ».
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
*l’élément princeps est la dimension de la citoyenneté et de la dignité .
En résumé, ce qui est prépondérant dans la qualité de vie c’est la dimension subjective, la
perception du sujet et non l’analyse objectivante par un tiers.
Je propose donc d’enrichir la définition de la qualité avec cette dimension subjective:
La définition faisant l’objet d’une norme ISO présente la qualité d’un produit ou d’un service
comme « l’ensemble des caractéristiques qui lui confèrent l’aptitude à satisfaire des besoins
exprimés ou implicites ».
Pour un service ces caractéristiques « peuvent comprendre des aspects relationnels (accueil,
dialogue...), des conditions d’ambiance et de confort, des aspects liés au temps (respect des
horaires), des dispositions propres à faciliter la tâche de l’usager (formulaires simples...) »35.
Cette définition paraît toutefois incomplète car elle ne prend pas en compte la
distinction importante entre qualité perçue et qualité réelle. En effet une prestation de
service ne peut être appréciée intrinsèquement, elle est aussi appréciée de manière totalement
subjective au travers des systèmes de valeurs du bénéficiaire de la prestation.
Ne faut-il pas articuler la qualité offerte objectivable par référence à des normes
réglementaires ou professionnelles et la qualité perçue par l’utilisateur?.
Avec Hervé LETEURTRE36je pense que la démarche qualité doit s’appuyer à la fois sur des
standards professionnels (analyse objective ) et sur des perceptions d’utilisateurs (approche
subjective).
En dernière analyse la qualité d’un produit ou d’un service n’est bonne que si elle est jugée
comme telle par l’utilisateur, d’où l’importance des approches par l’objet (le produit ou
service) et par le sujet (consommateur).
34 ARFEUX-VAUCHER Geneviève,« L’évaluation d’établissement d’accueil : principes et réalités, gérontologieet société, Paris, juin 1995.35 CRUCHANT Lucien, « La qualité «, Que sais-je ? PUF, 1993.36 Voir supra p.24.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
La définition de la qualité devient donc : « ensemble des caractéristiques qui confèrent au
produit ou au service l’aptitude à satisfaire des besoins exprimés ou implicites et qui satisfont
effectivement le consommateur ».37
La démarche qualité initiée au SSADPA de Boën prend donc en compte cette dimension
subjective en l’intégrant dans l’évaluation, la construction des référentiels et aussi par le biais
de l’audit d’évaluation de la qualité auprès des personnes soignées.
Partir du point de vue du sujet âgé afin d’en déduire des améliorations continues de la qualité,
mettre l’institué au service de l’instituant, me semble primordial.
37 Hervé LETEURTRE, voir supra.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
2. ALORS QUELLE DEMARCHE QUALITE?
Les trois grands axes de cette démarche s’articuleront sur trois bords :
♦ La prise en compte de la dimension subjective et son articulation avec la dimension
objective.
♦ L’éthique support de la démarche et sa concrétisation dans la charte, référence pour
l’action. La démarche s’inscrit dans une dimension éthique, qui permet de nous interroger sur
nos valeurs et de déconstruire des présupposés.
♦ Le projet mobilisateur et fédérateur, dérivé lui-même de ces valeurs éthiques, forgeant
notre identité en interne et à l’extérieur.
2.1. LA PRISE EN COMPTE DE LA DIMENSION SUBJECTIVEPOUR UNE DYNAMIQUE QUALITE CENTREE SUR LAPERSONNE
Il résulte de tout cela que ma conviction, partagée par l’équipe, est d’initier une dynamique
qui mette la personne âgée au centre du dispositif. Pour ce faire nous nous engageons dans
une démarche qui prend en compte la dimension subjective, le sujet, ses attentes, sa
satisfaction, sa qualité de vie plutôt qu’une démarche normative, qui serait conformité à des
normes extérieures, objectives.
Comment l’évaluation que nous mettons en place va-t-elle prendre en compte cette dimension
subjective ?
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
2.1.1. DES REFERENTIELS CENTRES SUR LA PERSONNE AGEE
Comme le démontre Charles HADJI38 l’évaluation est l’acte par lequel on opère une lecture
orientée de la réalité et elle implique un double travail de modélisation :
∗ Avoir une idée claire et précise des attentes en fonction desquelles il convient d’apprécier
l’objet, des critères (ce que l’on attend). Le référent (ensemble des critères) est à
construire et constitue en quelque sorte un modèle réduit de l’ensemble des attentes
sociales concernant l’objet.
∗ Prélever dans la réalité de cet objet des observations qui seront autant de signes attestant de
la réalisation des attentes (indicateurs). Le référé ainsi construit constitue un modèle
réduit de l’objet réel « lu » sous l’angle du questionnement découlant des attentes.
La construction du référent est prioritaire : si je ne sais pas ce que je suis en droit d’attendre
d’un objet je ne peux l’évaluer. L’observation est une opération seconde en référence à la
grille de lecture.
QUESTIONNEMENT ⇒ CONSTRUCTION REFERENT ⇒ CONSTRUCTION
REFERE
Prenons l’exemple de l’évaluation du domicile d’une personne âgée avant la décision
d’intervention.
Il y a un rapport particulier de tout individu à son habitat :
◊ habitat-habitacle, espace repère, support fonctionnel face aux handicaps (cécité, pertes de
mémoire)
◊ habitat-réceptacle des émotions où l’espace vécu constitue le support de la vie affective
dans tout le parcours de la vie.
◊ habitat prolongé sur le quartier, véritable lieu public des supports relationnels.
◊ habitat-repaire, espace intime, lieu des relations corporelles par rapport à la vie extérieure
qui peut être perçue comme dangereuse par projection.
38 HADJI Charles, « L’évaluation comme volonté de régulation critique », Revue Empan n°9, Toulouse,Octobre 1992.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
Ce qui à mon sens doit donc être pris en compte c’est l’adaptation de la personne à son
habitat, son vécu subjectif, au vu des critères mentionnés ci-dessus, ainsi que son libre choix
et non pas des normes extérieures, culturelles, projetées par les soignants, l’entourage ou les
travailleurs sociaux.
On voit se constituer une modélisation du mode d’habiter, une nosographie de « l’habiter
non-conforme » dont les indices sont les modalités de l’entretien, le type de sanitaire et de
chauffage et la nature même de l’habitation, son ancienneté, comme l’analyse Simone
PENNEC 39« La modélisation conduit à une intégration normative par un renversement des
perspectives où il ne s’agit plus de concevoir avec l’habitant les modalités d’amélioration de
son mode de vie mais bien plutôt de moderniser son cadre de vie en y adaptant ses propres
pratiques . Se profile ainsi un art du bien habiter auquel on est tenu de se conformer. »
Ce qui légitimera une action de maintien à domicile c’est la volonté, le désir de la personne de
rester chez elle, que l’habitat corresponde ou non à des normes. L’équipe s’adaptera et
proposera des solutions pour pallier les problèmes matériels (la bassine qui remplace le
lavabo, l’installation d’un lit au rez-de-chaussée ...). Mais souvent nous nous heurtons à de
l’incompréhension, voire de l’agressivité de la part du voisinage qui pense que « ce n’est pas
sa place ici », la bonne place étant la maison de retraite. Pour nous la « bonne place » est la
place que s’est choisie la personne et non pas celle que l’on veut lui assigner.
Il apparaît donc primordial de construire nos propres référents centrés sur l’usager et
de ne pas utiliser des référentiels externes issus d’une culture médicale qui exclue celui-là
même pour qui l’action est menée.
2.1.2. L’AUDIT D’EVALUATION DE LA QUALITE PERCUE
Comment prendre en compte cette dimension subjective qu’est l’appréciation du service par
le « client »? Après en avoir débattu longuement en équipe, il nous a semblé que le meilleur
outil d’évaluation de la qualité perçue est l’audit40, l’entretien direct avec la personne et son
entourage, leur écoute. L’enquête de satisfaction sous forme de questionnaire présentait
39 PENNEC Simone, « Mal logés, indices ou prescription, indicateurs ou prescripteurs »,Gérontologie et sociétén°52.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
l’avantage de l’anonymat, la confidentialité, pouvant libérer la parole des usagers, ainsi que
celui d’un traitement facilité et collectif (permettant des statistiques). Mais des inconvénients
nous sont apparus difficilement contournables, notamment le coté rigide et inducteur des
questions par rapport à un entretien plus ouvert.
L’audit comprend deux entretiens semi-directifs (utilisation d’une grille) : le premier a lieu un
mois après le début de l’intervention du service et porte surtout sur la procédure de
l’intervention, les attentes des personnes et leur satisfaction quant aux réponses fournies. Le
second a lieu deux mois plus tard et porte davantage sur l’évaluation des prestations et des
résultats obtenus.
Il est effectué par l’infirmière coordonnatrice qui présente l’avantage d’être au contact des
usagers mais suffisamment en recul pour ne pas influer affectivement sur le discours de la
personne. Une synthèse de chaque audit est faite en réunion pluri-disciplinaire et peut
permettre de réajuster le dispositif au cas par cas. La synthèse des audits est effectuée deux
fois dans l’année par les groupes de travail et influe sur la recherche d’une meilleure
organisation, sur le projet de service. L’usager devient ainsi porte-parole et participe à
l’orientation des pratiques professionnelles ; l’audit permet de partir de son point de vue
pour en déduire des améliorations continues de la qualité.
En troisième partie, dans le chapitre sur l’évaluation de la qualité je reviendrai sur cet audit
qui est un élément central de notre démarche qualité : critères, illustration de l’impact sur
l’organisation.
Cependant une question se pose : est-ce qu’en matière de santé et d’aide sociale la satisfaction
des bénéficiaires ne présente pas des limites ? Le client ne paie pas (financement par la
sécurité sociale) et sa satisfaction peut aboutir à une inflation de l’aide et du coût. Nos clients
ne sont pas les seuls bénéficiaires, les médecins prescripteurs, le financeur sont aussi des
clients à satisfaire. Demande et commande sociale viennent s’imbriquer et il nous faut les
articuler. La démarche qualité permet cette articulation en prenant en compte tous les
paramètres. James TEBOUL 41 nous indique que la solution c’est d’« évaluer la qualité en
40 J’emploie le terme d’audit dans son acception classique « procédure de contrôle des objectifs » (Larousse),qui vient du latin « audire »entendre, écouter.41 TEBOUL James, « De la qualité et de ses perversions », in Gestions hospitalières n°369, octobre 1997.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
prenant constamment en compte les quatre dimensions qui en déterminent la vraie valeur :
résultats, processus, satisfaction du client et coûts. »
Pour être complet il faudrait ajouter également que la garantie d’une bonne qualité repose
aussi bien sur la satisfaction du client que sur celle des intervenants, leur implication dans la
démarche.
Là aussi dimension objective et dimension subjective ont à s’articuler et se compléter : la
qualité technique, le savoir-faire (la compétence) et la relation humaine, le savoir-être ( le
comportement).
Si l’on peut maîtriser aisément la première, la seconde l’est plus difficilement. 42
De par ces notions de subjectivité, dimension humaine, valorisation du sujet, la démarche
s’inscrit dans une position éthique. Notre cheminement vers la qualité devient une démarche
éthique , basée sur la mise en commun et l’appropriation de valeurs fondamentales, références
de nos pratiques.
2.2. LE FONDEMENT ETHIQUE, FIL CONDUCTEUR DE LADEMARCHE QUALITE
La démarche en cours au SSADPA prendra donc en compte la subjectivité, la singularité et
sera centrée sur la personne. Or le discours dominant (politique et médical) place le plus
souvent l’être âgé comme un objet de soins et d’aide; nous verrons comment cette
construction d’objet s’est opérée et comment le concept de dépendance vient l’illustrer.
2.2.1. DE LA CONSTRUCTION DE L’OBJET « PERSONNE AGEE »
Comprendre pourquoi la variable âge a servi à caractériser à elle seule un groupe de
personnes dont la caractéristique commune est d’être âgées plutôt que d’être des personnes!
C’est à dire qu’à partir d’une variable unique, on a imposé l’idée que le groupe ayant en
42 Ce problème sera débattu en troisième partie
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
commun cette unique variable était un groupe sociologiquement homogène et, de plus, un
groupe à risques ayant des problèmes identiques, les problèmes des « personnes âgées ».
Bernard ENNUYER 43 a contribué à comprendre ce qui a permis la construction de cet objet,
ce savoir, ces représentations de la personne « z » âgée, et de son groupe de référence « les
personnes âgées » et dans le même temps , à déposséder un certain nombre de gens
vieillissants de leur histoire et de leur moi propre, jusque et surtout dans leurs modes de vie
quotidiens.
Il repère d’abord une première construction d’objet dont sont responsables les
technocrates liés au monde politique ou administratif et dont l’apothéose sera la création en
1981 d’un secrétariat d’état chargé des personnes âgées : on fait sortir les « vieux » du giron
de l’action sociale générale pour en faire un objet particulier.
La seconde construction d’objet est celle dont est responsable la médecine. Elle a
opéré sur le champ de la vieillesse un double déplacement :
♦ confusion vieillesse et maladie
♦ constitution de ce qui fait son objet : la maladie et/ou la vieillesse comme
sujet de son discours et effacement de la position de l’énonciation du
discours qui est celle du malade et/ou du vieux lui-même. « Le vieux est
ainsi devenu l’objet d’un savoir en gériatrie et a été dépossédé de son “ je ”
de vieux, pour
récupérer un statut obligé de malade ou d’assisté. ».
De plus à partir du handicap indéniable de quelques personnes vieillissantes, on a assimilé
d’une façon générale vieillesse et handicap et donc fait de la vieillesse systématiquement un
déficit, une perte, un manque. On a donc connoté fondamentalement la vieillesse comme
négative.
Cette construction d’objet a lieu dans un espace de médicalisation du champ social. La
médicalisation implique un certain type de regard qui objectivise et modélise. Michel
43 ENNUYER Bernard, «L’objet « personne âgée », in « Etre vieux. De la négation à l’échange », revueautrement, série mutations, n°124,Octobre 1991.
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FOUCAULT44 montre comment la lecture médicale met le patient entre parenthèses : pour
connaître la vérité du fait pathologique, le médecin doit abstraire le malade, soustraire
l’individu avec ses qualités singulières .
Jusqu’au 18ème siècle la médecine s’est référée beaucoup plus à la santé qu’à la
normalité : elle ne prenait pas appui sur l’analyse d’un fonctionnement « régulier » de
l’organisme pour chercher où il est dévié, par quoi il est perturbé, comment on peut le rétablir,
elle se référait plutôt à des qualités de vigueur, de souplesse, de fluidité que la maladie faisait
perdre et qu’il s’agissait de restaurer.
La médecine du 19ème siècle se réfère plus en revanche à la normalité qu’à la santé.
C’est par rapport à un type de fonctionnement ou de structure organique qu’elle forme ses
concepts et prescrit ses interventions. Il y a bipolarité normal/pathologique, le normal étant
une positivité située implicitement comme une norme.
La médecine n’est plus seulement le corpus des techniques de la guérison et du savoir
qu’elles requièrent mais aussi une connaissance de l’homme non-malade et une définition de
l’homme-modèle. Dans la gestion de l’existence humaine, elle prend une posture normative,
qui ne l’autorise pas simplement à distribuer des conseils de vie sage, mais la fonde à
régenter les rapports physiques et moraux de l’individu et de la société où il vit.
Les concepts de dépendance et autonomie très utilisés en gérontologie illustrent très bien cette
représentation de la personne âgée.
L’autonomie est le droit pour un individu de se déterminer librement.
Capacité et/ou droit pour une personne de choisir les règles de sa conduite,
l’orientation de ses actes et les risques qu’elle est prête à courir. On est dans le registre
de l’éthique.
La dépendance est le fait qu’une personne n’effectue pas sans aide, qu’elle ne
le veuille ou qu’elle ne le puisse, les principales activités de la vie courante, physiques,
mentales, sociales, ou économiques. On est dans le registre des conduites plus
concrètes.
Il s’agit donc de concepts différents. On peut par exemple être dépendant et autonome.
44 FOUCAULT Michel, « Naissance de la clinique, une archéologie du regard médical »,Paris, PUF, 1972.
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Les termes perte d’autonomie et dépendance ne sont donc pas du tout équivalents. La
confusion est très souvent entretenue cependant comme pour signifier que lorsque les gens
deviennent dépendants ils n’ont plus leur mot à dire dans ce qu’ils veulent vivre et de ce fait
sont en perte d’autonomie.
Comme le dit Bernard ENNUYER45 « contrairement à l’opinion répandue, ce n’est pas la
dépendance qui, ayant prétendument pris naissance dans le médical - le vieillissement
biologique -, provoque la perte d’autonomie, c’est à dire l’incapacité, dans le domaine social,
de décider de son mode de vie, mais tout autant le regard social c’est à dire la production
d’interdits, la production de lois, de normes, que ce soit dans les pratiques quotidiennes, dans
les modes de vie, dans l’habitat, dans le système de relations sociales... »
La dépendance en tant que lien social est notre condition à tous; le fait de la circonscrire chez
les « vieux » serait une tentative inconsciente d’échapper à notre dépendance déjà présente.
2.2.2. DE LA MORALE A L’ETHIQUE : LA VALORISATION DU
SUJET
Pourquoi cette construction d’objet?
Pourquoi le sujet vieux n’a-t-il plus le droit de vivre avec son âge, et les risques qu’il veut
choisir, c’est à dire autonome, même s’il n’est pas capable de subvenir tout seul à ses besoins
quotidiens, ce qui est la définition classique de la dépendance.
On peut penser que le système social a par rapport à la vieillesse une position morale alors
qu’il lui faudrait une position éthique.
« Alors que le sujet moral doit se conformer à une loi préexistante...le sujet éthique ne se
constitue pas par son rapport à la loi sous laquelle il se range, mais à partir de l’élaboration
d’une forme de rapport à soi qui permet à l’individu de se constituer « comme sujet d’une
conduite morale »...L’éthique s’intéresse précisément aux conditions de cette production du
sujet...L’éthique ne révèle pas une figure du sujet en soi, précédant les conditions historiques
45ENNUYER Bernard, « La dépendance instituée » in Informations sociales Nov.1990.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
de sa réalisation, mais l’histoire du sujet. Elle montre comment dans telles ou telles
conditions, les individus deviennent sujets. »46
Avec une morale imposant des solutions et des modes de vie aux vieux nous sommes passés
dans le domaine de la vieillesse à ce que Michel FOUCAULT appelle l’ère d’un bio-pouvoir,
dont la conséquence est l’importance croissante prise par le jeu de la norme aux dépens du
système juridique de la loi : la personne (sujet) s’efface devant la « personne âgée ».
Est-ce que cette réification du sujet âgé ne s’origine pas dans les peurs de la vieillesse et de la
mort ?
Peur de la vieillesse conduisant ceux qui l’objectivent à une position d’extériorité.
La vieillesse est vécue comme dangereuse, il y a perte de ce côté dangereux en réifiant la
personne âgée.47
Les classifications en dénommant, désignant, créent l’exclusion .
Le terme « catégorie » d’origine grecque signifie « accusation ». Le « kategorikos » est
l’accusateur. Le verbe « kategoreô » veut dire à la fois parler contre (accuser) et rendre visible
(révéler). La catégorie, en ce sens, révèle le caché, dévoile un mystère. Elle rend visible la
faute, le handicap et le dysfonctionnement du système, mais en même temps, elle accuse,
montre du doigt, désigne un malade, un coupable. Elle risque par conséquent d’exclure
puisque désigner signifie « marquer d’un signe ».
On peut dire que la morale a une visée d’homogénéisation, de catégorisation, et de
désignation. L’hétérogène y apparaît comme un désordre par rapport à un ordre qu’il faut
maintenir, est analysé comme accidentel et doit rentrer dans les catégories de l’homogène. La
catégorie permet cette maîtrise, elle classe et organise les difficultés nouvelles pour les mieux
maîtriser.
46 Revue Autrement n°102, Novembre 1988 Pierre MACHEREY «Foucault : éthique et subjectivité».Voir également infra, p.47.47 Voir à ce sujet les travaux de Jean MAISONDIEU
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
Il me semble que nous devons maintenant interroger ce concept d’éthique.
Etymologiquement, éthique vient d’« Ethos » terme grec, qui désigne d’abord les mœu rs, les
manières d’être dans un groupe déterminé par des valeurs et des normes.
Ethos a aussi le sens de singularité48, caractère propre. Dans cette acception il désigne la
marque distinctive, le signe singulier. L’éthos affirme le caractère unique de chacun. Dans
cette perspective l’hétérogène a une place privilégiée parce qu’il implique échappatoire,
paradoxe, rupture, rapport du même et de l’autre.
L’ethos est le champ même de la responsabilité éthique, non par rapport à un lieu ou à une
norme extérieure, ce qui est dans l’ordre de la responsabilité morale, mais par rapport à soi-
même, à ses intentions particulières, à son désir propre.
Pour Emmanuel LEVINAS49 l’éthique est le fond de l’être et le sens de l’être. L’éthique
signifie d’abord ce qui se passe dans le rapport d’un homme à un autre homme ou signifie le
passage même de l’humain dans l’homme en guise d’ouverture du moi comme même à l’autre
en son altérité. Une asymétrie essentielle est base même de l’éthique : non seulement je suis
plus responsable que l’autre mais je suis même responsable pour la responsabilité de tout le
monde.
La morale se définit comme des coutumes, des mœ u rs, des façons de faire (ce qui est bon ou
mal, ce qu’il faut faire et ne pas faire...). Elle constitue un ensemble de règles de conduite, un
système d’exigences régissant la conduite humaine. Elle fait d’abord appel à la soumission et
à la conformité. Est moral ce qui est en conformité avec les pratiques sociales codifiées (loi,
droit) et avec les « habitus » (manières de vivre non codifiées par les lois).
Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent elle a une visée d’homogénéisation, de
catégorisation et de désignation.
48Jean-Bernard PATURET, « l’éthique au c œ ur de l’action sociale », Les associations dans l’action sociale,Rennes, ENSP, 1997.49 LEVINAS Emmanuel, « Totalité et infini », La Haye, Martinus Nijhoff,1961.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
L’éthique quant à elle, est davantage envisagée comme une façon de penser, questionnement
pour le discernement, réflexion sur les conduites qui peuvent être prévisibles. Dans ce sens
elle est interrogative et non prescriptive comme la morale, le droit.
Paul RICOEUR50 distingue également éthique et morale, et réserve le terme d’éthique pour
tout le questionnement qui précède l’introduction de l’idée de loi morale et désigne par
morale tout ce qui, dans l’ordre du bien et du mal, se rapporte à des lois, des normes, des
impératifs.
L’éthique c’est la question du sens des valeurs, du sens de l’acte.
Au point où nous en sommes, je dirai que la position éthique conditionne tout le
processus de notre démarche qualité : interrogation des valeurs plutôt que conformité à une
norme.
Elle permet d’opérer le passage de l’implicite à l’explicite : lisibilité interne (travail en
commun sur les valeurs, le sens) et lisibilité externe (affichage de nos valeurs aux financeurs,
usagers, partenaires, environnement).
C’est la base de notre position d’accompagnement et de notre mode de prise en compte
(plutôt que prise en charge réifiant la personne).
Elle permet un questionnement permanent en interrogeant nos pratiques et elle permet de
penser au-delà de l’idéologie dominante, d’élaborer nos questions en dehors des réponses
préétablies. Cela passe par une déconstruction des représentations, des présupposés.
Elle permet de mobiliser les acteurs sur des références communes. La valorisation de la
personne âgée en tant que sujet est une valeur centrale, c’est à dire que l’attention à l’autre,
à sa subjectivité, à ce qu’il a de particulier, la reconnaissance de l’altérité radicale et
irréductible de l’autre seront la clé de voûte du projet.
Notre position éthique doit être lisible, affichée à l'intérieur et au dehors et la charte
me paraît être l'outil adapté pour atteindre ces objectifs.
50 Paul RICOEUR, « Avant la loi morale : l’éthique », Encyclopaedia Universalis.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
2.3. LA CHARTE : POUR UN ENGAGEMENT QUALITE
Afin d’expliciter nos valeurs et de formaliser notre engagement dans un cheminement vers
l’amélioration de la qualité du service nous avons conçu une charte en équipe. Il s’agit d’un
travail collectif ayant permis de s’interroger sur nos valeurs éthiques et déontologiques51, de
se les approprier mais aussi de se fixer des objectifs qualité, de s’engager pour nous-mêmes et
à l’égard de nos partenaires et bénéficiaires.
2.3.1. UN CADRE DE REFERENCE POUR L’ACTION
La charte s’inspire des principes généraux issus de la charte des personnes âgées dépendantes
de la Fondation Nationale de Gérontologie, qui elle-même s’inscrit dans une démarche
éthique.
⇒ Le respect de la dignité de la personne
⇒ La liberté du choix et du mode de vie
⇒ La reconnaissance de la citoyenneté en affirmant :
• sa liberté d'opinion
• son intégration sociale
• le principe de la responsabilité personnelle
Les principes particuliers de la charte se déclinent à partir des caractéristiques du SSADPA,
qui sont l’intervention à domicile (espace privé),et sur le corps humain (domaine intime), ce
qui induit des règles de conduites particulières :
⇒ Préserver les liens affectifs humains et matériels
⇒ Respecter l'histoire, le vécu, l'intimité et les habitudes de vie
⇒ Soutenir l'autonomie physique et psychique
⇒ Le secret professionnel
La charte sert de référence au projet et à l'action . Elle fixe des valeurs, des objectifs qui se
retrouvent dans le projet et dans l'action. Elle sert également de guide pour l'évaluation.
.
51 code des bonnes pratiques professionnelles
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
2.3.2. LA COMMUNICATION EXTERNE DE NOTREENGAGEMENT
Si elle est point de repère pour les professionnels afin de protéger l’usager reconnu comme
sujet et le conforter dans ses droits, la charte que nous avons établie se veut aussi engagement
dans la qualité et communication à l’extérieur des principaux objectifs qualité du service:
• La garantie d’une réponse rapide.
• L’évaluation de la demande et la négociation d’un projet personnalisé.
• L’ancrage sur le réseau informel et formel.
• l’organisation de l’intervention sur mesure, en partenariat avec tous les acteurs,
dont la personne elle-même.
• Le suivi de l’intervention et son ajustement permanent en fonction de l’évolution.
• La garantie de la qualification, de la compétence par le recrutement et la formation
mais aussi du comportement, du savoir-être par la fonction de médiation du service
et les groupes de régulation.
• Le soutien des aidants.
Maintenant que nous avons listé les principes affichés de la charte, examinons les valeurs
centrales du projet.
2.4. LE PROJET CATALYSEUR DE LA DEMARCHE
Le projet sera entendu ici comme le sens, les valeurs, les objectifs qui guident l’action
et non comme les moyens qui seront vus en troisième partie.
Je suis d’accord avec la formulation de Jean AFCHAIN 52: « Un projet qui n’implique pas un
débat avec le système de normes présent, un projet qui se situe en aval comme exécutant de
règles préétablies, immuables et absolues, bref un projet qui suppose comme réglée la
question des normes, est un projet qui s'inscrit uniquement dans la reproduction au service de
l'ordre dominant. »
Je pense qu’un projet se construit à partir d’une mission sociale réinterprétée : elle ne peut
être la simple déclinaison de textes . Comme je l’ai indiqué l’origine du SSADPA est une
52 AFCHAIN Jean, « Les associations d’action sociale », Dunod, 1997
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
fondation administrative et un travail d’explicitation de nos valeurs, nos engagements était
donc nécessaire.
Comme nous l’avons déjà suggéré, un projet se pense également à partir des représentations
réinterrogées que l’on se fait des usagers.
Mettre en œuvre un projet c’est se poser la question du pourquoi, quelles sont les valeurs
auxquelles on se réfère ?
Cette interprétation, cette interrogation soutient le travail de projet qui maintenant sera
exposé. Elle se fera autour de trois axes : la position d’accompagnement, la spécificité du
domicile et le travail en réseau.
Mais avant tout le projet est une démarche participative qui permet la mobilisation et la
fédération des acteurs sur des référentiels clairs et communs.
2.4.1. LA PARTICIPATION DES ACTEURS POUR UNE DEMARCHEDE PROJET
Comment associer à la réflexion l’ensemble des acteurs et comment organiser leur
participation a été le premier temps de la réflexion. A la suite d’une formation-action sur le
projet des commissions pluridisciplinaires de travail sur les trois thèmes annoncés plus haut
ont été créées, au rythme d’une séance hebdomadaire. Elles comprenaient des aides-
soignantes et la psychologue, salariées du service, et des intervenants extérieurs (médecin,
kiné, assistante sociale, responsable de secteur des aides-ménagères). Des bénévoles
s’investissant dans le maintien à domicile ainsi que la représentante des familles au conseil
d’administration ont pris part également aux commissions.
Un comité de pilotage regroupant des représentants des commissions, l’infirmière
coordonnatrice et moi-même, à raison d’une séance mensuelle, en a fait la synthèse et permis
l’écriture. Le déroulement s’est effectué sur huit mois.
Ensuite il a été validé par les instances représentatives de l’hôpital local, jugé cohérent
avec le projet d’établissement. (Ce dernier affiche comme priorité la mise en réseau des
ressources et la constitution de filières d’activité.)
Mon rôle a été d’insuffler une dynamique de projet et de favoriser la mise en travail
afin de parvenir à créer une communauté d’intérêts, une représentation collective au delà des
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
stratégies individuelles. L’objectif affiché de qualité du service centrée sur le sujet âgé a
permis d’articuler des logiques parfois divergentes.
2.4.2. LA POSITION D’ACCOMPAGNEMENT, UN AUTRE REGARD
SUR LA PERSONNE AGEE : UNE RENCONTRE ENTRE
SUJETS
Le soin et l'accompagnement des sujets âgés constitue notre produit, notre raison d'exister en
tant que service. Le terme d'accompagnement a été retenu plutôt que démarche de soin qui
paraît plus restrictive et occulte toute la dimension sociale qui nous semble primordiale.
Le projet reprend les valeurs éthiques énoncées plus haut.
La personne est sujet de soins et non objet de soins. Il s’agit d’une prise en compte
plutôt que d’une prise en charge.
Le concept de « Sujet » est ici employé dans une acception propre à la philosophie
occidentale. Le sujet est ainsi défini comme « l’homme même en tant qu’il est le fondement
de ses propres pensées et de ses actions. Il est alors l’essence de la subjectivité humaine dans
ce qu’elle a d’universel et de singulier ».53
Etablir une relation intersubjective entre sujets soignants et sujets soignés est à la base de cet
accompagnement, c’est à dire qu’ils sont tous deux responsables, à des places différentes.
Considérer la personne comme sujet signifie l’appréhender comme une personne humaine à
part entière, avec une histoire, des désirs, des besoins, des doléances qu’elle doit pouvoir
exprimer et dont il faut tenir compte (ce qui touche à la dimension éthique des soins dans la
mesure où l’éthique est liée au sens de l’homme et à sa liberté). La vulnérabilité de la
personne âgée semble accentuer la « prise de pouvoir » par les soignants, qui eux-mêmes
peuvent chercher à la mettre à distance pour se protéger contre l’angoisse de mort.
Considérer la personne âgée comme un sujet vivant et désirant, comme un acteur
responsable, ce qui demande de porter un autre regard sur la vieillesse, la démence et les
mourants.
53 RUDINESCO Elisabeth et PLON Michel, Dictionnaire de la psychanalyse, Fayard, 1997, p.1030.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
Il s’agit d’accompagner la personne dans ce qu’elle peut encore faire, et non de faire à sa
place.
La contractualisation et l’individualisation du projet de soins et de vie dans cet
accompagnement permettent de conserver ou restaurer la dimension de sujet à la personne
âgée considérée comme partenaire, actrice des décisions et des objectifs la concernant.
Nous allons voir maintenant que l’accompagnement de la personne âgée est un service
compliqué, construit au cas par cas, nécessitant une analyse, une évaluation fine de la
situation.
En effet il faut entrer dans la « boîte noire » familiale, accéder aux arbitrages économiques et
affectifs, car c’est le plus souvent au détour d’une situation de crise, de rupture, révélée ou
causée par le problème posé par la personne âgée, que l’intervention se décide.
L’évaluation à domicile est garante d’une prescription cohérente : l’exploration du problème
de la personne, la coopération avec la famille qui se construira dans la durée à partir d’accords
consensuels et de règles éthiques, la construction du projet avec tous les intervenants.
L’introduction d’une personne étrangère amène un remaniement des relations familiales. A ce
moment, une réorganisation de la relation entre la personne et son entourage doit s’effectuer,
afin de donner place à un projet de travail centré sur la personne aidée et intégrant l’entourage
familial (enjeux de conflits entre une définition des compétences filiales innées et instinctives
et une professionnalisation qui vient remettre en question certaines manières de faire).
La mise en place des relations dans un cadre contractuel va redéfinir profondément les normes
relationnelles, rendre lisibles les objectifs, les rôles de chacun. Il y a réécriture du partage, de
la frontière entre espace privé et espace public au sein de la scène familiale.
Le soutien de toutes les formes de solidarité informelle fait partie du projet, de
l’accompagnement, du maintien du lien social.
C’est pourquoi il y a nécessité d’instances de régulation, de médiation pour faire face aux
difficultés relationnelles dues à cette spécificité du domicile.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
2.4.3. A DOMICILE : UNE RELATION SPECIFIQUE
En effet travailler à domicile présente des particularités.
De quelles représentations implicites est investi le domicile?
La forte qualification symbolique de l’habitat, qui identifie des relations corporelles,
familiales et sociales a été mise en évidence par Gaston Bachelard.54Il y a un rapport
particulier de tout individu à son habitat.
Une représentation est profondément enracinée en chacun de nous : le foyer demeure le
support de notre identité psychologique et de notre statut social, le lieu de notre
épanouissement personnel. Il relève de l’intime.
L'intervention à domicile questionne le rapport entre l'espace public et l'espace privé.
Le «chez-soi» est le lieu privilégié de l'expression, de l'affectivité, des interactions familiales,
des relations sociales, de l'intimité physique et il n'est pas neutre d'y entrer, d'y travailler.
Quelles logiques sous-tendent l’accompagnement à domicile ?
L'opposition entre hôpital et domicile renvoie au clivage entre sanitaire et social : le lit du
malade devient le lieu réel et symbolique où se confrontent des logiques, des organisations et
des intérêts financiers.
Pour Michel BAS55 le domicile comme nouvel espace social de la maladie et comme lieu de
vie du malade représente probablement une nouvelle irruption de la médecine dans le social et
non une victoire du social dans le champ de la santé.
Le domicile est le lieu de la constitution et de la pérennisation du lien social; ce lien social
construit autour du don avec la triple obligation de donner, recevoir, et rendre, présuppose et
organise les rapports entre individus.
La déshumanisation des rapports engendrés par la maladie et les modalités de sa prise en
charge a permis de réintroduire des pratiques centrées sur les milieux de vie. « Mais si cette
volonté aboutit à déshumaniser encore un peu plus la vie quotidienne sous prétexte de
socialiser la maladie en étendant la sphère d'activité de l'idéologie médicale de l'hôpital vers le
domicile du particulier, on n'aura fait que quelques pas en arrière.» 56
54 BACHELARD Gaston, « La poétique de l’espace, Paris, PUF, 1957.55 BAS Michel, « Le lit du malade », in Informations sociales n°23, 1992, «Le domicile».56 BAS Michel, op. cit.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
Comme professionnels nous devons donc nous fixer la responsabilité éthique de ne pas
importer des modèles qui déshumanisent, réifient la personne, lui imposent des choix de
l’extérieur.
Quel positionnement possible pour le professionnel intervenant à domicile?
L'intervention d'un professionnel dans cet espace très particulier peut induire un certain
nombre d'effets imprévus , déroutants et parfois non-maîtrisables. Par exemple il est maladroit
de n'appréhender le lieu d'habitation qu'en termes purement technico-matériels : hygiène,
salubrité, accessibilité...Elles n'ont leur importance qu'à la condition d'être articulées avec les
significations imaginaires qu'en donne l'habitant.57Tolérance et respect des valeurs de la
personne, de sa liberté sont les fondements de l'accompagnement que nous proposons.
Les populations prises en charge sont des populations vulnérables. Le professionnel remet en
question ce système de vie sociale à l'équilibre instable car il touche à la réalité intra-
psychique et à l'identité sociale de l'occupant.
Toute intervention implique une sorte d'intrusion dés que l'on touche à l'espace personnel, au
quotidien, et remet en question l'équilibre souvent précaire construit par les personnes.
Domicile veut dire en latin « la maison du maître ». Cela induit un positionnement de
l'intervenant totalement différent. Au domicile, à l'inverse de l'institution c'est l'usager qui
décide. Cela instaure une négociation permanente et la notion de contrat qui prend ici tout
son sens, les deux parties étant confrontées à un engagement.
Le domicile nécessite un mode d'approche et un mode de relation spécifique qui inclut à la
fois la proximité et la distance.
• Proximité de l'écoute et de la compréhension pour établir une relation de confiance.
Proximité induite par une relation de « corps à corps ».
• Distance nécessaire pour être aidant dans une relation professionnelle.
D’où la nécessité incontournable à mes yeux de travailler avec des groupes de régulation58 , et
de travailler en réseau, dans une logique partenariale.
57 Voir chapitre 2-1, p35 sur l’évaluation de l’habitat.58 Les groupes de régulation feront l’objet du chapitre 312.
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2.4.4. LE TRAVAIL EN RESEAU OU LA MISE EN SYNERGIE DESCOMPETENCES
Le réseau est d'abord constitué du réseau « primaire »59 c'est à dire la famille et
l'entourage.
On parle également de réseau informel par opposition au réseau formel constitué des
professionnels.
Mobiliser ce réseau, aider les aidants sont un axe important de notre accompagnement et un
élément important de la qualité de service.
Le SSADPA s'exerce à l'intérieur d'un système interactif à l'intérieur duquel des règles
doivent être respectées :
⇒ Les équipes de soins pénètrent à l'intérieur d'un domicile où la fonction soins est
déjà assurée soit par le conjoint, soit par ses substituts (famille, amis...). Respecter
les interactions existantes, essayer de les comprendre et de s'y adapter est
indispensable. Une négociation avec la famille est donc préalable avant toute
intervention.
⇒ Au travers de la fonction soins, des interactions vont également s'établir entre la
personne et l'équipe soignante, mais également entre l'équipe et la famille. Le
soignant a toujours deux interlocuteurs à entendre et à écouter : le bénéficiaire et sa
famille, d'où la nécessité de clarifier et de négocier les objectifs de soins avant de
les mettre en œuvre.
⇒ La fonction soins négocie des objectifs spécifiques aux trois pôles du système : la
personne, sa famille et l'équipe soignante. Seule une équipe travaillant
pluridisciplinairement pour arrêter et accepter les objectifs communs permet de
faire face aux risques de manipulation et d'interprétation du rôle de chacun de ses
membres.
59 « On appelle réseau primaire l’unité de vie sociale groupant des personnes qui se connaissent et sont unies lesunes aux autres par des liens de parenté, amitié, voisinage, travail ». Leurs caractéristiques sont de fluctuer dansle temps, d’être dynamiques, à la fois lieux de formation de l’identité personnelle et culturelle, espacesd’intégration entre le micro et le macro-social. Les liens sont basés sur la réciprocité, et non sur l’échangemonétaire, et sont de nature affective, positive ou négative.Réseau vient de « tissu »(tisser des liens) et de « filet » (effet tampon).
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J'ai opté pour que ces règles soient formalisées dans le cadre d'un contrat entre l'équipe, la
personne et son entourage, avant la prise en charge : le projet de soins individualisé.
Avec l'infirmière salariée du service nous effectuons au préalable les entretiens et les visites
d'évaluation nécessaire. Un pré-projet est débattu en équipe et proposé.
Le projet fixe les fonctions et les missions de chacun et l'organisation de la prise en charge.
Il fera l'objet d'évaluations avec les personnes concernées et l'équipe et se modifiera en
fonction de ces évaluations et des modifications pouvant intervenir dans la vie de la personne
ou de son entourage.
Mon rôle est également de veiller à ce que ce contrat soit conforme aux missions du service, à
notre projet et que l'organisation du travail qu'il induit soit compatible avec les ressources
matérielles et humaines dont nous disposons.
Ainsi nous atteignons bien l'objectif que nous nous sommes fixés : placer la personne au
centre du dispositif, individualiser le dispositif en fonction de sa singularité ; le service n'offre
pas une simple prestation de soins et d'aide mais a une fonction sociale et doit soutenir le
réseau d'aide informelle, agir avec mais pas à sa place. La personne et son entourage restent
acteurs et sont parties prenantes du dispositif.
Si un consensus, une adhésion de tous les acteurs sont recherchés avec le projet individuel
contractualisé, les situations de crise, de grandes difficultés, peuvent néanmoins survenir.
La famille est le lieu de l'apprentissage de l'amour et de la haine.60
Chaque étape de vie familiale appelle chacun de ses membres à renégocier ses dépendances, à
les gérer différemment, à rééquilibrer ou réinventer des relations d'aide nouvelles. Devenir
l'aidant du parent âgé est une inversion de rôle difficile à gérer.
Nous avons repéré différents scénarios où les relations s'expliquent par une intrication de
facteurs objectifs (contraintes dues à la dépendance) et surtout de facteurs subjectifs (la trame
affective qui s'est tissée au travers des jeux relationnels antérieurs détermine les réactions des
membres du groupe face aux difficultés de l'un des leurs) :
Source : « L’intervention des réseaux », sous la direction de Lia SANICOLA, Bayard, Paris, 1994.60 CF SIMEONE Italo, «Les affects de la famille : entre l’amour et la haine », in Gérontologie et société n°48,1989.
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♦ Parfois un système très fermé où la relation est exclusive, sans laisser de place à un
tiers, où l'aidant est dans une relation de devoir, de dette vis-à-vis du parent à qui il
doit tout. La conséquence en est une situation tendue, une grande fatigue morale.
♦ La situation de couple avec un phénomène de vieillissement en miroir difficile à
accepter, et une problématique relationnelle complexe sous-tendue d'affects
contradictoires, d'ambivalence.
♦ Des situations de tension permanente avec des efforts de mise à distance de la part
de l'aidant, une angoisse persécutoire : «elle me bouffe».
Jean MAISONDIEU61 explique certains comportements qui s'expriment dans ces moments
par la réalité de la mort . «Peut-on aimer quelqu'un qui va mourir? N'est-on pas obligé de le
haïr pour pouvoir s'en détacher?...On a tendance à fermer les yeux du vieux avant qu'il soit
mort et à le tuer symboliquement avant qu'il soit froid.»
Pour gérer ces situations difficiles, j’ai mis en place une vacation de psychologue qui a un
rôle d’écoute, de contention, de médiation auprès des familles. Des groupes de parole sont
également proposés aux familles qui le souhaitent : ils permettent l’expression des difficultés,
la rencontre avec des personnes vivant des problématiques proches, et l’acquisition
d’information sur des thèmes variés (la démence, la dépression, etc..). En cas de grande
difficulté nécessitant un suivi il est fait appel au secteur psychiatrique qui fait partie du
réseau secondaire dont il va être question à présent.
Il s'agit d'un réseau de proximité, assurant un continuum d'accompagnement individualisé où
chaque acteur doit trouver sa place, dans les domaines médical, social, culturel.
Si le maintien à domicile n’est pas possible sans un ancrage sur le réseau primaire, il en est de
même avec ce réseau secondaire, dont le SSADPA est le pivot. Rappelons que tels que définis
par les textes les soins à domicile comprennent les soins préventifs, les soins curatifs, les
soins palliatifs, la prise en charge du handicap mais aussi la coordination de tous les soins ou
aides complémentaires. C’est un axe central du projet du SSADPA, et de notre démarche
qualité que de développer ce réseau.
61 Jean MAISONDIEU «Peut-on vivre en sachant qu'on va mourir?» Grand âge et crises familiales BulletinCLEIRPPA, Mai 1990
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Le réseau nous permet d’avoir une démarche « transversale », de décloisonner les problèmes
car l’intervention de chacun est centrée sur la personne âgée, son projet. C’est l’instituant qui
est le fil conducteur, mobilisateur des énergies, et non la structure, l’institué.
Ce réseau représente tous les liens que nous avons tissés avec l’environnement. Si la
contractualisation avec les intervenants ou structures sanitaires allait de soi (infirmiers
libéraux, pédicures, kinésithérapeutes, centres hospitaliers, secteur psychiatrique, fournisseur
de matériel médical...), celle menée en direction du secteur social signe la singularité (et à
mon sens la qualité) de notre projet. La personne est un être bio-psycho-social et il ne faut pas
oublier cette dernière dimension , et ceci d’autant plus pour des personnes âgées se retrouvant
souvent en situation d’isolement, de solitude, suite à la perte d’êtres ou de rôles sociaux qui
les maintenaient dans une vie sociale. Le sentiment de solitude est souvent un motif d’entrée
en institution.
Un travail sur le maintien des liens sociaux nous a donc paru indispensable et a débouché sur
de nouveaux partenariats : avec le Centre social de la commune de Boën, nous avons bâti un
projet avec des bénévoles visiteurs à domicile que nous formons au SSADPA et qui peuvent
participer aux groupes de régulation ou aux réunions de synthèse. Avec la Fondation
Nationale de Gérontologie et la Mutualité Sociale Agricole nous avons également monté un
projet de stimulation de la mémoire. La FNG a formé deux soignants du SSADPA, la MSA
finance le programme.62
Ce qui me semble primordial c’est d’articuler les deux réseaux, formel et informel. Avec le
projet de soins personnalisé, et les réunions de synthèse pour en assurer le suivi ou
reformuler, réajuster les objectifs, nous associons l’usager, son entourage et les
professionnels. Tous sont partenaires et engagés vers le même but. Le risque serait de laisser
de côté le réseau primaire et alors l’effet escompté serait inversé : renforcement du pouvoir
des professionnels, diminution de la prise de responsabilité des personnes (ce qui va à
l’encontre de nos valeurs éthiques qui sont la valorisation du sujet et de son rôle d’acteur).
Le pourquoi, les principes éthiques, les valeurs fondant le projet et permettant l’évaluation de
l’action étant bien posés, je propose d’étudier maintenant le comment, la manière de faire.
62 Programme PAC EUREKA SENIOR.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
3. LA DEMARCHE QUALITE, COMMENT?
Comment commençons-nous à mettre en œuvre cette démarche qualité, cette
dynamique de changement, comment articuler les principes, les valeurs et la gestion,
l’organisation ?
Avec Henri VACQUIN 63 je pense que « ...la plus belle des techniques n’est pas indissociable
de la manière dont on s’en sert : le gros problème du changement est aujourd’hui dans la
manière de manager ces innovations, quelques qu’elles soient. ».
La réussite d’un changement relève moins de son contenu que des formes qui la portent. C’est
donc le processus, la manière qui façonne la dynamique de la démarche.
3.1. QUEL MANAGEMENT DES RESSOURCES HUMAINES
POUR IMPULSER UNE DEMARCHE QUALITE?
A partir de nos spécificités au SSADPA :
◊ le domicile qui implique une certaine solitude des intervenants, ainsi que leur dispersion et
donc un besoin de référents solides et de tiers, de médiation,
◊ le travail en réseau, la transversalité,
◊ l’accompagnement et sa pénibilité physique et psychique.
Quels sont les principes et les grands axes de management qui vont en découler ?
Quelle position de direction cela engendre?
3.1.1. LE MANAGEMENT : QUELS PRINCIPES ?
Le verbe « manager » a été emprunté à l’anglais « to manage » en 1561, lui-même
emprunté à l’italien « maneggiare » dont le déverbal « maneggio » a donné manège. Il était
employé à l’origine en équitation au sens d’entraîner, diriger un cheval, conduire à la main.
Après l’application au domaine du sport il a commencé à s’appliquer à l’économie également,
en parlant de la gestion et de la direction d’un organisme.64
63 VACQUIN Henri, « Changer de changement », Revue de droit social, février 1990.64 Dictionnaire étymologique Le Robert sous la direction d’Alain REY.
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L’idée de manipulation (faire entrer l’autre dans sa volonté), la volonté de maîtrise et
donc la relation de pouvoir sont inscrites dès le départ dans ce concept. Peut-on parler de
management sans aborder la question du pouvoir et la conception de l’homme qu’il sous-
tend ?
• De la maîtrise à l’autonomie des intervenants, la fonction du tiers
La démarche qualité implique une certaine volonté de maîtrise des processus, en
amont, pour aboutir à une qualité du service rendu.
Mais cette « maîtrise » n’est pas une maîtrise à priori du dirigé. Comme l’écrit Henri
VACQUIN65 « si l’on veut qu’un individu mobilise son énergie, il lui faut dans l’organisation
un espace d’autonomie où il puisse faire à sa manière....Dès lors le management n’est plus
une affaire de maîtrise a priori des individus, mais de catalyse de la libération de leurs
énergies : le pouvoir de faire, au prix du deuil du pouvoir de maîtrise à priori. »
Il en ressort que le dirigeant doit être capable de vivre avec une part d’a-maîtrise délibérée et
d’autonomie du dirigé, et donc avec une zone d’incertitude, dans l’optique d’un management
reposant sur un modèle de l’homme holistique et interactif (où le modèle dominant de
l’homme est celui de l’acteur - au sens d’acteur social - dont la conduite est soumise à une
rationalité stratégique).
La responsabilisation, l’autonomie des intervenants est indispensable dans notre
secteur où les personnes travaillent seules à domicile et doivent faire face à l’imprévu, prendre
des initiatives.
Comment gérer cette zone d’incertitude et d’a-maîtrise ?
Je pense que tout ce qui fait « tiers » dans l’organisation, médiation, cadre, permet de gérer
cela, en donnant des repères, des référents et en développant la réflexion, l’auto-contrôle.
Je définirais le cadre comme des modalités d’organisation comportant des constantes
qui introduisent des repères au regard du déroulement d’un processus. Il permet :
L’instauration d’un espace-tiers, d’un espace de négociation avec des possibilités de
triangulation destinées à permettre aux interlocuteurs de réaliser leurs positions respectives.
L’élaboration d’un temps de réflexion entre l’observation et la décision.
65 Ouvrage cité supra
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
Le passage de l’aléatoire à la logique, de l’arbitraire à la procédure, de la fantaisie à la
méthode.
Ainsi au SSADPA, le projet et la charte jouent ce rôle de tiers en instituant des
références claires, solides et partagées. Les procédures 66 et les groupes de régulation et
d’analyse de la pratique permettent également à l’intervenant d’être soutenu, valorisé, en
disposant d’un univers signifiant autour de lui.
• Le rôle actif des salariés : les groupes de travail
Le dirigeant doit savoir qu’il ne sait pas tout. Il a besoin des autres et de leur savoir.
S’il reconnaît ses propres zones d’incertitude, entendue comme l’aptitude à se saisir du savoir
de l’autre, il pourra mobiliser cette source de savoir et d’énergie du dirigé.
J’irai plus loin qu’Henri VACQUIN en disant qu’il ne suffit pas de considérer les
professionnels comme des ressources à mobiliser, motiver, impliquer... mais comme des
acteurs, agissant dans et sur l’organisation.
Au SSADPA, les salariés (et de plus en plus les partenaires) ont un rôle actif sur
l’organisation par l’intermédiaire des groupes de travail. J’ai mis en place ces groupes, à la
suite des groupes de projet, car je pense que c’est aux professionnels de construire eux-mêmes
leurs outils et d’infléchir l’organisation .
Une véritable démarche participative est mise en œuvre : permettre à tous les acteurs de
résoudre eux-mêmes les problèmes qui se posent autour d'eux et pour lesquels ils sont
compétents et concernés et de faire remonter tous les autres, engagement de chacun dans
l’action et dans le résultat, possibilité de dialoguer et d'infléchir l'organisation de leur travail,
leur reconnaître des compétences propres, les fédérer dans une dynamique permanente.
La méthodologie des groupes de travail se décline ainsi :
• Ils sont construits sur la base du volontariat, en fonction des thèmes travaillés.
• Leur composition : les salariés et partenaires intéressés par le thème. Y participent au coup
par coup, selon les besoins, des formateurs, des personnes-ressources, la psychologue,
l’infirmière-cadre et moi-même.
• Leur fréquence : au minimum une fois par mois pour chaque groupe.
• La désignation d’un porte-parole et rédacteur ayant la charge de suivre le déroulement du
travail et de le communiquer aux autres.
66 le chapitre 323 sera consacré à l’étude des procédures.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
• Le retour en grand groupe (ensemble des salariés et partenaires concernés) a lieu
ponctuellement.
• La validation est effectuée par moi puis par les instances de l’hôpital local.
• Le suivi, l’évaluation sont inscrites et prévues dans les procédures qui ne sont pas statiques
mais en capacité d’être réajustées chaque fois que la nécessité l’impose.
• L’objet des travaux : voir les étapes de la démarche qualité, chapitre 321p.63.
Mon rôle dans ce dispositif c’est de ne pas se prendre pour « la réponse » (celui qui a
réponse à tout ou qui a le pouvoir de répondre) et donc de clore le questionnement, mais
répondre de ce que toutes les questions puissent se poser, être la garante du questionnement à
tous les niveaux institutionnels.
C’est aussi donner les moyens de travailler, en proposant un cadre, une méthodologie, en
assurant les moyens matériels et en garantissant un climat propice au travail en équipe.
Animer et coordonner les groupes, arbitrer en dernier ressort. Et enfin c’est la vérification de
la conformité des propositions avec les ressources du service, les valeurs et objectifs définis
par la charte et le projet, et avec les objectifs qualité.
L’atout principal de ce fonctionnement c’est à mon sens le dynamisme, la mobilisation
qu’il a engendrés : le professionnel est reconnu, valorisé et responsabilisé comme acteur dès
la conception. Rôle qui enrichit le travail et incite à la créativité. Cela permet une réflexion et
un véritable partage des critères de travail, indispensables à un travail en équipe et à une
évaluation.
Chacun prend également conscience à la fois des contraintes et des opportunités et le fait
d’associer les partenaires réveille les complémentarités, les synergies.
Les difficultés rencontrées sont de l’ordre de la dynamique de groupe : il faut être
vigilant et développer le droit à l’expression des éléments les plus réservés, s’imposant plus
difficilement dans un groupe.
Un autre problème réside dans la difficulté de financer des temps de réunion surtout avec les
partenaires et le risque de restreindre le temps passé auprès des personnes aidées (ce qui
serait un élément de sous-qualité).
Je fais attention également à ce qu’il n’y ait pas un recours excessif à la formalisation, aux
procédures, ce qui entraînerait de la rigidité et serait incompatible avec la personnalisation et
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
l’individualisation. C’est pourquoi il ne faut pas négliger le côté informel et articuler celui-ci
avec le côté formel.
• L’articulation du formel et de l’informel
Les contraintes imposées par les structures formelles se doublent de phénomènes
informels qui sous-tendent et structurent également le fonctionnement des organisations. Le
fonctionnement réel est l’articulation de ces deux facteurs.
L’acteur interprète, prend des initiatives car le règlement et les instructions ne prévoient pas
tous les détails de l’activité. Il n’est pas possible de toujours prévoir la conduite de l’individu
dans l’organisation puisqu’il l’ajuste constamment aux données et moyens dont il dispose et
aux contraintes qui s’imposent.
Et ceci est d’autant plus vrai si l’on travaille sur et avec l’humain : les soins relationnels dans
un contexte spécial, le domicile de la personne. Au SSADPA nous avons un référentiel
commun formalisé : le projet, la charte, les procédures67 qui structurent l’activité. Mais il y a
aussi tout ce qui est difficilement modélisable, car fonction de la personnalité, de l’interaction
entre individus et de la spécificité d’une situation. Si cette part de l’activité n’est pas
formalisée elle est cependant pensée, analysée dans le cadre des groupes de régulation68 et
permet un partage des expériences.
Nous aboutissons ainsi à un équilibre entre formel et informel, entre objectivation et
subjectivation (intimisation des relations), fonction et rôle, savoir-faire et savoir-être.
Travailler ce n’est pas simplement appliquer les règles, c’est les dépasser, les adapter au cas;
dans cette dimension c’est le style de la personne qui s’exprime, sa pertinence. Cette question
de l’originalité (resingularisation de la règle69), c’est le champ propre de l’autonomie du sujet,
ce par quoi il s’exprime. Là encore il s’exprime sur un fond de règles maîtrisées, qu’il fait
évoluer, voire remet en question, mais sur une base dont on s’est assuré qu’il la connaît.
Manager c’est aussi permettre que la mise en travail puisse se faire et donc que des
principes éthiques soient respectés afin de créer un climat de sécurité.
67 Ce sera l’objet du chapitre 323.68 Ce sera l’objet du chapitre 312.69 Expression de François HUBAULT, directeur du Département Ergonomie et Ecologie humaine, UniversitéParis I, in « La place du travail dans les processus de changement », Les cahiers du changement, n°1, Mai 1997.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
• Les principes éthiques
Le principe de visibilité est indissociable de la démarche qualité : transparence des objectifs,
des résultats, traçabilité. Mais la visibilité suppose un risque. Or ce risque ne peut être assumé
que dans un contexte intersubjectif de confiance (« dire ce qu’on va faire, faire ce qu’on a
dit ») et un climat de sécurité. La confiance repose sur des ressorts éthiques (respect de la
promesse, équité) et psycho-affectifs (reconnaissance).
« La confiance relève du respect de la promesse d’un jugement équitable sur la façon dont égo
opère son rapport avec le réel de la tâche. Ce jugement est équitable si les arguments pris en
compte portent effectivement sur le faire (l’activité) et s’ils ne sont pas distordus par des
arguments hétéronomes relevant de la stratégie d’autrui concernant le pouvoir et la
domination. Enfin l’enjeu de ce jugement est la reconnaissance et ses incidences sur les
attentes d’ego par rapport à l’accomplissement de soi, c’est à dire sur la construction de son
identité. »70
Une des manières de réunir les conditions éthiques et intersubjectives de la visibilité, la
confiance, la reconnaissance se retrouve dans la manière de considérer l’erreur.
Un principe important de la démarche qualité réside dans le fait que « la faute n’existe pas »,
ce qui permet d’évacuer les références moralisatrices et l’évaluation arbitraire. Devant une
anomalie, on constate qu’il y a quelque chose qui n’a pas rempli complètement son objet, on
enregistre une non-conformité, un dysfonctionnement que l’on va analyser.
« Les personnes ne sont pas inculpables mais impliquées dans une non-conformité que l’on va
corriger avec elles...On déborde du système carotte-bâton pour tenter d’objectiver les causes
et les effets d’un dysfonctionnement et déterminer une nouvelle « sécurisation » de la
procédure.....En « désaffectivant » l’intervention on déplace la question au niveau du
système, on neutralise la relation disciplinaire et on valorise la participation individuelle à la
réussite générale » 71
Dans ce contexte il est plus grave de ne pas pointer une erreur que de la commettre.
Au SSADPA le risque d’erreur le plus courant est l’oubli, la non prise en compte d’une
modification dans un protocole de soins. Ceci nous amène à prévenir ces anomalies en
70DEJOURS Christophe, « le facteur humain », Que sais-je?, Paris, PUF, 1995.71 BELET Nicolas, vers une démarche qualité dans le secteur social et médico-social?, CREAI, Bulletin n°6 bis,Juin 1997.
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travaillant sur le support des transmissions, le dossier de soins et donc la recherche de
solutions au niveau de l’organisation, ainsi la responsabilité de chacun est engagée.
Examinons plus précisément un des principes annoncés qui est le travail sur l’informel, le
relationnel.
3.1.2. LES GROUPES DE REGULATION : DU SAVOIR-FAIRE AU
SAVOIR-ETRE
L’objectif de ces groupes est de travailler sur la relation, l’informel : ce qui ne peut pas
être modélisé, standardisé car relevant du singulier, du subjectif, de l’intime. Une analyse et
un contrôle des phénomènes d’implication me paraît le meilleur rempart contre la pénibilité
psychique. Comment trouver la bonne distance relationnelle car se laisser toucher par la
souffrance , trop s’identifier peut amener à trop de proximité. Inversement l’insensibilité
conduit à trop de distance.
Pouvoir se référer à un tiers, une théorie, une grille de lecture permet de trianguler, médiatiser
une relation qui peut devenir trop fusionnelle avec son patient.
Exprimer son vécu permet de partager des situations difficiles avec le groupe et rompre
l’isolement de l’intervention à domicile. Le groupe de régulation remplit très bien son rôle
notamment pour les personnels accompagnant des personnes en fin de vie.
Outre cette fonction tierce, contenante, les groupes sont aussi des lieux d’analyse des
pratiques professionnelles. Ils permettent d’ajuster, de coordonner les interventions de
plusieurs intervenants. Par exemple avec une personne souffrant de confusion mentale ou
ayant des comportements agressifs il y a nécessité d’avoir un comportement identique ou
d’utiliser des techniques de reformulation pour désamorcer une situation difficile. Les
personnels peuvent expliciter, analyser, partager des pratiques et ainsi passer du savoir
(connaissance) au savoir-être, de la fonction au rôle. La compétence ne peut se limiter à la
qualification et elle se définit, s’acquiert en interne avec les outils institutionnels
« apprenants » que sont les groupes de travail, les groupes de régulation et les acteurs eux-
mêmes les uns pour les autres.
Les résultats après quatre années de fonctionnement sont probants : il n’y a plus
d’absentéisme lié à une charge psychique, relationnelle trop lourde. Les personnels sont plus à
l’aise dans leurs relations avec les personnes et sont moins démunies devant les situations
imprévisibles.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
A mon sens, cette instance est vraiment un instrument de qualité : elle améliore la qualité
relationnelle et donc la qualité de service rendu et elle satisfait nos clients internes que sont
les salariés car la démarche qualité vise à l’articulation des objectifs individuels et collectifs.
3.1.3. LE PROJET SOCIAL : L’ARTICULATION DES OBJECTIFS
INDIVIDUELS ET COLLECTIFS, LA NEGOCIATION OU LA
STRATEGIE DU «DONNANT-DONNANT».
Manager c’est identifier les zones de convergence mais aussi de divergence entre les
intérêts des acteurs, c’est intégrer l'ensemble des enjeux, lier les stratégies internes et externes,
chacune fournissant des buts et des contraintes à l'autre. Cela engendre au niveau de la
position de direction un rôle d'analyse des stratégies des acteurs, un rôle d'arbitrage et de
négociation.
Le but du projet social est d'articuler deux logiques : les aspirations du salarié et les
objectifs de la structure.
Comment développer des outils de gestion pour rendre le personnel le plus efficace possible
au regard des objectifs du projet tout en favorisant l’écoute des salariés pour pallier leurs
insatisfactions, leurs attentes et leurs inquiétudes ?
Du croisement de ces deux séquences naît le projet social qui s'inscrit dans une stratégie de
«donnant-donnant»: le projet social ne sera partagé qu'à la seule condition que celui-ci prenne
en compte au moins pour partie les attentes du personnel.
Au SSADPA nous sommes en travail sur la définition de ce projet social qui fera l'objet d'une
charte (actuellement seule une charte des temps partiels a été élaborée) et de contrats
d'objectifs appuyés sur un échéancier. Il repose sur une méthodologie contractuelle. Il permet
d’allier contribution (la coopération au projet collectif) et rétribution (le paiement, la
contrepartie).
La rétribution se décline:
• en termes de salaire, promotion,
• en termes de reconnaissance, valorisation
• en amélioration des conditions de travail et de vie.
Dans notre cas la rémunération n’est pas négociable : le personnel salarié relève de la
fonction publique hospitalière. Deux éléments permettent cependant d’« intéresser » le
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
personnel : la promotion professionnelle et la prime de service. Cette dernière laisse une
marge de man œuvre : j’ai opté pour que l’évaluation du travail du personnel et l’absentéisme
soient des critères pris en compte pour établir le montant de la prime. J’utilise également le
levier de la promotion à un grade supérieur, dans la même qualification, en contrepartie d’une
implication efficace à notre projet de service.
La reconnaissance et la valorisation sont dynamisées par les groupes de travail, lieux
d’expression et de formation, de reconnaissance du professionnalisme de chacun ; je les
conçois comme des espaces transitionnels pour créer, s’impliquer. Le rôle de chacun est
valorisé également dans la conception de la relation client-fournisseur72et dans la démarche
qualité qui donne un sens à l’action de chacun. Tous les aspects du soin sont valorisés dans
une démarche globale qui n’est pas une succession de tâches répétitives. Enfin je favorise
l’émergence de personnes-ressouces, personnes référentes : agents ayant acquis des
compétences, de l’expérience à faire partager à nos partenaires.
Les conditions de travail et de vie sont améliorées par le biais des groupes de
régulation et la réflexion sur l’organisation du travail. Les salariés ont des marges de
man œuvre dans leurs horaires de travail à condition de respecter les minima, les quota
affichés dans la charte. Une négociation avec chacun a lieu afin de faire coïncider objectifs
individuels et collectifs.
La formation constitue vraiment un point de rencontre entre les objectifs individuels et
collectifs, en étant projet professionnel pour le salarié et projet pour le service.
L’évaluation du travail du personnel est aussi au carrefour de l’individuel et du collectif ; Je
pratique un entretien d’évaluation deux fois par an avec chaque salarié (avec l’évaluation de
la qualité de service il est le contrepoint de la responsabilisation et de la confiance) et qui a
pour but de fixer des objectifs et de vérifier les écarts avec ces derniers. L’écoute du salarié,
sa satisfaction et ses objectifs personnels mais aussi l’évaluation de sa performance, son
implication dans le projet sont les deux facettes indissociables de ces entretiens.
Dans un service comme le nôtre la garantie d’une bonne qualité repose aussi bien sur
la satisfaction du client final que sur celle des employés. Il m’incombe donc de les
responsabiliser non seulement en les rendant redevables de résultats mais en leur donnant les
moyens d’améliorer la qualité, ce qui implique un travail sur l’organisation et les moyens.
.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
3.2. L’ORGANISATION EN TRAVAIL
J’utilise le terme « organisation » dans deux sens : organisation du travail et
organisation comme entité, ensemble de personnes entreprenant une action collective à la
poursuite de la réalisation d’une action commune.
La démarche qualité me paraît être un outil transversal pour revisiter toute
l’organisation et la recentrer sur la personne âgée. Elle dépasse l’évaluation des effets produits
pour interroger plus largement ce qui met l’organisation en situation de tension dynamique et
d’objectif.
Voyons quelles en sont les différentes phases.
3.2.1. LES ETAPES DE LA DEMARCHE QUALITE
La démarche qualité est une forme d’adaptation de l’organisation qui met en jeu deux
éléments : la dimension politique (rendre lisible ce qu’elle est, fait, veut devenir) et la
dimension de la technicité ( adaptation à la qualité attendue et perçue en mobilisant les
ressources internes et externes).
Au SSADPA la première étape a consisté à travailler les « valeurs », les objectifs et à
acquérir des éléments méthodologiques.
Une première formation sur le projet a permis de s’emparer de la notion de projet et de
qualité de vie et d’amorcer le travail par groupes, commissions, avec une méthodologie.
Une seconde formation sur la démarche qualité nous a permis de nous interroger, en partant
de la définition de la démarche qualité, sur qui sont nos clients, quels sont les besoins à
satisfaire ?
72 Ce sera l’objet du chapitre 324p.69.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
Formation-action sur le projet Mars-avril 1995
Groupe de travail sur le projet :3 commissions : accompagnement Automne 1995
spécificité du domicile
travail en réseau
Validation du projet Printemps 1996
Formation action sur la démarche Qualité Automne 1996
Groupe de travail sur la charte qualité Printemps 1997
Validation de la charte Eté 1997 1997
La seconde étape a été centrée sur l’organisation, la formalisation et l’explicitation des
pratiques.
Groupe de travail sur l’admission Automne 1997
Groupe de travail sur le projet personnalisé d’accompagnement Fin 1997
Groupe de travail sur le dossier de soins, les transmissions Fin 1997
Groupes de travail sur les procédures de soins : les escarres Début 1998
Groupe de travail sur l’audit de la qualité perçue Début 1998
Groupe de travail sur l’organisation du travail Milieu 1998
Groupe de travail sur la procédure incontinence Milieu 1998
Groupe de travail sur la procédure mobilisation Milieu 1998
Groupe de travail sur les soins palliatifs Fin 1998
Validation des procédures
En parallèle à ce travail de formalisation, cadrage de l’organisation, les groupes de régulation
fonctionnent et permettent de travailler sur l’informel, le relationnel, l’humain, et d’analyser
les pratiques.
Ce travail a lieu en interne avec les salariés mais aussi avec nos partenaires
professionnels ou bénévoles qui sont conviés aux formations et aux groupes de travail, voire
peuvent être des membres-ressources actifs. Par exemple un kinésithérapeute a participé au
groupe de travail sur la mobilisation et a assuré la formation des aides-soignantes. Une
infirmière libérale ayant une expérience d’unité de soins palliatifs est venue enrichir notre
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
travail de réflexion et d’élaboration, et des formations ont pu avoir lieu dans cette unité de
soins palliatifs.
La validation des procédures se fait selon les thèmes abordés auprès des différentes instances
de l’hôpital local.
La troisième phase sera l’élaboration de notre référentiel qualité : l’auto-évaluation de
la qualité du SSADPA, portant sur toutes ses fonctions, afin de se préparer à l’accréditation
en 2001.
Le souci de formalisation, d’explicitation ne doit néanmoins pas faire disparaître une qualité
essentielle, la souplesse, la flexibilité mais au contraire la développer.
3.2.2. LA SRATEGIE DU SSADPA : SOUPLESSE, REACTIVITE ET
FLEXIBILITE
Le SSADPA se veut une structure souple, pouvant répondre rapidement à la demande,
sur un territoire donné.
Il est de ma responsabilité que cette mission soit respectée en gardant au service son caractère
souple, réactif à la demande.
Le temps et son corollaire, l’ancienneté des personnels, ont tendance à rigidifier les structures,
les fonctionnements qui finissent par tourner sur eux-mêmes, pour eux-mêmes, leur finalité
évoluant souvent vers l’institué, au détriment de l’instituant, du vivant.
Pour éviter ce qui représenterait pour moi un détournement de logique, nous avons convenu,
après en avoir largement débattu avec le personnel et les instances délibératives, la conception
et la mise en place d’ un dispositif qui permet de rendre flexible en partie la structure afin de
lui garder sa qualité de réponse .
Ce dispositif est axé sur deux points essentiels, permettant la variabilité des charges de
personnel en fonction de l’activité :
♦ l’organisation du temps de travail
♦ l’analyse financière
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
• Une organisation du travail flexible
Deux constats s’imposent à nous :
◊ Le temps passé par les salariés auprès des personnes pour les soins, l’accompagnement se
situe dans une fourchette horaire précise,
le matin de 7 h à 11 h
le soir de 18 h à 20 h
7 jours sur 7.
Ce temps est complété par les temps de transmission et de réunion.
◊ La demande et la charge de travail globale du service peuvent fluctuer au cours de l’année
avec des pics et des creux (pics correspondant à une forte demande avec des réactions en
chaîne se répercutant sur le secteur : hôpitaux cherchant des solutions pour les retours à
domicile des hospitalisés, libéraux débordés... ).
D’autre part notre financement sous forme de dotation globale est un système de forfait ( prix
de journée identique, quelle que soit la dépendance, la charge de travail et les soins prescrits),
les « plus légers » venant équilibrer les plus « lourds ».
Le temps de travail pour un salarié peut donc varier d’une semaine à l’autre.
Les outils que nous avons mobilisés pour faire face à cette activité spécifique et rendre
variable le temps de travail en fonction de la charge de travail globale du service sont les
suivants :
♦ le travail à temps partiel avec des jours non travaillés non fixes et pouvant se cumuler
♦ les heures supplémentaires
♦ les heures récupérées
♦ l’annualisation du temps de travail sous une forme adaptée
Ainsi un salarié peut travailler 5 heures (le minimum) ou 10 heures (le maximum) avec une
amplitude de journée de travail maximum de 12 heures.
L’organisation du temps de travail est anticipée et connue une quinzaine à l’avance.
Un suivi des horaires journaliers est tenu par chaque salarié.
La participation des salariés à la mise au point de cette organisation du travail permet sa
gestion et son acceptation ; elle a du sens car elle s’adapte aux besoins de la personne soignée.
Cependant un compromis reste toujours nécessaire. Il est donc recherché entre la satisfaction
des personnels et celle des usagers, les demandes individuelles et les contraintes collectives.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
En contrepartie, si une certaine variabilité a lieu pour mieux s’ajuster à la demande,
nous avons développé des outils de gestion pour que l’activité corresponde aux ressources
dont nous disposons et que nous ne pouvons rendre variables :
♦ Le suivi et la gestion du temps travaillé
♦ l’identification de la charge de travail
♦ la répartition des compétences entre salariés et libéraux
♦ le suivi des coûts 73
Comment cette flexibilité se décline sur le plan financier ?
• La variabilité des charges financières
Toujours pour éviter la rigidité et que la pérennité ne l’emporte sur le
mouvement, la réponse aux besoins, je distingue sur le plan financier les charges variables,
variant en fonction de l’activité, et les charges fixes moins dépendantes de l’activité. Pour le
budget prévoyant l’extension de 10 places, ce n’est pas le prix de journée multiplié par 10 qui
va augmenter le budget total d’autant , mais une analyse plus fine des charges, des coûts va
produire un nouveau budget. Cela conduit à tenir une comptabilité analytique, qui permet de
ventiler l’ensemble du budget en trois fonctions essentielles et d’en déterminer les coûts :
♦ Les soins (salaires du personnel soignant, actes des intervenants libéraux, fournitures
nécessaires aux soins...)
♦ Les déplacements (amortissement des véhicules, carburant, entretien, assurance,
indemnités kilométriques...)
♦ Les autres frais de gestion (salaires du personnel administratif, loyer, téléphone,
affranchissement, amortissement du matériel informatique, fournitures de bureau...)
Les deux premières varient beaucoup avec l’activité, la dernière varie peu. L’augmentation de
l’activité du service permet de rentabiliser les charges fixes.
Cette comptabilité analytique est un outil d’évaluation, un instrument d’analyse et un support
de décision. Les unités d’œuvre dégagées : coût du kilomètre, de l’heure d’aide-soignante
permettent de contrôler les dépenses, d’évaluer si telle ou telle admission est compatible avec
les ressources.
73 Quelques éléments de ces outils sont présentés en annexe n°3.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
Le but est d’utiliser au mieux ces ressources afin de répondre à la demande et de dégager le
plus de temps possible auprès des personnes.
C’est un outil interne (améliorer la visibilité ) mais aussi externe qui permet de négocier avec
les tutelles : savoir et faire savoir ce que l’on fait, pour qui, avec quels moyens.
Les procédures que nous allons étudier maintenant vont dans ce même souci de
formalisation et de visibilité.
3.2.3. LA FORMALISATION, L’ELABORATION DES PROCEDURES
Les procédures74 sont les voies formalisées et institutionnalisées par lesquelles les acteurs
accomplissent leur travail. Le travail sur les procédures permet de clarifier, d’expliciter
les modes d’action et les délégations, les responsabilités: qui fait quoi, comment?
L’objectif est l’élaboration d’un référentiel commun concernant un soin , une activité.
Le risque serait de tomber dans la standardisation à outrance. Une démarche cadrée
permet d’identifier certaines erreurs mais elle en laisse émerger de nouvelles : les mécaniques
répétitives finissent par s’enrayer. Enfermer la pensée dans un système rigide peut être
incompatible avec la souplesse et la personnalisation nécessaire à une intervention de
qualité. C’est pourquoi je pense qu’il faut articuler cette formalisation avec le travail sur
l’informel (les groupes de régulation) et je conçois les procédures plutôt comme un outil de
réflexion sur nos pratiques, un instrument dynamique, évolutif, centré sur l’amélioration de la
qualité des prestations, le passage d’une culture orale à une culture écrite.
Nous avons pointé certaines activités nécessitant d’être formalisées, l’admission (afin d’en
rendre lisibles les modalités et de lutter contre l’arbitraire) et l’audit de la qualité perçue 75et
surtout les activités de soins afin de garantir à l’usager les meilleures conditions de sécurité,
la meilleure prévention.
Au SSADPA, nous nous sommes inspirés des travaux de Jacqueline LEBRUN 76ainsi
que de la méthode de résolution de problème - « les 5 WHY » - pour élaborer ces procédures.
74 Procédure vient de « procéder »,exécuter une tâche dans ses différentes phases. C’est la méthode utilisée pourobtenir un certain résultat. (Larousse). La terminologie qualité (norme ISO 8402) la définit comme la manièrespécifiée d’accomplir une activité.75 L’audit est développé dans les chapitres 212 p.36 et 331 p.73.76 LEBRUN Jacqueline en collaboration avec Daniel FROMENTIN, Qualité des soins, une approche ISO 9000,Paris, Berger-Levrault, Juillet 1996.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
Cette démarche permet d’explorer toutes les dimensions d’une question donnée, c’est un outil
d’approfondissement, un canevas de réflexion guidant le traitement du sujet.
Les cinq questions suivantes sont posées pour la question à traiter :
Quoi ?le contenu, le définir, l’expliquer, en donner le sens et la philosophie.
Comment ? comment faire, les modalités pratiques
Quand ? le calendrier, la durée, la fréquence
Qui ? les acteurs concernés
Pourquoi ? la finalité, les objectifs recherchés
Nous avons construit les procédures autour de trois axes :
⇒ la description de la prestation, du soin comprenant la description du processus, la
procédure de réalisation, les modes opératoires, les acteurs concernés, le cadre réglementaire,
l’éthique, les délégations et les responsabilités, les ressources et les moyens, la validation.
⇒ le suivi et l’évaluation; la mise en place d’indicateurs de suivi de l’activité, des résultats,
des coûts.
⇒ le partenariat, la chaîne de soin; identifier les différents partenaires, les impliquer,
informer, travailler les modalités de réunion, transmissions, décisions.
L’élaboration se fait en groupes de travail, est retravaillée en grand groupe puis validée par les
instances de l’hôpital local : CHSCT, CSI, CA.77
Ce travail de réflexion, de recherche n’est pas un travail autarcique : il permet d’associer des
partenaires ; la formation, la collaboration, les personnes-ressources en sont les outils.
Il est très enrichissant, très impliquant pour les acteurs qui pensent et construisent eux-mêmes
leurs outils.
Prenons l’exemple de la procédure du soin d’escarre, afin de montrer comment nous
avons travaillé, ce que cela a apporté, les résultats.
L’escarre est une nécrose du revêtement cutané, due à une diminution de l’apport sanguin
dans une partie du corps, surgissant chez des personnes ayant une mobilité réduite. Elle a des
77 Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de travail, Commission de Sons Infirmiers, Conseild’Administration.
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causes multiples et sa prévention nécessite un travail d’équipe, une politique commune de
soins.
Les différentes étapes de cette élaboration ont été :
La formation-recherche en collaboration avec le service de gérontologie clinique du
C.H.U. de Saint-Etienne. ⇒Actualisation des connaissances et mise au point de protocoles de
soins en fonction de l’évaluation initiale (critères médicaux, psychologiques, sociaux)
La redéfinition des délégations et responsabilités entre médecin, infirmer, aide-
soignant. (relecture du décret du 15 mars 1993, relatif aux actes professionnels et à l’exercice
de la profession d’infirmière.)
L’élaboration du carnet de suivi individuel et mise au point d’un système d’évaluation
par la couleur :
♦ Evaluation de la personne selon le score de Norton par 5 critères : condition physique, état
mental, activité, mobilité et incontinence.
♦ Surveillance des apports hydriques et caloriques.
♦ Changements de position.
♦ Suivi du protocole78de soins d’escarres (quel produit utilisé, à quel rythme, dans quelles
conditions, avec quels résultats).
♦ Suivi de la plaie avec un système d’évaluation par la couleur. Cette évaluation colorielle a
été développée pour permettre aux différents soignants de parler un même langage et
suivre l’évolution de la plaie de façon visuelle et rapide, permettant ainsi d’ajuster le
protocole. La communication est ainsi simplifiée entre les différents intervenants.
Chaque couleur correspond à un stade d’évolution : la couleur noire traduit des tissus
nécrotiques; jaune, des tissus fibrineux; rouge, des tissus qui bourgeonnent; rose, la plaie est
en cours d’épithéllialisation. L’évaluation colorielle, qui passe du noir au rose quand la plaie
évolue favorablement, et du rouge au jaune lorsqu’elle s’aggrave, permet un suivi aisé de son
évolution. Cela évite d’avoir à se prononcer à partir d’une interprétation trop subjective.
L’utilisation du code couleur permet de faire le lien entre les intervenants (médecin, infirmier,
aide-soignant qui de plus ne sont pas toujours les mêmes à intervenir) et le patient qui peut
ainsi suivre dans un langage visuel très accessible l’évolution de sa plaie. Cela facilitera la
négociation du projet de soins avec lui .
La collaboration avec un fournisseur de matériel médical.(Essai de matériel anti-
escarres, évaluation).
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
L’évaluation des coûts : comparaison des coûts des différents protocoles (soignant,
fournitures, matériel) .
Les résultats se font sentir depuis l’élaboration et l’application de la procédure :
l’amélioration des connaissances du personnel et de la coordination, du travail d’équipe grâce
au carnet de suivi, l’implication du patient et de son entourage par l’intermédiaire de ce
support.
L’amélioration de la prévention a permis de faire baisser le nombre d’escarres et se traduit par
l’amélioration du bien-être des personnes soignées.
Ces procédures améliorent le travail en partenariat car elles permettent une visibilité,
une explicitation des pratiques et ainsi tous les acteurs connaissent leur « partition ». Elles
prennent place dans une véritable chaîne de soins, en permettant à chacun de s’acquitter de sa
mission, chacun étant tour à tour client ou fournisseur des autres partenaires. Des dispositions
sont donc à prendre pour organiser les relations clients-fournisseurs et en améliorer la qualité.
3.2.4. L’ORGANISATION DE LA RELATION CLIENT-FOURNISSEUR POUR TRAVAILLER DANS LATRANSVERSALITE
Un des principes de la démarche qualité est de considérer que de la conception jusqu'à
la consommation la chaîne client-fournisseur est continue. Le client n’est pas seulement le
consommateur de la prestation mais aussi l’utilisateur interne d’une étape de production ou de
service. En interne les opérateurs sont bien clients des collègues intervenant sur la phase
précédente et sont bien fournisseurs de ceux situés sur la phase suivante ; le client est le
groupe demandant ou utilisant un service fourni par un autre groupe, le fournisseur est
l’interlocuteur du client, celui qui est en mesure de proposer le service dont il a besoin.
A chaque étape le client interne a des attentes à satisfaire. Cette identification des binômes
client-fournisseur permet l’optimisation des outils d’appréciation de son propre travail et
entretient un réflexe de service à tous les échelons. C’est un outil pédagogique et un outil de
qualité dont les objectifs sont :
78 Le terme « protocole » est plus restrictif que « procédure ». C’est l’ensemble des règles, des conditions pourexécuter une activité, alors que la procédure implique l’ensemble des activités.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
♦ l’identification des clients et des fournisseurs ;
♦ la clarification des missions de chacun : quelles sont mes exigences vis-à-vis de
mes fournisseurs et quels sont les besoins de mes clients ?
♦ la responsabilisation des acteurs aussi bien sur le volet fournisseur (qualité de
service) que sur le volet client (interrogation des contraintes).
♦ l’effort de communication : écoute et connaissance réciproque.
Cette relation client-fournisseur engendre des relations différentes des relations de pouvoir,
hiérarchisées, au profit de relations contractualisées, chaque maillon de la chaîne de soins
étant complémentaire, interdépendant, partenaire interchangeable au service du client final lui
aussi partenaire.
• Le partenariat avec la personne et son entourage autour du projet
contractualisé
Dépasser la notion de relation d’aide, qui comporte en elle des éléments de sujetion, pour
entrer dans une logique de partenariat signifie d’accepter l’individu âgé dans sa position de
sujet déterminé par son histoire, son milieu, son identité ; il devient alors l’alter ego des
professionnels et retrouve un libre arbitre et une place d’interlocuteur direct. Cela se décline
sur le terrain par la contractualisation d’un projet.
C’est aussi accepter de laisser chacun à sa place, réduire les effets des relations de pouvoir qui
peuvent s’exercer de la part d’un système sur un autre (sphère familiale et sphère
professionnelle), admettre l’interdépendance.
Un des moyens utilisés au SSADPA pour maintenir la personne dans son rôle d’acteur est le
pictogramme79. Les soignants définissent avec les personnes les objectifs prioritaires de soins
et d’autonomie. En effet les tentatives de stimulation sont vouées à l’échec et peuvent même
devenir persécutoires si l’objectif n’est pas partagé par la personne concernée.
79 Ce pictogramme figure en annexe n°4. Nous l’avons adapté après en avoir pris connaissance par les travauxde Louis DEYMIER, « La dynamique qualité : pour replacer la personne âgée au c œ ur de l’action d’unSSIDPA », mémoire CAFDES, Rennes, 1997.
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Les objectifs des soignants doivent rencontrer ceux des « soignés », s’ancrer sur la réalité, la
qualité de vie telle qu’ils la conçoivent.
• L’identification du système relationnel, le développement du réseau
Pour construire le réseau nécessaire à un accompagnement global, coordonné, il faut lutter
contre le cloisonnement des institutions et des services, les inévitables corporatismes.
Une pierre d’achoppement des services de soins à domicile réside dans la nécessité de faire
travailler ensemble salariés et libéraux. Comment faire converger des professionnels ayant des
logiques divergentes?
Le premier travail à été de comprendre ces antagonismes afin de construire à partir d’eux et
non pas de les gommer, ou de passer outre.
Des entretiens entre les libéraux et l’équipe ont permis de déterminer les besoins et les
attentes de chacun et de repérer des points de convergence, ce que chacun peut exiger et
apporter dans le cadre d’une relation client-fournisseur.
Comment se positionne l’infirmier libéral ? Il a besoin de fidéliser sa clientèle car il est en
situation de concurrence avec les autres intervenants sur un même marché. Le critère de
rentabilité est inscrit dans sa pratique, car il est payé à l’acte et non en fonction du temps
passé : les patients nécessitant des soins importants de nursing demandant du temps ne
l’intéressent pas financièrement. Il n’a pas de lien de subordination avec le service mais un
lien contractuel, d’où une relation de négociation permanente.
Qu’est-ce qu’il attend du SSADPA?
Un travail d’équipe
Un réseau , la formation
La prise en charge des patients lourds
Le maintien à domicile et donc la fidélisation de la clientèle
Qu’apportent les intervenants libéraux au SSADPA ?
Une souplesse horaire
La proximité géographique
La connaissance du patient et de son entourage
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Une technicité et une complémentarité
Quels sont les besoins de l’équipe salariée ? Elle a une mission de service public, sans critère
de rentabilité mais avec un critère d’efficience et un objectif de qualité du service rendu.
Il a fallu se connaître et pour cela identifier nos champs respectifs, clarifier nos positions et
besoins avant de pouvoir réellement travailler ensemble et trouver des points commun,
s’entendre sur un projet, une démarche qualité.
• La méthodologie, les outils : dossier de soins et réunions de synthèse
Le dossier de soins au domicile du client est un outil permettant la circulation des
informations entre tous les partenaires. Les transmissions sont un élément-clé du travail de
soins à domicile et elles nécessitent un support performant. C’est pourquoi elles ont fait
l’objet d’une procédure et un véritable dossier de soins a été mis en place. Il permet
d’optimiser l’accompagnement tel qu’il a été défini par notre projet et d’assurer le suivi du
projet individualisé. Les salariés et quelques partenaires l’ayant conçu, il a fait ensuite l’objet
d’une campagne d’information auprès de tous nos partenaires, ce qui explique qu’il soit bien
utilisé.
Les réunions de synthèse ont pour objet de définir les bases du projet individualisé ou de
réajuster ce dernier, de vérifier si les objectifs sont atteints. Elles se font fréquemment au
domicile du patient avec les acteurs référents participant au projet.
D’autres réunions entre professionnels seulement ont lieu une fois par mois pour faire le
point sur chaque accompagnement.
Le processus est sous-tendu par la position éthique déjà énoncée80 : tout faire pour que
l’usager-client soit au centre du dispositif et maître de ses décisions. Le risque serait que le
réseau renforce le pouvoir des professionnels en augmentant le contrôle social et en diminuant
la prise de responsabilité des personnes et de leur milieu par rapport à leurs problèmes.
C’est pourquoi l’évaluation, et notamment celle qui est faite par les usagers, est une nécessité
incontournable.
80 En seconde partie.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
3.3. UNE NECESSITE : L’EVALUATION DE LA QUALITE
L’audit auprès des personnes elles-mêmes sur leur satisfaction est un élément
important de cette évaluation de la qualité. Il permet de prendre en compte l’aspect subjectif,
d’être à l’écoute du client (audit vient du latin « audire » qui veut dire entendre, l’auditeur est
la personne qui écoute). Dans la première partie de ce chapitre nous expliciterons notre
méthodologie et l’impact de cette écoute client. Mais comme nous l’avons vu précédemment
le client final, s’il est celui vers lequel convergent tous les efforts qualité, n’est pas le seul : il
y a aussi les clients internes (salariés, partenaires) et les clients payeur et prescripteur, avec
des logiques différentes à articuler.
L’évaluation de la qualité doit porter sur l’ensemble des paramètres, être un véritable
référentiel qualité, une évaluation interne nous préparant ainsi à l’évaluation externe que sera
l’accréditation.
3.3.1. L’ECOUTE-CLIENT, ELEMENT CENTRAL DE CETTEEVALUATION
Il s’agit d’un entretien sur la qualité perçue par le client.
Quels sont pour lui les critères de qualité ou de non-qualité ?
Quel est son niveau de satisfaction par rapport à l’accueil et l’admission, aux intervenants, à
la coordination, aux transmissions, au projet individualisé, etc.. ?
L’entretien est mené par l’infirmière cadre, salariée du SSADPA, à l’aide d’une grille
d’entretien et en utilisant la méthode de la reformulation empathique. L’objectif est d’écouter
la personne, comprendre sa logique (en oubliant temporairement notre logique
professionnelle) et de noter ses mots, collecter sans interpréter à l’état brut la perception
qu’elle a du service rendu et de ses attentes, ses souhaits.
Prendre en compte son appréciation, sa vision des choses. Le danger serait à mon sens de ne
voir dans l’évaluation que l’écart entre le projet et sa réalisation, une appréciation objective du
professionnel avec le risque d’oublier l’usager.
C’est ce qui va différencier démarche qualité et évaluation classique : l’intégration du
bénéficiaire dans la mesure du service rendu, la capacité à déterminer la qualité non plus
seulement à partir des seuls référentiels internes, mais dans le cadre des systèmes d’évaluation
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
des autres. Se décentrer et se recentrer sur l’usager. Aller vers un système d’évaluation qui
intègre la complexité et mette en jeu une multiplicité d’acteurs.
Les résultats de l’entretien sont analysés individuellement en réunion de synthèse et
sont utilisés pour réajuster le projet individuel de la personne. Mais ils sont aussi traités
collectivement et analysés par moi-même et les groupes de travail afin de pouvoir agir sur
l’organisation. C’est ainsi que prenant en compte les réflexions sur les horaires, nous avons
mis en place une sixième tournée le matin.
En effet dès le traitement des premiers entretiens nous avons pu nous rendre compte du hiatus
existant entre l’appréciation des professionnels et celle des usagers. Un élément repéré de
non-qualité était souvent pour eux l’intervention d’un professionnel dans une plage horaire
vécue comme trop tardive. Nous avons donc travaillé sur une organisation du travail excluant
toute intervention non souhaitée par la personne après 11 heures du matin; une réorganisation
des temps partiels nous a permis de créer une tournée supplémentaire, diminuant ainsi les
temps de travail du matin pour chaque salarié.
Nous obtenons ainsi une boucle de la qualité, une articulation entre l’évaluation des
professionnels et celle des usagers-clients.
VISION DU CLIENT VISION DES
PROFESSIONNELS
Qualité attendue Qualité conçue
Audit Evaluation
objective
Qualité perçue Qualité servie
Une dynamique de bouclage va permettre le réajustement du projet individuel et du projet de
service : la fin du processus en nourrit le début.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
Les critères de l’entretien de satisfaction figurent en annexe.81
Ainsi avec l’audit auprès des clients que sont les usagers et leur entourage, nous prenons en
compte leur satisfaction pour modifier l’organisation.
Pour ce qui est des clients internes, l’écoute est réalisée par le biais des entretiens d’évaluation
et par la négociation permanente entre les objectifs individuels et ceux du service. A travers la
relation client-fournisseur, les besoins et les attentes de chaque partenaire sont ainsi mieux
entendus.
Mais qu’en-est-il de la satisfaction de notre financeur ?
3.3.2. EN PERSPECTIVE, LE REFERENTIEL QUALITE
J’ai entrepris de gros efforts de visibilité tant en ce qui concerne les coûts (comptabilité
analytique) que la qualité (formalisation du projet, des procédures...) dans une visée aussi bien
interne qu’externe afin de pouvoir mieux expliquer aux tutelles, par une argumentation
détaillée et expliciter le lien coût/qualité.
Mais il me semble qu’il faut aller encore plus loin et pour se préparer à l’accréditation, qui est
une évaluation externe, entreprendre une auto-évaluation de tous les processus qui conduisent
à un accompagnement de qualité.
Nous réfléchissons actuellement en équipe à la construction d’un référentiel qualité, à la
méthodologie.
Il permettrait un suivi de toutes les activités, l’évaluation de l’existant et les objectifs à
atteindre dans les domaines suivants, sous la forme de tableaux de bord :
Accueil Admission
Projet de service Projet personnalisé
Charte Dossier de soins et de transmissions
Procédures Groupes de travail et de régulation
Audit de la qualité perçue par les usagers Satisfaction du personnel
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
Coordination Analyse des coûts
Ainsi nous élargissons la notion de qualité à bien d’autres domaines que le seul produit final
(le service rendu, l’accompagnement) pour prendre en compte également la qualité interne,
les clients intermédiaires, les dimensions de l’organisation et son management.
81 Annexe n°5.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
CONCLUSION
Ma priorité actuelle , dans ma pratique de direction, est de contribuer à une définition
de la qualité et à sa mise en œuvre.
Je conçois ma responsabilité dans le sens étymologique de « répondre ». « La responsabilité,
c’est la réponse. Spondio, spondere, se porter garant, promettre, s’engager. Pour l’autre, et
devant la Loi, c’est-à-dire la communauté des Autres ». 82
Répondre devant l’Autre, l’usager-client, s’engager à répondre à ses attentes et à améliorer la
qualité du service rendu. Répondre devant la communauté des Autres, l’environnement social,
qui ajoute la notion de coût à celle de qualité et l’efficience des ressources allouées.
En effet, on peut toujours améliorer la qualité, si on ne se préoccupe pas des coûts et on peut
toujours baisser les coûts, si on ne se soucie pas de la qualité.
A mon sens, ma responsabilité de direction se situe bien dans cette double appréhension qui
est la réponse à l’attente des usagers et la réponse à l’attente de la société.
La démarche qualité ne permet-elle pas cette articulation entre logique interne et
externe? Outil à usage institutionnel, elle permet aussi de soumettre le service au regard et à
l’interpellation de l’espace public et devient par là un outil de citoyenneté.
Dans une visée éthique et citoyenne, la démarche qualité que j’ai impulsée au sein du
SSADPA tend à renforcer la capacité d’autonomie des clients et aboutit à une relation de co-
production, de co-responsabilité : par la contractualisation du projet d’accompagnement
personnalisé et par l’audit qualité faisant du sujet âgé et des professionnels des partenaires
dans la décision et l’organisation .
82 Monette VACQUIN, Préface, Revue Autrement n°14, série morales, La responsabilité, la condition de notrehumanité, Janvier 1994.
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
Cette dynamique n’impose pas un système sur un autre, n’importe pas une norme, une vérité,
mais au contraire permet la rencontre fructueuse de deux systèmes de référence : le savoir
professionnel et la réalité telle que vécue et perçue par les personnes âgées, avec leurs valeurs
culturelles.
Ainsi elle invite au dialogue, à la négociation et promeut de nouvelles formes de rapports
entre usagers, intervenants, financeurs.
Prendre en compte tous les paramètres,
intégrer les différents enjeux - marchandisation du secteur, maîtrise des coûts et
accréditation -,
articuler politique sociale et politique de la structure gestionnaire,
faire converger les désirs des intervenants, ceux des usagers et la gestion,
tel est le défi de cette démarche.
La qualité n’est pas une situation acquise mais un mouvement, qui se visualise au
travers d’une démarche mobilisant l’ensemble de l’organisation et intégrant la participation
des partenaires et de l’environnement. Au SSADPA de Boën, le chantier commence, je
manque de recul pour analyser les résultats d’une manière globale mais d’ores et déjà bien des
processus concourant à la qualité de l’accompagnement ont été améliorés et surtout une
dynamique est en marche...
Dominique BROUGERE - Mémoire de l’Ecole Nationale de la Santé Publique - 1999
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