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Flahault FrancoisLe fonctionement de la parolefrench

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Communications

Le fonctionnement de la paroleFrançois Flahault, Emmanuel Kant, Michel Foucault

Citer ce document / Cite this document :

Flahault François, Kant Emmanuel, Foucault Michel. Le fonctionnement de la parole. In: Communications, 30, 1979. La

conversation. pp. 73-79.

doi : 10.3406/comm.1979.1447

http://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1979_num_30_1_1447

Document généré le 23/09/2015

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François Flahault

Le fonctionnement de la parole

Remarques à partir des maximes de Grice

Le texte de Grice dont la traduction est donnée dans ce numéro me semble inviter à un travail dans — au moins — deux directions différentes. La première, dont lui-même trace expressément la voie, vise à préciser le fonctionnement du calcul interprétatif qui conduit de la forme littérale, linguistique, d'un énoncé à ses implicitations (implicatures) 1.

Une seconde voie consiste à soumettre à l'examen le cadre psychologique dans lequel Grice situe le processus d'échanges de paroles. A supposer que la linguistique puisse se développer indépendamment d'une psychologie (je n'en suis pas certain), la "pragmatique" en tout cas me paraît directement déterminée par la psychologie qu'elle se donne, ou qu'elle présuppose à son insu. C'est l'intérêt que j'éprouve pour cette seconde voie qui me conduit à avancer les remarques qui suivent.

1. Le "principe de coopération".

Il n'est de conversation possible, estime Grice, qu'à la condition que chacun des interlocuteurs se plie, et soit supposé par les autres se plier à un principe élémentaire (coopérative principle) qu'il formule ainsi : "Que votre contribution à la conversation, compte tenu du point de celle-ci où votre apport survient, soit conforme à ce qui est requis par le dessein communément accepté, ou la direction de l'échange de paroles dans lequel vous êtes engagé." Ceci implique une certaine conception de la conversation; se plier au principe revient donc à admettre aussi son cadre implicite. Une conversation serait un ensemble, son sujet ou sa direction liant les éléments; les paroles de chacun y seraient produites au titre d'une contribution. Et peut-être même (mais cela n'est pas rigoureusement impliqué par le texte de Grice) : tout échange de paroles serait, ou devrait être, une conversation.

Dès lors est introduite une ambiguïté que la suite des considérations de Grice ne fait que confirmer : la distinction entre règle constitutive et règle normative n'étant pas posée, on ne sait jamais si le principe et les maximes qui le développent fondent la possibilité d'un fonctionnement de la parole (quelle que soit Interrelation "bonne" ou "mauvaise" qui se joue à travers celle-ci), ou bien s'ils la régissent (en l'obligeant à revêtir cette forme policée qu'on appelle la conversation).

1. Voir, ici même, le texte de D. Wilson et D. Sperber.

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Le niveau qui nous intéresse ici est le constitutif, et c'est de ce point de vue que doit être envisagée la question de "l'accrochage" de chaque énonciation à ce qui se dit. En ce sens, il me semblerait important de ressaisir de quelle façon toute situation d'échange de paroles dépasse ceux qui y sont engagés, et, pour me limiter au plus élémentaire, je soulignerai la spécificité du temps de la parole. Cette spécificité est due pour une part au fait que la production de parole, en cela fort différente de bien des formes d'activité non verbales, ne peut être pratiquée que par un seul des interlocuteurs à la fois : celui qui se tait dépend de qui parle, puisque c'est ce dernier qui, actuellement, occupe le fil du temps. Et celui qui parle dépend de son ou ses interlocuteur(s) en ce sens que son temps de parole lui est concédé par eux. Cette interdépendance — pas nécessairement coopérative — implique que prendre la parole, c'est toujours au moins avoir à charge d'attester qu'on est fondé à le faire : en parlant on se justifie au moins d'avoir pris la parole. (Il y a là l'une des sources de ce qui s'énonce chez Grice sous la forme d'une maxime de pertinence.)

Plus fondamentalement constitutif que le principe de coopération de Grice est donc cet accrochage de plusieurs à un seul fil temporel, qui vient remplacer les temps parallèlement vécus par chacun avant son entrée dans la relation de parole. Je me demande si cette forme remarquable de temporalité n'est pas essentielle à la constitution du temps humain en général (car celui-ci est un temps commun, l'une des conventions au terme desquelles chacun est obligé par les autres; mais aussi, à l'inverse d'un contrat, convention impossible à dénoncer). Je laisse la question, trop philosophique pour mon présent propos; il m'importe en revanche de souligner la forme particulière de "coopération" qu'entraîne le temps de la parole. On ne saurait admettre que le fonctionnement de la parole se laisse aisément régler par des principes contractuels comparables à ceux que, par exemple, nous appliquons à la propriété privée; l'idée d'un "chacun son territoire", d'un "il y a de la place pour tout le monde" peut bien viser à normer le fonctionnement de la parole, il n'empêche que dans celui-ci, le conflit inhérent à un lieu où il n'y a pas place pour deux se trouve structuralement engendré. Il n'y a qu'un seul fil de parole (c'est pourquoi on dit "prendre la parole, couper, donner la parole") ; en d'autres termes, ce qui est dit vaut, doit valoir pour ceux qui écoutent.

Ainsi, le don de la parole, c'est le don que nous en font ceux à la parole de qui la nôtre aura à s'accrocher, à s'articuler. La parole ne nous est pas concédée sans espoir ni sans craintes, et les donataires, puisqu'en retour ils sont nécessairement exposés aux effets de nos paroles, nous assignent par avance la place où celles-ci devront se loger (ceci à tout moment, mais bien sûr plus radicalement autour de la naissance).

En définitive, je ne rejette pas le cooperative principle de Grice, seulement, distinguant le constitutif du normatif, je suis conduit à souligner ce qui, au-delà de l'aimable conversation, peut rester emprunt de violence, de par les conditions mêmes qui rendent possible une situation de parole, quelle qu'elle soit. La conversation, à strictement parler, est le fruit de l'application au champ de la parole d'une série

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de dispositions qui le tempèrent ou masquent ce qui le détermine. Que chacun soit supposé prendre la parole au titre d'une contribution au propos commun, c'est là une certaine forme, policée, d'accrochage de renonciation au champ de parole, mais ce n'est pas ce qui rend compte de la nécessité de cette articulation, quelle que soit la forme sous laquelle elle se réalise.

2. "Soyez pertinent".

Dans la troisième des maximes par lesquelles il explicite son cooperative principle, ce que Grice pose revient à ceci : l'accès au sens de ce que dit un locuteur n'est possible qu'à partir de ce dont le crédite son interlocuteur, à savoir qu'en formulant tel énoncé, celui-là vise à être pertinent. Hypothèse qui, me semble-t-il, touche bien au niveau constitutif.

La linguistique classique postule, de façon plus ou moins explicite, qu'à un énoncé — à condition qu'il soit correct, ou recevable — un sens peut être attribué sans qu'il soit pour autant nécessaire de lui imputer une visée de pertinence ni de tenir compte de celle-ci. Postulat d'importance, et qui demanderait à être examiné. Ne pas l'accepter oblige à prendre en considération renonciation, et par conséquent à trahir l'idéal d'une sémantique purement linguistique. La pragmatique ne relève donc pas de la linguistique (et pas davantage mon livre la Parole intermédiaire 1, où la notion de pertinence est l'un des rouages essentiels de ce que j'ai tenté d'y articuler).

Il me semble impossible qu'une énonciation soit émise en dehors de toute visée de pertinence, et soit reçue en l'absence de toute référence à celle-ci. Avec quelqu'un qui ne paraîtrait capable de rien de mieux que de produire des énoncés syntaxiquement corrects, ou qui n'entendrait que ce qui est littéralement formulé, il n'y aurait, comme on dit, vraiment pas moyen de parler. Du coup, si la visée de pertinence est constitutive de renonciation, il ne convient pas de le rappeler sous la forme de l'impératif : "be relevant". Car, de l'hypothèse suivant laquelle quelqu'un pourrait se trouver en position de refuser de se plier à l'exigence de pertinence, il me paraît impossible de trouver une illustration dans la réalité.

Une simple notation, pour souligner à quel point nos énonciations sont prises dans les réseaux de ce que j'ai appelé l'empire du sens (en termes lacaniens : assujetties à l'Autre). Au cours d'une conversation, nous amorçons naturellement chacune de nos énonciations par des expressions comme : "bien sûr", "d'ailleurs", "pourtant", "mais pas du tout", "quand même", "de toute façon", etc. Celles-ci n'ont pas, ou pas seulement une fonction d'articulation syntaxique : elles articulent ce qui va être dit à ce qui vient de l'être. Elles constituent l'un des types de marques qui attestent que chacun des interlocuteurs est dominé par le discours où ses énonciations viennent s'insérer. Elles sont l'une des manifestations du fil qui relie des propos, lesquels, autrement, seraient décousus, et fait d'eux les fragments d'une même

1. Éditions du Seuil, 1978.

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conversation. Ces expressions nous viennent spontanément, nous les utilisons à bon escient, et pourtant il nous serait bien difficile de fournir une description correcte de leur fonctionnement sémantique (se reporter, par exemple, aux travaux d'Oswald Ducrot sur ce point).

Que nos paroles se veuillent une contribution ou au contraire un refus de contribuer à la conversation, elles n'en sont pas moins tenues de s'accrocher d'une manière ou d'une autre à ce qui est dit : il n'est de rupture si forte qu'elle ne maintienne au moins par rapport à ce avec quoi elle rompt le lien que constitue la marque de cette rupture.

Considérée du point de vue d'une réflexion sur l'intérsubjectivité plutôt que sur le temps spécifique de la parole ou sur la pertinence, la même relation pourrait se formuler ainsi : toute visée de pertinence étant assujettissement au jeu de la reconnaissance (on n'est pertinent que par et pour un autre), il n'est de parole à ce point différente qu'elle se dispense de signifier sa différence. (Une question : qu'en est-il des paroles qui font repérer comme fou celui qui les énonce?)

Resterait à fournir une ou plusieurs paraphrases du terme de pertinence. En voici toujours une (je ne sais trop ce qu'elle vaut, je l'avance provisoirement) : renonciation pertinente serait l'acte qui pointe ou qui invente, sur la base d'un certain nombre de repères pris en compte et supposés partagés par l'interlocuteur, une relation intelligible, une symbolisation telle que celle-ci soit de nature à apporter une modification elle-même intelligible à la conjoncture conversationnelle (que celle-ci soit définie en termes d'interrelations des locuteurs, ou bien de propos, de but supposé partagé par ceux-ci).

Les critères aux termes desquels une énonciation est reçue comme pertinente, et agréée par quelque autre, sont variables; la plupart du temps informulés, et sans doute difficiles à formuler. Cependant, je fais l'hypothèse que les plus élémentaires conditions d'agrément régissent moins la parole au titre de son contenu informationnel, de son rapport à ce qui est d'ordre factuel, qu'au titre de l'usage qu'elle fait des médiations correspondant au rapport de places dans lequel se situent les interlocuteurs. La parole pertinente serait avant tout celle qui tient compte du rapport de places dont la représentation est supposée partagée ; et l'absence ou l'erreur de symbolisation de l'interlocuteur serait la plus grave défaillance de parole.

3. "Ne dites pas ce que vous pensez être faux".

Éviter le mensonge est une règle normative, et même morale. A moins qu'elle signifie qu'il ne faille pas dire quelque chose qui paraisse faux pour l'interlocuteur; mais dans ce cas il s'agirait seulement d'une règle particulière subordonnée à la maxime de pertinence.

Pour qu'un échange de paroles soit possible il ne me semble nullement nécessaire de vouloir éviter le mensonge; bien plutôt il est indispensable de pouvoir dissimuler et mentir. La présence de l'autre en chacun de nous constitue en effet à la fois un danger et une arme. Danger si l'usage de la parole s'est trouvé pour nous impossible à détacher de la personne même par laquelle nous avons d'abord été parlés, mêlés au langage; dans ce cas, même si nous parvenons à manier

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la langue, le don de la parole nous fait défaut. Arme au contraire si l'autre, cessant d'être seulement celui qui nous définit de ses repères, est à son tour symbolisé par nous, marqué de repères langagiers dont le système nous appartient non moins qu'à lui, et sur l'ordre desquels il n'a pas mainmise.

Dans la mesure où l'exercice de la parole prend appui sur des représentations supposées partagées, il est nécessaire que l'interlocuteur soit intériorisé : parler, c'est anticiper le calcul interprétatif de l'interlocuteur. Il ne suffit pas. que la réalité dont on parle soit symbolisée; l'interlocuteur aussi doit être intégré au signifiable pour que le locuteur- puisse s'adresser à lui : ce qu'est l'autre pour moi, ce qu'il me dit vient normalement me fournir des repères sur la base desquels je forme à mon tour mes propres paroles, dans mon anticipation de ce que je suppose que vsera le calcul interprétatif de l'autre 1. Du moment où l'autre est symbolisé, il cesse d'être le maître de mon activité symbolisante, et il m'est possible de lui cacher ce que je sais. Le développement de la compétence non pas seulement linguistique, mais de la compétence verbale implique donc une estimation du partage entre ce que l'autre sait et ce qu'il ne sait pas, et une aptitude à jouer de ce partage. Plus précisément : partage entre ce que l'autre sait que je sais et ce qu'il ignore que je sais. Et aussi, de façon complémentaire, partage entre les choses dont je sais qu*il les sait, celles dont j'ignore s'il les sait, et celles dont je sais qu'il les ignore. C'est seulement sur la base de telles évaluations que je puis dissimuler, et garder pour moi la vérité de mon mensonge ou de ma réserve, c'est-à-dire ceux des repères (à partir desquels je parle) que le calcul interprétatif de l'autre ne pourra reconstruire.

(Se trouver en face d'un acte de dissimulation éveille le désir d'en percer la vérité. Edgar Poe a mis en scène ce désir dans plusieurs nouvelles, et l'a incarné dans le personnage de Dupin, dont la jouissance est précisément de parvenir à penser l'autre en ce qu'il dérobe. Ainsi, par exemple, Dupin engage-t-il la conversation avec le narrateur, au début de Double Assassinat dans la rue Morgue, en poursuivant à haute voix le cours informulé des pensées de ce dernier; lequel, stupéfait d'une telle pénétration, trouve là une nouvelle occasion d'admirer son maître.)

La question n'est donc pas de savoir pourquoi nous rusons, mais au contraire pourquoi il est des rapports de parole où nous nous plaisons à être sincères. Dissimulation et mensonge ne connaîtraient pas de relâche si, dans la demande de reconnaissance, il s'agissait toujours et seulement, ou bien de marquer à l'autre qu'on peut se cacher de lui, oujbien au contraire d'afficher qu'on est bien celui qu'on suppose que l'autre veut que l'on soit. Cependant, vivre sous l'emprise d'un tel souci est généralement considéré comme relevant du symptôme : tout en usant d'un pouvoir de réserve, nous pouvons bien livrer à l'autre, à proportion du lien qui nous unit à lui, quelque chose de ce que nous

1. Ruse et calcul du calcul de l'autre : voir P. Watzlawick, La Réalité de de la réalité, Éditions du Seuil, Paris, 1978, p. 48-49 et 129-130.

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prenons pour notre être. La relation bien tempérée où peuvent s'épandre des nappes de conversations combine la douceur de se sentir sincère à la sécurité d'un "je ne dis que ce que je veux bien dire" : réserve sans méfiance, sincérité sans incontinence, assoupissement des calculs d'affiche, ainsi pourrait-on caractériser le bien-être conversationnel.

Mais ceci est loin de suffire à situer l'exigence de véracité. Celle-ci se tient au point où la parole est le sceau d'un rapport de places. Nous pouvons ruser plus ou moins avec l'autre, compte tenu de ce qu'il est pour nous et de ce que nous sommes pour lui; mais nous ne pouvons manier à notre guise ce rapport de places puisqu'au contraire c'est lui qui nous tient, et la duplicité a ses limites (au-delà desquelles elle n'est plus qu'épuisantes dénégations) puisque notre être se soutient dans le réseau de ce que nous sommes pour d'autres. Dans le dialogue amoureux, les interlocuteurs essaient de ressaisir les rets qui les attachent l'un à l'autre : hamac où ils voudraient goûter l'absolu repos de la confiance. Mais ils risquent aussi bien de connaître la sourde crainte que l'informulable de leurs liens ne les étouffe. D'où à nouveau le désir de réserve et le retour (plus ou moins illusoire d'ailleurs) à une stratégie : oscillation de toute interlocution entre ruse et véracité ; bizarre mélange, pourtant inévitable.

4. Qu'est-ce qui nous fait parler?

Dernière remarque, plus éloignée d'un commentaire de Grice, et aussi plus spéculative. Pour avancer une réponse très (trop) générale à la question de ce qui nous fait parler, je dirais que c'est à la fois la prise du désir dans ï'intersubjectivité, et sa méconnaissance (son aliénation, sa réalisation) dans les médiations à travers lesquelles l'inter- locution fonctionne. Mais il faudrait examiner les choses de plus près.

On pourrait s'attacher à une espèce particulière de médiations, par exemple ce qu'on appelle les sujets de conversation. Et d'abord, en les considérant comme relevant de la production sociale de biens de consommation, en dresser l'inventaire, avec indication des règles d'emploi (qui, quand, comment, etc.). Les échanges de paroles supposés répondre à une nécessité (utilitaire, professionnelle, scientifique) plutôt qu'au plaisir ne devraient pas être écartés : ainsi, ce numéro consacré à la conversation offre, au moins pour quelques personnes, matière à conversation, et peut-être est-ce là l'une de ses fonctions prévalentes.

Tout ce qui fait événement est propre à alimenter les conversations. S'il en est ainsi, m'objectera-t-on, l'inventaire ne serait pas seulement voué à demeurer toujours incomplet : l'entreprise même serait insensée. Je n'en suis pas sûr, car mon assertion malgré l'apparence est tautolo- gique : on n'appelle événement que ce qui offre à un discours l'occasion de s'exercer. L'événement qui provoque le discours fait, comme on dit, l'actualité. Mais ce qu'il "actualise" surtout, c'est tous ceux auxquels il fournit l'occasion d'énoncer ce discours comme étant leur parole, leur apportant une monnaie à faire circuler dans la dialectique de la reconnaissance ou, pour le dire autrement, dans telle conjoncture de l'interlocution. Toute une catégorie d'événements est donc délibérément produite (films, livres, compétitions sportives, etc.), qui ont

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pour effet sinon comme fonction qu'on s'en entretienne. Une condition nécessaire de leur efficacité est que s'y articule un fantasme (autant que possible assez commun), et que par ailleurs il existe au moins un discours qui s'offre à en assurer le commentaire ou la méconnaissance. L'interprétation, même sous la forme d'un discours savant, fait-elle autre chose que prolonger l'effet de ce qu'elle croit ressaisir?

La langue, si on la compare au tissu de marques sémiologiques qu'offre, disons, le film (cent autres exemples conviendraient aussi bien), présente une particularité remarquable : non seulement il est possible d'y représenter une partie de ces marques sémiologiques (une partie seulement, car le propre d'un système sémiologique est d'excéder ce qui peut en être formulé ou traduit), mais encore, pour autant qu'elle dénote, elle se représente à elle-même ses propres marques: merveilleuse propriété des langues (et qu'il faudrait mieux cerner : dire qu'elles ont pouvoir de symboliser n'y suffit pas). C'est sans doute à cause d'elle que lorsqu'on parle, oh a plutôt le sentiment de penser que d'être pensé; et même, grâce à cette propriété aussi qu'on se réveille, chaque matin : le don de la parole — dans le fond, c'est un lieu commun — équivaudrait à celui de la conscience de soi. Pourtant, le symbolisant non symbolisé n'en existe pas moins. Et notamment, persiste, ou insiste aussi bien du côté du sémiologique — qui donne occasion à la parole de s'exercer, qui la provoque — , que du côté du discours selon l'ordre duquel la parole vient à se produire.

La question de ce qui nous fait parler se laisserait donc diviser en au moins trois sous-questions : l'une relative à ce qui offre matière à parler, l'autre à ce en quoi la parole s'articule (la langue évidemment, mais aussi l'ordre du discours), la troisième enfin toucherait au désir, aussi bien le désir de prendre la parole que celui auquel renvoie la teneur des paroles dites.

François Flahault Association nationale

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