france-russie : l'avenir d'un partenariat stratégique - iris
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C O M P T E - R E N D U
France-Russie : l’avenir d’unpartenariat stratégique
COMPTE-RENDU DU COLLOQUE ORGANISÉ PAR L'OBSERVATOIRE FRANCO-RUSSEET L'IRIS, EN PARTENARIAT AVEC LE MEDEF ET LE CCIFR, LE JEUDI 18 AVRIL, SALLEVICTOR HUGO, PARIS.
9H00 - ALLOCUTIONS DE BIENVENUEPascal BONIFACE, Directeur de l’IRISEmmanuel QUIDET, Président de la Chambre de commerce et d’industrie franco-russe (CCIFR)Thierry COURTAIGNE, Directeur général du MEDEF International
9H15 - ALLOCUTIONS D’OUVERTUREJean-Pierre CHEVÈNEMENT, Sénateur, Représentant spécial de la France pour la RussieS.Exc. M. Alexandre ORLOV, Ambassadeur de Russie en FranceS.Exc. M. Jean DE GLINIASTY, Ambassadeur de France en Russie
9H45 - QUELLES RELATIONS POLITIQUES ENTRE PARIS ET MOSCOU ?Modérateur Arnaud DUBIEN, Directeur de l’Observatoire franco-russeEric FOURNIER, Directeur de l’Europe continentale, Ministère des Affaires étrangèresFiodor LOUKIANOV, Rédacteur en chef de la revue Russia in Global Affairs, Président du Conseil de politique étrangère et de Défense (SVOP)Jean-Marie LE GUEN, Député de Paris, Vice-président du groupe d'amitié France-Russie de l’Assemblée nationaleAlexandre BABAKOV, Député à la Douma d’État, Représentant spécial du président pour la coopération avec les Russes de l’étrangerYves POZZO DI BORGO, Sénateur de Paris, Vice-président du groupe d’amitié France-Russie
11H30 - REGARDS CROISÉS FRANCO-RUSSES SUR L’ACTUALITÉ STRATÉGIQUE INTERNATIONALE (MALI, SÉCURITÉ EUROPÉENNE, « PRINTEMPS ARABE », AFGHANISTAN)Modérateur Konstantin SIMONOV, Directeur général de la Fondation pour la sécurité énergétique nationaleGwendal ROUILLARD, Président du Conseil d’administration de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), Député du Morbihan, Secrétaire de la com-mission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationaleMikhaïl MARGUELOV, Président de la commission des Affaires internationales, Conseil de la Fédération, Représentant spécial du président russe pour l’AfriqueHubert VÉDRINE, Ancien ministre des Affaires étrangères, Fondateur et associé-gérant d'Hubert Védrine ConseilSergueï KARAGANOV, Président du Club de ValdaïAndreï KORTOUNOV, Directeur général, Conseil russe pour les affaires internationales (RSMD)
14H30 - ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES DES RELATIONS ÉCONOMIQUES ET COMMERCIALES FRANCO-RUSSESModérateur Emmanuel QUIDET, Président de la Chambre de commerce et d’industrie franco-russe (CCIFR)Jean-Pierre DUPRIEU, Directeur Général adjoint, Air LiquideBoris TITOV, Médiateur en charge de la protection des droits des entrepreneursEkaterina TROFIMOVA, Première vice-Présidente, Gazprombank Jacques DE BOISSÉSON, Directeur Général, Total E&P RussieElisabeth PUISSANT, Directrice de la Mission économique Ubifrance à MoscouGonzague DE PIREY, Directeur Général, Saint-Gobain RussieRaphaël BELLO, Chef de Service pour les affaires bilatérales et l’internationalisation des entreprises, Direction générale du Trésor, Ministère de l’Economie et des Finances
16H45 - MOSCOU-PARIS : COMMENT FRANCHIR UN NOUVEAU CAP ?Modérateur Pavel CHINSKY, Directeur général de la Chambre de commerce et d’industrie franco-russe (CCIFR)Justin VAÏSSE, Directeur du Centre d’Analyse, de Prévision et de Stratégie, ministère des Affaires étrangèresArtem MALGUINE, Vice-recteur, MGIMORouslan POUKHOV, Directeur du Centre d’analyse des stratégies et technologiesThierry MARIANI, Député de la 11ème circonscription des Français de l’étranger, Co-président du Dialogue franco-russe Jean-Gabriel ARQUEROS, Président du comité d’orientation de l’Observatoire franco-russe
Jeudi 18 avril 2013 - Paris, Salle Victor Hugo(Immeuble Jacques Chaban-Delmas - 101, rue de l’Université, Paris 7e)
Colloque
FRANCE-RUSSIE : L’avenir d’un partenariat stratégique
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013
COMPTE-RENDU 1
Compte-rendu
« France-Russie : l’avenir d’un partenariat stratégique »
ALLOCUTIONS DE BIENVENUE
Pascal Boniface, directeur de l’Institut de Relations
Internationales et Stratégiques (IRIS), ouvre le colloque
en félicitant les nombreux participants de leur présence
qui montre l’importance du thème, les relations franco-
russes étant un sujet essentiel dans l’intérêt national
des deux pays. Il déplore le « Russian bashing » de la
presse française, qui demande souvent de limiter les relations entre les deux Etats. Or, M.
Boniface assure que si la France veut avoir une politique étrangère active et une place
importante sur la scène internationale, elle ne doit pas se contenter des limites de l’Union
européenne (UE) mais développer d’autres partenariats.
Le directeur de l’IRIS rappelle que la Russie est depuis longtemps déjà un partenaire majeur
de la France. Pour lui, il est dans l’intérêt des deux pays de parler franchement des points
d’accord et de désaccord, et ce dans le respect mutuel. Il estime que les convergences sur
les sujets stratégiques, économiques et politiques restent plus nombreuses que les
divergences, et affirme que diaboliser ces relations serait pénaliser la France, en
l’empêchant d’avoir une politique extérieure active.
M. Boniface termine son discours d’ouverture en exprimant son espoir que le colloque
permettra d’avancer la réflexion sur les points d’accord entre la France et la Russie, ainsi que
sur les secteurs dans lesquels les deux Etats pourraient travailler ensemble et améliorer leur
coopération.
Thierry Courtaigne, directeur général du Medef International, rappelle qu’en plus d’être un
grand pays, la Russie constitue un partenaire incontournable et décisif dans le monde
nouveau qui se construit depuis quelques années. En effet, l’échec du multilatéralisme mène
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COMPTE-RENDU 2
à la réorganisation du monde en grandes régions parmi lesquelles, pour être forte, l’Europe
doit s’associer à la Russie, aux pays du Golfe, aux Etats méditerranéens, et à l’Afrique.
Pour M. Courtaigne, l’histoire, la culture, les intérêts
géostratégiques et économiques vont dans le sens
d’une association forte entre la France et la Russie, ce
qui a bien été compris par le monde économique
français. Il cite les chiffres qui témoignent de cette
confiance des entreprises en l’avenir de la Russie : avec
20 milliards d’euros d’échanges, soit 4% du marché russe, la Russie est le troisième
partenaire commercial européen de la France après l’Allemagne et l’Italie. 12 milliards ont
été investis dans des secteurs variés allant de l’automobile à la haute technologie, en
passant par l’agroalimentaire, le secteur bancaire, les travaux publics ou encore la
distribution.
Le vice-président du Medef explique que son organisation prépare l’avenir avec son
partenaire russe, l’Union des industriels et des entrepreneurs de Russie (RSPP), avec lequel il
a créé le Conseil pour la Coopération économique France-Russie, coprésidé par Jean-Yves le
Gall et M. Yakounine. La Chambre de Commerce et d’Industrie franco-russe (CCIFR),
véritable fer de lance des entreprises françaises en Russie, a été associée à ce Conseil.
M. Courtaigne énonce ensuite un principe : entre amis, il faut se dire la vérité, et être
capable de l’entendre. Cet adage, indique-t-il, est appliqué quotidiennement dans les
relations entre le Medef et le RSPP, et est très bien accepté des deux côtés. Enfin, il termine
son allocution sur une note positive : si seuls, on va vite, dit-il, ensemble, on ira loin.
Emmanuel Quidet, président de la CCIFR, prend à son
tour la parole pour accueillir les participants. Il fait de
suite référence à l’expression « Russian bashing »
utilisée par Pascal Boniface, phénomène dont les
hommes d’affaires présents en Russie souffrent
énormément. Il insiste sur le fait que le but du colloque
est aussi de montrer la Russie sous un jour différent.
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COMPTE-RENDU 3
M. Quidet a reçu François Hollande lors de sa visite à Moscou le 28 février 2013, et a assisté
à sa rencontre avec Vladimir Poutine, au cours de laquelle il a pu observer les deux chefs
d’Etat échanger chaleureusement. Il s’étonne alors que la presse ait décrit ces relations
comme étant glaciales. Pour lui, cette question des relations avec la Russie n’est pas un
débat entre droite et gauche mais un débat entre ceux qui connaissent et ceux qui ne
connaissent pas.
Il salue ensuite la présence d’intervenants de haut-niveau : des diplomates, des
parlementaires, des experts, des membres de comités d’affaires français et russes… en
d’autres termes, dit-il, tous ceux qui font la relation franco-russe dans leurs domaines
respectifs.
Pour finir, M. Quidet félicite l’Observatoire franco-russe, dont c’est le premier anniversaire,
pour le lancement de son ouvrage La Russie 2013, ainsi que Arnaud Dubien et Pascal
Boniface, pour avoir organisé la conférence et souhaite à tous de fructueux échanges.
Jean-Pierre Chevènement, sénateur et représentant spécial de la France en Russie,
réaffirme que la visite du président Hollande en Russie a été un succès, de par les contacts
établis et le nombre de sujets abordés. Le président de la République y a clairement marqué
sa volonté de franchir un nouveau cap dans la relation franco-russe.
Le premier point de l’intervention de M. Chevènement
porte sur le ralentissement de l’économie dans le
monde et en Europe, et surtout sur la façon de la
relancer, qui devra être débattue dans les échanges
franco-russes. Il rappelle que la Russie est – et restera –
le principal fournisseur d’énergie de l’Europe, ce qui les
rend interdépendantes. Vladimir Poutine a annoncé un plan d’investissement dans les
infrastructures, afin de soutenir le programme de modernisation et de diversification de son
économie, pour lequel la Russie a besoin d’investissements directs et de technologies de
pointe. M. Chevènement estime que le marché russe offre ainsi aux entreprises françaises
un important relais de croissance, notamment grâce à l’essor des classes moyennes qui
ouvre de nombreuses perspectives dans des domaines comme l’aménagement urbain et
touristique, l’environnement, les transports, les produits agricoles et alimentaires,
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l’habillement, etc. Il félicite également les efforts français pour attirer les investissements
russes.
Affirmant que la France n’oublie pas l’histoire de ses relations avec la Russie, ni ce qu’elle
doit aux soldats russes, M. Chevènement insiste sur l’importance de la confiance dans les
relations franco-russes, qu’il faut renforcer malgré l’image obsolète de la Russie que
renvoient encore les médias français.
En conclusion, M. Le Représentant spécial se dit optimiste pour l’avenir, et déclare que le
peuple russe est un grand peuple européen. Pour la France, préconise-t-il, il ne saurait y
avoir de politique étrangère à vocation mondiale sans un partenariat rapproché avec la
Russie.
Son Excellence M. l’Ambassadeur Alexandre Orlov,
ambassadeur de la Fédération de Russie en France,
remarque que le colloque arrive à un très bon moment
dans les relations franco-russes, car la visite du
président français a créé les conditions pour un
nouveau départ.
L’ambassadeur réaffirme que le handicap majeur reste une mauvaise connaissance de la
Russie en France, entretenue par la presse française qui transforme cette méconnaissance
en méfiance. Or la confiance est une condition sine qua non pour une bonne coopération
bilatérale. M. Orlov félicite à ce sujet la CCIFR pour son annuaire, qui donne les informations
nécessaires pour bâtir une relation de long terme, dont la vision manque actuellement.
Pour l’ambassadeur, il faut se fixer un objectif stratégique : la création d’un espace commun
économique et humain, dans les termes du traité de Rome de 1957, en insistant sur la libre-
circulation des hommes. Pour cela, il faut d’abord une volonté politique européenne d’abolir
les visas.
M. Orlov considère que les relations franco-russes ont une grande importance au niveau
global, mais qu’il reste encore beaucoup à faire. Il se félicite du temps que M. Poutine et M.
Hollande ont passé à discuter des relations bilatérales, et affirme que les échanges sur la
Syrie ont été instructifs et positifs, puisqu’ils ont mené à la décision de commencer, en
France, un dialogue politique entre les belligérants.
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COMPTE-RENDU 5
L’ambassadeur, à l’instar de M. Chevènement, revient enfin sur les bases solides dont
bénéficie la relation franco-russe, en particulier leur histoire commune. Il informe que pour
la première fois, en 2014, la Russie célébrera le centenaire de la Seconde Guerre mondiale,
rappelant ainsi que les deux pays se sont battus ensemble. La culture, ajoute-t-il, fournit
aussi un terreau indispensable aux relations franco-russes. En effet, la Russie a parlé français
pendant deux siècles. De même, un enseignement plus systématique du russe en France
pourrait garantir l’avenir des relations.
Son Excellence M. l’Ambassadeur Jean de Gliniasty,
ambassadeur de France en Russie, débute son
allocution en expliquant que, si la Russie n’est pas
invulnérable aux effets de la crise économique, ses
fondamentaux restent solides : elle a un budget
équilibré, une consommation intérieure forte, des
carnets de commande pleins, notamment sur des grands projets d’infrastructure à
l’étranger. Il ajoute que le pays prévoit 2,5% de croissance cette année, et que sa présidence
du G20 lui donne une place importante dans l’ordonnancement de la lutte contre la crise.
Pour l’ambassadeur, la Russie sera la bouée de sauvetage des pays de l’UE, son partenaire
stratégique essentiel. Il rappelle que la modernisation de la Russie ne peut passer ni par la
Chine, ni par les Etats-Unis, ni par le Japon avec qui elle a encore des contentieux. Elle passe
donc, conclut-il, par l’UE, son partenaire naturel.
M. De Gliniasty tempère que cette dernière manque encore d’une vision stratégique de ses
relations avec la Russie, ce que la France pourrait changer grâce à sa capacité
d’entraînement au sein de l’UE. Il rappelle que la dimension stratégique est déjà pleinement
utilisée et porte ses fruits dans le conseil conjoint sur les questions de sécurité : à part sur
l’analyse des « Printemps arabes » et de la situation syrienne, la France et la Russie sont
d’accord sur tout. L’ambassadeur donne alors les exemples de l’Afghanistan, de l’Afrique ou
encore de la lutte contre les trafics de drogue qui fait l’objet du Pacte de Paris, co-présidé
par la France et la Russie. Il en conclut que, à l’exception des Etats-Unis, le dialogue
stratégique entre la France et la Russie est sans pareil.
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COMPTE-RENDU 6
Enfin, l’ambassadeur aborde la question des images respectives qui, selon lui, sont positives
et témoignent d’un respect mutuel même si l’image économique de la France en Russie et
l’image politique de la Russie en France ternissent quelque peu ce tableau. Pourtant,
explique-t-il, il y a de la part du gouvernement russe une volonté de modernisation de la
société, de la vie, de l’économie… dont le symbole est l’adhésion à l’OMC. La base électorale
du gouvernement étant plutôt traditionaliste, elle s’inquiète de cette adhésion, et
s’interroge sur la pertinence de la relation avec l’UE. M. De Gliniasty observe alors un
décalage entre ce traditionalisme et la volonté de modernisation affichée par le
gouvernement.
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COMPTE-RENDU 7
TABLE-RONDE : QUELLES RELATIONS POLITIQUES ENTRE PARIS ET MOSCOU ?
Eric Fournier, directeur du département Europe
continentale au Ministère des Affaires étrangères,
ouvre la première table ronde en encourageant les
participants à s’exprimer librement, car certains sujets
doivent être abordés sans la barrière du politiquement
correct. Il salue la presse, qui, certes, « fouette », mais
traite les problèmes sans détour, et remercie les journalistes de dire ce qui se passe, en
France comme en Russie.
M. Fournier fait ensuite une parenthèse sur l’échec du multilatéralisme dont a parlé M.
Courtaigne : la Russie est très attachée à ce principe, très soucieuse de son image à l’ONU,
qui, même si elle traverse une période de blocage, reste la seule enceinte où les pays
peuvent parler tous ensemble des crises. Il y a donc, pour lui, une obligation à promouvoir le
multilatéralisme.
Il revient aussi sur les problèmes de visa et le nombre d’étudiants français en Russie pour
rappeler que ces derniers n’étaient que 3500 il y a deux ans, contre 4000 aujourd’hui, ce qui
montre une croissance. Pour lui, le réel problème à régler est la reconnaissance des
diplômes.
Abordant le sujet du passé militaire franco-russe mentionné par les intervenants précédents,
M. Fournier se dit frappé par le fait que l’histoire commune entre la France et la Russie « pue
le sang et la bataille » : la bataille de Stalingrad a causé un million de morts, par exemple. M.
Fournier tient aussi à préciser que la France n’a pas de partenariat stratégique formel avec la
Russie, comme elle l’a avec la Serbie ou le Kazakhstan, sans doute car ces partenariats ont
pour but de renforcer une relation encore faible, ce qui ne correspond pas à la relation avec
la Russie.
M. Fournier développe enfin quelques propositions pour développer la relation politique
franco-russe.
Le premier point pour lui est de diversifier le dialogue avec les élites politiques et
économiques, les autorités religieuses, les think tanks, les fondations et les ONG
russes.
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COMPTE-RENDU 8
Deuxièmement, continue-t-il, il s’agit d’améliorer la présence économique française,
en particulier dans les régions russes, où les Français ne sont pas assez visibles. Il
applique la même analyse à la présence russe en France.
La troisième proposition de M. Fournier concerne le domaine de l’énergie, qui
réclame en Russie des investissements colossaux, afin de maîtriser l’efficacité
énergétique.
Sa quatrième idée est de lancer des projets dans le domaine de l’innovation
scientifique et technologique, financer des projets portés par les PME, et accentuer
les échanges dans les secteurs de pointe.
Le cinquième point concerne le développement de la russophonie en France et de la
francophonie en Russie.
M. Fournier propose aussi de créer un fonds pour les partenariats universitaires, dans
le but d’accompagner les programmes de recherche et d’études de haut niveau.
Comme septième idée, il suggère d’améliorer le maillage des coopérations franco-
russes sur l’ensemble des territoires des deux pays, à travers les réseaux de consuls
honoraires, les relais dans les régions, les coopérations administratives avec les
collectivités territoriales, portées par les groupes d’amitié du Sénat et de
l’Assemblée.
Le huitième point concerne le tourisme, secteur porteur sur lequel M. Fabius a
demandé de travailler.
Neuvième idée : établir un dialogue politico-militaire plus régulier, au-delà du comité
qui réunit annuellement les ministres de la Défense et des Affaires étrangères, bien
que M. Fournier admette que des progrès ont été faits. Enfin, il ajoute que les deux
pays doivent travailler sur les sujets qui fâchent en politique étrangère : la Syrie et
l’Iran. En ce qui concerne la Syrie, M. Fournier encourage les deux pays à se
demander pourquoi ils n’arrivent pas à trouver des solutions et à proposer plus
qu’une simple réunion entre quelques opposants introuvables et quelques
responsables du gouvernement, tout aussi introuvables.
Il conclut son intervention en insistant sur l’importance des rencontres entre les partis
politiques, pour une meilleure compréhension des positions de chacun. Pour lui, il y a de
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013
COMPTE-RENDU 9
bonnes raisons d’être frustré de la relation franco-russe, car des pans entiers des sociétés
russes et françaises s’ignorent et ne savent pas encore comment travailler ensemble.
Fiodor Loukianov, rédacteur en chef de la revue Russia in Global Affairs et président du
Conseil de politique étrangère et de Défense (SVOP), estime que la notion de partenariat
stratégique a subi une dévaluation à la fin de la Guerre froide. Il suggère qu’il serait peut-
être mieux, finalement, de trouver une autre forme de coopération.
Pour lui, la France ne doit pas se limiter à l’UE si elle veut améliorer sa présence dans le
monde. Dans ce cadre, la relation franco-russe aura une importance croissante, et les
évolutions de l’UE en seront un facteur déterminant. M. Loukianov
explique que l’Asie change, se développe, ce qui remet en cause
l’approche traditionnelle qui veut que seul l’Occident puisse fournir
à la Russie les éléments de sa modernisation. Pour lui cependant,
l’orientation européenne de la Russie devrait continuer, car c’est un
pays de culture européenne, et ses liens avec l’UE sont prioritaires.
M. Loukianov déclare toutefois que l’UE est touchée par les
changements chaotiques des équilibres mondiaux. Son avenir est donc difficile à prévoir.
Selon lui, la Russie et la France se situent dans un passage difficile, une évolution vers une
autre qualité. Il cite Vladimir Poutine, qui disait que « la période post-URSS est terminée ».
Cela signifie que, si le passé reste présent dans les esprits, la Russie doit aujourd’hui redéfinir
son identité.
M. Loukianov juge qu’il en est de même en France, où toutes les idées qui étaient monnaie
courante il y a quelques années sont remises en question. L’UE aussi, ajoute-t-il, est remise
en cause, pas seulement par la crise de la dette, mais aussi par une crise de la conception de
l’intégration économique. D’après M. Loukianov, le modèle européen est arrivé à sa fin
logique, et il s’agit désormais de savoir quel sera le nouveau modèle.
A ce sujet, il indique que Moscou a beaucoup de questions, dont les suivantes : quel rôle
entend jouer la France dans les années 2020-2030 ? Comment va-t-elle compter sur ses
partenaires extérieurs à l’UE ? M. Loukianov explique qu’il est nécessaire à la Russie de
pouvoir appréhender comment ses partenaires vont réagir aux changements pour savoir sur
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COMPTE-RENDU 10
quels partenaires européens elle peut compter. Il faut voir quels axes vont définir la nouvelle
UE, et si la Russie y a sa place.
Jean-Marie Le Guen, député de Paris et vice-président du groupe d’amitié France-Russie à
l’Assemblée Nationale, pense que la notion de partenariat stratégique est appropriée pour la
Russie, bien qu’elle soit implicitement réservée à très
peu de pays. Ce qui n’est pas évident en France, lui
semble-t-il, c’est que la question des droits de
l’homme, tout en étant légitime, ne peut en rien
réduire les relations entre deux pays qui coopèrent sur
de nombreux autres sujets. Il insiste pour que la
relation de la France avec la Russie ne puisse être simplement lue au regard de cette
dimension.
Le député Le Guen revient ensuite sur l’affirmation de M. Loukianov selon laquelle il y a une
interférence de la question européenne dans la relation franco-russe. Il faut se poser la
question suivante : l’UE n’est-elle qu’une zone de libre-échange ou bien a-t-elle un avenir
politique ? Pour M. Le Guen, quoi qu’il se passe, la France est porteuse d’un certain nombre
de valeurs, et d’une histoire, qu’elle ne dissoudra pas dans une espèce de chaos européen
où il n’y aurait finalement qu’un marché.
Il ajoute qu’il est légitime que les Russes se posent des questions aussi sur leur propre vision
de l’avenir, un peu opportuniste, et explique ainsi qu’il n’y a pas que la France qui oublie
parfois la perspective géopolitique.
Il conclut sur la conférence interparlementaire annuelle entre la France et la Douma,
appelée la grande commission, et invite les parlements, au-delà des échanges économiques
et au-delà des groupes d’amitié, à renforcer le contenu politique de la coopération, afin de
réduire la distance qui existe, non pas dans les perceptions, mais dans le travail quotidien.
Alexandre Babakov, député à la Douma d’Etat et représentant spécial du Président pour la
coopération avec les Russes de l’étranger, explique que
les relations internationales dépendent de beaucoup de
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013
COMPTE-RENDU 11
facteurs, mais que, concernant la France et la Russie, les relations possèdent avant tout un
facteur historique : l’immigration blanche obligée de quitter la Russie face à l’armée rouge et
qui a été accueillie à bras ouverts par la France. Il affirme que pour améliorer l’image de la
Russie en France, c’est avec ces citoyens qu’il faut travailler, car ils doivent apprendre à
connaître la nouvelle Russie afin de pouvoir passer des informations aux Français qu’ils
côtoient. Il s’engage à aider les citoyens à connaître les deux pays et se réjouit que les JO
d’hiver et l’Euro de football, ainsi que la coopération humanitaire, créent une base favorable
pour cela.
M. Babakov affirme ensuite que la voix de la France est importante pour le dialogue entre la
Russie et l’UE. Pour lui, les projets de coopération recoupent de nombreux domaines, des
infrastructures ferroviaires au gazoduc South Stream mais il faut renforcer le volume de
cette coopération, particulièrement pour les PME. Le député à la Douma d’Etat se dit
persuadé que le dialogue politique devrait permettre de renforcer cette coopération
économique.
Il assure que si les élections en France ont rendu beaucoup de Russes inquiets, ces craintes
se sont révélées infondées, comme l’a prouvé le voyage de V. Poutine à Paris et la visite plus
récente de F. Hollande à Moscou. Enfin, il conclut en affirmant que peu importe les partis au
pouvoir, l’axe Paris-Berlin-Moscou reste fort.
M. Pozzo di Borgo, sénateur de Paris et vice-président
du groupe d’amitié France-Russie du Sénat, se dit
d’abord frappé par la vision souvent héritée du passé
de nombreux de ses interlocuteurs, y compris en
France. Or, explique-t-il, depuis la Guerre froide, la
Russie a considérablement évolué et ne peut pas
aujourd’hui être regardée avec des lunettes datant d’il y a une vingtaine d’années.
Pour lui, la France et la Russie ont une relation ancienne d'amitié et de coopération,
renforcée par la « fraternité des armes » lors des deux guerres mondiales. En tant que
sénateur de Paris, M. Pozzo di Borgo se félicite des projets d'investissements russes dans la
capitale, comme le futur centre culturel et spirituel russe ou les futures tours du fonds
Hermitage à La Défense. Le sénateur explique ensuite que le groupe d'amitié France-Russie
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COMPTE-RENDU 12
du Sénat a pour vocation de resserrer les liens avec les parlementaires, et s'est donné la
mission de promouvoir le bicamérisme, la coopération décentralisée et les échanges
culturels. Ces missions sont justifiées par la volonté exprimée par la France et par la Russie
lors de la visite de M. Hollande à Moscou de coopérer étroitement, politiquement et
économiquement. M. Pozzo di Borgo estime en effet que si les échanges ont progressé,
beaucoup reste à faire vis-à-vis des PME et en termes de diversification géographique de
l'investissement, souvent limité à Moscou et ses environs.
Il présente ensuite quelques pistes pour renforcer les relations franco-russes : il faudrait aller
vers un partenariat stratégique spécifique entre la Russie et l'UE, qui sont interdépendantes.
De plus, dit-il, la Russie est un partenaire incontournable si l'UE veut jouer un rôle
international face aux Etats-Unis ou à la Chine. Il précise qu'elle est déjà le seul pays tiers
avec lequel l'UE a institutionnalisé des consultations régulières au niveau du Comité
Politique et de Sécurité (COPS).
Enfin, M. le sénateur conclut que ces relations resteront fragiles si elles ne s'accompagnent
pas d'une multiplication des contacts au niveau de la société civile. Il propose aussi de
multiplier le nombre de bourses destinées aux étudiants russes souhaitant étudier en
Europe, d'encourager l'apprentissage mutuel des langues, et de créer des écoles russes en
France, car la coopération culturelle est un vecteur important du rapprochement entre les
peuples.
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IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013
COMPTE-RENDU 13
TABLE-RONDE : REGARDS CROISÉS FRANCO-RUSSES SUR L’ACTUALITÉ STRATÉGIQUE INTERNATIONALE (MALI, SÉCURITÉ EUROPÉENNE, «PRINTEMPS ARABE», AFGHANISTAN)
Mikhaïl Marguelov, président de la commission des Affaires internationales du Conseil de la
Fédération et Représentant spécial du président russe pour l’Afrique, considère qu’il existe
un dialogue politique très actif au niveau des parlements, des gouvernements et des ONG
entre la Russie et la France. Selon lui, les questions les
plus difficiles peuvent être traitées sans tabou entre
parlementaires. Sur beaucoup de sujets, il constate que
les positions de Paris et de Moscou sont similaires.
Partant de là, le soutien russe aux opérations françaises
au Mali ne lui paraît pas surprenant, l’opération étant
légitime car elle n’allait pas à l’encontre des intérêts des peuples du Sahel. De plus, la
situation dans la région reste très difficile et la non-implication de forces militaires au Mali
aurait pu engendrer un accroissement des difficultés. La situation au Mali est une des
conséquences du Printemps arabe qui amène l’instabilité du Sahel à la Corne de l’Afrique.
Cette opération au Mali dépasse donc largement les frontières de ce pays. Il s’agit d’une
nouvelle étape dans la lutte contre le terrorisme et le crime organisé sur le territoire africain.
M. Marguelov constate que, dans cette région, la puissance des terroristes égale presque la
puissance des armées nationales. Ces islamistes sont liés aux groupes présents en Somalie,
au Darfour ou au Nigéria. La Russie a été invitée par la France à participer à la conférence
des donateurs. Elle contribue aussi à la formation de militaires au Mali. Selon lui, la Russie ne
reste pas indifférente à la situation africaine actuelle car le pays est revenu sur le continent
avec des objectifs économiques et politiques, même si, précise-t-il, la Russie n’interviendra
pas dans les affaires internes des pays africains. M. Marguelov espère que le continent
africain constituera un lieu où le partenariat politique, stratégique et militaire entre la
France et la Russie pourra se réaliser avec une grande efficacité.
Gwendal Rouillard, président du Conseil d’administration de l’IRIS, député du Morbihan, et
secrétaire de la commission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013
COMPTE-RENDU 14
nationale, rappelle que le président Hollande a décidé d’engager la France dans l’opération
Serval au Mali afin de permettre au pays de recouvrer son intégrité territoriale et sa sécurité.
Selon le député, cette intervention sert les intérêts africains mais aussi les intérêts français,
principalement au niveau économique.
4600 Français sont encore engagés aujourd’hui, dont
4000 au Mali, et plus de 6000 soldats africains, dont
1400 Tchadiens, sont également déployés dans le cadre
de la MISMA. M. Rouillard insiste sur le fait que le
bâtiment de projection et de commandement (BPC)
Dixmude a parfaitement rempli ses missions. Il le
souligne puisque des discussions industrielles ont lieu sur la capacité opérationnelle des BPC
français.
Depuis quelques semaines, la France a engagé le dispositif de formation de l’armée malienne
(European Union Training Mission in Mali – EUTM Mali), auquel la Russie prend part. M.
Rouillard explique que la France tient à ce que des élections puissent s’engager cet été. Pour
lui, un des enseignements de cette opération est que la France peut définir une ambition
stratégique renouvelée et se ré-emparer – sereinement, positivement, et tranquillement –
de l’Afrique. Autrement dit, les autorités françaises combattent les principes colonialistes ou
néo-colonialistes, sans préconiser le retrait africain de la France. M. Rouillard conclut sur la
relation franco-russe dans laquelle il faut progresser sur les liens entre les projets
stratégiques partagés, les valeurs, les nouvelles menaces identifiées, les nouvelles réalités du
monde et ce de manière pragmatique, lucide, opérationnelle et offensive.
Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères, fondateur et associé-gérant
d'Hubert Védrine Conseil, juge que le voyage du président Hollande à Moscou n’est pas
suffisant, même s’il s’est bien déroulé. En effet, réveiller un dialogue stratégique entre les
deux pays ne va pas de soi car le contexte est compliqué et instable.
A ses yeux, il semble impossible de penser au dialogue stratégique franco-russe sans penser
au système mondial et à l’ensemble des autres dialogues stratégiques dans lesquels les deux
pays sont engagés. Il estime qu’il existe une demande réelle du côté russe pour un plus
grand dialogue stratégique avec la France mais que, du côté français, les interrogations de
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013
COMPTE-RENDU 15
l’opinion sur l’évolution de la Russie posent problème. Il constate l’absence de consensus
dynamique sur le type de politique russe à mener par la France en raison d’un éclatement
entre ceux s’intéressant positivement à la Russie et ceux l’abordant de façon critique. Une
grande partie du travail est donc à réaliser en France.
M. Védrine explique également que l’intérêt russe pour la France s’insère dans une vision
plus générale, dans laquelle la Russie juge aussi importantes ses relations avec des acteurs
comme l’Allemagne, la Pologne ou les Etats-Unis. Français et Russes se retrouvent ensemble
dans certaines enceintes où des orientations sont prises en commun, le G8, le G20 ou le
Conseil de sécurité par exemple. L’ancien ministre suggère donc une réflexion sur la
dimension franco-russe mais en n’oubliant pas tous ces autres éléments.
Une fois ces précautions prises, M. Védrine affirme
qu’il faut faire porter le dialogue stratégique entre les
deux pays sur l’Afrique, mais préconise aussi un
élargissement des thèmes à aborder, parmi lesquels
doit figurer la question des révolutions dans le monde
arabe. Il estime qu’il ne faut pas renoncer, même dans
des colloques amicaux, à tenter d’y voir plus clair dans les conceptions des uns et des autres
concernant le dossier syrien, chacun ayant sa vision légitime. Depuis le début du conflit
syrien, l’ancien chef de la diplomatie française a d’ailleurs toujours pensé que l’idéal serait
un accord entre Européens, Américains, Turcs et Russes. Il lui semble impossible de trouver
une solution raisonnable sans la Russie.
M. Védrine constate aussi une erreur d’analyse gigantesque des experts occidentaux qui
estimaient que la chute de Bachar al-Assad allait être rapide, à l’image de celles de Hosni
Moubarak, du président Ben Ali et du colonel Kadhafi. Selon lui, il manque toujours une
force crédible capable de prendre des engagements pour la suite. Il pense qu’il faut
également parler de l’OTAN, et de son futur après l’Afghanistan. Pour finir, M. Védrine
s’interroge sur ce que recouvrent concrètement les notions de partenariat et de dialogue
dont tout le monde use pour parler – entres autres – de la relation franco-russe.
Sergueï Karaganov, président du Club de Valdaï, évoque dans un premier temps la question
de la sécurité européenne. Selon lui, un certain nombre de problèmes n’ont pas trouvé de
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013
COMPTE-RENDU 16
solutions car la Guerre froide ne s’est pas terminée par la paix mais par la victoire de
l’Occident, qui a marqué le début d’une expansion sans limites de l’OTAN. La question de la
prolifération nucléaire serait également loin d’être résolue : celle-ci ne serait pas prête de
cesser, et ce d’autant plus que l’accession à l’arme nucléaire d’Israël, de l’Inde et du Pakistan
n’a pas été sanctionnée. Dans cette situation, le rôle des armes nucléaires en tant qu’arme
de dissuasion reste d’actualité. Selon M. Karaganov, la vigilance est de mise pour faire en
sorte que la course aux systèmes anti-missiles ne devienne pas une nouvelle course à
l’armement, dont le résultat contraire aux buts
recherchés, à savoir la paix et la stabilité.
Dans un second temps, M. Karaganov aborde la
situation au Moyen-Orient, où l’instabilité politique et
militaire aurait atteint un point de non-retour. Ceci
s’expliquerait non seulement par les changements de
régime, mais aussi par le retrait de l’Occident, qui a perdu son rôle stabilisateur suite aux
guerres en Irak et en Afghanistan. Désormais, contenir cette instabilité est un objectif
commun aux Russes et aux occidentaux, bien que leurs approches puissent être différentes.
Aux yeux de M. Karaganov, la position russe est simple : elle consiste à contenir l’instabilité
et l’éloigner des frontières russes. La conjonction des échecs militaires occidentaux et des
problèmes sociaux caractérisant le Moyen-Orient aurait suscité le passage au terrorisme de
dizaines de milliers de personnes. Confrontée à ce problème en Tchétchénie, la Russie
souhaite faire en sorte que ces réseaux terroristes restent cantonnés à leurs pays
d’émergence. Il est donc nécessaire de coordonner les efforts entre pour limiter la crise et
l’instabilité qu’elle engendre.
En outre, il existe un problème que peu d’observateurs évoquent, à savoir le fait que la
France et la Russie veulent être des puissances mondiales ou paraître comme telles. Or,
selon M. Karaganov, les deux Etats sont actuellement sur le déclin, notamment au niveau
économique, et semblent incapables d’entreprendre les réformes nécessaires pour
renverser cette tendance.
Pour contrer cette réalité, il est certes possible de recourir à des réformes internes, mais une
solution géopolitique – proposée par la Russie – est également envisageable. Elle
consisterait à créer un nouvel espace qui matérialiserait une alliance entre l’UE, la Russie et
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013
COMPTE-RENDU 17
d’autres pays de l’Est comme l’Ukraine. Cela permettrait la formation d’un espace commun
(politique, énergétique et humain) qui s’étendrait de Lisbonne à Vladivostok. Selon le
président du Club de Valdaï, seule l’Allemagne semble intéressée du côté européen. Or, un
tel projet est essentiel pour éviter que la Chine et les Etats-Unis ne soient les seuls piliers du
monde.
Andreï Kortounov, directeur général du Conseil russe
pour les affaires internationales (RSMD), explique que
les figures militaires vont perdre de leur importance au
XXIe siècle, comme le montre la diminution des budgets
de défense européens. Seuls les Etats dont la maturité
démocratique est faible, comme la Russie ou la Chine,
continuent d’augmenter leur budget militaire.
Partant du constat du déficit de confiance dont les armées sont victimes au sein des sociétés
actuelles, M. Kortounov s’interroge sur l’identité de ceux qui sont susceptibles de remplacer
les militaires en tant que « héros des peuples ». En se basant sur l’évolution de la
hiérarchisation des menaces, l’intervenant estime que ce statut reviendra certainement aux
policiers. En effet, les Européens ne voient plus Bismarck ou Hitler comme des incarnations
de la menace. Dans l’imaginaire collectif, cette dernière renvoie aujourd’hui davantage à des
phénomènes tels que le terrorisme, l’immigration illégale, le piratage informatique ou le
trafic de drogues.
M. Kortounov juge que nos sociétés réagissent mal à ces nouvelles menaces, ce que montre
la prolifération des mouvements extrémistes selon lesquels la sécurité et la démocratie ne
peuvent être compatibles car pour avoir la sécurité, il faut limiter les libertés. Ces discours se
greffent sur des conditions économiques difficiles et renforcent la tentation des solutions
autoritaires.
Enfin, M. Kortounov considère insuffisante la coopération entre la France et la Russie. Il
prône donc un renforcement des actions communes en ce qui concerne la sécurité « soft »
et les nouveaux domaines de défense. Il ajoute que cette coopération ne peut pas se limiter
aux Etats, elle doit aussi mobiliser les think tanks et la société civile.
*****
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013
COMPTE-RENDU 18
TABLE-RONDE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES DES RELATIONS ÉCONOMIQUES
ET COMMERCIALES FRANCO-RUSSES
Jean-Pierre Duprieu, directeur général adjoint de la société Air Liquide, explique que sa
société n’a pas d’autres choix que d’investir dans les marchés où elle veut s’installer, car les
produits ne se transportent pas. Les premiers investissements d’Air Liquide en Russie
remontent donc à 1911. Actuellement, la croissance du marché russe pour la société Air
Liquide est de 6% par an, et les économies en développement, dont la Russie fait partie,
représentent 23% du chiffre d’affaires de l’entreprise.
Sur l’environnement de travail en Russie, M. Duprieu
explique qu’il est tout à fait possible de faire des
affaires dans le respect des règles éthiques d’Air
Liquide. Selon lui, la corruption n’est pas un vrai sujet
de discussion. Le poids du politique dans l’économie
non plus. Aux yeux de M. Duprieu, le principal problème
est plutôt constitué par la lourdeur administrative en matière de fiscalité, de comptabilité,
pour créer des entreprises, des filiales, pour les permis d’exploiter, etc. Certes cette lourdeur
n’est pas dissuasive mais il y a matière à progresser.
La Russie, explique M. Duprieu, change énormément et offre de très belles opportunités,
d’autant que le système économique russe se rapproche de plus en plus du modèle
occidental, en particulier pour un certain nombre de grandes entreprises privées. Le besoin
de modernisation de l’économie russe offre de nombreuses opportunités d’investissements,
ce qui permet à Air Liquide de prévoir une augmentation de 50% du marché russe dans les
cinq années à venir. Le pays est un vrai réservoir de talents et de travailleurs qualifiés, un
luxe pour les investisseurs. Il précise toutefois que les dirigeants russes ont besoin
d’engagements concrets et de projets à long terme dans les investissements qu’on leur
propose.
Ekaterina Trofimova, première vice-présidente de Gazprombank, regrette la tendance des
Français à se focaliser sur la notion de risque plutôt que sur celle d’opportunité en ce qui
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013
COMPTE-RENDU 19
concerne les affaires avec la Russie, car cela limite les possibilités d’investissements. Or, une
meilleure compréhension mutuelle permettrait d’améliorer les relations, déjà rendues
difficiles par la différence linguistique et culturelle.
La France est un des partenaires commerciaux les plus importants pour la Russie. La Russie,
quant à elle, reste l’un des plus grands pays de la région, avec un PIB qui continue de croître
– autour de 2 ou 2,5% – malgré des prévisions en baisse pour 2013. Ceci crée des
opportunités importantes pour les investisseurs français.
Selon les estimations du FMI, la Russie devrait d’ailleurs
figurer pour les cinq ans à venir dans le top cinq des
pays avec la croissance nominale la plus élevée. Elle
possède de nombreux atouts, et surtout des
fondamentaux très solides : les finances publiques sont
de qualité et la dette publique très peu élevée, ce qui
rend possible le financement de projets supplémentaires, notamment au niveau des
infrastructures. Le rendement des investissements est très élevé, aux alentours de 8,5% ; le
taux d’inflation est très bien maîtrisé, et les banques russes ne disposent pas de créances
douteuses, ce qui donne des possibilités pour continuer à se développer. M. Trofimova
estime donc que la Russie est plutôt en bonne position, même en comparaison avec les
autres pays des BRIC.
Gonzague de Pirey, directeur général de Saint-Gobain Russie, expose les motifs qui poussent
son groupe, pourtant réputé très prudent, à investir et même à accélérer son
développement en Russie. Cet intérêt prononcé pour le
marché de la construction russe repose sur trois points :
l’intérêt quantitatif, l’efficacité énergétique et la qualité
de l’habitat.
La Russie possède des besoins fondamentaux à
satisfaire en termes de construction de logements. Un
chiffre-clé : en Russie il y a 22 mètres carrés construits par habitant, contre 40 à 45 mètres
carrés par habitant en Europe de l’Ouest. L’évolution et le développement du pays créent la
nécessité d’augmenter le nombre de mètres carrés par habitant. Les ressources nécessaires
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013
COMPTE-RENDU 20
sont disponibles, notamment grâce à l’exploitation des hydrocarbures. Le but, c’est que les
ressources et les besoins puissent se rejoindre.
Le deuxième point est l’efficacité énergétique, un thème d’importance croissante en Russie.
Outre les économies de tout un chacun sur son utilisation d’énergie, elle présente bien sûr
un intérêt écologique, pour la sauvegarde de la planète. L’efficacité énergétique est aussi un
intérêt stratégique pour la Russie. Le président Poutine a d’ailleurs créé une commission
présidentielle dédiée à la sécurité écologique. Pour améliorer la situation, il faut optimiser
les ressources, et notamment les hydrocarbures ; mais dans l’efficacité énergétique, le
logement tient également une place importante, plus importante même que les transports
ou l’industrie. En ce sens, des annonces ont déjà été faites pour le renforcement des
standards et des normes qui existent en termes de construction en Russie.
Enfin, la qualité de l’habitat préoccupe une grande partie de la Russie. Aujourd’hui, la grande
majorité de sa population vit dans des habitations de qualité relativement médiocre, en
termes d’isolation thermique, mais également d’esthétique, d’isolation acoustique, de
qualité de l’air – préoccupation majeure dans les grandes villes russes et en particulier à
Moscou.
Elisabeth Puissant, directrice de la Mission
économique Ubifrance à Moscou, concentre son
intervention sur la problématique de l’action des PME
françaises en Russie. Ces dernières n’exploitent pas
assez les nombreuses opportunités qui existent. Il leur
est clairement possible de faire mieux sur le marché
russe, estime Mme Puissant. On entend souvent que seuls les grands groupes peuvent
réussir en Russie, que c’est un pays compliqué. Il faut donc quelqu’un pour décrypter
comment y travailler. Il est important que les PME françaises sachent que la Russie constitue
un relais d’opportunité. Ubifrance y travaille en se consacrant à quatre domaines dans
lesquelles il existe des opportunités, les « quatre mieux », défendus notamment par la
ministre du Commerce extérieur, Madame Bricq : « mieux se soigner », « mieux se nourrir »,
« mieux vivre en ville » et « mieux communiquer ».
« Mieux se nourrir » englobe le programme de relance de l’agriculture de la Russie, qui vise
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013
COMPTE-RENDU 21
l’agro-alimentaire mais aussi de plus petites structures. Tout ce qui tourne autour de
« mieux vivre en ville » concerne les transports, domaine où la France a de nombreuses
compétences. « Mieux se soigner » touche notamment aux médicaments, secteur dans
lequel la Russie importe 63% de ses besoins et où elle désire produire de plus en plus. Enfin,
« mieux communiquer » comprend, entre autres, tout ce qui concerne l’e-commerce, qui se
développe tous les jours en Russie, notamment grâce aux 70 millions d’internautes russes.
Le plus gros site de e-commerce russe a d’ailleurs à sa tête une Française.
Selon Madame Puissant, il y a surtout un problème de perception : quand on pense aux
investissements russes en France, on voit souvent luxe et élégance alors qu’il s’agit aussi, et
surtout, des hautes technologies. Il y a de nombreux exemples de PME françaises qui
fonctionnent bien en Russie, sans même faire partie des quatre mieux. Elles sont actives
dans le secteur automobile, l’aéronautique, la défense, le nucléaire, etc.
Il faut compter sur la modernisation de l’économie russe et sur sa diversification, donc pas
seulement sur les grandes entreprises mais aussi sur cet entreprenariat russe qui se
développe, et sur les possibilités de partenariat. Le rôle d’Ubifrance est d’accompagner les
PME françaises pour qu’elles investissent en Russie. Un des axes importants du
développement d’Ubifrance est de faire découvrir les régions russes aux investisseurs
français, de les pousser à aller voir ce qu’il s’y passe, et ne pas uniquement rester à Moscou
et à Saint-Pétersbourg.
De plus, la base d’une relation en Russie, c’est la confiance. Il ne faut donc pas y investir pour
réaliser un coup, mais bien pour y rester sur le long terme. Dans certains domaines, la France
possède un certain retard sur les Italiens ou les Allemands. Par exemple, les Italiens
exportent dix fois plus de prêt-à-porter féminin que les Français. En réalisant du
benchmarking, il a été constaté que les offres des concurrents étaient beaucoup plus
structurées et globales. Madame Puissant affirme par conséquent que les entreprises
françaises doivent aller ensemble et se présenter unies sur le marché russe. Restent les
problèmes du prix des Français, souvent trop élevé, et du manque de réactivité : il faut être
capable de mieux s’adapter et surtout de le faire plus rapidement.
Jacques de Boisséson, directeur général de Total E&P Russie, souligne d’abord qu’on ne
travaille en Russie que sur la durée. Il explique ensuite que la caractéristique commune des
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013
COMPTE-RENDU 22
projets développés dans le pays par Total est de se trouver dans des zones éloignées,
nordiques, arctiques et donc dans des conditions climatiques et d’investissement
extrêmement difficiles. Les projets pétroliers en Russie sont généralement développés par
des entreprises nationales, soit seules, soit avec l’appui d’un partenaire étranger. Le projet
de Kharyaga, géré par Total, est l’un des seuls où une compagnie étrangère est l’opératrice
principale, car il s’agit d’un projet technologiquement très compliqué où toutes les
entreprises russes ont échoué. Pour pouvoir se faire une place sur le marché russe et y avoir
un avenir, il faut donc apporter le meilleur de sa technologie.
Selon M. de Boisséson, les partenariats et la
collaboration avec les Russes sont également très
importants. Même s’il existe des parfois difficultés, cela
reste une des clés de l’investissement en Russie. Il n’y a
pas d’avenir sans partenariats solides et de confiance
avec les partenaires russes.
Si le groupe Total se trouve en Russie, c’est aussi grâce à sa grande capacité
d’investissement. Par exemple, le projet de Yamal LNG va coûter près de 20 milliards de
dollars. Les investissements sont donc colossaux et créent un besoin de stabilité politique,
juridique, un besoin de protection de ces investissements. Aujourd’hui, en grande partie
grâce aux relations politiques établies avec les autorités russes, ces conditions sont réunies
en Russie.
Pour récapituler, les conditions nécessaires pour investir en Russie d’après M. de Boisséson
sont : des investissements importants, le développement de partenariats, une vision de long
terme, et l’apport de technologie. Il rappelle aussi que la Russie a besoin d’investisseurs, est
dépendante de notre secteur, a besoin de développer ses capacités et est prête à donner
des encouragements - de nature fiscale par exemple - pour le développement de nouveaux
projets. Aussi, la qualité du personnel humain y est très étonnante. Dans les cinq ans, la
Russie devrait devenir le premier contributeur au niveau énergétique pour Total, ce qui lui
confère une position de priorité stratégique.
Christian Gianella, chef du bureau Turquie, Balkans, CEI et Moyen-Orient à la Direction
Générale du Trésor du Ministère de l’Economie et des Finances, pose trois questions :
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013
COMPTE-RENDU 23
Pourquoi est-ce un partenariat stratégique ? Pourquoi est-ce un partenariat de plus en plus
stratégique ? Comment faire en sorte qu’à l’avenir il le soit encore davantage ?
Les interventions précédentes du panel montrent que la
présence française en Russie était importante. Les
investissements français y couvrent tous les secteurs, y
compris des secteurs stratégiques et régaliens, et
prennent différentes formes, de partenariats industriels
à des prises de participations croisées. La relation
stratégique franco-russe est donc globale, pas uniquement industrielle. Elle est aussi de plus
en plus financière. Le montant des garanties publiques pour les projets d’exportation à
moyen terme a été celui qui a le plus augmenté dans le monde. Les flux de promesses ont
atteint pratiquement deux milliards d’euros en 2011 et en 2012, ce qui place la Russie en
première position pour un volume global de quatre milliards d’euros. Ces investissements
reposent sur un niveau de formation russe tout à fait excellent.
Les classements de l’OCDE positionnent la Russie au troisième ou quatrième rang mondial en
termes du nombre de jeunes qui ont atteint le niveau d’éducation tertiaire, devant la France.
Cette capacité à absorber la technologie n’a pas d’équivalence dans les autres pays des BRIC.
Le niveau moyen d’éducation en Chine, en Inde ou au Brésil est bien inférieur.
Aux yeux de M. Gianella, ce partenariat devient de plus en plus stratégique car les
économies s’intègrent. La Russie s’est intégrée à l’économie européenne et l’UE est devenue
son premier partenaire commercial. La France est parvenue à tirer son épingle du jeu,
puisque la Russie est une des rares économies émergentes, avec l’Arabie Saoudite, dans
laquelle la France a maintenu ses parts de marché. Celles-ci se sont maintenues au-delà de
4%, ce qui est remarquable, et supérieur à notre part de marché mondial qui est de 3,2%. En
outre, ce commerce est axé sur les biens de haute et de très haute technologie, atout du
commerce français en Russie. Le chiffre des investissements directs français dans le pays
s’élève à 12 milliards d’euros, ce qui en fait le troisième ou le quatrième investisseur
étranger en Russie.
Pour renforcer ce partenariat, M. Gianella explique que les autorités françaises œuvrent
pour une augmentation des flux de la Russie vers la France. Le stock d’investissements
russes en France est estimé à environ un milliard d’euros. Selon lui, ce déséquilibre est
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013
COMPTE-RENDU 24
normal parce que la Russie se trouve encore dans une phase de modernisation dans certains
secteurs. La phase d’attraction des investissements russes en France a déjà débuté mais elle
doit encore se développer. Là où il faudrait travailler, c’est sur l’image respective des deux
pays. La perception des investisseurs russes sur le climat de l’investissement en France
semble primordiale.
L’adhésion de la Russie à l’OMC et à l’OCDE, sa présidence du G20, le lancement d’un
programme d’investissements considérables, offrent des sources d’opportunités pour les
sociétés françaises. L’intégration aux marchés de la CEI offre aussi un marché qui va au-delà
de la Russie, et qui peut inclure la Biélorussie et le Kazakhstan, qui ont conclu une union
douanière effective depuis un peu plus d’un an. Il existe encore des axes de progression pour
la relation. M. Gianella et ses services en ont identifié trois : les PME, le rééquilibrage des
investissements croisés et plus d’investissements dans le secteur de l’innovation où la France
est un peu moins présente.
*****
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013
COMPTE-RENDU 25
TABLE-RONDE : MOSCOU-PARIS : COMMENT FRANCHIR UN NOUVEAU CAP ?
Thierry Mariani, député de la 11ème circonscription des Français de l’étranger et co-président
du Dialogue franco-russe, est plus habitué à entendre des ONG parler de la Russie. Ces
dernières en donnent une vision un peu plus idéologique, or il est parfois intéressant de plus
se concentrer sur la réalité. M. Mariani rappelle par exemple qu’au cours de son mandat en
tant que ministre des Transports il a réussi à augmenter le nombre de compagnies aériennes
reliant Paris à Moscou. Pour lui, l’ouverture à la concurrence et la baisse des prix sont des
moyens de rapprocher les citoyens des deux Etats.
Le député insiste aussi sur le fait que si la relation est établie entre la France et la Russie, elle
ne l’est pas entre la Russie et l’UE. Il constate même une indifférence générale des autorités
européennes par rapport au dossier russe. Cependant,
il existe des visions différentes au sein de l’UE compte
tenu du passé de chaque Etat : la Pologne ou les Etats
baltes, par exemple, ne possèdent pas le même vécu et
donc pas la même vision que la France de la relation à
avoir avec la Russie. Le problème des visas illustre bien
cette problématique. M. Mariani indique également vouloir sortir de l’idéologie et de
l’idéalisme.
Il précise que son expérience politique en lien avec la Russie est assez décevante. Selon lui,
en apparence tout fonctionne bien mais en réalité cela se résume trop à de grandes
postures. Souvent, la relation politique se limite à quelques grands évènements avec de
beaux discours mais sans réel suivi. Une des pistes serait donc d’instaurer de véritables
échanges entre les hommes politiques et la société civile des deux Etats, ne se limitant pas
aux grandes messes.
Rouslan Pukhov, directeur du Centre d’analyse des stratégies et technologies, explique que
la coopération économique et militaire recouvre aussi le champ du commerce des armes. Il
rappelle que la Russie entreprend actuellement un programme de réarmement afin de
moderniser l’armée, dans lequel il est prévu de dépenser plusieurs milliards d’euros lors des
dix prochaines années. Il tient aussi à réfuter l’affirmation selon laquelle seuls les Etats peu
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013
COMPTE-RENDU 26
démocratiques renforcent leur budget militaire, en citant notamment l’Allemagne et la
Pologne. Entre 1993 et 2008, la Russie n’a presque rien acheté pour ses forces armées, le
programme actuel vise par conséquent à compenser cette période d’inactivité.
Ensuite, M. Pukhov mentionne que le transfert de
technologies ne constitue pas un phénomène
exceptionnel au regard de l’Histoire. Depuis le Moyen-
Âge et les Tsars en Russie, de tels échanges ont eu lieu
avec de nombreux pays européens, dont la France.
Même à l’époque communiste, des chars avaient été
achetés aux Etats-Unis et à la Grande-Bretagne. Seules les trente dernières années de la
période soviétique ont vu une indépendance totale en ce qui concerne la technologie
militaire. Il ne faut pas oublier les cinq siècles précédents. Il n’y a rien de honteux à acheter
des armements à l’étranger, même les Etats-Unis le font.
Justin Vaïsse, directeur de la prospective au ministère des Affaires
étrangères, met en avant trois mots-clés pour expliquer le futur
de la relation franco-russe : confiance, reconnaissance de
l’importance stratégique réciproque et Union européenne.
Notre système international souffre d’un problème de confiance.
Celle-ci disparaît à la fois entre les pays, mais aussi entre le peuple
et les élites. Dans la relation franco-russe, il est primordial de
travailler à l’améliorer, notamment par le dialogue. Les exemples
de la résolution de la crise chypriote et de la défense anti-missiles montrent la suspicion
réciproque entre Occidentaux et Russes.
Le système international actuel semble également plus instable qu’avant. Il est donc
important que la France et la Russie reconnaissent leur importance stratégique réciproque
et discutent de grands sujets stratégiques. L’Afghanistan en fait partie. Le retrait des troupes
américaines prévu en 2014 crée une incertitude sur ce qui adviendra dans le pays, en termes
de trafic de drogue, de terrorisme ou encore de stabilité régionale. La France et la Russie
subiront donc ces conséquences, même si la Russie est plus exposée que la France, de par sa
proximité géographique. Des mesures concrètes de coopération pourraient être mises en
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013
COMPTE-RENDU 27
œuvre sur ce dossier. L’ensemble de la stabilité en Asie centrale constitue un sujet de
discussion à l’instar des régions plus proches comme le Haut-Karabagh ou la Transnistrie.
M. Vaïsse constate enfin un manque de réalisme dans les propos entendus pendant le
colloque au sujet de l’UE. En effet, même si l’organisation traverse actuellement une
situation de crise, la réalité de l’intégration européenne est présente et ne disparaîtra pas. Il
faut donc reconnaître que cette construction européenne, qu’on a choisie et que la France a
impulsée et façonnée, est là pour perdurer. Elle doit être prise en compte dans la relation
franco-russe.
Jean-Gabriel Arqueros, président du comité d’orientation de l’Observatoire franco-russe,
met au centre du débat la question des visas. Les relations franco-russes ne pourront
franchir un cap qu’avec une libre circulation des personnes. Il met également en exergue le
rôle joué par la langue et la culture. Une attention particulière doit être accordée à l’étude
du russe en France, et, inversement, il faudrait faciliter l’accès aux universités et aux grandes
écoles françaises aux étudiants russes les plus brillants.
Selon M. Arqueros, le domaine économique constitue la
plus belle réussite de la relation franco-russe,
probablement car l’économie est une chose
pragmatique où l’idéologie et les images n’ont pas leur
place. Les deux axes d’amélioration de cette relation
économique sont les PME et les régions russes. Pour
contrer la faiblesse des investissements russes en France, M. Arqueros préconise que les
autorités françaises donnent plus envie aux Russes d’investir sur le territoire national, même
s’il faut reconnaître qu’il n’existe pas non plus beaucoup d’investissements russes dans
d’autres pays.
Il y a une tension depuis quelques temps entre la France et la Russie, née de la crise
économique en Europe, qui amène des positions politiques parfois particulières. Par
conséquent, il faut dialoguer afin d’apaiser ces tensions politiques qui peuvent être
dommageables à l’ensemble de la relation, y compris dans le domaine économique.
Enfin, M. Arqueros s’accorde avec les autres participants pour dire qu’il existe un réel
décalage entre la réalité russe et la façon dont elle est présentée dans les médias français.
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013
COMPTE-RENDU 28
Artem Malguine, vice-recteur de l’Institut d’Etat des relations internationales de Moscou
(MGIMO), définit quelques axes de perspectives pour la relation franco-russe. La crise a, dit-
il, révélé la désindustrialisation de l’UE, particulièrement dans les pays au sud de la France :
l’Italie, la Grèce, l’Espagne et le Portugal. Ce processus de désindustrialisation est en train de
s’achever, ce qui crée un nouveau champ de coopération avec des niches d’investissement.
Selon M. Malguine, la France et la Russie présentent
toutes deux des atouts. En ce qui concerne la Russie,
ce sont ses partenaires dans le cadre de l’Union
douanière, la Biélorussie et le Kazakhstan, avec un
marché commun en perspective. Réciproquement,
pour les investisseurs russes, la France constitue une
porte d’entrée vers le marché européen. Il y a le développement important d’une certaine
culture occidentale des affaires en Russie, mais il est aussi crucial que le public français fasse
connaissance avec la culture des affaires russes, qui n’est pas si différente de la culture
européenne.
Il faut aussi créer des réseaux, aller au-delà des rencontres des hommes d’affaires ou des
experts, pour en créer d’autres en direction des juristes et autres spécialistes en droit. En
effet ce sont eux qui s’occupent des questions concrètes dans le monde des affaires. La
communauté des experts en droit ne doit donc pas être sous-estimée, en particulier car ils
travaillent avec tous les secteurs. Il ne faut pas non plus sous-estimer l’importance des
institutions financières. M. Malguine évoque aussi le problème de la reconnaissance des
diplômes. Même si, dans l’Institut dont il est le directeur, une reconnaissance de facto des
diplômes européens existe, ce n’est généralement pas le cas.
Enfin, il met en exergue le rôle des relations avec l’UE dans le cadre de la coopération
franco-russe. Plusieurs obstacles empêchent la signature d’un nouvel accord nécessaire
entre l’UE et la Russie, comme l’inexistence d’une force motrice au sein de l’UE pour
l’élaboration de cet accord. Il faut aussi absolument distinguer le marché des technologies
nucléaires civiles des technologies nucléaires militaires.
Compte-rendu rédigé par
Julie Duluc et Tom Jenné,
Assistants de recherche à l’IRIS.
IRIS / FRANCE-RUSSIE : L'AVENIR D'UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE / 18 AVRIL 2013
COMPTE-RENDU 29
Photos : Cyril Bailleul
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