fv février 2015.pdf
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Comment construire l’avenir ?
Les médias vous ont rebattu les oreilles de l’élection législative
partielle dans le Doubs pendant la semaine qui a précédé le premier
tour du 1er février. C’est au lendemain de ce premier tour que j’écris
cet édito. Vous trouverez quelques échos de la campagne à l’inté-
rieur de La Feuille Verte. Cette élection s’est vue percuter par les
attentats de début janvier.
De l’élection on retiendra un taux d’abstention écrasant, plus
de 60 % : notre démocratie est malade. Le Front national arrive en
tête, avec une candidate qui n’a pas fait de campagne de terrain, qui
habite à 120 km du Pays de Montbéliard et qui n’a aucune proposi-
tion concrète : les votes qui se portent sur elle sont des votes de
refus des autres partis, pas des votes d’adhésion. Le candidat socia-
liste se qualifie pour le second tour mais en perdant 55 % de ses voix
de 2012. Ces 9 000 voix perdues forment l’essentiel des nouveaux
abstentionnistes. J’ajouterai que de nombreuses personnes rencon-
trées pendant la campagne disait « Je voterais bien pour vous mais
j’ai peur du Front National ».
Alors bien sûr, on pourra retrouver un peu de baume au
cœur : le candidat écologiste est le seul qui conserve ses électeurs. Il
voit son score passer de 1,99 % à 3,11 %. Cela n’effacera pas que le
désarroi est grand. Les votes d’adhésion, les votes constructifs sont
très minoritaires.
Les attentats de début janvier commencent à s’effacer de
l’actualité. Ils sont encore très présents dans cette Feuille Verte.
Normal, parce que les victimes de Charlie sont nos amis, nos compa-
gnons de route. Normal aussi parce qu’ils ont provoqué un vrai choc
parmi nos concitoyens. Normal enfin parce que l’élan des manifesta-
tions qui ont suivi ont créé un espoir : l’espoir d’une unité nationale
qui permet de trouver la force nécessaire à changer notre société ;
toutes proportions gardées, un élan comparable à celui qui est né à
la sortie de la seconde guerre mondiale. Mais cet élan n’aura sans
doute été qu’un feu de paille. Ces évènements omniprésents dans
les premiers jours de la campagne ont été très vite récupérés par les
candidats.
Alors oui, comme je le disais au début, notre démocratie est
malade. Nous sommes sans doute un des seuls espoirs, c’est en tout
cas ce que nous avons observé pendant cette campagne. Nous pou-
vons être un point de cristallisation des femmes et des hommes qui
ont envie de changer le monde, des hommes et des femmes qui sont
proches de nous dans leurs engagements politiques, proches de
nous dans leurs engagements associatifs, proches de nous dans leur
vie de tous les jours. Ouvrons notre parti, ne craignons pas la dilu-
tion de nos idées, créons des convergences, c’est sans doute comme
cela que nous construirons l’avenir. Je terminerai par notre slogan
de campagne :
J’ose croire que nous pouvons changer le monde !
FÉVRIER 2015 / n°204 / 1,70 €
Bernard Lachambre
Cosecrétaire EELV-FC
Candidat à l’élection législa-
tive partielle du Doubs
LÉGISLATIVE PARTIELLE QUELQUES RÉSULTATS
Sommaire
2
P 1 : Edito
P 2 : Pays de Montbéliard. Législative partielle
P 3-4-5 : Législative partielle : paroles d’écologistes
P 6 : Ciao, oncle Bernard !
P 7-8 : Y-a-t-il une recrudescence de l’antisémitisme ?
P 9-10-11 : Laïcité
P 12 : Lettre à Mme Latifa Ibn Ziaten
P 13 : Syriza entre rêve et réalités
P 14 : La victoire de Syriza fait renaître l’espoir en Europe
P15-16 : Drôles de drones
P 16-17 : Une abeille royale et une Royal pas piquée des
hannetons
P 18-19 : Big brother, usine du futur, coopération et révolu-
tion photovoltaïque
P 20-21 : Un mois, émois, et moi
P 22-23 : J’essuie Charlie
P 24 : Bulletin d’adhésion
Pays de Montbéliard
Participation : 39,56 % Abstention : 60,44 %
Frédéric BARBIER PS 28,85 % 7416 voix
Charles DEMOUGE UMP 26,54 % 6824 voix
Sophie MONTEL FN 32,60 % 8382 voix
Vincent ADAMI FDG 3,66 % 941 voix
Bernard LACHAMBRE EÉLV 3,11 % 799 voix
Discours d’Emmanuelle COSSE lors
du meeting du 26 janvier 2015 à
Seloncourt.
De gauche à droite :
Daniel FEURTEY, Anna MAILLARD,
Alain FOUSSERET, Bernard
LACHAMBRE, Éric ALAUZET,
Odile JOANNES
Photos : [email protected]
3
Pays de Montbéliard
LÉGISLATIVE PARTIELLE : PAROLES D'ÉCOLOGISTES
Les élections législatives partielles ne mobilisent
généralement pas les foules. Mais celle-ci a un retentisse-
ment important, par son rapport avec les événements
récents - c’est la première après l’attentat contre
Charlie Hebdo (1) -, par son origine (la démission de Pierre
Moscovici), mais aussi du fait de la situation locale. So-
chaux, deuxième site industriel de France avec encore
11 000 employés, n’est plus en mesure de fournir un em-
ploi à tous les habitants du Pays de Montbéliard. Le chô-
mage dépasse les 13 %. Les questions du chômage et de
l’emploi auront été omniprésentes dans nos rencontres
avec les habitants ; il en a sans doute été de même pour
les autres candidats … du moins ceux qui sont allés à la
rencontre des électeurs !
D’autres questions nous ont été aussi fré-
quemment posées, tournant autour de l’environne-
ment. Le Doubs, qui arrose Audincourt, est malade. Au
printemps dernier, le préfet a interdit la pêche dans le
Dessoubre, un affluent du Doubs, classé il y a quelques
années seulement comme l’une des plus belles rivières de
France. 1 500 habitants de notre région se sont mobilisés
le 17 mai 2014 à Saint-Hippolyte pour dénoncer des règle-
mentations trop laxistes ou non appliquées dans les do-
maines de l’agriculture, de l’assainissement, de la filière
bois, etc.
Autre question environnementale : la pollution de
l’air. L’Aire Urbaine Belfort-Montbéliard est un des
25 territoires français qui ont dû mettre en place un Plan
de Protection de l’Atmosphère pour lutter contre les pics
de pollution. Une pollution due pour une part importante
au trafic routier. Au pays de l’automobile, la question est
sensible et la pollution par les véhicules diesel inquiète.
Enfin, troisième thème abordé : le bien-vivre
ensemble et la défiance envers le monde politique. Sept
quartiers ANRU (2) parsèment le Pays de Montbéliard,
dont quatre dans notre circonscription. Ils ont été cons-
truits à la va-vite il y a 40 ans pour répondre au besoin de
main-d’œuvre de la filière automobile.
Aujourd’hui, les opérations de rénovation urbaine ne
suffisent pas à panser les plaies ouvertes par la dégrada-
tion du bâti, la hausse des charges de chauffage, le
manque d’équipements publics dans certains lieux, le
manque de perspective pour des habitants en proie aux
difficultés économiques, etc. Et à ces problèmes concrets
rencontrés par une part croissante de la population
s’ajoute une inquiétude plus sourde pour l’avenir, inquié-
tude renforcée par le manque de lisibilité du message
donné et par le défaut d’analyse de la crise qu’offre la
majeure partie du monde politique. Nos concitoyens per-
çoivent plus ou moins clairement que notre modèle so-
cial, basé sur la croissance et l’exploitation irraisonnée
des ressources naturelles, va dans le mur. Alors, bien sûr,
il va falloir changer, il va falloir faire des efforts ; mais
quel est l’objectif et comment cet effort sera-t-il réparti ?
Nos propositions, elles, sont ancrées dans le réel et
peuvent apporter dès maintenant des solutions aux diffi-
cultés rencontrées par nos concitoyens ; elles s’appuient
sur une analyse de notre modèle social et économique
pour proposer des solutions viables sur le long terme.
Penser globalement, agir localement !
La Feuille Verte reproduit ci-après de larges extraits des allocutions prononcées, lors du meeting du
26 janvier (en présence d'Emmanuelle Cosse et d'Éric Alauzet), par nos deux candidats, Bernard Lachambre
et Anna Maillard.
Le dérèglement climatique ne fait plus débat.
Nous savons que l'augmentation des températures
moyennes sera au mieux de 2°C en 2100, au pire de 6°C, ce
qui serait une catastrophe. Nous avons vécu cette année en
France un nombre d’ « épisodes cévenols » sans précédent.
En 2015, se tiendra à Paris la conférence mondiale pour le
climat (COP21). Des engagements seront pris à l’échelle
mondiale, et certains le sont déjà au niveau européen et en
France dans le cadre de la loi pour la transition énergétique
- loi largement travaillée et enrichie par les députés écolo-
gistes. Concrètement, sur notre territoire, cela doit se tra-
duire par des économies d’énergie dans le chauffage des
bâtiments, par le développement des transports en com-
mun et des modes doux de déplacement, par la production
d’énergies renouvelables. Au cours de mon mandat comme
vice-président de PMA (Pays de
Montbéliard Agglomération), j’ai pu mettre en place un
guichet unique pour la rénovation énergétique des bâti-
ments, et cela avant l’adoption de la loi ALUR, conduite par
Cécile Duflot, alors ministre de l’Égalité des territoires et du
Logement. Le respect de l’engagement pris par le Conseil
régional ramené à notre territoire, c’est au moins 750 em-
plois directs par an pendant 30 ans et, en bonus, la réduc-
tion des charges de chauffage, donc plus de pouvoir
d’achat. Les aides des pouvoirs publics doivent être en co-
hérence avec ces objectifs.
J’ai aussi œuvré pour un ambitieux programme de
pistes cyclables. Ce n’est pas encore parfait, loin de là, mais
ces six dernières années, de gros progrès ont été faits. J’ai
argumenté pour une extension de la plage horaire de fonc-
tionnement des bus urbains et j’ai obtenu gain de cause.
Citons encore l’étude que j’ai pilotée sur le potentiel
d’énergie hydroélectrique de notre territoire. Ces diffé-
rentes actions sont bonnes pour la planète, bonnes pour
l’emploi et bonnes pour le porte-monnaie de chacun.
Parlons du nucléaire. La centrale de
Fessenheim est à moins de 60 km de chez nous à vol d’oi-
seau. Elle est construite sur une faille sismique. Un accident
nucléaire n’est pas exclu et même les autorités nucléaires
ne le contestent plus. En cas d’accident similaire à celui de
Fukushima, le Pays de Montbéliard, mais aussi Belfort, Bâle,
Colmar, Fribourg devraient être évacués pour des années,
voire des dizaines d’années. L’association de scientifiques
Négawatt propose un scénario de sortie progressive du
nucléaire, sans recours massif aux énergies fossiles produc-
trices de gaz à effet de serre. Citons un exemple très
concret : la création, il y a quatre ans, d’une coopérative
citoyenne (ERCISOL) de production d’énergie renouve-
lable en Franche Comté, une des premières de France.
Nous soutenons ce scénario créateur d’emploi et bon
pour l’environnement. Sortir du nucléaire, c’est pos-
sible !
La demande d’aliments bio augmente et la
production française ne suit pas. Notre horizon dans le
domaine de l’agriculture : rétablir une alimentation
saine, redonner sens au métier d’agriculteur, protéger
les ressources naturelles et revivifier les territoires ru-
raux. Le Pays de Montbéliard est au départ un pays agri-
cole, il a vu naître la vache montbéliarde et, il y a moins
de 50 ans, des maraîchers entouraient notre aggloméra-
tion. Si l’on s’éloigne un peu, on sait que les agriculteurs
produisaient bien sûr du fromage, mais qu’ils élevaient
aussi quelques cochons avec le petit lait et diversifiaient
leur production. Les soutiens à l’agriculture doivent être
orientés en direction de la production bio, qui crée plus
d’emplois et préserve l’environnement. Les aides doi-
vent être données en fonction du nombre d’emplois et
non en fonction du nombre de litres de lait ou de tonnes
de céréales produits.
Terminons par les questions de sécurité :
c’est d’actualité après les attentats de début janvier. La
réponse du tout-sécuritaire est souvent la plus facile à
mettre en œuvre. C’est aussi celle qui répond directe-
ment à la demande de nombre de nos concitoyens.
Cette demande est légitime et des réformes doivent être
entreprises pour éviter que ne se reproduisent des actes
terroristes. Dans nos communes aussi, le sentiment
d’insécurité existe et la tentation de la réponse sécuri-
taire est grande. Nous savons que, si elle peut être effi-
cace à court terme, elle ne l’est pas à long terme. Pour
répondre sur le long terme, il faut aussi mener des ac-
tions d’éducation, remettre des concierges dans les im-
meubles, qui connaissent les habitants, qui sont les plus
à même de lutter contre ces petites incivilités qui nui-
sent au bien-vivre ensemble. Il faut donner plus de
moyens aux conseils de quartier et mieux écouter la pa-
role des habitants.
J’ose croire que nous pouvons changer le monde !
Bernard Lachambre
(1) « Ces actes immondes portent atteinte aux valeurs
fondamentales de notre démocratie et de la République,
notamment la liberté d’expression, la liberté de la presse
et la liberté de pensée. » (Communiqué de presse d'EÉLV)
(2) Agence nationale pour la Rénovation urbaine.
4
5
Pays de Montbéliard : suite
Toute mesure gardée, je suis un peu un résumé
de l'histoire de l'Aire urbaine.
Je suis issue de la rencontre des immigrations
ukrainienne, polonaise, allemande et suisse. J'ai 33 ans.
Je suis née à Belfort, ai grandi à Hérimoncourt. J'ai tra-
vaillé à Montbéliard, Belfort, Béthoncourt, Audincourt.
Je vis près d'Héricourt pour ensuite m'installer à Écot.
Je prône depuis longtemps la protection de la
nature mais j'ai choisi de rejoindre l'écologie politique
quand j'ai compris que l'on ne peut pas mettre la nature
sous cloche, comme dans un sanctuaire.
Les hommes ont besoin de vivre, de produire, de
consommer avec mesure, de façon « soutenable » par
notre terre. Car, quand nous le faisons mal et trop fort,
cela nous revient dans la figure comme un boomerang :
changement climatique, pollution, maladies, misère...
Je sais que des
gisements d'emplois
importants existent
pour produire mieux et
donner du travail à
tous ; je collabore d'ail-
leurs bénévolement à
deux structures de
l'économie sociale et
solidaire :
- À Bavans,
nous produisons des
légumes en agriculture
biologique, en accompagnant des chômeurs vers un
nouvel emploi.
- Près de Valentigney, les équipes en parcours
d'insertion traitent, dépolluent, chaque mois, 700
tonnes de déchets d’équipements électriques et élec-
troniques. Une partie des composants pourront être
réutilisés : c'est ce qu'on appelle l'économie circulaire.
On le voit, une société plus écologique est
possible, et elle constitue un vivier d'emplois de
transition industrielle, avec des postes de tout ni-
veau de qualification, ici et maintenant ! À condi-
tions que les pouvoirs publics soutiennent notre
tissu de l'économie sociale et solidaire et nos PME.
Ce soutien, nous pouvons le souhaiter et l'attendre ;
nous pouvons aussi le créer nous-mêmes.
J'ai choisi de rejoindre et de soutenir EÉLV
afin que de plus en plus d'élus écologistes entrent
dans les conseils municipaux, les conseils régionaux,
les agglomérations et, bien sûr, soient encore plus
nombreux à l'Assemblée nationale pour écrire les
lois !
Alors, les écolos au pouvoir ? « Nous ne
savions pas que c'était impossible, alors nous l'avons
fait ! » (Mark Twain)
Anna Maillard
Suppléante de Bernard Lachambre
Photos :
credit@
SimonDaval.fr
6
Hommage à un économiste critique
CIAO, ONCLE BERNARD !
Bernard Maris était
économiste, professeur,
mais aussi chroniqueur à
France-Inter et à Charlie
Hebdo, où il signait sa ru-
brique « Oncle Bernard ». Il
est mort le 7 janvier assassi-
né avec ses copains de
Charlie, tous victimes de la
haine et de l'obscurantisme.
Aussi bien à Charlie
qu'à France-Inter, où il croi-
sait le fer avec Dominique
Seux qui, lui, défendait la doxa libérale, Bernard a été un
résistant à la vague néolibérale qui a déferlé sur le monde
à partir des années 80.
Pour contrer le TINA (There is no alternative) de
Thatcher et Reagan, repris ensuite par Chirac, Sarkozy et
maintenant par Hollande, il s'appuyait en partie sur les
théories de Keynes, l'inspirateur de l'État providence, du
New Deal d'après la crise de 1929 et de la régulation.
C'était un pédagogue, un vulgarisateur de l'éco-
nomie qui savait aussi utiliser l'humour et la dérision. Il
contestait le caractère scientifique des théories écono-
miques, considérant que c'était avant tout des idéologies.
Il avait écrit un livre en deux tomes, l'Antimanuel d'écono-
mie, pour contrer les théories libérales.
Ce que l'on sait
moins, c'est qu'il était
écolo et qu'il avait été
candidat des Verts aux
élections législatives de
2002, dans le 10e arron-
dissement de Paris, réali-
sant un joli score de plus
de 10 %. Dans ses chro-
niques sur France-Inter, il
dénonçait souvent le
mythe du retour à la crois-
sance et il était partisan
de la semaine de 32 heures.
Encore merci pour ta contribution à la vulgarisa-
tion d'une économie au service de l'humain. Ciao,
oncle Bernard !
Gérard Mamet.
Europe Ecologie Les Verts de Franche-Comté
(14, rue de la République, 25000 Besançon)
Directeur de publication : Gérard Roy
Comité de lecture : Michel Boutanquoi, Gérard Mamet,
Gérard Roy, Suzy Antoine, Françoise Touzot
CPPAP: 0518 P 11003
Maquette : Corinne Salvi Mise en page : Suzy Antoine
7
Après les odieux assassinats de 2012 dans une
école juive et ceux de janvier 2015 à l'Hyper Cacher à
Paris, la question se pose. Au moment où l'on commé-
more le 70e anniversaire de la libération des camps de
concentration, il est nécessaire de rappeler, encore et en-
core, les horreurs absolues engendrées par le racisme et
l'antisémitisme. Il faut néanmoins se garder des interpré-
tations erronées et des comparaisons simplistes.
L'antisémitisme classique est en net recul
Voici ce que dit le sociologue Michel Wieviorka :
« L'antisémitisme classique, nationaliste, catholique, a
régressé. La France de droite est beaucoup moins antisé-
mite qu'il y a cinquante ans. Et l'État français condamne
tout acte qui s'en réclame, sans hésitation ni faiblesse. Je
ne crois pas que nous assistions à une vague généralisée
d'antisémitisme, mais il ne faut pas minimiser son expan-
sion dans certains secteurs de la société. »
Globalement, dans la société française, il n'y a
plus grand monde pour assimiler les Juifs au « peuple déi-
cide », comme ce fut longtemps le cas dans les milieux
catholiques conservateurs. Dans les années 60, Vatican II a
permis à l'Église catholique de rompre définitivement avec
cet enseignement.
Le discours de De Gaule du 27 novembre 1967,
après la guerre des Six Jours, parlant des Juifs (1) comme
d' « un peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur »,
serait aujourd'hui tout simplement impossible. On peut
donc dire que la société français s'est très largement dé-
barrassée de son antisémitisme « historique ».
Et même dans les milieux de l'extrême-droite
française, les relents d'antisémitisme deviennent de plus
en plus marginaux autour de Jean-Marie Le Pen et d'Alain
Soral. La cible « bouc émissaire », ressort traditionnel de
l'extrême droite et des populistes, s'est déplacée vers
l'immigration et les musulmans.
Un islamisme obsessionnellement antisé-
mite
Cette formule est aussi de Michel Wieviorka.
Dans l'immigration arabo-musulmane, « certains
membres s'identifient à la cause palestinienne, avec
le raccourci : les Palestiniens sont opprimés par
Israël, et Israël c'est les Juifs. Une frange minoritaire
verse dans l'islamisme radical, obsessionnellement
antisémite. »
Internet joue un rôle considérable dans le dé-
veloppement de cet antisémitisme-là, en permet-
tant aux auteurs de ce genre de discours d'échapper
à la loi, qui traite les propos antisémites comme des
délits. Et il ne s'agit pas de minimiser ce phénomène
qui a conduit encore récemment à des assassinats
de juifs parce qu'ils étaient juifs. Il faut sans cesse
réaffirmer que rien ne peut justifier ces crimes et les
idéologies qui les sous-tendent.
L'étrange complicité de Netanyahou avec
les islamistes
Mais nous sommes devant une grave difficulté
pour faire reculer cette nouvelle forme d'antisémi-
tisme, parce qu'il y a une complicité, de fait, entre
les islamistes et la droite dure israélienne de Neta-
nyahou et ses correspondants français du CRIF (2).
Ils font le même amalgame : juif = sioniste ou sio-
niste =juif (3), et participent à une forme d'escalade
qu'il est difficile de contrer.
On l'a bien vu au moment des bombarde-
ments de l'armée israélienne sur Gaza au cours de
l'été 2014. Délibérément, toute critique de l'attitude
Après les attentats de Paris
Y A-T-IL UNE RECRUDESCENCE DE L'ANTISÉMITISME ?
8
criminelle de Tsahal envers les civils palestiniens était
assimilée, par Israël ou par des gens comme Arno Klars-
feld, à de l'antisémitisme. Pire, le CRIF a organisé des ma-
nifestations de soutien à l'armée israélienne et donc à ses
exactions. Pas étonnant dans ces conditions que certains
jeunes des cités se retrouvent empêtrés dans cette confu-
sion, si savamment et si délibérément entretenue.
D'ailleurs les discours pro-israéliens irrespon-
sables de Hollande et de Valls à propos de Gaza, pendant
l'été 2014, portent aussi une lourde responsabilité dans
le développement de cette confusion. La solution était
pourtant simple : rappeler le droit, pas simplement celui
d'Israël de se défendre, mais aussi celui des Palestiniens à
disposer d'un État, et l'affirmation que l'occupation des
territoires palestiniens et le blocus de Gaza sont illégaux
au regard des lois internationales. Le massacre de civils
par des tanks et des avions serait-il moins criminel que
celui utilisant des roquettes artisanales ou des kalachni-
kovs ? Il a fallu des centaines de victimes civiles pour que
Hollande reviennent en partie sur son soutien à Netanya-
hou. Méfions-nous donc des pompiers pyromanes…
Comme cela a été dit ailleurs, l'islamisme radical,
antisémite et criminel se développe sur le terreau favo-
rable de la pauvreté, de l'échec scolaire, des ghettos, du
rejet, des discriminations, de l'islamophobie ambiante.
Mais l'absence de solution de la question palestinienne
joue aussi son rôle, par cette impression de deux poids,
deux mesures qui contribue au sentiment d'injustice et
de frustration dans la population française d'origine
arabe, spécialement chez les jeunes.
Une des clés est donc l'application de la justice
internationale, avec la création d'un État palestinien dans
les frontières de 1967. À nous aussi de faire le travail pé-
dagogique nécessaire contre tous les amalgames, en dé-
nonçant sans relâche tous les racismes et en particulier,
avec la même fermeté, l'antisémitisme et le racisme anti-
musulman.
Gérard Mamet
(1) La citation complète est : « Certains redou-
taient même que les Juifs, jusqu'alors dispersés, mais qui
étaient restés ce qu'ils avaient été de tout temps, c'est-à-
dire un peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur,
n'en viennent, une fois rassemblés dans le site de leur
ancienne grandeur, à changer en ambition ardente et
conquérante les souhaits très émouvants qu'ils formaient
depuis dix-neuf siècles. »
(2) Conseil représentatif des Institutions juives de
France. À l'origine Conseil représentatif des Israélites de
France. D'où le sigle. Le CRIF, qui ne peut pas prétendre
représenter tous les Juifs français, fonctionne trop sou-
vent comme une officine de propagande de l'État d'Israël.
(3) Rappelons que le sionisme est une idéologie
politique de type nationaliste, qui est à l'origine de la
création de l'État d'Israël. Cette idéologie est contestée,
par exemple, par l'UJFP, l'Union juive française pour la
Paix, qui la considère comme raciste et qui pense que les
idées sionistes sont à l'origine de la colonisation des terri-
toires palestiniens et des formes d'apartheid qui en dé-
coulent. Sur ce sujet, on peut lire le livre de Pierre
Stambul, de l'UJFP : Le Sionisme en question, éditions
Acratie, septembre 2014.
9
Laïcité
Question du voile au début des années 2000, éga-
lité hommes-femmes, laïcité, intégration : toutes ces
questions s’entrecroisent. Puisqu’il faut bien partir de
quelque part, je choisis l’intégration ; pour faire simple :
entre communautarisme et assimilation, peut-on trouver
une voie médiane ?
Sur cette question, deux attitudes s'oppo-
sent :
Celle de la fermeture, autour du repli identitaire
« français-républicain » ; je veux parler ici non pas des
communautarismes, sur lesquels je reviendrai, mais de
celui qui cherche à identifier une communauté
« dominante » dans la société française. Communauté qui
se serait fabriquée au fil des siècles, autour d'éléments
culturels partagés, y compris la valeur « laïcité », cette
quasi-exception française ; dans cette perspective, on
demande, gentiment ou pas, à tous ceux qui viennent
d'ailleurs de bien vouloir se plier à cette identité. Con-
signe : l’étranger, celui qui arrive, doit s’adapter.
L'autre attitude est celle de l'ouverture, plutôt
choisie par les écologistes, qui permet, voire valorise, l'ex-
pression des différences culturelles, sources d'enrichisse-
ment et considérées comme autant de supports à l’inté-
gration : la République française s’enrichit des apports
successifs. Consigne : pour accueillir les nouveaux, il faut
aussi adapter au préalable la société pour leur faire une
place.
La difficulté, assez française encore une fois,
est que nous valorisons en même temps deux principes :
l'idée qu’il existe des valeurs universelles, parta-
gées par tous, qui conduisent donc
« naturellement » à des formes d’uniformisation,
avec tous les risques que cela comporte si on
pousse l’exigence au delà des seuls principes et
qu’on l’applique aux comportements. Le risque,
c'est le totalitarisme ;
et par ailleurs, l'hyper-valorisation des parti-
cularismes. Certains qui affirment parfois ne pas
aimer le « communautarisme » sont les mêmes qui
défendent (de mon point de vue, à raison) le res-
pect et le droit à l’existence des communautés-
ethnies-peuples-nations (comme on parle de na-
tion cheyenne et pas de nation française)-
nationalités-tribus-etc., surtout quand elles appa-
raissent très homogènes, et par ailleurs qu’elles
ont disparu ou qu’elles sont en danger. Exemples :
- Qui n’a pas le souvenir de Tristes
Tropiques, ou des Derniers Rois de Thulé ou même
du Cheval d’orgueil, et de ce sentiment extraordi-
naire de découvrir l’existence de mondes différents
et de s'en enrichir ?
- Qui n’a pas été fasciné par les
150 nationalités « redécouvertes » avec la fin de
l’URSS, et pour certaines (les Tchétchènes par
exemple) objets de combats néo-coloniaux ?
- Qui ne rêve pas de voir reconnue
la réalité des ethnies (c’est un mot consacré mais
ambigu) en Afrique et ailleurs pour démonter le
partage de territoires selon le modèle de l’État-
nation ?
J’arrête là cette liste, qu’il faudrait compléter
d’une mosaïque bigarrée de Gagaouzes, Cris, Tou-
couleurs, Aborigènes, Maorais, Corses, etc., pour
montrer la richesse infinie de nos appartenances et
Cette contribution est la reprise d’un texte rédigé en 2004 autour des débats liés à la loi sur le voile. Proviseur-
adjoint dans un lycée de province, je voulais d’abord affirmer que les perspectives d'application de la loi sur le voile ne
me réjouissaient pas du tout. Pour ne pas en rester à un simple sentiment, je voulais donc mettre en débat deux ou trois
choses que je pense sur le sujet et qui trouvent dans les événements du début janvier une prolongation à la fois tragique,
si on pense au drame des 7 et 9 janvier, et presque encourageante, si on pense aux mobilisations des 10 et 11.
10
pour défendre une sorte de droit à la diversité sociopoli-
tique.
Tout cela paraît peut-être éloigné de la laïcité,
mais c’est tout le contraire. Parce que tout le problème
consiste, dans la situation qui est la nôtre, à faire vivre tout
ce petit monde ensemble et sur un même territoire, alors
même que, dans nos têtes, par facilité intellectuelle (mais
pas seulement), nous avons pris l’habitude de concevoir
chacun de ces territoires comme autant de surfaces homo-
gènes. De là vient la folie de la purification ethnique : un
peuple (je fais l’impasse sur la définition), une organisation
(État ou autre), un territoire. Je n’oublie pas ce que je viens
de dire plus haut : cette homogénéité a quelque chose de
fascinant. Mais depuis longtemps, les hommes bougent et
doivent s’arranger entre eux sur une même surface, le plus
souvent limitée par des frontières qu’ils ont tracées eux-
mêmes. Pour vivre ensemble, il faut se respecter, accepter
des compromis ; tout cela est d’ailleurs ressenti de façon
variable selon que l’on fait partie du groupe des dominants
ou des dominés…
En France, ce vivre-ensemble est plutôt fondé sur le
principe de ce qu’on appelle, faute de mieux, l'intégration.
Dans beaucoup d’endroits dans le monde, on juxtapose,
selon des formules et des fortunes diverses. Je ne déve-
loppe pas cet aspect, mais de ce point de vue, les empires
ont quelquefois des avantages... Notre problème, c’est la
prise en compte de la durée, qui dépend pour une large
part du degré de différence entre ceux qui sont « déjà là »
et ceux qui arrivent ; mais c’est aussi la mauvaise prise en
compte des contextes particuliers de chaque vague d’immi-
gration (contextes coloniaux et/ou économiques, par
exemple pour les immigrés les plus récents). On a tous en-
tendu dire que l’intégration était une question de généra-
tion et qu’il suffisait d’attendre… Je pense pour ma part
qu’il faut commencer à accepter que plusieurs identités
peuvent et doivent coexister simultanément et sur une
longue période. Commencer à accepter aussi que ceux qui
viennent d’arriver peuvent et doivent vivre plusieurs identi-
tés superposées. Physiquement, ça peut paraître impos-
sible, mais mentalement, la géographie des individus peut
comporter plusieurs territorialités recomposées. Pour le
dire simplement : on vit à la fois dans sa banlieue et dans le
village de ses parents ou arrière-grands-parents.
En marquant les territoires de façon tran-
chée, on empêche la confrontation par frottement, par
empathie progressive. J’ai connu un lieu et une époque
où l’École permettait l’expression des identités, y com-
pris religieuses, et cela dans le respect de la laïcité. Mais
il fallait pour cela que les uns et les autres aient accepté
de ne pas pratiquer une laïcité « anti-cléricale », mais
une laïcité « tolérante ». Ce n’est pas facile, parce
qu’intellectuellement, l’idée même de religion, peut
paraître inacceptable. C’est l’opium du peuple, c’est le
refus du monde réel, etc.
Mais il faudra aussi revenir sur « l’émotion reli-
gieuse » elle-même, parce qu’aujourd’hui un grand vide
existe pour les jeunes sur cette inévitable question du
sens de la vie. Je propose donc qu’on tempère un peu ce
combat ultra-positiviste qui voudrait que cette aliéna-
tion disparaisse ici et maintenant. Notre boulot, me
semble-t-il, est d’engager le débat, sur ce terrain, avec
plusieurs objectifs :
- démonter les mécanismes de peur, qui nour-
rissent les intégrismes et qui donnent du poids aux agi-
tateurs dont le projet politique est dangereux ;
- proposer d’autres discours, montrer d’autres
pistes, identifier, en les analysant, les processus de l’alié-
nation.
Mais, dans le cadre de ce débat, pas d’ana-
thèmes. Tous les professeurs et éducateurs savent faire
ça, pour peu qu’on les rassure sur la légitimité de l’entre-
prise. Combien d’instituteurs anticléricaux, combien de
professeurs d’histoire-géographie incroyants ont su,
dans le respect des consciences des élèves, non seule-
ment expliquer l’histoire des religions (ce qui est bien,
mais insuffisant), mais aussi montrer les éventuels
risques et impasses de telle ou telle position dogma-
tique. J’ai pu mesurer professionnellement combien on
peut dédramatiser une situation créée par des de-
mandes manifestement ostensibles d’élèves musulmans
(sur le ramadan, sur les fêtes, sur la piscine…) parce que,
dans la discussion, on peut introduire quelques connais-
sances (même modestes) sur l’islam. Quelle surprise, et
souvent quelle reconnaissance de leur part lorsque
11
quelqu’un, pourtant non musulman de culture, a simple-
ment accepté, à l’école, de parler de religion. Il n’en suffit
pas plus pour que, souvent, le soufflé retombe de lui-
même. Attention, je ne suis pas naïf ; face à une volonté
affichée de perturber, plus massive, plus construite, il faut
aussi envisager d’autres solutions, mais qui seront globale-
ment de même nature.
Un mot encore sur ce point. La religion catholique,
qui a dû s’adapter, s’est en quelque sorte laïcisée : elle a
cessé globalement en France d’être messianique et de vou-
loir évangéliser à toute vapeur ; pour la religion protestante
et la religion juive - et l’association n’est pas fortuite -, on
pourrait dire que les choses étaient fixées au départ : la
pratique religieuse est une affaire privée (bien sûr je ne
parle pas du judaïsme en Israël) et la religion se construit
aussi à travers la rationalité (pardon pour les caricatures). Il
en va autrement pour l’Islam qui, entre autres différences,
ne s’est jamais confronté à la notion de laïcité. (Sans doute
quelque spécialiste trouvera-t-il des exceptions, Tunisie ou
Turquie, mais l’exemple de l’Irak sera à manipuler avec pré-
caution.)
Séparer le public et le privé ne se fait pas en un
tour de magie, surtout quand on a terriblement envie de
montrer qu’on existe, qu’on commence à sortir la religion
des caves et des ghettos, et qu’on veut exprimer aussi un
peu de liberté.
Si l’on n’admet pas que, pour un certain temps
au moins, le religieux et le non-religieux seront structu-
rellement liés, non seulement chez les musulmans
croyants, mais aussi chez les non-croyants de culture
islamique, alors on aura du mal à avancer. Pour appro-
cher cette réalité, j’invite les uns et les autres à regarder
le fonctionnement des orthodoxes, pourtant chrétiens
eux aussi, pour comprendre la difficulté d’une sépara-
tion entre le religieux et le non-religieux, au moment
même où ils sortent, dans l’ex-monde communiste,
d’une situation théorique de non-reconnaissance et de
laïcité imposée. Je souligne enfin que cette association
des deux, cette confusion « sphère publique-sphère
privée » affichée au grand jour, remue (interpelle !) de
nombreux chrétiens : ils peuvent légitimement se dire
qu’ils sont battus sur leur propre terrain, non seulement
celui de la foi, mais peut-être surtout celui de la pratique
et des règles de vie qui en découlent. Dans une époque
et une société à la recherche de repères, il y a en effet
de quoi douter…
Claude Mercier
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12
En ces jours de tristesse et de deuil, parmi
tous ces visages qui ont pu incarner quelque chose
d'une République que nous célébrons autant que nous
la cherchons, j'ai retenu le vôtre.
Vous faisiez face au père de Yoav Hattab,
jeune juif mort dans l'attaque sanglante de la porte de
Vincennes. Vous ne lui avez pas témoigné de cette
compassion un rien de circonstance, un rien condes-
cendante ; vous avez partagé sa douleur, qui était aussi
la vôtre, au-delà de toute appartenance religieuse.
Mère, française, républicaine et musul-
mane, ainsi vous êtes-vous présentée : mère meur-
trie, à jamais inconso-
lable d'un fils lui aussi
assassiné (1) ; française
et républicaine jusqu'au
bout du voile, si j'ose
écrire, ce voile porté
sans ostentation qui
encadre votre visage et
souligne votre regard
lumineux ; musulmane
ensuite, sans colère,
attentive à cette souf-
france insupportable
qu'engendrent la
violence et la folie. Comment ne pas entendre votre
désarroi et votre espérance ? Comment ne pas se lais-
ser saisir par votre profond désir de république ?
Par votre témoignage, par la douceur des mots,
par la force de vos convictions énoncées dans le respect
de ceux qui vous écoutent, j'ai été saisi d'une émo-
tion vive et intense : je vous ai vue en cet instant symbo-
liser à votre manière quelque chose de la République.
Je ne suis pas antireligieux, même si le bour-
rage de crâne de l'enfance aurait pu me rendre anticléri-
cal jusqu'à la caricature, mais les religieux m’insuppor-
tent lorsqu'ils prétendent m'imposer leur manière de
vivre, de penser et d'aimer ; les religieux m'exaspèrent
lorsqu'ils ambitionnent de faire de leur vérité la vérité
de tous.
Loin des fanatiques de tous bords prêts au nom
de Dieu à dénier à autrui le droit de penser par lui-
même, vous avez su rappeler que votre croyance vous
aidait à faire face au monde sans en faire une arme de
combat, ce que je respecte infiniment. Quand d'autres
plantent leur déraison, leurs assurances divines, leurs
vérités révélées dans le pacte républicain, vous avez par-
lé avec le cœur et la raison, sans haine, sans chercher à
abolir le point de vue d'autrui.
Je sais votre patience à expliquer dans les écoles
une approche apaisée de l'islam et je vous admire pour
cette démarche si loin des évidences.
Ici, certains se montrent pour le moins circons-
pects envers les caricaturistes, mais restent silencieux
face aux propos scandaleusement discriminatoires des Le
Pen, Tesson et autres Zemmour, qui se complaisent dans
le fumier de leurs idées nauséeuses. Comme si ces des-
sins - qui ne sont que des
dessins - portaient plus
atteinte à la dignité que
l'islamophobie rampante,
l'antisémitisme congénital
de ces hordes qui cons-
puent l'idéal républicain. À
croire que ce sont les jour-
nalistes de Charlie qui ont
ordonné l'abandon de la
construction de lieux de
culte dans deux villes con-
quises par le FN.
Ailleurs, pour laver ce
qu'ils perçoivent comme une insulte, d'autres en vien-
nent à brûler des églises au Niger, Boko Haram et l'État
islamique poursuivent leur œuvre purificatrice dans les
larmes et le sang, et des anti-balaka massacrent, en
Centrafrique, des musulmans au nom sans doute de la
chrétienté.
La tâche est immense et vous paraissez bien
seule. Et vous comprendrez sans doute, sans multiplier
les exemples, qu'on puisse douter des religions, voire
s'en défier.
Mais je n'oublie pas non plus que quatre mil-
lions de personnes dans les rues n'effacent pas du jour
au lendemain les manquements de notre république à
l'égard des victimes de la discrimination.
Nous n'avons pas seulement besoin de manifester,
nous avons besoin de femmes de courage comme vous
pour redonner du sens au vivre-ensemble.
Respectueusement.
Michel Boutanquoi
(1) Par Mohamed Merah.
Après les rassemblements du 11 janvier
LETTRE À MME LATIFA IBN ZIATEN
À en croire certains, la victoire de Syriza en Grèce
devrait beaucoup à la France plus ou moins radicale. Co-
corico ! Et les prophètes (bien laïques)
de nous annoncer qu'après
l'Espagne (re-cocorico !)
viendra le tour de la France
(le coq en reste sans voix).
Il faut quand même
se demander, face à cette
« libération » qui doit tant
à la radicalité bien fran-
çaise, pourquoi elle n'a pas
commencé son épopée par notre beau pays. Serait-ce que
notre Tsipras apparaîtrait moins entraînant que l'original ?
Ou plus prosaïquement que nos augures tendent à oublier
que, pour s'entendre, il faut d'abord accepter de discuter
et de s'écouter ?
On peut certes espérer que la victoire de
Syriza (entachée d'une alliance guère compréhensible
avec un parti nationaliste) secoue l'Europe, secoue la poli-
tique européenne engoncée dans des choix sans avenir
plus que ne l'a fait François Hollande qui, malgré ses enga-
gements, a cédé trop rapidement devant l'obstination
allemande. Notre voisin oublie un peu trop facilement ce
qu'il doit à l'Europe, justement.
Mais la situation grecque n'est pas la situation fran-
çaise. Et si l'Europe a prodigué à la Grèce des soins pires
que le mal, provoquant dans ce pays un appauvrissement
sans précédent, si cela doit être condamné avec force, nul
ne peut oublier que le mal n'était pas européen, mais ins-
crit dans la déliquescence même de l’État grec, organisée
par les deux grands partis qui se sont régulièrement suc-
cédé au pouvoir. Syriza apparaît alors porteur d'un double
espoir : celui d'un renouveau politique (en finir avec
Nouvelle Démocratie et le Pasok) et celui d'une possible
nouvelle voie face à l'austérité, tout en restant au sein de
l'Europe, pour enfin émerger des années de douleur. C'est
ce que nous pouvons souhaiter de mieux au peuple grec.
La situation française et la politique gouver-
nementale, pour critiquable que soit cette dernière, ne
relèvent pas de la même faillite. Dès lors, comparer les
situations grecque et française confine à l'escroquerie
intellectuelle en renvoyant à l'usage de raccourcis raco-
leurs. Les hérauts de ces lendemains qui chantent sem-
blent vouloir ignorer que la gauche ne se reconstruira
pas à coup d'incantations, d'effets de manche, de bons
mots ou de condamnations.
Localement, nous avons pu constater combien les
écarts demeuraient importants avec la gauche dite radi-
cale : refus quasi maladif de toute discussion avec le PS,
refus de choisir entre le FN et le PS, propension à n'ac-
cepter l'échange qu'à la condition de signer une déclara-
tion qu'on ne pourra amender… qu'une fois signée ! Au-
trement dit, il n'y a d'autre choix que de se rallier sans
condition ou d'être renvoyé au rang de traître. L'échec
de candidatures de rassemblement à Besançon s'ex-
plique en partie par cette attitude, qui semble intransi-
geante mais qui relève surtout d'un enfermement, d'un
aveuglement (1).
Nous sommes nombreux à penser que la re-
construction à gauche ne se fera pas sans tout ou partie
du PS - quels que soient nos profonds désaccords actuels
avec lui et sans préjuger de son devenir – et qu'il faut
laisser ouverts les fils de discussion, sans préalable, avec
tous ceux qui sont prêts à s'engager à assurer des res-
ponsabilités. Emmanuelle Cosse le dit à sa manière: « Je
n’ai pas de problème à discuter avec l’ensemble des par-
tis, y compris le PS. Ne demandons pas de tickets d’en-
trée à la table de négociation. Je n’ai jamais cru à la
guerre des gauches. Nous ne construirons rien sur l’ago-
nie et les cendres d’une partie de la gauche. » (2)
Construire un espoir semblable à celui suscité par
Syriza suppose le renoncement à toute tentative hégé-
monique, d'où qu'elle vienne, et aux postures plé-
béiennes qui sonnent comme autant d'artifices pour
masquer l'échec et l'impuissance.
Michel Boutanquoi
(1) Nous y reviendrons le mois prochain.
(2) Libération du 29 janvier
13
On a gagné
SYRIZA ENTRE RÊVE ET RÉALITÉS
Depuis le 25 janvier, Syriza, coalition de la
gauche radicale, est le premier parti du berceau de la
démocratie. Avec 149 députés sur 300, il a raté de peu
la majorité absolue au Parlement grec. C'est un refus
indiscutable des politiques d'austérité qui ont imposé
tant de souffrances inutiles dans ce pays, sans diminuer
les dettes publiques. Mais c'est aussi une occasion pour
redéfinir la politique européenne en matière écono-
mique, sociale et écologique.
Un refus clair des politiques d'austérité
En remportant les élections générales en Grèce,
Syriza met un grand coup de pied à la politique euro-
péenne d'austérité d'inspiration libérale. Le peuple
grec qui a beaucoup souffert depuis 4 ans, a voulu en
finir avec la baisse des salaires, les restrictions budgé-
taires, la dégradation dramatique du système de santé
et la braderie des infrastructures grecques par leur
privatisation. Voilà déjà de quoi nous réjouir.
Mais, la victoire de Syriza, c'est aussi la défaite
d'un système gangréné par le clientélisme et la corrup-
tion et qui était aux mains de deux partis, le PASOK (un
peu l'équivalent du PS) et la droite conservatrice de
Nouvelle Démocratie. Ces partis ont achevé de se dis-
créditer en mettant en œuvre la logique financière et
comptable imposée par la Troïka (BCE, Commission
Européenne, FMI)
Et il y a parfois des gestes symboliques qui font
plaisir, par exemple, quand le leader de Syriza, Alexis
Tsipras, rejette la cravate et refuse que ce soit sur la
bible qu'il prête serment comme Premier Ministre.
Mais ce sont d'abord les mesures sociales d'urgence
qui s'imposent : l'augmentation du Smic et des pen-
sions, la restauration du système de santé etc.
Vers une politique européenne plus
juste ?
Syriza a montré aussi sa volonté de faire le mé-
nage dans son propre pays en luttant contre le clienté-
lisme, la fraude fiscale et la corruption et il faut être
prudent dans les comparaisons entre la France et la
Grèce (lire à ce sujet l'article de Michel Boutanquoi :
Syriza entre rêves et réalités).
Mais les Grecs ne veulent pas pour autant
abandonner l'euro. La victoire de Syriza réouvre donc
le débat sur la politique économique européenne. On
voit bien que l'austérité ne marche pas. Elle n'est pas
efficace pour faire diminuer la dette et a un grave effet
récessif avec son cortège de millions de chômeurs sup-
plémentaires. L'Europe est maintenant au bord de la
déflation. « On ne peut pas continuer à pressurer des
pays qui sont en pleine dépression » vient de déclarer
Barack Obama en ce début février 2015.
L'Europe est donc à un tournant. Soit elle per-
siste dans des politiques économiques libérales né-
fastes, basées sur une logique comptable, soit elle met
la priorité à la stimulation de l'activité économique, la
création d'emplois et la réduction des inégalités, et cela
implique de ne plus faire de la dette et des équilibres
budgétaires la priorité. Pour les écologistes, la relance
de l'activité économique doit se faire autour de la lutte
contre le changement climatique et par la transition
écologique. L'enjeu c'est la création de millions d'em-
plois utiles et durables.
La victoire de Podemos en Espagne, à l'au-
tomne 2015, pourrait être la prochaine étape de ce
changement de rapport de force en Europe. Après l'oc-
casion ratée de 2012 et la capitulation en rase cam-
pagne de Hollande puis le tournant libéral de Valls, la
gauche française est au pied du mur. A nous de travail-
ler, avec une partie au moins des militants PS, ceux du
Front de Gauche et de Nouvelle Donne, et la mouvance
associative, pour constituer en France, cette nouvelle
majorité alternative. Et la tâche s'annonce ardue…
Gérard Mamet.
14
Résultat des élections en Grèce
LA VICTOIRE DE SYRIZA FAIT RENAITRE L'ESPOIR EN EUROPE
De la mi-octobre à fin novembre 2014, on a re-
censé une trentaine de survols de sites nucléaires par des
drones : 15 centrales, 3 usines de combustible nucléaire
et un centre de recherche (1).
Aucune image de drone en survol de centrale n’a
été rendue publique. Cependant les médias et la gendar-
merie ont fourni des témoignages suffisamment inquié-
tants pour que l’on prenne ce phénomène au sérieux.
L’envergure des appareils varierait entre 20 ou 30 cm et
deux mètres, ce qui tendrait à prouver que certains ne
sont pas des jouets. De plus, des survols simultanés de
sites éloignés de centaines de kilomètres indiqueraient
une opération concertée (Cf. la revue Sortir du nucléaire
n°64, février 2015).
Les faits n’ont jamais été revendiqués. Green-
peace, qui avait envoyé un drone au-dessus de la Hague
en 2012, et donc mis en cause, a clamé son innocence et
a réclamé une enquête.
La mise en place de systèmes de radars mobiles
militaires pour détecter des drones approchant les cen-
trales, tout comme le déploiement d’hélicoptères Gazelle
pour intercepter ceux-ci et leurs pilotes, ont été une pre-
mière réponse cohérente à ces intrusions, mais elle est
restée insuffisante puisque ces dispositifs n’ont permis ni
de « capturer »les drones, ni d'interpeller leurs pilotes.
La loi française encadre, par deux arrêtés du
11 avril 2012, « l’utilisation de l’espace aérien par les
aéronefs qui circulent sans personne à bord » et « la con-
ception des aéronefs civils qui circulent sans aucune per-
sonne à bord, [les] conditions de leur emploi et [...] les
capacités requises des personnes qui les utilisent ». Mais
force est de constater que cette loi ne suffit pas à enca-
drer l’utilisation de tels drones, puisque leur identifica-
tion est impossible si son pilote n’est pas intercepté rapi-
dement.
Or, ces survols représentent un risque réel. En
effet, équipé d’une caméra, un drone pourrait repérer
des points de vulnérabilité des équipements ou de l’or-
ganisation du site. La France dispose de 58 réacteurs
nucléaires fonctionnels (sans compter les réacteurs de
recherche), répartis sur 19 centrales à travers le terri-
toire. Parmi ceux-ci, 34 réacteurs de 900 MW disposent
d’enceintes de confinement à paroi unique, constituées
d’une paroi cylindrique d’une épaisseur de 90 cm et d’un
dôme d’une épaisseur de 80 cm. N’ayant pas été cons-
truites en béton armé, ces protections sont les moins
résistantes de notre parc nucléaire. Ce bâtiment a pour-
tant fonction de résister aux accidents aussi bien qu’aux
agressions externes et résisterait prétendument à une
chute d’avion - tout dépendrait de sa taille et de son
chargement, notamment en kérosène (2).
Par ailleurs, d’autres éléments aussi vulnérables
que stratégiques – comme les piscines de désactivation
des combustibles irradiés ou les transformateurs élec-
triques – sont à la portée de n’importe quelle attaque
menée par ou à l’aide d’un drone. Il faut savoir qu’une
défaillance du système de refroidissement de ces pis-
cines mènerait en quelques heures à un risque de fusion,
avec relâchement d’iode radioactif.
Mais il n’y a pas que le risque d’un accident
nucléaire majeur. Le survol de différentes centrales
peut laisser à imaginer une attaque simultanée des
transformateurs électriques. Un tel scénario n’aurait
certes pas de conséquences radiologiques, mais des ré-
percussions catastrophiques. Le remplacement d’un
transformateur se fait en quelques jours, et la perte
d’électricité induite par l’arrêt d’une seule centrale pour-
rait facilement être compensée par la mise en marche
d’autres moyens de production d’électricité. Mais si plu-
15
Sécurité des sites nucléaires
DRÔLES DE DRONES
16
sieurs transformateurs étaient visés simultanément, leur
remplacement rapide ne serait pas acquis : il faudrait en
construire de nouveaux. Cela signifierait que le réseau
électrique pourrait être brutalement et durablement af-
fecté : un black-out serait possible à l’échelle régionale,
voire nationale. Et un black-out en France pourrait avoir
des conséquences sur l’Europe entière.
Non seulement les particuliers seraient affectés
dans leur quotidien, mais les entreprises et l’industrie
aussi : sans électricité, l’économie s’arrêterait brutale-
ment. Et notre société en paierait le prix fort, avec une
panique généralisée dont les conséquences sont inimagi-
nables car l’ensemble de nos systèmes de protection et de
surveillance repose sur notre système électrique.
Le 24 novembre dernier, Greenpeace France a re-
mis aux autorités françaises un rapport « Confidentiel
France » sur la vulnérabilité des centrales nucléaires face
aux drones et sur les risques induits par l’utilisation de ces
derniers. En parallèle, des députés européens, dont
Michèle Rivasi, ont interpellé le gouvernement sur ce qu’il
prévoit pour mettre fin à cette menace. Ces mises en
garde ne semblent pas ébranler les autorités. Pourtant, si
un certain nombre de gens ont déjà réfléchi à ces scéna-
rios catastrophes, on peut imaginer que d’autres, animés
d’intentions malveillantes, l’ont fait également.
Le risque d’attentat est donc réel. Il convien-
drait, dans l’urgence, de réviser la loi pour une traçabili-
té accrue des détenteurs de drones, avec notamment
un recours à l’immatriculation des drones pour con-
naître l’identité de leurs détenteurs. L’État devrait éga-
lement s’attaquer à la sécurisation des piscines de dé-
sactivation et des transformateurs électriques. Cepen-
dant, le risque zéro n’existe pas et les conséquences,
dans le domaine du nucléaire, ne sont jamais négli-
geables. C’est pourquoi il serait temps que la France
développe massivement l’usage des énergies renouve-
lables. Un drone survolant une éolienne fera certaine-
ment moins peur aux agents chargés de la sécurité !
Suzy Antoine
(1) Ainsi que, plusieurs fois en janvier, le site militaire
nucléaire de l'Île-Longue, dans la rade de Brest.
(2) Drones et sécurité nucléaire : http://tinyurl.com/
m49ms6b)
Trophées
UNE ABEILLE ROYALE ET UNE ROYAL PAS PIQUÉE DES HANNETONS
Connaissez-vous Laurence Abeille ? Avec un
nom pareil, me direz-vous, elle ne peut être qu'écolo. Bin-
go ! Laurence est en effet, depuis les législatives de 2012,
députée EÉLV de la 6e circonscription du Val-de-Marne
(Fontenay-sous-Bois, Saint-Mandé, Vincennes). Une cir-
conscription pas très rurale, donc (y a-t-il encore un bout
de campagne dans le 9-4 ?) et encore moins méridionale.
Ce qui n'empêche pas Laurence de se montrer particuliè-
rement attentive à la biodiversité (elle préside le groupe
d'études « Préservation et reconquête de la biodiversité »
de l'Assemblée nationale) et de s'opposer farouchement à
la corrida, prétendue « tradition » du Midi : elle est l'une
des trois parlementaires (1) qui ont déposé l'an dernier
une proposition de loi pour l'abolition de la corrida en
France. Proposition qui demande l’abrogation de l’alinéa 7
de l’article L521-1 du Code pénal, lequel permet de faire
de la corrida une exception (!!) à l'interdiction légale des
sévices graves et des actes de cruauté sur les animaux.
Rien d'étonnant à cela,
puisque Laurence,
membre du groupe
Protection des ani-
maux, est une des élues
les plus actives pour
défendre les droits de
ces derniers : elle s'op-
pose à la chasse, à
l' « industrie » de la
fourrure, aux expérimentations sur l'animal, à la pêche
intensive, etc.
En outre, Laurence Abeille, membre de la com-
mission du Développement durable, vient de voir adop-
ter un texte qui portera son nom et qui inscrit dans la
loi les principes de sobriété dans l’exposition aux ondes
électromagnétiques, d’information et de protection des
utilisateurs face aux risques et de concertation lors de
17
l’installation d’antennes-relais. L'ASPAS (2) a tout récem-
ment décerné à Laurence le Trophée de Plume 2014, qui
« honore la qualité d'une action en faveur de la nature »,
et souligné « ce précieux soutien d'une élue, si rare dans
les combats pour la protection de la nature ».
Le Trophée de Plomb de la même association, qui
dénonce « une attitude anti-écologique », a par la même
occasion récompensé l'ineffable Christian Estrosi, l'hyper-
sarkozyste député-maire de Nice et (un comble !) admi-
nistrateur du Parc National du Mercantour. Estrosi, le
maniaque qui voit des loups partout…
Une qui aurait pu prétendre au même Trophée
de Plomb, vu tout le bien qu'elle fait à l'écologie, c'est
Ségolène Royal ! Manque de bol, l'ASPAS ne décerne
chaque année qu'un seul trophée de ce métal (il faut bien
choisir !) et de toute façon, notre chère ministre de l'Éco-
logie (on ne rigole pas !), du Développement durable et de
l'Énergie a d'office été déclarée... hors concours ! Il faut
dire que, depuis son arrivée à l'hôtel de Roquelaure en
avril 2014, elle a été royale, Ségolène (3) : l'ASPAS, dans le
n°120 (janvier 2015) de son magazine Goupil, croit pou-
voir d'ores et déjà affirmer qu'on tient en elle « un spéci-
men unique qui passera à la postérité comme le ministre
de l'Écologie le plus désastreux de la cinquième Répu-
blique ». Pire que Bachelot ? Noooon ! Si, si !
À la fois incompétente, stupide (4), inapte, mé-
chante, nocive (c'est toujours Goupil qui parle), la
Walkyrie du PS (là, c'est moi) a jusqu'à présent été capable
(entre autres et en vrac)) d'enterrer, au nom du refus de
l' « écologie punitive » (5), une écotaxe votée par tous les
parlementaires ; de proposer la gratuité des autoroutes le
week-end ; de réclamer plus de centrales nucléaires ; de
déclarer que l'ours n'a pas sa place dans les Pyrénées ; de
prétendre faire abattre 400 bouquetins, espèce protégée ;
de promettre des mesures contre le vautour fauve
(protégé aussi) en Ariège ; de se réfugier dans le silence
et/ou la langue de bois au sujet de la surpêche ; d'ouvrir
grandes les écoles au prosélytisme des chasseurs, dont
elle souligne le « rôle essentiel dans le maintien de la bio-
diversité » ; et bien sûr de réclamer aux Parcs nationaux
qu'ils organisent des battues pour « les nettoyer des
loups ». Loups dont elle déclarait au Monde, l'été der-
nier, qu' « il y en a beaucoup trop ! […] Même les en-
fants ont peur, ça les empêche de dormir. » Et au mo-
ment où je m'apprête à boucler cet article, voilà que
j'apprends la dernière royalerie : Ségolène et sa copine
Sylvia Pinel (6) lancent le Grand Prix d'Aménagement :
« Comment mieux bâtir en terrains inondables construc-
tibles » !
Bon, je n'ai aucune compétence en psychiatrie,
mais notre Ségo, manifestement piquée par une autre
bestiole qu'une abeille, faudrait peut-être envisager de
la soigner, non ?
Gérard Roy
(1) Les deux autres sont un socialiste et... Damien
Meslot, député UMP de Belfort ! Ma foi, ça lui fait au
moins un bon point...
(2) Association pour la Protection des Animaux sau-
vages – BP 505 – 26401 CREST Cedex – Tél. 04 75 25 10
00 – [email protected] – www.aspas-
nature.org
(3) J'ai honte...
(4) Avant de juger cet adjectif abusif ou inutilement
blessant, lisez plutôt la suite.
(5) Je ne sais pas pourquoi, mais « écologie punitive »,
ça me file les mêmes boutons que « laïcité positive ».
(6) Ministre du Logement, de l'Égalité des Territoires et
de la Ruralité.
Science et écologie
BIG BROTHER, USINE DU FUTUR,
COOPERATION ET REVOLUTION PHOTOVOLTAÏQUE
Comment se protéger de Big Brother ?
C'est Edward Snowden, un consultant en informa-
tique, qui a rendu public le programme de surveillance
de masse de la NSA (1). Celle-ci collecte et stocke des
quantités considérables de données sur des serveurs
clandestins, sans contrôle d'une autorité judiciaire. C'est
la porte ouverte à des atteintes à la vie privée et aux
libertés individuelles. Pour limiter les risques d'abus, un
article paru dans Pour la Science propose trois prin-
cipes : répartir les données dans des centres séparés,
sécuriser la transmission et le stockage, notamment par
le chiffrement, et actualiser les adaptations au fur et à
mesure des évolutions techniques. (Pour la Science
n° 447, janvier 2015, pp. 64-67)
Commentaire : Ce sont les pratiques elles-
mêmes, sans contrôle démocratique ni même judiciaire,
qui doivent être refusées. Il faut d'autant plus s'en mé-
fier qu'on assiste à un retour inquiétant des idéologies
sécuritaires. Au fond, ces pratiques secrètes de collecte
de données personnelles et leur utilisation pourraient
présenter un danger mortel pour la démocratie, par le
contrôle politique qu'elles permettent, par l'intoxication
des opinions qui pourrait en résulter. Elles décupleraient
les risques de manipulation des citoyens, en particulier
en période de crise. Offrir l'asile politique en France à
Edward Snowden signifierait clairement aux États-Unis
(2) que ces pratiques sont inacceptables.
2. En route vers l'usine du futur
L'usine change. L'informatique permet de mieux
adapter les lignes de fabrication à la demande et à la
gestion des stocks. Les unités de production deviennent
davantage modulables. De nombreux capteurs connec-
tés permettent d'optimiser les procédés. Pour la fabrica-
tion de certains objets, on envisage de remplacer l'usi-
nage – enlèvement de matière – par le principe des im-
primantes 3D : adjonction successive de couches, à par-
tir de poudre de métal fondu par laser. Les robots colla-
boratifs ou cobots sont promis aussi à un bel avenir. Les
cobots assistent l'opérateur et réduisent son effort mus-
culaire. Airbus utilise des cobots depuis 2013. (Pour la
Science - supplément innovation- n° 447, janvier 2015,
pp. 55-59)
Commentaire : L'auteur de l'article l'affirme :
« L'usine tout automatique est stérile par nature, car la
créativité reste l'apanage de l'homme. » Certes ! Il y a
dans ces perspectives d'usine du futur des économies de
matières premières et d'énergie, une diminution de la
pénibilité des tâches dont nous ne pouvons que nous
féliciter. Reste une question-clé : à qui profiteront les
gains de productivité ? Soit nous allons vers une réduc-
tion globale de la durée du travail pour tous, soit les
innovations vont encore une fois profiter aux 1% les plus
riches, avec le « chômage technologique » comme hori-
zon pour les autres.
La science pour éclairer les choix de l'écologie politique.
La réflexion politique pour développer la critique de la science.
18
3. La coopération comme outil d'innovation
Le modèle proposé est celui de logiciels libres et
les sites et réseaux collaboratifs. Ce domaine de coopéra-
tion semble poser bien peu de problèmes, parce qu'il
n'est pas basé sur l'échange d'argent mais sur l'échange
d'informations. Une information est un bien que l'on peut
donner tout en le conservant. Un groupe qui coopère en
sait plus que l'un quelconque de ses membres aupara-
vant. Une des difficultés, c'est d'assembler des informa-
tions complémentaires, qui sont libellées généralement
dans des langages distincts, propres à chaque commu-
nauté. (Pour la Science - supplément innovation- n° 447,
janvier 2015, pp. 10-11)
Commentaire : Voilà qui change du discours ha-
bituel sur la concurrence, la compétitivité, le secret bien
gardé des affaires que l'on trouvait dans la première ver-
sion de la loi Macron. Le diable est dans les détails… On
voit bien quels pourraient être l'intérêt et la force d'une
coopération scientifique et technique renforcée au ni-
veau européen pour faire face au dérèglement climatique
et engager la transition écologique.
4. Une révolution pour le photovoltaïque
Les cellules photovoltaïques à pérovskites (2) cons-
tituent une alternative aux cellules en silicium : elles sont
transparentes et fines (elles peuvent s'appliquer sur un
vitrage ou une carrosserie de voiture), cinq fois moins
coûteuses et plus faciles à fabriquer. Pour l'instant, le
rendement reste inférieur à celui des cellules en silicium,
mais il atteint déjà 17,9 %, avec une limite théorique à
30 %. (La Recherche n° 495, janvier 2015, pp. 30-33)
Commentaire : Il y a encore des obstacles à
l'industrialisation des cellules à pérovskites du fait de leur
sensibilité à la chaleur et à l'humidité. On voit bien, néan-
moins, qu'un développement conséquent de la recherche
peut permettre de trouver des solutions techniques, facili-
tant les alternatives aux énergies fossiles. Le problème,
c'est qu'en France, dans le domaine de l'énergie, c'est en-
core le nucléaire qui consomme l'essentiel des crédits de
recherche.
Gérard Mamet
(1) NSA : National Security Agency, l'Agence de Sécurité
nationale des États-Unis. Snowden a révélé qu'elle enregis-
trait les conversations téléphoniques (dont celles d'Angela
Markel) et les données sur le trafic Internet, dans le monde
entier.
(2) Les pérovskites, du nom du minéralogiste russe
Perovski, sont des minéraux formés d'oxydes métalliques
qui sont très répandus dans l'écorce terrestre.
19
20
UN MOIS, ÉMOIS, ET MOI
Pas d'Émois, ce mois. Ou plutôt un seul, un gros, très gros...
D'abord, la stupéfaction, l'incrédulité, en entendant à la
radio, dans la matinée du 7 janvier, qu'une fusillade a
éclaté dans les locaux de Charlie Hebdo et qu' « il y au-
rait » (à ce moment-là, le conditionnel représente en-
core un espoir) des
victimes. Quand, au
fil des minutes et
des flashes d'info, le
conditionnel cède
la place à l'indicatif
- « il y a » quatre,
cinq victimes... -, on
se surprend à faire
des choix, à
émettre des préfé-
rences (ben oui,
c'est idiot, mais
c'est comme ça, on ne le contrôle pas) : pourvu que ce ne
soit pas Charb ! pourvu qu'il n'y ait pas Bernard Maris !
pourvu que... Et puis il y aura Charb, il y aura Bernard
Maris, et Cabu, et Wolinski, et Tignous, et Honoré, et Elsa
Cayat, et les autres, et à ce moment-là, c'est la colère,
sourde, rentrée, et l'émotion, le chagrin, comme rare-
ment. Et dans les jours et les semaines qui suivent, le reste
– Sarkozy, Valls, les socialistes, Poutine, le bon roi Abdallah
et tous les minables guignols de la politique, du showbiz
et des médias qui suscitent les mensuels Émois, bof, on
s'en tape un peu, hein…
Après le temps de la sidération, de la stupeur, de la
rage (bien loin d'être passé chez moi) qui a suivi ce mas-
sacre, la recherche des responsabilités, c'est normal, a
commencé. Au premier rang des accusés, l'école : cible
facile, sur laquelle tirent à boulets rouges tous ceux qui n'y
ont plus jamais mis les pieds depuis la terminale, voire le
Certificat d'études, et qui pensent que les enseignants
sont de tels branleurs (eh ! oui, il y en a, bien sûr, comme il
y a des journalistes qui ne sortent pas leur cul de leur bu-
reau et des élus qu'on ne voit jamais dans leur assemblée)
qu'ils passent leur temps à raconter aux élèves leurs va-
cances au lieu de les faire réfléchir. Mais passons…
Ce que j'attends, moi, c'est qu'on revienne
aussi (pas seulement) sur la responsabilité indirecte de
tous ceux, à gauche et à l'extrême gauche surtout, mais
pas seulement - politiques, journalistes, éditorialistes,
leaders d'opinion, responsables syndicaux ou médiatiques,
penseurs plus ou moins autoproclamés, etc. - qui, de-
puis des années, par ignorance ou par couardise, par
complicité ou par lâcheté, par désintérêt ou par stupi-
dité, ont au mieux cultivé la cécité et l'ambiguïté, au
pire systématiquement choisi le refuge mensonger de
la langue de bois et du politiquement correct (1) et
refusé d'appeler les choses par leur nom. Sous le très
généreux prétexte de ne pas « stigmatiser l'islam » et
de ne pas frois-
ser les musul-
mans, on n'a pas
non plus su ou
voulu voir venir,
chez un certain
nombre de fi-
dèles, les dérives
de l'islam, leurs
exigences de
plus en plus in-
supportables (y
compris et sur-
tout pour la très
grande majorité des musulmans), dérives qui culmi-
nent sous la forme d'un véritable fascisme islamiste
(Malek Boutih parle même d' « islamo-nazisme »), pas
plus d'ailleurs qu'on n'a élevé de réelles digues contre
toutes les autres formes de totalitarisme religieux.
(Quoi d'étonnant à cela dans un pays dont les diri-
geants vont régulièrement baiser la mule du pape (2),
voire assister à de ridicules cérémonies vaticanesques
sans que cela ne provoque un haut-le-cœur dans ledit
pays ?)
Laissant à une extrême droite ravie de l'au-
baine le soin de propager ses amalgames nau-
séabonds, on a benoitement suivi le boulevard
qu'elle traçait : l' « islamophobie » de cette dernière
n'étant que le cache-sexe de son racisme (il faut vrai-
ment être bien naïf pour croire qu'elle s'en prend plus
à la religion musulmane qu'à sa cible préférée, les
Arabes), on s'est mis à pousser des cris d'orfraie à la
moindre critique de l'islam et de ses dérives. On a fait
semblant de croire (mais on s'est bien gardé de le dire)
que les musulmans étaient bien trop limités intellec-
tuellement, ou que leur culture n'avait pas atteint le
stade nécessaire, pour comprendre que ce n'est pas
eux qu'on vise quand on défend la laïcité, la laïcité
tout court (quel est le premier salaud qui lui a collé l'éti-
quette de « positive » ?...) et qu'on refuse de se plier, et
de voir les autres se plier, aux diktats d'énergumènes
exaltés. Énergumènes qui voudraient nous ramener - et
ramener les musulmans au premier chef ! - aux temps
bénis d'un islam « des origines » fantasmé par leur dé-
sespérante ignorance, aux franges d'un moyen-âge où
l'obscurantisme le plus obtus pactise allègrement avec
les merveilleux joujoux de la technologie moderne (3) :
téléphone portable, caméra GoPro, pick-up et kalachni-
kov. Salman Rushdie, Taslima Nasreen, Robert
Redeker, Malala Yousafzai, Asia Bibi, Raef Badaoui et tant
d'autres, célèbres ou anonymes, assassinés, mutilés ou
condamnés à vivre cachés, sont passés par profits et
pertes, au grand soulagement d'un petit confort rabou-
gri, pétri de mauvaise conscience post-coloniale et préfé-
rant s'aveugler plutôt que voir la réalité (4).
Tous ces beaux esprits ont leur part de res-
ponsabilité dans la tragédie de Charlie, qu'ils ont,
chaque fois que l'hebdoma-
daire a été menacé ou atta-
qué (par l'extrême droite,
par des cathos, par des
représentants plus ou
moins officiels de l'islam),
défendu du bout des lèvres
et en tortillant du popotin,
quand ils ne l'ont pas carré-
ment démoli pour cause de
« vulgarité » ou de
« provocation ». Le fana-
tisme s'en prenant de préférence aux plus faibles, c'est
aussi de ce manque de solidarité que sont morts Charb
et ses potes. C'est bien d'ailleurs ce qu'ont souligné les
survivants du massacre, appréciant qu'on les sou-
tienne aujourd'hui, mais regrettant qu'on ne l'ait pas
fait plus tôt et plus franchement.
Est-il normal, est-il admissible que, depuis de
trop longues années, ce soient des humoristes, des
cartoonistes, des amuseurs publics (oh ! pas tous,
certes, et même, pas la majorité) qui disent tout haut
ce que politiques et médias ont renoncé à dire même
tout bas ? Que ce soient eux, en particulier, qui affir-
ment, envers et contre toutes les petitesses timorées
et les insolentes fatwas, qu'il y a des fascistes musul-
mans comme il y a des fascistes chrétiens, juifs, in-
croyants, etc. ? Et qu'on a le droit, que cela plaise ou
non à leurs fidèles, de se payer la tête des religions, de
toutes les religions (5) ? Le délit de blasphème n'existe
pas dans la plupart de nos sociétés : c'est pour l'avoir
inlassablement rappelé que nos copains sont tombés
dans une mare de sang ; c'est pour cela, parce qu'ils dé-
fendaient des libertés dont ceux qui applaudissent les
frères Kouachi ne sont même pas capables d'envisager
l'importance, qu'ils ont été flingués. À qui le tour, mainte-
nant ? (6)
J'espère que certains de ceux qui montrent leur
affliction aux caméras après avoir été plus que tièdes
dans leur défense de la liberté d'expression éprouvent
aujourd'hui quelques remords ; et j'aimerais être bien sûr
qu'il n'y a pas, chez quelques autres, comme un lâche
soulagement...
Gérard Roy
1) Attention : je ne suis pas pour autant un fanatique du
« politiquement incorrect » sous lequel une bonne partie
de la droite tente maladroitement de camoufler ses
idées les plus antipathiques !
(2) Ne vous méprenez surtout pas sur le sens de cette
expression : on parle bien là d'une pantoufle !
(3) Moderne et, qui plus est, fruit de l'Occident honni !
(4) Toutes proportions gardées, cette façon de considérer
que les musulmans, en quelque sorte, ne sont « pas en-
core » aptes à comprendre la laïcité, me rappelle la rai-
son pour laquelle, il n'y a pas si longtemps, on excusait
largement la dictature de Pékin : les Chinois n'étaient
pas culturellement prêts pour la démocratie !
(5) Au risque d'ailleurs d'être sans cesse menacés de
mort, comme Sophia Aram, par cette lie de l'humanité
qui grouille sur Internet.
(6) S'il arrivait quelque chose à Caroline Fourest, nul
doute qu'on verrait pleurnicher l'extrême gauche qui la
voue aujourd'hui aux gémonies !
21
J'essuie Charlie, mais la tache tient et ne s'effacera
pas si facilement. Des fêlés ont assassiné des dessina-
teurs qui m'aidaient depuis longtemps, avec d'autres, à
interroger le réel, à en rire ou à le supporter avec déri-
sion. Et aussi un analyste qui m'aidait à porter un regard
critique sur la pensée économique unique en vigueur de
nos jours. Sans compter ceux que je ne connaissais pas,
qui permettaient à cette équipe de travailler et qui sont
morts avec elle. Les nettoyeurs du vide ont fait leur
œuvre et me voilà un temps bien seul. Du coup, les pro-
pos qui suivent pourront paraître au lecteur quelque peu
décousus...
Comment ce pays a-t-il pu produire de tels fous ?
Ils ne sont pourtant pas venus d'ailleurs, ils sont bien
d'ici et cette barbarie est bien issue de notre culture, qui
en est venue peu à peu à casser toutes les solidarités et,
dans notre pays, à détruire tout ce qu'avait su introduire
le Conseil national de la Résistance au niveau écono-
mique et social.
Au sortir de la manif à Besançon, j'ai vu une
femme qui rentrait avec ses enfants, la tête baissée, l'air
fataliste, portant une grande affiche sur laquelle était
écrit : « Nous ne sommes pas des terroristes. » Affli-
geant ! Comment a-t-on pu en arriver là et laisser mon-
ter ce malaise identitaire ? Que va-t-il arriver désormais
dans notre « beau pays », qui refuse l'inhumation d'un
bébé étranger, où des maires mettent des bancs en cage
et où trouver du travail n'est pas facile quand on a un
nom arabe ? Arabe, comme l'écrit Éric-Emmanuel
Schmitt, « ça veut dire ouvert la nuit et le dimanche dans
l'épicerie »… Pour ce qui est de l'ascenseur social, t'as
qu'à prendre l'escalier ! Malek Boutih le reconnaît lui-
même La République s'occupe de ses Français d'origine
contrôlée mais... « dans une pièce à côté ». Au mieux ils
ont accédé un temps au statut condescendant de
« potes » et maintenant ?
De la Marche des Beurs à Charlie Hebdo :
que comprendre ?
Que pensent aujourd'hui ceux qui ont créé la
Marche des Beurs, en octobre 1983, marche pour
l'égalité et contre le racisme ? Que pensent aujour-
d'hui ces « Français d'origine contrôlée » (1) ? Pour-
quoi cette désillusion ? Et plus récemment, que s'est-il
passé de positif permettant de reprendre espoir de-
puis l' « affaire » Merah ?
Il est clair que l'humour de Charlie n'était pas
toujours compris dans un tel contexte par ceux qui se
sentent humiliés d'être nés en France et d'être cepen-
dant sans cesse traités de bougnoules, tout comme
l'avaient été leurs pères. Ne se sentant chez eux nulle
part, ni en France, ni en Algérie, ni ailleurs, certains
ont donc vraiment pété les plombs.
Beaucoup sont depuis en deuil de façon pro-
fonde mais pas tous. Chaque génération a sa culture
et visiblement des relais n'ont pas été transmis et si
quelque chose de positif doit sortir de ce « sursaut »
des Français méfions-nous cependant de certains im-
posteurs qui brandissent un très opportuniste Front
républicain. N'oublions pas en effet qu'en tête du cor-
tège unitaire à Paris, on a vu quelques personnages
qui faisaient plutôt désordre quant au respect de la
liberté d'expression dans le monde.
S'il y a eu un temps social pour le recueillement
depuis les massacres des 7 et 9 janvier, il est à craindre
que « je suis Charlie » se noie dans l’inextricable con-
fusion intellectuelle et politique dans laquelle nous
nous trouvons actuellement. C'est pourtant cette lutte
pour l'égalité et contre le racisme qui devrait rebondir
aujourd'hui, avec un gros effort culturel global, car la
République sera métissée ou disparaîtra. Heureuse-
ment, notre Président va aller prendre le pouls des
banlieues !!! Un sentiment de déjà vu mais l'espoir fait
vivre.
J'ESSUIE CHARLIE....
22
Un immigré héros de la République
Paradoxalement Lassana Bathily, employé dans le
super marché casher où 4 clients ont été assassinés,
obtient la nationalité française pour en avoir protégé
6 autres... c'est bien mais que devrons faire les pro-
chains candidats à la nationalité ? Dans son discours lors
de la cérémonie du 20 janvier, B.Cazeneuve n’a éludé ni
le rejet de la demande de régularisation de Lassana en
2009 ni la réception d'une obligation à quitter le terri-
toire (OQTF), évoquant à ce sujet l’erreur manifeste
d’appréciation de la préfecture, ni l’aide apportée à Las-
sana par « les associations » après plusieurs années de
galère et l'obtention d'un titre de séjour. Depuis ces
événements Lassana Bathily est allé se reposer parmi
les siens au Mali et signale qu'à son retour il créera une
association d'aide aux sans papiers. Les membres de
RESF qu'il avait invités ont interpelé le ministre au sujet
des lycéens jeunes majeurs dans le futur projet de loi de
l'immigration.
Un problème culturel, social et économique
Puissent nos concitoyens et politiques, c'est-à-
dire chacun d'entre nous, comprendre en profondeur ce
qui se passe depuis 30 ans dans notre société, sans ou-
blier certes la situation internationale, mais en pensant
qu'il est atterrant de voir que notre société et son école
n'ont pas donné à chacun de leurs enfants les outils
nécessaires pour se construire, sans se cacher hypocri-
tement derrière l'égalité des chances... Force est de
constater que les enfants défavorisés socialement font
les frais de notre système d’instruction et d’éducation
français inégalitaire, alors que pour les autres, les pa-
rents se substituent à l’école défaillante parce qu'ils en
ont les moyens. Le problème est surtout culturel, social
et économique, la religion en étant l'habillage. Or
comme la laïcité , qui n'est pas un bréviaire anticlérical,
reste encore mal comprise dans notre pays, on s'attaque
à tort à une religion.
Quand, dans Charlie, un dessin de Cabu a montré
Allah se lamentant devant ce qui se passait, débordé par
les intégristes,
criait « c'est dur
d'être aimé par
des cons », il y a
eu des jeunes
pour croire que
les cons étaient
les musulmans !
Tous les caricatu-
ristes sont con-
frontés aux
risques du
second degré. On peut toujours dire qu'il faut être con
pour ne pas comprendre et alors.... le fossé ne fait que
se creuser et notre société continue à fabriquer de la
« distinction » au sens de Bourdieu. Aujourd'hui, le des-
sin en question a été transformé par Carali dans Siné
mensuel et me paraît bien rendre compte de notre si-
tuation. Au fait, la lecture de l'image, cela s'apprend ;
mais où ? Cette capacité n'est pourtant pas évidente et
n'appartient pas à toutes les cultures.
Donner du sens au Vivre ensemble laïc: à
nous d'agir
J'approuve Shlomo Sand (2) quand il dit :
« Bien sûr, il faut être un assassin cruel et pervers
pour tuer de sang-froid des personnes innocentes et
désarmées, mais il faut être hypocrite ou stupide pour
fermer les yeux sur les données dans lesquelles s’inscrit
cette tragédie. C’est aussi faire preuve d’aveuglement
que de ne pas comprendre que cette situation conflic-
tuelle ira en s’aggravant si l’on ne s’emploie pas en-
semble, athées et croyants, à œuvrer à de véritables
perspectives du vivre-ensemble sans la haine de
l’autre. »
Que fera-t-on de de cette injonction : « Je suis
Charlie » ? Car en tant qu'injonction, elle pose aussi
problème à la liberté d'expression car elle contraint et
empêche de réfléchir.
Je retiens surtout du propos de Shlomo Sand
l’ambiguïté dans laquelle l'occident se trouve, et à quel
point nous devrions cesser de nous mentir surtout à
nos propres yeux, car à l'heure d'Internet, les méthodes
machiavéliennes de conservation du pouvoir éclatent
en morceaux. Le dialogue nécessaire est préférable aux
décrets verticaux.
A nous de créer de nouvelles conditions favori-
sant un Vivre Ensemble laïc effectif , chacun là où il vit
et où il se bat. L'initiative récente à Vesoul de créer un
lieu de dialogue, un « café Charlie » pour « panser les
fractures de l'après Charlie », va dans ce sens , mais la
voie sera longue car selon le Monde les jeunes se réu-
nissent ailleurs et ne se sentent pas invités par « les
gens de la ville » malgré leur besoin de dialoguer. « Ici
on n’est pas Charlie, mais tous on condamne ce qui s’est
passé à Charlie ».
Thierry Lebeaupin
( 1) Français d'origine contrôlée
part 1 : http://tinyurl.com/lah9ydf
Français d'origine contrôlée part 2 : http://tinyurl.com/
po7fv88
(2) Shlomo Sand : http://tinyurl.com/l46sbs4
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