gône et mâchon lyon
DESCRIPTION
Un magazine des étudiants de l'ISCPA Lyon (2012) de 32 pages sur Lyon, capitale de la gastronomie. mais pas seulement.... Découvrez toutes les enquêtes des journalistes de l'ISCPA sur l'alimentation.TRANSCRIPT
Gône
&Mâc
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Gône&MâchonM A K E L I F E T A S T Y
PortfolioIl est arrivé !
Arrière-cuisineLes coulisses d’un bouchon
N°1 NOV.- DÉC.
Patrick Buffet, dit « Minet », charcutier à la Maison Sibilia
spécialités lyonnaises
Tout n’est pas dans lecochonINTERVIEW Têtedoie vs. Viannay
ENQUÊTE Du surgelé dans votre assiette
IDÉES !Lyon s’adapte
47 rue Sergent Michel Berthet69 009 LyonTél.: 04 72 85 71 73Fax.: 04 72 85 71 99
www.goneetmachon.wordpress.com
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Directeur de la rédaction : Alexandre Buisine
Rédacteur en chef :Alexandre Bassette
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Remerciements : Chantal Guyot et Patricia Alexandre du magazine Gault&Millau pour leur aide précieuse
Maquette inspirée du bi-mensuel Gault&Millau
Gône&Mâchon
Alexandre BassetteRédacteur en chef
Ou i ,ma i s encore ?
Éditorial
La gastronomie à Lyon. Regards suspicieux autour de la table. La rédaction a les crocs de bonnes idées, mais c’est la panne. En délocalisant, on pourrait parler de trou normand. C’est juste
un trou noir intellectuel. La gastronomie à Lyon : oui, mais encore ? Les langues se délient. Le mot « bouchon » frémit timidement sur les lèvres. En guise d’amuse-bouche une promenade dans le Vieux-Lyon. Un détour par la rue des Marronniers. Troisième à droite jusqu’à la rue Mercière. Un arrière-goût de tourisme culinaire. Le museau de porc réveille les papilles. Le goût des quenelles traine sur le palais. Un coussin lyonnais sucre la langue pour terminer. Spécialités lyonnaises et autres clichés. Entrée, plat, dessert et sieste digestive conseillée. Oui, mais encore ? Paul Bocuse ! Chef parmi les chefs dans le petit monde de la gastronomie lyonnaise. Gastronomie lyonnaise ? Le sujet n’était-il pas la gastronomie à Lyon ? C’est une piste à suivre. La distinction entre gastronomie lyonnaise et gastronomie à Lyon pimente la discussion : c’est du lard ou du cochon ? Cherchons plus loin. Le Larousse donne cette définition de la gastronomie : « Connaissance de tout ce qui se rapporte à la cuisine, à l’ordonnancement des repas, à l’art de déguster et d’apprécier les mets. » Pour la partie « à Lyon », inutile de fouiller trop loin : il faut juste renouveler sa carte de transports en commun et jeter toutes les autres pour ne pas s’éloigner du centre-ville. Il n’y a plus qu’à ouvrir grand ses papilles et commencer un tour du monde des saveurs. Oui, mais encore ? La gastronomie à Lyon. Vaste sujet...
2 | G&M n°1 novembre-décembre 2012
Sommaire n° 1
n°1 novembre-décembre 2012 G&M | 3
4 Portfolio
6 Amuse-boucheCité de la gastronomieLyon met les petits plats dans les grands
8 So HistoricLyon, capitale de la gastronomieFrise gastrologique
10 Chefs en vueInterview croiséeChristian Têtedoie - Mathieu Viannay
12 Enquête consoAmbiance glaciale dans les assiettes des consommateurs
14 HygièneContrôle qualité
15 So schoolInstitut Paul Bocuse : CV étoilé
16 DossierEntre identité et diversité culinaire
26 FocusLyon à l’heure des nouveaux concepts
27 Enquête tourismeUne savoureuse visite
29 So LyonLa guerre des bouchons
30 Arrière-cuisineUne nuit au « Musée »
32 Quiz
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Pour aller plus loin, rendez-vous
sur goneetmachon.wordpress.com
4 | G&M n°1 novembre-décembre 2012
Portfolio Beaujolais Nouveau
n°1 novembre-décembre 2012 G&M | 5
Terrasses improvisées. Charcuteries bien
disposées. Bouteilles débouchées. Pas
de doute, le Beaujolais Nouveau est
arrivé. « Venez le goûter ! ». « Approchez, approchez ! ». Les commerçants
haranguent la foule. Personne ne sait
vraiment où donner de la tête. Il y aurait
près de 2 500 variétés différentes à
déguster. Alors, il y a ceux qui refusent
poliment, ceux qui acceptent avec plaisir
et ceux, un peu hors sujet, qui préfèrent
des huîtres. « Il a un arrière-goût de banane ? », demande-t-on par habitude.
Plutôt pêche de vigne, selon les dires.
Surtout, il devient vite trop frais. Glacé,
même. Mais ça ne gâche pas la fête.
« L’important, dit-on, c’est de passer un bon moment. » Cette année, petite
production ; moitié moins importante que
l’an passé. Le sens du partage de certains
est si grand que lorsqu’ils apprennent la
nouvelle, ils préfèrent ne pas se resservir
et passer au vin chaud.
Par Alexandre Bassette
Beaujolais’ Day
PHOTOS MAXIME LELONG
6 | G&M n°1 novembre-décembre 2012
La cité de la gastronomie est un
projet à l’initiative de l’Unesco,
qui a ajouté le « repas français »
à son patrimoine immatériel en 2010. La
compétition regroupait au départ six villes.
Lyon, Beaune, Tours, Dijon et Chevilly-
Larue/Rungis sont toujours en compétition.
La sixième, Versailles, a retiré sa candidature
mi-octobre, faute de financements. Elle
est supervisée par la Mission Française du
Patrimoine et des Cultures Alimentaires
(MFPCA), organisme qui a porté le dossier
de candidature du « repas français », et
par le ministère de la Culture. C’est l’une
des obligations de l’État français suite
à l’inscription au patrimoine immatériel
de l’Unesco. Concrètement, la cité de la
gastronomie consiste en la construction,
dans la ville victorieuse, d’un grand
complexe qui aura pour but de « mettre en
valeur le patrimoine alimentaire français ».
Il contiendra de nombreux restaurants,
des marchés, un centre de formation, ainsi
que d’autres établissements entièrement
consacrés à l’art culinaire. Toutes les villes
encore candidates ont été auditionnées
le 15 octobre dernier, au ministère de la
Culture. Elles ont présenté leur projet face à
un jury composé de sept administrateurs de
la MFPCA, dont son président, Jean-Robert
Pitte. Le ministère de la Culture précise
que plusieurs critères ont été examinés.
L’aspect culinaire a bien entendu été pris
en compte, les spécialités de chaque ville
et leur légitimité à concourir dans cette
compétition ayant été observées. La
localisation des villes est aussi un facteur
important. Ainsi, Tours et Chevilly-Larue,
situées à moins d’une heure de Paris, ainsi
que Lyon, de par sa position centrale,
possèdent un avantage. Le jury a également
tenu compte de la faisabilité économique
du projet. Toujours selon le ministère de
la Culture, les résultats définitifs devraient
être connus au mois de janvier prochain,
après un examen détaillé de toutes les
candidatures.
UN PARCOURS DIFFICILE Malgré sa réputation culinaire internationale,
Lyon n’est pas assurée de remporter la
compétition. De nombreuses difficultés
parsèment encore son parcours. En premier
lieu : le problème de financement. Gérard
Succès incertainConsidérée comme la capitale historique de la gastronomie française,
Lyon est en compétition avec quatre autres villes pour accueillir la cité
de la gastronomie. De nombreuses informations, parfois, contradictoires,
circulent sur sa candidature. Décryptage.
TEXTE DAMIEN CORNELOUP
Amuse-bouche
CITÉ DE LA GASTRONOMIE
L’Hôtel-Dieu doit accueillir la cité de la gastronomie en cas de victoire de Lyon.
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Collomb, sénateur-maire socialiste de Lyon,
a déclaré en septembre : « Pas un seul
investisseur privé ne s’est déclaré intéressé
pour participer au projet. » Un projet qui
coûterait au minimum 18 millions d’euros,
selon la mairie. La candidature de Lyon
posait alors question et Gérard Collomb
a longtemps montré peu d’enthousiasme
vis-à-vis de cette compétition. Lors du
rassemblement de soutien au projet
lyonnais, le 5 octobre 2012, des figures de
l’opposition de droite sont même apparues
aux côtés des chefs des Toques Blanches.
Finalement, le maire de Lyon a trouvé un
accord de financement de dernière minute
avec le groupe de BTP Eiffage et s’est posé
en défenseur du projet avant l’audition du
15 octobre. Quinze jours plus tard, Gérard
Collomb dévoile le projet lyonnais : la cité
de la gastronomie sera aménagée à l’Hôtel-
Dieu, et fera partie du projet de rénovation
de cet hôpital historique de Lyon. Le maire
est désormais persuadé que la cité sera
lyonnaise et fait même du financement le
point fort du dossier : « Sans vouloir faire
de mauvaise publicité à certaines autres
villes en compétition, le projet lyonnais,
contrairement à celui d’autres candidats,
est d’ores et déjà financé et peut être mis
en œuvre à court terme. » Néanmoins, ce
projet semble passionner peu de monde
à Lyon. Un manque d’enthousiasme qui
s’expliquerait par le fait que la ville aurait
peu à gagner, mais beaucoup à perdre
financièrement. Déjà considérée par
défaut comme la capitale mondiale de la
gastronomie, elle ne pâtirait que peu de
l’absence de la cité de la gastronomie.
L’incidence sur le tourisme serait
négligeable, car la réputation culinaire de
Lyon ne changera pas, selon les détracteurs
du projet qui le jugent trop coûteux.
Plusieurs articles parus dans la presse
régionale de tout l’hexagone ne manquent
pas de faire des pronostics. Infos ou intox,
on observe que Lyon n’est jamais déclarée
vainqueur. Dijon et Tours seraient en tête,
suivies par Chevilly-Larue qui terminerait le
podium. Gazetteinfo, site d’information de
Côte d’Or, affirme même que la délégation
lyonnaise a fait preuve d’arrogance durant
son audition au ministère de la Culture,
une attitude qui aurait déplu au jury. Des
informations à prendre avec des pincettes,
certes, mais qui pourraient inquiéter la
candidature lyonnaise.
Malgré les obstacles, Lyon reste toutefois
en compétition pour accueillir la cité de la
gastronomie, qui deviendrait assurément
une concrétisation symbolique de la
n°1 novembre-décembre 2012 G&M | 7
LE PROJET LYONNAIS EN CHIFFRES :
18 MILLIONS D’EUROSCoût du projet de la cité de la gastronomie,
dont 15 millions pour l’installation dans
l’Hôtel-Dieu et sa rénovation, financés à
moitié par le groupe Eiffage.
15 000 M²Surface de la potentielle cité de la
gastronomie, qui se situera dans la partie la
plus ancienne de l’hôpital et dont 1 500 m²
seront situés à l’extérieur, en jardin. La cité
se tiendra sur quatre niveaux.
64Nombre de chefs étoilés qui soutiennent le
projet lyonnais, emmenés par Paul Bocuse.
Info
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réputation culinaire historique de la
ville. Sans oublier que la cité deviendra
également la représentation physique de
la qualité de la cuisine française auprès de
l’Unesco.
8 | G&M n°1 novembre-décembre 2012
So HistoricAntiquité : Lugdunum (Lyon), de part sa position centrale détient le
monopole du commerce du vin. Les Romains, en s’y installant
amènent des spécialités de l’Empire. Le cuisinier Septimanus,
qui tenait une auberge à Lugdunum, s’est fait connaître par son
talent à cuisiner, notamment, le cochon.
XVIe siècle : Catherine de
Médicis fait venir des
cuisiniers florentins
pour améliorer la
cuisine française et
Lyon en bénéficie
beaucoup. Les
« abats » (tripes,
etc.) se banalisent
à Lyon pendant
cette époque de
la Renaissance.
L’humaniste Erasme
fait l’éloge de
la gastronomie
lyonnaise : «On n’est
pas mieux traité
chez soi qu’on ne
l’est à Lyon dans une
hôtellerie ».
1532 : François Rabelais, médecin à Lyon, publie
la première édition de « Gargantua »
dans cette ville. Les références culinaires
du célèbre texte sont fortement inspirées
de la cuisine lyonnaise. « Gargamelle
donna naissance à son fils Gargantua
après avoir mangé grand planté
de tripes. » Le texte a contribué à
populariser au niveau national la cuisine
lyonnaise.
1600 : Le mariage entre le Roi
Henri IV et l’Italienne Marie
de Médicis, célébré à
Lyon, contribue davantage
au mariage des saveurs
lyonnaises et italiennes.
1759 : Première mention d’une « mère » lyonnaise
avec la « Mère Guy ». Près d’un siècle plus
tard, sa petite-fille, qui gardera l’appellation
« Mère Guy », sera surnommée « la génie »
1783 : Le premier livre de recettes
de gastronomie lyonnaise
est publié : « La cuisinière
bourgeoise » d’Amable Leroy.
Fin du XVIIIe siècle : L’Italien Spreafico s’installe à
Lyon et y introduit les glaces, qui
deviendront l’une des spécialités
de la ville.
1801 : Joseph de Berchoux publie
un poème précurseur nommé
« Gastronomie ou l’homme des
champs à table », qui fait l’éloge
de l’art culinaire lyonnais. La
réputation de la gastronomie
lyonnaise s’en est trouvée
renforcée avec ce poème.
Début du XIXe siècle : Lyon devient une capitale
majeure de la production
de bière et de pâtes,
concurrençant les pâtes
italiennes.
1837 : Stendhal publie un
éloge de la cuisine
lyonnaise :
« Je ne connais
qu’une chose que
l’on fasse très bien
à Lyon, on y mange
admirablement, et,
selon moi, mieux
qu’à Paris. »
1926 : La première école de
cuisine de France est
créée à Lyon, par les chefs
Marius Vettard et Alain
Mennweg.
1933 : Eugénie Brazier et Fernand
Point obtiennent trois étoiles.
1934 : Le gastronome Maurice
Edmond Sailland, alias
Curnonsky, enchanté par
la cuisine des « mères » et
des bouchons, annonce
que « Lyon est la capitale
mondiale de la gastronomie ».
Une déclaration qui lance la
réputation culinaire de Lyon à
l’international.
Fin XIXe siècle : Les célèbres « mères »
(dont la fameuse Eugénie
Brazier), quittent leurs
foyers pour se mettre
à leur compte. Elles
deviendront un pilier de la
réputation mondiale de la
gastronomie lyonnaise.
n°1 novembre-décembre 2012 G&M | 9
1997 : L’Association de défense des
bouchons lyonnais attribue
désormais un label nommé
« Authentique Bouchon Lyonnais »,
qui identifie les établissements les
plus anciens et les plus typiques.
2012 : Paul Bocuse, qui détient
plusieurs restaurants à Lyon,
opère toujours. De nouveaux
chefs-cuisiniers lyonnais
font vivre la gastronomie
lyonnaise, dont Christian
Têtedoie ou Mathieu
Viannay (héritier de la Mère
Brazier et élève de Paul
Bocuse).
Les années Bocuse
1965 : Paul Bocuse obtient trois
étoiles, qu’il possède
toujours aujourd’hui.
1987 :
Paul Bocuse crée le « Bocuse d’Or », concours mondial pour la cuisine, qui se tient à Lyon.
1989 :
Paul Bocuse est élu « Cuisinier du siècle» et « pape de la cuisine » par Gault et Millau.
1990 : Création de l’Ecole des
Arts Culinaires et de
l’hôtellerie ou Institut
Bocuse. Le Chef en est
président d’honneur.
De l’Antiquité à nos jours,
Lyon a été et reste une ville
majeure dans l’art culinaire.
Quels sont les évènements qui
ont fait la réputation de la ville ?
Comment a-t-elle obtenu son titre
de « capitale mondiale
de la gastronomie » ?
Élements de réponses.
TEXTE DAMIEN CORNELOUP
INFOGRAPHIE GUILLAUME BERNILLON
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10 | G&M n°1 novembre-décembre 2012
Chefs en vue
Christian Têtedoie
«Il y a tellement d’offre que les gens sont de plus en plus
exigeants »Pourquoi la ville de Lyon est-elle
considérée comme capitale de la
gastronomie ?
Christian Têtedoie : Lyon a une histoire
tellement chargée que le statut de capitale
de la gastronomie s’impose naturellement.
Nous avons eu à travers les siècles, de
nombreuses personnes qui se sont chargées
justement de créer une cuisine particulière,
de goût et généreuse, à base de produits
simples. Ensuite, il y a un garde-manger
autour de la ville assez exceptionnel ! Où
que l’on se tourne, en Ardèche, dans l’Ain,
etc., il n’y a que des beaux produits.
Mathieu Viannay : On a de la chance
car Lyon se trouve dans un carrefour
géographique avec une multitude de
produits. On a une région très riche avec
beaucoup d’appellations contrôlées, que
ce soit pour les vins avec la Bourgogne, le
Beaujolais au nord, la vallée du Rhône au
sud, même les vins de Savoie à l’est. Pour
les produits, on peut trouver toutes sortes
de fromages, la volaille de Bresse dans
l’Ain, il y a les légumes et les fruits dans la
vallée du Rhône, l’Auvergne à côté. On a de
beaux produits et donc de bons restaurants.
Les gens ont toujours eu cette tradition de
la table et de se retrouver à table. On dit
d’ailleurs : « À Lyon, au travail on fait ce que
l’on peut mais à table on se force. » C’est
un peu ça.
Lyon se base sur la tradition de la
gastronomie française, pourtant, on
observe une montée des bistrots face
aux bouchons traditionnels. Comment
expliquez-vous cette évolution ?
C.T. : Forcément les cuisiniers sont très
attachés à surligner la sélection de leurs
clients. Aujourd’hui, on s’aperçoit que
les gens n’ont pas forcément toujours
les moyens d’aller dans les restaurants
gastronomiques alors beaucoup de chefs
ouvrent des bistrots, qui se situent entre le
bouchon et le restaurant gastronomique.
Ce sont des endroits avec d’autres types
de cuisine, des produits plus simples,
donc avec un goût et une matière moins
importants.
M.V. : L’un n’empêche pas l’autre, c’est
normal. Les gens ont besoin de diversité.
Il y a beaucoup de jeunes qui ont ouvert
de superbes bistrots. Enfin, « faire de la
bistronomie », ça ne veut rien dire. C’est
toujours de la cuisine. Ce sont des jeunes
qui ont travaillé dans de grandes maisons,
qui ont appris dans des restaurants étoilés
et qui font partager leur savoir souvent avec
un bon rapport qualité-prix.
Pour un chef qui vient s’installer à Lyon,
faut-il vraiment s’approprier les codes
des bouchons et des traditions de Lyon ?
C.T. : Ça me parait important. Le client
qui vient de l’international a quand même
envie de découvrir cette fameuse cuisine
lyonnaise et je crois que c’est le rôle d’un
chef d’auto-promouvoir son terroir.
M.V. : Pas du tout ! Je pense qu’il doit déjà
PROPOS RECUEILLIS PAR EMILIE LAMINE
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s’approprier lui-même et faire quelque
chose de cohérent dans sa cuisine, qui doit
être en adéquation avec son lieu, la salle
et l’ambiance. Quand je suis arrivé à Lyon,
je n’avais travaillé chez aucun chef et j’ai
toujours fait ce que j’avais envie de faire.
Il y a de la place pour tout : modernité et
tradition dans la modernité. L’important,
c’est de ne pas tricher avec les produits et
leur qualité.
Quel sera l’atout d’un nouveau chef,
non Lyonnais ? S’il doit garder ces
codes-là, que peut-il réinventer dans la
gastronomie lyonnaise ?
C.T. : Ce n’est pas gênant de garder ces
codes, la cuisine française est toujours en
mouvement et se reconstruit constamment.
On dit que les cuisiniers français sont
prétentieux, pour moi c’est une grosse
erreur. Ils ont toujours eu l’œil aguerri pour
L’un rêvait de devenir
cuisinier à onze ans, en
découvrant l’ouvrage
« La cuisine du marché »
de Paul Bocuse ; l’autre
a repris en 2008, l’un des
restaurants pilier de la
ville de Lyon, La mère
Brazier, dans le quartier
de la Croix Rousse. Les
deux chefs cuisiniers,
Christian Têtedoie et
Mathieu Viannay nous
parlent de l’évolution de
la gastronomie dans la
ville de Lyon.
n°1 novembre-décembre 2012 G&M | 11
Mathieu Viannay « La gastronomie à Lyon,c’est la cuisine, ce n’est pas la cuisine lyonnaise »
prendre ce qu’il y avait de meilleur ailleurs
et la capacité de repuiser dans la tradition
pour mieux moderniser nos plats.
M.V. : Il pourra trouver des produits
merveilleux, donc faire une cuisine
merveilleuse, quel que soit son style de
cuisine. C’est vraiment la base.
Trouvez-vous que ce soit le cas à Lyon ?
Quels sont les exemples ?
C.T. : Oui, regardez le succès de Joseph
Viola qui est Meilleur Ouvrier de France.
Il a choisi de se mettre justement dans la
formule bistrot. Il fait une très jolie cuisine
et ça marche très bien.
M.V. : Il y a plein de jeunes comme au Jean
Moulin, sur les quais, ou le Palégrié. Ce sont
des bistrots qui ont ouvert il y a un an. Ces
jeunes ont créé de belles maisons et se sont
approprié leurs restaurants, souvent avec
des cartes très courtes. Ils sont très bons.
Aujourd’hui, y a-t-il une demande
différente des clients, dans le choix des
menus par exemple ?
C.T. : C’est tellement en mouvement que
c’est difficile de le dire. Je suis installé
depuis bientôt trente ans et j’ai vu l’envie
des gens changer constamment. C’est à
nous de nous adapter très rapidement à ces
nouvelles tendances. Donc effectivement
cela peut se traduire par de nouveaux plats
et de nouvelles formules au menu.
M.V. : La demande va surtout vers des beaux
produits et évidemment un bon rapport
qualité-prix parce que l’on vit une période
assez compliquée économiquement. Les
gens ont toujours envie de découverte et en
même temps besoin de repères. On change
nos menus à chaque intersaison, en fonction
des périodes, des racines, des truffes, des
légumes de printemps, etc. Seuls quelques
plats restent.
En ce moment, que faut-il adapter le
plus ?
C.T. : On arrive à un moment où il y a
tellement d’offre que les gens sont de plus
en plus exigeants. La difficulté est de faire
des cartes qui soient attractives, aussi bien
au niveau des prix que dans la qualité de la
carte. Des plats qui soient à la fois dans la
tradition mais aussi dans la modernité.
M.V. : Je ne sais pas. L’important c’est le
travail, il n’y a que cela qui fasse réussir. Si un
jour vous vous levez en vous disant que c’est
gagné, c’est que ça commence à être perdu.
Est-ce plus difficile à Lyon ?
C.T. : Absolument. Lyon est une ville
traditionnellement réputée pour être
justement une cité expérimentale. Quand
une firme agro-alimentaire lance un nouveau
produit, elle le lance d’abord dans la région
parce que les clients sont exigeants. Si ça
passe à Lyon ça passera partout. Mais le
contraire peut aussi arriver.
M.V. : Oui, car il y a une clientèle de
connaisseurs donc ce n’est pas simple. Par
contre, je pense que si on réussit ici, on peut
réussir ailleurs.
La gastronomie à Lyon, ce n’est pas
seulement la gastronomie lyonnaise ?
C.T. : Alors là vous avez parlez d’un mot :
gastronomie... Il faut plutôt parler de
cuisine. La différence est importante parce
que la cuisine française est à mon avis une
des seules qui puisse se targuer d’être
gastronomique. Tant qu’on parle de cuisine,
qu’elle soit française ou pas, si elle est bien
faite, elle a sa place à Lyon.
M.V. : La gastronomie à Lyon, c’est toute la
cuisine, pas seulement la cuisine lyonnaise.
On peut faire de la cuisine contemporaine
ou autre. Mais on est proche de terroirs,
donc on utilise des produits de notre région.
Cela ne nous empêche pas de sortir du
registre traditionnel lyonnais.
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L’un rêvait de devenir
cuisinier à onze ans, en
découvrant l’ouvrage
« La cuisine du marché »
de Paul Bocuse ; l’autre
a repris en 2008, l’un des
restaurants pilier de la
ville de Lyon, La mère
Brazier, dans le quartier
de la Croix Rousse. Les
deux chefs cuisiniers,
Christian Têtedoie et
Mathieu Viannay nous
parlent de l’évolution de
la gastronomie dans la
ville de Lyon.
12 | G&M n°1 novembre-décembre 2012
Enquête conso
Le surgelé refroidit les consommateursLivraisons et produits
surgelés, bons
ou mauvais.
Le milieu de la
restauration est
parfois loin de ce que
le consommateur
imagine, même si tout
le monde n’est pas à
mettre dans le
même sac.
P lus de 60 producteurs de fruits et
légumes sur 35 000 m2 de surface.
Il s’agit du second marché de gros
alimentaire de France : Lyon-Corbas.
Facile alors d’imaginer les chefs lyonnais
se ruer sur les étals, choisir avec soin fruits
et légumes avant de retourner en cuisine
mijoter un plat pour le service du midi. La
réalité est souvent toute autre. Six heures
du matin. Des camionnettes investissent
les rues lyonnaises. Les commis s’activent
déjà en cuisine. Pourtant, aucune
casserole n’est encore sur le feu. Les bras
disponibles s’activent pour décharger les
produits commandés.
Renseignements pris, à l’ère du « tout
plus rapide » de nombreux restaurateurs
préfèrent se faire livrer. La pratique est
très courante. Produits bruts ou élaborés,
les catalogues des fournisseurs sont
inépuisables. On trouve de tout. Les
raisons de cet engouement : facilité et
fiabilité dans l’approvisionnement et gain
de temps et d’argent. Parmi ces produits,
du frais, mais aussi du surgelé. Une
surprise pour bien des consommateurs.
Si certains restent indifférents, d’autres
se disent déçus. « Je vais au restaurant
pour manger des produits de qualité. »
Aurélien Gourrat, chef cuisinier du
restaurant Le Potiquet joue dans le camp
des produits frais : « Pour moi, c’est une
ligne de conduite. J’aurais du mal à avoir
des plats de qualité avec du surgelé. »
Aucun doute, le surgelé a mauvaise
image.
Mais pour un collaborateur de Davigel,
fournisseur de produits surgelés du
groupe Nestlé, qui a tenu à garder
l’anonymat : « C’est une question de
génération et d’habitudes, d’image,
mais pas de goût. » L’erreur reposerait
sur la distinction avec le congelé, une
méthode de conservation plus tardive qui
TEXTE PRISCYLLIA CANABATE
Le plus gros inconvénient avec les produits frais : leur conservation
RepèresUn produit « surgelé » doit respecter
quatre conditions :
> le refroidissement doit être précoce,
immédiatement après la fabrication d’un
plat cuisiné ou quelques heures après la
récolte d’un légume
> le refroidissement doit être rapide à très
basse température (-30 °C à -50°C)
> aucune transformation ultérieure n’est
autorisée sur un produit surgelé
> la température de conservation doit être
inférieure à – 18°C
La surgélation permet de garantir la
sécurité sanitaire, les valeurs nutritionnelles
et le goût des produits.
La congélation est simplement l’équivalent
domestique avec un refroidissement moins
rapide à une température moins froide.
n°1 novembre-décembre 2012 G&M | 13
Le surgelé refroidit les consommateurs
ne garantit pas les bienfaits nutritionnels
et gustatifs du produit (lire Repères).
« Les surgelés peuvent être très bons.
Nous sélectionnons avec attention nos
fournisseurs. 60% des produits sont
d’origine France et chaque lot subit une
série d’analyse pour s’assurer de leur
qualité. Après, tout dépend comment ils
sont cuisinés. Pour le consommateur, il
vaut mieux un produit surgelé bien préparé
plutôt que des produits frais, congelés
par le restaurateur, qui risqueraient de
devenir secs, de perdre leur goût, voire
leurs valeurs nutritionnelles. » Quant à en
apprendre un peu plus sur l’étendue du
marché du surgelé à Lyon : impossible.
« On ne peut distinguer les restaurateurs
qui achètent du surgelé pour les repas
des employés ou juste pour quelques
ingrédients, de ceux qui basent leur
cuisine exclusivement sur ces produits »,
explique l’employé de Davigel.
Focus
Qui peut devenir maître-restaurateur ?
Tout restaurateur peut demander à
bénéficier du titre. Il doit simplement
être le dirigeant d’une entreprise de
restauration traditionnelle et répondre à de
nombreuses exigences et critères fixés par
le cahier des charges.
Les règles concernent la formation du
candidat, l’origine et la transformation
des produits utilisés, la décoration,
l’aménagement intérieur et extérieur du
restaurant ainsi que le respect des règles
d’hygiènes.
Ce cahier des charges impose une cuisine
« authentique » réalisée sur place avec
une majorité de produits frais (90%), ne
recourant pas à l’assemblage ou à des
plats déjà préparés.
L’ensemble de ces points sont vérifiés au
moyen d’un audit réalisé par un organisme
certificateur déclaré, indépendant de l’Etat,
comme des entreprises de restauration.
CONFUSION À LA CARTEAlors, comment savoir ce qui est servi
dans l’assiette ? Difficile de distinguer
un produit frais et préparé sur place,
d’un surgelé de qualité, brut ou élaboré.
Pour pallier au problème, l’État et les
représentations professionnelles créent
en 2007 le titre de Maître Restaurateur.
« C’est la garantie pour le client que
la cuisine est faite sur place, par un
professionnel », résume Patricia de
Figueirédo, de l’association française
des Maîtres Restaurateurs. Pour obtenir
le titre, les conditions sont nombreuses
(lire Focus). Parmi elles, l’établissement
s’engage à utiliser moins de 10% de
produits surgelés. « Cela nous permet
de nous différencier, explique Aurélien
Gourrat du Potiquet, de distinguer ceux
qui font la cuisine et les autres. » Un
autre restaurateur titré tempère : « C’est
surtout une manière d’être reconnu sans
adhérer à des associations telles que
les Toques Blanches ou les Gueules de
Lyon, avant de souffler que, le crédit
d’impôt qui accompagne le titre n’est pas
négligeable. » En effet, le restaurateur voit
le montant de ses impôts réduit à hauteur
de la moitié des dépenses nécessaires à
la mise en conformité, avec le cahier des
charges de Maître Restaurateur. Pourtant,
la mesure ne convainc pas tout le monde.
À Lyon, ils sont seulement 12 à porter
ce titre, mais bien plus à ne pas utiliser
exclusivement des produits surgelés.
Maître restaurateur. Maître rôtisseur.
Meilleur ouvrier de France. Etc. Au
milieu de toutes ces reconnaissances, le
consommateur est perdu. Pour clarifier la
situation et permettre une lecture claire
du type de produits utilisés, en 2011
le député UMP Fernard Siré propose
d’inscrire sur la carte si les plats proposés
sont préparés sur place et à base de
produits frais et bruts. Mais rien n’a
encore été fait. Reste à déterminer ce qui
est le plus important dans une sortie au
restaurant : ne manger que des produits
frais ou partager un bon moment.
Photo : Priscyllia Canabate
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Une fois préparé, difficile de distinguer le frais du surgelé
Hygiène
14 | G&M n°1 novembre-décembre 2012
CHIFFRES-CLÉS
> 600 restaurants contrôlés
dans le Rhône en 2012
> 30 avertissements concernant
le nettoyage ou les travaux à effectuer
> 40 procès-verbaux suite
à des manquements en matière d’hygiène
> 2 fermetures provisoires,
avec obligation de remettre les locaux
en état avant réouverture
> 150 avertissements, suivis
d’un nouveau contrôle.
Un contrôleur peut arriver à
n’importe quel moment dans
les restaurants lyonnais, seul,
parfois accompagné. Il ne s’agit pas de
vérifier si le carrelage brille ou que les
clients sourient. Tout est passé au peigne
fin : locaux, détails de l’addition, hygiène
du personnel, températures de stockage,
denrées alimentaires et déchets.
De l’origine des viandes aux plans de travail
abimés par les casseroles, chaque détail
compte. Mais d’après Serge Capovilla,
inspecteur des fraudes au service protection
de la qualité de l’alimentation à la
distribution, à la Direction départementale
de la protection des populations (DDPP),
du Rhône : « Il y a peu de problèmes en
général. Les restaurants s’autocontrôlent et
justifient cela par une formation d’hygiène
alimentaire obligatoire depuis 2011. Donc
lorsque l’on passe, la plupart des choses
sont réglées. Il reste souvent des petites
broutilles. » Les restaurateurs peuvent
contacter des prestataires privés, afin
d’éviter tout problème, en attendant un
contrôle du bureau d’hygiène.
Sans surprise, le défaut de nettoyage est
le plus souvent relevé par les contrôleurs.
En ce qui concerne les problèmes
d’aliments : « Les services d’hygiène
viennent plutôt après une plainte »,
constate le gérant du restaurant les Pavés
de Saint Jean. Pour lui, « ces contrôles ne
sont pas un problème. Au contraire ! Cela
nous permet de nous rendre compte si l’on
est aux normes et irréprochables face à nos
clients. ».
L’ÉTÉ, C’EST CHAUDC’est pendant la période estivale que
les casseroles tremblent le plus. Du fast-
food au bouchon, aucune exception
Bien manger, ce n’est pas suffisant. Les restaurateurs sont soumis à de
nombreuses obligations vérifiées par des contrôles fréquents.
TEXTE EMILIE LAMINE
n’est faite ! Les peines encourues passent
d’une amende de 1 500 € à une fermeture
temporaire. Une tromperie sur les produits
peut même aboutir à 37 500 euros
d’amende et à la prison avec sursis.
« Il semble, au vu des plaintes que nous
recevons, que les consommateurs sont de
plus en plus attentifs à la qualité », souligne
Hélène Brocheton de la DDPP. Un constat
confirmé par Anne Dupraz, de la CCI
formation : « Vu le nombre d’émissions
culinaires existantes, les consommateurs
sont plus sensibles aux problèmes
d’hygiène. » Pourtant, 150 plaintes ont été
enregistrées en 2011, contre environ 120
en 2012. Mais l’année n’est pas terminée et
ces chiffres ne prennent pas en compte les
signalements anonymes ou téléphoniques.
Conforme sous toutes les formes
Après chaque préparation : nettoyage du plan de travail
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Uniformes blancs. Dos bien droits.
Ustensiles et plans de travail
impeccables. Des réponses qui
fusent : « Oui, chef. » Si cela ressemble
à la cuisine d’un grand restaurant en
plein service, il n’en est rien. Ici, à part le
professeur, ils sont tous élèves et sont là
pour apprendre.
Le bachelor Arts Culinaires de l’Institut
Paul Bocuse, IPB pour les intimes, accueille
chaque année 75 apprentis originaires du
monde entier. Ils viennent chercher ce qui
a fait la renommée du chef français aux
quatre coins de la planète : l’excellence et la
rigueur. Mais ce n’est pas tout.
« Le nom de Bocuse joue beaucoup sur
le CV, confie Hadrien Piscioneri, diplômé
l’an dernier, ça retient l’attention d’un
employeur. Ne pas l’avoir n’empêche pas
de trouver du travail, mais tout dépend de
ce que l’on veut. Si on vise l’excellence ou
la normalité », tranche-t-il. Car l’institut ne
raisonne pas que sur un nom célèbre. La
DRH d’un groupe hôtelier, auquel appartient
un restaurant étoilé de Lyon, confirme :
« C’est une bonne école ». Mieux que les
autres ? Catherine François, proviseur-
adjointe au lycée Hélène Boucher, qui
forme au CAP cuisine, conteste : « Les bases
sont les mêmes pour tout le monde. » Une
position qui ne convainc pas l’autre camp.
« C’est comme si l’on comparait un CAP et
un master en marketing, ironise Géraldine
Derycke de l’IPB, c’est le même domaine
mais ce n’est pas le même niveau. Chez
nous, les bases sont étudiées en version
accélérée pour laisser le temps d’aller plus
loin. Sans parler de l’enrichissement que
confèrent les rencontres avec de grands
professionnels. » Elle souffle le nom d’Alain
Cossec, Meilleur Ouvrier de France et star
de l’équipe enseignante.
Cours de cuisine traditionnelle et
gastronomique, travail de produits de
qualité, mise en pratique dans le restaurant
d’application et cours théoriques de
comptabilité, de gestion ou encore de
marketing. « La formation est très complète
et donne toutes les clés pour réussir
dans cette profession », résume Hadrien
Piscioneri. « Mais l’expérience prédomine,
renchérit-il, c’est un milieu où tout le monde
se connaît, où le recrutement passe par le
bouche-à-oreille. » Pour Géraldine Derycke :
« Le nom de Bocuse ne fait qu’ouvrir des
portes. On attend des diplômés d’être à la
hauteur, de faire leurs preuves. C’est presque
plus dur pour eux. La barre est placée très
haut. Ils doivent montrer leur volonté. »
Au final, un diplôme d’arts culinaires et
management de la restauration, un titre
de responsable en cuisine et restauration
gastronomique, tous deux griffés au nom du
chef lyonnais, sont délivrés par l’IPB. Sous
ces appellations pompeuses, un diplôme
auréolé de prestige pour lequel il faut
débourser plus de 30 000 € en trois ans ; loin
du classique CAP cuisine, gratuit ou financé
par l’alternance.
Entre volonté et ressources financières,
inscrire le nom de Bocuse sur son CV n’est
pas donné à tout le monde.
n°1 novembre-décembre 2012 G&M | 15
Inscrit en lettres capitales sur un CV, le nom de Paul Bocuse ouvre des
portes aux étudiants de l’Institut, qui se referment si l’on ne se montre pas
à la hauteur.
N’est pas Bocuse qui veut
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Les étudiants de l’Institut Paul Bocuse ont des étoiles plein les yeux
So school
TEXTE ALEXANDRE BASSETTE
16 | G&M n°1 novembre-décembre 2012
Dossier
Lyon ne rime pas qu’avec bouchon
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n°1 novembre-décembre 2012 G&M | 17
Dans le paysage lyonnais,
la gastronomie s’impose
depuis des siècles comme une
institution majeure.
Entre tradition et cuisines
du monde, la ville profite
à la fois d’une diversité
peu comparable, et d’un
attachement constant de sa
population à la culture
de la table.
TEXTE MORGANE BULAND & JULIE MORISOD
Ambiance typique, plats
typiques, déco typique :
le vrai bouchon lyonnais
18 | G&M n°1 novembre-décembre 2012
Dossier
«Lyon, capitale mondiale de
la gastronomie ». Cette
affirmation, lâchée en 1934
par le célèbre critique gastronomique
Maurice Edmond Sailland alias Curnonsky,
reste aujourd’hui encore ancrée dans
l’image de la ville. Car Lyon et la cuisine,
c’est effectivement une histoire d’amour
qui dure, et ce, depuis plusieurs siècles.
D’abord du fait de sa très enviable position
géographique. Dotée d’une longue tradition
marchande, Lyon constituait autrefois le
principal lieu de commercialisation des
productions traditionnelles de la région.
« Ce sont ces produits qui ont permis à la
ville de développer une gastronomie »,
affirme François Mailhes, journaliste et
critique gastronomique à Tribune de Lyon.
Volaille de Bresse dans l’Ain, poissons et
grenouilles des Dombes et de la Saône,
vaches charolaises, fromages de Savoie.
Du côté des vignobles, même constat,
des côtes du Rhône au Beaujolais en
passant par le Mâcon et le Bourgogne.
Un apport varié et de qualité. Centre
de convergence des produits, Lyon se
situe également sur la route des grandes
tables : « Avec Bernard Loiseau à Saulieu,
Fernand Point à Vienne, Anne-Sophie Pic
à Valence, Lyon est devenue un centre
gastronomique, car les gens voyageaient et
s’y arrêtaient », explique François Mailhes.
Mais si aujourd’hui l’identité culinaire
lyonnaise reste incontestable, la ville est
désormais bien loin de se limiter à sa seule
gastronomie de terroir.
COUPS DE CŒUR EXOTIQUESCritique gastronomique et ancien patron du
Guide Michelin, Jean-François Mesplède
le souligne : « Il serait réducteur de
limiter la ville aux bouchons, de la même
manière qu’il serait réducteur de limiter la
Bretagne aux crêperies, et Strasbourg aux
Winstub. » Car à Lyon, il est bel et bien
possible de manger de tout. Toulousain
d’origine tombé amoureux de Lyon, Jean-
François Mesplède, qui a testé près de
300 restaurants cette année recense dans
la ville plusieurs bonnes adresses Cuisine
du Monde, essentiellement asiatiques. Il
choisit ainsi le vietnamien “Hong ha“ dans
le Vieux Lyon, les Japonais de “Chez Terra“
dans le 6e arrondissement, ou encore “Do
Mo“ quai Rambaud.
Mais le Proche-Orient n’est pas en
reste. François Mailhes par exemple ne
tarit pas d’éloges sur son repas chez
“Alyssaar“, un restaurant syrien situé dans
le 1er arrondissement. « C’est une cuisine
orientale méditerranéenne assez franche
sur les goûts, qui à un côté explosif. J’aime
beaucoup. »
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Les étals lyonnais regorgent de spécialités venues des quatre coins du monde
À Lyon, certains établissements exotiques
sont même devenus des institutions. À
l’image de l’épicerie fine “Bahadourian“,
dont la famille arménienne du même nom
s’est installée en 1929 après avoir fui le
génocide. Située dans le quartier très
cosmopolite de la Guillotière, l’épicerie
recèle de nombreux trésors du Proche-
Orient et de la méditerranée. Preuve de
son intégration dans le patrimoine lyonnais,
Bahadourian possède également une
succursale aux Halles de Lyon.
LE PARADOXE ITALIENAu cœur de ces cuisines d’ailleurs, la
plus représentée reste sans doute l’Italie.
« 50% de la cuisine étrangère à Lyon est
italienne », selon Augusto Barro Santos, chef
du restaurant “Augusto“, situé rue Neuve.
D’origine brésilienne et formé à l’Institut
Paul Bocuse, il est passé par Troisgros ou
encore par la grande table italienne “Dal
Pescatore“ à Mantoue. Aujourd’hui, il met
un point d’honneur à fabriquer ses pâtes et
son pain lui-même.
Mais pour Augusto, quantité ne rime pas
avec qualité. « La plupart des établissements
italiens choisissent la facilité, en proposant
des plats préparés à l’avance » précise-t-il.
S’ajoutent à cela des pizzerias et diverses
enseignes de restauration rapide.
Pour l’heure, ils ne seraient donc que
quatre ou cinq à proposer une cuisine
italienne de gastronome. Un paradoxe.
« Lyon est attachée à l’Italie depuis le XVIe
siècle et il est assez étrange que sa bonne
cuisine ne soit pas plus présente à Lyon.
Même si cela commence à venir » indique
François Mailhes, qui apprécie toutefois
de dîner chez “Due by Maurizio“, dans le
9e arrondissement.
Jean-François Mesplède recommande quant
à lui “Domo de Jana“, une épicerie comptoir
sarde située dans le 7e arrondissement, où
l’on peut manger sur place et à des prix très
abordables. Originaire de la Sardaigne, le
gérant Laurent Uras commence d’ailleurs à
se faire un nom. « Au départ, ma clientèle
était composée des personnes du quartier,
et par la communauté sarde qui réside
autour de Lyon (3 000 foyers d’après lui
dans le Grand Lyon, ndlr). Mais de plus en
plus de Lyonnais d’autres quartiers viennent
par curiosité pour goûter, voire acheter ces
produits exotiques qu’ils ne peuvent trouver
ailleurs », se réjouit-il. “Domo de Jana“
est ainsi l’unique épicerie sarde de Lyon à
proposer des produits de la mer Appellation
d’Origine Contrôlée (AOC), des fromages
et autres charcuteries, tous droits importés
de l’île italienne. « Des restaurateurs
commencent à nous contacter », affirme le
gérant.
LYON ET SES SPÉCIFICITÉSAu-delà des bouchons, c’est donc tout
un melting pot culinaire qui s’exerce à
Lyon, offrant ainsi un large panel aux
consommateurs. Pour Jean-François
Mesplède, c’est même cette diversité qui
contribue à « renforcer l’identité culinaire de
la ville, et la positionne comme une place
forte de la gastronomie ».
D’autant plus qu’à Lyon, la tradition n’est
pas en reste. Le succès touristique des
bouchons, une « cuisine de folklore »,
mais bonne selon François Mailhes, en est
l’exemple. « Il y a de tout à Lyon, mais la
ville a réussi à préserver ses restaurants
traditionnels, sa cuisine populaire à base
d’abats. » Ce qui n’est pas le cas partout :
« Il y a par exemple beaucoup moins de
friteries à Lille, alors qu’auparavant c’était
une institution. Finalement, peu de villes
ont gardé leurs restaurants de terroir »
assure François Mailhes.
Et loin de se limiter aux papilles, la diversité
de la cuisine à Lyon s’applique aussi au
porte-monnaie. « On peut satisfaire tous les
appétits, à tous les prix, ce qui est un cas
unique en France » indique Jean-François
Mesplède avant de poursuivre : « Il y a
évidemment beaucoup de restaurants de
qualité dans d’autres villes européennes,
italiennes en particulier ou nordique. Mais
ce n’est pas certain qu’il y ait cette même
diversité lyonnaise, avec ces bistrots de
quartier où l’on mange bien et à des prix
raisonnables, jusqu’au restaurant triplement
étoilé. Ailleurs, il y a peu d’intermédiaires ».
Stratégiquement concentrés dans le centre-
ville, la plupart des restaurants de Lyon sont
enfin facilement accessibles, aussi bien
pour les Lyonnais que pour les touristes.
En termes de gastronomie, l’atout de la
cité des Gônes réside également dans
sa clientèle. Comme le dit un vieil adage
lyonnais, « Au travail on fait ce qu’on peut,
mais, à table, on se force. » A Lyon, manger
fait partie intégrante des habitudes et des
coutumes. « Il y a des villes où les gens vont
plutôt au cinéma, ou au bistrot. Ici, ils
De la Mère Brazier àMathieu Viannay
Bien qu’aujourd’hui, on ne recense qu’une femme étoilée dans la région Rhône-Alpes,
la cuisine traditionnelle lyonnaise était dès le début du XVIIIe siècle une affaire de
femmes. Les Mères sont sans conteste à l’origine de la réputation gastronomique de
Lyon. Au départ cuisinières des grandes familles bourgeoises, la plupart décidèrent
par la suite d’ouvrir leurs propres établissements. Pour n’en citer qu’une : la Mère
Brazier, première femme à obtenir trois étoiles au Guide Michelin en 1933, avec son
restaurant éponyme de la rue Royale. Mathieu Viannay l’a repris en 2009 revisitant les
recettes phare de l’établissement devenu une institution. « La poularde demi-deuil res-
semble beaucoup à celle de la Mère Brazier quand on la présente en salle, mais on est
sur un autre type de cuisson, avec une sauce différente, des petits légumes croquants.
Même principe avec l’artichaut au foie gras ». Comme beaucoup de chefs de sa géné-
ration, Mathieu Viannay travaille autour du tandem tradition/innovation.
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20 | G&M n°1 novembre-décembre 2012
Dossiervont au restaurant. Les habitants conservent
une gastronomie parce qu’ils la pratiquent
et la fréquentent », affirme François
Mailhes. Un avis partagé par Jean-François
Mesplède : « Ces habitudes sont instaurées
depuis l’époque romaine, quand la ville
était une place forte du commerce. C’est la
seule ville que je connaisse où quand on est
à table, on continue de parler cuisine ». Les
tables lyonnaises font aussi bien souvent
office de lieux de négociations. « Dans
beaucoup de villes, on va au restaurant
pour sceller un contrat, alors qu’à Lyon, les
contrats se discutent à table », ajoute-t-il.
DES ATTACHES VARIÉESPourtant, comment affirmer que l’ensemble
des Lyonnais possède ces attaches
communes à la culture de la table, quand
on sait qu’ils sont loin de constituer une
clientèle homogène ?
Avec 30% des habitants dont l’âge est
compris entre 15 et 29 ans, et d’historiques
flux migratoires, Lyon est tout d’abord
une ville jeune, étudiante et cosmopolite.
La population lyonnaise compte en effet
11,4% d’immigrés, soit trois points de plus
que la moyenne nationale. Très dynamique,
la ville possède également un fort taux de
renouvellement. Ainsi, plus d’un tiers des
Lyonnais recensés en 2006 n’habitaient pas
Lyon auparavant. 38% de ces nouveaux
Lyonnais venaient même d’une autre région
de France. Mais pour François Mailhes, « à
partir du moment où l’offre est importante,
les gens qui viennent d’ailleurs adoptent
cette habitude lyonnaise du restaurant. Ici,
cette offre est telle qu’il est impossible de
passer à côté, bien plus qu’ailleurs. ».
Loin de se contenter de remplir les salles,
la population exerce même des influences
sur l’implantation des établissements. « S’il
commence à y avoir de vrais restaurants
japonais et plus seulement des bars à
sushis, c’est parce que des Japonais se sont
installés à Lyon. Ils constituent un petit fond
de clientèle qui leur permet de vivre, avant
qu’arrive la clientèle lyonnaise » explique
François Mailhes.
UNE VILLE DE CHOIX POUR LES JEUNES CHEFSGrâce à sa clientèle, la ville possède
également un réel pouvoir d’attractivité
auprès des jeunes chefs de tous horizons
qui décident de se lancer. Formés pour la
plupart dans des établissements étoilés,
nombreux sont ceux qui délaissent les tarifs
exorbitants de la capitale. « Les meilleurs
représentants de la gastronomie à Lyon,
qu’ils s’appellent Philippe Gauvreau, ou
encore Mathieu Viannay, n’en sont pas
originaires. La ville possède une attirance
unique pour ces cuisiniers qui veulent bien
faire leur métier », affirme Jean-François
Mesplède. Parmi eux, Tsuyoshi Arai, issu
de la réputée école de cuisine de Tokyo. Sa
passion le conduit rapidement à s’envoler
pour l’Hexagone. Il commence par ouvrir
un premier établissement, “Au 14 février“
dans la commune de Saint-Valentin. Puis,
« attiré par les grands chefs étoilés » comme
il l’explique, c’est tout naturellement
qu’il choisit Lyon en 2009 pour ouvrir son
deuxième restaurant du même nom, dans le
quartier Saint-Jean. Alliant cuisine française
et japonaise, il travaille les produits de la
région et les cuisine avec tout l’art et la
technique d’un chef japonais. Le succès est
d’ailleurs au rendez-vous, puisque les douze
couverts de sa minuscule salle de la rue
Dans son restaurant, le chef Tsuyoshi Arai mêle produit du terroir et art de la cuisine japonaise
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n°1 novembre-décembre 2012 G&M | 21
Une chose est sûre : la terre lyonnaise est fertile. De l’étoi-
lé à la restauration rapide, les établissements prennent
racines. Les chiffres le prouvent. Au delà de Lyon c’est
toute la région Rhône-Alpes qui accroît cette culture locale. En
l’espace de dix ans, le nombre de restaurants a augmenté de 23%,
soit un total de 17 594 restaurants en 2011. Une hausse due en
majeure partie à la restauration rapide. Une étude menée en 2010
par des étudiants de l’Université Lumière Lyon 2, en collaboration
avec la CCI, révèle que l’allongement de la distance travail-do-
micile a accentué le développement de la restauration rapide.
En toute logique, cette catégorie de restaurants a explosé dans
la région qui compte 5 119 établissements où l’on mange sur le
pouce (soit une augmentation de 137% entre 2000 et 2011). La
région lyonnaise demeure également une place forte de la gastro-
nomie par son nombre de restaurants étoilés : cinq « 3 étoiles »,
18 « 2 étoiles » et 50 « 1 étoile ». Un palmarès qui place la région
Rhône-Alpes en deuxième position derrière l’Ile de France. Un
classement presque anecdotique, car la région parisienne est deux
fois plus peuplée que son homologue rhônalpine.
Un succès qui reste à relativiser pour une capitale de la gastrono-
mie. En termes de services, la restauration représente seulement
3,2% du total rhônalpin. Une bouchée de pain. Concernant l’em-
ploi : en 2011, seuls 29 000 salariés sont recensés dans le secteur
de la restauration. En Île-de-France, ils sont 36 000. Une seconde
place habituelle pour la région.
Hypothèses, supputations et autres on-dit ne cessent de vouloir prouver
la domination gastronomique lyonnaise au niveau hexagonal.
Mais la région est-elle à l’image de sa capitale ?
TEXTE ÉTIENNE GUINET
Poids économique de la restauration rhônalpine
RHÔNE-ALPES : L’AGROALIMENTAIRE FAIT LA PART BELLE AUX PETITES ENTREPRISES
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Dossier
22 | G&M n°1 novembre-décembre 2012
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n°1 novembre-décembre 2012 G&M | 23
Mourguet affichent complet un mois et
demi à l’avance.
UNE ASSOCIATION DE GASTRONOMESSi aujourd’hui encore la gastronomie
continue de faire rayonner Lyon, c’est aussi
parce qu’elle est la seule ville qui a réussi
à fédérer des cuisiniers. L’association des
Toques Blanches lyonnaises, qui existe
depuis 1936 rassemble ainsi 90 chefs
dans la ville et 45 de plus en Rhône-Alpes.
« C’est un cas unique en France. Même à
Paris ils n’ont pas réussi à s’entendre. Cela
contribue à montrer que Lyon reste une
place forte sur le plan gastronomique »
précise François Mailhes. En s’appuyant sur
ses partenariats (l’association en compte
une trentaine), les Toques Blanches sont à
l’initiative de nombreuses manifestations à
Lyon et dans sa région, qui lui offrent une
certaine visibilité médiatique : évènements
culinaires, sportifs, culturels, etc. De quoi
convaincre les professionnels du secteur.
« Les Toques Blanches offrent aux chefs
un retour d’image, qui peut leur être
profitable », affirme Laurent Bouvier,
président de l’association. Cependant,
n’entre pas qui veut. L’adhésion reste
en effet soumise à certaines conditions :
être par exemple parrainé par au moins
deux membres. « Nous tentons de
verrouiller davantage cette année, suite
aux critiques que nous avons reçues, en
particulier concernant quelques-uns de
nos partenaires, ou sur le fait que certains
chefs des Toques Blanches retournaient
leurs vestes », explique Laurent Bouvier. Le
partenariat entre l’association et le groupe
d’agroalimentaire Brake France, avait
notamment suscité de vives réactions.
Aujourd’hui l’heure est d’ailleurs au démenti
pour les Toques Blanches. À l’occasion de
sa prochaine Assemblée Générale au mois
de janvier, l’association sortira une Charte
de qualité, modifiant les exigeances envers
les adhérents. « Cette charte intègre des
notions primordiales, comme la traçabilité
des produits, l’engagement du restaurateur
à promouvoir la qualité de la gastronomie
lyonnaise dans la région Rhône-Alpes et
éventuellement l’obtention du titre de
maître restaurateur. On affiche clairement
nos gages de qualité », détaille Laurent
Bouvier.
DES CONCEPTS INÉDITSSi les Toques Blanches font figure de pilier
au sein les associations de gastronomes
lyonnais, d’autres, moins médiatiques,
rassemblent également les cuisiniers.
Parmi elles, les Gueules de Lyon, une
association « de copains » qui comprend
neuf chefs. Ensemble, ils pratiquent la
bistronomie, un terme issu de la contraction
de deux mots : bistrot et gastronomie. Le
concept, une ambiance et un décor moins
guindés que dans les établissements
gastronomiques, mais avec des produits
plus simples et dont la qualité se veut
équivalente dans l’assiette, et à des prix
surtout plus abordables. Les Gueules
Membre des Gueules de Lyon,
Thomas Ponson est propriétaire
de quatre établissements (“Restaurant,
Comptoir“, “Café“, “Cantinetta“) rue
Laurencin, dans le 2e arrondissement
de Lyon.
Pourquoi avoir choisi d’ouvrir quatre
établissements avec quatre concepts
différents dans la même rue ?
Cela s’est fait naturellement, ce n’était
pas prévu. J’ai ouvert le “Restaurant
Thomas“ il y a dix ans. A l’époque, j’étais
seul avec une serveuse. Cinq ans plus
tard, j’ai ouvert “Le Comptoir“, juste en
face. Beaucoup plus orienté sur les vins,
avec une nouvelle façon de cuisiner :
nous travaillons surtout le produit brut,
à la plancha. Ce concept répondait à de
réelles attentes de la clientèle.
Au Restaurant, nous faisons de la cuisine
traditionnelle dans un décor classique. Je
me rends compte que dans les grandes
villes, et notamment à Lyon, il y a des
gens qui voyagent beaucoup, et qui ont
envie de plus de modernité.
Que pensez-vous de l’offre à Lyon
concernant la cuisine du Monde ?
Il commence à y avoir un beau panel, mais
je pense qu’il y a encore du travail pour
arriver au niveau des grandes villes euro-
péennes. A Barcelone, Madrid ou en Italie
par exemple, tout bouge beaucoup, il y a
vraiment des concepts innovants.
À Lyon, on est encore un peu limité au
niveau des choix, mais aussi sur le plan
qualitatif. Cela arrive petit à petit, mais
là-dessus nous avons un peu de retard. Je
pense que cela est valable pour la plupart
des styles de restaurants. Au niveau des
cuisiniers en revanche, il y a de plus en plus
de jeunes chefs qui montent en puissance,
et je trouve que c’est une très bonne
chose.
Lyon peut-elle toujours être considérée
comme la capitale de la gastronomie ?
Cette affirmation est encore valable, mais il
ne faut pas trop se reposer sur ses lauriers,
et essayer d’être toujours innovant. Nous
ne sommes pas à la traine, mais il faut
savoir se remettre en question.
3 QUESTIONS À THOMAS PONSON
« Il faut savoir se remettre en question »
Pho
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24 | G&M n°1 novembre-décembre 2012
Dossier
Le centre commercial Confluence, inauguré en avril dernier,
présente une vingtaine de points de vente de nourriture,
cafés, snacks et restaurants confondus. La plupart sont
rassemblés sur un étage à ciel ouvert. “Razowsky“, “Le Palais du
Fruit“, “Go Mex“, “Tapeo BCN“… Confluence fait la part belle
aux concepts parisiens, franchisés depuis peu, et à la cuisine du
monde. Au milieu de tout cela, une seule enseigne affiche un
menu lyonnais. Saucisson pistaché, rognons de veau, poire pochée
à la Beaujolaise se retrouvent ainsi sur la carte du “Zinc-Zinc“.
Dans ce tout nouveau quartier, modernité et diversité sont les
principaux mots d’ordre.
Un bémol cependant, et pas des moindres. A midi et demi, heure
du déjeuner, les restaurants sont presque vides. Dans ce centre qui
se veut une version chic de la Part Dieu, les seuls à faire le plein
sont les établissements de restauration rapide (“McDonald’s“,
“Subway“) et certaines chaines comme “Hippopotamus“. La très
en vogue cuisine asiatique, représentée ici par “Woko“ et “Sushi
Shop“, attire également les clients.
Mais pourquoi si peu de monde ailleurs ? Diego Garcia Victor, chef
cuisinier du “Zinc-Zinc“, ne cache pas sa déception : « Cela n’a
pas marché comme nous l’espérions. Nous avons une clientèle de
bureau le midi qui mange des steak-frites, et quelques familles le
soir... Ce n’est pas notre concept », déplore-t-il. Il faut dire que le
restaurant travaille avec 90 % de produits frais. Mais à quoi s’atten-
dait le chef d’origine mexicaine, passé par l’institut Paul Bocuse,
en s’installant dans un centre commercial ? En pleine mutation, le
quartier du Confluent reste encore peu peuplé, comme l’explique
François Mailhes : « Quand tout le Confluent sera plein, il y aura
une vraie population qui ira au restaurant. Pour l’heure, ce n’est
pas réalisable. Il y a une clientèle de bureau, point. » Ce dernier
insiste même : « L’offre au Confluent sur le plan gastronomique est
médiocre. C’est une logique industrielle comme à la Part Dieu ».
Du côté du “Palais du fruit“, le directeur Tristan Songy se montre
plus optimiste : « Dans quelque temps, je suis sûr que les gens
viendront pour manger un bout à Confluence. Il faut leur laisser le
temps de s’habituer », affirme-t-il. Après un démarrage en fanfare,
son restaurant subit désormais le calme de l’après-saison estivale.
Laurent Bouvier, qui dans le quartier aime manger au “Purple“,
reste « persuadé que Confluence va exploser d’ici cinq ans ».
Attendons de voir.
Confluence au ralentiPh
oto
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n°1 novembre-décembre 2012 G&M | 25
ÉVÉNEMENTSINCONTOURNABLES
SIRHA - SALON MONDIAL RESTAURATION & HÔTELLERIESeul salon du monde ouvert à tous les
types de restauration
Du 26 au 30 janvier 2013Réservé aux professionnels
Eurexpo
SALON DES VINS ET DE LA GASTRONOMIECours de cuisine proposés par l’Atelier
des Chefs
80 exposants
Tous les ans en octobre
Eurexpo
SALON MER & VIGNE ET GASTRONOMIEPremière édition en 1996.
Une soixantaine de producteurs,
éleveurs et viticulteurs proposent
des dégustations : vins, produits du
terroir, de la mer, fromage, charcuterie,
chocolat, foie gras
Tous les ans en octobre
L’Embarcadère
TROPHÉES DE LA GASTRONOMIE ET DES VINSOrganisée par le Progrès, en partenariat
avec les Toques Blanches
Tous les ans à l’automne
Palais de la Bourse
de Lyon sont également à l’origine d’un
concept inédit en France : celui des duels
culinaires. Ramené du Canada par l’un des
membres de l’association, Thomas Ponson
et adapté à la sauce « Gueules de Lyon »,
le principe est simple : le temps d’une
soirée, deux chefs s’affrontent autour de la
préparation de quatre plats (amuse bouche,
entrée, plat, dessert). Une condition
cependant : composer chaque plat à partir
de deux mots, choisis par chacun des
deux adversaires. Au fur et à mesure de la
dégustation, les clients votent pour le plat
qu’ils préfèrent.
Si au niveau national, Lyon parvient donc
à garder de façon légitime son titre de
capitale de la gastronomie, il est cependant
moins sûr que cela s’applique à plus grande
échelle. Même si elle constitue la deuxième
métropole française, Lyon reste bien loin
de certaines des villes les plus peuplées
de la planète, comme le précise François
Mailhes : « À New York, on trouve absolument
de tout. On peut très bien manger français,
américain, pakistanais. Toutes les cuisines
locales sont représentées, en raison du
fort communautarisme qui règne dans
cette ville ». Tokyo, où s’exprime tout l’art
de la cuisine japonaise, peut également se
présenter comme une concurrente sérieuse.
Pour Lyon, pas de quoi rougir toutefois. Car
même si elle fait figure de grain de sable
face à ces villes monde, elle continue
incontestablement de jouer dans la cour
des grands.
Le réseau des délices
C’est à l’initiative de la ville de Lyon
qu’est né en septembre 2007 le
Réseau Délices. Ses objectifs, encou-
rager les échanges entre cuisiniers,
et faire de la gastronomie un outil de
promotion pour les villes. Aujourd’hui,
le réseau regroupe une vingtaine de
villes du monde entier, d’Europe,
mais aussi des États-Unis, du Canada,
d’Asie, ou encore d’Amérique latine.
Chaque année, au moins trois évène-
ments sont organisés dans trois de ces
villes membres. L’occasion pour elles
de promouvoir leurs actions en matière
de gastronomie.
Les produits lyonnais servent d’inspiration à la création de plats originaux
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26 | G&M n°1 novembre-décembre 2012
Focus
Grandes maisons,
grands chefs, bouchons.
Lyon possède son
identité culinaire.
Pourtant, certains
misent sur de nouveaux
concepts pour
pérenniser leur activité. TEXTE FLORA CHADUC
L’innovation débarque
Le restaurant de Lionel Fourcade ne
propose qu’un produit : l’huître de
Cancale. Mais ce n’est pas sa seule
particularité. “La cabane à huître du curé“
ouverte depuis le 30 octobre ne durera pas.
Restaurant éphémère, il fermera ses portes
fin janvier. Ce concept, le gérant se défend
de l’avoir inventé : « C’est une idée anglo-
saxonne. Il y a beaucoup de restaurants
éphémères, à New-York notamment. »
À Lyon, il s’agit pourtant d’une innovation,
bien que le gérant insiste pour ne pas la
considérer comme telle : « Les personnes
qui travaillent à la montagne ont des
restaurants éphémères sur une période
précise, de telle date à telle date. Ici, c’est
une grande ville et on ne vit pas au rythme
des saisons. C’est peut-être pour cela que
ça paraît novateur. Et justement, ça peut
permettre aussi de recaler la saisonnalité
des produits. Il y a des choses qui ont un
goût à un moment donné et différente à
une autre période. »
Les concepts novateurs, les idées
originales : ce sont les critères de sélection
du site My Little Lyon pour conseiller
les internautes. Laurence Guilloud, la
responsable, pense qu’il faut proposer des
choses originales pour réussir. « Lyon est
déjà dotée d’un réseau de restaurants très
dense. Pour sortir du lot et parvenir à se
faire une clientèle, c’est inévitable : il faut
innover. Je constate aussi que les gens sont
de plus en plus attentifs à la qualité. Revenir
à des produits et des plats simples, mais de
grande qualité est également l’une des clés
de la réussite en ce moment. » Pourtant, la
capitale des Gaules reste ancrée dans les
traditions et les restaurants à concept ne
sont pas légion : « Je rêve que Lyon soit
aussi dynamique que des villes comme
Bruxelles ou Berlin avec des restos hybrides,
très poussés en terme de décoration, qui
font à la fois boutique, librairie, etc. »
S’ADAPTER AUX NOUVELLES DEMANDESÀ Lyon, “Cook and Go“ a été un des
symboles de l’innovation. L’enseigne, qui
propose des cours de cuisine, se crée en
2006, et s’exporte à Paris, Grenoble, Lille,
Marseille, et maintenant Manhattan. Mais
après six ans d’expérience, tout a été
repensé pour satisfaire les demandes de
plus en plus pointues des clients. « Avant,
il y avait beaucoup de recettes proposées,
les clients s’y perdaient, explique Alexandre
Leclerc gérant de la boutique à Confluence.
Maintenant, il y a le choix entre quatre
menus chaque mois, et le client réalise
entrée-plat-dessert de la formule qu’il
choisit. Les recettes sont par ailleurs plus
techniques, car les gens les trouvaient
trop simples. On a donc évolué et on s’est
adapté. »
L’innovation n’est pas réservée aux
nouveaux arrivants. La “maison Chorliet“,
traiteur à Lyon depuis 1913, a innové à
l’occasion de ses 100 ans en créant un resto-
boutique. L’idée : proposer des produits de
traiteur en portion individuelle à emporter
ou à déguster sur place. Derrière ce
concept se cache un constat récurrent : les
gens ont de moins en moins de temps pour
manger. Jérôme Bellet-Chorliet, gérant
du magasin, explique : « Pour pérenniser
l’entreprise, il faut s’adapter aux demandes
d’aujourd’hui. Le temps de repas des
Français se raccourcit, je pense que c’est
une orientation différente et adaptée.
Même si le Lyonnais a un peu de mal avec
le changement, on sent que le concept
plaît, que les gens adhèrent. On n’est pas
en décalage, on est adapté à l’époque. »
La maison Chorliet a pris un virage en créant son premier resto-boutique
Pho
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n°1 novembre-décembre 2012 G&M | 27
Force est de constater que la
ville de Lyon est un paradis
pour les amateurs de bonne
bouffe. Selon Pierre Orsi,
chef étoilé lyonnais : « La culture de la
bonne chair remonte à bien avant Paul
Bocuse, avec toutes les Mères qui ont
grandement contribué à l’évolution de
cette gastronomie. » Les chefs lyonnais
se sont d’ailleurs toujours bien exportés
à travers le pays. Pour les plus connus,
la maison Troisgros à Roanne, Anne-
Sophie Pic à Valence ou Fernand Point
et sa Pyramide qui ont fait la renommée
de la ville de Vienne. Ces trois chefs sont
considérés comme les ambassadeurs de
la gastronomie en France. Désormais,
s’ils vivent dans l’ombre du maître Paul
Bocuse, ils n’en restent pas moins des
références dans le milieu.
Car il est aujourd’hui impossible de parler
de cuisine à Lyon sans évoquer Paul
Bocuse. Celui-ci conserve trois étoiles
au guide Michelin depuis 47 ans. Un
record ! Devenue une vraie marque, sa
notoriété est telle, qu’elle rejaillit sur la
ville. Preuve de l’influence lyonnaise dans
le domaine de la gastronomie, le SIRHA,
Salon Mondial Restauration et Hôtellerie,
prend place, tous les deux ans à Eurexpo,
en janvier (lire encadré).
L’AFFLUENCE NE CESSE D’AUGMENTEREn 2011, la ville de Lyon enregistrait
un demi-million de visiteurs, dont
54% d’étrangers. Dans le top cinq, on
dénombre une majorité d’Allemands,
Espagnols, Américains, Italiens et
Canadiens. Mais les Japonais prennent
une place de plus en plus importante.
La raison ? La notoriété de Bocuse,
encore et toujours, qui a récemment
ouvert plusieurs brasseries au Japon. « Il
n’est pas rare que les tours opérateurs
organisent des visites dans l’Hexagone et
prévoient deux ou trois jours pour visiter
Lyon et sa gastronomie », confie Philippe
Colombero, membre des disciples
d’Auguste Escoffier. Selon Blandine
Thenet, directrice de la promotion de
Lyon, il existe bien un tourisme culinaire
à Lyon. « Les principales activités sont les
repas dans les restaurants, les cours de
cuisine, les visites guidées des Halles de
Lyon, et les balades au marché. » Pour
ce faire, la ville participe à des salons,
organise des conférences de presse à
l’étranger, met en place des opérations
de street marketing en Europe, etc.
Mais si tourisme culinaire il y a, c’est en
grande partie grâce aux bouchons, que
les visiteurs demandent spontanément
La cuisine pour atoutPatrimoine mondial de l’Unesco depuis 1998,
Lyon est une destination touristique très
prisée. Histoire riche, géographie avantageuse,
large panel culturel, mais aussi gastronomie
authentique. Malgré tout, y existe-t-il un tourisme
culinaire ?TEXTE MAXIME AUTECHAUD
Les Bocuse d’Or : une aubaine
Tous les deux ans, la ville de Lyon
accueille le plus grand rassemblement
mondial dans le cadre de la
gastronomie : le SIRHA. En point
d’orgue depuis 1987 : le concours
des Bocuse d’Or, qui se tiendra les
29 et 30 janvier prochain. Le prix,
considéré comme le plus prestigieux
que puisse recevoir un chef, rassemble
24 participants venus des quatre coins
de la planète qui feront des pieds et
des mains pour obtenir le précieux
sésame. Un même menu, plus de cinq
heures de préparation devant une
enceinte d’environ 8 000 personnes…
Une foule hétéroclite qui comprend
les délégations de chaque pays.
Point culminant dans la sphère de la
gastronomie mondiale, ce concours
donne une visibilité certaine et permet
un rayonnement sur les cinq continents.
Même si les premières places sont
accaparées par l’Europe de l’Ouest et
les pays scandinaves, l’évènement n’en
reste pas moins une manière de faire
découvrir la ville au monde entier.
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La rue mercière, vitrine de la gastronomie à Lyon
Enquête Tourisme
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28 | G&M n°1 novembre-décembre 2012
« Une carte à jouer » En juin dernier, une petite révolution a
eu lieu dans le monde gastronomique
lyonnais : la possibilité de dîner tout en
visitant la ville. Avec le Trolley des Lumières,
Elisabeth Gardien et Romain Garnier
apportent un nouveau souffle au tourisme
culinaire de la ville. Rencontre avec la co-
gérante de ce concept unique en France.
Découvrir Lyon tout en dégustant
un repas composé de spécialités
de la ville. Telle est l’idée de
Romain Garnier à son retour d’Australie.
Après avoir découvert (et travaillé) dans
un tramway de Melbourne qui propose un
service de restauration à bord, il décide
d’adapter le concept à Lyon. Il s’associe
à Elizabeth Gardien pour se lancer dans
cette aventure, qui ne se construira pas
en un jour ! « Il nous a fallu plus d’une
année de démarches administratives pour
avoir l’autorisation de faire rouler cette
voiture restaurant », confie la co-gérante.
Il faut dire qu’aucune structure du genre
n’existait jusqu’à présent dans l’Hexagone.
Quant au choix de Lyon, il ne doit rien
au hasard : « Ce n’est pas tant que nous
sommes Lyonnais que parce que la ville
s’y prête, de par sa cuisine surprenante,
qu’on ne trouve qu’ici, confie Elisabeth
Gardien, avant d’avancer que, ce concept
pourrait permettre à l’Office de tourisme
de développer le tourisme gastronomique.
Depuis que nous sommes là, ils ont
remarqué qu’il y avait quelque chose à
faire sur ce point. » Il faut dire que l’offre
actuelle est limitée et la co-gérante du
Trolley, issue du milieu du tourisme, le
déplore : « Il y a de gros atouts culinaires à
Lyon. Mais ce ne sont pas que la quenelle
et le tablier de sapeur. C’est avant tout une
cuisine qui sait sublimer tous les produits
régionaux, et là-dessus il y a un gros travail
de communication à réaliser. »
En attendant de voir émerger de nouvelles
idées, comme des circuits gastronomiques
à travers les quartiers de Lyon, Elisabeth
Gardien est plutôt fière d’être à la tête d’un
concept devenu au fil des mois, une vitrine
touristique pour la ville.
TEXTE GUILLAUME BERNILLON
en se rendant à l’Office de tourisme.
Le bouchon a le vent en poupe. Une
affirmation confirmée par les principaux
intéressés. Pour Yves Rivoiron, gérant du
“Café des Fédérations“, l’affluence des
visiteurs étrangers ne cesse d’augmenter.
Et pour cause, l’authenticité de ces
tavernes lyonnaises éveille la curiosité
des médias étrangers. « L’an dernier, j’ai
reçu près de treize chaines de télévision
étrangères venues tourner un reportage
dans mon établissement. » La notoriété de
la cuisine lyonnaise au-delà des frontières
est au beau fixe.
Seule fausse note, l’absence d’aides de
la ville. Alors oui, il existe bel et bien
un tourisme culinaire à Lyon, mais il
reste sous-exploité. Malgré un énorme
potentiel, les institutions ne semblent pas
prendre la mesure du marché. Si bien que
certains doivent mettre la main à la pâte
pour combler ce manque…
INSOLITE CULINAIRE
Les food-truck s’installent Enfin non, un en particulier. Alors
qu’est-ce qu’un food truck ? Ce sont
ces camions garés sur les trottoirs
qui vous proposent de la nourriture à
emporter. Visible exclusivement dans
la capitale, il est désormais possible de
tenter l’expérience avec de goûteux
mets libanais proposés par l’Aklé.
Dégustez tous les délices de Beyrouth
sur les quais, ou en flânant rue de
la République… Si vous arrivez à le
trouver ! Ce restaurant nomade se gare
chaque jour sur un des marchés de la
ville. Pour le localiser, rendez-vous sur
notre site internet.
L’as des écaillersC’est au mois de janvier dernier que
le lyonnais Bruno Thevenin est devenu
vice-champion du monde des écaillers.
L’objectif de ce concours, réaliser et
présenter le plus beau plateau de fruits
de mer, pour une dizaine de personnes.
Les participants ont ainsi ouvert quatre
douzaines d’huîtres, préparé cinq
douzaines de coquillages et décortiqué
une trentaine de crevettes chacun.
Formé auprès des professionnels des
Halles, et passé par de grandes maisons
(le Bistrot de Lyon, la Coupole à Paris),
Bruno Thevenin possède un bar à fruits
de mer dans le centre de Tassin-la-Demi-
Lune.
Cuisine sexisteDiversité culinaire, peut-être, mais
pour ce qui est de la parité, la copie
est à revoir. Lyon ne compte aucune
femme chef. Même Anne-Sophie Pic,
qui s’est formée dans la capitale de la
gastronomie s’est ensuite envolée vers
de nouveaux horizons. C’est Paris qui,
en France, en accueille le plus grand
nombre. Rougui Dia, Hélène Darroze,
Ghislaine Arabian, et Adeline Grattard
comptent parmi elles.
A bord du Trolley des Lumières le long de la Saône
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n°1 novembre-décembre 2012 G&M | 29
So Lyon
La Guerre des bouchons aura bien lieu
TEXTE JULIE MORISOD
Avec la multiplication
des appellations,
clients et restaurateurs
sont pris entre deux
feux : les bouchons
authentiques et les
officiels.
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Jusqu’à maintenant, seul Pierre Grison,
l’ancien critique gastronomique du
Progrès, avait fait des bouchons son
cheval de bataille. En créant en 1997 une
association de Défense des Bouchons
lyonnais, l’ex-journaliste placarde
l’appellation Authentique bouchon
lyonnais aux établissements dignes de ce
nom. Le but ? Distinguer les faux des vrais
bouchons. Selon lui, le restaurant typique
lyonnais doit proposer une cuisine
familiale et populaire à bases d’abats, de
cochonnailles et d’autres lyonnaiseries.
Les vins de la Région doivent être servis
en pot. S’ajoutent à ces critères : déco
typique, serviettes à carreaux voire
saucissons pendus. Sans oublier un patron
charismatique présent en salle.
Seulement voilà. Depuis cet été, la
Commission touristique de la CCI de Lyon,
représentée par l’ancien président des
Toques Blanches, Christophe Marguin,
et Only Lyon tourisme, entrent dans la
bataille et lancent un label bouchon
lyonnais. Il devait être décerné le 30
novembre à 17 restaurants. Une façon
d’officialiser le terme qui, jusqu’à présent,
n’était qu’une appellation.
La fronde peut commencer. En réaction,
Pierre Grison qui avait arrêté ses actions
en 2002, sort aujourd’hui un nouveau
Guide des bouchons fait à la va-vite.
Il comporte pas moins de 40 adresses. « Pas
sûr que tous soient recommandables »,
assure un autre critique gastronomique,
Jean-François Mesplède, qui ne recense
que sept bouchons dans son guide Lyon
Restaurants. Pour contrer l’action de la
CCI de Lyon, Pierre Grison argue de son
ancienneté. Il a prévenu le membre des
Toques Blanches. Sans réponse.
Que ce soit chez Pierre Grison, ou
Christophe Marguin, on retrouve
des critères semblables : qualité des
produits, ambiance conviviale, etc.
Mais le problème vient avant tout de
la définition à la base très confuse
du bouchon. Pour François Mailhes,
journaliste critique gastronomique à
Tribune de Lyon : « Le bouchon lyonnais
est un postulat un peu faux au départ. On
a mis en musée certaines recettes, mais
avant on faisait toutes sortes de plats
dans les bouchons. » Édicter une charte
sérieuse : « Un argument touristique »,
selon lui. Carrément « une fumisterie »
pour Yves Rivoiron, gérant du “Café des
Fédérations“.
Par ailleurs, les associations fonctionnent
différemment. Tandis que chez Pierre
Grison on est copain, il faut débourser une
somme avoisinant les 700 euros pour un
kit de promotion, sans compter l’adhésion
annuelle avant d’espérer recevoir le
label officiel. L’initiative de la CCI est
aujourd’hui loin de faire l’unanimité.
Yves Rivoiron s’étonne encore de voir
les Toques Blanches « s’accaparer les
bouchons. » Le patron de l’établissement
historique voit l’orage gronder : « Ils sont
en train de monter deux clans, ça va être
la guerre des bouchons, moi je ne veux
participer à aucun conflit donc je n’adhère
a rien du tout. » D’autres restaurateurs se
sentent contraints d’adhérer à l’initiative
de la commission, de peur que leur
établissement soit relégué au rang de
cuisine lyonnaise dans le prochain guide
de l’Office de tourisme. Enfin, sachant
que tous n’adhèreront pas, un bouchon
non labélisé ne sera pas synonyme
de bouchon à éviter. À l’image d’Yves
Rivoiron, qui affirme « ne pas avoir besoin
d’un label pour attirer la clientèle. »
L’ambiance convivale des bouchons cache une «bataille» de renomée
30 | G&M n°1 novembre-décembre 2012
Arrière - cuisine
La cuisine perso
de Luc MinaireAux commandes depuis neuf ans du bouchon
“le Musée“, Luc Minaire. Boulanger de métier, il
anime la maison, entre service et histoire.
À chaque fin de repas, les convives sont invités
à finir leur verre dans la traboule abritant
l’établissement. Au menu : anecdotes et
calembours à propos de la cité des gones, clin
d’oeil paradoxal pour ce patron stéphanois.
TEXTE ETIENNE GUINET
Noyé entre la galerie de
l’imprimerie et l’église Saint
Nizier, le Musée ne paie
pas de mine. Ce restaurant,
certifié Bouchon lyonnais, ne ressemble
pourtant à aucun autre.
UN REPAS POUR LES GASTROLÂTRESParti du Forez à 14 ans, Luc Minaire
bourlingue à travers la France et ses pays
limitrophes. Haute-Savoie, Belgique,
Suisse… Et se pose entre Rhône et Saône.
Après dix ans à la tête d’une boulangerie
à Saint Cyr au Mont d’Or, il achète un
restaurant : “Le Musée“. Un établissement
vieux de 300 ans. L’intérieur s’est imprégné
du parfum d’antan. Fresque monastique,
banquettes de moleskine, nappes à
carreaux, disposition familiale des tables ;
comme une invitation à connaître son
voisin et se sentir chez soi. À la manière de
l’Académie Gourmande, et des Amicales
de gueule, des associations qui, jadis
proposaient à une gent masculine, dans
des arrière-salles, de conserver le caractère
d’intimité pour célébrer le culte du bien-
manger. « Le plus beau compliment c’est
quand les gens me disent, qu’ils se sentent
comme à la maison », précise Luc Minaire.
“Au Musée“, pas de politique, pas de grands
discours, ni aucune prétention à montrer de
l’esprit. Ce n’est pas le genre de la maison.
L’unique affaire est de bien dîner. « Un jour,
des généraux de la grande muette ont
mangé avec des gens d’extrême-gauche,
en buvant des canons toute la soirée. Mon
restaurant se rapproche du bistrot du village
où tout le monde venait se rencontrer, où la
prostituée mangeait avec le juge. »
UNE CUISINE LYONNAISE FRANÇAISEDécoration et ambiance mises de côté, il
faut maintenant choisir quoi manger. Pour
les passionnés de lecture, mieux vaut ne pas
attendre la carte. Les mets sont annoncés à
l’oral avec une pincée d’humour, pour rendre
le choix plus corsé, mais plus alléchant.
Andouillette, tripes, rognons, joue de porc,
mais aussi canard et escargots. “Le Musée“
est un bouchon lyonnais, mais il en faut
pour toutes les régions. Rien ne sert de
se cantonner à la cuisine lyonnaise. « Il y a
quelques jours, on a préparé de la cervelle
d’agneau au beurre, citron et câpres, dite
à la grenobloise. Pourquoi grenobloise ?
Car du temps où l’Isère était navigable, la
marchandise de poisson était parfumée au
citron et aux câpres pour dissimuler l’odeur
d’ammoniac. Dans un bouchon, on s’imagine
Le restaurant est situé à côté du musée de l’imprimerie
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n°1 novembre-décembre 2012 G&M | 31
La cuisine perso
de Luc Minaire
ne manger que des tripes, mais à l’origine
il y avait deux sortes de restaurants: les
tripiers et les bouchons. Dans les bouchons
la cuisine était très variée. »
À l’image d’un véritable musée, tout est
source de respect et de découverte avec les
invités. Luc Minaire confie que bon nombre
d’étrangers sont venus s’asseoir à ses tables.
Une occasion pour découvrir, à chaque fois,
le vrai visage de la cuisine française. « Les
étrangers qui viennent manger en France
imaginent qu’il y a des codes. À cause,
notamment, du cinéma américain qui prône
la bonne cuillère, la bonne fourchette.
Et quand je viens les voir en parlant un anglais
un peu bizarre, leur demandant comment ils
vont, ils prennent conscience du contact.
On pousse la table pour être à côté du voisin
à coups de fessier et au final ils boivent leur
verre de gnôle tous ensemble. »
CLOU DU SPECTACLEAttendu comme la surprise du chef, Luc
Minaire propose à ses convives un cours
d’histoire en plein coeur de la traboule
du musée de l’Imprimerie. Un monologue
peaufiné au fil des années. Pourtant, celui
qui s’improvise guide vit chaque visite de
façon unique. « Je partage ce moment
différemment avec chaque personne.
Certains vont rire, d’autres seulement
écouter. »
Éplucher les pommes de terre, sortir les
poubelles, faire la plonge, le service,
c’est un patron touche-à-tout vivant
cette leçon d’histoire comme le moment
qu’il affectionne le plus dans son métier.
« J’arrive même à rire de mes propres
blagues », s’amuse-t-il.
Venus pour la première fois déguster les
recettes du chef de cuisine Loïc, formé
à l’Oustau de Baumanière, Nicolas et sa
compagne ne tarissent pas d’éloge sur le
festin, moins sur la visite, « nous sommes
venus sur les conseils d’un ami. J’avais
entendu parler de la traboule. Le tout
est enrichissant, mais c’est compliqué de
suivre le flot de paroles du guide. » Luc
Minaire se défend toujours avec humour :
« C’est l’accent du restaurateur fatigué ».
Avec 80 couverts par jour en moyenne,
“Le Musée“ ne manque pas de visites.
Au fil des ans Luc Minaire a eu la possibilité
d’agrandir son restaurant. Mais la peur de
perdre l’atmosphère cosy et familiale qui
fait le succès de ce bouchon, était trop
grande. L’important demeurait de garder
une extrême attention aux plats. Car l’art
culinaire à Lyon est encore loin d’être
un art mineur. N’est-ce pas monsieur
Minaire ?
Luc Minaire entouré de l’équipe du Musée
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Réponses
A 46 cl.
B 51 cl.
C 55 cl.
Jeu quiz
1
QU’EST-CE QU’ACHÈTENT ASTERIX ET OBÉLIX À LUGDUNUM DANS « LE TOUR DE GAULE » ?A Une tarte à la praline
et des papillottes
B De la cervelle de canut
et des cardons
C Du saucisson et des quenelles
COMBIEN DE RESTAURANTS GRAND LYONNAIS POSSÈDENT 2 ÉTOILES OU PLUS ?
A 3
B 4
C 5 4
9
LEQUEL DE CES GUIDES GASTRONOMIQUES N’EXISTE PAS ? :
A Le bottin gourmand
B Les tables de France
C Le guide Hubert
5
VOUS TERMINEZ LA LECTURE DE GÔNE & MÂCHON. LE GÔNE EST LE MOT POUR QUALIFIER UN ENFANT À LYON, MAIS QU’EST-CE QU’UN MÂCHON ?A Un repas traditionnel matinal
B Une spécialité à base de fromage blanc
C Une brioche parfumée
à la fleur d’oranger
A PARTIR DE QUELLE DATE LE BEAUJOLAIS NOUVEAU EST-IL MIS EN VENTE DANS LE MONDE ENTIER ?
A Le dernier jeudi d’octobre
B Le troisième jeudi de novembre
C Le premier jeudi de décembre 6
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SELON UN SONDAGE TNS SOFRÈS PUBLIÉ EN OCTOBRE 2011, QUEL EST LE PLAT PRÉFÉRÉ DES FRANÇAIS ?
A Le magret de canard
B Les moules-frites
C Le couscous
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LA TOQUE EST UN ACCESSOIRE INDISPENSABLE DE TOUT GRAND CHEF CUISINIER. MAIS QUE SONT LES « TOQUES » À LYON ?A Un carré de pâte d’amande fourré
d’une ganache de chocolat parfumé au curaçao.
B Une ganache d’orange et de Grand Marnier
enrobée de pâte d’amande
C Un pain au lait parfumé à l’anis et aux raisins de Corinthe
LE POT LYONNAIS EST UNE BOUTEILLE AVEC UN CUL TRÈS ÉPAIS.QUELLE EST SA CONTENANCE ?
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2
LE TABLIER DE SAPEUR EST UN PLAT CÉLÈBRE POUR SON NOM. MAIS DE QUOI EST-IL COMPOSÉ ?A Tripes marinées dans du vin, puis
panées et frites
B Tranche de foie cuite puis mouillée
au vin et vinaigre
C Poulet flambé au cognac et vin blanc
1 C
2 B
3 A
4 B
5 A
6 A
7 A
8 B
9 B
32 | G&M n°1 novembre-décembre 2012
CONCOCTÉ PAR GUILLAUME BERNILLON ET ETIENNE GUINET
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