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Ren Gunon
Formes traditionnelles et cycles cosmiques
On aurait pu intituler les articles runis pour la premire fois dans ce recueil Fragments
dune histoire inconnue puisque, aprs une tude sur les cycles cosmiques, on trouve deux
articles sur lAtlantide et lHyperbore, suivis de textes sur les traditions hbraque,
gyptienne et grco-latine. Les connaissances cosmologiques traditionnelles contenues dans
Le Roi du Monde, Le Rgne de laQuantit, Symboles fondamentaux de la science sacreet dans le prsent volume constituent une somme qui na, sans doute, son quivalent dans
aucune langue.
Ren Gunon naquit Blois le 15 novembre 1886 et mourut au Caire le 7 janvier 1951.
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AVANT-PROPOS
Les articles runis dans le prsent recueil reprsentent laspect le plus original peut-tre
le plus dconcertant aussi pour nombre de lecteurs de loeuvre de Ren Gunon. On auraitpu lintituler Fragments dune histoire inconnue, mais dune histoire qui englobeprotohistoire et prhistoire puisquelle commence avec la Tradition primordiale
contemporaine des dbuts de la prsente humanit. Ce sont des fragments destins demeurer
tels en ce sens quil et t sans doute impossible Gunon lui-mme de prsenter cette
histoire de manire continue et sans lacunes car les sources traditionnelles qui lui en ont
fourni les lments taient vraisemblablement multiples. Ce sont des fragments aussi en un
autre sens car on na pu runir ici que les textes non encore incorpors dans de prcdents
volumes soit par Gunon lui-mme, soit par les compilateurs de recueils posthumes dj
publis.
Tels quels ces fragments nous ont paru ouvrir tant dhorizons nouveaux pour le lecteur
occidental daujourdhui quil et t regrettable de les laisser enfouis en des collections derevues accessibles seulement dans quelques grandes bibliothques publiques. Nous avons fait
allusion des sources traditionnelles multiples. Cest ici le lieu de rappeler ce qua crit un
jour Ren Gunon, savoir que ses sources ne comportaient pas de rfrences . Cela est
plus vrai encore pour les textes ici rassembls que pour dautres parties de loeuvre de
Gunon. Aussi le prsent recueil est-il destin, dans notre esprit, principalement aux lecteurs
qui ont dj connaissance de lensemble de loeuvre de lauteur : la Mtaphysique expose
par Gunon sera pour eux la caution de lhistoire de la Tradition. Dans les textes quon va lire,
cest surtout ce qui touche lHyperbore et lAtlantide qui sera une pierre dachoppement
pour certains, car presque tout ce qui en est dit se trouve contre-courant des ides qui
prvalent, en gnral, dans le monde scientifique occidental. Les points de convergence
seraient, croyons-nous, plus nombreux avec les rsultats de la recherche scientifique dans lemonde sovitique ; mais ceux-ci sont trop imparfaitement connus ici pour quon puisse
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utilement en faire tat. Dailleurs, tant donn le caractre prhistorique vident des poques
auxquelles nous reportent les traditions hyperborenne et atlantenne, on ne saurait voquer
que des indices, au mieux quelques faisceaux dindices, la plupart se situant dans les
domaines de lethnographie, de la linguistique compare et des religions. Cest ainsi quon
pourrait mentionner la communaut de certains rites, la parent plus ou moins troite de
plusieurs autres, en particulier de la circoncision pratique des deux cts de lAtlantique.Larchitecture et larchologie apporteraient sans doute quelques appuis. On sait quaprs
lavoir ni pendant des gnrations, les savants ont d, depuis la dcouverte de quelques
cryptes funraires, admettre que les pyramides du Nouveau Monde taient usage, non
seulement de temples, mais aussi de tombeaux et parfois dobservatoires tout comme
celles dEgypte.
Il reste que cet ensemble de donnes ne peut, encore une fois, du point de vue de la Science
officielle, apporter que des indices, non des certitudes, quant la prsence de lhomme dans
un continent atlantidien, lexistence mme de ce dernier, aux poques gologiques antrieurs
ntant plus discute. Ltude sur les cycles cosmiques par laquelle souvre le recueil en
raison de son caractre de prambule, noffre pas de difficults particulires, lexistence dune
doctrine des cycles dans la tradition hindoue tant gnralement connue en Occident. On saitmaintenant que des thories cycliques existent galement dans la Kabbale juive et dans
lsotrisme islamique.
Pour donner plus de cohrence ce recueil, on a retenu seulement, outre les tudes sur
lHyperbore et lAtlantide, celles qui concernent des traditions non chrtiennes ayant eu une
influence directe sur le monde occidentale, cest--dire la tradition hbraque et les traditions
gyptienne et grco-latine. Le Celtisme pourtant ny figure pas, non plus que lIslam. Ce nest
pas quon msestime, loin de l, le rle de ces deux traditions. Simplement, ce qui, dans
loeuvre de Gunon, concerne le Celtisme a t intgr dans le recueil intitul Symbolesfondamentaux de la Science sacre : ce sont les tudes surLe Saint-Graal (chap. III et IVde cet ouvrage), surLa triple enceinte druidique (chap.X), surLa Terre du Soleil (chap.
XII), surLe Sanglier et lOurse (chap. XXIV).En ce qui concerne lIslam, le seul article de Gunon ayant un rapport avec le prsent sujet est
celui intitul Les mystres de la lettre Nn, qui forme le chapitre XXIII des Symboles
fondamentaux. Pour les traditions hbraque et gyptienne, on compltera les tudes
contenues dans le prsent recueil par le chapitre XXI du Rgne de la quantit et les signes des
Temps, sur Can et Abel et par le chapitre XX des symboles fondamentaux intitul Sheth.
Cela tant prcis, il faut ajouter que le volume prsent aujourdhui ne peut en tout cas tre
entirement spar des trois livres suivants considrs dans leur totalit : Le Roi duMonde,
Le Rgne de la quantit et les signes des Temps et les Symboles fondamentaux de la
Science Sacre.
Nous permettra-t-on dajouter que les connaissances cosmologiques traditionnellesrenfermes dans ces quatre livres constituent une somme qui na sans doute son quivalent
dans aucune langue ?
Roger Maridort.
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I
Quelques remarques sur la doctrine des cycles cosmiques
On nous a parfois demand, 1 propos des allusions que nous avons t amen faire et l
la doctrine hindoue des cycles cosmiques et ses quivalents qui se rencontrent dans
dautres traditions, si nous ne pourrions en donner, sinon un expos complet, tout au moins
une vue densemble suffisante pour en dgager les grandes lignes. A la vrit, il nous semble
que cest l une tche peu prs impossible, non seulement parce que la question est fort
complexe en elle-mme, mais surtout cause de lextrme difficult quil y a exprimer ces
choses en une langue europenne et de faon les rendre intelligibles la mentalit
occidentale actuelle, qui na nullement lhabitude de ce genre de considrations. Tout ce quil
est rellement possible de faire, notre avis, cest de chercher claircir quelques points par
des remarques telles que celles qui vont suivre, et qui ne peuvent en somme avoir aucune
prtention que dapporter de simples suggestions sur le sens de la doctrine dont il sagit, bien
plutt que dexpliquer celle-ci vritablement. Nous devons considrer un cycle, danslacception la plus gnrale de ce terme, comme reprsentant le processus de dveloppement
dun tat quelconque de manifestation, ou, sil sagit de cycles mineurs, de quelquune des
modalits plus ou moins restreintes et spcialises de cet tat. Dailleurs, en vertu de la loi de
correspondance qui relie toutes choses dans lExistence universelle, il y a toujours et
ncessairement une certaine analogie soit entre les diffrents cycles de mme ordre, soit entre
les cycles principaux et leurs divisions secondaires. Cest l ce qui permet demployer, pour
en parler, un seul et mme mode dexpression, bien que celui-ci ne doive souvent tre entendu
que symboliquement, lessence mme de tout symbolisme tant prcisment de se fonder sur
les correspondances et les analogies qui existent rellement dans la nature des choses. Nous
voulons surtout faire allusion ici la forme chronologique sous laquelle se prsente la
doctrine des cycles : Le Kalpa reprsentant le dveloppement total dun monde, c'est--diredun tat ou degr de lExistence universelle, il est vident quon ne pourra parler
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littralement de la dure dun Kalpa, value suivant une mesure de temps quelconque, quesil sagit de celui qui se rapporte ltat dont le temps est une des conditions dterminantes,
et qui constitue proprement notre monde. Partout ailleurs, cette considration de la dure et de
la succession quelle implique ne pourra plus avoir quune valeur symbolique et devra tre
transpose analogiquement, la succession temporelle ntant alors quune image de
lenchanement, logique et ontologique la fois, dune srie extra-temporelle de causes etdeffets ; mais, dautre part, comme le langage humain ne peut exprimer directement dautres
conditions que celles de notre tat, un tel symbolisme est par l mme justifi et doit tre
regard comme parfaitement naturel et normal.
1 Cet article a paru en Anglais dans le Journal of Indian Society of Oriental Art, numro de Juin-
Dcembre 1937, ddi A.K. Coomaraswamy, loccasion de son soixantime anniversaire.
Nous navons pas lintention de nous occuper prsentement des cycles les plus tendus, tels
que les Kalpas ; nous nous bornerons ceux qui se droulent lintrieur de notre Kalpa,
c'est--dire aux Manvantaras et leurs subdivisions. A ce niveau, les cycles ont un caractre
la fois cosmique et historique, car ils concernent plus spcialement lhumanit terrestre, touten tant en mme temps troitement lis aux vnements qui se produisent dans notre monde
en dehors de celle-ci. Il ny a l rien dont on doive stonner, car lide de considrer
lhistoire humaine comme isole en quelque sorte de tout le reste est exclusivement moderne
et nettement oppose ce quenseignent toutes les traditions, qui affirment au contraire,
unanimement une corrlation ncessaire et constante entre les deux ordres cosmiques et
humains.
Les Manvantaras, ou res de Manus successifs, sont au nombre de quatorze, formant deux
sries septnaires dont la premire comprend les Manvantaras passs et celui o nous
sommes prsentement, et la seconde les Manvantaras futurs. Ces deux sries, dont lune serapporte ainsi au pass, avec le prsent qui en est la rsultante immdiate, et lautre lavenir,
peuvent tre mises en correspondance avec celles des sept Swargas et des sept Ptlas, quireprsentent lensemble des tats respectivement suprieurs et infrieurs ltat humain, si
lon se place au point de vue de la hirarchie des degrs de lExistence ou de la manifestation
universelle, ou antrieurs et postrieurs par rapport ce mme tat, si lon se place au point de
vue de lenchanement causal des cycles dcrit symboliquement, comme toujours, sous
lanalogie dune succession temporelle. Ce dernier point de vue est videmment celui qui
importe le plus ici : il permet de voir, lintrieur de notre Kalpa, comme une image rduite
de tout lensemble des cycles de la manifestation universelle, suivant la relation analogique
que nous avons mentionne prcdemment, et, en ce sens, on pourrait dire que la succession
des Manvantaras marque en quelque sorte un reflet des autres mondes dans le ntre. On peut
dailleurs remarquer encore pour confirmer ce rapprochement, que les deux mots Manu etLoka sont employs lun et lautre comme dsignations symboliques du nombre 14 ; parler
cet gard dune simple concidence serait faire preuve dune complte ignorance des
raisons profondes qui sont inhrentes tout symbolisme traditionnel.
Il y a lieu denvisager encore une autre correspondance avec les Manvantaras, en ce qui
concerne les sept Dwpas ou rgions en lesquelles est diviss notre monde ; en effet, bienque ceux-ci soient reprsents, suivant le sens propre du mot qui les dsigne, comme autant
dles ou de continents rpartis dune certaine faon dans lespace, il faut bien se garder de
prendre ceci littralement et de les regarder simplement comme des parties diffrentes de la
terre actuelle ; en fait, ils mergent tour tour et non simultanment, ce qui revient dire
quun seul dentre eux est manifest dans le domaine sensible pendant le cours dune certaine
priode.
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Si cette priode est un Manvantara, il faudra en conclure que chaque Dwpa devra apparatredeux fois dans le Kalpa, soit une fois dans chacune des deux sries septnaires dont nous
venons de parler ; et, du rapport de ces deux sries, qui se correspondent en sens inverse
comme il en est dans tous les cas similaires, et en particulier pour celles des Swargas et des
Ptlas, on peut dduire que lordre dapparition des Dwpas devra galement, dans la
seconde srie, tre inverse de ce quil a t dans la premire. En somme, il sagit l dtatsdiffrents du monde terrestre, bien plutt que de rgions proprement parler ; le Jambu-
Dwpa reprsente en ralit la terre entire dans son tat actuel, et, sil est dit stendre au sudde Mru, ou de la montagne axiale autour de laquelle seffectuent les rvolutions de notre
monde cest quen effet, le Mru tant identifi symboliquement au ple Nord, toute la terre
est bien vritablement situe au sud par rapport celui-ci. Pour expliquer ceci plus
compltement, il faudrait pouvoir dvelopper le symbolisme des directions de lespace,
suivant lesquelles sont rpartis les Dwpas, ainsi que les relations de correspondance quiexistent entre ce symbolisme spatial et le symbolisme temporel sur lequel repose toute la
doctrine des cycles ; mais, comme il ne nous est pas possible dentrer ici dans ces
considrations qui demanderaient elles seules tout un volume, nous devons nous contenter
de ces indications sommaires, que pourront dailleurs facilement complter par eux-mmestous ceux qui ont dj quelque connaissance de ce dont il sagit.
Cette faon denvisager les sept Dwpas se trouve confirme aussi par les donnes
concordantes dautres traditions dans lesquelles il est galement parl des sept terres ,
notamment dans lsotrisme islamique et la Kabbale hbraque : Ainsi, dans cette dernire,
ces sept terres , tout en tant figures extrieurement par autant de divisions de la terre de
Chanaan, sont mises en rapport avec les rgnes des sept rois dEdom , qui correspondent
assez manifestement aux sept Manus de la premire srie ; et elles sont toutes comprises dans
la Terre des Vivants , qui reprsente le dveloppement complet de notre monde, considr
comme ralis de faon permanente dans son tat principiel. Nous pouvons noter ici la
coexistence de deux points de vue, lun de succession, qui se rfre la manifestation en elle-
mme, et lautre de simultanit, qui se rfre son principe, ou ce quon pourrait appeler
son archtype ; et, au fond, la correspondance de ces deux points de vue quivaut dune
certaine faon celle du symbolisme temporel et du symbolisme spatial, laquelle nous
venons prcisment de faire allusion en ce qui concerne les Dwpas de la tradition hindoue.Dans lsotrisme islamique, les sept terres apparaissent, peut-tre plus explicitement
encore, comme autant de tabaqt ou catgories de lexistence terrestre, qui coexistent etsinterpntrent en quelque sort, mais dont une seule peut tre actuellement atteinte par les
sens, tandis que les autres sont ltat latent et ne peuvent tre perues quexceptionnellement
et dans certaines conditions spciales ; et, ici encore, elles sont tour tour manifestes
extrieurement, dans les diverses priodes qui se succdent au cours de la dure totale de ce
monde. Dautre part, chacune des sept terres est rgie par un Qutb ou Ple , quicorrespond ainsi trs nettement au Manu de la priode pendant laquelle sa terre est
manifeste ; et ces sept Aqtb sont subordonns au Ple suprme, comme les diffrentes
Manus le sont lAdi-Manu ou Manuprimordial ; mais en outre, en raison de la coexistencedes sept terres , ils exercent aussi, sous un certain rapport, leurs fonctions dune faon
permanente et simultane. Il est peine besoin de faire remarquer que cette dsignation de
Ple se rattache troitement au symbolisme polaire du Mru que nous avons mentionn
tout lheure, le Mru lui-mme ayant dailleurs pour exact quivalent la montagne de Qfdans la tradition islamique. Ajoutons encore que les sept Ples terrestres sont considrs
comme les reflets des sept Ples clestes, qui prsident respectivement aux sept cieux
plantaires ; et ceci voque naturellement la correspondance avec les Swargas dans la
doctrine hindoue, ce qui achve de montrer la parfaite concordance qui existe ce sujet entreles deux traditions.
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Nous envisagerons maintenant les divisions dun Manvantara, c'est--dire les Yugas, quisont au nombre de quatre ; et nous signalerons tout dabord, sans y insister longuement, que
cette division quaternaire dun cycle est susceptible dapplications multiples, et quelle se
retrouve en fait dans beaucoup de cycles dordre plus particulier : on peut citer comme
exemples les quatre saisons de lanne, les quatre semaines du mois lunaire, les quatre ges de
la vie humaine ; ici encore, il y a correspondance avec le symbolisme spatial, rapportprincipalement en ce cas aux quatre points cardinaux. Dautre part, on a souvent remarqu
lquivalence manifeste des quatre Yugas avec les quatre ge dor, dargent, dairain et de fer,tels quils taient connus de lantiquit grco-latine : de part et dautre, chaque priode est
galement marque par une dgnrescence par rapport celle qui la prcde ; et ceci, qui
soppose directement lide de progrs telle que le conoivent les modernes, sexplique
trs simplement par le fait que tout dveloppement cyclique, c'est--dire en somme, tout
processus de manifestation, impliquant ncessairement un loignement graduel du principe,
constitue bien vritablement en effet, une descente , ce qui est dailleurs aussi le sens rel
de la chute dans la tradition judo-chrtienne.
Dun Yuga lautre, la dgnrescence saccompagne dune dcroissance de la dure, qui est
dailleurs considre comme influenant la longueur de la vie humaine ; et ce qui importeavant tout cet gard, cest le rapport qui existe entre les dures respectives de ces diffrentes
priodes. Si la dure totale du Manvantara est reprsente par 10, celle du Krita-Yuga ou
Satya-Yuga le sera par 4, celle du Trt-Yugapar 3, celle du Dwpara-Yugapar 2, et celle
du Kali-Yuga par 1 ; ces nombres sont aussi ceux des pieds du taureau symbolique de
Dharma qui sont figurs comme reposant sur la terre pendant les mmes priodes. La
division du Manvantara seffectue donc suivant la formule 10 = 4+3+2+1, qui est, en sensinverse, celle de la Ttrakys pythagoricienne : 1+2+3+4 = 10 ; cette dernire formule
correspond ce que le langage de lhermtisme occidental appelle la circulature du quadrant
, et lautre au problme inverse de la quadrature du cercle , qui exprime prcisment le
rapport de la fin du cycle son commencement, c'est--dire, lintgration de son
dveloppement total ; il y a l tout un symbolisme la fois arythmtique et gomtrique que
nous ne pouvons indiquer encore en passant pour ne pas trop nous carter de notre sujet
principal.
Quant aux chiffres indiqus dans divers textes pour la dure du Manvantara, et par suite pourcelle des Yugas, il doit tre bien entendu quil ne faut nullement les regarder comme
constituant une chronologie au sens ordinaire de ce mot, nous voulons dire comme
exprimant des nombres dannes devant tre pris la lettre ; cest dailleurs pourquoi
certaines variations apparentes dans ces donnes nimpliquent au fond aucune contradiction
relle. Ce qui est considrer dans ces chiffres, dune faon gnrale cest seulement le
nombre 4 320, pour la raison que nous allons expliquer par la suite, et non point les zros plus
ou moins nombreux dont il est suivi, et qui peuvent mme tre surtout destins garer ceuxqui voudraient se livrer certains calculs. Cette prcaution peut sembler trange premire
vue, mais elle est cependant facile expliquer : si la dure relle du Manvantara tait
connue, et si en outre, son point de dpart tait dtermin avec exactitude, chacun pourrait
sans difficult en tirer des dductions permettant de prvoir certains vnements futurs ; or,
aucune tradition orthodoxe na jamais encourag les recherches au moyen desquelles
lhomme peut arriver connatre lavenir dans une mesure plus ou moins tendue, cette
connaissance prsentant pratiquement beaucoup plus dinconvnients que davantages
vritables. Cest pourquoi le point de dpart et la dure du Manvantara ont toujours tdissimuls plus ou moins soigneusement, soit en ajoutant ou en retranchant un nombre
dtermin dannes aux dates relles, soit en multipliant ou divisant les dures des priodes
cycliques de faon conserver seulement leurs proportions exactes ; et nous ajouterons quecertaines correspondances ont parfois aussi t interverties pour des motifs similaires. Si la
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dure du Manvantara est 4 320, celles des quatre Yugas seront respectivement 1 728, 1 296,864 et 432 ; mais par quel nombre faudra-t-il multiplier ceux-l pour obtenir lexpression de
ces dures en annes ? Il est facile de remarquer que tous les nombres cycliques sont en
rapport direct avec la division gomtrique du cercle : ainsi, 4 320 = 360 x 12 ; il ny a
dailleurs rien darbitraire ou de purement conventionnel dans cette division, car, pour des
raisons relevant deal correspondance qui existe dans larithmtique et la gomtrie, il estnormal quelle seffectue suivant des multiples de 3, 9, 12, tandis que la division dcimale est
celle qui convient proprement la ligne droite. Cependant, cette observation, bien que
vraiment fondamentale, ne permettrait pas daller trs loin dans la dtermination des priodes
cycliques, si lon ne savait en outre, que la base principale de celles-ci, dans lordre cosmique,
est la priode astronomique de la prcession des quinoxes, dont la dure est de 25 920 ans,
de telle sorte que le dplacement des points quinoxiaux est dun degr en 72 ans. Ce nombre
72 est prcisment un sous-multiple de 4 320 = 72 x 60, et 4 320 est son tour un sous-
multiple de 25 920 = 4 320 x 6 ; le fait quon retrouve pour la prcession des quinoxes les
nombres lis la division du cercle est dailleurs encore une preuve du caractre
vritablement naturel de cette dernire ; mais la question qui se pose est maintenant celle-ci :
quel multiple ou sous-multiple de la priode astronomique dont il sagit correspondrellement la dure du Manvantara ?La priode qui apparat le plus frquemment dans diffrentes traditions, vrai dire, est peut-
tre moins celle mme de la prcession des quinoxes que sa moiti : cest, en effet, celle-ci
qui correspond notamment ce qutait la grande anne des Perses et des Grecs, value
souvent par approximation 12 000 ou 13 000 ans, sa dure exacte tant de 12 960 ans. Etant
donn limportance toute particulire qui est ainsi attribue cette priode, il est prsumer
que le Manvantara devra comprendre un nombre entier de ces grandes annes ; mais
alors quel sera ce nombre ? A cet gard, nous trouvons tout au moins, ailleurs que dans la
tradition hindoue, une indication prcise, et qui semble assez plausible pour pouvoir cette fois
tre accepte littralement : chez les Chaldens, la dure du rgne de Xisuthros, qui est
manifestement identique Vaivaswata, le Manu de lre actuelle, est fixe 64 800, soitexactement cinq grandes annes .
Remarquons incidemment que le nombre 5, tant celui des bhtas ou lments du monde
sensible, doit ncessairement avoir une importance spciale au point de vue cosmologique, ce
qui tend confirmer la ralit dune telle valuation : peut-tre mme y aurait-il lieu
denvisager une certaine correlation entre les cinq Bhtas et les cinq grandes annes successives dont il sagit, dautant plus que, en fait, on rencontre dans les traditions anciennes
de lAmrique centrale une association expresse des lments avec certaines priodes
cycliques ; mais cest l une question qui demanderait tre examine de plus prs. Quoi quil
en soit, si telle est bien la dure relle du Manvantara, et si lon continue prendre pour base
le nombre 4 320, qui est gal au tiers de la grande anne , cest donc par 15 que ce nombredevra tre multipli. Dautre part, les cinq grande anne seront naturellement rparties de
faon ingale, mais suivant des rapports simples, dans les quatre Yugas : le Krita-Yuga en
contiendra 2, le Trt-Yuga 1 , le Dwpara-Yuga 1, et le Kali-Yuga ; ces nombres sontdailleurs, bien entendu la moiti de ceux que nous avions prcdemment en reprsentant par
10 la dure du Manvantara. Evalues en annes ordinaires, ces mmes dures des quatre
Yugas seront respectivement de 25 920, 19 440, 12 960 et 6 480 ans, formant le total de 64
800 ans ; et lon reconnatra que ces chiffres se tiennent au moins dans des limites
parfaitement vraisemblables, pouvant fort bien correspondre lanciennet relle de la
prsente humanit terrestre.
Nous arrterons l ces quelques considrations, car, pour ce qui est du point de dpart de notre
Manvantara, et, par consquent, du point exact de son cours o nous en sommesactuellement, nous nentendons pas nous risquer essayer de les dterminer. Nous savons,
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pour toutes les donnes traditionnelles, que nous sommes depuis longtemps dj dans le Kali-
Yuga ; nous pouvons dire, sans aucune crainte derreur, que nous sommes mme dans une
phase avance de celui-ci, phase dont les descriptions donnes dans les Purnas rpondentdailleurs, de la faon la plus frappante, aux caractres de lpoque actuelle ; mais ne serait-il
pas imprudent de vouloir prciser davantage, et, par surcrot, cela naboutirait-il pas
invitablement ces sortes de prdictions auxquelles la doctrine traditionnelle a, non sans degraves raisons, oppos tant dobstacles ?
Comptes rendus
MIRCEA ELIADE : Le Mythe de lternel retour. Archtypes et rptition.(Gallimard, Paris).
Le titre de ce petit volume, qui dailleurs ne rpond pas exactement son contenu, ne nous
parat pas trs heureux, car il fait invitablement penser aux conceptions modernes auxquelles
sapplique habituellement ce nom d ternel retour , et qui, outre la confusion de lternit
avec la dure indfinie, impliquent lexistence dune rptition impossible, et nettement
contraire la vritable notion traditionnelle des cycles, suivant laquelle il y a seulement
correspondance et non pas identit ; il y a l en somme, dans lordre macrocosmique, une
diffrence comparable celle qui existe, dans lordre microcosmique, entre lide de la
rincarnation et celle du passage de ltre travers les tats multiples de la manifestation. En
fait, ce nest pas de cela quil sagit dans le livre de M. Eliade et ce quil entend par
rptition nest pas autre chose que la reproduction ou plutt limitation rituelle de ce qui
fut fait au commencement . Dans une civilisation intgralement traditionnelle, tout procde
d archtypes clestes : Ainsi, les villes, les temples et les demeures sont toujours difissuivant un modle cosmique ; une autre question connexe, et que mme, au fond, diffre
beaucoup moins de celle-l que lauteur ne semble le penser, est celle de lidentification
symbolique avec le Centre . Ce sont l des choses dont nous avons eu nous-mme parler
bien souvent ; M. Eliade a runi de nombreux exemples se rfrant aux traditions les plus
diverses, ce qui montre bien luniversalit et pourrions-nous le dire, la normalit de ces
conceptions. Il passe ensuite ltude des rites proprement dits, toujours au mme point de
vue ; mais il est un point sur lequel nous devons faire une srieuse rserve : il parle d
archtypes des activits profanes , alors que prcisment, tant quune civilisation garde un
caractre intgralement traditionnel, il ny a pas dactivits profanes : nous croyons
comprendre que ce quil dsigne ainsi, cest ce qui devenu profane par suite dune certaine
dgnrescence, ce qui est bien diffrent, car alors, et par l mme, il ne peut plus trequestion d archtypes , le profane ntant tel que parce que nest plus reli aucun
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principe transcendant dailleurs, il ny a certainement rien de profane dans les exemples quil
donne (danses rituelles, sacre dun roi, mdecine traditionnelle). Dans la suite, il est plus
particulirement question du cycle annuel et des rites qui y sont lis ; naturellement, en vertu
de la correspondance qui existe entre tous les cycles, lanne elle-mme peut tre prise
comme une image rduite des grands cycles de la manifestation universelle, et cest ce qui
explique notamment que son commencement soit considr comme ayant un caractre cosmogonique ; lide dune rgnration du temps , que lauteur fait intervenir ici, nest
pas trs claire, mais il semble quil faille entendre par l loeuvre divine de conservation du
monde manifest, laquelle laction rituelle est une vritable collaboration, en vertu des
relations qui existent entre lordre cosmique et lordre humain. Ce qui est regrettable, cest
que, pour tout cela, on sestime oblig de parler de croyances , alors quil sagit de
lapplication de connaissances trs relles, et de sciences traditionnelles qui ont une tout autre
valeur que les sciences profanes ; et pourquoi faut-il aussi, par une autre concession aux
prjugs modernes, sexcuser davoir vit toute interprtation sociologique ou
ethnographique , alors que nous ne saurions au contraire trop louer lauteur de cette
abstention, surtout quand nous nous rappelons quel point dautres travaux sont gts par de
semblables interprtations ?Les derniers chapitres sont moins intressants notre point de vue, et ce sont en tout cas les
plus contestables, car ce quils contiennent nest plus un expos de donnes traditionnelles,
mais plutt des rflexions qui appartiennent en propre M. Eliade et dont il essaie de tirer une
sorte de philosophie de lhistoire ; nous ne voyons dailleurs pas comment les conceptions
cycliques sopposeraient en quelque faon lhistoire (il emploie mme lexpression de
refus de lhistoire ), et, vrai dire, celle-ci ne peut au contraire avoir rellement un sens
quen tant quelle exprime le droulement des vnements dans le cours du cycle humain,
quoique les historiens profanes ne soient assurment gure capables de sen rendre compte. Si
lide de malheur peut en un sens sattacher l existence historique , cest justement
parce que la marche du cycle seffectue suivant un mouvement descendant ; et faut-il ajouter
que les considrations finales, sur la terreur de lhistoire , nous paraissent vraiment un peu
trop inspires par des proccupations d actualit ?
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GASTON GEORGEL : Les Rythmes dans lHistoire.(Chez lauteur, Belfort.)
Ce livre constitue un essai dapplication des cycles cosmiques lhistoire des peuples, aux
phases de croissance et de dcadence des civilisations ; il est vraiment dommage que lauteur,
pour entreprendre un tel travail, nait pas eu sa disposition des donnes traditionnelles plus
compltes, et que mme il nen ait connu quelques-unes qu travers des intermdiaires plus
ou moins douteux et qui y ont ml leurs propres imaginations. Il a cependant bien vu que ce
quil y a dessentiel considrer, cest la priode de la prcession des quinoxes et ses
divisions, encore quil y adjoigne quelques complications qui semblent assez peu utiles au
fond ; mais la terminologie adopte pour dsigner certaines priodes secondaires trahit bien
des mprises et des confusions. Ainsi, le douzime de la prcession ne peut certainement pas
tre appel anne cosmique ; ce nom conviendrait beaucoup mieux, soit la priode
entire, soit plutt encore sa moiti qui est prcisment la grande anne des Anciens.
Dautre part, la dure de 25 765 ans est probablement emprunte quelque calcul
hypothtique des astronomes modernes ; mais la vritable dure indique traditionnellementest de 25 920 ans ; une consquence singulire est que, en fait, lauteur se trouve parfois
amen prendre des nombres exacts pour certaines divisions, par exemple 2 160 et 540, mais
qualors il les considre comme seulement approximatifs . Ajoutons, encore une autre
observation ce propos ; il croit trouver une confirmation du cycle de 539 ans dans certains
textes bibliques qui suggrent le nombre 77 x 7 = 539 ; mais, prcisment, il aurait d prendre
ici 77 x 7 + 1 = 540, ne ft-ce que par analogie avec lanne jubilaire qui ntait pas la 49me
mais bien la 50me, soit 7 x 7 + 1 = 50. Quant aux applications, sils sy trouve des
correspondances et des rapprochements non seulement curieux mais rellement dignes de
remarque, nous devons dire quil y en a dautres qui sont beaucoup moins frappants ou qui
mme semblent quelque peu forcs, au point de rappeler assez fcheusement les enfantillages
de certains occultistes ; il y aurait aussi bien des rserves faire sur dautres points, parexemple les chiffres fantaisistes indiqus pour la chronologie des anciennes civilisations.
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Dautre part, il et t intressant de voir si lauteur aurait pu continuer obtenir des rsultats
du mme genre en tendant davantage son champ dinvestigations, car il y a eu et il y a encore
bien dautres peuples que ceux quil envisage ; en tout cas, nous ne pensons pas quil soit
possible dtablir un synchronisme gnral, car, pour des peuples diffrents, le point de
dpart doit tre galement diffrent ; et, de plus, les civilisations diverses ne se succdent pas
simplement, elles coexistent aussi, comme on peut le constater encore actuellement. Enterminant, lauteur a cru bon de se livrer quelques tentatives de prvision de lavenir ,
dailleurs dans des limites assez restreintes ; cest l un des dangers de ces sortes de
recherches, surtout notre poque o les soi-disant prophties ont tant de vogue ; aucune
tradition na certes jamais encourag ces choses et cest mme pour y faire obstacle dans la
mesure du possible plus que pour tout autre raison, que certains cts de la doctrine des cycles
ont toujours t envelopps dobscurit.
GASTON GEORGEL : Les Rythmes dans lHistoire.(Editions Servir , Besanon.)
Nous avons rendu compte de ce livre lorsque parut sa premire dition (numro doctobre1937) ; cette poque, lauteur, comme il lindique du reste dans lavant-propos de la
nouvelle dition, ne connaissait presque rien des donnes traditionnelles sur les cycles, si bien
que cest en somme par une heureuse rencontre quil tait arriv en retrouver quelques-unes
en partant dun point de vue tout empirique , et notamment souponner limportance de
la prcession des quinoxes. Les quelques remarques que nous fmes alors eurent pour
consquence de lorienter vers des tudes plus approfondies, ce dont nous ne pouvons certes
que nous fliciter, et nous devons lui exprimer nos remerciements de ce quil veut bien dire
ce sujet en ce qui nous concerne. Il a donc modifi et complt son ouvrage sur de nombreux
points, ajoutant quelques chapitres ou paragraphes nouveaux, dont un sur lhistorique de la
question des cycles, corrigeant diverses inexactitudes, et supprimant les considrations
douteuses quil avait tout dabord acceptes sur la foi dcrivains occultistes, faute de pouvoir
les comparer avec des donnes plus authentiques.
Nous regrettons seulement quil ait oublier de remplacer par les nombres exacts 540 et 1 080
ceux de 539 et 1078 ans, ce que semblait pourtant annoncer lavant-propos, et dautant plus
que, par contre, il a bien rectifi en 2 160 celui de 2 156 ans, ce qui introduit un certain
dsaccord apparent entre les chapitres qui se rapportent respectivement ces divers cycles
multiples lun de lautre. Il est quelque peu fcheux aussi quil ait conserv les expressions d
anne cosmique et de saison cosmique pour dsigner des priodes dune dure
beaucoup trop restreinte pour quelles puissent sy appliquer vritablement (celles
prcisment de 2 160 et de 540 ans), et qui seraient plutt seulement, si lon veut, des mois
et des semaines , dautant plus que le nom de mois conviendrait en somme assez bienpour le parcours dun signe zodiacal dans le mouvement de prcession des quinoxes, et que,
dautre part, le nombre 540 = 77 x 7 + 1 a, comme celui de la septuple semaine dannes
jubilaire (50 = 7 x 7 +1) dont il est en quelque sorte une extension , un rapport particulier
avec le septnaire. Ce sont l dailleurs peu prs les seules critiques de dtail que nous ayons
formuler cette fois, et le livre, dans son ensemble, est fort digne dintrt et se distingue
avantageusement de certains autres ouvrages o stalent, propos des thories cycliques, des
prtentions beaucoup plus ambitieuses et assurment bien peu justifies ; il se borne
naturellement la considration de ce quon peut appeler les petits cycles historiques, et
cela dans le cadre des seules civilisations occidentales et mditerranennes, mais nous savons
que M. Georgel prpare actuellement, dans le mme ordre dides, dautres travaux dun
caractre plus gnral, et nous souhaitons quil puisse bientt les mener galement bonnefin.
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II
Atlantide et Hyperbore
Dans Atlantis (juin 1929), M. Paul Le Cour relve la note de notre article de mai dernier, 1
dans laquelle nous affirmions la distinction de lHyperbore et de lAtlantide, contre ceux qui
veulent les confondre et qui parlent d Atlantide hyperborenne . A vrai dire, bien que cette
expression semble en effet appartenir en propre M. Le Cour, nous ne pensions pas
uniquement lui en crivant cette note, car il nest pas seul commettre la confusion dont il
sagit ; on la trouve galement chez M. Herman Wirth, auteur dun important ouvrage sur les
origines de lhumanit (Der Aufgang der Menschheit) paru rcemment en Allemagne, et qui
emploie constamment le terme nord-atlantique pour dsigner la rgion qui fut le point de
dpart de la tradition primordiale. Par contre, M. Le Cour est bien le seul, notre
connaissance tout au moins, qui nous ait prt nous-mme laffirmation de lexistence dune
Atlantide hyperborenne ; si nous ne lavions point nomm ce propos, cest que les
questions de personnes comptent fort peu pour nous, et que la seule chose qui nous importaittait de mettre nos lecteurs en garde contre une fausse interprtation, do quelle pt venir.
Nous nous demandons comment M. Le Cour nous a lu ; nous nous le demandons mme plus
que jamais, car voil maintenant quil nous fait dire que le ple Nord, lpoque des origines,
ntait point celui daujourdhui, mais une rgion voisine, semble-t-il, de lIslande et du
Groenland ; o a-t-il bien pu trouver cela ? Nous sommes absolument certain de navoir
jamais crit un seul mot l-dessus, de navoir jamais fait la moindre allusion cette question,
dailleurs secondaire notre point de vue, dun dplacement possible du ple depuis le dbut
du notre Manvantara, 2 plus forte raison navons-nous jamais prcis sa situation originellequi dailleurs serait peut-tre, pour bien des motifs divers, assez difficile dfinir par rapport
aux terres actuelles. M. Le Cour dit encore que, malgr notre hindouisme, nous convenons
que lorigine des traditions est occidentale ; nous nen convenons nullement, bien aucontraire, car nous disons quelle est polaire, et le ple, que nous sachions, nest pas plus
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occidental quoriental ; nous persistons penser que, comme nous le disions dans la note
vise, le Nord et lOuest sont deux point cardinaux diffrents.
1 Article intitul Les Pierres de foudre paru dans Le Voile dIsis, n de mai 1929 et formant le chapitre
XXV du recueil Symboles fondamentaux de la Science sacre.
2 Cette question parat tre lie celle de linclinaison de laxe terrestre, inclinaison qui, daprs
certaines donnes traditionnelles, naurait pas exist ds lorigine, mais serait une consquence de ce
qui est dsign en langage occidental comme la chute de lhomme .
Cest seulement une poque de lorigine que le sige de la tradition primordiale, transfr en
dautres rgions, a pu devenir, soit occidental, soit oriental, occidental pour certaines priodes
et oriental pour dautres, et, en tout cas, srement oriental en dernier lieu et dj bien avant le
commencement des temps dits historiques (parce quils sont les seuls accessibles auxinvestigations de lhistoire profane ). Dailleurs, quon le remarque bien, ce nest
nullement malgr notre hindouisme (M. Le Cour ,en employant ce mot, ne croit
probablement pas dire si juste), mais au contraire cause de celui-ci, que nous considrons
lorigine des traditions comme nordique, et mme plus exactement comme polaire, puisque
cela est expressment affirm dans le Vda, aussi bien que dans dautres livres sacrs.1Laterre o le soleil faisait le tour de lhorizon sans se coucher devait tre en effet situe bien prs
du ple, sinon au ple mme ; il est dit aussi que, plus tard, les reprsentants de la tradition se
transportrent en une rgion o le jour le plus long tait double du jour le plus court, mais ceci
se rapporte dj une phase ultrieure, qui, gographiquement, na videmment plus rien
voir avec lHyperbore. Il se peut que M. Le Cour ait raison de distinguer une Atlantide
mridionale et une Atlantide septentrionale, quoiquelles naient pas d tre primitivementspares ; mais il nen est pas moins vrai que lAtlantide septentrionale elle-mme navait rien
dhyperboren.
Ce qui complique beaucoup la question, nous le reconnaissons trs volontiers, cest que les
mmes dsignations ont t appliques, dans la suite des temps, des rgions fort diverses, et
non seulement aux localisations successives du centre traditionnel primordial, mais encore
des centres secondaires qui en procdaient plus ou moins directement. Nous avons signal
cette difficult dans notre tude sur Le Roi du Monde, o, prcisment la page mme
laquelle se rfre M. Le Cour, nous crivions ceci : Il faut distinguer la Tula atlante (le lieu
dorigine des Toltques, qui tait probablement situ dans lAtlantide septentrionale) de la
Tula hyperborenne ; et cest cette dernire qui, en ralit, reprsente le centre premier et
suprme pour lensemble du Manvantara actuel ; cest elle qui fut l le sacre parexcellence, et sa situation tait littralement polaire lorigine. Toutes les autres les sacres
, qui sont dsignes partout par des noms de signification identique, ne furent que des images
de celle-l ; et ceci sapplique mme au centre spirituel de la tradition atlante, qui ne rgit
quun cycle historique secondaire, subordonn au Manvantara.2 Et nous ajoutions en note :
Une grande difficult, pour dterminer le point de jonction de la tradition atlante avec le
tradition hyperborenne, provient de certaines substitutions de noms qui peuvent donner lieu
de multiples confusions ; mais la question, malgr tout, nest peut-tre pas entirement
insoluble.
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1 Ceux qui voudraient avoir des rfrences prcises cet gard pourraient les trouver dans le
remarquable ouvrage de B. G. Tilak, The Arctic Home in the Veda, qui semble malheureusement tre
rest compltement inconnu en Europe, sans doute parce que son auteur tait un Hindou non
occidentalis.
2 A propos de la Tula atlante, nous croyons intressant de reproduire ici une information que nous
avons releve dans une chronique gographique du Journal des Dbats (22 janvier 1929), sur Les
Indiens de listhme de Panama, et dont limportance a certainement chapp lauteur mme de cet
article : En 1925, une grande partie des Indiens Cuna se soulevrent, turent les gendarmes de
Panama qui habitaient sur leur territoire et fondrent la Rpublique indpendante de Tul, dont ledrapeau est un swastika sur fond orange bordure rouge. Cette rpublique existe encore lheureactuelle. Cela semble indiquer quil subsiste encore, en ce qui concerne les traditions de lAmrique
ancienne, beaucoup plus de choses quon ne serait tent de le croire.
En parlant de ce point de jonction , nous pensions surtout au Druidisme ; et voici justement
que, propos du Druidisme, nous trouvons encore dans Atlantis (juillet aot 1929) une
autre note qui prouve combien il est parfois difficile de se faire comprendre. Au sujet de notre
article de juin sur la triple enceinte ,1M. Le Cour crit ceci : Cest restreindre la porte
de cet emblme que den faire uniquement un symbole druidique ; il est vraisemblable quillui est antrieur et quil rayonne au-del du monde druidique. Or, nous sommes si loin den
faire uniquement un symbole druidique que, dans cet article, aprs avoir not, suivant M. Le
Cour lui-mme, des exemples relevs en Italie et en Grce, nous avons dit : Le fait que cette
mme figure se retrouve ailleurs que chez les Celtes indiquerait quil y avait, dans dautres
formes traditionnelles, des hirarchies initiatiques constitues sur le mme modle (que la
hirarchie druidique), ce qui est parfaitement normal. Quant la question dantriorit, il
faudrait tout dabord savoir quelle poque prcise remonte le Druidisme, et il est probable
quil remonte beaucoup plus haut quon ne le croit dordinaire, dautant plus que les Druides
taient les possesseurs dune tradition dont une part notable tait incontestablement de
provenance hyperborenne.
Nous profiterons de cette occasion pour faire une autre remarque qui a son importance : nous
disons Hyperbore pour nous conformer lusage qui a prvalu depuis les Grecs ; mais
lemploi de ce mot montre que ceux-ci, lpoque classique tout au moins, avaient dj
perdu le sens de la dsignation primitive. En effet, il suffirait en ralit de dire Bore , mot
strictement quivalent au sanscrit Varha, ou plutt, quand il sagit dune terre, son driv
fminin Vrh: cest la terre du sanglier , qui devint aussi la terre de lours unecertaine poque, pendant la priode de prdominance des Kshatriyas laquelle mit fin
Parashu-Rma.2Il nous reste encore, pour terminer cette mise au point ncessaire, dire quelques mots sur
trois ou quatre questions que M. Le Cour aborde incidemment dans ses deux notes ; et, tout
dabord, il y a une allusion au swastika, dont il dit que nous faisons le signe du ple . Sansy mettre la moindre animosit, nous prierons ici M. Le Cour de ne point assimiler notre cas au
sien, car enfin il faut bien dire les choses comme elles sont : nous le considrons comme un
chercheur (et cela nest nullement pour diminuer son mrite), qui propose des explications
selon des vues personnelles, quelque peu aventureuses parfois, et cest bien son droit,
puisquil nest rattach aucune tradition actuellement vivante et nest en possession
daucune donne reue par transmission directe ; nous pourrions dire, en dautres termes, quil
fait de larchologie, tandis que, quant nous, nous faisons de la science initiatique, et il y a l
deux points de vue qui, mme quand ils touchent aux mmes sujets, ne sauraient concider en
aucune faon.
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1 Article intitul La triple enceinte druidique paru dans Le Voile dIsis, 1929 et formant le chapitre x
de Symboles fondamentaux de la Science sacre.
2 Ce nom de Vrhsapplique la terre sacre , assimile symboliquement un certain aspect dela Shakti de Vishnu, celui-ci tant alors envisag plus spcialement dans son troisime avatra ; il yaurait beaucoup dire sur ce sujet, et peut-tre y reviendrons-nous quelque jour. Ce mme nom na
jamais pu dsigner lEurope comme Saint-Yves dAlveydre parat lavoir cru ; dautre part, on aurait
peut tre vu un peu plus clair sur ces questions, en Occident, si Fabre dOlivet et ceux qui lont suivi
navaient ml inextricablement lhistoire de Parashu-Rma et celle de Rma-Chandra, c'est--direles siximes et septime avatras, qui sont pourtant distincts tous gards.
Nous ne faisons point du swatiska le signe du ple : nous disons quil est cela et quil la
toujours t, que telle est sa vritable signification traditionnelle, ce qui est tout diffrent ;
cest l un fait auquel ni M. Le Cour ni nous-mme ne pouvons rien. M. Le Cour, qui ne peut
videmment faire que des interprtations plus ou moins hypothtiques, prtend que le
swatiska nest quun symbole se rapportant un idal sans lvation ;1cest l sa faon
de voir, mais ce nest rien de plus, et nous sommes dautant moins disposer la discuter
quelle ne reprsente aprs tout quune simple apprciation sentimentale ; lev ou non,
un idal est pour nous quelque chose dassez creux, et, la vrit, il sagit de choses
beaucoup plus positives , dirions-nous volontiers si lon navait tant abus de ce mot.
M. Le Cour, dautre part, ne parat pas satisfait de la note que nous avons consacre larticle
dun de ses collaborateurs qui voulait toute force voir une opposition entre lOrient et
lOccident, et qui faisait preuve, vis--vis de lOrient, dun exclusivisme tout fait
dplorable.2Il crit l-dessus des choses tonnantes : M. Ren Gunon, qui est un logicien
pur, ne saurait rechercher, aussi bien en Orient quen Occident, que le ct purement
intellectuel des choses, comme le prouvent ses crits ; il le montre encore en dclarantquAgni se suffit lui-mme (voirRegnabit, avril 1926) et en ignorant la dualit Aor-Agni,
sur laquelle nous reviendrons souvent, car elle est la pierre angulaire de ldifice du monde
manifest. Quelle que soit dordinaire notre indiffrence lgard de ce quon crit sur
nous, nous ne pouvons tout de mme pas laisser dire que nous sommes un logicien pur ,
alors que nous ne considrons au contraire la logique et la dialectique que comme de simples
instruments dexposition, parfois utiles ce titre, mais dun caractre tout extrieur, et sans
aucun intrt en eux-mmes ; nous ne nous attachons, rptons-le encore une fois, quau seul
point de vue initiatique, et tout le reste, c'est--dire ce qui nest que connaissance profane ,
est entirement dpourvu de valeur nos yeux. Sil est vrai que nous parlons souvent d
intellectualit pure , cest que cette expression a un tout autre sens pour nous que pour M. Le
Cour, qui parat confondre intelligence avec raison , et qui envisage dautre part une intuition esthtique , alors quil ny a pas dautre intuition vritable que l intuition
intellectuelle , dordre supra-rationnel ; il y a dailleurs l quelque chose dautrement
formidable que ne peut le penser quelquun qui, manifestement na pas le moindre soupon de
ce que peut tre la ralisation mtaphysique , et qui se figure probablement que nous ne
sommes quune sorte de thoricien, ce qui prouve une fois de plus quil a bien mal lu nos
crits, qui paraissent pourtant le proccuper trangement. Quant lhistoire dAor-Agni, quenous n ignorons pas du tout, il serait bon den finir une fois pour toutes avec ces rveries,
dont M. Le Cour na dailleurs pas la responsabilit : si Agni se suffit lui-mme , cest
pour la bonne raison que ce terme, en sanscrit, dsigne le feu sous tous ces aspects, sans
aucune exception, et ceux qui prtendent le contraire prouvent simplement par l leur totale
ignorance de la tradition hindoue.
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1 Nous voulons supposer que, en crivant ces mots, M. Le Cour a eu plutt en vue des interprtationsmodernes et non traditionnelles du swastika, comme celles quont pu concevoir par exemple les racistes allemands, qui ont en effet prtendu semparer de cet emblme, en laffublant dailleurs de
lappellation baroque et insignifiante de hakenkreuz ou croix crochets .2 M. Le Cour nous reproche davoir dit ce propos que son collaborateur na srement pas le don
des langues , et il trouve que cest l une affirmation malheureuse ; il confond tout simplement,
hlas ! le don des langues avec les connaissances linguistiques ; ce dont il sagit na absolument
rien voir lrudition.
Nous ne disions pas autre chose dans la note de notre article de Regnabit, que nous croyons
ncessaire de reproduire ici textuellement : Sachant que, parmi les lecteurs de Regnabit, ilen est qui sont au courant des thories dune cole dont les travaux, quoique trs intressants
et trs estimables bien des gards, appellent pourtant certaines rserves, nous devons dire icique nous ne pouvons accepter lemploi des termes Aor et Agnipour dsigner les deux aspects
complmentaires du feu (lumire et chaleur). En effet, le premier de ces deux mots est hbreu,
tandis que le second est sanscrit, et lon ne peut associer ainsi des termes emprunts des
traditions diffrentes, quelles que soient les concordances relles qui existent entre celles-ci,
et mme lidentit foncire qui se cache sous la diversit de leurs formes ; il ne faut pas
confondre le syncrtisme avec la vritable synthse. En outre, si Aor est bien
exclusivement la lumire, Agni est le principe ign envisag intgralement (lignis latin tant
dailleurs exactement le mme mot), donc la fois comme lumire et comme chaleur ; la
restriction de ce terme la dsignation du second aspect est tout fait arbitraire et injustifie.
Il est peine besoin de dire que, en crivant cette note, nous navons pas pens le moins du
monde M. Le Cour ; nous pensions uniquement au Hiron de Paray-le-Monial, auquelappartient en propre linvention de cette bizarre association verbale. Nous estimons navoir
tenir aucun compte dune fantaisie issue de limagination un peu trop fertile de M. de
Sarachaga, donc entirement dnue dautorit et nayant pas la moindre valeur au point de
vue traditionnel, auquel nos entendons nous en tenir rigoureusement.1
Enfin, M. Le Cour profite de la circonstance pour affirmer de nouveau la thorie
antimtaphysiquee et anti-initiatique de l individualisme occidental, ce qui, somme toute,
est son affaire et nengage que lui ; et il ajoute, avec une sorte de fiert qui montre bien quil
est en effet fort peu dgag des contingences individuelles : Nous maintenons notre point de
vue parce que nous sommes les anctres dans le domaine des connaissances.
Cette prtention est vraiment un peu extraordinaire ; M. Le Cour se croit-il donc si vieux ?
Non seulement les Occidentaux modernes ne sont les anctres de personne, mais ils ne sontmme pas des descendants lgitimes, car ils ont perdu la clef de leur propre tradition ; ce nest
pas en Orient quil y a eu dviation , quoi quen puissent dire ceux qui ignorent tout des
doctrines orientales. Les anctres , pour rependre le mot de M. Le Cour, ce sont les
dtenteurs effectifs de la tradition primordiale ; il ne saurait y en avoir dautres, et, lpoque
actuelle, ceux-l ne se trouvent certes pas en Occident.
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1 Cest le mme M. de Sarachaga qui crivait zwadiscapourswastika ; un des disciples, qui nousen faisions la remarque un jour, nous assura quil devait avoir ses raisons pour lcrire ainsi ; cest l
une justification un peu trop facile !
Place de la tradition atlantenne dans le Manvantara
Nous avons prcdemment, sous le titre Atlantide et Hyperbore, signal la confusion qui est
faite trop frquemment entre la Tradition primordiale, originellement polaire au sens
littral du mot, et dont le point de dpart est celui mme du prsent Manvantara, et la
tradition drive et secondaire que fut la tradition atlantenne, se rapportant une priode
beaucoup plus restreinte. Nous avons dit alors, et ailleurs aussi diverses reprises,1 que cetteconfusion pouvait sexpliquer, dans une certaine mesure, par le fait que les centres spirituels
subordonns taient constitus limage du Centre suprme, et que les mmes dnominations
leur avaient t appliques. Cest ainsi que la Tula atlante, dont le nom sest conserv dans
lAmrique centrale o il fut apport par les Toltques, dut tre le sige dun pouvoir spirituel
qui tait comme une manation de celui de la Tula hyperborenne ; et, comme ce nom de
Tula dsigne la Balance, sa double application est en rapport troit avec le transfert de cette
mme dsignation de la constellation polaire de la Grande Ourse au signe zodiacal qui,
actuellement encore, porte ce nom de la Balance.
Cest aussi la tradition atlantenne quil faut rapporter le transfert du sapta-riksha (lademeure symbolique des sept Rishis), une certaine poque, de la mme Grande Ourse aux
Pliades, constellation galement forme de sept toiles, mais de situation zodiacale ; ce qui
ne laisse aucun doute cet gard, cest que les Pliades taient dites filles dAtlas et, comme
telles, appeles aussi Atlantides.
Tout ceci est en accord avec la situation gographique des centres traditionnels, lie elle-
mme leurs caractres propres, aussi bien qu leur place respective dans la priode
cyclique, car tout se tient ici beaucoup plus troitement que ne pourraient le supposer ceux qui
ignorent les lois de certaines correspondances. LHyperbore correspond videmment au
Nord, et lAtlantide lOccident ; et il est remarquable que les dsignations mmes de ces
deux rgions, pourtant nettement distinctes, puissent galement prter confusion, des noms
de mme racine ayant t appliqus lune et lautre. En effet, on trouve cette racine, sous
des formes diverses telles que hiber, iber ou eber, et aussi erebpar transposition des lettres,dsignant la fois la rgion de lhiver, c'est--dire le Nord, et la rgion du soir ou du soleil
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couchant, c'est--dire lOccident, et les peuples qui habitent lune et lautre ; ce fait est
manifestement du mme ordre encore que ceux que nous venons de rappeler. La position
mme du centre atlanten sur laxe Orient-Occident indique sa subordination par rapport au
centre hyperboren, situ sur laxe polaire Nord-Sud.
1 Voir notamment Le Roi du Monde.
En effet, bien que lensemble de ces deux axes forme, dans le systme complet des six
directions de lespace, ce quon peut appeler une croix horizontale, laxe Nord-Sud nen doit
pas moins tre regard comme relativement vertical par rapport laxe Orient-Occident, ainsi
que nous lavons expliqu ailleurs.1 On peut encore, conformment au symbolisme du cycle
annuel, donner au premier de ces deux axes le nom daxe solsticial, et au second celui daxequinoxial ; et ceci permet de comprendre que le point de dpart donn lanne ne soit pas le
mme dans toutes les formes traditionnelles.
Le point de dpart que lon peut appeler normal, comme tant directement en conformit avec
la Tradition primordiale, est le solstice dhiver ; le fait de commencer lanne lun des
quinoxes indique le rattachement une tradition secondaire, telle que la tradition
atlantenne. Cette dernire, dautre part, se situant dans une rgion qui correspond au soir
dans le cycle diurne, doit tre regarde comme appartenant une des dernires divisions du
cycle de lhumanit terrestre actuelle, donc comme relativement rcente ; et, en fait, sans
chercher donner des prcisions qui seraient difficilement justifiables, on peut dire quelle
appartient certainement la seconde moiti du prsent Manvantara.2 En outre, commelautomne dans lanne correspond au soir dans le jour, on peut voir une allusion directe au
monde atlanten dans ce quindique la tradition hbraque (dont le nom est dailleurs de ceux
qui marquent lorigine occidentale), que le monde fut cr lquinoxe dautomne (le premier
jour du mois de Thishri, suivant une certaine transposition des lettres du mot Bereshith) ; et
peut-tre est-ce l aussi la raison la plus immdiate (il y en a dautres dun ordre plus profond)
de lnonciation du soir (ereb) avant le matin (boqer) dans le rcit des jours de la
Gnse.3 Ceci pourrait trouver une confirmation dans le fait que la signification littrale du
nom dAdam est rouge , la tradition atlantenne ayant t prcisment celle de la race
rouge ; et il semble aussi que le dluge biblique corresponde directement au cataclysme o
disparut lAtlantide, et que, par consquent, il ne doive pas tre identifi au dluge de
Satyavrata qui, suivant la tradition hindoue, issue directement de la Tradition primordiale,prcda immdiatement le dbut de notre Manvantara.4 Bien entendu, ce sens quon peutappeler historique nexclut nullement les autres sens ; il ne faut dailleurs jamais perdre de
vue que, suivant lanalogie qui existe entre un cycle principal et les cycles secondaires en
lesquels il se subdivise, toutes les considrations de cet ordre sont toujours susceptibles
dapplications des degrs divers ; mais ce que nous voulons dire, cest quil semble bien que
le cycle atlanten ait t pris comme base dans la tradition hbraque, que la transmission se
soit faite dailleurs par lintermdiaire des Egyptiens, ce qui tout au moins na rien
dinvraisemblable, ou par tout autre moyen.
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1 Voir notre tude sur Le symbolisme de la Croix.
2 Nous pensons que la dure de la civilisation atlantenne dut tre gale une grande anne
entendue au sens de la demi-priode de prcession des quinoxes ; quant au cataclysme qui y mit fin,certaines donnes concordantes semblent indiquer quil eut lieu sept mille deux cents ans avant
lanne 720 du Kali-Yuga, anne qui est elle-mme le point de dpart dune re connue, mais dontceux qui lemploient encore actuellement ne semblent plus savoir lorigine ni la signification.
3 Chez les Arabes galement, lusage est de compter les heures du jour partir du maghreb, c'est--dire du coucher du soleil.
4 Par contre, les dluges de Deucalion et dOgygs, chez les Grecs, semblent se rapporter despriodes encore plus restreintes et des cataclysmes partiels postrieurs celui de lAtlantide.
Si nous faisons cette dernire rserve, cest quil semble particulirement difficile de
dterminer comment se fit la jonction du courant venu de lOccident, aprs la disparition de
lAtlantide, avec un autre courant descendu du Nord et procdant directement de la Tradition
primordiale, jonction dont devait rsulter la constitution des diffrentes formes traditionnelles
propres la dernire partie du Manvantara. Il ne sagit pas l, en tout cas, dune rabsorption
pure et simple, dans la Tradition primordiale, de ce qui tait sorti delle une poque
antrieure ; il sagit dune sorte de fusion entre des formes pralablement diffrencies, pour
donner naissance dautres formes adaptes de nouvelles circonstances de temps et de lieux
; et le fait que les deux courants apparaissent alors en quelque sorte comme autonomes peut
encore contribuer entretenir lillusion dune indpendance de la tradition atlantenne. Sans
doute faudrait-il, si lon voulait rechercher les conditions dans lesquelles sopra cette
jonction, donner une importance particulire la Celtide et la Chalde, dont le nom, qui est
le mme, dsignait en ralit non pas un peuple particulier, mais bien une caste sacerdotale ;
mais qui sait aujourdhui ce que furent les traditions celtiques et chaldenne, aussi bien
dailleurs que celle des anciens Egyptiens ? On ne saurait tre trop prudent quand il sagit decivilisations entirement disparues, et ce ne sont certes pas les tentatives de reconstitution
auxquelles se livrent les archologues profanes qui sont susceptibles dclaircir la question ;
mais il nen est pas moins vrai que beaucoup de vestiges dun pass oubli sortent de terre
notre poque, et ce ne peut tre sans raison. Sans risquer la moindre prdiction sur ce qui
pourra rsulter de ces dcouvertes, dont ceux qui les font sont gnralement incapables de
souponner la porte possible, il faut certainement voir l un signe des temps : tout ne
doit-il pas se retrouver la fin du Manvantara, pour servir de point de dpart llaboration
du cycle futur ?
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III
Quelques remarques sur le nom dAdam
Dans notre tude sur la place de la tradition atlantenne dans le Manvantara , nous avonsdit que la signification littrale du nom dAdam est rouge , et quon peut voir l un des
indices du rattachement de la tradition hbraque la tradition atlantenne, qui fut celle de la
race rouge. Dautre part, notre confrre Argos, dans son intressante chronique sur le sang
et quelques-uns de ses mystres , envisage pour ce mme nom dAdam une drivation qui
peut sembler diffrente : aprs avoir rappel linterprtation habituelle suivant laquelle il
signifierait tir de la terre (adamah), il se demande sil ne viendrait pas plutt du mot
dam sang ; mais la diffrence nest gure quapparente, tous ces mots nayant en ralitquune seule et mme racine.
Il convient de remarquer tout dabord que, au point de vue linguistique, ltymologie vulgaire,
qui revient faire driverAdam de Adamah, quon traduit par terre , est impossible ; ladrivation inverse serait plus plausible ; mais, en fait, les deux substantifs proviennent lun de
lautre dune mme racine verbale adam, qui signifie tre rouge . Adamah nest pas,originellement tout au moins, la terre en gnral (erets), ni llment terre (iabashah, mot
dont le sens primitif indique la scheresse comme qualit caractristique de cet lment) ;
cest proprement largile rouge, qui, par ses proprits plastiques, est particulirement apte
reprsenter une certaine potentialit, une capacit de recevoir des formes ; et le travail du
potier a souvent t pris pour symbole de la production des tres manifests partir de la
substance primordiale indiffrencie. Cest pour la mme raison que la terre rouge parat
avoir une importance spciale dans le symbolisme hermtique, o elle peut tre prise pour une
des figures de la matire premire , bien que, si lon entendait au sens littral, elle nen
puisse jouer le rle que dune faon trs relative puisquelle est dj doue de proprits
dfinies. Ajoutons que la parent entre une dsignation de la terre et le nom dAdam, pris
comme type de lhumanit, se retrouve sous une autre forme dans la langue latine, o le mothumus, terre , est aussi singulirement proche de homo et humanus. Dautre part, si lon
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rapporte plus spcialement ce mme nom dAdam la tradition de la race rouge, celle-ci esten correspondance avec la terre parmi les lments, comme avec lOccident parmi les points
cardinaux, et cette dernire concordance vient encore justifier ce que nous avions dit
prcdemment. Quant au mot dam, sang (qui est commun lhbreu et larabe), il est,
lui aussi, driv de la mme racine adam : 1 le sang est proprement liquide rouge, ce qui est,
en effet, son caractre le plus immdiatement apparent.
1 Laleph initial, qui existe dans la racine, disparat dans le driv, ce qui nest pas un fait
exceptionnel ; cet aleph ne constitue nullement un prfixe ayant une signification indpendantecomme le voudrait Latouche, dont les conceptions linguistiques sont trop souvent fantaisistes.
La parent entre cette dsignation du sang et le nom dAdam est donc incontestable et
sexplique delle-mme par la drivation dune racine commune ; mais cette drivation
apparat comme directe pour lune et pour lautre, et il nest pas possible, partir de la racine
verbale adam, de passer par lintermdiaire de dam pour arriver au nom dAdam. Onpourrait, il est vrai, envisager les choses dune autre faon, moins strictement linguistique, et
dire que cest cause de son sang que lhomme est appel rouge ; mais une telleexplication est peu satisfaisante parce que le fait davoir du sang nest pas propre lhomme,
mais lui est commun avec les espces animales, de sorte quil ne peut servir le caractriser
rellement. En fait, la couleur rouge est, dans le symbolisme hermtique, celle du rgne
animal, comme la couleur verte est celle du rgne vgtal, et la couleur blanche celle du rgne
minral ; 1 et ceci, en ce qui concerne la couleur rouge, peut tre rapport prcisment au sang
considr comme le sige ou plutt le support de la vitalit animale proprement dite. Dun
autre ct, si lon revient la relation plus particulire du nom dAdam avec la race rouge,
celle-ci ne semble pas, malgr sa couleur, pouvoir tre mise en rapport avec une
prdominance du sang dans la constitution organique, car le temprament sanguin correspond
au feu parmi les lments, et non la terre ; et cest la race noire qui est en correspondance
avec llment feu, comme elle lest avec le Sud parmi les points cardinaux.Signalons encore, parmi les drivs de la racine adam, le mot edom, qui signifie roux , et
qui ne diffre dailleurs du nom dAdam que par les points-voyelles ; dans la Bible, Edom estun surnom dEsa, do le nom dEdomites donn ses descendants, et celui dIdume au
pays quils habitaient (et qui, en hbreu, est aussi Edom, mais au fminin). Ceci nous rappelle
les sept rois dEdom dont il est question dans le Zohar, et ltroite ressemblance dEdomavec Adam peut tre une des raisons pour lesquelles ce nom est pris ici pour dsigner les
humanits disparues, cest--dire celles des prcdents Manvantara.2
On voit aussi le rapport que ce dernier point prsente avec la question de ce quon a appel les
pradamites : si lon prend Adam comme tant lorigine de la race rouge et de sa tradition
particulire, il peut sagir simplement des autres races qui ont prcd celle-l dans le cours
du cycle humain actuel ; si on le prend, dans un sens plus tendu, comme le prototype de toute
la prsente humanit, il sagira de ces humanits antrieures auxquelles font prcisment
allusion les sept rois dEdom . Dans tous les cas, les discussions auxquelles cette question
a donn lieu apparaissent comme assez vaines, car il ne devrait y avoir l aucune difficult ;
en fait, il ny en a pas, tout au moins, pour la tradition islamique, dans laquelle il existe un
hadth (parole du Prophte) disant que, avant lAdam quenous connaissons, Dieu cra
cent mille Adam (c'est--dire un nombre indtermin), ce qui est une affirmation aussi
nette que possible de la multiplicit de priodes cycliques et des humanits correspondantes.
Puisque nous avons fait allusion au sang comme support de la vitalit, nous rappellerons que,
comme nous avons eu dj loccasion de lexpliquer dans un de nos ouvrages, 3 le sang
constitue effectivement lun des liens de lorganisme corporel avec ltat subtil de ltrevivant, lequel est proprement l me (nephesh haiah de la Gnse), c'est--dire, au sens
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tymologique (anima), le principe animateur ou vivificateur de ltre. Ltat subtil est appelpar la tradition hindoue Taijasa, par analogie avec tjas ou llment ign ; et, comme le feu
est, quant ses qualits propres, polaris en lumire et chaleur, ltat subtil est li ltat
corporel de deux faons diffrentes et complmentaires, par le sang quant la qualit
calorique, et par le systme nerveux quant la qualit lumineuse.
1 Voir sur le symbolisme de ces trois couleurs, notre tude sur Lsotrisme de Dante.
2 Voir Le Roi du Monde, chap. VI, in fine.
3 LHomme et son devenir selon le Vdnta, chap. XIV. Cf. aussi LErreur spirite, p. 116 119.
En fait, le sang est, mme au simple point de vue physiologique, le vhicule de la chaleur
animatrice ; et ceci explique la correspondance, que nous indiquions plus haut, du
temprament sanguin avec llment feu. Dautre part, on peut dire que, dans le feu, la
lumire reprsente laspect suprieur, et la chaleur laspect infrieur : la tradition islamique
enseigne que les anges furent cres du feu divin (ou de la lumire divine ), et que ceux
qui se rvoltrent la suite dIblis perdirent la luminosit de leur nature pour nen garder
quune chaleur obscure.1 Par suite, on peut dire que le sang est en rapport direct avec le ctinfrieur de ltat subtil ; et de l vient linterdiction du sang comme nourriture, son
absorption entranant celle de ce quil y a de plus grossier dans la vitalit animale, et qui,
sassimilant et se mlant intimement aux lments psychiques de lhomme, peut
effectivement amener de fort graves consquences. De l aussi lemploi frquent du sang dans
les pratiques de magie, voire de sorcellerie (comme attirant les entits infernales par
conformit de nature) ; mais, dautre part, ceci est aussi susceptible, dans certaines conditions,
dune transposition dans un ordre suprieur, do les rites, soit religieux, soit mme
initiatiques (comme le taurobole mithriaque), impliquant des sacrifices danimaux ;
comme il a t fait allusion, cet gard, au sacrifice dAbel oppos celui, non sanglant, de
Can, nous reviendrons peut-tre sur ce dernier point en une prochaine occasion.
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1 Ceci se trouve indiqu dans le rapport qui existe, en arabe, entre les mots nr, lumire , et nr,
feu (au sens de chaleur).
Qabbalah
Le terme de Qabbalah, en hbreu, ne signifie pas autre chose que tradition , au sens le
plus gnral ; et, bien quil dsigne le plus habituellement la tradition sotrique ou
initiatique, quand il est employ sans plus de prcision, il arrive parfois aussi quil soit
appliqu la tradition exotrique elle-mme.1 Ce terme, en lui-mme, est donc susceptible de
dsigner nimporte quelle tradition ; mais, comme il appartient la langue hbraque, il est
normal, quand on se sert dune autre langue, de le rserver, ainsi que nous lavons dj fait
remarquer en dautres occasions, la seule tradition hbraque, ou, si lon prfre une autrefaon de parler peut-tre plus exacte, la forme spcifiquement hbraque de la tradition. Si
nous insistons l-dessus, cest que nous avons constat chez certains une tendance donner un
autre sens ce mot, en faire la dnomination dun genre spcial de connaissances
traditionnelles, o quelles se trouvent dailleurs, et cela parce quils croient dcouvrir dans le
mot lui-mme toutes sortes de choses plus ou moins extraordinaires qui ny sont point
rellement.
Nous nentendons point perdre notre temps relever toutes ces interprtations fantaisistes ; il
est plus utile de prciser la vritable signification originelle du mot, ce qui suffit pour les
rduire nant, et cest l tout ce que nous nous proposons de faire ici. La racine Q B L, en
hbreu et en arabe,2 signifie essentiellement le rapport de deux choses qui sont places luneen face de lautre ; de l proviennent tous les sens divers des mots qui en sont drivs,
comme, par exemple, ceux de rencontre et mme dopposition. De ce rapport rsulte aussi
lide dun passage de lun lautre des deux termes en prsence, do des ides comme
celles de recevoir, daccueillir, daccepter, exprimes dans les deux langues par le verbe
qabal ; et de l drive directement qabbalah, c'est--dire proprement ce qui est reu outransmis (en latin traditum) de lun lautre. Nous voyons apparatre ici, avec cette ide de
transmission, celle dune succession ; mais il faut remarquer que le sens premier de la racine
indique un rapport qui peut tre aussi bien simultan que successif, aussi bien spatial que
temporel. Cest ce qui explique le double sens de la prposition qabal en hbreu et qabl en
arabe, signifiant la fois devant (c'est--dire en face , dans lespace) et avant (dans
le temps) ; et ltroite parent de ces deux mots devant et avant , en franais mme,
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montre bien quune certaine analogie est toujours tablie entre ces deux modalits diffrentes,
lune en simultanit et lautre en succession.
1 Ceci nest pas sans causer certaines mprises : ainsi, nous avons vu certains prtendre rattacher le
Talmud la Kabbale , entendue au sens sotrique ; en fait, le Talmud est bien de la tradition ,mais purement exotrique, religieuse et lgale.
2 Nous appelons lattention sur le fait, dont on ne tient peut-tre pas assez compte, que ces deux
langues, qui ont la plupart de leurs racines communes, peuvent trs souvent sclairer lune par lautre.
Ceci permet galement de rsoudre une apparente contradiction : bien que lide la plus
frquente, lorsquil sagit dun rapport temporel, soit ici celle dantriorit et se rapporte par
consquent au pass, il arrive pourtant aussi que des drivs de la mme racine dsignent
lavenir (en arabe mustaqbal, c'est--dire littralement ce au-devant de quoi lon va,
distiqbal, aller au-devant ) ; mais ne dit-on pas aussi en franais que le pass est avant
nous et que lavenir est devant nous, ce qui est tout fait comparable ? En somme, il suffitdans tous les cas que lun des deux termes considrs soit devant ou avant lautre,
quil sagisse dailleurs dune relation spatiale ou dune relation temporelle. Toutes ces
remarques peuvent tre encore confirmes par lexamen dune autre racine, galement
commune lhbreu et larabe, et qui a des significations trs proches de celles-l, on
pourrait mme dire en grande partie identiques, car, quoique le point de dpart en soit
nettement diffrent, les sens drivs arrivent se rejoindre. C'est la racine Q D M, qui
exprime en premier lieu lide de prcder (qadam), do tout ce qui se rfre, nonseulement une antriorit temporelle, mais une priorit dordre quelconque. Cest ainsi
quon trouve, pour les mots provenant de cette racine, outre les sens dorigine et dantiquit
(qedem en hbreu, qidm ou qidam en arabe), celui de primaut ou de prsance, et mme
celui de marche, davance ou de progression (en arabe taqaddum) ; 1 et, ici encore, laprposition qadam en hbreu et qoddm en arabe a le double sens de devant et davant.Mais le sens principal, ici, dsigne ce qui est premier, soit hirarchiquement, soit
chronologiquement ; aussi lide la plus frquemment exprime est-elle celle dorigine ou de
primordialit, et, par extension, danciennet quand il sagit de lordre temporel : ainsi,
qadmn en hbreu, qadm en arabe, signifient ancien dans lusage courant, mais,
lorsquils sont rapports au domaine des principes, doivent tre traduits par primordial .2 Il
y a lieu encore, propos de ces mmes mots, de signaler dautres considrations qui ne sont
pas sans intrt : en hbreu, les drivs de la racine Q D M servent aussi dsigner lOrient,
c'est--dire le ct de l origine , en ce sens quil est celui o apparat le soleil levant
(oriens, de oriri, do vient aussi origo en latin), le point de dpart de la marche diurne du
soleil ; et, en mme temps, cest aussi le point quon a devant soi quand on soriente en setournant vers le soleil son lever.3 Ainsi, qedem signifie aussi Orient, et qadmn
oriental ; mais il ne faudrait pas vouloir voir dans ces dsignations laffirmation dune
primordialit de lOrient au point de vue de lhistoire de lhumanit terrestre, puisque, comme
nous avons eu souvent loccasion de le dire, lorigine premire de la tradition est nordique,
polaire mme, et non point orientale ni occidentale ; lexplication que nous venons
dindiquer nous parat dailleurs pleinement suffisante. Nous ajouterons ce propos que ces
questions d orientation ont, dune faon gnrale, une assez grande importance dans le
symbolisme traditionnel et dans les rites qui se fondent sur ce symbolisme ; elles sont du reste
plus complexes quon ne pourrait le croire et peuvent donner lieu quelques mprises, car il
existe, dans des formes traditionnelles diverses, plusieurs modes dorientation diffrents.
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1 De l le mot qadam signifiant pied , c'est--dire ce qui sert la marche.
2El insnul-qadm, c'est--dire l Homme primordial est, en arabe, une des dsignations de lHomme universel (synonyme dEl-insnul-kmil, qui est littralement lHomme parfait ou total); cest exactement lAdam Qadmn hbraque.3 Il est curieux de noter que le Christ est parfois appel Oriens ; cette dsignation peut sans doute trerapporte au symbolisme du soleil levant ; mais, en raison du double sens que nous indiquons ici, il est
possible quil faille aussi, et mme surtout, la rapprocher de lhbreu Elohi Qedem, ou de lexpressiondsignant le Verbe comme l Ancien des Jours , c'est--dire Celui qui est avant les jours, ou le
Principe des cycles de manifestation, reprsents symboliquement comme des jours par diverses
traditions (les jours de Brahm dans la tradition hindoue, les jours de la cration dans la
Gense hbraque).
Lorsquon se tourne vers le soleil levant comme nous venons de le dire, le Sud est dsign
comme le ct de la droite (yamn ou yaman ; cf. le sanscrit dakshina qui a le mmesens), et le Nord comme le ct de la gauche (sheml en hbreu, shiml en arabe) ; mais
il arrive aussi que lorientation est prise en se tournant vers le soleil au mridien, et alors le
point quon a devant soi net plus lOrient, mais le Sud : cest ainsi que, en arabe, le ct du
Sud a encore, entre autres dnominations, celle de qiblah, et ladjectif qibli signifie
mridional . Ces derniers termes nous ramnent la racine Q B L ; et lon sait que le mmemot qiblah dsigne aussi, dans lIslam, lorientation rituelle ; cest, dans tous les cas, la
direction quon a devant soi ; et ce qui est encore assez curieux, cest que lorthographe de ce
mot qiblah est exactement identique celle de lhbreu qabbalah. Maintenant, on peut se
poser cette question : pourquoi la tradition, en hbreu, est-elle dsigne par un mot provenant
de la racine Q B L, et non de la racine Q D M ?On pourrait tre tent de dire, cet gard, que, la tradition hbraque ne constituant quune
forme secondaire et drive, une dnomination voquant lide dorigine ou de primordialit
ne saurait lui convenir ; mais cette raison ne nous apparat pas comme essentielle, car,
directement ou non, toute tradition se rattache aux origines et procde de la Tradition
primordiale, et nous avons mme vu ailleurs que toute langue sacre, y compris lhbreu lui-
mme et larabe, est considre comme reprsentant dune certaine faon la langue primitive.
La vraie raison, semble-t-il, est que lide qui doit ici tre mise surtout en vidence est celle
dune transmission rgulire et ininterrompue, ide qui est aussi, du reste, celle qui exprime
proprement le mot mme de tradition , ainsi que nous lindiquions au dbut.
Cette transmission constitue la chane (shelsheleth en hbreu, silsilah en arabe) qui unit leprsent au pass et qui doit se continuer du prsent vers lavenir : cest la chane de la
tradition (shel sheleth ha-qabbalah), ou la chane initiatique dont nous avons euloccasion de parler rcemment ; et cest aussi la dtermination dune direction (nous
retrouvons ici le sens de larabe qiblah) qui, travers la succession des temps, oriente le cycle
vers sa fin et rejoint celle-ci son origine, et qui, stendant mme au-del de ces deux points
extrmes par le fait que sa source principielle est intemporelle et non humaine , le relieharmoniquement aux autres cycles, concourant former avec ceux-ci une chane plus
vaste, celle que certaines traditions orientales appellent la chane des mondes , o sintgre,
de proche en proche, tout lordre de la manifestation universelle.
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Kabbale et science des nombres
Nous avons souvent insist sur le fait que les sciences sacrs appartenant une forme
traditionnelle donne en font rellement partie intgrante, tout au moins titre dlments
secondaires et subordonns, bien loin de ne reprsenter que des sortes dadjonctions
adventices qui sy seraient rattaches plus ou moins artificiellement. Il est indispensable de
bien comprendre ce point et de ne jamais le perdre de vue si lon veut pntrer , si peu que ce
soit, le vritable esprit dune tradition ; et il est dautant plus ncessaire dappeler lattention
l-dessus que lon constate assez frquemment de nos jours, chez ceux qui prtendent tudier
les doctrines traditionnelles, une tendance ne pas tenir compte des sciences dont il sagit,
soit en raison des difficults spciales que prsente leur assimilation, soit parce que, outre
limpossibilit de les faire entrer dans le cadre des classifications modernes, leur prsence est
particulirement gnante pour quiconque sefforce de tout rduire des points de vue
exotriques et dinterprter les doctrines en termes de philosophie ou de mysticisme .
Sans vouloir nous tendre une fois de plus sur la vanit de telles tudes entreprises de
lextrieur et avec des intentions toutes profanes, nous redirons pourtant encore, car nous en
voyons pour ainsi dire chaque jour lopportunit, que les conceptions dformes auxquelles
elles aboutissent invitablement sont certainement pires que lignorance pure et simple.
Il arrive mme parfois que certaines sciences traditionnelles jouent un rle plus important quecelui que nous venons dindiquer, et que, outre la valeur propre quelles possdent en elles-
mmes dans leur ordre contingent, elles sont prises comme moyens symboliques dexpressio