guérir à cubalel : interprétation de la maladie et pratiques
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GUERIR A CUBALEL
INTERPRDTATION DE LA MALADIE ET PRATIQUES THERAPEUTIQUES
CHEZ LES HAALPULAAREN DANS LA VALLEE DU FLEUVE SENEGAL
THESE DE DOCTORAT DE 3me CYCLE
sous la direction de Marc A UCE
E. Kadya TALL
Paris - E.H.E.S.S - Dc. 1984.
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A NdlUlgel et mes parents FuutankooBe
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REMERCIEMENTS
Nous remercions tous ceux qui, au cours de ces annes d'tude,
nous ont claire de leur enseignement et assiste de leur bienveil-
lance, et plus particulirement :
Marc AUGE, notre directeur de thse qui nous a apport un rconfort
intellectuel et moral chaque fois que nous avons senti notre volon-
t flchir. Sans la confiance qu'il nous accorda en nous obtenant
des crdits D.G.R.S.T., notre qu~te n'aurait sans doute pas abouti.
L'Office de la Recherche Scientifique et Technique Outre-Mer a lar-
gement assur le financement de nos enqugtes et nous lui en sommes
reconnaissante. Nous tenons remercier l'O.R.S.T.O.M. Dakar des
facilits qU'il nous a procures en mettant notre disposition ses
moyens matriels et l'encadrement technique et scientifique de son
personnel.
Il serait difficile d'numrer tous ceux qui, de prs ou de loin,
nous ont apport leur soutien. Qu'ils en soient tous ici remercis
chaleureusement.
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SOMMAIRE GENERAL
INTRODUCTION Page
CHAPITRE 1
II
III
CHAPITRE II
II
CHAPITRE III
PRESENTATION GENERALE DE LAREGION
STRATIFICA TION SOCIALE HAALPULAAR
CONCLUSION
L'HISTOIRE DE LA FONDATION DECUBALEL
LES LIGNAGES FONDATEURS DECUBALEL
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II
LA CONSUL TA TION
L'UNIVERS ETIOLOGIQUE D'IBRA
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CHAPITRE IV
ELIMAAN MAAMODU Page 145
II LES FILS D'ELIMAAN MAAMODU Page 170 .
III L'UI\JIVERS ETIOLOGIQUE DES Page 176MARABOUTS
IV LES AUTRES MARABOUTS DE CUBALEL Page 184 .
V LA RELATION A L'AUTRE CHEZ LE MARA- . Page 191BOUT
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CHAPITRE V
LES AUTRES THERAPIES DE CUBALEL Page 197
II SAVOIRS THERAPEUTIQUES ET SAVOIRS Page 210ST ATUT AIRES
III SAVOIRS THERAPEUTIQUES ET TECHNI- Page 214QUES DE SOli\!
IV LES RECOURS THERAPEUTIQUES DES Page 224FEMMES DE CUBALEL
CHAPITRE VI
LES MARABOUTS Page 243 .
II LES BILEEBE Page 256
III LES RESEAUX MARABOUTIQUES DANS Page 264LA REGION DU FLEUVE
IV LES RELATIONS MARABOUT /BILEEBE Page 267
V LES SPECIALITES LIGNAGERES Page 271
CHAPITRE VII
L'UTILISATION DES PLANTES Page 277
II ANTHROPO-LOGIQUE HAALPULAAR Page 299
III LES EI\!JEUX SOCIAUX DES CATEGORIES Page 325CAUSALES
IV LES MODES D'ACQUISITION DES DIFFE- Page 336RENTS SAVOIRS
V DE LA FRAGILITE DES OPPOSITIONS BI- Page 336NAIRES DANS UN SYSTEME MIXTE
VI CHRONO-LOGIQUE DE LA CURE Page 357
VII CONCLUSION Page 366
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
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SOMMAIRE DES TABLEAUX
ET DES SCHEMAS
Tableau de la chronologie des priodes marquant l'histoirede la rgion des Haalpulaaren
Rpartition de la population des rgions ri veraines dufleuve (recensement de 1976)
Tableau de morbidit et mortalit des principalesmaladies bactriennes.
Tableau de morbidit et mortalit de la rougeoleet de la P.PA.
La division en ordre et en classe de la socitHaalpulaar
Tableau rcapitulatif des groupes statutaires (ordre/classe/statut)
Tableau rcapitulatif des fonctions et des titres
Les relations sociales interlignagres chez les RimBe
Les relations sociales interlignagres chez les NyeenyBe
Protection magique et savoir thrapeutique l'intrieurdu lignage (chez les RimBe)
Protection magique et savoir thrapeutique l'intrieurdu lignage (chez les NyeenyBe)
Savoir technique/savoir magique l'intrieur du lignage(chez les RimBe)
Savoir technique/savoir magique l'intrieur du lignage(chez les NyeenyBe)
Organisation villageoise des lignages dominants
Le lignage AanaanBe et ses diffrents galleeji
Plans de Cubalel
Rseau de clientle d'Ibra
Tableaux de quelques maux soigns par Ibra (tiologie/symptmes)
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Diffrentes disciplines apprises par Elirnaan
Les di ffrents chapitres de la connaissance maraboutique
Schma des liens de parent qui unissent Elimaan Maamodu,Sammba Umu et Ibra
Alliance matrimoniale entre un taalibe et la fille de sonmarabout.
Tableaux sur les proprits des plantes
Schma idal de transmission de la sorcellerie travers lelignage.
Schma des alliances entre cousins croiss
Exemple de la Silsila wirdu
Rcapitulatif des oppositions binaires dans un systmemixte.
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MODE DE TRANSCRIPTION PHONETIQUE
La majorit des phonmes haalpulaar se prononcent comme en franais,
except les suivants:
[5] occlusive bilabiale glottalise. Ex : [5uu5ri] "fracheur"
[d"] occlusive palatale glottalise~ Ex : [cadOl] "veine"
[j] occlusive palatale mouille. Ex. [jeeri] "haute terre"
[ny]: occlusive nasale palatale mouille. Ex : [nyiriJ "bouillie"
[nj] semi-occlusive nasale palatale. Ex : [njaroowo] "le buveur"
[c] semi-occlusive mouille. Ex : [caali] " auvent"
[mb], [nd], [ng] sont des prnasalises. Ex : [mbaroodiJ "le tueur", [nde] "lors-que", [ngaari] "taureau".
La semi-voyelle [y], lorsqu'elle est glottalise, devient [}1. Ex. [y'iiyam]
"sang"
[h] est toujours aspir. Ex : [haako] "feuille"
[r;l] est une semi-occlusive vlaire. Ex : [r;luunya] "rclamer un cadeau".
Les voyelles sont ouvertes ou fermes selon le contexte et brves
ou longues:
Ex : [ra fi], [maayo] / "mal", "fleuve"
Ex : [bona], [gooto] / "tre mauvais", "un"
Ex : [fulbe], [Fuuta] / "les Peuls", "Fouta"
Ex : [galle], [barkeewiJ / "maison", "Bauhinia thonningii".
La majorit des consonnes peuvent tre redoubles. Pour des raisons
de commodit, nous avons transcrit une partie de ces phonmes de la manire
suivante:
[0] est devenu B Ex: BuuBri
[d"] est devenu D Ex: DaDol
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[~ : est devenu Y Ex: YiiYam
[IJ] est devenu N Ex: Nuunya
D'autre part, nous avons prfr utiliser des caractres gras plutt
que des crochets pour rendre le texte plus lisible. En outre, chaque fois
que cela a t possible, nous avons transcrit phontiquement les noms
de lieux. Cependant, dans les cartes et les schmas, c'est l'criture franaise
qui a t adopte.
Thioubalel est devenu Cubalel
Dioude Diabe est devenu Judde Jaabe
Madina Ndiathbe est devenu Maadina NjaacBe, etc
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INTRODUCTION
Choisir un terrain d'enqute et un objet d'tude n'est jamais n~utre.
Aujourd'hui, il est admis de mettre en avant les raisons subjectives qui
ont port la qute dans un lieu plutt qu'ailleurs et dans un domaine plutt
que dans un autre.
La justification d'un choix ne se rduit pas un cadre pseudo-objectif
(dans une volont de scientificit) ou un choix thorique et thique
rigide.
Ne d'un mtissage franco-sngalais, c'est le problme de l'ambiva-
lence, de l'ambigut, de la dualit et de l'altrit (du Mme et de l'Autre)
qui nous a porte nous intresser la perception et aux reprsentations
de la maladie dans une socit o le Mal est l'Autre, l'Autre tant Moi
et Moi tant l'Autre. La situation de malade-victime est un jeu de bascule,
o les rles s'inversent sans arrt, engendrant ainsi un vertige des situations
contraires, contraries la fois par les vnements et par les interprta-
tions qui se succdent et se contredisent. Ce problme de l'altrit, que
Le Dumont traduirait en termes de diffrences induisant des situations
hirarchiques, nous le ressentons pleinement en raison de notre hritage
culturel mi xte qui nous met, paradoxalement, dans une situation trs
proche des socits lignagres dans lesquelles ce sont les diffrences
qUI constituent l'individu, diffrences relatives aux biens, aux savOIrs
et aux composantes de la personne qui lui sont transmis.
L 'hritage culturel et biologique est peu diffrenci dans les socits
modernes: l'idologie du progrs, de l'galit tend uniformiser les prati-
ques et [es hritages et mettre l'accent sur les di ffrences conomiques.
A l'inverse, dans les socits "traditionnelles", chaque individu est marqu
par ses hritages, qui ne sont pas perus comme un tout indiffrenci:
matrilignage et patrilignage sont des units significatives parce qu'ils
remplissent des rles diffrents et transmettent des savoirs, des biens
et des forces diffrentes.
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Proche la fois de la socit Haalpulaar, dans laquelle les traits
hrits sont diffrencis en fonction du lignage, et de la socit occidentale
franaise dans laquelle la socialisation et le vcu culturel modlent l'indi-
vidu, nous nous trouvions cependant en porte--faux du fait que nous
n'.avions aucune connaissance de notre identit haalpulaar.
Ne voulant pas transformer nos frustrations en fantasmes, nous avons
dcid de partir la rencontre de notre identit haalpulaar, la manire
d'un explorateur dsireux d'tancher sa soif d'exotisme. Mais, la diff-
rence de l'explorateur, nous ne partions pas vers l'inconnu puisque nous
tions nous-mme une parcelle de cet inconnu et que nous en faisions
partie intgrante.
En effet, mme s'il nous semble prtentieux de dire une chose pareille,
SI nous ne connaissions pas les gens du Fleuve, eux nos connaissaient,
et c'est une re-connaissance qui caractrisa l'accueil qui nous fut rserv
lors de notre premier sjour au Fuuta : affilie un patrilignage clbre
et glorifi, il tait naturel que nous soyons reconnue en tant qu'individu
appartenant ce lignage, indpendamment de notre vcu culturel tranger.
Le premier jour o nous avons dbarqu Njum, vtue comme une
"disquette" (1), l'motion tait grande de part et d'autre. Nous avons
trs vite ressenti les dangers de cette re-connaissance lignagre, qui risquait
fort de se transformer en r-adaptation de l'enfant prodigue ; c'est pourquoi
nous avons prfr travailler dans des villages o nous ne risquions pas
d'tre encadre par une autorit Iignagre trop touffante : nous ne voulions
pas non plus ndisposer nos parents par un travail qui ne correspond pas
ce que doit tre le travail d'une personne bien ne. Nous avons d'emble
saisI l'importance de la reprsentation et du statut au Fleuve, ainsi que
l'embarras que pourraient provoquer des questions "sans honte".
Cependant, si notre ge et notre statut de femme (nous tions double-
ment cadette) n'taient pas toujours un avantage, ils nous permettaient
nanmoins d'adopter une attitude franche et dcontracte parce que nous
(1) Terme driv de disco qui sert dsigner les jeunes filles habilles selon les critresde la mode europenne (jeans ou jupe courte). En ville, il existe une rivalit de facto
entre les disquettes des clubs de nuit et les Drianke des stades de lutte. Les Drianke
sont des sductrices plus traditionnalistes dans leur habillement et dans I~urs mthodes.
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n'avions pas encore de charges ducatives assumer. Tout au long de
nos enqutes, nous avons essay de tirer profit des liberts que nous don-
naient notre appartenance patrilinaire, notre sexe et notre groupe d'ge,
ainsi que des devoirs qui s'y attachaient.
Notre ducation occidentale nous a cependant toujours conduit
prfrer les solutions individuelles aux solutions lignagres. Ce n'est que
trs rarement que nous nous sommes prsente nos interlocuteurs comme
descendante d'El Haj Umar. Seuls quelques marabouts, qui auraient peut-
tre prouv quelque rticence nous recevoir, ont t amadous de
cette manire. Il nous est aussi arriv de tirer un certain plaisir vengeur
dcliner notre identit lignagre lorsqu'un hte nous avait sembl par
trop discourtois. La dconfiture qu'exprimait son visage suffisait effacer
l'affront.
Mthodologie
La prfrence accorde Cubalel est d'abord partie d'un choix subjec-
tif, tenant la sonorit du mot et sa signification de "petit pcheur",
qui semblait promettre une foison de connaissances mythiques. La contra-
diction qu'apportait la ralit (Cubalel est un village o les pcheurs
ont perdu jusqu'au souvenir de la pche et o la "torodisation" a uniformis
les activits ancestrales) nous a sembl un bon prsage et c'est aprs
avoir dambul dans la valle et dcid de circonscrire notre zone d'tude
que nous nous sommes fixe Cubalel.
Auparavant, nous avons parcouru la rgion du Fleuve en nous attachant
rencontrer un nombre aussi grand que possible de gurisseurs, pour con-
natre la fois le champ de la thrapie Haalpulaar et les spcialits que
recouvraient les termes de ceerno (marabout), bileejo (contre-sorcier),
joom lekki (propritaire de remdes) et de mocoowo ("panseur").
La connaissance superficielle que nous avions de la socit Haalpulaar
et l'exemple des travaux effectus dans les socits avoisinantes Wolof-
Lebu (A. Zemplni, 1968) et Seerer (H. Gravand, 1965), nous entranaient
vers une vision tranche des diffrences qui opposent "mdecine islamique"
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et "mdecine pr-islamique" : comme la socit Haalpulaar ne possde
ni culte des anctres ni culte des gnies, on pouvait croire que l'Islam
avait rabot tous les cultes anciens du Fuuta et russi teindre toute
trace des reprsentations qui l'avaient prcd historiquement. C'tait
ne pas comprendre la dualit du systme des reprsentations du malheur
et sa cohrence.
Aprs avoir peru l'imp3sse dans laquelle menait un exercice typolo-
gique trop pouss, nous nous sommes replie sur l'hpital de Fann-Dakar.
Grce l'exprience socio-psychiatrique insti tue par H. Collomb, ce
cadre facilitait grandement l'accs aux malades. Nous pensions pouvoir
ainsi rencontrer des malades Haalpulaaren et remonter les filires thrapeu-
tiques jusqu' leur village d'origine, car nous nous tions rendu compte
que la maladie pouvait amorcer une multitude de recours thrapeutiques
successifs ou simultans. Pendant les 5 mois de notre premier sjour,
nous avons fait alterner nos enqutes dans la Valle avec des enqutes
Fann : nous rendions visite rgulirement aux malades Haalpulaaren
et nous les interrogions sur les thrapies antrieures et les interprtations
successives qui les avaient fait aboutir Fann. La difficult de l'enqute
a tenu Ja grande mobilit des malades de Fann (sjours courts mais
rpts) ; d'autre part, la plupart des malades taient incapables de rpon-
dre nos questions. Peut-tre tait-ce parce que la maladie tait trop
prsente pour tre verbalise. Mais c'tait surtout parce que le discours
sur le mal est produit soit par le thrapeute, soit par l'entourage du malade,
le premier donnant les clefs d'une interprtation que le second socialise
en les acceptant ou en les refusant. L'accompagnateur du malade, gnra-
lement un proche parent, n'tait pas forcment celui qui l'avait suivi
dans des priples antrieurs et, trs vite, il nous a paru insens de vouloir
aller dans le village d'origine d'un malade avec si peu d'informations
et sans aucune caution. En outre, le recrutement de la clientJe de Fann
nous paraissait bien litiste et comme notre propos n'tait pas d'observer
la maladie en milieu hospitalier, nous avons dcid d'arrter cette exp-
rience.
Cinq mois s'taient couls pendant lesquels nous avons fait la connais-
sance de thrapeutes au Fuuta, de malades Fann et pendant lesquels
nous avons t "materne" par nos parents. Ces mois resteront les plus
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marquants, encore que ce soit seulement lors de sjours subsquents. que
nous avons mis au point la mthode qui serait la base de cet essai.
Mais sans ces .premiers mois passs sentir l'air du temps et re-natre
notre famille, nous aurions brl les tapes pour devoir ensuite retourner
notre point de dpart. Nous n'aurions pas saisi l'importance de la contra-
diction en milieu Haalpulaar si nous n'avions pas t prise nous-mme
dans un dilemme situationnel.
A la frquentation assidue des thrapeutes a succd une priode
de dcouragement : les discours des thrapeutes taient la fois trs
strotyps et contextuels; en mme temps, la relation malade-thrapeute
nous semblait nigmatique, nous ne comprenions pas sur quoi elle reposait.
Si le rle du marabout tait facile apprhender du fait de sa personnalit
publique et religieuse, nous avions du mal comprendre la place que pouvait
occuper le contre-sorcier. Nous avons alors dcid de ramener l'objet
de notre tude une ralit observable pour l'anthropologue en la circons-
crivant une communaut villageoise.
L'tude d'un village et de son organisation semblait le seul moyen
d'apprhender ensemble la communaut des malades, celle des bien-portants
et celle des thrapeutes. Cette vision des diffrents protagonistes de
la cure tait certes fragmente mais elle avait l'avantage de replacer
la pratique thrapeutique dans un contexte plus global. En effet, la socit
Haalpulaar est extrmement strati fie - son organisation peut faire penser
un systme de castes - mais il n'y a ni corporation de thrapeutes ni
collge de gurisseurs. Toutefois il existe des spcialistes qui, dans la
plupart des cas, le sont par hritage et/ou par acquis statutaire. Ainsi
la fonction thrapeutique reste toujours une fonction suscite par le malade;
le rle mdiateur du thrapeute renvoie sans cesse au contexte dans lequel
se droule "l'vnement-maladie".
Il fallait donc prendre racine : nous optmes pour Cubalel o nous
avions rencontr un bileejo que ni la gloire ni la frquentation de Fann
n'avait "dracin". D'autre part, J. Schmitz travaillait dans la. mme zone
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et il nous semblait intressant d'essayer de comparer nos donnes concer-
nant deux types de pouvoir (pouvoir de reprsentation et pouvoir cach).
De fvrier avril 1982, nous avons enqut Cubalel et dans les
villages des alentours pour cerner le dispositif thrapeutique en place
dans cette zone. Nous avons commenc une enqute de type monographi-
que Cubalel en remontant les gnalogies des principaux lignages fonda-
teurs.
En octobre 1982, nous sommes retourne au Sngal grce une
allocation de l'ORSTOM et nous devions y rester jusqu'en mars 1984;
avec une interruption de trois mois en avril 1983.
Nos sejours au Fleuve ont toujours t des sjours courts (10-15-20
jours), mais frquents (13 sjours).
Nous avions des questionnaires assez structurs (corpus de maux,
questions semi-ouvertes) et nous enqutions systmatiquement auprs
des femmes et des gurisseurs dans les villages de notre chantillonnage.
Au dpart, nous voulions prsenter quatre villages (Cubalel, Maadina NjaacBe,
Judde Jaabe et BarcoBe Jake!), pour avoir une vision largie des stratgies
intervillageoises en relation avec les autres rseaux d'change. Ces enqutes
ont confirm les informations recueillies Cubalel propos de l'indivi-
duation cre par la maladie et la fonction thrapeutique.
Ces villages appartiennent une mme aire territoriale ; nous voulions
voir comment la thrapie (dans son apprentissage et dans son application)
pouvait tre greffe sur d'autres relations villageoises.
Nous avons fait un relev systmatique de tous les thrapeutes vivant
dans ces villages et nous avons enqut auprs des spcialistes les plus
importants pour connatre leur champ d'activit, leur rseau d'apprentis-
sage et leur clientle. Par ailleurs, nous avons interrog un chantillon
fminin de 25 40 femmes selon les villages : le but de cette enqute
tait de connatre les recours thrapeutiques de la population. Nous avons
tabli un corpus de maladies et de plantes afin d'valuer le savoir thrapeu-
tique populaire.
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Ces enqutes nous ont clair sur la place que tient chaque "mdecine"
dans les recours thrapeutiques. L'tude des thrapeutes dans leur cadre
contextuel a boulevers nos ides a priori sur toute une srie d'oppositions
binaires que nous nous tions forges pour apprhender notre objet ; les
oppositions entre les diffrents niveaux de savoir (savant/populaire; corani-
que/pr-islamique ; savnt/secret ;. crit/ora!), les di ffrents recours tio-
logiques et les oppositions de principe entre certains thrapeutes nous
ont paru procder du leurre idologique comme le faisait, un niveau
plus gnral, l'endogamie statutaire.
Avant de passer concrtement aux lments qui justifient le plan
de cet expos, il convient de nous situer par rapport au domaine de l'anthro-
pologie de la maladie.
Bien avant que l'anthropologie mdicale ne constitue un champ de
la recherche, au mme titre que l'anthropologie politique ou de la parent,
plusieurs auteurs se sont intresss ce domaine. On peut considrer
Rivers (1924) et Clements (1932) comme les "pres fondateurs" de cette
. discipline car ils furent les premiers runir et coordonner les donnes
disponibles. Avec Ackerknecht (1942), qui montra que les reprsentations
de la maladie et son traitement conceptuel jouaient un rle de contrle
social, on faisait un pas de plus vers une rflexion vritablement sociolo-
gique.
C'est le mrite de l'cole britannique, en particulier avec les travaux
de Turner (1968) et d'Evans-Pritchard (1937) sur la sorceiJerie, la magie,
la di vination, d'avoir montr l'intrication des pratiques thrapeutiques
et des processus sociaux. Au point que l'on peut se demander avec ces
auteurs si les mdecines traditionnelles ont pour but de gurir le corps
de l 'indi vidu ou de soigner le corps social.
Plus proches de nous,nombre de chercheurs ont labor des concepts
que ne peut ignorer celui qui s'intresse ce champ de la pense anthro-
pologique. Pour exemple, et sans souci d'ordre, nous citerons divers travaux
qui ont particulirement retenu notre attention. H. Fabrega (1977) souligne
le fait qu'il est ncessaire non seulement d'tudier le savoir mdical (medi-
cal taxonomy) des membres spcialiss d'une socit donne mais aussi
le savoir populaire (folk medical knowledge).
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A. Young (1976), partir du schma "disease-illness-sickness", dfinit
le cadre spcifique de l'anthropologie mdicale. Au-del du niveau biom-
dical disease, du vcu individuel illness, chaque socit labore des rgles
pour donner une expression pertinente aux signes et symptmes qu'elle
reconnat : sickness. C'est ce ni veau des conditions sociologiques de
la production d'un savoir mdical et des pratiques subsquentes que doit
se situer la recherche.
A. Zemplni (1968, 1975, 1982) labore une approche ethnologique
et psychanalytique dans l'tude des troubles mentaux en Afrique de l'ouest.
Il a mis en vidence le mcanisme perscutif qui commande les interpr-
tations de l'infortune dans les socits non-occidentales.
M. Aug (1975, 1979, 1984) montre que les pratiques mdicales, locales
et les discours qui les soutiennent relvent de thories plus gnrales
qui ordonnent les symboles servant penser le social dans son ensemble.
Ces diffrents auteurs s'accordent pour reconnatre la maladie
le statut d'objet anthropologique et ce, au prix d'une rupture avec les
paradigmes de la mdecine cosmopolite. Pour eux, la maladie ne peut
tre disjointe de l' indi vidu qui la vit (la maladie n'est jamais la mme
pour tous), elle est toujours porteuse de sens, c'est--dire lie aux circons-
tances qui l'entourent. Les uns parleront des "dimensions sociales de la
maladie", les autres "d'art de l'usage social de la maladie".
Si tous les auteurs qui s'intressent la maladie approuvent d'emble
la ncessit du sens, chaque auteur labore ses concepts partir de son
exprience de terrain. La mthode que nous avons employe pour dgager
notre objet est issue d'emprunts di vers dont les plus importants sont rede-
vables M. Aug et L. Dumont.
C'est donc en ayant l'esprit la multitude des experlences en anthro-
pologie m~_icale [qui, sans tre divergentes dans leur but (le sens social)
pouvaient l'tre dans leurs moyens], que nous nous sommes intresse
au vcu de la maladie. Parce qu'il tait difficile de poser a priori une
dfinition de la maladie, nous en avons accept la ralit apparente en
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cherchant voir ce que celle-ci vhiculait de signe et de sens.
En nous situant d'emble dans une perspective recherchant le sens
de la maladie, il semblait toutefois que le sens devait tre largi hors
du systme tiologique et rendre compte des diffrents niveaux de la
logique sociale.
Il est difficile de poser a priori une dfinition de la maladie lorsqu'on
sait que la maladie n'a pas le mme sens partout et qu'elle recouvre des
ralits diffrentes selon le contexte. C'est pourquoi il nous a paru essen-
tiel de recourir aux institutions thrapeutiques pour savoir quelle ralit
recouvrai t la pratique mdicale chez les Haalpulaaren.
Les recherches menes auprs des thrapeutes nous ont permis d'abor-
der la maladie sous trois aspects.
L'aspect institutionnel, travers les diffrentes spcialisations thra-
peutiques : savoir qu'il existe des thrapeutes spcialiss dans un domaine
plutt que dans un autre justifie la place qu'occupe la maladie dans un
systme social .donn. Il ne faut pas oublier que l'existence de thrapeutes
spcialiss n'est pas une ncessit sociale, comme le montre l'exemple
de la socit Kung dans laquelle le traitement des maladies est effectu
par l'ensemble de la communaut qui, au travers d'un rituel, se dbarrasse
des malheurs de ses membres (Lee, 1966).
D'autre part, l'existence de spcialistes ne prsuppose pas que ces
derniers forment un corps constitu comme dans nos socits, ou une
corporation de thrapeutes comme le voudraient certains gurisseurs urbani-
ss, ou encore un collge comme dans les socits o l'exercice thrapeu-
tique est li un culte.
Pourtant, l'usage trs codifi que marque l l'appartenance statutaire
aurait pu nous faire croire que la socit Haalpulaar tait une socit
dans laquelle l'ensemble des thrapeutes constituait un groupe statutaire.
C'tait ne pas prendre en considration le fait que la maladie est moins
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perue comme une entit variant en fonction de signes et de symptmes
qu'une entit variant en fonction des interprtations dont elle est l'ob jet.
La dimension intellectuelle de la maladie ne tient pas au caractre
imprcis de la nosologie mais au systme d'interprtation que sous-tend
la pratique du thrapeute. Les catgories tiologiques auxquelles les thra-
peutes se rfrent les replacent, eux et leurs malades, dans la logique
sociale. Les savoirs des thrapeutes sont des savoirs/pouvoirs qui les inscri-
vent dans une dynamique sociale plus gnrale. La maladie objet d'interpr-
tation et objet de soins participe. l'inscription sociale du thrapeute.
La dimension sociale du thrapeute n'chappe pas aux lois gnrales,
et c'est pourquoi l'identit Iignagre et statutaire marque la plupart des
spc iali ts thrapeut iques.
A la fois objet institutionnel, objet d'interprtations et de pratiques,
la maladie est un objet anthropologique qui permet de restituer les diff-
rentes dimensions de la logique sociale.
La maladie au carrefour des diffrences qui inscrivent les individus
dans des stratgies sociales, voil ce qui ressort de nos contacts avec
les thrapeutes Haalpulaaren. Si la maladie marque une diffrence indivi-
duelle temporaire, il faut tout de sui te l'insrer dans une di ffrence plus
significative pour affirmer son rle d'indicateur social.
Le rle social de la maladie ne peut tre saisi qu'au travers d'exemples
concrets, (d'o notre dtour par Fann) et, si les thrapeutes nous renvoient
des images de ce que signifie une maladie, il est difficile de sparer dans
leur discours ce qui est d'ordre thique et ce qui participe d'une pratique
sociale.
Par ail1eurs, leur vocation de chasseur de sorciers ou de pourfendeur
de gnies malfaisants semblait trop manichenne pour tre honnte. Les
contradictions ressortant des discours qu'ils tenaient ont veil1 nos soupons
et nous avons compris qu'il tait impossible de faire l'conomie d'une
tude contextuelle des pratiques thrapeutiques.
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L'observation en situation des diffrents thrapeutes devait nous
rvler bien des choses : notamment la flexibilit des catgories tiolo-
giques, la permabilit des catgories statutaires et, de manire gnrale,
la mallabilit des oppositions binaires qui variaient en fonction des diff-
rences que l'on voulait inscrire.
Pass le moment de dsarroi qu'a fait natre cette dcouverte, et
luttant contre une tendance un peu trop Durkheimienne voir une socit
comme un systme tendant ['harmonie et rejetant le conflit vers ses
marges, nous avons compris que ces contradictions taient le moteur
de la logique sociale Haalpulaar.
Voil pourquoi il nous a sembl lgitime de prsenter les di ffrents
thrapeutes sur un mode narratif. C'tait une manire d'viter les cueils
d'une typologie, schmatique et rductrice, des contradictions alors mme
que ce sont les contradictions qui nous sont apparues comme trait pertinent
travers l'interprtation de la maladie et les pratiques thrapeutiques.
La diffrence et la contradiction, la fois au plan individuel (maladie,
fonction thrapeutique) et au plan social, (statut, lignage) semblent tre
les oprateurs de la logique sociale Haalpulaar.
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CHAPITRE 1
PRESENTATION DES HAALPULAAREN
1 PRESENTATION GENERALE DE LA REGION
1. Bref historique
2. Le fleuve et la population riveraine
a) Des donnes chiffres
b) Le systme agricole Haalpulaar
3. Aperu des problmes de sant partir d'enqute de typebiomdical
II STRATIFICATION SOCIALE HAALPULAAR
1. Mode de dsignation et signi fication de la terminologie desstructures sociales Haalpulaaren
2. Le concept de caste et sa pertinence dans le systme socialHaalpulaar
a) Dfinition
b) Le concept de caste tel qu'il a t utilis en milieu wolof-haalpulaar par diffrents auteurs
3. Prsentation des groupes statutaires lignagers
a) Les groupes responsables/l'ordre des RimBe
b) Les groupes artisanaux/l'ordre des nyeenyBe
4. Les relations sociales interlignagres
5. Conclusion
III CONCLUSION
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PRESENTATION DES HAALPULAAREN
1 - PRESENTATlON GENERALE DE LA REGION
1. Bref historique
Notre intrt pour l'histoire provient de la possibilit qu'elle offre
de nous donner, travers l'examen des diffrentes migrations, l'origine
des lments qui composent actuellement la socit Haalpulaar. N'tant
pas historienne, nous ne voulons pas nous placer dans un dbat dont l'enjeu
est la fois la mthodologie et les fondements mmes de l'histoire de
la rgion.
Nanmoins, il nous a sembl ncessaire d'exposer les hypothses actuel-
le des historiens qui se fondent sur une analyse renouvele et critique
des sources traditionnelles. L 'historien de la Valle dispose de deux types
de matriaux ; d'un ct les sources arabes qui sont pour la plupart des
compilations d'ouvrages antrieurs crits par des voyageurs : c'est ainsi
que les auteurs arabes ont confondu les fleuves Niger et Sngal en en
faisant le prolongement du Nil. De l'autre ct, les traditions orales qui
sont dans leur majorit teintes d'idologisme islamique et qui sont une
mythographie datant du XIXme sicle, priode qui a vu la domination
du groupe des toorooBe (*) s'tendre l'ensemble de la Valle.
Comme notre propos n'est pas de faire l'histoire du Fuuta, mais d'ins-
crire notre analyse des statuts dans une perspective historique, nous allons
procder de manire schmatique. En premier lieu, nous prsenterons
un tableau rappelant l'ordre chronologique des priodes qui ont marqu
la rgion. Puis, nous interprterons ce tableau en faisant appel aux points
de vue propres la recherche historique actuelle (O. Kane, Y.K. Fail).
Enfin, ces hypothses seront mises contribution pour clairer notre analyse
des groupes statutaires Iignagers.
La moyenne Valle du fleuve Sngal, en raison de ses possibi lits
agricoles et pastorales immenses, a attir trs tt d'importants tablisse-
ments humains. Cette rgion prospre, vivifie par la crue annuelle, porte
depuis le XVme sicle le nom de Fuuta Tooro.
(*) "mendiants de Dieu". Groupe qui s'est rig en classe dominante pendant l'Almamyat.
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Son histoire est l'une des plus anciennes de la Sngambie. Le Fuuta
Tooro est l'une des premires contres avoir embrass l'Islam. L'Islam
y est d'ailleurs antrieur l'pope almoravide du XIme sicle: il aurait
pntr le pays depuis le IXme ou Xme sicle mais ce n'est qu'au XVIIIme
sicle qu'il a connu un essor dcisif.
Voici la chronologie des priodes qui marquent l 'histoire de la rgion
d'aprs S.A. Sow (1913) :
DATES HISTOIRE DE LA HISTOIRE DES EN-(estimations) VALLEE VIRONS
800 1000 dynastie des JAH'OGO apoge du GHANA qui(850 - 1000)* exerce sa tutelle sur
le TEKRUR.
1000 1100 dynastie des JAABI Pousse ALMORA VIDEIslamisation d et indpendance duTEKRUR. TEKRUR
1100 1300 dynastie des MAI\JA TEKRUR sous la tu-(1100 - 1300) * telle des JAARA. Dy-
nastie des NIAKHA TE
1300 1450 Rgne du LAAM dislocation du MAALI(1300 - 1400 TERMES (invas ion Monte des JA WARA
Toujon) * Peule et Soninke) ou JAARA qui vassa-lisent le TEKRUR.
1450 1550 Rgne du LAAM TAGA Dcadence des JAWA-(1400 - 1527) * et du LAAM TOORO RA -
(Peuls, Soninke et Mau-res), morcellement duTEKRUR.
1559 Invasion Peule conduite Emergence de l'empire(1527 - 1770) * , par KOLI TENGELLA, SONGHAY.
rgne des DENYAN-KOOBE
1776 Mouvement rformiste(1776 - 1880) * maraboutique sous la
direction de Su leymaan8aal, rgne des AI ma-mys (1776 - 1880)
(*) Chronoiogie recueillie dans un article de WANE (B.) - "Le Fuuta Tooro de ceerno Suley-
maan Baal la fin de "Almamyat (1770-1880)", "Revue !ingalaise d'Histoire (Dakar,juin 1981, vol 2, nO 1, pp. 38-49).
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DATES HISTOIRE DE LA HISTOIRE DES EN-(estimations) VALLEE VIRONS
A partir de Mise en tutelle1850 coloniale
La chronologie de S.A. Sow sur laquelle nous nous sommes appuye
pour montrer les di ffrentes priodes qui ont marqu la rgion, fait l'unani-
mit chez les historiens mme si elle est trs approximative.
Avant le IXme sicle, il est difficile de retracer les grands flux de
population qu'a connus la rgion bien que ce soit cette poque qu'a
eu lieu le brassage de population dont mergea ceux qu'on appelle actuel-
lement les TOUCOULEUR et qui se nomment eux-mmes HAALPULAAREN
"Ceux qui parlent pulaar".
C'est vers le IXme sicle qu'arrivent les JAH'OGO qui assujettissent
la population autochtone pendant prs d'un sicle, sans les chasser ailleurs.
Un peu plus tard (Xlme sicle), les Soninke s'tabHssent JAARA et
fondent un empire (GHANA) avec l'aide des fractions Peules, dont la
valle en amont est une des provinces.
Au mme moment, la valle connat une vague d'islamisation importante
et le TEKRUR (.. ) devient indpendant. Jusqu'au milieu du XVme sicle,
des dynasties Soninkes et Peules vont se succder.
Vers la fin du XIVme sicle, l'empire Manding annexe l'empire fond
par la dynastie NIAKHATE l'aide des JAH'OGO et des SEERER. L'autorit
de l'empereur du Manding passe par l'intermdiaire d'un vassal JAWARA
dont la dynastie a supplant celle des NIAKHATE au dbut du XUIme
sicle. Ces JAWARA ont un vice-roi appel farn tabli Anyam Godo.
Les chefs de la noblesse terrienne indigne ont le titre de farba tandis
que ceux des tribus Peules portent le titre de satigi.
(*) L'unit territoriale du TEKRUR va fluctuer selon les dynasties et jusqu'au XVme sIcle
elle est l'unit territoriale qui dsigne la Moyenne Valle, comprenant les provinces du
YirlaaBe au Damga approximativement (cf. carte nO 2).
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A cette mme poque, si le Tekrur dpend des populations Soninke
puis Manding, le Tooro reste indpendant et il est sous contrle d'un chef
Peul (LAAM TERMES, puis LAAM TAGA et LAAM TDDRD) qui dominera
le TEKRUR au XVme sicle. De fait, jusqu' la priode des Almamys,
la province du TDDRD restera relativement indpendante d'un pouvoir
central (Soninke, Manding ou Denyanke).
Le milieu du XVme sicle voit la dcadence de la dynastie JAWARA
qui, s'tant soustrait l'autorit Manding, passe sous la dpendance de
Gao; le souverain du Manding envoie des expditions punitives pour essayer
de recouvrer son ancienne autorit. C'est Kali Tengella qui dirige l'expdi-
tion et qui fait la conqute du Fuuta et il y tablit une dynastie Peule
Denyanke qui rgnera prs de deux sicles jusqu'au mouvement rformiste
maraboutique de Suleeyman Baal la fin du XVIIIme sicle (1776). Le
rgne des Almamys verra sa fin avec la mise en tutelle coloniale mais
son idologie restera marque jusqu' aujourd'hui : l'Almamyat aura moins
instaur une thocratie qu'une oligarchie (1).
Les recherches archologiques ainsi que les mythes donnent les Seerer
comme les anciens occupants du Fuuta qui s'tendait alors de la valle
du fleuve Sngal au Sud, jusque vers l' ,,drar Mauritanien et le Tagant
au nord. L'ancienne population seerer voisinait. avec des fractions FulBe
sur la rive droite du Sngal, et avec des Soninke dans le Tagant et vers
le Hodth. Ces Soninke, nous dit Delafosse (1913), n'taient pas "mandingui-
ss" et devaient fortement ressembler aux Seerer d'alors.
Selon Y.K. Fall (1982 : 202), "une interprtation systmatique de l'en-
semble des donnes palthnologiques contenues dans les traditions histori-
ques des Haalpulaaren rend plus anecdotique et partielle cette attribution
des sites du fleuve aux Seerer". Il met l'hypothse que la rfrence aux
Seerer se fonde sur le principal lment de diffrenciation qu'est l'Islam.
En effet, on sait que les Haalpulaaren sont issus de brassages multiples
et que les Seerer constituent encore de nos jours le groupe le plus rfrac-
taire l'Islam. "De fait, l 'histoire des villages, des toponymes, des anthro-
panymes, combine l'histoire dynastique, donne l 'histoire du peuplement
et des mouvements de populations une envergure autrement plus grande
(1) De plus amples dtails seront donns au cours de ce chapitre (voir sur les toorooBel.Almamyat : rgne des Almamys ; Almamy est une dformation de l'arabe AI lmaam ElMuumlin "Commandeur des croyants".
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que l'attribution de sites archologiques aux Seerer : FutBe, Wolof, Soninke,
Berbres ont constitu diffrentes poques, des lments importants
de la population ancienne de la Valle du fleuve Sngal" (p. 202).
La plupart des historiens traditionalistes (S.A. Sow, Y. Diaw) considrent
les diffrentes "dynasties" qui ont rgn dans la Valle comme tant issues
de vagues de migration successi ves qui auraient toutes pour origine lointaine,
l'Egypte.
Y.K. Fall voit dans ce genre d'hypothse la marque d'une mythographie
propre au XIXme sicle et au groupe des toorooBe tout occup qu'il
tait asseoir sa domination.
Pour O. Kane (1), les vagues de migrations ne sont pas toujours venues
du nord en direction du sud ; selon lui, les JAH'OGO seraient des popula-
tions venues du stJd une poque o le NAMAND.IRU (unit territoriale
comprenant le Haut-Ferla, la valle de la Falm et la Haute-Gambie)
se serait tendu jusqu' la Moyenne-Valle du Sngal.
D'autre part, il prsuppose que la parent plaisanterie qui unit Seerer,
FulBe et Jola est antrieure leur installation dans la valle du Sngal.
Enfin, les voies de passage empruntes par les courants de migrations
ont t l'ouest, le lac R'kiz (l'axe hydrographique du lac R'kiz, du lac
de Guier et de la valle du Ferla ont marqu l'unit territoriale du Tekrur),
et l'est, la valle du Gorgol, d'o 'sant arrivs les Sose et les Soninke
(l'unit territoriale du Ghana s'est forme ds le Hme sicle avant J.C.
et a rayonn dans la rgion du Fleuve par priodes).
Les critiques des historiens contemporains ne s'attachent pas uniquement
l'origine suppose des migrants ayant fonde la population haalpulaar.
Ainsi, Y.K. Fall conteste la validit de la chronologie propose par S.A.
Sow, dans la mesure o les vnements dcrits ne touchent pas forcment
(1) Communication personnelle.
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les mmes ensembles territoriaux : le TEKRUR et le TDDRD sont des
units territoriales distinctes dont les limites ont fluctu (1).
Le fait que la reglon du Fleuve ait t la fois le foyer islamique
le plus ancien de la Sngambie et le creuset de brassages ethniques con-
tribue la difficult d'une approche historique.
(1) \1 est intressant de voir que l'histoire crite nous donne une migration d'est en ouest
et du nord au sud, tandis que la tradition orale lignagre souligne une migration d'ouest
en est mme si l'origine mythique est toujours si tue plus l'est. En fait, ces migrationscorrespondent des poques diffrentes : est-ouest et nord-sud avant le XVme sicleet ouest-est : postrieur au XVme sicle. La mmoire lignagre, comme nous le verrons
travers l'tude de notre village, ne dpasse pas le XVme et avant cela c'est la mmoiremythique qUI reconnat l'existence de populations antrieures.
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2. Le fleuve et la population riveraine
Le fleuve Sngal coule sur 800 km de Bakel la mer avec une pente
trs faible (22 mtres au dessus du ni veau de la mer BakeD mais son
rgime est contrast ; le niveau des eaux en priode de crue peut monter
de 8 12 mtres Bakel. La crue se rpand dans la plaine alluviale dont
la largeur atteint 20 30 km au ni veau de Matam, Kaedi et SaIde, elle
a lieu d'aot novembre, la dcrue tant trs progressive.
En aval, le fleuve se scinde en deux cours d'eau qui dcoupent l'le
morfil longue de 200 km et large d'environ 10 km. La Dou est le bras
mridional qui coule sur la rive sngalaise tandis que le bras principal
qui garde le nom de Sngal, marque au nord la frontire avec la Mauritanie.
Les densits de population les plus importantes se trouvent aux abords
du fleuve dans sa rgion centrale (Moyenne Valle) o les terres de dcrue
sont les plus tendues. De Bakel l'est Dagana l'ouest, les Haalpulaa-
ren se sont installs pour la majeure partie d'entre eux, aux abords imm-
diats du fleuve. Installs principalement dans la Moyenne, Valle, ils cons-
tituent un groupe homogne distinct dont les activits agro-pastorales
diffrent de celles du Gadiaga et de la Haute-Valle o le cours d'eau
est trop troit pour permettre une agriculture de saison sche, et de la
Basse Valle o les mares apportent une remonte saline nocive pour
les cultures.
Sur la rive droite du fleuve (reewo), les Haalpulaaren cohabitent
avec les Maures, descendants d'arabo-berbres qui sont essentiellement
leveurs de chameaux et de boeufs. Au sud, l'intrieur des hautes terres
(jeeri) , vi vent les FulBe, pasteurs dans une zone sans eaux perennes appele
Ferlo. Les pasteurs Maures et Peuls descendent vers le fleuve pendant
la saison sche (ceeDu), une fois que les mares des zones o ils font patre
leur btail sont assches. Depuis l'installation de forages dans le jeeri,
les mouvements vers le fleuve ont diminu et ce d'autant que les scheres-
ses des dernires annes ne permettent plus d'assurer une partie de l'ali-
mentation du btail dans le waalo. En aval du fleuve, les Haalpulaaren
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cohabitent avec les Wolof waalo-waalo qui vi vent pour la plupart dans
le delta. En amont de Demmbakane, les Soninke constituent la population
majoritaire (carte nO 1).
En prenant la valle du fleuve dans son ensemble les Haalpulaaren
constituent plus de la moiti de la population globale. Nous assistons
un recul certain de la densit de population mais celle-ci est comparable
dans chaque rgion mme si le foyer de l'migration reste les dpartements
de Matam et Bakel. La culture rizicole en primtre irrigu n'a pas encore
fait rgresser le flux des migrations.
La rgion qui fait l'objet de cette tude comprend quelques villages
en bordure du Sngal dans l'le morfil (Cubalel, Juude Jaabe, BarooBe
Jake!) et des villages riverains de la Dou (Maadina NjaccBe, Mbumba).
Pour les villages de l'le morfil tourns vers la rive Mauritanienne,
les terres de culture hivernale se situent en Mauritanie. Dans l'le se
trouvent uniquement des terres de dcrue (palle - pooDe - kollaDe). Il
y a toujours correspondance transversale entre les villages mauritaniens,
ceux de l'le et les villages sngalais. En effet, le peuplement, avant
de se propager le long du cours d'eau, s'est dplac du nord vers le sud,
du fait des pressions arabo-berbres.
a) Des donnes chiffres
Voici un tableau qui donne la rpartition de la population des rgions
riveraines du fleuve, d'aprs le recensement gnral de 1976 (in A. Leri-
collais, 1981, p. 9)
Rive droite Rive gauche Total
Bas-Sngal 120 500 116 000 236 000
Moyenne Valle88 000 144 000 232 000aval
Moyenne Vlle 101 500 173 000 274 000amont
Secteur Slibabi 30 000 33 000 63 000Bakel ---------- --------- ---------
Total 340 00 466 000 806 000
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Les Haalpulaaren. forment 38 % de la population (les Maures 20 %, les
Peuls 18 %, les Soninke 10 % et les Wolof 9 % avec 5 % d'indtermins).
Les Haalpulaaren sont dominants dans la Moyenne Valle.
b) Le systme agricole Haalpulaar
En dpit de son systme social catgories professionnelles bien
dfinies, la socit Haalpulaar est essentiellement une population agricole
qui essaie de tirer profit de sa localisation gographique. Le partage terri-
torial se fait en fonction des leYYi (groupes statutaires Iignagers).
Le systme agricole Haalpulaar repose sur une dichotomie WAALO/
JEERI qui permet deux campagnes agricoles par an.
1. Le Waalo
Waalo dsigne l'ensemble des terres de la valle plus ou moins
rgulirement inondes par la crue du fleuve. Ces terres sont diffrencies
en fonction de leur proximit du fleuve, de leur situation topographique
par rapport lui et de leur fert ili t.
a) Les terres de berge, palle (falo au s9') sont cultives essentiel-
lement par les SubaIBe(*dui en sont les propritaires. Ces terres trs riches
en limon, auxquelles la proximit des eaux du f;leuve communique trs
longtemps une humidit bnfique, jouent le rle de jardin en saison sche.
On y cultive de manire associe mas, haricots- nyeeBe, citrouilles-beref,
patates douces et tomates cerise. Les palle ont des superficies trs rduites
car les berges du fleuve peuvent parfois tre trs abruptes. L'apport de
limon par les crues les rend trs producti ves.
b) les kollaDe (kollengal au s9') sont des terres du waalo tout aussi
prises. Elles sont en majeure partie dtenues par les toorooBe, les fulBe
et les seBBe (1). Ce sont des terres argileuses qui occupent de grandes
cuvettes situes de part et d'autre du lit principal du fleuve. Elles sont
inondes plus ou moins rgulirement selon leur niveau par rapport au
(1) Les toorooBe sont les "mendiants de Dieu, les fulBe sont les bergers
nomades et les seBBe sont les chasseurs-guerriers.
(2) SubalBe, sg. cuballo : pcheur.
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au fleuve. Seuls les kollaDe les plus bas sont inonds par toutes les crues.
Les kollaDe sont plants de sorgho en association avec quelques plants
de nyeeBe ou de beref. Les kollaDe forment de vastes tendues cultives
que peuvent partager plusieurs villages.
",'
c) Les pooDe (foonde au sg.) sont les hautes terres de la valle
alluviale. Elles ne sont inondes que pendant les crues trs fortes mais
peuvent tre cultives avec les pluies. La qualit de ces terres est trs
variable et dpend des quantits de limon qui les composent. Les cultures
qui s'y pratiquent sont les mmes que celles des koUaDe mais elles sont
incertaines cause des irrgularits de la mtorologie. Les droits de
proprit de ces terres sont rpartis entre tous les groupes sociaux.
Jeeri dsigne les terres situes en bordure de la valle alluviale.
Par extension, jeeri dsigne les cultures d'hivernage qui se pratiquent
sur ces terres. Celles-ci n'ont pas la mme importance pour tous les habi-
tants de la rgion. Vers l'aval, on pratique des cultures cycle court
en raison de la faiblesse et de l'irrgularit des pluies: on y trouve surtout
le beref, le haricot- nyeBe et le mil cycle court. En amont, avec une
pluviomtrie plus favorable, les champs o domine le mil ont une production
rgulire. Pour ceux qui manquent d~ terres de waaJo, comme c'est le
cas des Wolof en aval et des Haalpulaaren en amont dans le Damga, les
terres de jeeri revtent une importance considrable. Mais pour la popula-
tion vivant dans la Moyenne Valle o le waalo est large et fertile, il
n'existe pas de droit de proprit sur les terres du jeeri dont la totalit
des rcoltes appartient celui qui les a cultives. Les terres du jeeri
sont aussi cultives par des pasteurs fulBe qui sment un peu de mil ainsi'
que de l'arachide en quantit moindre.
Ce systme agricole double composante est fond sur la configura-
tion gographique et climatique de cette rgion. Le rgime du fleuve
permet deux types de culture de dcrue (fala et kallenga1) qui ont rgress
avec les scheresses : de nombreux kollaDe ne sont plus culti vs depuis
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- 23 -
des annes, et seuls les palle donnent encore des rsultats rguliers. Ce
systme agricole cohabite jusqu' prsent avec les rizires irrigues nouvel-
lement amnages sur les pooDe. A court terme, ce systme traditionnel
va tre remis en question par l'amnagement hydro-agricole de la valle
li la construction de barrages pour rgulariser le dbit du fleuve. Pour
le moment, le salut du fleuve semble rsider dans les cultures de jardinage
qui apparaissent un peu partout dans la valle, sous l'impulsion de femmes
la recherche de petites units de production commerciale. Le jardinage
se fait durant la saison frache (dabbunde), de novembre fvrier. La
saison sche (ceeDu), de mars fin avril, est trop chaude et trop sche
pour permettre ce genre de culture. La saison chaude est consacre actuel-
lement la culture rizicole.
Depuis plusieurs annes nous assistons une dgradation des conditions
climatiques qui rduisent les saisons deux au lieu de quatre. L'hi ver-
nage (ndungu), rduit sa plus simple expression n'est plus qu'une transition
entre la saison froide (dabbunde) et la saison sche (ceeDu). En 1983,
Richard Tol1 et ses environs ont vu la premire pluie tomber le 27 Sep-
tembre !
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3. Aperu des problmes de sant partir d'enqutes de type biomdical
Notre expos se base sur deux tudes de sant publique dont les rsul-
tats ont t publis respectivement en 1962 par J.L. Boutillier, P. Cantrelle
et A. Ndoye dans le cadre d'une enqute gnrale portant sur la Moyenne
Valle du Sngal (M.I.S.D.E.S) (1), et en 1981 par le GERS AR (2) dans
le cadre d'une valuation de factibilit des primtres irrigus sur la
ri ve gauche du Sngal.
Alors que la M.I.S.D.E.S. signalait une hyperendmie palustre en saison
des pluies, le GERSAR rend compte d'une msoendmie palustre en saison
sche dans la Moyenne Valle (et prvient du risque d'hyperendmie que
vont crer les barrages).
La bilharziose vsicale est beaucoup plus frquente dans les zones
du Jeeri, chez les Peuls, que dans les zones de Waalo : la zone du Delta
et la Moyenne Valle ne sont pratiquement pas touches tandis que le
Jeeri l'est fortement (10,4).
Le rapport du GE F5 AR soulve le problme de la malnutrition chez
les enfants depuis les annes de scheresse. Une enqute de l'DMVS en
1975 a rvl que 50 % des enfants examins prsentaient des signes
de malnutrition plus ou moins graves rsultant d'insuffisance de l'alimenta-
tion. Dj l'enqute de la M.I.S.D.E.S. en 1962, tout en dmontrant que
l'quilibre alimentaire tait assur, annonait la prcarit de cet quilibre
(op. cit: 192).
La dernire pidmie de cholra remonte 1973.
L'incidence de la coqueluche est leve chez les enfants de moins
de 5 ans (25 %) avec un taux de ltalit de 0,1 % (op. cit 1981).
La diphtrie est omniprsente au Sngal (taux de ltalit en 1976
de 18 % et de 7,2 % en 1980).
La mningite crbrospinale mningocoque, qui avait une forte
(1) M.I.S.O.LS.: Mission socio-conomique du Sngal.
(2) GERS AR : Groupement d'Etudes et de Ralisation des Socits d'Amnagement Rgional.
(3) SAED: Socit d'!l..mnag'ment et d'Exploitation des terres du Delta.
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endmicit en 1967 dans le dpartement de Matam, a rgress depuis
et c'est toujours en saison froide (janvier mars) que son incidence est
maximale.
Le ttanos: son taux d'incidence est de 7 % dans la Valle.
La tuberculose pulmonaire est trs frquente au Sngal o elle a
un taux de ltalit de 4,5 %. Au Fleuve, elle reprsente 14,1 % des cas d-
clars au Sngal.
La lpre est assez rare et 90 % des cas sont des lpres tuberculoides.
La syphilis endmique ou Bejel est trs courante, mais il n'existe
pas de statistique pour la diffrencier des autres trponmatoses.
Les gonococcies : peu d'lments sur sa frquence dans la rgion.
D'aprs les statistiques, les urtrites seraient nombreuses : 4 % en 1976
et 3,5 % en 1980.
Le trachome est l'tat endmique au Sngal.
Nous reproduisons le tableau de morbidit et mortalit des principales
maladies bactriennes (op. cit 1981 : IV.47)
Dagana-St-Louis Podor-Nidoum Matam-Ourossogui Sakel
coqueluche 278 - 765 36 264 0) 3 51diphtrie - - 3 (1) 3 5 (1) - -M.C.S. - 16 0) - 1 11 0) 14 (5) 2 (1)ttanos 23 (1) 64 (3) 8 (1) 19(11) 11 0) 14 (5) -tuberculose 4 170 (5) 6 8 43 0) 500) 3
lpre 4 1 (1) 8 2 - - -urtrites 894 64 1096 133 375 9 6purulentes
() mortalit
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Total rgions tableau Total Sngalprcdent
coqueluche 1397 (3). 22792
diphtrie 11 (2) 291
M.C.S. 28 (9) 336
ttanos 139 (54) 1378
tuberculose 284 2014-
lpre 15 (1) 1049
urtrites 2591 19906purulentes
( ) mortalit
La rougeole est considre en Afrique Noire comme la "dvoreuse
d'enfants". Le taux de ltalit tait de 20,2 % en 1980.
Voici un tableau de morbidit et mortalit de la rougeole et de la
P.A.A. (1)
Dagana-St-Louis Podor-Ndioum Matam-Ouro- Sakel Totalssoqui
rougeole 2 117 123(10) 373 (6) 13 92 (2) - - 2 596 (26)P.A.A. 0 - 2 1 2 1 1
(1) poliomylite antrieure aige
P.P.A. : le taux d'infection serait lev selon_ une enqute srologique
mene chez les jeunes enfants en 1977. Ainsi 70 % des enfants prsentent
des anticorps anti-polio 1 et II et, parmi ceux-ci, 75 % possdent des anti-
corps anti-polio III avec 4,8 % de cas en 1978 sur un total de 345 cas.
D'aprs l'enqute mene en 1962, la surdi-mutit est congnitale
et concerne 2,2 % de la population. L'pilepsie touche essentiellement
les enfants (1,9 %) et les affections mentales (dbilit et/ou folie) touchent
surtout les adultes 0,5 %).
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- 27 -
Pour conclure, cette mme enqute a fait une tude des consommations
d'aliments en fonction de l'appartenance statutaire des individus. Voici
la conclusion:
"les pcheurs consomment moins de petit mil, qui provient des champs
de jeeri loigns du fleuve, que les autres castes et inversement, plus
de sorgho ; trs peu de beref, surtout produit dans le jeeri et, comme
on pouvait s'y attendre, beaucoup de poisson frais et sec et moins de
lait que les autres.
Les toorooBe consomment moins de mas et plus de nyebe et de beref.
Le nombre des familles d'artisans observe est trop faible pour tre signi fi-
catif.
Au total, la ration calorique et protidique des serviteurs est la plus
forte, celle des toorooBe la plus faible, celle des pcheurs tant interm-
diaire". (op. cit: 192).
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- 28 -
Tout travail ethnographique s'attache dgager la morphologie sociale
du groupe observ et nous ne manquerons pas la rgle, et ce pour des
raisons qui dpassent la simple volont de faire un bon devoir ethnographi-
que.
La socit haalpulaar apparat pour ceux qui connaissent l'ensemble
des socits sngambiennes comme la plus stratifie et la plus rigide.
11 semble que tout fonctionne dans le cadre de ce qu'on nomme un peu
htivement les castes Toucouleur. Cette qualification de socit castes
nous parat injustifie et nous essaierons de dmontrer pourquoi nous
avons prfr lui substituer l'expression de socit groupes statutaires
Iignagers.
Si nous nous plaons ainsi au centre du dbat qui se tient autour
du concept de caste et de son application aux socits soudanaises, ce
n'est pas pour sacrifier une mode mais parce que le jeu des diffrences
statutaires transparat dans la thrapeutique. Le principe de diffrence
qui structure la socit apparat dans di ffrents contextes, dont celui
de la maladie. C'est l'tude de la morphologie sociale qui permet de
comprendre les diffrents principes qui rgissent ce que nous appelons
pour le moment la thrapeutique haalpulaar.
L'observation de la morphologie sociale permet de dgager la notion
de contexte, la notion de hirarchie et la notion de valeur, notions qui
expliquent les recours et les parcours thrapeutiques. Ces di ffrentes
notions, avec lesquelles L. Dumont (1978) a labor une thorie de la
hirarchie, nous seront d'une grande utilit mme si nous refusons d'appli-
quer le concept de caste la socit haalpulaar.
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- 29 -
La vision que nous proposons de la socit haalpulaar est celle d'une
anthropologie sociale telle que la conoit L. Dumont, c'est--dire une
vision holiste qui prend en compte les diffrences tout en essayant de
dgager le principe de diffrence dominant, et en gardant toujours
l'esprit que l'anthropologue est dans une situation duelle : son objet d'tude
est, comme le rappelle justement L. Dumont, ses semblables, et non
des objets (1983 : 16), et c'est pourquoi l'anthropologue ne peut objectiver
sa pense comme un scientifique "dur".
Le concept
tre de dpasser
des structures
de hirarchie tel que le dfinit L. Dumont va nous permet-
une srie de contradictions qui ont souvent pes sur l'tude
sociales des socits hirarchises de l'ouest africain.
Il nous permettra aussi de rfuter la pertinence du concept de caste
dans ces mmes socits. La notion d'ides-valeurs qui, selon L. Dumont,
dfinit le mode de pense des socits non-modernes va nous permettre
d'inscrire le concept de hirarchie dans une perspective historique qui
n'est pas linaire.
L. Dumont dfinit la hirarchie comme un englobement des contraires
qUI SOt:'lt situs hirarchiquement l'un oar rapport l'autre et qUi varient
selon le contexte. Cette relation peut tre largie toutes les OPPOSI-
tions binaires de type structuraliste.
La hirarchie est prsente dans les liens qu'entretiennent les di ffren-
tes thrapies et l'i mportance du contexte transparat dans les recours
thrapeutiques des malades. La diffrenciation sociale que les statuts
fixent et exacerbent se retrouve tous les niveaux de la pratique sociale
dans un rapport hirarchique contextuel. Le recours telle ou telle thra-
pie varie selon le contexte et se situe toujours dans une relation hirarchi-
que par rapport aux autres thrapies qu'il exclut.
Avant de nous pencher sur les pratiques sociales lies la thrapeuti-
que, nous donnerons un aperu des structures sociales haalpulaaren.
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- 30 -
11- STRATIFICATION SOCIALE CHEZ LES HAALPULAAREN
Les socits wolof et haalpulaaren ont donn lieu de nombreuses
discussions concernant la manire dont elles devaient tre qualifies;
le terme de caste est celui qui revient le plus souvent, mme s'il recoupe
des ralits diffrentes selon les auteurs.
Cet essai se dcompose en trois parties: la premire va s'attacher
comprendre la morphologie sociale partir du vocabulaire qui dsigne
les' catgories sociales. La seconde partie de cet essai va s'attacher
dmontrer l'inadquation du concept de caste chez les Haalpulaaren,
en essayant de montrer que ce concept est peut-tre une ide-valeur
rcente surgie. d'un contexte historique prcis et qui fonctionne selon
le mode hirarchique de l'englobement des contraires. Ce concept rgirait
alors, non pas le systme social haalpulaar, mais des ides-valeurs dta-
ches de leur contexte initial (exemple: la valeur de la foi comme princi-
pe d'galit des hommes devant le divin et la valeur du lignage comme
principe de diffrenciation des groupes sociaux; ces deux ides-valeurs
ont donn naissance au groupe des toorooBe). Dans une troisime partie,
nous allons nous attacher dtailler chacun des groupes statutaires ligna-
gers reprsentati fs d'une certaine ide-valeur de la thrapie, puis nous
tenterons une approche socio-historique des diffrents groupes qui compo-
sent la socit haalpulaar.
Il faut toutefois preciser que notre propos n'est pas de rvler des
vrits historiques mais de montrer que les volutions ne se font pas,
toujours dans le mme sens et que le contexte dans lequel se dveloppent
d'une part les groupes et d'autre part les ides (y compris celles de l'obser-
vateur), est prendre en considration.
1 - Mode de dsignation et signification de la terminologie des structures
sociales haalpulaaren
Cette mthode d'apprhension des donnes empiriques privilgie
par Le Goff (1973), lorsqu'elle est utilise par l'anthropologue, permet
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- 31 -
une analyse du discours et des modes de dsignation en vitant l'cueil
de l'anthropocentrisme ou du comparatisme tout vent. Nanmoins,
il ne faut pas qu'elle donne lieu une vision trop culturaliste des socits.
Elle doit rester un outil mthodologique permettant d'aborder un objet
de recherche de la manire la plus empirique.
II existe trois grandes catgories sociales chez les Haalpulaaren :
les rimBe, les nyeenyBe et les jyaaBe constituent les groupes de diffren-
ciation les plus larges. Chacun de ces groupes s'oppose l'un l'autre
de manire hirarchique.
La premire division hirarchique mise en avant, c'est le couple rim-
Be 1 nyeenyBe :
Le groupe des rimBe se dtermine sui generis et peut tre appel
le groupe des gens responsables d'eux-mmes. Le terme rimBe (au sin-
gulier : dimo) fait intervenir le sens de la libert, de la dignit et de
l'honneur. rim-, la racine verbale qui signi fie "mettre au monde", "engen-
drer", s'oppose rimar- qui signifie "strile". Ches les fulBe, les esclaves
sont appels rimayBe. Les rimayBe sont des gens striles, des gens sans
honneur qui ne reproduisent pas de lignage car ils appartiennent, comme
s'ils taient des biens, leurs matres.
Le groupe des nyeenyBe, c'est--dire des "habiles" et/ou des "flat-
teurs", se dtermine par rapport au groupe prcdent par son activit
artisanale et par la relation de dpendance qu'il entretient avec les rimBe
qui le rtribuent.
Contrairement aux rimBe qui se caractrisent par leur absence d'acti-
vit professionnelle spcialise, les nyeenyBe ont des spcialits dfinies
par le travail de la matire.
A ce couple rimBe/nyeenyBe s'ajoute une autre catgorie, celle des
jyaaBe qui est dans un rapport hirarchique d'infriorit par rapport
aux deux autres groupes.
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- 32 -
Les jyaaBe constituent le groupe des lments serviles de la socit.
Ce sont les captifs de case (halfaaBe) qui appartiennent au patrimoine
de leurs matres, et les affranchis, (soiiBe) qUi, lorsqu'ils restent auprs
de leurs ancIens matres, gardent des relations de service avec eux. Ce
qui dfinit le captif, c'est son absence de mmoire lignagre, son impossibi-
lit d'hriter dans la mesure o il est considr comme un bien au mme
titre que le btail. Il faisait partie des compensations matrimoniales
jusqu' il n'y a pas si longtemps.
D'autre part, l'esclave est dsign diffremment selon son sexe:
maccuDo dsigne l'esclave masculin, kordo dsigne la captive et jyaaDo
est neutre. Le jyaaDo n'a pas de mmoire et il n'appartient pas un
lignage, ni mme un clan, dans la mesure o il provient d'horizons
trs varis (manding, fulBe, haratin, wolof). Y. Wane rend compte d'un
sobriquet qui dsigne les jyaaBe comme des majjuuBe, c'est--dire comme
des "gars". Le jyaaDo peut faire tous les mtiers, en particulier les
mtiers artisanaux. Toutes les activits manuelles lui sont permIses,
mais ses tches quotidiennes ne ncessitent aucun travail intellectuel,
ni de reprsentation.
A l'intrieur de chacune des catgories, rimBe InyeenyBe 1 jyaaBe,on repre d'autres divisions:
ORDRE CLASSE
RIMBE "Les libres et les rimBe ardiiBe "les libres et dignesdignes" (sg : dimo) chefs" (ard - racine verbale signi-
fiant commander, tre en tte,guider.
rimBe huunyBe "Les libres, digneset dsirants" (racine verbale huunysignifie dsirer une chose de ma-nire incoercible) (1)
(1) les rimBe huunyBe sont les courtisans des rimBe ardiiBe auxquels ils demandent descadeaux en cont repart ie de leur allgeance.
-
~ 1 .
- 33 -
ORDRE
NYEENYBE "Les habiles,les flatteurs" (sg : nyeenyo)
JYAABE (?) "Les esclaves"
CLASSE
nyeenyBe fecciram golle "leshabiles (qui se) partagent (Je)travail".
naalankooBe (les chanteurs-danseurs(?) ou
nyagotooBe "les qumandeurs"(racine verbale nyag signifie de-mander, qumander)
sottiiBe "Les rachets"(racine verbale sott, signifieracheter)
halfaaBe (?) (esclaves non affran-chis)
Le dimo n'est pas dfini par rapport son activit professionnelle;
celle-ci est marque ngativement (absence de professionnalisation).
Le dimo est toutefois considr comme un producti f (rim- : engendrer)
mais il ne produit pas d'objets. Producteur de lignes, le dimo se caract-
rise par son sens exacerb de l'honneur et de la dignit. Libre des contrain-
tes professionnelles, il est le guide autour duquel se rassemblent ses
dpendants nyeenyBe et jyaaBe. Hirarchiquement suprieur aux autres
groupes, il les encadre et les domine politiquement.
Le nyeenyo se consacre une activit artisanale spcialise ou
des activits laudatrices et rcratives au profit des rimBe dont il attend
rtribution et protection.
Le jyaaDo appartient indiffremment un nyeenyo ou un dimo
auquel il est attach par des liens de servitude qui le placent au bas
de l'chelle sociale.
(1) Nous n'avons pas russi trouver l'tymologie de certains mots.
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- 34 -
A l'intrieur de chaque catgorie fonde sur une vision fonctionnelle
de la socit (un groupe de commandement, un groupe d'artisans et un
groupe de serviteurs), s'ajoutent des subdivisions que nous tudierons
plus en dtail lorsque les catgories haalpulaaren auront t tradui tes
et conceptualises dans notre langage.
La division rimBe/nyeenyBe/jyaaBe obit un dcoupage hirarchique
de la socit en chefs-dominants, en artisans-dpendants et en esclaves-
biens marchands. Ces divisions de la socit ordonnent la distribution
du pouvoir politique avec, au sommet de l'chelle sociale, les rimBe qui
dcident et au bas de l'chelle, les jyaaBe qui ne participent jamais en
tant que groupe aux dcisions sociales.
Cette hirarchie englobe tous les groupes sociaux qui se trouvent
dans des situations diffrentes selon les niveaux d'observation: au niveau
de l'organisation politique, la hirarchie est celle que nous avons donne
plus haut. Au niveau de l'organisation du travail, le dcoupage s'opre
de manire positive ou ngative sur la base de la division sociale du tra-
vail: ici, les rimBe, en tant que non-spcialistes, se retrouvent au basde l'chelle.
Trois types d'lments constituent la morphologie sociale haalpulaar
1) des catgories fonctionnelles fondes sur la division sociale du
travail : le groupe des nyeenyBe fecciram golle reprsente la catgorie-
rfrence.
2) des catgories politiques fondes sur la hirarchisation
neyeenyBe/jyaaBe.
rimBe/
3) des catgories lignagres fondes sur le recrutement hrditaire
et l'endogamie de lignage (toorooBe, seBBe ,subalBe etc.)
Nous allons essayer d'ordonner ces diffrentes catgories l'ai de
des concepts analytiques que sont les notions d'ORDRE, de CLASSE et
de GROUPE STATUTAIRE LIGNAGER. Cette dernire notion. est une
-
- 35 -
traduction possible du concept haalpulaar lenyol. Pour analyser les diff-
rents dcoupages qui apparaissent l'examen de la socit haalpulaar,
d'une part nous empruntons L. Dumont son concept de hirarchie, d'autre
part nous reprenons le tableau gnral des castes "Toucouleur de Y. Wane
(1969 : 33). Y. Wane est l'auteur qui a donn la vision la plus approfondie
de la strati fication sociale haalpulaar, en dpit de son analyse en termes
de castes; la notion de caste est "l'ide-valeur" qui prdomine chez
les toorooBe et il est difficile pour un chercheur de s'abstraire de l'idolo-
gie de son groupe, surtout lorsqu'il n'en a pas conscience. C'est d'ailleurs
la thorie de la hirarchie de L. Dumont qui nous aidera combattre
cette volont d'appliquer le concept de caste pour dfinir les socits
soudano-sahliennes.
En reprenant le tableau gnral des castes chez les Toucouleur dress
par Y. Wane, nous confirmons l'existence de trois ORDRES dans la socit
haalpulaar. Nous dfinissons un ordre comme une distribution hirarchique
d'un groupe. La division rimBe 1 nyeenybe 1 jyaaBe ordonne et agenceles rapports de chaque ordre au pouvoir et sa distribution.
La CLASSE dfinit le groupe selon la division sociale du travail
cette division est fonde sur le critre de spcialisation professionnelle
le dcoupage en classes est fonctionnel; il corrobore l'ordre politique
et dfinit des catgories socio-professionnelles. La socit haalpulaar
est compose de six CLASSES (voir tableau ci-dessus) que Y. Wane dnom-
me aussi strates.
Avant de dire ce que nous entendons par groupe statutaire lignager,
il convient de voir quel concept haalpulaar il se rattache:
LENYOL (1) est un concept difficile cerner, car il recoupe deux
ralits. Il peut tre restreint au groupe porteur d'un mme patronyme
et il peut runir l'ensemble des patronymes appartenant au mme groupe
statutaire. Lenyol caractrise la fois une appartenance lignagre et
une appartenance statutaire. L'appartenance lignagre est intrinsquement
lie au statut dans la mesure o le port d'un patronyme (yettoode) ne
(1) lenyol, au pl. leVVi
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suffit pas authentifier un lignage. La reconnaissance d'un anctre commun
( dont le .nom peut tre oubli) et la reconnaissance d'un mme dieu
d'origine (qui vient pallier les faiblesses de la mmoire gnalogique)
fondent un lignage. La mmoire lignagre fixe en moyenne huit douze
gnrations et le recrutement hrditaire du lenyol est patrilinaire.
Le lenyol constitue un groupe qu'on peut qualifier de "clan" ou de "lignage
maximal". Il dsigne un groupe plus ou moins large selon les contextes
(race, ethnie, clan, lignage, segment de lignage), mais ce qui dtermine
ce groupe est toujours un statut acquis de manire hrditaire. Lenyol (1)
est un concept difficile matriser car il fait coexister en lui deux ordres
de diffrence, mme si la diffrence statutaire engendre la diffrence
lignagre.
Nous avons dit que le lignage se dfinissait partir d'un anctre
commun parfois oubli, et que le lieu d'origine de cet anctre permettait
de fixer la mmoire gnalogique. Le lieu de rsidence de l'anctre et
celui de la personne identi fier sont essentiels pour dterminer un lien
de parent Oa rsidence est toujours patri-vlrilocale. Si les esclaves n'ont
pas d'identit lignagre, c'est parce qu'ils ont perdu la mmoire de leurs
origines Oes majjuuBe "gars" ne connaissent pas le chemin qui les a
condui ts au F uuta).
D'autre part, l'identification d'un lignage est insparable de l'identi-
fication du statut, et l'enqute gnalogique est un jeu social important
pour les Haalpulaaren. L'identification du yettoode (nom d'honneur et
patronyme) ne suffit pas dterminer une personne socialement et des
prcisions concernant le lieu d'origine de l'anctre et le lieu de rsidence
de la personne interroge permettent de dfinir sans conteste son apparte-
nance lignagre et statutaire. La discrimination sociale est la fois
lignagre et statutaire. Un groupe statutaire rassemble plusieurs lignages
et plusieurs yettooDe. De mme, un yettoode regroupe plusieurs lignages
et plusieurs statuts.
La question de savoir comment les lignages se recrutent et comment
les diffrents statuts s'instaurent est un problme ardu, sur lequel se
sont penchs de nombreux auteurs. La thorie de la hirarchie de L.
Dumont nous semble clarifier le problme en ce qui concerne la socit
(1) C'est l'objet du travail de J. 5chmitz, historien et sociologue l'OR5rOM (1981,1983)
-
- 37 -haalpulaar. Cependant, nous ne prtendrons pas qu'elle le rsoud.
L. Dumont conoit la diffrence comme tant toujours hirarchique,
tout en prcisant que le rapport de domination qu'elle instaure varie
selon les contextes. La prminence d'un lignage et d'un statut est contex-
tuelle, et dire que A est suprieur B n'exclut pas que, dans un autre
contexte, B soit suprieur A. Cet aspect unitaire et contradictoire
de la diffrence nous a permis de mieux comprendre le glissement progres-
sif qui tend vers la confusion des deux modes de diffrenciation sociale
que sont le statut et le lignage. En effet, ils alternent ou se superposent
dans la plupart des contextes au lieu de s'inscrire dans un rapport dialecti-
que visible. A la fois unit et contradiction, ils sont fonds sur le mme
critre de recrutement hrditaire. Toutefois, certains exemples montrent
que le statut n'est pas toujours hrditaire. Malgr cela, nous avons
dcid de traduire LENYOL par GROUPE ST ATUT AIRE LlGNAGER
dans la mesure o le statut et le lignage sont les deux traits pertinents
pour l'identification d'un groupe minimal et d'une personne.
Si l'on considre le systme social haalpulaar dans son ensemble,
lenyol constitue la catgorisation la plus restreinte. Ensuite on trouve
le nom. d'honneur ou patronyme (yettoode) qui peut tre commun plu-
sieurs leVVi. Lorsque nous tudierons la notion de personne (chapitre 7),
nous verrons plus en dtail l'importance de ces deux catgories hrditai-
res dans la dfinition de la personne haalpulaar.
La socit haalpulaar est compose de 15 leVVi que Y. Wane dfinit
comme tant des castes. Avant d'aborder la partie critique de ce chapi-
tre, sachons seulement qu'en pulaar, le terme lenyol n'a aucune connota-
tion politique ou fonctionnelle, et qu'il dsigne l'appartenance une
aire, un espace fond sur l'acquis hrditaire. Cet acquis dtermine
un statut, une altrit qui fait partie de l'hritage de chaque personne
humaine: si cette altrit fonde sur la naissance permet de diffrencier
les individus, ce n'est pas a priori pour ordonner une hirarchie et dresser
des catgories professionnelles, mme SI l'appartenance un lenyol
permet de situer l'individu en fonction des trois catgorisations qui
s'imbriquent les unes dans les autres et dont le lenyol est ici l'unit
la plus petite.
-
- 38 -
Toutefois, il est vrai que l'identit lignagre unit et que la diffrence
statutaire spcialise et hirarchise. L'unit de l'homme fai t sa di ffrence, i'.
pourrait dire L. Dumont, pour qui la reconnaissance de l'altrit ne
peut se faire que dans la hirarchie ou le conflit (1983 : 261). Le recrute-
ment hrditaire spcialise et nous comprenons la ncessit de la hirar-
chie dans la mise en oeuvre de la "valeur". Cependant, nous essaierons
de montrer plus loin que si la hirarchie n'est pas synonyme de comman-
dement et de pouvoir, les "ides-valeurs" en sont les tmoins; c'est
le changement de pouvoir qui renverse les "ides-valeurs" et, par l
mme, le sens de la hirarchie. Le recrutement hrditaire spcialise.
Il exprime l'altrit mais la hirarchie n'est pas toujours apparente,
comme le montre le sens courant donn lenyoJ.
Voici un tableau rcapitulatif du systme social haalpulaar pour
permettre une lecture d'ensemble des diffrentes catgories sociales
telles que nous les avons dfinies.
ORDRE CLASSE GROUPE STATUTAI-
(catgorie poli- (catgorie pro- RE LlGNAGER
tique) fessionnelle) (catgorie hrditaire)
RIMBE "Les libres rimBe ardiiBe "Les toorooBe "mendiantset les dignes" chefs de Dieu"
fulBe (Peul)
seBBe (chasseurs-guerriers)
rimBe huunyBe "Les jaawaamBe (courtisans)dsirants" subalBe (pcheurs)
NYEENYBE "Les fecciram golle "ceux wayilBe (forgerons)habiles" qui partagent le sakkeeBe (cordonniers)travail"
maabuuBe (tisserands)
lawBe (boisseliers)
, naalankooBe (chan- waambaaBe (guitaris-teurs) ou tes)
nyagotooBe ("les maabuuBe suudu Paatequmandeurs") (chanteurs)
lawBe gumbala (chan-teurs)
awluuBe (griots)
-
- 39 -
ORDRE CLASSE GROUPE STATUTAI-RE LIGNAGER
JVAABE (esclaves) sottiiBe "les rache- maccuuBe (esclaves-ts" serviteurs)
halfaaBe (non-affran-chis)
Une analyse de la socit haalpulaar au plan des groupes statutai-
res (1) prsente celle-ci comme une socit lignagre compose de diff-
rents leVVi qui entretiennent des relations sociales diversifies dont
nous verrons le dtail dans la troisime partie de ce chapitre.
Une analyse de la socit. au plan politique la rvle comme trs
hirarchise, avec un pouvoir centralis dans les mains des responsables
rimBe auxquels les artisans (nyeenyBe) et les captifs OyaaBe) doivent
allgeance.
Une lecture de la socit en termes de classes laisse apparatre
une distribution sociale du travail professionnalisation de ceux qui
rgnent, qui courtisent, qUI ont des mtiers artisanaux, qUI chantent
les louanges des rgnants, et de ceux qui forment la domesticit servile.
Dans une perspective marxiste, on pourrait vOIr ces groupes dans un
r;apport dialectique de domination, donc de hirarchisation, comme le
sous-entend le mode de dsignation de ces classes.
C'est l'imbrication de ces deux niveaux de lecture du systme social
qUI peut laisser croire un systme haalpulaar organis en castes.
2 - Le concept de caste et sa pertinence dans le systme social haalpulaar
a) Dfinition
Louis Dumont dfinit une socit castes comme devant ncessaire-
ment obir trois critres:
( 1) Dornavant, nous appelerons les groupes statutaires lignagers, groupes statutaires.
-
- 40 -
Le premier critre repose sur une idologie du pur/impur, impliquant
la hirarchie, la sparation et l'interdpendance des diffrents groupes
qui composent la socit; le deuxime repose sur le fait que le statut
doit tre diffrenci du pouvoir mais que ce dernier doit tre ncessaire-
ment subordonn au statut et le troisime sur le fait que la division
du corps social dans son intgralit doit jstifier la rgle d'hrdit
et la fi xit des groupes.
Dans la socit haalpulaar nous retrouvons certains des critres
qUI permettent de dfinir le concept de caste, mais nous ne .les rencon-
trons jamais tous la fois.
Ainsi, nous pouvons dire que l'idologie du pur/impur subordonne
une hirarchisation, une sparation matrimoniale et une interdpendance
sociale, dfinit bien la division en ORDRES de la socit haalpulaar.
Malheureusement, la stricte rgle d'endogamie n'est pas observe entre
tous les groupes, les hommes appartenant l'ordre des rimBe pouvant
trs bien pouser des femmes appartenant l'ordre des jyaaBe. D'autre
part, l'idologie du pur/impur n'est qu'un "paradigme", pour parler comme
T. Kuhn, qui ne s'observe pas dans la chronologie historique. Ainsi, au
.xVIIIe sicle, lors de la "rvolution maraboutique", le paradigme idolo-
gique du moment tait: tous les musulmans sont gaux et doivent rallier
le groupe mergeant des toorooBe, "mendiants de Dieu". C'est cet afflux
d'lments venant de tous les horizons qui a permis aux toorooBe de
s'riger comme groupe dominant, mme si, trs vite, une fois leur assise
assure, ils ont pris comme nouvel adage le mythe biologique du pur
et de l'impur pour protger leur aristocratie de frache date.
L'interaction du statut et du pouvoir est une ralit observable,
mais encore faut-il savoir de quel pouvoir il s'agit : les diffrences
de statut dfinissent des diffrences de pouvoir, et non sa prsence
ou son absence. Dans l'analyse des savoirs thrapeutiques, nous verrons
que si les groupes dominants rgnants ont un pouvoir visible public,
les groupes domins dtiennent les rnes de pouvoirs cachs acquis statu-
tairement.
La diffrence entre statut et pouvoir est difficile saisIr chez
les Haalpulaaren, car l'ide-valeur sur laquelle s'appuie le pouvoir poli~
-
- 41 -
tique est une ide-valeur statutaire, elle-mme devenue fondement moral
de la socit (ex : les toorooBe et leur paradigme de la Foi devenu fonde-
ment moral pour l'ensemble de la socit). Au Fuuta, le rgne des Alma-
mys a indiffrenci l'autorit morale et le pouvoir temporl et nous
expliquons ce phnomne par la thorie de la hirarchie de L. Dumont.
Il existe di ffrents pouvoirs, di ffrentes ides-valeurs, di ffrents statuts
et diffrents lignages qui sont dans des rapports dialectiques qui s'inversent
selon les contextes.
Le dernier critre attach au concept de caste qui est celui de
l'endogamie parat bien le point faible de la socit haalpulaar ; faibles-
se parce que le discours idologique valorise trs fortement l'endogamie
et que, dans la ralit, cette endogamie n'est gure observable.
En effet, quel que soit le niveau de catgorisation o l'on se place,
la rgle d'endogamie n'est jamais respecte. Nous avons vu que parmi
les trois ordres, il y a alliance matrimoniale entre le premier et le troi-
sime. Si nous observons les classes, nous nous apercevons que l aussI
il n 'y a pas rflexe endogame mais intermariage, de prfrence l'int-
rieur du mme ordre. Quant aux groupes statutaires, l'exception des
lawBe worworBe (travailleurs du bois usage domestique) - nous essaie-
rons de voir plus loin pourquoi - il Y a alliances interlignagres, que
ce soit au ni veau des ordres ou des classes.
Pourtant, la doxa haalpulaar instaure l'endogamie de groupe statu-
taire comme une rgle et chacun a une anecdote raconter pour corro-
borer la ncessit sociale de cette rgle.
La formation d'un lenyol, c'est--dire d'un lignage (1) ou d'un groupe
statutaire est entrine par son endogamie. Le mariage consanguin
entre cousins parallles patrilatraux est prfrentiel chez les Haalpulaa-
ren bien que l'change gnralis soit le plus frquent (2). Mais le ma-
riage primaire est souvent un change matrimonial restreint pour lequel
le mariage entre consanguins est prescrit.
L'endogamie comme rflexe de conservation est bien observe dans le
lenyol tooroodo qui, son mergence en tant que groupe dominant (fin
(1) lignage dsigne ici le lignage maximal qui est l'unit de filiation unilinaire pertinente
au Fuuta et qui traduit lenyol dans son acception gnrale.
(2) Les Haalpulaaren reconnaissent 2 autres types de mariage prfrentiel, le mariage
entre cousins croiss patri et matrilatraux. On peut se demander si le mariage de
type arabe n'est pas un apport de l'Islam.
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XVIIIe sicle), tait ouvert tous les musulmans observant les prinCipeS
islamiques et qui, par la suite, s'est referm et Institu en groupe statu-
taire lignager.
Dans la socit haalpulaar, le lenyol et le yettoode sont transmis
en ligne paternelle et la rsidence est patri-virilocale. En revanche,
la spcialisation professionnelle peut trs bien venir de la ligne utrine
lorsque le pre est dcd pendant le tout jeune ge de son fils et que
les oncles paternels ne se mani festent pas au moment de la prise en
charge ducative par les oncles maternels. Ces derniers lui apprennent
tout naturellement leur mtier qui peut diffrer de celui du pre de
l'enfant.
L'endogamie statutaire est une rgle idologique rarement constate
mais toujours vante par les groupes quels qu'ils soient. Elle exprime
deux choses : la premire, ngative, est le refus de l'Autre, l'altrit
tant perue comme un mfait. La seconde, plus positive, raffirme
l'homognit du groupe en transcendant un mythe biologique.
Le seul groupe endogame haalpulaar est celui des lawBe worworBe
(travailleurs du bois usage domestique) qui apparat presque comme
un groupe ethnique diffrent, dans la mesure o il nomadise dans plusieurs
cultures (wolof par exemple) sans s'y attacher. Le labbo gorworo, qu'il
soit en milieu haalpulaar ou dans un autre, apparat toujours marginalis.
Nous avons relev une contradiction entre les mythes d'origine des
groupes statutaires lignagers et l'endogamie que ces mmes groupes
prnent. Ainsi, certains leVVi fondent un clan dans la mesure o ils