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HEC Montréal
Les enjeux épistémologiques et méthodologiques de la validation de modèles en
gestion du changement : Une approche axiomatico-inductive pragmatique
par
Kevin J. Johnson
Thèse présentée à la
Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université de Montréal
en vue de l’obtention du grade de
Docteur en Administration (Ph. D.)
Février, 2013
HEC Montréal
École affiliée à l’Université de Montréal
© Kevin J. Johnson, 2013
ii
Identification du jury
Cette thèse intitulée:
Les enjeux épistémologiques et méthodologiques de la validation de modèles en
gestion du changement : Une approche axiomatico-inductive pragmatique
présentée par :
Kevin J. Johnson
a été évaluée par un jury composé des personnes suivantes :
Estelle M. Morin
Président-rapporteur
Alain Rondeau
Directeur de recherche
Richard Déry
Membre du jury
David Autissier
Examinateur externe
HEC Montréal
École affiliée à l’Université de Montréal
Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université de Montréal
Février 2013
iii
iii
Résumé
La présente thèse pose la problématique de la validation de modèles en
gestion du changement. L’étude est principalement épistémologique et
méthodologique. Le concept de modèle en gestion du changement est positionné
comme étant au centre d’une triple dialectique. Il est au cœur de la dualité entre
Action et Connaissance (au sens de Déry, 1990); il est saisi par les acteurs dans la
dialectique entre Acteur et Organisation; il est aussi au centre de la dialectique entre
le Chercheur et le Projet de recherche. Ces trois fondements impliquent une
considération complexe, épistémologique et systémique à l’étude du concept de
modèle.
Dans un premier temps, une étude épistémologique du parcours du
développement des connaissances en gestion du changement est proposée. Elle
permet d’identifier le courant de l’étude des capacités à changer comme étant
important pour l’époque actuelle (Demers, 1999) tout autant que de soulever
l’importance de l’étude du modèle. Un modèle est sélectionné afin d’être l’objet d’un
test empirique de validité : le modèle des capacités à changer de Rondeau (2008).
Dans un deuxième temps, une étude épistémologique ayant un objectif
méthodologique est proposée. Le concept de modèle est défini et étudié selon ses
fondements et ses implications méthodologiques.
Dans un troisième temps, la validation de modèles fait l’objet d’un chapitre
proposant une étude de l’évolution du concept et de ses enjeux. L’objectif est de
tenter de répondre théoriquement à la problématique de la thèse. Le tétraèdre de la
iv
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modélisation-validation d’Oral et Ketani (1993) semble être cette réponse en ce qu’il
traite de plusieurs des enjeux soulevés.
Dans un quatrième temps, une réponse empirique est opérationnalisée. Le
tétraèdre de la modélisation-validation est adapté et méthodiquement outillé selon
une approche axiomatico-inductive pragmatique afin de procéder à une validation du
modèle de Rondeau (2008). Plusieurs méthodes qualitatives, quantitatives et croisées
sont intégrées au cadre méthodologique proposé.
Le modèle de gestion du changement opérationnalisé est considéré comme
valide selon les enjeux de la validation soulevés. Finalement, trois contributions
majeures sont proposées : sur le plan épistémologique, le modèle en gestion du
changement fait l’objet d’une étude de ses éléments, ses activités et sa validation. Sur
le plan méthodologique, le tétraèdre de la modélisation-validation est adapté et
outillé à la problématique de la modélisation ci-haut élaborée. Sur le plan de la
gestion du changement, un outil de gestion des capacités à changer est validé.
Mots clés : Épistémologie, méthodologie, gestion du changement, capacités à
changer, modèle, validité, validation.
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Abstract
This thesis raises the research subject of the validation of management
models in change management studies. It is primarily epistemological and
methodological. The concept of a change management model is positioned in the
center of a triple dialectic. It is at the heart of the Action–Knowledge duality (as
defined in Déry, 1990); it is captured by the actors in the Actor–Organization
dialectic; and it is in the middle of the dialectic between the Researcher and the
Research Project. These three postulates involve intricate epistemological and
systemic considerations for the study of the concept of model in change
management.
As a first step, an epistemological study on knowledge production in the field
of change management is proposed. Change capacity is thus identified as an
important subfield for the present era (Demers, 1999) and it’s hereby proposed that it
raises a consideration on the concept of model. A model is then selected for the
matter of an empirical validity testing: the change capacity model in Rondeau
(2008).
As a second step, an epistemological study aiming at methodological
objectives is proposed. The concept of model is defined and studied according to its
foundations and its methodological implications.
As a third step, model validity is studied through an epistemological
approach thus highlighting the evolution and issues of the concept. The modeling-
validation tetrahedron in Oral Ketani (1993) seems to be the theoretical answer to the
vi
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thesis proposition in that it addresses many epistemological and methodological
issues raised in this chapter.
As a fourth step an empirical answer is operationalized. The modeling-
validation tetrahedron is adapted and equipped to methodically conduct a validation
of Rondeau (2008) model. Several qualitative, quantitative and mixed methods are
integrated in a methodological framework. Subsequently, the operationalized change
management model is considered valid following the appreciation of the major
outcomes regarding its validation.
Finally, three major contributions are attempted. On an epistemological level,
the change management model is the subject of a study of its elements, its activities
and its validation. On a methodological level, the modeling-validation tetrahedron is
adapted to the problem of validating here called "very soft" research model. On a
change management level, an organizational change capacity model is validated.
Key words: Epistemology, methodology, change management, change capacity,
model, validity, model validation.
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Table des matières
Identification du jury ................................................................................................ ii
Résumé ....................................................................................................................... iii
Abstract ...................................................................................................................... v
Table des matières ................................................................................................... vii
Liste des tableaux ....................................................................................................... x
Liste des figures ........................................................................................................ xii
Dédicace ................................................................................................................... xiii
Remerciements ........................................................................................................ xiv
Introduction................................................................................................................ 1
I.1. Le modèle au centre de la dualité Action-Connaissance ............................... 2
I.2. Le modèle au centre de la dialectique entre les acteurs et l’organisation ..... 6
I.3. Le modèle au centre de l’interaction entre le chercheur et le projet de
recherche ........................................................................................................ 8
I.4. L’objet de la thèse et sa démarche ................................................................. 9
1 La production de connaissance en gestion du changement au tournant du
millénaire. ................................................................................................................. 14
1.1 La classification de Miller, Greenwood et Hinings (1995) ......................... 17
1.1.1 La perspective normative ..................................................................... 17
1.1.2 La perspective descriptive, empirique ou universitaire ........................ 20
1.1.3 Synthèse ................................................................................................ 22
1.2 Le développement contextuel des connaissances en gestion du changement24
1.2.1 Croissance et adaptation ....................................................................... 25
1.2.2 Mort ou transformation ........................................................................ 26
1.2.3 Apprentissage et évolution ................................................................... 27
1.2.4 Constats ................................................................................................ 28
1.3 Proposition pour un passage de la « gestion du changement » à la « capacité
à changer » ................................................................................................... 30
1.3.1 Les capacités organisationnelles à changer .......................................... 31
1.4 Constats ................................................................................................ 35
1.5 Le modèle des capacités à changer de Rondeau (2008) .............................. 39
1.5.1 Les enjeux du changement ................................................................... 40
1.5.2 Les logiques d’action ............................................................................ 42
1.5.3 Le choix du modèle .............................................................................. 47
2 Le concept de modèle ....................................................................................... 51
2.1 Les types et les paradigmes fondamentaux ................................................. 51
2.1.1 Le double référentiel épistémologique et méthodologique .................. 54
2.1.2 Une définition générale du concept de modèle .................................... 56
2.1.3 Les principes de l’activité de modélisation dans les sciences du
management .......................................................................................... 58
viii
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3 La validation du modèle ................................................................................... 65
3.1 Les difficultés et les obstacles généraux de l’étude de la validation ........... 65
3.2 Les types généraux de la validité ................................................................. 71
3.2.1 La validité « logique » .......................................................................... 71
3.2.2 La validité prescriptive ......................................................................... 73
3.2.3 La validité descriptive ou conceptuelle ................................................ 75
3.2.4 La validité prédictive ............................................................................ 76
3.3 Les enjeux « subjectifs » des types de validation ........................................ 78
3.4 Constats préliminaires ................................................................................. 84
3.5 La distinction « soft » et « hard » et ses implications ................................. 88
3.6 La validation des « méthodes par structuration de problème » ................... 90
3.7 Constats supplémentaires ............................................................................ 95
3.8 Le « tétraèdre de la modélisation-validation » ............................................ 96
3.8.1 Les quatre objets du modèle ................................................................. 98
3.8.2 Les quatre enjeux de la modélisation ................................................. 103
3.8.3 Les neuf types de validation ............................................................... 110
3.9 Proposition d’un cadre méthodologique .................................................... 117
4 L’opérationnalisation des quatre objets du modèle .................................... 124
4.1 Le choix du projet de connaissance ........................................................... 129
4.2 Le modèle conceptuel ................................................................................ 130
4.2.1 Choix méthodologiques ...................................................................... 131
4.3 La situation managériale ............................................................................ 149
4.3.1 Terrains de recherche ......................................................................... 150
4.3.2 Choix méthodologique ....................................................................... 151
4.3.3 Étude de cas : Innovation d’un processus de soins ............................ 159
4.3.4 Étude de Cas : Partenariat CSSS – CRD ........................................... 180
4.4 Le modèle formel ...................................................................................... 201
4.4.1 Validité de contenu et d’apparence du modèle formel ....................... 203
4.4.2 L’analyse factorielle par composante principale ................................ 206
4.5 La solution ................................................................................................. 213
4.5.1 L’actionnabilité du modèle conceptuel .............................................. 214
4.5.2 La solution « quantitative » du modèle formel ................................... 216
5 L’opérationnalisation des quatre enjeux de la modélisation ...................... 226
5.1 L’enjeu théorique ....................................................................................... 226
5.2 L’enjeu descriptif ....................................................................................... 228
5.2.1 La modélisation par équations structurelles ....................................... 229
5.3 L’enjeu prototypique ................................................................................. 237
5.3.1 Analyses qualitatives de l’objet situation managériale ...................... 238
5.3.2 Analyses comparatives, quantitatives et qualitatives ......................... 258
5.4 L’enjeu pragmatique .................................................................................. 270
ix
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6 Discussion ........................................................................................................ 272
6.1 L’appréciation des neuf types de validités opérationnalisées .................... 272
6.1.1 La validité de formulation .................................................................. 273
6.1.2 La validité de légitimation .................................................................. 276
6.1.3 La validité de précision ...................................................................... 278
6.1.4 La validité expérimentale ................................................................... 282
6.1.5 La validité opérationnelle ................................................................... 286
6.1.6 La validité conceptuelle ...................................................................... 288
6.1.7 La validité logique .............................................................................. 292
6.1.8 La validité des données ...................................................................... 295
6.1.9 La vérification .................................................................................... 296
6.1.10 Les avenues de recherche générales .................................................... 298
6.2 Un modèle valide de gestion du changement : Vers une approche
managériale pragmatique ........................................................................... 299
6.3 Une méthodologie de validation de modèle en gestion du changement : Les
postulats méthodologiques constructivistes .............................................. 304
6.3.1 L’éthique ............................................................................................ 305
6.3.2 L’explicitation .................................................................................... 306
6.3.3 L’ « ostinato rigore » ......................................................................... 307
Conclusion .............................................................................................................. 309
Bibliographie .......................................................................................................... 314
Annexe 1 – Protocole d’entrevue ............................................................................... i
Annexe 2 – Tableaux de bord ................................................................................... v
Annexe 3 - Questionnaire ....................................................................................... xiv
Questions et dimensions, Capacités à changer organisationnelles ..................... xiv
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Liste des tableaux
Tableau I : Tableau comparatif des auteurs normatifs et empiriques selon Miller et al.
(1999) ................................................................................................................. 23
Tableau II : Auteurs mobilisés et enjeux soulevés dans le cadre de l’observation du
développement des connaissances en gestion du changement .......................... 38
Tableau III : Les caractéristiques du modèle selon les paradigmes descriptif et
normatif .............................................................................................................. 53
Tableau IV : Le double référentiel épistémologique et méthodologique selon Le
Moigne (1977, 1987). ........................................................................................ 56
Tableau V: La validité logique .................................................................................. 73
Tableau VI : La validité prescriptive ......................................................................... 75
Tableau VII : La validité descriptive ......................................................................... 76
Tableau VIII : La validité predictive ......................................................................... 77
Tableau IX : Les quatre méta-types de validation selon les approches dites empirique
et subjective. ...................................................................................................... 82
Tableau X : Classification des méta-types de validation selon la forme canonique du
modèle et l’approche de validation. ................................................................... 83
Tableau XI : Classification des attentes face à la formulation des solutions ........... 114
Tableau XII : Nombre d’items par variable ............................................................. 205
Tableau XIII : Construit des facteurs de la logique d’action stratégique selon les trois
enjeux de la gestion des capacités à changer ................................................... 209
Tableau XIV : Construit des facteurs de la logique d’action fonctionnelle selon les
trois enjeux de la gestion des capacités à changer ........................................... 210
Tableau XV : Construit des facteurs de la logique d’action opérationnelle selon les
trois enjeux de la gestion des capacités à changer ........................................... 211
Tableau XVI : Analyses préliminaires des neuf variables de la capacité à changer 212
Tableau XVII : Moyenne des participants au projet Innovation d’un processus de
soins (deux formulations présentées) ............................................................... 218
Tableau XVIII : Résultats du portrait général du cas Innovation d’un processus de
soins ................................................................................................................. 220
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Tableau XIX : Résultats du comité de direction du cas Innovation d’un processus de
soins ................................................................................................................. 221
Tableau XX : Résultats des éducatrices spécialisées du cas Innovation d’un
processus de soins ............................................................................................ 222
Tableau XXI : Résultats des orthophonistes du cas Innovation d’un processus de
soins ................................................................................................................. 222
Tableau XXII : Moyenne des participants au projet Partenariat CSSS - CRD ....... 223
Tableau XXIII : Résultats du portrait général du cas Partenariat CSSS - CRD ...... 224
Tableau XXIV : Ensemble des indicateurs de validité de l’analyse par équations
structurelles ...................................................................................................... 236
Tableau XXV : Résultats (moyennes et rangs quartiles) généraux des deux cas de
changement organisationnel ............................................................................ 260
Tableau XXVI : Comparaison des moyennes de P1 ............................................... 264
Tableau XXVII : Comparaison des moyennes de P2 .............................................. 266
xii
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Liste des figures
Figure 1 : Illustration du modèle dans la dualité Action-Connaissance ...................... 6
Figure 2 : Illustration du modèle au centre de la dialectique Acteur-Organisation ..... 7
Figure 3 : Illustration du modèle dans la dialectique Chercheur-Projet de recherche . 9
Figure 4 : Les enjeux du changement organisationnel selon les logiques de l’action
organisée (tiré de Rondeau, 2008) ............................................................ 46
Figure 5: Le tétraèdre de la modélisation-validation selon Oral et Kettani (1993) ... 99
Figure 6 : Illustration de l’enjeu prototypique ......................................................... 104
Figure 7 : Illustration de l’enjeu descriptif .............................................................. 106
Figure 8 : Illustration de l’enjeu pragmatique ......................................................... 107
Figure 9 : Illustration de l’enjeu théorique .............................................................. 109
Figure 10 : Le cadre méthodologique ...................................................................... 121
Figure 11 : Illustration sommaire de l’approche empirique du projet de recherche 128
Figure 12 : Représentation arborescente de la sous-dimension Vision ................... 135
Figure 13 : Représentation arborescente de la sous-dimension Modèle .................. 136
Figure 14 : Représentation arborescente de la sous-dimension Communication .... 138
Figure 15 : Représentation arborescente de la sous-dimension Pilotage ................. 139
Figure 16 : Représentation arborescente de la sous-dimension Capacité ................ 141
Figure 17 : Représentation arborescente de la sous-dimension Effort .................... 142
Figure 18 : Représentation arborescente de la sous-dimension Intérêt ................... 144
Figure 19 : Représentation arborescente de la sous-dimension Apprentissage ....... 146
Figure 20 : Représentation arborescente de la sous-dimension Progression ........... 148
Figure 21 : Illustration de la proposition P3 ............................................................ 267
Figure 22 : Illustration de la proposition P4 ............................................................ 269
xiii
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Dédicace
À mon père.
xiv
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Remerciements
En premier lieu, j’aimerais remercier le FQRSC et le CRSH pour leur support au
courant de mon cheminement doctoral.
Merci à mon directeur, Alain Rondeau, pour son accueil au CÉTO. Je vous suis très
reconnaissant de votre mentorat sur le travail académique ainsi que de la confiance et
de la liberté que vous m’avez accordées durant mon passage. J’ai pu me lancer dans
plusieurs projets très formateurs en plus de discuter et questionner et construire sur
les approches du Centre, je m’en considère chanceux.
Merci à Céline Bareil pour sa confiance et son coaching. Cette première chance
d’enseigner à HEC Montréal m’a permis de concrétiser une vocation en plus de
pouvoir l’explorer à fond. Au plaisir de poursuivre nos collaborations et merci pour
tout.
Merci à David Autissier pour ces précieux conseils au sujet de la thèse, ainsi que
pour ce chaleureux accueil à la Chaire ESSEC du Changement. Je n’aurais pu
espérer mieux comme post-doctorat.
Merci à Richard Déry pour son enseignement tout au long de mon cheminement à
HEC Montréal. Encore aujourd’hui j’en retire beaucoup. Je vous adresse aussi des
remerciements spéciaux pour vos conseils et réflexions concernant cette thèse.
Merci à Estelle Morin pour sa confiance et son mentorat. Cette confiance autant au
niveau pédagogique qu’au niveau de la recherche m’a permis d’explorer cette
vocation en y intégrant un équilibre entre mes formations passées et présentes. Merci
xv
xv
aussi pour ce mentorat constant et chaleureux tout autant que pour ton soutien dans
le cadre de cette thèse.
Merci à mes amis qui me supportent et m’encourage depuis tant d’années même dans
ces périodes plus difficiles. Il fait bon de vous voir.
Merci à mon frère pour son support inconditionnel et pour remplacer ma confiance
lorsque j’en ai eu besoin. Tu es une inspiration.
Merci à Alexandra pour avoir été à mes côtés avec son positivisme et sa sensibilité.
Je suis reconnaissant que tu sois toi, comme et comment tu es.
Merci à mes parents, à mon père. Merci d’être là, de près comme de loin. Je me
considère des plus chanceux pour toutes ces discussions, quelquefois interminables
sur tout, sur rien, et sur le sens de tout et rien, avec réflexion et émotion. Merci
d’avoir suivi tous ces projets et objectifs, de les comprendre et de les supporter sans
jugements. Merci pour tout.
Introduction
L’objet de cette thèse concerne la validité des activités de modélisation en
gestion du changement. En particulier, elle pose les questions concernant le modèle
de gestion du changement en tant que concept et la modélisation de l’activité de
changement. En se situant dans le champ de l’épistémologie et en accordant une
attention particulière aux enjeux méthodologiques, quatre principaux arguments sont
élaborés. Premièrement, un portrait général des enjeux épistémologiques et
méthodologiques du développement des connaissances en gestion du changement à
travers une perspective empirique est présenté. Deuxièmement, une étude de ce
qu’est le concept de modèle en sciences du management est proposée selon une
approche théorique. Troisièmement, la validité des modèles en sciences du
management est étudiée, élaborant ainsi un état de fait empirique de la question.
Quatrièmement, une opérationnalisation d’un processus de validation de modèles en
gestion du changement est testée. Au final, cette thèse propose un moyen de
déterminer la validité de modèles en gestion du changement.
Les recherches en sciences du management, plus particulièrement celles en
gestion du changement, semblent donner raison à Paul Valéry (1987) qui
affirmait: « Nous ne raisonnons que sur des modèles » (p. 36). En effet, peu importe
le type de publication, l’objet de recherche ou son projet, le modèle est dorénavant
l’outil de représentation et de communication d’une réalité managériale qu’on
appelle la gestion du changement (Avenier, 2010); le modèle ainsi que la réalité qu’il
est censé représenter sont de plus de plus en plus complexes.
2
Bertalanffy (1968) déclarait « … il y a des systèmes partout! ». Un système
est compris par l’esprit humain par le façonnement de représentations, de
computations-opérations, de modèles (Simon, 1969, Le Moigne, 1977, Morin 1986,
1990). Dans le domaine de la gestion du changement, on pourrait dire comme
Bertalanffy : il y a des modèles partout! Qui plus est, le modèle en tant
qu’ « instrument de production et d’exposition des connaissances » est relativement
récent et remplace la notion de système (Le Moigne, 1987, Bachelard, 1983) tout en
étant présenté à l’encontre du noble concept de « théorie » (Simon, 1955, Le Moigne,
1987, 2003). Par contre, aussi fréquentes sont les études présentant des modèles,
rares sont celles qui étudient directement le modèle comme concept, outil ou artéfact
de la connaissance.
L’objet étant la validation de modèles en gestion du changement, il est
important de déterminer les dimensions de ce construit qu’on appelle « modèle de
gestion du changement ». Trois dimensions sont alors proposées. La première est la
dimension de la dualité entre l’action et la connaissance. La deuxième est la
dimension de la dialectique entre les acteurs et l’organisation. La troisième est la
dialectique entre le chercheur et son objet de recherche.
I.1. Le modèle au centre de la dualité Action-Connaissance
Le modèle s’inscrit dans un débat épistémologique propre aux sciences de la
gestion autant qu’aux sciences sociales dans leur ensemble. Il y prend en général
deux formes majeures, descriptive et normative.
3
Le modèle se veut descriptif dans une approche épistémologique s’inscrivant
généralement dans un courant positiviste/réaliste. Selon cette approche, le modèle
tient lieu de représentation fidèle et valide du réel. L’interprétation de son degré de
représentativité ainsi que les relations de causalité qui sont constitutives de la
description sont alors au centre des débats entre les chercheurs.
Dans une approche épistémologique s’inscrivant dans les courants
constructivistes ou praxéologiques, le modèle se veut un guide à l’action, une
conceptualisation des connaissances pragmatiques en lien avec la résolution d’une
problématique plus ou moins précise. Selon cette approche, le modèle est clairement
normatif, en ce sens qu’il indique ce que le réel devrait être plutôt que ce qu’il est
comme c’est le cas selon l’approche précédente.
Par ailleurs, dans le courant de recherche de la gestion du changement,
Miller, Greenwood et Hinings (1999) proposent une catégorisation des études
publiées dans le domaine. Ceux-ci remarquent que certaines peuvent être qualifiées
de « normatives » par le fait : 1) qu’elles sont orientées vers l’action, 2) que la haute
direction est responsable du changement, et 3) qu’habituellement, les acteurs
considèrent le changement organisationnel comme une évolution nécessaire. Dans
cette catégorie, le changement organisationnel est conçu comme un processus
relativement simple et il est possible de le gérer par l’élaboration d’étapes menant au
succès (Rondeau, 2008). Habituellement, les auteurs de ces publications s’adressent
directement aux hauts dirigeants des organisations à l’aide de modèles normatifs
4
guidant l’action des gestionnaires vers un réel désiré. Ce courant est aussi nommé
paradigme « gestionnaire » (Soparnot, 2005).
L’autre catégorie est qualifiée « empirique » (descriptive) par Miller et al.
(1999), parce qu’elle est produite par des chercheurs qui tentent de décrire et
d’expliquer ce qu’est le changement organisationnel. Dans cette catégorie, la
recherche sur le changement organisationnel serait 1) orientée vers la réflexion, 2)
intégrée dans un système complexe de variables explicatives et 3) considérée comme
n’allant pas de soi et potentiellement risquée par les acteurs qui l’initient et le
subissent. Cette deuxième catégorie est aussi nommée paradigme « complexe »
(Soparnot, 2005) et ses tenants sont des chercheurs universitaires. Ceux-ci élaborent
et communiquent habituellement la connaissance à l’aide de modèles descriptifs
censés représenter la réalité.
La dichotomie des modèles comme celle des approches relatives à la gestion
du changement paraît être au principe même des sciences sociales. Ainsi, nous la
retrouvons dans tous les champs de recherche. Partout, des approches normatives
côtoient des approches descriptives. Du coup, des modèles normatifs sont proposés
pour transformer le réel alors que d’autres modèles prétendent le décrire sans pour
autant avoir pour projet de le transformer.
Cette dichotomie incarne d’une certaine façon le dualisme opposant
connaissance et action (Audet, 1986; Déry, 1990; Noel, 2006). Ce dualisme n’est
donc pas propre à la gestion du changement et a déjà été constaté, entre autres, au
5
sein des sciences du management. L’étude de cette discipline présente souvent cette
dualité dans la documentation qu’elle produit selon Déry (1990). Celui-ci remonte
jusque dans les années 60 pour étudier cette crise identitaire du management à
travers Bruyne (1963), Gribbins et Hunt (1978), Mintzberg (1976, 1979, 1990) et
Aktouf (1984, 1989). D’un côté, le management est un art, une pratique, une
intuition et un jugement, tandis que d’un autre il est la science, la théorie, la réflexion
et l’analyse (Noel, 2006).
L’argument présenté dans cette thèse est que l’action et la connaissance sont
indissociables à travers un cycle interdépendant profitable autant à la pratique qu’à la
recherche tel que suggéré par Déry (1990).
« En effet, dans la pratique, l’action se présente à la fois comme une
condition et un résultat de la connaissance. L’action est une
condition, car sans action sur un objet à connaître, il n’y a pas de
connaissance possible; les connaissances sont tirées de l’action et
leur constitution est fonction de la forme que prend l’action. Mais,
aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’action est en même temps
le résultat de la connaissance puisque c’est elle qui sert d’assise à sa
réalisation concrète; sans connaissance, l’action perd son sens, elle
n’est que réflexe, que mouvement physiologique » (Déry, 1990,
p.1).
Ainsi, il ne s’agit plus d’opposer les deux approches et de les réduire à une
tension entre praticiens et chercheurs à travers une condamnation des rhétoriques
commerciales auxquels se livreraient les premiers pour convaincre les seconds
(Abrahamson, 1996; Noel, 2006). Il ne s’agit pas non plus de donner raison à ceux
qui arguent l’irréalisme des modèles normatifs (Spell, 2001; Noel, 2006) pas plus
6
qu’à ceux qui arguent le réductionnisme des modèles des descriptifs (Avenier, 2009;
Romme, 2003). La figure 1 illustre le modèle au centre de la dualité Action-
Connaissance.
Figure 1 : Illustration du modèle dans la dualité Action-Connaissance
I.2. Le modèle au centre de la dialectique entre les acteurs et l’organisation
Le projet de connaissance en gestion du changement peut viser à la fois la
description de l’organisation, de ses acteurs et la transformation de l’un comme de
l’autre. L’intégration entre ces deux projets est permise entre autres par une réflexion
sur le changement à la suite de l’appropriation des modèles descriptifs par les acteurs
et par l’incorporation des éléments descriptifs et explicatifs dans les modèles
normatifs. Dans cette tentative de réconciliation de la dualité, il est clair que ce sont
les modèles qui tiennent un rôle pivot. Ils sont en quelque sorte un objet hybride, un
artéfact cognitif dont peuvent se saisir les acteurs pour agir sur eux et leur
organisation.
Action Connaissance
Modèle
7
Il faut donc loger au centre de la relation acteur-organisation le modèle plutôt
que l’objet à connaître. Bien entendu, avant d’être un modèle dont peuvent se saisir
les acteurs, le modèle a été le résultat d’une relation de connaissance.
Logé au centre de la relation qui unit les acteurs à leur organisation, le
modèle participe de la construction de l’organisation et en retour de celle des acteurs.
C’est en ce sens qu’il est possible de poser le modèle comme partie prenante de la
co-construction entre les acteurs et leur organisation. Il existe donc un rapport
dialectique entre les acteurs et l’organisation où le modèle est un artéfact co-construit
dans cette dialectique et produit par la dualité connaissance-action. La figure 2
illustre le modèle au centre de cette dialectique.
Figure 2 : Illustration du modèle au centre de la dialectique Acteur-
Organisation
Le modèle étant au centre de la dialectique acteur-organisation en tant
qu’objet à connaitre, il doit être représenté comme étant constitutif d’une dualité
Acteur (transformateur et transformé)
Organisation (transformée et contraignante)
Processus de co-construction
Modèle
8
entre les acteurs et l’organisation. Au sein de cette relation, le modèle peut être
mobilisé pour habiliter les acteurs dans la concrétisation de leurs projets. Ce faisant,
les projets se matérialisent, la réalité organisationnelle offre alors aux acteurs de
nouvelles occasions de se réaliser et en même temps elle fait peser sur eux de
nouvelles contraintes.
I.3. Le modèle au centre de l’interaction entre le chercheur et le projet de
recherche
Comme on vient de le voir, le modèle est d’abord au centre de la dualité entre
l’action et la connaissance. Le modèle est autant le produit de la connaissance que
l’objet saisi par les acteurs afin de produire l’action réflexive. Il est aussi au centre de
la dialectique entre les acteurs et l’organisation.
Dans cette troisième dimension, le modèle est au centre de la dialectique
entre le chercheur et le projet de recherche. Le modèle est pour le chercheur à la fois
son objet de recherche et le fruit de sa recherche. Il y a donc une autre dialectique qui
se forme : l’action de recherche du chercheur sur son objet de recherche par le
modèle et la contrainte que ce dernier exerce sur l’universitaire. La figure 3 ci-
dessous illustre cette troisième dimension du modèle en gestion du changement.
9
Figure 3 : Illustration du modèle dans la dialectique Chercheur-Projet de
recherche
I.4. L’objet de la thèse et sa démarche
Le modèle de gestion du changement n’est pas une objectivation de la
connaissance, ni une herméneutique subjective, mais une « intelligence de l’action »
(Le Moigne, 2008). Le modèle étant ainsi un objet de la relation entre les acteurs et
l’organisation, il apparait essentiel de comprendre comment il se construit et peut
faciliter ou pas cette relation.
Afin de répondre à cette question visant à définir ce qu’est un modèle valide
en gestion du changement, considérant la place de plus en plus importante qu’il
occupe dans les publications, il importe de traiter des éléments fondamentaux.
Comme le demande Le Moigne (1987) : « Disposons-nous de quelques bonnes
méthodes pour les découvrir ou pour les construire, d’une part, et pour les valider ou
pour les légitimer d’autre part? » (p. 14). Il ajoute:
Chercheur Projet de recherche
Modèle
10
« Comment légitimons-nous alors dans nos cultures de citoyen
se voulant responsables et solidaires, les connaissances
enseignables et « actionnables » que chercheurs et enseignants,
formateurs et consultants, ont mission de produire, de
transformer et de transmettre » (Le Moigne, 2003, p. 14).
Le Moigne pose ici le problème de la validation des modèles en mettant au
jour la dualité de l’action et de la connaissance autant dans les pratiques que dans la
recherche. En d’autres termes, comment peut-on s’assurer de la validité des modèles
en gestion du changement? Avons-nous une méthode pour valider ces modèles?
Comme il sera vu dans un chapitre prochain, une recension des écrits sur la
validation de modèles montre qu’il y a des méthodologies pour démontrer la
validité/légitimité des modèles, mais aucune ne satisfait les règles de la mesure et de
l’évaluation scientifique de modèles de gestion du changement.
Afin de situer l’intérêt de la modélisation et de sa validité, une revue de la
documentation universitaire au sujet de la production de connaissances en gestion du
changement au tournant du millénaire est présentée dans le premier chapitre. Trois
constatations épistémologiques récentes sont traitées. 1) La gestion du changement
est un domaine de publications professionnelles et académiques en expansion, mais
il manque des démonstrations de bonnes performances claires et stables dans le
temps. 2) La dualité Connaissance-Action en gestion du changement marque un
schisme entre les travaux descriptifs et normatifs au sens de Miller et al. (1999). 3)
Le développement des connaissances en gestion du changement est contextualisé à
l’époque socio-économique de production selon Demers (1999). Cette dernière
propose un passage de la gestion du changement vers l’étude des capacités à changer
11
afin de correspondre à l’époque actuelle de la production de connaissances. Ainsi, ce
premier chapitre propose une exploration du concept de « capacités
organisationnelles à changer », suivie par une intégration plus précise sous forme de
modèle. Ce modèle constitue l’objet de transformation et de connaissance qui est
opérationnalisé plus loin dans le texte.
Le deuxième chapitre poursuit la revue de la documentation et présente une
étude des types de modèles en sciences du management, leurs paradigmes, leurs
référentiels épistémologiques et méthodologiques. Ainsi, le modèle comme objet de
connaissance et de transformation au centre de la dialectique de co-construction du
changement organisationnel est étudié à la lumière de ces apprentissages.
Dans le troisième chapitre, la validité du modèle en sciences de la gestion est
étudiée à travers le développement argumenté d’un cadre conceptuel de recherche.
La discussion sur la notion de validité inclut de façon référencée celles de la
pertinence et de la légitimité. Une étude du parcours et de l’évolution des approches
de validation de modèles est mise en lumière par ses apports et ses enjeux
épistémologiques et méthodologiques. En conclusion de ce chapitre, une approche de
validation théoriquement complète, reconnue et rigoureuse est proposée à la situation
précise du modèle en gestion du changement. Ce modèle de validation constitue le
cœur de la méthodologie générale et théorique que la thèse tente d’opérationnaliser
sur l’objet de connaissance qu’est un modèle spécifique en gestion du changement.
12
Cela permettra de répondre à la question posée au début de cette introduction, à
savoir qu’est-ce qu’un modèle valide en gestion du changement.
Les quatrième et cinquième chapitres présentent une opérationnalisation
d’un processus de validation d’un modèle spécifique dans le cadre de deux projets de
changement organisationnels concrets. Cela permettra d’intégrer les arguments
empiriques et théoriques présentés dans les chapitres précédents. Cela permettra
aussi de tester la proposition apportée par la thèse sur ce qu’est un modèle valide en
gestion du changement.
Dans la conclusion trois contributions majeures sont retenues. La première
est sur le plan épistémologique. Elle concerne la mise en lumière des éléments
constitutifs du modèle, de l’activité de modélisation en sciences du management et
des enjeux épistémologiques et méthodologiques de la validité en découlant. La
deuxième est sur le plan méthodologique. Elle concerne l’adaptation du tétraèdre de
la modélisation/validation d’Oral et Kettani (1993) à un objet de recherche dit « très
soft1 » en gestion du changement. Cette adaptation fait avancer la connaissance
méthodologique dans le domaine autant par l’étude et l’adaptation du modèle d’Oral
et Kettani (1993) que par l’élaboration d’une stratégie de modélisation à laquelle
sont associés certaines méthodes et outils méthodologiques reconnus. La troisième se
1 Contrairement à un objet de recherche « hard », l’objet « soft » est un système n’ayant pas de
frontière concrète ou physique tels un logiciel informatique ou un réseau de communication
Checkland (1995). Selon Lemons (2008) les sciences dites « hard » sont perçues comme objectives et
rigoureuses. Leurs méthodes reposent sur des faits empiriques et quantitatifs. Certains infèrent même
que ce sont les seules sciences que l’on peut classifier sous le paradigme de la Méthode Scientifique.
Cette distinction fait l’objet d’une section spécifique du chapitre 3. L’objet dit « très soft » porterait
selon la présente thèse sur un système immatériel, tacite, mais tel que virtuellement perçu par les
schémas cognitifs et conatifs partagés chez les acteurs dudit système.
13
situe dans le champ d’étude de la gestion du changement. Elle concerne l’élaboration
d’un outil de gestion en plusieurs volets dits valides et visant à approcher la gestion
des capacités organisationnelles à changer, celle-ci positionnée dans une étude
épistémologique du développement des connaissances propre à son courant de
recherche.
In fine, l’hybridation des perspectives normative et descriptive à travers
l’étude du modèle, de la modélisation et de la validation, en conservant les finalités
de la Connaissance et de l’Action, peut permettre l’élaboration valide et rigoureuse
d’un outil de connaissance, de transformation et d’intervention interactionniste au
sein de la dialectique acteur-organisation. Ainsi, la thèse contribue à faire avancer les
connaissances qui apparaissaient manquer selon Le Moigne (1987) : « Il nous faut
élaborer une connaissance du modèle pour construire nos modèles de la
connaissance ».
1 La production de connaissance en gestion du changement au
tournant du millénaire.
Depuis les années 60 la gestion du changement s’est graduellement installée
comme une pratique professionnelle majeure et comme axe de recherche en sciences
de la gestion. Depuis 1957 on peut recenser plus de 27 000 titres publiés sur le sujet.
Ce nombre indique la place qu’occupe cet objet de recherche pour les praticiens et
les universitaires.
Une recherche de titres en employant le mot clé « Change Management » sur
la banque de données ISI Web of Science trouve 222 publications entre 1957 et 1977
(20 ans); 6000 publications entre 1978 et 1997 (20 ans); et 21 010 publications entre
1998 et 2010 (12 ans). On peut voir par ces chiffres augmentant de manière
exponentielle la vigueur et l’intérêt de cet objet de recherche en sciences. Plus
particulièrement, les années 2007 à 2010 voient plus de 2000 travaux publiés par
année. Autissier et Peretti (2012) rapportent à juste titre qu’à partir de 2005, le
champ de la gestion du changement organisationnel a donné lieu à d’autres objets de
recherche, par exemple la capacité à changer, le changement et la complexité, le ROI
de la conduite du changement, etc. Ces nouveaux objets de recherche ne sont pas
nécessairement captés par le mot clé « Change Management ».
Depuis 50 ans, la gestion du changement s’est donc vu décliner en multiples
objets chacun prétendant à une meilleure performance. Seulement dans l’ouvrage de
Demers (1999b) dix-sept méta-perspectives sont rapportées : des théories de la
15
contingence (Lawrence et Lorsch, 1969; Donaldson, 1996b), en passant par
l’écologie des populations (Hannan et Freeman, 1984) et les approches de la
configuration (Tushman et Romanelli, 1985; Greenwood et Hinings, 1988) jusqu’à la
théorie du discours comportemental (Brown et Humphreys, 2003). Chacune de ces
méta-perspectives se subdivise en plusieurs perspectives augmentant ainsi de
beaucoup la complexité du réseau de développement des connaissances dans le
domaine. Il serait possible d’en ajouter une multitude d’autres à cette recension, tels
que les onze thèmes émergents de la gestion du changement selon Autissier et Peretti
(2012). Comme si cette multitude ne suffisait pas, on pourrait ajouter les travaux
académiques et scientifiques d’un côté et les travaux normatifs et interventionnistes
de l’autre côté.
En dépit de la multitude des publications sur la gestion du changement, le
taux de succès des interventions dans les organisations ne semble pas s’être amélioré
de manière importante. Par exemple, Smith (2002) mesure le taux de succès des
interventions à 33%. McKinsey et Co. ont réalisé un sondage en 2008 auprès de
3199 dirigeants d’entreprise à travers plusieurs pays et ont obtenu un taux
comparable. Jacob et Ducharme (1995) ont rapporté des observations plus
conservatrices allant jusqu’à 10%. Cascio (1995) a interrogé des décideurs et des
consultants qui rapportent de meilleurs résultats, les taux varieraient entre 45% et
65% selon eux.
16
Dans la pratique comme dans la recherche, l’importance critique d’une bonne
gestion des projets de changement pour la performance des organisations n’est plus
un sujet à débattre, mais dans un contexte où les taux de succès sont faibles il est
urgent de s’interroger sur pourquoi il en est ainsi et de vérifier la validité des
modèles.
Le manque d’efficacité des modèles de gestion du changement a conduit
plusieurs universitaires à décrier la légitimité des discours sur le changement
organisationnel et à critiquer les effets pervers des « rhétoriques à la mode, […]
produit du travail de gourous » (Noël, 2006) fondés sur des phénomènes
« discursifs » et de « mimétisme institutionnel » (Noël, 2006). Tandis que certains
praticiens requièrent des visées plus actionnables de la part des chercheurs (Avenier
et Schmitt, 2007).
Au tournant du millénaire, lorsque le nombre de publications en gestion du
changement prend de l’ampleur, quelques rares études empiriques posent chacune
leurs réflexions, non pas sur l’objet de connaissance qu’est le changement
organisationnel, mais sur le travail même de publication d’étude à ce sujet. Miller et
al. (1999) observent une dichotomie entre les travaux dits normatifs et les travaux
dits descriptifs. Tandis que Demers (1999) propose jusqu’à un changement de
perspective propre à cette époque d’ « apprentissage et d’évolution » présentement
vécue. Ces propositions sont maintenant présentées.
17
1.1 La classification de Miller, Greenwood et Hinings (1995)
Armenakis et Bedeian (1999), Miller, Greenwood et Hinings (1999),
Herscovitch et Meyer (2002) et Rondeau (2008) ont spécifié que la documentation
en « gestion du changement » n’a pas réussi à développer un paradigme unificateur
afin d’éclaircir les nombreux mystères du changement organisationnel, autant au
niveau de sa description que de sa gestion. Miller et al. (1999) identifient une
divergence majeure qui empêche l’émergence de ce paradigme attendu. Deux
grandes divisions paradoxales peuvent être décrites. D’un côté, il y a les travaux
« normatifs » provenant habituellement de la pratique, et d’un autre côté, il y a les
travaux « empiriques » provenant habituellement de la recherche universitaire2.
Comme le résume Rondeau (2008), la première s’adresse aux preneurs de décisions,
elle fournit des marches à suivre à la conduite d’un changement. Pour ce faire, cette
approche considère le changement comme étant simple, dirigé et organisé. La
deuxième se positionne d’un point de vue d’observateur cherchant à comprendre le
phénomène du changement considéré ici comme complexe et systémique.
1.1.1 La perspective normative
Les travaux s’inscrivant dans une perspective normative visent à outiller les
dirigeants d’entreprise. Ce sont des analyses faites par des praticiens (quelquefois
des universitaires) pour des praticiens. Les résultats qu’ils proposent sont des façons
de faire, des façons de changer garantes de succès, le tout appuyé, la plupart du
temps, par des études de cas supportant le point de vue mis de l’avant. « Comment
changer? » est la grande question développée par ces ouvrages.
2 Soparnot, R (2005) nomme ces deux paradigmes « gestionnaire » et « complexe ».
18
Le changement est une évolution nécessaire
La façon de faire le changement est centrale. Le « pourquoi changer?» est
justifié par une des prémisses fondamentales de cette approche. L’environnement de
l’organisation étant en évolution il redéfinit sans cesse le contexte organisationnel et
compétitif, rendant nécessaire le changement organisationnel. Le changement
s’opérant, il redéfinit le contexte, lequel fait évoluer l’environnement. Ainsi, pour les
dirigeants, il importe d’agir et d’adapter constamment l’entreprise afin de
correspondre de façon optimale au contexte. Il est donc nécessaire dans ce cas-ci,
d’étudier les meilleures pratiques du domaine, les meilleurs processus de
changement afin de faire correspondre compétences et ressources avec
environnement et technologies.
Le changement y est donc continuel. L’intérêt de changer est constant pour
les entreprises afin de ne pas se faire dépasser par la compétition et les événements.
Une « évolution » progressive de l’organisation en harmonie avec son contexte est
prônée. La transformation de l’entreprise en organisation organique, prête et capable
de s’adapter rapidement est l’idéal à atteindre (Kanter, 1983; Nadler et Tushman,
1989).
Comme Kanter (1983), Peters (1990) et Senge (1990) et Miller, Greenwood
et Hinings (1999) le suggèrent, le changement est une activité normale, urgente et
essentielle pour tous.
19
Le changement est orienté vers l’action
Étant donné les objectifs et les postulats fondamentaux à ces travaux, il y a
nécessairement une importante orientation vers l’action lors des recommandations
faites par ces auteurs. Il n’y a pas de temps pour s’objectiver et réfléchir à tous les
éléments incertains, il faut agir, il faut changer. L’intérêt est donc de planifier de
façon simple et concrète les étapes à suivre afin de mettre en place un changement
« progressif et organisé plutôt que transformationnel et chaotique » (Miller et al.,
1999).
La haute direction est responsable du changement
Tel que rapporté précédemment, les destinataires de ces ouvrages sont les
dirigeants d’entreprises. On considère qu’ils sont les principaux responsables du
changement, que l’impulsion et la mise en œuvre doivent provenir d’eux et donc, que
les différentes unités organisationnelles sont malléables et indépendantes (Aldrich,
1979). Bien évidemment, il y a un important enjeu politique au changement. Celui-ci
bouleversant le fonctionnement de l’organisation peut aussi chambouler les niches de
pouvoir formel autant qu’informel. Comme Crozier et Friedberg (1977) l’ont
théorisé, le changement apporte nécessairement de plus grandes zones d’incertitude
dans la réalité de l’organisation. Plus il y a de ces zones non-normées plus il y aura
du pouvoir à acquérir par les acteurs qui les exploiteront.
20
1.1.2 La perspective descriptive, empirique ou universitaire
Contrairement à l’approche précédente, la perspective descriptive a comme
objectif le développement de la connaissance et non directement l’outillage des
dirigeants d’entreprises (Miller et al., 1999). Elle tente principalement de préciser les
contenus du changement tout en statuant sur les contextes et les processus de
changement organisationnel. Cette documentation est fondée sur l’observation
empirique universitaire.
Le changement est risqué
Selon cette perspective, le changement est synonyme de dépense d’énergie et
de risque. En effet, le changement y est habituellement, concrètement ou non, défini
comme une tentative de modifier l’inertie de l’organisation (Hafsi et Fabi, 1997). À
cet effet, le terme « inertie », emprunté aux sciences pures, est important. Il fait
référence à la condition « normale » de stabilité, d’homéostasie, d’harmonie de
l’organisation. Toute tentative de modification de cette « trajectoire » suppose donc
une grande dépense d’énergie supplémentaire au fonctionnement normal. Cette
dépense est souvent étudiée comme étant très grande et les garanties de succès
doivent être très crédibles afin de la justifier. La documentation universitaire cherche
donc à analyser les obstacles au changement et ce, à l’aide de plusieurs disciplines
telles que l’économie, la sociologie, la psychologie, etc. L’éventail de tous les
éléments à considérer dans le changement a pris, au fil des ans, une large expansion.
21
Le changement est orienté vers la réflexion
La prémisse de base de cette approche repose sur la rationalité empirique. La
réalité renferme un niveau d’incertitude et l’objectif est d’en réduire la zone, ou
d’augmenter le niveau de certitude, tout dépendamment du point de vue. La collecte
et la modélisation de l’information nécessaire au bon déroulement du changement est
centrale. Ainsi, cette perspective s’éloigne de l’action pour se rapprocher d’une
méthode réflexive. Ce qui importe ici pour le changement, c’est le fait de prendre un
regard le plus objectif possible afin d’observer la situation de façon rationnelle et
contrecarrer les obstacles prévus et se préparer aux imprévus. La recherche visant à
distinguer divers types de changements est alors nécessaire à la construction de
modèles adaptés à certains contextes et ce, de façon plus générale que l’approche
normative peut le faire.
Le changement, un système
Le changement organisationnel y est ici plus complexe que dans la
perspective normative. Tout est systématisé, les liens de causalité y sont plus diffus.
L’organisation est un système en lui-même, contenant ses forces internes relatives à
sa direction, à sa structure tout autant qu’à la psychologie de ses employés, ainsi qu’à
sa culture et ses processus d’institutionnalisation. L’organisation contient plusieurs
sous-systèmes correspondant aux unités structurelles ou informelles tout en
s’inscrivant dans un système plus large relatif à son contexte. Ainsi, l’industrie, le
marché, la situation géopolitique sont tous des éléments mettant des pressions sur
l’organisation. L’inertie organisationnelle est donc inscrite dans un équilibre
22
systémique impliquant de nombreux sous-systèmes imprévisibles. Par conséquent, il
est difficile d’expliquer totalement une façon de faire bien établie.
1.1.3 Synthèse
Ces deux perspectives sur le changement organisationnel approchent leur
sujet d’analyse de façon bien différente tout en visant un même objectif. À première
vue, tenter de trouver une complémentarité entre les deux semble une tâche ardue.
Une agit, l’autre réfléchit, une est linéaire, l’autre est systémique, une voit le
changement comme étant nécessaire, l’autre comme étant risqué.
Par ailleurs, il est possible de retracer le développement des connaissances à
travers ces deux modes de traitement de la gestion du changement. Par exemple, les
études normatives donnent le jour aux travaux référencés de Nadler, Shaw et Walton
(1995) portant sur les nuances entre le changement radical et incrémental; Kotter
(1995) proposant huit étapes garantes de succès pour gérer le changement selon une
perspective dirigée; Beer, Eisenstat et Spector (1990) affirmant l’importance et la
façon de gérer l’émergence du projet de changement en organisation.
Les études descriptives sont représentées, par exemple, par les travaux
référencés de Van de Ven et Poole (1995) et Kezar (2001) offrant une étude des
quatre perspectives théoriques possibles à l’observation du changement. Demers
(1999) apporte une sophistication importante à ces derniers en étudiant l’effet des
contextes et époques socio-économiques sur le développement des théories en
23
gestion du changement. Armenakis et Bedeian (1999) proposent un modèle en quatre
dimensions ce qu’est considéré comme le contexte de changement, soit les raisons,
les contenus, les processus et les mesures du changement organisationnel.
Le tableau I présente les travaux considérés comme typiques par Miller et al.
(1997) relativement aux deux courants.
Tableau I : Tableau comparatif des auteurs normatifs et empiriques selon
Miller et al. (1999)
Courant normatif Courant empirique
Kanter (1983, 1989) Chandler (1962)
Tichy et Devanna (1986) Greenwood et Hinings (1996)
Pascale (1990) Hinings et Greenwood (1988)
Peters (1992) Keck et Tushman (1993)
Senge (1990) Hambrick et D’Aveni (1989)
Conor et Lake (1988) Miller et Freisen (1980a, 1980b, 1984)
Plant (1986) Mintzberg et McHugh (1986)
Goss, Pascale et Athos (1993) Moore (1943)
Webber (1993) Tushman et Anderson (1988)
Naddler et Tushman (1989) Wilson (1992)
Jick (1993) Pettigrew (1985)
24
En parallèle de Miller et al. (1999), Demers (1999) publie une étude sur
l’évolution du développement des connaissances dans les travaux en gestion du
changement.
1.2 Le développement contextuel des connaissances en gestion du
changement
Comme Demers (1999) l’a démontré, l’étude et la pratique de la gestion du
changement ont suivi un parcours chronologique révélateur et fondé sur ses
problématiques contextuelles. Il semble que chaque période de l’évolution du monde
des affaires a vu apparaitre ses propres perspectives contextuelles, reflétant donc les
enjeux de leurs époques respectives. Ce qui semble majeur aujourd’hui, en plus du
travail explicatif de cette étude, c’est le développement grandissant de nouvelles
perspectives s’ajoutant aux anciennes, en plus du nombre de publications qui
s’accroit constamment. Le parcours que présente cette universitaire est mis en
lumière par la suite afin d’y intégrer l’importance du modèle.
Demers (1999) définit trois grandes périodes de développement des
connaissances en gestion du changement à partir de la fin de la deuxième guerre
mondiale. Elle explique que les théories en gestion du changement sont propres à un
contexte particulier et qu’il est important de connaitre ce contexte afin de
comprendre l’émergence des connaissances et des perspectives qui en découlent.
Ces périodes sont : « croissance et adaptation » (1945- 1973), « mort ou
transformation » (1973- fin 80’) et « apprentissage et évolution » (fin 80’ à nos
25
jours). Ces périodes reflètent bien, d’un côté le décuplement de la vitesse de
l’évolution des mondes économique, politique, social et technique et d’un autre côté,
une prise de conscience quant à l’importance de la réflexivité face à ce monde
complexe et spontané auquel est confrontée une rationalité humaine pouvant être
qualifiée de limitée.
1.2.1 Croissance et adaptation
La première période dite de « croissance et adaptation » est marquée par une
croissance exponentielle et relativement stable de l’environnement économique
jusque dans les années 70 (Demers, 1999). Cette période voit aussi émerger
d’importantes préoccupations centrées sur les droits de l’Homme. « Croissance »
(Starbuck, 1965) et « adaptation » (Thompson, 1967) sont les mots clés dans l’étude
de la gestion du changement.
Il est considéré que l’organisation subit une évolution naturelle, donc des
changements organisationnels. Étant qualifié d’ « évolution » et de processus
« naturel » le changement est ici synonyme de progrès, il est positif. Il est nécessaire
d’étudier comment gérer le changement de façon rationnelle, puisqu’à cette époque,
l’environnement est perçu comme étant prévisible, laissant place à l’application de la
théorie de l’homme rationnel et de l’homo oeconomicus. La rationalité des hauts
dirigeants est le levier pour guider les structures organisationnelles internes en
équilibre avec les structures externes, le tout de façon graduelle.
26
Demers (1999) affirme que les approches prédominantes sont ici : les théories
de la croissance (Haire, 1959; Penrose, 1959), la théorie du cycle de vie (Moore,
1959; Whyte, 1961), la théorie de la contingence (Burns et Stalker, 1961; Thompson,
1967) et le développement organisationnel (Chin et Benne, 1990; Bennis, 1969).
Finalement, Demers (1999) conclut que les études publiées durant cette période
portent sur ce qui change (« quoi ») et sur la mise en œuvre du changement
(« comment »). Les structures, les systèmes et la stratégie sont des thèmes
fondamentaux.
1.2.2 Mort ou transformation
La deuxième période, dite « mort ou transformation », est enclenchée par
deux récessions économiques dans les années 70 et par l’apparition de la
concurrence internationale face à la domination économique états-unienne. Les
questions économiques sont maintenant au centre des préoccupations et le
libéralisme (et le néo-libéralisme) prend du galon. L’étude du changement
organisationnel comme étant radical, brutal, révolutionnaire fait son apparition. Le
changement y est décrit comme une crise dans l’évolution de l’organisation, un
« drame » tel que l’affirme Demers (1999). Le haut dirigeant rationnel est
maintenant « héroïque » dans son maniement de la structure, de la culture et de la
stratégie afin de transformer l’organisation pour faire face aux crises.
L’organisation est maintenant gestaltique plutôt que fortement prévisible et
ce système contient des résistances lorsqu’un changement majeur y est imposé.
27
L’écologie des populations (Hannan, Freeman, 1984; Singh et al., 1986), l’approche
de la configuration (Miller, Friesen, 1984; Greenwood, Hinings, 1988), les théories
culturelle et cognitive (Schein, 1985; Bartunek, 1984), et la théorie de l’équilibre
ponctué (Tushman, Romanelli, 1985) sont des approches marquantes de cette
période tel qu’étudiée par Demers (1999). Finalement, le changement est une période
délimitée et dramatique et les universitaires tentent d’étudier « comment » gérer le
changement en mettant l’accent sur les « grands leviers » des hauts dirigeants telles
que les stratégies et les structures.
1.2.3 Apprentissage et évolution
Au début des années 90, le monde de la gestion est marqué par un revirement
des perspectives. Durant cette période seul le changement semble prévisible
(Demers, 1999). Les avancées technologiques de plus en plus rapides, entraînant une
facilité dans l’ensemble des communications jumelées au phénomène de la
mondialisation, plongent les organisations dans une réalité incertaine où chacun doit
être prêt au changement à venir. Demers (1999) ajoute à cela la hausse de la précarité
de l’emploi. En effet, suite à de nombreuses crises économiques, les entreprises ont
procédé à plusieurs phases de « rationalisation ». L’environnement s’adaptant
rapidement à cette mode de gestion, de nouvelles formes de travail apparaissent.
Voilà pourquoi le mot d’ordre est maintenant à l’ « apprentissage » quant au contexte
propre à une organisation donnée ainsi qu’à l’ « évolution » qui vise à développer les
méthodes de changement adaptées à ce contexte dynamique.
28
L’auteure rapporte des théories propres à cette période comme les théories de
l’apprentissage (Glynn, Lant et Milliken, 1994; Nonaka, 1994), les théories
évolutionnistes (Burgelman, 1996) et les théories de la complexité (Stacy, 1995;
Thiétart, 1993).
Le changement doit donc être vu comme une opportunité d’apprentissage et
d’innovation par l’organisation. La gestion du changement étant redéfinie comme
une pratique quotidienne, elle devient une aptitude de gestion à développer. Avec
cette nouvelle perspective, le dirigeant rationnel, prévoyant, n’est plus au centre des
préoccupations. C’est l’organisation dans son ensemble qui doit être alerte au
changement et prête à l’émergence de solutions locales. L’apprentissage et
l’initiative de tous sont maintenant les facteurs de succès.
1.2.4 Constats
Ces trois périodes semblent chacune associée à une conceptualisation
particulière du modèle en gestion du changement. La première, « Croissance et
adaptation », mise beaucoup sur la prédiction, sur une rationalité positiviste et
sur une approche descriptive. Les modèles descriptifs ont reçu une attention
particulière à ce moment en même temps que l’institutionnalisation des sciences
de la gestion et de la psychologie industrielle.
La deuxième période, « Mort ou transformation », laisse place à une
approche axée sur la gestion même, sur le leadership, sur les leviers
29
d’intervention permettant de réagir à un environnement qui n’est plus toujours
cohérent avec les études « descriptives » de l’époque précédente. Les modèles
« normatifs » obtiennent plus d’attention et ceux-ci semblent économiquement
valorisés durant la période décrite par Demers (1999).
La troisième période, « Apprentissage et évolution », favorise
l’émergence d’approches dites « complexes » ou « systémiques ».
L’environnement est constamment changeant, la gestion du changement devient
une constante plutôt qu’une variable. L’évolution progressive et réflexive d’une
organisation qui sait tirer des connaissances de ses actions et des actions de ses
connaissances semble bien se porter.
Dans cette proposition de Demers (1999) un élément important est
manquant. Il faudrait arriver à concevoir le modèle comme schème cognitif dans
les dialectiques « acteurs-organisation » et « chercheur-projet de recherche » qui
sont proposées dans cette thèse comme des éléments marquants de l’action
réflexive tout autant que de la production de connaissances.
À cet effet, Demers (1999) conclut par une proposition majeure et pleine
d’implications épistémologiques et méthodologiques. Afin d’éviter les approches
favorisées par les deux premières périodes et ainsi adapter la recherche académique à
ce contexte d’ « apprentissage et d’évolution », il appert important d’étudier le
concept des « capacités à changer ». La proposition pour un passage de la « gestion
30
du changement » à l’étude des « capacités à changer » est présentée dans la partie
suivante. Appelant à une approche complexe nomothétique et pragmatique à la fois,
le modèle est argumenté comme outil de transformation et comme objet à connaître.
1.3 Proposition pour un passage de la « gestion du changement » à la
« capacité à changer »
Constatant le faible taux de succès des modèles de gestion du changement et
le sens de la période actuelle au regard de la gestion du changement, Demers (1999)
propose de passer d’un mode de « gestion du changement » à une approche axée sur
l’étude des « capacités à changer ». Cette proposition est entre autres appuyée par
Mintzberg (2002), Soparnot (2005) et Rondeau (2008).
Selon Langley et Denis (2006), le changement organisationnel est un
phénomène complexe, présentant des dimensions négligées et en partie
insaisissables. Il s’agit de quatre dimensions. Le changement est « désintégrateur »
au sein des réseaux sociaux de l’organisation; le changement est « dynamique » par
ses boucles de rétroaction imprévisibles provoquant des conséquences désirables ou
non, à court et à long terme; le changement est « endogène » et propre aux relations
de pouvoir complexes et spécifiques à l’organisation donnée; le changement est
« asymétrique » par ce fait qu’il n’affecte pas les acteurs de la même façon et à des
intensités égales et qu’il est destructeur sans être nécessairement constructif. Ces
dimensions sous l’œil de la « gestion du changement » ne sont que très rarement
captées, même en considérant leur importance. Une approche axée sur l’étude des
31
« capacités à changer » pose des intentions visant la captation de tels phénomènes
considérés comme émergents et s’inscrivant dans la complexité systémique de la
période nommée « apprentissage et évolution ».
Pour ce faire, l’étude doit porter sur le changement « contextuel, spécifique et
épisodique » selon Rondeau (2008). De cette façon, il est possible d’étudier
« comment se produit le changement » plutôt que « comment produire le
changement ». En d’autres mots, les modèles de capacité à changer devraient mettre
« … l’accent non pas sur la conduite du changement lui-même, mais davantage sur le
déploiement de capacités organisationnelles rendant l’organisation en mesure de
réagir plus adéquatement à un bouleversement de son environnement » (Rondeau,
2008).
Afin de clarifier cette proposition, le concept de « capacité à changer » doit
être défini précisément exposant ainsi l’enjeu de développement des connaissances
en gestion du changement.
1.3.1 Les capacités organisationnelles à changer
L’étude de la capacité organisationnelle est un domaine vaste en termes de
publications et d’approches différentes. Il a été nécessaire de faire un choix afin de
statuer sur une définition correspondante au contexte spécifié par Demers (1999) et à
la pertinence du modèle comme schème cognitif dialectique au cœur de la dualité
action-connaissance.
32
Les travaux de Saint-Amand et Renard (2004) traitent entre autres de
l’application de la « capacité organisationnelle » dans le cadre de l’étude du
« changement organisationnel ». Également, les travaux de Soparnot (2005) en
gestion des capacités à changer ainsi que ceux de Saint-Amand et Renard (2004)
reposent sur la définition de « capacité organisationnelle » d’Amit et Shomaker
(1993). Ces auteurs la définissent comme : « le déploiement, la combinaison et la
coordination de ressources, de compétences et de connaissances à travers différents
flux de valeur pour mettre en œuvre des objectifs stratégiques » (Amit et Shoemaker,
1993). Cette définition est celle qu’on aussi adoptée Collis (1994), et Zollo et Winter
(2002).
Elle s’inscrit ainsi dans une perspective systémique. En effet, il ne suffit pas
de développer directement des connaissances et des compétences ou d’acquérir des
ressources. Il faut aussi les faire institutionnaliser par les membres de l’organisation
à travers des processus visant l’atteinte des objectifs du plan d’affaires. L’accent est
donc mis sur cette mise en relation entre connaissances, compétences, ressources et
institutionnalisation.
En d’autres mots, c’est l’appropriation par les acteurs, des ressources, des
connaissances et des compétences dans un flux de valeur ajoutée qui importe. La
capacité organisationnelle est dynamique et collective, selon Saint-Amand et Renard
(2004). Pour mieux circonscrire ce concept, il faut maintenant définir ce qu’on
entend par les ressources, les connaissances et les compétences.
33
Les ressources
Selon Saint-Amand et Renard (2004), le terme de « ressource » conserve sa
définition classique, soit les moyens que possède l’entreprise afin de transformer des
intrants en produits ou services. Ceci inclut autant les biens matériels tels que les
technologies, en passant par les finances jusqu’à la culture de l’entreprise et
l’information.
Les connaissances
Les connaissances sont plus près de la dimension humaine même s’il est
possible de les considérer comme une ressource. Elles ont ici un statut particulier. Ce
sont par les connaissances que les ressources sont coordonnées afin de former un
processus productif (Saint-Amand et Renard, 2004; Penrose, 1959). Il est aussi à
noter que le concept de connaissances implique autant les savoirs tacites que les
savoirs explicites (Saint-Amand et Renard, 2004; Nonaka et Takeuchi, 1997; Grant,
1996; Spender, 1996 et Nonaka, 1994). Encore ici, c’est la perspective systémique
qui importe dans la mobilisation de ces deux catégories de connaissances. La
« connaissance organisationnelle » est le concept central dans l’étude de la capacité
organisationnelle. C’est cette dernière qui va mettre en relation « ressources » et
« compétences » à l’aide de connaissances organisationnelles institutionnalisées
(Saint-Amand et Renard, 2004).
34
Les compétences
Les compétences sont définies par de la même façon que par Zarifian (1999).
Elles sont cette « intelligence pratique » qu’un individu peut avoir dans une situation
en particulier et qui lui permet de mobiliser et transformer ressources et
connaissances. (Saint-Amand et Renard, 2004). Les connaissances sont inhérentes
aux compétences, mais ces dernières requièrent des ressources afin d’être mises en
action. Cependant, comme le soulignent Zarifian (1999) et Saint-Amand et Renard
(2004), les compétences requises sont la plupart du temps plus complexes que celles
qu’un seul individu peut maîtriser. Encore une fois, la mise en commun des efforts
est nécessaire. Il faut les coordonner.
Pour résumer, le concept de capacité organisationnelle implique l’activation
par la coordination et la collaboration des ressources, des connaissances et des
compétences à travers un flux de valeur ajoutée. Une capacité est un phénomène
complexe, suggérant ainsi un certain développement émergent. Il ne suffit pas de
seulement définir ces concepts afin de cerner ce qu’est la capacité à changer. Il faut
aussi que le modèle soit un outil de transformation de ces ressources, de ces
connaissances et de ces compétences. Le modèle de gestion du changement
participerait donc à ce « flux de valeur ajoutée » en favorisant l’action réflexive et
« capacitante » pour l’organisation.
35
1.4 Constats
La proposition que fait Demers (1999) de redéfinir la représentation du
modèle de gestion du changement à un modèle de capacités à changer ouvre une
piste de réponse à la question de recherche à l’origine de cette thèse à savoir
comment valider un modèle de gestion du changement? Ce n’est pas qu’une question
de sémantique ou de perspectives, mais une question de transcender les différents
champs du savoir considérant la dualité action-connaissance en gestion du
changement.
La « gestion du changement » comme des « capacités à changer » implique
nécessairement une dimension téléologique visant l’action réflexive de « gestion »
sur l’action organisationnelle en « changement ». Si action et connaissance sont
interdépendantes, si la dimension « complexe » relevant des études descriptives est
indissociable de la dimension téléologique des études normatives, alors comment
retirer de ces observations des connaissances sur l’émergence de l’action et comment
utiliser des connaissances afin de susciter cette émergence d’un changement réussi?
Afin de répondre à ces questions, il faut poser les prémisses à cette étude.
Premièrement, la suggestion de l’étude des « capacités à changer » par
Demers (1999) peut supposer comme élément fondamental le rapprochement des
paradigmes de Miller et al. (1999). Action et Connaissance ne formeraient donc pas
deux camps, mais un cycle où praticiens et universitaires doivent mettre l’épaule à la
roue dans l’objectif de faire tourner cette dualité interdépendante au sens de Déry
36
(1990). L’étude de ce phénomène complexe, propre au paradigme empirique, à
travers son « émergence » contextuelle, nécessite au minimum un regard sur l’action.
Le concept de changement organisationnel lui-même, par son essence, le changeur
comme le changé, ainsi que l’organisation transformée, ne sont plus des objets de
connaissance en soi.
Il importe donc de trouver une manière d’étudier l’action même du
changement co-construit à travers cette co-construction entre acteurs et organisations
dans un système ouvert et complexe. C’est le projet de la thèse ici présentée.
Deuxièmement, la « complexité » associée au paradigme empirique (Miller et
al. 1999) obtient un positionnement essentiel à la compréhension autant qu’à la
conduite du changement. En d'autres termes, on a besoin d‘intégrer la complexité des
travaux descriptifs afin de capter le phénomène de plus en plus systémique et
complexe tel que présenté par Demers (1999). Et réciproquement, il est nécessaire de
considérer cette volonté de produire du changement rapidement et le plus
simplement possible, intention propre à l’approche téléologique du paradigme
normatif.
Troisièmement, cette « réconciliation » entre complexité et téléologie peut
être opérée par les universitaires au sein d’un paradigme épistémologique
constructiviste comme positiviste à travers une attention au modèle, à l’activité de
modélisation et au processus de validation des modèles.
37
Pour conclure, le domaine de l’étude de la gestion du changement s’est vu
remis en question au tournant du siècle dernier. Le tableau II illustre les questions
principales soulevées dans l’observation du développement des connaissances en
gestion du changement telles que rapportées dans cette partie du chapitre. Les
travaux sont rapportés en ordre chronologique de publication et sont généralisés à la
récupération des sphères des sciences de la gestion et de l’épistémologie par la
présente thèse.
38
Tableau II : Auteurs mobilisés et enjeux soulevés dans le cadre de l’observation
du développement des connaissances en gestion du changement
Auteurs mobilisés Enjeux soulevés
Déry (1990) L’interdépendance réflexive dans la dualité Action-
Connaissance.
Demers (1999) Le développement des connaissances suit un parcours
contextuel aux époques socio-économiques.
Demers (1999) La proposition du passage de la « gestion du changement »
à l’étude des « capacités à changer ».
Miller et al., (1999) La dichotomie entre les travaux « normatifs » et
« descriptifs ».
Le Moigne (2003) L’émergence du modèle en remplacement des concepts de
« théorie » et de « système ».
Le Moigne (2003) L’importance de la question de la constitution et la
légitimation de connaissances enseignables et actionnables
en gestion.
Saint-Amant et
Renard (2004)
L’importance actuelle de la définition du concept des
« capacités organisationnelles » découlant d’un flux de
valeur ajouté.
Langley et Denis
(2006)
L’importance actuelle des dimensions négligées du
changement organisationnel, émergentes, évolutives et
dynamiques.
Le Moigne (2008) Le modèle offrant ni une approche objective, ni une
approche subjective, mais une « intelligence de l’action ».
Rondeau (2008) La nécessité de l’étude des capacités à changer de façon
« contextuelle », « spécifique » et « épisodique ».
Avenier (2010) Le modèle comme outil de représentation et de
communication d’une réalité managériale devenue
aujourd’hui complexe.
39
Pour tester la validité de modèle en gestion du changement il faut avoir un
modèle. Aux fins de l’exercice, le modèle retenu est celui de Rondeau (2008). Ce
modèle a servi comme outil de transformation à deux projets de gestion du
changement au cœur des chapitres 4 et 5. Ces deux projets de changement ont servi
de matériaux pour tester la validité du modèle.
1.5 Le modèle des capacités à changer de Rondeau (2008)
Dans cette partie le modèle de Rondeau (2008) sera d'abord décrit et le choix
de ce modèle sera par la suite expliqué. Plutôt que de mettre l’accent sur la mise en
place même du changement, cette perspective se concentre sur le perfectionnement
de fondements organisationnels permettant d’accueillir favorablement l’émergence
ou l’imposition d’un changement organisationnel.
Selon Rondeau (2008) le phénomène du changement est épisodique,
contextuel et spécifique, et comporte trois logiques d’action inévitables ainsi que
trois enjeux déterminants de sa mise en œuvre. Ces logiques d’action et ces enjeux
sont des perspectives à adopter lors de l’observation et de la compréhension du
changement observé. Ces deux axes d’observation offrent ainsi neuf façons
différentes de réfléchir le changement et sa mise en œuvre de façon à intégrer les
connaissances faites dans ce domaine, et ce, dans une approche descriptive et
constructiviste.
40
1.5.1 Les enjeux du changement
Trois enjeux apparaissent fondamentaux lors de l’émergence d’un
changement, peu importe la perspective adoptée lors de son observation. Les
résultantes du changement visent des enjeux, 1) de légitimation, 2) de réalisation et
3) d’appropriation du changement. Ces enjeux qui semblent généralisables selon
Rondeau (2008) sont aussi spécifiques : Ils n’existent qu’à travers les perceptions des
différents acteurs d’un projet de changement qui adoptent nécessairement une
perspective dite « située ».
L’enjeu de légitimation
L’enjeu de légitimation fait référence à la « contamination » de l’organisation
par un discours « articulé » et « partagé » autant à l’interne qu’à l’externe (Rondeau,
2008). Le « sponsor » du changement est important pour cet enjeu. Son pouvoir et sa
crédibilité doivent être mis à profit afin de rendre le changement légitime face aux
employés. La communication, le partage et l’information ne sont pas les seuls
éléments principaux pour l’enjeu de légitimation. La documentation des déficiences
du système à changer est importante pour convaincre les différents acteurs et pour
démontrer la supériorité du modèle à mettre en oeuvre.
L’enjeu de réalisation
L’enjeu de réalisation concerne le « champion » du changement qui se doit
aussi d’être crédible afin de mener une structure de pilotage regroupant experts et
« contaminateurs ». Les ressources qu’implique le changement sont centrales. Elles
doivent être identifiées et mises à profit dans une planification qui vise à rehausser
41
les capacités à changer, soit les compétences. En plus de rendre disponibles les
ressources et de planifier différentes formes de formation pour développer les
capacités organisationnelles, les rôles des différents acteurs du changement doivent
être clairement définis et partagés. Le tout doit être intégré et mis en œuvre à travers
un flux de valeur tel que suggéré par Saint-Amand et Renard (2004). La dimension
dynamique au sens de ces derniers fait écho au caractère endogène décrit par
Langley et Denis (2004).
L’enjeu d’appropriation
L’enjeu d’appropriation prend particulièrement le rôle de résultat attendu face
au changement. Son observation et sa mesure peuvent offrir des leviers d’action
importants pour développer les capacités organisationnelles nécessaires. Il est
prédominant au moment où le changement doit être institutionnalisé et consolidé
(Kotter, 1996; Beer, Eisenstat et Spector, 1990; dans Rondeau, 2008).
Cet enjeu provient de deux courants de recherche différents. En premier lieu,
les sciences du comportement cherchent à comprendre les antécédents qui propulsent
ou inhibent l’adoption du changement (Rondeau, 2008). Les études portant sur la
résistance au changement, thème très prolifique dans le domaine, en sont de bons
exemples tout autant que les études sur la participation et l’engagement des
employés à travers le changement.
En deuxième lieu, la documentation provenant de la recherche en
management porte surtout sur les dimensions organisationnelles. Ainsi,
42
la consolidation et l’institutionnalisation du changement sont des thèmes centraux
pour l’enjeu d’appropriation. Le concept de connaissances organisationnelles
relevant des travaux de Saint-Amand et Renard (2004) est fondamental afin de
mettre en action les ressources et compétences, qu’elles soient nouvelles ou
remaniées.
1.5.2 Les logiques d’action
L’environnement, autant interne qu’externe, est complexe et imprévisible.
Une action « rationnelle » de changement ne fait qu’ajouter à cette complexité en
considérant le déclenchement du changement comme le provocateur d’une
désintégration initiale, d’un impact asymétrique et d’un caractère dynamique et
endogène (Langley et Denis, 2006).
Le modèle de Rondeau (2008) présente l’étude de la capacité à changer dans
un contexte de changement spécifique, unique, épisodique et constructiviste. Le
contexte « réel » n’est alors que considéré à travers l’interprétation des acteurs de
l’organisation. Cette interprétation, pour chacun des acteurs, est catégorisée selon
trois types de préoccupations. Le changement repose ainsi sur trois niveaux d’
« enjeux » perçus à travers trois logiques d’action identifiables, peu importe la nature
du terrain d’observation. Ces logiques d’action sont : stratégique (intention des
acteurs), systémique (nature des processus) et opérationnelle (pratiques quotidiennes
et adoptées). Chacune de ces trois logiques suppose un quelconque modèle
43
interprétatif du changement. Ce qui importe est cette considération intégrée de ces
trois logiques avec les trois enjeux.
Le projet de cette thèse est de capter méthodologiquement ce croisement des
logiques d’actions et des enjeux qui constitue le caractère « située » (Langley et
Denis, 2006), spécifique, contextuel et épisodique (Rondeau, 2008). Finalement,
l’adéquation entre logiques d’action et enjeux requiert cette collaboration propre aux
« capacités organisationnelles » telles que définies par Saint-Amand et Renard. Ces
trois logiques de l’action organisée sont maintenant décrites dans la section qui suit.
La logique d’action stratégique
L’étude de la capacité à changer informe sur la nécessité de mettre en
adéquation les enjeux d’affaires (stratégiques), les enjeux de systèmes (systémiques)
et les enjeux humains (opérationnels) (Rondeau, 2008; Rondeau, Croteau et Luc,
2005; Bernier, Bareil et Rondeau, 2003). Il importe alors, stratégiquement, de
prendre les bonnes décisions afin d’adapter l’organisation aux turbulences de
l’environnement. Ces « bonnes décisions » sont basées, non pas sur des modèles
génériques et macro stratégiques, mais bien sur les enjeux de l’organisation en
question. Il faut par conséquent considérer les modèles d’affaires à changer tout en
misant sur le maintien de la performance quotidienne afin de conserver les
ressources nécessaires au changement. Les « connaissances », au sens de Saint-
Amand et Renard (2004), sont ici centrales dans leur adéquation avec les
« ressources » et les « compétences ». Comme le dit Rondeau (2008), les acteurs
stratégiques doivent développer la capacité à changer par « une maîtrise toujours
44
plus fine des enjeux de l’environnement d’affaires et de son positionnement dans cet
environnement en même temps qu’un partage toujours plus raffiné de ses enjeux
entre toutes les parties prenantes » (p. 7). En résumé, la logique d’action stratégique
vise à définir ce que l’organisation veut faire (Rondeau, 2008).
La logique d’action fonctionnelle
Selon la logique d’action fonctionnelle, les décalages entre le modèle
d’affaires et l’environnement devraient être rapportés et documentés. Une réponse
permettant de « faire plus avec moins » est attendue. En d’autres mots, une solution à
ces décalages devrait être concrètement produite. Les « ressources » (inhérentes aux
processus, ou flux de valeur, qui sont particulièrement importants ici) sont centrales
dans l’adéquation avec « connaissances » et « compétences ». En effet, la mise à
niveau du modèle d’affaires passe par le développement de nouvelles méthodes,
structures et systèmes. Des ressources doivent être constatées et mobilisées afin de
développer les compétences nécessaires au transfert des connaissances de la
planification du nouveau modèle jusqu’à son implantation. De plus, ces ressources
sont particulièrement importantes en ce qui à trait à maintenir une performance dans
les opérations quotidiennes tout en supportant le changement en cours. Cette
« surcharge » sur les ressources organisationnelles est primordiale dans une logique
d’action systémique. En résumé, cette logique d’action vise à définir ce que
l’organisation peut faire (Rondeau, 2008).
45
La logique d’action opérationnelle
Tout cela ne peut être fait si le changement n’est pas accepté par les acteurs
concernés. Les enjeux opérationnels sont fondamentaux afin de créer une
mobilisation, une motivation et surmonter les obstacles au changement tels que la
surcharge de travail chez les employés en période de changement. La
communication, la collaboration, la transparence et l’écoute sont de mise pour
développer un contexte propice au changement.
Les enjeux humains sont prédominants afin de développer une capacité à
changer. En effet, la perception du changement par les destinataires de celui-ci est
importante dans le succès propre à cette logique d’action. Les rôles, les
responsabilités et les relations doivent être clairs tout autant que les résultats relatifs
aux changements de comportements afin de favoriser la modification de ceux-ci et
surtout, de susciter de l’effort par l’observation de la valeur ajoutée du nouveau
modèle mis en oeuvre. Les « compétences » sont prédominantes. L’organisation doit
développer des capacités permettant de supporter l’apprentissage de nouvelles
« compétences » par la disponibilité des « ressources » selon les « connaissances »
développées. En résumé, la logique d’action opérationnelle vise à évaluer ce que
l’organisation fait réellement (Rondeau, 2008).
In fine, l’étude des capacités à changer selon le modèle de Rondeau (2008)
pose le contexte du changement comme étant unique à une situation en particulier
tout en étant systémique. La dichotomisation de l’environnement externe et de
l’environnement interne n’est plus de mise au niveau théorique, l’environnement
46
n’étant plus un objet d’étude holistique. La perception de ce contexte par les
différents acteurs agissant selon ces trois différentes logiques d’action est ce qui
créera le terrain propice au changement tout en accentuant sa légitimation et sa
mobilisation autour du défi de la réalisation. Ici, l’apport important de la perspective
axée sur les capacités à changer porte sur le fait qu’aucune de ces logiques d’action
ne peut être considérée de façon indépendante. Ni une logique stratégique,
fonctionnelle ou opérationnelle ne peut supporter le succès de la mise en œuvre d’un
changement.
Le modèle de Rondeau (2008) propose donc neuf thèmes fondamentaux à
l’étude de la capacité à changer et relevant de l’interaction de deux axes conceptuels,
les enjeux et les logiques d’action. La figure 4 illustre le modèle de Rondeau (2008).
Figure 4 : Les enjeux du changement organisationnel selon les logiques de
l’action organisée (tiré de Rondeau, 2008)
Enjeux du changement (résultats attendus)
Légitimation(Émotif)
Réalisation(Cognitif)
Appropriation(Comportemental)
Lo
giq
ues d
’acti
on Stratégique
(Intention des acteurs) Perspective directionnelle
VISIONChangement important
Parrain engagé
Partenaires impliqués
PILOTAGEStructure de pilotage
crédible
INTÉRÊT Conditions incitatives Retombées valables
Fonctionnelle(Nature des systèmes) Perspective structurelle
MODÈLEDéficiences établies
Orientation documentée
CAPACITÉRessources, méthodes
et compétences adéquates
DÉMARCHEPlan de mise en œuvre
approprié
Opérationnelle(Pratiques adoptées) Perspective culturelle
ADHÉSIONCommunication adéquate
Engagement élevé
EFFORT Disposition et collaboration appropriées
PROGRESSIONAmélioration continue
47
1.5.3 Le choix du modèle
Le modèle de Rondeau (2008) vise à rapprocher les courants descriptifs et
normatifs au sein d’une même proposition. Deux questions apparaissent ici comme
importantes pour l’élaboration de sa proposition. 1) Quels sont les dimensions et les
enjeux inévitables de la recherche en gestion du changement et des capacités
organisationnelles? 2) Quelles sont les logiques au centre de l’action rationnelle et
des représentations des acteurs et qu’impliquent-elles afin de répondre aux
préoccupations des gestionnaires du changement? Ce modèle ne tente ni tout à fait de
comprendre ce qui fait le succès d’une organisation en changement, ni de dicter
précisément une marche à suivre.
Premièrement, il évite de proposer une marche à suivre aux gestionnaires.
Cette proposition n’engage pas la mise en oeuvre d’actions concrètes à travers des
étapes de mise en œuvre linéaires. La recette du changement reste ainsi propre à son
contexte et à sa spécificité tout en offrant un cadre réflexif concernant les facteurs de
succès dans la gestion des capacités organisationnelles. Les acteurs peuvent donc
s’en saisir de façon réflexive comme objet de transformation à l’intérieur de projet de
changement organisationnel.
Deuxièmement, il suggère que cette proposition offre des réponses aux
universitaires désirant étudier la nature de la gestion du changement (ou des
capacités à changer). Rondeau (2008) présente une grille de dimensions importantes
et organisées aux gestionnaires autant qu’une grille d’observation aux universitaires
48
leur permettant d’étudier chacune des variables reconnues dans le modèle et de juger
de l’adéquation de cette variable selon la valence des enjeux proposés. Ce modèle
peut offrir un outil de connaissance interactionniste au chercheur.
Troisièmement, ce modèle offre un outil de représentations collectives de ce
que devraient être les résultantes des processus contextualisés, spécifiques et
épisodiques, garants de changement organisationnel. En développant un certain
artéfact, l’action réflexive se veut ainsi plus près de la réalité co-construite de ce que
représente le processus de changement pour chacun des acteurs directement ou
indirectement impliqué. Considérant la nature de l’artéfact, celui-ci se modifie selon
les objectifs poursuivis par les acteurs, par l’influence sociale, et qu’inversement,
l’artéfact se modifiant engendre nécessairement des modifications dans le projet des
acteurs. Le modèle offre une étude d’un phénomène « épisodique, contextuel et
spécifique » (Rondeau, 2008) puisqu’il considère, sans le nommer directement, le
changement comme un artéfact de l’action sociale et non comme guide d’action sur
certaines « lois naturelles », sociales ou non.
En parcourant la documentation en gestion du changement, les modèles
offerts semblent offrir, pour la plupart, que des démarches identifiant des conditions
de succès permettant la conduite ou la description du changement en général. Les
dimensions « spécifique », « épisodique » et même « systémique » dans certains cas,
tel que proposé par Rondeau (2008), ne sont pas intégrées pleinement. Elles
demeurent donc « génériques ».
49
Le qualificatif de « générique » provient du fait que rares sont ceux qui
étudient le changement lui-même comme phénomène organisationnel, social, naturel
et émergent. Comment proposer une conduite sur les capacités à changer d’une façon
macro, peu importe le contexte du changement, sans étudier le phénomène de
capacités à changer comme étant propre et unique à leur contexte? En d’autres mots,
l’émergence du changement est toujours à explorer afin d’en arriver à une étude
permettant du même coup la conduite d’un changement en considérant son unicité et
sa spécificité (Mintzberg et al., 2002).
Dans ce chapitre on a présenté une description de l’évolution de la production
de connaissance en gestion du changement au tournant du millénaire, en particulier :
La dualité Action-Connaissance à travers les constatations de Miller et al. (1999)
concernant l’axe descriptif-normatif, le développement contextuel entre la
production de connaissance et leur époque selon Demers (1999) et la proposition
pour l’étude des capacités à changer. L’étude des capacités à changer plutôt que de la
gestion du changement même semble ici être une piste de recherche selon les
observations ci-haut proposées. Le modèle retenu pour le projet de la thèse est celui
de Rondeau (2008) car il propose justement une tentative de réconciliation des
travaux descriptifs et normatifs à travers la matrice précédemment exposée. Du coup,
tel qu’il a été proposé dans l’introduction, le modèle est au centre des avenues de
recherche. Ainsi, il sert d’outil de transformation et d’objet à connaitre dans le sens
du traitement des enjeux épistémologiques du domaine d’étude. Le modèle de
50
Rondeau (2008) est choisi comme « terrain de recherche » afin d’étudier et
d’opérationnaliser la question de la validité des modèles en gestion du changement.
Ce modèle est donc l’objet concret, le terrain d’étude, de la thèse ici
présentée. Pour être en mesure de répondre à la question de recherche il faut
comprendre les typologies des modèles et les paradigmes qui leur sont associés. Il est
important de faire ce détour afin d’encadrer l’opérationnalisation. Avant de passer à
l’étude de la validation de modèle, il importe de comprendre les typologies et les
paradigmes liés à la problématique de la validation de modèle en gestion du
changement. Il appert ainsi nécessaire de présenter les types de modèle et leur
paradigmes tel qu’observables dans le domaine d’intérêt.
Le concept de modèle
Dans ce chapitre les types de modèles et les paradigmes fondamentaux qui
leur sont associés sont présentés et expliqués. L’objectif est de définir en terme
opératoire le terme de modèle afin de positionner et d’étudier la démarche de
validation de modèles en gestion du changement.
1.2 Les types et les paradigmes fondamentaux
Le concept de modèle s’inscrit à travers deux paradigmes fondamentaux, soit
celui de la « découverte » et celui de l’ « invention » (Le Moigne, 1987). Ainsi, d’un
côté, le modèle peut tenter de représenter le réel (Ackoff et Sasieni, 1968) par des
visées descriptives. Ayant une conception de la connaissance comme « objet » plutôt
que comme « projet », le modèle descriptif est « iconique » selon un principe
réductionniste, voire « symbolique » selon une approche structuraliste. Dans une
approche descriptive, le modèle est un point d’arrivée, le résultat de l’activité de
connaissance (au sens de Déry, 1990). Le modèle est l’ « icône » du réel, sa
représentation.
D’un autre côté, le modèle peut tenter le façonnement de représentations
intelligibles, de guides à l’action par des visées fonctionnelles. Ces dernières
requièrent une approche de la conception, de l’artificiel, plutôt qu’une approche
analytique et hypothético-déductive. Dans une approche normative, le modèle est en
quelque sorte le point de départ. En effet, le projet n’y est pas de représenter le réel
en toute objectivité, mais bien de le transformer en accord avec un projet. Le Moigne
52
(1987) constate à cet effet que : « Le modèle alors, qu’il soit iconique ou
symbolique, devient source de connaissance et non plus résultat ».
Le modèle comme objet/représentation ou comme projet s’inscrit dans les
sciences du management et plus particulièrement, il s’inscrit au sein des enjeux du
développement de la connaissance en gestion du changement.
Les sciences du management et la gestion du changement visent
habituellement, à un niveau prescriptif, l’aide à la décision en tentant de démontrer
les approches garantes de succès en termes d’efficacité ou d’efficience. Déry, Landry
et Banville (1991) en rappelant Ackoff (1956) et Churchman (1957) affirment que la
conception de modèle en est le produit habituel de la recherche. Le modèle est
considéré comme étant le facteur déterminant du succès d’une action selon ces
auteurs. On peut donc dire que les sciences du management tentent de développer
des connaissances sur l’action efficace ou efficiente en objectivant ses approches à
l’aide de modèles.
Zebda (2003) propose une typologie qui permet de classifier les modèles. Il y
en aurait trois types: prescriptif (normatif), descriptif et positif.
Les modèles prescriptifs aident la prise de décision au niveau rationnel, leur
puissance normative est donc fondamentale. Les modèles descriptifs visent à
démontrer comment la décision est prise sur le terrain. Leur validité descriptive est
53
importante. Les modèles positifs visent à prédire le comportement sans
nécessairement l’expliquer3. Leur puissance prédictive devrait être évaluée. Même si
la typologie proposée par Zebda est relativement simple et représentative, il reste
qu’il est difficile de classer un modèle dans un seul type, car les modèles tendent à
présenter des caractéristiques de chaque type.
On peut faire des rapprochements entre la typologie de Zebda (2003) et
d’autres paradigmes présentés par Le Moigne (1987) et Ackoff et Sasieni (1968)
pour définir le concept de modèle selon le paradigme descriptif et le paradigme
normatif. Le tableau III présente ces rapprochements de façon structurée.
Tableau III : Les caractéristiques du modèle selon les paradigmes descriptif et
normatif
Paradigme descriptif Paradigme normatif
Le modèle est : Le modèle est :
Descriptif Normatif
Un objet ou un point d’arrivée Un projet ou point de départ
Une représentation (Ackoff et Sasieni,
1968)
Une interprétation (Le Moigne, 1987)
Iconique (Le Moigne, 1987) Une invention (Le Moigne, 1987)
Symbolique (Le Moigne, 1987) Une intelligence de l’action (Le Moigne,
2008)
Descriptif (Zebda,
2003)
Positif (Zebda,
2003)
Prescriptif (Zebda, 2003)
3 En référence aux propriétés du modèle et à l’activité de modélisation précédemment étudiées, le type
de modèle positif est considéré par la thèse comme un type descriptif.
54
Ces deux paradigmes reflètent la dichotomie définie par Miller et al. (1999)
en gestion du changement. Ils permettent de déterminer les types de modèles. Ayant
défini ces deux paradigmes et les types de modèles il reste maintenant à déterminer
les ancrages épistémologiques et méthodologiques qui serviront à
l’opérationnalisation de la démarche. La prochaine partie présente à cet effet le
double référentiel épistémologique et méthodologique du modèle présenté par Le
Moigne (1977, 1987).
1.2.1 Le double référentiel épistémologique et méthodologique
Selon Le Moigne, (1987) les modèles descriptifs, sous un paradigme de la
connaissance comme objet, mènent à une « explication » du phénomène. Tandis que
sous un paradigme de la connaissance comme projet, ils mènent à une
« interprétation » de cette construction. Ce qui relie ces deux types de modèle
descriptif est leur fondement méthodologique.
La méthode analytique propre à une épistémologie positiviste, dominante par
sa méthode hypothético-déductive expérimentale, amène nécessairement le
modélisateur à réduire sa captation de la complexité, à « mutiler » le phénomène
systémique (Morin, 1982). Ceci découle des préceptes positivistes ici regroupés en
quatre axiomes méthodologiques (Le Moigne, 1987) : les axiomes de causalité, de
disjonction, d’élémentarité, de réversibilité. L’axiome de causalité infère que le
modélisateur doit expliquer par l’identification de relations linéaires simples le réel
objectivé. L’axiome de disjonction sépare le système de son résultat. Il interdit au
système d’être producteur de lui-même (Le Moigne, 1977, 1987) dans une approche
55
réductionniste. L’axiome d’élémentarité fait en sorte de concevoir le réel comme
contenant des éléments de bases qui seraient stables, irréductibles et constitutifs d’un
réel donné (Le Moigne, 1987). Il importe alors au modélisateur de les identifier afin
de les expliquer. Finalement, l’axiome de réversibilité implique une certaine
symétrie au modèle/système. En lien avec l’axiome de causalité, si la relation est
effectivement causale et linéaire, alors elle est réversible. Le modélisateur doit
pouvoir démontrer cette symétrie méthodologique.
Toujours selon Le Moigne (1977, 1987), il est possible d’opter pour une
activité de modélisation visant la compréhension sous un paradigme de la
connaissance-objet, ou une modélisation axée vers la représentation opératoire sous
une perspective de la connaissance comme projet. Toutes deux requièrent une
approche méthodologique axiomatiquement contraire aux modèles descriptifs, soit
par conception axiomatico-inductive pragmatique. Quatre axiomes sont au cœur de
la méthodologie par conception : les axiomes téléologiques, de conjonction,
d’opérationnalité et d’irréversibilité. L’axiome téléologique transforme la
connaissance en projet de construction dont le modélisateur est partie, ceci
impliquant nécessairement l’intégration de la théorie systémique. L’axiome de
conjonction cherche à inclure, contrairement au précepte réductionniste, la
complexité incluse dans la « conjonction cognitive du sujet et de l’objet » (Le
Moigne, 1987). L’axiome d’opérationnalité implique que plutôt que de chercher les
éléments constitutifs du réel, le modélisateur conçoit des opérations impliquant la
notion du système ouvert (boite ouverte). L’axiome d’irréversibilité réintègre le
56
temps comme élément fondamental du système à modéliser, impliquant
nécessairement une irréversibilité méthodologique des relations causales. Le tableau
IV présente un résumé de l’argumentation ci-haut.
Tableau IV : Le double référentiel épistémologique et méthodologique selon Le
Moigne (1977, 1987).
Méthodologie Hypothético-déductive
expérimentale
Axiomatico-inductive
pragmatique
Épistémologie Connaissance-
objet
Connaissance-
projet
Connaissance-
objet
Connaissance-
projet
Visée du
modèle
Explicative Interprétative Compréhensive Représentation
opératoire
1.2.2 Une définition générale du concept de modèle
Suite à une étude des types de modèle, de leurs paradigmes et leurs
méthodologies sous-jacentes, la définition proposée par Pidd (2010) de ce qu’est un
modèle en sciences de la gestion peut être utile pour le projet de cette thèse.
Regroupant une complexité systémique et descriptive à un pragmatisme téléologique
et normatif, Pidd (2010) affirme que :
« Un modèle est une représentation externe et explicite d’une
partie de la réalité telle que perçut par les personnes qui désirent
utiliser ce modèle pour comprendre, modifier, gérer et contrôler
cette partie de la réalité » (p.10) (Traduction libre).
Cette définition prescrit qu’un modèle doit être pertinent, utilisable. Appliqué
dans le contexte de gestion du changement cela signifie que le modèle selon une
57
approche normative provient de la connaissance préalable. Suivant Déry (1990),
propre à la mise en lumière de la dualité Action-Connaissance, une des retombées du
modèle-projet sera donc une évolution du modèle-représentation.
Selon Finlay et Wilson (1987) le modèle vise à structurer les systèmes
organisationnels là où l’action interagit avec la complexité du système créant une
problématique systémique. Pidd (2010) ajoute que le modèle est utilisé afin de
réduire les options possibles pour les preneurs de décision qui peuvent détenir de
l’information ou des connaissances dépassant les limites du modèle. Ainsi, les deux
fonctions du modèle rapportées précédemment, soit descriptif (représentatif de la
réalité) et normatif (guide à l’action) sont intégrées. La dimension descriptive et
complexe de la réalité est maintenant essentielle à la pertinence pratique et à la
validité académique du modèle.
Il s’en suit que l’opérationnalisation du processus de constitution/validation
d’un modèle en situation de changement organisationnel prend une importance non
seulement en gestion du changement, mais en épistémologie et en méthodologie en
général. Quels sont alors les principes de l’activité de modélisation en sciences du
management, c’est l’objet de la prochaine partie.
58
2.1.3 Les principes de l’activité de modélisation dans les sciences du
management
Pour construire un modèle en sciences du management, il ne suffit pas de
décrire les formes du modèle, il faut aussi approfondir les fondements et les
principes de sa construction. L’étude de ces ancrages permettra d’élaborer une
opérationnalisation méthodologique rigoureuse propre à l’étude du modèle hybride
de représentation comme objet de transformation en gestion du changement.
Finlay et Wilson (1987) affirment qu’en recherche opérationnelle,
l’élaboration de modèle peut se faire à deux niveaux. Premièrement, une situation
organisationnelle requiert un modèle large et englobant qui couvre l’ensemble des
activités du système donné afin d’identifier les problèmes particuliers.
Deuxièmement, ces problèmes particuliers requièrent un modèle propre qui tente de
les résoudre, habituellement par une modélisation mathématique. On y retrouve
donc, encore une fois, la dichotomie entre descriptif et normatif.
Pour élaborer une stratégie de validation de modèles, le premier niveau
(descriptif) apparait pertinent comme point de départ. Ainsi, un modèle déjà conçu,
objet de connaissance, est choisi comme terrain de recherche dans la présente étude.
La modélisation de deuxième type (normatif) semble intéressante afin d’approcher
un problème précis à l’aide de l’objet de connaissance qu’est le modèle choisi. Un
projet réel de gestion du changement (et non la gestion du changement comme
59
concept) devient donc un « problème » à résoudre en lui-même par modélisation
normative à partir du modèle de départ, celui-ci objet de connaissance.
En se rapportant de nouveau à la définition de Pidd (2010), il semble plus
difficile par contre d’ancrer une argumentation à l’effet que le modèle est bel et bien
une « représentation » valide d’une partie de la réalité telle que perçu par un (ou des)
acteur. Il est tout autant difficile de démontrer l’impact du modèle sur la qualité de
l’intervention ou de la compréhension de l’utilisateur.
Un modèle en sciences du management doit donc suivre quelques principes
de modélisation, ceux-ci étant inscrits au cœur de la dualité descriptive-normative. Il
est nécessaire de capter la complexité et la diversité offertes par une situation
« réelle ». Contrairement à Ashby (1956) et les tenants de la cybernétique et de la
science du contrôle, Pidd (1996) affirme que le modèle en gestion doit être utilisé par
un décideur. Cette double intention découle l’enjeu épistémologique et
méthodologique, soit de ne pas « mutiler » la complexité tout en simplifiant
l’utilisation du modèle pour l’usager.
Pour ce faire, Pidd (1996) rassemble quelques principes représentatifs de
l’activité de modélisation en sciences du management. Premièrement, afin de
représenter une situation réelle complexe dans un outil simple à l’utilisation, la
modélisation implique un principe de parcimonie. Powell (1995) (dans Pidd, 1996),
mise sur l’importance du modèle « prototype ». Ceci implique de ne pas tenter de
60
modéliser l’ensemble d’une situation complexe à travers un processus de longue
haleine. La notion de pertinence équilibre celle de la validité en prescrivant que le
modèle doit être conçu rapidement en visant le cœur de la situation. Ensuite, de
façon itérative, si le prototype n’est pas abandonné, il sera possible de complexifier
et de sophistiquer le modèle selon la progression des apprentissages qu’il offrira.
Deuxièmement, Raiffa (1982) et Powell (1995) (dans Pidd, 1996) énoncent
qu’ainsi, il est préférable d’élaborer plusieurs modèles simplifiés plutôt qu’un
modèle lourd et englobant qui se révèlera complexe dans son utilisation et surtout
difficile à valider. Cet assemblage de modèles simples permettra une meilleure
compréhension des différentes composantes tout en conservant l’avantage de pouvoir
être mis en relation afin d’en étudier la dynamique.
Troisièmement, l’activité de modélisation implique l’utilisation d’analogies
(Le Moigne, 1987). La compréhension des différentes perspectives du modèle prend
ici plus d’importance contrairement à une approche directe de la problématique.
L’image, la métaphore, peut tout autant aider à la représentation de la situation tout
en étant plus utile et compréhensible.
Quatrièmement, Pidd (1996) affirme que le modèle doit guider la collecte de
données et non l’inverse, soit que les données se doivent d’être assemblées en
modèle représentatif. Il rend explicite la problématique à l’effet qu’il est facile à
cette époque, grâce à d’excellents logiciels informatiques, d’analyser rapidement une
61
banque de données. Il est donc possible d’explorer des résultats, des modèles, a
posteriori de l’étude et ceci peut mener à des agencements statistiques non-fondés
dans la réalité. L’approche est donc très différente dans ses nuances. Plutôt que de
tenter d’expliquer empiriquement l’ensemble du phénomène capté par les données,
ces dernières doivent être collectées selon les suppositions du modèle. La réalité
extérieure n’est donc pas le point de mire, le modèle devient le « constructeur » de
connaissance entre la situation réelle complexe et le chercheur.
Deux approches générales sont possibles et elles regroupent l’ensemble des
modèles produits. Pidd (1996) affirme qu’un modèle peut être conceptualisé selon la
perspective de la « boite noire » ou de la « boite ouverte ». Cette image y est pour
beaucoup lors de l’appréciation de la validité des modèles tout autant qu’elle est
propre aux objectifs inhérents à la modélisation.
Le modèle comme « boite noire »
Cette approche, telle que résumée par Pidd (1996), considère que le modèle
doit tenter de reproduire les interactions du système réel. Cependant, ce dernier étant
complexe et sur-détaillé, il est relativement impossible de le reproduire par
observation directe. Le modèle « boite noire » est un principe qui porte l’attention
sur les intrants et les extrants du modèle et du système réel.
Le modélisateur se doit de tenter (habituellement de façon itérative)
d’élaborer une certaine mécanique qui permet au modèle de reproduire les
62
résultantes du système réel à un niveau acceptable, valide. La qualité des données
« entrantes » et des données « sortantes » est donc centrale selon cette perspective.
Considérant ces données valides et pertinentes, le modèle en « boite noire » a atteint
son objectif lorsque son mécanisme réussit à reproduire ces données « sortantes » du
système réel à partir de données « entrantes » comparables à celles du système
étudié.
Il est à noter que l’ensemble de cette approche repose donc sur la qualité de la
validité prédictive. De plus, cette approche semble être fortement influencée par le
paradigme réaliste positiviste dans une approche mécanique des phénomènes. La
fonctionnalisation, habituellement mathématique, est centrale à l’objectivation des
données et la validité prédictive est presque seule gage de qualité. Par exemple, en
sciences sociales, le modèle comme « boite noire » est au cœur de la modélisation
positiviste en psychologie sous les méthodes quantitatives valorisées dans la
publication à haut niveau d’impact.
Le modèle comme « boite ouverte »
Pidd (1984, 1996) énonce qu’au contraire de la boite noire se trouve une
représentation du modèle qui ne serait ni vraiment noir et que sa structure interne ne
serait pas nécessairement inconnue. Provenant de la théorie des systèmes ouverts à
travers les études de Bertalanffy (1968) et de Landry et Banville (1997) entre autres,
le modèle, tout comme le système, est à la base considéré comme façonné par
l’esprit humain. La compréhension peut donc venir autant de l’observation directe
63
que de l’accès aux créateurs et utilisateurs. L’attention n’est plus portée sur les
« entrants-extrants », mais sur la comparaison des mécanismes internes du modèle et
du système.
Cette comparaison directe amène plusieurs difficultés pour la validation de
modèle. Une approche quantitative offre plusieurs points d’ancrage à des tests de
validation tels que les distributions de Poisson et de Weilbull en simulation. Par
contre, une telle méthode implique presque toujours des objets de recherche
directement quantifiables dans les travaux académiques en recherche opérationnelle.
Par comparaison, une approche qualitative apporte aujourd’hui encore plusieurs
débats dans la communauté universitaire. Dans tous les cas, le modèle n’est plus un
objet objectivable. L’approche « boite ouverte » et les validations qu’elle impose
s’inscrivent dans le processus même de la modélisation selon Pidd (1996). La
« boite » n’est donc pas un produit fini, mais un objet de recherche en construction
impliquant les sources de connaissances telles que les modélisateurs et les
utilisateurs.
Peu importe le type de modèle, Willemain (1994, 1995) et Pidd (1996)
précisent que la modélisation est habituellement présentée comme un processus
rationnel et linéaire. Ils remarquent qu’en management cet exercice en est un de
débrouillardise, en ce sens que le modélisateur/chercheur peut tirer profit de
certaines observations concernant les réflexions et perceptions des acteurs sur le
terrain (incluant lui-même). Il peut tenter de changer de perspective pour se tirer
64
d’une impasse ou adapter le modèle selon les données recueillies en cours de route. Il
est entendu que ce cheminement n’est pas nécessairement rigoureux ou valorisé,
même s’il est souvent observé chez les modélisateurs en sciences du management.
Le modélisateur/chercheur en gestion est donc constamment confronté à la
nécessité de rassembler des éléments de validation sur le modèle tout autant que d’en
étudier la pertinence pour l’action et la décision (Landry et al., 1983; et Oral et
Kettani, 1993). De plus, celui-ci a une double fonction en ce qu’il doit faire
progresser la connaissance de son objet par la publication académique tout en
développant des savoirs actionnables par les managers (Avenier et Schmitt, 2007;
Avenier, 2009).
Pour conclure, l’élaboration des types et des paradigmes fondamentaux de
modèles en gestion du changement, l’étude d’une définition intégratrice du concept
de modèle en gestion, ainsi que la mise en lumière des principes à la base de
l’activité de modélisation ont été traités ci-haut. Ce chapitre a présenté les bases
épistémologiques et méthodologiques permettant d’ancrer le positionnement de la
stratégie de validation du modèle qui fait l’objet du prochain chapitre.
3 La validation du modèle
Les recensions au sein de la présente thèse n’ont trouvé aucune publication
propre à la validation de modèles en gestion du changement. Le domaine de la
recherche opérationnelle en sciences du management présente un courant de
publication qui porte précisément sur la question. Le présent chapitre étudie le
développement épistémologique et méthodologique du concept de « validité » en
recherche opérationnelle. L’objectif de ce chapitre est, à la lumière de ce parcours,
d’identifier une approche qui peut convenir à la problématique de cette thèse en
gestion du changement. Ceci en considérant le positionnement épistémologique du
modèle tel que formalisé en introduction et conceptualisé selon ses paradigmes
fondamentaux (chapitre 2) associés aux intérêts du développement des connaissances
en gestion du changement (chapitre 1).
3.1 Les difficultés et les obstacles généraux de l’étude de la validation
La validité n’est pas sans problématique dans une telle multiplicité d’intérêts
se rangeant habituellement entre l’utilité (ou la pertinence) et la valeur scientifique.
La quête de méthodes de validation de modèles s’avère difficile puisque d’un côté,
plusieurs universitaires dont l’objet de recherche est « soft » considèrent que le terme
« validation » ne correspond pas à leur approche (i.e. Denzin et Lincoln, 1998;
Hammersley, 1987). Ils préfèrent alors utiliser d’autres termes reflétant d’autres
principes, tels que : fiabilité, pertinence, plausibilité et crédibilité (Winter, 2000).
D’un autre côté, certains universitaires tentent d’intégrer la notion de validité dans la
66
relation coûts/bénéfices (Churchman, 1970)4. Considérant cette difficulté inhérente
au manque de consensus dans la documentation en recherche opérationnelle et en
management, Zebda (2003) tente une recension récente des types de validités. Il est
considéré ici que l’ensemble des termes énoncés ci-haut tels que fiabilité, pertinence,
etc. sont représentés par le concept large de « validité scientifique » en modélisation.
Souvent les modèles publiés ont fait l’objet d’une quelconque validation dans
un objectif principal visant à outiller le décideur avec précision et crédibilité. Ces
modèles sont principalement normatifs en ce qu’ils tentent d’offrir des guides à
l’action. Il est à noter que ceux-ci portent principalement sur certains outils ou
certaines approches spécialisées et spécifiques. Ceci exclut habituellement et en
grande partie la dimension humaine de la modélisation et de son projet. Ces modèles
sont habituellement considérés « hard5 ». Par exemple, de tels modèles portent sur
les mécanismes de capacité de production (i.e. Arer et Ozdemirel, 1999), sur la
computation de données en sciences aérospatiales (i.e. Oberkampf et Trucano, 2002),
sur les « systèmes experts » (i.e. Finley, Forsey et Wilson, 1988), sur le traitement de
l’information, sur l’automatisation à l’aide d’outils informatiques particuliers (i,e,
Brennan et Dention, 2004; Irvine et Levary, 2002) ou sur la gestion des stocks.
Technique, mathématique et informatique s’appliquent ici à des objets managériaux
dits « hard ». Les auteurs de ces modèles proposent donc des méthodologies de
validation parcimonieuses et spécifiques à leur objet précis de recherche.
4 Par contre, note Zebda (2003), la notion quantitative associée à cette relation apparait difficilement
applicable aux modèles de prise de décision. 5 Selon Lemons (2008) les sciences dites « hard » sont perçues comme objectives et rigoureuses.
Leurs méthodes reposent sur des faits empiriques et quantitatifs. Certains infèrent même que ce sont
les seules sciences que l’on peut classifier sous le paradigme de la Méthode Scientifique.
67
Quelques auteurs élaborent des principes généraux afin d’attirer l’attention
sur l’importance de certaines formes de validation particulières, tels que Zeigler
(1976) discutant que l’importance de la validation dans un cadre expérimental, et
Lane (1995) attirant plutôt l’attention sur le contexte d’utilisation du modèle dans la
considération d’une méthode de validation. Il est possible de conclure que même si
la recherche opérationnelle traite habituellement de problématiques à l’aide
d’approches dites systémiques, elle traite habituellement de problématiques
spécifiques nécessitant des techniques difficilement généralisables à la modélisation
« soft » en sciences du management. Cette dimension dite « soft » qualifie une
approche qui porte des dimensions attitudinales, psychologiques, émotionnelles,
comportementales et des interrelations entre acteurs organisationnels réflexifs et la
transformation de leur environnement schématique, l’organisation.
Les auteurs s’intéressant à la validation de modèle en soi sont relativement
rares (Finlay et Wilson, 1987; An Operational Research Society National Event,
1983). Il serait difficile de recenser les méthodes de validation utilisées à travers
l’ensemble de la documentation universitaire. La validation semble à ce point
fréquente et intégrée dans les pratiques que souvent ses postulats sont, ou référencés
et considérés comme valables sans explicitations, ou rejetés de prime abord selon des
arguments épistémologiques. De plus, il semble selon Zebda (2003) que les
processus de validation de modèles sont difficiles à recenser et à étudier étant donné
la grande confusion sur le choix même des termes utilisés à travers les publications6.
6 Voir Zebda (2003) pour une énumération étendue des différents termes employés.
68
Afin de procéder à une description des types de validités majeures en
recherche opérationnelle il appert important de définir ce qui est entendu comme
processus de validation tout en intégrant certains mécanismes connexes tels que la
vérification. Une définition classique et fréquemment citée est celle de Fishman et
Kiviat (1968) qui définissent le processus de validation comme étant : « les tests de
correspondance entre le comportement du modèle et celui du système réel faisant
l’objet de la modélisation ». La vérification, un terme fréquemment utilisé dans les
études qui se rapportent à la validation, est plus spécifique à un outil (habituellement
informatique) et elle est définie comme : « le processus qui tente de démontrer que le
programme informatique fonctionne tel que supposé » (Gass, 1983). Finlay et
Wilson (1987) affirment que la vérification est statutaire du niveau de confiance
envers le modélisateur. Tandis que la validation est statutaire du niveau de confiance
du client envers le modèle.
Dans un premier temps et selon un objectif méta-analytique, les
regroupements des types de validités de Zebda (2003) sont recensés (la validité
logique, la validité prescriptive, la validité descriptive et la validité prédictive). Les
avantages et les enjeux de ces quatre méta-catégories et leurs dimensions sont
étudiés à l’aide d’une exploration de la documentation universitaire à cet effet.
Toujours dans l’objectif de déterminer ce qu’est un modèle valide en gestion du
changement, il importe de porter un regard sur les validités en général pour ensuite
identifier et positionner une méthode opérationnelle de validation. Cette présentation
positionne donc les termes et les principes généralement reconnus par l’ensemble des
69
auteurs. Du coup, il est inévitable d’y observer les impasses majeures face au
consensus recherché.
Dans un deuxième temps, une impasse majeure est identifiée quant aux
multiples critiques adressées aux méthodes de validation dites « subjectives » et
inter-reliées à trois des quatre méta-catégories. Ces critiques apparaissent
importantes étant donné la difficulté ou même l’impossibilité d’utiliser les méthodes
dites « objectives » ou quantitatives dans l’étude de la gestion du changement.
Dans un troisième temps, quelques constats généraux au développement des
connaissances et des pratiques en termes de validation de modèle sont élaborés. Cette
partie présente une perspective constructive face aux impasses rapportées. Plus
particulièrement, le regard est posé sur le débat entre les validités « subjectives » et
les validités « empiriques ».
Dans un quatrième temps, il appert important de positionner la distinction
précise entre les méthodes de validation dites « hard » et celles dites « soft ».
Toujours dans l’objectif d’identifier ce qu’est un modèle valide en gestion du
changement et ainsi proposer une méthode opérationnelle, cette distinction et ses
fondements permettent d’identifier une avenue de recherche. Cette dichotomie n’est
pas traitée avec une approche opposant les deux positions. Au contraire, il est
proposé que cette dichotomie pourrait être une dualité pouvant mutuellement
renforcer la rigueur de ses deux penchants.
70
Dans un cinquième temps, la dualité épistémologique entre les objets de
recherche « hard » et « soft » permet d’identifier deux types opérationnels aux
méthodologies de validation de modèle. L’intérêt de cette section est qu’elle apporte
une certaine portion d’ « action » et de technique à la notion de validation de modèle.
Les méthodes de validation d’outils d’aide à la décision (« hard ») et les méthodes
par structuration de problème (« soft ») aident à identifier certaines propositions
méthodologiques ancrées dans les fondements de la validité scientifique énoncés
dans ce chapitre. Le présent chapitre tente de récupérer les méthodes les plus
consensuelles et reconnues à travers ces deux types de travaux, même si rares sont
les auteurs en management à poser directement cette question quant aux
méthodologies de validation de modèle. Donc, du débat entre « objectivité » et
« subjectivité » découlerait deux champs de recherche distincts, la recherche
« hard » et la recherche « soft » respectivement. Deux méthodologies générales
semblent s’être cristallisées entre ces deux campements épistémologiques, la
validation d’outils d’aide à la décision (« objectifs », « hard »), la validation par
structuration de problème (« subjectifs », « soft »). Il est à noter que tous deux
peuvent mener à des travaux descriptifs comme normatifs.
Finalement, dans un objectif de ne pas réinventer la roue et de récupérer au
mieux possible les avantages du développement des connaissances quant à la
validation de modèle, la présente thèse identifie et présente un modèle
méthodologique théoriquement optimal : celui d’Oral et Kettani (1993). Celui-ci est
71
ancré directement en amont du parcours de la production de connaissance étudié
dans le texte qui suit.
3.2 Les types généraux de la validité
Cette partie dresse un portrait étendu des types de validités, leurs implications
et leurs enjeux. Le concept de validation y est étudié dans un sens large en ce qu’il
intègre les notions connexes de vérification et de légitimation rapportées en
introduction de ce chapitre. L’objectif visant à spécifier ce qu’est un modèle valide
en gestion du changement est étudié à plusieurs niveaux et de façon étendue dans ce
premier temps. L’intérêt de cette première partie est d’étudier le développement
général du concept de validation afin d’assurer que la subséquente
opérationnalisation ne porte pas inconsciemment les problématiques provenant du
manque de consensus dans la documentation tel que rapporté ci-haut dans le texte.
3.2.1 La validité « logique »
La validité « logique » traite de la dimension conceptuelle du modèle. Mock
et Vasarhelyi (1978) affirment que pour démontrer une validité « logique » les
conclusions tirées du modèle se doivent de respecter les prémisses socialement
partagées de la logique. Plus particulièrement, ces enjeux et prémisses relevant de la
« logique » sont : 1) la précision des calculs mathématiques, le flux du traitement des
données à travers le système modélisé et les résultats obtenus en cours d’analyse; 2)
que des variables importantes ne sont pas oubliées (Gass, 1983; Schellenberger,
1974).
72
Cette logique, si elle est respectée, est supposée mener à la résolution du
problème de façon compréhensive et légitime. Cependant, ces auteurs observent
qu’il n’y a pas de consensus au niveau de ce qu’est la validité logique. Celle-ci
semble correspondre beaucoup plus à un processus subjectif qu’empirique selon
Zebda (2003).
Afin de ne pas être qualifié de « subjectif » Schellenberger (1974), Gass
(1983) et Zebda (2003) proposent de remplacer ce type de validité par un renvoi, 1) à
la validité prédictive afin d’interpréter si les résultantes du modèle correspondent bel
et bien aux résultantes connues ou attendues dans la documentation ou la pratique, 2)
à la validité descriptive (d’hypothèse) afin d’interpréter le niveau de validité lié à
l’utilisation des mathématiques en modélisation, 3) à la validité d’ « objectifs » afin
d’interpréter si le modèle répond bel et bien à ce qu’il affirme répondre dans la
réalité. Au final, la validité logique vise la « traduction » langagière (habituellement
informatique ou mathématique) de la conceptualisation à l’outil applicable à une
problématique (Landry, Malouin et Oral, 1983).
Il semble que la validité logique, rejetée par plusieurs auteurs pour son
subjectivisme, s’applique principalement aux modèles normatifs plutôt que
descriptifs. Le tableau V présente les implications épistémologiques de la validité
logique.
73
Tableau V: La validité logique
Validité logique
Renvoi à : Inclus le sous-type :
Validité prédictive Validité d’ « objectif »
Validité descriptive
3.2.2 La validité prescriptive
Les validités prescriptive et descriptive sont souvent utilisées par les
béhavioristes et les tenants de la théorie de l’utilité attendue. Les premiers cherchent
à statuer sur le niveau d’optimisation dans la réalité des actions prescrites par le
modèle. Tandis que les deuxièmes cherchent à savoir comment les décisions/actions
sont prises dans la réalité, celles-ci étant censées être représentées dans le modèle.
Ainsi, la validité prescriptive se rapproche beaucoup de la validité descriptive et
toutes deux semblent problématiques dans leur application.
Comment interpréter l’optimisation ou la correspondance de la description
des actions si ces actions sont intégrées dans une approche provenant du regard
imposé par le modèle lui-même? Selon Zebda (2003) cette problématique renvoi le
modélisateur vers les validités prédictives et logiques. En effet, la logique tenant à la
nature « fermée » du modèle/outil, cette même logique est garante de son pouvoir
descriptif ou prescriptif.
74
Landry, Malouin et Oral (1983) scindent la validité prescriptive en deux
types : la validité expérimentale et la validité opérationnelle. La première pourrait
être catégorisée ici comme prescriptive dans son cadre large. Cette validité porte une
attention particulière au mécanisme de l’outil modélisé et visant la prescription d’une
solution. La notion d’efficience dans la production d’une solution et la notion de
sensibilité aux variations des observations captées par l’outil sont importantes à
valider. Ce type de validité est très technique et nécessite un processus itératif de la
part du modélisateur voulant raffiner les résultantes de son outil.
La deuxième, la validité opérationnelle, s’apparente aussi beaucoup à la
description générale du type prescriptif rapporté par Zebda (2003). Landry, Malouin
et Oral (1983) proposent d’évaluer la « qualité et l’applicabilité des solutions et
recommandations » en portant une attention particulière aux utilisateurs du modèle et
à l’utilité face à une situation managériale problématique. La finalité vise donc à
guider l’usager dans l’acceptation de la solution et donc dans la justification des
ressources requises par la prescription de l’outil.
La validité prescriptive expérimentale semble être applicable aux modèles
descriptifs, tandis que la validité prescriptive opérationnelle semble être son
penchant normatif. Le tableau VI présente un résumé des implications générales de
la validité prescriptive.
75
Tableau VI : La validité prescriptive
Validité prescriptive
Renvoi à : Inclus :
Validité prédictive Validité descriptive
Validité logique
3.2.3 La validité descriptive ou conceptuelle
La validité descriptive vise à interpréter le niveau de correspondance entre les
suppositions faites par le modèle et la situation réelle. Au sens large, la validité
descriptive en est une de paramètres (de variables). Elle teste si les hypothèses du
modèle, au sujet des variables qu’il contient, correspondent aux hypothèses
accordées aux faits observés (Gass, 1983; Schellenberger, 1974; Van Horn, 1971;
Zebda, 2003).
Dans une application spécifique requérant l’utilisation des mathématiques,
Zebda (2003) simplifie la validité descriptive à une validité dite « mathématique » et
fondée sur l’interprétation des fonctions programmées. Landry et al. (1983)
proposent que la validité conceptuelle (descriptive au sens de Zebda) vise à : 1)
déterminer si la perspective entreprise face au problème est juste, 2) juger si cette
perspective mènera à une solution pertinente, 3) vérifier le niveau de correspondance
entre le modèle conceptuel et la situation au niveau des interrelations entre les
variables modélisées. Il appert que la validité descriptive ou conceptuelle est propre
76
aux modèles descriptifs habituels à la recherche en gestion du changement. Le
tableau VII présente les implications générales de la validité descriptive.
Tableau VII : La validité descriptive
Validité descriptive
Renvoi à : Inclus :
Aucune Validité de paramètre
Validité d’hypothèse
Validité mathématique
3.2.4 La validité prédictive
La validité prédictive est aussi connue sous le nom de validité statistique ou
convergente. Cette dernière formulation dénote une connotation positiviste dans son
utilisation à travers la recherche quantitative en psychologie par exemple. En
psychologie, la documentation à fort impact est souvent quantitative et procédant à
travers un mécanisme de validation positiviste et empirique incluant, entre autres,
une validité prédictive nommée convergente7.
La validité prédictive peut être considérée selon deux types : 1) la prédiction
des comportements du décideur, 2) la prédiction des résultantes du modèle
considérant un flux d’intrants-extrants. En d’autres mots, la solution proposée par le
7 Voir à cet effet American Educational Research Association, Psychological Association & National
Concil on Measurement in Education (1999).
77
modèle doit être analysée comparativement aux comportements réels du système.
Plus précisément à l’étude du management et de l’ingénierie, la validité prédictive
peut accorder plus d’importance aux résultantes du système réel en considérant que
la résultante n’est pas nécessairement une finalité, ni une décision, mais une
résultante de ce que le modèle mesure seulement. Ce type de validation, provenant
de plusieurs disciplines scientifiques dites « réalistes », est largement utilisé en
recherche opérationnelle, en management, en économie, en sciences cognitives et en
psychologie. La question des « données » a donc été passablement traitée à travers
ces documentations. À travers les affirmations de Zebda (2003) les études en
recherche opérationnelle présentent habituellement trois ancrages possible afin
d’offrir un minimum de comparatif empirique dans l’objectif de prédire le système
réel à partir du modèle, soit : 1) obtenir des données passées sur le système réel
étudié, 2) obtenir des données futures (suite à l’utilisation du modèle et répétitives
dans le temps), 3) obtenir des données simulées (par un modèle autre que celui
étudié). La validité prédictive apparait elle aussi comme étant fortement reliée aux
modèles descriptifs. Le tableau VIII présente les implications générales du type de
validation prédictif.
Tableau VIII : La validité prédictive
Validité prédictive
Renvoi à : Inclus :
Aucune Validité statistique
78
Pour conclure au sujet de ces types de validité généraux il appert important
de recenser quelques problématiques qui en découlent. Ces types étant importants
aux notions de la légitimité, de la rigueur et de la validité des savoirs universitaires et
prescriptifs, leur importance tacite les positionne en tant qu’arguments ou objets de
critiques. De l’ensemble de ces avantages et des enjeux généraux étudiés ci-haut, une
problématique semble être centrale et généralisable à plusieurs enjeux, soit ce
qualificatif de « subjectivité ».
La présente thèse ne prend pas position quant au débat objectif-subjectif.
Toujours dans cet objectif d’une dualité constructive entre ces deux dimensions, il
est reconnu ici que les méthodes dites « objectives » sont importantes comme gages
de rigueur et de validité. Le domaine d’étude de la gestion du changement n’étant
pas propice aux recherches qualifiées ici d’objectives, la prochaine section tente
d’étudier les antécédents et les conséquences de ce qualificatif de « subjectif ». Cette
étude pourrait établir les enjeux importants à traiter afin d’élaborer sur ce qu’est un
modèle valide en gestion du changement.
3.3 Les enjeux « subjectifs » des types de validation
De nombreux auteurs remettent en doute plusieurs types de validation en
recherche opérationnelle (Zebda, 2003), tout comme en sciences sociales. Plusieurs
remettent aussi en doute de nombreux outils qualitatifs (Hammersley, 1987). Des
quatre catégories recensées par Zebda (2003) seule la validité prédictive est
considérée, sous certaines approches, comme étant empirique et valable au point de
79
vue scientifique. Il est à noter que la validité dite prédictive est interdisciplinaire et
s’est donc vue grandement influencée par les relents du paradigme réaliste tout en
obtenant une attention particulière sous plusieurs perspectives différentes,
indépendantes, mais complémentaires sous sa formule largement acceptée dans la
documentation universitaire. Il est possible de remarquer que même si la
modélisation en sciences du management se réclame de l’approche systémique et
qu’à cette dernière il pourrait se rattacher un paradigme constructiviste, l’influence
du paradigme réaliste dominant vient compliquer le débat dans ce champ de la
connaissance.
L’enjeu de la validité logique
La validité logique est le sujet de plusieurs critiques et ne semble pas s’être
implantée comme un type reconnu par la communauté universitaire en sciences du
management sans un besoin continuel de se justifier. Gass (1983), Schellenberger
(1974) et Becker et McClintock (1967) (dans Zebda, 2003) rejettent la valeur
accordée à la validité logique parce que les méthodes qui y sont associées sont
essentiellement subjectivistes. Il est à considérer que la validité logique propose
l’analyse purement rationnelle et linéaire de la formulation du modèle relativement
aux intentions qu’un tel modèle présente au sujet du réel managérial. Ne pouvant
connaitre l’ensemble de la situation telle que suggéré par Becker et McClintock
(1967), ni ne pouvant concevoir les « règles acceptées de la logique » de Mock et
Vasarhelyi (1978), la validité logique ne peut s’appliquer tel quel à une approche
subjectiviste ou interactionniste. Ceci rejoint du même coup les lacunes des autres
80
types de validité présentées dans ce chapitre. Cependant, il appert que les principes
de la validité logique sont importants dans l’intérêt de cette thèse qui tente d’étudier
autant la forme normative que descriptive du modèle. Une méthodologie rigoureuse
de la validité logique appliquée aux modèles normatifs semble manquante.
L’enjeu de la validité prescriptive
Les critiques adressées à la validité prescriptive dérivent sensiblement du
même argument que les précédents types. En fait, rapporte Zebda (2003) et
Shoemaker (1982), si le modèle guide la collecte de donnée, tel que spécifié par Pidd
(1996) plus haut dans le texte, et que ces données sont comparées aux résultantes de
performance dans le système réel, le cadre de référence demeure d’une certaine
façon « biaisé » dans son appréciation de la performance. Ce pourquoi ces auteurs
proposent les principes de la validité prédictive afin d’outrepasser cette impasse. La
forme normative du modèle est particulièrement critiquée par les académiques à ce
sujet. Ce type de validité propre au modèle comme objet de transformation est donc
très important à considérer.
L’enjeu de la validité descriptive/conceptuelle
Zebda (2003) note que la majorité des modèles de décision proposés posent
leur intervention en réponse aux lacunes des suppositions des modèles
précédemment conçus. Donc, au niveau de la validité descriptive, si chacun
indépendamment démontre une validité par supposition (hypothèse), celle-ci est
subjective et sans fondements partagés et reconnus. La complexité de la situation
recherchée par l’approche systémique fait en sorte qu’il est très difficile de pouvoir
81
interpréter une hypothèse portant sur un extrant comportemental. Cet extrant est
redevable d’un nombre indéfini de variables en plus d’être inscrit dans une
temporalité. Zebda (2003) ajoute, par les mots d’Elmaghraby (1968), que le modèle
est une représentation simplifiée de la réalité, il est impossible d’observer un niveau
clair de correspondance entre les suppositions du modèle et le système réel. Il
demeure alors que la validité par hypothèse requiert une approche propre au
paradigme réaliste (Marschak, 1965) visant la description du réel dans une
perspective nomothétique.
Cette critique peut être argumentée et contre-argumentée à la fois par les
propositions de Landry et al. (1983). Ceux-ci, dans les années 80 avec Sagasti et
Mitroff (1973) et Mintzberg (1980) affirment que la validité conceptuelle
(descriptive) est négligée en recherche opérationnelle. À l’époque il semblait difficile
de démontrer la validité d’une telle méthode. Landry et al. (1983) et Oral (1981a,
1981b) expliquent qu’une situation peut être décrite par plusieurs perspectives
différentes menant toutes à une solution similaire. Comme l’expliquent ces derniers,
la validité conceptuelle a été négligée puisque les approches habituellement
positivistes des chercheurs ont créées une scission entre modélisateurs et usagers qui
ne s’entendent que rarement sur l’importance accordée aux différents éléments des
modèles. Ceci complique passablement la légitimation de la dimension descriptive
du modèle (Landry, Banville et Oral, 1996). Ainsi, autant les formes descriptives que
normatives du modèle sont affectées par le manque de consensus et de méthodologie
au niveau de ce type de validité primordial.
82
L’enjeu de la validité prédictive
La validité prédictive est habituellement opérationnalisée à l’aide de l’outil
mathématique. Les objets de recherche « hard » obtiennent donc leurs outils de
validation computationnels. Pour ce qui est des objets « soft », comme Zebda (2003)
le souligne, ce sont habituellement les béhavioristes qui utilisent ce type de validité
et qui réussissent à développer une certaine fonctionnalisation mathématique en
modélisation. Il est à noter que les béhavioristes portent leur attention sur le
comportement observable des acteurs organisationnels. Par contre, la présente thèse
inclut les dimensions conative et cognitive équilibrant et complexifiant du même
coup l’inscription de ce comportement dans une action organisée à travers un
environnement social.
Il est possible de présenter les quatre grandes catégories de validation traitées
ci-haut à l’aide du tableau IX.
Tableau IX : Les quatre méta-types de validation selon les approches dites
empirique et subjective.
Validation empirique Validation subjective
Prédictive Logique
Prescriptive
Descriptive
83
Il est aussi possible d’intégrer une classification selon les deux formes du
modèle au sein de ces quatre types de validité (tableau X). Il semble intéressant de
remarquer à l’aide de ce tableau que la forme normative du modèle ne semble pas
traitée de façon reconnue à l’aide d’un type de validation empirique. L’objectif ici,
soit d’étudier la validation d’un modèle hybride (descriptif et normatif) en gestion du
changement, se voit une fois de plus justifié.
Tableau X : Classification des méta-types de validation selon la forme
canonique du modèle et l’approche de validation.
Forme canonique/validation Empirique Subjective
Descriptive Prédictive Descriptive
Normative Aucune
Logique
Prescriptive
Il est important de noter que la reconnaissance accordée à un type de
validation repose sur la nature des données recueillies et analysées. La nature de ces
données semble se baser en partie sur la forme (descriptive, normative) du modèle
requis par une situation managériale donnée.
En conclusion, les enjeux des types de validations semblent inscrits dans la
problématique soulevée. La documentation universitaire à ce sujet ne semble pas
84
démontrer de méthodes de validation consensuelles ou reconnues afin de traiter
directement de ces enjeux fondamentaux de la modélisation. La section qui suit
présente les constats préliminaires concernant la production de connaissance sur la
validation de modèle. Ces constats ont comme objectif d’intégrer les observations
présentées ci-haut dans une optique constructive cherchant à élaborer une méthode
de validation opérationnelle au modèle en gestion du changement.
3.4 Constats préliminaires
Suite à cette mise en lumière des grandes catégories de validation en sciences
de la gestion, il appert important de positionner quelques constats épistémologiques
et méthodologiques. Ceux-ci permettront la poursuite de l’élaboration d’une
opérationnalisation d’un modèle valide en gestion du changement. La notion
d’hybridation du modèle comme objet de transformation et comme objet de
connaissance est au centre des constats suivants.
Que le modèle soit normatif ou descriptif, les acteurs doivent se l’approprier
comme guide à l’action réflexive et il doit du même coup guider l’étude du
chercheur. Les trois dialectiques identifiées en introduction se retrouvent toujours en
toile de fond jusqu’à la notion de validation de modèle. Au départ, le modèle en tant
qu’objet de connaissance devient projet d’action duquel il faut tirer une légitimité et
une validité. Cette validité découle donc autant du modèle de la connaissance que du
modèle comme guide à l’action. Ainsi, il est important d’étudier les fondements de la
validité de modèle à travers l’observation du traitement de l’enjeu réservé à la nature
85
des données façonnant ces modèles dits valides. La notion de validité est
habituellement rapportée comme étant reliée autant à la nature des données
recueillies et analysées qu’à la « scientificité » des méthodologies référencées. Les
prochaines lignes traitent de ces deux constats avant de formuler trois constatations
majeures.
Premièrement, la nature des données intégrées à l’activité de modélisation
semble importante dans l’applicabilité des types de validation, ainsi que dans
l’appréciation de leur soi-disant objectivité et leur scientificité. Landry, Malouin et
Oral (1983) proposent de porter une attention particulière à cette problématique par
l’élaboration du concept de « validité de données ». Les données servent à travers
tout le processus de modélisation afin de produire un outil autant qu’à démontrer sa
validation et sa légitimité (Landry, Malouin et Oral, 1983; Landry, Banville et Oral,
1993). Les termes fondamentaux sont: « la précision, la pertinence, la disponibilité et
la quantité ». Trois types de données sont nécessaires à la modélisation (Forrester,
1980, dans Landry et al., 1983). Les données « mentales » (cognitives) et « écrites »
sont les matériaux de la conceptualisation du modèle. Tandis que les données
« numériques » (quantitatives) servent à formulation d’un outil applicable. La
différente nature et les différentes sources possibles sans compter les différentes
utilisations envisageables de ces types de données font en sorte de diversifier
énormément les techniques de validation, de vérification et de collecte.
86
Deuxièmement, les méthodes de validations subjectivistes et (et
habituellement normatives) sont considérées par plusieurs comme étant non-
scientifiques. En effet, la recherche opérationnelle modélise et supporte la prise de
décision afin de contrecarrer les lacunes du jugement humain et par le fait même,
établit des critères de validation reposant sur le jugement humain (Einhorn et
Hogarth, 1981; dans Zebda, 2003). Les types de validation subjectivistes pourraient
mener à rejeter un bon modèle ou l’amener à une sur-complexification qui n’est pas
nécessaire. Par exemple, si un gestionnaire n’aime pas ou n’accorde pas
d’importance à un élément théorique fondamental du modèle et que ce gestionnaire
fait partie des procédures méthodologiques requises pour l’approbation ou la
validation des dimensions visées par le modèle, ce gestionnaire invalidera le modèle.
Cette généralisation est applicable à l’ensemble des types de validité traités ci-haut.
Comme Lillen (1975) (dans Zebda, 2003) le suggère, le chercheur peut se voir
ajouter une ou des variables sans intérêt (pour lui) dans le modèle seulement afin que
le gestionnaire lui accorde un certain niveau de validité. Cette question apparait
fondamentale à la validation d’un bon modèle dans sa forme normative.
Suite à ces observations, il est possible de procéder à trois constatations
majeures guidant cette recherche. 1) Le débat empirique versus subjectif vient
compliquer la tâche de recension des méthodes de validation reconnues dans le
domaine autant pour les formes normatives que pour les formes descriptives du
modèle tel qu’explicité ci-haut et cristallisé dans le tableau X. 2) Il est possible de
constater au sein du présent chapitre que les types de validités laissent beaucoup de
87
place au débat quant à la nature des données recueillies dans la validation de
modèles. Qui plus est, aucun de ces types n’offre de méthode de validation
opérationnelle et spécifique au modèle comme projet de connaissance
interactionniste, ainsi que comme objet de transformation en gestion du changement.
3) Il semble que certains outils en recherche opérationnelle reconnus par la
communauté scientifique sont habituellement quantitatifs et qu’une méthode de
validation y est habituellement associée avec un niveau technique opérationnel
relativement reproductible, mais s’appliquant à un sujet d’étude « hard ».
Afin d’éviter le débat opposant l’empirisme au subjectivisme (constat 1) il est
nécessaire de porter une attention particulière aux opérationnalisations plus précises
des types de validité (constat 2) à travers les sous-champs plus précis des sciences du
management (constat 3).
Champion et Wilson (2010) tentent précisément de trouver les méthodologies
de validation propre aux modèles portant sur des objets de recherche « soft » en
étudiant les types de validation reconnus des modélisations d’objets « hard ». Ceux-
ci n’approchent pas la validation de façon générale telle que Zebda (2003), mais
plutôt de façon spécifique afin de tirer certaines leçons d’applications concrètes des
validations recensées. Ainsi, ils proposent d’étudier la validation des « outils d’aide à
la décision », dont l’objet d’intérêt est « hard », afin d’en faire profiter les
« méthodes par structuration de problème », dont l’objet de recherche est « soft ». La
88
distinction entre les notions « soft » et « hard » et les implications épistémologiques
et méthodologiques qui en découlent sont traitées dans la prochaine partie.
3.5 La distinction « soft » et « hard » et ses implications
Rosenhead (2006) argue que les méthodes de validation traditionnelles ne
semblent pas convenir aux modèles « soft » en sciences du management. Finlay et
Wilson (2000) et Anastasakis, Olphert et Wilson (2007) recensent les méthodes de
validation et les variables de contingences qui entrent en relation avec la notion de
validité. La distinction entre les objets « soft » et « hard » du modèle apparait comme
étant importante dans ce courant de recherche. Il y a donc des méthodes plus
« hard » visant la validation d’outil « d’aide à la décision ». D’autres méthodes sont
plus subjectives et moins techniques, mais moins consensuelles et elles s’appliquent
aux « méthodologies par structuration de problème ».
Les outils d’aide à la décision, comme le nom l’indique, visent à aider les
décideurs en ayant recours à des outils d’information guidant la décision de façon
éclairée et technique. Ces modèles sont habituellement formalisés dans un système
informatique, un logiciel, une simulation, un tableur. Cette documentation au cœur
de la recherche opérationnelle obtient l’attention de plusieurs universitaires quant à
l’élaboration de méthodes de validation. Le niveau technique semble très avancé et
relativement généralisable tel que le suggère Anastasakis, Ophert et Wilson (2007)
en lien avec l’étude portant sur la validation d’outils d’aide à la décision sur tableur
de Finlay et Wilson (2000).
89
Le projet de connaissance de la présente thèse est propre au domaine de la
gestion du changement et il sera observé à travers la dialectique de l’individu et de
l’organisation en transformation telle que rapportée en introduction. Il a été démontré
que ce domaine d’étude nécessite le façonnement de modèles « soft », même si les
types et méthodes de validation reconnus sont habituellement « hard ».
Face à cette apparente contradiction, il est important de mobiliser le travail de
Champion et Wilson (2010) qui se sont intéressés au transfert des apprentissages
concernant la validation d’outils d’aide à la décision aux méthodes par structuration
de problème. L’exploration de ce « pont » méthodologique entre les modèles d’outils
d’aide à la décision (plus aisément reconnus comme valides) et les impératifs d’une
méthodologie par structuration de problème plus adaptée à la recherche dite « soft »
est au cœur de la réponse apportée ci-dessous.
La prochaine partie présente certains apprentissages relativement récents à ce
sujet. L’étude spécifique de ces méthodes par structuration de problème, de leurs
avantages et de leurs enjeux opérationnels, permet à la présente thèse d’aboutir à un
positionnement quant à ce qu’est, théoriquement, un modèle valide en gestion du
changement.
90
3.6 La validation des « méthodes par structuration de problème »
Ces méthodes sont utilisées dans des situations d’incertitude quant aux
causes des problèmes rencontrés et aux décisions à prendre pour améliorer une
situation problématique (Champion et Wilson, 2010).
La complexité inhérente à ces situations incertaines requiert une approche
holistique fondée sur un pragmatisme au profit de l’utilisateur autant que sur des
méthodes de validation rigoureuses (Champion, 2005; Champion et Wilson, 2010).
Ces approches, moins techniques et moins « hard », profiteraient d’une validation du
processus de modélisation lui-même (contrairement à l’approche habituelle portant
sur la validation du produit, le modèle). En effet, l’activité même de modélisation de
cette approche implique un niveau de subjectivité et il y est presque impossible de
recourir à l’analyse quantitative (Midgley, 2000; Champion et Wilson, 2010).
Finlay et Wilson (1997) ont élaboré une approche de la validation des outils
d’aide à la décision. Cette méthode met en lumière quatre principes importants à
prendre en considération. Selon Champion et Wilson (2010) ces principes sont
mobilisables afin d’apporter crédibilité et validité aux méthodes par structuration de
problème. Ces quatre principes sont :
1- Recenser les connaissances actuelles au sujet des méthodes de validation
reconnues et s’appliquant à l’objet de connaissance de l’outil d’aide à la
décision.
91
2- Formuler un cadre de validation regroupant les types de validités applicables
à l’objet.
3- Intégrer une étude des variables contingentes à la validation, afin de traiter
autant de la validité de la modélisation comme activité de recherche que du
modèle comme outil (produit) d’aide à la décision.
4- Formuler une méthodologie de validation à partir de types de validités et des
variables contingentes influentes dans le projet de recherche donné.
Considérant ce cadre méthodologique en validation de systèmes d’aide à la
décision, Champion et Wilson (2010) identifient premièrement les types de
validations fondamentales pour la formulation d’outils d’aide à la décision. Par la
suite, ils tentent une comparaison avec les pratiques de validation au sein des
méthodes par structuration de problème.
La validité logique, déjà explicitée ci-haut apparait importante dans ces
applications précises. Concernant les méthodes par structuration de problème :
« Le modèle est formulé comme un outil illustrant les principaux
éléments du problème à un niveau suffisant pour susciter le débat
chez les participants. Les modèles sont validés par un processus
cherchant une appréciation du problème, ainsi que par le
développement d’idées permettant au groupe d’utilisateurs
d’avancer à travers ce processus » (Champion et Wilson, 2010, p.
1422) (Traduction libre).
92
Ensuite, une validité reposant sur le modélisateur lui-même est rapportée
comme importante. Contrairement au développement d’outil d’aide à la décision, la
méthode par structuration de problème semble requérir que le modélisateur, dans son
processus de validation, travaille avec l’utilisateur du modèle. De cette relation peut
découler une validité et même une légitimité ajoute Landry, Banville et Oral (1996).
Un autre principe de validité qui se verrait partagé entre les deux types de
travaux est un type dit général ou holistique. Celui-ci est important en ce que le
modèle est conçu dans un processus itératif et collaboratif entre les acteurs
organisationnels ou les décideurs et le modélisateur. De plus, comme le note
Checkland et Holwell (1998), le modèle lui-même peut être utilisé pour retracer le
processus parcouru afin d’ancrer une certaine validité à travers son utilisation.
Ensuite, la validité des données est mise de l’avant tel que décrit de façon
générale plus haut dans le texte. Champion et Wilson (2010) observent que cette
validité est quelques fois utilisée dans les méthodes par structuration de problème
lorsqu’il est nécessaire de recueillir de l’information au sein de parties prenantes. Ils
spécifient que la validation passera donc par la modélisation du processus même de
collecte de données, habituellement sous la forme d’une conversation structurée. Par
contre, ils notent que ce type est relativement absent des travaux en structuration de
problème.
93
Un dernier type de validation, la validité de l’interface, est absent des
méthodes par structuration de problème. L’outil formel, produit pragmatique de la
modélisation opérée par le chercheur d’une méthode par structuration de problème,
ne semble pas obtenir autant d’attention que lors de la validation d’outils d’aide à la
décision. Ces derniers, comme mentionné précédemment, sont habituellement
informatiques ou mathématiques. Ils sont intégrés dans une plateforme qui se doit
d’être utilisable et légitime. Il apparait ainsi plus évident de procéder à une validation
de la plateforme formelle adressée à l’utilisateur, contrairement aux méthodes par
structuration de problème habituellement plus dialectiques.
Champion et Wilson (2010), Champion (2005) et Finlay et Wilson (1997)
reconnaissent que l’approche « soft », déterminante des travaux par structuration de
problèmes, apporte quelques particularités à considérer lors de l’élaboration d’un
cadre de validation. Plutôt que d’ajouter au débat non-consensuel des types de
validation généralisables, Champion et Wilson (2010) notent huit facteurs de
contingence spécifiques à la méthode par structuration de problème aidant à
considérer les obstacles potentiels. Ces facteurs sont obtenus à l’aide de
consultations auprès d’experts en validation de modèle en recherche opérationnelle.
De plus, ils semblent accorder une importance implicite particulière à l’hybridation
des formes du modèle, normative et descriptive. Ils semblent autant appliquer
l’impératif de la validation à l’objet de connaissance qu’à l’activité de construction
de cet objet entreprise par l’universitaire, soit la modélisation. Ces huit facteurs
sont :
94
1- L’expérience des parties prenantes
2- La structure organisationnelle
3- L’influence de l’environnement externe
4- Le type de résultante et la nature des livrables attendus
5- Les enjeux politiques et les personnalités impliquées
6- L’étendue de l’historique du problème
7- Les difficultés de mise en œuvre de la solution
8- Le type de méthode par structuration de problème utilisée
En résumé, la distinction entre les travaux « hard » en modélisation d’outils
d’aide à la décision et les travaux « soft » par les méthodes par structuration de
problème est identifiée. Un niveau de précision supplémentaire est ajouté en étudiant
les enjeux particuliers de ces deux types de travaux. Ainsi, les leviers d’intervention
qui leurs sont propres en rapport à la validation sont identifiés. L’activité même de
validation (en plus de la validation de l’objet qu’est le modèle, le produit) est un
enjeu au sein des méthodes par structuration de problème. Huit principes sont
nommés afin de guider la réflexion quant à la validation de modèle dits « soft » qui
semblent être en manque de reconnaissance au niveau de la rigueur et de la validité.
L’ensemble des éléments traités dans cette partie, celle-ci guidée par les constats
préliminaires, mènent à un retour à la problématique. Quatre constats
supplémentaires sont énoncés dans la prochaine partie qui vise à identifier ce qu’est
un modèle valide en gestion du changement.
95
3.7 Constats supplémentaires
Suite à l’étude de ces particularités, quatre constats supplémentaires sont
proposés à l’étude de la validation de modèle « soft » par structuration de problème.
1) La complexité traitée par les méthodes de structuration de problème apporte son
lot de difficultés et aucun consensus n’est apparent dans la documentation récente à
cet effet. 2) La possibilité d’utiliser les méthodes quantitatives semble avoir été
écartée des méthodes par structuration de problème. Ces méthodes quantitatives
semblent pourtant garantes de validité normative comme descriptive au sein des
autres approches en sciences du management. 3) Tout comme les types de validation
génériques identifiés plus haut (logique, descriptive, prescriptive, prédictive), les
principes et les facteurs contingents reconnus comme important lors de la
considération du processus de validation, ne sont pas opérationnalisés et restent donc
généraux. En d’autres mots, les principes théoriques sont posés, il faut maintenant
élaborer une méthode opérationnelle de validation de ce type de modèle. Ces
principes et ces facteurs contingents sont fondamentaux dans l’élaboration d’une
réponse opérationnelle à la question posée par cette thèse. 4) L’ensemble des auteurs
cités affirment que la méthode par structuration de problème, par la complexité
qu’elle traite, doit établir sa validité par l’activité même de modélisation tout autant
que par la validité de son produit, le modèle. Ainsi, l’objet qu’est le modèle et
l’activité qu’est la modélisation devraient être entremêlés dans l’opérationnalisation
d’un modèle valide en gestion du changement.
96
Un groupe d’auteurs8 se penche précisément sur le processus même de la
modélisation en sciences du management et ils considèrent que la validité repose en
grande partie sur le processus de validation et non seulement sur le modèle comme
finalité. Ils proposent l’élaboration d’un cadre méthodologique qui intègre autant les
propriétés du modèle que la validation de l’activité de modélisation et les obstacles
spécifiques à la dynamique complexe de l’approche systémique en modélisation. La
prochaine partie présente ce cadre méthodologique en détail.
3.8 Le « tétraèdre de la modélisation-validation »
Landry, Malouin et Oral (1983) retrouvent cinq phases qui sont inhérentes au
processus de validation de modèle : 1) la validation conceptuelle, 2) la validation
logique, 3) la validation expérimentale, 4) la validation opérationnelle, 5) la
validation des données. Ces auteurs critiquent les retombées positivistes des
méthodes quantitatives habituellement utilisées et misent plutôt sur une approche
téléologique ou constructiviste portant sur le processus de modélisation.
Le modèle visant l’aide à la décision, la validation se trouve donc dans le
processus décisionnel. En voici les cinq éléments retenus par Landry et al. (1983) :
1) l’identification des parties prenantes, 2) la formulation des objectifs du modèle, 3)
l’identification des facteurs critiques, 4) la démonstration du niveau de confiance du
modèle, 5) l’identification des couts relatifs aux éléments du modèle.
8 Ce groupe d’auteurs élabore leur approche de façon progressive à partir des suggestions de Landry,
Malouin et Oral (1983), Déry, Landry et Banville (1993) et Oral et Kettani (1993) pour ne citer que
les travaux centraux.
97
Landry et al. (1983) et Oral et Kettani (1993) tentent de répondre à cette
problématique en cherchant à intégrer la méthode de validation à la méthode de
modélisation. Les traitements de la pertinence pragmatique et de la rigueur
universitaire sont fondamentaux à la solution qu’ils proposent. Dans un cadre
épistémologique constructiviste et afin de répondre à des situations réelles
complexes, la notion de pertinence est intégrée ici à l’exercice de rigueur. La rigueur
dans l’activité de modélisation du chercheur prend beaucoup d’importance afin de
produire 1) de la connaissance praxéologique actionnable par les acteurs des
situations réelles, 2) de la connaissance académique valide, sinon valable, pour le
développement de la connaissance à travers le processus de publication universitaire
(Avenier, 2009; Oral et Kettani, 1993). Ces auteurs proposent quatre éléments de la
modélisation propres à la recherche en sciences du management en général. Ces
quatre éléments ancrent les activités du modélisateur à travers l’image d’un tétraèdre.
Il est à noter que les différents exemples rapportés dans cette documentation
académique reposent la plupart du temps sur l’optimisation de systèmes
organisationnels, tels que la planification des déplacements, les chaines de
production et la prise de décision. Le projet ici tente de mobiliser le cadre
méthodologique d’Oral et Kettani (1993) à un objet de recherche dit « soft » par la
prédominance que prennent ses éléments humains.
Aussi, ces auteurs ne font pas de différences claires entre le niveau supérieur
et globalisant de ce qu’est la validation et le niveau spécifique à un problème
identifié, la vérification. La présente thèse propose que ce modèle soit généralisable
98
aux deux niveaux de modélisation identifiés par Finlay et Wilson (1987), soit
validation et vérification.
La prochaine partie présente le modèle de validation et ses fondements
théoriques selon la version la plus récente et détaillée, soit celle d’Oral et Kettani
(1993). À ce jour, aucune étude ne semble avoir intégré l’ensemble de cette
proposition à travers une méthodologie de recherche en gestion du changement, ni en
sciences du management.
Suite à cette présentation, un argumentaire est élaboré afin de démontrer la
pertinence de la sélection de ce modèle théorique comme structure méthodologique à
l’opérationnalisation d’un modèle valide en gestion du changement. Afin de détenir
les éléments nécessaires à cet argumentaire, le « tétraèdre de la modélisation-
validation » sera étudié en détail selon trois grandes sections : 1) L’élaboration des
quatre objets du modèle, 2) les impératifs propres aux quatre grands enjeux
inévitables de la modélisation, et 3) les neuf types de validité découlant des objets et
activités précédentes.
3.8.1 Les quatre objets du modèle
L’activité de la modélisation porte sur quatre éléments en particulier : la
définition de la « situation managériale », l’élaboration d’un « modèle conceptuel »,
l’opérationnalisation d’un « modèle formel » et la spécification de la « solution ».
Ces activités, notent Landry et al. (1983) et Oral et Kettani (1993), ne sont pas
99
considérées comme étant des étapes linéaires. Contrairement à une approche
positiviste, ces activités sont itératives, dans le sens où le façonnement de l’une
apportera la nécessité d’une révision ou d’un enrichissement de l’autre. Les activités
menant à l’élaboration des quatre objets du modèle sont donc interdépendantes, une
intervention sur un objet peut fort probablement avoir des incidences sur un autre. La
figure 5 présente le tétraèdre de la modélisation-validation tel qu’introduit par Oral et
Kettani (1993).
Figure 5: Le tétraèdre de la modélisation-validation selon Oral et Kettani (1993)
100
La situation managériale
La définition de la « situation managériale » retient une attention particulière.
Cet élément est conceptuel dans le sens où il correspond à une situation telle que
perçue par les différents acteurs en jeu (Smith, 1988). Tel que le proposent les
dialectiques identifiées en introduction de la présente thèse, le chercheur est inclus
comme partie prenante co-constitutive de la conception de l’objet « situation
managériale ».
Le cadre proposé à cet objet est relativement large et laisse la place autant à
la définition d’un « problème » précis de gestion qu’à une prise de conscience plus
abstraite de la part de certains acteurs face à une situation complexe donnée. Oral et
Kettani (1993) précisent alors que « l’effort managérial » justifiant la modélisation
porte sur la « résolution » d’un problème. Pour toute autre situation managériale,
l’effort peut tout aussi bien être dirigé vers « l’évaluation », la « prédiction » et
« l’analyse » pour le moins qu’elle outille les acteurs et qu’elle raffine leurs
perspectives. La définition de cet objet permet ainsi d’inclure les deux approches
étudiées plus haut, soit les outils d’aide à la décision et les méthodes par structuration
de problèmes.
Le modèle conceptuel
Le « modèle conceptuel » est un élément fondamental reposant sur la
situation managériale. Celui-ci se doit d’être une « image cognitive » cohérente de la
101
représentation de la situation managériale chez le chercheur et les praticiens (Landry
et al., 1983; Oral et Kettani, 1993). Cet objet doit inclure :
1- L’identification de points d’entrées pour faire face à la situation.
2- Les buts et les objectifs déterminés.
3- Les éléments de la « situation managériale » pris en compte (informant
donc sur les exclusions).
4- La hiérarchisation de ses différentes composantes.
5- Les interrelations entre ses différentes composantes.
6- La constatation ou la prévision des contraintes sur les ressources
(humaines, financières et matérielles).
7- La nature de ses hypothèses inhérentes.
Le modèle conceptuel prend donc la place de la « problématique de
recherche » propre aux études positivistes et empiriques; il est tout autant dépendant
du niveau de connaissance sur la situation dans la documentation universitaire.
Cependant, il implique un ajout à l’effet que puisqu’il repose sur la définition de la
« situation managériale » et que celle-ci repose sur les différentes parties prenantes
impliquées, la définition de la « situation managériale » étant tributaire de l’échange
entre les acteurs et leurs capacités cognitives, le modèle conceptuel s’en retrouve tout
aussi redevable.
102
Le modèle formel
Le « modèle formel » est la concrétisation, la représentation du « modèle
conceptuel ». Son rôle est d’exprimer ce dernier par un langage pertinent et
actionnable. Ceci, habituellement par les mathématiques ou les statistiques, sinon par
des graphiques ou des tableaux. L’objectif de cette formalisation réside dans la
systématisation de « solutions optimales » dans l’étude de la situation managériale.
Le « modèle formel » est l’objet expérimental face au réel. Il doit correspondre le
plus fidèlement possible au modèle conceptuel afin de traiter la situation sans
modifier les systèmes interprétatifs du réel. Les auteurs laissent tout de même la
place à ce que celui-ci n’inclut pas l’ensemble des caractéristiques du modèle
conceptuel étant donné l’objectif de formalisation pragmatique derrière cet élément
dit « formel ».
La solution/décision
L’objet « solution/décision » constitue la résultante de l’activité de
modélisation en recherche opérationnelle. Il peut prendre plusieurs formes; il n’est
pas limité à la prescription d’une décision objective en tant que telle9. Une
conclusion en termes de « décision », de « solution » ou de « recommandation » est
envisageable. Ce dernier terme offre la possibilité que la résultante de l’activité de
modélisation soit un éclaircissement d’une situation, une évaluation des possibilités
menant nécessairement à une recommandation plus ou moins précise, mais au
minimum pertinente et légitime (Oral et Kettani, 1993; Landry, Banville et Oral,
9 Ce qui serait l’objectif d’une branche plus précise de la recherche opérationnelle, soit la « science de
la décision ». Celle-ci est définie par Roy (1993) comme étant : « une branche de la science dont
l’objet est la recherche de vérités objectives dans la prise de décision et dont le postulat est
l’optimalité ».
103
1996). Il n’est donc pas attendu que le modèle « capture tous les aspects
comportementaux humains et organisationnels dans une situation managériale
donnée » (Oral et Kettani, 1993, p.219).
Les quatre objets du modèle ont leurs propres particularités indépendantes
dans la conception d’un processus de modélisation-validation. Selon Oral et Kettani
(1993), non seulement une attention devrait être accordée aux objets, mais plus
particulièrement les enjeux propres à leurs interactions sont importants. La prochaine
partie traite de ces quatre enjeux de la modélisation. Ils sont l’avancée principale
d’Oral et Kettani (1993) dans le domaine.
3.8.2 Les quatre enjeux de la modélisation
Oral et Kettani (1993) font progresser les quatre éléments identifiés par
Landry et al. (1983) en y ajoutant une dimension supplémentaire. Ceci permet au
tétraèdre de retenir plusieurs principes méthodologiques itératifs et complémentaires
visant la captation de la complexité de la situation managériale. Ils élaborent donc
cette proposition sous la forme du tétraèdre présenté précédemment à la figure 4.
Les problématiques de la modélisation en recherche opérationnelle sont
représentées par les quatre facettes du tétraèdre. Chacune de celles-ci rassemble
toujours trois objets sur les quatre identifiés ci-haut. La présente section rapporte ces
enjeux et obstacles permettant ainsi de passer par la suite à une synthétisation de la
proposition à travers les interventions et les principes de validation qui en découlent.
104
Les fondements théoriques de ces enjeux sont étudiés afin de permettre
l’argumentation en faveur du choix du tétraèdre d’Oral et Kettani (1993) dans
l’objectif de répondre à la question de la présente thèse quant à ce qu’est un modèle
valide en gestion du changement.
L’enjeu prototypique
Figure 6 : Illustration de l’enjeu prototypique
La figure 6 illustre la conceptualisation de la facette prototypique. La
problématique dite « du prototype » se situe dans la triade « situation managériale » -
Situation managériale
Modèle conceptuel
Modèle formel
Décision
Facette prototype
105
« modèle formel » - « solution/décision ». La finalité de cette problématique vise
l’atteinte d’une certaine qualité de la décision proposée par le modèle. La question
du prototype est classique en recherche opérationnelle. En fait, plus la situation réelle
est bien interprétée et étudiée, plus il sera facile pour le modélisateur d’y appliquer
un modèle formel adéquat et précis.
Cet objectif nécessite plusieurs activités itératives et systémiques.
Premièrement, la mise en œuvre de la décision est au cœur de cet enjeu, l’efficacité
et l’efficience en sont les critères. Deuxièmement, le processus de résolution lui-
même a une importance afin d’en arriver à une décision/solution. Troisièmement, la
formulation du modèle attire l’attention sur cette nécessité de traduire la situation
réelle en « solutions techniques efficientes ou de mises en œuvre efficaces » (Oral et
Kettani, 1993, p.220). En ordre, les trois côtés de la facette « prototype » sont
traités par l’élaboration des principes ci-hauts: « décision/solution » et « situation
managériale », « modèle formel » et « décision/solution », « situation managériale et
« modèle formel ».
106
L’enjeu descriptif
Figure 7 : Illustration de l’enjeu descriptif
La figure 7 illustre la conceptualisation de la facette descriptive. La
problématique descriptive se situe dans la facette qui regroupe les éléments :
« situation managériale », « modèle conceptuel » et « modèle formel ». La
scénarisation est fondamentale pour cette facette du tétraèdre. L’étude approfondie
de la situation managériale en est l’objectif à travers une analyse du système
organisationnel en jeu ainsi que des critères reconnus comme prédictifs ou
importants.
Les activités nécessaires au traitement de l’enjeu « descriptif » requièrent
« l’analyse et la conceptualisation » du problème à résoudre. Un modèle formel doit
Situation managériale
Modèle conceptuel
Modèle formel
Décision
Facette descriptive
107
être élaboré en se basant, entre autres, sur le modèle conceptuel déjà existant. La
« capacité explicative ou prédictive » du modèle formel doit être testée. À cet effet,
les auteurs rapportent des critères importants tels que : « la crédibilité, la fidélité,
l’utilité, la convivialité et les forces et faiblesses ». En ordre, les axes du tétraèdre
étant impliqués sont: la situation managériale et le modèle conceptuel, le modèle
conceptuel et le modèle formel, le modèle formel et la situation managériale.
L’enjeu pragmatique
Figure 8 : Illustration de l’enjeu pragmatique
Situation managériale
Modèle conceptuel
Modèle formel
Décision
Facette pragmatique
108
La figure 8 illustre la conceptualisation de la facette pragmatique. La
problématique du pragmatisme concerne l’urgence ou la complexité du problème à
résoudre. Elle implique les éléments : « situation managériale », « modèle
conceptuel » et « décision », laissant de côté le modèle formel. Par manque de temps,
parce qu’il n’est pas possible de produire un modèle formel satisfaisant à la
complexité de la situation ou parce que la connaissance académique au sujet de la
situation managériale n’est pas complète, la facette pragmatique devient une priorité
en modélisation. Pour y répondre, l’expérience, le jugement, les connaissances et les
préférences des acteurs pertinents prennent encore plus d’importance.
Ceci implique de porter une attention particulière à la prise de décision à
partir du modèle conceptuel. Pour ce faire, il est important de relever les schèmes
cognitifs des acteurs impliqués dans la situation managériale (incluant le chercheur).
Oral et Kettani (1993) comparent cet enjeu à une forme de validité prescriptive.
109
L’enjeu théorique
Figure 9 : Illustration de l’enjeu théorique
La figure 9 illustre la conceptualisation de la facette théorique. La
problématique théorique est foisonnante en termes de nombre de publications en
recherche opérationnelle selon Oral et Kettani (1993). En fait, elle correspond à la
phase de « recherche » faisant abstraction de la situation managériale. Elle n’inclut
que les éléments de modèle (conceptuel et formel) en plus d’une attention portée sur
la « solution/décision ». La généralisation des connaissances au niveau conceptuel
est au centre des activités de formalisation du modèle formel.
Situation managériale
Modèle conceptuel
Modèle formel
Décision
Facette théorique
110
Les rôles de « modélisateur » et de « résolveur » sont de mise par la
mobilisation des objets « modèle conceptuel », « modèle formel », « décision ».
L’attention plus particulière accordée à l’axe « modèle conceptuel » - « décision »
témoigne du contraste entre les facettes théorique et pragmatique. Plutôt que de
tenter de trouver des solutions basées sur l’élaboration du modèle conceptuel, le
principe est inversé et met maintenant plutôt l’accent sur la vérification. Suivant la
décision, il convient de vérifier si elle convient et s’inscrit dans le modèle conceptuel
préalablement élaboré.
Suite à la description des quatre objets et des quatre enjeux associés, le cœur
méthodologique du tétraèdre réside dans le traitement de neuf types de validation.
Ceux-ci apportent une précision importante à la méthode par structuration de
problème (« soft »). Ainsi, les quatre types généraux de validité présentés en début
de chapitre sont intégrés de façon spécifique. Ces neuf types de validation sont
présentés dans la partie suivante et composent les principes théoriques de
l’évaluation de la validité d’un modèle en gestion du changement.
3.8.3 Les neuf types de validation
Les éléments de la modélisation étant identifiés, leurs enjeux associés ayant
été relevés, Oral et Kettani (1993) établissent les neuf types de validation découlant
111
directement du tétraèdre. Ils ont des ancrages à travers plusieurs méthodes
empiriques et réalistes autant que systémiques et constructivistes.
Ces neuf types de validation sont présentés ci-dessous. Leurs fondements
théoriques apparaissent très importants selon la présente étude en ce qu’ils
s’appliquent à la méthode par structuration de problème de projets de connaissances
« soft ». Les deux prochains chapitres, qui visent l’opérationnalisation et
l’appréciation d’un modèle valide en gestion du changement, récupèrent ces
fondements théoriques afin d’évaluer l’opérationnalisation d’un modèle valide en
gestion du changement.
Formulation
La validité de formulation propose d’établir un mécanisme rigoureux qui
permet l’analyse des liens entre le modèle formel et la situation managériale. La
question importante porte sur la représentation de la situation managériale dans le
modèle formel. L’efficience de la recommandation produite est donc en partie
redevable à la validité de formulation. Oral et Kettani (1993) énoncent deux
exemples représentatifs de la recherche opérationnelle à cet effet10
. Comme ils le
soulignent, la problématique du prototype et de la validité de formulation ont été
largement traitées dans la documentation universitaire à travers des études portant
sur « le contrôle d’inventaires, le transport, la tâche de vendeur représentant, la
planification de flotte de véhicules, la planification de la production… » (Oral et
Kettani, 1993, p.224).
10
Voir Oral (1981) et Waters (1988).
112
Légitimation
La validité de légitimation s’inscrit dans une approche pragmatique ou
l’élaboration d’un modèle formel est ou impossible, ou mise de côté temporairement
afin de miser sur l’activité entourant le modèle conceptuel. Ainsi, comme l’explique
Oral et Kettani (1993) : « tout ce qui doit être fait formellement pour répondre aux
validités logique et expérimentale se doit d’être fait de façon informelle et qualitative
pour la validité de légitimation » (p.230). La qualité des prescriptions doit être mise
en relation avec la justesse du modèle conceptuel à travers un mécanisme de validité
de légitimation. Cette qualité inclut :
- Une hausse de détail perçu quant à la situation managériale
- Un niveau d’acceptabilité au sein de l’organisation
- Un niveau d’engagement de la part des gestionnaires
- Un niveau appréciable d’applicabilité
- Une utilité dans la prise de décision
Précision
La validité de précision implique d’évaluer la « capacité du modèle formel à
constater les enjeux et les prises de conscience au niveau de la situation
managériale » (Oral et Kettani, 1993, p.228). Bien entendu, comme pour la validité
de légitimation, l’utilité du modèle formel est importante. Ainsi, la
« représentativité » et le « synergisme » sont les indicateurs primordiaux à l’accueil
113
de mécanismes d’évaluation. Ceci plus particulièrement pour une situation
managériale très complexe et étendue selon Oral et Kettani (1993).
Vérification
La vérification dirige l’attention sur la dimension théorique dans le sens où la
situation managériale réelle n’est pas considérée. Par principe, elle implique une
justification de l’utilité potentielle pour une quelconque situation managériale
d’utiliser une modélisation théorique et son produit. Plus techniquement, six
éléments sont à considérer:
- Le niveau de correspondance entre les modèles formel et conceptuel.
- Les avantages du modèle formel comparativement à d’autres
propositions.
- La « supériorité » et l’ « accessibilité » des « solutions techniques »
résultantes du modèle.
- La nature des solutions proposées.
- Le niveau de contribution au développement des connaissances.
- Les exigences en termes de données.
Expérimentale
Trois éléments importants doivent être évalués pour établir une validité
expérimentale basée sur les solutions apportées par le modèle. Premièrement, la
qualité de la solution est constatée par une hausse du niveau de compréhension de la
114
situation managériale suite à l’utilisation du modèle; par une sensibilité du modèle
suite à des fluctuations des éléments; par un niveau d’acceptation des solutions
proposées; par un niveau d’applicabilité des solutions proposées; par un niveau
d’utilité dans la formulation de la solution (Oral et Kettani, 1993, p.225).
Deuxièmement, l’efficience de la solution doit être constatée par les implications en
termes de temps, d’efforts et de coûts. Troisièmement, il importe de spécifier les
attentes face à la typologie de la solution dans le cadre d’une matrice 2 X 2 en
considérant qu’elle peut être de nature « exacte », « heuristique » ou « essais-et-
erreurs». Le tableau XI présente cette matrice d’aide à la modélisation.
Tableau XI : Classification des attentes face à la formulation des solutions
Visée/Formulation Implicite Explicite
Optimale
Satisfaisante
Opérationnelle
La validité opérationnelle telle que définie par Oral et Kettani (1993) vise à
évaluer la capacité du modèle formel à produire des solutions efficientes et efficaces
pour les décideurs de la situation managériale réelle. Cinq éléments sont considérés:
1- La convivialité du modèle formel : évaluée par le niveau de compréhension
des utilisateurs; le niveau de volonté et de préparation des décideurs; les
115
niveaux de disponibilité et de fiabilité des données requises; le niveau des
ressources allouables au processus.
2- L’utilité du modèle formel : évaluée par le niveau de résolution de la situation
managériale; le niveau de compréhension de la situation apportée par le
modèle formel; le niveau d’amélioration de la communication entre les
parties prenantes; le niveau de coordination des efforts autour du modèle par
les décideurs; le niveau de motivation de la part des décideurs par rapport à
l’utilisation du modèle formel.
3- Le temps requis par l’utilisation, la mise à jour et l’entretien du modèle
formel.
4- Le synergisme du modèle formel : évalué par le niveau de pertinence de la
solution apportée relativement aux décisions passées.
5- Les couts d’utilisation : Autant au niveau des salaires en consultation interne
ou externe, qu’en équipement ou en cueillette de données.
Conceptuelle
Comme elle est définie par Oral et Kettani (1993), la validité conceptuelle
peut aussi « être considérée comme une opération qualitative capturant l’essentiel de
la situation managériale telle que perçue par les acteurs pertinents » (p.226). La
captation de la situation managériale par le modèle conceptuel repose alors sur
l’approche méthodologique entreprise face à ces parties prenantes. Il est important de
préciser : 1) qui sont les parties prenantes, 2) comment seront-elles mises au courant
de la situation managériale, ou comment l’a voient-elle déjà, 3) les objectifs
116
poursuivis par l’activité de modélisation, 4) les éléments de la définition de base de
la situation managériale au sens de Checkland (1981), 5) les éléments de construit du
modèle qui permettent l’appréciation d’un sens à la situation managériale, 6)
l’appropriation du modèle conceptuel par les décideurs.
Logique
La validité logique a comme principe de base d’assurer une formulation du
modèle conceptuel et des relations entre ces éléments à travers un modèle formel
représentatif. Trois approches de formalisation sont possibles et peuvent être utilisées
en alliance : la formalisation mathématique, la modélisation informatique ou la
formalisation linguistique. Aucune de ces approches n’est dominante selon Oral et
Kettani (1993). L’intérêt est plutôt de s’assurer la meilleure intégration
représentative du modèle conceptuel tout en considérant qu’un tel processus de
traduction impose la perte de certains éléments intangibles et pointilleux du modèle
conceptuel. Cependant, tel que démontré dans la partie précédente, le langage
mathématique semble être garant d’une validité plus rigoureuse dans le domaine.
Données
Les données sont le matériau principal de l’activité de modélisation.
Considérées au sens large et non de façon purement objectives, elles sont regroupées
en trois types (Forrester, 1980; dans Oral et Kettani, 1993). Les données
« cognitives » proviennent des schémas cognitifs des parties prenantes de la situation
et elles sont considérées comme étant les plus puissantes. Les données « écrites »
117
sont bien représentées par les méthodes qualitatives classiques. Elles sont
considérées comme étant moins riches puisqu’il est normal de ne pas réussir à capter
tous les aléas de la situation tels que représentés dans les schémas cognitifs des
parties prenantes. Les données « numériques » obtiennent le même descriptif que les
données « écrites », mais sous une formule quantitative. Un alliage de ces trois
matériaux apparait optimal à travers une collecte et une utilisation efficiente des
données. Bien entendu, il importe que ces données, peu importe leur nature, soient :
« suffisantes, précises, appropriées, disponibles, durables, fiables » (Oral et Kettani,
1983, p.222). Au final, la validité accordée à ces données est fondamentalement
redevable des coûts qui leur sont associés.
Les neuf types de validation présentés ci-haut sont intégrés dans
l’opérationnalisation d’un modèle valide en gestion du changement tel que présenté
dans le prochain chapitre. Avant de passer à cette étape, il appert important de faire
un retour sur la justification de ce choix par rapport au tétraèdre de la modélisation-
validation d’Oral et Kettani (1993). Ce retour est opéré dans la partie suivante à
travers une proposition d’un cadre méthodologique permettant de répondre à la
problématique de cette thèse à savoir ce qu’est un modèle valide en gestion du
changement.
3.9 Proposition d’un cadre méthodologique
La présente section propose l’adaptation du modèle théorique d’Oral et
Kettani (1993) en cadre méthodologique structuré et outillant le test de validité d’un
118
modèle en gestion du changement. Ce cadre permettrait de répondre à la
problématique de cette thèse en encadrant une validation opérationnalisée. Les
parties habituelles de la rédaction d’un tel test, Méthodologie, Résultats et
Discussion, font l’objet d’une structuration en ce sens.
Il appert donc que l’activité de modélisation, la définition du modèle et de la
notion de rigueur à travers le concept de validité sont des éléments très diversifiés,
non-consensuels et objets de débats continuels dans la documentation citée en
sciences du management. Il faut considérer que la complexité de l’objet de recherche
est compliquée par celle de l’activité même de modélisation, mais que celle-ci par sa
rigueur peut apporter une validité au modèle comme objet de connaissance et de
transformation en gestion du changement.
La notion de validité, à un niveau générique, n’apparait pas suffisante à
l’élaboration d’une méthode concrète s’inscrivant dans un processus
méthodologique. Les travaux complémentaires de Landry, Malouin et Oral (1983),
Déry, Landry et Banville (1993) et Oral et Kettani (1993), dont le résultat est
présenté dans sa formule la plus récente dans la partie précédente, sont reconnus ici
comme intégrant le plus concrètement possible ce qu’est un modèle valide en gestion
du changement. Ceci autant sous une approche par structuration de problème que
d’outils d’aide à la décision. Surtout, la validité du modèle est intégrée autant au
modèle lui-même comme objet de connaissance valide et pertinent, qu’au processus
119
de modélisation opéré par le chercheur. Les propositions suivantes sont alors
formulées :
Premièrement, le cadre méthodologique représenté par l’actualisation du
tétraèdre modélisation-validation dans Oral et Kettani (1993) offre un cadre
méthodologique théoriquement complet et rigoureux afin de procéder à
l’opérationnalisation d’un modèle « soft » en gestion du changement.
Deuxièmement, les chapitres suivants sont structurés à l’aide du tétraèdre
modélisation-validation. Le chapitre habituellement dit de Méthodologie, ici nommé
l’opérationnalisation des quatre objets du modèle, porte sur l’élaboration des quatre
objets de la modélisation11
. Il présente: 1) des méthodes visant l’élaboration valide et
pertinente des quatre éléments du modèle, 2) des choix méthodologiques afin de
procéder à une validation nommée ici validation d’objet, 3) les données quantitatives
et qualitatives résultantes de la validation d’objet.
Troisièmement, le chapitre habituellement dit Résultat, ici nommé
l’opérationnalisation des quatre enjeux de la modélisation, vise à mettre en relation
les quatre éléments du modèle afin d’en tirer des implications axiomatico-inductives
pragmatiques en termes de connaissances et d’actions de modélisations valides. Ce
chapitre présente : 1) des méthodes afin de traiter les enjeux descriptif, théorique,
pragmatique et prototypique transformant en activité la validation des quatre objets,
2) les choix méthodologiques afin de procéder à une validation nommée ici
11
La situation managériale, la solution, le modèle formel, le modèle conceptuel.
120
validation processuelle, 3) les données quantitatives et qualitatives résultantes de la
validation processuelle.
Quatrièmement, la section habituellement dite Discussion vise à évaluer la
validité du modèle comme objet de transformation en gestion du changement. Les
retombées en termes de validité de l’activité de modélisation sont analysées selon les
neuf types de validité proposées par Oral et Kettani (1993). Ce chapitre présente
dans une première partie ci-nommée Appréciation des neuf types de validité
opérationnalisées : 1) un bref rappel des neuf types de validités, 2) l’éclaircissement
des retombées propres aux choix méthodologiques quant à chacun des types de
validités, 3) les ajustements nécessaires à l’optimisation de la validité du modèle
testé. La figure 10 illustre le cadre méthodologique ci-présent.
121
Figure 10 : Le cadre méthodologique
Note : M= Section Méthodologie; R= Section Résultats; D= Section Discussion.
Par la proposition de ce cadre méthodologique, certains faits et principes sont
assumés:
Premièrement, l’ensemble du tétraèdre est rapporté en contexte théorique.
Celui-ci fait office de formulation des principes importants dans la validation de
modèles en gestion du changement. Il est rapporté en entier puisqu’il est à la base de
Modèle
formel
Modèle conceptuel
Situation managériale
Solution
M
R
D
Prototype Théorique
Pragmatique Descriptive
Légitimation Expérimentale
Conceptuel-le
Opération-nelle
Données
Vérification
Formulation
Précision
Logique
122
l’organisation complète des sections dites Méthodologie et Résultats, et à la structure
partielle de la section dite Discussion.
Deuxièmement, certains outils et méthodes sont utilisés ou élaborés afin
d’opérationnaliser ce processus. L’opérationnalisation proposée est donc confrontée
à une batterie d’évaluation considérée comme représentative du cadre de Landry,
Malouin et Oral (1983), Déry, Landry et Banville (1993) et Oral et Kettani (1993). Il
importe donc d’outiller le chercheur en suivant les principes de ce cadre dans
l’optique d’élaborer un modèle s’inscrivant dans la catégorie des méthodes par
structuration de problème.
Troisièmement, tel que suggéré par les auteurs cités dans la partie précédente,
il est considéré que la méthodologie et les processus de production de résultats sont
itératifs, intra et inter-étapes, ceci contrairement aux méthodes positivistes. Le cadre
suggéré permet de présenter l’activité de modélisation en suivant les principes de
validation de la perspective la plus locale, la validation d’objets, à la perspective la
plus généralisable, les retombées en termes de légitimation du modèle par les
impératifs formulés selon les neuf types de validité. La chronologie des étapes
itératives de la modélisation-validation, ainsi que la présentation linéaire de la
problématique de recherche en gestion du changement sont complexifiées par la
division préliminaire de l’objet de recherche en quatre éléments principaux. Une
approche constructiviste et méthodique s’impose.
123
Quatrièmement, la présente thèse doit faire la démonstration, par l’utilisation
de ce cadre méthodologique, qu’il y a effectivement une validité du modèle à des
fins de production de savoirs publiables et que sa pertinence est aussi valide afin de
produire des savoirs actionnables (Avenier et Schmitt, 2007; Avenier, 2009; Avenier
et Nourry, 1999).
Cinquièmement, en considérant que les auteurs rapportés soulignent la
difficulté ou l’impossibilité d’utiliser les méthodes quantitatives au sein des
méthodes par structuration de problème, il est ici noté qu’une grande importance est
accordée ces méthodes dans l’attribution du qualificatif de valide pour plusieurs
autres objets de recherche en sciences du management. Même si les méthodes
quantitatives servent habituellement d’outils à une approche positiviste ou portant
sur des objets de recherche « hard », une attention particulière est portée à la
mobilisation d’outils quantitatifs référencés, adaptables et transférables à un contexte
de modélisation en gestion du changement, selon une méthode par structuration de
problème.
Ces faits et principes ci-hauts, ainsi que le cadre méthodologique proposé
sont intégrés à l’opérationnalisation d’un test empirique afin de répondre à la
question posée en introduction : qu'est-ce qu’un modèle valide en gestion du
changement?
124
4 L’opérationnalisation des quatre objets du modèle
L’introduction précise que le concept de modèle en gestion du changement
est considéré au centre d’une triple dialectique. Premièrement, le modèle est saisi par
le cycle interdépendant alliant Action et Connaissance tel qu’entendu par Déry
(1990). Deuxièmement, le modèle est saisi par les acteurs qui sont en action de
transformation envers leur organisation, celle-ci transformé, mais aussi contraignante
envers ces acteurs. Troisièmement, le modèle est aussi saisi par le chercheur désirant
faire de son projet de connaissance l’action de transformation organisationnelle. Le
modèle est donc une connaissance mobilisée par le chercheur, il guide son regard et
impose une structure à ses observations. Le modèle est donc tout autant contraignant
envers le chercheur que l’organisation transformée l’est envers l’acteur
transformateur et influencé.
Le premier chapitre présente l’observation que le tournant du millénaire a vu
apparaitre quelques suggestions convergentes au sujet du développement des
connaissances en gestion du changement. Ce domaine d’étude est face à des taux de
succès relativement faibles, même s’il demeure en constante expansion au niveau du
nombre de titres et de perspectives publiés. Miller et al. (1999), Soparnot (2005) et
Rondeau (2008) observent une dichotomie entre les travaux normatifs et les travaux
descriptifs en gestion du changement. Tout comme la dualité Action-Connaissance
(Déry, 1990), ces deux approches ont des implications qui peuvent paraître
paradoxales. Par contre, elles sont affirmées comme étant complémentaires dans
cette thèse. Demers (1999) étudie en parallèle le développement des connaissances
125
en gestion du changement et trouve que la connaissance produite est propre à son
époque de production. L’époque actuelle d’ « apprentissage et d’évolution » semble
requérir des approches complexes et systémiques. Ainsi, afin de traiter ces enjeux, il
y est proposé un passage de l’étude de la gestion du changement à l’étude des
capacités à changer.
La deuxième partie du chapitre 1 étudie les implications épistémologiques de
ce passage vers l’étude des capacités à changer. Une définition détaillée est élaborée.
Un modèle, l’objet d’étude de la présente thèse, est sélectionné comme objet de
connaissance et de transformation, soit celui de Rondeau (2008). Ce modèle convient
au projet ci-présent puisqu’il semble correspondre à l’époque décrite par Demers
(1999). Il tente de réconcilier les courants normatifs et descriptifs tout en
reconnaissant implicitement les besoins de hausser les taux de succès des approches
dans le domaine. Le modèle de Rondeau (2008) est présenté, adapté et justifié à la
fin de ce premier chapitre.
Après avoir fixé d’entrée de jeu ce qui est entendu comme étant la
problématique du modèle en gestion du changement; et après avoir défini un projet
de recherche précis, actuel et justifié dans le domaine, l’étude de la validité de
modèle est lancée. Le deuxième chapitre présente les éléments constitutifs du
concept de modèle en général et une exploration épistémologique à ce sujet.
Toujours deux formes de modèle sont présentées, ce qui correspond à l’entrée de jeu
offerte en introduction, soit il y a des modèles partout et ils sont ou normatifs ou
126
descriptifs. Les fondements généraux de ces deux formes du modèle sont étudiés.
Ceci mène à la mise en lumière des principes méthodologiques fondamentaux du
modèle, peu importe son contexte d’utilisation. L’approche axiomatico-inductive
pragmatique (Le Moigne, 1987) semble correspondre à l’objectif de la présente
étude. À la lumière de cette épistémologie du concept de modèle, le chapitre suivant
propose une étude de sa validation.
Le troisième chapitre présente l’étude de la validation de modèle à partir des
fondements généraux de celui-ci et identifie les typologies générales de la validité.
Pour ce faire, le domaine d’étude de la gestion du changement ne présentant pas de
travaux à cet effet, le courant de la recherche opérationnelle est exploré. Les
implications de la triple dialectique élaborée en introduction sous-tendent l’ensemble
du développement de ce chapitre. Le concept de validité est défini en y impliquant
l’ensemble des concepts dérivés (p. ex. la vérification, la légitimation, etc.). Ce seul
exercice de définition laisse apparaitre de nombreux enjeux qui font en sorte de
dresser un portrait non-consensuel quant à ce qu’est un modèle dit valide. Les enjeux
principaux et pertinents au transfert de ces connaissances vers le domaine de la
gestion du changement sont présentés. L’étude de ces enjeux épistémologiques et
méthodologiques apporte un niveau de précision quant à la généralisation du projet
de connaissance de la gestion du changement. En d’autres mots, certains auteurs ont
su apporter des solutions à ces enjeux propres au développement de modèle dont
l’objet est « soft ». Au final, le tétraèdre de la modélisation-validation semble
pertinent à mobiliser en ce qu’il ne contraint pas la triple dialectique reconnue en
127
introduction, qu’il n’exclût pas une généralisation à la gestion du changement ou
autre domaine dits « soft » ou « très soft », il tente de surmonter plusieurs des enjeux
présentés dans ce chapitre.
Ainsi, le présent chapitre a comme objet de tester empiriquement ce qu’est un
modèle valide en gestion du changement. Le cadre de modélisation-validation d’Oral
et Kettani (1993) est adapté et outillé afin de guider l’opérationnalisation ci-
proposée. Un modèle de gestion du changement (capacités à changer) est sélectionné
afin d’agir comme objet de connaissance et comme objet de transformation. En
d’autres mots, le modèle de Rondeau (2008) est le terrain d’étude de la présente
opérationnalisation. Il est étudié à travers le cadre du tétraèdre de la modélisation-
validation. Il est à noter qu’un troisième niveau de considération doit être pris en
compte, soit le fait que le modèle de Rondeau (2008) est lui aussi appliqué à son
propre terrain de recherche. Ainsi, le tétraèdre encadre l’étude de la validation de
modèle dont le terrain est le modèle de Rondeau (2008); celui-ci, pour être étudié
sert à l’étude de deux projets concrets en gestion du changement, soit ses propres
terrains de recherche. La figure 11 illustre sommairement les différents niveaux
inhérents au test empirique de la réponse apportée à la problématique de la thèse.
128
Figure 11 : Illustration sommaire de l’approche empirique du projet de
recherche
De cette façon, le présent chapitre a comme objectif d’élaborer
empiriquement cette étude de la validation de modèle en gestion du changement en
prétendant apporter trois contributions majeures au développement des
connaissances, soit : 1) présenter une étude épistémologique des éléments constitutifs
du modèle, de l’activité de modélisation, ainsi que les enjeux relevants de la validité.
2) Proposer une adaptation du tétraèdre de la modélisation-validation et l’outiller afin
d’avoir un apport méthodologique à la validation de modèle dits « très soft ». 3)
Conceptualiser de façon valide un outil de gestion du changement s’inscrivant dans
la mise en lumière d’un parcours épistémologique du développement des
connaissances propre à ce courant de recherche.
Test empirique de la validation de modèle en
gestion du changement
Tétraèdre modélisation-
validation
Modèle ancré et adapté des capacités à
changer (Rondeau, 2008)
Deux projets de changements
organisationnels
Objet de
recherche
(1er
niveau)
Objet de
recherche
(2e niveau)
Méthodologie de
recherche
129
4.1 Le choix du projet de connaissance
Le modèle de Rondeau (2008) en gestion du changement a été sélectionné
comme objet de la présente opérationnalisation. La dernière section du chapitre 1
présente ce modèle ainsi que son positionnement dans la perspective du
développement des connaissances en gestion du changement. Ce modèle est l’objet
de connaissance, le point de départ, à l’opérationnalisation de la méthodologie de
validation. Il pourrait être proposé comme un ancrage descriptif de ce qu’est la
capacité organisationnelle à changer à un niveau stratégique. Du même coup, il pose
les bases d’un modèle permettant la compréhension de la gestion du changement. Il
est donc interventionniste et interactionniste à la fois.
Il est considéré ici que la proposition de Rondeau (2008) s’inscrit à travers
une épistémologie constructiviste par l’importance accordée à l’interaction
systémique de l’action organisée et des enjeux de ces actions, plutôt qu’aux acteurs
et leur rationalité ou aux structures organisationnelles. Ce modèle est façonné par
une méthode de conception inductive. Celui-ci dresse les bases théoriques suffisantes
à l’étude du phénomène des capacités organisationnelles à changer tout autant que
d’offrir une grille constructiviste qui peut guider l’intervention du chercheur qui se
doit de compléter l’approche axiomatico-inductive-pragmatique (Le Moigne, 1987).
Le modèle de Rondeau (2008) affirme tenter de réconcilier les courants normatifs et
descriptifs au sein de l’étude de la gestion du changement tout en mobilisant la
proposition de Demers (1999) quant à la suggestion de passer à un mode axé sur
l’étude des capacités à changer.
130
La prochaine section délimite l’objet qu’est le « modèle conceptuel » selon
Landry et al. (1983) et Oral et Kettani (1993). Le modèle tel que Rondeau (2008) l’a
décrit est présenté au chapitre 1 avec quelques ajouts. Ici, l’étude de la proposition de
cet auteur est poursuivie en intégrant certains apports aux différentes dimensions du
modèle dans l’objectif de répondre avec rigueur et complétude à la définition de
l’objet « modèle conceptuel » selon Oral et Kettani (1993). Ensuite, les trois objets
suivants du tétraèdre de la validation-modélisation sont élaborés, soit, dans l’ordre, la
« situation managériale », le « modèle formel » et la « solution ».
4.2 Le modèle conceptuel
La constitution et le contenu offert par la mobilisation des connaissances de
l’étude de Rondeau (2008) sont présentés au chapitre 1. La section qui suit prend en
considération le fait qu’il est possible de procéder directement à l’élaboration de
l’objet « modèle conceptuel » par l’opérationnalisation et la sophistication
méthodologique de la structure offerte par Rondeau (2008).
Cette proposition étoffée à partir du modèle de Rondeau (2008) est soumise
aux impératifs de la phase de « généricisation » d’Avenier et Schmitt (2007),
Avenier (2009) et Avenier et Nourry (1999) ce qui nécessite une réponse aux sept
critères du modèle conceptuel de Landry et al. (1983) et Oral et Kettani (1993) à
travers un exercice de modélisation inspiré de la Soft System Methodology
(Checkland, 1981).
131
4.2.1 Choix méthodologiques
Il importe ici de rappeler les critères d’élaboration d’un modèle conceptuel
selon Landry et al. (1983) et Oral et Kettani (1993) :
1- L’identification de points d’entrées pour faire face à la situation.
2- Les buts et les objectifs déterminés.
3- Les éléments de la « situation managériale » pris en compte (informant
donc sur les exclusions).
4- La hiérarchisation de ses différentes composantes.
5- Les interrelations entre ses différentes composantes.
6- La constatation ou la prévision des contraintes sur les ressources
(humaines, financières et matérielles).
7- La nature de ses hypothèses inhérentes.
Quelques-uns de ces éléments sont respectés a priori dans la présentation du
modèle de Rondeau (2008). Premièrement, le deuxième critère est déjà traité par
l’auteur. Ces buts et objectifs font l’objet du chapitre 1de la présente thèse.
Deuxièmement, les neuf dimensions au croisement des logiques de l’action
considérées et des trois enjeux dits représentatifs d’un projet de changement
organisationnel composent directement les éléments de la situation managériale pris
en compte tel que stipulé par le troisième critère.
132
Troisièmement, les interrelations entre les dimensions sont passablement
définies par Rondeau (2008) dans le chapitre 1. En termes méthodologiques, la
présente thèse résume ces hypothèses par le fait que les neuf dimensions sont
supposées orthogonales, mais inter-reliées. Ceci répond alors au cinquième critère.
La partie suivante vise à élaborer méthodiquement une réponse aux critères
qui ne sont pas traités jusqu’à maintenant, soit les éléments 1, 4, 6 et 7 présentés à la
page précédente.
Dans cet objectif, il apparait nécessaire de procéder à une définition
conceptuelle approfondie des neuf dimensions de la capacité à changer. Cet exercice
permet d’élaborer une première tentative de systématisation hiérarchique du modèle
tel que suggéré, entre autres, par Simon (1969) à travers le principe d’arborescence
du modèle en sciences de l’artificiel.
Apports aux neuf dimensions de la capacité à changer
La section qui suit présente une élaboration conceptuelle reposant sur les neuf
dimensions de la capacité à changer organisationnelle selon Rondeau (2008).
L’objectif de cette section est de définir précisément ces « variables latentes» afin de
permettre l’opérationnalisation du modèle. Pour ce faire, chacune des dimensions a
été explorée, 1) à l’aide de fondements théoriques référencés si possible12
, 2) en
précisant l’interaction entre l’enjeu et la logique d’action donnés, 3) à l’aide de
12
Advenant l’impossibilité de produire des liens directs entre les connaissances inductives de
Rondeau (2008) et l’élaboration conceptuelle ci-présente, les développements reposent en grande
partie sur d’innombrables heures d’entrevues non-structurées avec l’auteur de la proposition.
133
plusieurs consultations et entrevues avec l’auteur original, ceci permettant un niveau
de continuité entre les travaux originaux et la présente étude. Chacune des
dimensions est suivie d’une représentation schématique (au sens de Checkland,
1979) et présentant une arborescence pouvant être considérée comme intégratrice de
trois niveaux hiérarchiques arborescents13
(Simon, 1969).
Vision
Le concept de vision stratégique a été étudié par plusieurs chercheurs et il y a
un manque de consensus à propos d’une définition générale. Fillion (1988) a
d’ailleurs fait une étude approfondie à ce sujet en se basant sur plusieurs auteurs,
dont Tregoe et Zimmermann (1979, 1982), Hennis (1982), Mintzberg et Waters
(1983), Peters (1988), Larwood et al. (1995), Harel et Giasson (1995) et Cossette
(2004). Les définitions de ces auteurs ont été recensées. Les éléments regroupés et
définissant ce qu’est la vision stratégique sont, selon Bourgouin (non-publié):
- La vision stratégique est un acte réfléchi, correspondant à un calcul
d’optimisation et nécessitant un travail d’analyse de l’environnement.
Généralement dans ce cas, stratégie et vision ne font qu’un.
- La vision stratégique doit être réalisable
- La vision porte sur la place précise qu’occuperont certains produits ou
services sur le marché.
13
Le premier niveau est le processus du changement traité (incluant sa résultante), soit la légitimation,
la réalisation et l’appropriation. Le deuxième niveau, pour un enjeu, est composé des trois processus
inhérents à leurs logiques d’action (i.e. vision, modèle, communication). Le troisième niveau
correspond à l’ajout proposé par la présente étude et représentant les éléments composant le processus
de deuxième ordre.
134
- La vision concerne un but à atteindre ainsi que les formes d’organisation (on
parle de vision interne ou externe) et les moyens à mettre en œuvre pour y
parvenir.
- La vision fait partie du processus constant de décision au niveau de la
direction.
- La vision est une forme de leadership ou une configuration de valeurs
organisationnelles
- La vision stratégique est une représentation vague, onirique, idéalisée, de
l’entreprise dans le futur.
- La vision stratégique est une projection valorisante de l’entreprise dans le
futur, elle est une ambition.
- La vision stratégique concerne simplement le but à atteindre sans soucis des
moyens à mettre en œuvre pour y parvenir.
- La vision est une stratégie fondatrice ou stratégie hors structure
- La vision est d’abord une représentation personnelle, mentale, un produit
cognitif qui appartient au dirigeant.
Dans la présente étude il est choisi d’observer la capacité à changer de la
« vision » à partir de la clarté et de la pertinence configurationnelle (Hafsi et Demers,
1999) de l’orientation définie par la direction. En plus d’être claire, cette orientation
doit être mobilisatrice par son urgence (Kotter, 1996), ainsi que portée par un parrain
crédible et légitime (Rondeau, 2008). Le fait de susciter l’engagement affectif est
donc une variable importante du soutien des destinataires envers la vision du projet
135
de transformation (Herscovitch et Meyer, 2002). Il est proposé que les
caractéristiques contextuelles canalisées par un porteur crédible et légitime suscitant
une forme d’engagement affectif des acteurs envers le changement s’inscrivent dans
le processus actionnable qu’est la « vision ». La figure 12 illustre la
conceptualisation de la sous-dimension Vision.
Figure 12 : Représentation arborescente de la sous-dimension Vision
Modèle
L’enjeu de légitimation, dans la logique fonctionnelle, se traduit par
l’importance de statuer sur un modèle du changement. L’effet du modèle nécessite
Vision
Sentiment d’urgence
Porteur crédible
Engagement affectif
Sous-dimensions
136
une documentation des déficiences des processus d’affaires visés, ainsi que de la
solution apportée par le projet de changement. Cette solution doit être identifiée
comme fondée sur les « meilleures pratiques » (Rondeau, 2004) de l’industrie, du
contexte ou de gestion. Cette « image » de la solution envisagée doit être concrète et
partagée d’une façon objective, habituellement à l’aide de données probantes. La
figure 13 illustre la conceptualisation de la sous-dimension Modèle.
Figure 13 : Représentation arborescente de la sous-dimension Modèle
Communication
L’enjeu de légitimation s’observe dans la logique d’action opérationnelle par
la dimension « communication ». La gestion participative est un élément central de
Modèle
Solutions
documentées et partagées
Déficiences documentées et partagées
Sous-dimensions
137
l’observation des succès en plus des incitatifs permettant de démontrer des bénéfices
personnels pour les employés face au changement (Bareil, 2004). Des plateformes
structurelles d’échanges entre les différents paliers hiérarchiques, différentes
divisions fonctionnelles et la constitution d’équipes de travail sont de mise. Ces
plateformes ont comme objectif de contaminer l’organisation en respectant les
principes de la communication dialogique au sens de Collerette, Schneider et Legris
(2003). L’intérêt est de faire circuler l’information dans une logique « top-down »
telle que Kotter (1996) le suggère, ainsi que « bottom up » tel que Beer, Einsenstat et
Spector (1990) le proposent plus spécifiquement. Comme Rondeau (2008) le
souligne : « C’est dans la traduction opérationnelle à travers les pratiques adoptées
que s’observera l’engagement émotif suscité par le projet mis de l’avant ». La figure
14 illustre la conceptualisation de la sous-dimension Communication.
138
Figure 14 : Représentation arborescente de la sous-dimension Communication
Pilotage
L’enjeu de réalisation du changement s’observe dans une logique d’action
stratégique par l’évaluation du « pilotage » du changement. Un « champion » du
changement doit être identifié en premier lieu. Celui-ci se doit d’être positionné dans
une structure établissant une équipe de pilotage sous une gouvernance claire. Surtout,
il doit être accessible et identifiable par les destinataires et les gestionnaires du
Communication
Plateformes structurelles
Gestion participative
Communications dialogiques
Sous-dimensions
139
changement (Bareil, 2004). Le champion (ou le pilote) ainsi que sa structure de
gouverne, doivent présenter des indicateurs de leadership transformationnel plutôt
que transactionnel (Bass, 1990). La figure 15 illustre la conceptualisation de la sous-
dimension Pilotage.
Figure 15 : Représentation arborescente de la sous-dimension Pilotage
Pilotage
Structure de gouvernance
claire
Champion accessible et identifiable
Leadership transformationnel
Sous-dimensions
Comité pilotage
140
Capacité
L’enjeu de réalisation se traduit dans sa logique d’action fonctionnelle par la
dimension de la « capacité ». Il est possible d’emprunter la définition de capacités
organisationnelles à Saint-Amand et Renard (2004) telle qu’utilisée plus haut dans le
texte. Il appert que pour développer la « capacité à changer » nommée « capacité
organisationnelle » il y a une nécessité d’identifier, de développer ou d’utiliser les
ressources (humaines, technologiques) et les compétences cohérentes avec le projet
de changement. De plus, ces ressources et compétences doivent avoir un espace pour
s’opérer selon un certain « savoir-faire » spécifique.
Il est important de noter qu’en plus de cet « espace » nécessaire,
l’organisation doit éviter de surcharger ces ressources et ses compétences. La nuance
apparait importante dans un contexte moderne présentant diverses turbulences
(Rondeau, 2004) et où plusieurs tombent dans le piège du « tant qu’à faire »
Rondeau (2011). En d’autres mots, plusieurs sont tentés d’élargir le projet de
changement afin d’y inclure divers « sous-projets » s’y rattachant. De ce fait, le
système organisationnel se voit surchargé par la subdivision de l’allocation de ses
ressources et compétences. La figure 16 illustre la conceptualisation de la sous-
dimension Capacité.
141
Figure 16 : Représentation arborescente de la sous-dimension Capacité
Effort
Finalement, l’enjeu de réalisation au niveau de la logique d’action
opérationnelle est représenté par la dimension « effort ». Les rôles des différents
acteurs doivent être clarifiés, pour eux-mêmes et pour tous. Le niveau de
Capacité
Connaissance
Identification des ressources
requises
Espace de contingence
Sous-dimensions
Identification des
compétences requises
Import des
compétences/ ressources
142
clarification des rôles doit s’étendre jusqu’à la description claire des responsabilités
de chacun face aux résultats attendus. Le développement des connaissances, des
compétences ainsi que la disponibilité des ressources sont donc très importants pour
favoriser la lente modification des comportements à travers une gestion des priorités
quotidiennes efficace et efficiente. La figure 17 illustre la conceptualisation de la
sous-dimension Effort.
Figure 17 : Représentation arborescente de la sous-dimension Effort
Effort
Motivation
Sous-dimensions
Résultats attendus
spécifiques
Établissement clair et partagé
des priorités
Définition partagée des rôles et
responsabilités
143
Intérêt
Finalement, l’enjeu d’appropriation du changement, point final et nécessaire
au succès des différentes actions entreprises de la légitimation à la réalisation, est
représenté au niveau stratégique par le fait de voir naître de l’ « intérêt ». La
communication soutenue relative au changement est un facteur de succès à évaluer.
La pertinence et la consistance de l’information qui est communiquée sont au centre
des préoccupations. La notion d’enrichissement des tâches suite au changement est
importante. Les travaux de Myers (1978) demeurent toujours d’actualité en ce qui a
trait à l’enrichissement vertical des tâches. Du même coup, l’augmentation de la
valeur professionnelle des destinataires est un atout indispensable afin d’ancrer
profondément l’intérêt stratégique du changement. La figure 18 illustre la
conceptualisation de la sous-dimension Intérêt.
144
Figure 18 : Représentation arborescente de la sous-dimension Intérêt
Apprentissage
L’enjeu d’appropriation dans une logique d’action systémique est représenté
par la dimension « apprentissage ». Cette dimension vise les apprentissages
organisationnels (connaissances, compétences) quant au processus de changement
autant qu’à la solution apportée par le projet. Elle s’évalue par la perception des
acteurs d’un meilleur fonctionnement de l’organisation suite à l’implantation du
nouveau modèle. Il doit être possible de changer les comportements tout en
maintenant un niveau de performance satisfaisant, les employés doivent ainsi être à
Intérêt
Information
pertinente et constante
Sous-dimensions
Accroissement de la valeur
professionnelle
Enrichissement vertical des
tâches
145
l’aise avec les nouvelles façons de faire (par l’habilitation ci-haut énoncée). Il est
nécessaire de définir des incitatifs au maintien du changement, comme par exemple
l’adaptation progressive des évaluations de performance des employés en
considérant leur réalité de travail dans le contexte du changement. Le thème de
l’amélioration continue des processus est au cœur de cette capacité à changer. Il y est
important de démontrer les retombées positives des modèles et processus de mise en
œuvre. La figure 19 illustre la conceptualisation de la sous-dimension Apprentissage.
146
Figure 19 : Représentation arborescente de la sous-dimension Apprentissage
Progression
L’enjeu d’appropriation se complète dans la logique d’action opérationnelle
par l’observation de la « progression » du changement. Le fait de pouvoir observer
de « petits succès » (Rondeau, 2004) dans la mise en œuvre du changement a un effet
Apprentissage
Incitatifs à la performance et à son
maintient
Sous-dimensions
Démonstration de l’efficacité de
la solution
Adaptation progressive des indicateurs de performance
Ajustement des compétences et
ressources requises
147
positif vers le succès. Les résultats escomptés se doivent d’être tangibles et
accessibles à tous. D’ailleurs, les objectifs devraient être atteignables de manière
progressive (Locke et Latham, 1990). Finalement, il doit y avoir place à l’erreur.
L’organisation doit s’y attendre et surtout « profiter » de ces erreurs pour améliorer
la progression organisationnelle. La « progression » est donc ce moment où les
comportements au cœur du changement deviennent progressivement des habitudes
quotidiennes. Le développement optimal de cette capacité mènerait vers ce seuil où
les destinataires ne perçoivent plus le projet de changement. Les comportements sont
alors devenus des habitudes quotidiennes. Le sentiment d’efficacité personnelle
(Bandura, 1986) est important au niveau individuel. Tandis que le concept
d’institutionnalisation (Tolbert et Zucker, 1996) en serait la finalité. La figure 20
illustre la conceptualisation de la sous-dimension Progression.
148
Figure 20 : Représentation arborescente de la sous-dimension Progression
Aux termes de la conceptualisation de l’ensemble des neuf dimensions
l’ensemble des critères de Landry et al. (1983) et d’Oral et Kettani (1993) obtiennent
leurs spécifications. La complexité du modèle conceptuel ci-haut élaboré a un
principal avantage et un inconvénient de taille. D’un côté, son niveau de détail
amène des éclaircissements détaillés et ordonnés au décideur et aux utilisateurs du
modèle. Par contre, ce niveau de complexité, ou de théorisation, peut apporter
Progression
Institutionnalisa-tion
Sous-dimensions
Résultats tangibles et accessibles
Sentiment d’efficacité personnelle
Démonstration
de « petits succès »
Tolérance et place à l’erreur
149
quelques difficultés de compréhension requiérant une ressource essentielle qu’est le
temps chez le gestionnaire (critère 6). Le modèle formel est élaboré plus loin dans le
texte à cet effet. Avant, il est nécessaire de conceptualiser la situation managériale
sur laquelle portera ce modèle formel.
4.3 La situation managériale
L’objet « situation managériale » est le point d’entrée de la partie empirique
de l’opérationnalisation proposée par la thèse. Le modèle y est logé au cœur de la
relation acteurs-organisation. C’est ici que le modèle sert à la mesure des projets de
transformation observés, ainsi qu’à constater les effets réflexifs et interactionnistes
du modèle.
Cette section présente la provenance des terrains de changements
organisationnels sélectionnés. Elle est suivie des choix méthodologiques s’inscrivant
dans le cadre des prescriptions d’Oral et Kettani (1993). Finalement, deux études de
cas sont présentées afin de constituer un artéfact de recherche construit sur la
connaissance qu’offrent le modèle et l’action de recherche interactionniste. Tout au
long de cette section, les intérêts normatifs et descriptifs sont respectés dans
l’objectif d’identifier ce qu’est un modèle valide en gestion du changement et donc
comme outil de transformation.
150
4.3.1 Terrains de recherche
Deux projets de changement organisationnel ont été sélectionnés pour leur
potentiel de succès afin d’éviter d’analyser une situation ne démontrant pas de réels
changements organisationnels. Ces projets ont été choisis au sein des terrains de
recherche du groupe LEGG (Laboratoire d’Expérimentation en Gouvernance et en
Gestion de la santé). Ce groupe de recherche rassemble des membres de la direction
de l’Agence de Santé et de Services Sociaux de la Montérégie (ASSS de la
Montérégie), des chercheurs de l’Université de Montréal du département de
l’Administration de la santé et des chercheurs de HEC Montréal spécialisés en
gestion du changement et provenant du département de Management.
Le LEGG est formé en 2009 sous l’initiative de l’ASSS de la Montérégie.
Celle-ci désire s’adjoindre des chercheurs universitaires en gestion de la santé afin
d’identifier des processus d’innovations porteurs de succès. L’objectif est de
développer des connaissances au niveau des processus de gestion du changement
afin d’expliquer les succès observés et tirer des apprentissages pour les
transformations futures.
Un panel regroupant deux dirigeants provenant de l’ASSS, un professeur de
l’Université de Montréal et un professeur de HEC Montréal sélectionnent les projets
d’innovations complexes ayant les plus grands potentiels de succès parmi plusieurs
candidatures. L’étude débute au mois de septembre 2009.
151
De ces projets, deux ont été sélectionnés pour faire l’objet de la présente
étude. Les projets retenus portent les titres suivants : 1) Partenariat CSSS - CRD; 2)
Innovation d’un processus de soins.
Afin de procéder à une présentation des enjeux auxquels sont confrontés
chacun des terrains, il appert pertinent d’élaborer une méthode de conception de
l’objet « situation managériale » sous une perspective interactionniste de la
connaissance. Il est reconnu dans la présente thèse que la situation managériale est
réelle, mais qu’elle ne peut être objectivée. Il est aussi reconnu ici qu’une description
provenant de la main de l’auteur de la présente thèse relèverait d’une perspective
subjectiviste. Dans l’objectif d’être un exercice interactionniste et constructiviste, la
présente thèse propose une formule méthodologique adaptée à ces perspectives
épistémologiques. Une méthode de rédaction d’étude de cas adapté à partir de Yin
(2009) est retenue. Ainsi, chercheurs et participants doivent participer au mécanisme
ci-élaboré afin d’offrir une validité à l’objet « situation managériale » à défaut d’une
représentativité exacte du réel.
4.3.2 Choix méthodologique
L’étude de cas comme objet de la situation managériale sous un processus de
validation interactionniste et téléologique
La méthodologie qualitative utilisée dans le but de rendre compte de la
situation managériale est celle de l’étude de cas (artéfact de la connaissance). Les
fondements principaux sont présentés et reposent en grande partie sur les apports
référencés de Yin (2009). Par contre, il est important de noter que la position de Yin
152
semble vouloir inscrire la méthode qualitative ci-présente comme outil positiviste au
sein des sciences sociales. La présente thèse se fait donc contrebandière et emprunte
les méthodes de Yin (2009) en les situant sous un paradigme systémique et
constructiviste.
Schramm (1971) propose une définition de ce qu’est l’étude cas qui appert
très utile au présent contexte épistémologique :
« L’essence de l’étude de cas, la tendance centrale à travers
tous types d’étude de cas, c’est qu’elle tente de mettre en
lumière une décision ou un ensemble de décisions :
pourquoi ont-elles été prises, comment ont-elles été mises
en œuvre et avec quels résultats? » (p.161) (traduction
libre).
Il est pertinent d’utiliser cette méthodologie en considérant vouloir atteindre
l’objectif de modéliser les logiques d’actions et les enjeux de la gestion du
changement à travers les intentions/décisions/actions des acteurs dans un système
complexe « arborescent ». Elle permet : 1) l’induction comme la déduction, 2) de
capter la perspective interactionniste de la connaissance dans l’objet artificiel qu’est
l’« artéfact », 3) de capter, par l’observation de plusieurs terrains, des relations entre
les dimensions tout en considérant que l’inférence causale est impossible dans un
épisode donné où les acteurs et les structures se façonnent simultanément.
Selon Yin (2009) il y a cinq éléments importants que doit comprendre une
étude de cas :
153
1. Une question de recherche;
2. Ses propositions de recherche, s’il y a lieu;
3. Ses unités d’analyse;
4. La logique reliant les données aux propositions; et
5. les critères d’interprétation des connaissances
Le premier élément spécifie la question de façon simple, soit « qui »,
« quoi », « où », « comment » et « pourquoi ». Pour répondre au deuxième élément,
les propositions propres aux questions posées ci-haut sont traduites à travers les neuf
thèmes à définir à partir du modèle de Rondeau (2008). Ainsi, il est entendu que le
« comment » et le « pourquoi » sont explicables directement à travers la matrice
proposée par le modèle, celle-ci proposant neuf « arborescences » distinctes
poursuivant leurs objectifs décisionnels. Les unités d’analyses, telles que précisées
par le troisième critère, sont précisément les intentions/décisions/actions des acteurs
reflétées dans l’étude de cas. Les retombées attendues et perçues selon les différents
acteurs sont aussi des unités d’analyses même s’il elles peuvent sembler
contradictoires, voir non-liées entre elles. La logique reliant ces données en
propositions, telle qu’énoncée par le quatrième critère, se retrouve dans
l’organisation matricielle du modèle de Rondeau (2008) et non pas dans les formules
acceptées de la logique telles que prônées dans plusieurs travaux en recherche
opérationnelle cités dans le chapitre précédent. Finalement, les critères
d’interprétation des connaissances, le cinquième élément, se situe dans les patterns
décisionnels qui seront identifiés à travers plusieurs terrains observés sur une période
154
de temps donné. Une section d’analyses quantitatives plus loin dans le texte vise à
établir ces critères d’interprétation en plus d’identifier les patterns systémiques à cet
effet.
La méthode par étude de cas doit aussi se plier à certains tests de validité
fondamentaux. Ces tests de validité sont présentés dans les pages qui suivent.
La validité de construit
Pour démontrer une validité de construit de l’étude de cas, Yin (2009)
suggère : 1) L’utilisation de plusieurs sources d’information, 2) l’élaboration d’une
« chaine d’information », 3) d’obtenir une révision de l’étude de cas par chacun des
informateurs clés.
Premièrement, la validité de construit relevant de l’étude de cas vise à
empêcher la subjectivité du chercheur de teinter la rédaction de celui-ci. Ici, ces
principes sont récupérés afin de démontrer une validité de construit interactionniste,
donc partagée entre les parties prenantes incluant le chercheur et les participants
interviewés. Un niveau optimal d’accord commun est recherché plutôt qu’une
objectivation représentative d’un réel trop complexe.
Afin de répondre aux suggestions de Yin (2009), la méthode de collecte de
données qualitative ci-utilisée permet d’identifier quatre groupes d’acteurs différents
afin de recueillir de l’information concernant un même épisode de changement
155
organisationnel. Ces catégories d’acteurs sont : 1) la direction stratégique de
l’organisation, 2) les porteurs du projet de changement (responsables de la mise en
œuvre), 3) les destinataires du changement (employés et gestionnaires impliqués
dans les processus), 4) les observateurs (personnes en mesure d’apprécier la mise en
œuvre du changement, mais sans être impliqué directement).
Yin (2009) propose plusieurs sources d’informations valides pour
l’élaboration de l’étude de cas. La présente étude utilise principalement deux de ces
types, soit les entrevues et la documentation. Les entrevues sont démontrées comme
étant la source la plus importante de données qualitatives (Yin, 2009; Hérard, 2008).
Une richesse en termes de mise en contexte est captée par l’apport de la source
qu’est la documentation, en plus d’éléments cristallisés et peut-être préalablement
partagés par les participants au sujet de la situation managériale.
Par l’organisation chronologique et logique des informations provenant de
ces différents groupes d’acteurs représentant différents paliers hiérarchiques, il est
possible d’observer la « chaine d’information » à travers les trois logiques d’action
du modèle de Rondeau (2008), soit stratégique, systémique et opérationnelle.
Une première ébauche de l’étude de cas est composée suite aux entrevues
d’un minimum de sept acteurs par projet représentant les quatre catégories d’acteurs.
Plus particulièrement, sept participants ont été interviewés pour le cas Innovation
d’un processus de soin et huit participants ont été recrutés pour le cas Partenariat
156
CSSS-CRD. Ensuite, elle leur est soumise rétroactivement afin de recueillir leurs
commentaires et leurs critiques. Pour ce faire, deux questions centrales sont posées :
1) « Est-ce que votre position est bel et bien représentée dans cette ébauche? » 2) « Y
a-t-il de l’information manquante que vous jugez essentielle à la bonne
compréhension de l’étude de cas? ». Il est à noter qu’un acteur ne peut proposer de
modification sur les apports d’un autre acteur, qu’il soit en accord ou non avec cette
position. Cependant, il est entendu que les propos de deux acteurs peuvent être
contradictoires entre eux et que chacun puisse vouloir retirer les propos de l’autre.
Ces deux propos seraient conservés non seulement afin de respecter la méthodologie
de validation, mais qu’au final la rédaction met en lumière cette problématique
propre à la situation managériale observée.
La validité interne
Pour démontrer une validité interne de l’étude de cas, Yin (2009) suggère : 1)
L’observation de patterns récurrents par la technique « pattern matching » (Trochim,
1989), 2) d’utiliser un protocole explicatif des événements, 3) de traiter des
explications rivales, 4) l’utilisation de modèles logiques.
La validité interne est un principe qui fait souvent et depuis longtemps l’objet
de critiques en ce qui a trait à l’étude de cas (Yin, 2009; Campbell et Stanley, 1966;
Cook et Campbell, 1979). L’objectif est de démontrer de la rigueur dans
l’explication des relations entre les événements observés, et ce en tentant de
contrôler les effets de contamination des « variables » non contrôlées. Il est
157
important de noter que : l’approche est considérablement positiviste; elle implique un
processus de validation dépassant le simple objet de l’étude de cas. Ces principes
sont donc réutilisés plus loin dans le texte afin de traiter les quatre problématiques de
la modélisation selon Oral et Kettani (1993).
Par contre, les éléments 2) et 3) sont retenus à cette étape-ci. Afin d’intégrer
les suggestions « d’utiliser un protocole explicatif des événements (2) » ainsi que
« d’adresser des explications rivales (3)» quelques éléments doivent être apportés à
l’argumentation. Il est prévu à cet effet que chaque étude de cas fait l’objet d’une
analyse selon le modèle de Rondeau (2008) afin de répondre aux propositions de
recherche énoncées. Ces analyses se verront confrontées à une évaluation inter-juges
experts quant à l’objet de recherche. Cette technique, emprunté aux méthodologies
quantitatives permettra d’augmenter la rigueur de la validité interne de l’étude, sinon
de la confronter à des explications rivales.
La validité externe et la fidélité
Pour démontrer la validité externe de l’étude de cas, Yin (2009) suggère : 1)
L’utilisation de la théorie dans l’étude d’un seul cas de gestion, 2) pour ensuite
répliquer la logique proposée dans l’analyse de plusieurs études de cas. Tandis que
pour démontrer la fidélité de l’étude de cas il suggère : 1) L’utilisation d’un
protocole de recherche, 2) de développer une banque de données sur les études de
cas
158
La validité externe repose sur la nécessité de démontrer une généralisation
des résultats obtenus. Tandis que la fidélité assure une reproductibilité de l’étude
pour tout chercheur désirant utiliser la même approche. La validité externe est déjà
traitée à travers les stratégies mises en place pour répondre aux validités interne et de
construit en plus d’être intégré au processus de la modélisation par l’attention portée
aux quatre enjeux (Oral et Kettani, 1993) dans le prochain chapitre.
Afin de répondre aux exigences du test de fidélité il est présenté ici : 1) une
description étendue des postulats de recherche, ce de façon référencée et explicitée
dans une stratégie de recherche intégrée dans son contexte théorique et par
l’utilisation du tétraèdre modélisation-validation, 2) la présentation intégrale du
protocole d’entrevue utilisé afin de procéder à la collecte de données (voir annexe 1).
Il est à noter que ce protocole est élaboré en reconnaissant la nécessité qu’il repose
sur le cadre d’analyse proposé (Miles et Huberman, 2003), soit le modèle de
Rondeau (2008). Comme l’explique Yin (2003), ce protocole ne doit pas être trop
large, ceci aurait pour effet de saisir une trop grande quantité d’information qui n’est
pas nécessairement pertinente. Il se doit aussi de ne pas être trop précis et structuré
puisqu’il prendrait beaucoup plus la forme d’un sondage et il écarterait plusieurs
nuances importantes.
En conclusion, la méthode qualitative par étude de cas utilisé dans ce
contexte propose de porter une attention particulière à la validité de construit, à la
validité interne (en partie), à la validité externe et à la fidélité à l’aide d’une stratégie
159
de recherche répondant à un repositionnement épistémologique des critères de Yin
(2009). La partie suivante présente les deux études de cas agissant à titre de
« situation managériale » dans le cadre de l’opérationnalisation. Il est à noter que les
noms de personnes et d’endroits ont été modifiés afin de préserver la confidentialité
des participants.
4.3.3 Étude de cas : Innovation d’un processus de soins
Le cas Innovation d’un processus de soins est un projet de changement
organisationnel majeur entrepris dans le cadre du projet LEGG. Ce projet
d’innovation est élaboré au sein d’un Centre de Réadaptation du ministère de la santé
québécois. La mise en contexte présentée en introduction au cas présente les réalités
environnementales de ce centre. Le cas a été conçu à partir d’entrevues réalisées aux
mois de septembre et octobre 2009. Au total sept participants ont été interviewés par
deux chercheurs du projet LEGG suivant le protocole d’entrevue semi-structurée
présenté à l’annexe 1. Les entrevues ont duré entre 45 et 60 minutes.
Mise en contexte
Le Centre de Réadaptation (CR) a comme mission première de promulguer
des services spécialisés de deuxième ligne visant la réadaptation et/ou l’intégration
sociale de toutes personnes atteintes d’une déficience motrice, auditive ou du
langage qui inclut du même coup une offre d’accompagnement visant les proches
des usagers. Environ 12 500 personnes de la région ont reçu des services du CR en
2008-2009. Près de la moitié de celles-ci sont âgées entre 0 et 18 ans. Pour répondre
160
à cette demande, au-delà de 600 employés sont répartis à travers douze points de
service. De ces professionnels, il est possible de retrouver des travailleurs sociaux,
des éducateurs spécialisés, des orthophonistes, des ergothérapeutes, des
psychologues, des neuropsychologues, des physiothérapeutes, des médecins, etc.
ainsi qu’une équipe d'encadrement et de soutien administratif.
La clientèle âgée entre 0 à 18 ans est particulièrement importante en termes
de volume pour le CR ainsi qu’en considérant l’importance d’une prompte
intervention afin de limiter les impacts négatifs d’une déficience motrice, auditive ou
du langage sur le développement des enfants.
Jusqu’à l’automne 2008, pour traiter les enfants avec une déficience de
langage, le CR avait plusieurs façons de fonctionner. D’un côté, huit des douze
points de service fonctionnaient à leur façon selon le processus habituel qui consiste
tout d’abord à l’inscription du patient. Par la suite, après plusieurs journées d’attente
(145 jours en moyenne), vient un premier service soit une entrevue d’accueil avec un
travailleur social. Celui-ci procède à une évaluation des besoins du cas qui servira à
un orthophoniste (ou un ergothérapeute) qui pourra ainsi élaborer un plan
d’intervention pertinent. Dépendamment des besoins de l’enfant et du plan
d’intervention, le suivi régulier se poursuit soit avec un orthophoniste, un
ergothérapeute ou un éducateur spécialisé. D’un autre côté, trois points de service en
particulier ont élaboré un processus différent sous la direction de leur chef de
programme. Celui-ci vise à faire l’inscription d’un enfant conformément à ce qui
161
était fait auparavant. Cependant, à l’intérieur du suivi régulier, quelques
modifications ont été implantées. Premièrement, le suivi régulier des orthophonistes
est appuyé par la collaboration des éducateurs spécialisés. Ceux-ci peuvent tenir des
rendez-vous à la place des orthophonistes en apportant des interventions sur
lesquelles ils ont été entraînés au préalable par les orthophonistes. Deuxièmement,
ces équipes mettent sur pied des rencontres en groupe réunissant plusieurs enfants
atteints d’une même problématique au même niveau de sévérité. Ces rencontres sont
chacune tenues par un éducateur spécialisé et chapeautées par un orthophoniste qui
s’insère dans les groupes à quelques reprises afin de réévaluer la progression des
enfants.
Pour les huit points de service, beaucoup de patients sont en attente d’un
premier service et chaque jour de nouvelles demandes s’y ajoutent créant ainsi une
longue liste d’attente. En novembre 200814
, 398 enfants ayant une déficience du
langage sont en attente d’un premier rendez-vous. Aussi, considérant que le niveau
de priorisation des enfants âgés de moins de six ans est jugé élevé puisque s’ils ne
sont pas traités rapidement leur développement peut être compromis, cette situation
est d’autant plus problématique. De manière spécifique, le délai d’attente moyen
pour cette dernière catégorie d’enfant s’élève à 145 jours.
À la vue de cette problématique majeure, le 13 juin 2008, le Ministère de la
Santé et des Services Sociaux (MSSS) impose au CR, ainsi qu’à tous les
14
Seules les données de novembre sont disponibles en 2008. Elles peuvent être considérées comme
étant représentatives des listes d’attentes de cette époque.
162
établissements de la santé et des services sociaux, d’implanter un «Plan d’accès pour
les personnes ayant une déficience du langage, intellectuelle, un désordre de
personnalité ou un trouble envahissant du développement» à compter de novembre
2008. Celui-ci a comme objectif spécifique de réduire la liste d’attente résiduelle à
zéro d’ici deux ans, soit en novembre 2010. Le CR décide de revoir ses processus
afin de les rendre plus efficaces sans toutefois affecter la qualité des services offerts.
Spécifiquement le CR doit donc, 1) réduire sa liste d’attente résiduelle à zéro d’ici
novembre 2010 tout en continuant de traiter les nouvelles inscriptions, 2) traiter dans
un délai de 97 jours tout enfant de six ans et moins dont le niveau de priorisation est
élevé. Pour ce faire, le MSSS a mis à la disposition du CR un budget d’environ un
million de dollars de façon à ce qu’il puisse acquérir de nouvelles ressources, soit
principalement des ressources humaines. Les délais sont courts, selon la Directrice
Générale Adjointe (DGA) du CR, entre l’annonce du plan d’accès en juin 2008 et le
début de la mise en œuvre des mesures visant à répondre aux exigences du «Plan
d’accès» cinq mois plus tard.
Le mandat de la directrice Générale Adjointe
Devant la nouvelle problématique et l’urgence d’agir, la DGA reçoit du
Directeur Général de l’établissement le mandat de réfléchir et d’apporter des
solutions quant à la réduction de la liste d’attente générale ainsi que celle spécifique
au groupe des zéro à six ans. Elle se doit donc de trouver des moyens de servir sa
clientèle autrement sans affecter la qualité des services, et ce, tout en faisant face à
une importante pénurie de professionnels. Les budgets octroyés se doivent donc
163
d’être utilisés de façon innovante puisqu’il est pratiquement impossible de recruter
davantage d’orthophonistes compte tenu d’une importante pénurie au sein de cette
catégorie de professionnels au Québec. Il appert à ce point évident pour la DGA que
la réorganisation du travail doit plutôt miser sur l’embauche d’éducatrices
spécialisées qui auront maintenant plus de responsabilités.
Afin de répondre au MSSS tout en faisant face à cet obstacle, la DGA explore
les différentes avenues possibles pour résoudre la problématique. Pour ce faire, elle
consulte de manière informelle son équipe de proches collaborateurs (DSR DSP et
chefs de programmes). Lors de ces discussions, plusieurs rapportent les modalités
particulières exercées dans leurs points de services. Une des chefs de programme
profite de ces discussions pour renseigner la DGA des améliorations apportées dans
le mode de fonctionnement de son organisation. Cette dernière est très attentive étant
donné qu’elle a déjà eu connaissance qu’une réorganisation a été entreprise par cette
chef de programme et que celle-ci a engendré de bonnes performances en terme
d’écoulement de la liste d’attente au sein des trois sites dont elle est responsable, et
ce, tout en favorisant une bonne collaboration au sein de ses équipes. Ainsi, elle est
tout ouïe aux détails menant à ces bonnes performances.
Rencontre avec la chef de programme
Comme le raconte la chef de programme à la DGA, dès 2007 elle avait déjà
perçu la menace provenant de la grande demande de service de la part de la clientèle
de la région ainsi que du manque de professionnel en orthophonie qui se faisait de
164
plus en plus sentir. À ce moment, elle lance un appel à tous en réunissant plusieurs
intervenants, cadres et professionnels afin de réfléchir à la problématique ci-haute
dans l’objectif de réduire les délais d’attente.
La chef de programme, n’ayant pas de solution précise dès le départ, répète
qu’elle est restée très ouverte aux propositions de ses subordonnés puisque pour elle,
ces derniers sont des gens innovants qui entretiennent entre eux une belle
collaboration. Le débat ne pourrait donc qu’être intéressant affirme-t-elle.
En regard au nombre de propositions valables qui ont été émises lors de ces
discussions, la chef de programme décide de créer plusieurs « projets-pilotes ».
Comme elle le dit, étant dans une situation particulière et jamais vue, une structure
par « projets-pilotes » allait permettant de rester ouvert aux retombées prévues et
imprévues des différentes idées d’innovation. Fonctionner avec plusieurs « projets-
pilotes » porte fruits à son avis. Par exemple, un des « projets-pilotes » consiste à ce
que les éducateurs spécialisés, les orthophonistes et les ergothérapeutes s’allient
temporairement afin de tenter une nouvelle forme d’intervention par groupes
d’enfants plutôt que de procéder à des interventions individuelles. Ces interventions
sont particulières puisqu’elles se déroulent dans une piscine (pour des fins en
ergothérapie). L’intervention en groupe est rapidement identifiée par les techniciens
et professionnels comme étant très prometteuse en termes d’efficience.
165
Ensuite, un « projet-pilote » particulier a été sélectionné, soit le « projet
langage ». Celui-ci s’est révélé très performant et apprécié des différents acteurs
souligne la chef de programme. Ce projet tente d’insérer une nouvelle façon de
fonctionner à travers le suivi régulier pour les personnes atteintes d’une déficience
du langage. Ce projet élabore le processus suivant : comme à l’habitude,
l’orthophoniste évalue et décide en premier lieu de ce sur quoi un enfant doit
travailler. Par contre, il ajoute plusieurs objectifs à atteindre en cours d’intervention
avec des activités et des interventions planifiées d’avance pour chacune des
rencontres. Ces dernières sont effectuées par un éducateur spécialisé qui peut tout de
même requérir la présence d’un orthophoniste au besoin ou à des fins de
réévaluation. La collaboration entre ces deux groupes de professionnels était bonne
selon la chef de programme, on a donc tenté de retirer encore plus de retombées
positives d’une telle alliance en travaillant de la même façon, mais avec des groupes
de cinq à six enfants à la fois plutôt que par des interventions individuelles. Bien
entendu, ces enfants doivent être atteints de la même déficience du langage et en être
à un niveau de sévérité équivalent. Ce « projet-pilote » a fait ses preuves et il est
donc rapidement reconnu comme façon de fonctionner à l’intérieur des trois sites
sous la direction de la chef de programme. Au moment où la DGA discute de cette
aventure avec la celle-ci, le projet roule depuis maintenant un an et a permis de
répondre aux besoins de 40 enfants de plus que prévu qui seraient toujours dans la
liste d’attente si ce n’était du « projet langage ». La plus grande part de
responsabilités prise par les éducateurs spécialisés aide à pallier à la pénurie
166
d’orthophonistes tout en rendant des soins de qualité à la population, selon la chef de
programme.
La DGA se questionne alors sur comment sa chef de programme a pu
mobiliser des éducateurs spécialisés pour exécuter des tâches et développer des
connaissances ne faisant pas nécessairement partie de leur formation de base et qui,
du même coup, pourraient s’enchevêtrer dans les responsabilités des orthophonistes.
La chef de programme affirme alors que c’est l’esprit d’équipe et le désir de
participation de ses employés qui sont au cœur de ce succès. Selon elle, chacun a
appris « sur le tas » de nouvelles compétences dans le domaine des déficiences du
langage et tous ont su profiter des retombées positives de ce projet, autant les
orthophonistes, les éducateurs spécialisés, les enfants ainsi que leurs parents.
Les réflexions de la DGA
Suite à cette discussion avec sa chef de programme, la DGA confirme ses
premières intuitions. La réorganisation devra passer par l’embauche et la hausse de
responsabilités des éducateurs spécialisés. Elle décide ainsi d’inclure dans ses
réflexions les apprentissages faits par sa chef de programme en vue d’aboutir à une
solution appropriée.
Elle se doit donc de trouver une application réaliste d’une solution similaire à
celle appliquée dans ces trois points de service. À ce moment, elle perçoit cependant
quelques enjeux majeurs concernant la future mise en œuvre d’une telle solution.
167
Premièrement, une telle idée dirigera l’attention des professionnels vers la gestion
par priorité plutôt que simplement par l’ordonnancement dans la liste d’attente.
Deuxièmement, étant donné qu’une réorganisation du travail est nécessaire, une
formation des éducateurs spécialisés est souhaitable afin que ces derniers puissent
porter des interventions sur des problématiques « mineures » du langage et, dans
l’objectif de libérer le temps d’utilisation des orthophonistes pour des cas où ils sont
indispensables, soit des cas « majeurs ». Ce qui, du même coup, provoquera la
nécessité de sensibiliser les orthophonistes à travailler davantage en collaboration
avec les éducateurs spécialisés par une bonne diffusion de l’information concernant
les bénéfices qu’ils pourraient en retirer. En effet, en troisième lieu, elle prévoit que
les orthophonistes ne seront pas complètement à l’aise avec l’augmentation du
nombre d’éducateurs spécialisés ainsi qu’avec l’augmentation de la charge de
responsabilités de ces derniers. Elle prévoit même de la résistance face à ce
changement. À ce moment, la DGA sait très bien qu’elle ne peut reposer sa
réorganisation seulement sur l’esprit de collaboration et d’innovation des employés
de l’ensemble des huit points de service.
Ainsi, une solution impliquant une coordination plus efficace des éducateurs
spécialisés et des orthophonistes est nécessaire. Par contre, elle ne devra pas être
radicale selon la DGA puisque, ces deux catégories d’employés ne proviennent pas
des mêmes milieux de formation. En effet, premièrement, les éducateurs spécialisés,
contrairement aux orthophonistes, ne sont pas formés aux problématiques liées au
langage dans leur formation de base. Ils doivent donc ainsi être formés à prendre en
168
charge certains pans du processus de traitement en déficience du langage. À ce
niveau, elle prévoit, selon plusieurs sources d’information qu’elle a recueillie, de la
résistance au changement de la part des éducateurs spécialisés à l’effet qu’ils
pourraient se sentir dépassés par ces nouvelles compétences à acquérir.
Deuxièmement, les orthophonistes tiennent présentement un plus grand rôle que les
éducateurs spécialisés dans le processus de traitement en place, leur formation étant
plus spécifique aux déficiences de langage ainsi que leur niveau de diplomation
universitaire étant plus élevé. Conséquemment, la DGA prévoit aussi de la résistance
de la part des orthophonistes à l’effet qu’ils pourraient perdre le contrôle sur leurs
patients ainsi que sur leur domaine de compétence.
Elle en arrive donc à une solution alliant, selon elle, les forces du projet de sa
chef de programme et faisant face aux enjeux du CR tel qu’elle les a identifiés. Elle
élabore donc un nouveau processus de traitement qui consiste aux étapes suivantes :
Premièrement, les enfants inscrits sur la liste d’attente seront rencontrés par un
travailleur social qui, en collaboration avec les parents de l’enfant, devra identifier
les éléments à travailler en les priorisant. De plus, il recueillera les préoccupations,
les questions ainsi que les commentaires des parents. Deuxièmement, suite à cette
entrevue d’accueil, la coordonnatrice clinique, dont le rôle est de superviser le
processus de soin, classera un enfant dans un groupe de stimulation de la
communication selon sa problématique principale et le niveau de sévérité de sa
déficience. Troisièmement, l’enfant et ses parents seront accueillis à l’intérieur d’un
de ces groupes de traitement. Ce groupe perdurera pendant six rencontres qui seront
169
animées par un éducateur spécialisé. Un orthophoniste se joindra alors au groupe lors
de deux de ces séances afin de procéder à un suivi évaluatif. Quatrièmement, pour
donner suite au traitement en groupe, les enfants recevront de façon individuelle une
entrevue permettant d’établir un plan d’intervention et de compléter les observations
faites lors du traitement en groupe et ainsi de les diriger vers le suivi régulier qui
serait le plus approprié, soit en orthophonie, en ergothérapie, ou avec un éducateur
spécialisé.
Afin de favoriser l’acceptation du changement et de l’innovation de la part
des professionnels, la DGA compte particulièrement sur la rapidité de la mise en
œuvre du projet. Ce sera d’ailleurs son mot d’ordre à partir de ce moment.
La planification de la solution (juin 2008)
La DGA partage son idée avec ses collègues de la direction clinique, soit la
directrice des services de réadaptation (DSR) et la directrice des services
professionnels (DSP), puis elle décide d’avaliser le projet de 1er
service en groupe
pour les enfants ayant une déficience du langage.
L'équipe de la direction clinique se donne comme objectif de départ de
préciser les différents détails du projet. Ainsi, chacun des membres du comité
explore les différents sites du CR afin de consulter les gens et de regrouper des idées
quant aux contenus des six rencontres de groupe avec les enfants. L’expérience du
« projet langage » de la chef de programme ainsi que les conseils de la DSR et de la
170
DSP sont les principaux facteurs influençant ces réflexions. La solution que
cherchait la DGA est maintenant trouvée.
Les membres de la direction clinique s’entendent pour dire qu’il s’agit d’une
innovation importante dans les pratiques. La grande innovation de cette
réorganisation se trouve dans le traitement en groupe. L’implantation de ces groupes
a comme élément positif majeur de rapprocher les familles des intervenants du CR,
de mieux connaitre les besoins de ces familles, d’outiller les parents en attente et
donc de peaufiner le traitement qui sera offert en suivi régulier. Du même coup, cette
innovation dans les pratiques apporte son lot de réorganisations à l’intérieur du
Centre. Les rôles et responsabilités des éducateurs spécialisés englobent maintenant
l’animation des groupes et ceux des orthophonistes impliquent maintenant
l’observation et le suivi des enfants à l’intérieur des groupes. Le raffinement de
l’identification des besoins amène des réflexions sur les objectifs visés par les
interventions en déficiences du langage et une importance accrue au soutien apporté
aux parents. De plus, l’encadrement à l’intérieur de l’établissement doit s’adapter à
toute cette réorganisation.
Pour réaliser ce changement, la direction dit miser sur les individus qui
composent les différentes équipes, l’ouverture d’esprit de tous les acteurs, le
dynamisme de ses équipes ainsi que le respect envers ceux qui dirigent le
changement. Afin d’aider les gens à mieux vivre ce changement, la direction
s’entend sur l’importance de fournir rapidement des outils démontrant l’impact du
171
changement en chiffre ainsi que différents graphiques qui permettront de suivre son
évolution. La direction considère aussi que le court délai pour implanter ces
nouvelles méthodes de travail est un élément qui favorise la mobilisation et la
responsabilisation des professionnels.
La planification s’achève donc sur la rédaction d’un document final
expliquant le fonctionnement, la structure et le contenu des rencontres de groupes.
La direction veut faire participer ses employés à cette étape. Ainsi, les quatre chefs
de programme (dirigeant les opérations des huit sites du CR offrant un programme
en déficience du langage) sont rencontrés dans une même réunion. Lors de cette
rencontre, ils émettent un premier jet du document et certains soulèvent plusieurs
réserves personnelles quant à ce que devra être la version finale. Il est évident, selon
les membres de la direction clinique, que lors de cette réunion ce ne sont pas tous les
chefs de programme qui sont enthousiastes quant au projet de réorganisation. Les
coordonnateurs cliniques, qui ont pour rôle de coordonner les plans d'intervention
avec le client et les membres de l'équipe (orthophonistes, éducateurs spécialisés),
sont également consultés lors d’un « focus group », sans toutefois obtenir de
rétroaction quant à leurs commentaires. Les orthophonistes et les éducatrices
spécialisées n’ont pas été directement consultés au sujet des modalités du projet. La
direction clinique justifie ce choix de ne pas impliquer formellement les
professionnels par son mot d’ordre : urgence et rapidité d’exécution.
172
Il est donc entendu et mis sur papier formellement avec le comité de direction
et les chefs de programme que le premier objectif visé par cette solution est d’offrir
le 1er
service dans un délai maximum de 90 jours sans toutefois déplacer la liste
d’attente au niveau du suivi régulier. Le deuxième objectif concerne la qualité de
service qui importe grandement aux coordonnateurs cliniques. Pour ce faire, la
satisfaction des clients sera évaluée au cours de l’hiver 2010, et ce, sous forme de
questionnaire.
Convaincre les chefs de programmes
Le 4 septembre 2008, la DGA rencontre ses quatre chefs de programme pour
leur présenter le programme final et les convaincre des bienfaits du projet. Certains
restent critiques tandis que d’autres ne voient aucun inconvénient à ce projet. En
effet, comme mentionné plus tôt, certains centres avaient déjà pris l’initiative, depuis
quelques mois, de développer des méthodes similaires au sein de leur processus
d’intervention afin de contrer la pénurie de professionnels dans leur centre. Les
responsables des interventions au sein de ces points de service avaient d’ailleurs été
consultés il y a quelques mois afin qu’ils donnent leur opinion sur le contenu du
programme. La chef de programme de ces trois .équipes ne sent donc pas
particulièrement que lac direction clinique lui demande une réorganisation
importante. Toutefois, ses homologues pensent autrement…
À ce stade, il appert crucial pour la DGA de consacrer de l’énergie afin de
convaincre l’entièreté de ses chefs de programmes à adopter un tel projet puisqu’il
173
est prévu que c’est précisément par ceux-ci que les communications concernant la
réorganisation circuleront.
L’annonce du changement (Septembre 2008)
Urgence et rapidité d’exécution sont les mots d’ordre. Ainsi, tout en étant
consciente que l’ensemble des chefs de programme ne sont pas encore convaincu du
projet de réorganisation, la direction clinique décide tout de même de débuter la
communication et d’annoncer le changement rapidement puisqu’à son avis, ceci
pourrait empêcher une certaine résistance au changement. Selon la DGA, si les
réfractaires sont confrontés aux exigences et aux réalités du terrain, ils suivront
nécessairement le tempo qui leur sera imposé par les objectifs de performance. Ainsi,
une publication expliquant les grandes lignes du projet, signée par la DGA et écrite il
y a de cela plusieurs mois soit à l’été 2008, parait dans le journal interne au mois de
novembre 2008.
Des rumeurs circulent
Les orthophonistes, dont environ 25 sont rattachés plus particulièrement au
programme de déficience de langage, perçoivent en majorité le premier service offert
en groupe comme étant une imposition, n’ayant pas été formellement consultés. Face
à cette imposition des nouvelles façons de faire et considérant qu’ils ont manqué
d’information par rapport au projet, certains orthophonistes sont contre la
réorganisation et commencent à parler du projet comme étant une nuisance à leur
travail. Notamment, ils s’écrivent des courriels entre eux et des rumeurs circulent.
174
Les orthophonistes perçoivent certains de leurs rôles et responsabilités glisser au
profit des éducateurs spécialisés. Comment des tâches qui requièrent une formation
poussée en orthophonie peuvent être accomplies par des éducateurs spécialisés!
Voilà le type de pensée représentative des préoccupations des orthophonistes.
En réaction aux rumeurs qui contaminent négativement les orthophonistes, la
DGA convoque une réunion afin de les informer des paramètres de la nouvelle
méthode de travail. Selon le comité de pilotage, cette rencontre est appréciée du
personnel qui sait maintenant à quoi s’en tenir. La direction prend également
conscience qu’il y a nécessité de convaincre rapidement les chefs de programme qui
pourront à leur tour convaincre leurs coordonnateurs cliniques qui, eux, pourront
convaincre les intervenants et les renseigner sur les fondements du projet. De leur
côté, les orthophonistes sont ambivalents. Certains voient les bienfaits pour le
traitement, d’autres n’apprécient pas trop le fait de ne pas être consultés et d’être
lancés rapidement dans cette réorganisation. Malgré ceci, selon les avis du comité de
direction clinique et des orthophonistes, cette réunion a su apaiser certaines tensions,
mais pas toutes.
Les éducateurs spécialisés de leur côté sont aussi mitigés quant à la
réorganisation. Certains y voient les bienfaits tandis que d'autres se demandent s’ils
pourront répondre à ces nouvelles exigences. Ces nouvelles tâches ne débordent-elles
pas de ce pourquoi nous avons été formés? Avons-nous les moyens d’appliquer les
nouvelles pratiques qui seront dictées? Ces tâches, ne relèvent-elles pas des
175
compétences des orthophonistes plutôt? Est-ce que cela laisse présager une surcharge
de travail? Ces professionnels ont également entendu que les orthophonistes ont
obtenu une réunion avec la direction clinique afin d’obtenir des réponses à leurs
questionnements. Que ces questions soient toutes répondues ou non, pourquoi ne
peuvent-ils pas participer eux aussi à une telle réunion? D’un autre côté, plusieurs
éducateurs spécialisés sont nouvellement engagés par le CR. En fait, au mois de
novembre 2008, le ratio d’éducateurs spécialisés par rapport au nombre
d’orthophonistes est passé de 1 pour 3 à 1 pour 2. Pour ceux-ci la réorganisation
n’est pas perçue de la même façon. Les compétences qui leur sont demandées sont
presque toutes « nouvelles » pour eux. Ainsi, ils sont plutôt en mode d’adaptation et
d’apprentissage face à un nouvel environnement de travail.
La direction clinique organise donc une seconde réunion à l’automne 2008
afin d’expliquer la démarche aux éducateurs spécialisés. Tout comme avec les
orthophonistes, la DGA profite de l’occasion pour expliquer que la réorganisation
consiste en une gestion par résultat comprenant des balises spécifiques. Toutefois, les
intervenants ont une certaine liberté d’action à l’intérieur de ces balises. L’objectif
d’un tel remaniement est d’augmenter la performance des différents points de service
en étant plus efficient et donc, en réduisant la charge de travail de chacun. Selon la
direction et les éducateurs spécialisés, cette rencontre est appréciée. En effet, ceci a
permis au personnel d’avoir le point de vue des autres points de service où tout se
passe bien. Ainsi, ceci a permis de donner espoir en la solution proposée et de
diminuer les résistances à l’avenir.
176
Une structure de pilotage en adaptation (janvier - mai 2009)
De nouvelles personnes se joignent à l’équipe pour fournir de l’aide aux
intervenants sur le terrain. Au mois de janvier 2009, une conseillère cadre clinique se
joint à l’équipe de pilotage de même qu’une chargée de projet en mai 2009. Leurs
rôles consistent principalement à effectuer un suivi sur le terrain quant à
l’avancement du projet et à fournir de l’aide ainsi que des outils aux intervenants.
Ces dernières ont reçu l’information concernant le nouveau type d’intervention en
groupe par l’entremise des membres du comité de direction et des communications
écrites qui avaient été produites au début du projet. Leur intégration au projet s’est
déroulée de façon informelle au fil des rencontres mensuelles. Par contre, sur le
terrain, elles ne sont pas particulièrement reconnues par les employés.
La chargée de projet communique avec le terrain et reçoit l’information à
travers le comité de direction et par l’entremise du courriel et du téléphone. Pour
rejoindre les gens sur le terrain, la chargée de projet organise normalement deux
rencontres par mois qui rassemblent habituellement les quatre chefs de programme.
Ceux-ci sont ensuite en charge de diffuser l’information sur le terrain tel que prévu
par la DGA. Pour donner suite à ces rencontres, les communications se font par
courriel, que ce soit pour créer ou modifier certains outils ou pour tenter de
convaincre le personnel des différents objectifs à atteindre.
Le processus communicationnel respecte jusqu’à maintenant le
fonctionnement habituel du CMR. La DGA transmet ses informations à la DSP et la
177
DSR qui est responsable d’aider les chefs de programme à gérer les nouveaux
processus tout en ayant comme tâches de coacher et de soutenir les orthophonistes
ainsi que les éducatrices spécialisées. Elles n’agissent pas à titre de communicatrices
directes avec les professionnels et les techniciens sur le terrain.
Pour favoriser la bonne communication, qui comme la DGA l’a identifiée dès
le départ, est un facteur de succès essentiel, cette dernière met sur pied un comité
formel de coordination au printemps 2009. Les personnes qui participent au comité
de pilotage et au comité de coordination sont les mêmes, seulement les chefs de
programmes s’ajoutent pour former le comité de coordination. La direction transmet
donc l’information par la chargée de projet, qui elle communique ensuite avec les
chefs de programme. Ce comité sert aussi de lieu de rencontre afin de communiquer
en groupe certaines directives et de recueillir les commentaires des chefs de
programme. Ces derniers ont, de leur côté, la responsabilité de transmettre
l’information à leurs employés et de recueillir leurs commentaires.
Formation des éducateurs spécialisés
Une formation est mise sur pied par le comité de pilotage et quelques
orthophonistes enthousiastes à l’idée de jouer un rôle de formateur. Celle-ci est
lancée au mois de mai 2009 et, afin de ne pas brusquer les éducateurs spécialisés,
cette formation n’est pas obligatoire. Cette dernière vise à outiller les éducateurs
spécialisés pour l’animation des rencontres en groupe. Ils suivent donc des ateliers
portant entre autres sur l’animation de groupe, mais surtout sur le contenu des
178
rencontres en présentant des outils d’intervention en déficience du langage. Lors de
cette formation, les professionnels provenant des trois points de service ou le « projet
langage » existait déjà sous une autre forme se font rares étant donné qu’ils sont déjà
familiers avec les nouvelles méthodes de travail. En effet, comme ces derniers le
soulignent, ils se sentent déjà suffisamment outillés pour tenir ces rencontres. De
plus, ils sont confortables à l’idée d’aller consulter un orthophoniste de leur centre
dans la mesure où ils auraient besoin de soutien à ce niveau. Pour tous les autres
éducateurs spécialisés, le niveau de participation est presque total et le niveau de
satisfaction quant à la formation reçue est très bon. L’application d’outils concrets
vient rassurer plusieurs des participants réticents au changement.
Un site intranet, le « G », est même mis à la disposition des professionnels et
techniciens afin de partager sur les outils d’intervention. Des orthophonistes y
déposent donc des fiches concernant les objectifs et les méthodes d’utilisation des
multiples outils. Les utilisateurs de ce site sont très satisfaits, quoique peu nombreux.
Il est a souligné que le comité de pilotage n’oblige personne à y participer, tout
comme pour la formation, et qu’aucune gestion du site n’est faite régulièrement.
Bilan du lancement (été 2009)
À l’été 2009, la DGA est très satisfaite du traitement en groupe animé par les
éducateurs spécialisés. Après seulement quelques mois, la liste d’attente pour
recevoir un premier service est réduite à zéro. Ces bonnes performances permettront
de convaincre ceux qui résistent toujours au changement, selon la DGA. En effet,
179
comme le reconnait cette dernière, il y a encore plusieurs résistants, particulièrement
à l’intérieur des points de service où le changement implique une plus grande
réorganisation. Principalement, les orthophonistes sont toujours à convaincre, tout
comme les chefs de programme. Ce n’est toujours pas tout le monde qui voit les
points positifs de ces traitements en groupe.
Pour la suite des choses, deux enjeux sont importants selon le comité de
pilotage et la DGA. Premièrement, la communication doit être intensifiée concernant
les éléments bénéfiques du projet. À cet effet, la DGA et la chef de programme sont
bien contentes d’apprendre que le « projet-langage » des points de service de cette
dernière a été sélectionné par le congrès québécois de réadaptation en déficience
physique pour faire l’objet d’une présentation le 31 octobre 2009. Trois
intervenantes provenant de ces trois points de service iront présenter le projet.
L’expérience personnelle qu’elles communiqueront suffira peut-être à rassurer et
rallier ceux qui sont toujours réticents? La communication avec les chefs de
programme reste donc essentielle dans les mois qui suivent étant donné le nombre
encore trop élevé de professionnels qui refuse de collaborer pleinement.
Deuxièmement, la DGA voit l’importance de divulguer les chiffres
concernant la performance du projet. La liste d’attente ayant diminuée à zéro,
l’ensemble des critères du MSSS ayant été respecté, elle se demande maintenant
combien d’enfants sont en attente du deuxième service, soit le suivi régulier.
Combien sont-ils à avoir participé aux rencontres de groupe et qui sont maintenant
180
en attente d’évaluation afin de recevoir ce que l’on appelait avant la réorganisation le
premier service (avec un orthophoniste, un ergothérapeute ou un éducateur
spécialisé)?
4.3.4 Étude de Cas : Partenariat CSSS – CRD
Le cas Partenariat CSSS - CRD est un projet de changement organisationnel
majeur entrepris dans le cadre du projet LEGG. Ce projet d’innovation est élaboré
entre un CSSS hospitalier et un Centre de réadaptation en dépendance au sein du
système de santé québécois. Le cas a été conçu à partir d’entrevues réalisées aux
mois d’octobre et novembre 2009. Au total huit participants ont été interviewés par
deux chercheurs du projet LEGG suivant le protocole d’entrevue semi-structurée
présenté à l’annexe 1. Les entrevues ont duré entre 45 et 60 minutes.
Mise en contexte
Un système de santé efficace et crédible aux yeux de la population prévoit de
mettre en place des services de soins capables d’accueillir tous maux possibles chez
ses utilisateurs. Ceci peut se faire en première ligne, par des services médicaux et
sociaux généraux, en deuxième ligne par des services spécialisés ou en troisième
ligne par des services surspécialisés.
L’offre de service de santé se doit de comprendre les troubles
psychologiques. Ceux-ci sont divisés en plusieurs catégories selon les causes ou les
conséquences de la psychopathologie, selon la population touchée et selon la sévérité
des cas. Ainsi, il existe des corridors de service de 2e ligne portant sur des
181
problématiques telles que : les troubles de santé mentale, les dépendances, la
déficience intellectuelle, etc. Ces services de seconde ligne nécessitent toutefois une
intervention de première ligne visant l’accueil, les urgences et les évaluations
préliminaires.
Le système de santé au Québec est divisé en 18 régions, chacune chapeautée
par une Agence de Santé et Service Sociaux (ASSS). Celle-ci a pour objectif la
coordination des différents établissements de santé de son territoire afin d’en assurer
la performance à tous les niveaux. L’ASSS du territoire concerné ici comprend près
de 20 établissements publics dont près de la moitié sont des Centre de Santé et de
Services Sociaux (CSSS). Ces CSSS ont la responsabilité de planifier l’organisation
des services sur chacun de leur territoire pour l’ensemble des programmes clientèles.
À ces CSSS se rajoutent divers centres régionaux spécialisés pour la plupart en
réadaptation, par exemple le Centre de Réadaptation en Dépendance (CRD).
L’Hôpital Saint-Jean (CSSS)
L’hôpital Saint-Jean est intégré, depuis 2004, au sein d’un Centre de Santé et
de Services Sociaux (CSSS). L’hôpital Saint-Jean offre plusieurs programmes de
soins et de services gérés en cogestion. Le programme au centre du présent cas est
celui de Santé mentale et Déficience intellectuelle Adulte (SMDA). Il est dirigé par
Mme Gravel au niveau clinico-administratif et par le docteur Pierre Thibodeau, au
niveau médical. Tous les deux sont considérés comme d’excellents gestionnaires.
Mme Gravel a été choisie comme candidate au programme « GESTION », un
182
programme de formation de prestige en santé chapeautée par la Fédération
canadienne de recherche en santé et services sociaux. De son côté, le Dr Thibodeau
possède une vaste expérience de gestion et a dirigé divers départements de
psychiatrie ici et à l’étranger. Les deux ont mutuellement confiance en leur capacité
de faire face aux défis que pose la gestion du programme.
Mme Gravel se dit personnellement préoccupée par l’amélioration continue
de ses services. Elle sent bien la pression du ministère concernant la qualité et
l’efficience des soins promulgués. C’est dans cette perspective que, dès la fin 2007
en analysant les différents indicateurs de performance à sa disposition, Mme Gravel
se rend compte d’une inefficience importante dans le programme SMDA. En fait,
les patients suivis en deuxième ligne pour des soins en santé mentale incluant les
troubles de personnalité, psychotiques et de l’humeur ne semblent pas progresser de
façon satisfaisante. Plus précisément, plusieurs de ces patients abandonnent leur
traitement en cours de route ou ils rechutent et doivent se représenter à l’hôpital afin
de reprendre les traitements. De l’expérience du Dr Thibodeau et de quelques autres
psychiatres du programme, ce taux d’échec est principalement dû à un phénomène de
comorbidité. Ces patients ne présentent pas seulement des difficultés de santé
mentale mais ils souffrent aussi, en concomitance, de troubles de dépendance aux
drogues, à l’alcool ou au jeu. Il est difficile d’observer des progrès en santé mentale
si le patient souffre de dépendance et n’est pas suivi en rapport à cette dépendance.
On sait que la motivation en cours de traitement peut chuter rapidement et que
l’hygiène de vie après-traitement peut entrainer une recrudescence des rechutes.
183
Lorsque ces patients sont diagnostiqués comme présentant ces signes
concomitants, ils sont alors référés au CRD car, selon les psychiatres et
psychologues du CSSS Saint-Jean, il s’avère plus facile et plus utile de traiter les
difficultés de santé mentale après que les problèmes de dépendance aient été
solutionnés.
Selon une étude (Mercier et Beaucage, 1997), entre le tiers et la moitié des
patients traités pour des difficultés de santé mentale présentent un trouble de
toxicomanie. De l’autre côté, entre la moitié et le deux tiers des patients suivis pour
troubles de dépendance présentent aussi des problèmes de santé mentale. Plus en
profondeur, selon une autre étude (Chassé et al., 1999) les dossiers cliniques des
patients en santé mentale ne contiennent que très rarement des informations sur les
problématiques de toxicomanie. Dans cette étude et au CSSS Saint-Jean, on s’entend
pour dire que les troubles de dépendances sont sous-évalués. Un trouble concomitant
apporte facilement de la confusion, le trouble mental pouvant masquer le trouble de
dépendance lors de l’évaluation. De plus, les cliniciens des centres hospitaliers ne
sont pas confortables à l’idée de questionner les patients sur la consommation de
substances psychoactives, particulièrement lorsqu’elles sont illégales.
Mme Gravel prend donc conscience que son programme est confronté à la
même situation que plusieurs autres. En bref, il n’est pas approprié pour répondre à
cette clientèle particulière. Plus précisément, elle ne dispose pas d’intervenant
184
spécialisé en troubles de dépendance. Cela s’explique en partie par le fait que le
système de santé vise à prendre en charge ce problème par la mise sur pied de
centres de réadaptation spécialisés tels que le Centre de Réadaptation en
Dépendances (CRD). Voyant l’inefficacité de la collaboration indirecte (c'est-à-dire
en encourageant le patient à se rendre au CRD), elle se doit de réfléchir à une autre
solution.
Le Centre de réadaptation
Le CRD est un centre de réadaptation spécialisé dans le traitement des
problèmes d’abus et de dépendances aux drogues, à l’alcool et au jeu. Opérant sur un
budget de huit millions de dollars (2007), il emploie environ une centaine
d’intervenants à travers huit points de service dans la région. De tels centres sont
prévus afin d’apporter des services spécialisés de qualité à la population.
Le directeur des services professionnels et de réadaptation du CRD, M.
Giroux est au courant de la problématique constatée par Mme Gravel. D’ailleurs, il a
déjà été contacté dans le passé par un autre hôpital de la région pour la même
clientèle, soit celle présentant un trouble concomitant. La direction de cette dernière
a tenté de mettre sur pied un partenariat avec le CRD afin de coordonner de façon
plus rigoureuse le processus de référence entre les deux établissements. Ceci, dans le
but de diminuer le taux de rechute et d’abandon de traitement. Par contre, comme le
souligne M. Giroux, le CRD est un petit établissement en comparaison aux hôpitaux
ou aux CSSS. À son expérience, ces gros joueurs du réseau ne se préoccupent pas
185
réellement des besoins d’un CRD et de sa façon de fonctionner, plus flexible selon
son personnel. Ainsi, au CRD, la structure hiérarchique est très rudimentaire et mise
sur une gestion participative. À son avis, force est de constater que le système
hospitalier requiert souvent les services des intervenants en traitement des
dépendances du CRD afin d’améliorer ses propres performances, mais ne réussit pas
réellement à lui offrir un soutien significatif en retour.
Même s’il sait qu’une collaboration entre le CSSS Saint-Jean et le CRD est
fortement souhaitée par l’ASSS de la région, il est tout de même conscient que ceci
ne ferait qu’augmenter son nombre d’usagers. Les intervenants du CRD sont
conscients qu’ils font de plus en plus face à une hausse du nombre de patients
présentant un trouble concomitant et qu’ils ont besoin de plus de temps de traitement
et d’un suivi plus long. Comme ces intervenants sont déjà surchargés de travail, un
tel projet ne fait qu’accroître la charge de travail sans pour autant suggérer de
retombées positives. Au CRD, on ne considère même plus cela comme une
opportunité de mieux faire connaître ses services. M. Giroux, se désole toutefois de
cette situation puisqu’il observe constamment les effets négatifs de ce manque
d’intégration dans les services. Malheureusement, il reconnaît que son centre n’a pas
l’envergure suffisante pour influencer ces « machines bureaucratiques» que sont les
hôpitaux de la région tel que Saint-Jean.
Au début 2008 il reçoit un appel de Mme Gravel, qui lui fait part de ses
observations concernant la faible performance de son programme dans le traitement
186
de patients atteints de troubles concomitants de santé mentale et dépendances. M.
Giroux ne peut qu’être en accord avec ce constat mais hésite à s’engager plus avant
dans une collaboration avec un Centre hospitalier, compte tenu de ses expériences
antérieures.
Mme Gravel est très consciente des distinctions entre les deux organismes et
elle ne souhaite en aucun cas simplement « profiter » du CRD. Une association
durable et organisée est de loin préférable. Elle souhaite qu’une telle collaboration
puisse favoriser l’évolution et l’apprentissage des deux centres et indique clairement
son intention de se laisser influencer par les façons de faire des intervenants en
dépendance. On convient que tout succès résidera dans cette compréhension
mutuelle. Afin de mettre sur pied des services profitables au continuum de service de
chaque partenaire, Mme Gravel propose une solution jamais expérimentée
auparavant. Elle souhaite assigner un psychiatre volontaire à quelques jours de
travail par semaine au sein du CRD afin de soutenir les intervenants en dépendance
en regard des problèmes de santé mentale des patients concernés. M. Giroux
reconnait qu’une telle offre s’inscrit bien dans le type de collaboration qu’il souhaite.
Il envisage donc aussi que ses intervenants puissent aller soutenir, eux aussi, les
psychologues et psychiatres du CSSS en leur apportant leurs savoir-faire.
Rapidement une atmosphère ouverte et axée sur la collaboration s’installe.
187
La mise en place du comité de pilotage
Quelques rencontres ont eu lieu entre Mme Gravel et M. Giroux qui invitent
le Dr Thibodeau à participer aux réflexions. Tous s’entendent rapidement sur la
nécessité de structurer leurs actions. Après tout, le système de santé est prévu pour
bien distinguer leurs deux types de service, il y aura donc des embuches à déployer
un processus bien intégré. Ils s’installent donc tous les trois en mode pilotage de
projet afin de planifier un tel projet. Mme Gravel joue le rôle de « porte-parole » du
groupe et s’assure de constamment placer le compte rendu des travaux du groupe à
l’ordre du jour du Conseil d’administration de l’hôpital afin de le garder bien vivant.
Ce groupe de travail met sur papier des dizaines d’ « actions » à entreprendre
pour soutenir cette collaboration. Cet exercice leur permet de constater à quel point
ils devront concrètement investir de l’énergie à réviser les structures et les habitudes
en place. Ils concluent de cet exercice qu’il est essentiel d’engager un consultant
capable de guider l’élaboration des priorités et la planification du projet. Ils veulent
toutefois éviter de confier un tel projet à quelqu'un de l’interne des établissements
afin d’éviter un parti pris, ne serait-ce que perceptuel, dans la conduite de ce projet.
Ils conviennent d’un commun accord, et avec enthousiasme, de confier ce
mandat à M. Tremblay, consultant externe ayant assumé de très nombreux mandats
en dépendances et quelques-uns en santé mentale au cours des 20 dernières années
en lien à la planification, l’organisation ou l’évaluation des services à un niveau
188
local, régional ou provincial. Il est à souligner que M. Tremblay a déjà assumé
quelques mandats de consultant au CRD.
Rapidement, M. Tremblay s’investit dans la planification du projet et est
rapidement considéré une source importante dans le succès du projet. Les
intervenants du CRD se sentent en quelque sorte protégés par M. Tremblay. En
outre, afin de l’aider à se positionner au cœur des deux centres, on lui offre un poste
de travail au CSSS Saint-Jean. On vise ainsi à mobiliser le personnel de Saint-Jean
face au projet et de leur démontrer les bienfaits d’un partage avec le CRD.
Avant de diagnostiquer et de prioriser certaines de ces « dizaines d’actions »
à mettre en œuvre, plusieurs interventions coordonnées par M. Tremblay sont mises
en place afin d’optimiser les chances de succès de cette intention.
Premièrement, de la fin de 2007 à mars 2008, deux gestionnaires du
programme SMDA du CSSS Saint-Jean participent au comité santé mentale du
CRD. Ceci se veut une première intervention visant à rapprocher les deux centres
afin que leurs membres se connaissent davantage et qu’ils puissent explorer les
différentes possibilités de collaboration.
Ensuite, le chargé de projet lance un diagnostic organisationnel en avril 2008
auprès de 90 praticiens et gestionnaires de programme du SMDA du CSSS Saint-
Jean. Ce diagnostic est effectué à l’aide d’un questionnaire visant à recueillir les
189
propos des participants sur l’état des services à la clientèle présentant un trouble
concomitant et sur les besoins de services et de formation pour améliorer la situation.
Suite au traitement des réponses au questionnaire, en juin 2008, M. Tremblay
rencontre toutes les équipes de travail afin de partager les résultats et les perspectives
possibles d’amélioration qui en découle.
Troisièmement, en juillet 2008, un comité de pilotage inter-établissements est
officialisé. Celui-ci regroupe les membres des deux directions propagatrices du
projet. Ainsi, Mme Gravel, Dr. Thibodeau et M. Giroux se joignent à M. Tremblay
pour former ce comité qui débute une série de rencontres de planification du projet
visant à mieux desservir la clientèle présentant des troubles concomitants en santé
mentale. M. Tremblay met aussi rapidement en place un comité conjoint afin de
discuter de ces différentes actions au niveau clinique autant qu’administratif. Ce
comité rassemble des membres des deux centres en jeu. Ainsi, des membres du CRD
et du CSSS sont sélectionnés selon leur motivation et leur niveau de responsabilités
pour le succès du projet. Pour le CRD, la chef administratrice des programmes, une
psychologue, un intervenant-coordonnateur et un agent en relations humaines sont
invités. Pour le CSSS, deux chefs de programme, deux coordonnatrices et la
psychiatre, Mme Girard, sont invités comme représentants.
Finalement, suite aux travaux collaboratifs du comité santé mentale du CRD
et au diagnostic des besoins au CSSS Saint-Jean, les comités de pilotage et conjoint
ont fait le dépôt final d’un cadre d’implantation en novembre 2008. Celui-ci contient
190
les assises théoriques d’un rapprochement des partenaires en termes de bonnes
pratiques, de concepts clés, de sélection de la clientèle visée et de choix d’actions
susceptibles d’être réalisées dans le but de mettre en place des services intégrés. Ce
cadre prévoit entre autres cinq actions prioritaires pour le bon déroulement du projet.
Les cinq actions du cadre d’implantation (printemps 2009)
Pour la clientèle présentant un trouble psychotique au CSSS Saint-Jean:
1- Co-animation de groupe de type « psychoéducatif » par un intervenant du
CRD auprès des différents services du CSSS Saint-Jean et portant sur la
problématique des troubles concomitants en santé mentale et dépendance.
2- Indications cliniques dispensées par un intervenant du CRD en vue
d’aider les praticiens de 2e ligne à mieux travailler certains aspects de la
problématique dépendance dont la motivation au changement de leurs
patients.
3- Intensification et formalisation de la collaboration entre le Suivi Intensif
dans le Milieu (SIM) et le CRD afin de favoriser l’accessibilité au
service, et la persévérance en traitement pour la clientèle du SIM.
Pour la clientèle présentant un portrait clinique complexe au CRD:
4- Disponibilité d’un psychiatre du CSSS Saint-Jean pour procéder à des
évaluations psychiatriques et participer à des discussions pour clarifier le
portrait diagnostique. Cette clientèle est susceptible d’être référée pour un
suivi médical conjoint en lien à une médication.
191
Pour la clientèle présentant un trouble de personnalité limite ou narcissique
sévère au CRD:
5- Participation d’un psychologue du module « troubles de personnalité » du
CSSS Saint-Jean à des discussions cliniques afin d’ajuster le plan de
traitement. Cette clientèle est très fréquemment suivie par les deux
établissements et les plans de traitement demandent à être coordonnés et
même intégrés.
La mise en œuvre des 5 actions
La collaboration entre les deux établissements se formalise aux dires des
deux comités. Les actions 1, 2 et 3 visent à partager le savoir du CRD au sein du
CSSS Saint-Jean afin d’améliorer la rétention des patients dans leur suivi et
augmenter le niveau de confort et d’efficacité des professionnels dans leurs
interventions portant sur la consommation d’alcool et de drogues chez leurs patients.
Les actions 4 et 5 visent à améliorer le suivi des patients au CRD. Un psychologue et
une psychiatre du CSSS iront soutenir, par leur travail, les évaluations en santé
mentale ainsi que la qualité des suivis au CRD. En avril 2009, on amorce les travaux
d’implantation de ces cinq actions.
Trois intervenants au CRD se trouvent particulièrement impliqués dans ces
trois premières actions. Évidemment que pour eux, à première vue, ces actions
représentent une surcharge de travail. De plus, compte tenu de leurs expériences
antérieures avec un autre hôpital, ils redoutent que le projet ne se traduise par une
simple surcharge de la liste de patients du CRD. Par contre, conscient de la
192
problématique des troubles concomitants, ils s’investissent à faire leur part pour
contribuer à la mise en place de services intégrés.
Les actions pour la clientèle du CSSS Saint-Jean
Deux professionnels du CRD se rendent formellement, une fois par semaine,
dans des groupes cliniques de suivi de patients psychotiques atteints aussi d’un
trouble de dépendance. Il est à noter que ces patients sont présents et au cœur de ces
réunions cliniques. Les intervenants du CRD sont invités à apporter leur expertise et
peuvent aussi assurer un certain suivi auprès des patients référés au CRD. Ils
promulguent donc des conseils spécialisés en toxicomanie aux psychologues et
psychiatres du groupe. L’action 1 est donc mise en œuvre. En juillet 2010, 73
patients ont déjà bénéficié de ces rencontres.
Pour M. Lemoine, intervenant au CRD ainsi que pour le comité de pilotage,
la deuxième action est en continuité avec la première. Toujours avec sa collègue, ils
élaborent avec plusieurs acteurs et références dans le domaine, un canevas de
réflexion sur l’ « entrevue motivationnelle ». Cette forme d’entrevue a comme
objectifs de 1) travailler la motivation du patient afin qu’il accepte que le CRD
s’implique dans une intervention intégrée plus étendue que les seules discussions de
cas entre le CRD et le CSSS ; 2) motiver le patient à suivre son traitement en
toxicomanie jusqu’à la fin. Les interventions et sujets de discussion autant que les
formulations à adopter sont formalisés afin de diffuser ce contenu à l’intérieur d’une
formation/séminaire aux psychiatres et psychologues du CSSS. Cette action vise à
193
faire diminuer le taux d’abandon élevé des patients en les motivant à compléter leur
traitement en entier. Tous voient l’importance et l’efficacité de ces interventions. De
plus, l’équipe s’efforce d’être efficace dans le temps requis des participants. En effet,
comme tous vivent une certaine surcharge clinique, Mme Cardin et M. Carpentier
réussissent à dispenser la formation en 7 réunions au cours de l’été 2010. Une telle
formation sur l’entretien motivationnel est de mise aux dires de tous. Ainsi, un
programme de formation est élaboré et deux participants sont formés.
Ces expériences sont très positives aux dires de M. Lemoine. Les
professionnels avec qui il doit interagir sont très ouverts à devenir plus efficaces sur
ces sujets. Ils sont donc chaleureux lors des échanges et lui partagent aussi de leur
savoir en santé mentale. Il avoue que le fait de rencontrer ces professionnels du
CSSS de façon régulière fait en sorte qu’ils lui apparaissent de plus en plus
sympathiques. Une des grandes retombées positives à son avis est ce rapprochement
essentiel entre des membres des deux centres.
L’action 3 porte sur l’intensification et la formalisation de la collaboration
entre le Suivi Intensif dans le Milieu (SIM) et le CRD pour faciliter la rétention des
patients à leur traitement. Pour ce faire, il est prévu qu’un intervenant du CSSS
accompagne un patient dans un traitement au CRD. En effet, les interventions du
SIM (CSSS Saint-Jean) portent à plus long terme contrairement aux interventions
ciblées à court terme du CRD. Ainsi, plutôt que de référer un patient du SIM vers le
CRD, l’intervenant du SIM l’accompagne en personne au CRD et joint son expertise
194
à l’intervenant en dépendance à toutes les étapes du processus. Cette action
développe des apprentissages de part et d’autre. Les acteurs du CSSS se familiarisent
avec les approches des intervenants du CRD. Et ces derniers développent des
connaissances au niveau du suivi en santé mentale. Selon les divers participants au
projet, cette initiative permet d’assurer un suivi étroit des patients dans un climat de
partage et de bonne entente. L’implication des acteurs des deux centres et la
formation sur l’entrevue motivationnelle d’un intervenant du SIM contribuent toutes
les deux à rehausser le niveau de rétention des patients.
En date de juillet 2010, dix patients bénéficient de cet accompagnement et
s’en disent très satisfaits. Il est à noter par contre que les patients éligibles à ce
partenariat précis sont habituellement des cas complexes déjà connus depuis
plusieurs années par les deux centres et requièrent une démarche au long court bien
que dans les faits cela puisse se vivre parfois par des épisodes successifs de
traitement. Il y a donc toujours du travail à faire afin de développer une approche
permettant des soins d’encore meilleure qualité dans une intégration des traitements
des deux centres. Les retombées possibles sont d’ailleurs motivantes pour les
intervenants. Il est démotivant pour ces intervenants de perpétuellement
recommencer les traitements parce qu’un patient ne donne pas de suite à sa référence
au SIM ou au CRD, ou lorsque son traitement est mis en péril par un épisode de
consommation ou un épisode psychotique. Ce suivi collaboratif entre les deux
centres apparaît donc comme étant plein de potentiel. Cependant, cela nécessite un
195
certain investissement des professionnels ainsi qu’une mécanique permettant le
profilage des usagers et l’accompagnement de ces derniers vers les services du CRD.
Aujourd’hui, en regard des actions 1 à 3, M. Lemoine et ses collègues
reconnaissent qu’une problématique demeure. En effet, afin d’apporter un soutien
précis et spécialisé aux cliniciens du CSSS, les intervenants du CRD ont besoin que
les difficultés cliniques de ces patients soient bien documentées. Or, il est rare que
les cliniciens produisent par écrit cette documentation détaillée. Ainsi, il s’avère
difficile pour les intervenants du CRD d’identifier les besoins spécifiques des
psychiatres et psychologues en matière de toxicomanie. M. Lemoine se voit donc
obligé d’investir plus de temps et d’énergie pour mieux caractériser les besoins des
cliniciens et, du même coup, cela rend certaines de ses interventions plus vagues et
plus lentes. Toutefois, ce manque de communication n’a pas que des effets négatifs.
Ainsi, plusieurs s’entendent pour dire que cela force en quelque sorte les intervenants
à mieux s’écouter et à mieux collaborer afin de répondre aux besoins de chacun.
Ainsi, on en vient à développer une meilleure collaboration et une spécificité plus
grande concernant l’aide à apporter.
Pour M. Lemoine, le projet s’annonce déjà comme un succès. Il est en
mesure de constater les effets positifs de cette collaboration. Pour lui, comme la liste
de patients est maintenant mieux gérée et suivie, cela a des effets positifs sur la
charge de travail. Il ne perçoit pas les effets négatifs observés comme ce fut le cas
196
pour le projet avec cet autre hôpital de la région. Par contre, il lui est impossible
d’estimer le succès de ces mesures chez son partenaire, le CSSS Saint-Jean.
Bref, ses craintes sont maintenant réduites et il voit beaucoup plus
d’avantages que d’inconvénients au déploiement de ces trois premières actions.
Aujourd’hui, un psychologue de Saint-Jean participe une fois par mois à la réunion
d’équipe du CRD. Il partage de l’information et stimule la réflexion et la discussion
concernant les troubles de personnalité en vue d’ajuster le plan d’intervention. Puis,
une psychiatre vient une demi-journée par mois pour faire des évaluations
psychiatriques auprès de certains clients suivis au CRD. Pour M. Lemoine, cet accès
à une psychiatre facilite beaucoup leur travail. Pour lui, cette formule rend disponible
à chaque partenaire une expertise qui manquait cruellement à chacun d’eux
antérieurement.
Les actions pour la clientèle du CRD
Rappelons que l’action 4 visait à rendre disponible au CRD une expertise en
évaluation psychiatrique. La docteur Girard du CSSS Saint-Jean s’est portée
volontaire afin de remplir cette fonction. Depuis le mois de mars 2009 elle se rend au
CRD une demi-journée par mois fois afin de procéder à des évaluations
psychiatriques et parfois participer à une discussion de cas. Cette activité permet
également de partager ses connaissances et son expérience au membre du CRD
concernant les troubles de personnalité. D’ailleurs, l’intervenant principal est invité à
participer à la rencontre évaluative. De plus, cet apport évaluatif assure ainsi
197
l’identification et le début de la prise en charge des patients du CRD qui ont besoin
d’un suivi conjoint lors de troubles concomitants.
Il est à noter qu’en début de projet, Dr Girard n’est pas rémunérée pour les
heures travaillées au CRD. Tout cet investissement est volontaire et bénévole. En
effet, la structure de rémunération du système de santé de la région fait en sorte qu’il
est impossible de rémunérer cette psychiatre œuvrant dans un milieu différent de son
port d’attache. Donc, travaillant au CSSS Saint-Jean, elle ne peut recevoir ses
honoraires pour les heures passées au CRD qui n’est pas structurellement affilié au
CSSS. De plus, il n’y a pas de possibilité dans le système pour intégrer une
psychiatre au sein du CRD qui n’emploie pas cette catégorie de professionnel. Pour
corriger cette situation, le Dr Thibodeau met son énergie et son expérience en gestion
de la santé en action. Il entame rapidement les discussions avec l’ASSS de la région
et le Ministère de la Santé du Québec. Il est conscient qu’il ne pourra compter
indéfiniment sur la motivation et le bénévolat du Dr Girard, déjà débordée par son
horaire de travail au CSSS. Il veut donc s’assurer que la mobilisation de sa jeune
collègue soit maintenue et surtout qu’elle soit reconnue et rémunérée pour ce qu’elle
fait. Il réussit donc une première dans le système de la région. Son action rend
possible la rémunération de professionnels œuvrant sur des cas spéciaux au sein de
centres distincts de leur port d’attache. Cette modification administrative constitue
une mise en œuvre concrète du changement.
198
L’action 5 prévoit la participation d’un psychologue du CSSS aux
discussions de cas cliniques tenues entre les intervenants du CRD afin d’aider à
l’ajustement ou la réorientation du plan d’Intervention. Un psychologue se porte
volontaire pour dispenser ses rencontres. Pour mettre en œuvre cette action, on
décide que chaque intervenant du CRD partagera un cas clinique problématique afin
de nourrir les discussions. Le psychologue partage donc son expérience sur
l’amélioration du traitement de ce type de patients. Cet effort se traduit toutefois par
des retombées inattendues ; les intervenants en viennent à partager divers outils
d’interventions comme la mise en pratique de certaines techniques efficaces en
psychothérapie (par exemple, la maîtrise du transfert et du contre-transfert).
Jusqu’à présent, onze rencontres ont eu lieu. Aux dires du psychologue et des
intervenants du Tournant, ces rencontres ont amené les professionnels à
communiquer plus souvent entre eux au sujet de cas cliniques difficiles. Aussi, le
psychologue note le fait que maintenant il peut améliorer ses propres interventions
en abordant de manière plus adaptée certains aspects de la dépendance des patients à
qui il offre un suivi plutôt que d’avoir le réflexe de les référer rapidement au CRD. Il
y a beaucoup plus d’échanges d’informations pour arrimer de part et d’autre les plans
d’intervention.
Les retombées de la mise en œuvre des cinq actions
Les membres du comité de pilotage, ceux du comité conjoint, les intervenants
du CRD et les acteurs impliqués du CSSS Saint-Jean sont tous d’accord pour
199
reconnaître que le déploiement de ces actions a permis de susciter un engagement
profond de tous ces acteurs. Le niveau d’enthousiasme des personnes impliquées
ainsi que leur confiance dans le succès du projet n’ont fait qu’augmenter au fil des
mois. En fait, plusieurs indiquent déjà que le partenariat est actif et cela peut donc
être considéré comme un projet réussi.
Aussi, ces cinq actions ont amené l’ensemble des acteurs du projet à partager
et discuter entre eux. Tous reconnaissent que plus les échanges s’intensifient, plus se
développe une familiarité avec le travail de l’autre et plus la confiance mutuelle
progresse. Les intervenants du CRD craignent moins maintenant que ce partenariat
ne serve qu’à augmenter leur charge de travail. Chacun fait donc sa part et fait
confiance que l’autre a aussi à cœur l’amélioration du processus de soin.
De plus, tous reconnaissent et apprécient le développement de leurs propres
compétences. Ainsi, même si des intervenants tels que M. Lemoine investissent
plusieurs heures au CSSS ils considèrent recevoir encore plus que ce qu’ils
investissent, compte tenu des apprentissages dispensés par le CSSS. Chacun
développe donc un plus grand confort dans son action clinique ainsi qu’un sentiment
que ces interventions deviennent plus efficaces.
M. Tremblay, le chargé de projet, est très satisfait du déroulement des travaux
pour la mise en place des cinq actions. Son travail de coordination a été intense. En
plus de communiquer l’information aux parties prenantes il se devait de susciter
200
l’engagement de ces différents groupes tout en s’assurant que les cultures
organisationnelles soient respectées. Une autre grande réussite est le fait qu’il devait
faire travailler ensemble des individus qui n’avaient jamais collaboré auparavant et
qui, de plus, ne se faisaient pas pleinement confiance. Les structures flexibles qui ont
été mises en place ont permis ce partage informel des connaissances.
Pour ce qui est des résultats, chacune des actions semble avoir atteint ses
objectifs. De plus, la préoccupation de surcharge ne semble pas avoir causé trop de
mal. Le bénéfice perçu par les acteurs s’est avéré plus grand que l’investissement
selon eux. Les données concernant la performance du programme sont attendues
d’ici la fin de l’année. Un détail à cet effet tracasse le comité de pilotage et celui-ci le
partage à M. Tremblay afin de susciter la réflexion. En fait, les indicateurs de
performance traditionnels (lits occupés, durée de séjour, etc.) ne seront pas suffisants
pour évaluer les progrès ou les déficiences du projet. De nouveaux indicateurs
doivent être conçus. Il lance donc une nouvelle démarche parmi les participants du
projet afin d’identifier des indicateurs pertinents pour mesurer l’effet des cinq
actions.
Pour conclure, M. Tremblay réfléchit présentement à certains obstacles,
présents ou potentiels, qui devraient guider son action d’ici la fin de son mandat.
D’abord, il est préoccupé d’assurer l’intégration de ces actions et des activités
connexes produites par ce projet, il apparait que ces différentes actions ont chacune
leurs retombées positives mais celles-ci ne sont pas intégrées dans un processus
201
coordonné et elles manquent d’indicateurs concrets. En outre, rares sont les
participants mobilisés du côté du CSSS. La mobilisation réussie chez le CRD n’a pas
son équivalent du côté du CSSS ou seulement quelques individus comme le Dr
Girard, et trois collègues intervenants ou administrateurs, participent concrètement
au projet. De fait, l’ensemble des psychiatres et des psychologues ne sont
qu’observateurs du partenariat. Les psychiatres en particulier semblent manquer de
confiance envers un leadership qui les représente. Enfin, le chargé de projet a peur
que le succès d’une telle initiative ne repose que sur les individus qui y prennent
part. Ainsi, il déploie beaucoup d’énergie à soutenir la motivation des acteurs. Cela
l’inquiète puisque son propre contrat arrive à terme. Qu’arrivera-t-il à la fin de cette
période ?
4.4 Le modèle formel
La présente section vise à élaborer rigoureusement une méthodologie ayant
comme point focal le modèle lui-même afin de lui permettre de « décrire » la co-
construction dialectique acteurs-organisation, ainsi que d’offrir des leviers réflexifs
de transformation.
La recension des écrits en sciences de la gestion et plus particulièrement sur
les méthodes par structuration de problème stipule que l’interface, ou le modèle
formel, vise à outiller le décideur. Ainsi, les efforts ci-déployés sont investis dans
une optique axiomatico-inductive pragmatique (Le Moigne, 1987). Le modèle formel
élaboré se veut simplificateur face au modèle conceptuel. De plus, l’objectif est
202
d’offrir des leviers d’intervention efficients par la possibilité de rendre compte d’un
diagnostic des neuf capacités du modèle de Rondeau (2008) à travers la situation
managériale. Il est à noter que pour ce faire, le modèle étant un outil de
transformation tel que proposé par la présente thèse, sa forme descriptive est aussi
importante dans ses visées pragmatiques réflexives.
Qui plus est, tel que la recension des études portant sur la validité de modèles
en sciences de la gestion le suggère, les méthodes quantitatives sont utiles à
l’obtention d’indicateurs reconnus comme valides sinon crédibles. À cet effet, la
psychométrie offre plusieurs outils afin de valider la quantification d’objet de
recherche considérés comme « soft ». Les outils récupérés dans la présente étude
sont parmi les plus reconnus dans la documentation à haut niveau d’impact en
psychologie. Cependant, ils sont présentés à travers une relecture de leurs
fondements épistémiques et méthodologiques plutôt que sur la seule base qu’est le
référencement au sein des différents travaux publiés. En effet, la présente étude n’est
ni positiviste, ni de causalité. En récupérant les mots de Le Moigne (1987), elle tente
plutôt l’interprétation et la représentation opératoire du modèle en gestion du
changement. Tel que le propose le paragraphe précédent, l’intérêt pragmatique est
prioritaire, mais nécessite son penchant descriptif. Ainsi, la thèse présente
l’élaboration d’un questionnaire quantitatif autour duquel sont mobilisées des
techniques de validation psychométriques empruntées à une discipline positiviste.
203
La prochaine partie présente les interventions tirées de ces méthodes et
s’appliquant à la seule activité de façonnement du modèle formel. Les techniques de
validation quantitatives requérants un ou plusieurs des autres objets du tétraèdre sont
présentées dans le chapitre subséquent portant sur les quatre enjeux de la validation
selon Oral et Kettani (1993).
4.4.1 Validité de contenu et d’apparence du modèle formel
Dans l’objectif de concevoir des items représentant bel et bien les neuf
dimensions proposées par Rondeau (2008), un panel de chercheurs et d’assistants de
recherche en gestion du changement a dû argumenter et s’entendre sur les items
proposés a priori ainsi que sur leur formulation. Les instructions concernant la
qualité de la formulation stipulent que : 1) le niveau linguistique utilisé doit être
accessible au plus grand nombre, 2) la formule doit être simple et tenir en une seule
phrase d’une seule ligne, 3) la phrase ne doit contenir qu’une seule idée
représentative d’une seule dimension, 4) un item doit pouvoir s’appliquer à tout type
de changement en général, 5) l’item débute par le marqueur […] et doit suivre la
question d’introduction : « Sur l’échelle suivante, indiquez dans quelle mesure… ».
L’échelle de réponse est en cinq points. Ainsi, de 1 à 4 le participant peut
répondre, en ordre : « pas du tout, un peu, assez, tout à fait ». Le cinquième point
permet au répondant, contrairement aux impératifs positivistes habituels de la
validation en psychométrie, de répondre : « ne s’applique pas, ne sait pas ». Ce
dernier point permet de ne pas forcer le répondant à déclarer une réponse sans que
204
celui-ci ne soit au courant de l’information demandée au sujet d’un élément
considéré important pour le diagnostic. L’échelle de réponse offre alors une
pondération croissante et quantifiable pour chacun des items et du même coup, une
échelle de « contamination par l’information » tirée du cinquième point de l’échelle.
En d’autres mots, le modèle formel permet de connaitre autant la valeur d’une des
neuf dimensions au sein des participants et ainsi produire un résultat quantitatif pour
chacune des neuf dimensions. Mais, il peut aussi offrir une information au niveau de
la prise de conscience chez les participants au sujet d’une des dimensions (lorsque la
réponse est « ne s’applique pas, ne sais pas »). Ceci peut aider à identifier des
besoins de communication et de partage plutôt, ou en plus, d’efforts particuliers
quant à la dimension donnée.
Une introduction est présentée au tout début du questionnaire afin de
spécifier la « situation managériale » visée par celui-ci. Cette introduction va comme
suit : « Votre organisation a entrepris récemment un changement visant à… ».
Dépendamment du projet, l’utilisateur doit spécifier le résumé du projet dans les
lignes qui suivent afin de guider la captation des schèmes cognitifs des répondants
selon le cadre précis de la situation managériale visée.
Finalement, chacun des neuf thèmes du modèle a fait l’objet d’une variable
dite latente sur laquelle l’ensemble du panel de chercheur ont eu comme mission
commune de s’entendre sur le niveau de représentation des items composés en lien
avec la définition du thème lui-même, de l’enjeu (légitimation, réalisation,
205
appropriation), ainsi que de la logique d’action (stratégique, systémique,
opérationnelle) dans laquelle il s’inscrit. Il est à noter que cela amène du coup une
validité d’apparence. Quatre-vingt-sept items ont été composés afin de couvrir
l’ensemble du modèle en neuf facteurs. Le questionnaire complet est présenté à
l’annexe 3 et le tableau XII présente le nombre d’items par dimension.
Tableau XII : Nombre d’items par variable
Dimensions Nombre d’items
Vision 12
Modèle 7
Communication 14
Pilotage 12
Capacité 12
Effort 10
Intérêt 6
Apprentissage 8
Progression 7
Dans l’optique pragmatique de l’élaboration du modèle formel, il apparait
nécessaire de : 1) réduire les « coûts » en temps requis pour répondre au
questionnaire, 2) s’assurer qu’une dimension est bel et bien indépendante des autres
suggérant ainsi des leviers d’interventions précis à cette dimension, donc non confus
entre les variables latentes. Il apparait nécessaire de réduire le nombre d’items tout
en éliminant les items confondus entre deux dimensions ou plus. L’analyse
206
factorielle par composante principale telle qu’appliquée en psychométrie est utilisée
ici à ces fins.
4.4.2 L’analyse factorielle par composante principale
Géométrique autant que statistique, l’analyse factorielle par composante
principale est utilisée comme outil de validation de construit au sein des méthodes
quantitatives. Elle vise entre autres à distinguer des variables inter-corrélées (ici les
neuf dimensions). Pour ce faire, en utilisant les matrices de covariances, l’analyse
tente de regrouper les items dont la variance converge dans la même direction. Ainsi,
plusieurs items peuvent converger vers la même variable dite latente. Cette dernière
est alors représentative de la convergence des covariances propres aux réponses
réelles des participants aux items la composant. Cette variable latente n’est donc pas
observée directement.
Cependant, rien n’empêche qu’un item présente un poids statistique (seuil de
saturation) convergent avec plus d’une variable latente. Il est alors confondu. Au
final, l’analyse statistique « réorganise » un ensemble d’items sous des variables
latentes représentatives de leur regroupement.
Il est alors nécessaire dans le cadre de la présente étude de procéder à une
observation de ces regroupements afin de déterminer : 1) si les variables latentes
identifiées par le test correspondent, par leurs items regroupés, aux variables prévues
théoriquement; 2) évaluer les seuils de saturation propres aux différents items sous
207
leurs variables latentes respectives afin de juger de leur poids « explicatif » de la
variable en question et éliminer les items sans valeur15
; 3) éliminer les items
présentant des seuils de saturation confondus entre deux variables latentes et plus.
Un item considéré comme confondu présente alors des seuils de saturation plus
grands que 0,4 sur plus de deux variables16
.
Afin de procéder à l’analyse, 131 participants impactés par les projets de
changements ont été recrutés sur une base volontaire au sein des deux terrains de la
présente étude. La passation du questionnaire psychométrique a été réalisée trois
mois après la complétion des entrevues semi-structurées menant à la conception des
analyses de cas de l’objet « situation managériale ». L’ensemble des 87 items ne peut
être testé par analyse factorielle exploratoire par composante principale pour
retrouver neuf dimensions indépendantes. En effet, le nombre de degrés de liberté
offert par les 131 participants est insuffisant relativement au nombre de variables
latentes proposées (9 variables) (Escofier, 1988; Benzécri, 1973).
Afin de pouvoir tout de même procéder à l’épuration des items, une analyse
factorielle exploratoire par composante principale est utilisée et contrainte à trois
facteurs. L’objectif est de tenter de retrouver les trois variables latentes supérieures,
soit les enjeux de légitimation, de réalisation et d’appropriation. Une rotation oblique
15
À cet effet, Tabachnick et Fidell (1999) fixent le seuil minimal acceptable et référencé à 0,4. 16
Il est à considérer que plusieurs autres indicateurs, tels que la variance expliquée propre à chacun
des facteurs, sont importants d’un point de vue positiviste. Ici, considérant les visées pragmatiques
ainsi que le fait de ne pas pouvoir obtenir suffisamment de degrés de liberté, ces indicateurs ne se
révèlent pas utiles. Par contre, une validité positive est à tirer du fait que les variables latentes testées
et identifiées obtiennent toutes une valeur propre plus élevée que 1,0.
208
est imposée à la matrice des données afin de respecter la possible interrelation entre
les dimensions. Ainsi, indépendamment pour chacune des trois logiques d’action, un
test est effectué afin de retrouver trois facteurs avec une valeur propre plus élevée
que 1 et correspondant à chacun des trois enjeux.
Au total des items sont confondus entre au moins deux dimensions. Dans
quelques cas certains items présentent des seuils de saturation sous le seuil minimum
acceptable de 0,4 (Tabachnick et Fidell, 1999). Ces items confondus ont été retirés
afin de cibler chacune des dimensions de façon orthogonale. Cette procédure est
contre-validée par l’obtention, pour chacune des trois logiques d’action, de trois
valeurs propres (seulement) plus élevées que un et représentant leur variable latente
respective.
Plus précisément, les dimensions « vision », « pilotage » et « intérêt »
(logique d’action stratégique) présentent un construit valide17
selon le test effectué.
Trois facteurs distincts sont identifiés et représentent 65% de la variance expliquée.
Trois items composent l’échelle « vision » obtenant des seuils de saturation allant de
0,64 à 0,86. Six items composent l’échelle « pilotage » obtenant des seuils de
saturation allant de 0,65 à 0,88. Quatre items composent l’échelle « intérêt »
obtenant des seuils de saturation allant de 0,68 à 0,78. Le tableau XIII présente les
résultats relatifs à ces construits.
17
À l’intérieur du cadre pragmatique offert et explicité plus haut dans le texte.
209
Tableau XIII : Construit des facteurs de la logique d’action stratégique selon les
trois enjeux de la gestion des capacités à changer
Logique d’action
stratégique
Vision Pilotage Intérêt
Nombre d’items
Seuil de saturation
minimum observé
Seuil de saturation
maximum observé
3
0,64
0,86
6
0,65
0,88
4
0,68
0,78
Les dimensions « modèle », « capacité » et « apprentissage » (logique
d’action fonctionnelle) présentent un construit valide selon le test effectué. Trois
facteurs distincts sont identifiés et représentent 58% de la variance expliquée. Trois
items composent l’échelle « modèle » obtenant des seuils de saturation allant de 0,6 à
0,75. Trois items composent l’échelle « capacité » obtenant des seuils de saturation
allant de 0,62 à 0,82. Cinq items composent l’échelle « apprentissage » obtenant des
seuils de saturation allant de 0,6 à 0,79. Le tableau XIV présente les résultats relatifs
à ces construits.
210
Tableau XIV : Construis des facteurs de la logique d’action fonctionnelle selon
les trois enjeux de la gestion des capacités à changer
Logique d’action
fonctionnelle
Modèle Capacité Apprentissage
Nombre d’item
Seuil de saturation
minimum observé
Seuil de saturation
maximum observé
3
0,60
0,75
3
0,62
0,82
5
0,60
0,79
Les dimensions « communication », « effort » et « progression » (logique
d’action opérationnelle) présentent un construit valide selon le test effectué. Trois
facteurs distincts sont identifiés et représentent 66% de la variance expliquée. Trois
items composent l’échelle « communication » obtenant des seuils de saturation allant
de 0,65 à 0,85. Quatre items composent l’échelle « effort » obtenant des seuils de
saturation allant de 0,66 à 0,84. Trois items composent l’échelle « progression »
obtenant des seuils de saturation allant de 0,51 à 0,92. Le tableau XV présente les
résultats relatifs à ces construits.
211
Tableau XV : Construis des facteurs de la logique d’action opérationnelle selon
les trois enjeux de la gestion des capacités à changer
Logique d’action
opérationnelle
Communication Effort Progression
Nombre d’items
Seuil de saturation
minimal
Seuil de saturation
maximum
3
0,65
0,85
4
0,66
0,84
3
0,51
0,92
Au final, 34 items sont conservés. Le tableau XVI présente les résultats
obtenus aux analyses préliminaires. Les indices de cohérence interne sont obtenus
(alpha de Cronbach). Il est à noter que l’alpha propre à la dimension « modèle » n’est
en aucun cas satisfaisant. Les interprétations relatives à cette variable sont donc à
prendre en considération de façon particulière. Cette dimension doit alors être
redéfinie en termes psychométriques. Sinon, son faible niveau de cohérence interne
peut être dû au trop faible niveau de participants. Les moyennes et les écarts-types
sont présentés afin de permettre au lecteur de juger les interactions à venir au niveau
du modèle formel. Le tableau XVI présente les résultats relatifs aux analyses
préliminaires.
212
Tableau XVI : Analyses préliminaires des neuf variables de la capacité à
changer
Dimensions Alpha
Moyenne
(écart-type)
Nombre
d’items
Vision 0,65 3,15 (0,79) 3
Modèle 0,46 1,53 (0,83) 3
Communication 0,71 2,83 (0,88) 3
Pilotage 0,89 2,10 (1,08) 6
Capacité 0,66 2,85 (1,07) 3
Effort 0,79 2,57 (0,87) 4
Intérêt 0,77 2,72 (0,87) 4
Apprentissage 0,79 2,54 (0,86) 5
Progression 0,72 2,47 (1,01) 3
Il est à noter que même si les circonstances ne sont pas idéales concernant le
nombre de degrés de liberté ainsi que la nature exploratoire de l’élaboration du
questionnaire, l’ensemble des items conservés se regroupe sous les variables latentes
prévues. Considérant que la validité de contenu a été traitée par le débat entre experts
en gestion du changement dans le but de formuler les items, la présente thèse
propose que ces variables latentes soient représentatives des contenus visés (les neuf
dimensions).
213
In fine, l’accord inter-juges et itératif dans la formulation des items est une
technique de validation de contenu et d’apparence empruntée aux méthodes
positivistes. L’analyse factorielle par composante principale a permis de rendre le
modèle formel plus pertinent tout en démontrant certains indicateurs de validité de
construit18
.
4.5 La solution
L’objet « solution » est en quelque sorte la résultante de la modélisation.
Contrairement à la « science de la décision » la solution offerte par une modélisation
par structuration de problème peut prendre plusieurs formes autres qu’une décision
objective. Le modèle tel qu’opérationnalisé offre une « recommandation » dans le
sens où il apporte des éclaircissements sur la situation managériale afin de permettre
la mise en place de priorités et d’interventions précises. En d’autres termes, les
modèles conceptuel et formel permettent le diagnostic des capacités
organisationnelles à changer dans une situation donnée. Ce diagnostic repose sur des
intérêts actionnables et ne considère pas capturer tous les aspects comportementaux
humains et organisationnels dans une situation managériale (Oral et Kettani, 1993).
Deux solutions sont possibles suite à l’élaboration du modèle. Le modèle
conceptuel offre une prise de conscience ou un guide d’observation et d’intervention
aux gestionnaires. Selon Checkland (1981) cet outil est particulièrement social et son
18
Dans une optique positiviste, étant donné les contraintes méthodologiques propres à l’objet de
recherche, certains indicateurs démontrent tout de même une certaine validité de construit. D’un point
de vue pragmatique, une « validité de construit » est démontrée en détail concernant la formulation du
modèle ainsi qu’une part de son utilité.
214
intérêt est de susciter le débat au sein des parties prenantes. Par contre, le modèle
conceptuel n’offre pas de diagnostic précis et quantitatif. De plus, sa complexité peut
être considérée comme un obstacle à son actionnabilité. Le modèle formel, offrant
lui aussi une prise de conscience suscitant le débat au sein des parties prenantes,
permet un diagnostic précis. Tout en offrant une plateforme au test de validité, il peut
réduire la complexité du modèle auprès des utilisateurs.
Le texte qui suit présente la formulation concrète d’un outil permettant de
tirer une « solution » du modèle conceptuel tout en réduisant sa complexité. Ensuite,
la « solution » offerte par le modèle formel quantitatif est exposée et détaillée.
4.5.1 L’actionnabilité du modèle conceptuel
Dans l’objectif de concrétiser le modèle conceptuel arborescent afin qu’il
corresponde mieux à une application efficiente dans le cadre d’une situation
managériale, une formule en tableaux de bord est utilisée. Celle-ci est influencée par
la technique de Kaplan et Norton (1992). La méthode des tableaux de bord équilibrés
vise à élaborer un outil stratégique standardisé et validé permettant la structuration
de la prise de décision. Les différents niveaux d’arborescences propres aux neuf
dimensions doivent être structurés ici en actions observables.
Il est à noter que la seule collecte d’information inhérente à l’utilisation de
ces tableaux de bord implique des interventions primordiales au développement de
capacités organisationnelles à changer particulièrement en ce qu’il implique le
215
dialogue entre les parties prenantes, ainsi que la traduction relativement empathique
des perspectives stratégiques, fonctionnelles et opérationnelles afin de favoriser
l’intercompréhension de tous. L’utilisation de tableaux de bord au sujet des neuf
dimensions du modèle incite un certain dialogue entre les acteurs dont les schèmes
cognitifs subissent un encadrement visant leur partage. Les neuf tableaux de bord
sont présentés à l’annexe 2.
Dans un premier temps, les trois enjeux de la transformation
organisationnelle sont respectés par le fait qu’un tableau de bord est composé pour
chacune des neuf dimensions. Ainsi, les principes des enjeux de la gestion des
capacités à changer (légitimation, réalisation, appropriation) explicités dans la
section modèle conceptuel sont inhérents aux guides offerts par les neuf tableaux de
bord.
Dans un deuxième temps, les logiques de l’action organisée sont intégrées
dans un axe complémentaire à la formulation des tableaux de bord. Par exemple, le
tableau de bord « capacité19
» structure le processus d’ « identification des
compétences requises » par le projet de changement en guidant cette identification
vers : la haute direction, les gestionnaires et les employés. Ceci implique donc le
passage forcé d’une logique de l’action à l’autre par la prédominance de la logique
d’action propre à la position de l’acteur organisationnel spécifié par le tableau. Dans
ce même tableau, l’ « identification des ressources requises » par le projet est aussi
importante et structurée. Celles-ci retiennent l’attention selon les besoins propres aux
19
Dont l’enjeu est la réalisation et la logique d’action est fonctionnelle.
216
trois logiques. Il importe d’identifier les ressources nécessaires dans des optiques
stratégique, fonctionnelle et opérationnelle.
Troisièmement, l’ensemble des éléments composant les processus définis par
les neuf dimensions sont intégrées au tableau de bord en tant qu’interventions. Il y
est considéré que le simple fait de produire ces interventions suggérées, tout autant
que d’atteindre les résultantes visées par celles-ci, sert à hausser les capacités à
changer.
4.5.2 La solution « quantitative » du modèle formel
Cette partie présente l’élaboration d’un deuxième objet « solution », mais à
partir du modèle formel. Tout comme il est nécessaire de concrétiser et de simplifier
l’utilisation du modèle conceptuel, le modèle formel étant plus technique et
quantitatif, il doit d’être formulé de façon claire et ordonnée afin d’offrir un
diagnostic actionnable pour l’utilisateur.
Cette « solution » produite à l’aide du modèle formel est appliquée sous la
forme d’un diagnostic des capacités à changer. Les prochaines parties présentent la
validation et l’application de cette « solution » sur les cas : Innovation d’un
processus de soins et Partenariat CSSS - CRD.
217
Étude de cas : Innovation d’un processus de soins
Afin de réduire la complexité communicationnelle du modèle conceptuel,
ainsi que d’obtenir une dimension diagnostique à l’opérationnalisation du modèle, le
modèle formel nécessite une attention particulière. La communication ainsi que le
principe d’efficience sont au centre des efforts de formalisation dans les sections
suivantes.
Tel que présenté au début de ce chapitre, le modèle formel offre un résultat
comparatif des neuf capacités à changer. Ce résultat est obtenu à l’aide de la
moyenne des items pour chacune des dimensions du questionnaire (échelle de 1 à 4).
Trois formules ont été tentées face aux responsables des terrains de recherche. Elles
sont présentées ci-dessous et les phases de validation itératives entre le chercheur et
les utilisateurs sont mises en lumière.
Premièrement, la grille en neuf cases est présentée en contenant les moyennes
propres aux neuf dimensions obtenues à l’aide des 67 participants provenant du
projet Innovation d’un processus de soins. L’objectif était, à la demande du comité
de pilotage du projet, de rendre compte des forces et des faiblesses de la mise en
œuvre du changement proposé. Cette présentation devait susciter la discussion,
l’échange de réflexions et la proposition de solutions entre les acteurs présents.
Ainsi, une réunion a été prévue lors de laquelle le chercheur présentait oralement les
résultats à l’aide de supports visuels. Ces supports sont présentés dans le tableau
XVII.
218
Tableau XVII : Moyenne des participants au projet Innovation d’un processus
de soins (deux formulations présentées)
Légitimation Réalisation Appropriation
Stratégique 3,14 2,2 2,73
Fonctionnelle 1,67 2,99 2,72
Opérationnelle 2,75 3,02 2,81
Vision
3.14
Pilotage
2.20
Intérêt
2.73
Modèle
1.67
Capacité
2.99
Apprentissage
2.72
Communication
2.75
Effort
3.02
Progression
2.81
Cette formulation a été critiquée par les participants en ce qu’elle ne « parle
pas beaucoup » et qu’elle attire l’attention sur chacune des dimensions plutôt que sur
l’image globale. De plus, la discussion enclenchée portait plus sur la méthode de
calcul pour obtenir les moyennes que sur le portrait ou les interventions qu’elles
suggèrent. La simplification de la « solution » telle que présentée n’est donc pas
suffisante et les objectifs de la rencontre n’ont pas été atteints.
219
Deuxièmement, plutôt que de présenter les résultats eux-mêmes, ceux-ci ont
été traduits à travers un code de couleur. Le vert représente une dimension ayant
obtenu un score élevé au questionnaire. Le jaune représente une dimension dite
sensible, non-optimale ou à améliorer. Le rouge signifie une dimension négative et
critique par rapport aux autres dimensions mesurées. Cette traduction est obtenue par
un test statistique de T entre les moyennes (voir le tableau XVIII) afin d’obtenir trois
regroupements distincts. Le test de T permet d’identifier, selon une analyse de
variance, quelles moyennes parmi les neuf dimensions sont significativement
différentes l’une de l’autre. Encore une fois, l’attention des participants utilisateurs a
été attirée vers la signification d’un test de T, ainsi que sur la méthode quantitative.
La technique inhérente à cet outil dont l’objet est « soft » est déclarée comme
inhabituelle par les participants. La validité n’est pas en jeu, mais l’efficience de
cette « solution » n’est pas optimale due à une forme de complexité dans la
présentation. Cette complexité, à un niveau pragmatique, n’est pas nécessaire. La
troisième et dernière itération a alors été formulée.
Troisièmement, la traduction en couleur est produite de façon simplifiée.
Deux options sont retenues : la première, plus pragmatique, vise à identifier deux
capacités positives (verte), deux capacités critiques (rouge) et présenter les cinq
restantes en jaune (sauf si deux moyennes sont très similaires, il est alors possible
d’identifier trois éléments dans les regroupements positif ou critique). La deuxième
fixe des seuils arbitraires et comparatifs afin de dresser un portrait reposant plutôt sur
la comparaison des résultats entre les dimensions et dans le temps. Le tableau XVIII
220
présente le portrait général du cas Innovation d’un processus de soins selon la
première formulation, dite pragmatique ci-haut.
Tableau XVIII : Résultats du portrait général du cas Innovation d’un processus
de soins
Vision (V)
Pilotage (R)
Intérêt (J)
Modèle (R)
Capacité (V)
Apprentissage (J)
Communication (J)
Effort (V)
Progression (J)
Note : à des fins d’impressions en noir et blanc, (V) = vert, (J) = jaune, (R) = rouge.
Au terme de la présentation de cette « solution » auprès des participants, le
chercheur recommande que les tableaux de bord des dimensions Modèle et Pilotage
soient prioritaires pour les interventions à venir (voir annexe 2). Cependant, les
tableaux de bord des dimensions identifiées en jaunes demeurent importants et ceux
des dimensions Vision, Communication et Capacité peuvent servir à l’explicitation
ou à la prise de conscience de la qualité des interventions qui ont été posées et
captées par le diagnostic.
221
Cette solution présente une puissance pragmatique plus élevée aux dires des
intervenants lorsqu’elle est appliquée et donc précisée pour chacune des équipes sur
le terrain. Les données « démographiques » recueillies par le questionnaire rendent
possible l’obtention de résultats plus précis et propres à certaines équipes au sein du
présent cas. Les tableaux suivants (XIX à XXI) présentent en exemple les résultats
pour le projet Innovation d’un processus de soins selon les groupes identifiables dans
l’étude de cas20
: Comité de direction, éducatrices spécialisées, orthophonistes.
Tableau XIX : Résultats du comité de direction du cas Innovation d’un
processus de soins
Comité de direction
Légitimation Réalisation Appropriation
Stratégique Vision (V) Pilotage (V) Intérêt (J)
Systémique Modèle (R) Capacité (J) Apprentissage (J)
Opérationnel Communication (J) Effort (V) Progression (V)
Note : à des fins d’impressions en noir et blanc, (V) = vert, (J) = jaune, (R) = rouge.
20
L’ensemble des sous-groupes contenant huit participants et plus sont présentés à des fins d’éthique
de la recherche. Ces tableaux peuvent avoir ici deux utilités possibles : 1) Agir en tant qu’exemples de
la solution du modèle formel; 2) Permettre au lecteur un résumé formel des sous-groupes traités lors
de l’opérationnalisation de l’enjeu prototypique au chapitre suivant.
222
Tableau XX : Résultats des éducatrices spécialisées du cas Innovation d’un
processus de soins
Éducatrices spécialisées
Légitimation Réalisation Appropriation
Stratégique Vision (V) Pilotage (J) Intérêt (J)
Systémique Modèle (J) Capacité (V) Apprentissage (V)
Opérationnel Communication (V) Effort (V) Progression (V)
Note : à des fins d’impressions en noir et blanc, (V) = vert, (J) = jaune, (R) = rouge.
Tableau XXI : Résultats des orthophonistes du cas Innovation d’un processus de
soins
Orthophonistes
Légitimation Réalisation Appropriation
Stratégique Vision (J) Pilotage (R) Intérêt (R)
Systémique Modèle (R) Capacité (J) Apprentissage (R)
Opérationnel Communication (J) Effort (V) Progression (J)
Note : à des fins d’impressions en noir et blanc, (V) = vert, (J) = jaune, (R) = rouge.
223
Étude de cas : Partenariat CSSS - CRD
Le tableau XXII présente les données obtenues chez les 64 participants
composant l’échantillon du projet Partenariat CSSS - CRD. Les participants de ce
projet ont été soumis aux trois mêmes formes de présentations que le projet
précédent. Seule la troisième itération est présentée ci-dessous dans le tableau
XXIII21
.
Tableau XXII : Moyenne des participants au projet Partenariat CSSS - CRD
Légitimation Réalisation Appropriation
Stratégique Vision
3,32
Pilotage
2,82
Intérêt
2,88
Fonctionnelle Modèle
2,58
Capacité
2,82
Apprentissage
2,75
Opérationnelle Communication
2,78
Effort
2,67
Progression
2,58
21
Le cas Partenariat CSSS – CRD ne présente pas de tableaux portant sur ses différents sous-groupes.
Cette question est traitée lors de l’opérationnalisation de l’enjeu prototypique et lors de la discussion
portant sur la validité de précision.
224
Tableau XXIII : Résultats du portrait général du cas Partenariat CSSS - CRD
Portrait général
Légitimation Réalisation Appropriation
Stratégique Vision (V) Pilotage (J) Intérêt (J)
Systémique Modèle (R) Capacité (J) Apprentissage (R)
Opérationnel Communication (J) Effort (R) Progression (R)
Note : à des fins d’impressions en noir et blanc, (V) = vert, (J) = jaune, (R) = rouge.
Au final, les quatre objets du modèle sont élaborés et validés dans le chapitre
4. Le modèle conceptuel prend la forme classique d’une déclaration théorique des
variables qu’il représente autant qu’il a fait l’objet d’une représentation graphique et
arborescente de sa logique inhérente telle que proposée par les principes de la « soft
system methodology » de Checkland (1980). La situation managériale prend la forme
d’une étude de cas conçue et validée selon les principes adaptés de Yin (2009) entre
autres. Le modèle formel est façonné en tant que questionnaire psychométrique et il
est validé selon les types de validités associées aux outils de cette nature. La solution
prend deux formes : l’une d’elles découle du modèle conceptuel et est représentée
par neuf tableaux de bord. Chacun de ces tableaux relève d’une des neuf dimensions
225
telles que décrites théoriquement par le modèle conceptuel. L’autre forme découle du
modèle formel et elle est représentée par les tableaux de présentation des résultats,
qui eux, réfèrent du coup aux tableaux de bord pour obtenir une interprétation
complète.
La simple validation des quatre objets du modèle n’est pas suffisante. Chacun
de ces objets a été validé de façon indépendante des autres. Le prochain chapitre
traite des quatre enjeux de la modélisation. C’est à ce moment que le modèle entier
peut être validé par plusieurs méthodologies de validation s’adressant aux
interactions entre chacun des quatre objets.
5 L’opérationnalisation des quatre enjeux de la modélisation
Ce chapitre vise à présenter l’opérationnalisation des quatre objets du modèle
précédemment élaborés à travers plusieurs méthodes de validation. Les quatre enjeux
de la validation-modélisation du tétraèdre d’Oral et Kettani (1993) se font des guides
processuels et théoriques de la validation croisée du modèle complet.
Plusieurs outils et méthodes sont utilisés afin de procéder à une validation
phénoménologique et pragmatique. Certaines techniques, utilisées ici-bas servent à
couvrir plus d’un objet propre à un des quatre enjeux. Quelques fois il est nécessaire
de traiter à la fois de deux enjeux. Dans l’ensemble, l’objectif est de couvrir les
principes propres aux quatre enjeux plutôt que de les circonscrire de façon
indépendante. Le texte qui suit traite, dans l’ordre, des enjeux : théorique, descriptif,
prototypique et pragmatique.
5.1 L’enjeu théorique
L’enjeu théorique est dominant dans la documentation en recherche
opérationnelle selon Oral et Kettani (1993). Elle est la phase de recherche portant
une attention à la solution en misant sur la vérification du modèle conceptuel et la
formalisation du modèle formel. Ceci, dans une optique théorique visant à résoudre
la situation avec une solution valide.
L’enjeu théorique est considéré comme ayant déjà été approché de façon
satisfaisante dans le chapitre 4. La pertinence théorique de la décision misait d’un
227
côté sur l’intégration de la complexité dans la captation des capacités à changer
organisationnelles épisodiques, spécifiques et émergentes. Il est important de
rappeler que la nature constructiviste et interactionniste de la modélisation telle que
présentée pose l’importance du modèle comme étant un outil interactionniste. Le
modèle est ici une exploration théorique de la décision sans affirmer sa supériorité
absolue de façon objective, tout en évitant de se reposer sur une subjectivité
consensuelle de la modélisation. La traduction non-linéaire du modèle conceptuel
complexe en tableaux de bord pragmatiques permet une vérification en profondeur
des allégations théoriques de la perspective adoptée en comparaison avec les outils
décisionnels et conceptuels développés.
Les affirmations théoriques du modèle de Rondeau (2008) adapté ont comme
objectif d’outiller les gestionnaires à la prise de décision pragmatique. Ainsi, les
tableaux de bord répondent à cet objectif tout en représentant, 1) une traduction
pragmatique du modèle formel quantitatif, 2) une simplification du modèle
conceptuel qualitatif et complexe.
L’enjeu théorique est celui qui est traité de façon habituelle et étendue dans la
documentation universitaire. Ayant affirmé au chapitre 1 que le modèle de Rondeau
(2008) est choisi en tant qu’objet de connaissance déjà construit, cet enjeu avait donc
déjà été traité par son auteur original. Le chapitre 4 a apporté plusieurs spécifications
et formules au modèle et le chapitre 6 évalue avec précision la validité de cet effort
théorique.
228
5.2 L’enjeu descriptif
La scénarisation de la situation managériale est au centre du traitement de la
problématique descriptive. Le modèle formel est conçu à partir de la profondeur de
l’analyse qualitative offerte par le modèle conceptuel. La capacité du modèle formel
à décrire ou à prédire la situation managériale est l’objectif de cet enjeu. Les critères
de « crédibilité, fidélité, utilité, convivialité et l’identification des forces et
faiblesses » sont importants.
Premièrement, les critères de convivialité et d’identification des forces et
faiblesses sont traités à travers la formalisation itérative de la solution offerte par le
modèle formel présenté dans la section «solution ». Les tableaux présentés
apparaissent comme conviviaux aux dires des intervenants qui ont participé à leur
amélioration tel que rapporté ans le chapitre 4. Ces tableaux découlant du modèle
formel permettent un degré de précision ainsi qu’une image générale significative
pour l’identification des dimensions (capacités) et de leurs arborescences constituant
les forces et les faiblesses observées.
Deuxièmement, dans une optique visant à faire la démonstration explicative
de la situation managériale (validée à l’aide de la méthode par étude de cas), ce à
travers le modèle formel (validé de façon pragmatique par l’utilisation de l’analyse
factorielle), tout en réunissant les critères de crédibilité, de fidélité et d’utilité par une
technique quantitative, la méthode de modélisation par équations structurelles
apparait de mise.
229
5.2.1 La modélisation par équations structurelles
La modélisation par équations structurelles est relativement récente dans la
documentation empirique et positiviste, particulièrement en psychologie. Ses
fondements sont encore en élaboration et il semble qu’ils fassent l’objet de plusieurs
variantes.
Elle est composée de trois fonctions principales : 1) une analyse factorielle
confirmatoire, 2) une analyse des « pistes causales » intégrant la structure du modèle
et les variables observées, 3) un modèle de régression structurel qui rassemble les
deux éléments précédents. Cette technique cherche à tester (quantitativement) si la
structure du modèle, fondée sur la théorie (ici le modèle conceptuel), est cohérente et
correspond effectivement à l’observation de cette structure auprès des participants.
Elle est utilisée comme technique rigoureuse et positiviste dans plusieurs travaux. Ici
une réinterprétation de la technique s’impose afin d’en récupérer les avantages
constructivistes et interactionnistes sans perdre les notions de validité et de
crédibilité qui lui sont habituellement associées.
L’adaptation suggérée vise à 1) permettre l’utilisation de la technique avec de
plus faibles échantillons étant donné les obstacles à cet effet propres à la recherche-
action. 2) Délimiter l’ensemble des indicateurs de validité selon leur fonctionnalité.
D’un côté, certains indicateurs reposent sur la considération d’un axe de rotation des
matrices de co-variances selon un zéro absolu, tentant ainsi l’identification d’une
représentativité objective et absolue de la structure (positiviste). D’un autre côté,
230
certains indicateurs sont considérés comme relatifs et tentent de valider la structure
selon les données observées, le niveau d’erreur et la structure suggérée. Ces derniers
identifient si le modèle est effectivement juste selon ses implications et ses
observations. Cependant, ces indicateurs ne permettent pas d’objectiver l’observation
du chercheur. Mulaik James, Van Alstine, Bennett, Lind et Stilwell (1989) arguent à
cet effet dans leur révision de l’ensemble des indicateurs de Goodness-of-fit. Ils
affirment que les indicateurs habituels et « absolus » échouent à considérer le niveau
de parcimonie du modèle. Plusieurs indices « classiques » peuvent qualifier un
modèle comme non significatif lorsque : 1) il y a erreur lors de l’interprétation
causale de certaines variables à l’intérieur d’un modèle dont la presque totalité des
variables latentes sont en général justes ; 2) les relations causales correspondantes
aux paramètres libres et établis comme n’étant pas égaux à zéro se retrouvent à être
précisément zéro ou très près de zéro (Mulaik et al., 1989). Les précisions apportées
par ces auteurs sont traitées dans la section suivante en rapportant autant les indices
critiqués, mais habituellement reconnus, que les indices valorisés par Mulaik et al.
(1989), mais moins observés dans la documentation à cet effet. Pour ce faire, le
logiciel LISREL (version 8,8) est utilisé.
Il est à noter que les degrés de liberté offerts par la taille de l’échantillon font
en sorte de rendre la modélisation très sensible à son niveau d’erreur d’estimation.
Cependant, un modèle confirmé à l’aide d’un faible degré de liberté est un important
indicateur de son poids explicatif.
231
Les 34 items obtenus au chapitre 4 sont modélisés selon leur représentativité
hypothétique des neuf variables latentes correspondantes aux neuf dimensions. Au
total, les 131 participants ont été considérés lors de ces analyses. L’échantillon est
donc très faible pour espérer obtenir la validation confirmatoire du modèle selon
l’ensemble des indicateurs rapportés dans cette section.
Le modèle obtenu présente un RMSEA de 0,079 (chi-carré = 887,99)
significatif à p < 0,05 avec un intervalle de confiance (90%) de 0,071 à 0,087. Ce
résultat correspond à une représentation « raisonnable » selon Browne et Cudeck
(1993), MacCallum, Browne et Sugawara (1996) et Diamantopoulos et Siguaw
(2000). L’indice RMSEA est considéré comme l’indicateur le plus informatif selon
Diamantopoulos et Siguaw (2000). Il représente à quel point le modèle, ayant des
valeurs paramétriques inconnues, peut être cohérent avec la matrice de covariance de
la population si cette dernière était disponible (Diamantopoulos et Siguaw, 2000).
De plus, il considère la complexité du modèle testé par sa fonction. Le modèle est
confirmé selon cet indicateur.
Selon Byrne (1998) et Diamantopoulos et Siguaw (2000), l’indicateur ECVI
appert comme étant très utile afin de tester la cohérence d’un modèle. De plus,
indiquent ces auteurs, il met l’accent sur l’erreur d’estimation générale du modèle.
L’ECVI correspond à la mesure des différences entre la matrice de covariance
cohérente au modèle testé pour l’échantillon observé et les matrices de covariances
attendus pour un échantillon comparable (Diamantopoulos et Siguaw, 2000). En
232
premier lieu, il est comparé à la matrice théoriquement attendue pour un modèle où
toutes les variables sont indépendantes. En d’autres mots, le modèle testé est
comparé au modèle le plus restrictif possible. En deuxième lieu, il est comparé à la
matrice théoriquement attendue pour un modèle saturé, soit lorsque les paramètres
(inconnus) sont équivalents aux variances et covariances entre les variables latentes.
Pour être un bon indice de cohérence l’ECVI du modèle doit être plus près de zéro
comparativement à l’ECVI du modèle indépendant et à l’ECVI saturé. L’ECVI
obtenu est de 8,5. Il n’y a pas de seuil pour juger de cet indice sans comparaison, il
semble par contre élevé. Il est à noter que l’ECVI démontre une confirmation du
modèle testé puisqu’il est plus faible que l’ECVI du modèle indépendant de 68,2 et
que l’ECVI du modèle saturé de 9,22. Il est apparent ici que le modèle testé
contienne un certain niveau d’erreur d’approximation, mais qu’il est clairement
dominant dans l’explication des covariances comparativement à une structure libre
des neuf dimensions. Cet indicateur confirme la validation du modèle.
Les indices AIC et CAIC sont aussi testés. Par contre, il est à noter que la
généralisation de ces résultats est à modérer puisqu’il est reconnu que ces indices
sont moins fiables lorsque l’échantillon est composé de moins de 200 participants
(Diamantopoulos et Siguaw, 2000). Ceci est la raison pourquoi le CAIC est aussi
rapporté. Ce dernier tente d’ajuster les effets de la taille de l’échantillon. Ces
indicateurs donnent une importance au niveau de parcimonie du modèle estimé. Le
niveau d’erreur est donc une fois de plus estimé par une nouvelle approche et l’AIC
(CAIC) doit aussi être comparé aux modèles indépendants et saturés tels que l’ECVI.
233
La valeur la plus faible démontre le modèle le plus cohérent. L’indice AIC pour le
modèle testé est de 1096. Quoiqu’élevé, il est plus faible que l’indice correspondant
au modèle indépendant (8801) et au modèle saturé (1190). Le CAIC est de 1498 et il
est plus faible que l’indice correspondant au modèle indépendant (8933) et au
modèle saturé (3491). Cet indicateur démontre donc la validité du modèle testé.
L’indice RMR est utilisé afin de tester la validité du modèle formel. Celui-ci
est une interprétation, suivant les postulats du modèle testé, de la cohérence des
données résiduelles. L’indice RMR standardisé est utilisé afin de ne pas tenir compte
de l’échelle de réponse brute. Le RMR obtenu est de 0,08. Cette donnée démontre
une tendance vers la confirmation du modèle. Par contre, elle ne peut être considérée
comme acceptable puisqu’elle n’est pas sous le seuil de RMR < 0,05 dans une
optique positiviste.
L’indice GFI est utilisé afin de tester la validité du modèle. Celui-ci est un
indice de cohérence « absolue » du modèle testé. Il constate à quel point les modèles
de covariances prédits à partir de l’estimation des paramètres correspondent aux
modèles de covariances de l’échantillon testé (Diamantopoulos et Siguaw, 2000). Le
GFI est donc une mesure permettant d’observer si le modèle correspond parfaitement
(sans erreur d’estimation ni de modélisation des données résiduelles) au modèle
hypothétique. Pour interpréter cet indicateur, l’objectif est de ne pas rejeter
l’hypothèse nulle, cette dernière correspondant à une indépendance absolue des
variables observées. Le GFI obtenu est de 0,71 ce qui ne rejette pas l’hypothèse
234
nulle, mais qui ne démontre pas que le modèle est confirmé non plus. Pour ce faire,
le GFI doit habituellement être supérieur à 0,9 (Joreskog et Sorbom, 1989 ;
Diamantopoulos et Siguaw, 2000). Il est à noter que le PGFI est de 0,59. Ce dernier
est le même indicateur, mais il prend en compte la complexité inférée au modèle
(parcimonie). Selon Mulaik et al. (1989) il est possible de considérer qu’un PGFI de
plus de 0,5 est un bon indice de cohérence absolue impliquant donc une certaine
validité positiviste.
L’indice GFI n’est pas un indicateur approprié pour un échantillon de moins
de 200 participants. Qui plus est, plusieurs auteurs référencés du domaine (Anderson
et Gerbing, 1984; Bollen, 1990; Gerbing et Anderson, 1992; Mulaik et al., 1989)
rapportent de nombreuses problématiques à la fiabilité découlant de la fonction du
GFI.
Finalement, le CFI est utilisé afin de tester la validité du modèle. Celui-ci est
un indice de cohérence relative plutôt qu’absolue. Il indique si le modèle testé est
meilleur que le modèle de l’hypothèse nulle, soit le modèle indépendant. Sa valeur
est entre « 0 » et « 1 » et plus le résultat se rapproche de « 1 », plus le modèle testé
est puissant. Le CFI obtenu est de 0,95. Ce qui démontre un très bon indicateur de
validation pour le modèle. Il est à noter que le même indicateur, mais non-normé
(NNFI), est aussi puissant à 0,94. Ces deux derniers sont recommandés comme étant
de bons indicateurs de cohérence du modèle testé par Diamantopoulos et Siguaw
(2000).
235
En résumé, le tableau XXIV présente les différents résultats obtenus aux
indicateurs ci-haut présentés et étant reconnus comme étant « plus que suffisant »
pour fournir l’information nécessaire pour juger la validation d’un modèle
(Diamantopoulos et Siguaw, 2000). Ces résultats sont obtenus à l’aide d’un
échantillon de 131 participants. Selon l’étude présentée ci-haut, une validation
subséquente du modèle avec un échantillon plus grand aiderait grandement à obtenir
les seuils de signification pour l’ensemble des indicateurs rapportés, critiqués ou non.
236
Tableau XXIV : Ensemble des indicateurs de validité de l’analyse par équations
structurelles
Indices principaux Valeur Confirme la validité du
modèle (oui/non)
Chi-carré 887,99 Sans objet
RMSEA 0,079 Oui
ECVI 8,5 Oui
ECVI (indépendant) 68,23 Sans objet
ECVI (saturé) 9,22 Sans objet
AIC 1095,99 Oui
AIC (indépendant) 8801,38 Sans objet
AIC (saturé) 1190 Sans objet
CAIC 1498,22 Oui
CAIC (indépendant) 8932,88 Sans objet
CAIC (saturé) 3491,18 Sans objet
RMR 0,08 Non
GFI 0,71 Non
PGFI 0,59 Oui
CFI 0,95 Oui
NNFI 0,94 Oui
237
5.3 L’enjeu prototypique
Le traitement de la problématique du prototype passe principalement par la
qualité de la décision offerte. Plus la situation managériale est approfondie, plus le
modèle formel apportera, par la qualité de sa formalisation, une décision de qualité.
Cette qualité repose sur les principes d’efficacité et d’efficience à travers la solution
technique proposée.
La situation managériale est validée à l’aide de la méthodologie utilisée pour
l’étude de cas. Le modèle formel est validé à l’aide de l’analyse factorielle et de la
modélisation par équations structurelles, ainsi que par les opérations descriptives
habituelles. Il est important à ce point-ci de valider la correspondance entre
l’interprétation de l’étude de cas et l’analyse diagnostique rendue par le modèle
formel.
Pour ce faire, une analyse qualitative de l’étude de cas est produite. L’analyse
rendue dans le texte qui suit peut être évaluée à travers l’explicitation détaillée des
principes, des méthodologies et des méthodes utilisées pour rédiger l’analyse de cas,
le questionnaire psychométrique. Ces deux derniers sont disponibles afin d’être
soumis à une potentielle réinterprétation.
Ensuite, celle-ci est comparée aux données descriptives obtenues par le
modèle formel. Finalement, des tests de régressions statistiques sont utilisés afin de
238
démontrer une validité quantitative et complémentaire entre les inférences
qualitatives de l’étude de cas et les résultats quantitatifs du modèle formel.
5.3.1 Analyses qualitatives de l’objet situation managériale
L’analyse qualitative des deux études de cas suit la stratégie suivante22
:
1) Chacun des trois enjeux de la gestion du changement fait l’objet d’une
partie d’analyse. Ceci permet de traiter en profondeur la qualité des
intentions/décisions/actions observées dans le cas. Ces enjeux ont une
importance différente dépendamment de la chronologie des événements.
Cependant, leur traitement en parallèle permettra de mettre en lumière
leur intégration profonde du début à la fin de l’étude de cas.
2) L’intégration des intentions/décisions/actions est traitée, pour chacun des
enjeux, à travers les trois logiques de l’action organisée, stratégique,
systémique et opérationnelle. Ceci est suivi par une conclusion pour
chacun des enjeux.
Ainsi, chacune des deux études de cas fait l’objet, à tour de rôle, 1) d’une
analyse qualitative reposant sur le modèle de Rondeau (2008) adapté, 2) d’une
analyse comparative entre les analyses qualitatives et quantitatives obtenues.
22
Il est à rappeler que le chapitre précédent décrit les critères de validité respectés dans la rédaction de
l’étude de cas ainsi que les logiques d’analyses soutirées du modèle de Rondeau (2008).
239
Le cas : Innovation d’un processus de soins
L’enjeu de légitimation
Vision
La capacité « vision » est bien présente selon les éléments modélisés. Ce
changement est non seulement important, mais urgent. En effet, c’est le MSSS qui
impose de nouveaux standards de performance. La direction du Centre prend
rapidement au sérieux cette urgence de changer et en fait même son mot d’ordre. La
solution est conceptualisée à partir des innovations déjà lancées à l’intérieur de
certains sites. Il y a donc des données pour justifier la nouvelle vision.
Par contre, le comité de direction s’attend à un appui de la part de certains
groupes (ces sites « innovateurs » par exemple), mais craint la résistance d’autres
sites et particulièrement des groupes de professionnels. Parmi ces derniers, les
orthophonistes (pouvant percevoir la perte d’une part de responsabilité dans le
traitement) semblent avoir des raisons de résister au changement selon le comité de
direction. Peut-être même une partie des éducateurs spécialisés (pouvant voir leurs
charges et compétences requises augmenter). Il reste qu’au final la solution proposée
s’inscrit dans les valeurs prônées par l’organisation. Elle permettrait de traiter plus
d’usagers, et ce, avec une approche multidisciplinaire axée sur le partage de
connaissances.
240
Modèle
La capacité « modèle » est très faiblement présente dans le cas. En fait, il n’a
pas été question d’étudier ou même de recenser les défaillances du système en place
avant le projet. Chacun des douze points de service se sont graduellement
confectionné leur propre processus de traitement. Les différences entre ceux-ci ne
sont pas majeures, mais semblent suffisantes pour rendre très abstraite une vision
unifiée du modèle préexistant. Même la nouvelle solution semble intangible pour
plusieurs destinataires. Sur papier cette solution est compréhensible que l’on soit
pour ou contre. Mais, dans la pratique elle semble difficile à saisir pour les
différentes parties. Le comité de direction a même dû laisser place à l’initiative des
individus afin de se l’approprier suite à de multiples démonstrations de résistances.
Par contre, la solution proposée est bien établie par le comité de direction et
repose sur des fondements déjà utilisés avec succès par trois points de service du
Centre. Le fonctionnement de ces trois sites n’a cependant pas été récupéré, mais a
seulement servi à influencer une toute nouvelle façon de procéder. Aux dires des
professionnels, ce changement bouleverse non seulement les tâches de chacun, mais
aussi les rôles et responsabilités autant que les relations interpersonnelles. Au final,
le modèle préexistant n’est pas étudié ni même défini et la solution proposée semble
avoir été développée au fil du projet et plus particulièrement à travers une réactivité
aux obstacles encourus. La perspective d’un modèle unifié n’est donc pas présente.
241
Communication
La capacité « communication » est, selon certains éléments, bien présente,
selon d’autres, moins présente. Au départ, le comité de direction met beaucoup plus
l’accent sur l’urgence, la rapidité et les résultats, plutôt que sur l’explication des
déficiences et du modèle à venir. Même la solution ne semble pas avoir été
développée au départ par la discussion et la réflexion en équipe. Ce qui a eu pour
effet de provoquer des résistances chez les professionnels et les chefs de programme.
Il appert important dans le cas de noter que chacun des groupes de destinataires fait
valoir ses intérêts de façon quasi unanime à différents moments. Par exemple, les
éducateurs spécialisés veulent savoir ce qu’il adviendra de leur rôle, ils requièrent
plus de communication de la part du comité de direction à cet effet ainsi que sur les
visées et les éléments de la solution proposée. Le comité de direction entre dans un
cycle de communication que l’on pourrait qualifier de réactif. Il procède à des
rencontres avec les éducateurs spécialisés pour répondre à certaines de leurs
préoccupations (et non l’ensemble de celles-ci). Ceci semble être en relation avec la
diminution des résistances des éducateurs spécialisés et avec l’augmentation des
revendications ouvertes des orthophonistes.
Ces derniers avaient aussi plusieurs préoccupations quant à leur avenir
professionnel ainsi que sur les détails de la solution proposée. L’attention accordée
aux éducateurs spécialisés semble avoir rehaussé la mobilisation des orthophonistes
afin d’obtenir réponses à leurs questions. Le comité de direction est ici aussi réactif
et il rencontre les orthophonistes afin de répondre en partie à leurs préoccupations.
242
Le niveau de tensions diminue. Il est à noter que dès le départ, au moment même de
l’annonce du changement, le comité de direction se rend compte que ses chefs de
programme ne sont pas tout à fait convaincus du projet. Ceux-ci ne se sont pas
ouvertement mobilisés pour obtenir de l’information et du support auprès du comité
de direction. Ce dernier y alloue un niveau d’effort renouvelé afin de les mobiliser
dans le sens du projet. Le projet est tout de même lancé sans que le comité de
direction perçoive un support plus grand de la part de ces gestionnaires, il fallait
respecter les objectifs d’urgence et de rapidité rapporte l’étude de cas.
De plus, sous les quatre chefs de programme il y a douze directeurs
d’établissement (douze points de service). Ces derniers ne bénéficient d'aucunes
attentions particulières quant à leur rôle de gestionnaires au plan de la
communication, ils sont traités comme des destinataires. Au final, les termes
« réactivité » et « improvisation » semblent bien définir la communication au sein du
projet, et ce, envers l’ensemble des parties concernées.
En conclusion de l’enjeu de légitimation, l’accent reposant sur l’urgence dans
la dimension « vision » semble avoir teinté l’intégration de l’ensemble des
plateformes d’action de l’enjeu de légitimation. Le temps est perçu comme étant
limité par la DGA et ceci semble être en lien avec le fait qu’elle est presque seule à
être la conceptrice de la solution et qu’aucun temps n’a été mis sur l’analyse
concertée des déficiences présentes. Le « modèle » proposé est donc en
développement et en redéfinition constante à travers le cas par les préoccupations des
243
différentes parties n’ayant pas été consultées au départ. La communication de la part
du comité de direction tombe ainsi dans une position réactive.
L’enjeu de réalisation
Pilotage
La capacité « pilotage » s’avère peu présente dans le cas selon les éléments
modélisés. Le fait que la DGA obtienne le mandat de piloter le projet est un élément
positif. Celle-ci a une autorité légitime sur les destinataires et les ressources du
Centre. Par contre, le comité de pilotage (qui sera défini par cette appellation
seulement après la rédaction du cas ci-présent) est composé du comité de direction
du Centre dans sa structure hiérarchique intégrale. Ainsi, les participants sont choisis
selon leur niveau hiérarchique et non selon le champ d’expertise. Il est donc possible
de supposer en observant le cas que les enjeux politiques de la direction sont reflétés
quasi intégralement dans le comité de direction du projet.
De plus, les chefs de programme, les cadres présents sur le terrain des
destinataires, ont été intégrés au comité de direction du projet tardivement, et ce,
pour répondre en partie à la nécessité de les convaincre de la justesse de la solution
proposée. Ces éléments font en sorte de créer une distance notable entre la direction
et les destinataires. En fait, ces derniers ne rencontrent que très rarement les
responsables du projet qui ne se rendent quasiment jamais sur les terrains sauf pour
les réunions organisées. En fait, la chargée de projet communique avec ses chefs de
programmes et non directement avec les destinataires. Qui plus est, les moyens de
244
communication utilisés sont relativement pauvres, soit le téléphone ou le courriel.
Les chefs de programme sont donc les seuls « pilotes » observables par les
destinataires, même si ces managers ne sont pas pour la plupart convaincus du projet
de changement ni présents au niveau opérationnel.
Il est à noter qu’il n’y a aucune mention quant aux douze directeurs
d’établissement. Ceux-ci, en plus de l’inclusion minimale de leurs chefs de
programme, ne sont en aucun temps intégrés dans la structure de pilotage. Ils sont
considérés, par défaut (cette question ne semble pas avoir fait l’objet d’une réflexion
au départ du projet), comme des destinataires du changement.
Capacité
La capacité nommée « capacité » est présente dans le cas selon certains
éléments du modèle et non-présente selon d’autres. Le rythme de mise en œuvre axé
sur la rapidité et la direction met une charge sur les ressources humaines déjà
débordées par leurs responsabilités professionnelles et les procédures d’accréditation
du Centre qui sont en cours à cette époque. En termes de support et d’information
nécessaire, il appert dans le cas que ces ressources sont en partie manquantes étant
donné la structure de pilotage et le traitement de l’enjeu de la légitimité du
changement. En fait, les ressources en termes de compétence managériale et de
support en gestion du changement reposent grandement sur les chefs de programme.
Ceci pourrait expliquer en partie pourquoi il semble y avoir des différences dans les
performances et les résistances à travers les points de service.
245
Par contre, le Centre a déjà eu des succès avec une solution similaire mise en
œuvre dans les trois points de service mentionnés dans le cas. La direction a su
mobiliser les moyens afin d’acquérir de grandes ressources budgétaires permettant
l’embauche de plusieurs éducateurs spécialisés. Ces éléments aident à faire la
démonstration que les objectifs fixés sont réalistes et que l’organisation pourrait
réussir le changement. Il est difficile de considérer un quelconque succès à venir sans
la possibilité de procéder au recrutement de ces éducateurs spécialisés.
Effort
La capacité « effort » est présente selon certains éléments du modèle et
faiblement présente selon d’autres. Les destinataires sont amenés à collaborer entre
eux dans un projet multidisciplinaire. Les efforts amènent ainsi les destinataires à
travailler avec d’autres collègues de travail tout en laissant la place aux affinités
personnelles dans la conception des équipes. L’ensemble de l’organisation collabore
à l’élaboration de la mise en œuvre en de multiples équipes qui ne sont pas
nécessairement intégrées. Dans certains points de service, les destinataires sont
enthousiastes envers la collaboration et le développement de nouvelles compétences.
Le niveau de partage se voit augmenter.
Par contre, même si l’urgence du projet prime sur le travail quotidien, les
efforts sont plus laborieux pour une partie non négligeable de l’organisation.
Certains destinataires se sentent forcés à collaborer ce qui nuit à leur motivation et
leurs relations interpersonnelles. Pour eux, le facteur de résistance semble être les
246
redistributions des responsabilités et des rôles à travers cette nouvelle collaboration
obligatoire. Plusieurs ne semblent pas complètement saisir ce que la direction attend
d’eux en termes d’effort. Sinon, ils entretiennent des perceptions négatives quant aux
retombées attendues qui ne leur apparaissent pas comme étant claires ou bien
comprises. Ceci pourrait expliquer pourquoi les deux groupes de destinataires
principaux ont vigoureusement demandé des éclaircissements à la direction. Il est
possible d’observer des niveaux de stress différents chez les employés, faibles pour
les enthousiastes et élevés pour les résistants. Au final, tant chez les enthousiastes
que les résistants, les nouveaux comportements sont effectués.
En conclusion, l’enjeu de réalisation laisse entrevoir des facteurs de succès et
des obstacles. Ces derniers semblent tributaires du traitement réservé à l’enjeu de
légitimation. Le ton a été donné par la présence des éléments de la capacité
« vision » ainsi que de la structure de pilotage. Tel que le met en lumière le cas et
l’analyse qualitative ci-haute, la structure de pilotage semble avoir laissé la place à
plusieurs écarts entre les points de service étant donné la structure hiérarchique du
comité non fondée sur l’expertise d’une part et sur la distance entre ceux-ci et les
destinataires d’autre part. Ceci laisse les efforts des destinataires sur le terrain entre
les mains des compétences de soutien et de leadership des chefs de programme, eux-
mêmes tardivement impliqués dans le comité de direction, et ce, de façon minimale.
Il est possible de constater deux tendances principales au sein du Centre.
D’un côté, les équipes de certains chefs de programme font émerger un
247
enthousiasme, une collaboration et un développement de la solution. D’un autre côté,
certaines équipes saisissent mal les attentes ou les refusent ce qui provoque le
manque de collaboration et un faible niveau de relations interpersonnelles entre les
catégories de professionnels. Au final, les efforts semblent être propres à des
phénomènes émergents dans les points de service à l’intérieur d’un projet « top-
down » très directif et qui n’inclut pas les gestionnaires de premier niveau.
L’enjeu d’appropriation
Intérêt
La capacité « intérêt » permet clairement d’entrevoir une différence entre
deux groupes de destinataires. D'un côté, cette capacité est très présente selon
certains éléments du modèle. D’un autre côté, elle est faiblement présente selon
d’autres particularités du modèle. Dans certains cas et non pour l’ensemble de ceux-
ci, les orthophonistes sentent leur valeur professionnelle diminuée. En effet, dans
certains points de service, où il est possible de supposer que l’expérience n’est pas
des plus positives, ces professionnels disent ressentir la perte de responsabilités dans
le traitement des patients. Cette responsabilité est déplacée vers les éducateurs
spécialisés. De plus, ces derniers deviennent plus nombreux et obtiennent une
importance implicite plus grande dans le projet.
Là où l’expérience de changement semble positive, il semble aussi y avoir
des perceptions positives quant aux apports que le projet offre à la valeur
professionnelle des destinataires. Relativement à cette dimension, il y a une
248
différence majeure entre les points de service, ainsi qu’entre les éducateurs
spécialisés et les orthophonistes. Cette dernière différence semble prévisible en
considérant le traitement de l’enjeu de la légitimation ci-haut dans le texte, et ce, plus
particulièrement lors du traitement de la dimension « communication ».
Un élément du modèle a été observé à travers l’ensemble des groupes en
présence. La direction a su susciter ce sentiment d’urgence qui a provoqué un intérêt
inévitable chez chacun. Tous étaient obligés de changer et de fournir des
performances plus élevées. Le mandat du MSSS semble avoir aidé la direction afin
de susciter cet intérêt stratégique à travers le Centre. Considérant la dichotomisation
entre les deux groupes majeurs, soit les orthophonistes « résistants » et les éducateurs
spécialisés « enthousiastes », il appert difficile de qualifier la dimension « intérêt »
avec un jugement unifié.
Apprentissage
La capacité « apprentissage » est présente selon les éléments modélisés. Il est
évident pour la direction et les destinataires de trouver des indicateurs de succès du
projet. Même si les données de performance sont introuvables pour l'instant,
plusieurs affirment que la liste d’attente résiduelle est réduite à zéro. Ceci, ajouté aux
expériences positives de certains points de service, démontre que la solution
améliore effectivement le fonctionnement de l’organisation.
249
Une menace majeure au développement de la capacité « apprentissage » est la
nécessité de maintenir une performance quotidienne satisfaisante tout en procédant
au changement. Ici, cette menace est évitée. Il semble que les résultats sont positifs
en général et que cet élément n’est et n’a jamais été un enjeu soulevé par aucun des
participants. Un groupe est d’ailleurs mandaté par la direction pour présenter les
apprentissages concernant le projet lors d’un congrès (31 octobre 2009).
La dimension « modèle » n’étant pas apparente, la démarche de
l’ « apprentissage » semble ajustable en cours de projet. Ceci même si l’approche
adoptée est hiérarchique et directive. Plus le temps avance, plus les résistances se
font sentir et plus le comité de direction ajuste le tir en cherchant certaines
possibilités d’obtenir des rétroactions de la part des destinataires. Ensuite, le
phénomène se poursuit avec le traitement réactif des résistances des orthophonistes
ainsi qu’avec l’intégration (imparfaite, mais tout de même présente) des chefs de
programme dans le comité de pilotage. L’observation de ce phénomène dans le cas
se termine avec l’intérêt de la DGA envers la recherche de moyens visant à améliorer
la communication avec ses différentes parties prenantes. La progression se fait
immanquablement observée ici. Il est possible de voir un modèle de changement
directif provoquant certaines résistances difficilement contenues. Il est suggéré que
cette situation entraine un cycle réactif amenant le comité de direction à laisser une
ouverture à l’émergence d’initiatives de changement.
250
Au final, dans les groupes où l’expérience est positive, les destinataires
changent leur façon de travailler et de collaborer en profondeur. Les éducateurs
spécialisés de ces groupes trouvent même leur sentiment d’efficacité personnelle
augmenté suite au développement de nouvelles compétences et de responsabilités
qu’ils acquièrent sur le terrain, avec la collaboration des orthophonistes, de leur
équipe ainsi que par la formation dispensée. Par contre, la dichotomisation entre les
deux groupes majeurs se fait toujours ressentir.
Progression
La capacité « progression » est présente selon certains critères modélisés et
absente selon d’autres. La scission entre les points de service ainsi qu’entre les
éducateurs spécialisés et les orthophonistes est observable et nécessite une
constatation dichotomique. Des « petits succès » tangibles sont notables pour
l’ensemble des groupes. La performance générale du Centre semble s’être améliorée
aux dires de la direction en plus des démonstrations offertes par les expériences de
collaboration positives et par la présentation au congrès du 31 octobre 2009. De plus,
les objectifs à atteindre n’ont pas été une préoccupation explicite dès le départ même
si un certain niveau de résistance au changement était attendu et a été perçu. Il
demeure que dû aux scissions provoquées ainsi qu’à la perte des indicateurs de
performance (quantitatifs) par le comité de direction, les conséquences du
changement semblent difficiles à cerner.
251
Une vision globale des conséquences concrètes sur les comportements des
employés semble difficile à élaborer. Il est possible de suggérer qu’un potentiel
d’amélioration est présent. Premièrement, dans les groupes où l’expérience est
positive, le partage entre éducateurs spécialisés et orthophonistes est indéniable et
permet à chacun de s’améliorer. Deuxièmement, les exemples de succès comme
celui présenté au congrès du 31 octobre permettent aux autres groupes de s’améliorer
si possible. Troisièmement, l’approche directive du comité de direction semble
laisser de plus en plus de place aux initiatives émergentes avec le temps selon l’étude
de cas. Ce point pourrait être bénéfique dans le futur. Du moins, il est un indicateur
que la direction s’améliore dans la mise en œuvre du changement et particulièrement
dans la réponse et la planification de celle-ci face à la résistance au changement.
Pour conclure, le traitement de l’enjeu d’appropriation reflète la
différenciation provoquée lors du traitement de l’enjeu de la « réalisation » et
influencée par le traitement de l’enjeu de la « légitimation » du projet. Certains
groupes s’approprient la nouvelle solution et d’autres la rejettent toujours. Le comité
de direction a constaté cet effet et cherche activement des solutions pour y répondre.
Plusieurs leviers d’action sont présents à travers les succès du Centre pour mobiliser
les groupes réfractaires.
Il y a un certain danger de maintenir cette scission à travers les prochaines
actions. En effet, il serait néfaste que le comité mette plus d’accent sur les résistants
et oublie les groupes enthousiastes. Au final, ce bilan de l’appropriation vient aussi
252
complexifier la constatation de la performance globale du Centre telle que perçue en
partie dans la dernière section du cas.
Il est important de souligner que l’observation du traitement de l’enjeu
d’ « appropriation » soulève une problématique particulière. En effet, les indicateurs
de performance ont été égarés à travers les étapes de mise en œuvre du projet. Il n’y
a donc en ce moment aucun élément concret pour appuyer les signes positifs déclarés
par la direction. De plus, en considérant les éléments absents en ce qui a trait à
l’observation de la présence des dimensions « modèle » et « apprentissage », il est
possible de suggérer un obstacle futur majeur. Advenant que la liste d’attente
résiduelle soit effectivement réduite à zéro ou à tout de moins réduite
significativement, il sera essentiel de tenter d’observer si celle-ci ne s’est pas
simplement déplacée. En d’autres termes, la liste d’attente de premier service peut
bel et bien avoir été réduite considérablement. Par contre, il faut s’attendre aussi à ce
que cette liste se déplace sur le suivi régulier (suite au premier service en groupe).
Les données ne sont pas disponibles en ce moment aux dires de la direction du
projet.
Le cas Partenariat CSSS - CRD
L’enjeu de légitimation
Vision
La capacité « vision » est bien présente selon les critères modélisés. Tel que
stipulé par l’ensemble des intervenants dans le cas, tous ont un engagement élevé
253
envers les intentions du projet. Tout au long du cas, plusieurs notent qu’il est
indispensable de hausser la qualité des suivis pour cette clientèle particulière. Les
recherches au sujet de cette problématique viennent confirmer l’urgence et la gravité
de la situation. Les parrains du projet, Mme. Gravel et M. Giroux en particulier,
réussissent à créer un sens au projet pour chacun des deux établissements.
L’intention de collaboration et de respect culturel est très importante. Les cinq
« actions » proposent des intentions rédigées et acceptées par les comités de pilotage
et conjoint.
Modèle
La capacité « modèle » est relativement absente selon les éléments
d’observation. Les acteurs partagent entre eux pour établir les intentions du projet
seulement (la vision), sinon ils agissent à un niveau individuel pour mettre en place
ces actions. Il n’est que très rarement question d’établir une documentation concrète
et partagée de la solution processuelle proposée. D'ailleurs, celle-ci a été divisée
selon les cinq actions rapportées. Le modèle, en plus d’être relativement indéfini, il
est ici éclaté en plusieurs sous-projets non nécessairement intégrés.
Communication
Certains éléments de la capacité « communication » sont observés dans le
cas, d’autres non. D’un côté, la conception du comité conjoint est un élément
favorable permettant d’installer une plateforme d’échange entre différents
professionnels des deux établissements. La culture du CRD, étant organique, et sa
254
structure étant plus horizontale lui permet de communiquer les messages plus
aisément du haut de la hiérarchie vers la base. Il a plusieurs représentants au sein du
comité conjoint. Aussi, la coordination de M. Tremblay est une plateforme de
communication acceptée et respectueuse des deux cultures et structures en place.
Par contre, plusieurs spécialisations n’ont qu’un seul membre au sein du
comité conjoint. Les communications reposent en bonne partie sur les intentions
individuelles des membres et non dans un plan d’action étendu sauf quelques
communications écrites et unidirectionnelles. Certains groupes de professionnels ne
sont pas rejoints de façon claire par les communications, tels que les psychologues et
psychiatres.
L’enjeu de réalisation
Pilotage
La capacité « pilotage » est modérément présente dans le cas. Certains
éléments sont observés, d’autres non. D’un côté, Mme Gravel et M. Giroux
apparaissent comme étant très crédibles au sein de leurs organisations. Aux dires de
tous, M. Tremblay est accessible et reconnu comme étant un facteur de succès du
projet. La structure de pilotage est bien articulée autour d’un comité de direction et
un comité conjoint permettant de rapprocher le terrain de la stratégie.
D’un autre côté, les psychiatres et le comité de pilotage affirment ne pas être
représentés par un leadership crédible, ce qui affecte grandement l’observation
255
complète des éléments de la capacité « pilotage » étant donné leur rôle indéniable
dans ce projet.
Capacité
La dimension « capacité » est très souvent observée dans le cas. Les
compétences nécessaires sont présentes et structurées. Par exemple, la formation
interne concernant l’entretien motivationnel est une forme de propagation de ces
compétences et connaissances. Les interventions de la psychologue et de la
psychiatre sont d’autres exemples de cette allocation des connaissances et
compétences. Les ressources sont moyennement disponibles. Des ressources sont
injectées dans l’embauche d’un consultant externe et dans la mise sur pied de la
formation.
Par contre, plusieurs acteurs se retrouvent surchargés par les activités du
projet. Les interventions du Dr. Thibodeau visant à modifier la structure de
rémunération au sein de l’ASSS est un effort important reflétant l’injection de
capacités dans le projet.
Effort
La capacité « effort » est présente selon certains éléments modélisés et
absente selon d’autres. L’effort semble reposer ici sur l’enthousiasme des acteurs qui
découvrent rapidement l’avantage de collaborer entre établissements. Cet élément est
important tout autant que la motivation apparente et l’engagement élevé de ces
256
acteurs. Les activités du changement semblent prioritaires dans le travail quotidien
ce qui peut venir hausser l’observation d’éléments propres à la dimension « effort ».
Par contre, seuls les acteurs impliqués directement dans le projet investissent
cette énergie et développent cet enthousiasme. De plus, il faut rappeler que ces
activités sont perçues comme une surcharge de travail au départ. Une seule
psychiatre participe à l’effort. Les autres psychiatres critiquent le leadership, ce qui
peut laisser croire à une certaine résistance, du moins à un « effort » diminué.
Le leadership du projet contient d’excellents éléments qui aident à dynamiser
les actions entreprises aux niveaux stratégique (intentions), systémique (structure de
rémunération par exemple) et opérationnel. Cependant, la critique apportée envers le
leadership propre aux psychiatres apparait comme étant majeure et particulièrement
importante afin d’impliquer rapidement ce groupe de professionnels névralgique au
sein du projet.
L’enjeu d’appropriation
Intérêt
La capacité « intérêt » est présente selon certains éléments modélisés et
absente selon d’autres éléments. Plusieurs trouvent un intérêt individuel à partager
leurs connaissances et à en recevoir de nouvelles. Chacun, peu importe sa
provenance, indique qu’il est gagnant dans cet échange. De plus, les destinataires
impliqués jusqu’à présent semblent voir un intérêt envers le développement d’un bon
257
partenariat sur leur charge de travail et surtout sur l’efficacité de leurs actes
professionnels.
D’un autre côté, plusieurs psychiatres et certains psychologues trouvent cet
intérêt, mais voient aussi leur confort professionnel diminué à travers le partage des
patients requis par le projet. Ils sentent donc une baisse de leur autonomie.
Apprentissage
Les éléments propres aux dimensions systémiques (« modèle », « capacité »,
« apprentissage ») n’étant pas fréquemment observés dans le cas, la capacité
« apprentissage » est presque inobservable dans le cas. À ce moment-ci les
apprentissages sont beaucoup plus présents au niveau individuel, mais pas au niveau
organisationnel.
Progression
Les acteurs sont dans une phase de conceptualisation et d’expérimentation du
projet. Ainsi, rares sont les démonstrations de progression à ce moment-ci. Par contre
les expériences positives d’acteurs tels que la Dr. Girard (psychiatre) et les membres
du comité conjoint commencent à être partagés et mis en valeur.
L’enjeu d’appropriation a reçu de l’attention dans les discours des pilotes. Par
contre, les actions ciblées à cet effet semblent très embryonnaires. La dimension
« modèle » étant faiblement observée et la dimension « intérêt » n’étant presque pas
258
représentée dans le cas, il apparait difficile d’approfondir plus amplement une
approche de cet enjeu. Sinon, il semble que beaucoup d’espace est offert aux acteurs
afin qu’ils définissent et expérimentent eux-mêmes les actions requises par le projet.
Ceci pourrait être un bon indicateur d’une certaine progression au niveau de
l’appropriation dans un futur rapproché.
5.3.2 Analyses comparatives, quantitatives et qualitatives
L’objectif de cette activité de comparaison se veut rigoureux et explicité,
mais non nécessairement positiviste. Il y est assumé que les biais du chercheur
peuvent être présents dans son analyse qualitative des dimensions mesurées. En effet,
selon les enjeux épistémologiques soulevés dès l’introduction du modèle au centre
d’une triple dialectique, l’activité interactionniste est itérative et constructiviste. Afin
de procéder à ces analyses comparatives de façon légitime et rigoureuse, quelques
précisions sont rappelées.
Les entrevues (situation managériale) ont été faites trois mois avant la
passation de questionnaires (modèle formel)23
. Deux chercheurs ont été présents lors
de ces entrevues. Les études de cas ont été soumises à une validité reposant sur les
acteurs eux-mêmes interviewés. Elles ont aussi été soumises à un accord inter-juges
itératif impliquant ces deux chercheurs ainsi que le responsable de la recherche au
niveau du LEGG, professeur en gestion du changement. Les questionnaires ont été
analysés de façon indépendante, par l’auteur, en se reposant sur des outils
23
Les entrevues pour le cas Innovation d’un processus de soins ont été réalisées aux mois de
septembre et octobre 2009. Celles pour le cas Partenariat CSSS – CRD ont été réalisées aux mois
d’octobre et novembre 2009.
259
quantitatifs tels que rapportés dans la présente thèse. Finalement, les analyses
qualitatives reposent sur les éléments identifiés au modèle conceptuel.
Ainsi, le lecteur peut premièrement se rapporter aux principes
méthodologiques de la validation des objets du modèle en jeu. Deuxièmement, il
peut se rapporter à la modélisation opérationnelle des objets du modèle.
Troisièmement, le lecteur peut aussi se diriger vers l’élaboration des méthodes et
principes de traitement des enjeux de la modélisation, dont les analyses comparatives
font parties. Finalement, il peut apporter un regard critique sur la validité des
analyses comparatives et interactionnistes elles-mêmes en considérant le détail et la
précision relatifs à l’ensemble de ces fondements, méthodologies et méthodes.
Afin de croiser les analyses quantitatives avec les analyses qualitatives, il est
nécessaire de tester la correspondance entre le niveau de succès associé à chacune
des dimensions et la moyenne quantitative des réponses correspondantes au
questionnaire. Le tableau XXV présente les moyennes de ces résultats pour chacune
des deux études de cas. Le rang quartile apparait entre parenthèses. Celui-ci est
obtenu à partir de la moyenne des moyennes de chacune des dimensions et de sa
variance.
260
Tableau XXV : Résultats (moyennes et rangs quartiles) généraux des deux cas
de changement organisationnel
Cas : Innovation d’un processus de soins
Légitimation Réalisation Appropriation
Stratégique Vision
3,14 (1)
Pilotage
2,2 (4)
Intérêt
2,73 (3)
Fonctionnelle Modèle
1,67 (4)
Capacité
2,99 (1)
Apprentissage
2,72 (3)
Opérationnelle Communication
2,75 (3)
Effort
3,02 (1)
Progression
2,81 (2)
Cas : Partenariat CSSS - CRD
Légitimation Réalisation Appropriation
Stratégique Vision
3,32 (1)
Pilotage
2,82 (2)
Intérêt
2,88 (2)
Fonctionnelle Modèle
2,58 (4)
Capacité
2,82 (2)
Apprentissage
2,75(3)
Opérationnelle Communication
2,78 (2)
Effort
2,67 (3)
Progression
2,58 (4)
261
La comparaison entre les analyses qualitatives et quantitatives permet de
confirmer le modèle à travers l’étude de cas Innovation d’un processus de soins. Les
dimensions qualifiées de « présentes » par l’analyse qualitative le sont aussi par leurs
moyennes au questionnaire plus élevées (vision, capacité, effort). Les dimensions
qualifiées comme étant « faiblement présentes » par l’analyse qualitative le sont
aussi par leurs moyennes au questionnaire (modèle, pilotage). Les dimensions
« moyennement présentes » sont observables dans le tableau précédent par les
moyennes du troisième rang quartile (communication, intérêt, démarche).
Finalement, l’amélioration entamée et observée par l’analyse qualitative de la
dimension « apprentissage » est observée par les données quantitatives par son rang
quartile (2).
Les analyses comparatives complémentaires du cas Partenariat CSSS – CRD
présente de bons indicateurs de validité en général. Les dimensions qualifiées de
« présentes » par l’analyse qualitative sont : Vision et Capacité. Seule la Vision
obtient un rang quartile de 1. La Capacité obtient un rang quartile de 2. Ceci pourrait
être expliqué par le niveau de capacité très présent entre les acteurs directement
impliqués dans le cas qui prendrait ici trop d’importance au sein des analyses
qualitatives. Le questionnaire psychométrique ayant été répondu par plusieurs
catégories d’acteurs, ils semblent que ceux-ci n’ont pas pu percevoir ce niveau de
Capacité.
262
Les dimensions dites absentes dans les analyses qualitatives sont : Modèle,
Apprentissage et Progression. Les résultats quantitatifs indiquent que Modèle et
Progression sont bel et bien représentés dans le quatrième quartile. La dimension
Apprentissage semble avoir ici perdu un certain niveau de détail par le fait que
l’analyse qualitative n’a su considérer une présence significative de cette capacité.
Les dimensions mitigées ou à développer selon les analyses qualitatives sont :
Communication, Pilotage, Effort et Intérêt. Sauf en ce qui à trait à la dimension
Effort, les autres obtiennent le rang quartile 2. L’Effort semble avoir été plus présent
dans l’étude de cas par l’attention portée aux acteurs directement impliqués dans le
projet et qui ne sont pas nécessairement représentatifs de l’échantillon destinataire du
changement. Les analyses qualitatives et l’étude de cas elle-même rapportaient cette
hypothèse provenant des dires des participants interrogés.
Analyses complémentaires du cas Innovation d’un processus de soins
L’étude de cas Innovation d’un processus de soins présente des analyses
comparatives démontrant une validité confirmée en tous points dans la partie ci-
haute. Des analyses complémentaires sont alors proposées afin d’approfondir le test
de validité et d’observer ainsi ses possibles inférences et limites.
Cette intervention complémentaire à l’analyse comparative entre la solution
du modèle formel et la situation managériale, utilise les méthodes quantitatives afin
de corroborer les analyses qualitatives et comparatives ci-haut. Le cadre de cette
263
recherche ne permet pas de poser d’hypothèses à proprement parler étant donné sa
position constructiviste plutôt que positiviste. Ainsi, même si les méthodes
quantitatives sont utilisées à l’aide de leurs postulats techniques habituels, la
formulation par proposition de recherche est favorisée. La « proposition » est le
penchant qualitatif du concept d’hypothèse. Qui plus est, l’hypothèse ne pourrait être
utilisée étant donné que l’analyse ici n’est pas ancrée dans un contexte théorique
permettant la formulation hypothético-déductive classique. Elle est plutôt ancrée
dans une confirmation axiomatico-inductive des résultats itératifs du chercheur. Les
analyses sont présentées dans la partie qui suit.
Il appert important de tester ces allégations de dichotomisation entre les
groupes de « résistants » et d’ « enthousiastes » au changement. Si cette
problématique est réellement captée par le modèle il devrait être possible d’obtenir
une différence de moyenne entre les éducateurs spécialisés et les orthophonistes, les
premiers étant représentés comme étant plus enthousiastes et les deuxièmes comme
étant plus résistants par l’étude de cas. La proposition suivante est formulée:
P1 : Un test ANOVA démontre une différence significative entre les
moyennes des orthophonistes et des éducateurs spécialisés aux
dimensions « communication », « intérêt » et « apprentissage ». Les
éducateurs spécialisés obtiennent les moyennes les plus élevées.
264
Un test ANOVA est utilisé sur les dimensions qualifiées ci-haut de
« moyennes » (représentées par le troisième quartile) entre l’occupation du
participant, soit éducateur spécialisé ou orthophoniste. Les résultats démontrent que
pour ce qui est de la dimension « communication », il y a une différence significative
entre les deux groupes (F = 10,07 ; p < 0,005 ; dl = 45). La dimension « intérêt »
présente une différence significative entre les deux groupes (F = 14,38 ; p < 0,001 ;
dl = 45). Finalement, la dimension « apprentissage » présente aussi une différence
significative entre les deux groupes (F= 8,78 ; p < 0,001 ; dl = 45). La proposition P1
est confirmée. Les éducateurs spécialisés présentent des moyennes plus élevées que
les orthophonistes sur ces trois dimensions. Le tableau XXVI présente les moyennes
obtenues.
Tableau XXVI : Comparaison des moyennes de P1
Dimensions Éducateurs
spécialisés
Orthophonistes
n
Communication
23
3,01
24
2,42
Intérêt 3,05 2,32
Apprentissage 2,88 2,30
Note : Toutes les moyennes présentent des différences significatives.
Afin d’ajouter de la robustesse à la confirmation de la dernière proposition,
un test ANOVA a été utilisé afin de tenter de dichotomiser les moyennes de ces deux
265
groupes à travers l’ensemble des neuf dimensions. La proposition suivante est
formulée :
P2 : Un test ANOVA portant sur les moyennes des deux groupes
(éducateurs spécialisés et orthophonistes) aux neuf dimensions
démontre des différences significatives seulement aux dimensions
« communication », « intérêt » et « apprentissage ». Les six autres
dimensions ne démontrent aucunes différences significatives.
Le test ANOVA confirme la proposition P2. Seules les trois dimensions
proposées démontrent des différences significatives. Il est à noter que la tendance la
plus claire vers une différence significative porte sur la dimension « progression » (F
= 3,26) avec un p = 0,8 (non-significatif). Ceci semble aller dans le même sens que
l’interprétation qualitative de cette dimension. Le tableau XXVII présente cette
comparaison entre les deux groupes.
266
Tableau XXVII : Comparaison des moyennes de P2
Dimensions Éducateurs
spécialisés
Orthophonistes
n
Vision
Modèle
Communication
Pilotage
Capacité
Effort
23
2,99
1,52
3,01*
2,06
2,70
3,01
24
3,00
1,69
2,42*
2,01
2,98
2,88
Intérêt 3,05* 2,32*
Apprentissage
Progression
2,88*
2,83
2,30*
2,44
Note : * : différence significative à p < 0,05
Afin de poursuivre dans le même sens, l’analyse qualitative et l’étude de cas
ont mis en lumière que la dimension « communication » a été traitée différemment
entre ces deux groupes de professionnels. Il est alors suggéré que ce traitement
dichotomique ait eu des répercussions sur les différences observées aux dimensions
« intérêt » et « apprentissage ». La proposition suivante est formulée :
267
P3 : Les résultats obtenus à la dimension « communication » sont en
lien significatif (positif) avec les dimensions « intérêt » et
« démarche ».
Un test par régression appliquée aux 67 participants de ce terrain de
recherche démontre que cette hypothèse est confirmée dans son ensemble avec une
taille d’effet très élevée de 0,63 significative à p < 0,001. Plus précisément, un effet
principal de la dimension « communication » sur la dimension « intérêt » est observé
(β = 0,62; p < 0,01). L’effet principal sur la dimension « apprentissage » est non-
significatif même s’il démontre une tendance claire (p = 0,07). Aucun effet
d’interaction ne s’est révélé significatif. La proposition P3 est donc partiellement
confirmée. La figure 21 illustre les relations identifiées.
Figure 21 : Illustration de la proposition P3
Communication
Intérêt
Apprentissage
0,62
n.s.
268
L’analyse qualitative suggère que la dimension « effort » est bien présente
puisque tous les participants produisent les comportements attendus par le projet de
changement. Par contre, il y est noté que certains sont réfractaires et obligés, tandis
que d’autres sont enthousiastes et motivés. Il est possible de suggérer que l’
« apprentissage », qui n’est pas directement expliquée par la « communication »,
peut l’être par l’ « effort ». En effet, plus les rôles et responsabilités sont bien
délimités et explorés, et plus il est facile de poser les comportements demandés, il y
aurait alors un effet progressif sur l’ « apprentissage » du système de soin mis en
œuvre. Ainsi, les participants qui obtiennent des résultats plus élevés à la dimension
« effort » devraient être plus aptes à identifier et à adapter le système proposé par le
projet de changement. De cette façon, il serait possible de prédire l’
« apprentissage » plutôt que l’ « intérêt ».
P4 : Les résultats obtenus à la dimension « effort » sont en lien
significatif (positif) avec la dimension « apprentissage ». Aucun lien
n’est attendu avec la dimension « intérêt ».
Le test par régression appliqué aux 67 participants de ce terrain de recherche
démontre que la proposition P4 est confirmée dans son ensemble avec une taille
d’effet moyenne de 0,26 (p < 0,01). Plus précisément, un effet principal de la
variable « effort » sur la variable « apprentissage » (β = 0,49 ; p < 0,005) est observé.
Aucun effet principal significatif n’est observé quant à la variable « intérêt » (p =
0,69). La figure 22 illustre les relations identifiées.
269
Figure 22 : Illustration de la proposition P4
Il apparait que le modèle formel et la situation managériale relatifs au projet
Innovation d’un processus de soins permettent l’observation de précisions
supplémentaires telles que le démontre cette section. En ce qui a trait au cas
Partenariat CSSS – CRD, il ne semble pas possible de d’aller outre les intentions
premières visant à valider le modèle de Rondeau (2008). L’objet « situation
managériale » relatif à ce terrain ne permet donc pas de soulever des implications
spécifiques à des sous-groupes. Ainsi, seul le portrait général fait l’objet d’une
analyse comparative dans ce cas. Le chapitre 6 traitera précisément de cette question
sous l’appréciation de la validité de précision.
Au final, l’enjeu prototypique a été opérationnalisé avec une considération
supplémentaire entre certaines précisions du modèle formel et de la situation
Effort
Intérêt
Démarche
n.s.
0,49
270
managériale. Le traitement du modèle formel est à ce point-ci complet. Le prochain
et dernier enjeu réalisé ne traite plus du modèle formel afin de mettre l’accent sur le
pragmatisme du modèle conceptuel.
5.4 L’enjeu pragmatique
Le traitement de la problématique du pragmatisme laisse tomber la nécessité
d’un modèle formel technique pour des gains en rapidité et en intégration de la
complexité de la situation managériale. Ici, l’expérience, le jugement, les
connaissances et les préférences des acteurs pertinents sont au centre des efforts de la
modélisation (Oral et Kettani, 1993). Ainsi, le modèle conceptuel devrait pouvoir
offrir une prise de décision rapide et reposant sur le partage des schèmes cognitifs
des intervenants. En d’autres termes, est-ce que le modèle conceptuel offre une
« solution » permettant l’action des utilisateurs désirant agir selon les
« prescriptions » du modèle?
La justification théorique et référencée des éléments constituant les
arborescences du modèle conceptuel est alliée à la méthode par tableaux de bord
constituant la « solution » tirée du modèle conceptuel. Ceci amène une dimension
pragmatique intéressante s’il est impossible de recourir à la passation du
questionnaire psychométrique validé (modèle formel).
En effet, la précision diagnostique quantitative du modèle formel n’y est pas.
Mais le modèle conceptuel, dans sa complexité, est plus facilement interprétable par
271
les gestionnaires dans sa formulation en tableaux de bord présentée en annexe 2. De
plus, l’utilisation des tableaux de bord guide et encadre l’action réflexive en
influençant les schèmes cognitifs partagés entre les acteurs impliqués. En considérant
que chacun des objets est valide et que leurs interactions le sont aussi, il est
automatiquement inféré que l’enjeu pragmatique est adressé.
Qui plus est, selon la dualité de l’Action et de la Connaissance présentée en
introduction, ces tableaux de bord ne demeurent qu’un produit de Connaissance et ils
sont validés en ce sens. Un travail subséquent pourrait poser la question à savoir ce
que ces tableaux de bord sont devenus suite à l’intégration par les utilisateurs. Sinon,
comment pourraient-ils être efficaces dans les processus de gestion hebdomadaires?
Pour conclure, les quatre objets du modèle ont été validés chacun de façon
indépendante dans le chapitre 4. Les quatre enjeux de la modélisation-validation ont
été adressés dans le chapitre 5 afin de compléter la validation des objets en étudiant
leurs interactions mutuelles. Le prochain chapitre traite, entre autres, des neuf types
de validité qui sont supposés comme étant inhérents à l’opérationnalisation du
tétraèdre selon Oral et Kettani (1993).
6 Discussion
Le présent chapitre propose l’appréciation des neuf types de validités
explicités par Oral et Kettani (1993) et regroupant l’ensemble des types étudiés ci-
haut au chapitre 3 pour la validation d’un modèle dont l’objet est « très soft ». Ces
neuf types sont considérés comme étant la réponse théorique (ou conceptuelle) à la
question de la présente thèse : qu’est un modèle valide en sciences de la gestion? La
discussion présente l’étude de chacun des types dans l’objectif de déterminer si la
proposition de la thèse est répondue selon une dimension méthodologique et
empirique. À travers cette première partie de la discussion, l’appréciation de chacun
des types de validité est proposée et du coup, les limites et les avenues de recherche
futures sont explorées en détail.
6.1 L’appréciation des neuf types de validités opérationnalisées
Tel qu’explicité dans le cadre méthodologique proposé à la fin du chapitre 3,
une dernière phase de validation est nécessaire. Le traitement des neuf types de
validités découlant du modèle d’Oral et Kettani (1993) permettent une appréciation
complémentaire et holistique de l’activité de modélisation. Ainsi, dans un objectif de
rigueur et de légitimation s’appliquant à la valeur scientifique de la modélisation
autant qu’à l’intérêt pragmatique de l’opérationnalisation, ces types seront interprétés
à travers les interventions itératives du chercheur dans le cadre de la présente étude.
Il appert important de rappeler les principes fondamentaux de cette
proposition d’Oral et Kettani (1993). Ces types de validités ont des ancrages dans les
273
approches méthodologiques empiriques et reconnues dans la documentation
universitaire. Ils sont orthogonaux, chacun des types à une intention propre, de là
l’importance de l’étendue et de la précision de la proposition d’Oral et Kettani
(1993). Ces types suggèrent des mécanismes généraux en laissant une liberté à la
mobilisation d’outils et de méthodes de validation appropriés. L’ensemble de ces
types de validités recouvre les quatre objets du cadre méthodologique, ainsi que le
traitement des quatre enjeux de la modélisation. En d’autres mots, ces neuf types de
validité sont les retombées de la modélisation selon les quatre objets et les quatre
enjeux.
Dans les parties suivantes chacun des types de validité fait l’objet : 1) d’un
rappel théorique à propos de leur proposition, 2) d’une appréciation dans le cadre de
l’opérationnalisation, 3) d’une mise en lumière des limites et des avenues de
recherches futures. Dans certains cas, les deux derniers points sont jumelés afin
d’alléger le texte.
6.1.1 La validité de formulation
La proposition
La validité de formulation propose l’analyse de la représentation descriptive
de la situation managériale à travers le modèle formel. L’enjeu du prototype y est
donc passablement important. Dans le cadre de la présente thèse, la situation
managériale approchée sur un angle de la méthode par structuration de problème est
274
qualifiée ici de « très soft » relativement aux travaux publiés en management et plus
particulièrement en gestion du changement.
L’appréciation
La validité de formulation est considérée comme satisfaisante par l’exercice
du traitement des quatre objets et des quatre enjeux traités. La validation des études
de cas et du questionnaire psychométrique répond en partie à ce type de validité. Le
traitement de l’enjeu descriptif, par la modélisation par équations structurales, ainsi
que le traitement de l’enjeu prototypique, par les analyses comparatives, est supposé
satisfaisant.
Il est aussi possible d’ajouter que les utilisateurs des deux terrains de
recherche se disent satisfaits de l’effet des résultats du modèle formel dans leur
contexte. Le projet Innovation d’un processus de soins a continué, par l’effort de son
comité de pilotage, à adapter à leur situation l’outil qui leur a été fourni par la
« solution ». Ceux-ci s’en servent dans les pratiques de suivi de projets en gestion du
changement. Pour ce qui est du projet Partenariat CSSS - CRD, le comité de pilotage
a offert un siège au chercheur de cette thèse afin de présenter le détail des résultats
accumulés, ainsi que d’offrir un suivi cohérent, près de la pratique et plus intensif
275
qu’un simple rapport24
. L’objet « solution » fait partie des communications
officielles du projet, ainsi que des discussions au comité conjoint.
Les limites et les avenues de recherche
La validité de formulation pourrait être améliorée à travers deux directions
principales : 1) Le modèle provient a priori d’une recherche de la connaissance et
non l’inverse. Ainsi, l’activité est en quelque sorte fermée. En d’autres mots,
l’activité de recherche-action opérationnalisée pose d’emblée un modèle de
connaissance au centre de son intervention (soit le modèle de Rondeau, 2008). La
modélisation et la connaissance subséquemment produites relèvent inévitablement de
l’utilisation des postulats du modèle comme objet de transformation tel que suggéré
en introduction. La validité de formulation se limite donc à l’appréciation de la
situation managériale par le modèle formel à travers la perspective des capacités à
changer imposée par le modèle conceptuel. Cette limite, quoiqu’importante à relever
au niveau méthodologique, n’en est pas une au niveau de la conception de la présente
étude. Dès l’introduction, la dualité Action-Connaissance et la dialectique chercheur-
projet ont été considérées comme faisant partit de la problématique de recherche. 2)
Il apparait nécessaire de procéder à l’étude plus précise des retombées pragmatiques
d’efficience auprès des acteurs-utilisateurs du modèle formel dans le contexte
managérial qui leur est propre. Cette proposition est récupérée plus loin dans le texte.
24
Ce siège a été offert en mai 2010, soit après à la réalisation des entrevues et à la passation des
questionnaires (septembre 2009 à janvier 2010).
276
6.1.2 La validité de légitimation
La proposition
La validité de légitimation propose l’analyse de la justesse des prescriptions
du modèle conceptuel (en l’absence du modèle formel) selon une approche
pragmatique. Ainsi, « tout ce qui doit être fait formellement pour répondre aux
validités logique et expérimentale se doit d’être fait de façon informelle et qualitative
pour la validité de légitimation » (Oral et Kettani, 1993, p.230; traduction libre). La
qualité des prescriptions doit être mise en relation avec la justesse du modèle
conceptuel à travers un mécanisme de validité de légitimation. Cette qualité inclut :
- Une hausse de détail perçu quant à la situation managériale
- Un niveau d’acceptabilité au sein de l’organisation
- Un niveau d’engagement de la part des gestionnaires
- Un niveau appréciable d’applicabilité
- Une utilité dans la prise de décision
L’appréciation
Par rapport à la proposition de Rondeau (2008), le niveau de détail du modèle
en lien avec la situation managériale s’est vu augmenter. La modélisation suivant les
principes élémentaires de la Soft System Methodology (Checkland, 1981; Checkland
et Scholes, 1990) apporte un ancrage théorique au modèle conceptuel par la
mobilisation des connaissances académiques relevant des neuf capacités tout en
respectant les fondements de Rondeau (2008). Du même coup, l’applicabilité de
cette modélisation se voit augmenter par la présentation en tableaux de bord guidant
277
l’action de l’utilisateur (voir l’annexe 2). Le processus menant à ces tableaux de bord
à partir de la proposition de Rondeau (2008) a été reconnu comme utile à l’action par
les responsables des deux terrains de recherche.
Une formule dialogique autour des dimensions du modèle conceptuel axée
vers l’action inhérente aux tableaux de bord semble moins « menaçante » par rapport
au modèle formel. En d’autres mots, le diagnostic du modèle formel peut apparaitre
pour certains comme une évaluation de performance. Tandis que le dialogue et la
concertation autour des interventions et des suivis des tableaux de bord pourraient
amener à une formule de gestion plus consensuelle et participative. Au minimum,
elles portent l’attention des acteurs sur le partage de schémas cognitifs communs
autour d’un outil organisant ces schémas émergents.
La validité de légitimation est ici reconnue comme satisfaisante selon les
interventions du chercheur décrites ci-haut, ainsi que par les commentaires des
responsables des deux projets étudiés.
Les limites et les avenues de recherche
Il est à considérer que la présente étude est alors un avancement en termes de
légitimation de la proposition de Rondeau (2008), mais qu’une prochaine itération
pourrait apporter une certaine traduction du modèle conceptuel afin de mieux
correspondre aux intérêts précis des gestionnaires.
278
6.1.3 La validité de précision
La proposition
La validité de précision propose l’analyse de l’utilité du modèle formel à
« constater les enjeux et les prises de conscience au niveau de la situation
managériale » (Oral et Kettani, 1993, p.228). La « représentativité » et le
« synergisme » sont au cœur de cette analyse, particulièrement dans le cadre d’une
situation managériale complexe. Cette étude de la validité de précision est démontrée
en trois temps dans la section qui suit.
L’appréciation
Il est important de noter le niveau de précision et de rigueur méthodologique
dans la conception des études de cas représentant les situations managériales afin
d’apprécier par la suite le traitement suivant. Sans cette approche reposant en grande
partie sur les postulats de Yin (2009), l’étude de la validité de précision serait
impossible, sinon incomplète par manque de comparatifs. Il est entendu que la
situation managériale complexe réelle existe, mais qu’elle n’est pas objectivable en
tant que telle. Ainsi, la meilleure image de celle-ci demeure l’artéfact qu’est l’étude
de cas. Sa validité est donc primordiale à l’interprétation ci-proposée.
Deux méthodes principales ont servi à apprécier la validité de précision. La
modélisation par équation structurelle porte plus spécifiquement sur le modèle
formel et sa « représentativité » importante au présent type de validité. Dans une
approche captive des perspectives imposées par le modèle utilisé, l’ensemble des
279
indicateurs dits « relatifs » démontre une validité. Les indicateurs ECVI, AIC, CAIC,
CFI, NNFI considérés relatifs par Diamantopoulos et Siguaw (2000), s’avèrent tous
significatifs. Par contre, il est possible de percevoir, de façon arbitraire, que ces
indicateurs sont relativement élevés par rapport aux niveaux observés habituellement
en recherche positiviste. Ceci indique que le modèle formel, selon les données
recueillies, est une approche valide à l’interprétation et à la représentativité des
résultats, mais qu’elle ne réussit pas à expliquer l’ensemble de la variance des
observations25
.
En ce qui a trait à la validité absolue, propre à une approche positiviste d’où
découle cet outil statistique, il appert que le modèle formel demeure quelques fois
représentatif considérant son existence « objectivable », mais que son niveau
d’erreur résiduelle est relativement élevé tel que présenté par les indicateurs GFI et
PGFI. Plus précisément, l’interprétation des tendances des résiduelles demeures à
préciser tel que le démontre l’indicateur RMR.
Finalement, après avoir traité de la « représentativité », le niveau de
« synergisme » doit faire l’objet d’une approche spécifique afin de couvrir les
recommandations d’Oral et Kettani (1993). Les analyses comparatives entre les
données qualitatives composant les études de cas et les données quantitatives du
modèle formel font l’objet de cette dernière phase d’interprétation de la validité de
précision. Reposant sur une validité d’objet référencée et méthodique, les objets
25
Ceci peut relever autant de la précision de la modélisation formelle que du nombre trop faible de
participants à l’étude psychométrique.
280
« situation managériale » et « modèle formel » sont comparés afin de procéder à une
certaine observation de ce « synergisme ». Ainsi, les analyses qualitatives des études
de cas selon les neuf dimensions adaptées de la proposition de Rondeau (2008) sont
mises en relation avec les résultats quantitatifs du modèle formel, soit la solution. Il
est à noter que dans la perspective constructiviste de la modélisation ci-présente, il
est impossible et non-souhaitable d’objectiver les interventions du chercheur. Ainsi,
les résultats proposent, selon une approche interactionniste de la connaissance, des
tests de propositions de recherche complémentaires par analyses de régressions
statistiques basées sur les analyses qualitatives des études de cas. Il est possible de
constater un premier pas dans le sens d’un synergisme entre le modèle formel et la
situation managériale. En effet, plusieurs de ces propositions s’avèrent confirmées,
tandis que seulement certaines sont partiellement confirmées.
Plus particulièrement, il appert que : 1) la validité de précision semble plus
problématique dans le contexte de l’étude de cas Partenariat CSSS - CRD, tandis que
pour ce qui est du cas Innovation d’un processus de soins, toutes les propositions
sont confirmées. 2) Certains sous-groupes identifiés par la solution du modèle formel
ne sont pas traités dans l’analyse de l’étude de cas, particulièrement pour le cas
Partenariat CSSS-CRD. Par exemple, le modèle formel peut produire un compte
rendu des résultats obtenus pour la catégorie d’employés : infirmières. Par contre,
l’objet « situation managériale » représenté par l’étude de cas reste aveugle quant
aux implications précises du projet au niveau des infirmières. Aucun enjeu
spécifique et important n’est rapporté pour aucune des neuf dimensions du modèle.
281
Donc, il appert que le modèle formel, au niveau de la modélisation par équations
structurelles, contient un certain niveau d’erreurs résiduelles tel que spécifié à la
page précédente. Cependant, sa précision en ce qui a trait à la possibilité de capter les
schèmes cognitifs de groupes en particulier est plus grande que l’étude de cas.
Les limites et les avenues de recherche
Il est donc possible d’affirmer que les deux premières argumentations de
l’interprétation de la validité de précision présentent des résultats satisfaisants.
Tandis que des améliorations itératives sont à apporter à la troisième phase afin
d’offrir : 1) la possibilité de présenter plus d’hypothèses comparatives soumises à
des tests de régressions similaires; 2) une étude approfondie des éléments contextuels
et méthodologiques propres à la situation du cas Partenariat CSSS - CRD entre
autres. Dans tous les cas, si tel est l’objectif, il sera nécessaire de hausser le niveau
de détail capté par l’objet situation managériale en même temps que l’amélioration
du modèle formel. En effet, il est impossible dans un tel cadre systémique de poser
un limite claire à l’un ou l’autre des objets de façon indépendante. En d’autres termes
et tel que le suggère cette partie, peut-être que le modèle formel capte très bien la
situation managériale proposée. Alors, le niveau de détail propre à cette situation
managériale, captée par l’étude de cas, devra être haussé afin de poursuivre un tel
test.
282
6.1.4 La validité expérimentale
La proposition
La validité expérimentale propose une étude de l’objet « solution ». Trois
éléments importants sont à retenir :
1- La qualité de la solution passe par un accroissement du niveau de
compréhension de la situation managériale suite à l’utilisation du modèle.
a. La sensibilité du modèle aux variations des éléments.
b. Le niveau d’acceptation par les utilisateurs par rapport aux solutions
proposées.
c. Le niveau d’applicabilité des solutions proposées.
d. Le niveau d’utilité de la formulation de la solution.
2- L’efficience de la solution est évaluée par les implications en termes de
temps, d’efforts et de coûts.
3- La spécification des attentes face aux retombées de la solution sont de nature,
soit exacte, par heuristique, ou par essais-et-erreurs.
L’appréciation, les limites et les avenues de recherche
La qualité de la solution passe par l’accroissement de la compréhension de la
situation managériale et elle est ici jugée satisfaisante dans une approche par
structuration de problème.
283
En effet, le modèle est relativement sensible à la variation des éléments (1a).
Ceci est démontré, toujours en se reposant sur la validité des quatre objets de la
modélisation, par la validation du modèle formel à l’aide de l’analyse par équation
structurelle et les analyses quantitatives préliminaires impliquant le test des alphas de
Cronbach et l’analyse factorielle exploratoire. Il semble que le modèle est
suffisamment sensible pour confirmer la présence de neuf variables indépendantes et
distinctes, mais pouvant être intercorrélées. Ceci à l’aide d’un très faible échantillon
haussant par le même fait le niveau d’erreur d’estimation. Qui plus est, l’analyse
comparative traitée dans la section précédente démontre un niveau de sensibilité
certain quant à la convergence entre les utilisations qualitatives et quantitatives des
modèles formel et conceptuel.
Par contre, il est impossible de se positionner sur la sensibilité de la solution
offerte dans le temps étant donné l’étude à un seul temps de mesure. Quelques
inférences sont tout de même de mises afin de minimiser cet impact sur la validité
expérimentale.
Premièrement, si un modèle est fidèle dans le temps il n’est pas
nécessairement valide (Haccoun et Cousineau, 2008). Ses résultats peuvent donc être
convergents et cohérents à travers les temps de mesure, mais ne pas représenter
empiriquement le concept théorique explicité. À l’inverse, un modèle valide est
nécessairement fidèle (Robert, 1990). S’il y a une démonstration rigoureuse que les
concepts théoriques énoncés sont bien représentés par les résultats, la fidélité va de
284
soi. En d’autres mots, une démonstration de validité infère que si les résultats sont
instables dans le temps, alors cette instabilité pourrait provenir du contexte et non de
l’outil de mesure. Une étude approfondie de la fidélité semble tout de même
souhaitable dans une analyse itérative ultérieure de la présente activité de
modélisation.
L’approche systémique réintègre la notion du temps et donc de l’asymétrie
des interrelations contrairement à la symétrie nécessaire aux observations propres
aux tests de fidélité positivistes. Du même coup, intégrant cette temporalité à la
notion de système arborescent décrit par Simon (1945, 1969), il serait intéressant de
capter plusieurs niveaux d’arborescences au système observé. Il est suggéré, à
l’encontre des postulats réductionnistes et analytiques, de complexifier le présent
modèle dans une étape ultérieure afin d’étudier les effets systémiques d’une telle
approche selon plusieurs niveaux d’arborescences à travers une chronologie
d’événements. Cette proposition dépasse par contre le cadre de la validité selon
l’approche méthodologique ci-utilisée.
Les niveaux d’acceptation (1b), d’applicabilité (1c) et d’utilité (1d) sont jugés
satisfaisants. L’effort de cette étude porte principalement sur la validité et la
légitimité de la modélisation en gestion du changement. Cet effort a fait en sorte de
mettre plus d’accent sur la conceptualisation que sur l’étude des retombées
expérimentales de sa pertinence aux yeux des gestionnaires. Par contre, tel qu’il a été
spécifié ci-haut, les deux terrains de recherche ont fortement intégré l’utilisation des
285
modèles formel et conceptuel. Le projet Innovation d’un processus de soins à fait
évoluer ses propres pratiques de suivis stratégiques en gestion du changement en
s’appropriant et en développant de plus belle les deux modèles offerts. Le projet
Partenariat CSSS - CRD a offert un siège au chercheur sur ses comités de pilotage et
conjoint afin de maintenir un guide aux gestionnaires et coordonnateurs reposant sur
les solutions mises en lumière par les modèles formel et conceptuel.
Ensuite, l’efficience en termes de temps d’efforts et de coûts est satisfaisante
(2). En effet, la validité des quatre objets de la modélisation jumelée au
développement et à la précision des modèles formel et conceptuel offre aux
utilisateurs plusieurs possibilités afin de correspondre aux disponibilités
contextuelles en termes de temps, de motivation et de ressources. Il est à noter
qu’une utilisation complète du modèle selon ses quatre objets peut apporter moins
d’efficience à l’utilisateur autant en termes de temps qu’en développement des
connaissances et compétences. Ainsi, le modèle formel est automatisé afin de mieux
correspondre aux outils habituels produits dans le courant de la recherche
opérationnelle, et le modèle conceptuel est formalisé sous la forme de tableaux de
bord, habituels aux gestionnaires.
Troisièmement, la solution peut être qualifiée d’ « heuristique » et par
« essais-et-erreurs » (3). Cet élément est reconnu comme étant le moins développé
suite à l’étude proposée. Les méthodologies utilisées ne permettent pas la
démonstration positiviste ou constructiviste de la nature « exacte » de la solution. Par
286
contre, étant propre au courant de la modélisation « par structuration de problème »
tel qu’affirmé dans le chapitre 3, la solution résultante du modèle formel ainsi que les
tableaux de bord résultants du modèle conceptuel permettent de cibler les
heuristiques de gestion du changement problématiques ou propulsifs dans leur
contexte. Ainsi, par « essais-et-erreurs » ces « heuristiques » peuvent être traités de
façon dialogique par les acteurs du contexte, ceci encadré par une première phase de
mobilisation des connaissances (concernant ces heuristiques) impliquées dans les
guides offerts par les tableaux de bord. Ce critère de validité d’Oral et Kettani (1993)
devrait donc faire l’objet d’une étude plus approfondie afin de déterminer s’il est
propre à la modélisation en gestion du changement.
6.1.5 La validité opérationnelle
La proposition
La validité opérationnelle propose l’analyse de la capacité du modèle formel
à produire des solutions efficientes et efficaces pour les décideurs. Oral et Kettani
(1993) notent cinq éléments à considérer :
1- La convivialité du modèle formel : évaluée par le niveau de compréhension
de celui-ci par les utilisateurs; le niveau de volonté et de préparation des
décideurs; les niveaux de disponibilité et de fiabilité des données requises; le
niveau des ressources allouables au processus.
2- L’utilité du modèle formel : évaluée par le niveau de résolution de la situation
managériale; le niveau de compréhension de la situation apportée par le
287
modèle formel; le niveau d’amélioration de la communication entre les
parties prenantes; le niveau de coordination des efforts autour du modèle par
les décideurs; le niveau de motivation de la part des décideurs par rapport à
l’utilisation du modèle formel.
3- Le temps requis par l’utilisation, la mise à jour et l’entretien du modèle
formel.
4- Le synergisme du modèle formel : évalué par le niveau de pertinence de la
solution apportée relativement aux décisions passées.
5- Les couts d’utilisation : Autant au niveau des salaires en consultation interne
ou externe, qu’en équipement ou en cueillette de données.
L’appréciation et les limites
Dans le cadre de l’activité de modélisation « par structuration de problème »,
ainsi que considérant que cette opérationnalisation est la première dans une
possibilité indéfinie de cycles itératifs de peaufinage, la validité opérationnelle est
traitée à travers la validité expérimentale. Il n’est pas suggéré de rejeter la pertinence
de ce type de validité à ce moment-ci. Par contre, il semble que (1) la nature
exploratoire et préliminaire de la modélisation proposée, (2) le fait que l’objet
« solution » peut toujours être en développement, (3) la nature « très soft » de la
modélisation proposée font en sorte que la validité opérationnelle ne peut être
démontrée de façon différente des huit autres types.
288
Les avenues de recherche
Il importe alors, dans le cadre de recherches futures, d’établir la pertinence de
ce type de validité par la réplication du cadre méthodologique, ou de poursuivre le
niveau de précision en termes de validation et de légitimation de la solution proposée
par le présent modèle.
6.1.6 La validité conceptuelle
La proposition
La validité conceptuelle propose l’analyse de la qualité de la captation de la
situation managériale à travers le modèle conceptuel. Les parties prenantes de la
situation managériale et utilisatrices du modèle conceptuel sont au centre de
l’appréciation de ce type de validité. Six éléments sont importants à préciser : 1) qui
sont les parties prenantes, 2) comment seront-ils mis au courant de la situation
managériale, ou comment l’a voient-ils déjà, 3) quels sont les objectifs poursuivis
par l’activité de modélisation, 4) quels sont les éléments de la définition de base de la
situation managériale au sens de Checkland (1981), 5) les éléments de construit du
modèle permettant de faire du sens de la situation managériale, 6) quelle est
l’appropriation du modèle conceptuel auprès des décideurs?
L’appréciation, les limites et les avenues de recherche
Afin de préciser les apports de l’opérationnalisation concernant les six
éléments précédents, cinq arguments sont énoncés. Premièrement, les parties
prenantes considérées par l’activité de modélisation sont principalement les
289
décideurs, les gestionnaires, les destinataires et les observateurs impliqués
directement dans le projet de changement organisationnel visé. Tel qu’il est spécifié
plus haut dans le texte, les retombées de l’utilisation des modèles conceptuels et
formels impliquent, plus ou moins directement, tous destinataires du projet de
transformation au sein de l’organisation utilisatrice.
Deuxièmement, ces parties prenantes ne sont pas littéralement « mises au
courant de la situation managériale » tel que suggéré par Oral et Kettani (1993).
Dans une approche « par structuration de problème », les décideurs organisationnels
sont considérés comme faisant face à la complexité inhérente au changement
organisationnel. Ceux-ci, considérant qu’ils sont consciemment engagés dans un
projet de changement, pourraient désirer une approche méthodique dans
l’appréciation des problématiques, des obstacles et des éléments de succès propre à
leur situation spécifique, contextuelle et épisodique.
Troisièmement, la présente modélisation vise à interpréter la situation
managériale de façon spécifique, contextuelle et épisodique tout en mettant à profit
l’approche de la proposition de Rondeau (2008) à travers des ancrages
méthodologiques et empiriques. Méthodologiques, en ce qu’ils offrent une
méthodologie légitime et valide. Empiriques, en ce que les ancrages propres aux neuf
dimensions proviennent des facteurs de succès identifiés dans la documentation
académique.
290
Quatrièmement, les deux premières phases de la modélisation selon
Checkland (1981) ont été appliquées entièrement. Indissociables selon cet auteur,
elles sont présentées en deux temps : la spécification de la situation managériale
réelle et non-structurée à travers le modèle choisi par le chercheur (chapitres 1 et 4);
la traduction de la situation managériale à travers une expression compréhensible et
structurée pour l’ensemble des parties prenantes impliquées (chapitre 4).
La situation managériale « générale », soit la problématique du changement
organisationnel par une approche de la capacité à changer est explicitée à travers
l’observation du développement des connaissances en gestion du changement tel que
présenté dans le chapitre 1, ainsi que par la description de l’objet « modèle
conceptuel » au chapitre 4. La situation managériale « locale » est approchée selon
les postulats interactionnistes adaptés des méthodes qualitatives de recherche par
étude de cas tel que présenté à travers la description de l’objet « situation
managériale » au chapitre 4.
La présente étude diffère quelque peu des prescriptions de Checkland (1981).
Celui-ci proposant une méthode de modélisation d’objets « soft », suggère que les
« structures », les « processus » et les « relations entre structures et processus » sont
des éléments à modéliser a priori. Il est affirmé ici que l’objet de recherche pourrait
être qualifié de « très soft ». Effectivement, peu importe la nature des structures et
des processus observés, les dynamiques sociales et organisationnelles sont
cartographiées à travers le postulat de Rondeau (2008) misant sur la représentativité
291
générale des logiques d’action stratégique, fonctionnelle et opérationnelle. Elles
représentent autant une catégorisation des rôles des acteurs observés, les perspectives
possibles à l’approche d’une problématique, ainsi qu’une interprétation théorique des
rationalités organisationnelles. Au final, les relations processus-structures sont
inhérentes à la matrice de Rondeau (2008) en croisant logiques d’actions comme
processus-structures (« très soft ») avec les enjeux du changement organisationnel
offrant une dimension supplémentaire à l’appréciation généralisable de processus
spécifiques.
Cinquièmement, Oral et Kettani (1993) suggèrent une évaluation du construit
du modèle conceptuel afin d’établir une représentativité de la situation managériale.
Cet état de représentativité est déjà amplement exploré à travers le traitement des
validités de formulation, de légitimation et de précision. De plus, les interventions
opérées à la phase de développement des objets « modèle conceptuel » et « situation
managériale » impliquent l’argumentation suivante : La situation managériale est
rigoureusement et méthodiquement traitée par la méthodologie qualitative de l’étude
de cas (Yin, 2009). Le modèle conceptuel est ancré par l’utilisation des postulats
fondamentaux de la modélisation (Checkland, 1981; Simon, 1969) et par
l’élaboration théorique et académique de la proposition de Rondeau (2008). Le
modèle conceptuel a servi à l’analyse qualitative des deux terrains composant la
situation managériale. Cette analyse, énonçant ses postulats et reposant sur ces deux
objets constitués à partir de méthodes référencées, peut donc être critiquée ainsi que
comparée à l’analyse quantitative offerte par le modèle formel. Il est à rappeler que
292
la présente étude se positionne comme étant constructiviste et interactionniste, ainsi
le construit du modèle conceptuel sert de formule d’approche a priori au chercheur
tel que proposé entre autres par Checkland (1981) et Pidd (1996).
Ainsi, selon la présente méthode d’appréciation de la complexité et de
l’action dans le cadre d’une approche constructiviste, la représentativité objective de
la situation managériale n’est pas démontrée par la thèse. Il est plutôt possible
d’affirmer que sa représentativité est valide dans le cadre de la mobilisation du
modèle de Rondeau (2008) choisi au préalable afin d’outiller l’action de changement
organisationnel. Le « construit » du modèle conceptuel (et du modèle formel) est
considéré comme valide et est reconnu comme légitime dans le développement de la
connaissance quant à ce courant théorique des capacités à changer autant que dans la
pratique par les utilisateurs.
6.1.7 La validité logique
La proposition
La validité logique propose l’évaluation de la formulation du modèle
conceptuel à travers un modèle formel représentatif (Oral et Kettani, 1993). Trois
approches sont possibles : la formalisation mathématique, la modélisation
informatique et la formalisation linguistique. Plusieurs méthodes qualitatives,
quantitatives et comparatives ont été utilisées ici. La formalisation mathématique a
été sélectionnée pour la conception du modèle formel puisque celle-ci est reconnue
293
comme plus rigoureuse dans la documentation en recherche opérationnelle (voir
Zebda, 2003).
L’appréciation
La validité de précision traite de la représentativité des inférences du modèle
conceptuel à travers l’utilisation du modèle formel à une situation managériale par
l’étude de la modélisation par équation structurelle. Pour ce qui est de la validité
logique, il appert nécessaire de compléter ceci par l’interprétation de l’utilisation de
l’analyse factorielle ainsi que des accords inter-juges obtenus dans validité
d’apparence des items présentés au chapitre 4. Ainsi, il est affirmé que : 1) l’accord
inter-juges concernant la justesse représentative des concepts théoriques de la
proposition de Rondeau (2008) est validé à travers les 87 items formulés; 2) l’outil
qu’est l’analyse factorielle, utilisée de façon pragmatique, a été utile dans la
conception et dans la validation de l’orthogonalité des trois enjeux et des trois
logiques de l’action de la matrice de Rondeau (2008). Il est alors possible de
proposer que le contenu du modèle conceptuel, par les ancrages théoriques des neuf
dimensions, est représenté de façon valide (logique) par l’intervention du groupe de
chercheur formulant l’accord inter-juges. Il est aussi possible de proposer que
l’organisation même du modèle conceptuel est respectée dans la représentativité de
la formulation du modèle formel par l’utilisation de l’analyse factorielle au niveau
des deux axes : enjeux du changement organisationnel et logiques d’action.
294
Il est à noter que comme le prévoit Oral et Kettani (1993), la formalisation
mathématique même si elle démontre une validité logique, amène une perte de détail
par rapport au modèle conceptuel. Ceci est observé par la perte de niveaux
d’arborescences (au sens de Simon, 1945, 1969) entre ces deux objets.
Limites et avenues de recherche
Au final, la validité logique est considérée comme satisfaisante. Ce type de
validité provenant de la recherche opérationnelle sur des objets de recherche
« hard », s’applique habituellement à des modélisations mathématiques ou
informatiques beaucoup plus élaborées. De subséquentes itérations à la présente
modélisation pourraient amener un raffinement de la représentativité détaillée du
modèle conceptuel. Elle se devra d’être suivie par une élaboration plus complexe du
modèle formel quantitatif même si son objet est « très soft ». Surtout que l’ajout
d’arborescences aux neuf dimensions apporterait une complexité de modélisation
psychométrique dépassant ce qui est publié dans le domaine.
Qui plus est, la perte de détail relevant de la conceptualisation du modèle
formel semble limiter les possibilités de tests de régressions quantitatifs portant sur
la solution du modèle formel comparée à la situation managériale. Ainsi, le modèle
formel et la situation managériale pourraient faire l’objet d’une sophistication
subséquente afin de tester s’il y a possibilité d’analyses croisées plus développées au
niveau quantitatif. Pour ce faire, ces deux objets devront par contre être
passablement complexifiés, réduisant ainsi leur utilité et leur pertinence.
295
6.1.8 La validité des données
La proposition
Les données sont le matériau principal à l’activité de modélisation.
Considérées au sens large elles sont de trois types (Forrester, 1980; dans Oral et
Kettani, 1993). Les données « cognitives » proviennent des schémas cognitifs des
parties prenantes de la situation et elles sont considérées comme étant les plus
puissantes. Les données « écrites » sont moins riches puisqu’il est normal de ne pas
réussir à capter tous les aléas de la situation telle que représentées dans les schémas
cognitifs des parties prenantes. Les données « numériques » obtiennent le même
descriptif que les données « écrites », mais sous une formule quantitative. Un alliage
de ces trois matériaux apparait donc comme un idéal à travers une collecte et une
utilisation efficiente. Bien entendu, il importe que ces données soient : « suffisantes,
précises, appropriées, disponibles, durables, fiables » (Oral et Kettani, 1983, p.222).
Au final, la validité accordée à ces données est fondamentalement redevable des
coûts qui leur sont associés.
Tel que démontré à travers les chapitres 4 et 5 l’ensemble de ces types de
données a été mobilisé dans un objectif de rigueur et de légitimité de l’activité de
validation. Cependant, les données « cognitives » ont été traitées de façon indirecte
en usant d’une formule écrite dans le cadre de la formulation des objets « situation
managériale » et « modèle conceptuel », et en usant d’une formule « numérique »
dans le cadre de la formulation de l’objet « modèle formel ».
296
La validité de données ne semble pas appréciable en soi. Les
recommandations quant à l’alliage des trois types ont été respectées. À partir de ce
moment, il semble que la validité est propre à l’activité de modélisation qui en
suivra. Celle-ci est appréciable par rapport aux huit autres types de validité.
Limites et avenues de recherche
Aucune limite ni avenue de recherche n’est alors suggérée quant à
l’opérationnalisation effectuée.
6.1.9 La vérification
La proposition
La vérification guide l’attention vers la dimension théorique dans le sens où
la situation managériale réelle n’est pas considérée. Par principe, elle implique une
justification de l’utilité potentielle pour une quelconque situation managériale
d’utiliser une modélisation théorique et son produit. D’un côté plus technique, six
éléments sont à considérer de façon rigoureuse :
- Le niveau de correspondance entre les modèles formel et conceptuel.
- Les avantages du modèle formel comparativement à d’autres propositions
comparables.
- La « supériorité » et l’ « accessibilité » des « solutions techniques »
résultantes du modèle.
- La nature des solutions proposées.
- Le niveau de contribution au développement des connaissances.
297
- Les exigences en termes de données.
Par définition, la validité de type vérification semble impliquer un retour
rigoureux sur l’ensemble des éléments précédents. Par souci de concision, seuls les
éléments n’ayant pas été traités complètement à travers les huit autres types sont
présentés.
L’appréciation, les limites et les avenues de recherche
La vérification semble impliquer un élargissement des visées de la présente
étude. En effet, la comparaison entre le modèle utilisé et d’autres propositions
potentielles pourrait obtenir une attention particulière. Ainsi, les exigences en termes
de données, la supériorité et l’accessibilité comparatives des résultantes offertes par
deux modèles pourraient être étudiées. Par contre, aucun autre modèle épistémique
de la capacité à changer, considérée comme objet de transformation, n’a été identifié.
La présente thèse vise justement à définir conceptuellement le concept de modèle en
gestion du changement en étudiant ses enjeux épistémologiques et méthodologiques
sous la perspective du modèle au cœur d’une triple dialectique. L’approche
scientifique de l’étude des capacités à changer n’étant pas encore définie de façon
consensuelle dans la documentation universitaire, il est difficile de trouver un
modèle comparable.
298
6.1.10 Les avenues de recherche générales
Au terme de cette partie, il appert qu’une étape subséquente de la
modélisation s’impose. En plus de la mobilisation des recommandations présentées
ci-haut quant à la validation d’un modèle en gestion du changement, une étude
longitudinale axée sur l’étude de l’impact du modèle sur des variables précises de
performance organisationnelle (qu’il serait possible de nommer « dépendantes »).
Bien entendu, selon les visées interactionnistes et de modélisation par structuration
de problème, le modèle n’est pas l’objet attendu face à la performance
organisationnelle en gestion du changement. Une telle étude se devrait de mesurer
les schèmes cognitifs socialement partagés et préalables à l’intégration du modèle
comme plateforme. Cette mesure serait suivie d’une méthodologie particulière à
l’intégration précise du modèle au centre de la dialectique acteurs-organisation
couplée à une seconde mesure des schèmes cognitifs visés. Pour terminer, une
mesure post-changement est nécessaire afin d’étudier précisément les retombées des
résultantes du modèle. Il faudrait donc dépasser le cadre de la modélisation par
structuration de problème et tenter d’identifier certaines « variables dépendantes »
représentant des succès réels au sein des terrains de recherche.
In fine, la problématique énoncée en introduction quant à savoir ce qu’est un
modèle valide en gestion du changement a été répondue en de multiples détails, soit
en trois phases de modélisation (quatre objets, quatre enjeux, neuf types de validité).
Ceci ancré dans une conceptualisation épistémologique du modèle en gestion du
changement, comme étant au centre d’une triple dialectique. Ce positionnement a
299
permis l’étude de : ce qu’est le concept de modèle et de l’identification des
approches de modélisation inhérentes à ce concept; en plus de définir ce qu’est la
validité de modèle considérant tout cela.
La section suivante discute des retombées de l’étude quant aux
développements des connaissances et des pratiques de modélisation en gestion du
changement.
6.2 Un modèle valide de gestion du changement : Vers une approche
managériale pragmatique
Dans les documentations universitaire et professionnelle en gestion du
changement, les modèles offrent en général des démarches identifiant des conditions
de succès permettant la conduite, ou la description, du concept de changement
organisationnel. Les dimensions « spécifique », « épisodique » et même
« systémique » dans certains cas ne sont pas intégrées pleinement. Ils demeurent
donc génériques.
Le qualificatif de « générique » provient du fait que rares sont ceux qui
étudient le changement lui-même comme phénomène organisationnel, social et
système artificiel émergent. Alors, comment proposer une conduite sur les capacités
à changer fondées sur une perspective macro-analytique, peu importe le contexte du
changement, sans étudier le phénomène de capacités à changer comme étant propre
et unique à leur contexte? En d’autres mots, l’émergence du changement et de ses
300
capacités contingentes sont toujours à explorer afin d’en arriver à une étude
permettant du même coup la conduite d’un changement en considérant sont unicité et
sa spécificité.
La nature universitaire de la présente proposition étant passablement élaborée
ci-haut, ses visées pragmatiques sont à développer. Ainsi, l’opérationnalisation
suggérée du modèle s’alliera de façon interactionniste aux intérêts de l’action
managériale. Le modèle comme objet de transformation est étudié par rapport à sa
validité. La présente étude considère que les méthodologies de validation sont des
enjeux dans le cadre du présent contexte théorique et qu’une étude empirique à ce
sujet est un premier pas vers la recherche d’un consensus ou d’une méthodologie
rigoureuse.
Le modèle s’insère, selon une approche téléologique et normative de la
connaissance, au centre de la dialectique acteur-organisation. Le projet de
connaissance, soit l’étude de l’acteur transformateur et influencé, de l’organisation
transformée et contraignante, est saisi de façon pragmatique et émergente par les
utilisateurs du modèle. Une méthode axiomatico-inductive-pragmatique (Le Moigne,
1977, 1987) est nécessaire à l’explicitation des connaissances praxéologiques et
tacites des utilisateurs. Plus précisément, le qualificatif de « pragmatique » n’est pas
pleinement adressé dans les chapitres précédents. Une thèse est habituellement une
activité se rangeant dans la dimension Connaissance de la dualité Action-
Connaissance. L’opérationnalisation a permis de remplir l’objectif de développer les
301
Connaissances en étudiant le modèle qui lui est positionné au centre de cette dualité.
Maintenant, c’est aux praticiens de se saisir du modèle, de l’intégrer dans les
pratiques quotidiennes et de le faire évoluer. Ceci relançant le cycle interdépendant.
L’action réflexive ainsi produite, il sera nécessaire d’en tirer de la connaissance par
la suite.
Afin de poser un premier pas en ce sens, il peut être intéressant de relever
certaines avenues. Autissier et Moutot (2003) ont modélisé la nature de l’offre
professionnelle en gestion du changement. Trois méthodes générales en découlent,
soit la conduite du changement : 1) instrumentée, 2) psychosociologique, et 3) de
gestion de projet.
La présente proposition pourrait être récupérée dans le cadre de la méthode
ci-identifiée de « gestion de projet ». Alliant une instrumentation quantitative
standard propre à la conduite « instrumentée » à une approche misant sur le sens co-
construit des capacités à changer chez les acteurs organisationnels dans le sens de la
conduite « psychosociologique », il apparait nécessaire d’élaborer la dimension
« gestion de projet » afin de développer un modèle pragmatique. Le guide et les
méthodes de pilotage de projet de changement requis doivent conserver l’approche
systémique méta-analytique, ainsi que la capacité de contextualisation téléologique.
302
Selon ces auteurs, la conduite du changement par un modèle de « gestion de
projet » est la plus complète dans le cadre de leur recension des pratiques. Celle-ci
présente les caractéristiques suivantes :
- Elle offre un suivi de la mise en œuvre du changement par un rythme
cadencé sous une forme par étapes.
- Elle offre actions, planification et budget. Il est reconnu que les actions
spécifiques et formalisées ne sont pas valorisées, ni des plus utiles.
- Elle offre une attention particulière à la communication et au pilotage de
certains éléments du projet.
- Elle offre le cycle classique : diagnostic, accompagnement et pilotage du
changement.
L’opérationnalisation ci-présente répond au premier élément, en partie, par la
logique inférée par le modèle, objet de connaissance préalable à l’action et servant de
base théorique. Ensuite, actions et planifications sont inhérentes à l’activité de
modélisation co-construite et interactionniste. L’utilisation des méthodes
quantitatives de façon téléologique et constructiviste pourrait permettre d’explorer
les possibilités quant à l’élaboration d’éléments budgétaires dans un contexte
considéré « très soft ». Aussi, « communication » et « pilotage » ne sont non
seulement deux des neuf capacités organisationnelles identifiées, mais elles sont au
centre de l’activité de modélisation. La validation co-construite et interactionniste
pose le modèle au comme plateforme de communication et de partage de sens au
303
sein du projet et pour l’ensemble des acteurs se l’appropriant. Finalement, le modèle
formel offre une base importante quant au besoin de diagnostic. Tandis que le
modèle conceptuel et les résultats du modèle formel offrent un fondement et une
organisation de l’accompagnement et du pilotage du projet de changement. Les bases
sont donc présentes afin d’élaborer précisément un outil de gestion dans une étape
subséquente.
Sinon, pour ce qui est de l’axe Connaissance, plusieurs avenues de recherche
sont possibles et souhaitables. L’intérêt de la présente problématique est justement
de proposer un sens épistémologique et méthodologique aux propositions
d’évolution de la connaissance de Demers (1999) entre autres. Il est probable que
plusieurs autres avenues soient proposées. Peu importe qu’elles visent à spécialiser
une dimension, ou à généraliser le modèle, là est l’intérêt.
Avant de conclure, un retour plus général encore semble être nécessaire.
L’étude ci-présente propose une étude du modèle par sa validation dite scientifique.
Ce processus ayant été passablement exploré ci-haut, l’ensemble du présent
document tente de se faire représentatif de certains principes scientifiques visant
l’activité rigoureuse du chercheur. La prochaine partie présente ces impératifs qui
ont été suivis pour l’opérationnalisation.
304
6.3 Une méthodologie de validation de modèle en gestion du changement :
Les postulats méthodologiques constructivistes
Selon une approche interactionniste de la connaissance, le modèle s’insère au
centre de la dialectique du chercheur et de son objet à connaitre. Le biais du
chercheur face à l’étude de l’action est ainsi déclaré et des propositions de recherche
peuvent être soumises à une méthode déductive-expérimentale au sens de Le Moigne
(1977, 1987). Plus le modèle utilisé est approfondi aux niveaux théorique et
méthodologique, plus il offre de mises en contexte à la compréhension et à
l’appréciation de la rigueur du chercheur.
Ici, le cadre du « passage de la gestion du changement à l’étude des capacités
à changer » est garant d’un potentiel autant académique que praticien. Par contre, il
impose l’approfondissement des réflexions au niveau des approches de la dualité
chercheur-praticien, au niveau de la gestion de la complexité, au niveau de l’étude
des systèmes et sciences de l’artificiel. Ceci avec une emphase sur les intentions
épistémologiques et méthodologiques relatives aux principes constructivistes
fondamentaux.
Dans le cadre d’une approche ontologiquement agnostique (Riegler, 2001)
découlent trois principes méthodologiques fondamentaux à l’approche du projet de
connaissance, soit l’éthique, l’explicitation et l’ « ostinato rigore » (Le Moigne,
2001, 2002; Avenier, 2010). Ces trois principes au centre des chapitres de l’ensemble
des chapitres ci-présents.
305
6.3.1 L’éthique
Concernant le principe éthique de la recherche constructiviste, ses postulats
ontologiques agnostiques font en sorte qu’une attention particulière devrait être
accordée à chacun des participants (au sens large) de la recherche-action
puisqu’aucun d’entre eux ne peut clamer avoir une meilleure représentation de la
situation (Avenier, 2010). Ainsi, au centre de la recherche avec des humains il doit se
trouver un respect de la dignité, de l’intégrité et de l’intimité (Guba et Lincoln,
1989).
Il va sans dire que l’humain est au centre des représentations rapportées.
L’ensemble des données de cette modélisation qualifiée de « très soft » provient
d’humain et de leurs schémas cognitifs. Nonobstant le fait que les règles
déontologiques fondamentales de l’éthique en recherche ont été observées, la
méthodologie employée à travers de multiples outils ont visés à préserver la dignité,
l’intégrité et l’intimité.
Les données numériques du questionnaire quantitatif sont anonymes. Qui
plus est, aucun participant n’y est placé en position de confrontation avec un autre.
Aucune réponse n’est mauvaise pour un individu. Seule l’intention du projet de
changement est au centre des préoccupations.
Pour ce qui est des études de cas, les individus reconnaissables (entre eux et
non publiquement) ont donné leur accord à cet exercice. Le chercheur ayant des
306
intérêts de recherche autant que d’action n’a aucun intérêt à cibler un participant.
Surtout, que la gestion du changement est présentée par l’ensemble des auteurs cités
comme étant sociale, organisationnelle et émergente, plutôt que d’être le fruit d’une
personne en particulier. Le projet est au cœur des actions et ces actions de gestion
rapportées dans l’étude de cas sont présentées de façon systémique. La situation
managériale et son système est le point focal et non la causalité d’une action elle-
même et de ses conséquences négatives. Ce qui irait à l’encontre des visées
systémiques, interactionnelles et constructivistes du présent exercice.
6.3.2 L’explicitation
Le principe de l’explicitation relève de l’importance de la légitimation des
méthodes de recherches qualitatives (Charmaz, 2006) à travers une importante
description, une réflexivité, un processus d’audit et de fiabilité (Schwartz-Shea,
2006; dans Avenier, 2010). Ainsi, un niveau de détails suffisant, une réflexivité sur
le rôle joué par le chercheur dans la situation, un protocole de recherche élucidant les
intentions, décisions, actions et inférences du chercheur (Balogun et al., 2003) et un
ancrage épistémologique de l’étude (Avenier, 2010) sont recommandés.
Ces principes sont au centre de l’expérimentation. Premièrement, le « niveau
de détails suffisant » apparait à travers la structure de de présentation ci-utilisée.
Deuxièmement, étant donné que la question de la présente thèse place « le rôle joué
par le chercheur » au centre des préoccupations en assumant une approche
interactionniste dont l’outil est le modèle, le haut niveau de détail est alors un
307
préalable de la validation du présent exercice. Troisièmement, l’ensemble des
« intentions, décisions, actions et inférences du chercheur » sont rapportées « en
détail » en élaborant même sur les postulats d’outils et de méthodes de recherche
classiques qui ne font plus l’objet d’explicitation dans les publications récentes.
Quatrièmement, l’ancrage épistémologique détaillé fait l’objet d’un chapitre complet
au niveau du développement des connaissances en gestion du changement (chapitre
1), au niveau du concept de « modèle » (chapitre 2) et au niveau de ce qu’est la
validité de modèle (chapitre 3). Les ancrages épistémologiques se rapportant à
l’approche de la recherche scientifique en gestion du changement sont explicités et
étudiés tout autant que ceux se rapportant aux outils méthodologiques utilisés ou se
rapportant aux fondements théoriques de la gestion du changement.
6.3.3 L’ « ostinato rigore »
Finalement, le principe de l’ostinato rigore vise à faire la démonstration
d’une certaine fiabilité du processus ainsi que de validités interne et externe
(Avenier, 2010). En français, « constante rigueur », ce principe tire son nom d’une
phrase célèbre de Leonardo Da Vinci. Avenier (2010) argumente en faveur que la
notion de rigueur est « plus riche » au sein du paradigme constructiviste. En effet,
sous cette nouvelle approche, rigueur et pertinence peuvent aller de pair
contrairement à leur opposition habituellement démontrée dans le courant
conventionnel. Plusieurs méthodes existent afin de tenir ce principe, mais rares sont
celles qui sont reconnues de façon consensuelle dans la documentation en gestion du
changement. Il importe alors d’ancrer méthodologies et méthodes dans un principe
308
d’ostinato rigore afin de démontrer la pertinence autant que la validité de son
processus de modélisation et de la structure du modèle.
Ces principes au centre des méthodologies et méthodes ci-rassemblées et sont
considérés comme fondements à la validité du modèle en gestion du changement.
Conclusion
Le modèle, en tant qu’objet de connaissance dont se saisissent les acteurs afin
de le transformer en outil de changement organisationnel, a fait l’objet d’une étude
approfondie. Les enjeux du développement des connaissances en gestion du
changement au tournant du siècle, tel que rapporté précédemment, imposent une
attention particulière à l’artéfact de la connaissance et de l’action qu’est le modèle.
Tel que l’affirme Le Moigne (2008), le modèle n’a pas comme projet d’objectiver la
connaissance, ni de la cerner par une herméneutique subjective. Le modèle est ainsi
une « intelligence de l’action ».
Retour sur le concept de modèle en gestion du changement
Le modèle valide en gestion du changement devrait se positionner au cœur de
trois dialectiques complémentaires. Celles-ci sont, la dualité « Action-
Connaissance », la dialectique « Acteur-Organisation » et la dialectique « Chercheur-
Projet de recherche ».
La dualité Action-Connaissance selon Déry (1990) est importante au
développement des connaissances en gestion du changement, elle est inévitable et
indissociable. Du coup, elle est aussi irréconciliable. Cette dualité est cyclique. La
présente thèse propose un point de départ à l’intérieur de ce cycle par l’utilisation
d’un modèle de Connaissance afin de faire l’objet d’une étude de la validation
comme modèle hybride. Ce point de départ repose dans l’attention particulière
accordée aux positionnements épistémologiques afin de permettre une mobilisation
310
éthique, explicitée et d’ostinato rigore d’une méthodologie de validation du modèle
en gestion du changement.
Le modèle au cœur de la dialectique Acteur-Organisation permet de cibler le
projet de connaissance en gestion du changement. Il pourrait viser la description de
l’organisation, la description de ses acteurs ou l’étude de causalité de l’un sur l’autre.
Ici, le modèle tient le rôle de pivot entre ces deux pôles. Le changement étant
constant et propre à l’action de gestion, le modèle est l’outil qui tente de capter cette
Action. À travers le modèle, la transformation de l’organisation par l’acteur et
l’influence de la première sur le deuxième sont approchées dans leurs processus.
Le modèle est aussi au cœur d’une troisième dialectique, soit entre le
Chercheur et le Projet de recherche. Le modèle est pour l’universitaire à la fois son
projet de recherche et le produit de sa recherche. L’action de recherche du chercheur
sur son projet qu’est le modèle (qui est sous l’influence de ses deux autres
dialectiques), et la contrainte que ce dernier exerce sur le chercheur, doivent être
considérées de façon particulière au niveau méthodologique. Cette dialectique
pourrait aussi être qualifiée d’approche interactionniste de la connaissance et elle est
intégrée par l’explicitation détaillée de l’ensemble des parties de cette thèse.
Retour sur la problématique de recherche
Un modèle, un artéfact de connaissance, un outil de transformation en gestion
du changement sont donc constitués. Le raffinement de modèles en sciences de
l’artificiel, selon Simon (1945, 1969), est inscrit à travers le principe de la
311
complexité arborescente. Ainsi, le présent exercice n’est ni final, ni complet.
Cependant, il répond à la question d’introduction tirée de Le Moigne (2003) :
« Comment légitimons-nous alors dans nos cultures de citoyen
se voulant responsables et solidaires, les connaissances
enseignables et « actionnable » que chercheurs et enseignants,
formateurs et consultants, ont mission de produire, de
transformer et de transmettre » (Le Moigne, 2003, p. 14).
Plus précisément, la présente thèse élabore ce qu’est un modèle valide dans le
domaine du management qu’est la gestion du changement et plus particulièrement, le
modèle comme objet de transformation.
La réponse apportée est affirmée comme étant une proposition
complémentaire au centre des préoccupations épistémologiques et méthodologiques
inhérentes : 1) à la dichotomie trop souvent conflictuelle entre les travaux normatifs
et descriptifs selon Miller et al. (1999); 2) aux problématiques des taux de
performances relativement faibles et en gestion du changement; 3) à la
contextualisation du développement des connaissances à travers cette époque
d’apprentissage et d’évolution selon Demers (1999a); 4) à la proposition de passer
de la gestion du changement à l’étude des capacités à changer selon Demers (1999b).
Cette forme complexe du modèle hybride, interactionniste, co-construit et
objet de transformation répond aux besoins d’obtenir une activité de modélisation
valide et légitime. Ceci, dans l’objectif d’étudier et d’agir sur le « système » des
« capacités organisationnelles » de façon généralisable et scientifique tout en
312
demeurant valide au niveau de la dimension « contextuelle », « spécifique » et
« épisodique » (Rondeau, 2008) du changement organisationnel.
En conclusion, trois contributions importantes découlent de la réponse
apportée à la problématique du modèle en gestion du changement et comme artéfact
au cœur de la triple dialectique soulevée.
Premièrement, L’étude et l’argumentation épistémologique et
méthodologique des éléments constitutifs du modèle en sciences du management, de
l’activité de modélisation et des enjeux de la validité en découlant sont traitées. Par
les chapitres 2 à 6 et selon le positionnement épistémologique du concept de modèle
à travers une triple dialectique, cette thèse apporte une proposition épistémologique
au développement des connaissances scientifiques dans les domaines de la gestion du
changement et de la méthodologie de recherche en sciences de la gestion.
Deuxièmement, sur le plan méthodologique, l’adaptation et le développement
méthodique du tétraèdre de la modélisation-validation d’Oral et Kettani (1993)
appliqué à un objet de recherche dit « très soft » semblent importants. Cette
contribution fait avancer la connaissance dans le domaine de la méthodologie
scientifique en sciences de la gestion, ainsi que de la validation de modèle dans le
domaine de la recherche opérationnelle.
313
Troisièmement, le modèle adapté et validé à partir de la proposition de
Rondeau (2008) est un apport au domaine de la gestion du changement. Sans être le
projet central de la présente problématique, un outil de gestion en plusieurs volets et
portant sur la gestion des capacités à changer organisationnelles est le produit de
l’opérationnalisation des chapitres 4 à 6. Qui plus est, cet outil est ancré dans une
étude épistémologique du développement des connaissances propres au courant des
capacités à changer.
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Annexe 1 – Protocole d’entrevue
Légitimation stratégique
Quels sont les éléments qui rendent le changement prioritaire dans la gestion
quotidienne?
En quoi le changement vous semble légitime?
Quels sont les principaux arguments utilisés afin de légitimer le changement?
Comment ont-ils été présentés?
Légitimation systémique
Sur quoi vous êtes-vous basé pour arriver au modèle sélectionné?
Sur quelles connaissances précises vous êtes-vous basé pour arriver au modèle
sélectionné?
Qu’est-ce qui dans ce modèle vous semble avoir été bien défini?
Quels sont les éléments du modèle (solution) qui sont partagés et clairs pour
les gens?
Quels sont les éléments du modèle (solution) qui sont moins partagés et
moins clairs pour les gens?
Sur quoi vous êtes-vous basé pour dire que le modèle précédent était
problématique?
Quelles sont les déficiences du modèle précédent qui sont reconnues et qui
font l’unanimité chez les gens?
Quelles sont les déficiences du modèle précédent qui font moins l’unanimité?
Légitimation opérationnelle
Quel(s) moyens(s)/mécanismes existe(nt) pour partager les points de vue, les
connaissances et les opinions sur le projet de changement ?
Si création de comité : quels sont les objectifs de ce comité?
Avez-vous eu l’occasion de discuter du changement avec des
``collègues/homologues`` qui joue le même rôle que vous?
Réalisation stratégique
ii
La structure de pilotage (incluant comités conjoints) rassemble quels membres
et pour quelles raisons?
Est-ce que le système de pilotage inclut les différents groupes ou personnes détenant
des connaissances ou types d’expertise utiles au projet de changement ?
Quels sont ces connaissances et types d’expertise?
Comment ces personnes ont-elles mis à profit leur connaissance/expertise au
projet?
Pourquoi ont-elles été choisies?
Comment le comité de pilotage coordonne (les dialogues entre) les différents
comités? (rôle du chef/coordonnateur et capacité de traduction de sa part)
Y a-t-il des mécanismes de coordination mis en place? Des mécanismes de
suivi des rencontres?
Réalisation systémique
Quelles sont les ressources (budget, technologie, compétence, expertise,
formation) qui vous apparaissent comme majeures dans le succès du projet?
Dans la mise en œuvre du projet, a-t-on eu besoin de mobiliser des expertises pour
rendre concret la solution/modèle proposée? (capacité de mettre les bonnes
béquilles aux bonnes places/système corrige les défaillances?)
Comment soutien-t-on et habilite-t-on les équipes pour réaliser le
changement?
Réalisation opérationnelle
Est-ce qu’on a donné le temps/marge de manœuvre et le soutien nécessaire pour
expérimenter le changement ?
En avez-vous profité? Est-ce que cela a été utile?
Quels sont les éléments qui vous semblent relativement facile à opérer au
quotidien? Quels sont ceux qui causent plus de problèmes?
A-t-on partagé les apprentissages (nouvelles connaissances) issus de
l’expérimentation? Comment?
En avez-vous profité? Est-ce que cela a été utile?
Est-ce qu’il existe des mécanismes de rétroaction pour adapter le changement en
cours de route, au besoin ?
iii
Est-ce que les rôles et responsabilités de chacun ont été définis, partagés et compris
pour chacun?
Appropriation stratégique
Est-ce que ce changement augmente la valeur professionnelle des acteurs et des
équipes?
Quels éléments semblent prendre de la valeur chez les professionnels en
considérant le bien-être du client?
Qu’en est-il de votre niveau de confort envers les objectifs de ce changement?
Vous a-t-on démontré que le changement a eu des impacts?
Quels sont les résultats concrets du changement?
Ces résultats font-ils l’unanimité?
Y a-t-il eu des résultats inattendus?
Appropriation systémique
Y a-t-il de l’espace, des mécanismes, prévus et/ou utilisés, pour remettre en
cause la solution et l’améliorer suite à l’expérimentation?
En regard de la première formulation en début de projet, quels sont les
éléments qui ont été profondément modifié pour le mieux?
Comment on s’organise pour apprendre à partir de ce que chacun fait, des pratiques
nouvelles?
Est-ce qu’on capte les apprentissages relatifs aux nouvelles pratiques ?
Est-ce qu’on formalise/concrétise de nouveaux processus ou pratiques,
adaptés au nouveau concept?
Appropriation opérationnelle
Concrètement, y a-t-il des signes de petits succès prometteurs?
Est-ce que certains éléments vous demandant auparavant d’y investir de
l’énergie font maintenant parti de vos habitudes?
iv
Est-ce qu’on a formalisé les ajustements requis aux rôles, responsabilités et tâches
qui sont nécessaires pour la pérennité du changement ?
Est-ce qu’il existe un mécanisme de mesure et de rétroaction permettant
l’amélioration continue ?
Est-ce qu’on diffuse le changement et les résultats du changement dans des réseaux
professionnels ou autres ?
Si oui, qui en est responsable ?
v
Annexe 2 – Tableaux de bord
Tableau de bord : Vision
Logiques
d’action
Destinataires
cibles
Points
d’observations
Indicateurs Niveau
d’engagement
affectif
Port
eur
du p
roje
t
créd
ible
(par
rain
) Haute
direction
Gestionnaires
Employés
Sen
tim
ent
d’u
rgen
ce
Haute
direction
Gestionnaires
Employés
vi
Tableau de bord : Modèle
Documents
matériels
Destinataires
cibles
Moyens
entrepris
Indicateurs Niveau de
concrétisation
partagé D
éfic
ien
ces
du p
roce
ssus
Docu
men
tées
P
arta
gée
s
Haute
direction
Gestionnaires
Employés
Solu
tion a
u p
roce
ssus
Docu
men
tées
Par
tagée
s
Haute
direction
Gestionnaires
Employés
vii
Tableau de bord : Communication
Plateformes Indicateurs Plateformes Indicateurs
Pla
tefo
rmes
str
uct
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lles
Hau
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irec
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le
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Em
plo
yés
Bid
irec
tionnel
le
Par
tici
pat
ive
Par
tici
pat
ive
viii
Tableau de bord : Pilotage
Indicateurs
de clarté
commune
Membres Indicateurs
d’accessibilité
Indicateurs auprès
des groupes cibles
Str
uct
ure
de
gouver
nan
ce c
lair
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irec
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Com
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de
pil
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esti
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Cham
pio
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cces
sible
et
iden
tifi
able
Em
plo
yés
Em
plo
yés
ix
Tableau de bord : Capacité
Identification Moyens (import ou
développement)
Indicateurs de
développement
Moyens /
indicateurs
Iden
tifi
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Tableau de bord : Effort
Rôles et
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Tableau de bord : Intérêt
Moyens /
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Tableau de bord : Apprentissage
Moyens /
indicateurs
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indicateurs
Indicateurs Démonstration
de l’efficacité de
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Tableau de bord : Progression
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xiv
Annexe 3 - Questionnaire
Questions et dimensions, Capacités à changer organisationnelles
Vision
Vi1 … ce changement est important pour l’organisation
Vi2 … ce changement est justifié
Vi3 … il s'agit d'un changement plutôt marginal
Vi4 … ce changement va rendre l'organisation plus efficace
Vi5 … divers groupes influents résistent à un tel changement
Vi6 ... la direction s'implique peu dans ce changement
Vi7 … les supérieurs intermédiaires appuient ce changement
Vi8 … les groupes d'intérêts concernés résistent à un tel changement
Vi9 … la clientèle ne percevra pas les effets de ce changement
Vi10 … ce changement vient au bon moment
Vi11 … ce changement est cohérent avec les valeurs de l'organisation
Vi12 … il est urgent de faire ce changement
Modèle
Mo1 … les orientations de ce changement sont claires
Mo2 … les lacunes du mode actuel de fonctionnement sont claires
Mo3 … ce changement est fondé sur les meilleures pratiques
Mo4 … ce même changement a déjà été tenté ailleurs
Mo5 … ce même changement a déjà été tenté avant
Mo6 … ce changement bouleverse les systèmes existants
Mo7 … ce changement modifie profondément l’organisation du travail
Communication
Co1 … ce changement va entraîner de la résistance
Co2 … on aurait besoin de plus d'information concernant le changement
Co3 … ce changement a été discuté de plusieurs façons
Co4 … les discussions autour de ce changement l'ont fait évoluer
Co5 … l’information diffusée concernant ce changement est déficiente
Co6 … plusieurs moyens de diffusion de l'information ont été utilisés dans ce
changement
Co7 … la mise en place de ce changement décourage les personnes touchées
Co8 … les diverses opinions exprimées autour de ce changement sont
ignorées
Co9 … il existe des moments où on est appelé à écouter notre opinion
Co10 … l'opinion du personnel est prise en compte dans ce changement
Co11 … les personnes concernées par ce changement s'y engagent
xv
Co12 … ce changement ne suscite pas beaucoup l'intérêt
Co13 … ce changement est incohérent avec les pratiques actuelles
Co14 … ce changement génère de l'enthousiasme
Pilotage
Pi1 … on a choisi les bonnes personnes pour piloter ce changement
Pi2 … le responsable du changement est difficile à identifier
Pi3 … le responsable du changement est convaincant dans ses interventions
Pi4 … le responsable du changement est difficile d’accès
Pi5 … le responsable du changement possède les compétences nécessaires
pour le réaliser
Pi6 … le responsable du changement a trop de changements à réaliser
Pi7 … le responsable du changement a une équipe solide autour de lui
Pi8 … le responsable du changement réussit à atténuer les conflits émergents
Pi9 … l'équipe de pilotage du changement réussit à faire avancer les choses
Pi10 … l'équipe de pilotage du changement a peu de marge de manœuvre
Pi11 … la direction soutien mal l'équipe de pilotage
Capacité
Ca1 … la planification du projet est déficiente
Ca2 … le moment est défavorable pour entreprendre un tel changement
Ca3 … on a les ressources nécessaires pour réaliser ce changement
Ca4 … les objectifs fixés sont irréalistes
Ca5 … l'organisation manque de compétences pour implanter un tel
changement
Ca6 … les cadres sont en mesure d’intégrer ce changement dans leurs
opérations courantes
Ca7 … il y a trop d’autres projets de changement en cours présentement
Ca8 … le soutien offert par rapport au changement est adéquat
Ca9 … la cadence de mise en œuvre du changement est adéquate
Ca10 … on a accès à l'information nécessaire pour mener ce changement
Ca11 … jusqu’ici l’organisation s’est avérée habile à mettre en œuvre de tels
changements
Ca12 … l'organisation a la capacité à changer
Effort
Ef1 … il est difficile d’obtenir la collaboration requise par ce changement
Ef2 … le changement entraîne une surcharge de travail pour les gens
concernés
Ef3 … le changement accroit le niveau de tension et de stress au travail
Ef4 … les personnes concernées sont prêtes à faire les efforts nécessaires
Ef5 … l’ensemble de l’organisation collabore pour réussir ce changement
Ef6 ... la mise en œuvre du changement visé a priorité sur le travail quotidien
xvi
Ef7 ... le changement pousse à travailler avec les mêmes personnes de façons
différentes
Ef8 ... le changement pousse à travailler avec des personnes différentes
Ef9 ... le rôle que vous avez dans ce changement est clair
Ef10 … les gens impliqués dans ce changement comprennent bien ce qu'on
attend d'eux
Intérêt
In1 … ce changement accroit la valeur professionnelle de ceux qui y
participent
In2 ... les efforts déployés sont reconnus à leur juste valeur
In3 … le travail devient moins intéressant avec ce changement
In4 ... le changement est discuté avec enthousiasme
In5 ... les gens concernés sont stimulés par le changement
In6 ... la direction a su susciter l'intérêt envers le changement
Apprentissage
Ap1 … on prend conscience que le changement améliore le fonctionnement
de l'organisation
Ap2 … on peut constater que le changement a des effets positifs
Ap3 … il est facile d’apporter des ajustements en cours de route
Ap4 … il est difficile de changer en maintenant un niveau adéquat de
performance
Ap5 … les nouvelles pratiques augmentent le sentiment d'efficacité des
personnes concernées
Ap6 … les personnes ne sont pas à l'aise avec les nouveaux modes de
fonctionnement
Ap7 … en fin de compte, on sent que le changement améliore le système
Ap8 … le changement amène le personnel à adopter de nouvelles façons de
faire
Progression
Pr1 ... le changement génère déjà des "petits succès"
Pr2 … les résultats de ce changement sont tangibles
Pr3 … il s'avère difficile d'atteindre les objectifs du changement
Pr4 … le changement survit aux personnes qui l'ont implanté
Pr5 … il s'avère difficile d'évaluer les conséquences du changement
Pr6 … ce changement va permettre un meilleur contrôle de nos activités
Pr7 … les erreurs commises permettent de s'améliorer