Histoire des résistances à la vaccination et aux vaccins

Anne Marie Moulin, CNRS/Paris 7

Les journalistes face aux vaccins, Sénat, 25 octobre 2016

I Retour sur le passé : la variolisation

Depuis au moins le 18ème siècle, les Etats se sont intéressés à la prévention des maladies pour assurer

leur principale richesse : la population. Michel Foucault y a vu une esquisse de ce qu’il a appelé en

1975 le « biopouvoir »

La variolisation en Chine(entre le 10e et le 17e siècles)

• Introduction de poudre de pus varioleux dans les narines

• Ou par l’aiguille en scarification• Rôle des autorités ?

Dans l’empire ottoman, la variolisation à l’aiguille est pratiquée. Lady Montagu fait varioliser son fils etrapporte le procédé à la Cour d’Angleterre

Quand le Dr Jenner « vaccine »un petit anglais en 1798

avec le pus de la vache (vacca),les dirigeants s’enthousiasment

Le vaccin jennérien, accueilli par rois et présidents, a diffusé rapidement en Europe et dans le monde entier. La croisière de

la vaccine (Balmis) en 1803 a été commanditée par le roi d’Espagne

Premier constat : au cours de l’Histoire,

Des résistances à la vaccination sont venues des religieux, contestant le défi opposé à la Providence

Mais les résistances ont été avant tout des réactions à la violence d’Etat

Par exemple quand le pacha d’Egypte Mohammed Aliimpose la vaccine obligatoireen 1832, donc avant l’Angleterre et la France, comme un instrument de santé publiqueet un symbole de modernité

« Vaccinating the Poor », dans la rue en Angleterre

L’obligation du vaccin antivariolique (1853), après des émeutes (Leicester 1884),y est progressivement abandonnée. Abolie en 1907, elle ne sera jamais rétablie.

A Rio au Brésil, émeute contre la vaccination antivariolique décrétée par la loi en 1903

« A Rivolta da Vacina ». Une semaine sanglante de barricades

« Se vacciner contre la variole est le devoir de tout citoyen »

(1919)

Aujourd’hui, le refus des vaccins par la nouvelle génération dans la Russie contemporaine signifie un rejet du régime soviétique

Image d’Epinal de la vaccination du petit Joseph Meister contre la rage en 1885

II Les Français et l’histoire des vaccinsLouis Pasteur a inventé en 1883 le terme générique de « vaccin

Pasteur et les vaccinsOu la Victoire sur la Mort

Une maladie, un virus, un vaccin(Paul Bert)

Monument dû à Falguière, place de Breteuil, Paris 1904

Jonas Salk, le père du vaccin injectablecontre la polio

« On ne brevète pas le soleil » (1954)

L’essor des vaccinsPremières vaccinations de masseaux Etats-Unis (1954)

III Et la science ?

Les interrogations liées aux vaccins ne sont pas seulement d’origine sociale et politique ou culturelle. Les populations observent attentivement les dispositifs de santé et s’interrogent :

• - quand un vaccin ne protège pas une personne, ou que survient un accident

• tout l’édifice de la vaccination peut alors être remis en question, objet de connaissances et de croyances

Questions scientifiques : le procès de Lübeck en Allemagne de 1929 à 1931, le premier grand procès intenté à la médecine, a

porté sur une question difficile : le statut des bacilles vivants atténués

Les Français ont longtemps été dans l’ensemble favorables aux vaccinations

• Obligation du vaccin antivariolique (1902-1979)

• Obligation du vaccin antidiphtérique (1938-)

• Obligation du vaccin antitétanique (1940- )• Obligation du BCG (1950-2003)• Obligation du vaccin antipolio (1965- )

D’hier à aujourd’hui, en France

Les vaccins se présentent aujourd’hui différemment

Ils sont vécus différemmentLe cas français se rapproche

des autres pays européens

Le « rêve » vaccinal français est en décalage avec la réalité d’aujourd’hui

• Un vaccin 100% efficace• Un vaccin sans effets secondaires• Un vaccin indolore• Un vaccin pour toutes les maladies• Un vaccin personnalisé

III L’enjeu contemporain :

Passer d’une image historique idéale de la vaccination et des vaccins à une représentation moderne,

incluant les questions scientifiques et les aspirations des individus

Nous sommes à la recherche d’une « gouvernance » de la vaccination : Etat, responsables de la santé publique, associations, industriels, citoyens…

La vaccinologie (Salk, 1977)est l’ensemble des disciplines concernant les vaccins

de A à Z et donne la mesure de la complexité des questions à discuter

• Questions scientifiques

• Questions de société et de culture

Les haut-lieuxdes devoirs civiques

1 L’ECOLE

2 L’ARMEE

Le vécu des vaccins autrefois

Le vaccin contre l’HPV illustre la difficulté à comprendre les nouveaux vaccins, les corps

d’enfants sont désormais des corps « genrés »

D’une vision guerrière à une vision intellectuelle du système immunitaire

Rappel du rôle de la vaccination sur certaines endémies en France

Pas (encore) de vaccin pour EbolaLa menace des épidémies relance

l’intérêt pour les vaccins, par contraste avec les fléaux oubliés

Avec la vaccination et les vaccins

• Il s’agit bien de reconsidérer le rôle de l’Etat dans la protection de la santé des individus et de la population

• De concevoir une politique vaccinale, y compris une politique de la production des vaccins

• Et d’équilibrer le souci du collectif et de la solidarité avec les aspirations à la liberté individuelle

Le débat public entamé en 2016, en prévision de la nouvelle loi

• Amène à prendre en compte toutes les dimensions de la vaccinologie

• Il s’agit bien d’un véritable enjeu pour notre démocratie et la conduite de la santé publique nationale et internationale à l’avenir

• A propos de la vaccination, il s’agit aussi de revoir le contrat entre la science et la société