identification de leaders d’opinion sur le web & analyse de réseaux
DESCRIPTION
Dans quelle mesure l'analyse & la visualisation de réseaux appliquées au web peuvent-elles permettre d'identifier de potentiels leaders d’opinions sur le Web ? C’est à cette question que ce mémoire a cherché à répondre. Le présent mémoire s’inscrit dans une volonté double : interroger le concept d’influence sur le Web, et plus précisément le concept de leader d’opinion, et proposer un cas d’étude portant sur l’identification de potentiels leaders d’opinions dans le domaine des droits LGBT afin de développer la notoriété d’Equaldex.com. Ce travail de recherche a été réalisé dans le cadre du Master 2 Intelligence Economique & Communication Stratégique de l’IAE de Poitiers et d’une année d’apprentissage au sein de l’entreprise Linkfluence, spécialiste du social media intelligence en France. A travers une revue de littérature sur les concepts d’influence, la réalisation & l’analyse d’un graphe de sites web afin d’identifier de potentiels leaders d’opinion au sein du réseau cartographié, nous avons souhaité déconstruire certains mythes rattachés à la notion d’influence. En effet, les discours des praticiens semblent parfois surévaluer le rôle des leaders d’opinion dans le déclenchement de dynamiques virales. A cela s’ajoute notre volonté de discuter des méthodes généralement utilisées pour identifier les influenceurs sur le Web et de proposer des nuances quant aux applications de celles-ci.TRANSCRIPT
UNIVERSITE DE POITIERS
INSTITUT D’ADMINISTRATION DES ENTREPRISES
MEMOIRE
Identification de leaders d’opinion sur le Web
& analyse de réseaux
Maître d’apprentissage : Fanny Forgeau
Professeur référent : Camille Alloing Responsable de filière : Nicolas Moinet
Année universitaire 2013 – 2014
Jean Baptiste Mac Luckie Master 2 Intelligence Economique et Communication Stratégique
Note obtenue : 18,5/20
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Résumé
Dans quelle mesure l'analyse & la visualisation de réseaux appliquées au web peuvent-elles permettre
d'identifier de potentiels leaders d’opinions sur le Web ? C’est à cette question que ce mémoire a cherché à
répondre. Le présent mémoire s’inscrit dans une volonté double : interroger le concept d’influence sur le
Web, et plus précisément le concept de leader d’opinion, et proposer un cas d’étude portant sur
l’identification de potentiels leaders d’opinions dans le domaine des droits LGBT afin de développer la
notoriété d’Equaldex.com.
Ce travail de recherche a été réalisé dans le cadre du Master 2 Intelligence Economique &
Communication Stratégique de l’IAE de Poitiers et d’une année d’apprentissage au sein de l’entreprise
Linkfluence, spécialiste du social media intelligence en France. A travers une revue de littérature sur les concepts
d’influence, la réalisation & l’analyse d’un graphe de sites web afin d’identifier de potentiels leaders d’opinion
au sein du réseau cartographié, nous avons souhaité déconstruire certains mythes rattachés à la notion
d’influence. En effet, les discours des praticiens semblent parfois surévaluer le rôle des leaders d’opinion dans
le déclenchement de dynamiques virales. A cela s’ajoute notre volonté de discuter des méthodes généralement
utilisées pour identifier les influenceurs sur le Web et de proposer des nuances quant aux applications de
celles-ci.
Mots-clés :
Influence | Leader d’opinion | Analyse de réseaux | Incertitude
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Remerciements
Je souhaite vivement remercier Camille Alloing, maître de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication pour la qualité de son suivi et les remarques pertinentes qu’il aura su me faire au long de ces deux années de Master Intelligence Economique & Communication Stratégique.
Puisque ce mémoire a été réalisé dans le cadre d’une année en apprentissage, je remercie l’entreprise Linkfluence qui m’a accueillie le 2 octobre 2013 en tant que social media analyst. Je n’aurais pu rêver mieux comme lieu d’apprentissage. Merci donc à Guilhem Fouetillou, co-fondateur, à Fanny Forgeau, directrice du pôle Research, à Matthieu Vion, Matthieu Ponzio, Hélène Girault, Antoine Vaguet et tous mes collègues du pôle Research pour leur accueil, leur gentillesse et pour la qualité de leurs conseils. Mes remerciements vont également à Hervé Simonin, CEO, Camille Maussang, co-fondateur, Romain Pedron et au reste de la grande équipe Linkfluence.
Merci également à Mariannig Le Béchec pour ses retours très instructifs sur l’analyse de réseau et la visualisation de graphes lors du COSSI 2014, à Caitriona Noonan de The University of South Wales qui a su me donner goût à la recherche, à Christian Marcon et Nicolas Moinet.
Je souhaite également remercier Antoine H. pour son aide & sa relecture attentive, Antoine D., Quentin G., Ludovic C., Raphaël B. & tous les amis qui ont pu m’aider pour la rédaction de ce mémoire.
Merci à Dan Leveille pour avoir accepté que je réalise ce cas d’étude sur Equaldex & pour avoir suscité mon intérêt pour les droits des personnes LGBT.
Enfin, j’adresse un dernier remerciement à l’ensemble de ma famille.
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Afin de visualiser le graphe de site réalisé pour notre cas d’étude en haute qualité, merci de vous rendre à l’adresse suivante :
http://www.jbmacluckie.net/blog/lgbt-map-642
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Glossaire & sigles
Agrégat : sur le Web, ensemble de sites web connectés traitant d’une même thématique.
Amateurisation de masse : selon Shirky (2008) il s’agit du phénomène découlant de la possibilité pour tout internaute d’exprimer ses opinions sur le Web
Analyse de réseaux (ou analyse structurale) : étude des réseaux & des relations sociales, principalement en sociologie.
Arc : lien entre deux nœuds dans un graphe orienté.
Arête : lien entre deux nœuds dans un graphe non-orienté.
Autorité : en analyse de réseaux, une autorité désigne un nœud ayant un nombre important de liens entrants (Kleinberg 1999).
Cartographie du web (ou graphe de site web) : visualisation de réseau de sites web & des liens hypertextes qu’ils entretiennent entre eux.
Cascade d’informations (ou cascade d’influence, dynamique virale) : lorsqu’un individu adopte un comportement en conformité avec le comportement des membres de son réseau (Easley et Kleinberg 2010).
Centralité de degré (degree) : détermine la position d’un nœud au sein d’un réseau. La centralité de degré désigne le nombre de liens entrants et sortants d’un nœud.
Centralité d’intermédiarité (betweeness central i ty) : nombre de plus courts chemins du réseau passant par chaque nœud (Drevelle 2013).
Centralité de proximité (c loseness central i ty) : degré auquel un nœud est proche des autres nœuds d'un réseau.
Centralité eigenvector (e igenvec tor central i ty) : mesure la façon dont un nœud est connecté aux autres nœuds très connectés du graphe (Drevelle 2013)
Complexité : dans le cadre de notre mémoire, ensemble d’éléments entretenant une forte interdépendance entre eux.
Crawl : indexation réalisée par un robot.
Crowdsourcing : approvisionnement par la foule. Dans le cadre de notre mémoire, Equaldex.com, le site faisant l’objet du cas d’étude, fonctionne grâce à l’approvisionnement par la foule d’informations sur les droits LGBT dans le monde
Degré : nombre de liens entrants et sortants d’un nœud au sein d’un graphe non-orienté (où les liens n’ont pas de sens). Dans un graphe orienté, le degré peut être entrant (liens entrants vers un nœud) ou sortant (liens sortants d’un nœud).
Droits LGBT : droits des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles et transgenres.
EdgeRank : plgorithme de Facebook visant à gérer la mise en visibilité des informations sur le flux d’information des utilisateurs – Pour aller plus loin : www.whatisedgerank.com
Equaldex : plateforme d’information sur les droits LGBT dans le monde créée par Dan Leveille. Elle fonctionne grâce au crowdsourcing.
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Expertise : savoir acquis grâce à l’expérience. Dans le cadre de notre mémoire, l’expertise sur le Web est comprise comme la capacité d’un individu à produire du contenu expert et à mettre en visibilité celui-ci (Alloing et Haikel-Elsabeh 2012).
Gay : Utilisé, dans le cadre de ce mémoire, en tant que synonyme d’homosexuel
Gephi : Outil d’analyse et de visualisation de graphes
Graphe : ensemble de sommets (nœuds) et d’arcs / arêtes (liens) liant certains sommets. Dans notre mémoire, le terme graphe sera utilisé en tant que synonyme de réseau.
Hexis numérique : sculpture agissante de soi dans les mondes virtuelles (Georges 2007)
Hub : nœuds d’un graphe possédant un degré important
Identité numérique : ensemble des traces numériques laissées par un internaute sur le Web (Ertzscheid 2011)
Influence : pour Massé, Marcon et Moinet Massé, exercer une influence c’est « obtenir d’autrui qu’il fasse librement quelque chose qu’il n’aurait pas fait spontanément sans votre intervention » (2006, p. 86)
Influenceur : terme marketing utilisé comme synonyme de leader d’opinion.
Internet : réseau informatique mondial reliant des ordinateurs entre eux.
Loi de puissance (power law) : dans le cadre de notre mémoire, la loi de puissance s’applique concernant les degrés d’un graphe. Quelques nœuds concentrent la majorité des liens.
Klout : outil en ligne permettant de computer l’activité des profils sociaux d’un internaute. Klout prétend pouvoir fournir un score d’influence.
Leader d’opinion : pour Alloing et Haikel-Elsabeh, « le leader d’opinion, pris au sens de « diffuseur » est un amplificateur potentiel de la transmission de ce message. » Il s’agit dès lors d’une « source de diffusion et médiatisation sur le web plus que d’influence » (2012, p.10)
LGBT : Lesbien, gay, bisexuel & transgenre
Maven : utilisé comme synonyme de leader d’opinion
Nouvelle science des réseaux (& Web sc i ence) : étude des réseaux ayant notamment émergé grâce aux travaux de Duncan Watts & Albert-László Barabási.
Médias sociaux : « macro-concept » (Stenger et Coutant 2010) englobant réseaux socionumériques et plateformes de partage de contenu
MOOC : Massive Online Open Course
Mouvement LGBT : mouvement social ayant émergé depuis les années 60 visant à lutter contre l’homophobie, les discriminations et pour les droits LGBT (Beynon 2010).
Netnographie : étude des communautés en ligne (Kozinets 2002).
Nœud : sommet d’un réseau. Dans notre mémoire : site web sur le graphe.
PageRank : algorithme de classement des pages web de Google, dérivé de l’algorithme de calcul de centralité eigenvector.
Réseau : ensemble de nœuds interconnectés (Castells 1998, p. 526)
8
Réseaux socionumériques : services web permettant de
1. « Construire un profil public ou semi-public au sein d’un système,
2. De gérer une liste des utilisateurs avec lesquels il partage un lien,
3. De voir et naviguer sur leur liste de liens et ceux établis par les autres au sein du système,
4. Fondent leur attractivité essentiellement sur les trois premiers points et non sur une activité
particulière ». (Stenger et Coutant, p. 221)
STEPPS : cadre d’analyse développé par Jonah Berger permettant d’identifier les facteurs clés de la viralité (potentielle ou avérée) d’un contenu ou d’un produit
Two-step flow of communication (flux communicationnel en deux temps) : modèle de l’influence interpersonnelle selon Katz et Lazarsfeld (1955). De manière schématique : les médias de masses diffusent du contenu qui sera filtré puis partagé par des leaders d’opinion aux membres de leurs réseaux. Ce modèle est encore utilisé dans le cadre de stratégies de relations publiques & de communication par exemple.
Viralité (ou contagion) : idée selon laquelle un produit, une idée, une information peuvent se propager telles des épidémies sociales (Gladwell 2008)
Web (World Wide Web) : application d’Internet basée sur l’hypertextualité.
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Table des figures
Figure 1 - Modèle du two-step flow of communication ________________________________________________________ 20
Figure 2 - Le modèle du two-step flow of communication comparé au modèle du réseau d'influence de Watts et Dodds (2007) ________ 27
Figure 3 - Le modèle STEPPS de Jonah Berger (2013) _____________________________________________________ 28
Figure 4 - Exemple de profil sur Klout.com ______________________________________________________________ 35
Figure 5 - Les trois couches du Web selon Ghitalla et Jacomy (2007) _____________________________________________ 37
Figure 6 - Représentation schématique de la méthodologie d'écologie du Web par Linkfluence ______________________________ 38
Figure 8 - Capture d'écran d'Equaldex - Frise chronologique des droits LGBT à travers le temps __________________________ 48
Figure 9 - Capture d'écran d'Equaldex - Un lieu réticulaire de synchorisation _______________________________________ 50
Figure 10 - Processus de réalisation de notre graphe de sites web sur les droits LGBT __________________________________ 57
Figure 11 - Etapes de spatialisation du graphe de sites web ____________________________________________________ 58
Figure 12 - Visualisation du graphe de sites web __________________________________________________________ 60
Figure 14 – Répartition des sites du graphe selon leurs catégories ________________________________________________ 61
Figure 16 - Le graphe des droits LGBT, un réseau invariant d'échelle ____________________________________________ 64
Table des tableaux
Tableau 1 - Typologie des émotions selon leurs potentiels de viralité selon Jonah Berger (2013) _____________________________ 29
Tableau 2 - Comparaison entre l'approche de Linkfluence et celle des outils d'identification d'influenceurs sur le web _______________ 42
Tableau 3 - Principaux indicateurs pour l'identification de potentiels leaders d'opinion pour Equaldex _______________________ 53
Tableau 4 - Principaux critères retenus pour la création du graphe de sites web _______________________________________ 54
Tableau 5 - Comparaison des sources ayant les scores les plus importants selon 3 métriques structurales _______________________ 62
Tableau 6 - Sélection des potentiels leaders d'opinion pour Equaldex _____________________________________________ 63
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Table des matières
Résumé ...................................................................................................................................... 3
Remerciements .......................................................................................................................... 4
Glossaire & sigles ...................................................................................................................... 6
Table des figures ....................................................................................................................... 9
Table des tableaux ..................................................................................................................... 9
Introduction ............................................................................................................................. 12 Positionnement théorique ................................................................................................................. 14 Problématique ................................................................................................................................... 15 Démarche méthodologique .............................................................................................................. 15 Cadrage de l’environnement : un mémoire portant également sur les droits LGBT ....................... 16 Présentation du plan ......................................................................................................................... 16
Chapitre 1 - Revue de littérature sur l’influence sur le web .................................................... 18
Introduction au chapitre 1 ....................................................................................................... 19
I. Influence : déconstruction d’un concept .......................................................................... 19 a. Qu’est-ce que l’influence ? ......................................................................................................... 19 b. La métaphore de la contagion ................................................................................................... 21 c. Le web : entre amateurisme, expertise & influence .................................................................. 22
II. L’influence sur le web : un processus complexe ............................................................. 24 a. Le rôle des individus et des réseaux sur le Web dans les dynamiques d’adoption virales : les apports de l’analyse de réseaux ......................................................................................................... 24 b. Le rôle du contenu et le modèle STEPPS ................................................................................. 27 c. La dépendance aux plateformes sociales & aux algorithmes ................................................... 30 d. L’influence sur le web : complexité et biais de rétrospection ................................................... 31
III. De l’identification à la construction des leaders d’opinion ........................................... 34 a. Les outils d’identification de leaders d’opinion sur le Web ...................................................... 34 b. L’identification de leaders d’opinions chez Linkfluence .......................................................... 36 c. La construction des leaders d’opinion ....................................................................................... 42
Chapitre 2 - Cas d’étude : identification de potentiels leaders d’opinion en ligne dans le domaine des droits LGBT ....................................................................................................... 44
Introduction au chapitre 2 ....................................................................................................... 45
I. Présentation d’Equaldex en trois points ........................................................................... 47 a. Equaldex : un site d’information sur les droits LGBT .............................................................. 47 b. Equaldex : Un lieu réticulaire de synchorisation ...................................................................... 49 c. Equaldex : Un site en quête de notoriété ? ................................................................................ 50
II. Structuration de l’écosystème informationnel d’Equaldex ............................................. 51 a. Définition des besoins d’Equaldex & leur déclinaison en indicateurs ..................................... 52
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b. Constitution du corpus de sites web ......................................................................................... 53 c. Quel statut donner aux liens hypertextes ? ................................................................................ 54 d. La cartographie comme processus itératif ................................................................................ 56
III. Visualisation de l’écosystème informationnel d’Equaldex ........................................... 57 a. Spatialisation .............................................................................................................................. 57 b. Choix des signes : de la nécessité d’un travail sémiologique ................................................... 58 c. Visualisation & analyse de l’écosystème informationnel d’Equaldex ....................................... 59
IV. Résultats & discussion ................................................................................................... 61 a. Identification de potentiels leaders d’opinion ........................................................................... 61 b. Le graphe de sites web et nos hypothèses de recherche ........................................................... 64 c. Réflexions sur la cartographie & limites de l’approche ............................................................ 65
Conclusion ............................................................................................................................... 67
Bibliographie ........................................................................................................................... 71 Articles & monographies .................................................................................................................. 71 Articles de blogs ................................................................................................................................ 76 Vidéo ................................................................................................................................................. 76 Cours ayant inspiré nos travaux ........................................................................................................ 76
Annexes ................................................................................................................................... 77 Correspondance avec Dan Leveille (anglais) – Juillet 2014 .............................................................. 77 Visualisation du graphe de sites web realisé (sans étiquette des nœuds) ........................................ 79
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Introduction
« Le désastre de l’ère de l’information réside dans le fait que la toxicité des données augmente plus
rapidement que leurs avantages »1 (Taleb 2010a, p. 57).
Cette citation de Nassim Nicholas Taleb, économiste, philosophe et spécialiste de
l’épistémologie des probabilités, semble refléter la fascination que les individus entretiennent avec les
technologies de l’information et de la communication (TIC). Aujourd’hui, Internet, le « réseau des
réseaux », et le World Wide Web, l’application la plus connue d’Internet, jouent un rôle important
dans le quotidien de nos sociétés. Ainsi, en 2013 le monde comptait plus de 2,8 milliards
d’internautes, dont plus de 55 millions en France2. En ce sens, Internet et le Web sont « ubiquitaires –
ils sont partout – et pervasifs – ils ne peuvent être éteints »3 (Deuze 2012, p. xi). Comme le souligne
Mark Deuze, nous vivons « dans » les TIC plutôt qu’« avec » elles. Les vies des individus connectés
seraient ainsi dissoutes dans l’ubiquité du numérique.
L’omniprésence de ces technologies de l’information et de la communication semble avoir
des impacts sur nos vies et ce à plusieurs échelles. Le World Wide Web, inventé par Tim Berners-
Lee et Robert Cailliau en 1991 (Castells 2001), est une application d’Internet basée sur un système
d’hypertextualité permettant de naviguer d’une page web à un autre de manière non-linéaire. Le
début des années 2000 marque l’émergence d’un nouveau stade du développement du Web : le Web
2.0, parfois appelé Web social ou Web participatif. Popularisé par Tim O’Reilly en 2005, le Web 2.0
désigne un ensemble de techniques, fonctionnalités et plateformes qui met les usagers « au centre du
dispositif médiatique » (Breton et Proulx 2012, p. 314). Il est couramment admis que grâce au Web
social « les modes de création et de distribution des contenus médiatiques connaissent des
transformations significatives, bouleversant les modèles traditionnels des industries culturelles »
(ibid. p. 314). Le Web 2.0 favoriserait ainsi l’émergence d’une « culture participative » (Jenkins 2006),
de « communautés virtuelles » (Rheingold 2002) et permettrait à tout individu de devenir un medium
(Shirky 2008).
L’émergence du Web 2.0 semble avoir nourrit un certain nombres d’utopies liées à
l’information et la communication. En effet, en permettant aux internautes de produire du contenu,
d’interagir avec leurs pairs, de collaborer par l’intermédiaire de plateformes à dimension « sociales »,
1 « The calamity of the information age is that the toxicity of data increases much faster than its benefits » (Taleb 2010, p. 57) 2 Voir www.internetworldstats.com 3 « Media are ubiquitous – they are everwhere – and pervasive – they cannot be switched off » (Deuze 2012, p. xi)
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de financer des projets de manière participative grâce à des sites de crowdfunding4 ou encore de
participer à changer la société par le biais de plateformes de pétitions en ligne5, le Web social semble
être au cœur d’une utopie grandissante : celle d’une communication universelle permettant une
collaboration pour le bien de la société. Il est important de noter que cette utopie est portée par
différents profils d’individus : consultants spécialisés en technologies de l’information et de la
communication, professionnels de la communication, mais également par des universitaires tels que
Clay Shirky (2008) ou encore David Gauntlett (2011).
Lorsque le Web social est évoqué, il est souvent lié aux notions de médias sociaux et de
réseaux sociaux. Ces expressions sont d’ailleurs fréquemment utilisées dans le domaine de la
communication et du marketing. Frédéric Cavazza, consultant dans le domaine de la communication
et blogueur, définissait en 2009 les médias sociaux comme « un ensemble de services permettant de
développer des conversations et des interactions sociales sur internet ou en situation de mobilité »6.
Pour ce consultant en communication, des plateformes telles que Facebook, Twitter, Youtube, ou
encore Tumblr sont des médias sociaux. Stenger et Coutant (2010) soulignent néanmoins que le
concept de médias sociaux est avant tout un « macro-concept ». Il s’agirait selon les auteurs d’un
terme englobant différentes notions, différents types de plateformes & différentes pratiques
numériques. Pour Alloing (2013), parler de médias sociaux est un pléonasme car cela supposerait
qu’il existe des médias non sociaux.
Depuis l’émergence du Web 2.0 il est important de noter qu’il existe de réels discours de
promotion des médias sociaux à destination des entreprises (Stenger et Coutant 2010). Agences de
communication, praticiens & blogueurs en communication et en marketing font fréquemment
l’éloge de la présence en ligne des organisations et de leurs dirigeants. A titre d’exemple, en août
2014 Nicolas Bordas, vice président de l’agence de communication TBWA\Europe, publiait sur le
média LesEchos.fr une tribune intitulée « Pourquoi les patrons français doivent être présents sur
Twitter »7.
Dans cette logique de présence en ligne, organisations et marques sont encouragées à
amplifier leur présence en ligne grâce au marketing d’influence ou marketing viral. La recherche de la
4 Un exemple de plateforme de crowdfunding est kickstarter.com 5 Change.org s’inscrit directement dans ce créneau : change.org 6 Cavazza, F., 2009, « Une définition des médias sociaux », MediasSociaux.fr [En ligne] http://www.mediassociaux.fr/2009/06/29/une-definition-des-medias-sociaux/ 7 Tribune en ligne : http://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/0203718074566-pourquoi-les-patrons-francais-doivent-etre-presents-sur-twitter-1035897.php
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viralité et du buzz sont caractéristiques de ces discours. De nombreux acteurs se sont positionnés sur
ce marché et proposent leurs services pour identifier, recruter et activer des influenceurs, ou leaders
d’opinion, qui seraient capables de diffuser à de larges audiences des informations. Si ces pratiques
se sont peut être répandues de manière corrélée avec le Web social et les médias sociaux, elles
prennent néanmoins leurs sources dans les recherches effectuées en media studies sur l’influence des
médias. Par influence, nous retiendrons l’acception suivante de Massé, Marcon et Moinet (2006, p.
86) : exercer une influence c’est « obtenir d’autrui qu’il fasse librement quelque chose qu’il n’aurait
pas fait spontanément sans votre intervention ».
En cherchant à évaluer l’influence des médias dans la communication de masse, des
chercheurs américains ont décrit celle-ci en utilisant la métaphore de la « « seringue hypodermique » :
les médias injecteraient des modèles de comportement et attitudes dans la conscience d’individus
passifs et atomisés constituant une masse amorphe » (Breton et Proulx 2012, p. 159). Katz et
Lazarsfeld (1955), chercheurs de l’école de Columbia, ont formulé l’hypothèse du two-step flow of
communication (flux communicationnel en deux temps) : les messages des médias seraient filtrés par
des leaders d’opinions et diffusés par ces derniers auprès d’audiences plus importantes. Le leader
d’opinion, notion sur laquelle nous reviendrons plus tard, est encore aujourd’hui vu par de
nombreux praticiens et agences de communication comme un moyen d’amplifier la communication
des organisations sur le Web.
Positionnement théorique
Les travaux de recherche sur l’influence sociale, l’influence des médias et l’influence sur le
Web sont nombreux. Notre revue de littérature sur ces différents sujets ne pourra donc être
exhaustive.
Le présent mémoire n’est pas, en soi, un mémoire de recherche, dans la mesure où le Master
en Intelligence Economique & Communication Stratégique de l’IAE de Poitiers a avant tout une
finalité professionnelle. Pourtant, celui-ci ainsi que les travaux de recherches qui ont été effectués
pour sa réalisation s’inscrivent dans une démarche en sciences de l’information et de la
communication (SIC). Cette discipline est caractérisée par sa relative jeunesse comparée aux autres
disciplines des sciences humaines et sociales (SHS), mais surtout par sa complexité et son
interdisciplinarité, à savoir sa capacité à confronter échanger des méthodes (Bourdeloie 2014). En ce
sens, l’objet de recherche, les notions mobilisées ainsi que les méthodes utilisées dans le cadre de nos
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recherches proviennent de différentes disciplines que sont : les SIC, la sociologie des réseaux, la
sémiologie, l’informatique, le marketing & la gestion, la géographie, les gender studies ainsi que la Web
science aussi appelée la nouvelle science des réseaux.
Problématique
Notre mémoire cherchera à répondre à cette problématique : dans quelle mesure l'analyse & la
visualisation de réseaux appliquées au web peuvent-elles permettre d'identifier de potentiels leaders
d’opinions sur le Web dans le domaine des droits LGBT, ce afin de faire connaître le site
Equaldex.com auprès d’une large audience ? Afin de répondre à cette problématique nous avons
émis trois hypothèses que nous chercherons à vérifier grâce à l’utilisation conjointe de notre revue
de littérature et de notre travail de recherche :
Dans un premier temps, nous supposons que la diffusion virale d’un contenu sur le Web dépend
de nombreux facteurs souvent non contrôlés par l’organisation. En ce sens, nous émettons
l’hypothèse que l’identification de potentiels leaders d’opinion dans le cadre d’une stratégie de
communication numérique ne permet pas de garantir la diffusion virale d’un contenu.
Les hypothèses suivantes chercheront à être vérifiées à travers la réalisation d’un graphe de sites
Web (Chapitre 2) : nous faisons ainsi l’hypothèse que le graphe de sites Web que nous réaliserons
dans le cadre de nos recherche sera un réseau invariant d’échelle8.
Enfin, nous supposons qu’Equaldex, en tant que site récent, s’inscrit dans un processus
d’attachement préférentiel au sein de ce réseau9.
Démarche méthodologique
Afin de répondre à notre problématique et de vérifier nos hypothèses, nous allons réaliser un
graphe de sites web traitant des droits des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles et transgenres en
France et aux Etats-Unis. Dans le domaine des sciences humaines et sociales, et plus
particulièrement des SIC, nous retiendrons que l’analyse du web revient à « vouloir saisir une réalité
techniquement complexe et socialement construite » (Monnoyer-Smith 2013, p. 13).
8 Un réseau invariant d’échelle (scale-free network) désigne un réseau où les liens sont répartis selon une loi de puissance : quelques nœuds du réseau (acteurs ou sites web) concentrent la majorité des liens (liens sociaux ou liens hypertextes) 9 L’attachement préférentiel désigne le principe selon lequel un nouvel acteur au sein d’un réseau va chercher à tisser des liens avec les acteurs les plus connectés de celui-ci.
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Par graphe de sites web nous entendons un ensemble de nœuds reliés entre eux par des liens
dirigés ou non-dirigés. Dans le cadre de notre recherche, le graphe sera composé de sites web
(nœuds) et de liens hypertextes (liens dirigés). Pour cela, nous allons nous appuyer sur plusieurs
socles théoriques et méthodologiques : l’analyse de réseaux sociaux (Mercklé 2011, Lazega 2014,
Scott 2000), la théorie des graphes, la nouvelle science des réseaux (Rieder 2009), la sémiologie ainsi
que les sciences de l’information et de la communication.
L’idée de réaliser un graphe de sites web pour notre mémoire est le résultat d’une triple
influence : premièrement, notre année d’alternance au sein de Linkfluence, cabinet d’études &
éditeur de logiciel de veille e-réputation connu pour ses travaux pionniers dans le domaine de la
cartographie du Web. Puis, les enseignements du Master Intelligence Economique et
Communication Stratégie, dispensés par Christian Marcon & Camille Alloing sur le management de
réseau (2013-2014), par Camille Alloing sur l’e-réputation et la communication de crise (2012-2013
et 2013-2014) et par Mariannig Le Béchec sur l’intelligence territoriale (2013-2014) et la gestion des
connaissances (2012-2013). Et enfin, le suivi des MOOCs (cours en lignes ouverts et massifs) « Social
Network Analysis » dispensé par Lada Adamic sur la plateforme Coursera10 et « Web science: how the web
is changing the world » dispensé par Leslie Carr et Susan Halford sur FutureLearn.com11.
Cadrage de l’environnement : un mémoire portant également sur les droits
LGBT
Notre cas d’étude portera sur les sites web traitant des droits des personnes lesbiennes, gaies,
bisexuelles et transgenres (LGBT). Nous souhaitons, par le biais de la réalisation d’un graphe de sites
web portant sur cette thématique, analyser et visualiser l’écosystème informationnel d’Equaldex.com,
plateforme d’information sur les droits LGBT créée par Dan Leveille. Notre objectif est, in fine,
d’identifier de potentiels leaders d’opinion dans ce domaine afin d’accroître la notoriété
d’Equaldex.com auprès des publics intéressés par la question des droits LGBT.
Présentation du plan
Ce mémoire est divisé en deux chapitres distincts mais complémentaires :
Le premier chapitre cherchera à présenter une revue de littérature non-exhaustive sur
l’influence et plus particulièrement sur l’influence sur le Web. Pour ce faire nous nous baserons sur
10 https://www.coursera.org/course/sna 11 https://www.futurelearn.com/courses/web-science
17
différents travaux de recherche en sciences de l’information et de la communication, en économie,
en sociologie, en psychologie sociale, en informatique et en marketing.
Le second chapitre portera sur notre cas d’études, à savoir la réalisation et l’analyse d’un
graphe de sites web sur les droits LGBT afin d’identifier de potentiels leaders d’opinion pour
accroître la notoriété d’Equaldex. Le graphe réalisé est également accessible en ligne en image haute
définition : http://www.jbmacluckie.net/blog/lgbt-map-642
18
Chapitre 1 - Revue de littérature sur l’influence sur le
web
19
Introduction au chapitre 1
Ce chapitre vise tout d’abord à présenter la notion centrale de ce mémoire qu’est l’influence,
ainsi que les termes qui lui sont rattachés, à savoir : le leadership d’opinion, le relai d’opinion, la
viralité, le buzz, le Word of Mouth (trad : bouche à oreille), l’autorité ou encore l’expertise. Dans un
second temps, ce chapitre cherche à rendre intelligible le processus d’influence sur le web grâce à
une revue de littérature. Enfin, ce chapitre vise également à comprendre comment un relai d’opinion
peut être identifié, voire construit, selon les besoins d’une organisation.
I. Influence : déconstruction d’un concept
a. Qu’est-ce que l’influence ?
Nous allons tenter, dans un premier temps, de définir la notion d’influence. La principale
difficulté réside dans l’équivocité de cette dernière, dans la mesure où l’influence a fait l’objet de
nombreuses recherches en sciences humaines et sociales. Provenant du latin influentia, l’influence
désignait alors le « pouvoir occulte attribué aux astres de modifier le destin des hommes » (Dortier
2008, p. 343). Aujourd’hui, l’influence ne désigne plus un pouvoir occulte et céleste, la notion a fait
son apparition dans le langage courant et n’est plus connotée à quelque chose de mystique. Ainsi, le
Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) la définit comme une « action
(généralement lente et continue) d'un agent physique (sur quelqu'un, quelque chose), suscitant des
modifications d'ordre matériel »12. Les deux définitions ci-dessus présentent, malgré leurs
différences, une similarité : l’influence permettrait de modifier le comportement de quelqu’un ou de
quelque chose. C’est d’ailleurs ce que défendent Massé, Marcon et Moinet (2006, p. 86) pour qui
exercer une influence c’est avant tout « obtenir d’autrui qu’il fasse librement quelque chose qu’il
n’aurait pas fait spontanément sans votre intervention ».
L’influence a fait l’objet de nombreuses recherches en sciences humaines et sociales. La
psychologie sociale, par exemple, s’intéresse à l’influence sociale, à savoir la « façon dont les attitudes
et les comportements des personnes changent sous l’effet d’une pression réelle ou imaginaire de la
part d’autres personnes » (Levine et Zdaniuk 2008, p. 25). Parmi les études les plus connues sur
12 CNRTL - http://www.cnrtl.fr/definition/influence
20
l’influence sociale, celle de Solomon E. Ash datant de 195213 a permis de démontrer qu’un individu
peut changer d’avis grâce à l’influence exercée par un groupe sur lui. Les travaux de Stanley Milgram
sur la soumission à l’autorité (1963) montrent l’influence que peut avoir une personne ayant une
autorité particulière, chez Milgram il s’agissait d’une autorité médicale, sur un autre individu. Des
travaux plus récents de psychologie sociale mettent en avant les influences quotidiennes, ainsi que les
techniques de manipulation et de persuasion auxquelles nous sommes exposés tous les jours
(Cialdini 2004, Beauvois et Joule 1987, Beauvois 2011).
Dans le domaine de la communication et des media studies, l’un des types d’influences le plus
souvent étudié est celui de l’influence des médias sur les audiences. Cette dernière a longtemps été
expliquée grâce à la métaphore de la « seringue hypodermique », c’est à dire que « les médias
injecteraient modèles de comportement et attitudes dans la conscience d’individus passifs et atomisés
constituant une masse amorphe » (Breton et Proulx 2012, p. 159). Les travaux de Katz et Lazarsfeld
(1955) viennent remettre en question l’influence des médias sur les prises de décisions des individus,
notamment dans un contexte d’élections, et mettent en avant le rôle de l’influence interpersonnelle.
Katz et Lazarsfeld (ibid.) formulent ainsi l’hypothèse du « flux communicationnel en deux temps »14
(two-step flow of communication) :
Figure 1 - Modèle du two-step f low of communicat ion
L’hypothèse du two-step flow of communication s’articule comme suit :
1. Les médias de masse délivrent un message qui est réceptionné et filtré par des leaders
d’opinion
2. Ces mêmes leaders d’opinion jouent le rôle de médiateurs : ils font les intermédiaires entre
les médias de masse et les audiences qui sont en contact avec eux.
13 Asch, S.E. (1952b). "Social psychology". Englewood Cliffs,NJ:Prentice Hall. 14 Traduction de Breton et Proulx (2012) L’explosion de la communication
21
Les leaders d’opinions sont définis par Katz et Lazarsfeld comme des personnes « ayant été
influentes dans leurs environnements immédiats (2008, p. 27). L’hypothèse du two-step flow of
communication est encore aujourd’hui utilisée, notamment dans les domaines du marketing d’influence
et du marketing viral, comme le souligne Mellet (2009), ainsi que de la communication d’influence.
La définition de l’influence que nous retiendrons est celle de Massé, Marcon et Moinet (2006, p.
86) pour qui exercer une influence c’est « obtenir d’autrui qu’il fasse librement quelque chose
qu’il n’aurait pas fait spontanément sans votre intervention ».
b. La métaphore de la contagion
Influence, leaders d’opinion ou encore influenceurs sont des notions utilisées par de nombreux
acteurs (prestataires de services, éditeurs de logiciels et praticiens) de la communication, du
marketing, des relations publiques, du lobbying ou encore de l’intelligence économique. L’une des
métaphores les plus utilisées pour expliquer le phénomène d’influence est celle de la contagion, de la
viralité, surtout depuis l’émergence d’Internet et des réseaux socionumériques. Cette métaphore
prend directement ses sources dans l’hypothèse du « flux communicationnel en deux temps » de
Katz et Lazarsfeld (1955), notamment avec la valorisation du rôle des leaders d’opinion. Elle reprend
en effet le postulat qu’un groupe de personnes restreint, les leaders d’opinion, sera à même de
disséminer des informations, de propager une mode ou de diffuser une innovation, auprès d’une
audience plus large.
La métaphore de la viralité a été principalement popularisée par Malcolm Gladwell, journaliste et
auteur du best-seller Le Point de Bascule (The Tipping Point) paru dans sa version originale en 2000.
Selon l’auteur, pour comprendre l’émergence des modes, leurs succès et leurs échecs, il convient de
percevoir celles-ci comme des épidémies sociales qui se propagent notamment grâce à trois types
d’acteurs : les connecteurs, les mavens et les vendeurs (Gladwell 2008) :
- Les connecteurs (connectors) sont, selon l’auteur, des personnes « sociables » pour qui le
bouche-à-oreille est l’« apanage » (ibid. p. 57 et p. 59). Ils permettent de « dissémin[er] la
tendance » (ibid. p.59) ;
- Les mavens (mavens), de l’hébreu mevin , désignent ceux qui « possèdent l’information
inédite » (ibid. p. 59). Le maven a d’abord été théorisé par Feick et Price (1987) qui le
considèrent comme un individu ayant des informations inédites sur des produits du marché
et qui est en mesure de répondre aux demandes de son entourage. Selon Gladwell (2008, p.
22
66), les mavens « jouent un rôle important dans le déclenchement des épidémies sociales
puisqu’ils connaissent plus de choses que la majorité des gens » ;
- Les vendeurs (salesmen) sont primordiaux pour le déclenchement d’une épidémie sociale.
Un vendeur, au sens de Gladwell, « possède les compétences nécessaires pour persuader
ceux qui hésitent encore à croire au message » (2008, p.69) ;
Ces trois acteurs sont, selon Gladwell, des éléments clés de la propagation d’une épidémie
sociale. Cependant, l’approche du Point de Bascule a été critiquée par plusieurs chercheurs dont Watts
et Dodds (2007) et Berger (2013) notamment pour sa dimension réductrice manquant de preuve
empirique.
L’idée que des leaders d’opinion puissent exercer une influence sur une audience plus ou
moins grande a, depuis Katz et Lazarsfeld en 1955, été réutilisée dans les domaines de la
communication et du marketing (Mellet 2009). Les années 2000 marquent en effet le « retour en
force dans la littérature professionnelle et académique » du leader d’opinion (Vernette 2006). Dès
lors, quelles sont les caractéristiques propres aux leaders d’opinion qui pourraient faciliter leur
identification ? Outre l’expertise, qui peut être définie comme l’acquisition de savoir par l’expérience,
Vernette et Florès (2004) décrivent le leader d’opinion comme « une personne qui exerce une force
d’attraction (physique, psychologique et/ou sociale) sur son entourage et qui dispose d’une forte
crédibilité dans une catégorie de produit. Ses jugements et comportements influencent les attitudes
et les choix de marques de son entourage dans ce domaine ». Cependant, comme le soulignent
Alloing et Haikel-Elsabeh (2012) cette définition ne permet pas de distinguer les leaders d’opinion
en ligne des leaders d’opinion hors-ligne.
c. Le web : entre amateurisme, expertise & influence
L’émergence du Web 2.0, conceptualisé dès 2005 par Tim O’Reilly dans l’article « What Is
Web 2.0 »15, a favorisé l’idée que le Web est devenu social. L’apparition des fora, plateformes de
blogging (Over-Blog, Wordpress, Ghost, Medium), de vlogging (Youtube, Vine, Vimeo), de
microblogging (Twitter & Tumblr) ou encore les réseaux socionumériques (Facebook) a permis aux
internautes de partager des informations, de créer des contenus et d’exprimer leurs opinions. Cette
production d’opinions est liée à ce que Shirky (2008) appelle le phénomène d’amateurisation de
15 O'Reilly, T., 2005, « What Is Web 2.0. Design Patterns and Business Models for the Next Generation of Software », O’Reilly.com [En ligne] http://oreilly.com/web2/archive/what-is-web-20.html
23
masse (mass amateurization). Tout internaute devient ainsi un medium (« everyone is a media outlet », ibid.,
p.55) et s’adresse à une audience plus ou moins « invisible » (boyd, 2007.). Patrice Flichy (2010) va
plus loin en établissant le postulat que le web favorise l’émergence d’un nouveau règne : celui du
pro-am, à savoir le professionnel-amateur qui, grâce à ses passions et à ses échanges avec d’autres
passionnés, peut frôler l’expertise sur un ou plusieurs domaines particuliers. Or, cette notion
d’expertise est souvent considérée comme l’une des caractéristiques principales du leader d’opinion
(Vernette et Flores 2004). Néanmoins nous retiendrons l’idée selon laquelle la notion d’expertise sur
le Web est avant tout liée à la capacité à un individu à mettre en visibilité le contenu qu’il publie sous
l’autorité des moteurs de recherche (Alloing et Haikel-Elsabeh 2012).
L’identification de leaders d’opinion pour nourrir des stratégies de communication et de
marketing sur le web apparaît souvent comme une étape importante pour les professionnels de ces
secteurs. Ainsi, l’existence de véritables « discours de promotion » des réseaux socionumériques à
destination des entreprises (Stenger et Coutant 2010) promeuvent l’idée que les entreprises doivent
avoir une présence en ligne et engager le dialogue avec leurs communautés virtuelles. En outre,
celles-ci cherchent parfois à amplifier leurs campagnes de communication numérique, notamment
par le biais du marketing viral (Vernette 2006.), à savoir l’ensemble des « techniques incitant les
clients d’un produit ou d’une marque à les promouvoir dans leur entourage » (Lendrévie, Lévy 2014,
p. 414, 619).
Afin d’accroître leurs audiences, les campagnes de marketing viral (viral marketing) tendent
souvent à cibler les influenceurs pour augmenter le phénomène de bouche-à-oreille (Word of Mouth).
Smith et al. (2007) expliquent le marketing viral comme l’identification « des individus influents au
sein d’un réseau social et engager avec eux de manières à encourager le bouche-à-oreille »16 (trad.,
p.387). Selon Beauvisage et al. (2011), cette focalisation des organisations et agences de
communication sur le marketing viral et sur la métaphore de la contagion découle d’une « figure
idéale de la diffusion sur le Web, où les individus s’enthousiasment pour un contenu inconnu reçu
de leurs proches et le retransmettent ensuite à leurs (autres) amis : de quelques individus passionnés,
le contenu se diffuse de proche en proche au plus grand nombre » (p.151). Cette association entre
diffusion et influence sur le Web est également faite par Alloing et Haikel-Elsabeh (2012) qui voient
dans le leader d’opinion avant tout une capacité à diffuser et à amplifier la transmission d’un
message.
16 « identifying influential individuals in social networks and connecting with them in ways that encourage WOM message movement » p. 387
24
La définition de leader d’opinion sur le Web que nous retiendrons est celle d’Alloing et Haikel-
Elsabeh (2012), à savoir : « le leader d’opinion, pris au sens de « diffuseur » est un
amplificateur potentiel de la transmission de ce message. » Il s’agit dès lors d’une « source de
diffusion et médiatisation sur le web plus que d’influence » (p. 10)
II. L’influence sur le web : un processus complexe
La problématique de l’influence sur le web a été largement traitée dans la littérature
professionnelle et académique depuis le début des années 2000. L’émergence de la « new science of
networks » (Watts 2004), aussi appelée « Web science » (Hendler et al., 2008), qui s’appuie principalement
sur la théorie des graphes17 et l’analyse de réseaux sociaux, ainsi que de nombreuses recherches
effectuées en informatique (computer science), en sociologie, en sciences de gestion et en marketing ont
cherché à isoler les paramètres clés de l’influence sur le Web.
Nous ne pouvons prétendre à présenter, ici, de manière exhaustive les recherches effectuées sur
concernant la problématique de l’influence sur le web et surtout de l’amplification de la transmission
de contenus. C’est pourquoi nous nous focaliserons sur trois orientations de recherches que nous
considérons comme primordiales, à savoir : l’importance des individus et des réseaux, le rôle joué
par le contenu, ainsi que la dépendance de la diffusion de l’information aux plateformes sociales et
aux algorithmes.
a. Le rôle des individus et des réseaux sur le Web dans les
dynamiques d’adoption virales : les apports de l’analyse de
réseaux
Quels sont les facteurs clés de transmission d’une information sur le Web ? Le rôle des
individus et des réseaux dans le processus de diffusion et d’amplification de la transmission de
contenus sur le Web connaît un succès particulier au sein des mondes de la communication et du
marketing (Beauvisage et al. 2011). De nombreux travaux académiques se sont ainsi focalisés sur la
compréhension de la « contagiosité des individus » sur le Web (ibid.), c’est à dire comment les
17 Théorie des graphes : théorie mathématique et informatique visant à étudier les graphes, à savoir l’« [e]nsemble de sommets (ou points) et d'arcs (ou lignes orientées) ou d'arêtes (ou lignes non orientées) liant certains couples de points » - http://www.cnrtl.fr/lexicographie/graphe
25
caractéristiques de ces derniers ainsi que leurs places au sein de réseaux peuvent être des leviers de
diffusion d’informations.
Une première série de travaux visant à analyser la répartition des liens sociaux sur le Web a
permis de montrer qu’un petit groupe d’individus concentrait la majorité des liens. Ces travaux
marquaient les prémices de ce que certains chercheurs nomment « nouvelle science des réseaux »
(Watts 2004, Rieder 2009) ou encore la « web science » (Hendler et al. 2008). Comme le souligne Rieder
(2009) et Plantin (2013), ces travaux de recherches s’inscrivent dans la tradition de la sociologie des
réseaux datant des travaux de Georg Simmel pour qui « la forme sociologique la plus simple du
point de vue méthodologique est la relation entre deux éléments » (1999, p. 116), de Moreno sur le
sociogramme ou en encore de Barnes (1954). Les concepts de réseau et de réseau social peuvent être
respectivement définis comme un « ensemble de nœuds interconnectés » (Castells 1998, p. 526) et
comme « constitué d’un ensemble d’unités sociales et des relations que ces unités sociales
entretiennent les unes avec les autres, directement, ou indirectement à travers des chaînes de
longueurs variables » (Mercklé 2011, p. 4). Mercklé poursuit : « ces unités sociales peuvent être des
individus, des groupes informels d’individus ou bien des organisations plus formelles, comme des
associations, des entreprises, voire des pays » (ibid., p.4). Il souligne également que les relations
entretenues par ces unités sociales entre elles peuvent être diverses : amitié, diffusion d’informations,
interactions verbales ou non verbales, échanges de bien ou de services ou encore la participation à
un même événement (ibid.).
L’analyse de réseaux peut dès lors être perçue comme une méthode quantitative (Mercklé
2011) qui se base notamment sur la théorie des graphes. Comme le développe Mercklé :
« L’apport méthodologique de la théorie des graphes est double : d’une part les
graphes donnent une représentation graphique des réseaux de relations, qui
facilite leur visualisation, permet la mise en lumière d’un certain nombre de
leurs propriétés structurales ; d’autre part, la théorie des graphes développe un
corpus extrêmement riche de concepts formels permettant de mesurer un
certain nombre de propriétés des relations entre éléments » (2011, p. 22).
Parmi les différentes mesures structurelles évoquées par Mercklé (ibid.), Lazega (2014) et Rieder
(2009), retenons :
- La densité : la densité d’un graphe désigne le rapport entre le nombre d’arcs (liens orientés)
ou d’arêtes (liens non-orientés) existants et le nombre maximum d’arcs ou d’arêtes possibles ;
26
- La connexité : la connexité d’un graphe désigne l’absence de sommets (nœuds) isolés des
autres ;
- Le degré : pour un graphe non-orienté (où les arêtes, ou liens, n’ont pas de sens), il s’agit du
nombre de liens rattachés à un nœud X. Pour un graphe orienté (où les arcs, ou liens, ont un
sens), on parle de degré entrant pour le nombre d’arcs pointant vers un nœud Y ou de degré
sortant pour le nombre d’arcs sortant d’un nœud Y ;
- La centralité : la centralité permet de mesurer la « position relative des acteurs au sein d’un
système » (Lazega 2014, p. 41). Les trois principales mesures de centralité sont : la centralité
de degré, de proximité et d’intermédiarité (Freeman 1979). Christian Marcon résume le
concept de centralité d’un acteur au sein d’un réseau comme celui qui « opère l’interface
rare » (Marcon 2013-2014).
Appliquée à l’analyse des relations sur le Web, l’analyse de réseaux a permis à Albert-László
Barabási et Reka Albert (1999) d’identifier une propriété particulière de la toile : il s’agit d’un réseau
sans échelle (scale free network). Cela signifie que la distribution des degrés (nombre de liens d’un
nœud) suit une loi de puissance (power law). Bernhard Rieder résume cette propriété de la manière
suivante : « la majorité des nœuds affichent un degré relativement bas tandis qu’un nombre restreint
de nœuds assemble un nombre très élevé de connexions. » (2009, p. 6). Albert-László Barabási, dans
son ouvrage Linked: The New Science of Networks paru en 2003, affirme que la structure du Web est
dominée par ces nœuds hyper-connectés, ces hubs, et cite en exemple Yahoo! et Amazon.com. Pour
lui, « comparé à ces hubs, le reste du Web est invisible »18 (Barabási 2009, p. 58). Les recherches de
Barabási et Albert de 1999 ont été extrapolées par l’auteur de pop-science (ou vulgarisation scientifique)
Malcolm Gladwell dans son ouvrage Le Point de Bascule. Celui-ci parle alors de « super-échangeurs »
(2008, p. 187) voire de super-influentials, littéralement « super-influenceurs » (Gladwell 2002,
Beauvisage et al. 2011) pour désigner ces hubs.
Dès lors, suffit-il qu’un nœud au sein d’un réseau soit hyper-connecté pour faire de lui un
influenceur ? En 2007, Watts et Dodds publient un article remettant en question le rôle des
influenceurs, ou super-influenceurs, dans la formation de l’opinion public. Les auteurs ont utilisés les
modèles de seuil de comportement collectif (threshold model of collective behavior), conceptualisé
notamment par Granovetter (1978) qui stipule que l’adoption ou non d’un comportement par des
individus au sein d’un collectif dépend du nombre d’autres individus ayant déjà adopté ce
comportement, afin de modéliser mathématiquement la capacité des individus à provoquer des 18 « Compared to these hubs, the rest of the Web is invisible » - p. 58
27
« cascades d’influence » (cascades of influence), que l’on peut concevoir comme une « dynamique
d’adoption virale » (Beauvisage et al. 2011, p. 158). Watts et Dodds (ibid.) représentent leur modèle
de l’influence comme suit :
Figure 2 - Le modèle du two-s t ep f low o f communicat ion comparé au modèle du réseau d'influence de Watts et Dodds (2007)
La partie gauche de la figure est une représentation schématique de l’hypothèse du two-step
flow of communication de Katz et Lazarsfeld (1955). La partie droite de la figure représente le réseau
d’influence tel que modélisé par Watts et Dodds en 2007 où l’influence est co-construite entre les
différents membres du réseau. La modélisation mathématique effectuée par Watts et Dodds (2007) a
donc permis de remettre en question l’hypothèse des influenceurs (« the influential hypothesis »). Pour
les auteurs, le déclenchement d’une dynamique virale d’adoption ne peut se produire que si une
masse critique d’individus influence un nombre important d’individus influençables (ibid., p. 445,
Beauvisage et al. 2011, p. 158), ce qui remet en question le postulat selon lequel un petit groupe
d’influenceurs serait à la source d’une dynamique virale d’adoption tel que le soutien Gladwell
(2008).
D’autres recherches visent, quant à elles, à comprendre le rôle du contenu, du message ou
encore du produit, dans les dynamiques virales.
b. Le rôle du contenu et le modèle STEPPS
En parallèle des recherches effectuées sur les réseaux d’influence évoquées ci-dessus,
plusieurs scientifiques ont cherchés à identifier les caractéristiques des contenus et des informations
qui se diffusent de manière virale, notamment sur le Web.
28
Plusieurs travaux se sont intéressés à la viralité en tant que focalisation de l’attention des
internautes sur un contenu en ligne. Beauvisage et al. (2011) soulignent que ces recherches,
notamment celles de Szabo et Huberman (2010) et Leskovec et al. (2009) ont permis de mettre en
avant deux « effets contradictoires du temps sur l’audience » à savoir :
- L’audience totale augmente avec le temps, ce qui a pour effet d’attirer l’attention des
internautes car ces derniers prêtent attention à des contenus qui ont déjà reçus de
l’attention ;
- L’attention des internautes est également portée sur la nouveauté.
Bien que d’autres travaux de recherches portant sur la focalisation de l’attention des internautes
existent, tout comme sur les trajectoires virales d’audiences (Crane et Sornette 2008), notre attention
se portera principalement sur les travaux de Jonah Berger.
Jonah Berger est professeur de marketing à l’université de Wharton et l’auteur de plusieurs
recherches sur la viralité et le bouche-à-oreille. Dans son ouvrage Contagious: Why Things Catch On
(2013), Berger affirme que l’hypothèse des influenceurs telle que formulée par Malcolm Gladwell
(2008) est non-valide et que les facteurs clés de la viralité se trouvent ailleurs. Pour lui, ce qui rend un
message, un produit, une information ou tout autre type de contenu viral, que ce soit en ligne ou
hors-ligne, c’est avant tout les caractéristiques intrinsèques de ces derniers.
Les caractéristiques des contenus ou des produits capables de susciter une dynamique
d’adoption ou de diffusion virale sont, selon Berger au nombre de six. Il s’agit du cadre d’analyse
STEPPS (Berger 2013) :
Figure 3 - Le modèle STEPPS de Jonah Berger (2013)
- Social currency (monnaie social) : selon Jonah Berger, les gens se soucient des
représentations qu’ont leur environnement d’eux. Pour cela, un produit ou une information
doit permettre à ces derniers de se différencier, de « trouver leur remarquabilité intérieure »
Social Currency Triggers Emotion Public Practical
Value Stories
29
(inner remarkability, p. 22), de « paraître intelligent plutôt qu’idiot, riche plutôt que pauvre,
cool plutôt que geek »19 (ibid., p. 22) ;
- Triggers (amorces) : afin de rappeler aux gens de parler d’un produit, d’une idée ou d’une
information, ceux-ci doivent être conçus pour que l’environnement puisse constamment
rappeler leur existence. Un des exemples cités par l’auteur est celui de la chanson « Friday »
de l’artiste américaine Rebecca Black20 dont la popularité serait due au fait qu’elle renvoie à
un contexte récurrent à savoir l’arrivée du week-end ;
- Emotion : Berger utilise la maxime « when we care, we share » (ibid. p. 23) à savoir « quand cela
nous importe, nous le partageons ». Selon l’auteur, les contenus et produits à forte
contagiosité font appel aux émotions. En s’appuyant sur ses propres recherches (2011)
Berger propose une typologie des émotions selon leurs potentiels de viralité (2013, p. 109) :
Potentiel élevé Potentiel faible
Emotion positive Emerveillement (awe)
Excitation (excitement)
Amusement / humour (humor)
Satisfaction (contentment)
Emotion négative Colère (anger)
Anxiété (anxiety)
Tristesse (sadness)
Tableau 1 - Typologie des émotions selon leurs potentiels de viralité selon Jonah Berger (2013)
- Public : la publicité, au sens de la mise en visibilité, la dimension publique d’un produit ou
un contenu apparaît comme l’un des facteurs clés de viralité selon Jonah Berger ;
- Practical value (valeur pratique) : plus des produits ou des informations seront pratiques et
utiles, plus les individus auront tendance à les partager à leurs entourages respectifs.
Cependant, l’auteur souligne également que face à la masse importante d’informations
auxquels ceux-ci sont soumis, les produits et informations doivent se différencier afin
d’attirer l’attention ;
- Stories (narration) : selon Berger, les individus ne partagent pas juste des informations, ils
racontent des histoires. Dès lors, les produits et informations doivent être compris au sein
d’une véritable stratégie de storytelling ;
Les six facteurs clés de viralité présentés par Jonah Berger sous la forme du cadre d’analyse
STEPPS ont la particularité de ne pas être interdépendants. En effet, l’auteur signale qu’un produit
ne peut réunir que l’une des six caractéristiques et pourtant être adopté de manière virale, idem pour 19 « Most people would rather look smart than dumb, rich than poor and cool than geeky » - Berger 2013, p. 22 20 En ligne : http://www.youtube.com/watch?v=kfVsfOSbJY0
30
la diffusion d’un contenu. Cependant, existe t-il d’autres facteurs pouvant provoquer la diffusion
virale d’un contenu sur le Web ? Et quelles sont les limites du modèle STEPPS ?
c. La dépendance aux plateformes sociales & aux algorithmes
Les recherches menées sur l’influence sur le Web ont permis de mieux comprendre, dans
une certaine mesure, les éléments clés permettant le déclenchement de cascades d’influence
(Barabási et Albert 1999, Watts et Dodds 2007, Berger 2013). Mais ces résultats peuvent-ils être
généralisés aux médias sociaux présents sur le Web ?
Tout d’abord il convient de définir ce que nous entendons par médias sociaux. Ce terme
regroupe selon nous deux sous-ensembles, à savoir les réseaux socionumériques et les plateformes
de « computation sociale »21. Bien qu’il existe de nombreuses définitions des réseaux
socionumériques (Kaplan et Haenlein 2010, Kietzmann et al. 2011), nous retiendrons la définition
de Stenger et Coutant (2010 p. 221) qui se base sur celle donnée par boyd et Ellison (2007), à savoir :
les réseaux socionumériques sont des services Web permettant aux individus de :
5. « Construire un profil public ou semi-public au sein d’un système,
6. De gérer une liste des utilisateurs avec lesquels il partage un lien,
7. De voir et naviguer sur leur liste de liens et ceux établis par les autres au sein du système,
8. Fondent leur attractivité essentiellement sur les trois premiers points et non sur une activité
particulière ».
Par exemple, sont considérés comme des réseaux socionumériques : Facebook, LinkedIn,
Viadeo. Dans une autre mesure, les plateformes de computation sociales telles que définies par
Pierre Lévy participent à la construction et au partage « de manière collaborative des mémoires
numériques collectives à l'échelle mondiale, qu'il s'agisse de photos (Flickr), de video (YouTube,
DailyMotion), de musique (Bittorrent), de pointeurs web (Delicious, Furl, Diigo) ou bien de
connaissances encyclopédiques (Wikipedia, Freebase) »22. Réseaux socionumériques et plateformes
de computation sociales font ainsi partie du « macro-concept » des médias sociaux, c’est à dire une
« notion centrale qui en utilise d’autres pour être expliquée et précisée » (Stenger et Coutant 2010, p.
210).
Plusieurs recherches tendent à montrer que l’influence, ou plus précisément les cascades
d’influence, à savoir les dynamiques de diffusion virale de l’information, varient en fonction des
21 http://entretiens-du-futur.blogspirit.com/archive/2008/10/02/la-mutation-inachevee-de-la-sphere-publique.html 22 ibid.
31
médias sociaux étudiés. Sur Twitter, par exemple, Cha et al. (2010) ont montré à travers leurs travaux
que le nombre de followers d’un compte (nombre de personnes abonnées) est décorrélé de la capacité
de ce même compte à être retweeté. Ce qui va à l’encontre de l’intuition suivante : plus un compte
aura d’abonnés, plus ses tweets seront repris par d’autres comptes Twitter. De même sur Flickr,
puisque Beuscart et al. (2009) ont montré que le « le nombre de favoris reçus par une photo est
décorrélé du nombre d’amis de son auteur : le succès social de certains individus ne se traduit pas
par celui de leurs œuvres » (Beauvisage et al. 2011, p. 159). Plus récemment, des recherches menées
par Chang et al. (2014) du Yahoo! Labs ont permis de mieux comprendre les dynamiques d’influence
sur la plateforme de microblogging Tumblr. Selon les auteurs, les liens sociaux sur Tumblr (matérialisés
par un abonnement, ou follow) sont répartis selon une loi de puissance et les cascades d’influence
sont restreintes, dans la mesure 36,05% d’entre elles se déroulent uniquement entre deux comptes
Tumblr.
Dès lors, il conviendrait de ne pas généraliser les différents modèles de diffusion virale
d’informations sur le Web aux différents médias sociaux existants.
d. L’influence sur le web : complexité et biais de rétrospection
L’influence sur le Web apparaît comme une notion complexe, même si plusieurs travaux de
recherches ont tentées d’isoler les facteurs clés permettant de déclencher des dynamiques virales de
diffusion de l’information (cascades of influence) comme nous avons pu le voir précédemment.
Pour définir ce que nous entendons par complexité, nous allons nous appuyer sur les travaux
d’Edgar Morin et de Nassim Nicholas Taleb. La complexité peut être caractérisée comme la variété
des constituants d’un système et par les relations d’interactions entre ceux-ci. Reprenant la
métaphore du tissu, Edgar Morin définit la complexité comme « un tissu de constituants hétérogènes
inséparablement associés » qui « coïncide avec une part d’incertitude », incertitude due à des
phénomènes particuliers ou aux limites de l’entendement humain (Morin 2005).
Pour Nassim Nicholas Taleb (2010b), un système complexe est caractérisé par une grande
interdépendance entre les composants de ce système d’un point de vue : temporel (un composant A
est influencé par ses propres changements internes, qui sont survenus dans le passé), horizontal (il y
a une interdépendance entre un composant A et un composant B d’un même système complexe) et
diagonal (un composant A est influencé par les changements subis par un composant B, et vice-
versa). Dès lors, toujours selon Taleb, s’installe une non-linéarité qui affecte les relations de cause à
32
effet, en les rendant plus complexes. Cette non-linéarité affecte aussi les changements d’un système,
en les rendant imprédictibles (Taleb 2012).
Les recherches effectuées jusqu’à présent tendent en effet à montrer que les dynamiques de
diffusion de l’information dépendent de nombreux facteurs : les caractéristiques intrinsèques des
contenus & leurs contextes de diffusion (Berger 2013), la contagiosité des individus et leurs places au
sein des réseaux (Barabási et Albert 1999, Watts et Dodds 2007), les plateformes elles-mêmes
(Beauvisage et al. 2011, Chang et al. 2014), les dispositifs attentionnels mis en place (Beauvisage et al.
2011) et les algorithmes qui servent à la fois de filtres et mettent en visibilité certaines informations
ou comptes recommandés (Alloing et Haikel-Elsabeh 2012).
La complexité du processus d’influence sur le Web est soulignée par Watts et Dodds (2007).
Ces derniers font une analogie entre les dynamiques de diffusion d’informations en ligne et les
systèmes complexes naturels, et plus précisément les feux de forêts :
« Certains feux de forêts, par exemple, sont beaucoup plus importants que la
moyenne ; pourtant personne ne peut affirmer que la taille d’un feu de forêt peut
être attribuée aux propriétés exceptionnelles de l’étincelle qui l’a déclenchée ou
de la taille de l’arbre qui a été le premier à brûler. Les grands feux de forêts
nécessitent une conjuration de vent, température, faible humidité et de
combustibles qui sont présents sur de larges étendues de terrain. Tout comme
les cascades larges au sein de réseaux d’influence, quand la bonne combinaison
de conditions existe, alors tout étincelle peut la déclencher ; quand ce n’est pas le
cas, aucune étincelle ne suffira. »23 (Watts et Dodds 2007, p. 454).
L’identification d’acteurs ou de facteurs ayant joué un rôle dans la diffusion virale
d’information sur le Web semble donc plus aisée a posteriori qu’a priori. L’examen d’un phénomène
après que celui-ci se soit déroulé peut être affecté par un biais important : le biais de rétrospection.
Comme le souligne le sociologue Gérald Bronner dans l’ouvrage de Portal et Roux-Dufort (2013), le
biais de rétrospection a été largement traité en sciences sociales et a été parfois appelé
« « dépendance téléologique », « illusion a posteriori », « illusion rétrospective » » (ibid. p. 111).
L’auteur l’explique comme suit : « lorsque l’on considère les événements présents, et que l’on sait
23 Traduction de : « Some forest fires, for example, are many times larger than average; yet no one would claim that the size of a forest fire can be in any way attributed to the exceptional properties of the spark that ignited it or the size of the tree that was the first to burn. Major forest fires require a conspiracy of wind, temperature, low humidity, and combustible fuel that extends over large tracts of land. Just as for large cascades in social influence networks, when the right global combination of conditions exists, any spark will do; when it does not, none will suffice. » (Watts et Dodds 2007, p. 454)
33
donc qu’ils sont survenus, nous avons trop facilement l’impression qu’ils étaient en fait prévisibles »
(ibid, p. 111).
La tendance à vouloir expliquer, voire justifier, des phénomènes passés se trouve également
dans certains écrits sur l’influence et sur la viralité. Malcolm Gladwell (2012), par exemple, tente
d’identifier a posteriori les facteurs de diffusion virale des chaussures Hush Puppies, le tabagisme
chez les adolescents, la dépression ou encore le suicide dans son ouvrage Le Point de Bascule. Barabási
dans son ouvrage Linked (2003) explique la propagation du virus du Sida au moment de son
émergence aux Etats-Unis notamment par l’existence d’un « réseau sexuel complexe parmi les
homosexuels » dont l’un de hubs était Gaëtan Dugas (2003, p. 123). Enfin, Berger (2013) décrit les
mécanismes de diffusion de nombreux contenus tels que la chanson « Friday » de Rebecca Black, le
succès des vidéos « Will it blend », des marques Abercrombie & Fitch et Victoria’s Secret à travers le
prisme de son cadre d’analyse STEPPS.
Pourtant, ces tentatives d’explications des phénomènes de modes et de contagions sociales
ne sont-elles pas réductrices ou du moins simplificatrices ? Si l’influence est bien un processus
complexe, comme souligné par Watts et Dodds (2007), quels rôles jouent la chance, le hasard, la
volatilité et l’incertitude dans celui-ci ? La tendance des individus à vouloir simplifier les phénomènes
complexes et à les justifier, notamment a posteriori, est ce que Nassim Nicholas Taleb nomme
l’erreur de narration (narrative fallacy). Il s’agit du « besoin que nous avons de faire coller une histoire
ou un modèle à une succession de faits ayant ou non un rapport entre eux » (2012, p. 390).
Ce que nous retiendrons de cette revue de littérature est la complexité de phénomène d’influence
sur le Web. Le déclenchement de cascades d’influence, ou de dynamiques virales de diffusion
d’information, dépend de nombreux paramètres difficilement maîtrisables. En outre, nous
retiendrons que le rôle des leaders d’opinion est parfois surévalué, notamment dans la littérature
professionnelle, et que l’activité ces derniers semble n’être qu’un paramètre parmi d’autres.
34
III. De l’identification à la construction des leaders d’opinion
a. Les outils d’identification de leaders d’opinion sur le Web
Bien que de nombreuses recherches aient montré les limites de l’hypothèse des influenceurs,
celle-ci persiste au sein des communautés de professionnels de la communication, du marketing, de
la veille ou encore des relations publiques.
Plusieurs sociétés se sont ainsi positionnées sur ces problématiques d’identification
d’influenceurs sur le web, à l’image d’Augure, éditeur de logiciel et prestataire de service français, qui
a créé un moteur permettant d’identifier, selon eux, des influenceurs24, ou encore des éditeurs de
plateformes permettant grâce à des algorithmes propriétaires et opaques de quantifier l’influence des
individus sur le web social, à l’image de Klout.com, Kred.com, Followerwonk.com et
PeerIndex.com. Klout.com, par exemple, définit l’influence comme « l’aptitude à conduire l’action
»25 et prétend mesurer 400 indicateurs de réseaux socionumériques différents pour produire le Klout
Score d’un individu ou d’une organisation. Le Klout Score est un indice exprimé sur 100 qui prend
en compte les critères suivants :
- Le « t rue reach » (portée réelle) : nombre d’abonnés, d’amis, de contacts ;
- L ‘« ampli f i cat ion » : le nombre d’interactions provoquées (retweets, likes, commentaires) ;
- Le network (réseau) : le ratio entre abonnements et abonnés (principalement sur Twitter) ;
Klout.com, ainsi que la plupart des autres outils d’identification d’influenceurs sur le Web
existants sur le marché, se basent ainsi sur des données quantitatives exploitées selon des
algorithmes propriétaires. Ces données quantitatives recueillies par les outils proviennent de l’identité
numérique, à savoir la « somme des traces numériques se rapportant à un individu ou à une
collectivité » (Ertzscheid 2011, p. 16). Pour Olivier Ertzscheid, ces traces numériques peuvent être
des « écrits, contenus audio ou vidéo, messages sur des forums, identifiants de connexion, etc. »
(ibid., p. 16).
Pour mieux comprendre la notion d’identité numérique et surtout pour comprendre d’où
sont puisées les données quantitatives exploitées par les outils d’identification d’influenceurs tels que
Klout.com, nous retiendrons la définition de Fanny Georges de l’hexis numérique qu’elle assimile au
concept d’identité numérique (2007). Par hexis numérique, Fanny Georges entend « une sculpture
agissante de soi dans le monde virtuel » (Georges 2008, p. 1). Citant Goffman, elle compare l’hexis
24 http://www.augure.com/fr/software/influenceurs 25 https://klout.com/corp/score
35
numérique à une barbe-à-papa, « une substance poisseuse à laquelle se collent sans cesse de
nouveaux détails biographiques » (ibid., p. 1). Selon Georges, l’identité numérique s’articule autour
de trois identités (ibid.) :
- l’identité déclarative : renseignée par l’utilisateur, il s’agit principalement des détails
biographiques et des centres d’intérêts ;
- l’identité agissante : activités, liens sociaux et comportements de l’utilisateur ;
- l’identité calculée : la computation de l’identité agissante par le système ;
Nombre des outils d’identification d’influenceurs, dont Klout.com, vont ainsi exploiter les
données provenant de l’identité déclarative (pseudonyme, nom, prénom, activités, centres d’intérêts)
ainsi que les données provenant de l’identité calculée (nombre d’amis, followers, followings, nombre
d’interactions, fréquence de publication etc.) d’un ou plusieurs comptes sociaux d’un utilisateur. Sur
Klout.com, par exemple, l’exploitation de ces données prend la forme suivante :
Figure 4 - Exemple de profil sur Klout.com
1) Photo de profil : identité déclarative
2) Nom et prénom : identité déclarative
3) Biographie (déclarée sur Twitter) : identité déclarative
4) Score Klout : identité calculée (computation de l’identité agissante de l’utilisateur)
5) Centres d’intérêts : identité calculée selon les sujets les plus abordés par l’utilisateur
6) Réseaux socionumériques pris en compte par le système Klout.com pour la computation
Bien que la mesure de l’influence d’un utilisateur sur le Web en fonction de son identité calculée,
répartie entre un ou plusieurs réseaux socionumériques, puisse apparaître comme une solution
pertinente pour l’identification d’influenceurs, quelles en sont les limites ? Tout d’abord, comme le
souligne Dominique Cardon (2013), les métriques prises en compte par les systèmes que sont
Facebook, Twitter et Google ne prennent pas en compte les mêmes éléments et chaque algorithme
36
« impos[e] [son] ordre sur la forme du Web qu'[il] mesur[e] » (2013, p. 174), ce qui rend artificielle
leur harmonisation. Aussi, comme le soulignent Beauvisage et al. (2011) à travers leur revue de
littérature sur l’influence, les « métriques d’influence » ne sont pas toujours corrélées à la capacité
d’un utilisateur à déclencher des cascades d’information sur le Web. Louise Merzeau (2013) signale
par ailleurs que la métrique émise par Klout.com se base sur des actions déjà effectuées par
l’utilisateur (interactions déjà provoquées, par exemple). Il s’agit donc d’une mesure a posteriori, or, si
le déclenchement de dynamiques virales de diffusion est complexe, comme souligné par Watts et
Dodds (2007), qu’est-ce qui permet d’affirmer qu’un individu « influent » selon Klout.com le sera
encore à l’avenir ? Enfin, si l’influence sur le Web est phénomène complexe, à savoir résultant de la
combinaison de multiples facteurs interdépendants, celle-ci peut elle être computable comme le font
Klout.com, PeerIndex ou Kred ?
b. L’identification de leaders d’opinions chez Linkfluence
Linkfluence est l’organisation qui a permis d’orienter les réflexions de ce mémoire. Cette
startup, créée en 2006, s’est très rapidement inscrite en tant qu’acteur de l’e-réputation et du social
media intelligence en France puis en Europe. L’identification de leaders d’opinions pour des clients,
annonceurs & agences de communication, est une mission récurrente effectuée par les chargés
d’études et de veille, aussi appelés social media researchers, de l’entreprise.
Les chargés d’études et de veille produisent, généralement, deux types de livrables. Tout d’abord,
les rapports de veille e-réputation et/ou de social media performance. Ces derniers visent à évaluer les
actions de communication sur le web social menées par les organisations dans le cadre de leurs
stratégies de présence en ligne. Puis, les études, qui sont au nombre de quatre :
- Le bilan d’image : vise à faire un audit de la présence en ligne d’une organisation, d’une
marque ou d’un produit. Pour chaque client, ce type d’étude répond aux questions : Qui
parle de moi ? Où, quand, comment & pourquoi parle-t-on de moi ?
- L’engage (analyse d’écosystème) : Il s’agit d’une étude visant à analyser l’écosystème
informationnel et réputationnel d’une organisation. Ce type d’étude a pour but d’identifier et
de mieux comprendre les communautés en lignes qui se sont exprimées à propos d’une
marque, d’un produit ou d’une organisation et celles auprès de qui il serait intéressant pour
l’organisation de communiquer ;
- L’impact : Ce type d’étude vise à évaluer les retombées d’une campagne de communication
d’un client sur le Web. Elle s’appuie principalement sur des données quantitatives ;
37
- Le t rends (analyse de tendances) : Ce type d’études vise à comprendre la perception qu’une
ou plusieurs communautés en ligne ont d’un type de produit, comme le parfum, le chocolat
ou encore l’hôtellerie ;
Au cœur de l’approche de Linkfluence se trouve une méthodologie centrale qui est celle de
l’écologie du Web (Fouetillou 2007). Pour Linkfluence, le Web peut être perçu comme un
écosystème (ibid.). Cette métaphore sert avant tout à appréhender la complexité de l’environnement
numérique et des éléments qui le composent et qui sont en interaction : sites web, blogs,
plateformes, réseaux sociaux numériques, liens hypertextes, internautes, algorithmes, données etc. La
notion d’écologie du Web prend alors tout son sens : Linkfluence vise à étudier les relations entre
ces éléments et de comprendre comment ils entrent en interaction entre eux et avec leur
environnement numérique. Comme le souligne Jean-Christophe Plantin citant Franck Ghitalla
(2002), le Web est en effet un « constitué de documents possédant une topologie qu’il est possible
de visualiser et d’analyser » (Plantin 2013, p. 229). Les travaux de Jacomy et Ghitalla (2007) ont
permis une représentation schématique de la structure du Web. Celle-ci serait articulée autour de
trois couches interconnectées :
Figure 5 - Les trois couches du Web selon Ghitalla et Jacomy (2007)
- La « couche la plus visible » : composée de sites web et plateformes tels que Google,
Amazon, Wikipedia, SNCF etc. ;
- La « couche intermédiaire » : il s’agit de la couche explorée par Linkfluence dans le cadre
de ses analyses d’écosystèmes. Elle est composée d’agrégats et de communautés en lignes.
Comme le souligne Le Béchec (2011), la notion d’agrégats « qualifie les sites web connectés
et traitant d’une même thématique », elle peut être résumée par l’aphorisme : « Qui se
ressemble se connecte » (Ghitalla et Jacomy 2007, p. 4) ;
38
- La « couche profonde » : parfois qualifiée de Web invisible, il s’agit principalement des
bases de données ;
Cette représentation, bien que schématique, est cohérente avec les travaux de Barabási et Albert
(1999) concernant la répartition des liens hypertextes sur le Web selon une loi de puissance.
Pour Guilhem Fouetillou, co-fondateur de Linkfluence, l’analyse d’un écosystème Web permet de :
« révéler les propriétés morphologiques d’une localité du web (ensemble de
sites en proximité tant hypertextuelle que thématique) c'est-à-dire la
structuration hypertextuelle (partition communautaire) mais aussi de replacer
cette localité dans son environnement (approche écologique) et d’étudier les
principes d’organisation et d’interdépendances de la localité étudiée et de son
environnement hypertextuel ». (Fouetillou 2007, p. 282)
Pour ce faire, la méthodologie de Linkfluence peut être décomposée en plusieurs étapes :
Figure 6 - Représentation schématique de la méthodologie d'écologie du Web par Linkfluence
1. Identification des besoins du client : cette étape vise à définir les périmètres linguistiques
& temporels de l’analyse d’écosystème ainsi qu’à permettre au client d’expliciter ses besoins
en information et ses attentes ;
2. Sourcing : il s’agit de créer le corpus de sites web faisant partie de l’environnement
informationnel et réputationnel du client, à savoir : les sites qui mentionnent l’organisation,
produit(s) ou marque (s) visés, les sites qui peuvent représenter des opportunités de
communication pour le client et les sites qui peuvent représenter des risques pour celui-ci. La
phase de sourcing est généralement assistée par les technologies Linkfluence, notamment :
- Le Linkscape : un panel de sites web régulièrement mis à jour et classé par
communautés ;
- Le crawl exploratoire : une fois un premier corpus de sites web créé, un robot
d’indexation va permettre d’identifier l’« environnement hypertextuel proche » de
ce corpus (Fouetillou 2007, p. 282), à savoir les sites présents à un ou plusieurs
clics de souris de ceux identifiés ;
1. Identification des besoins
2. Sourcing 3. Crawl 4. Cartographie
5. Analyse & rédaction
6. Rendu du livrable
39
Une fois les sites identifiés, ceux-ci sont catégorisés selon les thématiques qu’ils traitent.
3. Crawl : une fois le corpus de sites web constitué, un robot d’indexation développé par
Linkfluence va identifier l’ensemble des liens hypertextes entrants et sortants des sites
présents dans le corpus et ce afin de visualiser celui-ci sous la forme d’un graphe du web ;
4. Cartographie : le fichier issu de l’indexation sera ensuite visualisé et spatialisé le logiciel de
graphe Gephi26. Par la suite, Linkfluence réalise une visualisation interactive du graphe de
sites web créé grâce à la technologie développée en interne. Cette visualisation fera partie du
livrable rendu au client ;
5. Analyse & rédaction : l’analyse est à la fois quantitative et qualitative. Il s’agit d’une
combinaison entre analyse structurale du graphe de sites web constitué, à savoir une analyse
des positions des sites web sur le graphe et des relations hypertextuelles existantes ou non-
existantes entre ceux-ci (Fouetillou 2007), et une analyse netnographique, qui peut être
définie comme « nouvelle méthode qualitative de recherche [en marketing] qui adapte les
techniques de la recherche ethnographique à l’étude des cultures et des communautés
émergeants à travers les communications médiées par ordinateurs »27 (Kozinets 2002, p. 2).
6. Rendu du livrable : restitution du livrable au client et présentation orale des résultats de
l’étude
Comme nous l’avons souligné précédemment, Linkfluence réalise au sein de ses études une
identification des sites web influents. L’étape du crawl (étape 3 de la figure 5) permet, outre
l’identification de liens hypertextes entrants et sortants des sites du corpus, d’appliquer à ces derniers
plusieurs métriques issues de l’analyse de réseaux sociaux de manière automatisée. Les principales
métriques utilisées sont :
- Degré entrant : les liens hypertextes étant dirigés, il s’agit du nombre de liens, ou arcs,
pointant vers un nœud (site web) ;
- Degré sortant : nombre de liens hypertextes sortant d’un site web ;
- Degré : somme des liens hypertextes entrants et sortants ;
- Linkfluence Score (ou score d’influence) : calcul d’autorité basé sur le nombre de liens
entrants d’un site. Il s’agit du score utilisé pour identifier des sites influents. 26 http://gephi.org
27 « [a] new qualitative research methodology that adapts ethnographic research techniques to the study of cultures and communities emerging through computer-mediated communications. » - Kozinets 2002, p. 2
40
Il convient de s’attarder sur la notion d’autorité sur le Web. Celle-ci est souvent définie comme
le « pouvoir d’agir sur autrui »28. Comme le souligne Camille Alloing sur son blog, « Lorsque l’on
parle d’autorité sur le web, on fait souvent référence à l’autorité cognitive (relation d’influence sur la
pensée de quelqu’un) ou l’autorité de l’expertise liée à la crédibilité d’un individu ou d’une
ressource »29. Il poursuit « Pour schématiser, l’autorité est la pertinence, la crédibilité dans un
domaine particulier que confère un individu à une source web »30. Si plusieurs chercheurs ont
travaillés sur la notion d’autorité sur le Web, tels qu’Evelyne Broudoux et l’autorité informationnelle
(2007), Camille Alloing et l’autorité réputationnelle (2013), Louise Merzeau et l’autorité sur Twitter
(2013) ou encore Dominique Cardon et le PageRank (2013), nous allons nous focaliser sur la notion
d’autorité en analyse de réseaux, puisque le Linkfluence Score en est un dérivé.
Dans le domaine de l’analyse de réseaux, la notion d’autorité peut être ramenée aux travaux de
Jon Kleinberg (1999) qui a créé, l’algorithme HITS (Hyperkinked-Induced Topic Search). Celui-ci est
parfois considéré comme un précurseur du PageRank de Google. L’algorithme HITS permet
d’identifier, au sein d’un graphe de pages web, des hubs et des autorités (authorities). Les autorités sont
des pages recevant de nombreux liens hypertextes entrants, ce qui permettrait, selon Jon Kleinberg,
d’évaluer la qualité du contenu de celles-ci. Plus une page aura de liens entrants, plus celle-ci aura un
score d’autorité élevé. Les hubs, quant-à-eux, désignent les pages web pointant vers de plusieurs
pages à forte autorité. Comme le souligne Kleinberg, autorités et hubs entretiennent une « relation de
renforcement mutuel » puisque : « un bon hub est une page qui pointe vers plusieurs bonnes
autorités ; une bonne autorité est une page qui est pointée par plusieurs bons hubs »31 (Kleinberg
2006, p. 611)
Afin d’identifier un site Web ou un blog influent, Linkfluence utilise généralement plusieurs
critères qui permettent de sélectionner les sites a priori, à savoir au moment de la constitution du
corpus (étape 2 de la figure 5) :
- La cohérence avec les besoins de l’organisation ou de la marque ;
- La cohérence avec les thématiques sur lesquelles une marque ou une organisation souhaite
communiquer ;
28 http://www.cnrtl.fr/definition/autorite 29 http://caddereputation.over-blog.com/article-pourquoi-mesure-t-on-la-notoriete-sur-le-web-mais-rarement-la-reputation-85808652.html 30 Ibid. 31 « Hubs and authorities exhibit what could be called a mutually reinforcing relationship: a good hub is a page that points to many good authorities; a good authority is a page that is pointed to many good hubs. » Kleinberg, p. 611
41
- La cohérence avec l’audience ou les audiences visées ;
- Le type de contenus publiés et l’engagement qu’ils génèrent ;
- L’activité : rythme de publications, interactions avec les internautes à travers les
commentaires ;
- L’existence de profils sociaux liés à un site ou un blog : si il possède une audience importante
sur Twitter, Facebook, Youtube, Instagram et autres médias sociaux, sa capacité à diffuser
du contenu auprès de nombreux internautes représente un enjeu important ;
Une fois le graphe de sites réalisé, à savoir après le crawl (étape 3 de la figure 5) et le calcul du
Linkfluence Score par le robot d’indexation, les chargés d’études et de veille réalisent un filtrage des
sites selon leur score d’influence. Ce afin d’identifier les sites considérés comme les plus influents et
de les mettre en avant dans les études réalisées pour les clients. La méthode de Linkfluence pour
identifier des influenceurs est donc à l’opposé de celles proposées par des outils tels que Klout,
PeerIndex, ou Kred :
Approche de Linkfluence
Approche des principaux outils d’identification
d’influenceurs
Outils & algorithmes propriétaires Outils & algorithmes propriétaires
Score d’influence basé sur l’autorité d’une source Score d’influence basé sur un algorithme « boîte noire »
Le calcul du score d’influence ne prend en compte que les
métriques structurales (nombre de liens entrants)
Le calcul du score d’influence vise à mettre sur une même
échelle les métriques provenant de différents médias
sociaux (Facebook, Twitter, Instagram, LinkedIn etc.)
Un corpus de sources est créé selon le contexte et selon
les clients
Une base de données unique de sources est utilisée pour
tous les clients
Un influenceur est un document Web : site Web, un blog,
un profil social etc. La présence numérique d’un individu
ou d’une organisation (ensemble de ses profils sociaux,
sites et blogs) n’est pas unifiée.
Un influenceur est évalué selon la commensuration de ses
l’identités calculées (à travers différents profils sociaux) et
donc, in fine, d’une partie de sa présence en ligne.
Approche mêlant méthode quantitative (analyse
structurale) et méthode qualitative (netnographie)
Approche quantitative (analyse structurale,
commensuration)
42
La notion d’influence est contextuelle et
contextualisée : Le score d’influence dépend de la
thématique étudiée & de la position d’une source au sein
d’un réseau, deux paramètres définis en amont de l’étude
selon les besoins d’un client.
L’influence est globale et décontextualisée : le score
d’influence résulte de la commensuration de profils
sociaux classés selon des thématiques.
Tableau 2 - Comparaison entre l'approche de Linkfluence et celle des outils d'identification d'influenceurs sur le web
Les deux approches comparées dans le tableau précédent peuvent être résumées de la manière
suivante :
- L’influenceur sur le Web, ou leader d’opinion, n’existe pas en soi, il s’agit d’une
construction dépendant du contexte, des thématiques et des besoins d’une organisation :
approche de Linkfluence ;
- L’influenceur sur le Web existe en soi et ses capacités sont quantifiables, il suffit de
l’identifier : approche des outils Klout, PeerIndex, Kred etc.
Sans porter de jugement de valeur sur la pertinence ou non des deux approches, nous tenons à
souligner que la première approche est celle qui a été retenue dans le cadre de l’étude de cas du
présent mémoire.
c. La construction des leaders d’opinion
L’identification de leaders d’opinion sur le Web, telle que nous allons la développer au fil de
ce mémoire, découle davantage d’une construction que d’une réelle identification. Pour ce faire,
nous nous basons sur les travaux d’Alloing et Haikel-Elsabeh (2012) qui postulent que « le statut de
leader d’opinion doit être un construit de l’entreprise voulant se reposer sur celui-ci pour développer
sa stratégie marketing ou de communication sur le web, en fonction de ses objectifs et attentes ». Les
auteurs définissent le leader d’opinion sur le web comme :
« [Un] internaute développant une certaine expertise sur un sujet donné,
expertise reconnue par sa capacité à diffuser et médiatiser des contenus et
avis répondant à certains questionnements. De plus, le leader d’opinion diffuse
de l’information aux membres de son réseau ou à son public, informations
dont le filtrage permet ainsi à ce public non seulement de construire une
opinion sur un sujet donné […], mais aussi de renforcer aux yeux de ce public
la crédibilité du leader qui démontre ainsi sa capacité à connaitre de
43
manière précise un sujet, et à se positionner comme ressource sur celui-
ci. » (Alloing et Haikel-Elsabeh 2012, p.7)
Trois éléments nous semblent important à retenir de cette définition, à savoir :
- Le leader d’opinion sur le Web possède une expertise sur une thématique.
Pour les auteurs, cette expertise est liée à la capacité au leader d’opinion de mettre en
visibilité ces informations et ses contenus pour un public & des requêtes formulées
sur un moteur de recherche ;
- Le leader d’opinion collecte et diffuse de l’information qu’il met à disposition de
son réseau et de son audience (invisible ou non) ;
- Il existe une relation de co-construction entre le leader d’opinion, qui diffuse de
l’information au public, et le public qui va renforcer la crédibilité du leader
d’opinion ;
Dès lors, comment identifier un leader d’opinion ? Alloing et Haikel-Elsabeh (2012) proposent
trois approches complémentaires :
- Approche structurelle : compréhension du contexte, de la thématique, du sujet, selon les
besoins de l’organisation & analyse de réseaux sociaux (positionnement de l’internaute au
sein d’un réseau) ;
- Approche énonciative : capacité de l’auteur (internaute) à être reconnu comme crédible ou
fiable selon différents critères ;
- Approche informationnelle : interactions suscitées par la diffusion de contenus par
l’internaute ;
L’identification de leaders d’opinion peut être donc perçue comme une construction faite par
l’organisation selon ses besoins et ses attentes, mais surtout ses objectifs. Alloing et Haikel-Elsabeh
(2012) en distinguent quatre : faire connaître, faire voir, faire partager, faire réagir.
Les auteurs proposent également une série d’indicateurs formalisés dans une matrice. Celle-ci ne
sera pas présentée intégralement, mais elle sera adaptée à l’étude de cas que nous avons traitée dans
le cadre de nos recherches, à savoir : l’identification de leaders d’opinion sur les droits des personnes
lesbiennes, gaies, bisexuelles et transgenres (LGBT) sur le Web.
44
Chapitre 2 - Cas d’étude : identification de potentiels
leaders d’opinion en ligne dans le domaine des droits
LGBT
45
Introduction au chapitre 2
Le présent chapitre a pour but de présenter le travail de recherche réalisé dans le cadre de ce
mémoire de Master 2. Ce dernier vise à étudier la notion d’influence sur le web, et plus
particulièrement la notion de leader d’opinion, tout en se basant sur un terrain de recherche
spécifique que sont les droits des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles et transgenres (LGBT) sur
le Web.
Le travail de recherche effectué n’a pas pour but de questionner les concepts de genre tel
qu’étudié par les gender studies, ni de sexualité, d’homosexualité, de transsexualité. Il vise
principalement à comprendre comment, sur le web, l’information et la revendication des droits
LGBT se constitue. Pour ce faire, nous avons réalisé une étude de cas centrée sur l’analyse de
l’écosystème informationnel de la plateforme Equaldex.com, créée par l’américain Dan Leveille. Le
but de cette plateforme est de fournir aux internautes des informations concernant l’évolution des
droits des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles et transgenres dans le monde (que nous
nommerons « droits LGBT » par la suite).
Les droits LGBT sont inégaux dans le monde. Cette expression désigne, de manière non
exclusive, un ensemble de droits :
- Le droit d’avoir un rapport sexuel avec une personne du même sexe ;
- La reconnaissance juridique des couples de même sexe, voire le droit au mariage entre deux
personnes du même sexe ;
- Le droit pour les couples à l’adoption ;
- L’interdiction des discriminations vis-à-vis des personnes LGBT ;
- La reconnaissance légale du changement de genre ;
- Le droit pour les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (Men having Sex with
Men, ou MSM) de donner leur sang ;
Cette liste est non-exhaustive. En 2013, la France a connu un tournant particulier dans ce
domaine puisque les personnes homosexuelles ont obtenu le droit de se marier et d’adopter des
enfants. Pourtant, les personnes homosexuelles n’ont pas le droit de donner du sang. Aux Etats-
Unis, à qui l’on doit l’« American gay way of life » selon Frédéric Martel (2013, p. 20), le mariage ente
deux personnes du même sexe (same-sex marriage) n’est pas généralisé dans tous les Etats du pays. Le
terme « gay » est ici utilisé comme synonyme d’homosexuel et comprend à la fois les dimensions
sexuelles, sociales et culturelles (ibid.).
46
Pour Frédéric Martel, il existe une « mondialisation de la question gay » (ibid.), fortement
influencée par les Etats-Unis, mais qui ne se réduit pas à une uniformisation. Au contraire, l’auteur
souligne que chaque pays possède ses spécificités tant au niveau des droits LGBT, que des pratiques,
des cultures. L’appropriation de l’espace par les personnes LGBT dépend également des spécificités
des pays et des villes, comme le souligne Martel (ibid.). Pour l’auteur il y a ainsi un « Global Gay »
(une culture gay globale, mondialisée) et des « Local Gay » (des cultures et pratiques gay variant selon
les singularités locales). L’importance des spécificités locales se retrouve également dans la notion de
communauté LGBT. Cette expression est souvent utilisée dans les médias pour parler des personnes
lesbiennes, gaies, bisexuelles et transgenres mais Martel souligne également l’existence des
« communautés LGBT » nationales et locales (ibid. p. 21).
La question des droits LGBT dans le monde est portée par de nombreux acteurs, tant à l’échelle
internationale à l’image de l’ONU et de sa campagne Free & Equal32, qu’à l’échelle nationale et locale,
grâce à des associations, organisations non-gouvernementales, syndicats et autres réseaux. Pour
Frédéric Martel (2013), « partout de nouveaux acteurs […] les activistes LGBT ne sont pas les seuls à
mener la bataille : des patrons de start-up et des gérants de cafés, des avocats, des journalistes, des
animateurs de télévision, des diplomates, des artistes et des milliers d’anonymes agissent » en faveur
de la reconnaissance des droits LGBT à travers le monde (p. 21). Pour l’auteur, la culture gay est
devenue mainstream, ou grand public et les « droits des gays au niveau international sont en train de
devenir une question des droits de l’homme » (ibid. p. 23) et Internet et le web joueraient un rôle
crucial dans ces transformations.
32 https://www.unfe.org
47
I. Présentation d’Equaldex en trois points
S’il y a bien un élément qui a motivé l’orientation de ce mémoire de fin d’études, c’est la
découverte du site Equaldex. C’est pourquoi celui-ci est au centre de notre travail de recherche. Pour
mieux comprendre la nature de ce site web et ses objectifs, nous proposons de l’analyser sous trois
formes : site d’information, lieu de synchorisation réticulaire & site en quête de notoriété sur le web.
a. Equaldex : un site d’information sur les droits LGBT
Equaldex.com a été créé par Dan Leveille en 2009 sous
le nom d’Equalitopia mais son lancement officiel a été
initié en 2014. Il s’agit d’une « base collaborative de
connaissance qui crowdsource les droits LGBT (lesbiens,
gays, bisexuels et transgenres) par pays et par
régions »33. Le terme crowdsourcing utilisé par Equaldex
est un néologisme anglais provenant des mots crowd (la
foule) et outsourcing (externalisation). Pour Brabham, le
crowdsourcing désigne un modèle distribué & en ligne de
résolution de problème et de production.
Dans le cadre de la plateforme Equaldex, le crowdsourcing
se situe à plusieurs niveaux :
- Les contributeurs d’Equaldex, des internautes volontaires, complètent les données34
concernant l’état d’avancement des droits LGBT dans le monde ;
- Les modérateurs d’Equaldex, des contributeurs désignés par Dan Leveille, peuvent
également compléter les données concernant les droits LGBT dans le monde, mais leur
mission principale est de vérifier la véracité des données déjà présentes sur le site ;
Afin de rendre les données collectées par les contributeurs et les modérateurs intelligibles,
Equaldex est axé autour de la visualisation de données statistiques. Le site permet ainsi aux visiteurs
de visualiser l’état des droits LGBT dans le monde par le biais d’une représentation cartographique
33 Description (traduite) du site en bas de page : http://equaldex.com 34 Par donnée, nous entendons un élément d’information manipulable indépendamment de sa signification, tel que définit par Philippe Baumard (1991), cité par Moinet, N., 2011, Intelligence économique : Mythes et réalités, CNRS, Paris, 188 p.
Figure 7 - Capture d'écran du site Equaldex
48
(cf figure 7), mais aussi d’une frise chronologique permettant de visualiser les changements de lois de
1944 à nos jours :
Figure 8 - Capture d'écran d'Equaldex - Frise chronologique des droits LGBT à travers le temps
Dans un entretien par e-mail avec le créateur du site, Dan Leveille, celui-ci expliquait la
genèse du projet et ses objectifs :
« J’ai réalisé qu’il manquait une ressource unique et exhaustive à propos des lois
en faveur des LGBT, donc j’ai décidé de créer un site simple qui montrerait une
carte des droits LGBT dans le monde. Puis j’ai réalisé l’ampleur du projet et je
savais que le seul moyen de le faire correctement serait d’en faire un site
crowdsourcé. […].
Le but d’Equaldex est de devenir une ressource exhaustive pour tout ce qui est
lié au mouvement des droits LGBT. J’ai toujours aimé les données et je pense
que l’on peut vraiment renforcer nos arguments en les utilisant. Grâce aux
données, les gens peuvent voir les choses d’une manière différente. Mon but en
construisant Equaldex était d’aider à illustrer le mouvement des droits LGBT de
manière encore plus visuelle. Equaldex a aussi pour but d’éclairer les zones
sombres du monde. Très souvent, les gens ne pensent pas vraiment de manière
globale et ils n’ont pas pris conscience que dans de nombreux pays on peut être
tué car l’on est gay. »35
Si Dan Leveille cherche à faire d’Equaldex un site de référence concernant l’information sur
les droits LGBT, nous tenons également à analyser ce site en tant que lieu de synchorisation
réticulaire.
35 Traduction. Voir annexe pour l’intégralité de la correspondance.
49
b. Equaldex : Un lieu réticulaire de synchorisation
Un élément distinctif d’Equaldex, par rapport à d’autres sites d’information sur les droits
LGBT, tels que celui de Human Rights Watch36, celui de l’American Civil Liberties Union37 ou
encore des médias LGBT tels que Pink News38, c’est son fonctionnement basé sur le crowdsourcing.
En prenant en compte la dimension controversée de cette pratique, notamment pour des raisons
éthiques (voir par exemple Harris 2011), Equaldex nous apparaît néanmoins comme un véritable lieu
réticulaire de synchorisation.
Qu’est-ce qu’un lieu réticulaire de synchorisation ? Cette expression provient des travaux du
géographe Boris Beaude (2012, 2013). Afin de la définir, il convient tout d’abord de comprendre ce
que veulent dire :
- La notion de lieu : il s’agit d’un « espace au sein duquel la distance n’est pas pertinente »
(ibid., p. 250) ;
- La notion de lieux réticulaires : ils désignent des « lieux de l’information et de la
communication, mais aussi de coexistence, des lieux capables de créer un espace commun
lorsque l’étendue des lieux territoriaux devient trop contraignante » (ibid., p. 63). Pour
l’auteur, Internet ou encore le web sont des lieux réticulaires ;
- Le concept de synchorisation : Néologisme formé de syn (commun) et chôra (espace
existentiel), la synchorisation désigne « [le] processus social qui consiste à se donner un
espace commun pour être et agir. » Pour l’auteur, « l’interaction suppose la synchorisation »
(ibid., p. 250). Il oppose d’ailleurs la synchorisation à la synchronisation, qui désigne un
« processus social qui consiste à se donner un temps commun pour être et agir » (ibid., p.
250);
Equaldex, en tant que site web collaboratif d’information sur les droits LGBT, apparaît comme
un lieu réticulaire de synchorisation. En effet, les internautes-contributeurs provenant de différents
pays partagent un même espace (le site www.equaldex.com), ils ont un profil sur la plateforme
(l’« être » évoqué par Beaude, p. 250) et ils agissent en contribuant à l’alimentation de la base de
données et à la vie du site :
36 http://www.hrw.org/topic/lgbt-rights 37 https://www.aclu.org/lgbt-rights 38 http://www.pinknews.co.uk/2013/09/05/what-do-lgbt-people-living-each-of-the-g20-countries-face/
50
Figure 9 - Capture d'écran d'Equaldex - Un lieu réticulaire de synchorisation
La figure ci-dessus vient compléter l’analyse d’Equaldex en tant que lieu réticulaire de
synchorisation. La page dont la figure est extraite est celle des changements et discussions récents.
Celle-ci met en avant le fait qu’Equaldex n’est pas un espace de synchronisation, dans la mesure où
les contributeurs ne sont pas obligés d’agir dans un temps commun, mais bien un lieu de
synchorisation qui permet des actions asynchrones. Les contributeurs peuvent ainsi alimenter la base
de données et l’éditer lorsqu’ils le souhaitent.
Equaldex est un lieu où s’opèrent, dans une certaine mesure, des coopérations faibles. Pour
Aguiton et Cardon (2007), se basant notamment sur les recherches de Benkler (2006), la notion de
coopérations faibles désigne la formation individualiste de liens entre des individus dans une logique
de coopération : il s’agit d’un mélange d’individualisme et de solidarité qui serait caractéristique des
communautés en ligne. Dans le cadre d’Equaldex, cette notion revêt un intérêt particulier : les
contributeurs ne se connaissaient pas forcément avant d’œuvrer ensemble pour l’alimentation de la
base de données, il n’existait pas de « communauté Equaldex » avant la création du site. Pourtant, la
vie de la plateforme représente un intérêt commun pour ce collectif de personnes. Pour reprendre
Aguiton et Cardon (2007), les liens interpersonnels entre les contributeurs se créent au fur et à
mesure des contributions et des discussions
c. Equaldex : Un site en quête de notoriété ?
Equaldex est également un site web en quête de notoriété. Le CNRTL définit la notion de
notoriété comme le « caractère de ce qui est connu ou constaté par un grand nombre de
personnes »39. Pourtant, comme le souligne Bourre et Surraud (1995.), la notoriété s’accompagne
d’une connotation méliorative : il s’agit de se faire connaître de manière positive. Comme le souligne
Alloing (2013), la notoriété relève de l’identité de marque, c’est à dire « la faculté a voir un
produit/service gagner en notoriété tout en restant en adéquation avec le message voulue par
l’organisation (donc avantageux) » (p. 220).
39 http://www.cnrtl.fr/definition/notori%C3%A9t%C3%A9
51
Pour Dan Leveille, le manque de notoriété d’Equaldex apparaît comme un réel problème :
« Toucher une audience importante est mon plus gros problème concernant
Equaldex. Je pense que le produit est arrivé à un stade de développement décisif
– il y aurait tellement de choses que j’aimerais y ajouter, mais je n’ai pas
l’impression qu’il lui manque quelque chose de majeur pour le moment. Les gens
adorent le site, mais il n’obtient pas la couverture médiatique que je souhaiterais.
Ça se ramène aussi au temps et aux efforts que je mets dans la vie d’Equaldex :
j’essaie de passer du temps à construire et améliorer le site, ce qui me laisse peu
de temps pour les relations presse. Si j’avais plus de temps, j’enverrais des
emails et des tweets à des journalistes tous les jours, ce qui peut s’avérer être
assez efficace. Si je pouvais juste identifier quelques blogs orientés LGBT ou
technologie majeurs, je pense que le site pourrait vraiment décoller. »40
L’accroissement de la notoriété d’Equaldex apparaît comme cruciale pour Dan Leveille. Dès
lors, quelles actions mettre en place ? Nous proposons, dans un premier temps, de réaliser un graphe
de sites web traitant des droits LGBT afin de cartographier l’écosystème informationnel d’Equaldex,
puis d’analyser celui-ci afin d’identifier les sites web les plus importants du graphe. Enfin, nous
montrerons comment il est possible de contacter ces sites afin de leur faire connaître Equaldex.
II. Structuration de l’écosystème informationnel d’Equaldex
Notre travail de recherche vise à identifier de potentiels leaders d’opinion au sein de l’écosystème
informationnel d’Equaldex. Pour ce faire, nous avons choisi de réaliser une visualisation de graphe
de sites web francophones et anglophones liés aux droits LGBT.
Pour rappel, nous retiendrons la définition d’Alloing et Haikel-Elsabeh du leader d’opinion qui
« pris au sens de « diffuseur » est un amplificateur potentiel de la transmission de ce message. » Il
s’agit dès lors d’une « source de diffusion et médiatisation sur le web plus que d’influence » (2012, p.
10). Dans le cadre de notre travail, cette source de diffusion pourra être : un site web, un blog, un
profil Twitter, un profil Youtube, un portail d’information ou encore un forum.
40 Traduction. Voir annexe pour l’intégralité de la correspondance.
52
Deux hypothèses viennent appuyer notre travail de recherche. Premièrement, nous
supposons que le graphe de sites web réalisé par nos soins sera un réseau invariant d’échelle, à savoir
que la répartition des liens hypertextes suivra une loi de puissance.
Nous supposons également qu’Equaldex, en tant que site web récent (lancement officiel en
2014), s’inscrit dans un processus d’attachement préférentiel (Barabási 2003), à savoir qu’il pointe ses
liens hypertextes vers des sites de référence concernant les droits LGBT, ce qui contribue à
renforcer la centralité de ces derniers.
a. Définition des besoins d’Equaldex & leur déclinaison en
indicateurs
Dan Leveille souhaite voir la notoriété d’Equaldex croître. Pour ce faire, il souhaiterait
contacter des journalistes et des blogs « majeurs » sur les questions LGBT afin de leur présenter
Equaldex et, in fine, faire connaître le site aux audiences de ces blogueurs et journalistes. Afin de
décliner ces besoins en indicateurs, nous nous appuierons sur matrice de détection des leaders
d’opinion sur le web telle que formalisée par Alloing et Haikel-Elsabeh en 2012. Les auteurs
proposent d’identifier les caractéristiques structurelles, énonciatives et informationnelles du potentiel
leader d’opinion.
Dans le cadre d’un objectif de notoriété, ici faire connaître Equaldex, nous avons adapté la
matrice de la manière suivante :
Faire connaître Faire connaître Equaldex
Caractéristiques
structurelles
Volume de contacts (centralité de degré) ;
Visibilité des profils/sources sur les moteurs de
recherches ;
Présence de liens faibles ;
Maillage conséquent des sources d’expression (
Comparaison des scores de :
Centralité de degré
Centralité eigenvector41
Volume de liens entrants (autorité)
Caractéristiques
énonciatives
Notoriété du leader (cf critères d’expertise) ;
Volume et rythme de production de contenus ;
Nature de la source (ie. Potentiel leader
d’opinion) : privilégier médias & blogs
Langue de publication (anglais / français)
Notoriété de la source
Volume et rythme de production de contenus ;
Caractéristiques
informationnelles
Volume de reprises moyen des
contenus/informations diffusés
Volume de reprises moyen des
contenus/informations diffusés
41 Centralité eigenvector : « mesure de quelle manière un nœud est connecté aux autres sommets fortement connectés du graphe » (Drevelle 2013) - http://groupefmr.hypotheses.org/2324
53
Tableau 3 - Principaux indicateurs pour l'identification de potentiels leaders d'opinion pour Equaldex
b. Constitution du corpus de sites web
La constitution du corpus de sites web, ou sourcing, est au cœur de la réalisation du graphe. Il
a été important de définir, en amont de notre travail, de définir les principaux critères essentiels à la
réalisation de celui-ci.
Que chercher à collecter ? Nous nous intéressons à la question des droits LGBT. Cette
thématique est traitée par de nombreux acteurs sur le web et ce à l’échelle internationale : ONG,
associations & syndicats engagés dans la défense des droits LGBT (advocacy), journalistes, blogueurs,
microblogueurs (Twitter, Tumblr) ou encore par des vlogueurs (sur Youtube par exemple).
Quels types de sources collecter ? Nous nous sommes focalisés, dans le cadre de notre
travail, sur : les blogs, médias en ligne, sites web & profils sociaux d’internautes ayant explicitement
défendu les droits LGBT au cours des 6 derniers mois.
Quels périmètres choisir ? Le choix des périmètres de sourcing apparaît également comme
structurant pour la réalisation du graphe de sites web. Comme nous l’avons souligné précédemment,
la question LGBT s’est étendue à l’échelle mondiale. Dès lors, nous avons pris le parti de nous
intéresser au web anglophone et au web francophone et de restreindre nos recherches aux sources
françaises, nord-américaines (principalement les Etats-Unis), anglo-saxonnes & australiennes.
Quelle catégorisation des sources ? Toute typologie d’acteurs lors de la réalisation d’une
cartographie du web fait appel à la subjectivité du cartographe, malgré les tentatives d’objectivation
de ce dernier (Plantin 2013). La typologie utilisée dans le cadre de ce travail de recherche est avant
tout le résultat d’une construction.
Critères de sélection des sites Exemples
Types d’acteurs ONG, associations, syndicats, journalistes, blogueurs, éditeurs de sites web, vlogueurs
& microblogueurs étant engagé dans la défense des droits LGBT
Types de sources Blogs, médias en ligne, profils sociaux (Twitter, Youtube), pages Facebook, sites,
communautés en ligne (forums & réseaux socionumériques dédiés)
Périmètre linguistique Francophone & anglophone
Périmètre géographique Sources françaises
Sources américaines, et principales sources canadiennes, anglo-saxonnes, australiennes
Catégorisation Catégorisation sur deux niveaux (séparés par un signe slash ci-dessous) :
Langue/type d’acteur (ou de source)
Les principaux types de sources retenues sont :
54
- LGBT Advocacy
- LGBT Blog
- LGBT Media
- LGBT Website
- LGBT forum
- LGBT Youtuber
- Civil rights (Le mouvement des Civil Rights aux Etats-Unis est fortement lié
au mouvement LGBT comme souligné par la documentariste Yoruba
Richen42)
Enfin, le site Equaldex, le blog éponyme et ses différents profils sociaux sont
regroupés dans la catégorie Equaldex/Equaldex
Tableau 4 - Principaux critères retenus pour la création du graphe de sites web
c. Quel statut donner aux liens hypertextes ?
Si l’analyse de réseaux sociaux cherche généralement à comprendre les relations sociales
entre des individus, notre travail de recherche est sensiblement différent. Dans ce cadre, notre
graphe sera composé de sources web (sites, blogs, profils sociaux) reliés entre eux par des liens
hypertextes. Cependant, les liens hypertextes sont équivoques, complexes et nécessitent d’être
expliqués car, comme le souligne Le Béchec citant Kleinberg, « le web est un corpus hypertexte,
complexe et qui augmente » (Le Béchec 2010, p. 258).
Afin de mieux comprendre la notion de lien hypertexte, nous allons l’analyser par le biais des
deux personnalités : Tim Berners-Lee (1997), considéré comme le principal inventeur du World
Wide Web en 1989 et Pierre Lévy (1990). Tout d’abord, pour Tim Berners-Lee (1997), un lien
hypertexte partant d’une page web A vers une page web B ne signifie en aucun cas que :
- La page web A soutient la page web B ;
- La page web A a été créée par l’auteur de la page web B ;
- La page web B fait partie de la page web A ;
Dans cette logique, Pierre Lévy a émis en 1990 des principes qu’il nous semble pertinentes de
souligner concernant les liens hypertextes et le web (p. 30-31) :
42 Vidéo en ligne : http://www.ted.com/talks/yoruba_richen_what_the_gay_rights_movement_learned_from_the_civil_rights_movement
55
1. Principe de métamorphose : « Le réseau hypertextuel est sans cesse en construction et en
renégociation. Il peut rester stable un certain temps, mais cette stabilité est elle-même le fruit
d’un travail » ;
2. Principe d’hétérogénéité : « Les nœuds et les liens d’un réseau hypertextuel sont
hétérogènes » ;
3. Principe de multiplicité et d’emboîtement d’échelles : « L’hypertexte s’organise sur un
mode « fractal », c’est à dire que n’importe quel nœud ou n’importe quel lien, à l’analyse, peut
lui-même se révéler composé de tout un réseau, et ainsi de suite, indéfiniment, le long de
l’échelle des degrés de précision » ;
4. Principe d’extériorité : « Le réseau ne possède pas d’unité organique, ni de moteur interne.
Sa croissance, et sa diminution, sa composition et sa recomposition permanente dépendent
d’un extérieur indéterminé : adjonction de nouveaux éléments, branchements sur d’autres
réseaux, excitation des éléments terminaux (capteurs), etc. »
5. Principe de topologie : « Dans les hypertextes, tout fonctionne à la proximité, au voisinage.
[…] Il n’y a pas d’espace universel homogène où les forces de liaison et de déliaison, où les
messages pourraient circuler librement. […] Le réseau n’est pas dans l’espace, il est l’espace »
6. Principe de mobilité des centres : « Le réseau n’a pas de centre, ou plutôt, il possède en
permanence plusieurs centres qui sont comme autant de pointes lumineuses perpétuellement
mobiles […] »
Ces principes posés en 1990 par Pierre Lévy peuvent sembler parfois métaphoriques mais
présentent de nombreuses similarités avec les travaux de Barabási et Albert (1999) et Barabási
(2003). Ces six principes permettent de mieux interroger notre démarche. Les principes de
métamorphose du réseau hypertextuel, de multiplicité et d’extériorité, accentuent la difficulté de
notre travail de recherche. En effet, il nous est important de souligner que nous ne pouvons
prétendre à l’exhaustivité en travaillant sur un réseau hypertextuel composé de sites francophones et
anglophones sur les droits LGBT. La création du corpus a dû faire l’objet d’une sélection a priori
(définition de critères en amont) et a posteriori (éliminations par itération).
Quel statut donner aux liens hypertextes sur le web ? A la vue des travaux réalisés par Le
Béchec (2010) ainsi que Plantin (i 2013), il nous semble importer d’expliciter le sens que nous
donnerons aux liens hypertextes au sein de notre graphe de sites web. Tim Berners-Lee (1997)
56
souligne que « l’existence d’un lien n’est pas porteuse de signification en elle-même »43. Comme le
souligne Plantin « les pratiques de liens entre les sites web relèvent bien d’une stratégie et non du
hasard » (2013, p. 238). Le développement du référencement naturel (Seach Engine Optimization ou
SEO), et plus précisément de la pratique de netlinking visant à augmenter le nombre de liens entrants
d’un site, illustre une véritable professionnalisation des pratiques de liens hypertextes sur le web.
L’échange de liens entre deux sites web, ou liens réciproques, est un exemple de pratique visant à
améliorer le référencement d’un site puisque comme le souligne Le Béchec, ceux-ci « augmentent la
proximité entre les deux sites web sur un graphe » (2010, p. 258).
Le lien hypertexte est équivoque et sa signification dépend grandement de la réflexivité du
chercheur et du contexte. Contrairement à Fouetillou (2007, p. 293) nous ne pensons pas que la
stratégie de lien utilisée par les sites web (voire les acteurs) traitant des droits LGBT correspondent à
une « stratégie explicite d’occupation de territoire ». A l’inverse, notre conception du lien hypertexte
s’inscrit dans la continuité des Digital Methods de Rogers pour qui : « faire un lien vers un autre site,
ne pas faire de lien ou enlever un lien, peuvent être respectivement perçus, sociologiquement et
politiquement, comme des actes d’associations, de non-association ou de dissociation »44 (Rogers
2013, p. 44). Cette conception du lien hypertexte ne prend pas en compte de manière directe la
dimension professionnelle des pratiques de liens hypertextes, ce qui ne nous semble pas être un
obstacle dans la réalisation de notre graphe de sites web. En effet, la valorisation des dimensions
sociologiques et politiques dans le cas d’un graphe de sites web portant sur les droits LGBT nous
apparaît comme plus pertinente.
d. La cartographie comme processus itératif
La réalisation de notre graphe de sites web s’est faite de manière itérative. Comme l’a
souligné Pierre Lévy, le « réseau hypertextuel est sans cesse en construction et en renégociation »
(1990 p. 30-31). La méthode que nous avons utilisé pour cartographier l’écosystème informationnel
d’Equaldex et, plus largement, des droits LGBT en France et sur le web anglophone, a été inspirée
par la lecture de plusieurs ressources sur le sujet (Jacomy et Ghitalla 2007, Plantin 2013, Venturini
2009, Lima 2011 et Fouetillou 2007). Néanmoins nous nous devons de souligner l’importance de
l’apprentissage réalisé au sein de Linkfluence comme ayant influencé nos réflexions, notre méthode
43 « the existence of the link itself does not carry meaning » - http://www.w3.org/DesignIssues/LinkLaw 44 « Making a link to another site, not making a link, or removing a link, may be viewed, sociologically or politically, as acts of association, non-association or dissociation, respectively »
57
et notre analyse de la cartographie. Nous sommes également reconnaissants à Linkfluence d’avoir
mis à notre disposition son crawler pour la réalisation de notre graphe de sites web.
Notre cartographie a été réalisée de la manière suivante :
Figure 10 - Processus de réalisation de notre graphe de sites web sur les droits LGBT
La figure ci-dessus illustre les étapes de la réalisation de notre cartographie. En gris, les étapes
réalisées de manières manuelles (ou du moins avec nos propres grilles de lectures et des outils
bureautiques tels que Microsoft Excel) et en bleu clair les étapes réalisées grâce à des outils
propriétaires (crawler Linkfluence) ou open source (Gephi).
III. Visualisation de l’écosystème informationnel d’Equaldex
a. Spatialisation
Nous avons précédemment décrit la constitution du corpus de sources pour la réalisation de
notre graphe de sites web (Figure 10 – Etapes 1 à 5). Le crawler de Linkfluence nous a permis
d’exporter un fichier de graphe que nous avons importé au sein de l’outil de visualisation Gephi. Le
graphe importé est orienté, à savoir que les liens sont dirigés, ce qui est caractéristique des liens
hypertextes. Le fichier comprend 1269 nœuds (sites web ou sources) 12134 liens (liens hypertextes)
mais, comme spécifié auparavant, nous ne prétendons pas à réaliser un graphe de sites web
exhaustif.
Gephi permet de spatialiser le graphe importé. Il s’agit de « donner une forme » au graphe de
manière artificielle, comme le souligne Mathieu Jacomy45, grâce à un algorithme de spatialisation
45 http://fr.slideshare.net/medialabSciencesPo/thorie-des-graphes-mathieu-jacomy
1) Besoins
• Identification des besoins
• Critères d'identification des sources
2) Sourcing manuel
• Identification d'un premier corpus de sources (via nos connaissances personnelles & utilisation de listes déjà constituées)
• Nous nous sommes focalisés sur la couche intermédiaire du web (Jacomy et Ghitalla 2007)
3) Crawl exploratoire
• Technologie Linkfluence
• Récupération des sites de niveau 1 présents dans le corpus initial
• 20820 sites récupérés
4) Corpus final (1269 sites)
• Identification des sites pertinents
• Catégorisation finale
5) Crawl stabilisateur
• Technologie Linkfluence
• Récupération des liens hypertextes présents dans le fichier de sourcing final
• 1269 sites & 12134 liens hypertextes identifiés
6) Visualisation via Gephi
• Algorithmes de spatialisation (Open Ord & Force Atlas)
• Partition par catégories & choix des couleurs
• Classement selon le score d'autorité (Algorithme HITS de Kleinberg) & choix de la taille des noeuds
7) Analyse & restitution de la
cartographie
• Analyse des résultats • Identification de
potentiels leaders d'opinion pour Equaldex
• Restitution (à Dan Leveille & au sein de ce mémoire)
• Publication de la cartographie sur le web
58
intégré dans Gephi. Dans le cadre de notre cartographie nous avons utilisé deux algorithmes de
spatialisation :
- OpenOrd, algorithme généralement utilisé pour la spatialisation de graphes composés de
plusieurs milliers de nœuds, nous a permis faciliter la spatialisation ;
- ForceAtlas, développé notamment par Mathieu Jacomy. Il s’agit d’un algorithme propre à
Gephi qui s’appuie principalement sur des recherches empiriques46. Il fonctionne sur un
principe de répulsion / attraction : l’algorithme repousse les nœuds du centre vers la
périphérie tandis que les liens attirent les nœuds entre eux. C’est d’ailleurs ce principe qui a
orienté le développement de ForceAtlas247 (Jacomy, Heymann, Venturini et Bastian 2011) ;
Figure 11 - Etapes de spatialisation du graphe de sites web
La figure ci-dessus illustre les étapes de spatialisation grâce aux différents algorithmes utilisés.
1) Etat du graphe au moment de l’importation dans Gephi : les données ne sont pas mises en formes
et le graphe est inintelligible. 2) OpenOrd : permet de distinguer les principaux clusters du graphe,
les nœuds se chevauchent. 3) ForceAtlas : permet de visualiser les clusters tout en empêchant le
chevauchement des nœuds sur le graphe.
b. Choix des signes : de la nécessité d’un travail sémiologique
La réalisation d’un graphe de sites web, et plus particulièrement sa visualisation, implique un
travail sémiologique de choix des signes à visualiser. Comme le souligne Plantin (2013), ce travail est
même au cœur du processus de cartographie du web. Il s’agit de s’intéresser à la « machinerie
sémiologique » du graphe (Ghitalla 2008, p. 2) et de définir en amont de la création de la
cartographie un « système de signe » (Jacomy 2009). La tradition sémiologique, en tant qu’étude des
46 https://forum.gephi.org/viewtopic.php?t=926 47 http://webatlas.fr/tempshare/ForceAtlas2_Paper.pdf
59
signes et des systèmes de signes, définit généralement le concept de signe comme l’union d’un
signifiant (image sensible) et d’un signifié (concept), selon les travaux de Ferdinand de Saussure.
Nous retiendrons néanmoins la définition du signe telle qu’elle est donnée par Klinkenberg : « le
signe institue une certaine corrélation entre portion matérielle de l’univers et une portion
conceptuelle de l’univers conceptuel, et, ce faisant, il structure cet univers » (2000, p. 42). Dans le cas
de la définition du système de signe de notre cartographie, nous nous situons dans ce que
Klinkenberg appelle la sémiologie appliquée. Celle-ci vise la « structuration de l’univers » de signes
présents sur la cartographie (ibid., p. 42).
Le travail sémiologique réalisé pour la visualisation de notre cartographie de sites web s’est
articulé autour de trois éléments principaux :
- Couleurs des nœuds : Grâce à Gephi nous avons pu assigner à chaque catégorie (cf : table
4) des couleurs. Celles-ci ont été choisies dans afin d’éviter, dans la mesure du possible, toute
« représentation biaisée » due aux connotations rattachées à certaines couleurs (Plantin 2013,
p. 240) ;
- Taille des nœuds : Nous avons pris le parti de classer les nœuds par autorité (nombre de
liens entrants). Dès lors, plus la taille d’un nœud sera importante sur le graphe, plus celui-ci
aura un score d’autorité important. Ce calcul s’est fait grâce à l’utilisation de l’algorithme
HITS de Kleinberg (1999) ;
- Spatialisation : l’orientation du graphe, la distance entre les sites et entre les clusters ainsi que
le regroupement des sites n’ayant pas de liens hypertextes entre eux résultent d’une réflexion
en amont couplée à l’utilisation des algorithmes de spatialisation. Néanmoins, nous sommes
conscients que la spatialisation peut induire une représentation biaisée de la cartographie que
nous allons développer par la suite ;
c. Visualisation & analyse de l’écosystème informationnel
d’Equaldex
Le graphe de sites web réalisé, une fois les signes définis & la spatialisation choisie, a été
représenté de la manière suivante (Voir annexe pour visualisation de meilleure qualité ou l’url
suivante pour visualiser la cartographie avec les étiquettes de nœuds
http://www.jbmacluckie.net/blog/lgbt-map-642) :
60
Figure 12 - Visualisation du graphe de sites web
Le graphe présenté ci-dessus est composé de
1269 nœuds et 12134 liens. Au total, 13 catégories ont
été créées afin de rendre compte de la langue & du type
de source.
Les sources de langue anglaise dominent le
graphe, puisqu’elles représentent 85% de celui-ci (1081
sites / 1269 au total). Comment expliquer ce
déséquilibre ?
Nous supposons que ce déséquilibre entre la répartition des sources par langues résulte de
trois facteurs : l’étendue du mouvement LGBT aux Etats-Unis par rapport à la France, qui pourrait
induire que le nombre de sites français sur cette question est inférieur à celui du web nord-américain.
Aussi, le déséquilibre induit par le périmètre de notre travail de recherche (web français & web
anglophone comprenant : Etats-Unis et principales sources du Royaume-Uni, d’Australie et du
Canada). Enfin, les limites de notre sourcing qui s’est principalement focalisé sur le web anglophone.
Parmi les catégories les plus présentes au sein du graphe, il est important de noter que les
cinq catégories les plus importantes représentent 85% de la part de voix :
Anglais 85%
Français 15%
Figure 13 - Répartition du graphe par langue
61
Figure 14 – Répartition des sites du graphe selon leurs catégories
Les cinq premières catégories en matière de nombre de sources sont celles qui vont nous
intéresser pour l’identification de potentiels leaders d’opinion pour Equaldex. Plus précisément,
nous nous focaliserons sur les médias & blogs LGBT en tant que diffuseurs d’informations.
IV. Résultats & discussion
a. Identification de potentiels leaders d’opinion
Nous allons maintenant nous intéresser à l’identification de potentiels leaders d’opinion pour
accroître la notoriété d’Equaldex. Pour ce faire, nous allons nous focaliser sur les blogs et médias
traitant des droits LGBT et, plus largement, de la culture LGBT. Ce choix s’explique par les
caractéristiques énonciatives et informationnelles de ces types de sources (Alloing et Haikel-Elsabeh
2012). Dès lors, pourquoi avoir inclus des organisations de défense des droits LGBT, des ONG, des
profils sociaux d’activistes, des sites web statiques et des forums ? Il s’agit d’un parti pris : nous
avons formulé l’idée que si un blog ou un média était le récepteur de nombreux liens hypertextes
provenant de sources diverses & d’experts des droits LGBT, celui-ci pouvait être considéré comme
un source à forte autorité au sens de Kleinberg (1999).
Afin d’établir une liste de potentiels leaders d’opinion, nous avons décidé comparer
différentes métriques structurales et de comparer les dix sources ayant les scores les plus élevés selon
les métriques suivantes : la centralité de degré (nombre de liens entrants et sortants d’un nœud), la
centralité e igenvec tor (la manière dont un nœud est connecté aux autres nœuds fortement
connectés) & l’autorité (nombre de liens entrants) :
543 43%
219 17%
152 12%
83 7%
81 6%
54 4%
52 4%
49 4%
13 1%
12 1%
5 1% 5
0% 1 0%
Répartition des sites selon leurs catégories
en/lgbt_advocacy en/lgbt_blog en/lgbt_media
fr/lgbt_advocacy fr/lgbt_blog en/civil_rights
en/lgbt_website en/lgbt_youtuber fr/lgbt_media
en/lgbt_forum fr/lgbt_website equaldex/equaldex
fr/lgbt_forum
62
Classement selon
le score Centralité de degré Centralité eigenvector Autorité
1 advocate.com advocate.com advocate.com
2 out.com out.com out.com
3 glaad.org glaad.org glaad.org
4 towleroad.com pinknews.co.uk mic.com
5 mic.com mic.com pinknews.co.uk
6 yagg.com washingtonblade.com yagg.com
7 pinknews.co.uk glaad.org/blog towleroad.com
8 signorile.com gaystarnews.com gaystarnews.com
9 bilerico.com towleroad.com washingtonblade.com
10 gaystarnews.com queerty.com queerty.com
Tableau 5 - Comparaison des sources ayant les scores les plus importants selon 3 métriques structurales
Après avoir supprimé les sources en doublons entre les trois listes ci-dessus, une liste de 12
sites a été établie. Afin de réduire celle-ci et de nous focaliser sur les sources les plus pertinentes
pour développer la notoriété d’Equaldex, nous avons procédé à une sélection selon des critères
quantitatifs (au 28/08/2014) et qualitatifs :
Type de
source
Pays Thématiques Fans
Followers
Pertinence ?
advocate.com Média US LGBT
(généraliste)
213637 138776 Oui
out.com Média US Mode &
lifestyle LGBT
303256 91336 Non
glaad.org Média &
advocacy
US Droits LGBT 237686 229209 Oui
towleroad.com Blog US Droits LGBT 12507 46631 Oui
mic.com Média US Généraliste
avec section
LGBT
394881 48910 Oui
yagg.com Média FR LGBT
(généraliste)
16756 13648 Oui
pinknews.co.uk Média UK & EU LGBT 67696 58984 Oui
63
(généraliste)
signorile.com Blog US Généraliste &
Activisme
LGBT
8893 28991 Oui
bilerico.com Blog US Droits LGBT 17900 4945 Oui
gaystarnews.com Média UK LGBT
(généraliste)
297263 49388 Oui
washingtonblade.co
m
Média US LGBT
(généraliste)
31906 22049 Oui
queerty.com Média US LGBT
(généraliste)
63066 54713 Oui
Tableau 6 - Sélection des potentiels leaders d'opinion pour Equaldex
Nous avons ainsi pu sélectionner 11 potentiels leaders d’opinion. Cependant après la revue
de littérature réalisée dans le premier chapitre, pouvons-nous affirmer que faire connaître Equaldex à
ces derniers permettra d’accroître sa notoriété ? Dans le cadre de nos recherches, nous avons
contacté le pure-player LGBT français Yagg.com en mars 2014 (ci-après). Nous avons initié le
contact avec @Yagg via Twitter (1). Suite à cela, le compte
@Equaldex a également mentionné @Yagg (2) et tous les deux
ont ensuite échangés par messages privés (3).
Le 17 avril 2014, le média Yagg.com publiait un article
intitulé « Equaldex: Des cartes pour voir où en sont les droits
des LGBT dans le monde »48 suscitant 3 commentaires critiques
(l’un d’eux critiquait d’ailleurs le manque de lisibilité de la
visualisation de données). Le compte Twitter @Yagg a diffusé
l’article, ce qui a suscité peu de réactions : 8 retweets (dont 1
d’@Equaldex et 1 réalisé par nos soins) et 1 ajout en favori (par
@Equaldex). Le média n’a pas diffusé l’article sur sa page
Facebook.
Quelles conclusions tirer du peu d’interactions suscitées ? Bien qu’il nous semblerait
pertinent de réitérer le processus de contact de potentiels leaders d’opinion dans une perspective
d’accroissement de la notoriété d’Equaldex, nous pouvons néanmoins souligner que la diffusion
48 « Equaldex: Des cartes pour voir où en sont les droits des LGBT dans le monde » : http://yagg.com/2014/04/17/equaldex-des-cartes-pour-voir-ou-on-en-est-sur-les-droits-des-lgbt-dans-le-monde/
Figure 15 - Accroître la notoriété d'Equaldex en contactant Yagg.com
64
virale d’un contenu semble dépendre de nombreux facteurs contrôlables (caractéristiques
intrinsèques du produit, activation de leaders d’opinion) et surtout des facteurs non maîtrisables :
contexte, réception du public, temporalité, hasard, algorithmes permettant la mise en visibilité des
informations etc. Dans ce sens, nous pouvons signaler que l’identification de potentiel leaders
d’opinion dans le cadre d’une stratégie de communication numérique ne permet pas de garantir la
diffusion virale d’un contenu.
b. Le graphe de sites web et nos hypothèses de recherche
Nous avons émis deux hypothèses concernant notre graphe de sites web :
1. Il s’agit d’un réseau invariant d’échelle ;
2. Equaldex s’inscrit dans un processus d’attachement préférentiel ;
Pour rappel, un réseau à invariance d’échelle (scale-free network) est un graphe dont les degrés
(nombre de liens entrants et sortants) suivent une loi de puissance. Il pourrait paraître logique que
notre graphe de sites web soit à invariance d’échelle, puisque selon Barabási (2003), cette propriété
est caractéristique du Web. Les degrés de notre graphe sont répartis comme suit :
Figure 16 - Le graphe des droits LGBT, un réseau invariant d'échelle
Nous sommes donc en mesure de valider l’hypothèse selon laquelle notre graphe de sites
web serait un réseau invariant d’échelle. Les sites web ayant les degrés les plus élevés sont l’annuaire
Gayellowpages.com : 409 liens, dont 407 liens sortants, puis le média Advocate.com : 253 liens dont
239 entrants et enfin le site de l’ONG Human Rights Campaign : 240 liens (tous entrants).
0
10
20
30
40
50
60
70
80
0 50 100 150 200 250 300 350 400 450
Nom
bre
de s
ites
Degré
Une répartition des liens selon une loi de puissance
65
Nous avons également émis l’hypothèse qu’Equaldex, en tant que site web récent concernant
les droits LGBT (sortie officielle en 2014), s’inscrivait dans un processus d’attachement préférentiel.
Pour Barabási (2003, p. 85), « lorsque l’on décide [en tant qu’éditeur de site / blogueur] vers quel site
diriger un lien, on suit un principe d’attachement préférentiel : Quand ils doivent choisir entre deux
pages, l’une avec deux fois plus de liens que l’autre, près de deux fois plus d’individus choisissent la
page la plus connectée »49. Ainsi, un nouvel acteur intégrant un réseau cherchera à se connecter aux
acteurs les plus connectés de celui-ci.
Dans quelle mesure Equaldex s’inscrit-il dans ce processus ? Le site créé par Dan Leveille a
dirigé des liens hypertextes vers des sites ayant de fortes centralités de degré : le site de l’ONG HRC
(240 liens entrants et sortants), les médias PinkNews (107 liens entrants et sortants) et GayStarNews
(98 liens entrants et sortants) et le blog d’Equaldex (www.blog.equaldex.com) a dirigé un lien
hypertexte vers le média The Advocate (253 liens entrants et sortants). Si ces éléments semblent
confirmer le fait qu’Equaldex, à travers son site web et son blog, suit le principe d’attachement
préférentiel tout en renforçant la centralité des sources vers lesquels il dirige ses liens hypertextes,
nous nous devons d’apporter une certaine nuance à notre hypothèse. En effet, il serait intéressant
d’évaluer dans le temps le nombre de liens entrants et sortants d’Equaldex.com & du blog éponyme
afin de mesurer leur évolution.
c. Réflexions sur la cartographie & limites de l’approche
Au cours de notre travail de recherche, nous avons relevé plusieurs critiques et limites de
l’approche par la réalisation de graphes de sites web, tant d’un point de vue de la méthode que de
son application pour l’identification de potentiels leaders d’opinion sur le web.
Tout d’abord, il nous semble important de souligner que toute réalisation de graphe de sites
web résulte d’une construction et est donc subjective : la constitution du corpus, la spatialisation, le
choix des signes, le choix des algorithmes de classement etc. Toutes ces étapes résultent du choix du
cartographe. Or, tout individu est soumis à certains biais cognitifs qui peuvent fausser son jugement.
Dans le cas de notre travail de recherche, nous sommes conscients d’avoir sélectionné des sources
sans vouloir prétendre à l’exhaustivité de celles-ci. Cependant, nous pensons que cette sélection peut
également résulter d’un biais de sélection et que notre graphe de sites web n’est donc pas exhaustif.
49 « The bottom line is that when deciding where to link on the Web, we follow preferential attachment: When choosing between two pages, one with twice as many links as the other, about twice as many people link to the more connected page »
66
La création d’une cartographie de sites web est aussi marquée par la dépendance aux outils.
Dans le cadre de notre travail nous avons ainsi utilisé : Microsoft Excel & Libre Office (pour la
manipulation des fichiers de graphe), le crawler propriétaire de Linkfluence (pour explorer les sites
voisins de notre corpus initial et pour identifier les liens existants entre les sites du corpus final),
Gephi (pour spatialiser, visualiser et analyser le réseau). Or, bien que nous ayons utilisés des
algorithmes connus et documentés sur Gephi (OpenOrd & ForceAtlas pour la spatialisation,
l’algorithme HITS de Kleinberg pour le classement des nœuds), nous reconnaissons le côté « boîte
noire » de leur utilisation (Plantin 2013). En effet, si nous en connaissons les principes, nous n’avons
pas accès aux codes sources et ne pouvons dès lors avoir une maîtrise de ceux-ci.
L’approche utilisée pour l’identification de potentiels leaders d’opinion, à savoir l’utilisation
des liens hypertextes et de métriques structurales, nous paraît également connaître des limites. Si elle
présente un certain intérêt pour identifier des blogs, sites web et médias en ligne ayant une autorité
importante, ou position centrale au sein d’un réseau, elle ne prend pas en compte les spécificités des
médias sociaux.
Ainsi nous avons, au sein de notre graphe, choisis d’intégrer des vlogueurs (blogueurs vidéo)
ayant déjà parlé des droits LGBT et de leur homosexualité. Tyler Oakley, par exemple, un vlogueur
professionnel (ses principaux revenus sont générés grâce à la rémunération reçue du visionnage de
ses vidéos Youtube). Sa position dans le réseau est périphérique : avec un degré de 3 (3 liens
entrants), Tyler Oakley n’est pas une autorité au sens structural du terme et ne figure donc pas parmi
notre sélection de potentiels leaders d’opinion sur les droits LGBT. Pourtant, la prise en compte
d’autres métriques et d’autres éléments
qualitatifs nous semblent important. En
effet, grâce à ses 5273683 abonnés sur
Youtube, ses 3005639 abonnés sur Twitter
et ses 1824579 fans sur Facebook (au
28/08/2014) Tyler Oakley a permis de
collecter 525679$ grâce à une campagne de
financement participatif au profit du Trevor
Project, une des principales organisations
américaines pour la prévention des suicides
des jeunes lesbiennes, gais, bisexuels et Figure 17 - Capture d'écran de la campagne de financement
participatif lancée par Tyler Oakley
67
transgenres50. Cette action fait de lui un jeune activiste LGBT et un potentiel leader d’opinion sur
cette question, mais l’approche de l’analyse de graphe seule n’aurait pas permis de le savoir.
Dès lors, il nous semble important de souligner les limites de l’approche en réseau, ou du
moins de son intérêt limité dans l’identification de potentiels leaders d’opinion sur le web. Il nous
semble pertinent, dans ce cas de figure, de combiner les approches. L’articulation des approches
structurelles, énonciatives et informationnelles présentées par Alloing et Haikel-Elsabeh (2012) est
une méthode intéressante mais il nous paraît également nécessaire d’accepter que le processus
d’influence sur le web (diffusion virale) dépend de nombreux autres facteurs non maîtrisables par
une organisation.
Conclusion
Le présent mémoire a cherché à présenter les concepts d’influence sur le Web, et, plus
précisément de leader d’opinion sur le Web, à travers deux approches que nous pensons
complémentaires à savoir une revue de littérature et travail de recherche empirique. Pour rappel,
notre problématique était la suivante : Dans quelle mesure l'analyse & la visualisation de réseaux
appliquées au web peuvent-elles permettre d'identifier de potentiels leaders d’opinions sur le
Web dans le domaine des droits LGBT, ce afin de faire connaître le site Equaldex.com auprès d’une
large audience ?
Dans un premier chapitre, nous avons souhaité expliquer et déconstruire les concepts
d’influence et de leaders d’opinion tels qu’ils peuvent parfois être présentés dans la littérature
professionnelle. Pour cela, nous avons souhaité définir le concept d’influence à travers le prisme de
différentes disciplines : psychologie sociale, sciences de l’information et de la communication et
media studies, sciences de gestion et informatique. Nous avons pu également voir que l’influence
faisait l’objet de nombreux mythes véhiculés à la fois par les acteurs du monde de la communication
et du marketing, que par certains auteurs tels que Malcolm Gladwell. Nous avons souhaité en effet
déconstruire l’idée selon laquelle un petit groupe de super-influenceurs (super-influentials) pouvait être
à l’origine d’une dynamique virale de diffusion d’informations.
Ce premier chapitre nous a également permis d’envisager l’influence, et plus particulièrement
l’influence sur le Web, comme un processus complexe. Par complexité nous entendons un ensemble
d’éléments faisant partie d’un même système & interdépendants entre eux. Dès lors, nous avons 50 http://www.prizeo.com/prizes/tyler-oakley/an-LA-date?utm_content=tyler&utm_campaign=tyler&
68
émis l’idée que le déclenchement d’une dynamique virale de diffusion d’informations sur le Web
(que nous utilisons comme synonyme d’influence sur le Web) résultait d’une multitude de facteurs
liés entre eux et qui étaient non maîtrisables. Cette approche de l’influence est cohérente avec les
travaux des chercheurs américains Watts et Dodds (2007) qui comparent ce phénomène au
déclenchement d’un important feu de forêt : tout comme la viralité sur le Web, le déclenchement
d’un feu de forêt important est le résultat d’une combinaison de facteurs divers, du contexte et de
l’incertitude. En concevant le phénomène d’influence sur le Web sous l’angle de la complexité, nous
avons pu formuler quelques critiques envers l’idée selon laquelle il était possible d’attribuer la
réussite d’une dynamique virale de diffusion d’information sur le Web à de quelconques
influenceurs.
Nous avons néanmoins cherché à examiner les méthodes d’identification de leaders
d’opinion telles qu’elles sont pratiquées en communication. Nous avons souhaité distinguer deux
approches : l’utilisation d’outils de commensuration tels que Klout ou Kred et l’analyse de réseaux
telle que faite par Linkfluence. Cette comparaison nous a permis de comprendre les différences de
ces deux approches, tant d’un point de vue des métriques observées que des enjeux. Puis, nous nous
sommes basés sur une méthode récente conceptualisée par Alloing et Haikel-Elsabeh (2012) qui
propose d’analyser les caractéristiques des potentiels leaders d’opinion grâce à trois approches :
structurelle, énonciative et informationnelle. Cette méthode a servie de base théorique pour notre
cas d’étude.
Notre second chapitre était articulé autour de deux éléments structurants : une présentation
du contexte et des enjeux du cas d’étude et une présentation de la méthode et des résultats. Notre
cas d’étude portait sur l’analyse et la visualisation de graphe appliquée à l’identification de potentiels
leaders d’opinion sur le Web afin d’augmenter la notoriété d’Equaldex.
Pour rappel, nous avions émis deux hypothèses pour notre cas d’étude à savoir que le graphe de
sites Web que nous allions réaliser dans le cadre de nos recherches serait un réseau invariant
d’échelle51 et deuxièmement qu’Equaldex, en tant que site récent, s’inscrivait dans un processus
d’attachement préférentiel au sein de ce réseau52.
51 Un réseau invariant d’échelle (scale-free network) désigne un réseau où les liens sont répartis selon une loi de puissance : quelques nœuds du réseau (acteurs ou sites web) concentrent la majorité des liens (liens sociaux ou liens hypertextes) 52 L’attachement préférentiel désigne le principe selon lequel un nouvel acteur au sein d’un réseau va chercher à tisser des liens avec les acteurs les plus connectés de celui-ci.
69
Pour ce deuxième chapitre, il nous a été nécessaire de contextualiser notre cas d’étude en
présentant de manière succincte le mouvement Lesbien Gay Bisexuel Transgenre (LGBT), les droits
que ce mouvement revendiquait et le contexte global dans lequel ces revendications s’inscrivaient.
Puis nous avons présenté Equaldex qui est au cœur de notre travail de recherche. Nous avons
souhaité analyser ce site à travers trois prismes différents : Equaldex en tant que site d’information
sur les droits LGBT, Equaldex en tant que lieu de synchorisation réticulaire et enfin Equaldex en
tant que site en quête de notoriété sur le Web.
Notre travail de recherche s’inscrit dans une logique d’accroissement de la notoriété d’Equaldex.
Le créateur de la plateforme, Dan Leveille, nous a fait part dans une correspondance par e-mail (voir
annexe) de son souhait de faire connaître Equaldex à une audience plus importante. C’est ce qui a
motivé le choix de notre cas d’étude pour ce mémoire. Afin de contribuer à cette accroissement de la
notoriété du site, nous avons réalisé un graphe de sites web traitant des droits LGBT afin d’identifier
de potentiels leaders d’opinion au sein du réseau.
Notre méthode a été itérative et le processus de création de la cartographie de l’écosystème Web
s’est étendu sur plusieurs semaines. Le graphe final de sites web (voir annexe &
http://www.jbmacluckie.net/blog/lgbt-map-642) comprend 1269 sites et 12134 liens, répartis en 13
catégories définies au préalable. Ce travail nous a permis d’identifier 11 potentiels leaders d’opinion
sur les droits LGBT sur lesquels Equaldex pourrait s’appuyer pour toucher une audience plus
importante. Cette identification est le résultat de l’articulation de trois approches : structurale
(métriques d’analyses de réseaux sociaux), énonciative et informationnelle. Parmi ces potentiels
leaders d’opinion, nous avons contacté Yagg.com, média pure-player français dont l’audience est
principalement constituée de personnes LGBT. Bien que le contact que nous avons initié a permis à
Equaldex d’avoir un billet dédié sur le site de Yagg.com, celui-ci n’a suscité que très peu de réactions
et d’interactions sur Twitter, Facebook et en commentaires. Ce résultat empirique nous permet de
remettre en question l’hypothèse selon laquelle les leaders d’opinion sont à l’origine des dynamiques
virales de diffusion d’information, au profit d’une conception de l’influence sous l’angle de la
complexité.
Ce travail de recherche nous a également permis de discuter de l’utilisation de l’analyse de
réseaux dans le cadre de l’identification de potentiels leaders d’opinion. Pour cela, nous avons
cherché à comparer la position du vlogueur américain Tyler Oakley, dont l’activisme pro-LGBT est
important sur le Web et au sein de l’organisation The Trevor Project, sur notre graphe, par rapport
70
aux résultats d’une campagne de collecte de fonds que celui-ci a organisé pour une organisation de
défense des jeunes personnes LGBT. La position de Tyler Oakley sur notre graphe était
périphérique, marquant ainsi un faible nombre de liens entrants et sortants, pourtant cette position
ne s’est pas avérée être révélatrice de sa réelle capacité d’influence sur le Web.
Ce mémoire de master 2 a été l’occasion de mettre à profit les compétences et connaissances
acquises au sein de l’IAE de Poitiers, mais également de l’Université de Glamorgan à Cardiff et de
l’IUT de Toulouse Paul Sabatier. Le sujet de l’influence sur le Web est vaste, complexe et prétendre
le cerner dans le cadre d’un mémoire professionnel est impossible. Néanmoins, nous pensons que
l’analyse de ce phénomène à travers l’angle de notre cas d’études aura permis d’amorcer certaines
réflexions sur les méthodes utilisées pour l’identification de leaders d’opinion sur le Web, même si
nos conclusions ne sont pas généralisables. Il nous semble que le présent travail de recherche offre
des perspectives intéressantes pour de futurs travaux académiques. L’émergence de la nouvelle
science des réseaux, aussi appelée Web Science, le développement des digital methods et des digital
humanities nous confortent dans l’idée qu’étudier l’influence sur le Web apparaît comme une
perspective pertinente pour les années à venir.
71
Bibliographie
Articles & monographies
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Vidéo
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http://www.ted.com/talks/yoruba_richen_what_the_gay_rights_movement_learned_from_the_civil_rights_movement
Cours ayant inspiré nos travaux
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Alloing, C. Communication 2.0 et e-réputation. Poitiers : IAE de Poitiers, 2012-2013.
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77
Annexes
Correspondance avec Dan Leveille (anglais) – Juillet 2014
1/ Could you explain to me what are the reasons that lead you to create Equaldex?
Back in 2009, when I was in college, I didn't really have much of an interest in LGBT rights. My friends were sharing news about gay marriage and other LGBT issues, and I started to pick up an interest in it as well. In late 2009, many states were on the brink of legalizing gay marriage, so I found myself always asking questions like "Is gay marriage legal in X country?" and "How many US states does that make now?" I realized there was a lack of a single comprehensive resource for LGBT laws, so I decided to build a simple website that would just be a map of the world that showed LGBT laws in each country. I then realized how big of a project this was, so I knew that the only way to do it properly would be to make it a crowdsourced site.
2/ What are the main goals of Equaldex today? (example : to inform people, to raise awareness, to make people get involved in LGBT issues etc.)
All of those, yes. Equaldex's goal is to become a comprehensive resource for everything related to the LGBT rights movement. I've always loved data, and I think you can make really strong arguments using it. Data lets people see things in a different way. I wanted to build Equaldex so that it could help illustrate the LGBT rights movement in a more visual way. Equaldex also aims to shine light in the dark areas of the world. A lot of times, people don't really think globally, and they don't realize that in many countries, you can be killed for being gay.
3/ Could you explain to me what is the current strategy for Equaldex communication? What channels do you use to communicate & why ?
Twitter and Facebook are the channels I use most actively. Equaldex's Tumblr blog is a more formal method of communication. I used it as an LGBT news blog that picked up a bit of a following before Equaldex even launched, so it was pretty useful to have an established audience around the brand. I use Google+ and LinkedIn as well, but those I would probably consider secondary. I have an email list as well, however, I only use that for major site announcements, as it's a little time consuming to do (building, testing, sending, etc.).
4/ What are the main needs/challenges of Equaldex regarding its communication? (ex: would Equaldex need more online visibility? would it need to become a touch a wider audience?)
One concern I had with communication was just the time it takes to be active on all of Equaldex's social media channels. However, this was remedied a few weeks ago after I launched LGBT News. I have it set up where posts to Equaldex News are automatically distributed to Equaldex's Facebook and Twitter accounts.
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Reaching a largest audience is my biggest problem with Equaldex altogether. I think the product is at a pretty solid point -- there's so much more I want to add to it, but it doesn't have the feeling that it's really lacking anything major right now. People love the site, but it just isn't getting the press coverage that I want it to. It also comes down to time and effort put into this -- I try to spend time building and improving the site, so it leaves me little time to do PR. If I had more time, I'd be sending emails and tweets to journalists all day, which can be pretty effective. If I could just get picked up my some of the major LGBT or tech blogs, I think it'd really take off.
5/ Any idea on the next milestones for Equaldex developpment? :)
Here are some of the features that I've been planning on building:
• "This Day in LGBT History" -- A feature that'll show LGBT milestones of today's date in previous years (this one is ready to go, just need to finish the design)
• More visualizations
• Expanding on the "Equality Index" feature, that gives each country a "score" based on many different factors.
• More demographic data, such as US Census data on same-sex couples.
• Automatic country detection (visitors will automatically see the LGBT profile of the sate/country they're visiting from)
• I've also been considering the ability to compare two countries side-by-side.
And one of the major features I've always been planning on adding in the future is companies and public figures, but that is quite a large project.
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Visualisation du graphe de sites web realisé (sans étiquette des nœuds)