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DANSE PAR N. GUERBER-WALSH IMPROVISATION STRUCTURÉE ET COMPOSITION Parvenir à construire une composition en danse demande une lente et stricte préparation. La démarche ici proposée refuse en tant que support et dans ce cas précis la narration et retient la notion de concept. Elle insiste sur une nécessaire prépara- tion corporelle s'appuyant sur les diffé- rents facteurs du mouvement dansé. Elle donne une place importante à l'éducation du jugement, facteur de progrès au service d'une exigence de qualité du geste. GÉNÉRALITES Le groupe comprend 16 étudiants (7 filles. 9 garçons). Le cycle se déroule à raison de trois heures hebdomadaires de 12 séances. De la même manière que l'enseignement de la peinture l'ait appel à l'analyse et à l'exploration des matières, aux interactions entre couleurs, lumières, lignes, surfaces, volumes.... l'ensei- gnement proposé ici dans ce cycle « Danse Staps », est fondé sur l'étude des facteurs de signification tels : le corps, les intensités, l'es- pace... La problématique pédagogique concerne les fondamentaux de la danse et de la composition scénique. Elle se situe dans une perspective ouverte et évolutive. En d'autres ternies la démarche permet de débou- cher sur des applications multiples et personna- lisées. Les transformations graduelles et conti- nuelles résultent de nombreux niveaux d'inter- férences entre concepts, images et sensations. L'enseignant ne s'appuie pas sur des codes gestuels, l'enseignement n'est pas bâti sur des mouvements appartenant à des styles particu- liers. Toutefois certaines références à des « modèles ». codifiés se révèlent parfois utiles pour illustrer quelques principes de base. Si les concepts sont des idées énoncées de ma- nière abstraite, paradoxalement ils font réfé- rence au concret : point, ligne, plan, volume, haut, bas, direct, indirect, carré, rond, vite, lent, résistant... Peuvent être ainsi évoqués les orthogonales des tableaux de Mondrian. les diagonales de Van Doesburg. les volumes des sculptures d'Henry Moore, les courbes et des- sins « Art nouveau », la chute indirecte d'une feuille, la consistance de la pâte de verre en fu- sion... Ces images sont utilisées pour expliquer concrètement les consignes, elles servent d'in- termédiaire entre l'idée et le geste, elles n'ont EPS237 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 1992 17 Revue EP.S n°237 Septembre-Octobre 1992 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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DANSE

PAR N. GUERBER-WALSH

IMPROVISATION STRUCTURÉE ET COMPOSITION

Parvenir à construire une composition en danse demande une lente et stricte préparation. La démarche ici proposée refuse en tant que support et dans ce cas précis la narration et retient la notion de concept. Elle insiste sur une nécessaire prépara­tion corporelle s'appuyant sur les diffé­rents facteurs du mouvement dansé. Elle donne une place importante à l'éducation du jugement, facteur de progrès au service d'une exigence de qualité du geste.

GÉNÉRALITES

Le groupe comprend 16 étudiants (7 filles. 9 garçons). Le cycle se déroule à raison de trois heures hebdomadaires de 12 séances. De la même manière que l'enseignement de la peinture l'ait appel à l'analyse et à l'exploration des matières, aux interactions entre couleurs, lumières, lignes, surfaces, volumes.... l'ensei­gnement proposé ici dans ce cycle « Danse Staps », est fondé sur l'étude des facteurs de signification tels : le corps, les intensités, l'es­pace... La problématique pédagogique

concerne les fondamentaux de la danse et de la composition scénique. Elle se situe dans une perspective ouverte et évolutive. En d'autres ternies la démarche permet de débou­cher sur des applications multiples et personna­lisées. Les transformations graduelles et conti­nuelles résultent de nombreux niveaux d'inter­férences entre concepts, images et sensations. L'enseignant ne s'appuie pas sur des codes gestuels, l'enseignement n'est pas bâti sur des mouvements appartenant à des styles particu­liers. Toutefois certaines références à des « modèles ». codifiés se révèlent parfois utiles pour illustrer quelques principes de base.

Si les concepts sont des idées énoncées de ma­nière abstraite, paradoxalement ils font réfé­rence au concret : point, ligne, plan, volume, haut, bas, direct, indirect, carré, rond, vite, lent, résistant... Peuvent être ainsi évoqués les orthogonales des tableaux de Mondrian. les diagonales de Van Doesburg. les volumes des sculptures d'Henry Moore, les courbes et des­sins « Art nouveau », la chute indirecte d'une feuille, la consistance de la pâte de verre en fu­sion... Ces images sont utilisées pour expliquer concrètement les consignes, elles servent d'in­termédiaire entre l'idée et le geste, elles n'ont

EPS N° 237 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 1992 17 Revue EP.S n°237 Septembre-Octobre 1992 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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aucun caractère de finalité. Cette dernière est à trouver dans le contenu du mouvement. Les thèmes exploités appartiennent à la matiè­re même du geste, ils ne dépendent pas de mo­tivations extérieures telles la musique, le théâtre, la littérature... Il s'agit, dans l'étape d'initiation d'aborder les principes fondamentaux du mouvement. Sou-vent. à l'origine de la composition en danse, l'enseignant fait appel aux émotions, à des illustrations de narrations qui servent de fil conducteur. Dans notre démarche, c'est chaque mouve­ment ou chaque enchaînement élémentaire de mouvements qui est sous-tendu par une idée traduite par des « images », des métaphores, aidant à sa compréhension, à sa réalisation dans ses diverses dimensions : volumes, in­tensités, directions. Ces représentations men­tales sont indépendantes les unes des autres. La composition dans son ensemble n'est pas l'illustration d'une histoire ou d'un scénario li­néaire. Chaque séquence gestuelle possède sa propre signification.

LES SÉANCES

PREMIÈRE SÉANCE C'est une séance théorique qui présente : * La démarche, à l'aide de : - un bref historique la situant par rapport à une évolution générale de la danse occidentale au vingtième siècle. - un expose présentant un résume de la mé­thodologie. - un support vidéo donnant des exemples de problématiques analogues, - textes, articles contenant des définitions, des classifications ; * L'objectif général du cycle est affirmé : in­

tégrer d'une part les généralités concernant les contenus du « mouvement dansé », et d'autre part expérimenter les outils d'analyse et de composition d'une séquence chorégraphiée. * Les moyens employés : Les niveaux et compétences des étudiants dé­terminent quelle part et quel temps seront ac­cordés aux différents moyens : - apprentissage technique avec modèle (au sol, debout, en déplacement) ; - les transformations du modèle (transforma­tions de courtes séquences) ; - l'improvisation structurée d'après une trame (un plan) ; - composition en duo, trio, quatuor ; - présentation de la composition ; - observation, analyse et critique des diffé­rentes compositions ; - nouvelle adaptation des compositions en fonction des analyses critiques... Ce long cycle a comporté deux parties. Nous ne traiterons dans cet article que de la première. * Objectifs de la première partie du cycle. - comprendre et ressentir la spécificité des contenus du mouvement dansé et de la com­position scénique. - élaborer une composition d'après une trame im­posée par l'enseignant.

DEUXIÈME SÉANCE

Après la séance théorique, la première séance de pratique fait office de séance diagnostique. Elle se déroule en deux heures trente : une heure et demie d'apport technique, une heure d'applications. * Objectif de la séance : aborder les générali­tés pour capter dans quel registre se situent les difficultés majeures afin d'en déduire le conte­nu dominant des séances suivantes. * Contenu de la séance : la préparation géné­

rale, fondamentale, comprend une étude de principes du mouvement effectuée d'abord au sol ; puis les applications se prolongent debout et en déplacement. Des séquences gestuelles très courtes (ou combinaisons) illustrent ces principes. Des re­présentations mentales sous tendent chaque geste transmis et les passages de l'un à l'autre. Le but primordial est que les étudiants pren­nent en charge leur mouvement et qu'ils assi­milent et intègrent certaines voies potentielles de ses significations. Après une heure et de­mie de technique où la participation de l'étu­diant sollicite les sensations kinesthésiques et concerne la signification du mouvement rela­tive à ses facteurs constituants (espace, temps, intensités...), une participation créative est en­suite demandée sous forme de divergences par rapport aux phrases apprises. Dans ce premier cas, les « détournements » (1) et les transfor­mations ont lieu sur les bases étudiées (diver­gences par rapport à des modèles). La tech­nique, l'improvisation structurée et la compo­sition s'articulent et se complètent. A la fin de la séance diagnostic, le manque de fluidité du mouvement et implicitement, la difficulté à différencier les degrés et nuances d'intensités du geste constituent les premiers éléments du constat. Les séances qui suivent sont toutes construites sur le même modèle et comprennent : - une phase de préparation corporelle ; - des études avec « modèles » portant sur des principes concernant les actions, les succes­sions d'actions, les éléments, leurs combinai­sons, leur cohérence ; - des explorations des mêmes principes du mouvement dansé sous forme d'improvisa­tions structurées. Rappelons qu'elles sont de deux types : soit issues d'un modèle, soit is­sues d'un concept. Elles s'enrichissent en fonction des nouveaux acquis ;

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- une présentation des compositions s'effectue en groupes (résultat de l'organisation des ma­tériaux rassemblés lors de l'improvisation structurée) ; - une analyse et une critique des séquences composées et confrontées aux observateurs est effectuée en commun : - un résumé théorique des contenus abordés termine la séance.

TROISIÈME SÉANCE

Préparation corporelle L'accent est mis dans un premier temps sur : • l'alignement associé à la respiration. • les sensations de poids, • le relâchement musculaire. • les différents circuits de forces et d'intensités à l'intérieur du corps, • les prolongements virtuels des lignes de forces au-delà du corps, dans l'espace périphé­rique. Les situations proposées sont de trois types : individuelles, en interactions, en contact.

Situations individuelles Elles permettent de faire ressentir les forces opposées, convergentes, divergentes, isolées, qui circulent à l'intérieur du corps. Forces pro­jetées ou contenues, transformées... Elles tendent à éliminer les tensions muscu­laires qui vont à l'encontre des sensations ki-nesthésiques et des nuances d'intensités conférant au mouvement sa coloration, sa qualité.

Situations en interaction Des combinaisons modèles sont répétées se­lon différentes modalités d'interactions, elles font appel aux notions de poids (swings, ap­puis, étirements), d'espace (changement de

plans, d'orientations, descriptions de figures de volumes), de cheminements du geste issus d'un lieu d'initiation, etc.

Situations en contact

Par deux ou plus, explorations répondant aux principes du contact : * Pour illustrer et amplifier les sensations de poids du corps et de trajets de forces entre les points d'appuis et d'attaches, (appuis, relâche­ments, suspensions...). * Pour favoriser un état de concentration, d'at­tention aux actions réciproques, une attitude d'« écoute » à l'égard du ou des partenaires.

Etudes du mouvement

Sont abordées les notions d'espace scénique tridimensionnel (description à l'aide de son corps de figures et volumes mouvants dans les trois dimensions), de poids du corps (suspen­sions - relâchements, équilibres, déséqui­libres». Parmi toutes les combinaisons proposées un seul exemple est ci-après développé : * Dominante espace : dessiner une ligne courbe dans l'espace (sur place puis en dépla­cements) : • dans le plan sagittal avec les doigts initiant tout le corps ; • sur un trajet tridimensionnel dans le volume scénique. A l'aide d'une craie imaginaire (prolongement de la main), décrire un grand cercle sagittal vers la droite avec le bras droit qui entraîne le buste vers l'extension arrière droite, (spirale et ouverture en étirement). puis refermer en spi­rale vers l'intérieur sur le côté gauche en des­sinant un cercle vers le bas. De l'autre côté, geste homologue (soit dessin du cercle à droi­te, cercle en bas à gauche, dessin du cercle ar­rière gauche, cercle en bas à droite). Ressentir les relations entre les appuis dans le sol et soit les projections périphériques, soit les regrou­pements vers le centre. Cette première séquence a trait à l'espace ; elle est imposée par l'enseignant. « C'est le dé­but » identique pour tous sur lequel se greffe une deuxième séquence créée par les étudiants sur le thème du poids « suspendre, relâcher ». Après l'apprentissage de cette séquence, ils fe­ront une recherche qu'on appellera : improvi­sation structurée.

Improvisation structurée

Pendant cette étape d'exploration l'étudiant cherche des solutions personnelles en réponse au thème à traiter donné par l'enseignant : « suspensions, relâchements ». C'est le mo­ment de l'élaboration des matériaux, certains seront retenus pour constituer ultérieurement la composition. * Dominante : poids du corps : suspension d'une partie du corps par un fil imaginaire ap­pliqué en un point précis (talon, genou, coude, nuque...) ; après le sommet de la suspension relâcher le corps parfois jusqu'à la chute, en­chaîner avec un déplacement en déséquilibre (ici ne sont présentées que deux situations par­mi toutes celles qui ont été étudiées). - Première situation : les aides interviennent

au niveau de la recherche pour faire ressentir concrètement le point d'attache des forces de suspension. Un étudiant « accroche » son par­tenaire en un point du corps, épaule, coccyx, talon, nuque, coude, épaule...). Celui qui est ainsi suspendu, relâche le poids du corps sous ce point d'attache. Des forces opposées, disso­ciées se manifestent simultanément ; forces soumises à la gravité et celles s'y opposant. - Deuxième situation : Les aides ne sont plus nécessaires. Chacun ex­plore seul les lieux d'attaches, et les relâche­ments qui en résultent dans le but de mémori­ser les exemples les plus significatifs. Après les suspensions effectuées d'abord sur la verticale, des suspensions obliques appa­raissent. Chaque étudiant montre à ses parte­naires et à l'enseignant différentes solutions en réponse au sujet posé. Après ces études au cours desquelles l'enseignant intervient, corri­ge, aide, vient l'étape de la composition.

Composition C'est le moment de l'organisation de la danse, de la construction à partir des matériaux rete­nus à la suite de l'improvisation structurée. La recherche s'effectue individuellement mais au sein du groupe qui établit les choix d'élé­ments. Il convient de retenir les plus « li­sibles » par rapport au thème et les mieux adaptés aux niveaux de compétences de cha­cun. Deux phases permettent donc à chaque grou­pe d'aboutir à une trame commune : une pha­se éliminatoire où à la suite d'observations mutuelles, se choisissent les différents élé­ments, et une phase combinatoire où s'établis­sent leurs meilleurs rapports possibles. Par exemple au sein d'un trio, chaque étudiant confronte ses propositions aux partenaires, ils l'aident à en retenir une qu'il enseigne aux deux autres.

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La trame est la suivante : une suspension, un relâchement, un déplacement, une reprise de suspension, un nouveau relâchement, un se­cond déplacement, une suspension, un relâ­chement, un déplacement. Soit : (S 1 R1 D1 ) + (S2 R2 D2) + (S3 R3 D3). (Chacun étant, pour une première étape, l'auteur d'une proposi­tion).

Présentation de la composition

Les choix étant faits, chaque groupe montre sa composition, précédée par la séquence impo­sée. Les autres groupes sont spectateurs mais aussi « critiques » il s'agit de s'initier à la per­ception des indices de pertinence.

Bilan

Un bilan est effectué entre élèves et ensei­gnant. Il doit mettre l'accent sur les objectifs à poursuivre en vue d'un affinement et perfec­tionnement du geste dans : les déplacements, les changements de poids du corps, les direc­tions du regard, les lieux d'origine des suspen­sions, leur prolongement, leur durée, les relâ­chements, leur qualité, les transitions d'une action à l'autre, d'un élément à l'autre. Progressivement, au cours de la recherche, l'enseignant donne à toute la classe des infor­mations nouvelles permettant de mieux réali­ser les consignes. Puis, en fonction des réponses de chaque groupe, il différencie les explications, aides, corrections... Ce travail se poursuit au cours des séances et la séquence (SRD) est soumise à deux types de transformations : • Elaboration d'un déplacement d'abord moti­vé par un contact, une poussée ou une traction localisée en un point précis, puis initié par cet­te même partie du corps avec un impact ima­ginaire. • Réduction de la longueur de la séquence au bénéfice de la clarté et de l'approfondissement qualitatif pour aboutir à la trame : (S.R.D.) + (S'R'D').

PREMIÈRE SÉANCE TEST

Ces études débouchent sur une première séance test au cours de laquelle les étudiants présentent par groupes une composition de synthèse dont le début et la fin sont laissés à leur initiative d'après deux consignes : « début » : volume en groupe ; « fin » : en contact. Début 2 pts Séquence imposée (arrière-haut-bas-cercles) (2 pts) x 2 Séquence composée : (S.R.D.)+(S'R'D') (3x 2 pts) x 2 Fin 2 pts - Les critères de notation sont en relation di­recte avec les contenus et les apprentissages développés au cours des séances. La notation qui pour chaque élément va de 0 à 2, de 1/2 pt en 1/2 pt, repose sur quatre cri­tères : - La réponse personnalisée à la trame, clarté des actions (identification, perception des « images » imposées). - La cohérence et la précision de l'enchaîne­ment d'actions (valeur des transitions). - La technique personnelle : adéquation entre l'intention et la réalisation ; (alignement, relâ­chement musculaire, appuis, respiration, pro­longements du geste). - L'interprétation, concentration, conscience du geste, présence (adaptation des consignes à la personnalité et aux aptitudes). Chaque étudiant observe un élément de la combinaison, toujours le même, et note une personne dans chaque groupe.

Critiques A l'issue de cette étape préliminaire, première présentation et évaluation, certains indices sont captés et un certain nombre de critiques sont énoncées. Exemples de critiques : - Les actions se limitent souvent à l'espace avant et aux plans sagittal ou frontal.

- Faibles différences entre les niveaux haut et bas dénotant un manque de technique dans les « pliés » et un manque de coordination globa­le du corps. - Manque de contrastes et d'amplitude dans toutes les phases de la présentation. - Les actions sont discontinues, mécaniques. Les mouvements ne sont ni complètement ter­minés ni prolongés. - Une dynamique uniforme et un manque de fluidité musculaire et articulaire donnent une impression de mouvement gymnique. - On ne perçoit pas de continuité entre le ges­te et son inscription scénique. - La tète et les épaules restent figées. - Manque de respiration et de rythme orga­nique du mouvement. - Transitions mal définies. - Trop d'installations et de gestes parasites oc­cultent l'essentiel. - Chaque action manque d'une définition pré­cise en fonction de tous ses composants. Dans la danse présentée, les qualités de chaque ges­te ne sont qu'ébauchées, esquissées, elles né­cessitent un travail d'épuration et de redéfini­tion. - Les interactions manquent de synchronisa­tion. - Le début et la fin restent indistincts. - Redondances, et actions mal focalisées vers une intention précise (confusion). A la suite de cette critique collective, les com­positions se transforment et les jugements s'élaborent en fonction d'indices de pertinence qui sont autant de repères pour une meilleure évaluation. Les facteurs de définition du geste et de la composition scénique sont multiples ils inter­fèrent de manière complexe. Aussi dans l'étape suivante est noté le proces­sus d'évolution observable par les transforma­tions opérées en fonction des consignes for­mulées pour chaque groupe en particulier.

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REMÉDIATIONS

Suggestions de solutions relatives à : • La structure de la danse (la composition) - Les éléments : mieux mettre en évidence les éléments caractéristiques et significatifs (le nécessaire). Soustraire : supprimer les éléments inutiles, les parasites qui occultent le sujet traité. Affirmer chaque parti pris en fonction de la trame de composition : (suspension, relâche­ment, déplacement), montrer la signification de chaque élément au sein de l'enchaînement. - Les transitions : sources de la logique géné­rale, elles font partie intégrante de la danse. Les intégrer en recherchant la cohérence ki-nesthésique d'un geste à l'autre. - Le début et la fin sont à déterminer comme des moments importants de la danse. • Le corps : l'intention guide l'organisation corporelle - L'attitude : attitude d'« écoute » et de concen­tration par rapport à l'intention du geste. Importance de la « décentration » (2) de l'at­tention qui. au lieu d'être focalisée sur le sujet lui-même (l'égo), est décentrée vers l'objet à décrire et à faire apparaître. Selon l'intention, la décentration se produit vers l'espace, vers l'action des partenaires, vers les moyens de définition du geste. - La disponibilité au mouvement : L'aptitude au relâchement musculaire (mini­mum de blocages et de raideurs). Les extensions périphériques du geste, (ses prolongements). L'intégration de la tête au mouvement. L'orientation et la définition du regard. La respiration, le mouvement organique. • Le poids : amplifier les pliés, préciser l'ali­gnement des appuis, chercher à les intercon­necter avec les relâchements de la tête et du buste. Utiliser les « swings » ou balancements pour favoriser les relâchements de la tête et du buste. Apprendre à « lâcher prise ». • L'espace : espace scénique : insister sur la valeur scénique des déplace­ments, traduire leur inscription en volumes ou en traces linéaires, marquer les contrastes d'amplitude dans les trois dimensions. Mettre en évidence les prolongements virtuels du mouvement (au-delà du geste). • Le temps : chaque geste dont la durée intrin­sèque n'est pas déterminée, reste vague et flou. D'où la nécessité de définir la valeur tempo­relle du geste, considérer certains rapports à la musique, nuances de durées. La justesse du mouvement dépend en grande partie de la pré­cision de sa structure temporelle. • Les intensités : alterner action et non action, éviter de tout situer sur un même registre d'in­tensités. Les définir dans leurs contrastes, leurs graduations, elles dépendent du contrôle des forces mobilisées, mais aussi d'autres fac­teurs plus personnels appartenant au registre de l'« énergie ». Exploiter les impulsions et intensités de la musique. • Les interactions : les schémas d'interactions se dessinent dans l'espace scénique. La même trame de base est traitée en duos, trios, qua­

tuors, les modalités d'alternance de rôles sont plus ou moins complexes en fonction du nombre de partenaires. Certains groupes parviennent à attirer l'atten­tion du spectateur par la valeur des rapports interpersonnels. Un jeu collectif s'instaure qui possède sa logique interne. • Les contacts : la sensation du poids et la conscience des surfaces d'appuis dans l'inter­action avec les partenaires, favorisent les en­chaînements selon une cohérence « orga­nique ». Les étudiants de chaque trio, après avoir reçu des critiques particulières adaptées à leurs cas, transforment et font évoluer la composition.

Progression au long du cycle

Au début de la progression, les consignes re­latives aux actions demandées sont ration­nelles, elles appartiennent au monde phy­sique, observable, mesurable. Les effets sont mis en rapport direct avec les causes. Une ex­plication purement anatomique, spatiale, tem­porelle, mécanique, suscite des représenta­tions subjectives. Progressivement, au cours d'une meilleure analyse de chaque action ou combinaison d'actions, un investissement in­dividuel d'un autre type se produit. Les réfé­rences se complexifient ouvrant vers une di­mension poétique. De nouvelles images, éma­nant de traitements personnalisés, se substituent aux schémas initiaux présentés par l'enseignant. Plus les actions sont approfon­dies d'après une même idée, plus les synthèses personnelles interpellent la subjectivité et l'in­tériorité. Par conséquent plusieurs niveaux d'évaluation se succèdent en passant par les étapes rationnelles qui ne sont pas limitatives.

Elles ne sont que des repères passagers dans un cheminement à long terme.

Vers le mouvement signifiant

Pour que le mouvement devienne lentement synthèse, on insiste donc sur le développe­ment et l'approfondissement d'un matériau très cerné mais susceptible de divergences et d'interprétations personnelles. On perçoit en­core les difficultés de concentration, de réali­sation, une inadéquation entre l'intention et le résultat. Pourtant parfois, on voit émerger, s'esquisser, certains instants privilégiés, où l'intention se révèle en substance visible, leur multiplication, conduira progressivement vers une présence, vers une matière dansée. La poursuite de ce type d'expérimentations du mouvement est fondamentale dans l'optique d'un progrès pour une plus haute intelligibilité et un véritable impact à l'égard de l'observateur. A la suite de ces séances, les étudiants sollici­tés pour établir le projet de la deuxième partie du cycle, ont souhaité s'orienter vers la pré­sentation d'un « libre ». La seconde étape sera à la fois une application et un prolongement personnalisé de cette étude liminaire.

Nicole Guerber-Walsh, Professeur, UFR STAPS

Université d'Orsay.

(1) « Détournements » : variations autour d'un thème, dériver, changer le sens d'un contenu. Jacques Gar-nier utilisait ce terme à propos des transformations qu'il opérait à partir du répertoire. Cf. interview Jacques Garnier EPS n° 222 p. 75 à 79. (2) Décentration : cf. concept défini par Alwin Nikolaïs in EPS n° 205 p. 50 à 53. Note : le lecteur pourra se reporter utilement à l'ou­vrage : « Danse » coll. l'Ecole aux Associations. M. Guerber ; Walsh ; Cl, Leray ; A, Maucouvert.

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