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Merete Grevlund Nummer 95 December 1981 L'Amérique de Chateaubriand Romansk 1 nstitut Kebenhavns Universitet Njalsgade 78-80 2300 Kbh. ·S ________ ___ . __, , ,...,. ______ ., K 0b·::::nh )\' RC 'i it .f., Gebyr 5,00 kr.

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Page 1: Institut for Engelsk, Germansk og Romansk – Københavns … · 2020-06-06 · 93. Ole· Hjordt-Vetlesen: Forskelle og ligheder pâ ruma!nske sprog lyd. 94. Vibeke Grubbe: Juan Goytisolo:

De seneste numre af RIDS

68. Marcel Hénaff: Les Âges de la lecture sadienne. 69. Luis Adolfo P. Walter De Vasconcelos: Três estudos portu-

gueses. 7o. Ole Posander: Frie prald.ikater og le participe présent.

71. Gabriele Del Re: La poesia di Dino Campana.

72. Palle Kromann: Den brasilianske haikai. 73, Hans Peter Lund et John Pedersen: Les références de l'oeuvre

de fiction. 74. Finn S0rensen: Orddannelse . og semantik.

75. Jonna Kjœr: Structure mythique et fonction magique. Essai sur le roman courtois.

76. Henrik Prebensen: Prœdikative relativsœtninger i fransk gram­matik.

77. E. Lozovan: D. Cantemir avant les "Lumières".

78 . Henning N0lke: Pragmatisk lingvistik i studiet af fremmed­sprog.

79, Henrik Prebensen: Den franske opinion i 1940: Fyrre millioner pétainister?

80. J0rn Ivar Qvonje: Un emploi spécial du pronom roumain~ et le problème de la particule .fi.

81. Daniela Quarta: "La Traviata Norma". Espressioni formali di una minoranza nel movimento del '77.

82 . José Alegre Peyron: IGLE'3IA: génesis del poder espiritual (siglos I al VI)

83.

84.

85.

86.

87.

Bente Lihn Jensen: Tegnet 'si' pâ moderne italiensk . Et ind­lœg i diskussionen om hvad 'si' er. Oleg Koefoed: 'La Serrure' de Jean Tardieu. Essai d'analyse sémiotique. Marianne Plum : Om artikelsyntaks ved landsnavne pâ italiensk efter di og in. Isabelle Durousseau et Ole Kongsdal Jensen: Perception des erreurs de prononciation . Lis Glebe-M0iler: Hovedtrœk af fransk-amerikanernes historie - en overset minoritetsgruppe i USA.

88. Barbara Melchior: Sagprosa-analyse . 89. Eric Eggli: Histoire de temps, 90. François Marchetti: Pour un supplément au dictionnaire fran-

çais-danois de Blinkenberg et H~ybye.

91. x 2+3xy: PK-grammatik. Et alternativ. 92. Eugène Lozovan: Cantemir : "Le panégyrique de Pierre le Grand" .

93. Ole· Hjordt-Vetlesen : Forskelle og ligheder pâ ruma!nske sprog­lyd .

94. Vibeke Grubbe: Juan Goytisolo: Makbara (1980), en neoanarkis­tisk noma deutopi .

95. Merete Grevl und: L'Amérique de Chateaubriand.

,t.TLA.5 BOGTRYIC.Or:l"SCT KeB ENHA'IN:

Merete Grevlund

Nummer 95 December 1981

L'Amérique de Chateaubriand

Romansk 1 nstitut Kebenhavns Universitet

Njalsgade 78-80 2300 Kbh. ·S

___________ .__,,,...,. ______ ., K0b·::::nh )\' RC'i i t .f.,

Gebyr 5,00 kr.

Page 2: Institut for Engelsk, Germansk og Romansk – Københavns … · 2020-06-06 · 93. Ole· Hjordt-Vetlesen: Forskelle og ligheder pâ ruma!nske sprog lyd. 94. Vibeke Grubbe: Juan Goytisolo:

Chateaubriand à cinquante ans. Buste en terre

cuite par David d'Angers.

L'AMERIQUE DE CHATEAUBRIAND. ===========================

Introduction.

Quand Chateaubriand eut la volonté d'écrire, il conçut l ' idée

d ' une histoire américaine et lui donna un début d'exécution. Il

faut partir de là, d'avant le voyage en Amérique de 1791, et

"remonter" ensuite vers les Mémoires d'Outre-Tombe en ménageant

les étapes.

3

Pendant un demi-siècle, en effet, l'image de l'Amérique ne

disparaît jamais des livres de Chateaubriand . Si l'on pouvait

arriver à la dégager dans ses dimensions successives,elle devrait

fournir un accès privilégié à l'ensemble de ! ' oeuvre, et même

quelques éléments pour l'histoire littéraire entre Lumières et

Romantisme.

Nous avons voulu enquêter sur ces possibilités, et il en est

résulté la présente esquisse d'un cheminement en cinq étapes:

I - Premiers essais littéraires. Le voyage en Améri­que (1791).

II - La littérature de l'exil. L'Essai sur les Révolu­tions (1797) .

III- Le moment d'Atala (1801-1802).

IV - Le bilan ~es OEuvres complètes (1826-1831).

V - Le thème américain dans les Mémoires d ' Outre-Tombe (livrés au public à partir de 1848) .

Ce découpage ne va pas sans arbitraire et artifice: il aurait

pu (dû?) être autre et plus fin; il laisse dans l'ombre de vas t es

versants de !'oeuvre; il ~envoie à une chronologie trompeuse,

puisque par exemple les Mémoires d ' Outre-Tombe étaient largement

rédigés avant la publication des OEuvres complètes, etc.

on peut répondre à ces objections .

Il est devenu clair pour nous, après nos lectures, que les

images et méditations qui se rattachent au Nouveau Monde von t

au-delà de la seule Amérique pour s'inscrire dans une réf lexion

permanente sur le monde et son histoire, sur le moi dans le mon­

de . Il est vrai que cette réflexion n'a pas eu, dans la vie et

dans ! ' oeuvre, la suite et la netteté que nous lui donnons ici,

que ses différents moments se sont confondus, superposés, con -

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4

currencés ... Il n'en est que plus nécessaire de mettre en lu­

mière la dialectique qui l'inspire et d'identifier, à partir de

l'exemple américain, les grandes étapes d'une pensée qui s'est

longuement cherchée. Pour ce faire, une chronologie approximative peut suffire et

doit même être préférée. Il sera facile.~ par la suite, d'étoffer

et de diversifier les résultats de notre investigation, notamment

en couvrant les périodes qui ont été ici laissées pour compte,

parce que l'Amérique n'y apparaît qu•épisodiquement, comme souve­

nir et référence.

I

Dans la première préface d'Atala (1801), Chateaubriand fait état

d'un ancien projet de narration épique où se serait exprimée sa

première ambition littéraire:

5

J ' étais encore très jeune, lorsque je conçus l'idée de faire l•épopée de l'homme de la nature, ou de peindre les moeurs des Sauvages, en les liant a quelque événe­ment connu. Après la découverte de l'Amérique , je ne vis pas de sujet plus intéressant, surtout pour des Français, que le massacre de la colonie des Natchez à la Louisiane, en 1727 . Toutes les tribus indiennes conspirant, après deux siècles d'oppression, pour rendre la liberté au Nouveau-Monde, me parurent offrir au pinceau un sujet presque aussi heureux que la conquête du Mexique. Je jetai quelques fragments de cet ouvrage sur le papier; mais je m'aperçus bientôt que je manquais des vraies couleurs, et que si je voulais fa ire une image semblabl e il fallait, à l'exemple d'Homère, visiter les peuples que je vou l ais peindre (1).

"je jetai quelques fragments de cet ouvrage sur le

papier .. . "

Les spécialistes de Chateaubriand s'accordent depuis plus de

quarante ans (2) à penser qu'il dit vrai et que le grand ouvrage

entrevu fut ébauché dès 1787 ou 1788. Mieux, ils croient retrouver,

à l'intérieur des Natchez, ce noyau générateur du thème américain!

Ce noyau a connu entre 1788 et 1826, date de publication des Nat­

chez, bien des tribulations (3), et il peut paraître hasardeux de

vouloir le repérer dans le corps narratif des Natchez . Le fait

est qu'il se détache clairement pour former exactement l ' histoire

de l'Indien Chactas, telle que les premiers lecteurs d ' Atala

avaient pu l'entrevoir dès 1801, par ce résumé placé au "pro­

logue":

---Il y avait parmi ces Sauvages un vieillard nommé Chactas, qui, par son âge, sa sagesse, et sa science dans les choses de la vie, était le patriarche et l'amour des déserts. Comme tous les hommes, il avait acheté la vertu par l'infortune . Non seulement les forêts du Nouveau­Monde furent remplies de ses malheurs, mais il les porta jusque sur les rivages de la France. Retenu aux galères à Marseille par une cruelle injustice, rendu à la liber­té, présenté à Louis XIV, il avait conversé avec les grands hommes de ce siècle, et assisté aux fêtes de Ver­sailles, aux tragédies de Racine, aux oraisons funèbres

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de Bossuet: en un mot, le Sauvage avait contemplé la société à son plus haut point de splendeur (4).

C ' est le récit de ce voyage en France qu'on croit rédigé dès

1788 par un Chateaubriand de vingt ans. Son premier texte •améri­

cain" serait ainsi un ''Chactas à Versai;les", comme il y en avait

tant eu au XVIIIe siècle, et lè drame d~amour dans le désert ra­

conté dans Atala relèverait d'une invention nettement postérieure.

Rien n'est plus vraisemblable au fond, et le texte tel qu'il sub­

siste parait encore très "ancienne France", comme on pourra s'en

persuader par un fragment ou deux, choisis entre cent.

Sur la demande de René, Chactas a entrepris le récit de son

voyage en Europe (5):

Ses paroles étaient toutes naïves; il y mêla une sorte d'aimable enjouement; on eût dit que, par une délica­tesse digne des grâces d'Athènes, ce Sauvage cherchait à rendre sa voix ingénue, pour adoucir aux oreilles de René l'histoire de l'injustice des Français (6).

L'épisode de Chactas au bagne est particulièrement instruc­

tif. Voici d'abord le discours d'un ''frère de chaines",un Fran­

çais nommé Honfroy:

---Chactas, tu es un Sauvage.et je suis un homme civilisé . Vraisemblablement tu es un honnête homme, et moi je suis un scélérat. N'est-il pas singulier que tu arrives ex­près de l'Amérique pour être mon compagnon de boulet en Europe, pour montrer la liberté et la servitude, le vice et la vertu, accouplés au même joug? Voilà, mon cher Iroquois, ce que c'est que la société . N'est-ce pas une très belle chose (7) ?

Ce thème est encore développé dans le tableau allégorique de

Chactas racontant des histoires de son pays nat a l:

Le soir , après le travail, mes compagnons s ' assembl ­aient autour de moi, et me demandaient des histoires de mon pays. J e leur disais comment nous poursuivions les élans dans nos forêts, comment nous no us plaisions à · errer dans la solitude avec nos femm es et nos enfants. A ces peintures de la liberté, je voyais des pleurs couler sur toutes les mains enchainées. Les galériens me racontaient à leur tour les diverses causes du châtiment qu'ils é prouvaient. Il m'arriva à ce sujet une chose bi­zarre: je m'imaginai que ces malfaiteurs devaient être les véritables honnêtes gens de la société, puisqu'ils me semblaient punis pour des choses que nous faisions tous les jours sans crime, dans nos bois (8).

7

On le voit,·pour raconter cette histoire faussement naïve, il

n'est pas nécessaire d ' avoir voyagé: il suffit d ' avoir lu par

exemple les Dialogues curieux de M. le baron de Lahontan et d ' un

Sauvage de bon sens qui a voyagé (1704), ou les Lettres persanes

(1721), ou l'Ingénu (1764), ou le Supplément au Voyage de Bou­

gainville (1772) . ..

C'est ainsi que cette histoire d'un Chactas venu "exprès de

l'Amérique'' parait toute caduque dès 1788, date supposée de sa

rédaction. Elle s'explique bien à cette date, toutefois, mais on

ne voit pas que l'auteur eût pu en avoir la première idée après

son voyage - et après la chute de la monarchie!

Nous pouvons donc conclure sans grand risque que Chateaubriand

n'a d'abord vu de l'Amérique que son côté "sauvage '' , idéalisé

dans le goût du XVIIIe siècle pour former une frappante anti­

thèse à l 'état de société en Europe.

Cette opposition, toutefois, ne semble pas insurmontable dans

une perspective d'avenir, puisque Fénelon { !) peut tenir à Chac­

tas le discours suivant:

--- Ne vous irritez donc point contre cette civilisa­tion qui appartient à notre nature, contre une civi lisa­tion qui peut-être un jour envahissant vos forêts, les remplira d'un peuple où la liberté de l'homme policé s ' unira à l'indépendance de l ' homme sauvage (9) .

La vision première, fruste et datée, est ainsi enrichie d'une

espérance qui préfigure l ' idée que Chateaubriand se fera bientôt

des Etats Unis de Washington. Sur ce point, les témoignages écrits

font défaut, et l'on doit s'interdire, me semble-t-il, de puiser

dans l ' Essai sur les Révolutions , le Voyage en Amérique et les

Mémoires d'Outre - Tombe qu i fo nt état, mais bien plus tard, de la

fascination exercée sur Chateaubriand et sa génération par la na­

tion qui venait de naitre de la Guerre d'Indépendance. Contentons­

nous donc de rappeler ici le très grand désir qu'eut le jeune

homme de rencontrer le président Washington. Ce désir est at­

testé par la lettre d'introduction qu'il avait obtenue de ce

marquis de La Rou~rie qui avait combattu du cô té des " Insurgen ts".

Elle est datée du 22 mars 1791:

-- - M. le chevalier de Combourg, gentilhomme de l'Etat de Bretagne , mon voisin, s'en va dans l ' Amérique du Nord. Ce voyage a pour but, à ce que je crois, d ' en-

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richir son esprit par l'active contemplation d'un pays si heureux, si capable d'émouvoir; il veut aussi donner à son âme la satisfaction de voir l'homme extraordinaire et ces respectables citoyens qui se sont fait conduire par la vertu au travers de la lutte la plus difficile, et l'on prise ensuite comme principale conseillère quand ils ont fondé leur liberté et commencé à en jouir (10).

Au seuil de sa carrière, Chateaubriand reconnaissait donc à

l'Amérique un double prestige, puisqu'il pensait trouver dans les

bois la liberté naturelle, et, dans les villes, une société mo­

derne fondée sur la vertu civique. Son voyage fut certainement

entrepris avant tout comme un voyage "philosophique".

II

La littérature de l'exil. L'Essai sur les Révolutions (1797). -----------------------------------------------------------

C'est en nous intéressant à la production littéraire de

l'exil que nous pouvons découvrir en quoi la réalité du pays ren­

contré a dérangé et fait évoluer les idées préconçues du voyageur.

A Londres, Chateaubriand mène de front deux vastes entreprises:

D'une part, il compose son manuscrit américain (voir note 3),

magma fécond, d'où sortiront avec le temps Atala, René, de nom­

breuses pages du Génie du Christianisme, le Voyage en Amérique,

les Natchez. D'autre part, i l entreprend dès 1793 un grand ouvrage

d'histoire politique qui sera publié à Londres e n 1 797.

X X X X

Pour ce qui est du manuscrit américain, le projet d'écrire

l'épopée de l'homme de la nature a tourné à une "sorte de roman"

(voir note 3), se lon l 'expression de Chateaubriand lui-même. Nous

savons qu'il s'efforce vainement , en 1797, de faire publier un

manuscrit intitulé René et Céluta; d'autre part, il caresse l'idée

de publier plus tard, quand il sera rentré en France, une hi­

stoire appelée les Sauvages. On croit , dans l'éta t actuel des re-

9

cherches, que l~ roman américain - qui ne porte donc pas encore le

nom des Natchez - se présentait à l 'époque comme une histoire prin­

cipale (René et Céluta), autour de laquelle se rangeaient les ré ­

cits annexes des amours de Chactas et d'Atala, du voyage de Chac ­

tas en France, de la jeunesse européenne de René. Les lecteurs ne

connaîtront jamais ces récits que sous des formes assagies: une

Atala "chrétienne" ( 1801); un René offert en exemple du malheur

des passions, à l'intérieur de Génie du Christianisme (1802) ;

les Natchez, enfin, partiellement corrigés en épopée néo-clas­

sique (1826).

Toute interprétation du roman de Londres demeurera donc en­

tachée d'incertitude à cause du caractère composite des textes

que nous connaissons, nous l'avons déjà souligné à propos du

voyage de Chactas en Europe. Cela n'a pas empêché Pierre Barbé-

ris d'étudier les Natchez à leur date d'origine, dans un be l effort

pour rendre à l 'unité le grand roman indien démembré (11 ). En le

suivant dans son admirable et périlleuse entreprise, on se per­

suade que le monde sauvage n ' est plus, en 179 7 , ce qu'il était

dans le projet primitif:

- --les Natchez ont vraiment accompli, écrit la promesse du premier proje t ma is en le déschématisant, en le dé­mécanisant. Les sauvages ne sont plus artificiellement et superficiellement corrompus pas l es Blancs et ils n ' opposent nullement à la corruption ou à la misère une nature et un bonheur idyllique à vocation pédagogique; corrompus, ils le sont en profondeur, dans leur manière d ' être et de fonctionner en tant que figures de roman. Le colonialisme et la colonisation ne jouent pas qu ' au niveau de quelque sommaire exploitation mais à celui d'une perversion profonde des rapports (12) .

Cette interpréta tion es t d'autant plus vraisemblable qu'elle

se trouve corroborée et complétée par ! 'Essai sur les Révolutions

qui, lui, offre à la même date un texte sûr, permettant de situer

les réalités américaines, tant sauvages que "policées".

X X X

X

Dans l ' introduction, nous trouvons une déclaration très per­

sonelle, destinée à inspirer confiance aux lec t eurs . L'expérience

américaine y figure en bonne place:

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10

---Si celui qui, dévoré de la soif de connaître, s'est arraché aux jouissances de la fortune pour aller au-delà des mers contempler le plus grand spectacle qui puisse s'offrir à !'oeil du philosophe, méditer sur l'homme libre de la société, placés l'un près de l'autre sur le même sol ( ... ) si un tel homme, dis-je, mérite quelque confiance, lecteurs, vous le trouvez en moi ( 13) .

on retrouve là les premières idées de Chateaubriand, et le

Nouveau Monde apparaît une fois de plus comme un modèle de so­

ciété capable de concilier état primitif et état civilisé sous

l'égide de la liberté. C'est en cela, en somme, qu'il est nouveau.

Il était tout naturel qu'un ouvrage théorique comme l'Essai (14)

mette à contribution l'exemple de la jeune république américaine.

Dans la série de comparaisons prévues entre la révolution fran­

çaise en cours et les révolutions de l'histoire tant ancienne que

moderne, "l'érection des Etats-Unis de l'Amérique en nation lib­

re" (15) devait fournir la dernière des révolutions modernes et

donc l'argument ultime en fa veur de la thèse de l'auteur. Celle-ci

veut, on s'en souvient, que les changements de régime (de monar ­

chique en républicain ou l'inverse) obéissent à un certain nombre

de principes permanents, chaque forme de gouvernement ayant des

coordonnées précises dans l'ordre moral (comme chez Montesquieu).

Malheureusement, l'Essai n'ira pas au-delà des deux premières

révolutions anciennes, et les pages sur l'Amérique sont vaine­

ment attendues. Pas tout à fait, cependant, puisqu'il est fré­

quemment fait référence à l'expérience américaine et que l ' ouvrage

accueille même, en marge de l'argument historique, politique et

mora1,quelques échantillons du "manuscrit américain". Finalement,

l'Essai fait donc quand même notre affaire en nous renseignant

sur ce que sont devenues les belles images de l'Amér i que.

En ce qui concerne l'Amérique sauvage, on trouve plusieurs

passages qui célèbrent la bonté et l'indépendance de l'homme de

la nature. Voici, à titre d'exemple, la première rencontre avec

la grande forêt:

Dans l'espèce de délire qui me saisit, je ne suivais au­cune route; j'allais d'arbre en arbre, à droite et à gauche indifféremment, me disant en moi-même: "lei, plus de villes , plus d'étroites maisons, plus de Présidents, de Républiques, de Rois, surtout plus de Lois, et plus d'Hommes. Des Hommes? si: quelques bons Sauvages qui ne s'embarrassent de moi, ni moi d'eux; qui, comme moi en­core, errent libres où la pensée les mène, mangent quand ils veulent, dorment où et quand il leur plaît."

11

Et pour essayer si j 'étais enfin rétabli dans mes droits originels, je me livrais à mil le actes de volonté, qui faisaient enrager le grand Hollandais qui me servait de guide, et qui, dans son âme, me croyait_~o~. . .

Délivré du joug tyrannique de la societe, Je compris alors les charmes de cette indépendance de la na ture , qui surpassent de bien loin t ous les plaisirs dont l' homme civil peut avoir l'idée. Je compris pourquoi pas un Sau­vage ne s'est fait Européen, et pourquoi plusieurs Euro­péens se sont faits Sauvages; pourquoi le sublime Dis­cours sur l'inégalité des conditions,est si peu entendu de la plupart de nos philosophes (16).

C'est Rousseau dans la forêt de Saint-Germain( !?) !

Il faut lire aussi et surtout la séquence sur les trois âges

de la Scythie et de la Suisse, où le Scythe de ! 'Antiquité est

assimilé par Chateaubriand au Sauvage américain:

Ainsi je l'ai vu sous les érables de l'Erié, ce favori de la nature qui sent beaucoup et pense peu, qui n'a d'autre raison que ses besoins, et qui arrive au résultat de la philosophie comme l'enfant, entre les jeux et le sommeil. Assis insouciant, les jambes croisées à la porte de sa hutte, il laisse s'écouler ses jours sans les compter (18).

La vie sauvage échappe ainsi à l'histoire. C'est même sa prin ­

cipale attraction pour Chateaubriand, on s'en rend compte chaque

fois que la représentation convenue dérive vers la méditation

personnelle: •on dit que le Sauvage ignore la douceur de la vie.

Est-ce l 'ignorer que de n'obéir à personne? que d'être à l'abri

des révolutions(l9)?"

Dans l'Essai, toutefois, cette image du "premier âge " sert

surtout de référence mythique, et l 'état de bonheur primitif est

tôt relayé par un âge de philosophie d'abord, de corruption en­

suite: •à peine a-t-on le temps de sourire que les yeux sont déjà

pleins de larmes " (20). Les indigènes réellement rencontrés sont

qualifiés de "hordes qui vaguent dans les forêts du Nouveau-Mon­

de" (21), également loin de l ' état de nature et de l'état de civi ­

lisation . La première représentation de la vie sauvage se révèle

ainsi une vue de l'esprit ... des Lumières, le bonheur dans la

nature, un leurre.

Avec émotion, Chateaubriand consacre les pages finales de

!'Essai à décrire l ' hospitalité reçue chez les sauvages du Nia­

gara . Il croit lire, dans le coeur d'un jeune hom me taciturne,

"l'histoire de tous les maux dont les Européens ont accablé sa

patrie" (22), et adresse aux vainqueurs blancs des reproches

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12

pleins d'amertume:

Ces mêmes Sauvages que nous avons poursuivis avec le fer et la flamme; à qui notre avarice ne laisserait pas même une pelletée de terre, pour couvrir leurs cadavres, dans tout cet univers, jadis leur vaste patrimoine; ces mêmes Sauvages, recevant leur ennemï sous leurs huttes hospita­lières partageant avec lui leur misérable repas, leur couche' infréquentée du remords,et dormant auprès de lui du sommeil profond du juste! ces vertus-là sont au­tant au-dessus de nos vertus conventionnelles, que l'âme de ces hommes de la nature est au-dessus de celle de l'homme de la société (23).

Quand la famille indienne s'éloigne le lendemain matin , c'est

une certaine Amérique qui disparaît pour toujours:

---nous nous quittâmes tous le coeur plein les uns des autres. Nos amis prirent leur route au nord, en se diri­geant par les mousses, et nous à l'ouest, par ma boussole. Les guerriers partirent devant, poussant le cri de marche; les femmes cheminaient derrière, chargées des bagages, et des petits enfants qui, suspendus dans des fourrures aux épaules de leurs mères, se détournaient en souriant pour nous regarder. Je suivis longtemps des yeux cette marche touchante et maternelle, jusqu'à ce que la troupe en­tière eût disparu lentement entre les arbres de la forêt (24).

La rencontre avec la société blanche des Etats Unis se solde

elle aussi par une déception, quoique naturellement dans un autre

registre:

sur la foi des livres et des intéressés, au seul nom des Américains, nous· nous enthousiasmons de ce côté-ci de l'Atlantique. Nos gazettes ne nous parlent que des Romains de Boston et des tyrans de Londres. Moi-même, épris de la même ardeur, lorsque j'arrivai à Philadel­phie, plein de mon Raynal , je demandai en grâce qu'on me montrât un de ces fameux Quakers, vertueux descendants de Guillaume Penn . Quelle fut ma surprise quand on me dit que, si je voulais me faire duper, je n'avais qu'à entrer dans la boutique d'un Frère; et que si j'étais curieux d'apprendre jusqu'où peut aller l'esprit . d'in~ térêt et d'immoralité mercantile, on me donne rait le spectacle de deux Quakers, désirant acheter quelque cho­se l'un de l'autre, et cherchant à se leurrer mutuelle-

ment ( .. . ) Chaque jour voyait ainsi, l'une après l'autre, se dis-

siper mes chimères, et cela me faisait grand mal (25).

Loin de régénérer l'état de société, la république de Was­

hington est accusée de reproduire sur le sol américain les vices

de l'Europe:

13

Quoi! Ll faudra que je tolère la perversité de la société parce ce qu'on prétend ici se gouverner en république ' p~utôt qu'en monarchie; là, en monarchie plutôt qu ' en republique (26)?

Le voyage en Amérique a tourné à la désillusion: ni les sau­

vages ni les civilisés n'ont pu répondre à l'att ente du voyageur.

Les indigènes ne sont pas plus des bons sauvages dans le style de

Rousseau que les colons, des citoyens républicains à l'antique.

Tels qu'ils sont, ils brisent les modèles et bloquent l 'observa­

teur dans une attitude de peine et de refus; il ne s ' agit plus

désormais de contempler "le plus grand spectacle qui puisse s'of­

frir à l'oeil du philosophe", mais, tout au contraire, de con­

damner la révolution américaine qui, sortie de la légalité, a en­

traîné la France à sa perte:

La France, séduite par le jargon philosophique par l'intérêt qu'elle crut en retirer, par l'étroite passion d'humilier son ancienne rivale, sans provocation de l'Angleterre, viola, au nom du genre humain le droit sacré des nations. Elle fournit d'abord des' armes aux Américains, contre leur souverain légitime et bientôt se déclara ouvertement en leur faveur. Je ~ais qu ' en subtile logique, on peut argumenter de l'intérêt géné­ral des hommes dans la cause de la liberté; mais je sais que, toutes les fois qu'on appliquera la loi du Tout à la Partie, il n'y a point de vice qu'on ne parvienne à justifier. La révolution américaine est la cause immé­diate de la révolution française. La France déserte noyée de sang, couverte de ruines son roi conduit à l'échafaud, ses ministres proscrits ou assassinés prouvent que la justice éternelle, sans laquelle tout périrait en dépit des sophismes de nos passions, a des vengeances form idables (27).

Si l'image de l' Amérique , telle qu'elle est donnée à lire dans

l'Essai, a les contours brouillés, c'est qu'elle atteste finale ­

ment une impasse idéologique dont il n'est pas au pouvoir du j e une

émigré de sortir. En attendant que sa pensée théorique mûrisse -

et que l'histoire se fasse - Chateaubriand atteindra la g loi re en

lançant sur le marché français le bref roman d'Atala ou les Amours

de deux sauvages dans le désert.

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14

III

Le moment d'Atala (1801-1802).

C'est ici le lieu de le répéter: si l'on part, comme nous

l'avons fait, du projet d'écrire "l'épopée de l'homme de la na­

ture", le premier roman de Chateaubriand qui présente un texte

sûr, l'Atala de 1801, est déjà bien éloigné du point de dép ar t .

Bien que publiés en .1826 seulement, les Natchez nous ont ren­

seignée sur l'inspiration primitive de l'auteur, puisque le récit

fait par Chactas de son voyage en Europe nous permet de.nous faire

une idée de la première Amérique de Chateaubriand (voir ci-dessus).

Ensuite, la lecture ''archéologique" des Natchez,tentée par

Pierre Barbéris, a su dégager une deuxième image se superposant à

la première à l'intérieur même du roman. C'est celle d'un Nouveau

Monde aux prestiges bien dégradés, telle qu'on la trouve égale­

ment en marge de l'Essai sur les Révolutions, publié pendant l'exil

en Angleterre (voir ci-dessus).

Atala constitue ainsi une sorte de troisième niveau dans

!'oeuvre d'imagination de Chateaubriand. on verra que la leçon

d'histoire reçue en Amérique est à la base de cette création ro­

manesque. Relisons:

---On trouvera peut-être dans la femme que j'ai cherché à peindre, un caractère assez nouveau. C'est une chose qu'on n'a pas assez dévéloppée, que les contrariétés du coeur humain: elles mériteraient d'autant plus de l'être , qu'elles tiennent à l'antique tradition d'une dégrada­tion originelle, et que conséquemment elles ouvrent des vues profondes sur tout ce qu'il y a de grand et de mystérieux dans l'homme et son histoire (28).

S'éclaire ainsi l'incidence du voyage sur la création du ro­

man moderne: Chateaubriand avait cru trouver en Am érique des hom­

mes et des institutions d'un autre temps ou hors du temps; il

avait été déçu à la fois par une population indigène, déracinée et

marginalisée, e t par les habitants blancs, ternis par tous les

compromis de la société d'argent. Or, en revenant de force dans

l'histoire de son temps , le voyageur revient aussi à "l'antique

tradition d'une dégradation originelle" et s'y installe pour

étudier "les contrariétés du coeur humain'' . Qu'il veuille parler

alors du d éclin de l 'humanité comme décrit par Rousseau ou,plus

15

vraisemblablement, de la malédiction qui est censée peser sur le

genre humain depuis le péché originel , cela n'importe guère.

L'essentiel est de noter le lien, clairement exprimé, entre une

certaine vision pessimiste de l'histoire et une certaine concep­

tion du roman. Chateaubriand nous introduit ici à son premier

personnage- et à tous ses personnages - victimes d'une histoire

devenue folle, divisés d'avec eux-mêmes.

L'Amérique qui avait tant déçu va ma intenant connaître une

assez étonnante r écupération dans le registre descriptif et lyri ­

que. Celui qui était allé chercher de la couleur locale - les

"vraies couleurs'' - pour son épopée un peu abstrai t e, a su trouver

mieux: une nature qui puisse symboliser sa perception neuve de

l'homme moderne et du monde où il doit vivre.

Le procédé était déjà sensible dans !'Essai sur les Révolu­

tions, par exemple dans l'éloge de la botanique qui figure au

chapitre dédié "aux infortunés"; tout en les rappe lant, il est

fort loin des promenades solitaires de Rousseau :

--- Je recommanderais particulièrement l'étude de la bo­tanique, comme propre à calmer l'âme en détournant les yeux des passions des hommes, pour les porter sur le peuple innocent des fleurs. Armé de ses ciseaux, de son style, de sa lunette, on s ' en va tout courbé, longeant les fossés d ' un vieux chemin, s'arrêtant a u massif d ' une tour en ruine, aux mousses d'une antique fontaine, à l'orée septentrionale d'un bois; ou peut-être on par­court des grèves que les algues festonnen t de leurs grands falbelas frisés et couleur d ' écaille fondue. Notre botanophile se plaît à rencontrer la t u l ipa silvestris qui se retire comme lui sous les ombrages les plus soli­taires (---) Enfin il recherche de préférence dans ce règne aimable, les plantes qui, par leurs accidents, leurs goûts, leurs moeurs, entretiennent des intelligences se­crètes avec son âme (29 ).

Citons aussi, pour mémoire, la fin de la celèbre ' 'nuit chez

les sauvages de l 'Amérique" où les émotions de l ' explorateur sont

portées à l'échelle américaine:

--- dans ces pays déserts, l'âme se plaît à s ' enfoncer, à se perdre dans un océan d'éternelles forêts ; elle aime à errer, à la c larté des étoiles, aux bords des l acs im­menses, à planer sur le gouf fre mugissant des terribles cataractes, à tomber avec la masse des ondes, et pour ainsi dire à se mêler, à se fondre avec toute une nature sauvage et sublime (30).

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Les romans américains cultiven t systématiquement de telles

équivalences, appelées désormais "harmonies" . Elles per mettent à

la fois de personnaliser le cadre naturel et de répercuter le drame

humain. La première promenade "presque muette" de Chactas et d'Atala

fournit un exemple délicat de cette mobilisation de la nature au­

tour d ' une jeune espér ance:

un regard, tantôt levé vers le ciel, tantôt attaché à la terre, une oreille atten tive au chant de l'oiseau, un geste vers le soleil couchant, une main tendrement serr ée, un sein tour à tour palpitant, tou r à tour tranquille, les noms de Chactas et d ' Atala doucement répétés par in­tervalle . . . Oh! première promenade de l ' amour.(31) ...

Des passages plus somptueux décrivent la passion pendant

l'orage, la confession, la mort et les funérail l es d'Atala (32) .

Il est entendu que cette poésie tourne facilement au procédé

un peu alambiqué . Le lecteur moderne se lassera vite d ' une cer­

taine métaphorique faussement naïve qui s'étale avec complaisance,

comme dans ce discours de Chactas :

Le vent du midi, mon cher fils, perd sa chaleur en pas­sant sur des montagnes de glace. Les souvenirs de l'amour dans le coeur d'un vieillard sont les feux du jour ré­fléchis par l'orbe paisible de la lune, lorsque le soleil est couché et que le silence plane sur les huttes des Sauvages ( 3 3) .

De tels passages ne doivent nous gâcher ni la promenade en

forêt citée plus haut, ni tel pastiche gentil du Cantique des can­

tiques: Mila a les yeux d'une hermine et la chevelure légère d'un champ de riz; sa bouche est u n coquillage rose, garni de perles; ses deux seins sont comme deux petits chevreaux sans tache, nés au même jour d'une seule mère . ( ... ) Ah! laissez-moi devancer les pas du jour sur le sommet des montagnes, pour chercher ma colombe solitaire parmi les chênes de la forêt (34).

Chateaubriand vient ainsi de renouveler pour longtemps l'art

descriptif en l'alliant au romanesque . Si certains détails peuvent

paraitre d'un pittoresque un peu ~ppuyé et 9rétentieux qui a vieilli

pour nous, ils sont rachetés et au-delà par la "chevelure bleue"

du Génie des airs et par cette lune ineffable "dont la lumière

gris de perle descendait sur la cime indét erminée des forêts (35) .

L'ensemble échappe entièrement à la fadeur et à la mièvrerie:

17

Atala meurt, Chactas est rendu à l'errance, le village évangéli­

que du père Aubry est affreusement massacré et le désert recouvre

le b r ef moment humain, encadré d'ailleurs, dans le récit, par deux

"monuments" d e la nature : le Meschacebé et le Niagara (36).

X

X X

Il n'est pas évident, à la lecture, que l'histoire d'Atala

puisse contribuer à l'intention apologétique du Génie du Christia­

nisme. Dans l ' idée de Chateaubriand, les deux petits romans d ' Atala

et de René devaient s'inscrire dans cette défense de la religion

chrétienne, en fournissant ce qu'il appelle des "harmonies de la

religion, avec les scènes de la nature et les passions du coeur

humain " (37).

Or, ils ont l'un et l ' autre appartenu aux Natchez de Londres

avant d'être incorporés dans l'oeuvre de ralliement, et ils portent

encore les marques de leur appartenance à la période sceptique si­

non athée de Chateaubriand. Pour ce qui est plus précisément d'Atala,

il a été publié en avant-première , dès 1801, si bien que l'inten­

tion d'édifier n'a guère pu conditionner la réception du roman;

de surcroit, l'instruction morale s ' exprime surtout dans l ' épilo­

que au récit. C'est l ' auteur, "voyageur aux terres lointaines",

qui parle :

Je vis dans ce récit le tableau du peuple chasseur et du peuple laboureur, la rel i gion, première législatrice des hommes, les dangers de l'ignorance et de l'enthousiasme religieux , opposés aux lumières, à la charité et au véri ­table espr i t de l'Evangile, les combats des passions et des vertus dans un coeur simple, enfin le triomphe du christianisme sur le sentiment le plus fougueux et la crainte la plus terrible, l'amour et la mort (38) .

Même à l ' épilogu e , l a volonté d'édifier est comme annulée par

la conclusion ultime, très belle: le voyageur européen rencontre

près de la cataracte de Niagara l es derniers survivants de la tribu

des Natchez, un jeune couple errànt dont le petit enfant vient de

mour i r . Il s ' agit de la fille de René et de Céluta, et de son mari.

Le voyageur adresse la parole à l'Indien:

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"Frère, je te souhaite un ciel bleu, beaucoup de chevreuils, un manteau de castor, et l'espérance. Tu n'es donc pas de ce désert?" "Non, répondit le jeune homme, nous sommes des exilés, et nous allons chercher une patrie . " En disant ce­la, le guerrier baissa la tête dans son sein, et avec le . bout de son arc, il abattait la tête des fleurs. Je vis qu'il y avait des larmes au fond de cette histoire, et je me tus (39) •••

on reconnaît la scène de la rencontre décrite dans !'Essai

(voir ci-dessus), mais intégrée à l'univers du roman pour revêtir

la plénitude de son sens:

Indiens infortunés que j'ai vus errer dans les déserts du Nouveau-Monde, avec les cendres de vos aieux,vous qui m'aviez donné l'hospitalité malgré votre misère, je ne pourrais vous la rendre aujourd'hui, car j 'erre, ainsi que vous, à la merci des hommes; et moins heureux dans mon exil, je n'ai point emporté les os de mes pères (40).

Le drame un peu frêle d'Atala et de Chactas est ainsi enveloppé

dans le drame plus grand de l'Amérique sauvage, et la fable d'Atala

se révèle solidaire de la conception profondément pessimiste de

l'histoire qui était celle de Chateaubriand pendant l'émigration

en Angleterre. C'est de la même façon un peu extérieure, disons-le en passant,

que les paysages américains qui émaillent le Génie ont été adaptés

à l'optique apologétique. On s'en rend particulièrement bien compte

quand on peut comparer plusieurs rédactions d'un même texte. La

"nuit dans le désert" (voir ci-dessus) est ainsi retravaillée pour

le Génie et accouplée avec un spectacle marin (la "prière du soir

en mer") qui doit faire •reconnâître la beauté de Dieu"; elle est

donc détournée de sa fonction lyrique au profit d'un finalisme à

la Bernardin de Saint-Pierre qui fût très admiré:

---dans ces régions suavages, l 'âme se plaît à s 'enfo ncer dans un océan de forêts, à planer sur le gouffre des cata­ractes , à méditer au bord des lacs et des fleuves, et, pour ainsi dire, à se trouver seule devant Dieu (41).

Le moment du Génie du Chr istianisme reste malgré tout celui

d'une tentative de réconciliation avec le monde, par l'adhésion à

la paix romaine - et à l'ordre politique du Premier Consul. Ainsi

se vérifie une fois de plus l'observation selon laquelle la pre­

mière génération romantique était plutôt de droite malgré ses au­

daces poétiques. Ce qu'une analyse, même rapide, révèle tout de suite

aussi, c'est que ce conservatisme, quand il veut se man i fester dans

19

!'oeuvre, n'ar~ive pas à l'imprégner. Nous ne voulons nullement,

par cette remarque, mettre en doute la "s incérité" des options

de Chateaubriand à cette date, mais simplement faire remarquer

qu'elles tirent son oeuvre vers le passé sans la nourrir en pro­

fondeur.

IV

Le bilan des OEuvres complètes (1826 - 1831) .

C'est au moment de l'édition Ladvocat des OEuvres complètes

(complètes à leur date, il va sans dire), que nous disposons à nou­

veau d'un ensemble de textes permettant un bilan de la question

américaine. Une préface générale et quelques écrits d'histoire dé ­

finissent un nouveau statut et un nouveau prestige pour l'Amérique;

les notes et commentaires qui accompagnent la réédition de !'Essai

sur les Révolutions mesurent le changement opéré dans la pensée de

Chateaubriand depuis 1797; ce qui du "manuscrit américain " restait

encore inconnu est enfin présenté au public, après avoir subi quel ­

ques adaptati ons (42).

X

X X

Une p remière mise au po int est fournie dès la préface:

Quand.on a vu la révolution française, dites-vous, que peut-71.survenir qui soit digne d'occuper les yeux? La pl~s vieille monarchie du monde renversée, l ' Europe tour a tour conquise et conquérante, des crimes inou1s , de~ malhe~rs af~reux recouverts d'une gloire sans exemple: qu Y a-t-il apres de pareils événements? Ce qu' il y a ? Portez _vos regards au-delà des mers. L'Amérique entière sort republicaine de cette révolution que vous prétendiez f inie : et remplace un étonnant spectacle par un spectacle plus etonnant encore (43).

La révolution n'est donc pas finie?

Cela revient à qualifier de périmée la conceptio n cyclique et

répé titive de l'histoire qui a vait autrefois fourni le fondement

théorique de l'Essai sur l es Révolutions. En rééditant cet ouvrage

de sa jeunesse, Chateaubriand dit clairement qu'il a commi9 là une

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erreur de méthode en voulant prouver "qu'il n'y a rien de nouveau

sous le soleil, et qu'on retrouve dans les révolutions anciennes et

modernes, les personnages et les principaux traits de la révolution

française" (44).

Allons plus loin: c'est faute d'avoir su considérer le problème

politique à l'intérieur d'une théorie générale de l'évolution des

sociétés que l'auteur a pu croire la liberté compromise:

___ J'ai toujours raisonné dans l ' Essai d'après_ le s~stème de la liberté républicaine des anciens, ~e ~a liberte, fille des moeurs; je n'avais pas assez reflech~ sur cette autre espèce de liberté, produite par les lumiere~ et la civilisation perfectionnée: la découverte de.la republi­que représentative, a changé toute la q~estion ( .;.) C'est faute d'avoir fait cette distinction, que 1 on ~ voulu, mal à propos, juger les peµples modernes d'.~p~es les peuples anciens, que l'on a confondu deux ~ocietes essentiellement différentes,que l'o~ a rais~nne.dans un ordre de choses tout nouveau, d'apres des verites histo­riques qui n'étaient plus applicables (45).

Dans cette optique, la Guerre d'Indépendance apparaît à nou­

veau comme iustifiée.

L'intervention française aussi:

Louis XVI avait commencé l'application des t~éories inventées, sous le règne de son aîeul .• par les ec~nomistes et les encyclopédistes. Ce prince.honnet~ homme retablit les parlements, supprima les corvees, _amel~ora_le so~t des protestants; enfin le secours qu'il preta a l a re- .. volution d'Amérique (secours injuste selon le d~o~t prive des nations mais utile à l'espèce humaine en general), acheva de développer en France les principes de la liber-té ( 46).

comme à l'époque du grand voyage, l'Am4rique est investie d'une

espérance, celle-là même que Chateaubriand avait placée dans le re­

tour des Bourbons - et que ceux-ci devaient décevoir. L'image de

l'Amérique sert ainsi de support à une vision politique et sociale

qui place Chateaubriand parmi les historiens libéraux de son temps,

contre les "ultras" qui ne· veulent voir dans 1789 que "le fruit

d'une déviation monstrueuse de l'évolution" (47).

X

X X

21

Cette réhabilitation de l'Amérique moderne dans le cadre d 'une

théorie de la perfectibilité ne va pas sans nuire à l' attention

donnée à l'Amérique sauvage, on le voit bien en étudiant le sort de

quelques textes anciens. Il s'agit d'une part de ce qui reste encore

inédit et inconnu du roman indien, à savoir la partie qui raconte

la vie de René dans la tribu des Natchez et son mariage avec Céluta;

d'autre part, d'un amas de notes de voyage, résidu hétéroclite du

"manuscrit américain". Ne voulant pas sacrifier ces " juvéniles",

Chateaubriand les adapte tant bien que mal aux perspectives de

l'édition complète.

Plutôt mal que bien en ce qui concerne le grand fragment de ro­

man. Renonçant à unifier ce texte à moitié transposé dans le style

épique d'un néo-c lassicisme désuet, l'auteur le donne tout bonne­

ment comme une ''description de l'Amérique sauvage" qui trouvera son

complément, désormais indispensable, dans un tableau de l'Amérique

policée, qui sera donné ailleurs :

--- après avoir peint les déserts je dirai ce qu ' est de­venu le Nouveau-Monde, et ce qu'il peut attendre de l'avenir. L'histoire ainsi fera suite à l'histoire, et les divers sujets ne seront pas confondus (48) .

Quant aux notes de voyage, elles sont augmentées d'une préface

et d'une conclusion (le tableau promis de l 'Amérique moderne), afin

de former un ensemble cohérent, qui puisse être présenté comme le

Voyage en Amérique.

La préface trace une histoire des voyages très condensée, qui

est comme "la feuilie de route de l'homme sur le globe" 149) .

L'Amérique y apparaît comme un monde nouveau, tiré du néant par le

génie de Cristophe Colomb:

--- il aperçut une petite lumière sur une terre inconnue que la nuit lui cachait! Le vol des oiseaux l'avait guidé vers l'Amérique; la lueur du foyer d'un Sauvage lui dé ­couvrit un nouvel univers (50) .

Cette découverte est dite avoir été "une véritable révolution,

autant pour le monde moral que pour le monde physique" (51) . Avant

de s'étendre là-dessus, toutefois, Chateaubriand donne à lire ses

notes d'autrefois, in troduites comme l'oeuvre du "dernier historien

des peuples de la terre de Colomb, de ces peuples dont l a race ne

tardera pas à disparaître" (52) .

La tonalité dominante du Voyage en Amérique n ' est pourtant pas

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le regret, et Chateaubriand a modifié le sens de ses notes anciennes

en les faisant déboucher sur une conclusion qui exalte l'Amérique

moderne. Embellie à la manière de l'Angleterre des Philosophes,

au siècle précédent, elle donne à l'Europe l 'exemple d'une liberté

nouvelle qui "remplace" (!} la liberté de l'indien:

Le plus précieux des trésors que l'Amérique renfermait dans son sein, c'était la liberté; chaque peupl e est appelé à puiser dans cette mine inépuisable. La découverte de la république représentative aux Etats-Unis est un des plus grands événements politiques du monde: cet événement a prouvé, comme je l'ai dit ailleurs, qu'il y a deux espèces de liberté praticables: l'une appartient à l'enfance des peuples; elle est fille des moeurs et de la vertu; c'était celle des premiers Grecs et des premiers Romains, c'était celle des Sauvages de l'Amérique; 1 'autre naît de la vieil· lesse des peuples; elle est fille des lumières et de la raison: c'est cette liberté des Etats-Unis qui remplace la liberté de l'indien. Terre heureuse, qui, dans l'eepace de moins de trois siècles, a passé de l'une à l'autre liberté presque sans effort, et par une lutte qui n'a pas duré plus de huit années (53) !

Le tableau n'est pas sans présenter quelques ombres, discrète­

ment évoquées: "l'esprit mer:cantile" des Américains; le scandale

du sort fait aux Noirs !54) ... Elles n'empêchent pas Chateaubriand

d'affirmer une fois de plus sa confiance dans l'avenir: les lumières

"n'abandonnent point la liberté qu'elles ont produite; toujours au­

près de cette liberté, elles en sont à la fois la vertu générative

et la source intarissable" (55).

X

X X

Deux ou trois pages intitulées Fin du voyage (56) viennent

heureusement corriger in extremis ce que le texte de 1827 a d'un

peu anonyme. Annonçant la manière de Chateaubriand dans les Mé ­

moires d'Outre-Tombe, elles font des "solitudes de l'Erié et de

l'Ontario" l'im age d'une première jeunesse pleine d'illusion, puis

multip~ient les rappels des "destinées vagabondes" de l'auteur,

avant de rendre le tout au passé dans un grand mouvement de mé-

lancol i e hautaine .

23

V

L'Amérique dans les Mémoires d'Outre-Tombe.

Dans ses mémoires, Chateaubriand a voulu écrire à la fois son

histoire personnel l e et celle de son temps . Grâce à cette conjonc­

tion, sa vie peut prendre la dignité de l ' histoire ou tout au moins

une dimension officielle à laquelle il tient. La description du

monde, inversement, s'enrichit d'un symbolisme discret mais per­

manent:

--- ~e suis arrivé au monde vingt jours après Bonaparte. Il m amenait avec lui. J 'a llais entrer dans la marine en 1783 qu~nd la flotte de Louis XVI surgit à Brest: e lle apportait ~es actes de l 'état civil d'une nation éclose sous les ailes de la France. Ma naissance se rattache à l~_naissance d:un homme et d'un peuple: pâle reflet que Jetais d'une immense lum ière (57) .

On saisit d'emblée ici comment la représentation de l'Améri­

que a été adaptée aux visées de l'oeuvre: appartenant à la fois à

l'histoire de Chateaubriand et à celle du monde, elle constitue

un véritable haut lieu des Mémoires capable de conjuguer les dif­

férents plans du récit.

X

X X

La vision de l 'Amérique dans les Mémoires répond d'abord,

l'auteur, à un besoin de célébrer s a

ignoré de ma vie " ( 58), et de sauver

jeunesse, "le coin le plus

de l'oubli ses "heures i m-

chez

mémorées" (59) 1 d e n eur onnant un corps de gloire poétique . Riche

~ ~ pour lui ce qu ' il avai t de toute son expérience, il fera enf'n

autrefois fait pour Atala et Chactas:

La plupart d: mes sentiments sont demeurés ensevelis au fond de mon ame'. o~ n~ se sont montrés dans mes ouvra­ges que comme appliques a des êtres imaginaires. Aujourd' hui que ~e regrette encore mes chimères sans les pour­suivr:, Je veux remonter le penchant de mes belles années: ces Memoires ~eront un temple de la mort élevé à la clar té de mes souvenirs (60).

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Il résulte de cette intention un dernier brassage des tex tes

américains (eux seuls nous intéressent ici). Si beaucoup de pages

du voyage en Amérique (1826) se retrouvent presque te lles quelles,

beaucoup aussi ont été modifiées, allégées ou carrément supprimées

au profit de développements nouveaux(61~. Chateaubriand confère

ainsi au récit de son voyage un accent personnel et une logique

interne qui n'appartiennent qu'aux Mémoires. Partant de ses pre­

miers rêves de voyage face à la mer ("mon imagination se jouait

dans ces espaces") (62), il mènera l'aventure américaine jusqu'à

sa conclusion am~re: le presque naufrage au retour dans la France

révolutionnée,en passant par le corp à corps avec la grande nature

et l'invention d'une poésie qui, mieux qu'Atala et l es Natchez,

constitue, dans le désert, l'empire de ses songes. L'épisode des

deux Floridiennes, entièrement nouveau, fournit peut-être le

meilleur exemple de cette maîtrise. Citons-en ce fragment:

--- je me reposai au bord d'un massif d'arbres: son ob­scurité, glacée de lumière, formait la pénombre où j'étais assis. Des mouches luisantes brillaient parmi les arbrisseaux encrêpés, et s'éclipsaient lorsqu'elles passaient dans lei irradiations de la lune. On entendait le bruit du flux et reflux du lac, les sauts du poisson d'or, et le cri rare de la cane plongeuse. Mes yeux étaient fixés sur les eaux; je déclinais peu à peu vers cette somnolence connue des hommes qui courent les che­mins du monde: nul souvenir distinct ne me restai t; je me sentais vivre et végéter avec la nature dans une es­pèce de panthéisme. Je m'adossai contre le tronc d'un magnolia et je m'endormis; mon repos flottait sur un fond vague d'espérance.

Quand je sortis de ce Léthé, je me trouvai entre deux femmes; les odalisques étaient revenues; elles n'avaient pas voulu me réveiller; elles s'étaient assises en si­lence à mes côtés; soit qu'elles feignissent le somroeil, soit qu'elles fussent réellement assoupies, leurs têtes étaient tombées sur mes épaules .

Une brise traversa le bocage et nous inonda ~·~ne pluie de roses .de magnolia . Alors que la plus jeune des Siminoles se mit à chanter: quiconque n'est pas sûr de sa vie se garde de l'exposer ainsi jamais ! on ne peut savoir ce que c'est que la passion infil trée avec la mélodie dans le sein d'un homme (63).

Le plan historique n'est pas absent de cette époque des Mé­

moires, mais il reste discret. Comme l'orientation de !'oeuvre

veut néanmoins que le voyageur se jette bientôt "sur le· théâtre

du monde" (64), l'auteur a soin, ici et là, de rétablir les per-

25

spectives. La rencontre avec Washington lui sert ainsi à compléter

le tableau d'un pays qui a été jeune avec lui et à unifier sa

propre histoire en annonçant ses engagements futurs:

--- j'ai passé devant lui comme l'être le plus inconnu; il était dans tout son éclat, moi dans toute mon obscu­rité; mon nom n'est peut-être pas demeuré un jour entier dans sa mémoire: heureux pourtant que ses regards soient tombés sur moi! je m'en suis senti échauffé le reste de ma vie: il y a une vertu dans les regards d'un grand homme (65).

L'Amérique figure ainsi dans la jeunesse de Chateaubriand ce

que cet âge a de plus éclatant et de plus prometteur. Dans se sens,

la vision du Nouveau Monde est tournée vers l'avenir.

X

X X

Or, il est temps de se souvenir que les Mémoires sont "d'outre­

tombe" et que l'Amérique doit, pour finir, être située dans cette

optique rétrospective . Celle-ci signifie que le pays de la jeunes­

se ne peut plus être présent que par un effort de mémoire et d ' écri­

ture. C'est ce que traduit bien la datation des livres américains

dans les Mémoires: écrits pendant l'ambassade de Chateaubriand à

Londres, en 1822, ils exhument la vision américaine pour la sus­

pendre au-dessus des années disparues:

Il y a vingt-deux ans, je viens de le dire, que j'es­quissais à Londres les Natchez et Atala; j ' en suis pré­cisément dans mes Mémoires a l'époque de mes voyages en Amérique: cela se rejoint à merveille. Supprimons ces vingt - deux ans comme ils sont en effet supprimés de ma vie, et partons pour les forêts du Nouveau-Monde ( 66 ) .

Au moment de la rédaction, le mémorialiste dispose des sou­

venirs de toute une vie qu'il peut faire se rencontrer dans son

texte. De ces rencontres, interférences et échos savamment ménagés,

il tire un approfondissement mélancolique de la distance, un sen­

timent accru de ses pertes. Les fleurs de Bohême, par exemple,

sont le prétexte d'une évocation des Floridiennes, · en 1833:

Vous souvenez-vous de mes études botaniques chez les Siminoles, de mes oenothères, de mes Nymphéas dont je parais mes Floridiennes, des guirlandes de clématite dont elles enlaçaient la tortue, de notre sommeil dans

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l'île au bord du lac, de la pluie de roses du magno­lia qui tombait sur nos têtes? Je n'ose calculer l'âge qu'aurait à présent ma volage fille peinte. Que cueil­lerais-je aujourd'hui sur son front? les rides qui sont sur le mien. Elle dort sans doute à l'Eternité sous les racines d'une cyprière de l'Alabamah; et moi qui porte en ma mémoire ces souvenirs lointains, solitaires ig­norés, je vis (67)

Il en arrive ainsi que l'Amérique même contribue à la poésie

du désenchantement propre aux Mémoires d'Outre-Tombe, et.cela est

vrai, qu'il s'agisse des Floridiennes ou, de façon plus théâtrale,

de Washington:

--- Quand on a rencontré comme moi Washington et Bona­parte, que reste-t-il à regarder derrière la charrue du Cincinnatus américain et la tombe de Sainte-Hélène? Pourquoi ai-je survécu au siècle et aux hommes à qui j'appartenais par la date de ma vie? Pourquoi ne suis-je pas tombé avec mes contemporains, les derniers d'une race épuisée? Pourquoi suis-je demeuré seul à chercher leurs os dans les ténèbres d'une catacombe remplie? je me dé­courage de durer (68).

L ' écrivain des Mémoires n'est plus, comme l'auteur du Voyage

en Amérique, celui qui rend témoignage du passé avant de miser sur

l ' avenir. Plus subtilement, il se situe désormais "entre un monde

éteint et un monde prêt à s'éteindre" (69). Toute vision, même de

détail, est aspirée par le néant, et l'Amérique n'échappe pas à

la loi commune: derrière les apparences, le poète pressent les

millénaires de l'Amérique ancienne, hantant le paysage sous forme

de ruine:

Une ruine indienne frappa mes regards . Le contraste de cette ruine et de la jeunesse de la nature, ce monu­ment des hommes dans un désert, causait un grand saisis­sement. Quel peuple habita cette île? Son nom, sa race, le temps de son passage? Vivait-il, alors que le monde au sein duquel il était caché existait ignoré des trois autres parties de la terre? Le silence de ce peuple est peut-être contemp·orain du bruit de quelques grandes na­tions tombées à leur tour dans le silence (70).

A sa manière, avec moins de rhétorique que les pays "clas­

siques" qui formen t les décors des autres époques de la vie de

Chateaubriand, l'Amérique aide donc à faire résonner cet "écho

ample de palais vide et de planète démeublée" dans lequel Julien

Gra cq reconn aît le ton propre aux Mémoires d ' Outre- Tombe.

X

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C'est en développant son sens de l ' histoire que Chateaubriand

a pu entrer en possesion de ses grands thèmes et les formuler pour

le Romantisme en France, voilà en définitive ce qu'on apprend en

étudiant sa représentation de l'Amérique. Chemin faisant, il laisse

derrière lui non seulement sa première image du Nouveau Monde, qui

n'était guère qu'une réminiscence des Lumières, mais aussi les

prestiges surannés de ses romans américains et les enthousiasmes

commandés par la religion ou la politique. Les Mémoires d'Outre­

Tombe et eux seuls portent la vision de l'Amérique à sa perfec ­

tion . Sans doute cette réussite absolue tient-elle à l'alliance

enfin obtenue entre temps historique et temps intérieur, poésie

du monde et célébration du moi.

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NOTES

1} OEuvres romanesques et voyages, tome I, édition Gallimard, Bi,­bliothèque de la Pléiade, 1969. Voir p. 16.

2) Depuis Jean Pommier . Voir la bibliographie.

3) Voici comment: le texte primitif aurait été transporté en Amé­rique et s 'y serait enrichi pour former ce que Chateaubriand appelle "l'histoire d'une nation sauvage du Canada, sorte de roman, dont le cadre totalement neuf, et les peintures na­turelles étrangères à notre climat, auraient pu mériter l 'in­dulgence du lecteur" (Essai sur les Révolutions, p. 443).De retour en France , l ' auteur aurait eu le malheur de perdre, "dans la Révolution", la presque totalité de ses manuscrits américains, ne sauvant en tout et pour tout que "quelques feuilles détachées" (idem). Jean Pommier incline à penser que les livres anciens du "cycle de Chactas" ont fait partie du lot sauvé. Quoi qu'il en soit, c'est à Londres, pendant l' émi­gration, que Chateaubriand (re}constitue son manuscrit, et c'est ce second manuscrit qui passera désormais sous l'appel­lation de "manuscrit américain" ou "manuscrit de mes voyages" . De ce manuscrit fabuleux rien ou presque n'est publié à l'épo­que, l'auteur ayant dû, dans un premier temps, miser sur son grand ouvrage de réflexion politique et morale (voir ci-des­sous). En rentrant en France en 1800, il laisse son manuscrit à Londres et ~e le récupère que sous la Restauration. C'est seulement en 1826 que le public peut connaître enfin le roman indien,sous une forme remaniée et corrigée .

4) OEuvres romanesques et voyages, t. I, p. 36.

5) Ce récit occupe dans 1-es Natchez la fin du livre V et les livres VI, VII et VIII en entier. Voir OEuvres romanesques et voyages, t. I, p. 231-303.

6) Op. cit., p. 235.

7) Idem.

8) Op. cit ., p. 236. ce Chatas aux galères a bien pu apporter quelque chose à Victor Hugo pour sa description de Jean Val­jean. Le texte de Chateaubriand offre même un "grand chef de la prière" qui fait penser à Monseigneur Bienvenu .

9) Op. cit., p. 275.

10) Mémoires d'Outre-Tombe, édition dite "du Centenaire", Paris, Flammarion, 1949. Voir t. I, p. 607. Toutes l es références aux Mémoires seront données à cette édi tion.

11) Pierre Barbéris: A la Recherche d'une écriture. Chateaubriand, p. 79-139.

12) Op. cit., p. 131-132.

13) L'Essai sur les Révolutions,p. 43. Toutes les références seront donnees a l'edition Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1978.

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14) Rappelons le titre complet: Essai historique, politique e t mo­ral sur les révolutions anciennes et modernes considerees dans leurs rapports avec la révolution française.

15) "Vue de mon ouvrage". Voir l'Essai , p . 48.

16) L'Essai sur l es Révolutions, p. 442.

17) Voir les Confessions, livre huitième, p. 388-389 de l'édition Gallimard, Bibliotheque de la Pléiade, 1959 .

18) L'Essai sur les Révolutions, p. 185.

19 } Op. ci t ., p. 4 4 0 .

20) Op. cit., p. 189 . On reconnaît le modèle proposé par Rousseau dans son Discours sur les origines de l ' inégalité parmi les hommes. Une etude comparee serait a faire, notamment sur l a façon dont l'humanité primitive qui tte son premier état pour entrer dans l ' histoire.

21) Op. cit., p. 52.

22) Op. cit ., p. 444.

23) Op. cit., p. 445.

24) Op. cit ., p. 44 7 .

25) Op. cit., p. 148.

26) Op . cit., p. 440.

2 7) Op . cit., p. 149.

28) Atala, in OEuvres r omanesgues et vo:i::asies, t. I. Voir la Pré-face, p. 20.

29) L'Essai sur les Révolutions, p. 316-317.

30) Op . cit ., p . 446.

31) Atala, p. 45.

32) Nous ne citons pas ces passages si connus.

33) Atala, p. 4 7-48.

34) Op. cit ., p. 46-47.

35) Op. cit., p . 46.

36) Dans les Natchez, après l ' assassinat de René, Céluta et Mila "accomplissent leur destin ée" en cherchant la mort dans la ca.­taracte: "Céluta s'était souvenue que René dans sa lettre avait regretté de ne s'être pas précipité dans les ondes é~u­mantes". Voir OEuvres romanesques e t vo:i::ages, t . I, p. 5 75 .

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37) Voir la lettre publiée dans le Journal des débats du 31 mars 1801. Elle est reproduite dans les OEuvres romanesques et voyages, t. I, p. 15.

38) Atala, p. 93.

39) ~. p. 95. Cette scène est représentée dans un tableau de Delacroix appelé les Natchez. On en· trouvera une reproduction dans le catalogue de l'exposition Chateaubriand. Le Voyageur et l'homme politique, Paris. Bibliothèque nationale, 1969.

40) Op. cit., p. 99.

41) Le Génie du Christianisme (au chapitre intitulé "Deux perspec­tives de la nature"), edition Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1978. Voir p. 592.

42) on lira aussi avec profit les articles parus dans le Journal des débats du 25 octobre 1825 (Du discours d'adieux du presi­dent des Etats-Unis au général La Fayette) et du 29 octobre 1825 (Des républiques d'Amérique et de France). Ils ont été recueillis dans un volume de Polémique,placé comme tome XI de l'édition Furne.

43) Préface générale de l'édition Ladvocat, reproduite au tome I de l'édition Furne.

44) Préface à la réédition,·en 1826, de l'Essai sur les Révolu­tions. Elle est reproduite dans l'édition Gallimard, Biblio­theque de la Pléiade , 1978. Voir p. 15.

45) Op. cit.,.p. 23.

46) Analyse raisonnée de l'Histoire de France. Voir l'édition Furne des OEuvres complètes, t. VIII, p. 396. Le-~assage se retrouve presque textuellement dans la préface aux Etudes historiques, également parues pour la première fois--aa:ng-1•édition Ladvocat (1831).

47) Voir J. Ehrard et G. Palmade: L 'Histoire, p. 57 .

48) Fin de la préface aux Natchez. Voir OEuvres romanesques et voyages, t. I , p.166.

49) Voyage en Amérique, in OEuvres romanesques et voyages, t. I, p. 616.

50) Op. cit., p. 637.

51) OP: cit., p. 649.

52) Op. cit., p. 663.

53) Op. cit., p. 872-873.

54) Op. cit., p. 873 . Sur ce dernier point, voir aussi p. 649-650: " ••. l'Afrique doit ses chaînes à cette Amérique si libre au­jourd'hui. Nous pouvons admirer la route que traça Colomb sur

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le gouffre de l'océan; mais pour les pauvres nègres, c'est le chemin, qu' a'u dire de Mil ton, la Mort et le Mal construisirent sur l'abîme ."

55) Op. cit., p. 874 .

56)

57)

58)

59)

60)

61)

62)

63)

64)

65)

66)

6 7)

68)

69)

70)

?P· cit. p. 8~6~88~. _ c~s pages ,constituent en fait un emprunt a la partie deJa redigee des Memoires d'Outre-Tombe. On les retrouvera (corrigées, naturellement) dans la partie intitulée Ma jeunesse. Ma carrière de soldat · et de voyageur (Première partie, livre VIII, chap. 8).

Mémoires d'Outre-Tombe, IV, p. 5 79.

Voir l'Avant-12ro12os aux Mémoires, I' p. 9.

Mémoires d'Outre-Tombe, I' p. 531.

Op. cit., I' p . 15.

Le lecteur pourra trouver des précisions sur ce travail ré-dactionnel dans M. Grevlund: Pa:[sage intérieur et paysage ex terieur dans les Mémoires d'Outre-Tombe. _/

Mémoires d'Outre-Tombe, I' p. 96.

Op. cit., I' p. 336.

op . cit., I' p. 341.

Op. cit., I' p. 280 .

op. cit., I' p. 254.

Op. cit . , IV, p. 279 .

Op. cit., II' p. 680.

Op. cit., II, p . 679 .

Op . cit., I . p . 329 .

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I

II

BIBLIOGRAPHIE -------------OEUVRES DE CHATEAUBRIAND

Essai sur les Révolutions. Génie du Christianisme,publiés par Maurice Regard. Paris, Gallimard, Bibliotheque de la Pléiade, 1978.

OEuvres romanesques et voyages I, publiés par Maurice Regard. Ce volume contient Atala, René, Les Natchez, le Voyage en Amé­rique et la Vie de Ratiëè. Paris, Gallimard, Bibliohtèque de la Pléiade, 1969.

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Pour les autres textes cités, nous renvoyons à l'édition Furne des OEuvres complètes. Paris, 1863-1866.

LIVRES ET ARTICLES

Jean Claude BERCHET a publié un "état présent" des études sur Chateaubriand . Voir la revue Romantisme, n°s 13-14, 1976.

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Ouvrages collectifs:

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L'Amérique des Lumièr;s. partie l~t~éraire du Colloque du Bicentenaire de l'Independance americaine: Brest, juin 1976. Genève, Droz, 1977.

De l'Armorique à l'Amérique de l'Indépen~ance,partie.histori­que du Colloque du Bicentenaire de l'Independance americaine: Brest, juin 1976. Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest, 1977, nO 2.

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BARBERIS, Pierre: A la recherche d'une écriture. Chateaubriand. Paris, Jean-Pierre Delarge, 1974.

-Les réalités d'un ailleurs: Chateaubriand et le •voyage en Amérique", in Littérature, n°21,fevrier 1976.

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EHRARD, J . et PALMADE, G.: L'Histoire. Paris, A. Co l in , Col ­lection U, 1965.

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GREVLUND, Merete: Paysage intérieur et paysage extérieur dans les Mémoires d'Outre-Tombe. Paris, Nizet, 1968.

-Métamorphoses de l 'image de l ' Amérique chez Chateaubriand, in L'Amérique des Lumières.

GURY, Jacques: La Franklinomanie, in De l'Armorique à l'Amé­rique àe l'Indépendance.

LEBÈGUE, Raymond: Réa l ités et résultats du voyage àe Ch ateau­briand en Amérique, in Revue d'Histoire littéraire de la France, · 1968.

LUND, Hans Peter: Eléments du voyage romantiQue , RIOS n° 66 (septembre 1979), publié par l'Institut d'études romanes de l'Université de Copenhague.

MILNER, Max: Le ressourcement romantique, in Le Romantisme , 1820-1843. Par i s, Arthaud, Col lection Littérat ure Française, t. XII, 1973. Voir p. 75-176.

MORAUD, Yves: De La Hontan à Chateaubriand: L' Amér i que ou l'exigence utopique de l 'unité, in L'Amérique des Lumières .

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PALMADE, G.: voir EHRARD, Jean.

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