insuffisance rénale et métabolisme du calcium et du phosphate

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Revue du rhumatisme monographies 79 (2012) 258–261 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Article original Insuffisance rénale et métabolisme du calcium et du phosphate Calcium/phosphate metabolism and chronic kidney disease Marie-Hélène Lafage-Proust Inserm U1059, université de Lyon, CHU, 42055, Saint-Étienne cedex 2, France i n f o a r t i c l e Historique de l’article : Accepté le 17 juillet 2012 Disponible sur Internet le 14 septembre 2012 Mots clés : Hyperparathyroïdie secondaire Hyperphosphatémie Hypercalcémie Ostéodystrophie rénale Calcifications vasculaires r é s u m é L’insuffisance rénale chronique induit une hyperparathyroïdie secondaire. Elle résulte de l’action combi- née de la rétention de phosphate qui induit une augmentation des concentrations sériques de fibroblast growth factor-23 (FGF-23) et favorise la diminution de la synthèse de calcitriol par le rein, et de l’hypocalcémie relative qui agit sur des récepteurs sensibles au calcium des cellules parathyroïdiennes. Ces anomalies, qui doivent être régulièrement suivies selon des modalités de plus en plus précises, ont pour conséquences la survenue des calcifications vasculaires et de fractures qui grèvent le pronostic vital et fonctionnel des patients urémiques. Les interventions visant à éviter l’ascension de la parathormone (PTH) sérique devraient être précoces. Celles modulant le FGF-23 sont à l’étude. © 2012 Société franc ¸ aise de rhumatologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Keywords: Secondary hyperparathyroidism Hyperphosphatemia Hypercalcemia Renal osteodystrophy Vascular calcifications a b s t r a c t Chronic kidney disease (CKD) induces secondary hyperparathyroidism. It results from the combined action of both phosphate retention (which increases serum Fibroblast Growth Factor-23 [FGF-23] concen- tration and promotes the decrease in calcitriol renal synthesis) and relative hypocalcaemia, which acts on calcium sensing receptor of the parathyroid glands. Vascular calcifications and fractures are both clinical consequences of these disorders, which must be regularly monitored according to more and more defined recommendations. These complications worsen the burden of CKD in terms of morbidity and mortality of uremic patients. Interventions aiming at controlling the increase in parathormone (PTH) should occur early and those targeting FGF-23 are still ungoing. © 2012 Société franc ¸ aise de rhumatologie. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved. 1. Introduction Dans la maladie rénale chronique (MRC), le métabolisme du calcium et du phosphate sont perturbés très précocement, du fait du rôle majeur que joue le rein dans leur régulation. En effet, le rein synthétise la vitamine D active, sous l’action de la 1-alpha hydroxylase rénale, par hydroxylation sur le carbone 1 de la 25 (OH) vitamine D circulante. De plus, il contrôle l’excrétion urinaire du calcium et du phosphate par le biais d’une régulation fine et complexe de leur réabsorption tubulaire qui sont sous la dépen- dance de la parathormone (PTH) et d’une phosphatonine, le fibroblast growth factor-23 (FGF-23), véritable hormone synthétisée par l’os. Le dysfonctionnement rénal va progressivement entraî- ner des anomalies biologiques, telles que l’hyperphosphatémie ou l’hypercalcémie, et cliniques telles que les calcifications vasculaires Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] ou les fractures ayant des conséquences graves en termes de mor- bidité et de mortalité. L’ensemble de ces manifestations a été regroupé sous le terme « troubles minéraux et osseux de la mala- die rénale chronique (TMO-MRC ou CKD-MBD pour chronic kidney disease mineral and bone disorders chez les Anglo-Saxons), depuis la conférence consensus Kidney Disease Improving Global Outcome (KDIGO) de 2006 [1]. Dans cette revue, nous décrirons, sans être exhaustifs, certains aspects de la physiopathologie, de la biologie et des conséquences cliniques des TMO-MRC chez l’adulte. 2. Physiopathologie Le développement de l’hyperparathyroïdie secondaire est la manifestation biologique la plus marquante de la MRC (Fig. 1). Elle résulte de facteurs multiples et intriqués dont le plus précoce est la rétention de phosphate liée à la réduction de la masse néphronique. Cependant, la cinétique d’apparition et le poids des différents facteurs sont encore controversés, les études étant pour le moment essentiellement transversales. 1878-6227/$ see front matter © 2012 Société franc ¸ aise de rhumatologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.monrhu.2012.07.008

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Revue du rhumatisme monographies 79 (2012) 258–261

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nsuffisance rénale et métabolisme du calcium et du phosphate

alcium/phosphate metabolism and chronic kidney disease

arie-Hélène Lafage-Proust ∗

nserm U1059, université de Lyon, CHU, 42055, Saint-Étienne cedex 2, France

n f o a r t i c l e

istorique de l’article :ccepté le 17 juillet 2012isponible sur Internet le 14 septembre012

ots clés :yperparathyroïdie secondaireyperphosphatémieypercalcémiestéodystrophie rénalealcifications vasculaires

r é s u m é

L’insuffisance rénale chronique induit une hyperparathyroïdie secondaire. Elle résulte de l’action combi-née de la rétention de phosphate qui induit une augmentation des concentrations sériques de fibroblastgrowth factor-23 (FGF-23) et favorise la diminution de la synthèse de calcitriol par le rein, et del’hypocalcémie relative qui agit sur des récepteurs sensibles au calcium des cellules parathyroïdiennes.Ces anomalies, qui doivent être régulièrement suivies selon des modalités de plus en plus précises, ontpour conséquences la survenue des calcifications vasculaires et de fractures qui grèvent le pronostic vitalet fonctionnel des patients urémiques. Les interventions visant à éviter l’ascension de la parathormone(PTH) sérique devraient être précoces. Celles modulant le FGF-23 sont à l’étude.

© 2012 Société franc aise de rhumatologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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a b s t r a c t

Chronic kidney disease (CKD) induces secondary hyperparathyroidism. It results from the combinedaction of both phosphate retention (which increases serum Fibroblast Growth Factor-23 [FGF-23] concen-tration and promotes the decrease in calcitriol renal synthesis) and relative hypocalcaemia, which acts on

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calcium sensing receptor of the parathyroid glands. Vascular calcifications and fractures are both clinicalconsequences of these disorders, which must be regularly monitored according to more and more definedrecommendations. These complications worsen the burden of CKD in terms of morbidity and mortality

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of uremic patients. Intervearly and those targeting

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. Introduction

Dans la maladie rénale chronique (MRC), le métabolisme dualcium et du phosphate sont perturbés très précocement, du faitu rôle majeur que joue le rein dans leur régulation. En effet, leein synthétise la vitamine D active, sous l’action de la 1-alphaydroxylase rénale, par hydroxylation sur le carbone 1 de la 25OH) vitamine D circulante. De plus, il contrôle l’excrétion urinaireu calcium et du phosphate par le biais d’une régulation fine etomplexe de leur réabsorption tubulaire qui sont sous la dépen-ance de la parathormone (PTH) et d’une phosphatonine, lebroblast growth factor-23 (FGF-23), véritable hormone synthétisée

ar l’os. Le dysfonctionnement rénal va progressivement entraî-er des anomalies biologiques, telles que l’hyperphosphatémie ou

’hypercalcémie, et cliniques telles que les calcifications vasculaires

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected]

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ns aiming at controlling the increase in parathormone (PTH) should occur23 are still ungoing.e de rhumatologie. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

ou les fractures ayant des conséquences graves en termes de mor-bidité et de mortalité. L’ensemble de ces manifestations a étéregroupé sous le terme « troubles minéraux et osseux de la mala-die rénale chronique (TMO-MRC ou CKD-MBD pour chronic kidneydisease mineral and bone disorders chez les Anglo-Saxons), depuis laconférence consensus Kidney Disease Improving Global Outcome(KDIGO) de 2006 [1]. Dans cette revue, nous décrirons, sans êtreexhaustifs, certains aspects de la physiopathologie, de la biologieet des conséquences cliniques des TMO-MRC chez l’adulte.

2. Physiopathologie

Le développement de l’hyperparathyroïdie secondaire est lamanifestation biologique la plus marquante de la MRC (Fig. 1).Elle résulte de facteurs multiples et intriqués dont le plus précoce

est la rétention de phosphate liée à la réduction de la massenéphronique. Cependant, la cinétique d’apparition et le poids desdifférents facteurs sont encore controversés, les études étant pourle moment essentiellement transversales.

vier Masson SAS. Tous droits réservés.

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M.-H. Lafage-Proust / Revue du rhumatism

Fig. 1. Physiopathologie des anomalies du métabolisme du calcium et du phosphateau cours de l’insuffisance rénale.PTH : parathormone ; FGF23 : fibroblast growth factor 23, FGFR1 : récepteur de type1 du FGF ; CaSR : récepteur sensible au calcium. Les lignes discontinues reflètent,au cours de l’insuffisance rénale chronique(1) la perte de rétro-contrôle négatif duFGF23 sur la sécrétion de PTH du fait de la perte des récepteurs FGFR1 par la glandeparathyroïde et (2) la diminution de la freination de la PTH par la vitamine D du faitdd

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secondaire de la MRC et il semble que la courbe calcium/PTH

e la diminution de la synthèse de calcitriol par le rein et de la perte du récepteure la vitamine D par la glande parathyroïde.

.1. Fibroblast growth factor-23 (FGF-23)

Le FGF-23 est une hormone synthétisée par les ostéoblastest surtout par les ostéocytes. Comme la parathormone, le FGF-3 est responsable de l’augmentation de l’excrétion urinaire duhosphate par diminution de l’expression du transporteur de phos-hate NPT2 au niveau du tubule rénal. Sa concentration sériquest rapidement augmentée par des apports de phosphate alimen-aire [2], cependant, on ne sait pas encore comment les cellulessseuses « perc oivent » les variations de la phosphatémie. Sa syn-hèse osseuse est augmentée par la vitamine D et des donnéesuggèrent que la PTH aurait une action similaire [3], mais celast controversé [4]. La synthèse de FGF-23 est freinée localementar une protéine ostéocytaire appelée dentin matrix protein-1DMP-1). En effet, les souris déficientes en DMP-1 ont des concen-rations sériques de FGF-23 très élevées et sont ostéomalaciquesu fait d’une profonde hypophosphatémie. Chez l’insuffisant rénal,

e contrôle du FGF-23 par la DMP-1 est manifestement perturbéuisque ces deux molécules sont surexprimées en même tempsar les ostéocytes, cependant, on n’en connaît pas la cause [5]. Auours de la MRC, la concentration sérique de FGF-23 augmente àesure que la filtration glomérulaire diminue – cela est dû à la

ois à une augmentation de synthèse et à une rétention liée à’insuffisance rénale – et elle corrèle positivement avec la phospha-émie [6]. Les concentrations normales de FGF-23 sont de l’ordree 50 RU/mL, aux stades 2–4 elles augmentent jusqu’à 500 RU/mL etont supérieures à 10 000 RU/mL au stade 5D. Les données cliniquest animales suggèrent que cette élévation du FGF-23 sérique est laanifestation biologique la plus précoce de la MRC. Cette sécré-

ion précoce de FGF-23 par l’os augmente l’excrétion urinaire dehosphate par les néphrons restants, ce qui devrait permettre à lahosphatémie de rester normale au début de la MRC [7].

Le FGF-23 aurait aussi une action inhibitrice sur la synthèse deTH par les glandes parathyroïdes (boucle de rétrocontrôle néga-if) [8]. Enfin, le FGF-23 diminue les concentrations sériques de

alcitriol en inhibant la 1-alpha hydroxylase qui le synthétise et entimulant la 25-hydroxy-vitamine D-24-hydroxylase qui l’inactive9].

e monographies 79 (2012) 258–261 259

2.2. Diminution de synthèse rénale de calcitriol

À côté du FGF-23, la MRC induit, per se, un déficit progres-sif de synthèse rénale de calcitriol du fait de la réduction de lamasse néphronique, et ce, malgré l’augmentation croissante dela PTH sérique qui, elle, devrait activer la 1-alpha hydroxylaserénale. Cette diminution de la calcitriolémie a trois conséquences :la diminution de l’absorption digestive du phosphate (ce qui estbénéfique dans ce contexte) mais aussi celle du calcium (délé-tère) et la réduction (délétère) des effets génomiques freinateursdu calcitriol sur la synthèse de PTH par la glande parathyroïde.Cependant, alors qu’on a longtemps pensé que le calcitriol étaitessentiellement d’origine rénale, il est apparu que même des sujetsanéphriques étaient capables d’hydroxyler la 25 (OH) vitamine D en1-25 (OH)2 vitamine D et d’en augmenter les taux circulants, témoi-gnant de capacités de synthèse tissulaires autres que rénale. Celaest à la base de l’utilisation thérapeutique récente chez l’urémiquede la vitamine D naturelle, seule ou en association avec les dérivésde 1-alpha-hydroxylés, d’autant qu’on a montré que le déficit en 25(OH) vitamine D circulante contribuait de fac on indépendante audéveloppement de l’hyperparathyroïdie (HPT) secondaire à la foisdans les stades 3 [10] et 5 [11].

2.3. Rétention de phosphate

À mesure que la rétention en phosphate s’aggrave du faitde la diminution progressive des capacités d’excrétion urinairedes néphrons restants, la phosphatémie va s’accroître malgrél’augmentation de FGF-23. La concentration intracellulaire en phos-phate augmente au sein des cellules parathyroïdiennes et descellules rénales. Dans les cellules rénales, cela diminue l’efficacitéde la 1-alpha hydroxylase et aggrave ainsi le déficit en calcitriol[12]. Dans les glandes parathyroïdes, cela contribue à augmen-ter la durée de vie des ARN messagers de la parathormone, àdiminuer l’expression du CaSR, et augmenter la prolifération descellules, ce qui entretient ainsi l’HPT. À l’inverse, chez des patientstrès dénutris et présentant généralement des signes biologiquesd’inflammation chronique, une phosphatémie normale voire unehypophosphatémie peuvent être observées, qui sont alors de trèsmauvais pronostic.

2.4. Calcémie et relation calcium–parathormone

Une hypocalcémie relative s’installe en rapport avec la dimi-nution de la réabsorption tubulaire rénale et de l’absorptionintestinale du calcium, ce qui va stimuler directement la synthèsedes ARNm de la PTH, ainsi que sa sécrétion, par inactivation desrécepteurs sensibles au calcium (CaSR) des cellules parathyroï-diennes. Les effets de la PTH sur le rein (augmentation de laréabsorption tubulaire du calcium et stimulation de la 1-alphahydroxylase rénale) deviennent de moins en moins efficaces dufait même de la progression de l’insuffisance rénale. La relationPTH sérique/calcémie ionisée (= biologiquement active) suit unecourbe sigmoïde qui fait que pour des variations faibles de lacalcémie, lorsque celle-ci est dans des valeurs moyennes, il existedes variations amples de la PTH sérique. Lorsque l’on fait varier lacalcémie en induisant une hypocalcémie puis une hypercalcémie,la sécrétion de PTH sera respectivement maximale (PTH max) puisminimale, mais jamais nulle. Le « set point » du calcium pour lasécrétion de PTH est défini comme la valeur de la calcémie requisepour induire 50 % de la PTH maximale. Il est augmenté dans l’HPT

soit déplacée vers la droite, ce qui contribuerait chez les patientsurémiques à l’augmentation de la concentration sérique de PTHmalgré des valeurs élevées de calcémie.

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ig. 2. Évolution des lésions parathyroïdiennes au cours de l’insuffisance rénalehronique.DR récepteur de la vitamine D, CaSR : récepteur sensible au calcium ; FGFR1 : récep-

eur de type 1 du FGF.

.5. Glandes parathyroïdes

L’insuffisance rénale avancée est caractérisée par la perte deécepteurs participant à la régulation du métabolisme phospho-alcique. Ainsi, l’expression du récepteur du calcium [13], de celuie la vitamine D [14] et du récepteur du FGF-23 (FGFR1) et de sono-récepteur Klotho [15] diminue dans les glandes parathyroïdes,e qui va faire le lit de leur autonomisation (Fig. 2). L’augmentatione la concentration sérique de PTH que l’on observe au cours de laRC est due dans un premier temps à une augmentation des capa-

ités de synthèse et de sécrétion des cellules. Puis on assiste à uneyperplasie de la glande liée à la fois à une hypertrophie des cellulest à une prolifération accrue, encore potentiellement freinable pares mesures thérapeutiques. Enfin, des clones apparaissent (hyper-lasie nodulaire) et donnent naissance à de véritables adénomesutonomisés, pour lesquels les thérapeutiques médicamenteusesont inefficaces et qui associent alors sur le plan biologique uneypercalcémie et une élévation majeure de la PTH sérique. La phy-iopathologie du passage de l’hyperplasie à l’adénome est encore à’étude, la chronologie exacte et la hiérarchie des événements quionduisent à une HPT réfractaire restant encore mal élucidées. Delus, l’augmentation de la PTH sérique dans la MRC est également

iée à l’accumulation de nombreux fragments (dont un fragment C-erminal 7-84 ayant peut-être une activité biologique propre) quiont dosés par certaines trousses qui surestiment la valeur de laTH biologiquement active [16].

. Quel rôle pour le tissu osseux : coupable ou victime?

Le tissu osseux est la cible des désordres du métabolisme duhosphate et du calcium observés au cours de la MRC.

L’hyperparathyroïdie secondaire va stimuler la formationstéoblastique et la résorption ostéoclastique (ostéite fibreuse),’est-à-dire augmenter le niveau de remodelage osseux et ainsiavoriser la dégradation de l’os cortical en augmentant sa poro-ité et sa fragilité [17]. L’accroissement de la quantité de minérauxirculants qui en résulte contribuera à remonter la calcémie, voire

induire une hypercalcémie, mais aussi à favoriser la précipitationxtrasquelettique de calcium et de phosphate, incluant les calcifica-ions vasculaires dont l’éclosion dépend par ailleurs de nombreuxutres facteurs [18]. De plus, la maladie osseuse urémique induitne diminution de l’expression des récepteurs de la PTH [19] qui,ssociée à d’autres causes (cf. infra), va entraîner une résistancesseuse à la PTH. En d’autres termes, des concentrations sériquese PTH devront être supérieures à la normale pour espérer induire

n niveau de remodelage osseux normal.

Par ailleurs, en l’absence d’HPT floride, et pour des PTH basses,oire normales (< 55–65 pg/mL, selon les trousses utilisées) ou pluslevées (cf. infra), le remodelage osseux de l’urémique a tendance

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à être plutôt bas, voire effondré (ostéopathie adynamique). Outrela résistance osseuse à la PTH, un déficit en bone morphogene-tic protein 7 (BMP7) sécrété par le rein a été un temps désignécomme une cause potentielle [20]. Des données récentes suggèrenten outre que les voies de signalisation de Wnt qui contrôlentl’activité et la prolifération ostéoblastique sont impliquées dans cesmécanismes [21] avec une augmentation, au cours de la MRC, del’expression d’inhibiteurs de la voie Wnt, tels que la sclérostine etDKK1. Dans les stades 3 et 4, la sclérostine corrèle négativementavec le débit de filtration glomérulaire [22] suggérant un phéno-mène de rétention. Dans le stade 5D, elle corrèle négativement avecla PTH et prédit mieux qu’elle le turnover osseux [23]. Dans desconditions de turnover osseux bas et de balance calcique positive(entrées > sorties), l’excès de calcium (d’origine alimentaire ou thé-rapeutique – calcium per os ou calcium du dialysat) ne peut plusêtre « tamponné » par le squelette, ce qui aura pour conséquenceune hypercalcémie et une augmentation des calcifications vascu-laires [24].

Dès lors, il apparaît maintenant clair : que la calcémie ne reflèteen rien la balance calcique, qu’une balance calcique positive estassociée à des calcifications extrasquelettiques chez l’urémique(qui grèvent le pronostic de la MRC) et que le remodelage osseuxest un acteur d’importance dans cette balance, notamment chez ledialysé [24,25]. Cependant, il est très difficile d’apprécier la balancecalcique en pratique quotidienne.

4. Suivi biologique du métabolisme phosphocalcique chezl’urémique

Le médecin doit gérer au quotidien les désordres biologiqueset cliniques des TMO-MRC de l’urémique. Il a, comme « outils depilotage », la calcémie, la phosphatémie, la PTH sérique et, pour éva-luer le remodelage osseux, la phosphatase alcaline osseuse [26],qui ne dépend pas de la filtration glomérulaire [27]. La calciurieest de peu d’intérêt dans les stades 2 à 4, car difficile à interpré-ter, une hypocalciurie, par exemple, pouvant à la fois refléter desapports en calcium ou vitamine D insuffisants et être la consé-quence directe de la réduction néphronique. Pour se guider, onvise à respecter des recommandations, quoique imparfaites, quiont pour but d’obtenir des concentrations de PTH ni trop hautesni trop basses afin d’optimiser le remodelage osseux. En 2003,la National Kidney Foundation – Kidney Disease Outcomes Qual-ity Initiative (KDOQI) recommandait des valeurs cibles de PTH de150 à 300 pg/mL. Cette fourchette avait plutôt été le fruit d’uneestimation mathématique que le résultat d’études cliniques sur delarges cohortes de patients [28]. Lors de la dernière conférenceconsensus KDIGO [29], la nouvelle cible a été modifiée (deux àneuf fois la limite supérieure des valeurs normales de PTH, soitde 130 à 600 pg/mL, avec quelques variations selon les troussesutilisées) avec, cependant, un niveau de preuve faible (2 C). La ciné-tique d’évolution de la PTH sérique est importante à suivre pourun contrôle optimal afin de mettre en place des mesures correc-tives dès que les valeurs tendent à s’approcher de ces limites, lestraitements étant plus efficaces lorsqu’ils sont mis en place pré-cocement. Enfin, la concentration de PTH doit être interprétée enfonction des valeurs de calcémie, de phosphatémie et de 25 (OH)vitamine D. La fréquence des contrôles en fonction des stades évo-lutifs de la MRC et les stratégies de correction sont définies dans lesrecommandations.

Les « outils de correction » sont, à côté de la diététique, qui viseà limiter les apports en phosphate et assurer une ration caloriquesuffisante, la chélation, calcique ou non, du phosphate alimentaire,

la supplémentation en vitamine D naturelle, le freinage de la PTHpar les dérivés l-alpha hydroxylés de la vitamine D et le cinacalcet,agoniste du CaSR parathyroïdien qui inhibe directement lasécrétion de PTH et, en dernier lieu, la parathyroïdectomie. De plus,
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M.-H. Lafage-Proust / Revue du rhum

u stade 5D on peut « jouer » sur la concentration du calcium danse dialysat.

. Enjeux cliniques du contrôle des troubles minéraux etsseux de la maladie rénale chronique

De nombreuses études épidémiologiques ont permis de mon-rer que les troubles du métabolisme phosphocalcique étaient desacteurs de risques importants de morbi-mortalité de la MRC.

En effet, la phosphatémie est un facteur de risque indépen-ant de mortalité, avec une augmentation progressive du risque

mesure qu’elle augmente mais aussi pour des valeurs bassescf. supra). Les données récentes de la littérature montrent quee FGF-23 est associé à une augmentation du risque de survenue’une HPT réfractaire, de la progression de la MRC, des événementsardiovasculaires et de la mortalité. Le lien avec la phosphatémiepparaît évident, cependant, ces associations persistent souventprès ajustement pour la phosphatémie. De plus, quelques travauxécents font état d’un effet toxique direct indépendant du phos-hate sur la fonction ventriculaire gauche. Ainsi, le FGF-23 apparaîtonc comme un acteur majeur dans les TMO-MRC, cependant sonosage en routine n’est pas encore recommandé et des interven-ions thérapeutiques visant à le faire baisser sont encore à l’étude.

Les calcifications vasculaires survenant au cours de l’urémie eteurs relations avec l’hypercalcémie, l’hyperphosphatémie, la PTH,a vitamine D et le FGF-23 ont été étudiées de fac on extensive cesernières années car elles grèvent le pronostic vital des patients30]. Leur évaluation clinique est recommandée mais leur mesureuantitative, bien établie dans des protocoles de recherche, n’estas encore vraiment réalisée en pratique quotidienne.

Enfin, les TMO-MRC sont associés à une augmentation du risquee fractures, et ce, quel que soit le stade évolutif. Les fractures sur-iennent du fait des altérations quantitatives (perte osseuse) etualitatives (troubles de la minéralisation primaire et secondaire,orosité corticale. . .) du tissu osseux, mais aussi de l’augmentationu risque de chute liée à la myopathie et aux neuropathies péri-hériques observées au cours de l’urémie. Là encore, dans letade 5, la conduite à tenir devant une fracture n’est pas défi-ie.

. Conclusion

L’insuffisance rénale chronique induit une hyperparathyroïdieecondaire dont la physiopathologie est complexe mais de mieuxn mieux comprise. Elle résulte de l’action combinée de la rétentione phosphate qui induit une augmentation précoce des concen-rations sériques de FGF-23, favorise la diminution de la synthèsee calcitriol par le rein et agit directement sur les cellules para-hyroïdiennes. La prise en charge précoce de ces troubles, dont les

odalités commencent à être mieux définies, mais qui sont encore’objet d’études nombreuses, est le garant d’une amélioration de’espérance de vie et de la qualité de vie des patients insuffisantsénaux.

éclarations d’intérêts

Financement de projet de recherche de l’U1059 par Genzyme etmgen.

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