inventez la planÈte de demain

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INVENTEZ LA PLANÈTE DE DEMAINPlanète Terra, c’est le média du développement durable. Si le bio vous fascine, si la voiture vous bassine, si vous avez inventé la machine à transformer le plomb en gazon, si vous vous sentez l’âme d’un entrepreneur éthique, faites-le savoir à la Terre entière.

DEVENEZ CITOYEN-REPORTERSur Planète Terra, il n’y a pas les journalistes "d’un côté" etles lecteurs "de l’autre". Les uns et les autres "font" ensemble un média citoyen et positif. Articles, photos, vidéos, dessins, animations... Publiez vos contributions en 3 clics sur Planète Terra. Et plus si affinités.

LE GRENELLE PERMANENT Non, le Grenelle de l’Environnement ne s’est pas arrêté fin octobre. Pour participer gratuitement, inscrivez-vous dès maintenant sur :

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erra.fr

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enis.fr

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sommaire

Ont participé à ce numéro (ordre alphabétique inversé) : Toad, Frédéric Stucin, Sylvie Serprix, Olivier Philipponneau, Charlie Pegg, Laure Noualhat, Candice Moors, Karine Le Loët, Antoine Heulard,

Pauline Hervé, Arnaud Gonzague, Mathilde Goanec, Gaw, Steven Burke (une), Caroline Boudet, Matthieu Auzanneau, Louise Allavoine, Eric Albert, AFP, Rea, Tendance Floue, M.Y.O.P, Sipa. – Directeur artistique : Denis Esnault – Responsable de l’édition : Karen Bastien – Directeur de la rédaction : David Solon – Responsable des systèmes d’information : Grégory Fabre – Conseillers abonnement : François Terrier et Baptiste Brelet – Assistantes commerciales : Véronique Frappreau et Elodie Nicou – Directeur de la publication : Walter Bouvais – Terra Economica est édité par la maison Terra Economica, SAS au capital de 137 233 euros – RCS Nantes 451 683 718 – Siège social : 42 rue la Tour d’Auvergne, 44 200 Nantes – Principaux associés : Walter Bouvais (président), Gregory Fabre, David Solon, Doxa SAS – Cofondateur : Mathieu Ollivier – Impression : Goubault imprimeur, 8 rue de Thessalie, BP 4 429, 44 244 La Chapelle-sur-Erdre cedex – Dépôt légal : à parution – Numéro ISSN : 1766-4667 – Commission paritaire : 1011 C 84334 – Numéro Cnil : 1012873 – Lisez-nous, abonnez-vous sur notre site Internet : www.terra-economica.info/abo, par courriel : [email protected] ou en nous appelant au 02 40 47 42 66. Ce magazine est imprimé sur papier écologique (ARCTIC Matt paper en 90g/m² pour l’intérieur et 150g/m² pour la couverture) avec des encres végétales.

4 BREVES 5 LU D’AILLEURS

6-7 L’OBJET Le steak haché 8-9 LE MARKETING EXPLIQUÉ À MA MÈRE Courses sur ordonnance10-11 LA BOÎTE NOIRE Multinationale syndicale 12-24 DOSSIER

France : le chantier du siècle26-27 L’ÉCONOMIE EXPLIQUÉE À MON PÈRE L’homme emprunte la Terre28-31 REPORTAGEKazakhstan, une légion étrangère de travailleurs32-34 INTERVIEW « Le développement durable est un enjeu sécuritaire »35 ZOOM « Et in arcadia ego »36-37 ILS CHANGENT LE MONDE Profession : recycleuse de vies38-39 ENRICHISSEZ-VOUS Les reporters sortent le crayon40-41 EN DIRECT DE WWW.PLANETE-TERRA.FR

42 LE FEUILLETON Métropole position (7e épisode)

terra economica mars 2008 �

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brèves

� mars 2008 terra economica

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Elle est déjà omniprésente sur les sites Internet, les moteurs de recherche et les blogs. La publicité viendra bientôt s’incruster dans les vidéos en ligne. Microsoft travaille sur des technologies web innovantes de placement publicitaire. Et quand il s’agit de pub, le géant de l’informatique a une imagination débordante. Ses chercheurs ont mis

Les pollueurs ontles caméras aux troussesElles sont au nombre de 75 et reluquent les derrières sans lâcher prise. Depuis début février, Londres a installé un système de vidéosurveillance dont l’objectif est de contrôler les plaques d’immatriculation des camions de plus de 12 tonnes fonctionnant au gasoil. Une amende, pouvant grimper jusqu’à 200 euros, sera infligée à tout véhicule de ce type ne respectant pas les normes antipollution.

On a marché sur la pileL’instant est historique. Le piéton vient d’entrer dans l’ère de l’autosuffisance énergétique. Il suffit désormais de mettre un pied devant l’autre pour produire de l’électricité. Une équipe de chercheurs canadiens a conçu une genouillère qui convertit en électricité l’énergie mécanique créée par la flexion du genou. Le « Biomechanical Energy Harvester » pourrait produire 5 watts, et donc alimenter 10 téléphones portables. L’invention pourrait être utilisée par les soldats et les randonneurs. Mais pas les mous du genou, parce qu’à 1,6 kg l’appareil, il y a de quoi être sur les rotules.

au point un système qui permettra d’insérer des logos dans des vidéos déjà tournées. Une jolie publicité Coca-Cola pourra ainsi venir s’afficher sur le mur derrière Tante Suzanne, lorsque vous visualiserez ses noces d’or sur le site de partage de vidéos YouTube. Le tout, le plus « subtilement » possible, promet Microsoft. Caroline Boudet

47 %Le pourcentage de la population blanche aux Etats-Unis en 2050. Ce qui fait écrire au très sérieux institut d’enquête américain Pew qu’à cette date, les Etats-Unis « seront devenus une nation avec une majorité de minorités ». L’étude montre que, dans quarante ans, une personne sur cinq sera d’origine immigrée et que les Hispaniques représenteront 29 % de la population du pays.

Salade contre crédit immobilier 1 - Se rendre dans un supermarché (espagnol). 2 - Acheter au moins deux salades sous film plastique de marque Florette. 3 - Au choix : s’armer d’une paire de ciseaux, découper les code-barres et les glisser dans une enveloppe, ou préférer le clavier de son ordinateur et entrer un à un les chiffres de ces mêmes codes-barres. 4 - Répéter la même opération autant de fois que le contenu de votre porte-monnaie vous l’autorise. 5 - Croiser les doigts de pied et espérer que les chiffres de votre codes-barres seront ceux désignés par le tirage au sort. Cette opération marketing a été proposée pendant trois mois en Espagne. Le gros lot : le remboursement de votre crédit immobilier soldé avant l’heure. David Solon

Vidéos en promotion

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terra economica mars 2008 �

Marine à vau-l’eau

Répression aux biocarburants Un collectif d’ONG, dont les Amis de la Terre, a alerté la communauté internationale sur la situation tendue des droits de l’homme en Indonésie. En cause ? Bruxelles. L’Union européenne a en effet fixé à 10 % le pourcentage du parc automobile européen devant rouler aux biocarburants d’ici à

2020. Mais pour atteindre ces objectifs, explique le site Newconsumer, certains pays, dont l’Indonésie, « délogent de force les populations locales pour leur soutirer leurs terres ». Selon le collectif, l’ambition environnementale met de côté la dimension sociale des problèmes et, du coup, rend incohérente la pratique

« Computer-related injuries », ce mot anglais recouvre trois affections : problèmes de la vue,

troubles orthopédiques et stress à répétition. Celles-ci ne sont pas dues au travail en plein air ou à l’exercice de métiers manuels, mais à la pratique de l’informatique. Selon l’hebdomadaire en ligne Outlook India, c’est la station de travail des ingénieurs asiatiques qui est directement en cause. L’angle de vue, la position du corps, la station assise prolongée, la luminosité, la proximité ou l’éloignement de l’écran... Les causes sont multiples et la sévérité des symptômes préoccupante dans une nation d’ingénieurs et de centres d’appel. Pour enrayer ce phénomène grandissant, l’Inde a recours à la chirurgie, à la médecine traditionnelle mais aussi à la formation en entreprise. L’histoire ne dit pas encore combien cette « médecine du travail » coûte à New Delhi, mais l’alerte est donnée. D.S.www.outlookindia.com

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Plus la peine de pointer les avions du doigt. Le

transport maritime produit en fait « des émissions de CO

2 trois fois supérieures à 

ce qu’estimaient jusque-là les Nations unies », selon une étude de l’ONU relatée dans le quotidien britannique The Guardian. Le transport maritime marchand est ainsi responsable de l’émission de plus de 1 milliard de tonnes de gaz à effet de serre par an : 4,5 % des émissions mondiales. En comparaison,

le transport aérien mondial ne produit « que » 650 millions de tonnes de CO

2. Jusque-

là, l’ONU estimait la responsabilité du transport maritime « à 400 millions de tonnes de CO

2 par an au 

maximum ». L’erreur est de taille. Quand on sait que ce type d’émission n’est pas pris en compte dans les objectifs européens pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre, il y a de quoi avoir le mal de mer. C.B. www.guardian.co.uk

gros mot“ CRI ”

du développement durable. Selon les prévisions des autorités indonésiennes, les cultures d’huile de palme devraient s’étendre sur 20 millions d’hectares d’ici à 2020. Soit l’équivalent de la superficie de l’Angleterre, des Pays-Bas et de la Suisse réunis. Charlie Peggwww.newconsumer.com

La Suisse, le pays où il fait bon nager à la piscine tropicale Bienvenue à Andermatt en Suisse : ses pistes noires, son glacier

recouvert d’une bâche pour ralentir sa fonte, et bientôt son immense complexe hôtelier avec piscine tropicale. Comme plusieurs autres communes du pays, le village alpin prévoit des alternatives au ski pour faire face à la hausse continue des températures. Ici, le projet comprend six hôtels, un parcours de golf, une piscine géante et des plages et lacs artificiels, détaille le Mail & Guardian. A Zermatt, on planifie un hôtel au sommet d’une montagne de 4 000 m. Ces initiatives font rugir les défenseurs de la nature. « Leur impact pourrait être dangereux pour le paysage et les ressources naturelles », s’inquiète l’Institut de loisirs et de tourisme de Berne. Le réchauffement climatique est une réelle menace pour l’économie d’un pays, où le tourisme représente environ 5 % du PIB annuel. Pauline Hervéwww.mg.co.za

lu d’ailleurs

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� mars 2008 terra economica

Le steak haché

Le bifteck reste en travers de la gorge de la planète. Passé sur le gril, il nous a avoué émettre, dans le monde, plus de gaz à effet de serre que les transports ! PAR LOUISE ALLAVOINE

e steak haché est une valeur sûre pour les assiettes des petits et le porte-monnaie des grands. C’est en effet la viande qui réalise les plus gros volumes de vente en France. A tel

point que la filière bovine, malmenée par les crises sanitaires, est sortie de la zone rouge uniquement grâce à lui. Presque 70 % des ménages consomment du haché. Cette viande reste l’un des seuls produits élaborés à base de bœuf dont la consommation continue de croître : 4 kg par foyer français en 2007 contre 3,8 kg en 2005 (1). Côté industriels, on dé-fend fermement sa part du bifteck. Et ce sont les marques de distributeurs qui se taillent la plus belle tranche – 60 % des parts de marchés en volume – suivis par Charal, Bigard et Valtero (2).Seulement voilà, du pré à l’assiette, la viande bovine traîne quelques nuages de gaz à effet de serre derrière elle. Avant de gagner sa place en rayons et d’être dé- ci

re

voré tout cuit, le steak haché est bœuf. Pour passer de l’un à l’autre, rendez-vous à l’abattoir. Celui de Cholet (Maine-et-Loire) par exemple, le plus im-portant des neuf sites de Charal, avec son millier de salariés – un tiers des effectifs du groupe. Ici entrent chaque semaine et bien vivants environ 2 000 bovins, dont on tire notammnent 170 tonnes de steaks ha-chés. Chaque année, cela représente 8 800 tonnes de viande emballée, soit plus d’une tour Eiffel.

« Contrôlite » aiguëEntre le début et la fin de la chaîne, le bovin est anesthésié puis saigné. Ses muscles sont préparés, hachés puis moulés, l’ensemble selon un « savoir-faire  traditionnel ». Charal reste assez flou sur les détails du processus, « secret de fabrication » oblige, mais insiste sur la multiplicité des contrôles quali-té. Suite aux différentes crises sanitaires (encépha-lite spongiforme bovine, salmonelles…), les trans-formateurs ont attrapé la « contrôlite » aiguë. Dans la foulée, les abattoirs ont également procédé à leur examen environnemental : tri des déchets, réduc-tion du poids des emballages, groupement des

l’objet

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terra economica mars 2008 �

transports et surtout gestion de l’eau. « Charal réa-lise un suivi permanent de sa consommation d’eau, dispose de stations de pré-traitement des eaux usées industrielles et réalise un traitement sophistiqué des odeurs  liées au  traitement de  ces  eaux », détaille le service communication du groupe.

Un milliard de têtes à nourrirBien que transformation, emballage et transport dégagent du dioxyde de carbone (CO

2), le gaz à

problème du steak haché serait plutôt le méthane (CH

4). Les ruminants en rejettent une grande

quantité par flatulence. Et une molécule de métha-ne provoque un effet de serre 23 fois plus impor-tant qu’une molécule de CO

2, selon les experts du

Groupe intergouvernemental sur l’évolution du cli-mat (Giec). Ce n’est pas tout. Le fumier, lui, dégage du gaz hilarant, le NO

2. Mais pas de quoi rire, son

impact est 296 fois supérieur à celui du gaz carboni-que. Selon un rapport de la FAO, l’organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation, paru en 2006, l’élevage dans son ensemble émet, en

6,2 milliards d’euros, le chiffre d’affaires de la filière française de la viande en 2005.

La Chine est le premier producteur mondial de viande, devant les Etats-Unis et le Brésil.

L’élevage représente 18 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde.

Le CIV, le Centre d’information des viandes : www.civ-viande.org

Pour tout savoir sur la viande bio :www.viandebio.org

Pour aller plus loin

Sur Internet, découvrez le nouvel épisode de la série de dessins animés de Terra Economica qui dit tout sur la rose (en coproduction avec Télénantes et Six Monstres) :

www.planete-terra.fr (rubrique Environnement)

« Les apprentis z’écolos » et la rose

équivalents CO2, « 18 % des gaz à effet de serre de la 

planète ». Davantage que les transports !Les bovins en particulier polluent plus que les poules ou que les porcs. Et pas seulement par une voie que la bienséance interdit de nommer. Car la vache mange aussi. Il faut donc produire de quoi nourrir le milliard de têtes de bétail qui peuple la planète. Un rôle essentiellement tenu par l’agricul-ture industrielle, celle des rendements, des engrais chimiques – énergivores et émetteurs de gaz à effet de serre – et des pesticides. La solution ? Manger de la viande estampillée bio ? Pas si simple. Une vache, qu’elle soit élévée selon les méthodes de l’agriculture biologique ou selon celles de l’agriculture conven-tionnelle, émet la même quantité de méthane, et le fumier dégage autant de NO

2. Or l’impact sur le cli-

mat dépend en grande partie de ces facteurs « bio-logiques ». Il ne reste qu’une issue : manger moins de steaks. Selon les scientifiques Tony McMichael et John Powles, il faudrait réduire d’au moins 10 % notre consommation de viande rouge pour dimi-nuer de façon significative la contribution de l’éle-vage au changement climatique. —

(1) TNS World panel, décembre 2007, hors achats chez les bouchers traditionnels.(2) Consommation de viande : un lourd tribut environnemental, un dossier de l’Observatoire bruxellois de la consommation durable.La viande clonée fait saliver

L’agence américaine de réglementation des produits alimentaires (FDA) a donné, mi-janvier, son feu vert à la commercialisation de lait et de viande provenant d’animaux clonés. Stephen Sundlof, l’un des responsables de la FDA, assure que ces produits « sont aussi sûrs que la nourriture que nous consommons tous les jours ». L’Autorité européenne de sécurité des aliments semble s’acheminer vers les mêmes conclusions. Alors, à quand la viande issue d’animaux dupliqués dans les assiettes ? Aux Etats-Unis, pas avant cinq ans. En Europe, rien n’est fait, surtout que des voix s’élèvent contre cette mise sur le marché. Le ministre français de l’Agriculture, Michel Barnier, se dit « très très réservé », et le comité de bioéthique de la Commission européenne a émis des doutes. Le premier steak américain cloné pourrait, lui, être avalé sans que personne ne le sache, la FDA ayant décidé de ne pas exiger d’étiquetage.

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le marketing expliqué à ma mère

Une pharmacie est un univers que l’on visite rarement l’esprit totalement clair, le plus souvent embrumé par la fièvre ou un mal quelconque. Dans l’officine

de Jean-Luc Audhoui, trésorier de l’ordre des phar-maciens, à Versailles (Yvelines), « 80 %  du  chiffre d’affaires  repose  sur  les  médicaments  prescrits  sur ordonnance ». Davantage que la force marketing de ses rayonnages, la fièvre acheteuse ou le vilain virus, c’est le docteur, carnet d’ordonnances en main, qui détermine les achats du client. Les labo-ratoires pharmaceutiques l’ont bien compris : pour promouvoir leurs produits auprès des médecins, ils lâchent 2 milliards d’euros par an aux visiteurs mé-dicaux (1), ou « VM » dans le jargon du métier. ol

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Liste de coursessur ORDONNANCE

Qu’il vente ou qu’il neige, une armée de 20 000 VM sillonne la France. Des porte-étendards qui repré-sentent 20 % des effectifs de l’industrie pharmaceu-tique et auxquels les laboratoires consacrent les trois quarts de leurs dépenses de « promotion produit ». Claude Tran Thiet, ancien visiteur médical, est aujourd’hui à la tête d’Im agence, cabinet de conseil santé : « L’objectif d’un VM est bien sûr d’encourager le médecin à prescrire davantage  son produit plutôt qu’un autre. Mais on se retrouve face à une personne qui a assez étudié pour déjouer les plans grossiers. Le médecin nous reçoit pour aider ses patients à se sen-tir mieux, pas parce qu’il  est  intéressé  sur  les ventes du labo ! » Halte aux idées reçues : « A une certaine époque,  les médecins étaient  friands des produits de papeterie avec nos logos. Ils équipaient leurs enfants pour la rentrée… Depuis 1993 et la loi anticadeaux, depuis la charte éthique de 2004, c’est terminé. » Autant le savoir, un visiteur médical est rémunéré, en partie, en fonction du nombre de boîtes de médica-ments vendues sur son secteur. « De la fabrication au patient en passant par le pharmacien,  le numéro qui figure sur la boîte permet aux intervenants de garder une traçabilité parfaite du produit. C’est indispensable en cas de rappel d’un lot. Cette traçabilité, essentielle 

8 mars 2008 terra economica

Ce ne sont pas des supérettes. Pourtant, les pharmacies goûtent peu à peu aux ficelles commerciales à travers le boom de l’automédication et des génériques. PAR CANDICE MOORS

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sur le plan de la pharmacovigilance, s’avère aussi très pratique pour les labos qui souhaitent chiffrer l’efficaci-té des équipes commerciales », témoigne sous couvert de l’anonymat un VM. Les malades qui sortent d’une consultation se dirigent en effet 9 fois sur 10 vers la pharmacie la plus proche du cabinet. Il est dès lors facile de lister les médecins qui ont le mieux digéré l’argumentaire commercial.Comme l’épicier, le pharmacien n’hésite pas à en-tourer sa caisse de produits attractifs afin de dyna-miser ses ventes : sucette sans sucre, brosse à dents durable, vitamine C en promo… On en oublierait presque la particularité du lieu, le seul autorisé au commerce des médicaments. Et sur ce marché, on ne badine pas avec la législation. Il existe deux caté-gories de médicaments : ceux qui sont délivrés sur ordonnance (les médicaments dits « éthiques ») et les autres, destinés à l’automédication. La publici-té est rigoureusement interdite pour les premiers, remboursés par la collectivité et donc rangés hors de portée des consommateurs. Pas d’opération promotionnelle du type  « un  corticoïde  acheté,  un offert ». Si le marché du médicament est libre et concurrentiel, avec interdiction de s’aligner sur le prix du voisin, c’est à l’exception des médicaments prescrits sur ordonnance dont le prix est, lui, fixé par l’Etat.

La guerre des comptoirsL’arrivée des génériques a mis un peu de désordre dans les murs et encouragé la guerre des prix (2). Le Comité économique des produits de santé (Ceps) fixe le rabais légal autorisé entre un générique et sa spécialité de référence dans une fourchette allant de « moins 30 % à moins 40 % ». Et quand un pharma-cien commercialise un générique, il conserve le droit de calculer sa marge sur le prix du médicament de référence, qui se trouve être le plus onéreux des deux. Pour vendre au mieux leurs produits, les laboratoi-res historiques doivent donc désormais faire preuve d’imagination. L’une des astuces consiste à rejoindre le clan des médicaments d’automédication pour les-quels la publicité grand public est autorisée et le prix libre. Sans attendre le déremboursement ou l’arrivée de génériques, certains labos passent ainsi d’eux-mê-mes en « OTC » pour « over  the  counter », soit « de l’autre  côté  du  comptoir ». Dès 1999, Sanofi Aventis avait provoqué lui-même le déremboursement du Maalox, son produit phare antiballonnement délivré

sur ordonnance. Désormais en vente libre, le médica-ment n’a pas changé sa formule chimique et sa petite mascotte souriante en forme d’estomac passe même à la télé. En 2007, l’automédication a représenté 6,1 % du chiffre d’affaires du marché total du médicament. Une précision : l’Afssaps, l’agence française de sécu-rité sanitaire des produits de santé, veille à la fois sur les argumentaires destinés au grand public et sur ceux relayés par les visiteurs médicaux aux médecins.

Un packaging trompeurPour le Leem, regroupement des industriels français du médicament (3), les campagnes d’informations ne sont pas des campagnes promotionnelles dégui-sées. D’ailleurs, le contrôle permanent des autorités de santé « devrait au moins rassurer sur le fait que les industriels du médicament cherchent moins à vendre des médicaments qu’à bâtir une société qui se soigne mieux ». Le sérieux est une recette marketing bien connu. La preuve ? « Des labos qui ne disposent que d’un  seul  produit  classé  en  médicament  sont  tentés d’adopter le même packaging pour tout le reste de la gamme. Seul le code indiqué sous la boîte permet de les différencier !, signale notre pharmacien. A côté de cela, des fabricants de produits de soin, n’ayant rien à voir avec le médicament, cherchent à être distribués chez nous le temps de se construire une image respec-table. » On appelle cela l’effet blouse blanche. — (1) Rapport de l’Inspection générale des affaires sanitaires, septembre 2007.(2) Le décret de substitution date de 1999.(3) Les entreprises du médicament (Leem) représentent 98,7 % de l’activité du médicament en France.

Le circuit du médicament (réglementation et économie) : www.leem.org

L’ordre des pharmaciens : www.ordre.pharmacien.fr

Sur les dépenses liées à l’information des médecins généralistes (Igas, septembre 2007) : www.imagence.com/UserFiles/IGWSImagence/File/pdf/rapport_igas.pdf

L’Agence française de sécurité sanitaires des produits de santé (Afssaps) :http://afssaps.sante.fr

La revue indépendante Prescrire :www.prescrire.org

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Pour aller plus loin

Retrouvez « le marketing expliqué à ma mère » sur : www.terra-economica.info

19 863 visiteurs médicaux en France, dont 84% sontattachés à des labos.

27,5 %, la part de marchédes génériques, en volume, en 2006 en France.

La France, 1er pays producteur européen de médicamentset 3e exportateur mondial.

terra economica mars 2008 �

Fièvre commerciale aux Etats-UnisLes laboratoires américains ne regardent pas à la dépense. Selon l’estimation de deux chercheurs canadiens indépendants, Marc-André Gagnon et Joel Lexchin, leur budget marketing aurait atteint 57,5 milliards de dollars en 2004. Soit deux fois plus que les 29,6 milliards consacrés à la recherche et au développement dans la même année ! Ce trésor a été « investi » en visites médicales, en échantillons gratuits, en publicité dans la presse ou en colloques. Mais l’addition aurait pu se révéler plus lourde si les auteurs avaient aussi comptabilisé les pseudo-publications scientifiques utilisées à des fins promotionnelles.

Page 10: INVENTEZ LA PLANÈTE DE DEMAIN

Mansour Osanloo dirige le Syndicaye Sherkate, le syndicat des chauffeurs de bus de Téhéran. Le 10 juillet 2007, il a été

arrêté et envoyé vers la prison d’Evin, au nord de la capitale. Depuis, la Confédération syndicale inter-nationale (CSI) se mobilise. Elle a organisé une jour-née de soutien, le 9 août 2007, signé mi-décembre une résolution condamnant « l’oppression continue contre  le  mouvement  des  syndicats  indépendants » en Iran et exigé la libération immédiate d’Osanloo. C’est la mission de la CSI : faire respecter aux qua-tre coins du monde les libertés syndicales, garanties des droits essentiels du travailleur.

Une « boîte » de 168 millions de salariésLa CSI est née de la fusion de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL), plutôt sociale-démocrate, de la Confédération mon-diale du travail (CMT) aux racines chrétiennes et de huit autres syndicats jusqu’ici non affiliés. A sa fondation en 2006, la CSI est devenue tout bonnement la reine de l’échiquier syndical mon-dial. Aujourd’hui, elle rassemble 311 organisa-tions présentes dans 155 pays, soit pas moins de 168 millions individus abrités sous son immense parapluie. Récoltant ses deniers à travers un sys-tème de cotisations en paliers (calculés en fonc-tion du PIB national), l’organisation affiche un budget annuel de 10 millions d’euros. Une paille, étant donné les objectifs qu’elle s’est fixés : éradi-quer l’esclavage, le travail des enfants, mettre fin à la discrimination à l’égard des femmes, des jeunes ou encore des migrants. Et pour s’attaquer à ces chantiers titanesques, la CSI dispose de sa boîte à outils personnelle. Pre-mier d’entre eux : des rapports solides qui poin-tent du doigt les infractions les plus sévères. Cha-que année, elle fait ainsi, en 300 pages, le compte des violations des droits syndicaux et décerne la palme du plus mauvais élève. Cette distinction a été remportée l’an dernier par la Colombie : 78 re-présentants syndicaux y ont été abattus rien qu’en 2006. Ces rapports sont envoyés aux instances in-ternationales, comme les Nations unies, l’Organi-sation de coopération et de développement éco-nomiques (OCDE), l’Organisation internationale du travail, et nationales. « Dans  des  pays  comme la Birmanie, il est inutile de parler avec la junte au pouvoir pour  tenter d’améliorer  la  situation. Nous nous adressons alors à l’Europe, aux gouvernements des pays de l’OCDE, afin de faire pression économi-quement et politiquement pour obtenir la restaura-

Les syndicats ont leur « world company » : la Confédération syndicale internationale qui rassemble 311 organisations dans le monde. Elle a compris que le simple lobbying ne suffisait plus pour se faire entendre.PAR KARINE LE LOËT

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La multinationaleSYNDICALE

10 mars 2008 terra economica

la boîte noire

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CREATION : fondée le 1er novembre 2006, la CSI est issue du rapprochement entre la Confédération internationale de syndicats libres (CISL), la Confédération mondiale du travail (CMT) et quelques autres organisations non affiliées dont la CGT française. BUDGET : environ 10 millions d’euros par an. MEMBRES : la CSI rassemble 311 organisations présentes dans 155 pays et représente 168 millions individus. DIRIGEANTS : le secrétaire général est l’Anglais Guy Rider. SIèGE : Bruxelles.

fiche d’identité

La France attaque de frontA la naissance de la CSI en 2006, les quatre principaux syndicats français – CGT, CFDT, FO et CFTC – se sont vus pour la première fois réunis au sein d’une même organisation mondiale. Divisés sur le plan national, les syndicats français appartenaient à des organisations mondiales concurrentes. Pour la CGT, ce fut longtemps la Fédération syndicale mondiale, aux racines soviétiques, pour FO, la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) aux positions proaméricaines. La CFTC faisait, elle, partie depuis 1920 de la Confédération internationale des syndicats chrétiens (CISC), fondée à l’initiative de l’Eglise catholique, et qui est devenue la Confédération mondiale du travail (CMT) en 1968. Enfin la CFDT, d’abord affiliée à la CMT, est passée à la CISL en 1988. Désormais, les quatre syndicats français œuvrent dans la même maison. « Faire entendre des voix discordantes auprès d’une instance internationale comme celle-ci, ce serait discréditer le syndicalisme français. Ce dialogue sur la scène internationale peut nous faire progresser sur le plan purement national. En tout cas nous l’espérons... », confie Jean-Michel Jourbier, de la CGT.

ses campagnes sur le terrain. Cette année de JO de Pékin, elle a lancé une offensive de taille auprès du Comité international olympique. Son ambi-tion : faire respecter les droits des travailleurs im-pliqués dans la chaîne de production du secteur sportif. Une journée mondiale d’action pour « le travail décent » est prévue par ailleurs le 7 octobre 2008 afin de sensibiliser le plus grand nombre aux droits fondamentaux des travailleurs. « C’est  une première, souligne Jean-Michel Joubier. Si  nous sommes  en  nombre  suffisant  ce  jour-là,  les  instan-ces internationales verront bien qu’une organisation structurée  au  niveau  mondial  est  capable  de  faire entendre sa voix. »Car, à l’heure de la mondialisation, la CSI dit vou-loir jouer un rôle de premier plan. « Il y a encore vingt ans,  un  syndicat  pouvait  se  contenter  d’agir sur  le  plan  national  ou  européen  sans  appartenir à  une  structure  mondiale.  Aujourd’hui,  hormis quelques  questions  franco-françaises  sociales  ou relatives  à  l’emploi,  tout  se  règle  au  niveau  inter-national.  Prenez  la  délocalisation  d’une  entreprise par  exemple,  elle  ne  peut  se  discuter  qu’à  l’échelle mondiale », insiste Luc Martinet, secrétaire confé-déral à la CFDT. Ainsi seule la CSI pourra coor-donner les actions des quatre coins de la planète et inventer une mondialisation « à visage humain », soulignent en chœur les syndicats. En aura-t-elle la carrure : « On  n’est  encore  qu’une  potentialité, décrypte Jean-Michel Joubier de la CGT. La  CSI a prouvé qu’elle voulait travailler plus efficacement. Maintenant,  reste  à  nous,  organisations  affiliées,  à prendre  les  mesures  nécessaires  pour  transformer cette  bonne  résolution  en  réalité. » En attendant, Mansour Osanloo est, lui, toujours en prison en Iran. —

tion des droits fondamentaux du travail », explique Tim Noonan, du service de communication de la CSI. Le lobbying est souvent long et douloureux. Il porte parfois ses fruits, mais se heurte souvent à des murs infranchissables. Sauf que la toute nouvelle CSI semble s’être dotée d’échasses pour franchir les obstacles les plus importants. « Les instances  internationales  précédentes  manquaient d’efficacité. Alors nous avons voulu que la nouvelle organisation  réponde  à  une  dynamique  différente, explique Jean-Michel Joubier, conseiller à l’espace Europe-International de la CGT, l’un des quatre syndicats français affiliés à la CSI. Aujourd’hui, la CSI ne se contente pas d’un simple lobbying auprès des gouvernements. Lors de la répression de la grève générale en Guinée fin 2006, elle a envoyé sur place son secrétaire général pour affirmer son soutien aux travailleurs. Désormais, c’est du concret. »

Les Jeux olympiques en ligne de mire    Ainsi, la nouvelle CSI ne se contente plus d’affi-cher seulement un visage indigné, mais dégaine

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Confédération syndicale internationale : www.ituc-csi.org

Campagne pour libérer Mansour Osanloo : www.itfglobal.org/campaigns/freeosanloo.cfm

Confédération européenne des syndicats :www.etuc.org/fr

Pour aller plus loin

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France Périls en la demeure

dossier

Boulevard Richard Lenoir, à Paris (XIe arrondissement).

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terra economica mars 2008 13

France Périls en la demeure

énover ? Isoler sa salle à manger ? Chan-ger  de  chauffage ?  Direction  le  maga-sin de bricolage. La  liste des courses est plutôt  longue,  et  peu  de  chance  en  fait, d’arriver  à  s’en  sortir  sans  faire  appel  à des professionnels. Faisons  simple pour commencer. Installons une pompe à cha-

leur – avec son matériel de forage et son générateur thermodynamique –,  quelques  dizaines  de  mètres carrés  de  capteurs  solaires  et  leur  générateur  pho-tovoltaïque  sans oublier une  trentaine de panneaux isolants de toutes tailles pour doubler les murs, si be-soin. Allez, tiens, il reste un peu de place dans le 

Les 31 millions de logements de l’Hexagone sont une passoire énergétique. Trop vieux, mal isolés… La construction d’écoquartiers ne suffira pas à inverser la tendance. C’est tout un parc qu’il faut rénover. Propriétaires, professionnels du bâtiment et pouvoirs publics sont-ils prêts ? 

PAR MATTHIEU AUZANNEAUlore

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chariot,  ajoutons  un  nouveau  lave-vaisselle à basse consommation.Transformer  la  manière  de  concevoir l’habitat  constitue  le  chemin  le  plus prometteur  pour  lutter  contre  le  chan-gement  climatique.  Mieux  isoler  pour moins  chauffer,  consommer  moins d’énergie et émettre moins de gaz à ef-fet  de  serre :  il  s’agit  là,  pour  une  fois, d’un enjeu consensuel. Contrairement à la voiture, à l’agriculture et aux déchets – pour lesquels les efforts à fournir sont souvent  jugés  dangereux  pour  la  com-pétitivité –, la rénovation des bâtiments existants et la construction d’« écoquar-tiers » attirent les entrepreneurs alléchés par les opportunités économiques.Engager des travaux pour les 31 millions de logements déjà existants dans l’Hexa-gone  représenterait  un  investissement de quelque 8 milliards d’euros par an et créerait  pas  moins  de  180 000 emplois, selon  l’Agence  de  l’environnement  et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Un indice ne trompe pas : c’est dans le do-maine de la construction et du logement que chefs d’entreprises et ONG se  sont entendus le plus vite lors du Grenelle de l’environnement,  en  septembre dernier. La France est-elle pour autant en mesure de relever le défi ?

Le casse-tête des matériauxStéphane  Dumont,  29 ans,  est  pompier professionnel dans la région bordelaise. Il vient d’acheter un terrain sur lequel il sou-haite construire une maison pour lui et sa petite famille. Il se dit déterminé à « bâtir écolo ».  Mais  il  se  retrouve  aujourd’hui dans une impasse. « Je croyais être un très bon bricoleur, mais là, je ne m’en sors pas. Les  matériaux  nécessaires  sont  chers  et  il faudrait  être un  expert pour  choisir  entre le solaire et la géothermie, pour isoler cor-rectement  les  combles,  et  j’en  passe.  Mon budget est serré et je n’ai pas les moyens de faire appel à un architecte pour trouver la solution. »  Pour  Stéphane  et  pour  beau-coup d’autres, les obstacles économiques, fiscaux, juridiques et techniques sont lé-gion.  Les  solutions  envisagées  par  l’Etat –  essentiellement des aides financières à 

Mais le retard vis-à-vis des pays du nord de l’Europe est important. L’Allemagne a déjà bâti 7 000 logements à énergie posi-tive.  En  France,  ces  constructions  nova-trices  « se  comptent    sur  les  doigts  d’une main », note Thierry Salomon, président de l’association négaWatt, association qui milite  en  faveur  des  économies  d’éner-gie.  A  la  mairie  de  Limeil-Brévannes, Illy  Mannouz  pilote  le  plus  vaste  projet d’écoquartier  lancé  à  ce  jour  en  France. Conçu par Roland Castro et baptisé « Les Temps durables », cet ensemble d’un mil-lier de  logements devrait  être achevé en 2011.  Pour  Illy  Mannouz,  « Les  Temps durables  sont  un  projet  exemplaire,  mais il  reste  encore  beaucoup  de  chemin  pour que  l’exemple  puisse  être  suivi  partout ». L’architecte et urbaniste Yves Lion, vice-

travers subventions et crédit d’impôt – ne semblent donc pas à la hauteur de l’enjeu. Le bâtiment est le secteur d’activité le plus gourmand en énergie : il absorbe 42 % de la production  française. Et  logements  et bureaux génèrent 23 % des gaz à effet de serre, à peine moins que le transport rou-tier, première source d’émission. L’objec-tif  fixé  lors  du  Grenelle  de  l’environne-ment  consiste  à  diminuer  de  plus  d’un tiers la consommation énergétique du lo-gement et des bureaux à l’horizon 2020. Un tiers d’énergie consommée en moins, c’est davantage que les 20 % de réduction auxquels la France s’en engagée tous sec-teurs  confondus.  La  transformation  du bâtiment sera bien le front principal de la lutte contre le réchauffement, incontour-nable  si  l’Hexagone veut parvenir à une division par un facteur 4 des émissions de gaz à effet de serre en 2050.

Factures de chauffage indoloresL’évolution  promet  d’être  rapide.  Dans moins  d’une  décennie,  une  famille  qui souhaitera  acquérir  un  logement  neuf aura toutes les chances de se voir propo-ser  un  appartement  dans  un  immeuble d’un  nouveau  type,  pratiquement  in-connu aujourd’hui en France. Les projets d’« écoquartiers » fleurissent un peu par-tout, à Limeil-Brévannes (Val-de-Marne), Narbonne  (Aude),  Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire),  Bordeaux  (Gironde), Lyon (Rhône) ou encore à Paris. Des bâ-timents  compacts,  économes  en  énergie grâce à leur orientation et à leur isolation, faisant appel aux capteurs solaires et à la géothermie pour la production d’énergie (voir  aussi  pages 22-23).  Gestion  draco-nienne des déchets, récupération des eaux de  pluies…  Toutes  les  solutions  techni-ques y sont mises en œuvre pour limiter l’impact environnemental. Le Grenelle de l’environnement  a  fixé  pour  objectif  de « généraliser » dès 2015 la construction de ces  logements neufs à basse consomma-tion d’énergie, par le biais d’un renforce-ment futur des normes. En 2020, il faudra tendre vers le bâtiment à « énergie positi-ve », c’est-à-dire capable de produire plus d’énergie qu’il n’en consomme.  

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A Fontainebleau, réhabilitation du quartier Henri IV, en 2006.

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président  du  groupe  « Climat »  lors  du Grenelle  de  l’environnement,  donne  un aperçu  de  la  révolution  culturelle  à  ac-complir  (1) :  « Dans  le  fond,  ce  qui  doit changer,  c’est  l’éthique plutôt que  la  tech-nique (...) Cela dit, je ne suis pas sûr que le monde de l’architecture se passionne pour ces problèmes pourtant essentiels. » Passer à des  constructions consommant moins de  50 kilowattheures  (kWh)  par  mètre carré  et  par  an  constituerait  un  progrès 

très  substantiel,  quand  la  norme  dans le  nord  de  la  France  se  situe  entre  200 et  250 kWh/m2/an  pour  des  bâtiments neufs. Le surcoût à  l’achat, de  l’ordre de 15 % par rapport à des édifices classiques, serait  amorti  en  une  dizaine  d’années, grâce à des factures de chauffage et d’élec-tricité bien plus  légères. « Il ne  s’agit pas seulement de chiffres, espère Jean-Stépha-ne Devisse, de l’ONG WWF France. Bâtir des  habitations  qui  intègrent  les  énergies 

Rénover le parc de logements français représenterait un investissement de 8 milliards d’euros par an et créerait 180 000 d’emplois.

renouvelables, qui prévoient d’emblée une gestion saine des déchets et des eaux usées, cela va encourager une évolution profonde des mentalités dans le futur. »Mais  les  constructions  neuves  ne  repré-sentent  qu’une  toute  petite  partie  du problème.  Car  80 %  des  bâtiments  qui existeront en 2020 ont déjà été construits, souligne  la  Fnaim  (Fédération  natio-nale  des  agents  immobiliers).  « En  fait, l’essentiel de  l’effort à  fournir porte  sur  le logement ancien qu’il va  falloir profondé-ment rénover si  l’on veut réussir »,  insiste Thierry Salomon, de négaWatt. La feuille de route dressée lors du Grenelle de l’en-vironnement table sur 400 000 logements rénovés  chaque  année  à  partir  de  2012. Le coût de chaque rénovation est estimé à 200 euros par mètre carré, soit la baga-telle de 20 000 euros par habitation. Et ce n’est qu’une moyenne.René Pallincourt, président de la Fnaim, s’inquiète,  à  l’image  de  la  plupart  des professionnels  de  l’immobilier  :  « Je 

Le logement socialà la peineTrente-trois comités opérationnels ont pris le relais du Grenelle de l’environnement. L’heure est à l’action. Côté logement, la priorité va être donnée au social. Sur 850 000 logements étudiés, 11,8 % appartiennent aujourd’hui à la classe G, 17,6 % à la classe F et 70,6 % à la classe D : les trois catégories les moins performantes sur le plan énergétique. L’objectif sera de faire évoluer ces logements dans la classe supérieure, selon l’Anru (l’Agence nationale de rénovation urbaine). Coût de l’opération : 12 500 euros par logement. Dans son rapport d’étape, le comité opérationnel suggère par ailleurs 44 pistes de travail pour faciliter et encourager la rénovation du parc de logements anciens, dont l’écoprêt à taux 0, l’optimisation du diagnostic de performance environnementale ou bien encore un système de crédit d’impôt.

A Fontainebleau, réhabilitation du quartier Henri IV, en 2006.

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16 mars 2008 terra economica

crois qu’on ne mesure pas bien  l’am-pleur du problème. Dans chaque immeu-ble, il va falloir doubler les façades pour les isoler, changer les fenêtres et leurs menui-series,  revoir  les  toitures,  etc !  Quand  on voit  la  difficulté  qu’éprouvent  la  plupart des copropriétés à faire voter les moindres petits  travaux... »  Doubler  les  façades : rien  que  pour  ça,  le  casse-tête  promet d’être  gigantesque.  Car  une  bonne  iso-lation  se  fait  par  l’extérieur  des  murs. Il  faudra  obtenir  l’accord  de  la  mairie pour avoir le droit d’empiéter sur la voi-rie, trouver les matériaux adéquats pour ne  pas  défigurer  les  immeubles,  refaire passer  les  systèmes  de  ventilation,  les gouttières, et faire intervenir un cabinet d’expertise pour avoir l’assurance que le jeu en vaut bien la chandelle.  

Cent ans de travaux !Pas question d’imposer quoi que ce soit : la  politique  envisagée  est  purement  in-citative. Les pouvoirs publics devront se montrer persuasifs et faire en sorte que les  propriétaires  soient  assurés  de  s’y retrouver. Premier obstacle :  les charges 

de chauffage et d’électricité sont la plu-part du temps payées par  les  locataires, donc les bailleurs auraient peu d’intérêts à  les  voir  réduites…  Les  diagnostics  de performance énergétique (DPE) des ha-bitations  sont  aujourd’hui  obligatoires. Pourtant,  selon un sondage commandé 

en  2007  par  la  Fnaim,  seuls  19 %  des propriétaires se disent prêts à entrepren-dre des travaux après avoir reçu le DPE de leur appartement ou de leur maison. Autre  écueil,  de  taille :  c’est  aux  popu-lations  les plus pauvres que  l’on va de-mander  les  efforts  les  plus  importants. 

Outil de référence en France, la démarche de « Haute qualité environnementale » (HQE) a été élaborée dans les années 1990. Ce cahier des charges comprend une longue liste de cibles : limitation des impacts à la construction, gestion raisonnée de l’eau, de l’énergie et des déchets, mais aussi objectifs sanitaires (qualité de l’air, limitation des champs électromagnétiques) et de confort (isolation acoustique). Dans la région pionnière du Nord-Pas-de-Calais, où 150 bâtiments HQE ont été érigés depuis 1993, on a par exemple obtenu des économies de 20 % à 30 % en eau et en énergie, et une réduction de 50 % des émissions polluantes par rapport à des immeubles classiques. Le Grenelle de l’environnement devrait favoriser une accélération de la démarche HQE. La commission Attali a proposé de construire un minimum de 10 « Ecopolis », des villes nouvelles HQE d’au moins 50 000 habitants, d’ici à 2012. Le projet est critiqué par de nombreuses associations écologistes. Elles affirment que la construction de nouvelles villes – quelle que soit la qualité de leur construction – ne fera qu’augmenter l’étalement urbain, encourageant le recours aux transports routiers polluants.

HQE, le label made in France

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Parc d’affaires aux normes « haute qualité envrionnementale » construit à Valence, en 2006.

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terra economica mars 2008 17

Les  architectes  des  grands  immeubles construits entre les années 1960 et 1990 ne  se  souciaient  guère  de  la  qualité  de l’isolation thermique. Il  fallait bâtir vite pour  répondre  aux  besoins  immenses d’une clientèle modeste, qui pouvait en-fin accéder à un logement HLM ou à un petit pavillon de banlieue (lire page 15). On a surnommé ces constructions à bas coût des « poubelles énergétiques ». Dans les  lotissements  du  nord  de  la  Fran-ce,  une  maison  à  chauffage  électrique consomme  couramment  700 kWh/m2/an,  quand  l’objectif  est  de  se  limiter  à 150 kWh/m2/an en 2020. Il faudra donc souvent choisir entre des rénovations et la démolition pure et simple. Et aucune étude n’évalue encore le volume d’émis-sions de gaz à effet de serre qu’engendre-raient d’aussi vastes chantiers.Le gouvernement promet de fourbir un arsenal de mesures capables de convain-cre  propriétaires  et  bailleurs.  Crédit d’impôt,  prêts  bonifiés,  étiquetage  des appareils  électriques.  Pour  l’association négaWatt, qui participe aux comités de suivi du Grenelle de l’environnement, ce 

type de mesures ne suffit pas à garantir que les rénovations seront mises en œu-vre.  Thierry  Salomon  s’alarme :  « Avec une multitude de mesures simplement in-citatives,  il est naturel qu’un propriétaire ne  se  lance  dans  des  travaux  que  petit  à petit  et  au  cas  par  cas,  sans  projet  cohé-rent.  Untel  refera  la  toiture  quand  cela deviendra urgent, Untel trouvera suffisant d’installer un isolant de 5 cm d’épaisseur, alors  que  10 cm  seraient  nécessaires.  On n’en viendra pas à bout en cent ans ! » Du coup, négaWatt milite pour une stratégie beaucoup  plus  contraignante :  rendre obligatoire  des  travaux  de  rénovation en  profondeur  lors  de  chaque  mise  en vente. Chaque année, 450 000 logements changent  de  mains  en  France,  un  peu plus que les 400 000 rénovations annuel-les sur lesquelles table le rapport final du Grenelle de l’environnement. 

Plus c’est vert, plus c’est cherContraindre  les  propriétaires  à  engager des travaux est politiquement plus déli-cat que de  les y  inciter par  la promesse d’avantages fiscaux. Mais plusieurs argu-

ments économiques jouent en faveur de cette politique « à la baguette ». Des tra-vaux de rénovation importants peuvent aboutir à une division par trois ou qua-tre de la facture d’énergie : on estime en général que de tels travaux sont amortis en dix ou quinze ans. En Allemagne, en Autriche et en Suisse, certaines banques acceptent d’abaisser les intérêts sur leurs crédits destinés à des travaux de rénova-tion, en les gageant sur les économies à venir en chauffage et en électricité. Ces  banques  parient  sur  une  hausse inexorable  des  prix  de  l’énergie.  Le  pé-trole  et  le  gaz  naturel  devraient  en  effet devenir de plus en plus chers, et la libéra-lisation du marché de l’électricité risque, selon la majorité des analystes, d’aboutir à  une  hausse  du  prix  du  kilowattheure. Une  facture d’énergie allégée débouche-rait donc à terme sur une augmentation de la valeur du bien immobilier, les loge-ments  peu  gourmands  en  énergie  étant de plus en plus demandés. Le banquier s’y retrouverait, puisque son client pourrait revendre son bien  immobilier plus cher. En Suisse, un bien bénéficiant du label m

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Projet de maison écologique pour le propriétaire d’une plantation de café à Coorgn, en Inde.

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18 mars 2008 terra economica

Elles  n’existent  pas  encore  que, déjà,  des  barricades  s’érigent contre  leur  construction.  Les dix « villes écologiques » promi-

ses  par  Gordon  Brown,  le  Premier  mi-nistre britannique, ne sont pas vues d’un œil  très  bienveillant.  Pire,  dans  quatre des régions pressenties pour leur accueil, elles ont déjà fait descendre dans la rue plusieurs  centaines  d’habitants.  « Le moins  que  l’on  puisse  dire,  c’est  que  les manifestants sont très en avance,  s’agace le  porte-parole  du  ministère  en  charge 

Les écovilles, casse-tête capital Dix « eco-towns » doivent sortir de terre d’ici à 2020 outre-Manche. Ces gigantesques projets urbains effraient les riverains.PAR ERIC ALBERT (A LONDRES)

GRANDE-BRETAGNE

Minergie, qui garantit une excellente isolation  thermique,  vaut  environ  15 % de plus qu’un logement normal.Résumons : d’un côté de la balance, un surcoût de travaux de l’ordre de 10 % à 20 % de la valeur des biens (en se fon-dant sur une moyenne de 200 euros de travaux de rénovation par mètre carré). De  l’autre,  un  retour  sur  investisse-ment  en  une  quinzaine  d’année,  grâce aux  économies  d’énergie,  et  une  valo-risation  de  quelque  15 %  à  la  revente, si  l’on  se  fie  à  l’expérience  helvète.  La rationalité économique  inciterait donc à  convoquer  sur-le-champ  architecte, maçon,  couvreur  et  électricien.  Il  ne reste plus qu’à  le  faire  savoir aux 81 % de  propriétaires  qui,  d’après  le  sonda-ge  de  la  Fnaim,  ne  voient  aucune  rai-son d’entreprendre des  travaux, même quand on leur met sous le nez l’ineffica-cité énergétique de leur pré-carré !

La peur de l’effondrement immobilierMais peut-être n’ont-ils pas tort. Car tous ces  savants  calculs  de  rentabilité  pour-raient vite devenir caducs en cas d’effon-drement des prix de l’immobilier, ou, au contraire, en cas de poursuite de la hausse du prix du mètre carré. Si les prix de l’im-mobilier chutent comme aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, faire des écono-mies d’énergie risque d’apparaître secon-daire. S’ils continuent à grimper comme en France, il sera délicat de faire accepter un surcoût de travaux. L’avenir  économique  est  toujours  in-certain. Le ministre de  l’Ecologie,  Jean-Louis Borloo, en est peut-être conscient, puisque à peine quelques dizaines de ses fameuses  « maisons  à  100 000 euros », promises  lorsqu’il  était  en  charge  de  la Cohésion sociale, sont finalement sorties de terre : la faute aux terrains, trop rares et trop coûteux. L’avenir écologique, lui, est plus que certain si la société se mon-tre  incapable de s’adapter, avec ou sans rationalité  économique.  « La  maison brûle »,  crie  l’un.  « L’extincteur  est  trop cher », répond l’autre. — (1) Le Monde du 13 janvier 2008.

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Système de ventilation, du quartier écologique de BedZED à Londres.

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des  Communautés  locales.  Les  emplacements  ne sont pas encore confirmés et  il est possible qu’aucun projet ne voie le jour là où des manifestations ont eu lieu. »En  juin  2007,  ces  eco-towns,  ou  villes  écologiques, constituaient l’une des promesses phares de Gordon Brown alors en campagne pour devenir Premier mi-nistre. Si les cinq premières doivent voir le jour d’ici à 2016, cinq autres devraient sortir de terre les qua-tre années suivantes. Sous les toits sertis de panneaux solaires de chacune de ces cités, 5 000 à 20 000 habi-tants devraient venir installer leur foyer.

La campagne bucolique voit rougeMais voilà, payante en temps de campagne, une telle promesse semble plus difficile à concrétiser au quo-tidien. Car  là où la  localisation des régions candi-dates – pourtant jalousement gardée secrète par le gouvernement – est arrivée aux oreilles du public, c’est l’expression « ville nouvelle » qui a retenu l’at-tention des riverains et non le terme « écologique ». Exemple à Long Marston, un ancien camp militaire planté près de Stratford-upon-Avon,  le bourg na-tal de Shakespeare. Là, les riverains ont vu rouge en 

apprenant que leur jolie campagne bucolique pour-rait voir pousser pas moins de 6 000 logements d’ici une dizaine d’années. « Il serait dévastateur pour les villages  des  environs  d’installer  au  milieu  de  nulle part une ville sans aucune infrastructure prévue aux alentours »,  s’inquiète  Myles  Pollock,  porte-parole du groupe de protestataires.Rien  n’a  encore  été  validé,  martèle  aujourd’hui  le gouvernement.  Le  nom  des  régions  sélectionnées doit en effet être annoncé dans  les semaines à ve-nir.  Restera  ensuite  à  décrocher  les  autorisations de  construction  puis  à  ouvrir  une  consultation officielle  pour  chacun  des  projets.  Surtout  qu’au-delà de  l’opposition des riverains, ces « écovilles » restent encore à inventer. En effet, jusqu’à présent, seuls  quelques  quartiers  « laboratoires »  existent sur le territoire britannique. Parmi eux, BedZed, un petit  bloc  d’immeubles  de  200  habitants  érigé  au sud de Londres. Mais de cité à proprement parler, large et autonome, point. Or,  le  projet  de  Gordon  Brown  ne  manque  pas d’ambition.  Les  nouvelles  écovilles  devront  être « zéro carbone »  et   s’afficher comme « exemplaires dans au moins une technologie de l’environnement ». Elles  devront  accueillir  des  écoles,  des  magasins, des  loisirs et des entreprises. 30 % à 50 % de  leurs logements  devront  être  offerts  à  bas  prix.  Enfin, elles devront entretenir des « liens solides » avec les villes voisines, notamment en terme de transports publics.  Du  côté  du  financement,  c’est  le  secteur privé  qui  parie  sur  une  revente  lucrative  des  ap-partements créés. Mais le gouvernement se prépare aussi à vider ses bas de laine : 1,7 milliard de livres (2,3 milliards d’euros) patientent dans le tiroir, afin de donner un petit coup de pouce au projet.

Une centrale trop bruyanteLes chemins de l’écologie restent, quoiqu’il en soit, tortueux.  L’histoire de BedZed,  depuis  son ouver-ture  en  2002,  a  ainsi  été  jalonnée  de  multiples contrariétés. La centrale biomasse qui devait four-nir l’électricité en brûlant le bois de l’élagage lo-

Chaque écocité devrait abriter entre 5 000 et 20 000 habitants.

Présentation officielle des « eco-towns » : http://www.communities.gov.uk/housing/housingsupply/growthareas/ecotowns

Rapport sur la lutte contre le réchauffement climatique du Grenelle de l’environnement : www.legrenelle-environnement.fr/grenelle-environnement/spip.php?rubrique9

Pour aller plus loin

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cal n’était pas au point. Trop bruyante, elle a dû être coupée la nuit, sur ordre des autorités locales. Or, éteindre et remettre en marche la centrale tous les  jours  a  fini  par  encrasser  ses  tuyaux.  Pire,  elle s’est révélée à terme plus polluante que la moyenne britannique ! Autre problème : l’eau de pluie récol-tée sur les toits devait être filtrée, avant d’être utili-sée pour les toilettes et l’arrosage des jardins. Mais la « machine vivante » chargée de purifier  les eaux usées  fonctionnant à base de roseaux et de  traite-ments ultraviolets a exigé que l’eau soit fortement pompée et... a donc consommé beaucoup d’électri-cité. Or, BedZed est au moins vingt-cinq fois plus petit que les « écovilles » promises à la construction. Il faudra donc certainement des années de tâtonne-ments avant qu’elles ne voient le jour. —

Hôtels particuliersPlus d’excuse pour ne pas passer ses vacances au vert, à Londres. Depuis octobre, les visiteurs en virée dans la capitale britannique peuvent opter pour un hôtel, une salle de spectacle, une croisière sur la Tamise estampillés « vert » par la ville. Contre un versement de 350 à 750 euros par an, les établissements candidats s’offrent le bilan d’un expert en environnement et le droit d’afficher leur récompense sur leur pas de porte. Parmi les critères reconnus : des ampoules éteintes plus souvent, un tas de poubelles moins ventru ou encore une flotte de vélos mise à la disposition du touriste. Pour l’hôtel récompensé, c’est l’occasion de faire des économies sur les factures et de s’attirer des bataillons de visiteurs de plus en plus soucieux du climat. Ainsi, une pléiade de grands lieux londoniens ont déjà rejoint la file des candidats au label. Parmi eux, le prestigieux Ritz, le zoo de la ville ou encore la 02 Arena, immense salle de spectacle au bord de la Tamise. L’objectif du maire de Londres est clair : métamorphoser sa ville en cité exemplaire et accueillir, en 2012, les JO les plus verts de l’histoire de la compétition.

Karine Le Loët (à Londres)

Voyage au cœur d’un fantasme citadin

ALLEMAGNE

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L’écoquartier Vauban de Fribourg est cité comme modèle dans toute l’Europe. Il attire chaque année des milliers de curieux en mal d’inspiration. Dont une écrasante majorité de Français. PAR ANTOINE HEULARD (A FRIBOURG)

«Aujourd’hui, il n’y a plus besoin d’être écolo pour s’intéresser  au  déve-loppement  durable ! » 

Appareil photo autour du cou, carnet de notes à la main et regard à l’affût, André avance d’un pas décidé dans les rues sans voiture  de  l’écoquartier  Vauban.  « Avec le  Grenelle  de  l’environnement  et  Nico-las Hulot à  la  télé,  tout  le monde se  sent concerné. »  André  siège  au  conseil  mu-

nicipal d’une petite commune, tout près d’Annemasse  (Haute-Savoie).  « Mais vous  ne  citez  pas  mon  nom  hein ?  Il  y  a les  élections au mois de mars… » Arrivé en car le matin même avec une soixan-taine  d’autres  élus  de  l’agglomération savoyarde,  il  est  impatient  de  voir  « ce qui se fait ici et ce qu’on pourrait importer chez nous ». Panneaux solaires,  toits vé-gétalisés et ruelles où le piéton est roi : la visite s’annonce exotique. Guidé par une 

habitante, un premier groupe  se  faufile dans  « la  cité  solaire »,  un  ensemble  de maisons  « passives »  érigées  en  2000. Grâce  à  l’orientation  plein  sud,  à  l’iso-lation et au triple vitrage, les habitations profitent  à  plein  des  apports  « passifs » que sont le soleil et  les sources internes (appareils électroménagers, chaleur hu-maine, etc.) « Je vis ici depuis sept mois et je n’ai allumé le chauffage qu’à cinq repri-ses. Et encore pas plus de deux heures fre

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afp

Le quartier Vauban de Fribourg a été construit sur le site d’anciennes casernes.

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à chaque fois », raconte Elsa Gheziel. Pour  renforcer  l’inertie  thermique,  le plancher et les murs stockent la chaleur. « Même après cinq jours sans soleil, il fait encore  chaud  à  l’intérieur »,  poursuit  la guide. Autre innovation : un système de ventilation à double flux qui renouvelle l’air  toutes  les  deux  heures.  « On  évite ainsi  les  pertes  de  chaleur  puisqu’il  n’est plus  nécessaire  d’aérer  les  pièces,  détaille Elsa Gheziel. Et  l’impact  sur  la  santé est appréciable  car  l’air  qui  entre  est  filtré. Quand j’habitais à Paris, j’étais sous Ven-toline à cause de mon asthme.  Ici  je n’ai plus  besoin  de  médicaments. »  Au  final, ces logements ne consomment pas plus de 15 kWh/m2 par an pour le chauffage contre  200  ou  300  dans  une  construc-tion standard.

Bien plus qu’un panneau solaireLes  visiteurs  sont  émerveillés :  « En France, on s’efforce de conserver un habi-tat traditionnel, avance un élu. Du coup, on  s’interdit  d’innover. »  Les  immenses toits  entièrement  recouverts  de  cellu-les  photovoltaïques  attirent  l’attention du  groupe.  « Certaines  maisons  produi-sent  ici  davantage  d’électricité  qu’elles n’en  consomment »,  rapporte  Elsa  Ghe-ziel.  Une  performance,  compte  tenu  de l’ensoleillement  tout  relatif  de  la  ville : 1 800 heures par an, contre 2 700 sur l’arc méditerranéen français par exemple. Le surplus  d’énergie  est  ensuite  revendu sur le réseau local à un tarif avantageux. Un  peu  à  l’écart  du  groupe,  Frédéric Delhommeau  reste    mesuré.  « Depuis deux ans,  on  sent  une  réelle  volonté  de bien faire chez les élus, explique ce chargé de mission auprès de l’ONG Prioriterre qui s’occupe de développement durable en Savoie. Mais leur engagement se limite souvent  aux  panneaux  solaires.  On  es-saye de  leur  faire comprendre qu’il existe d’autres pistes, mais ça n’est pas toujours évident. » Illustration  quelques  centaines  de  mè-tres  plus  loin,  devant  l’école  primaire du  quartier :  « Ici  l’eau  de  pluie  est  ré-cupérée  et  alimente  la  chasse  d’eau  des toilettes », explique la guide. Stupeur 

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parmi  les  visiteurs :  « La  Dass  –  la Direction des affaires sanitaires et socia-les – ne nous laisserait jamais faire ça », répliquent plusieurs élus en secouant la tête  d’un  air  dépité.  A  Fribourg  aussi, les autorités sanitaires ont refusé de va-lider  l’initiative.  Mais  les  responsables politiques  locaux  sont  passés  outre. « Les  Français  attendent  trop  de  l’Etat. Ils  pensent  que  le  préfet  ou  le  Président peuvent  régler  les  problèmes,  déplore t-il.  Je  pense  qu’ils  doivent  faire  preuve individuellement de plus de courage s’ils veulent changer les choses. » Il  faut  dire  qu’à  Vauban  les  habitants ont  depuis  longtemps  pris  leur  destin en  main.  Sur  ce  terrain  d’une  quaran-taine  d’hectares  occupé  par  l’armée française jusqu’en 1992,  les maisons se sont construites sans promoteur immo-bilier. A la place, les futurs propriétaires ont  monté  des  Baugruppe,  des  sortes de  coopératives  de  construction.  « Les futurs  copropriétaires  se  sont  regroupés et  ont  discuté  ensemble  pendant  un  an afin de réaliser le projet selon leurs vœux, rapporte Elsa Gheziel. C’était une expé-

rience  très  intense,  certains  couples  n’y ont  d’ailleurs  pas  résisté… »  Réunis  en association, les habitants ont aussi pesé de  tout  leur  poids  sur  la  planification urbanistique. Résultat : un  îlot dessiné selon  les  arbres  existants,  des  espaces verts  omniprésents  et  des  groupes  de petits immeubles de toutes les tailles et de toutes les couleurs.

Vitesse ultra-limitéeLes habitants – plus de 4 000 – ont éga-lement  réussi  à  s’imposer  des  règles parfois  très  contraignantes :  70 %  des rues  sont  ainsi  interdites  à  la  circula-tion.  Les  voitures  doivent  rester  dans l’un  des  deux  garages  situés  à  l’entrée du  quartier.  Surcoût  pour  le  proprié-taire :  17 500 euros.  Ailleurs,  la  vitesse est  limitée  à  30 km/h  mais  les  ruelles en forme de « U » évitent la circulation de  transit. Venus découvrir  la  lune,  les visiteurs  ont  soudainement  l’impres-sion  d’être  face  à  des  extraterrestres. La  guide  parle  « projet  citoyen »,  « rêve écologique ».  Les  élus  répondent  « plan d’occupation  des  sols »,  « contraintes 

administratives »  ou  « unité  architectu-rale ».  Le  fossé  culturel  paraît  énorme. Voire  insurmontable.  « Les  maisons  ne sont pas alignées et  sont  trop différentes les  unes  des  autres…  ça  donne  un  côté brouillon »,  regrette  le  président  d’un syndicat  de  communes.  « La  sociologie de ce quartier est particulière, analyse un autre élu. Il faut voir ce que les gens ac-cepteraient dans ma ville. » Quartier  aux  allures  de  cité  utopique, Vauban  a  pourtant  échoué  sur  le  front de la mixité sociale. La quasi-totalité des habitants sont des cadres moyens ou su-périeurs. Et si les enfants semblent om-niprésents,  les  personnes  âgées  restent introuvables.  « Beaucoup  d’entre  elles n’avaient  pas  l’énergie  de  s’engager  dans un  Baugruppe »,  explique  Elsa  Ghe-ziel. Après plusieurs heures de visite, les Français ressortent avec une impression contrastée : « C’est le pays des bisounours, un quartier sans problème en dehors de la réalité,  commente  un  visiteur.  On  peut s’inspirer  de  quelques  idées  mais  on  ne pourra pas reproduire la même chose chez nous ». — da

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En Suède, le complexe résidentiel « vert » dans le quartier de Hammarby Sjostad, à Stockholm.

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26 mars 2008 terra economica

me Lambda revient du supermar-ché. Dans le coffre de sa voiture, de quoi remplir sa penderie, son frigo et donc ses poubelles dans quelques

jours. Son emploi de vendeuse la conduit à grimper dans sa voiture tous les matins pour effectuer les 15 kilomètres qui séparent son domicile de son lieu de travail. Le problème, c’est que la planète héberge désormais plus de 6 milliards d’êtres humains et que nos comportements – même s’ils peuvent sembler banals à nos yeux – finissent par dépasser les capaci-tés de la Terre à supporter cette (sur)activité.En 1990, un étudiant canadien, Mathis Wacker-nagel, se penche sur le problème et entame une thèse sous la direction de William Rees à l’université de Columbia à Vancouver (Canada). Au lendemain du sommet de Rio, les deux chercheurs planchent sur un outil visant à calculer ce qu’ils baptisent alors, sans grande inspiration, « la capacité de soutien ap-propriée » de la planète. « C’est un informaticien qui nous a soufflé le terme d’“ empreinte écologique ”, re-connaît Mathis Wackernagel. Il venait de s’offrir un nouvel ordinateur, plus compact que le précédent et il louait la “ faible empreinte (comprendre “ trace ”) sur le bureau ” de son achat. » En 1996, les deux compères publient le premier ouvrage sur la ques-tion (1). L’empreinte est enfin définie et désigne l’espace utilisé par les hommes pour produire les ressources nécessaires à leur mode de vie et pour rejeter leurs déchets. Pour l’évaluer, il s’agit d’abord de faire l’inventaire de notre bonne vieille Terre, puis de savoir quel garde-manger écologique (la « biocapacité ») est à notre disposition.Petite leçon d’arithmétique. Considérons la su-perficie totale du globe et soustrayons les zones

L’homme emprunte la Terre

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Chaque année, il faut des tonnes de « nature » pour subvenir aux besoins d’un Terrien. Problème : cette « empreinte écologique » dépasse les ressources de la planète. Explications. PAR LAURE NOUALHAT

l’économie expliquée à mon père

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Un Européen « consomme » 4,8 ha par an, un Emirati 11,9 ha et un Chinois 1,6 ha.

L’empreinte de l’humanité équivaut aujourd’hui à 125 % de la biocapacité planétaire.

Mathis Wackernagel et William Rees ont inventé ce concept en 1996.

Retrouvez « l’économie expliquée à mon père »sur : www.terra-economica.info

d’eucalyptus. Or, d’un point de vue écologique, ces hectares sont totalement différents. Un indicateur ne peut pas traiter deux questions concurrentes en même temps », ajoute Frédéric-Paul Piguet. Plus modérée, Thanh Nghiem dirige l’institut Angenius qui aide les collectivités à utiliser cette mesure, notamment pour les déchets : « L’empreinte est un outil encore jeune et imparfait. Sa principale faiblesse réside moins dans les querelles d’experts que dans les difficultés à l’utiliser correctement au niveau d’une collectivité ou d’une entreprise. » En France, l’Institut français de l’environnement a lancé un audit sur l’intégration de l’empreinte dans les statistiques nationales. « Cet indicateur ne peut pas servir à la mise en œuvre de politiques écologiques car il est presque totalement aveugle aux dommages causés aux ressources natu-relles », prévient Frédéric Paul-Piguet.

Les joies de la calculetteMalgré ses lacunes, l’empreinte se diffuse à grande vitesse. Auprès du public qui s’initie aux joies des « calculettes à empreinte » foisonnant sur le Web. Mais aussi auprès des collectivités et des institu-tions. Dix ans après leur premier article, William Rees et Mathis Wackernagel ont créé le Global Footprint Network, dont le principal objectif est de faire de l’empreinte un indicateur aussi couram-ment utilisé que le produit intérieur brut. C’est déjà le cas au pays de Galles, en Suisse, au Japon, dans les Emirats arabes unis ou en Belgique. « Pour un pays, cela sert à mesurer son degré de dépendance vis-à-vis de l’extérieur, précise Thanh Nghiem. Par exemple, les Emirats se demandent s’ils doivent utiliser leur énergie pour fabriquer de l’eau et arroser leur désert, plutôt que d’importer les fruits et légumes qu’ils n’ar-rivent pas à cultiver. » Quelles que soient les criti-ques, l’empreinte laissera donc sa trace. Peut-être indélébile. —

(1) Our Ecological Footprint: Reducing Human Impact on the Earth, William Rees et Mathis Wackernagel.(2) Revue Futuribles, octobre 2007.

Le site du Global Footprint Network, où se trouvent les données pays par pays :www.footprint network.org

Pour calculer son empreinte personnelle :www.eco-sapiens.com/empreinte-ecologique.php

www.wwf.fr/s_informer/calculer_votre_empreinte_ecologique

L’agence Angénius s’adresse aux collectivités et à certaines entreprises :www.angenius.fr

Pour aller plus loin

dites « non biologiquement productives » comme le grand large, les glaciers, les sommets ou les déserts. Prenons en compte et quantifions les besoins mi-nimaux des autres espèces (faune et flore) en eau, air, habitat et nutriments. Il reste à la disposition de l’Homo sapiens 11,2 milliards d’hectares. Partagé entre les 6,3 milliards d’individus, cet espace se ré-duit à 1,78 hectare par personne. D’après ce calcul, l’homme dispose donc, pour une année, de l’équi-valent de plus de 3 terrains de foot.Mais l’équation se corse. Car, pour satisfaire nos modes de vie et notre consommation, l’empreinte moyenne de l’homme grimpe d’un cran et passe à 2,23 hectares par habitant, soit 4,5 terrains de foot-ball, selon les calculs de l’ONG Planète vivante. Le hic saute aux yeux : l’empreinte écologique de l’hu-manité équivaut à 125 % de la biocapacité plané-taire. L’humanité vit donc au-dessus des moyens de la planète. A ce rythme, la gueule de bois écologi-que est prévue pour 2050. Bien entendu, un Asiati-que ne pèse pas avec la même intensité sur le globe qu’un Africain ou un Nord-Américain. En Europe, l’empreinte s’élève à 4,8 ha par habitant ; en Améri-que du Nord à 9,6 ha ; dans les Emirats arabes unis à 11,9 ha. A l’inverse, elle n’est que de 0,8 ha au Yé-men et de 1,6 ha en Chine.

« Encore jeune et imparfait »S’exprimant en hectares, en nombre de planètes ou en terrains de foot, l’indicateur ne fait pas l’unani-mité. « On résume le grand tout de la nature dans un seul chiffre. Mais en réalité, il perd tout son sens car on veut lui faire dire trop de choses », regrette Frédé-ric Paul Piguet, chercheur à l’Institut de politiques territoriales et d’environnement humain à Lau-sanne (Suisse). D’après lui, l’empreinte agrège des concepts hétérogènes, ce qui s’avère scientifique-ment douteux (2). D’autant que cet indicateur de-vrait rendre compte du dépassement des limites de la planète ainsi que du partage des ressources pla-nétaires, deux choses très différentes. « Dans l’em-preinte écologique, la consommation d’un hectare de bois provenant d’une forêt correctement exploitée est égale à celle d’un hectare d’une plantation intensive

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Astana, la nouvelle capitale du pays attire des centaines de milliers de Kirghizes, d’Ouzbeks ou de Tadjiks, en quête de travail. Une main-d’œuvre corvéable à merci qui réalise le rêve du président Nazarbaïev. PAR MATHILDE GOANEC (AU KAzAKHsTAN)

Kazakhstan : une légionétrangère de travailleurs

reportage

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azar d’Och, au Kirghizistan. Le marché est immense et grouille de monde. Au milieu des fruits et des légumes, dans l’odeur âcre des carcasses de viande, un homme, muni d’un porte-voix, propose

aux Kirghizes désœuvrés d’aller faire fortune au Kazakhstan, l’immense pays voisin. Et si vous êtes partant, l’affaire est rondement menée : pas de contrat de travail, pas de paperasse. De vieux autobus sont mis à disposition, à quelques mètres de là, pour embarquer les volontaires.Ils sont plusieurs centaines de milliers, Kirghizes, Ouzbeks ou Tadjiks, à ainsi tenter régulièrement l’aventure kazakhe. Car, depuis la chute de l’URSS en 1991, l’écart s’est creusé entre la République ex-soviétique du nord et ses voisines. Alors que le Kirghizistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan sont rongés par un chômage endémique, le Kazakhstan, lui, manque de main-d’œuvre. Le nouveau « léopard des neiges » d’Asie centrale détient des ressources pétrolières gigantesques et encore largement sous-exploitées, ainsi qu’un fort potentiel agricole. « Ils partent au Kazakhstan car la mentalité et la langue y sont les mêmes, explique Aigul Riskulova, directrice de l’agence gouvernementale chargée des migrations au Kirghizistan. Et puis surtout, il n’y a pas besoin de visa pour franchir la frontière. »

Palais présidentiel fastueuxPourtant, à la descente du bus, les désillusions sont grandes. Au Kazakhstan, une bonne partie des immigrés centrasiatiques travaillent dans le secteur de la construction. En 1995, Nazarbaïev, le président kazakh, a en effet décidé, en toute simplicité, de créer une nouvelle capitale, Astana, au nord du pays. Une ville entière a donc dû sortir de terre, sur les fondations de l’ancienne bourgade de Tsélinograd. Palais présidentiel fastueux, ministères à l’architecture futuriste, centres commerciaux luxueux, Astana est une gigantesque ville-chantier à l’occidentale, aux rues bordées d’interminables palissades. Et gare aux importuns, chaque chantier est gardé par des ouvriers qui jouent le rôle de matons à l’occasion. Pour rencontrer les travailleurs immigrés, il faut s’échapper en périphérie de la ville. Ceux qui passent leur journée de travail sur les échafaudages vertigineux des gratte-ciel de la future Astana s’entassent, le soir venu, dans les maisonnettes des vieux quartiers de Tsélinograd (lire page suivante).

Là, point de verre, de métal ou d’avenues asphaltées. De la boue, des baraques de guingois et une misère à mille lieues de l’atmosphère policée du centre-ville. Il est 18 heures, les hommes reviennent des chantiers, souvent une bière à la main. C’est une petite Asie centrale qui s’est recréée là, au milieu re

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ec Pour les voisins du Kazakhstan, pas besoin de visa pour passer la frontière.

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des palissades en bois déglinguées. Mourat est ouzbek. Il a débarqué il y a deux ans. « Ma famille vit près de Tachkent, explique-t-il. Mais il n’y a pas de travail là-bas, beaucoup de jeunes viennent donc travailler ici. » Pas de plainte dans ses paroles : « Je loue une chambre avec six autres personnes. ça va, on a des meubles et un frigo. Ici, je peux gagner 500 dollars par mois, ça suffit pour me loger, manger et envoyer de l’argent à ma famille. » Les appartements qu’il construit ne sont pas pour lui. Trop chers. « Tout ça, c’est pour les citoyens du Kazakhstan. Ils gagnent au minimum deux fois notre salaire », estime le jeune immigré. Une discrimination salariale confirmée par Farit Galimov, sénatrice et présidente de l’Union des syndicats kazakhs : « Que voulez-vous ? Les entreprises sont libres et, souvent, il y a effectivement de grosses différences de salaires entre locaux et étrangers. » Arrivé ici « sans rêve », Mourat estime que « ça pourrait être pire ». Il assure avoir des papiers en règle et un permis de travail. Pourtant, nombreux sont ceux qui travaillent dans la plus totale irrégularité et les cas de travail forcé ne sont pas rares : « Bien sûr que ça existe, même s’il y a un vrai déni de la part du gouvernement, analyse Yekaterina Badikova, du bureau local de l’Organisation internationale des migrations (OIM).

Tous ces gens débarquent sans idée précise de ce qui les attend et des lois qui régissent leur statut d’immigrant. Ils sont extrêmement vulnérables. » Les méthodes employées par les chefs d’entreprise peu scrupuleux sont classiques. « Des groupes d’Ouzbeks, par exemple, arrivent sur des chantiers et commencent à travailler, souvent très dur. Hébergés sur leur lieu de travail, ils sont mal nourris et le patron garde, bien souvent, leur passeport. Quand ils menacent de partir, on leur répond : “ Où iras-tu sans papiers ? ” Ils sont coincés », raconte la responsable de l’OIM.

« Arroser » douane, police, commerçantsConstruction, agriculture, commerce : les trois secteurs en plein boom de l’économie kazakhe sont aussi ceux qui ont un besoin vital de travailleurs immigrés et où l’on viole allègrement les droits des travailleurs. Direction Almaty, l’ancienne capitale, qui est restée le poumon économique et culturel du pays. A quelques kilomètres du centre-ville, on trouve l’immense marché à ciel ouvert de Bakhalarolka, l’un des carrefours commerçants d’Asie centrale. Là encore, c’est dans les bas-fonds du bazar que s’embauchent les illégaux. Près des conteneurs pleins de marchandises, Oulan, un Kirghize d’une quarantaine d’années, boit avec ses copains. « Je vis et travaille ici depuis sept ans. Et je fais des allers-retours une fois toutes les deux semaines pour aller voir ma famille à Bichkek. » Douane, contrôles, papiers officiels… A toutes ces questions, une seule réponse : « On résout tous ces problèmes avec de l’argent. Moi, on commence à me connaître, je n’ai pas de soucis. Mais les copains, ils doivent arroser tout le monde : les douaniers, la police, les gens du bazar… » Pas mécontent de son sort, Oulan admet pourtant que pour « 20 % qui réussissent, 80 % survivent à peine ».Zamira est de ceux-là. Balayeuse dans le bazar, la vieille femme a renoncé à sa retraite pour venir travailler au Kazakhstan et faire vivre mari et enfants, restés en Ouzbékistan. « Je suis ici avec mes deux aînés. Ils sont pousseurs de chariots. L’administration du bazar a nos passeports, et nous donne 20 000 tenge (120 euros) tous les mois. La police me laisse tranquille parce que je suis âgée, mais pour mes enfants, c’est plus dur. » Comme tant d’autres, Zamira alimente un autre commerce,

Expulsions à la chaîne Astana est née de l’imagination du président Noursoultan Nazarbaïev, au pouvoir depuis près de vingt ans. La construction de la capitale est à l’image du développement économique du pays : on bâtit vite et mal, sans se soucier d’urbanisme et de conséquences sociales. Ainsi, sur les bords de la rivière Ichim, les vieilles isbas de l’ancienne ville de Tsélinograd, petits bijoux historiques, sont rasées pour construire du flambant neuf. Mais en plein centre, coincées entre trois chantiers et un lotissement d’une trentaine de résidences diplomatiques, quatre maisonnettes résistent.Dans ce quartier, de grands groupes de BTP ont expulsé un à un les habitants pour y ériger trois immenses résidences de standing. A côté du va-et-vient incessant des grues, Natalia, son mari et son frère ont refusé pendant des mois de partir, exigeant d’honnêtes compensations. De guerre lasse, ils viennent de céder. « Je vivais ici depuis quarante ans, explique Natalia. On nous a proposé une compensation de misère, à peine de quoi acheter un appartement d’une seule pièce à Astana. » Finalement, faute de mieux et après un recours devant la justice, les Andreïev vont partir s’acheter une petite maison en Russie. Natalia est amère : « Même si je suis russe, je n’ai pas l’impression de rentrer dans mon pays. Ma patrie, c’est ici. Mais il ne reste plus rien de la vieille ville et presque tous nos amis sont partis. Qu’est-ce qui nous retient ici ? Rien. »

« Souvent, il y a de grosses différences de salaires entre locaux et étrangers. »

reportage

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très lucratif celui-ci : « Je vis dans les grandes maisons près du marché, ça me coûte un quart de mon salaire. Dans chacune, on s’entasse à 50 ou 60, et nous vivons à 7 dans une pièce. Bien sûr, ça crée des tensions… »

Besoin de 20 millions de travailleursMauvaises conditions de travail, salaires misérables, logements surpeuplés et souvent insalubres… Etre travailleur immigré au Kazakhstan n’a rien d’un Eldorado. Pourtant, le pays et sa croissance annoncée continuent d’attirer tel un aimant. Pavel Szalus travaille lui aussi pour l’OIM : « Si le développement du pays se poursuit à ce rythme, le Kazakhstan aura besoin de 20 millions de travailleurs, alors que sa population globale actuelle est de 15 millions, en comptant les inactifs. Donc le Kazakhstan a et aura besoin de main-d’œuvre. Celle-ci viendra forcément de l’étranger. » Sans compter les retombées économiques pour les pays d’où sont originaires les migrants. Le Tadjikistan, par exemple, reçoit chaque année de ses citoyens travaillant au Kazakhstan et en Russie une somme

PoPuLATIoN : environ 16 millions d’habitants. SuPeRFIcIe : 2 717 300 km2. cAPITALe : Astana (Almaty reste la première ville du pays). MoNNAIe : le tenge. LANgueS oFFIcIeLLeS : kazakh et russe (les Russes constituent toujours la principale minorité du pays). ReLIgIoN MAjoRITAIRe : islam. PRINcIPAux SecTeuRS D’AcTIvITeS : hydrocarbures et agriculture (le gisement de Kashagan, dans la mer caspienne, est considéré comme le plus prometteur depuis les années 1960, avec un potentiel de 13 milliards de barils de réserves de brut exploitables). PRoDuIT INTéRIeuR BRuT : 40 millions de dollars, soit 27,5 millions euros. cLASSeMeNT De L’INDIce Du DeveLoPPeMeNT huMAIN : 73e pays sur 177.

fiche d’identité

bien supérieure à son budget national. Pas question donc pour ces gouvernements de se priver de la manne, quitte à fermer les yeux sur les abus dont sont victimes leurs compatriotes. —

en 1995, le président kazakh, a décidé de créer de toutes pièces une nouvelle capitale, Astana, au nord du pays.

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La crise économique américaine fo-calise l’attention des médias. Aura-t-elle la peau du développement du-rable ? Non, répond Jérôme Bindé, directeur du bureau de la prospec-tive à l’Unesco et coauteur d’un livre

qui suggère la dématérialisation de l’économie. Entretien avec l’organisateur des « Entretiens du XXIe siècle ».

2007 a été une année riche pour le développement durable. 2008 démarre avec des secousses financières. Ne craignez-vous pas que la santé de la planète repasse au second plan ?Vous avez raison de vous en inquiéter : beaucoup vont penser « finances d’abord ». Mais nous avons changé d’époque. Les signes annonciateurs d’une catastrophe environnementale se multiplient et même le citoyen le moins informé ne peut ignorer que quelque chose se passe. Qu’une action vigou-reuse, à la fois urgente et de long terme, est néces-saire. La conscience planétaire croît chaque année : peut-on désormais revenir en arrière ? Il me semble que la question du développement durable ne peut plus être mise de côté, comme cela est arrivé dans les années 1970-1980, entre la conférence de Stoc-kholm de 1972 et le Sommet de la Terre organisé à Rio en 1992.

Les nouvelles technologies, les sciences et l’éducation peuvent changer la face du monde. Dans le cas contraire, les pénuries de ressources énergétiques pourraient conduire à des conflits armés. RECUEILLI PAR WALTER BOUVAIs

Quelles sont, selon vous, les preuves qui témoignent de cette tendance ?Sur la question du climat, un facteur décisif a été la fonte des banquises aux pôles ainsi que celle des glaciers au Groenland, en Europe ou dans la cor-dillère des Andes. Elle a rendu caduques toutes les fausses querelles naguère encore attisées par ceux qui continuaient de nier le réchauffement plané-taire. Sur le plan économique et politique, la date clé, c’est le rapport de l’économiste Nick Stern, qui a chiffré pour la première fois les conséquences du changement climatique (1). Il a ainsi mis en relief, avec des arguments d’économiste, le coût exorbi-tant de l’inaction, non seulement sur le plan envi-ronnemental, mais aussi aux niveaux économique et financier. En ce qui concerne la biodiversité, la prise de conscience est moins développée, mais la disparition des espèces marque aussi fortement les esprits. Celle-ci est actuellement 100 fois supérieure au rythme « normal ». Ainsi, dans les contreforts de l’Himalaya, ce sont les jeunes femmes qui pollini-sent les fleurs à la main, car les abeilles ont disparu. Comment de tels événements ne remueraient-ils pas les consciences ?

La prise de conscience grandit. Mais le passage aux actes tarde à venir.La France a tenu le Grenelle de l’environnement,

« Le développement durable est un enjeu de sécurité »

JÉRÔME BINDÉ, directeur du bureau de la prospective à l’Unesco

interview

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mais les avancées sont mondiales, bien qu’encore notoirement insuffisantes. Bon nombre d’Etats adoptent des législations, et pas seulement en Eu-rope. Voyez ce qui se passe au niveau de nombreux Etats américains. Et presque partout, la société ci-vile se mobilise. Il y a une évolution de fond. Mais il est vrai que la grande question, c’est celle de l’hor-loge. J’espère que nous n’attendrons pas que le ni-veau des mers grimpe de 59 centimètres – prévision la plus pessimiste du Giec (2) à l’horizon 2100 – ou de 6 à 7 mètres, comme l’annoncent certains scien-tifiques qui incluent dans leurs scénarios la fonte

des grandes banquises, notamment celle de l’Antarctique occidental. Les deux tiers de la population mondiale vivent sur les côtes et cette proportion pourrait atteindre les trois quarts en 2030-2040. L’impact de la montée des eaux sur nos sociétés peut donc être considérable. Le delta du Nil, par exemple, est l’une des premières sour-ces de richesses agricoles en Egypte. Si la Méditerranée monte, la salinisation gagnera du terrain et les Egyptiens verront s’aggraver leurs problèmes de sécurité alimentaire et de stabilité so-ciale. J’ai lu dans un journal égyptien qu’en prévision de ce phénomène cer-tains songeaient à exhumer un projet pharaonique de barrage pour fermer la Méditerranée, à l’est du détroit de Gibraltar. Il avait été conçu dans l’en-tre-deux-guerres par un scientifique allemand.

Cet exemple pose la question des solutions à la crise environnementale. Sont-elles du côté de la technologie ou faut-il « seulement » repenser l’organisation de nos sociétés ?Chacune de ces thèses est inexacte. L’histoire montre que c’est l’interaction entre les bouleversements de société et l’évolution des technologies qui mo-dèle les civilisations. Il ne faudrait pas succomber à une naïveté antiscientifi-que, qui se situe au ras des pâquerettes. Nous serons sans doute plus de 9 mil-liards d’individus sur Terre en 2050 et ce n’est pas avec de belles paroles so-ciétales ou les slogans de l’impuissance que nous résoudrons les problèmes de

la pression démographique. J’espère que les sciences et les technologies contribueront à nous sortir du problème, si elles s’allient avec le changement socié-tal. Nous devons aller vers des sociétés du savoir et, pour ce faire, investir davantage dans la recherche, l’éducation et l’innovation.

Le livre Signons la paix avec la Terre, que vous avez coécrit et dirigé, propose des pistes originales. Quel-les sont-elles ?Il faut s’attaquer aux causes de la maladie et non à ses symptômes. Le changement climatique, la

Jérôme Bindé,ancien élève de l’ecole normale supérieure, a dirigé le rapport mondial de l’unesco intitulé Vers les sociétés du savoir.

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interview

pollution, l’élévation du niveau des océans, la désertification ou l’érosion de la biodiversité sont les symptômes. Mais le véritable problème a été mis en lumière, dès 1972, par le rapport au Club de Rome, Limits to growth (3) : c’est la croissance matérielle indéfinie, dans un monde dont les res-sources physiques sont finies et limitées. En 1972, l’humanité consommait chaque année 85 % des ressources renouvelables de la planète. Il fallait alors ralentir. Aujourd’hui, nous consommons 125 % de ces ressources. Nous devons désormais diminuer. Attention, nous ne disons pas « halte à la croissan-ce ». Cela me paraît peu réaliste économiquement et socialement, alors que tant de pays du Sud aspi-rent légitimement au développement. Pour autant, nous devons revoir notre façon de faire de l’écono-mie, ainsi que nos indicateurs – comme le produit intérieur brut – qui sont devenus obsolètes.

Comment concrétiser cette idée ?Une proposition, avancée dans notre livre par Mos-tafa Tolba (4), consiste à dématérialiser massive-ment la croissance et l’économie. Cela permettrait de diminuer la consommation de métaux, de mi-nerais, d’énergies fossiles. Et ce n’est pas une uto-pie : l’essor des réseaux électroniques et le passage à une économie moins matérielle sont là, sous nos yeux. Il faut en accélérer le mouvement. Dès 1794, Condorcet avait déjà eu l’extraordinaire intuition que le danger de la surpopulation – il y voyait le risque d’une « diminution du bonheur » – pouvait être maîtrisé grâce à une hausse de la productivité, à une meilleure gestion et prévention des déchets et à un essor général de l’éducation, notamment des filles. Face aux menaces que la population fait pe-ser sur l’environnement, Condorcet, dans son génie prospectif, avait déjà pensé avec rigueur la « déma-térialisation » de l’économie : « Le même produit de l’industrie répondra à une moindre destruction de productions premières, ou deviendra d’un usage plus durable. »

Belle idée. Mais pour se développer, l’économie immatérielle a besoin d’ordinateurs et de câbles, produits dans des usines qui consomment des matières premières et brûlent de l’énergie... Nous sommes effectivement loin du but mais nous allons devoir y aller car c’est cela, ou les scénarios du pire. Songez que la pollution fait déjà 1,5 million de morts dans les villes d’Asie chaque année, selon une étude de la Banque mondiale. Dans les années à venir, nous courrons le risque de nouveaux conflits

dans un contexte de compétition entre Etats : pour des raisons de sécurité énergétique ou pour le contrôle de ressources dont on redoute la pénurie. Dans l’histoire, ce genre de tensions fut un facteur classique de déclenchement de guerres locales, mais aussi mondiales.

C’est donc la crainte du pire qui va sauver la planète ?Pendant longtemps, les pays du Sud ont minoré la question du développement durable, car ils y voyaient une préoccupation de pays riches et un obstacle qu’on opposait au développement. Met-tant en relief les responsabilités du Nord, ils esti-maient que ce dernier devait faire l’essentiel des ef-forts. La situation a changé : tant d’Etats insulaires sont menacés de disparition sous les eaux en raison du changement climatique, tant d’autres Etats sont confrontés à des risques sanitaires majeurs ou à des crises de l’eau ! D’une façon générale, le développe-ment durable devient un enjeu de sécurité. Les élus sont très sensibles à cet argument et je sens des évo-lutions fortes à l’échelon local et au niveau mondial. Il y a une « heuristique de la peur », comme disait le philosophe Hans Jonas. En fait, nous sommes à un tournant, à un « point de basculement », comme l’a écrit récemment le secrétaire général des Nations unies, Ban-Ki Moon (5). Espérons que nous bas-culerons du bon côté ! Sinon le XXIe siècle risque de voir se réaliser bon nombre de films catastro-phes, en trois dimensions. Mais je veux rester op-timiste, car comme l’a dit un grand esprit, le poète Hölderlin : « Là où croît le danger, croît aussi ce qui sauve. »—

(1) Stern Review : The Economics of Climate Change : www.hm-treasury.gov.uk/independent_reviews/stern_review_economics_climate_change/sternreview_index.cfm(2) groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (giec) : www.ipcc.ch(3) Les limites à la croissance (1972) : www.clubofrome.org/index.php(4) universitaire et homme politique égyptien, ancien directeur exécutif du Programme des Nations unies pour l’environnement.(5) International Herald Tribune du 16 novembre 2007 :www.iht.com/articles/2007/11/16/opinion/edmoon.php

cet ouvrage rassemble les actes du colloque consacré au « Futur de la Planète » qui a eu lieu en novembre 2006. Parmi les contributeurs, Nicolas hulot, Michel Serres, Dominique voynet (coll. « la bibliothèque du philosophe », éditions unesco/ Albin Michel, 194 pages, 16,90 euros).

“ Il faut dématérialiser massivement la croissance afin de diminuer la consommation de métaux, de minerais, d’énergies fossiles. ”

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Cette bonde d’évacuation se « promène » à travers le monde. Son auteur, Yann Lestrat, investit avec elle les paysages naturels les plus variés. Née en 2002, cette sculpture en acier inoxydable (d’un mètre de diamètre) s’est d’abord posée dans la forêt de Brocéliande (Ille-et-Vilaine), puis s’est immergée au large de l’île de Groix et, dernièrement, s’est incrustée dans le sol volcanique du sud de l’Islande (photo réalisée avec Marc Loyon). « Il s’agit d’un travail sur la disparition, le refoulé, l’expression d’un trouble dans la civilisation », détaille le trentenaire qui intervient aussi bien dans le champ de la peinture abstraite que de la sculpture, l’installation ou la photographie. Tout en reconnaissant s’intéresser au land art, Yann Lestrat ne se pose pas en artiste à message écologiste, plutôt en provocateur. « Même si je pose la question de la finitude des écosystèmes et du mode de vie actuel, je ne le fais pas de manière militante. C’est un travail empli d’humour et d’ironie qui veut inciter à méditer. » Prochaine destination ? Le désert américain.

Expositions : du 29 mars au 18 mai 2008, à l’Artothèque de Vitré (35506). Tél. : 02 99 75 07 60. Eté 2008 au Centre de création de Bazouges-la-Pérouse

(35 560). Tél. : 02 99 97 43 60. Et en parallèle, à la Galerie Joseph Dutertre à Mézières-sur-Couesnon (35140) Tél. : 02 99 39 32 72.

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ils changent le monde

36 mars 2008 terra economica

LA FEMME. Au Pérou, 2 300 personnes ont pu créer leur microentreprise de traitement des déchets, grâce à Albina Ruiz. PAR DAVID SOLON

Profession : recycleuse de vies

lbina Ruiz (ci-contre avec Mohammad Yunus, l’inventeur du micro-crédit

et prix Nobel de la paix), 48 ans, a gagné ses galons d’entrepreneur social à la force du poignet. Cette

native de Moyobamba, l’ancienne capitale de la région de Maynas en Amazonie péruvienne, a débarqué toute jeune à

Lima. Très vite, alors qu’elle mène ses études d’ingénieure, la jeune femme est choquée par le système de collecte des ordures. Dans les années 1980, plus de 600 tonnes de déchets s’accumulent chaque jour dans les rues du cône nord de la capitale péruvienne. « Il y avait quelques initiatives individuelles, souvent méprisées par la population, mais aucune concertation collective, raconte Albina Ruiz. Au final, c’était l’anarchie complète. » Elle imagine donc le projet « Ciudad saludable » – « ville saine ». « L’idée de départ est ambitieuse, passionnante et profonde en même temps, ajoute José Carlos Rodriguez, cofondateur de l’initiative et désormais président. L’objectif est de briser le système D de la collecte des ordures et de pousser ceux qui en vivent – plus de 100 000 personnes au Pérou – à se former, se professionnaliser puis se fédérer. »La structure propose ainsi un cercle vertueux à ceux que l’on appelle los reciladores – « les recycleurs ». Souvent marginalisés, car ils passent leur temps sur des tas d’ordures pour les trier, ces hommes et ces femmes sont invités par « Ciudad saludable » à créer leur micro-entreprise. L’accès au crédit leur est facilité. Ils reçoivent une formation pointue, peuvent acquérir un tricycle de collecte. Bref, ils passent de l’économie parallèle à une activité structurée. Une fois ce « label » obtenu, les recycleurs se partagent un secteur de leur commune et passent collecter les déchets directement chez l’habitant et de façon sélective papier, verre ou plastique, avant d’aller le revendre aux grossistes.

Tricycle, uniforme et formationsEsperanza Huanca, 31 ans, habitante de Comas dans le nord de la capitale, a intégré le programme il y a sept mois. Mère de trois enfants, elle a connu l’économie parallèle et informelle avant de rencontrer « Ciudad saludable ». Grâce à ce projet, elle a cocréé une microentreprise (la Feln) avec six autres personnes, a reçu un tricycle, un uniforme et une batterie de formations. « J’ai surtout gagné en dignité et en estime de moi », affirme la jeune femme. Esperanza Huanca touche désormais entre 400 et 600 soles par mois (95 à 140 euros), le salaire minimum au Pérou.Son projet a valu à Albina Ruiz une avalanche de récompenses. Lauréate de la fondation Schwab, du réseau Ashoka, de la Skoll foundation, primée par le réseau australien de développement global, l’ingénieure péruvienne, mère de famille, a semble-t-il réussi son pari : 2 300 personnes, issues d’une cinquantaine de communes, ont rejoint l’initiative. Cette dernière commence même à se déployer au Venezuela, en Colombie et au Mexique. « C’est un

Au Pérou, 100 000 personnes vivent de la collecte des déchets.

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Pour se faire une crèche au soleilL’ENTREPRISE. En créant des crèches bioclimatiques, 1,2,3 soleil répond aux principales angoisses des parents et des entreprises.

C’est toujours la même histoire. A l’origine de toute création d’entreprise, un porteur de

projet est marqué par un manque, une absence. « Plutôt un gros déséquilibre entre l’offre, ridicule, et la demande, énorme », corrige d’emblée Pierre Duez, aujourd’hui à la tête de 1,2,3 soleils. Tout a commencé à la naissance du premier enfant de son frère, au début des années 2000. A l’époque dans le Nord-Pas-de-Calais, impossible de trouver une place en crèche. Les deux frères, Pierre et Marc, se creusent les méninges, cherchent des appuis et enquillent les rendez-vous. Ils veulent venir en aide aux familles, et, affirme Pierre Duez, pousser à « davantage d’équité entre l’homme et la femme ». Pour cela, ils décident d’implanter les crèches au cœur des entreprises ou à très grande proximité. Multiservices – repassage, babysitting, ménage à domicile, accueil périscolaire –, ces lieux d’accueil s’adaptent aux spécificités des entreprises auxquelles elles s’adossent.Cofinancées par les entreprises, la caisse d’assurance maladie et les

Vétérans du sport

Sortir d’une filière Staps (1) conduit généralement à un poste

d’enseignant en éducation physique en collège ou lycée. Jean-Daniel Muller et Jean-Michel Ricard ont opté pour un autre terrain de jeu : les maisons de retraite. Les deux copains trouvaient plus constructif de faire bouger les p’tits vieux plutôt que les djeunzs. A l’époque, ils passent pour des illuminés. « De la gym au service gériatrique, pour quoi faire ? », leur rétorquent les mauvaises langues. Pour conserver la santé, pardi ! Le sport, comme outil de prévention santé, c’est le concept de base de l’association Sport Initiative et Loisir (Siel Bleu) qu’ils créent à Strasbourg en 1997. Dix ans plus tard, Siel Bleu fait référence dans le milieu. Elle couvre 70 départements, emploie 176 personnes et fait se remuer 43 000 personnes âgées chaque semaine. Au programme : prévention des chutes, gym douce, ateliers dextérité et motricité, redynamisation physique… Et si ces sportifs à la retraite traînent souvent les charentaises à la première séance, « très vite, ils se prennent au jeu », assure Jean-Michel Ricard. « Plus longtemps on vit, plus grand est le risque d’être dépendant. Le sport prévient ce risque », conclut-il. — L. A.www.sielbleu.org

(1) Sciences et techniques des activités physiques et sportives.

L’ASSOCIATION

familles, les crèches 1,2,3 soleil – quatre à ce jour et une dizaine en construction – jouissent d’un autre avantage. Conviction ou coup marketing, les deux hommes ont, dès le départ, accroché une dimension environnementale à leur SARL. En s’associant avec Kasa bio, un constructeur de maisons écologiques, 1,2,3 soleil a réussi son tour de force. Les crèches sont promises aux familles comme écologiques et bioclimatiques. Structure en bois et panneaux solaires : chaque bâtiment est à énergie passive. « Au départ, cet argument n’intéressait que les entreprises. Aujourd’hui, le label vert de nos crèches sensibilise tout le monde. » —D.s. www.creches123soleil.fr

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Retrouvez tous les acteurs qui « changent le monde » sur

www.terra-economica.info (rubrique Ils changent le monde)

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projet global qui démultiplie ses effets au fur et à mesure qu’il grandit. Il bénéficie, d’une part, à l’individu qui y trouve une motivation sociale et, d’autre part, à la collectivité qui y gagne en organisation », résume Albina. Au Pérou, 15 000 tonnes d’ordures ménagères sont produites tous les jours. — www.ciudadsaludable.org

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Les reporterssortent le crayon

que les Américains appellent « comics journalism » ou « graphic journalism » revendique sa subjecti-vité. « Faire du BD journalisme, c’est manifester ses partis pris et un sentiment d’urgence qui font accéder le lecteur à un autre niveau d’information », expli-quait Art Spiegelman, l’un de ses plus illustres re-présentants, dans la Columbia Journalism Review.

Bio contre autorouteMélange de collages, de croquis, de photos, de dessins réalistes, d’écriture manuscrite, la BD re-portage a conquis bien au-delà des lecteurs ha-bituels de bande dessinée. Les thèmes politiques dominent encore, comme avec Joe Sacco qui, dans Gorazde, la guerre en Bosnie orientale, 1993-1995, revient sur le conflit en ex-Yougoslavie, ou Guy Delisle qui, avec Shenzhen et Pyongyang, décrit la vie quotidienne dans un régime dictatorial. Mais les questions de développement durable sont petit à petit abordées. Ainsi, Etienne Davodeau s’est fait remarquer avec Rural !, livre retraçant le combat de trois agriculteurs bio contre la construction d’une autoroute en plein milieu d’une de leurs exploitations. —KAREN BAsTIEN

ZappingUn bonheur à chiffrerLa croissance ne fait pas le bonheur, rappelle le magazine Problèmes écono-miques. cette idée, qui fait son chemin depuis une vingtaine d’années chez les économistes, gagne les politiques. Le président Nicolas Sarkozy a ainsi confié une mission de réflexion sur la mesure de la croissance à Amartya Sen. objectif du prix Nobel, spécialiste de l’économie du bien-être : remettre à plat le Produit intérieur brut (PIB). en effet, l’indicateur statistique de ré-férence ne prend pas en compte en effet des données essentielles comme les conditions de travail, le lien social, la santé, l’environnement. Problèmes économiques n° 2938, janvier 2008.www.ladocumentationfrancaise.fr

Ville générationnelleune métropole alimentée uniquement par des énergies renouvela-bles, capable de supporter des variations de températures extrêmes, offrant des espaces de mixité générationnelle et un réseau global de transports en commun. ce rêve de ville durable, les étudiants (de bac à bac + 5), doivent le coucher sur le papier – avant le 31 mars – pour le concours génération Développement durable, organisé par le magazine La Recherche.www.concoursgenerationd2.com

Loin de ses frontières textuelles, le journalisme s’aventure sur les terres de la bande dessinée. Avec un franc succès.

u’y a-t-il de commun entre l’exploita-tion de l’or au Guatemala, la prospection d’uranium au Québec, l’implantation

d’une mine de bauxite en Inde et l’extraction des sables bitumineux en Alberta (Canada) ? Un coup de crayon. Celui de quatre dessinateurs de BD qui ont « croqué » l’industrie minière et ses dessous pas toujours très propres. Réalisé par quatre journalis-tes accompagnés de quatre bédéistes canadiens de renom, Extraction ! est un ouvrage qui se veut à la fois pédagogique et engagé. « Le projet est né de cette idée d’amener le journalisme traditionnel à un autre niveau, plus accessible, plus attrayant », raconte Fré-déric Dubois, l’un de ses initiateurs. Et les dégâts environnementaux y sont vivement dénoncés : « Les projets de sables bitumineux en Alberta sont en pleine expansion. Bientôt, le volume d’eau nécessaire à l’extraction de ce pétrole correspondra à trois fois la consommation d’eau potable du million d’habitants de Calgary. »Extraction ! vient donc enrichir le rayon de ce nou-veau style journalistique, la BD de reportage. Celui a

lain

reno

Cumulus Press :www.cumuluspress.comExtraction !, cumulus Press, 2007.

Gorazde, la guerre en Bosnie orientale, 1993-1995, joe Sacco, Rackham, 2004.

Shenzhen et Pyongyang, guy Delisle, L’Association, 2000 et 2002.

Rural !, etienne Davodeau, Delcourt, 2001.

Pour aller

plus loin

38 mars 2008 terra economica

enrichissez-vous

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Ignacy Sachs – LA TROISIÈME RIVE, À LA RECHERCHE DE L’ÉCODÉVELOPPEMENT. Bourin éditeur, 416 pp., 21 euros.

Le problème avec les bonnes idées, c’est qu’elles émergent

souvent trop tard. C’est au moment où notre planète est usée jusqu’à la corde, où les glaciers sont déjà presque fondus et la biodiversité compromise que les grandes idées écologiques commencent à se frayer un chemin. Mais pourquoi le monde n’a-t-il pas pensé « vert » dès les années 1970 ? Eh bien, le monde y a pensé… mais il s’en fichait comme de sa première couche d’ozone ! C’est tout l’intérêt de La Troisième Rive, l’autobiographie d’Ignacy Sachs, 80 ans, économiste et grand théoricien de l’« écodéveloppement ». Il nous rappelle que le premier colloque international sur l’environnement s’est tenu à Tokyo en 1970 – il y était – et le mot nippon « kogai » , dégradation de l’environnement était alors « sur toutes les lèvres ». Puis en 1972, l’ONU, à la conférence

de Stockholm, « inscrivit définitivement l’environnement à l’ordre du jour de la communauté internationale ». Il se trouvait aussi à la conférence de Cocoyoc, au Mexique (1974), « qui marque un tournant dans l’histoire » : “ Une lutte effective contre le sous-développement demande d’arrêter le surdéveloppement des riches […] ” C’est de loin la déclaration la plus radicale que les Nations unies aient jamais concoctée ». Sans parler du célébrissime rapport Que faire ? Un autre développement, publié par l’ONU en 1975. Bref, on l’aura compris : les bonnes idées n’arrivent pas trop tard, il faut juste être capable de les entendre à l’heure. Ce n’est manifestement pas un trait humain. Sachs reste assez stoïque bien qu’il ait hurlé dans le désert pendant quarante ans. Il a lentement, très lentement, contribué, avec d’autres cinglés de son espèce, à changer la mentalité mondiale. Il possède probablement ce qui fait défaut à la plupart d’entre nous : le sens de l’Histoire et la capacité surtout à supporter son rythme d’escargot. « L’homme est un projet », souligne-t-il, reprenant la phrase de Sartre.Aujourd’hui, Sachs croit que l’avenir des paysans du Sud est à la « civilisation du végétal » basée sur l’énergie solaire, et non à l’urbanisation galopante. On aimerait déjà voir ça. Lui semble être capable d’attendre paisiblement quatre-vingts années supplémentaires. —ARNAUD GONzAGUE*

Fibre de Vert

DR * Son blog : http://luvuentendu.blogspot.com

La guerre vue du cielgoogle earth, le puissant outil de géolocalisation, ne sert pas seulement à espionner son voi-sin, la résidence de vacances ou le village de son enfance. une nouvelle application per-met en effet de visualiser les zones de conflits avec leurs

données géographiques, géologiques et ethniques. Avec ce dispositif – baptisé Warviews –, les liens entre guerres et présence de pétrole, de pipelines, de gaz ou de pierres précieuses apparaissent sous un jour nouveau. A télécharger sur : www.icr.ethz.ch/research/warviews

Un écran pour un continentLa communauté africaine a désormais sa web Tv mondiale. Afrik.com, premier quotidien africain en ligne (1,7 million de lecteurs mensuels), vient en effet de lancer AfrikTv avec Dailymotion, la plateforme de partage de vidéos. Diffusée à la fois en français et en anglais, AfrikTv couvre l’actualité de la diaspora et s’affiche comme un espace de promotion de la musique africaine. www.dailymotion.com/afriktv

Les combattants du web animé Matrix a marqué une génération de cinéphiles. The Meatrix (www.themeatrix.com/french) a marqué 15 millions d’in-ternautes. cette parodie de l’élevage industriel est l’œuvre

de Free Range graphics, un studio qui met son graphisme au service d’organisations militantes. Résul-tat, leurs petits dessins animés engagés « tournent » sur Inter-net. Que ce soit Store Wars (www.storewars.org), la révolte des pro-

duits bio dans un supermarché ; les Aventures de Sam Suds (www.pvcfree.org), enquête sur l’omniprésence du Pvc dans les produits industriels ; ou dernièrement The Story of Stuff (www.storyofstuff.com), récit pédagogique du cycle de vie des objets du quotidien. www.freerangestudios.com

Planète Monsanto Spécialiste de l’enquête de longue haleine (les Escadrons de la mort, l’école française, les 100 photos du siècle), Marie-Monique Robin a cette fois-ci jeté son dévolu sur Monsanto, le leader mondial des ogM. Au final : un documentaire Le monde selon Monsanto, diffusé sur Arte, le 11 mars, qui chatouille la multinationale.

terra economica mars 2008 39

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Caisse en partage Les étudiants parisiens ne se baladeront plus seuls en voiture. c’est en tout cas ce qu’espèrent les concepteurs de T.écovoiturage, nouveau service de covoiturage accessible sur le Net, mais aussi sur téléphone portable. Les 17 campus universitaires et 11 grandes écoles franciliens ayant adhéré au projet comptent 350 000 étudiants. Autant de « covoitureurs » potentiels. Selon les calculs de Fondaterra, l’association qui a coordonné le tout, si 10 % d’étudiants automobilistes utilisaient le service, 300 000 tonnes équivalent co

2 pourraient être économisées chaque année. LOUISE ALLAVOINE

www.covoiturage-campus.com

Un beau bébé égale 5 500 couches équivalant à 500 kilos de déchets et 2 000 euros de budget en trente mois seulement. C’est le constat que dresse la famille des Apprentis Z’écolos. Si on inclut toutes les petites têtes blondes de cette classe d’âge, ce sont environ 400 000 tonnes de couches-culottes qui finiront dans la poubelle pendant la même

période. Pour préserver l’environnement et le porte-monnaie, certains ont trouvé la parade. Ils optent pour la couche lavable et donc réutilisable. Car même si elle est gourmande en eau, elle coûte trois fois moins chère.

Zéro voitures au pays de l’or noirMasdar, la ville zéro carbone, zéro déchets, zéro voitures sortira du sable en 2013. L’émirat d’Abou Dhabi a commencé la construction de cette cité totalement écologique le mois dernier. et si tout va bien, à terme, 50 000 habitants circuleront dans ces 6 kilomètres carrés. Ses concepteurs ne veulent pas voir l’ombre d’un pneu dans la cité. A Masdar, tramways et transports automatiques seront rois. Il y en aura même de très futuristes. « Ce sont comme des ascenseurs à l’horizontale. Vous indiquerez où vous voulez aller et ils vous y conduiront », explique avec fierté Khaled Awad, le directeur du projet.

L’hypersonique hyperécoloTotalement ringard le concorde. Désormais, dans l’aviation civile, filer à Mach 2 (2 180 km/h) c’est se traîner. L’A2, lui, se balade à Mach 5 (6 123 km/h) en vitesse de croisière. et, à cette allure, cet avion de transport « hypersonique » serait capable de relier l’europe à l’Australie en moins de cinq heures contre plus de vingt heures aujourd’hui. c’est une équipe d’ingénieurs et de scientifiques britannique qui a conçu cet avion futuriste propulsé à l’hydrogène. Il pourrait être opérationnel dans vingt-cinq ans. Prix du billet Bruxelles-Sydney : environ 3 500 livres (4 660 euros).

Course verte à la Maison BlancheDifficile de trouver plus frileux que Dobeliou sur la question du changement climatique. Si le président républicain des etats-unis a reconnu du bout des lèvres la réalité du phénomène, il s’est toujours refusé à ce que soient imposés à son pays des objectifs chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Quel que soit le candidat qui s’imposera en novembre, l’année 2009 marquera un tournant dans la politique environnementale américaine. Le thème est dans tous les programmes. La grande gagnante des primaires pourrait bien être la lutte contre le réchauffement climatique.

Couches louches

Sur Planète Terra, on refait le monde... version développement durable. Pour devenir Planète reporter, une simple inscription en ligne suffit. Et chaque mois, retrouvez les meilleures contributions dans ces pages.

Retrouvez les aventures animées des Apprentis Z’écolos sur :

www.planete-terra.fr (rubrique environnement)

40 mars 2008 terra economica

en direct de www.planete-terra.fravec le concours de pla-nète-terra.fr

Page 41: INVENTEZ LA PLANÈTE DE DEMAIN

terra economica mars 2008 41

Les Français nettoientleurs assiettes Face aux défis environnementaux, 77 % des Français pensent que la filière bio est une « voie d’avenir » et 42 % d’entre eux disent consommer au moins un produit bio au moins une fois par mois. on ne peut qu’accueillir avec enthousiasme ces dernières tendances, dévoilées par l’Agence Bio et cSA (1). Dans le détail, cette étude nous apprend que 94 % des personnes interrogées privilégient les produits de saison ; 82 %, les productions locales ; 67 %, les produits respectueux de l’environnement.Agriculture bio ou pas, la question n’est pas là. Le plus intéressant, ici, est que les consommateurs établissent clairement un lien entre leurs achats quotidiens et l’environnement. cette nouvelle s’inscrit dans le prolongement de l’année 2007 et des débuts d’une éducation au développement durable. Tant mieux. car, dans le même temps, l’humanité continue de consommer, chaque année, 125 % des ressources renouvelables de la planète (lire aussi pages 30-31). Autrement dit, pendant la prise de conscience, la destruction de nos écosystèmes se poursuit et nous creusons la dette environnementale, qu’il faudra bien solder un jour ou l’autre.WALTER BOUVAIS(1) www.agencebio.org

“ Les terroristes tuent des gens, le réchauffement climatique a le potentiel de tuer tout le monde. ”

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Super héros, super écolo

L’homme à la cape rouge fait sa guerre verte. Première victime, l’avion, qu’il a décidé de ne plus prendre. Rencontre imaginaire.

Planète Terra : A quand remonte votre prise de conscience écologique et citoyenne ?

Superman : c’était il y a trois ans, lors d’un congrès international de super héros. Seattle, qui organisait la rencontre, nous avait servi des jus de fruit équitables, demandé de trier nos déchets après chaque repas et mis en place un service de covoiturage entre le centre de conférences et notre hôtel. je me suis dit que si des élus nous poussaient à agir ainsi concrètement, c’est que le développement durable n’était pas une tartufferie.L’état de la planète vous préoccupe-t-il ?Mes superpouvoirs m’ont permis de survoler tant de régions. j’ai vu

la pollution empoisonner les fleuves en chine, les hommes dévaster les forêts primaires en Amazonie. et puis vous savez, je viens d’une planète, Krypton, qui a disparu... Et qu’avez-vous changé dans votre quotidien ?Il y a une chose dont je suis fier : je ne prends plus l’avion depuis six mois. Désormais, je vole par mes propres moyens. Au rythme de 6 voyages d’affaires par an, en europe, en Asie et aux etats-unis, j’évite ainsi de rejeter 8,6 tonnes de co

2 par an. Pour le reste, je fais des efforts

sur mon alimentation. gros consommateur de viande de bœuf, dont le bilan carbone est catastrophique (lire aussi pages 6-7), je n’en mange plus qu’un jour sur deux.

Fiche d’identité Nom : Kent. Prénom : clark. Nom de scène : Superman. Age : indéterminé. Nationalité : américaine (né sur la planète Krypton). Profession : super héros (à la retraite). Ville : New York. Le geste citoyen de Superman : prendre le train ou voler de ses propres ailes. Résultat : 8,6 tonnes de co

2 évitées par an,

l’équivalent des émissions totales annuelles d’un habitant du Danemark (source : Banque mondiale).SU

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RMICHAEL BLOOMBERG, maire de New York,

le 11 février devant l’Assemblée générale de l’ONU.

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42 mars 2008 terra economica

feuilleton

Pour retrouver les épisodes précédents et participer à l’écriture de la suite, rendez-vous

sur : www.planete-terra.fr (rubrique environnement) co

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(Episode 7) Fred n’y voyait plus rien sur l’écran. Il était 16 heures et pourtant, la nuit était tombée. Comme ça, d’un coup. « Encore un de ces fichus orages ! Je vais sûrement perdre une heure de boulot », s’agaça-t-il, en scrutant les nuages vio-let-noir se poser sur la ville.

Ces violentes tempêtes étaient désor-mais courantes. La foudre pouvait atteindre une telle intensité que les connexions électriques s’en trouvaient gravement perturbées. Par sécurité, les villes débranchaient donc leur ré-seau local en attendant l’accalmie. Les antennes wifi étaient également mises hors tension. Pas d’Internet, d’électri-

cité… Fred avait heureusement chargé sa batterie de secours en marchant ce matin. Son dernier joujou, une magni-fique genouillère rouge, accumulait en effet l’énergie dégagée, à chaque pas. De quoi rendre autonome quelques appareils électriques basiques, comme son télé-vidéo-phone, et gagner de pré-cieux crédits en ces temps de « disette carbone ».

Devant sa fenêtre, le jeune architecte voyait la ville se vider rapidement. Le plan ultra-rouge venait d’être déclenché. Certaines rues allaient devenir de vérita-bles torrents dans quelques minutes. La terre asséchée par la chaleur continue ne parvenait plus à absorber de si brusques

trombes d’eau. Même gérés à la seconde par un système électronique, les égouts étaient très vite saturés par la violence des catastrophes naturelles. « Dire qu’au début de ce siècle, on s’alar-mait parce que près de 20 000 person-nes mouraient chaque année à la suite d’inondations, de cyclones, de tempêtes ou de vagues de chaleur. Désormais, ce sont des centaines de milliers qui sont tuées tous les ans », songeait Fred.

Entre le désarroi des réfugiés climati-ques et la violence du déchaînement des éléments, Fred ressentait tout l’enjeu de ce Concours international de la ville du-rable. Les bâtiments avaient en effet joué un rôle prépondérant dans le réchauffe-ment climatique. Enorme émetteur de gaz à effet de serre, le secteur du loge-ment représentait déjà 30 % à 40 % de la consommation mondiale d’énergie dès les années 2010 : chauffage, air condi-tionné, consommation des ampoules, construction de poutrelles en acier plu-tôt qu’en bois…Fred ne devait pas compter uniquement sur les innovations scientifiques. Trop d’architectes s’étaient engagés dans cette voie des nouvelles technologies à tout prix. Obsédés par les émissions de CO

2, ils avaient construit des maisons,

simple compilation des meilleures ins-tallations en énergies renouvelables. Après le bâtiment « énergie zéro » qui produisait autant d’énergie qu’il en consommait, était arrivée la génération de maisons à « énergie positive » qui génèraient, sur l’année, plus d’énergie qu’elles n’en brûlaient. Mais trop tard pour avoir un impact significatif sur le réchauffement planétaire. (à suivre)

KAREN BAsTIEN, en collaboration avec l’association d’architectes « ET ALORs ? » (www.etalors.eu)

Fred a tout perdu. Tout son crédit de droits à polluer. Le jeune et brillant architecte découvre ce qu’est une vie sans quota de CO2. Pour s’en sortir, il doit réaliser un gros coup lors du 25e Concours international de la ville durable. Bienvenue en 2078.

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