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Le Quotidien Jurassien | Samedi 13 février 2016 | 31 – «Mais je suis restée épileptique, et j’ai dû faire d’énormes efforts pour récu- pérer ma concentration.» Mission réussie. Une romance inachevée Isabelle est studieuse, elle excelle en classe: – «J’étais suradaptée, comme on dit en psychologie, je n’avais pas de copine, je n’étais pas joueuse, pas joyeuse. J’avais besoin de reconnaissance, que je ne rece- vais jamais.» Elle rêve de servir la santé, elle se re- trouve à l’Université de Nanterre, section langues, parce que ses parents la desti- nent au secrétariat. Didier entre dans sa vie, elle se sou- vient: – «C’était une soirée où l’on dansait dans le noir. Je ne le connaissais pas, nos pas s’emboîtaient magiquement, on a dansé pendant plusieurs heures et j’ai compris qu’il était Belge quand il m’a dit Est-ce que je saurais aller chercher votre manteau? Et j’ai enfin vu son visage.» Didier est décédé alors qu’Isabelle n’a que 20 ans, asphyxié par le monoxyde de carbone du brûleur de sa douche: – «Je suis fracassée, je rentre à la mai- son où mon père me dit simplement Un de perdu 10 de retrouvés…» Rustique. Le jour de sa majorité (21 ans en France à l’époque), Isabelle a droit à un sermon de papa: – «Un très beau discours sur la majori- té, ma nouvelle responsabilité, c’était ma- gnifique. Mais c’était juste pour me virer de la maison. Il pleuvait. Je me retrouve dans la rue, avec mon chat, mes pois- sons, mon lit mais pas de chambre…» C’est un ami militaire qui la dépanne- ra, lui offrira l’hospitalité, puis sa tendres- se, et lui donnera une fille, Swetlina («Lu- mière» en bulgare), aujourd’hui mère de 2 enfants, établie en Angleterre. Isabelle parle très gentiment de son copain sol- dat, ne lui en veut pas le moins du monde de n’avoir pas su assumer d’emblée sa paternité. Isabelle devient vendeuse dans la chaussure haut de gamme, à Paris, tout en bouquinant des ouvrages de santé et en s’occupant de sa fille. Des journées bien remplies. Le début de la chance La crise frappe au début des années 1980, Isabelle déménage en Provence; c’est pire, le chômage atteint 27%. Elle se débrouille néanmoins grâce à des petits boulots, vit dans une caravane avec sa fil- le, travaille dans une épicerie à côté de Fréjus. Et quand le magasin ferme… RENCONTRE Jacques Houriet E n bordure d’une rue delé- montaine très routière, la maison est coquette, mais pas vraiment récente. Pourtant, cinq secondes après un bref coup de son- nette, la porte s’ouvre, dans un souffle mécanique, comme une invitation. Y’a un truc: c’est la maîtresse des lieux, masquée par un rideau, qui joue les ouvreuses automatiques. Espiè- gle, Isabelle. – «Je vois un barbu, c’est votre photo- graphe?» C’est Roger. Il est joli en pâtre grec. Et lorsqu’il lui demande ses préférences pour la photo, elle répond finement: – «Je préfère laisser s’exprimer votre talent plutôt que vous imposer mon igno- rance.» La première chose que l’on voit, dans le salon, c’est un lapin, puis des poissons, et Coco la calopsitte, un perroquet nain ou une perruche géante, le débat est ou- vert. Tous ont leur territoire défini, seul Gribouille, le chat orgueilleux et noncha- lant, circule à sa convenance. Confus, je découvre enfin Monsieur Ronald, le dis- cret mari, assis et souriant dans un coin sombre de la chambre. La demeure se développe sur trois éta- ges: – «C’est sportif, je fais 20 étages cha- que jour, j’ai des quadriceps en béton.» Au premier, une salle de soins. Isabel- le est réflexologue. Notamment. Un aquarium, coloré et apaisant, masque la paroi. Elle suit mon regard: – «J’ai une autre salle, sans animaux, pour les zoophobes, s’il en est.» Un tissu complexe À l’étage supérieur, un local propose un lit à balancelle, c’est-à-dire un lit qui chaloupe langoureusement, la relaxation voluptueuse. Isabelle débarrasse une pe- tite table des cactus qui l’encombrent, ap- proche deux chaises. Elle est née à Neuilly, Paris, fille de Ra- chel, une jeune cantatrice juive, et (elle ne le dit pas) probablement un peu immatu- re. Indulgente, sa fille constate: – «Je n’ai pas reçu ce qu’attend un en- fant, mais maman ne pouvait pas donner ce qu’elle n’avait sans doute pas reçu elle- même. C’était une belle femme, blessée par la vie. Vingt-sept membres de sa fa- mille ont disparu pendant la Shoah. J’ai eu une enfance sans maltraitance, mais sans amour. Je n’ai jamais sauté dans les bras de ma mère, ni sur les genoux de mon père.» Son père, un Suisse déjà marié, recon- nut sa fille lorsqu’elle avait 6 ans, épousa sa mère 8 ans plus tard et la remplaça après 7 ans: – «C’était kafkaïen, j’ai un frère et des quantités de demi-frères et sœurs.» À 2 ans, Isabelle fait une fièvre typhoï- de carabinée, s’étouffe, subit une tra- chéotomie, survit: – «Je prends une place de fille au pair à Yverdon, à près de 30 ans, avec ma fille. Ça se passait bien, mais j’ai fait une crise d’épilepsie, je me suis fracturé une main, mes employeurs ont pris peur, ils m’ont donné 500 francs et mon congé.» On lui prête les combles d’une maison déserte, elle s’y installe avec sa fille. Et là… – «La chance tourne… Je reviens de la Migros à vélo, avec mon maigre cabas, je vois un couple visiblement désespéré sur un banc, je m’arrête, leur parle. Ils me di- sent que leur fille est condamnée. Je les invite chez moi pour leur prêter des ou- vrages qui pourraient les accompagner dans cette épreuve. Une semaine plus tard, je reçois une lettre des services so- ciaux vaudois, mandatés par ces gens.» La part de l’ange – «J’étais déjà allée à l’aide sociale, où on m’expliquait pourquoi on ne pouvait pas m’aider. Je me souviens d’une fonc- tionnaire qui, me voyant fondre en lar- mes, m’a dit: Mais vous êtes épuisée, vous avez besoin de vacances…» Isabelle tombe malade. Un vieux mé- decin taciturne, prévenu par elle ne sait qui, vient la voir, l’ausculter, lui laisse une ordonnance et s’en va. Isabelle n’est pas assurée, n’a pas le sou pour des mé- dicaments, elle s’apprête à patienter: – «Le lendemain matin, devant ma porte, je trouve un cabas avec des provi- sions et les médicaments. Je pense que c’est ce médecin. Mais je n’ai pas trouvé trace de lui, personne ne semble le connaître. C’était un ange, je ne vois rien d’autre. J’ai toujours une pensée pour lui, il n’y a pas de temps pour la gratitude.» Isabelle sort enfin la tête de l’eau, bosse à Lausanne, et sa facétieuse de fille cour- be l’école à l’insu de sa mère… – «Les services sociaux me convo- quent, me laissent entendre que je suis incapable de m’occuper de ma fille. Mé- fiante, j’ai fui le canton de Vaud…» Le sain tumulte jurassien Et c’est ainsi qu’elle arrive dans le Jura, à Delémont, où elle rencontre Ronald (Erard), divorcé avec 5 enfants à charge: – «On s’est marié en 1988 et je passe de mère célibataire à mère de famille nombreuse. Une étape intéressante, une discipline à revoir. Une fois les règles né- gociées, posées et admises, tout est bien allé. Je ne suis pas tranchante, je suis clai- re intellectuellement et douce émotion- nellement. Et je suis sociable, j’ai beau- coup aimé ce tumulte de vie.» Elle travaillera en qualité d’aide-soi- gnante au sein de Pro Senectute. Elle a 36 ans quand un genou rend les armes: chi- rurgie, 4 mois d’immobilisation, 10 au- tres pour retrouver une autonomie. Et toujours, dans un coin de l’esprit, cette ambition d’ouvrir un cabinet de soins: – «Je me retrouve chez Andrée Beu- chat, physiothérapeute, qui me trouve des mains de réflexologue. Mais je n’ai pas de formation, de moyens pour la sui- vre. Elle a souri et m’a financé mes étu- des, dites donc! Il y a des gens, n’est-ce pas…» Des anges. Une thérapie ancestrale La réflexologie est, nous apprend pru- demment Wikipédia, «un soin non conventionnel, de type massage, qui re- pose sur le postulat que chaque organe, partie du corps ou fonction physiologi- que correspondrait à une zone ou un point sur les mains, les pieds ou les oreil- les…» – «Ce sont des techniques très ancien- nes, dont on retrouve trace en Chine, en Égypte et en même en Inde anciennes. C’est Eunice Ingham, une infirmière an- glaise, qui a mis tout ça en cohérence, dans les années 1930. C’est une médeci- ne complémentaire, évolutive elle aussi.» Pour quel bénéfice? – «Il est de plusieurs ordres. Dans le cas d’un déficit de vitalité, d’une dépres- sion, il vous aidera à sortir la tête de l’eau. Ou en soutien à un lourd traitement, on remarque que des patients réagissent mieux à la chimio par exemple. L’idéal, bien sûr, c’est de pratiquer avec les consi- gnes des médecins. Certains participent, d’autres moins.» La leçon de dessin Elle découvre le «sweet touch», ou tou- cher doux, le pratique, puis l’enseigne, lui consacre un ouvrage didactique large- ment illustré (Sweet Touch, Isabelle Erard, 2009, chez l’auteure). «Une démarche personnelle et altruis- te qui permet encore de communiquer avec la personne aimée, quand les mots ne parlent plus.» L’heure passe, Isabelle attend un client, un lumbago. Pédagogue innée, elle se met en tête de me déniaiser, s’em- pare de mon stylo et, tant qu’à faire, de mon cahier, dessine un dos, ses os et ses muscles, un pied… à quatre orteils. Elle rit: – «Je dessine comme un sabot, mais pour les pieds… ça marche.» On essaiera la main un autre jour. www.sweet-touch.com Isabelle Erard: «L’être humain est une même et grande famille, rien ne me fera dévier du respect absolu de la vie.» PHOTOS ROGER MEIER Isabelle Erard: «La douleur, c’est objectif, mais la souffrance, on peut en faire l’économie» Médecines complémentaires – On redécouvre le pas- sé, le savoir ancien, il y a 600 ans que l’on pra- tique les médecines naturelles, elles ont des vertus. La politique – Un leurre, je ne dis pas que les politiques sont pourris, mais c’est l’économie qui mène le bal. Et les politiques dansent. Kamikaze – La destruction et l’héroïsme du minable, incapable de construire quoique ce soit. Migrants – En 1940, c’était la Shoah, refouler ces gens, c’était les condamner à mort. On n’a rien appris? L’Europe – Le moindre mal, avant sa construction, l’Euro- pe a eu 1000 ans de guerre. Aujourd’hui tout baigne. Caisse unique – Oui, avec un organe de contrôle indépen- dant, la concurrence est truquée. Pape François – Un être de lumière. Je ressens chez lui un amour inconditionnel et une grande humilité. Il ne se fait pas que des amis. Aide au suicide – J’accepte d’accompa- gner, mais je ne donne- rais pas le poison. Donc c’est non. Maintenant, au pied du mur… Qui sait… Légalisation du H – Non, c’est dévasta- teur, un grand pour- voyeur de schizophré- nie chez les ados. Fumée passive – C’est criminel. Les fumeurs en prison! f L’objet « Une tante qui rentrait du Brésil, où elle avait été secrétaire de l’ambassade portu- gaise, m’a ramené cette aigue-marine alors que j’avais 14 ans. Je l’admirais tous les jours. Elle a mystérieusement disparu durant quel- ques mois, j’étais désespérée. Et mon père me l’a rendue pour mes 16 ans, montée. J’en ai pleuré de joie. À 24 ans, je l’ai fait consacrer par Maître Omraam Aïvanhof. Un jour, dans un accident, elle m’a évité d’avoir la main écra- sée. C’est ma bague…» «Je me retrouve dans la rue, avec mon chat, mes poissons, mon lit mais pas de chambre…» L’invitée de la rédaction

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Le Quotidien Jurassien | Samedi 13 février 2016 | 31

– «Mais je suis restée épileptique, etj’ai dû faire d’énormes efforts pour récu-pérer ma concentration.»

Mission réussie.

Une romance inachevéeIsabelle est studieuse, elle excelle en

classe:– «J’étais suradaptée, comme on dit en

psychologie, je n’avais pas de copine, jen’étais pas joueuse, pas joyeuse. J’avaisbesoin de reconnaissance, que je ne rece-vais jamais.»

Elle rêve de servir la santé, elle se re-trouve à l’Université de Nanterre, sectionlangues, parce que ses parents la desti-nent au secrétariat.

Didier entre dans sa vie, elle se sou-vient:

– «C’était une soirée où l’on dansaitdans le noir. Je ne le connaissais pas, nospas s’emboîtaient magiquement, on adansé pendant plusieurs heures et j’aicompris qu’il était Belge quand il m’a ditEst-ce que je saurais aller chercher votremanteau? Et j’ai enfin vu son visage.»

Didier est décédé alors qu’Isabelle n’aque 20 ans, asphyxié par le monoxyde decarbone du brûleur de sa douche:

– «Je suis fracassée, je rentre à la mai-son où mon père me dit simplement Unde perdu 10 de retrouvés…»

Rustique.

Le jour de sa majorité (21 ans en Franceà l’époque), Isabelle a droit à un sermonde papa:

– «Un très beau discours sur la majori-té, ma nouvelle responsabilité, c’était ma-gnifique. Mais c’était juste pour me virerde la maison. Il pleuvait. Je me retrouvedans la rue, avec mon chat, mes pois-sons, mon lit mais pas de chambre…»

C’est un ami militaire qui la dépanne-ra, lui offrira l’hospitalité, puis sa tendres-se, et lui donnera une fille, Swetlina («Lu-mière» en bulgare), aujourd’hui mère de2 enfants, établie en Angleterre. Isabelleparle très gentiment de son copain sol-dat, ne lui en veut pas le moins du mondede n’avoir pas su assumer d’emblée sapaternité.

Isabelle devient vendeuse dans lachaussure haut de gamme, à Paris, touten bouquinant des ouvrages de santé eten s’occupant de sa fille. Des journéesbien remplies.

Le début de la chanceLa crise frappe au début des années

1980, Isabelle déménage en Provence;c’est pire, le chômage atteint 27%. Elle sedébrouille néanmoins grâce à des petitsboulots, vit dans une caravane avec sa fil-le, travaille dans une épicerie à côté deFréjus. Et quand le magasin ferme…

RENCONTRE l

Jacques Houriet

En bordure d’une rue delé-montaine très routière, lamaison est coquette, maispas vraiment récente.Pourtant, cinq secondesaprès un bref coup de son-nette, la porte s’ouvre,

dans un souffle mécanique, comme uneinvitation. Y’a un truc: c’est la maîtressedes lieux, masquée par un rideau, quijoue les ouvreuses automatiques. Espiè-gle, Isabelle.

– «Je vois un barbu, c’est votre photo-graphe?»

C’est Roger. Il est joli en pâtre grec. Etlorsqu’il lui demande ses préférencespour la photo, elle répond finement:

– «Je préfère laisser s’exprimer votretalent plutôt que vous imposer mon igno-rance.»

La première chose que l’on voit, dansle salon, c’est un lapin, puis des poissons,et Coco la calopsitte, un perroquet nainou une perruche géante, le débat est ou-vert. Tous ont leur territoire défini, seulGribouille, le chat orgueilleux et noncha-lant, circule à sa convenance. Confus, jedécouvre enfin Monsieur Ronald, le dis-cret mari, assis et souriant dans un coinsombre de la chambre.

La demeure se développe sur trois éta-ges:

– «C’est sportif, je fais 20 étages cha-que jour, j’ai des quadriceps en béton.»

Au premier, une salle de soins. Isabel-le est réflexologue. Notamment. Unaquarium, coloré et apaisant, masque laparoi. Elle suit mon regard:

– «J’ai une autre salle, sans animaux,pour les zoophobes, s’il en est.»

Un tissu complexeÀ l’étage supérieur, un local propose

un lit à balancelle, c’est-à-dire un lit quichaloupe langoureusement, la relaxationvoluptueuse. Isabelle débarrasse une pe-tite table des cactus qui l’encombrent, ap-proche deux chaises.

Elle est née à Neuilly, Paris, fille de Ra-chel, une jeune cantatrice juive, et (elle nele dit pas) probablement un peu immatu-re. Indulgente, sa fille constate:

– «Je n’ai pas reçu ce qu’attend un en-fant, mais maman ne pouvait pas donnerce qu’elle n’avait sans doute pas reçu elle-même. C’était une belle femme, blesséepar la vie. Vingt-sept membres de sa fa-mille ont disparu pendant la Shoah. J’aieu une enfance sans maltraitance, maissans amour. Je n’ai jamais sauté dans lesbras de ma mère, ni sur les genoux demon père.»

Son père, un Suisse déjà marié, recon-nut sa fille lorsqu’elle avait 6 ans, épousasa mère 8 ans plus tard et la remplaçaaprès 7 ans:

– «C’était kafkaïen, j’ai un frère et desquantités de demi-frères et sœurs.»

À 2 ans, Isabelle fait une fièvre typhoï-de carabinée, s’étouffe, subit une tra-chéotomie, survit:

– «Je prends une place de fille au pair àYverdon, à près de 30 ans, avec ma fille.Ça se passait bien, mais j’ai fait une crised’épilepsie, je me suis fracturé une main,mes employeurs ont pris peur, ils m’ontdonné 500 francs et mon congé.»

On lui prête les combles d’une maisondéserte, elle s’y installe avec sa fille. Et là…

– «La chance tourne… Je reviens de laMigros à vélo, avec mon maigre cabas, jevois un couple visiblement désespéré surun banc, je m’arrête, leur parle. Ils me di-sent que leur fille est condamnée. Je lesinvite chez moi pour leur prêter des ou-vrages qui pourraient les accompagnerdans cette épreuve. Une semaine plustard, je reçois une lettre des services so-ciaux vaudois, mandatés par ces gens.»

La part de l’ange– «J’étais déjà allée à l’aide sociale, où

on m’expliquait pourquoi on ne pouvaitpas m’aider. Je me souviens d’une fonc-tionnaire qui, me voyant fondre en lar-mes, m’a dit: Mais vous êtes épuisée, vousavez besoin de vacances…»

Isabelle tombe malade. Un vieux mé-decin taciturne, prévenu par elle ne saitqui, vient la voir, l’ausculter, lui laisseune ordonnance et s’en va. Isabelle n’estpas assurée, n’a pas le sou pour des mé-dicaments, elle s’apprête à patienter:

– «Le lendemain matin, devant maporte, je trouve un cabas avec des provi-sions et les médicaments. Je pense quec’est ce médecin. Mais je n’ai pas trouvétrace de lui, personne ne semble leconnaître. C’était un ange, je ne vois riend’autre. J’ai toujours une pensée pour lui,il n’y a pas de temps pour la gratitude.»

Isabelle sort enfin la tête de l’eau, bosseà Lausanne, et sa facétieuse de fille cour-be l’école à l’insu de sa mère…

– «Les services sociaux me convo-quent, me laissent entendre que je suisincapable de m’occuper de ma fille. Mé-fiante, j’ai fui le canton de Vaud…»

Le sain tumulte jurassienEt c’est ainsi qu’elle arrive dans le Jura,

à Delémont, où elle rencontre Ronald(Erard), divorcé avec 5 enfants à charge:

– «On s’est marié en 1988 et je passede mère célibataire à mère de famillenombreuse. Une étape intéressante, unediscipline à revoir. Une fois les règles né-gociées, posées et admises, tout est bienallé. Je ne suis pas tranchante, je suis clai-re intellectuellement et douce émotion-nellement. Et je suis sociable, j’ai beau-coup aimé ce tumulte de vie.»

Elle travaillera en qualité d’aide-soi-gnante au sein de Pro Senectute. Elle a 36

ans quand un genou rend les armes: chi-rurgie, 4 mois d’immobilisation, 10 au-tres pour retrouver une autonomie. Ettoujours, dans un coin de l’esprit, cetteambition d’ouvrir un cabinet de soins:

– «Je me retrouve chez Andrée Beu-chat, physiothérapeute, qui me trouvedes mains de réflexologue. Mais je n’aipas de formation, de moyens pour la sui-vre. Elle a souri et m’a financé mes étu-des, dites donc! Il y a des gens, n’est-cepas…»

Des anges.

Une thérapie ancestraleLa réflexologie est, nous apprend pru-

demment Wikipédia, «un soin nonconventionnel, de type massage, qui re-pose sur le postulat que chaque organe,partie du corps ou fonction physiologi-que correspondrait à une zone ou unpoint sur les mains, les pieds ou les oreil-les…»

– «Ce sont des techniques très ancien-nes, dont on retrouve trace en Chine, enÉgypte et en même en Inde anciennes.C’est Eunice Ingham, une infirmière an-glaise, qui a mis tout ça en cohérence,dans les années 1930. C’est une médeci-ne complémentaire, évolutive elle aussi.»

Pour quel bénéfice?– «Il est de plusieurs ordres. Dans le

cas d’un déficit de vitalité, d’une dépres-sion, il vous aidera à sortir la tête de l’eau.Ou en soutien à un lourd traitement, onremarque que des patients réagissentmieux à la chimio par exemple. L’idéal,bien sûr, c’est de pratiquer avec les consi-gnes des médecins. Certains participent,d’autres moins.»

La leçon de dessinElle découvre le «sweet touch», ou tou-

cher doux, le pratique, puis l’enseigne,lui consacre un ouvrage didactique large-ment illustré (Sweet Touch, IsabelleErard, 2009, chez l’auteure).

«Une démarche personnelle et altruis-te qui permet encore de communiqueravec la personne aimée, quand les motsne parlent plus.»

L’heure passe, Isabelle attend unclient, un lumbago. Pédagogue innée,elle se met en tête de me déniaiser, s’em-pare de mon stylo et, tant qu’à faire, demon cahier, dessine un dos, ses os et sesmuscles, un pied… à quatre orteils. Ellerit:

– «Je dessine comme un sabot, maispour les pieds… ça marche.»

On essaiera la main un autre jour.

www.sweet-touch.com

Isabelle Erard: «L’être humain est une même et grande famille, rien ne me fera dévier du respect absolu de la vie.» PHOTOS ROGER MEIER

Isabelle Erard: «La douleur, c’est objectif,mais la souffrance, on peut en faire l’économie»

Médecinescomplémentaires– On redécouvre le pas-sé, le savoir ancien, il ya 600 ans que l’on pra-tique les médecinesnaturelles, elles ont desvertus.

La politique– Un leurre, je ne dispas que les politiquessont pourris, mais c’estl’économie qui mène lebal.Et les politiques dansent.

Kamikaze– La destruction etl’héroïsme du minable,incapable de construirequoique ce soit.

Migrants– En 1940, c’était laShoah, refouler cesgens, c’était lescondamner à mort.On n’a rien appris?

L’Europe– Le moindre mal, avantsa construction, l’Euro-pe a eu 1000 ans deguerre.Aujourd’hui tout baigne.

Caisse unique– Oui, avec un organede contrôle indépen-dant, la concurrence esttruquée.

Pape François– Un être de lumière.Je ressens chez lui unamour inconditionnelet une grande humilité.Il ne se fait pas que desamis.

Aide au suicide– J’accepte d’accompa-gner, mais je ne donne-rais pas le poison. Doncc’est non. Maintenant,au pied du mur…Qui sait…

Légalisation du H– Non, c’est dévasta-teur, un grand pour-voyeur de schizophré-nie chez les ados.

Fumée passive– C’est criminel.Les fumeurs en prison!

f L’objet

«Une tante qui rentrait du Brésil, où elleavait été secrétaire de l’ambassade portu-

gaise, m’a ramené cette aigue-marine alorsque j’avais 14 ans. Je l’admirais tous les jours.Elle a mystérieusement disparu durant quel-ques mois, j’étais désespérée. Et mon père mel’a rendue pour mes 16 ans, montée. J’en aipleuré de joie. À 24 ans, je l’ai fait consacrerpar Maître Omraam Aïvanhof. Un jour, dansun accident, elle m’a évité d’avoir la main écra-sée. C’est ma bague…» l

«Je me retrouvedans la rue,avec mon chat,mes poissons,mon lit mais pasde chambre…»

L’invitée de la rédaction