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LES AROMATES DANS LES TABLETTES Ge DE MYCENES par MICHEL WYLOCK Dans un article précédent, nous avons tenté de préciser le rôle de cer- taines plantes dans la fabrication d'huiles parfumées à Pylos 1. Le présent article cherche à discerner les usages des plantes aromatiques mentionnées dans les tablettes de Mycène 2. Ce sont, dans l'ordre où elles se trouvent dans 1 M. Wylock, La fabrication des parfums à l'époque mycénienne d'après les tablet- tes Fr de Pylos dans Studi micenei ed egeo-anatolici, Fasc. XI, pp. 116-133, Roma, 1970. Les plantes qui avaient été traitées sont la sauge (kuparowe), la rose (wodowe) et le souchet (kuparowe). 2 Voici les principaux ouvrages que nous avons consultés et dont nous citerons souvent les titres en abrégé: J. André, Lexique des termes de botanique en latin, Paris, Klincksieck, 1956 (en abrégé: André, Lexique). D. Bois, Les plantes alimentaires chez tous les peuples et à travers les âges, 3 volumes, Paris, Lechevalier, 1927-1934 (en abrégé: Bois, Plantes alimentaires). P. Fournier, Le livre des plantes médicinales et vénéneuses de France, 3 tomes, Paris, Lechevalier, 1947-1948 (en abrégé: Fournier, Plantes médicinales). A. Rolet et D. Bouret, Plantes médicinales. Culture et cueillette des plantes sauvages, Paris, Baillière, 1919 (en abrégé: Rolet, Plantes médicinales). N.l. Vavilov, The origin, variation, immunity and breeding of cultivated plants, trad. du russe par K.S. Chester, coll. Chronica Botanica XIII, Waltham, Massachussets, 1949-1950 (en abrégé: Vavilov, Origin of plants). E. Boissier, Flora orientalis, 4 tomes, Genève, Georg, 1867-1879 (en abrégé: Boissier, Flora orientalis). K.R. Rechinger, Flora aegaea. Flora der Inseln und Halbinseln des agaischen Meeres, Vienne, Académie des Sciences, 1942 (en abrégé: Rechinger, Flora aegaea). J. Sbithorp et J.E. Smith, Florae graecae prodromus, 2 volumes, Londres, 1806-1813 (en abrégé: Sbithorp, Flora graeca). A. Maurizio, Histoire de l'alimentation végétale depuis la préhistoire jusqu'à nos jours, trad. du polonais par F. Gidon, Paris, Payot, 1932 (en abrégé: Maurizio, Alimenta- tation végétale).

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LES AROMATES DANS LES TABLETTES Ge DE MYCENES

par MICHEL WYLOCK

Dans un article précédent, nous avons tenté de préciser le rôle de cer­taines plantes dans la fabrication d'huiles parfumées à Pylos 1. Le présent article cherche à discerner les usages des plantes aromatiques mentionnées dans les tablettes de Mycène 2. Ce sont, dans l'ordre où elles se trouvent dans

1 M. Wylock, La fabrication des parfums à l'époque mycénienne d'après les tablet­tes Fr de Pylos dans Studi micenei ed egeo-anatolici, Fasc. XI, pp. 116-133, Roma, 1970. Les plantes qui avaient été traitées sont la sauge (kuparowe), la rose (wodowe) et le souchet (kuparowe).

2 Voici les principaux ouvrages que nous avons consultés et dont nous citerons souvent les titres en abrégé: J. André, Lexique des termes de botanique en latin, Paris, Klincksieck, 1956 (en abrégé:

André, Lexique). D. Bois, Les plantes alimentaires chez tous les peuples et à travers les âges, 3 volumes,

Paris, Lechevalier, 1927-1934 (en abrégé: Bois, Plantes alimentaires). P. Fournier, Le livre des plantes médicinales et vénéneuses de France, 3 tomes, Paris,

Lechevalier, 1947-1948 (en abrégé: Fournier, Plantes médicinales). A. Rolet et D. Bouret, Plantes médicinales. Culture et cueillette des plantes sauvages,

Paris, Baillière, 1919 (en abrégé: Rolet, Plantes médicinales). N.l. Vavilov, The origin, variation, immunity and breeding of cultivated plants, trad.

du russe par K.S. Chester, coll. Chronica Botanica XIII, Waltham, Massachussets, 1949-1950 (en abrégé: Vavilov, Origin of plants).

E. Boissier, Flora orientalis, 4 tomes, Genève, Georg, 1867-1879 (en abrégé: Boissier, Flora orientalis).

K.R. Rechinger, Flora aegaea. Flora der Inseln und Halbinseln des agaischen Meeres, Vienne, Académie des Sciences, 1942 (en abrégé: Rechinger, Flora aegaea).

J. Sbithorp et J.E. Smith, Florae graecae prodromus, 2 volumes, Londres, 1806-1813 (en abrégé: Sbithorp, Flora graeca).

A. Maurizio, Histoire de l'alimentation végétale depuis la préhistoire jusqu'à nos jours, trad. du polonais par F. Gidon, Paris, Payot, 1932 (en abrégé: Maurizio, Alimenta­tation végétale).

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106 Michel Wylock --~------------------------

les tablettes Ge 602, 603, 604 et 605, maratuwo (IJ,&.prl8o\l) «le fenouil », kumino (xuIJ,WO\l) «le cumin », sasama (crlJcrrlIJ,O\l) «le sésame », kanako (xvî'jxoç) « le carthame», kono (crXOL\lOÇ) «le jonc odorant», serino (crÉÀ.WO\l) « l'ache », kadamijo (x&.pÔrlIJ,O\l) «le cresson », koria2dana (XOpLrl\lÔpO\l) «le coriandre », mita (IJ,L\l81]) « la menthe» et karako (yÀ.lJXW\I) « pouliot ».

1) LE FENOUIL

Le fenouil 3 (Foeniculum vulgare Gaertner 4), est une grande ombellifère vivace, aromatique, d'environ 1 m. à 1 m. 50 qui croît dans les régions enso­leillées. On la trouve aussi en Grèce, en abondance sur les collines et aux bords des champs. Elle fleurit plus particulièrement dans le Péloponnèse occi­dental, en Attique, en Macédoine, en Thrace et dans les îles de Scyros, de Samothrace, de Rhodes, de Crète, etc. s. Il n'y a qu'une seule espèce. Cepen­dant, la plante peut être confondue facilement avec l'Aneth dit « Aneth odo­rant» (l'Anethum graveolens L.) qui pousse aussi en Grèce, parfois avec la Phellandre, dite « fenouil d'eau» ou « fenouil sauvage ». La plante est d'ori­gine strictement méditerranéenne. N.L Vavilov ne mentionne que ce seul

R. Stromberg, Griechische Pfanzennamen, GOteborg, 1940 (en abrégé: Stromberg, Pflan­zennamen).

S. Piesse, Histoire des parfums et hygiène de la toilette, Paris, Baillière, 1905 (en abrégé: Piesse, Parfums).

E. Charabot et alii, Les huiles essentielles et leurs principaux constituants, Paris, Béran­ger, 1899 (en abrégé: Charabot, Huiles essentielles).

P. Jeancard, Les parfums. Chimie et industrie, Paris, Baillière, 1927 (en abrégé: Jean­card, Parfums).

M.P. Otto, L'industrie des parfums d'après les théories de la chimie moderne, Paris, Dunod, 1924 (en abrégé: Otto, Parfums).

P. Chantraine, La formation des Izoms en grec ancien, Paris, Champion, 1953 (en abrégé: Chantraine, Formation).

P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, Klincksieck, 1968 (en abrégé: Chantraine, Etymologie). (Au moment où le présent article a été im­primé, le dernier fascicule disponible s'arrêtait à "wljJ). 3 Fournier, Plantes médicinales, II, pp. 144-150; Rolet, Plantes médicinales, pp.

123-126. 4 J'emprunte la dénomination à André, Lexique, s.v. feniculum; mais on trouve

chez les botanistes d'autres dénominations telles que Foeniculum vulgare L., Foeniculum vulgare Miller, Foeniculum officinale L., Foeniculum officinale Alliani.

5 Boissier, Flora orientalis, II, p. 975; Sibthorp, Flora graeca, l, pp. 203-204; Re­chinger, Flora aegaea, p. 409; une localité d'Arcadie tire son nom de la plante, d'après A. Carnoy, Les suffixes toponymiques pré-grecs dans l'Antiquité classique, XXIX (1960), p. 334.

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Les aromates dans les tablettes de Mycènes 107

centre 6 et c'est de là qu'elle s'est répandue dans l'Asie jusqu'au Japon, en Europe jusqu'en Suède et en Russie, en Afrique jusqu'en Ethiopie.

Les feuilles du fenouil sont presque filiformes 7; les fleurs, petites, jeu­nes, disposées en ombelles terminales, s'épanouissent en juin-juillet. On le trouve à l'état sauvage dans les terrains pierreux et secs et dans les vigno­bles. Le climat le meilleur, dit P. Fournier, est celui de la vigne. On peut le cultiver, et dans ce cas, il faut choisir un terrain bien exposé, ensoleillé, per­méable et riche.

Les différentes parties de la plante peuvent être utilisées. Le fenouil exhale dans toutes ses parties une odeur aromatique agréable, qui le fait employer comme condiment dans l'alimentation (fromage, viande, pain, lé­gume); en Palestine ancienne, il était utilisé comme ingrédient dans la salade. En Allemagne et en Autriche, on l'ajoute au pain pour en relever la sapidité.

En Italie et dans les régions avoisinantes, le fenouil cultivé joue un rôle important dans l'alimentation: on consomme la base de la plante, qui forme un renflement charnu. On peut la manger soit crue, en hors d'œuvre, soit cuite à la façon du céleri à côtes dont il a le goût, mais plus sucré et délicieu­sement parfumé; on l',associe généralement avec des olives et d'autres légu­mes, la tomate par exemple.

En Provence, les sommités fleuries avec les fruits entrent dans la conserve des olives. La racine est fortement diurétique, mais ce sont les fruits qui réunissent le plus grand nombre de propriétés: stimulants, apéritifs, sto­machiques, carminatifs, galactopoiétiques et violemment emménagogues 8.

La décoction des racines, la poudre ou l'infusion des fruits, le thé de fenouil, etc. servent encore à guérir des affections et des maladies diverses (flatulence, spasme, colique, coqueluche, asthme, etc.) mais il n'est pas utile ici d'entrer dans le détail.

Les fruits fournissent par simple pression une huile grasse, à odeur de fenouil et de couleur verte, qui sert, à l'heure actuelle, à parfumer les savons.

En Grèce, à l'époque d'Hippocrate, le fenouil entrait comme ingrédient dans diverses préparations et la plupart des propriétés énoncées avaient déjà été constatées. Théophraste ne nous en apprend guère davantage sur les uti­lisations de la plante.

6 Vavilov, Origin of plants, p. 36. 7 C'est ce caractère filiforme qui a conduit A. Carnoy à rattacher le nom grec du

fenouil à une racine indoeuropéenne *mer- «fil» d'où *mora-to- «fait de fils ». Voir Carnoy, Dictionnaire étymologique, s.v. marathon.

8 Sur les propriétés diurétiques, voir Hippocrate, Du régime, II, 54, 8: «sont diu­rétiques les jus de ... fenouil »; sur les propriétés emménagogues, voir Hippocrate, Des maladies des femmes, l, 66 et De la nature de la femme, 32; sur les propriétés galacto­poiétiques, voir Hippocrate, Des maladies des femmes, l, 44.

9 Théophraste, Histoire des plantes, l, 11,2, VI, 1,4; VI, 2, 9; VII, 3, 2.

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108 Michel Wylock

Il nous dit e.a. que la sève de fenouil a une saveur parfumée 9. Dans son traité sur les Odeurs, il ne fait pas mention d'un emploi éventuel de la plante dans la fabrication des parfums. Il semble que la plante ne soit pas encore cultivée à son époque, car il ne dit rien à ce sujet; la pauvreté des témoignages grecs sur le fenouil étonne. Par contre, les Latins semblent l'avoir mieux connu. Caton et Columelle rangent le fenouil parmi les plantes qui aident à la conservation des olives 10.

Apicius utilise assez largement le fenouil, soit la plante soit les graines 11.

A l'époque de Pline l'Ancien, le fenouil était cultivé. Il entrait dans les assai­sonnements et semble fort connu au Ile s. ap. J .C.

Voici ce qu'en dit Pline 12: Medicinae in sativo ad scorpionum ictus et serpentium semine in vina poto. Ipsum condimentis propre omnibus inseritur. Quin et panis crustis subditur ... (Semen) ventrem sistit, cum modice sumitur, urinam ciet et ad tormina totum decoctum.

« Le fenouil cultivé, quand on prend la graine dans du vin, est un re­mède contre les blessures faites par les scorpions et les serpents. La plante entre dans presque tous les assaisonnements. On en garnit la croûte du pain ... Prise à dose modérée (la graine) resserre le ventre; bouillie tout entière, la plante est diurétique jusqu'à provoquer des douleurs ».

Pline fait mention ici du fenouil cultivé. Nous sommes donc assurés qu'au 1er s.ap. ].C., la plante fait l'objet d'une culture. C'est pourquoi Pline et ses successeurs s'appliqueront à distinguer les 2 sortes par les termes feni­culum agreste pour le fenouil sauvage et feniculum pour le fenouil cultivé; il en va de même en grec tardif: L1t1tO~apa.~o\l à côté de ~apa.~o\l 13.

On pourrait résumer ce qui vient d'être dit dans le tableau suivant 14:

10 Caton, De agricultura, 119, avec le cumin, la coriandre et la menthe; Columelle, XII, 49, 1-2; XII, 51, 2.

11 Apicus, De re coquinaria, l, 21; III, 19, 2; IV, 4, 2; V, l,let 4; V, 3, 9 et VIII, 1, 9.

12 Pline, Histoire naturelle, XX, 256. Au § 257, il signale le caractère aphrodisia­que des feuilles; voir aussi XIX, 173.

13 Voir Pline, op. cit., XX 255. Est in hoc genere et silvestre quod ... hippomarathum vacant. «Il existe aussi dans cette espèce un fenouil sauvage qu'on appelle hippoma­rathum ... »; Olck, art. Fenchel dans R.E., VI (1909), col. 2176. L'élément t1t1tO- est em­ployé comme symbole de grandeur, voir Stromberg, Pflanzennamen, p. 30. - Hippocrate connaît un t1t1to/-tŒpaOov ayant les mêmes propriétés que le fenouil, mais il ne nous dit pas s'il était sauvage, voir Hippocrate, Des maladies des femmes, l, 44; Des femmes stériles, 224; De la nature de la femme 32 et 93; Theophraste, Histoire des plantes, VI, 1, 4 connaît aussi un terme t1t1to/-tŒpaOov qui est même associé à /-tŒpaOov, mais il étudie les deux phytonymes dans la mesure où le premier a une tige fibreuse et le second une tige « semblable à celle de la férule ». Comme on le voit, Hippocrate et Théophraste connaissent les deux termes mais leur témoignage ne nous aide en rien pour savoir si le fenouil était cultivé au Ve s. av. J.e.

14 Dans une étude diachronique sur le nom des plantes, on constaterait qu'il y a

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Les aromates dans les tablettes de Mycènes 109

Epoques 15

1400 (Mycènes) 400 (Hippocrate) 300 (Théophraste)

+ 50 (Pline l'Ancien)

Fenouil cultivé

~&.ptx.eov (?) ~tx.ptx.eov (?) ~&.ptx.eov

(foeniculum)

Fenouil sauvage

maratuwo bt1to~&.ptx.eov ( ? ) i"'t1tO~&.ptx.eov ( ? ) bt1to~&.ptx.eov

(foeniculum agreste)

Nous pouvons supposer que vraisemblablement le fenouil de l'époque mycénienne était encore sauvage. Les différences entre plante sauvage et plante cultivée ne sont pas essentielles: la sauvage, comme cela arrive souvent, est plus haute, son goût plus fort, ses propriétés médicinales plus intenses.

La culture augmente le volume de certains organes (p.e. les graines), mais entraîne la perte des dispositions favorables à la dissémination naturelle des graines et des fruits 16.

En conclusion, le fenouil qui poussait dans le pays des Mycéniens devait être essentiellement connu comme aromate dans l'assaisonnement et ses pro­priétés médicinales étaient probablement déjà connues.

II) LE CUMIN

S'il est vrai que nous pouvons établir la correspondance cuminum = Cu­minum cyminum 1. = cumin officinal 17 , je ne crois pas qu'il en soit de même pour kumino = XU~LVOv = cuminum cyminum 1. Les botanistes s'ac­cordent à reconnaître que le cumin est, à notre époque, une plante fort ré­pandue sous bien des climats, vivant aussi bien en Norvège qu'en Afrique du Nord 18. En Grèce, assez curieusement, le cumin officinal semble ne pas exister. Aucun auteur de flore grecque ne le mentionne 19. Aussi, le but de

eu à l'origine un phytonyme qui ne désignait que la plante sauvage; le nom s'est étendu ensuite à la plante cultivée. Lorsqu'il devint nécessaire de distinguer la plante sauvage de la cultivée, on créa un composé avec un premier élément qui rappelait un caractère physique (È).,EÀ,~-, hmo-), le lieu où elle était la plus répandue (OpEO-, È).,EO-), etc.; parfois on créa un mot nouveau (1'}ovOO"IlO\l pour une variété de menthe).

15 Les époques mentionnées n'ont pas un caractère précis et exclusif. Elles consti­tuent une base de référence sans plus.

16 Olck, art. Penchel dans KE., VI (1909), col. 2176; Maurizio, Alimentation vé­gétale, p. 194; Pline, op. cit., XX, 258.

17 André, Lexique, s.v. cuminum. 18 Fournier, Plantes médicinales, II, pp. 27-29; Rolet, Plantes médicinales, pp. 259-

261; Bois, Plantes alimentaires, III, pp. 259-261. 19 J. Sibthorp et K.R. Rechinger n'en parlent pas. Seul E. Boissier parle du Cu-

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110 Michel Wylock

notre enquête sera de déterminer quelle plante poussait en Grèce sous le nom de kumino et comment la confusion s'est faite.

A mon avis, kumino représente la Lagoecia cuminoïdes L. dite « cumin aux lièvres », en allemand, Hasen-Kümmel, qui elle est fort répandue en Grèce et dans les îles 20. Elle serait le XVllWO'J a,ypLO'J de Dioscoride, le cumi­num rusticum, silvaticum, agreste de Pline l'Ancien et de ses successeurs 21

kumino serait donc du cumin sauvage. La description du cumin sauvage sont rares. H. Gossen 22 nous apprend

que ce cumin sauvage est haut de ± 22 cm et qu'il a une forte tige. Son goût est plus prononcé que celui du cumin ordinaire et ses propriétés sont plus intenses. Cette précision étant acquise, il est possible de parler du cumin ordinaire, de ses propriétés, de son utilisation mais en étant attentif au fait que l'espèce en question ne pousse pas en Grèce!

Nos problèmes ne sont pas pour autant résolus car le cumin fait dans nos pays l'objet de multiples confusions. Les premiers botanistes n'y ont pas pris garde et cette erreur a gêné le travail des botanistes entre eux. La con­fusion se fait:

1) principalement avec le carvi (Carum carvi L.), une autre ombellifèr'e aux propriétés fort semblables. Chez nous, on l'appelle «cumin des monta­gnes », «cumin des prés », en Allemagne Feldkümmel, au Danemark, Kummen (le même mot sert à désigner le cumin), en Hollande, veldkomijn, en Turquie, Frenk kimionon, etc. 23.

En Allemagne, la liqueur dite Kümmel se prépare principalement avec les fruits du carvi 24.

2) avec l'anis (Pimpinella Anisum L.); dans le langage populaire, le cumin se dit parfois « faux anis », « anis âcre ». Les fruits, croqués dans la bou­che, ont effectivement un goût d'anis. Ses propriétés médicinales sont les mêmes que celles du cumin;

3) avec la nigelle (Nigella sativa L.), plus rarement semble-t-il; on l'appelle parfois « cumin noir» par confusion des graines.

minum cyminum 1. mais il le trouve uniquement en Egypte dans les lieux élevés et dans le Turkestan, voir Boissier, Flora orientaUs, II, pp. 1080-1081.

20 Elle est répandue dans les champs, dans les vignobles, sur les collines arides et herbeuses des régions basses, voir Sibthorp, Flora graeca, l, p. 162, s.v. Lagoecia et Boissier, Flora orientalis, II, p. 833 s.v. Lagoecia cuminoïdes; on la trouve aussi dans les îles d'Egine, de Cos (!), de Rhodes, de Crète, de Céos, de Mélos, etc., voir Rechinger, Flora aegaea, p. 400. Sur le nom, voir Stromberg, Pflanzennamen, p. 139.

21 André, op. cit., s.v. cuminum. 22 H. Gossen, art. Kümmel dans RE, supplementum VIII (1956), col. 256-257. 23 Le Carum carvi 1. ne pousse pas en Grèce. La confusion n'a donc pas pu se

produire en Grèce tout au moins avec cette plante. 24 Rolet, op. cit., pp. 261 et 197.

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Les atomai:e~ dans les tablettes de Mycènes 111

Bref, si ces confusions existent encore, chez nous à notre époque, on peut se demander dans quelle mesure elles n'existaient pas aussi, à plus forte raison, dans l'antiquité.

La patrie du cumin est située en Orient ::llns que nous puissions préciser davantage 25. Nous en trouvons confirmation si nous envisageons le plan pu­rement linguistique: nous voyons que le nom est attesté en akkadien, ka­munu (m), en ougaritique, kmn, en hébreu, kammon 26.

Le terme aura sans doute servi à désigner en Grèce la Lagoecia cumi­noïdes 1. et dans les pays orientaux le cumin soit officinal soit sauvage 27.

Le cumin officinal est fort répandu. Cette petite ombellifère annuelle et grêle, de 15 à 30 cm. de hauteur, se reconnaît facilement à ses feuilles découpées en fines lanières, presque capillaires, et à ses fruits oblongs, très aromatiques. Les fleurs blanches, rosées ou purpurines, plutôt petites, s'épa­nouissent en mai-juin.

Les semences ont des propriétés carminatives fort actives, stomachiques, antispasmodiques, excitantes et emménagogues. Lors de la récolte, on coupe les ombelles a·a fur et à mesure de leur maturité. Après séchage sur une toile au soleil, on bat, on vanne, on crible. Courante dans les pays où pousse le cumin, cette scène est déjà décrite par le prophète Isaïe, au VIlles. av. J .c.2S

Le cumin bien sec est conservé dans des récipients hermétiquement clos. Il est connu principalement comme condiment pour la cuisine et la pâtisserie (fromage, pain, etc.) 29.

Avec les graines écrasées, on peut composer des cataplasmes chauds. Chez nous, en Europe occidentale, le cumin a perdu beaucoup de l'importance qu'il avait autrefois dans la cuisine et dans la pharmacopée populaire.

25 Vavilov, Origin of plants, pp. 28, 31, 37 et 38. Fournier, op. cit., II, p. 28, dit que le cumin pousse à l'état sauvage dans le Turkestan.

26 Emilia Masson, Recherches sur les plus anciens emprunts sémitiques en grec, Pa­ris, Klincksieck, 1967, pp. 51-52; Frisk, s.v. XU(.l.WO\l; Chantraine, Etymologie, s.v. xU(.l.WO\l.

27 Outre la Grèce, la Lagoecia cuminoïdes 1. pousse à Smyrne, en Lycie, sur la côte de Cilicie, à Chypre, à Aleph, en Palestine, en Mésopotamie et dans le Sud de l'Iran, voir Boissier, Flora orietttalis, II, p. 833 s.v. Lagoecia cuminoïdes.

28 Isaïe, XXVIII, 27.

« On ne foule pas la nielle avec le traîneau Et la roue du chariot ne passe pas sur le cumin Mais on bat la nielle avec le bâton Et le cumin avec la verge ».

Le cumin (Lagoecia cuminoïdes 1.) était cultivé en Palestine au VIlle s. av. J.-c., voir Isaïe, XXVIII, 25.

29 Maurizio, Alimentation végétale, pp. 518, 521 et 527.

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112 Michel Wylock

Il est utilisé en parfumerie 30 car ses fruits contiennent en abondance une essence qui s'extrait principalement par distillation à la vapeur, procédé qui ne nous intéresse pas ici.

En Grèce post-mycénienne, Hippocrate connaît, à côté du simple XV{-LL­

VOV 31, un autre cumin originaire d'Ethiopie 32. La plante était utilisée surtout contre les maux d'estomac 33 mais on la trouve plus souvent associée avec d'autres aromates 34.

Le « cumin» devait être assez populaire pour qu'on puisse appeler un avare XU{-LLV07CPLC"t"l'}C; « un scieur de cumin » 35.

Théophraste s'intéresse surtout à la germination et à la fructification 36

mais grâce à lui nous apprenons que le « cumin» était cultivé comme plante potagère au IVe s. av. J.c. 37. Cependant, le «cumin» a dû être entouré d'une certaine superstition pour des raisons que lui-même ignore: durant le temps de la germination, il faut prononcer des imprécations (X(('t'cXp((C'e((L) et des jurons (~À.((C'cp1}{-LEï:V) si on veut que la récolte soit belle et abondante 38,

Dans son traité Des odeurs, il ne parle pas d'un emploi possible du « cumin» dans la fabrication des parfums.

Chez Caton et Columelle, le «cumin» sert à conserver les olives 39.

Apicius l'utilise largement sous forme de «sauce au cumin» (cumina­tum) 40 ou comme condiment dans des sauces pour le poisson et pour la viande 41. On importait à son époque du cumin d'Ethiopie, d'Egypte et de

30 Jeancard, Parfums, p. 303; Charabot, Huiles essentielles pp. 220-221; Otto, In­dustrie des parfums, p. 376; Piesse, Histoire des parfums, p. 131.

31 Vraisemblablement, la Lagoecia cuminoïdes L., qui poussait à Cos et dans les autres îles, voir Rechinger, Flora aegaea, p. 400.

32 Hippocrate, Des épidémies, VII, 6; Hippocrate, De la nature de la femme, 32; d'après H . Gossen, op. cit., les anciens employaient le terme xV(..LWO\l. pour désigner le Carum carvi L. et distinguaient le cumin vrai, Cuminum cyminum L. par le terme XV(..LWO\l ACe~omx6\1. Cette opinion est en contradiction avec ce que disent les auteurs de flore: le Carum carvi L. ne pousse pas en Grèce, de même que le Cuminum cy­minum L.

33 Hippocrate, Du régime dans les maladies, 7; Des épidémies II, 6, 7; VII, 6; v. aussi De la nature de la femme, 32 et Des maladies des femmes, l, 81.

34 Hippocrate, Des affections, 41 et 43. 35 Aristophane, Guêpes, 1357. Voir aussi Aristote, Ethique à Nicomaque, IV, 1, 39

et Théocrite, X, 55. 36 Théophraste, Histoire des plantes, l, 11, 2; VII, 3, 2; VII, 3 3; VIII, 3, 5;

VIII 6, 1; VIII, 10, 1. 37 Théophraste, op. cit., VII, 4, 1. 38 Théophraste, op. cit., VII, 3, 3 et IX, 8, 8. 39 Caton, De agricultura, 119, en même temps que la menthe, le fenouil et la co­

riandre; Columelle, XII, 51, 2, en même temps que le fenouil. 40 Apicius, De re coquinaria, l, 15, 1 et 2, pour un plat d'huîtres et autres coquil­

lages; IV, 2, 34 pour une patina de pêches. 41 Apicius, op. cit., VI, 5, 1; VII, 1, 1; VIII, 1, 7; VIII, 5, 2; X, 1, 9; X, 1, 14.

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Les aromates dans les tablettes de Mycènes 113

Lybie 42. Rappelons qu'à l'époque du Christ, les Juifs devaient verser la dîme du cumin 43.

Pline l'Ancien répète ce que ses prédécesseurs ont dit: il rappelle les propriétés médicinales de la plante sauvage et de la plante cultivée 44. Lui aussi estime que le meilleur cumin venait d'Egypte et d'Ethiopie 45.

On peut donc soutenir que kumino fut un terme qui, en Grèce mycé­nienne, s'appliquait essentiellement à la Lagoecia cuminoïdes L. Il en allait vraisemblablement de même à l'époque classique.

Si Hippocrate connaissait une plante, peut-être d'origine étrangère et importée, qu'il nomme XU(.lLVO\l A1.8~01UX6\1, il devait sans doute, lorsqu'il parle du simple cumin, se référer à la Lagoecia cuminoïdes L. qui pousse à Cos et dans les environs. De même Aristophane, qui s'adressait à un public composé en partie de paysans, ne pouvait pas forger une expression comique dont les termes seraient inconnus.

Hippocrate pose un problème: il signale l'existence de plusieurs sortes de cumin dont « les différences se marquent dans les feuilles, dans les racines, dans les couleurs et dans les sucs 46.

C'est fort vague! Cependant, un indice permet de croire que Théo­phraste, ou son informateur, ne pense pas uniquement au cumin de Grèce car l'ensemble du ch. IV est consacré à la description des différentes herbes potagères qui poussent dans la Méditerranée: plantes de Corinthe, de La­conie, de Béotie, de Cnide, de Crète et même d'Issus, d'Ascalon et de Sardes 47.

Théophraste n'avait sans doute pas d'informations supplémentaires sur le cumin, mais il est vraisemblable qu'il ne pensait pas uniquement à la seule Lagoecia cuminoïdes L.

42 Dans une recette d'oxyporum, Apicius, op. cit., l, 18 dit qu'on doit prendre « du cumin soit d'Ethiopie, soit de Syrie, soit de Lybie » euminum vel Ethiopieum aut Siria­eum aut Libieum.

43 Evangile de Matthieu, XXIII, 23. 44 Pline, Histoire naturelle, XIX, 160: Condimentorum tamen omnium quae fasti­

diis (medenttlr) euminum amicissimum, «mais de tous les condiments qui guérissent les maux d'estomac, c'est le cumin qui convient le mieux »; XX, 159-162: euminum est et silvestre ... sed ut sativo magnus usus, in stomaehi praecipue remediis - Viseutit pituitas, inflationes tritum et eum pane sumptum vel potum ex aqua vinoque, tormina quo que et intestinorum dolores... (suivent des exemples) ... 162 silvestre ad omnia eadem effi­eacius, praeterea ad serpentes eum oleo, ad seorpiones, seolopendras ... «Il existe aussi un cumin sauvage ... mais comme l'espèce cultivée, il est d'un très grand usage, surtout dans les remèdes pour l'estomac. Il dissipe la pituite, les flatuosités, pilé et pris avec du pain ou bu dans l'eau et le vin, et aussi les coliques .et les douleurs intestinales ... 162 Le cumin sauvage est plus efficace dans tous ces cas et surtout contre les serpents, avec de l'huile, contre les scorpions et les scolopendres ».

7

45 Du moins après celui de Carpétanie, en Espagne, d'après Pline, op. cit., XIX, 161. 46 Théophraste, Histoire des plantes, VII, 4, 1. 47 Théophraste, op. cit., VII, 4, passim.

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114 Michel Wylock

Le Cuminum cyminum L. poussait-il alors en Grèce? Nous ne le sau­rons sans doute jamais. Mon but ici n'est pas de savoir quels étaient les cu­mins connus par Théophraste, mais d'identifier le kumino de l'époque mycé­nienne, en signalant les difficultés d'identification. On peut résumer le pro­blème dans le tableau suivant:

Epoques 48

± 1400 (Mycènes) 400 (Hippocrate)

422 (Aristophane) 300 (Théophraste)

Phytonymes

kumino XVIJ.tVo'V XVIJ.tVo'V

XVIJ.tVO'V XVIJ.tVo'V

AtBL01tLx6'V

Plantes

Lagoecia cuminoïdes L. Lagoecia cuminoïdes L.

{Cuminum cyminum L. (?) Carum carvi L. de H. Gossen

(?? ?) Lagoecia cuminoïdes L.

{Lagoecia cuminoïdes L. + Cuminum cyminum L. (?) + ???

Pour les dates de culture de la Lagoecia cuminoïdes L., on peut dresser le tableau suivant:

Epoques 48 Grèce Palestine 49

± 1400 (Mycènes) ? ? 750 (Isaïe) ? cultivé 300 (Théophraste) cultivé cultivé

Mon enquête s'écarte donc du commentaire de J. Chadwick 50 qui iden­tifie kumino à Cuminum cyminum L.

Cette identification l'oblige, par le fait même, à ne pas rejeter une pro­venance orientale, opinion fort grave de conséquences, puisque c'est mettre de côté l'hypothèse que les tablettes seraient des relevés d'impôts pour en faire des documents de commerce et même de commerce avec l'étranger!

A mon avis, les Mycéniens cueillaient ce kumino dans leur propre pays

48 Les époques mentionnées n'ont pas un caractère précis et exclusif. Elles consti­tuent une base de référence, sans plus.

49 Les auteurs que j'ai consultés pour l'Orient sont trop imprécis sur ce point. Je m'en suis tenu au seul témoignage d'Isaïe, XXVIII, 25.

50 M.T. II, pp. 107-108.

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Les aromates dans les tablettes de Mycènes 115

et l'utilisaient comme aromate dans l'alimentation. Il n'est pas exclu qu'ils aient déjà connu les propriétés médicinales de la plante.

III} LE SÉSAME

Le sésame 51 (Sesamum indicum L.)52 est une herbe annuelle qui croît dans toutes les régions tropicales et subtropicales.

Pour la Grèce continentale, E. Bossier le signale uniquement en Argo­lide. On le trouve aussi dans les iles de Rhodes, de Ténédos et en Crète 53.

La patrie du sésame est située en Asie centrale d'après N.r. Vavilov 54.

De là, la plante s'est propagée vers la Chine d'une part et vers l'Inde d'autre part (d'où l'appellation fautive de C. von Linné) 55; puis, de cette

51 H. Jumelle, L.es cultures coloniales V Plantes oléagineuses, Paris, Baillière, 1914, pp. 79-86; E. Perrot, Matières premières du règne végétal, Paris, Masson, 1943-1944, II, pp. 1968-1974.

52 André, Lexique, s.v. sesamum; on trouve aussi chez les botanistes les dénomina­tions équivalentes Sesamum indicum de Candolle, S. orientale 1., S. orientale de Can­dolle, etc.

53 Boissier, Flora orientalis, IV, p. 81; Rechinger, Flora aegaea, p. 491; Sibthorp, Flora graeca n'en parle pas. Les autres régions méditerranéennes où poussent le sésame sont la Lydie et l'Egypte.

54 Il existe des centres secondaires en Inde, dans le Proche-Orient et en Ethiopie d'après Vavilov, Origin of plants, pp. 28, 31, 33, 38 mais A. de Candolle, Origine des plantes cultivées, Paris, Alcan, 1896, p. 339 et plus récemment A.-1. Guyot, Origine des plantes cultivées, Paris, P.U.F., 1942, p. 119 veulent trouver le centre d'origine dans les îles de la Sonde et plus précisément dans l'île de Java car, disent-ils, le sésame y pousse de façon spontanée. Les faits linguistiques laissent supposer une origine orientale sans plus. D'après E. Laroche, Mots grecs d'origine anatolienne dans Bulletin de la Société de Linguistique, LI (1955), p. XXXIII, les formes grecques postulent un ancien sasamo-a-. Or, le prototype akkadien a la forme samassammu, issu lui-même de samansammu. En hittite, le sésame se nomme probablement samamma, lui-même emprunté à l'akkadien. En hourrite (Ras Shamra), on lit un nom de. végétal sa·am·sa-am-me.

C'est finalement la forme syrienne samsama-o qui rendrait le mieux compte du grec; voir aussi Frisk, s.v. cr1}cra!J,o'V; Chantraine, Formation, p. 33 dit simplement que le phytonyme est un emprunt. L'emprunt devait être antérieur à l'époque phénicienne et je ne puis suivre l'opinion d'Emilia Masson, op. cit., p. 57 qui postule un intermé­diaire phénicien. Du reste, dans cet ouvrage règne, à mon avis, une contradition: l'au­teur connaît la forme mycénienne et elle postule un intermédiaire phénicien. Ces deux informations se contredisent, à moins que le mot « phénicien» n'ait pas sa valeur habi­tuelle.

55 Cette imprécision serait courante chez C. von Linné d'après de Candolle, op. cit., p. III: « ... les trois quarts des indications de Linné sur la patrie des plantes ... sont ou incomplètes ou erronées »; et p. 361: « Linné ne s'est donné aucune peine pour décou­vrir l'origine de la plante ». Il l'a sans doute appelée indicum d'après Pline, Histoire naturelle, XVIII, 96.

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dernière contrée, elle s'étendit au Proche-Orient et enfin aux pays méditer­ranéens (Egypte, Grèce, Italie, Espagne, etc.) 56.

Le sésame se présente avec une tige droite et il atteint de 60 à 100 cm. de hauteur.

Les fleurs blanches, souvent panachées de rouge ou de jaune, sont axil­laires et solitaires. Le fruit, sous forme de capsule à 4 ou 5 lobes, renferme des graines très nombreuses et très petites. La récolte se fait soit en arrachant le pied de la plante, soit en coupant la tige au ras du sol, mais dans les deux cas l'opération a lieu quelque temps avant la maturité des fruits. Les tiges ou les plantes, mises en bottes, sont transportées à l'ombre sur une aire. On les dispose en petits tas et la maturation des fruits s'achève 'd'elle-même. Il se produit alors une sorte de fermentation qui fait jaunir et tomber les feuil­les. Pour hâter le détachement des capsules, on expose ensuite la récolte sur des nattes au soleil. Sous l'action des rayons solaires, les capsules éclatent et mettent les graines en liberté.

D'après H. Jumelle, on fait souvent deux récoltes: une de printemps (semailles en janvier) et une d'automne (semailles en septembre) mais le plus souvent c'est le climat du pays qui dicte l'époque favorable des semis.

Les graines de sésame sont très richement oléagineuses: la teneur en huile oscille aux environs de 50%.

A la première pression, on peut extraire à froid environ 25 % d'une huile jaune à saveur douce et presque inodore. A la seconde pression, environ 10%. La troisième pression doit se faire à chaud. Les huiles exprimées à froid peuvent entrer dans l'alimentation. L'huile de sésame est particulièrement recherchée parce qu'elle rancit difficilement. Elle constitue l'une des huiles les moins altérables.

Les tourteaux de sésame, richement alimentaires, sont recommandés pour les vaches laitières: ils augmentent la richesse du lait en beurre.

Les Orientaux et les Grecs actuels parsèment de ses graines le pain et les pâtisseries SI. En Inde et en Afrique tropicale, les graines de sésame entrent dans l'alimentation.

Les graines ont en outre des propriétés émollientes, toniques et diuré­tiques. A l'heure actuelle, outre son emploi dans l'alimentation, l'huile de sésame sert à fabriquer des savons et à fixer les parfums 58.

Homère ne parle pas du sésame, mais il cite une ville ou une région

56 A titre purement indicatif, je signale qu'il a existé un certain nombre d'anthro­ponymes apparemment apparentés au sésame, voir Eschyle, Perses, v. 322 et 983 (les personnages sont des Perses), voir aussi G. Klaffenbach, Inscriptiones Acarnaniae, 1. G. XI, 12, nO 504 (l'inscription se trouve sur une stèle sépulcrale du Ille s. av. ].c.). Mais on ne peut tirer de ces anthroponymes un indice.

57 Bois, Plantes alimentaires, III, p. 213. 58 Utilization Abstract: sesame dans Economic Botany, IX (1955), p. 150.

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Les aromates dans les tablettes de Mycènes 117

de Paphlagonie qui s'appelle ~i)crct~o<; 59. Les commentateurs anciens ne rap­prochent pas le nom de cette ville avec la plante.

A l'époque d'Hippocrate, le sésame était un condiment fort apprécié, trop à son avis, car l'illustre médecin réagit contre son usage immodéré 60.

Cependant, le goût des pâtisseries au sésame est resté puissant. Ainsi, dans les Acharniens d'Aristophane, lorsque le messager avertit Dicéopolis que le banquet est commencé, les pâtisseries au sésame figurent en bonne place avec les galettes, les gâteaux au miel, les tartes, etc. 61. L'emploi du sé­same ne semble pas s'être propagé en Italie. Plaute en parle une fois 62; Api­cius ne donne qu'une recette où le sésame entre comme ingrédient 63 et Co­lumelle ne l'utilise que dans une recette de salade 64.

Par Aristophane, nous apprenons que le sésame était cultivé au Ve s. av. J.c. 65.

Théophraste, de son côté, décrit la plante, sa culture, sa rapidité de ger­mination, son caractère prolifique mais signale qu'elle est fort épuisante pour le sol 66. Caton ne dit rien et Columelle ne la cite qu'une fois 67.

Quant aux propriétés médicinales du sésame, Hippocrate et Pline sont les seuls à en traiter mais leur témoignage est peu important 68.

L'huile de sésame, à mon avis, a été connue en Grèce mais, pour des rai­sons écologiques et économiques (l'existence de l'huile d'olive), son usage n'a pas été répandu.

Hérodote sait que les Babyloniens extrayaient une huile du sésame fI),

Pline le dira aussi plus tard à propos des Indiens et des Egyptiens 70; Théo-

59 Wade, II, 853. - Voir aussi Batrachomyomachie, v. 36. 60 Hippocrate, Des affections internes, 42. Parlant d'une forme de dérangement in­

testinal, il dit: «Chez beaucoup de gens encore, la maladie est produite par les causes que voici: ils mangent de façon insatiable des gâteaux au sésame et autres friandises au miel... ». Voir aussi Hippocrate, Des maladies, II, 50; Des affections, 47.

61 Aristophane, Aeharniens, 1092; voir aussi Paix, 869; Thesmophories, 570; Guê-pes, 676.

62 Plaute, Poenulus, 326. 63 Apicius, De re coquinaria, VI, 6, 2; voir aussi Pétrone, Satirieon, 1, 3. 64 Columelle, De re rustica, XII, 59, 2. 65 Aristophane, Oiseaux, 159 (paroles d'Epops à Evelpidès): «Nous paissons dans

les jardins les blancs sésames (blanc à cause des fleurs, cf. supra). 66 Théophraste, Histoire des plantes, VIII, passim et Des causes des plantes, II,

12, 1 et IV, 16, 2. 67 Columelle, op. cit., II, 7, 1. 68 Le sésame est laxatif, d'après Hippocrate, Du regzme, II, 45, 3. Voir aussi Du

régime salutaire, 4; Des maladies des femmes, l, 32 et Pline, op. cit., XXII, 132. fi) Et Hérodote, l, 93 s'en étonne: «(Les Babyloniens) n'usent pas d'huile d'olive;

ils extraient des graines de sésame un liquide gras ». Voir aussi Xénophon, Anabase, IV, 4, 13.

70 Pline, Histoire naturelle, XVIII, 96: «sesama ab Indis venit, ex ea et oleum

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phraste en parle à propos de la qualité des huiles utilisées comme excipient en parfumerie 71, et c'est lui qui nous apprend que l'huile de sésame est parti­culièrement réceptive au parfum de roses 72.

En conclusion, le sésame aurait pu être employé pour son huile mais il est plus vraisemblable de supposer que les Mycéniens s'en servaient comme aromate. De plus, les tablettes ne font pas mention d'huile de sésame et les faibles quantités relevées ne permettent pas de supposer un emploi oléifère mais seulement condimentaire 73.

IV) LE CARTHAME

Il est généralement admis par les mycénologues que kanako représente le grec X'IIijxoç « carthame »; kanako reuka, X'IIijxoç À.eux1) serait le « carthame blanc» évalué en mesure de capacité et kanako erutara, X'IIijxoç ÈpuepcX serait le « carthame rouge» qui lui est pesé.

Selon J. Chadwick, il s'agit d'une seule et même plante, le Carthamus tinctorius L. (dit chez nous «carthame des teinturiers») dont les graines (blanches) étaient utilisées en cuisine et en médecine pour leur huile et les fleurs (rouges), en teinturerie, pour le produit colorant qu'on en retirait 74.

faciunt, colos ejus candidus », « le sésame vient de l'Inde, on en fait une huile, sa cou­leur est blanche ». Egalement XV, 28. - Pour l'Inde et l'Asie occidentale, voir aussi J. Auboyer et J. Bottero dans Dictionnaire arcbéologique des techniques, Paris, éd. de l'Accueil, 1964, II, s.v. huile; C. Joret, Les plantes dans l'antiquité et le moyen-âge, Paris, Bouillon, 1904, II, pp. 224, 269, 323 (employé comme aromate), 643 (em­ployé comme remède). - Pour l'Egypte, C. Joret, op. cit., I, p. 193, décrit la fabrica­tion de l'huile de sésame et dit qu'on la considère dans ce pays comme la meilleure huile à brûler.

71 Theophraste, Des odeurs, 14. 72 Op. cit. 20: «mais l'huile de sésame est très réceptive au parfum de roses ». -

Pline, op. cit., XV, 30, en parle aussi, mais il est tellement laconique que son témoignage ne nous aide guère.

73 Quoique l'étude des quantités n'entre pas dans le cadre de cet article, je remarque que le sésame est mentionné 3 fois avec la plus petite mesure de capacité CQ et 3 fois avec la mesure de capacité CT, par opposition à d'autres aromates comme la corian­dre ou le cumin par exemple.

74 M.T. II p. 107. - Remarquons que, sur un plan strictement logique, l'emploi d'adjectifs de couleur pour désigner deux parties différentes destinées à des emplois dis­tincts est assez curieux. En effet, lorsque je parle de « rose rouge» et de « rose blanche », je fais allusion à la même partie de la plante et non d'une part à sa fleur et d'autre part par exemple à la graine. Cette objection, de caractère logique, doit rester secondaire dans notre étude, car, en l'absence de tout autre témoignage que celui des tablettes, il est bien difficile de savoir qui a manqué de logique: les Mycéniens ou J. Chadwick.

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Les aromates dans les tablettes de Mycènes 119

Cette plante pose cependant des problèmes aux points de vue de son identification et de son utilisation 75.

I) Ide n ti fi c a t i 0 ri. Le carthame (Carthamus Tournefort) est une herbe annuelle à aspect de

chardon, répandue dans les régions méditerranéennes. Il en pousse différentes espèces. Les plus connues chez nous sont: 1) l'espèce cultivée dite « carthame des teinturiers» ou « safran bâtard» ou

«safran d'Allemagne» (Carthamus tinetorius 1.); 2) l'espèce sauvage dite «chardon jaune », «chardon béni des Parisiens»

ou « carthame laineux» (Carthamus lanatus 1.). On ne rencontre pas en Grèce l'espèce cultivée, mais surtout les cartha­

mes sauvages suivants: 1) C. lanatus L.: il a de petites fleurs jaunes, à capitules très épineux et cou­

verts de poils laineux (d'où son nom). Cette espèce, pouvant atteindre 60 cm. de hauteur, pousse près des lieux cultivés et le long des routes; elle émet une odeur désagréable et exprime, à froid, un jus rougeâtre, on la trouve particulièrement en Achaie, en Crète, à Chypre et dans l'archipel.

2) C. leueoeaulos 1.: sa tige, ses fleurs et ses feuilles sont de couleur blan­che; il fleurit en Grèce centrale et dans l'archipel;

3) C. dentatus 1.: aux fleurs pourpres et au duvet roux; il habite dans le lieux cultivés de la Laconie, de l'Argolide, de l'Attique et dans l'archipel;

4) C. eaeruleus 1.: aux fleurs bleu sombre comme son nom l:indique, il pousse dans les champs du Péloponnèse, à Cos, et en Crète;

5) C. ruber 1.: aux fleurs rouges; on le trouve en Eubée et en Crète. L'a plante n'est pas d'origine méditerranéenne. N.l. Vavilov mentionne,

sans prendre position, trois centres d'origine possibles: l'un en Inde, l'autre en Asie centrale et le troisième en Ethiopie 76.

Comme on le voit, les fleurs ont des couleurs différentes selon Jes espèces.

Le carthame est cultivé notamment dans l'Orient, en Egypte, en Italie, en Espagne et en Californie. Il demande un climat chaud pour développer ses fleurs avant les premiers froids de l'automne. Il supporte la sécheresse, mais craint l'humidité. C'est ainsi que sous le climat de Paris, la floraison reste incomplète. Les sols calcaires et argilo-ferrugineux lui conviennent tout

7S André, Lexique s.v. carthamus. Le C. tinctorius pousse en abondance en Egypte, d'après Baissier, Flora orientalis, III, p. 709. Pour les autres espèces, voir Baissier, op. cit. 706-711; Rechinger, Flora aegaea, pp. 670-671; Sibthorp, Flora graeca, II, pp. 160-161.

76 Vavilov, Origin of plants, pp. 28, 31, et 38; pour l'étymologie, voir Frisk s.v. x'II'Îjxoc;;; Boisacq, s.v. x'V'Îjxoc;;; Chantraine, Dictionnaire étymologique, s.v. x'V'Îjxoc;; et qui le traduit par « safran ». Voir opinion différente chez Carnoy, Dictionnaire étymologique, s.v. cartamis et cnecos. On rapproche X'll'Îjxoc;; de l'ancien indien kançana «or» et de l'allemand Honig «miel» mais ces rapprochements sont incertains.

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120 Michel Wylock

particulièrement. Les graines sont fort dures, aussi est-il nécessaire de les amollir avant d'ensemencer 77.

Les descriptions de la plante sont pratiquement inexistantes dans l'an­tiquité. Seul Théophraste nous décrit le xVl1xoç dont il connaît trois espèces, l'une cultivée, les deux autres sauvages 78 mais il ne dit rien sur la région où ces espèces poussent: « Il y a deux espèces sauvages. L'une ressemble fort à l'espèce cultivée, excepté qu'elle a une tige plus droite, avec laquelle des fem­mes de l'ancien temps faisaient des fils de tissage. Elle a un fruit noir, grand et amer. L'autre est feuillue et a des tiges qui ressemblent au laiteron ... Cette sorte a une particularité par rapport aux autres plantes sauvages: celles-ci sont d'habitude plus dures et plus épineuses que les espèces cultivées, mais dans ce cas-ci, la forme sauvage est plus douce et plus lisse» 79.

Pline l'Ancien ne nous en apprend pas davantage. Devant l'extrême pauvreté des témoignages anciens et leur imprécision

dans la description de la plante, je suis amené à penser que l'interprétation de xVl1xoç par « carthame» et plus encore de kanako par Carthamus tinctorius est trop exclusive.

On peut se limiter à pareille exclusivité lorsque la plante est seule dans son espèce et dans sa région et ne risque pas d'être confondue avec d'autres.

Or, le carthame peut, pour qui s'en tient à un regard superficiel 80, être confondu notamment avec: 1) le genre Cnicus dont une espèce, le Cnicus Benedictus L. (chardon béni »),

à fleurs jaunes, est fort répandue 81;

77 Voir Fournier, Plantes médicinales, l, pp. 309-310; L. Knab, art. carthame dans la Grande Encyclopédie, III (1885) et P.F. Knowles, Safflower. Production, processing and utilization dans Economie Botany, IX (1955), pp. 273-299 (l'auteur traite son sujet dans une perspective américaine, mais nous renseigne sur la culture de la plante et sur tous ses emplois à travers le monde).

78 Théophraste, Histoire des plantes, VI, 4, 5. Arthur Rort les identifie respective­ment avec le C. tinctorius L., le C. leucocaulos L. et le enicus benedictus L. - Les laiterons (Sonchus L.) appartiennent à la même famille des composées que les carthames. Elles comportent beaucoup d'espèces à fleurs jaunes, fort répandues dans la région méditer­ranéenne. Elles constituent une excellente nourriture pour les porcs et pour les lapins.

79 Voir aussi Théophraste, Histoire des plantes, l,D, 3; VI, l, 3; VI, 4, 3-4; VI, 6, 6; Des causes des plantes, V, 18, 4; Aristote, Histoire des animaux, V, 19, 2, parle de la graine de carthame à propos d'un papillon: « Tous les insectes qui se reproduisent par accou­plement pondent des larves, à l'exception d'une espèce de papillon, dont la femelle en­gendre un corps dur, semblable à la graine de carthame et rempli de suc à l'intérieur », cette constatation fut reprise par Théophraste, Histoire des plantes, l, 11, 3.

80 Pour avancer cette hypothèse, je me suis basé sur des photographies et sur une étude des appellations populaires de ces plantes.

81 Pline, H .N., XXI, 84, emploie, en parlant du carthame, indifféremment cnicos et atractylis ce qui ne fait qu'augmenter la confusion (voir infra).

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Les aromates dans les tablettes de Mycènes 121

2) le genre Carduus dont l'espèce la plus rencontrée est le Carduus Aeanthoï­des 1. (<< chardon acanthe»);

3) le genre Atraetylis, appelé vulgairement « chardon quenouille» 81;

4) le genre SerratuZa (<< Sarrette» ou «Serratule») dont une espèce, la S. tinetoria 1. (S. des teinturiers), à fleurs purpurines, fournit une teinture jaune;

5) le genre Centaurea, « centaurée ». Des doutes sur l'identification de xvlixoç par « carthame» ont également

été émis par le botaniste A. de Candolle 82;

«Aucun botaniste n'a trouvé le carthame dans un état vraiment spon­tané ... Les Grecs et les Latins ne l'ont pas connu, car il est très douteux que ce soit la plante dont ils ont parlé sous le nom de enikos ou enieus ».

Et M.C.P. Schmidt 83 reprend l'opinion du botaniste C. Fraas suivant lequel xvlixoç désignerait à la fois C. tinetorius, Cneeos benedietus « chardon béni» et SerratuZa attica mais il n'en donne pas les raisons 84.

L'interprétation de xvlixoç et à fortiori de kanako par « carthame» est fort complexe 85.

Comme conclusion pour cette première partie de l'étude, consacrée à l'identification, nous dirons qu'il est presque certain que kanako ne peut être réservé exclusivement à Carthamus tinetorius 1. et que le phytonyme mycénien recouvre plusieurs genres. La présence d'adjectifs de couleurs ne nous aide pas car nous ignorons à quelle partie de la plante ils pourraient s'appliquer de façon sûre. Verrons-nous plus clair en examinant les usages?

II) U t i 1 i s a t ion 86.

Les fleurs et les graines sont douées de propriétés émétiques et purga­tives; elles furent recommandées autrefois comme stimulantes du système nerveux, digestives, antihydropiques et emménagogues.

Les feuilles séchées réduites en poudre, ainsi que les graines, contien-

82 A. de Candolle, Origine des plantes cultivées, 4e éd. Paris, Alcan, 1896. pp. 131-132.

83 M.C.P. Schmidt, art. Distel (E) dans R.E., V, 1 (1903), col. 1202. 84 C. Fraas, Synopsis plantarum florae classicae, Leipzig, 1870; je n'ai pu consulter

cet ouvrage. 85 L'interprétation de kanako «carthame» avait également été mise en doute par

A.J. Beattie, Mr. Ventris' decipherment of the Minoan Linear B Script dans Journal of Hellenic Studies, LXXXVI (1956), p. 9 note 5. - La critique du déchiffrement par A.J. Beattie était certes excessive mais je regrette que J. Chadwick n'ait pas tenu compte de ses remarques car dans M.T. II, p. 107, le commentaire qu'il nous donne est en effet le même, à quelques mots près, que celui de Documents, p. 104.

86 L'étude des usages concerne essentiellement le genre carthame. Sur les autres plantes, je n'ai pratiquement pas trouvé d'informations intéressantes à leur sujet. - Lors­que des textes seront cités, je continuerai de traduire xvi'jxoç par «carthame» pour ne pas trop dérouter le lecteur.

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122 Michel Wylock

nent un enzyme qui coagule le lait et elles constituent ainsi une sorte de présure végétale.

Les animaux recherchent le carthame qui pousse dans les prairies. L'huile extraite des graines sert comme huile d'éclairage et comme huile siccative. Elle pourrait entrer dans la cuisine, mais elle ne vaut pas l'huile extraite des olives ou des graines de sésame, aussi son usage est-il fort limité ~.

Les fleurs du Carthamus tinctorius sont recherchées pour les matières colorantes qu'elles renferment: 1) la première, jaune, de médiocre valeur, se dissout dans l'eau salée; 2) la seconde, de couleur rouge, peu soluble dans l'eau, est utilisée dans la composition des fards, dans la peinture et dans la teinture des vêtements. La durée de conservation est inférieure à celle de l'aniline par exemple. Le car­thame reste cependant, après l'indigo, la plus importante des plantes à co­lorant 88.

Les témoignages des anciens, malgré leur rareté, confirment les données de la science moderne sur les usages du carthame.

Hippocrate nous en signale les propriétés laxatives et purgatives: (<< les jus de) ... carthame sont laxatifs et purgatifs» 89.

Théophraste nous dit que les femmes de l'ancien temps faisaient des fils de tissage avec l'une des espèces sauvages du carthame 90.

Chez Apicius, la fleur du carthame entre dans des recettes de sauce 91;

le carthame réduit en farine et mêlé à du miel, sert à conserver la pâtisserie et l'empêche de sécher 92.

Pline l'Ancien nous en dit un peu plus, mais semble ne pas connaitre

87 D'après A.L. Guyot, Origine des plantes cultivées, Paris, P.U.F., 1942, p. 32, l'huile de carthame servait en Inde à l'alimentation, à l'éclairage et à la parfumerie.

88 Voir Knab, art. cit.; Fournier, op. cit.; P.F. Knowles, op. cit.; J. André dans Dictionnaire archéologique des techniques, Paris, éd. de l'Accueil, 1963-1964, s.v. fro­mage; R. Cerbelaud, Formulaire de parfumerie, Paris, 1929, III, pp. 174, 192-193. En Egypte, d'après F. Hartmann, L'agriculture dans l'ancienne Egypte, Paris, 1923, p. 64, l'analyse chimique des étoffes découvertes dans les tombes a révélé qu'elles étaient tein­tes en rouge à l'aide de fleurs de carthame; d'après V. Loret, La flore pharaonique d'après les documents hiéroglyphiques et les spécimens découverts dans les tombes, Paris, Bail­Hère, 1887, p. 64, la culture serait très ancienne dans ce pays; d'après J. Fayrer, The flora of Ancient Egypt dans Nature, XXXVIII (1883), p. 112, les fleurs de carthame trou­vées dans les guirlandes d'Amenhotep l avaient gardé leurs propriétés colorantes; voir aussi B.B. Baumann, The botanical aspects of ancient Egyptian embalming and burial dans Economie Botany, XIV (1960), pp. 86, 95-96.

89 Hippocrate, Du régime, II, 54, 8; également en II, 45, 4. Les décoctions de· car­thame sont utilisées dans les maladies aigües, d'après le traité Du régime dans les ma­ladies aigües, 47; voir aussi Des maladies des femmes, 196.

90 Voir témoignage cité supra (note 79). 91 Apicius, De re coquinaria, VI, 5, 2; VII, 6, 2; VII, 1, 4. 92 Apicius, op. cit. l, 11; 1.

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Les aromates dans les tablettes de Mycènes 123

l'utilisation tinctoriale de la plante. «Les Egyptiens vantent le cnecos, in­connu en Italie, ils n'en ûsent point pour aliment, mais ils extraient de sa graine une huile qu'ils trouvent fort agréable. Il y a deux sortes de cnecos, le cultivé et le sauvage ... » 93.

Dans un autre passage, il dit: « Le cnecos ou atractylis ... est un remède puissant contre la morsure des

animaux venimeux et contre le poison des champignons. Il est sûr que ceux qui ont été piqués par un scorpion ne sentent aucune douleur tant qu'ils ont cette plante à la main 94 ».

Enfin, il faut remarquer que xvijxoc;jxvrpc6c; fut aussi employé comme adjectif de couleur 95. Son emploi est assez tardif, puisque nous le trouvons chez Babrius et Théocrite, mais le fait mérite d'être signalé.

Chez le fabuliste Babrius, on trouve pour décrire le loup x'II1')x6'11 ••• À.VXO'll et X'II1')XtCXC; 96. Théocrite, de son côté, décrit le chevrier Lykidas comme suit:

« il avait aux épaules une toison "de couleur carthame" (x'IIcxxè'll ÔÉPllCX) venant d'un bouc velu aux poils épais et sentant la présure fraîche» 'TI.

Dans une autre pièce, le chevrier amoureux confie à Tityre ses troupeaux: « mène paître mes chèvres, conduis-les à la source, Tityre, et gare au

bouc, aq "rousseau" de Libye (È'II6PXcx'll, "t'è'll At~uxè'll X'IItlJ<:W'llcx) qu'il ne te cosse pas » 98.

Dans le grec tardif, x'IIiixoc;jx'II1')x6C; a donc pris le sens de «roux» « doré » 99.

Le témoignage d'Hésychius, fort tardif certes, nous confirme dans notre · perplexité: il nous dit en effet s.v. x'II1')x6'11 100:

93 Pline, Histoire Naturelle, XXI, 90. 94 Pline op. cit. XXI, 184. 95 Je me suis demandé, mais sans pouvoir approfondir directement le problème, s'i!

faut accorder aux adjectifs À-EUX1) et Èpuepa. une valeur absolue. Les anciens ne voyaient pas nécessairement les choses . de la même façon que nous. En l'absence de tout autre témoignage que celui des tablettes, il est bien difficile de savoir ce que les Mycéniens « voyaient» dans reuka et erutara. Sur le problème de la perception des couleurs, voir notamment J. André, Etudes sur les termes de couleur dans la langue latine, thèse de doctorat de la Faculté de Lettres de Paris, Paris, 1949, notamment pp. 12-13. L'auteur donne une abondante bibliographie sur le sujet et consacre plusieurs pages à étudier les termes de couleurs en Grèce; M. Platnauer, Greek colour-perception dans The Classical Quartely, XI (1921), pp. 153-162; sur l'existence d'adjectifs de couleur chez les Mycé­niens et leur emploi, voir M.D. Petruseski, Les désignations de couleur chez les Mycéniens dans Atti e memorie 1967, l, pp. 360-364.

96 Babrius, eXIII, 2 et eXXII, 12. 'TI Théocrite, VII, 15-16. 98 Théocrite, III, 3-5. 99 C'est ce dernier sens qui a sans doute conduit certains étymologistes à rapprocher

xvijxoc; de l'ancien indien kanç1ma « or» et de l'allemand Honig «miel ». 100 Ed. de K. Latte.

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124 Michel Wylock

"'Co xp6XLSov Xpw!J.cx, &'ItO "'Coù (lvaoue;, ChE oÈ &'ItO XCXp'ltOÙ, "'Co À,e:vx6v « la couleur safranée est tirée de la fleur mais quand elle est tirée du

fruit, la couleur blanche» et s.v. XVllXoe;:

À,e:vxoe; XCXL Et06e; "'CE CT'ltÉp!J.CX"'COe;. XCXL 'Itupp6e; « le blanc est une sorte de graine; aussi le "roux" ». Pour conclure cette seconde partie de l'étude réservée aux usages, nous

pouvons dire que la destination tinctoriale de la plante en Grèce semble peu probable et qu'il faut chercher un autre emploi possible; ensuite, que l'utili­sation de graines de carthame semble assurée. Conclusion finale:

En supposant qu'il n'y ait pas eu, au cours de l'histoire, transfert dans les phytonymes, il parait certain que:

1) sur le plan de l'identification:

a) l'interprétation de kanako par Carthamus tinctorius L. est difficile­ment soutenable. Les auteurs de flore disent en outre, et ce témoi­gnage est de poids, que l'espèce en question ne pousse pas en Grèce;

b) kanako représenterait plutôt des espèces du genre carthame, autres que le Carthamtts tinctorius et des espèces de genres voisins (cnicus, serratula ... ).

En somme, kanako pouvait désigner ce qu'on appelle vulgairement chez nous «les chardons ».

2) sur le plan des usages:

a) L'ensemble des témoignages anciens et des découvertes archéologiques montrent que les Egyptiens se sont servis d'une espèce du genre car­thame pour des fins tinctoriales, et cela s'explique puisque le Cartha­mus tinctorius L. pousse en abondance chez eux. Par contre, aucun témoignage et aucune découverte archéologique ne laisse supposer que les Grecs ont extrait un colorant du carthame. Cela tient vraisemblablement à l'inexistence du Carthamus tinctorius chez eux. On peut bien sûr supposer que d'autres espèces de genres voisins aient servi à fournir un colorant (p. ex. Serratula tinctoria) mais cela n'est p~s assuré non plus.

b) Par contre, il est un témoignage dont on ne tient pas assez compte, à mon avis, et qui pourrait peut-être nous éclairer: dans un passage de l'Histoire des Plantes, VI, 4, 5, Théophraste dit que « les femmes de l'ancien temps faisaient des fils de tissage» avec une espèce sauvage du carthame.

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Les aromates dans les tablettes de Mycènes 125

Certaines espèces sont effectivement très duvetées et pourraient con­venir à cet usage. On pourrait objecter que Théophraste reste très vague et ne précise ni la région ni l'époque où l'on employait le carthame pour le tissage et que son témoignage est unique; néanmoins, cette hypothèse a le mérite de tenir compte de l'identification et du témoignage des anciens.

c) Le carthame fournissait également des graines, qui étaient vraisem­blablement destinées aux animaux ou pressées pour en extraire une huile. Si on retient cette seconde possibilité, les motifs d'extraction d'une huile étaient certainement autres qu'alimentaires, car l'huile d'olive existait en abondance dans le pays des Mycéniens.

Que nous ont appris les adjectifs de couleur? Très peu à mon avis: ils ont mis en évidence deux emplois différents du kanako mais je ne crois pas qu'il soit possible d'en tirer plus. Il est impossible de savoir exactement à quelle partie de la plante ils s'appliquaient.

Enfin, le fait que kanako reuka soit évalué en mesures de capacité laisse supposer que cette expression concernait les graines et le fait que kanako erutara soit pesé laisse supposer qu'il ne se prêtait pas à des mesures de capa­cité et que l'expression désignait tout ou partie de la plante destinée à la fabrication de fils de tissage.

V) LE JONC ODORANT

Kono est habituellement identifié par les mycénologues 101 au Cymbopo­gon schoenanthus Sprengel, plante qui, d'après J. André 102 correspond au juncus odoratus des Latins, au O'xoï:voç des Grecs et à la graminée dite chez nous « herbe à chameau» ou « barbon (odorant) » ou « jonc odorant ».

101 M.T. II, p. 107. 102 André, Lexique, s.v. schoenus et juncus part. ;. odoratus. - Chez les botanistes,

on trouve aussi Andropogon schoenanthus 1. (ou Roxbourgh). La confusion vient du fait que, dans les Andropogoneae, le genre Cymbopogon est le plus représenté. - Il faut aussi se défier des termes anglais, car kono est parfois traduit par ginger-grass «herbe à gingembre ». Or, d'après l'Oxford English Dictionary, s.v. ginger part. ginger-grass, on lit «an aromatic East Indian grass yielding an essential oil with a strong smell of ginger ».

Il ne peut s'agir ici de graminée apparentée au gingembre ni même de gingem­bre car les Grecs n'ont connu vraisemblablement cette graminée indienne que tardive­ment par l'intermédiaire des Perses. On en utilisait le rhizome comme condiment. Pline l'Ancien et Apicius sont les premiers à nous en parler; voir Apicius De re coquinaria, l, 18; II, 2, 7; Ill, 18, 3; Pline, Histoire naturelle, XII, 28; Stadler, art. Ingwer dans R.E., IX (1916), col. 1554.

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126 , Michel Wylock

Les Andropogoneae 103 sont utilisées dans divers pays comme plante de fourrage. Certaines servent à confectionner des fibres. Leurs fruits sont, en général, pourvus de piquants ou d'arêtes. Les feuilles du C. schoenanthus, à saveur âcre et résineuse, sont douées de propriétés stomachiques et excitantes. Les nègres d'Afrique occidentale s'en servent contre l'hémorragie. Les rhizo­mes, assez épais et fortement odorants, fournissent en parfumerie une huile essentielle volatile à odeur citronnée. A l'heure actuelle, cette essence sert à fabriquer l'essence également volatile de la rose lM.

Le Cymbopogon appartient à un genre très diversifié sous les tropiques et se confond facilement avec d'autres espèces. C'est ainsi que chez nous les noms de jonc, roseau, lis ... restent des termes généraux, puisque on les emploie à propos de plantes qui n'appartiennent pas nécessairement aux genres juncus, calamus, lilium ... des botanistes. Entre le parler populaire et les distinctions conventionnelles des botanistes, il n'y a pas donc nécessaire­ment coïncidence 105.

Et si nous prenons l'exemple du français, nous voyons que d'autres plan­tes peuvent s'appeler « jonc odorant ».

Ainsi, par exemple, lJAcorus calamus L.: on l'appelle de noms divers comme «roseau odorant, jonc odorant, lis odorant, lis des marais» etc ... Cette plante pousse aussi en Grèce et a aussi un rhizome odorant 106.

Elle habite les rives, les fossés, les marécages, tant en plaine qu'en mon­tagne. Les propriétés médicinales sont plus ou moins semblables à celles des Andropogoneae: stomachiques, digestives, excitantes, antiseptiques et hémos­tatiques.

En Hongrie, on en fait une drogue. En pharmacie, elle sert à masquer

103 New Encyclopedia Britannica, X (1965), S.v. grasses, pp. 701-702 et Em. Perrot, Matières premières du règne végétal, Paris, Masson, 1943, l, pp. 555-556. - Je n'ai pas trouvé de description du jonc odorant chez mes auteurs habituels.

lM H. Tatu, L'industrie moderne des parfums, Paris, Baillière, 1932, pp. 101 et 122. 105 Les plantes qui sont dénommées par les auteurs de flore sous les noms de

;uncus, sehoenus ... poussent en abondance en Grèce, notamment dans le Péloponnèse et dans les îles grecques; voir Sibthorp, Flora graeea, l, pp. 239-242, s.v. jzmeus (il men­tionne 11 espèces) et pp. 28-29 s.v. schoenus (il mentionne 3 espèces); Rechinger, Flora aegaea, pp. 807-808, s.v. andropogon et pp. 743-746 s.v. ;uneus (il mentionne 13 espèces). E. Boissier n'en parle pas. Remarquons ici que les botanistes font une distinction, certes secondaire, entre ;uneus, sehoenus, andropogon ... alors que pour les linguistes, CT)(;OLVOC; = ;uneus = jonc. - Pour l'étymologie, voir Boisacq, s.v. crXOLVOC; (le mot est d'origine obscure); quant à Frisk, son dernier fascicule n'est pas encore arrivé à ce mot. -N.I. Vavilov ne nous dit rien sur le lieu d'origine possible de ces joncs.

106 On la trouve surtout en Laconie d'après Sibthorp, Flora graeca, l, p. 239; voir aussi A. Krochmal et G. Laventriades, Poisonous plants of Greeee dans Economie Botany, IX (1955), p. 178.

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Les aromates dans les tablettes de Mycènes 127

la saveur désagréable de diverses préparations. Le rhizome contient égale­ment une huile essentielle que l'on emploie en parfumerie; la meilleure vient des pays les plus chauds 107.

Si nous examinons à présent les témoignages anciens lOS, nous voyons que la description est très sommaire, pour ne pas dire inexistante, et que d'autre part nous avons un luxe de détails sur l'habitat.

Dans l'Odyssée, Ulysse étant parvenu à échapper aux fureurs des flots déclenchés par Poséidon, atteint, épuisé, la terre ferme; Homère ajoute: « mais Ulysse, sorti du fleuve, avait baisé la terre nourricière et couché dans les joncs, il gémissait tout bas en son âme vaillante» 109.

Dans la Batrachomyomachie, 164, on trouve o~uO'X.owoc;, sans doute par allusion aux arêtes des fruits.

Théophraste associe O"xoî:voc; et xa.À.a.(J.oc; comme si les deux phytonymes étaient difficiles à distinguer. Il ne dit pas qu'on les trouve en Grèce, ce qui est assez curieux 110.

« Le roseau et le jonc habitent, lorsqu'on franchit le Liban, entre l'An­tiliban et une autre petite montagne, dans le petit vallon ainsi formé et non comme certains le pensent entre le Liban et l'Antiliban ... Là où poussent le roseau et le jonc se trouve un grand lac et ils poussent à proximité dans le marécage qui a été asséché ... Ils ne sont pas odorants quand ils sont verts mais seulement quand ils sont secs ne différant apparemment en rien des autres plantes; mais quand on s'approche du lieu, on est aussitôt frappé par leur odeur » lll.

107 Fournier, l, pp. 28-32; Rolet, pp. 118-121; Otto, pp. 482-483. lOS Prophète Ezéchiel, XXVII, 19: il semble que le roseau aromatique venait de la

Grèce (Javan) en Palestine. Cette même plante entrait dans la composition de l'huile sainte (Exode XXX, 23 et Ezéchiel, XXVII, 19). R.H. Harrison, Healing Herbs of the Bible, réimpression de Janus, L (1961) Leyde, Brill, 1966, p. 42 identifie ce roseau à l'Andropogon aromaticus Roxbourgh, une espèce voisine de cymbopogon mais qui pou­vait porter le nom de crxoi:voc; en Grèce. - Le roseau aromatique était aussi utilisé en Egypte, voir V. Loret, Etudes de droguerie égyptienne dans Recueil de travaux relatifs à la philologie et à l'archéologie égyptiennes et assyriennes, XVI (1894), pp. 136, 139 et 155; voir aussi C.F. Jean, Pharmacopée et parfumerie dans quelques lettres de Mari dans Archiv Orientalni, XVII, 1 (1949), p. 322.

109 Homère, Odyssée, V, 462-464. Voir aussi Wade, IV, 383. 110 D'après Chantraine, Dictionnaire étymologique S.V. XtX).,ct.!lOC;, le mot semble être

d'origine indo-européenne mais le vocalisme en xa.À,(J,- reste isolé. - On ne peut tirer aucun argumentum e silentio, mais le mutisme de Théophraste nous pousse à nous inter­roger sur le sens précis de crxoi:voc; en Grèce. S'appliquait-il à une espèce ou à un genre bien déterminés ou était-ce un terme passe-partout?

III Théophraste, Histoire des plantes, IX, 7, 1. Arthur Hort considère que le crxoi:voc; est le Cymbopogon schoenanthus et le xaÀa.p.oc; (ô EUWS'l')C;), l'Acorus calamus mais il ne justifie pas son identification.

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128 Michel Wylock

Et parlant des plantes employées comme parfums en Orient, à nouveau il associe <TXOLVOC; et XéÛl,Cl(.tOC; 112.

Dans son traité sur les Odeurs, il écrit: «le (parfum de) jonc est plus mordant (O'T]X'tLXW'tEPOV) que celui de roseau, il est plus chaud, mais tous deux sont également astringents (cr'tU1t'tLxa) »113; «le parfum de jonc et de roseau dégénèrent vite (1tClpClx(.taSEL 'tClXU) 114 ».

Pline l'Ancien reprend une partie des opinions de Théophraste: « Le roseau odorant (calamus odoratus) naît ... en Arabie. Il lui est com­

mun avec l'Inde et la Syrie qui produit le meilleur. A 150 stades de la Méditerranée entre le Liban et une autre montagne

non dénommée - qui n'est pas, comme on l'a pensé, l'Antiliban - dans une vallée étroite auprès d'un lac dont les bords marécageux se dessèchent l'été, ... poussent le roseau et le jonc odorants ... Le roseau (calamus) par l'excellence de son parfum attire aussitôt l'odorat de loin ... On dit que le jonc odorant (juncus odoratus) se trouve aussi en Campanie» 115. Il nous donne aussi les propriétés médicinales de ce juncus: «il est rond ... on le reconnaît à son odeur de rose (odorem rosae) lorsqu'on le froisse de la main ... il dissipe les flatuosités ... il arrête le hoquet» 116. On peut aussi en tirer une huile 117.

Malgré les avis des commentateurs modernes de Théophraste et de Pline l'Ancien, je ne puis donner à crXOLVOC; (et a fortiori à kono) une identification trop exclusive, car les témoignages relatifs à cette plante sont insuffisants et tardifs 118.

En se basant sur les confusions qui existent par ex. en français sur l'ap­pellation « jonc odorant », on peut en conclusion supposer que kono repré­sente aussi d'autres espèces de jonc et notamment l'Acorus calamus 1. Quant à l'emploi de kono chez les Mycéniens, il est bien difficile à découvrir. Il est

112 Théophraste, op. cit., IX, 7, 3. 113 Théophraste, Des odeurs, 33. 114 Théophraste, op. cit., 34. 115 Pline, Histoire naturelle, XII, 104-106; Au § 106, n. 2, dans l'édition des Belles

Lettres, le commentaire, dû à P. Fournier, dit qu'on peut « identifier le juncus odoratus à un Andropogon et spécialement à 1'« Herbe de chameau >~ (Cymbopogon schoenanthus Sprengel) dont l'essence est depuis longtemps utilisée en parfumerie et en médecine ».

116 Pline, op. cit., XXI, 119-120. 117 Pline, op. cit., XV. - On peut aussi en parfumer le vin, d'après Caton, De agri­

cultura, 113. 118 Une étude diachronique des phytonymes montrerait que, selon les régions, une

même plante ou un même groupe reçoit des noms différents. Lorsque le dialecte d'une région l'emporte sur les autres, un phytonyme l'emporte sur les autres. Ceux-ci disparais­sent ou se conservent, mais alors au prix de nouvelles précisions. l:xo~voe; et X(H,CIllOe; peuvent avoir été des termes généraux s'appliquant aux joncs sans autre précision, puis lors de leur rencontre, ils peuvent avoir coexisté et avoir amené les botanistes anciens à désigner un ou plusieurs types de jonc du nom de axo~voc; et un ou plusieurs autres types du nom de xaÀCIlloc;.

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Les aromates dans les tablettes de Mycènes 129

vraisemblable qu'on l'a retenu pour ses propriétés odorantes dans l'alimenta­tion ou pour parfumer des liquides. Ses propriétés médicinales, moins évi­dentes à mon avis, méritent également d'être signalées.

VI) LE CÉLERI

Le céleri (Apium graveolens L.) est une ombellifère répandue de la Suède à l'Egypte; on en distingue deux variétés: l'une pousse à l'état sauvage près des marais et des sources salées (Apium graveolens var. sylvestre), l'autre est cultivée comme légume (Apium graveolens var. sativum) et correspond à notre «céleri-rave» et à notre «céleri à côtes ». La variété sauvage porte plus souvent le nom d'« ache» 119. La plante pousse en Grèce et dans les iles grecques 120. N.L Vavilov ne mentionne qu'un seul centre d'origine: la Mé­diterranée 121.

L'ache 122 se caractérise par ses fleurs d'un blanc verdâtre, sa tige haute de 30 à 100 cm., ses fruits petits et ovoïdes, ses feuilles luisantes, dentées au bout, enfin par son odeur un peu nauséeuse et sa saveur âcre et piquante.

La plante sauvage est bisannuelle. Elle exige un sol humide et profond, de préférence calcaire.

Les graines et les feuilles sont recherchées, les racines, assez peu. Les feuilles se récoltent avant la floraison. Son entrée dans l'alimentation en Europe occidentale est assez récente; en effet, encore au moyen âge, elle était considérée comme plante médicinale. Ce sont les progrès de la culture, à partir du 16e s., qui ont fait de l'ache un légume, notre céleri.

Dans toutes ses parties, la plante est diurétique, stomachique, résolutive, cholagogue et fébrifuge. On emploie une décoction de racines ou de feuilles avec autant de succès qu'une infusion de semences ou de feuilles. La racine a en plus la propriété d'être apéritive.

On applique aussi les feuilles fraîches pilées sur les contusions. La dé-

119 André, Lexique, s.v. apium. 120 Boissier, Flora orientalis, II p. 856 (l'Apium graveolens 1. pousse dans les lieux

marécageux et marins de Grèce); Rechinger, Flora aegaea, p. 403 (L'A. graveolens 1. pousse en Eubée, en Crète, à Paros, à Myconos, à Ténos, à Céos, etc.); Sibthorp, Flora graeca, l, p. 204 (<< courant dans les lieux humides»).

121 Vavilov, Origin of plants, p. 39. - L'étymologie du mot est incertaine. Pour Chantraine, Formation, pp. 16 et 204, le mot est d'origine méditerranéenne; Boisacq, s.v. rrÉÀwov accepte l'hypothèse d'un indo-eur. *s!fel «rouler, entourer »; Frisk, S.v. (fÉÀwov ne se prononce pas. On peut trouver d'autres interprétations chez Carnoy, Dic­tionnaire étymologique, s.v. selinon; Stromberg, Pflanzennamen, p. 37; OIck, art. Eppich dans RE., VI (1909), col. 252. Quoi qu'il en soit, aucune des étymologies proposées ne satisfait.

122 Fournier, Plantes médicinales, l, pp. 316-319.

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130 Michel Wylock

coction des feuilles et des racines s'emploie à raison de 50 à 100 gr. par litre en lotion, en fomentation et en compresses. On peut aussi retirer des graines une excellente huile aromatique.

En parfumerie 123, la distillation des graines et des feuilles fraîches donne deux essences de valeur différente et de rendement inégal: la première, avec une odeur peu tenace, tend à disparaître aujourd'hui; la seconde par contre est plus fine.

L'ache est souvent confondue avec le persil (Petroselinum hortense Hoffmann) 124 qui a d'ailleurs avec elle beaucoup de propriétés communes 125

et qui pousse aussi en Grèce 126, quoique moins répandue. La confusion a sans doute existé chez les anciens; il est donc difficile de savoir ce qu'ils entendent sous le nom de a'ÉÀwov. D'après A.C. Andrews 127, le a'ÉÀwov de l'époque homérique était le céleri sauvage, l'ache, tandis qu'à l'époque classique, le terme est réservé au céleri cultivé; différent non seulement du céleri sauvage mais aussi du nôtre. Dès lors, l'ache a été distinguée sous les noms d' ÈÀELOa'ÉÀL­

VOV ou a'ÉÀwov ËÀELOV (apicum rusticum chez Pline). De même, le persil a été distingué du céleri d'abord sous le nom d' OPEOa'É­

Àwov puis plus tard sous celui de 7tE't'POa'ÉÀwov, lequel donna notre « persil » 128.

Mais dans l'usage courant, il semble que les anciens Grecs aient confondu ces plantes semblables sous le simple nom de a'ÉÀwov.

Quand donc, dans les textes qui vont être cités, je traduis a'ÉÀwov par « céleri », il n'est pas exclu que l'ache et le persil soient aussi impliqués. Chez Homère, l'ache sert de plante fourragère, à côté du lotus. En effet, tandis qu'Achille se repose et que ses gens s'amusent sur la grève à lancer disques et javelots et à tirer de l'arc, « leurs chevaux sont là, chacun près de son char à paître le lotus et l'ache des marais (ÈÀE60PE7t't'OV a'ÉÀwov) 129. Un

123 Otto, Industrie des parfums, p. 239; Charabot, Huiles essentielles, p. 516; Piesse. Histoire des parfums, p. 126. .

124 II fut primitivement appelé par C. von Linné, Apium petroselinum L. 125 Fournier, Plantes médicinales, III, pp. 193-197 et Rolet, Plantes médicinales,

pp. 449-504: ombellifère bisannuelle dont toutes les parties dégagent une odeur un peu âcre. L'action bienfaisante du persil sur le sang est suffisamment connue. C'est également un excellent emménagogue: les graines rétablissent et régularisent le flux menstruel et atténuent les douleurs qui l'accompagnent. Sur son emploi en parfumerie, voir Charabot, Huiles essentielles, pp. 696-697. La plupart du temps, aD .. wo'J est traduit par «persil» p. ex. Chantraine, Formation des mots, pp. 16 et 24.

126 Boissier, Flora orientalis, II, 857; Rechinger, Flora aegaea, p. 403; Sibthorp, Flora graeca, l, 146, s.v. oreoselinum. - Vavilov, Origin 01 plants, donne au persil la même origine méditerranéenne qu'au céleri.

127 A.C. Andrews, Celery and Parsley as loods in the Greco-Roman period, dans Classical Philology, XLIV (1949), pp. 91-99.

128 Le phytonyme t1t1toaÉÀ.wo'J désignerait le Smyrnium olustratum L. qui ne nous intéresse pas ici.

129 Homère, Wade, II, 775-777.

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Les aromates dans les tablettes de Mycènes 131

autre témoignage d'Homère nous confirme que l'ache verdoyait dans les prai­ries. Lorsque Hermès est envoyé par Zeus auprès de Calypso, il contemple le paysage avant d'entrer chez elle 130: «les eaux des sources divergeaient à travers les prairies molles où verdoyaient ache et violette ».

Hérodote nous livre un témoignage inattendu sur l'emploi du « céleri ». Parlant des préparatifs funèbres chez les Scythes, il dit: «lorsque leur roi est mort... le corps a été tout enduit de cire; le ventre ouvert, nettoyé a été rempli de souchet haché, d'aromate(s), de graines de « céleri» et d'anis, puis on l'a recousu ... » 131.

Hippocrate sait que le «céleri» a des propriétés diurétiques et laxa­tives 132 et dit que les feuilles, cuites ou crues, sont employées en cataplasme sur les plaies 133. Les vainqueurs aux concours isthmiques, olympiques et né­méens recevaient, selon Pindare 134, une couronne de «céleri ».

Par Aristophane, nous apprenons que le « céleri» entrait dans l'alimen­tation comme un condiment fort apprécié.

Dans les Nuées 135, Raisonnement-juste rappelle que l'ancienne éducation ne permettait pas, à table, de s'emparer des meilleurs plats:

«Pas question au dîner ... de chiper aux personnes âgées l'aneth et le céleri » 136.

130 Homère, Odyssée, V, 72-73; voir aussi Batrachomyomachie, 54. 131 Hérodote, IV, 71. 132 Hippocrate, Du régime, 83; au § 8 il dit «sont diurétiques les jus (ot XV[lO~)

de ... céleri »; voir aussi Des affections, 43 et 54; dans ce dernier passage, il distingue un céleri sauvage et un céleri cultivé: «le céleri cuit ou cru est diurétique, le sauvage a plus de vertu que le cultivé ».

133 Des affections, 38. 134 Pindare, Isthmiques, II,22-23, dit à propos de Xénophane d'Agrigente, vainqueur

à la course de chars: «quand Poséidon lui envoya pour ceindre sa chevelure du céleri dorien ... »; Néméennes, IV, 143, le lutteur Timasarque d'Egine «s'est vu fleurir du céleri corinthien »; Olympiques, XIII, 45-47, en l'honneur de Xénophon de Corinthe: « Deux fois aussi, la guirlande de céleri a paré sa tête quand il parut aux concours isthmi­ques ». Sur l'emploi du céleri dans la confection de guirlandes, voir aussi Théocrite, III, 23: le chevrier amoureux apporte à Amaryllis une couronne de lierre où il a « entrelacé des boutons· de fleurs et du céleri à la bonne odeur ». En Egypte, on a retrouvé des guirlandes de céleri et de lotus sur la momie de Kent. G.A. Schweinfurth pense que le céleri était une plante funéraire, voir V. Loret, La flore pharaonique d'après les docu­ments hiéroglyphiques et les spécimens découverts dans les tombes, Paris, Baillière, 1887, p. 31; ce serait la plante appelée m3t.t dans les hiéroglyphes, d'après V. Loret, Recher­ches sur plusieurs plantes connues des anciens Egyptiens dans Recueil de travaux rela­tifs à la philologie et à l'archéologie égyptiennes et assyriennes, XVI (1894), pp. 4-11.

135 Aristophane, Nuées, 981-982; voir aussi Guêpes, 480. 136 Dans les lignes qui précèdent, Raisonnement-juste parle des enfants; on peut

supposer que ce sont eux qui dérobent l'aneth et le céleri. - On aurait pu croire que les personnes âgées mangent ces plantes à cause de leurs propriétés médicinales. En effet, l'aneth a des propriétés diurétiques stomachiques et carminatives (voir Fournier,

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132 Michel Wylock

Dans un fragment du poète Eubule, aneth et « céleri» sont associés à nouveau: «lors de banquets distingués, quand de fins gâteaux étaient servis, ils mangeaient à tout coup l'aneth, le « céleri », les bêtises et le cresson qui étaient préparés» 137. Théophraste, qui n'est pas avare de descriptions botani­ques sur le céleri 138, ne nous est pas utile pour en connaître l'usage euli-naire ou autre.

Chez les Romains 139, la plante avait une plus grande popularité, surtout comme assaisonnement. Apicius l'emploie en abondance, mais ne mentionne pas ses propriétés médicinales 140. Pline l'Ancien ne nous éclaire pas davantage. Il reprend ce qui a été dit plus haut 141 et confirme la popularité du céleri chez les Romains 142.

En conclusion, l'ensemble des témoignages grecs et latins ne nous per­met pas de déterminer l'utilisation du selinon hors de la cuisine et sans doute de la médecine, comme pour les autres plantes auquel il est associé, le cu­min, le sésame et le jonc. Il faut remarquer que le serino est pesé, contraire­ment aux autres plantes qui sont évaluées en mesures de capacité.

Plantes médicinales, l, pp. 90-92; Rolet, Plantes médicinales, pp. 123-126). Cette hypo­thèse est peu vraisemblable et le passage d'Eubule, qui suit, démontré le contraire. - Il faut ici regretter la traduction de V.H. Debidour, traducteur d'Aristophane, éd. Hachette, coll. Livre de Poche, par « persil et anis »; l'aneth et l'anis sont deux plantes différentes. De même, pour Homère, celle de V. Bérard « persil ». Trop souvent, sur la foi des dic­tionnaires, on traduit crÉ).wov au hasard. «Persil» est la traduction qui convient le moins, car cette plante est plus rare et sans doute plus tardive que le céleri.

137 Kock, Comicorum Atticorum Fragmenta, II, fr. 36; Athénée, VIII, 347 d. 138 Il nous dit ce que nous savons déjà: la maturation dure deux ans (Histoire des

Plantes, l, 2, 2 et VII, 1, 7); on le sème au solstice d'hiver et la plante pousse avec difficulté (VII, 1, 2-3); il distingue, en VII, 6, 3, les espèces sauvages de la cultivée et leur donne le nom d' È).E~ocrÉ).wov: celles-ci poussent le long des canaux d'irrigation et dans les marais (Èv ~).EcrW) et ressemblent au crÉ).wov par l'odeur (6crlJ:ij), par le suc (Xu).~) et par l'aspect (crxi}lJ.Œ't~). Théophraste rapporte l'opinion que le céleri sauvage, l'ache, mélangée à un vin blanc de saveur douce; est utile en cas de strangurie et de lithiase; au § 4, il distingue le céleri du persil.

139 Voir aussi A.C. Andrews, op. cit., p. 98. 140 Apicius emploie aussi bien la racine que la graine ou la plante entière dans des

mets fort divers: purée, sauces, patina au lait, fèves, etc.; voir Apicius, De re coquinaria, III, 2, 5; III, 4, 8; III, 15, 2; IV, 2, 13 et IV, 5, 1 pour l'emploi de la racine; l, 13; II, 2, 9; III, 6, 2; III, 15, 2-3; III, 20, 3; IV, 2, 13; V, 3, 6; VI, 1, 1; VIII. 1, 7 et VIII, 1, 9, pour l'emploi des graines; II, 2, 5 et V, 6, 4 pour l'utilisation de la plante entière.

141 Sur la culture, voir Pline, Histoire naturelle, XIX, 117 et 158. Il distingue l'he/io­selinum, l'oreoselinum et l'hipposelinum en XIX, 124. En XIV, 105, il nous apprend que l'on peut faire un vin avec les semences de céleri (fit vinum ... e api semine) et en XIX, 188, que le céleri sert à masquer la mauvaise odeur du vin. Sur les autres emplois, voir XX, 111, 115, 189, 253 et 264.

142 Pline, op. cit., XX, 112.

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Les aromates dans les tablettes de Mycènes 133

Il existe aussi une autre plante qui est pesée: le «carthame rouge» (kanako erutara). Je suppose que dans le cas du serino la mesure de poids indique qu'il s'agit soit de la plante entière soit d'une partie qui ne se prêtait pas à des mesures de capacité.

Je ne puis donc suivre l'avis de J. Chadwick lorsqu'il dit « The seed is clearly intended» 14\ car la graine n'est pas la seule partie de la plante à être utilisée, essentiellement dans un but aromatique, mais les propriétés mé­dicinales ont vraisemblablement été connues également.

VII) LE CRESSON

Le cresson (Lepidium sativum 1.) 144 est une plante annuelle répandue du Tibet à l'Egypte et cultivée en Europe depuis l'antiquité. Il pousse aussi en Grèce 145.

Plante vivace et essentiellement aquatique, le cresson possède plusieurs tiges de plus de 20 cm. rameuses qui plongent dans l'eau. Les fleurs, peti­tes et blanches, s'épanouissent en été et dégagent une odeur pénétrante et pi­quante, un peu âcre, qui rappelle celle de la moutarde Cà cause de sa teneur en huiles essentielles sulfurées). On dit que cette odeur attire même les insectes

La plante cultivée a tendance à s'échapper des cultures et elle se ren­contre aux bords des chemins, dans les vallées, etc. Non utilisée en phar­macie et en parfumerie modernes, elle est cependant douée de nombreuses propriétés médicinales. A l'heure actuelle, elle entre dans la cuisine. Les feuilles du cresson sont stimulantes, diurétiques, provoquent l'éternuement

143 M T II, p. 108. 144 On trouve également Nasturtium officinale 1.; voir André, Lexique, s.v. carda­

num, cardamine et nasturtium. Le Lepidium sativum 1. est l'espèce la plus· connue et on l'appelle chez nous «cresson alénois », «cresson des jardins» «passerage cultivée» (ce dernier nom par confusion d'une autre crucifère censée guérir la rage).

145 Rechinger, Flora aegaea, pp. 237-239; Sibthorp, Flora graeca, II, pp. 5-7; Bois­sier, Flora orientalis, l, pp. 178-182, s.v. nasturtium. Il en pousse environ 7 espèces en Grèce; la plus connue, le L. sativum ne pousse qu'à Chypre, à Mytilène et en Crète; elle ne semble pas pousser en Grèce péninsulaire car on trouve plutôt dans cette région le Lepidium peraeum 1. (en Laconie, Argolide et Arcadie), le L. latifolium L. (le long des routes), le L. graminifolium 1. (dans les lieux incultes) et les L. spinosum 1.; les dif­férences sont secondaires. N.I. Vavilov ne nous renseigne pas sur l'origine de la plante; A. de Candolle, Origine des plantes, pp. 68-69, propose la Perse. L'étymologie du mot est inconnue; voir Boisacq, s.v. xapôcxp.ov (il propose comme patrie la Perse et l'Asie Mineure, sans doute par souvenir de Xénophon, Cyropédie, l, 2, 8 et 11); Frisk, S.v. xapôcx,!J.ov; Chantraine, Formation des mots, p. 133 (<< les mots en -cx,!J.ov sont des em­prunts); Chantraine, Dictionnaire étymologique, s.v. xapôcx,!J.ov et Carnoy, Dictionnaire étymologique, s.v. cardamum.

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134 Michel Wylock

et constituent un puissant antiscorbutique (140 miligrammes d'acide ascor­bique pour 100 gr de matière fraîche). La salade préparée avec les feuilles est dépurative et stimulante. Le suc frais est purgatif, vermifuge et diuré­tique 146. On peut aussi faire un thé de cresson.

Comme condiment, la graine peut remplacer celle de la moutarde. On peut aussi en retirer une huile, dont la plante est riche.

Les témoignages anciens 147 sont assez pauvres et tardifs. Hippocrate signale les propriétés âcres et piquantes du cresson: «le

cresson échauffe et fond la chair; il coagule la glaire blanche, de façon à pro­voquer la strangurie» 148.

C'est à la strangurie que fait allusion Aristophane dans ses Thesmopho­ries, lorsque Clisthènes s'adresse au Parent d'Euripide:

Clisthènes: «Tu mets bien du temps à uriner, dis donc? » Le Parent: «Par Zeus, mon cher, c'est que j'ai une rétention, hier j'ai

mangé du cresson» 149.

Il y a dans les Nuées une allusion à une biologie ou une botanique an­cienne, mais sans que nous puissions préciser davantage. Socrate répond à Strepsiade, qui vient de l'appeler, que s'il était resté à terre pour observer les régions supérieures, il n'aurait jamais rien découvert:

«Non, dit-il, car la terre forcément attire à elle la sève de la pensée. C'est exactement ce qui a lieu pour le cresson ».

Strepsiade, ignorant, ne saisit pas bien l'allusion et confond tout: « Que dis-tu? La pensée attire la sève dans le cresson? Voyons, descends,

mon petit Socrate, vers moi, afin de m'enseigner les choses pour lesquelles je suis venu » 1~.

Un fragment du poète Eubule nous montre que le cresson avait du suc­cès aux banquets: « lors de banquets distingués, quand de fins gâteaux étaient servis, ils mangeaient à tout coup l'aneth, le "céleri", les bêtises et le cresson qui étaient préparés » 151.

146 Fournier, Plantes médicinales, II, pp. 20-26 et III, p. 172-176; Rolet, Plantes médicinales, pp. 249-258. - Au Danemark, le cresson fait partie de la médecine popu­laire et en Allemagne, l'abbé Kneipp le recommandait aux pulmonaires et aux anémiques.

147 La plante était connue en Egypte, car P. Hartmann, L'agriculture dans l'ancienne Egypte, Paris, 1923, p. 57, dit qu'une vingtaine de graines de cresson sont conservées au musée du Louvre. En Perse, les enfants mangeaient du cresson avec leur pain, selon Xénophon, Cyropédie, l, 2, 8: «ils apportent de la maison comme nourriture du pain, comme assaisonnement du cresson ». Les adultes en mangent lorsqu'ils n'ont rien d'autre sous la dent, op. cit., l, 2, 11. Cet usage est rappelé par Cicéron, Tusculanes, V, 99; voir aussi R.E. Thompson, A dictionary of Assyrian botany, pp. 56-57, Londres, British Academy, 1960.

148 Hippocrate, Du régime, II, 54, 2. 149 Aristophane, Thesmophories, 615-617. 1~ Aristophane, Nuées, 232-234 et 235-236. 151 Kock, Comicorum Atticorum Fragmenta, II, fr. 36; Athénée, VIII, 347 d.

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Les aromates dans les tablettes de Mycènes 135

Théophraste ne connaît qu'une espèce de cresson, en effet, il dit: « Pour certaines plantes potagères, il y a plusieurs sortes; mais pour

d'autres, une, comme ... pour le cresson» 152.

Parlant du goût des plantes, il dit: «certaines plantes sont âcres ... comme le cresson» 153.

Pline l'Ancien nous fournit assez de renseignements sur le cresson. Il en connaît deux espèces:

« le nasturtium est anaphrodisiaque (inhibet venerem), il aiguise l'esprit ... Il y en a deux espèces. L'une purge le ventre, évacue la bile ... l'autre plus foncée purge les affections de la tête ... remet les esprits ébranlés, si elle est prise dans du vinaigre ... , et guérit la toux, si on la prend chaque jour à jeun dans du miel... La graine, dans du vin, expulse tous les vers intestinaux, plus efficacement si on ajoute de la menthe sauvage (mentastrum) ... Le meilleur nasturtium est celui de Babylonie. Le nasturtium sauvage est plus efficace dans tous ces emplois» 154.

« Le nasturtium tient son nom de ce qu'il est le tourment du nez (no­men accepit a narium tormento) et, par suite, l'idée de vigueur attaché à ce mot l'a fait entrer dans un proverbe comme propre à réveiller l'engourdis­sement » 155.

Et dans un autre passage, Pline ajoute encore: sunt autem acres (suci) ... nasturtii « D'autre part (les sucs) ... de cresson sont aigres» 156. Ainsi donc, les témoignages grecs et latins nous suggèrent l'emploi du cresson dans l'ali­mentation; comme chez nous, les Mycéniens devaient en utiliser la partie su­périeure. Il est peu probable qu'ils en aient extrait une huile; par contre, les hautes vertus vitalis antes dont il est doué et qui sont confirmées par les recherches modernes des phytothérapeutes n'ont vraisemblablement pas échap­pé aux Mycéniens.

VIII) LA CORIANDRE

La coriandre 157 (Coriandrum sativum 1.) est une petite ombellifère an­nuelle ou bisannuelle, répandue dans les contrées méridionales de l'Europe et

~52 Théophraste, Histoire des plantes, VII, 4, 1. 153 Théophraste, op. cit., l, 12, 1. En VII, 1, 2-3, il dit qu'on le sème après le

solstice d'été et que la croissance dure 50 jours; voir aussi VII, 1, 6 et VII, 5, 5. 154 Pline, Histoire naturelle, XX, 127-130. 155 Pline, op. cit., XIX, 155. Sur les conditions de culture, voir § 117, 154 et 181.

Au § 118, où il dit que le cresson pousse mieux à partir de vieilles semences, il emploie brusquemnt cardamum sans nous dire pourquoi.

156 Pline, op. cit., XIX, 186. 157 André, Lexique, s.v. coriandrum.

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136 Michel Wylock

de l'Orient. Il en existe plusieurs variétés, mais seule nous intéresse ici la va­riété dite Coriandrum sativum, qui est aussi la plus répandue 158.

On la trouve dans les champs ensemencés du Péloponnèse et de Chy­pre 159. Les botanistes l'appellent sativum parce qu'on ne la connaît nulle part à l'état sauvage et inculte; on la rencontre toujours dans les cultures et elle est considérée comme une « mauvaise herbe ».

N.l. Vavilov distingue trois centres d'origine possibles: un en Asie cen­trale, un autre dans le Proche-Orient et le dernier en Ethiopie 160.

La tige de la coriandre est droite et atteint 40 à 65 cm. de hauteur. Elle est glabre, d'un vert clair et luisant. Elle fleurit de juin à août et ses fleurs, blanches ou légèrement rosées, se terminent en ombelles. Les fruits, globu­leux, sont composés de deux semences hémisphériques jaune brunâtre qui, à l'état frais, dégagent une odepr plutôt désagréable, mais secs, ils expriment un parfum suave, une saveur aromatique, chaude et piquante.

La plante fraîche, surtout quand on la manie j répand une odeur déplai­sante qui rappelle celle de la punaise (X6pLC;), et les étymologistes ne se sont pas fait faute de rapprocher les deux termes; mais le rapprochement est peut­être secondaire. En tout cas, la plante et ses fruits, à l'état frais tout au moins, semblent effectivement doués de propriétés toxiques et narcotiques jusqu'à maintenant peu étudiées. -

P. Fournier rapporte un témoignage suivant lequel les émanations au­raient provoqué des maux de tête et des nausées 161.

P.J.L. Lehamau signale les mêmes troubles chez les personnes qui tra­versent des champs où pousse la coriandre 162.

Pour la culture, cette plante exige une exposition chaude, ensoleillée et aérée, une terre fraîche et légère, calcareuse, perméable et bien profonde. Elle redoute les sols argileux et froids. Les graines conservent leurs facultés germinatives durant deux ans.

La récolte des ombelles se fait quand les fruits sont légèrement jaunâ­tres, de très grand matin, à la rosée. On laisse sécher la récolte sur une toile au soleil. Après 24 ou 48 h., on la bat avec une gaule légère et flexible puis on vanne et on remet les graines au soleil. Quand elles sont bien sèches, on les conserve dans un local à l'abri de l'humidité et de l'air.

Seules les graines sont utilisées de nos jours. Elles entrent comme aro­mate dans de nombreuses préparations culinaires, pour en relever le goût. On les ajoute aux légumes de conserve et on les confit dans du vinaigre pour

158 Fournier, Plantes médicinales, II, pp. 9-12; Rolet, Plantes médicinales, pp. 245-249.

159 Boissier, Flora orientalis, II, pp. 920-921; Sibthorp, Flora graeca, l, p. 196. 160 Vavilov, Origin of plants, pp. 31, 33 et 38. 161 P. Fournier, op. cit., p. 10-11. 162 P.J.L. Lehamau, Plantes, Remèdes et Maladies, Paris, éd. Bosquet, 1901, p. 147.

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Les aromates dans les tablettes de Mycènes 137

aromatiser les viandes et les charcuteries. Elles peuvent aromatiser aussi le pain gris ou noir 163. Les graines des pays les plus chauds sont les plus aro­matiques.

Le tourteau de coriandre est un excellent aliment pour le bétail. Du point de vue médicinal, on peut l'utiliser pour ses propriétés carminatives, stimu­lantes, stomachiques, cordiales et antispasmodiques en infusion, en teinture ou en une autre préparation. En médecine vétérinaire, on l'utilise contre les coliques des gros animaux, mais en raison de sa saveur écoeurante, elle est souvent associée à d'autre plantes carminatives.

Les graines sont utilisées en parfumerie, pour en extraire une essence qui entre dans la composition des dentifrices, des savons parfumés et, selon P. Fournier, de notre « parfum de muguet» mais les procédés ne nous inté­ressent pas ici car il est nécessaire de recourir à la distillation 164. A l'heure actuelle, la plante est davantage connue et utilisée comme aromate et parfois comme remède que comme essence de parfumerie.

Le témoignage des anciens ne vient en rien infirmer ce qui précède. Hippocrate signale déjà ses propriétés médicinales et condimentaires:

la coriandre fait cesser les aigreurs d'estomac et provoque le sommeil 165; elle entre comme ingrédient dans des préparations rafraîchissantes fébrifuges 166;

elle assaisonne les mets, avec le sésame 167; dans un cas particulier de maladie, les feuilles peuvent être appliquées en cataplasme 168.

Dans l'Athènes du Ve s., la coriandre devait être un condiment popu­laire de l'anchois. Aristophane nous dit dans ses Cavaliers comment le Charcu­tier est parvenu à se gagner les faveurs des membres du Conseil en leur of­frant gratuitement la coriandre nécessaire pour assaisonner des anchois qui venaient d'arriver 169.

Théophraste ne nous apprend rien sur l'utilisation de la plante. II se préoccupe des conditions d'ensemencement, du temps de germination etc. 170.

Son témoignage rejoint celui des modernes. Cependant, il se plaint des diffi­cultés à faire pousser la plante 171.

Pline l'Ancien va dans le même sens 172. II lui attribue un certain nombre

163 Voir, en plus de P. Fournier, Maurizio, Alimentation végétale, pp. 518-521. 164 Charabot, Huiles essentielles, p. 64. 165 Hippocrate, Du régime, II, 54, 3. 166 Hippocrate, Des maladies, III, 17. 167 Hippocrate, Des maladies, II, 50. 168 Hippocrate, Des affections, 38 et 54; Des maladies des femmes, II, 109. 169 Aristophane, Cavaliers, 676-682. 170 Théophraste, Histoire des plantes, l, 11, 2; VII, 1, 1-3; VII, 1, 6; VII, 5, 4;

VII, 5, 5. 171 Théophraste, op. cit., VII, 1, 3: «Mais la coriandre germe avec difficulté; en

effet, la jeune pousse ne veut croître si elle n'est pas humidifiée ». 172 Pline, Histoire naturelle, 19, 117.

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138 Michel Wylock

de propriétés médicinales (fébrifuges, carminatives, etc ... ) déjà signalées par Hippocrate. A son époque, la meilleure coriandre venait d'Egypte 173.

Caton nous apprend que la coriandre, associée à la menthe, au cumin et au fenouil, aidait à la conservation des olives 174. Par Apicius, nous savons que non seulement la graine pilée 175 mais aussi la plante verte étaient utilisées avec d'autres condiments pour relever le goût des plats 176. On se servait d'une « sauce à la coriandre» (coriandratum) pour arroser des langoustes 177.

D'après ces témoignages des anciens, il semble que, dans la Grèce et l'Italie antiques, la coriandre ait servi d'aromate dans diverses préparations à caractère alimentaire et éventuellement comme remède. Elle ne venait pas d'Egypte, comme le laisse supposer J. Chadwick 178 mais elle pourrait en Grèce même, et plus particulièrement dans le Péloponnèse 179.

IX) LES MENTHES ET LE POULIOT

Dans la tablette MY Ge 605 se trouvent mentionnées aux lignes un, cinq et six, ce que l'on pourrait considérer, à la . suite du commentaire de J. Chadwick 180, comme deux sortes de menthe: 1) mita = llLv81} = lat. ment(h)a, mentastrum, «menthe» (en général); 2) karako = ~À.1}xw(v), ionien yÀ.1}xw(v), dorien yÀ.axwv, lat. puleium,« men­

the pouliot» dite aussi « herbe-aux-puces », la Mentha Pulegium 1. des botanistes 181.

173 Pline, Histoire naturelle, 20, 216-218. - La culture devait être fort ancienne dans ce pays. On a retrouvé dans le tombeau secret de Deir-el-Bahari des graines de coriandre parmi les offrandes déposées là par les derniers rois de la XXIe dynastie; voir J. Fayrer, The flora of Ancient Egypt, dans Nature, XXVIII (1883), pp. 112-113; voir aussi Thompson, op. cit., pp. 64 et 66.

174 Caton, De re rustica, 119. 715 Apicius, De re coquinaria, III, 4, 3; IV, 3, 3; IV, 3, 4; V, 2, 1-3. 176 La plante est hachée ou mise dans un mortier; Apicius, De re coquinaria, III,

20, 2; III, 20, 4; IV, 1, 3-4. 177 Op. cit., IX, 1, 2. 178 M. T. II, p. 107. 179 La coriandre est également mentionnée en PY Un 267.5, PY Un 592. 1 et 3,

PY Un 219.10. 180 M.T. II, pp. 107-108. La restitution de karako a été mise en doute par J.-P. Oli­

vier dans Kadmos VIII, 1, 1969, p. 52. Malgré cet avis, je n'ai pas voulu m'empêcher d'étudier la menthe pouliot. - Pour des raisons de clarté, j'ai préféré traiter ensemble les deux plantes.

181 Primitivement appelée Pulegium vulgare Miller et rattachée par les linnéens à la famille des menthes: ce qui permet de comprendre pourquoi Pulegium s'écrit avec une majuscule et est donc un nom apposé.

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Les aromates dans les tablettes de Mycènes 139

Plusieurs centaines de menthe ont été recensées à l'heure actuelle (sans compter les sous-espèces et les variétés). Aussi, on comprend que le phytonyme « menthe» est fort général. Mon but sera donc de déterminer quelles espèces poussaient plus particulièrement en Grèce et pourquoi le phytonyme Mentha Pulegium L. semble faire contraste par sa précision avec le précédent.

En Grèce fleurissent surtout la Mentha sylvestris L. (la menthe sauvage), la M. rotundifolia L. (la m. à feuilles rondes), la M. crispa L. (la m. crépue), la M. aquatica L. (la m. d'eau) et enfin la M. Pulegium 182. Toutes sont d'ori­gine strictement méditerranéenne 183.

Nous examinerons d'abord en premier lieu les menthes et en second lieu la menthe pouliot.

1) Les menthes 184.

Ce sont des plantes vivaces, herbacées, à tige haute de 50 cm., parfois de 1 m. Les fleurs en forme d'épis allongés purpurins, apparaissent en juin­août, tandis que les feuilles émettent une forte odeur aromatique. Les men­thes poussent dans des endroits humides, près des fossés, mais on les cultive aussi dans les jardins; la récolte de la plante se déroule en juillet-août: une

182 Les menthes poussent de préférence aux bords des rives et des fossés. La menthe pouliot préfère les vignobles et les champs humides; elle est très populaire; voir Sibthorp, Flora graeca, pp. 402-403; Rechinger, Flora aegaea, pp. 541-547; Boissier, Flora orientalis, IV, pp. 542-544 qui distingue deux sections: 1) les eumentha, 2) le pulegium. Cette remarque nous servira dans la suite. Sur les différences entre toutes ces menthes, voir P. Fournier, Les quatre flores de France, Paris, Lechevalier, 1961, pp. 843-844.

183 Vavilov, Origin of plants, p. 37, s.v. Mentha piperita L. (c'est l'espèce-type lors­qu'on parle de menthe. Elle est la plus odorante et la plus cultivée, mais elle n'a jamais existé naturellement, car c'est une hybride). Au point de vue de l'étymologie, IJ.!\l8T) a été emprunté à une langue non indo-eur., voir A. Meillet, De quelques emprunts pro­bables en grec et en latin dans Mémoires de la Société de linguistique, XV (1908-1909), p. 162; Boisacq, s.v. IJ.!\l8T); Frisk, s.V. IJ.!\lBT); Carnoy, Dictionnaire étymologique, s.v. minthe; Chantraine, Formation des mots, p. 370. Pour ~),.';XW\l, on est encore plus indécis, voir Boisacq, s.v. ~),.';XW\I; Frisk, S.V. ~),.';XW\I; Carnoy, op. dt., s.v. blechon et glechon; Chantraine, op. cit., p. 162 et Chantraine, Dictionnaire étymologique, S.V. ~),.';XW\I.

184 Fournier, Plantes médicinales, III, pp. 8-13; Rolet, Plantes médicinales, pp. 433-441; Steier, art. Minze dans R.E., XV (1932), col. 2020-2028. Cet auteur traite des menthes et de la menthe pouliot; OIck, art. Gartenbau dans R.E. VII, 1 (1910), col. 785 et 791.

185 Georges Daux dit que la coutume en Grèce actuelle est de servir la menthe comme condiment pour manger des fèves et, comme telle, elle aurait pu être interdite par les Pythagoriciens, si du moins la restitution de i'jôe oCT!J.Oü en i}ôv6CT!J.ov dans une inscription du Ile s. ap. ].C. trouvée à Smyrne, est exacte. Voir G. Daux, Interdiction rituelle de la menthe, dans Bulletin de Correspondance Hellénique, LXXXI (1957), pp. 1-5. La menthe sert aussi à aromatiser les boissons, usage que nous connaissons à l'heure actuelle.

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140 Michel Wylock

fois les feuilles récoltées, elles conservent odeur et couleur. La dessication se fait sur des claies ou sur un plancher propre dans un local aéré, à l'abri de la lumière directe du soleil. De petites quantités sont mises en botillons et sus­pendues dans le séchoir. On mélange de la menthe à la salade et avec d'autres légumes mais cet emploi semble peu répandu chez nous 185.

Les menthes sont davantage connues pour leurs propriétés médicinales: en effet, elles stimulent l'estomac, elles sont notamment carminatives, anal­gésiques, diurétiques, sudorifiques et antiseptiques. Maintenant encore, elles s'emploient contre les troubles digestifs et facilitent les fonctions d'assimila­tion. Les menthes rendent aussi des services contre la nervosité et les diffé­rentes manifestations nerveuses. Elles éloignent les moustiques et seraient parasiticides. Fraîches, elles soulagent la douleur et calment les nerfs de la tête. Un cataplasme de feuilles fraîches active la guérison des plaies et des contusions. On peut les employer sous forme d'infusion aqueuse ou vineuse, de décoction, de thé, de sirop et de poudre. Après dessication des feuilles, il est possible d'extraire une essence incolore que l'on obtient par distillation en présence de l'eau, avec un rendement variable de 1 à 3% 186.

Le ,constituant principal, le menthol (environ 50%) est soluble dans l'huile, ce qui permet de préparer une composition mentholée à l'huile d'olive 187. Cette préparation est sédative et sert de friction contre la goutte et le rhumatisme. L'essence de menthe en onction dissipe les migraines et les névralgies. Elle constitue en outre la base des dentifrices et des eaux de bouche.

2) La menthe pouliot.

La description de la menthe pouliot s'écarte assez de celle des autres menthes. Voici ce qu'en dit P. Fournier 188: «Parfois velu, grisâtre, généra­lement presque sans poils, le pouliot se distingue au premier coup d'oeil des autres menthes par son port étiré, ses tiges en partie couchées sur le sol, ses fleurs rosées ou lilacées disposées au long de la tige ... C'est une plante de 10 à 30 cm, qui croît de préférence sur la silice et les alluvions, dans les endroits humides, champs et prairies, bords des mares, lieux inondés l'hiver, parfois même dans l'eau ... Propre à la région méditerranéenne et aux grandes vallées fluviales de l'Europe et de l'Asie, le pouliot est très irrégulièrement répandu

186 Otto, Industrie des parfums, pp. 341-346; Tatu, Industrie des parfums, p. 136 et Charabot, Huiles essentielles, pp. 363-364.

187 Oertel-Bauer, La santé par les plantes et la thérapeutique végétale et naturelle, Paris, Alsatia, 1964, p. 77.

188 Fournier, Plantes médicinales, III, pp. 6-8; il suffit de regarder la menthe pouliot et une autre menthe pour être étonné de leur dissemblance.

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Les aromates dans les tablettes de Mycènes 141

en France; tandis qu'il manque complètement dans de vastes contrées, il su­rabonde dans d'autres. Il est vivace et fleurit de juillet à octobre ».

La plante n'a pas besoin d'être cultivée; comme elle vit spontanément dans les lieux humides, elle a parfois été confondue avec la menthe d'eau.

Ses propriétés médicinales l'ont distinguée assez vite, mais elles sont différentes de celles des menthes: en effet, le pouliot est carminatif, chola­gogue, béchique, désinfectant, stimulant et peut-être emménagogue. Le pou­liot fut pendant longtemps considéré comme une panacée, mais à l'heure actuelle, la plante est bien déchue de son antique réputation et on ne la ren­contre presque plus jamais dans les jardins 189.

En parfumerie, la plante est moins appréciée à cause de son goût men­tholé trop prononcé. L'essence de pouliot, de rendement faible, s'obtient par des procédés chimiques et sert aujourd'hui à parfumer les savons 190.

Le pouliot dans les classifications populaires n'a jamais appartenu au genre Mentha. C'est C. von Linné et ses successeurs qui, par leur classifica­tion purement conventionnelle des étamines et des pistils, ont fait entrer la plante dans le genre Mentha 191. L'ancienne dénomination du pouliot, due au botaniste anglais P. Miller, était Pulegium vulgare 192.

H. Leclerc présente le pouliot comme une plante à part. E. Boissier, distingue dans sa Flora orientalis 193 deux sections:

1) les eumentha; 2) le pulegium. Ces témoignages, ainsi que d'autres chez divers auteurs, incitent à ad­

mettre que le pouliot est, dans la famille des menthes, une plante à part. Et tel devait être le cas dans l'antiquité, d'après P. Fournier et A.C. An­

drews 194. Pour des raisons de clarté, j'étudierai donc les témoignages anciens en distinguant (.1.Lv91) et ~À:i}Xtùv.

189 H. Leclerc, Les vieilles panacées: le pouliot dans Bulletin des Sciences Pharma­cologiques, XXXIVL (1932), pp. 185-190.

190 Charabot, Huiles essentielles, pp. 366-367 et 388; Piesse, Histoire des parfums, p. 160.

191 Sans doute aussi par souvenir de Pline, Histoire naturelle, XX, 152 et XIX, 160. 192 Philip Miller (1691-1771) était un contemporain du suédois C. von Linné

( 1707-1778). 193 Boissier, op. cit., pp. 542-543. 194 Fournier, Plantes médicinales, III, p. 7 «Les Anciens distinguaient fort bien le

Pouliot des autres menthes ». C'est aussi l'impression que l'on retire de la lecture de A.C. Andrews, The mints of the Greeks and the Romans and their condimentary uses, dans Osiris, XIII (1958), pp. 127-146. Il consacre la presque totalité de son article à débrouiller l'écheveau des différents noms des menthes. La menthe pouliot (~).:iJXW\l)

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142 Michel Wylock

1) Mi.v81}

Le mot apparaît assez tardivement dans la littérature grecque. Hipponax qui, le premier, l'emploie, se sert de la menthe comme couronne:

« j'avais (ils avaient) une couronne de prunes et de menthe» 195.

Noue le trouvons ensuite chez Cratinos: « étendu près du fromage, de la menthe et de l'huile» 196.

Hippocrate a déjà constaté les propriétés refroidissantes et réchauffantes de la menthe. Dans le livre Du régime 197 il dit d'abord:

«La menthe échauffe (8Ep(J.~i.vEL), est diurétique et antiémétique ... » et un peu plus loin, parlant des effets des jus de plantes, il note ~UXEL .•. (J.i.v81) « la menthe ... refroidit ». Pour le reste, la menthe entre dans diverses com­positions avec du miel, avec des légumes, etc. 198.

Un passage d'Aristote nous fait deviner un emploi médicinal de la menthe, mais sans pouvoir préciser davantage.

«Pourquoi dit-on «ne mangez ni ne plantez de menthe en temps de guerre »? Est-ce parce qu'elle refroidit les corps? » 199.

L'attention de Théophraste fut de son côté retenue par la facilité de changement des menthes, mais nous n'apprenons rien sur son usage 200.

reste à l'écart de la discussion. La conclusion est qu'un phytonyme grec ou latin recouvre plusieurs menthes et vice versa:

en grec 1) IJ.!vB1]: menthe en général; aussi menthe d'eau, Mentha aqua-(en résumé) tica 1.;

2) 'liliuoCT!J.ov: menthe d'eau; parfois appelée «TjIiUOCTIJ.OV cultivé». l' TjliuoCTlJ.oV sauvage est la menthe sauvage, mentha sylvestris 1.;

3) CTLcrUIJ.~PLOV: menthe d'eau et menthe sauvage; 4) ~À:i}xwv: pouliot, M. Pulegium 1.

en latin { 1) ment(h )a: menthe en général; aussi menthe d'eau; (en résumé) 2) mentatsrum: menthe sauvage;

3) puleium ou pulegium: pouliot. 195 Bergk, Poetae Lyrici Graeci, II, nO 81 (il n'y a qu'un seul vers). 196 Kock, Comicorum Atticorum Fragmenta, l, fr. 129 (il n'y a qu'un seul vers). 197 Hippocrate, Du régime, II, 54, 4 et 8. 198 Hippocrate, Des maladies, II, 28; III, 17; De la nature de la femme, 28; Des

maladies des femmes, l, 74. En manger en cas de leucorrhée est bon d'après Des mala­dies des femmes, II, 119.

199 Aristote, Problèmes, XX, 923a8. 200 Théophraste, Histoire des plantes, II, 4, 1: «la menthe d'eau (CTLCTUIJ.~pLOV) se

change en menthe (IJ.!v6a.) si elle n'est l'objet d'une attention particulière; VI, 7, 2: «cer­tains disent ... que jamais ne germent la menthe d'eau et la menthe»; même témoignages dans les Causes des Plantes, II, 16, 2; II, 5, 6 et V, 7, 1. Dans l'Histoire des plantes, VII, 7, 1, il emploie le terme hedyosmon: «sous le nom de plantes potagères, on inclut ... la menthe (TjliUoCT!J.ov) ». En Palestine ancienne, la plante est connue pour ses propriétés médicinales: elle est utilisée sous forme de lotions à usage externe pour les yeux, les oreilles et la bouche. Les infusions servaient contre les enflures. Les branches et les feuilles odorantes assainissaient et parfumaient l'air dans les maisons et dans les synago-

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Les aromates dans les tablettes de Mycènes 143

Caton se servait de la menthe pour conserver les olives 201, tandis que Martial n'en a connu que les propriétés aphrodisiaques, puisqu'il la qualifie de menta ructatrix 202.

Chez Apicius, la menthe entre dans la recette du moretum 203, dans des sauces 204 et dans des plats divers 205. Il l'utilise soit à l'état frais, soit à l'état sec. Pline l'Ancien nous donne assez bien de renseignements sur la menthe à son époque et il mérite donc d'être cité plus largement ici.

Après avoir dit que le céleri était semé après l'équinoxe de printemps, il poursuit:

« 159. On plante la menthe à la même époque (que le céleri) ... Elle n'aime pas moins l'eau; elle est verte en été, jaune en hiver; il existe une espèce sauvage appelée mentastrum. C'est à partir d'elle qu'on propage la menthe, comme la vigne, même si on plante les rameaux à l'envers. L'odeur suave de la menthe a fait changer son nom chez les Grecs, où elle s'appelait d'ailleurs mintha d'où nos ancêtres ont tiré son nom; on a commencé main­tenant à l'appeler hedyosmon.

160. La menthe, dans les mets rustiques, répand une odeur agréable sur les tables. Une fois plantée, elle dure longtemps. Elle a quelque ressem­blance avec le pouliot ... Mais de tous les condiments qui guérissent les dé­goûts de l'estomac, c'est le cumin qui convient le mieux 206 ».

Au livre XX, Pline s'étend sur les propriétés médicinales des menthes. « 144. - Le mentastrum est une menthe sauvage, différant par l'aspect

de ses feuilles ... et par l'odeur du pouliot ... Les feuilles mâchées et appli­quées guérissent l'éléphantiasis ...

145. On les applique (les feuilles) et on les boit encore contre les mor­sures des serpents ... contre les piqûres des scorpions avec du sel, de l'huile

gues. La menthe entrait aussi comme condiment dans l'alimentation; voir R.H. Harrison, Healing herbs of the Bible, réimpression de Janus L (1961), Leyde, Brill, 1966, pp. 33-34, et E. Levesque, art. menthe dans F. Vigouroux, Dictionnaire de la Bible, IV (1908) col. 977. - D'après V. Loret, op. cit., p. 25, G. Maspero a retrouvé dans une tombe, une guirlande composée en partie des sommités fleuries de M. piperita 1. D'après notre auteur, les Egyptiens ont beaucoup employé la menthe en médecine et surtout dans la parfumerie. Sous le nom d' 'g3;, elle entrait dans la composition du fameux parfum K3p.t.

201 Caton, De agricultura, 119. 202 Martial, X, 48, 10. 203 Apicius, De re coquinaria, l ,21. 204 Apicius, op. cit., l, 19; IV, 1, 2; VI, 3, 1. 205 Apicius, op. cit., III, 4, 3 et 8; III, 5; III, 15, 3; IIJ, 9, 1; IV, 5, 4; IX, 4, 3. 206 Pline, Histoire naturelle, XIX, 159-160; voir aussi Columelle, XI, 3, 37 et Stra-

bon, VIII, 344C qui dit 'tl]\I x'r]7tcxùx.\I IJ.!\l8'r]\I ••• ij\l 'twec; 1'}ôUoO"IJ.O\l x~À.oUO"w «la menthe des jardins ... qu'on appelle hedyosmon ».

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144 Michel Wylock

et du vinagre. :.; contre tous les venins, on garde toutes les feuilles séches réduites en poudre.

146. Elle est très efficace contre les ruptures, les déchirures ...... 147. L'odeur de la menthe éveille l'esprit et excite l'appétit; aussi

entre-t-elle ordinairement dans la composition des sauces. 148 .... elle arrête l'écoulement du sang. 149 .... son suc est utile pour la voix ... (il est bon aussi) .. . avec du miel,

pour les déchirures internes. 150 . ... on en fait (de la menthe) des lotions sur les tempes dans les

maux de tête; on la prend encore contre les scolopendres, le scor­pions de mer et les serpents ...

151. ... on affirme ... qu'une pincée de poudre de menthe sèche dans l'eau calme les douleurs d'estomac» 2en.

Comme conclusion pour cette première partie, après l'examen de tous ces témoignages et malgré leur caractère tardif, on peut penser que les My­céniens ont connu la menthe comme aromate, mais il serait difficile de croire qu'ils n'aien~ pas été attentifs à ses vertus médicinales.

2) BÀ:Y1XW'II

Pour le pouliot, nous disposons d'un témoignage relativement ancien. En effet, l'Hymne homérique à Déméter nous apprend que le pouliot entrait dans un breuvage.

Nous voyons Déméter refuser la boisson que lui prépare Métanire « car, disait-elle, il lui était interdit de boire du vin rouge et elle demanda qu'on lui donnât à boire un mélage de farine, d'eau et de tendre pouliot» 208.

Comme pour la menthe, Hippocrate relève les propriétés médicinales du pouliot:

« le pouliot réchauffe et est laxatif» 209.

Dans un autre passage, il cite les plantes à employer en cataplasmes pour les blessures:

« Dans les blessures, il faut prescrire la diète; ... on rafraichira les par­ties enflammées avec des cataplasmes ..... on emploiera les feuilles crues de la sauge, ... du pouliot vert, du céleri, de la coriandre ..... » 210.

Et dans un autre passage, il dit: « (prenez) trois bottes de pouliot, le double de persil, faites cuire dans

2C1T Pline, op. cit., XX, 144-151. En XIV, 105, il dit qu'on peut faire un vin de menthe: Fit vinum e ... mentastro. Voir aussi A.C. Andrews, op. cit., p. 146-149, qui donne tous les emplois de la menthe et du pouliot dans la littérature postérieure à Pline.

208 Hymne homérique à Déméter, 207-209. Nous trouvons aussi cette expression chez Hésiode, rV'lla~"w\l "a1:&.À.o'Yo~, fr. 70, v. 21.

2J)9 Hippocrate, Du régime, II, 54, 6. 210 Hippocrate, Des affections, 38.

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Les aromates dans les tablettes de Mycènes 145

du vin coupé d'eau et donnez à boire. C'est une boisson à la fois diurétique et cholagogue » 211.

En lisant Aristophane, il apparaît que le pouliot était fort répandu en Béotie, car il y fait allusion. En effet, dans les Acharniens, un Thébain arrive avec son serviteur Isménias en portant des victuailles:

« Par Héraclès, me suis-je fait assez mal à l'épaule. Dépose le pouliot, doucement Isménias ». Dicéopolis chasse les joueurs de flûte et le Thébain l'en remercie: « Depuis Thèbes, ils (les musiciens) sont là à souffler derrière moi et ils

ont fait tomber à terre les fleurs de mon pouliot ». Dicéopolis s'informe de ce qu'a apporté le Thébain. Celui-ci répond: « Absolument tout ce qu'il y a de bon en Béotie: origan, pouliot, nattes,

mèches » 212.

Dans Lysistrata, l'héroïne interroge Lampitô sur une nouvelle venue: Lampitô: « Une personne de qualité ... une Béotienne ... » Lysistrata: «Par Zeus, une vraie Béotienne! car elle possède une belle

plaine ». Cléonice: «Oui, par Zeus, et très joliment le pouliot en a été arra­

ché » 213.

Dans la Paix, le pouliot entre comme infusion. Hermès ayant permis au vigneron Trygée de prendre pour femme Opora

(la déesse des fruits), celui-ci répond « ô très chère, viens ici et laisse-moi te baiser. Vois-tu quelque inconvénient, ô maître Hermès, à ce qu'après un si long temps, je me tourne contre Opora? »

Hermès répond à son tour: «Non, pourvu qu'après tu boives une infu­sion de pouliot» 214.

Théophraste n'en dit rien, mais il connaît la plante puisqu'il la compare au dictamne qui pousse en Crète 215. Quant à Apicius, il fait entrer le pouliot dans des plats de légumes, de fruits et de sauces 216.

Il faut attendre Pline pour avoir un peu plus de détails:

211 Hippocrate, Des maladies, III, 17. Le pouliot entre dans diverses préparations, voir Des affections, 41; De la nature de la femme, 33; Des maladies des femmes, l, 78.

212 Aristophane, Acharniens, 860-869; 873-874. 213 Aristophane, Lysistrata, 86-88. L'allusion concerne les femmes élégantes qui

s'épilaient. 214 Aristophane, Paix, 712. Les scholiastes et les commentateurs disent que Hermès

recommande à Trygée une infusion de pouliot pour éviter les conséquences occasionnées par l'abus de fruits.

215 Théophraste, Histoire des plantes, IX, 16, 1; «mais le dictamne est propre à la Crète... ses feuilles ressemblent à celles du pouliot avec lequel il a aussi des ressem­blances dans la saveur ».

216 Apicius, De re coquinaria, III, 4, 8; III, 6, 3; III, 7; IV, 1, 1 et 2; IV, 4, 1 et V, 2, 1.

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146 Michel Wylock

« 152. Le pouliot s'apparente beaucoup à la menthe pour ranimer les personnes évanouies ... Pour cette raison, Varron a déclaré qu'une couronne de pouliot méritait davantage qu'une couronne de roses de figurer dans nos chambres, car on dit qu'en application il soulage les maux de tête et même on rapporte que, respiré, il protège la tête contre les injures du froid et de la chaleur et contre la soif, et que ceux qui portent au soleil deux branches de pouliot attachées aux oreilles ne souffrent pas de chaleur.

153 .... pris dans le vin, il est diurétique ... 154 .... Si on doit boire une eau malsaine, on la saupoudre de pouliot

pilé. En manier seulement dissipe la lassitude physique; pour les maladies des nerfs, on en fait des frictions avec du sel et du vinaigre dans les spasmes ...

155. On prend le pouliot en décoction contre les morsures des serpents, pilé dans du vin contre les piqûres des scorpions. La fleur du pouliot frais, brûlée, tue les puces par son odeur... .

156. Le pouliot sauvage a les mêmes propriétés, mais plus énergiques. Il est de nature si brûlante qu'il ulcère les parties sur lesquelles on l'applique.

157 .... La racine ... sèche efface la laideur des cicatrices» 217.

De l'examen de ces témoignages et si on accepte la restitution de karako, on peut conclure que le pouliot a dû être connu chez les Mycéniens comme aromate et vraisemblablement comme plante médicinale.

Mita et karako furent donc considérés par les Mycéniens, comme plus tard I1Lv8T} et yÀT)XCi)V, mentha et pulegium aux yeux de leurs successeurs, comme deux plantes différentes, ayant certes des propriétés communes mais non comme deux espèces d'un même genre. Comme nous le voyons, la bota­nique populaire s'écarte de la botanique linnéenne.

Après avoir ainsi examiné les diverses plantes mentionnées dans les ta­blettes Ge de Mycènes, nous pouvons conclure en disant qu'elles étaient des­tinées essentiellement soit à relever la fadeur des mets, soit à entrer dans l'alimentation proprement dite. Mais nous avons également insisté sur les vertus médicinales et thérapeutiques de ces plantes en émettant l'idée que ces vertus auraient pu être déjà connues par les Mycéniens: il nous semble en effet peu probable qu'on puisse exclure un emploi médicina1 218

217 Pline, Histoire naturelle, XX, 152-157. 218 Il est bon de rappeler ici l'état assez étendu des connaissances médicales, et plus

particulièrement des connaissances phytothérapiques que montrent les héros homéri­ques. - B. Farrington, La science dans l'antiquité, trad. de l'anglais par H. Cheret, Paris, Payot, 1967, pp. 66-68 émet l'hypothèse qu'il y a un rapport entre le cuisinier et le médecin.