je ne suis pas un mouton, je ne suis pas charlie, je suis olivier mathieu, merci m'sieur!

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Voilà. Les frères Chérif et Saïd Kouachi, accusés de l’attaque contre « Charlie Hebdo », ont été tués en Seine-et-Marne, tandis que leur présumé complice Amedy Coulibaly a été tué à Paris, dans des circonstances au sujet desquelles on ne saura sans doute jamais tout. En tout cas, exactement comme lors de « l’affaire Mohamed Merah », les forces de police n’ont pas capturé vivants les trois hommes. Ils ne seront donc ni interrogés (ni éventuellement placés face à leurs contradictions). On ne pourra pas les entendre au cours d’un procès, on ne pourra pas savoir ce qu’ils auraient peut-être pu dire au sujet de l’attaque à « Charlie Hebdo » et à Porte de Vincennes.

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Les frères Kouachi et Amady Koulibaly sont morts. Au lendemain de l'attaque contre "Charlie-Hebdo", Olivier Mathieu, écrivain, poète et romancier, livre quelques réflexions pas dans l'air du temps et plutôt à contre-courant du conformisme ambiant. Olivier Mathieu a aussi publié divers articles, à ce sujet, sur le blog de Jean-Pierre Fleury, éditeur et écrivain, docteur en sociologie de l'Université de Nantes.

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Voilà. Les frères Chérif et Saïd Kouachi, accusés de l’attaque contre « Charlie Hebdo », ont été tués en Seine-et-Marne, tandis que leur présumé complice Amedy Coulibaly a été tué à Paris, dans des circonstances au sujet desquelles on ne saura sans doute jamais tout. En tout cas, exactement comme lors de « l’affaire Mohamed Merah », les forces de police n’ont pas capturé vivants les trois hommes.

Ils ne seront donc ni interrogés (ni éventuellement placés face à leurs contradictions). On ne pourra pas les entendre au cours d’un procès, on ne pourra pas savoir ce qu’ils auraient peut-être pu dire au sujet de l’attaque à « Charlie Hebdo » et à Porte de Vincennes. Qui les a incités, qui les a manipulés ? Des gens savaient, puisque l’Algérie avait paraît-il prévenu la France de l’imminence d’un événement de très grande ampleur.

Comment avaient-ils trouvé des armes ? Qui les finançait ? Comment les frères Kouachi faisaient-ils (selon les journalistes) pour se déclarer proches de « Al Quaeda Yémen », et Koulibaly de « l’Etat islamique » (organisations que l’on dit rivales) ?

Que pouvait-il se passer dans la tête d’un très

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jeune garçon comme M. Koulibaly, qui avait quand même déjà passé près de la moitié de sa vie en prison ? Qui pourra le dire, désormais ?

Laissons de côté ces gens, qualifiés de tueurs professionnels (mais dont on veut nous faire croire, à d’autres moments, qu’ils ignoraient jusqu’au nombre ou à la présence de leurs otages). Alors, terroristes ou simples « gugusses » ? Chacun se fera sa propre opinion, j’ai la mienne. Eux ne sont plus là pour confimer ou infirmer quelque thèse que ce soit. Reste à espérer que, d’ici quelque temps, on n’apprenne pas (comme dans l’affaire Merah) qu’ils avaient été en contact avec des services de police.

Que l’on me pardonne cette introduction. Aujourd’hui, ce n’est pas d’eux que j’ai envie de parler. Non. J’ai envie au contraire de parler de mes propres souvenirs d’enfance et de jeunesse de « Hara Kiri » et de « Charlie Hebdo ».

« Charlie », un journal qui avait peut-être été (autrefois) « antigouvernemental », mais qui ne l’était certainement plus.

« Charlie Hebdo » n’était plus, depuis très longtemps, un journal « anti-gouvernement ». Qu’il suffise de songer que Stéphane Charbonnier,

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dit « Charb », le rédacteur en chef, était le compagnon d’existence de Jeannette Bougrab, fille de harki et devenue membre du gouvernement français.

A titre personnel, le fait qu’un rédacteur en chef d’un journal supposé (autrefois...) « anti-gouvernemental » (et en tout cas souvent condamné par les gouvernemensts successifs de la France) soit le compagnon d’un membre du gouvernement, me fait émettre quelques doutes. Ce n’est pas le seul exemple que je pourrais donner pour appuyer ma thèse. Loin de là.

Madame Bougrab s’occupait de la politique au Moyen Orient puisqu’elle avait déclaré en 2011 que l’alors président Moubarak « devait » quitter le pouvoir, ce qui entrait en outre en contradiction avec la position officielle du gouvernement français. Convoquée et rappelée à l'ordre par le Premier ministre d’alors (François Fillon), elle avait dû faire un mea culpa.

Si le gouvernement français reprochait en 2011 ses prises de position à la compagne de Monsieur Charb, on se demande – encore une fois – ce qui pouvait se passer dans la tête de beaucoup de jeunes gens français (musulmans, et pas musulmans) qui n’avaient pas fait d’études, comme M. Koulibaly, quand ils avaient eux aussi

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l’impression d’une ingérence étatique occidentale dans les affaires des pays arabo-musulmans. Tiens, voilà quelque chose que l’on aurait voulu demander à M. Koulibaly.

Madame Bougrab est libre de ses déclarations, cela va de soi, et je n’en disconviens aucunement. Moi, je me borne à dire que « Charlie-Hebdo », dirigé par M. Charb qui était maritalement lié à un membre du gouvernement français, n’était plus depuis longtemps le journal anti-gouvernemental que j’avais connu dans les années 1970.

On entend dire tous les jours que nous sommes en pleine « Crise ». Madame Bourgrab (à en croire le «  Canard enchaîné » en 2010) avait obtenu le doublement de son indemnité de présidente de la HALDE (passant de 6 900 à 14 000 euros mensuels), affirmation que la compagne de Charb avait certes contestée, et contre laquelle elle avait même porté plainte pour diffamation. Mais la simple vérité oblige aussi à dire qu’elle avait déboutée de sa plainte, le tribunal correctionnel de Paris estimant que l'enquête menée par le journal était « sérieuse » et les chiffres avancés « tout sauf fantaisistes ».

Force est alors de dire que certains collaborateurs de « Charlie Hebdo », dont M. Charb, ou leurs familles, étaient désormais liés à

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des membres du gouvernement. Ils ne devaient pas vivre non plus, semble-t-il, malgré la « crise » dont on parle tant, dans la misère noire. On en est bien heureux pour eux.

Aujourd’hui, après l’attaque contre le journal, voilà « Charlie » institutionnalisé, ou en passe de l’être. Les distinctions honorifiques pleuvent. On va peut-être avoir des rues ou des écoles baptisées des noms des dessinateurs morts. Les propositions en ce sens vont être absolument innombrables, n’en doutez pas. Déjà sur Internet j’ai vu des gens, de simples internautes, des hommes politiques parfois, proposer le « Panthéon » ou parler de « héros ». Je ne sais pas ce que l’on va faire : les enterrer au Panthéon ? Leur faire des funérailles natioanles ? Leur décerner la Légion d’Honneur ou quelque autre distinction de ce genre, à titre posthume ? Je me demande : que vont-ils inventer ? Charlie Hebdo a été fait « citoyen d'honneur de la ville de Paris ». Dans son discours, Anne Hidalgo a parlé d’une « distinction extrêmement élevée, très peu attribuée », ajoutant : « En choisissant de la remettre à Charlie Hebdo, Paris, notre ville, accorde à un journal courageux et héroïque le respect dû aux héros".  

Moi, je ne discute évidemment pas ces propositions (que tout un chacun est libre de faire).

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Je dis cependant que tout cela me semble plus qu’exagéré. Le nom de Charlie Hebdo sur l’Arc de triomphe, par exemple, c’est exagéré ! D’autant plus qu’on pourrait se demander pourquoi MM. Charbonnier, Cabut, Wolinski et les autres seraient devenus des « héros », et pas tout pareillement les pauvres gens (dont un simple agent d’entretien) qui sont morts exactement au même moment et sous les mêmes balles. Ce n’est pas manquer de respect à qui que ce soit, de dire que le terme de « héros » me semble galvaudé ! Ma conception de l’héroïsme est différente. Se faire tuer est très embêtant, mais ce n’est pas (ou ce n’est pas forcément) un acte d’héroïsme.

Ce qui me semble désagréable, c’est que ce « je suis Charlie » a été adopté ou repris, y compris par des politiciens qui furent proches de gouvernements qui faisaient jadis condamner « Charlie » (ou « Hara Kiri »).

Ce qui me semble désagréable, c’est que tout le monde « est Charlie » mais qu’en revanche trop peu de gens évoquent Frédéric Boisseau, l’agent d’entretien qui, ce jour-là, venait de commencer à travailler pour nettoyer les escaliers de « Charlie ».

Google a annoncé un don de 250 000 euros à « Charlie Hebdo », qui sera aussi doté d'environ un million d'euros par l'Etat. Très bien, mais ici

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encore, est-ce que ce n’est pas un peu exagéré ? Le gouvernement français alloue un million d’euros pour sauver un journal (un journal autrefois férocement antigouvernemental) qui, depuis longtemps, perdait ses abonnés et allait devoir mettre la clé sous la porte...

J’ai donc commencé par me dire : ça alors, « Charlie » institutionnalisé !

Mais là, j’ai sursauté. Je me suis demandé : mais si, au fond, « Charlie » avait toujours été institutionnalisé ?!!

J’ai songé à mon enfance et à ma jeunesse. Charlie toujours et depuis toujours institutionnalisé !?

Oui, n’est-ce pas là ce dont j’avais l’impression, la sensation ou l’intuition, déjà dans les années 1970 ?

« Charlie », j’avais l’impression (oui, déjà à cette époque-là !) qu’il s’agissait de faux rebelles, de faux anticonformistes. C’était des gens qui ne me donnaient pas l’impression de vouloir vraiment « renverser le système ».

C’était tout au contraire des gens qui me donnaient l’impression de vouloir y entrer, dans le système ! Et qui étaient même peut-être là, à la fin, pour le renforcer.

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Et soudain, à la lumière des événements de janvier 2015, je me rends compte que... j’avais raison !

Cabut, par exemple, avait fait son service militaire (tiens, en Algérie). Je veux dire par là qu’il appartenait à sa propre liberté, le cas échéant, de refuser de faire son service - et de le faire, qui plus est, dans une « colonie de la France » et dans un pays musulman.

C’était l’époque du « Déserteur » de Boris Vian. Or, M. Cabut n’a pas déserté. Je veux dire par là : M. Cabut, l’antimilitariste M. Cabut a fait comem tout le monde ses deux ans de service militaire.

Moi aussi, je suis antimilitariste. Je me suis fait réformer en 1982. Après avoir d’abord été reconnu « bon pour le service », j’ai fait appel de cette décision (que je trouvais aberrante) et, à la fin, j’ai été réformé. J’en ai parlé dans un de mes romans.

Je suis anticolonialiste, je l’ai toujours été et personnellement,  j’aurais d’autant plus refusé de faire mon service dans une colonie.

Pour le dire plus définitivement encore : non seulement Monsieur Cabut a fait son service militaire, et pas moi. Mais j’estime que je pourrais dresser une liste de chose que j’ai faites, ou alors que je n’ai pas faites, qui me rendent beaucoup

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plus anticonformiste, à moi tout seul, que toute la rédaction de « Charlie Hebdo » depuis que « Charlie Hebdo » existe et jusqu’à aujourd’hui. Personne n’est obligé de partager mon point de vue. Tout un chacun devrait pourtat être libre de lire mes romans (et mes textes sur Scribd), pour en décider. En tout cas, et même s’il ne devait valoir que pour moi seul, c’est le mien.

Il se trouve des gens pour dire, voire des millions de gens pour répéter à leur suite que MM. Charb, Cabut, Wolinski et autres seraient des « héros ». Je leur alisse leur opinion, mais je ne la partage pas. Mon avis, si vous voulez le connaître, est que le monde moderne n’a plus de héros d’aucune sorte.

Il n’y avait rien d’héroïque dans l’attitude de M. Cabut quand, après avoir fait son service militaire pendant deux ans dans les rangs d’une armée colonialiste (l’Algérei était une « colonie » de la France), il semblait trouver un obscur plaisir à insulter l’Islam, et cela de façon répétée et obsessive. Il n’y a rien d’héroïque à tuer des gens à la mitraillette. Il n’y a rien d’héroïque non plus dans le fait de se faire mitrailler.

« Charlie » et « Hara Kiri », dans les années 1970, menaient quelques combats avec lesquels je pouvais être d’accord. Quelques dessins, quelques

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textes étaient même, au moins à mes yeux, moins médiocres que d’autres.

Certes, je savais très bien que les qualités esthétiques des caricaturistes des années 1970 étaient des qualités très inférieures à celles des dessinateurs du début du vingtième siècle. Jean-Pierre Fleury vient de consacrer à ce sujet, sur son blog, un article des plus intéressants. J’y renvoie.

Je trouve que les oeuvres des caricaturistes d’extrême gauche, voire proclamés « anarchistes », des années 1970 ne valaient pas celles des caricaturistes d’extrême gauche, ou véritables et repsectables anarchistes, du début du siècle.

Je pourrais en dire exatctement autant – cela va de soi - des caricaturistes de la presse d’extrême droite des années 1970 et suivantes, la pauvre petite presse de la pauvre petite extrême droite dont la médiocrité des dessins m’a toujours répugné.

Dans un monde occidental en plein déclin, l’esthétique et la pensée s’effondrent exactement en même temps. C’est logique.

Mon impression était donc, en feuilletant « Hara Kiri » et « Charlie » dans les années 1970, qu’il s’agissait de sous-culture.

Mais que dire, alors, aujourd’hui ? La sous-culture des « banlieues » peut avoir des excuses.

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La sous-culture pouvait aussi, elle peut avoir des côtés sympathiques. Mais quand les anarchistes autoproclamés, quand les anciens anarchistes recentrés vivent désormais sous la protection de la police, ou quand les anciens anti-capitalistes croulent sous le pognon, ils cessent à mes yeux d’être très sympathiques.

Je pense qu’il était vain, dangereux et pas intelligent du tout d’insulter la religion musulmane comme le faisait ces derniers temps « Charlie Hebdo », et avec un tel acharnement que la chose finissait par en être curieuse. C’est ce qu’a d’ailleurs dit récemment même le NYT, en affrmant que « Charlie » se livrait davantage aux « insultes » qu’à la « satire ». Il faut assumer ses opinions. Continuer à insulter, et cela sous la protection des services de police mêmes que l’on insultait abondamment vingt ans auparavant, est incohérent. Je le redis, quand un journal est dirigé par un rédacteur en chef lié à un membre du gouvernement, je ne réussis plus à y voir un journal anti-gouvernemental.

La sous-culture, la sous-culture des années 1970, la sous-culture de « Charlie », je voulais et je veux bien admettre. Mais la sous-culture institutionnalisée, la sous-culture d’une ancienne extrême gauche désormais embourgeoisée (pour ne

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pas employer un autre terme), voilà quelque chose d’assez insupportable. Je ne partage pas les thèses des néo-cons (lisez : néo-conservateurs, NDR) MM. Finkielkraut, Houellebecq, Richard Millet ou Renaud Camus, et autres. Je l’ai souvent dit. Je le répète.

Le matin même de l’attaque contre « Charlie Hebdo », je publiais sur le blog de Jean-Pierre Fleury, et sur Scribd, un texte où je disais ce que m’inspirent les bouquins de Houellebecq.

J’ai été candidat et j’ai même ouvert sur Mediapart un blog « anti-Finkielkraut », à l’Académie française, le 10 avril 2014, contre M. Alain Finkielkraut : et le « Figaro » en a parlé, tout comme France-Culture.

Il n’en était que plus dommage de voir que le discours de « Charlie Hebdo » (celui de ces dernières années) se rapprochait toujours davantage d’un discours « néo-con » et islamophobe.

Les choses sont claires : l’extrême gauche des années 1970, dont les meilleurs sont partis (ou se sont éloignés, ou ont été éloignés) depuis longtemps, n’existe plus. L’extrême gauche est passée, selon la formule, du col Mao au Rotary. Et les faux révolutionnaires, les révolutionnaires de pacotille n’ont plus d’autre désir que de faire partie

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du Système jadis tant honni. On pourrait dire exactement la même chose de l’extrême droite. Madame Le Pen fille ne trépigne-t-elle pour faite partie des manifestations « d’union nationale » ? Tout le monde veut faire partie du Système, au moment même où il fait eau de toutes parts. Et ce n’est sans doute que logique.

Au fond, peut-être MM. Charbonnier, Cabut et Wolinski, oui, devraient-ils être en effet enterrés au Panthéon...

Et moi, non, je ne suis pas Charlie.Je suis Olivier Mathieu et je trouve ça mieux.

Olivier Mathieu, écrivain.