je remercie le comité scientifique de l’agébio de me ... · c’est à la fois une avancée et...

26
1 / 26 Bonjour à tous. Je remercie le comité scientifique de l’AGéBio de me donner la parole et tout particulièrement le président et ami Freddy Rey dont le souhait est de faire de ce colloque un évènement pas comme les autres, où l’on ne se contente pas uniquement de se congratuler les uns les autres pour tout ce que l’on sait faire et le chemin parcouru mais bien, de faire un point éclairé sur l’état actuel de la filière, les connaissances, et les besoins. J’ajouterai, faire un point sans compromis sans langue de bois, révélant, preuve à l’appui ce qui doit être amélioré.

Upload: vudieu

Post on 16-Sep-2018

216 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Je remercie le comité scientifique de l’AGéBio de me ... · C’est à la fois une avancée et en même temps, on voit bien qu’il faut poursuivre la démarche ... ensemble quelques

1 / 26

Bonjour à tous.

Je remercie le comité scientifique de l’AGéBio de me donner la parole et tout particulièrement le président et ami Freddy Rey dont le souhait est de faire de ce colloque un évènement pas comme les autres, où l’on ne se contente pas uniquement de se congratuler les uns les autres pour tout ce que l’on sait faire et le chemin parcouru mais bien, de faire un point éclairé sur l’état actuel de la filière, les connaissances, et les besoins. J’ajouterai, faire un point sans compromis sans langue de bois, révélant, preuve à l’appui ce qui doit être amélioré.

Page 2: Je remercie le comité scientifique de l’AGéBio de me ... · C’est à la fois une avancée et en même temps, on voit bien qu’il faut poursuivre la démarche ... ensemble quelques

2 / 26

En tout cas, j’ai préparé mon intervention dans ce sens là au sujet d’une des techniques du génie végétal : l’hydroensemencement, technique dont le développement en France a débuté dans les années 1970 et qui consiste à projeter sur le terrain des semences à l’aide d’un engin spécifiquement construit pour cela : l’hydro semoir ou hydroseeder en anglais.

Page 3: Je remercie le comité scientifique de l’AGéBio de me ... · C’est à la fois une avancée et en même temps, on voit bien qu’il faut poursuivre la démarche ... ensemble quelques

3 / 26

S’agissant d’état des lieux, je débute mon intervention en m’appuyant sur un précédent constat fait il y a 10 ans et qui a fait l’objet d’un article paru dans une des revues techniques à destination des professionnels de l’industrie minérale, dans lequel j’avais pu mettre en avant les points forts et éléments déterminants au succès d’une opération de végétalisation. L’article est en téléchargement libre sur le site web de la société Géophyte.

J’indiquai notamment les points suivants :

- tout part de la maîtrise d’ouvrage du fait de la responsabilité qui lui incombe quant aux choix des intervenants, de la qualité des prescriptions et des travaux réalisés qui en découlent en relation avec les niveaux de prix choisis. Il peut également choisir de séparer dans un marché spécifique les travaux de végétalisation (j’ai eu l’occasion de rappeler les avantages de cette stratégie lors du colloque « Génie végétal, Génie écologique de l’UNEP à Paris en 2012) ; il doit également prévoir de consacrer du budget aux contrôles dans le cadre du suivi des travaux.

- les maîtres d’œuvre se doivent de maîtriser leur sujet, de posséder les compétences requises afin de pouvoir prescrire avec pertinence et faisabilité, de connaître les référentiels techniques existant et de les mettre en application

- les entreprises doivent respecter les règles de l’art

- les fournisseurs sont notamment responsables de la qualité et de la traçabilité des fournitures.

Page 4: Je remercie le comité scientifique de l’AGéBio de me ... · C’est à la fois une avancée et en même temps, on voit bien qu’il faut poursuivre la démarche ... ensemble quelques

4 / 26

Depuis, 10 ans il y a eu des avancées dans plusieurs domaines, c’est évident !

Parmi celles-ci :

Au niveau de la structuration de la filière…

Au niveau de la documentation technique et des référentiels…

Page 5: Je remercie le comité scientifique de l’AGéBio de me ... · C’est à la fois une avancée et en même temps, on voit bien qu’il faut poursuivre la démarche ... ensemble quelques

5 / 26

Au niveau de la réglementation

De part la réglementation européenne, les semences d’un certain nombre d’espèces végétales ne peuvent faire l’objet d’une commercialisation (on parle de mise sur le marché) que si le dépôt de variétés a préalablement été fait, dans les catégories adaptées et pour un usage déterminé. Vous voyez ici la liste des espèces concernées appartenant au groupe des Poacées.

On peut noter une évolution en ce qui concerne les possibilités d’inscription du matériel végétal dans le catalogue français des espèces et variétés. Ainsi aujourd’hui, pour les espèces de la catégorie « espèces de grandes cultures » concernées par l’usage « fourrage », il est possible de proposer à l’inscription du matériel végétal pour un autre usage défini comme « variétés destinées à la végétalisation ». Par exemple, depuis 2006, sont déposées 2 variétés de Dactylis glomerata (BACCHUS et LUSTICA).

C’est à la fois une avancée et en même temps, on voit bien qu’il faut poursuivre la démarche car l’usage nouveau est défini à l’intérieur d’un usage existant.

Page 6: Je remercie le comité scientifique de l’AGéBio de me ... · C’est à la fois une avancée et en même temps, on voit bien qu’il faut poursuivre la démarche ... ensemble quelques

6 / 26

Une autre évolution réglementaire que l’on peut souligner concerne l’arrêté relatif à la commercialisation des semences fourragères du 15/09/1982, qui encadre ce que l’on appelle la qualité technologique des lots de semences, à savoir la faculté germinative minimale et le taux de pureté minimale à respecter pour autoriser la commercialisation de ces lots.

Il a été modifié un première fois en 2001, suite aux travaux et à la demande de la SFG (Société Française des gazons), travaux auxquels j’ai eu la chance de contribuer à l’époque en tant que cadre au sein de la SNCF (Société Nationale des Chemins de fer) avec d’autres experts réunis au sein d’une commission spéciale nommée « commission végétalisation ».

Nos travaux ont permis :

- à la fois d’élargir la portée de cet arrêté à d’autres espèces très utilisées en végétalisation, comme Pantago lanceolata ou Sanguisorba minor tout en précisant pour ces espèces les valeurs minimales et maximales requises pour chacun des critères de qualité,

- et à la fois d’ajouter un critère de qualité supplémentaire en fixant une teneur maximale en nombre de semences de chardons (Cirsium sp. et Carduus sp.) admissible dans les lots de semences. Cette demande émanait des représentants de gestionnaires d’espaces pour qui la présence de ces deux espèces dans les lots semés devait absolument être encadrée afin de limiter les enjeux ultérieurs de maîtrise de la végétation indésirable.

Ce texte a été une nouvelle fois modifié en août 2013 pour élargir encore sa portée à d’autres espèces : Lathyrus sativus, Melilotus albus et M. officinalis, Trifolium michelianum…

Au niveau de la formation

Une offre de formations initiales ou continues, généralistes ou parfois plus spécialisées a été développée : en école d’ingénieurs agro, en Centres de Formation Professionnelle Forestière, en maisons familiales rurales…

Page 7: Je remercie le comité scientifique de l’AGéBio de me ... · C’est à la fois une avancée et en même temps, on voit bien qu’il faut poursuivre la démarche ... ensemble quelques

7 / 26

Et maintenant sur le terrain, comment cela se passe t-il ?

La situation laisse encore globalement à désirer et, bonne nouvelle, la marge de progrès reste importante.

Je vais focaliser mon propos sur quelques uns des éléments développés en 2005 que j’ai passés rapidement en revue en début d’intervention.

Au titre de la maîtrise d’ouvrage, je voudrais insister sur un point essentiel : les niveaux de prix.

On constate deux tendances :

LA PREMIERE, concerne la baisse globale et progressive de la rémunération des prestations.

Il y a 10 ans, la concurrence entre cabinets d’études généralistes pour des affaires de maîtrise d’œuvre s’exerçait autour de 6 à 8% du montant des travaux. Aujourd’hui cette même concurrence s’exerce autour de 2,5 à 3,5 %. Soit une baisse de presque 50% !

Et je n’ai pas besoin d’appuyer sur le fait que pendant ce temps, les charges d’entreprises, elles, ont augmenté.

Page 8: Je remercie le comité scientifique de l’AGéBio de me ... · C’est à la fois une avancée et en même temps, on voit bien qu’il faut poursuivre la démarche ... ensemble quelques

8 / 26

Sans noircir le tableau plus qu’il n’est nécessaire, je citerai un très récent rapport de septembre 2015 intitulé « Les années sans croissance ont comprimé les marges des services de prestations intellectuelles ».

Il émane du Centre d’Observation Economique et de Recherche pour l’Expansion de l’économie et le Développement des Entreprises ; comme vous pouvez le lire dans le sommaire, ce rapport constate :

- la baisse importante du taux de marge dans les services de prestations intellectuelles,

- le décrochage entre l’activité et les rémunérations

- la pression sur les prix et le ralentissement des gains de productivité.

En plus de la baisse globale et progressive de la rémunération des prestations LA DEUXIEME TENDANCE, corollaire de la première, est la perte de repère de la maîtrise d’ouvrage, parfois, quant à la valeur du service demandé. A titre d’exemple, je citerai une consultation qui a eu lieu cet été 2015 émanant d’un Syndicat Mixte pour l’Aménagement et la Gestion de cours d’eaux dans le sud de la France concernant l’un inventaire d’une dizaine d’espèces exotiques envahissantes à réaliser sur un linéaire fractionné de plus de 55 km de plusieurs cours d’eau. Après avoir précisé dans le cahier des charges qu’il fallait compter sur au moins une trentaine de journées de travail juste pour réaliser la phase de prospection de terrain, ce donneur d’ordre public a attribué le marché à …. 3500 € HT.

Page 9: Je remercie le comité scientifique de l’AGéBio de me ... · C’est à la fois une avancée et en même temps, on voit bien qu’il faut poursuivre la démarche ... ensemble quelques

9 / 26

100 € HT la journée, frais de déplacement compris !

Qui dit mieux ?

Personne ?

Adjugé vendu !

Page 10: Je remercie le comité scientifique de l’AGéBio de me ... · C’est à la fois une avancée et en même temps, on voit bien qu’il faut poursuivre la démarche ... ensemble quelques

10 / 26

En référence à ce point, je vous renvoie à la lettre qu’écrivit Vauban, Maréchal de France, célèbre ingénieur militaire et constructeur de nombreuses places fortes sous Louis XIV encore debout aujourd’hui, à Louvois, Ministre du roi, notamment :

« Écartez sans faiblesse les méchants entrepreneurs, il en est assez de bons pour construire nos bastions, nos quartiers, nos manufactures et nos bâtiments…. N’ayez rapports qu’avec des gens de foi et d’honneur et parmi eux seulement cherchez le bon marché ».

Page 11: Je remercie le comité scientifique de l’AGéBio de me ... · C’est à la fois une avancée et en même temps, on voit bien qu’il faut poursuivre la démarche ... ensemble quelques

11 / 26

Pour finir, je ne résiste pas à citer également les propos de Sir James Michael Goldsmith homme d'affaires et homme politique franco-britannique mort en 1997 avec une fortune personnelle estimée à 1,5 milliard d’euros qui a dit :

« Si vous payez des cacahuètes, tout ce que vous aurez ce sont des singes ».

A bon entendeur, salut !

La qualité et le juste prix des choses occupent nos réflexions depuis des décennies…

Page 12: Je remercie le comité scientifique de l’AGéBio de me ... · C’est à la fois une avancée et en même temps, on voit bien qu’il faut poursuivre la démarche ... ensemble quelques

12 / 26

Venons en à la maîtrise d’œuvre et aux bureaux d’études, groupe auquel je fais partie et vis-à-vis duquel je voudrais relever quelques points essentiels :

Pour commencer, le niveau de qualité des prescriptions techniques des intervenants dont certains sont au cœur d’opérations d’envergure. Pour étayer mon propos, examinons ensemble quelques extraits d’un CCTP (cahier des clauses Techniques Particulières, que l’on appelle aussi parfois cahier des charges) fourni cet été lors d’une consultation pour des travaux d’aménagement en montagne comprenant en fin de chantier des travaux d’hydroensemencement.

Le bureau d’études et de maîtrise d’œuvre, rédacteur de ce CCTP, présente un nombre certain de garanties de qualité : qualifications OPQIBI, certification ISO 9001 et 14001 ; il est également membre de plusieurs organisations professionnelles.

Que nous dit ce prescripteur au sujet du béton et de sa fabrication : ABSOLUMENT TOUT.

Page 13: Je remercie le comité scientifique de l’AGéBio de me ... · C’est à la fois une avancée et en même temps, on voit bien qu’il faut poursuivre la démarche ... ensemble quelques

13 / 26

Page 14: Je remercie le comité scientifique de l’AGéBio de me ... · C’est à la fois une avancée et en même temps, on voit bien qu’il faut poursuivre la démarche ... ensemble quelques

14 / 26

Que nous dit le prescripteur au sujet de l’hydroensemencement : QUASIMENT RIEN et MEME DES « BETISES ».

Comme vous le voyez, la totalité de ces propos tient en moins de 5 lignes. Volontairement, je dis « propos » et pas « prescription technique » car il n’y a ici aucun élément véritable de cette nature. En fait que dit le maître d’œuvre à l’entreprise : « fais donc mon propre travail , celui que je ne sais pas faire ». Dans cet exemple, et les CCTP rédigés comme cela sont encore très nombreux aujourd’hui, j’apporte un élément de preuve quant au manque évident de compétence d’une partie de l’ingénieurie-conseil française en la matière et plusieurs entrepreneurs et fournisseurs présents dans la salle pourraient aisément le confirmer.

Je profite de ce cas représentatif pour signaler également ce que je qualifierai aujourd’hui d’hypocrisie réglementaire qu’il conviendrait de mon point de vue de supprimer à l’avenir : le maître d’œuvre n’est pas suffisamment compétant pour faire les préconisations techniques adaptées à la situation du chantier, non seulement il demande donc à l’entreprise de les faire mais en plus de les lui soumettre pour validation… cherchez l’erreur ? C’est une des raisons pour lesquelles, les entreprises se sont parfois dotées de compétence ingénieriale. On ne peut pas ici leur en vouloir… et même peut être les encourager ?

Mais allons encore un petit peu plus loin et voyons, pour la même affaire, un extrait du BPU, Bordeaux des Prix Unitaires, pièce contractuelle du marché, dans laquelle l’entreprise doit indiquer les prix des travaux en rapport avec les prescriptions techniques demandées. Je n’ironiserai pas plus que ça sur l’apparition d’un nouveau terme technique « l’hydrocideur » qui témoigne une fois encore du peu de connaissances dont fait preuve le rédacteur du document.

Ce qui est beaucoup plus gênant car hautement critiquable, réside dans le dosage imposé du mélange ; que les choses soient claires et vous me pardonnerez l’expression mais en ce qui me concerne « on nage ici en plein délire » : le maître d’œuvre ne sait pas quelles

Page 15: Je remercie le comité scientifique de l’AGéBio de me ... · C’est à la fois une avancée et en même temps, on voit bien qu’il faut poursuivre la démarche ... ensemble quelques

15 / 26

espèces végétales vont être choisies par l’entreprise, il ne connaît pas leur nombre, il ne connaît pas leur proportion relative dans la composition du mélange, il n’a fixé aucun objectif de résultat ni en termes de qualité, par exemple le pourcentage de couverture du sol, ni en termes de durée pour atteindre ce résultat, c’est-à-dire qu’il ne connaît absolument aucun des éléments fondamentaux qui déterminent le dosage de semis MAIS il l’impose quand même : qui plus est 500kg/ha, certainement énorme ! Je reviendrai sur ce point juste après.

Comme si un médecin prescrivait la posologie sans connaître le médicament. Personne n’accepterait cela, non personne.

C’est malheureusement une situation relativement courante aujourd’hui.

J’insiste sur ce point car nous abordons ici le cœur de la technique de végétalisation par ensemencement : l’élaboration d’un mélange. Peu nombreux sont ceux qui savent vraiment ce qu’ils font en la matière… tous les autres font semblant et trompent leur monde. Heureusement pour ces derniers (et malheureusement pour les vrais techniciens si j’ose dire), la nature reprend assez souvent ses droits et l’œil du néophyte, maître d’ouvrage en tête, ne fait, bien souvent, pas la différence.

Page 16: Je remercie le comité scientifique de l’AGéBio de me ... · C’est à la fois une avancée et en même temps, on voit bien qu’il faut poursuivre la démarche ... ensemble quelques

16 / 26

Comprenez bien que concrètement, le dosage de semis exprimé en unité de masse par unité de surface (g/m²; kg/ha) n’est qu’une conséquence de la composition relative d’un mélange et du résultat à atteindre.

Cette photo représente le résultat obtenu en terme de couverture du sol à partir d’un même mélange plurispécifique semé à diverses densités de semis (2000 individus par m², 4000, 6000, 8000, etc…) ; c’est ce que les scientifiques appellent un « essai dose » : il montre ici clairement

qu’il existe une densité optimum pour chaque composition de mélange,

(2) qu’en deçà, le résultat de couverture ne sera pas atteint

(3) qu’il n’est pas utile de semer au-delà, et c’est même totalement contre productif comme nous le verrons plus loin.

Page 17: Je remercie le comité scientifique de l’AGéBio de me ... · C’est à la fois une avancée et en même temps, on voit bien qu’il faut poursuivre la démarche ... ensemble quelques

17 / 26

Concernant ce point je m’appuie sur un autre exemple relatif à la végétalisation des anciennes décharges et autres fonciers dégradés en Languedoc-Roussillon. Nous sommes en 2005, l’ADEME fait le bilan des 300 premiers chantiers réalisés sur le millier à réaliser et constate :

- qu’il « existe un réel déficit de qualité pour le volet paysager de ces programmes »

- que « les échecs constatés en végétalisation d’anciens sites de décharges sont autant liés à des facteurs d’ordre organisationnel et financier qu’à des problèmes techniques ».

Page 18: Je remercie le comité scientifique de l’AGéBio de me ... · C’est à la fois une avancée et en même temps, on voit bien qu’il faut poursuivre la démarche ... ensemble quelques

18 / 26

Concernant la technique justement, nous avons pu montrer lors de ce travail pour l’ADEME que deux des principaux facteurs d’échec concernaient :

(1) la composition des mélanges semés, pas forcément la nature des espèces choisies mais bien leur proportion relative : c’est une question d’assemblage

(2) le dosage de semis

Voici la composition d’un des mélanges expertisés, tels qu’ils apparaissent dans les CCTP :

Une quinzaine d’espèces, deux grandes familles représentées : les Poacées et les Fabacées.

Toutes sont relativement disponibles commercialement.

La grande majorité sont des espèces réglementées. Nous l’avons vu tout à l’heure. Mais il n’apparaît pas ici le nom des variétés… parce qu’il s’agit du « premier manquement » du prescripteur : la composition ne précise pas les variétés ou au moins le type pour certaines espèces ; par exemple pour la luzerne cultivée, il existe des variétés très bien adaptées aux conditions climatiques Nord de la France (froid, humidité) et des variétés très bien adaptées aux conditions climatiques Sud de la France (chaleur, sécheresse). Sans précision dans le CCTP, le semencier a donc pu choisir d’incorporer le type qu’il voulait, notamment en fonction de ses stocks et des prix des diverses variétés.

Et que pensez-vous qu’il advienne d’une variété de luzerne Nord de la France du coté de Montpellier en plein mois d’août ?

Regardons maintenant du coté des proportions relatives : comme cela, difficile de porter un avis, n’est-ce pas ? Tout ceci a vraiment l’air extrêmement sérieux, un vrai travail de spécialiste, non ?

Page 19: Je remercie le comité scientifique de l’AGéBio de me ... · C’est à la fois une avancée et en même temps, on voit bien qu’il faut poursuivre la démarche ... ensemble quelques

19 / 26

Faisons donc tourner la moulinette qui, prenant en compte la masse des semences, permet de transformer les proportions relatives en masse, ici à gauche, en proportion relative en densité de semences, c’est-à-dire en nombre d’individus semés par unité de surface.

Que constatons-nous ? Une grande différence entre les deux informations, qui sont pourtant caractéristiques d’une même situation.

A gauche, la composition rédigée dans les CCTP, déclarée au Service Officiel de Contrôle, et qui apparaît sur les étiquettes mises sur les sacs.

A droite, la réalité terrain, si je puis dire, c’est-à-dire en vrai ce qui se passe au ras du sol.

Je n’ai pas le temps suffisant pour vous présenter une analyse détaillée mais vous aurez pu immédiatement constater que presque 6 semences sur 10 qui arrivent au sol correspondent à une seule espèce, le coquelicot (parce que ces semences sont extrêmement petites) et qui pourtant ne semblait pas avoir un impact aussi important au regard de l’étiquette où il apparaît pour 1% du mélange.

Page 20: Je remercie le comité scientifique de l’AGéBio de me ... · C’est à la fois une avancée et en même temps, on voit bien qu’il faut poursuivre la démarche ... ensemble quelques

20 / 26

En matière de dosage, voilà quelques-uns des résultats que nous avons obtenus lors de cette étude pour l’ADEME : divers dosages de mélange, bien entendu, de 140 à 500 kg/ha, mais surtout des densités de semences au sol, de 10000 à presque 100000 semences par m²... ENORMES

S’il vous plait, faites ce petit exercice : pour ceux qui prennent des notes dans la salle, dessinez sur votre feuille un carré d’un centimètre de coté, les autres imaginez le dans votre tête, puis dessinez 9 semences dans ce carré… pas des points de stylo, non, des semences de un à quelques millimètres… ce n’est pas facile de tout faire rentrer, n’est pas ? Et bien maintenant imaginez quelques semaines plus tard, ces 9 semences ont germé, 9 plantules se côtoient maintenant, chacune d’elles voulant se développer et donner une plante adulte… pour certaines qui feront 20 à 30 cm de diamètre au sol d’ici quelques mois…

Et après on s’étonne qu’il y ait des échecs !

Et certains continuent de penser que la conception d’un mélange ne requiert aucune compétence particulière…parce qu’il ne s’agirait que d’herbe !

Et bien on sait où cela nous mène aujourd’hui (en tous cas, l’ADEME le sait).

Page 21: Je remercie le comité scientifique de l’AGéBio de me ... · C’est à la fois une avancée et en même temps, on voit bien qu’il faut poursuivre la démarche ... ensemble quelques

21 / 26

Un dernier point concernant le travail du prescripteur : la connaissance de la disponibilité commerciale des lots de semences.

Avez-vous déjà commandé sur un site marchand, quel qu’il soit, ou bien dans une boutique…une référence non disponible ?

Eh bien c’est pourtant ce à quoi on assiste régulièrement, ces dernières années un peu plus dirait-on, comme si une mode était en train d’être lancée : préconiser des mélanges super sophistiqués.... sur le papier mais dont la grande majorité des espèces qui le compose n’est pas disponible.

Des mélanges à 30, 40, 50 espèces et plus fleurissent dans les cahiers des charges, souvent d’ailleurs en rapport avec des chantiers « à haute valeur écologique », mais dont la faisabilité est totalement illusoire, situation ubuesque amplifiée parfois par les quantités demandées. On se demande comment de telles compositions peuvent voir le jour… un peu comme si 1 espèce sur 2 ou 1 espèce sur 3 avait été sélectionnée à partir de la liste des plantes observées sur le site lors des études préalables. Hors de toute réalité !

Pour reprendre mon exemple médical de tout à l’heure, imaginez un médecin qui prescrit des médicaments qu’aucun pharmacien, en France et en Europe, ne peut délivrer ! Ne remettrions nous pas en cause la compétence du médecin ? Non pas celle du pharmacien.

Pour étayer mon propos, voila quelques données récentes fournies par le Groupement National Interprofessionnel des Semences et plants (GNIS) pour la saison 2013-2014. Sans compter les espèces dites « agricoles » (fétuques, trèfles, sainfoin…), environ 130 espèces ont été identifiées dans les divers mélanges déclarés sur une saison. Les huit premières, dont la petite pimprenelle, le plantain lancéolé, la canche cespiteuse ou l’anthyllide vulnéraire, totalisent près de 80% de la masse totale commercialisée, les trente premières 98%. Les 70 dernières espèces (54% de la palette végétale) présentent chacune une masse

Page 22: Je remercie le comité scientifique de l’AGéBio de me ... · C’est à la fois une avancée et en même temps, on voit bien qu’il faut poursuivre la démarche ... ensemble quelques

22 / 26

totale incorporée inférieure à 10 kg en une année. Les 33 dernières espèces (25% de la palette végétale) présentent chacune une masse totale incorporée inférieure à 1,8kg.

En toute rigueur, il conviendrait d’analyser ces données en tenant compte du PMG des semences (poids de mille grains) car il faut beaucoup moins de masse de semences pour une espèce à très petites graines, on l’a vu tout à l’heure avec le coquelicot. Néanmoins, ces chiffres témoignent bien d’une demande, en l’état, caractérisée par un petit nombre d’espèces produites en grande quantité, et au moins plus de la moitié vraisemblablement issues de collectes.

Et pour finir, il a été montré, sur un panel d’ouvrages en terre en conditions climatiques diverses (Crosaz, 2005), que les concurrences qui se mettent en place entre les individus des diverses espèces d’une part, et entre les individus d’une même espèce d’autre part, aboutissent rapidement à l’implantation des quelques espèces les plus agressives. C’est le cas notamment, si parmi les espèces prescrites, on trouve des espèces de grandes cultures. Ainsi, tous les autres composants du mélange n’ont pas le temps et l’espace suffisants pour s’exprimer.

En conclusion, on ne peut pas faire semblant de recréer immédiatement et directement une biocénose diversifiée et en équilibre avec le nouveau milieu en prescrivant un mélange composé d’une liste interminable d’espèces. La bonne démarche intellectuelle consiste donc bien à « donner un coup de pousse à la nature » en aidant à la cicatrisation du milieu perturbé avec quelques espèces judicieusement choisies et intelligemment proportionnées entre elles au sein des mélanges.

En outre, les prescriptions de mélanges dont les semences ne sont pas disponibles ou en si faible quantité conduisent à fausser la concurrence entre opérateurs : certaines entreprises feront « comme si » et répondront en première instance que le mélange livré sera conforme au CCTP, d’autres tenteront parfois coûte que coûte de répondre, ou d’alerter le demandeur, voire de proposer des variantes (lorsque celles-ci sont autorisées !) et se verront bien souvent exclure de la procédure… car restons lucides, n’en déplaise au rédacteur du Code des marchés publics : au moment du choix de l’entreprise chargée d’exécuter les travaux, le prix reste encore le critère prépondérant au détriment de la qualité, et les marchés sont le plus souvent attribués au moins cher, non au mieux disant et cela fait plusieurs siècles que cela dure, comme nous l’avons vu tout à l’heure avec le Maréchal Vauban.

Page 23: Je remercie le comité scientifique de l’AGéBio de me ... · C’est à la fois une avancée et en même temps, on voit bien qu’il faut poursuivre la démarche ... ensemble quelques

23 / 26

Concernant les entreprises, je voudrais témoigner aujourd’hui juste sur un élément relatif à la conformité des fournitures livrées et au contrôle qualité externe de celles-ci.

Sur un récent chantier, les travaux de végétalisation de remblais par hydroensemencement ont dû être stoppés et l’entreprise sommée de revenir la semaine suivante avec un mélange de semences conforme aux exigences du CCTP. En effet, le constat de qualité des fournitures a révélé que la totalité des variétés graminéennes du mélange était du type gazon, alors qu’il était attendu des variétés du type fourragère, prescrites dans le cadre d’une exploitation agricole du couvert végétal (pâture ou fourrage). Et l’entreprise ne s’en était pas aperçue, faisant confiance, nous a-t-elle dit, à son fournisseur, sa propre commande auprès de lui étant fidèle aux prescriptions du marché.

Il est régulièrement en outre constaté des divergences concernant la composition des matières fertilisantes, que l’on doit compenser sur le chantier par un ou des ajustements des dosages.

En tant que maître d’œuvre, nous avons tous conscience que l’arrêt d’un chantier, éventuellement son report, peuvent constituer une perte financière pour l’entreprise, mais il convient que les travaux soient réalisés en conformité avec les prescriptions techniques, dans le respect des objectifs à atteindre.

Page 24: Je remercie le comité scientifique de l’AGéBio de me ... · C’est à la fois une avancée et en même temps, on voit bien qu’il faut poursuivre la démarche ... ensemble quelques

24 / 26

Pour conclure, quelques pistes de réflexions et travaux à engager dans les années à venir pour poursuivre et renforcer le développement qualitatif de compétences :

Maîtrise d’ouvrage : augmentation et amélioration de la demande

La première piste se situe évidemment du coté des donneurs d’ordres, qui doivent sortir de la stratégie « greenwashing » : il s‘agit d’un secteur à forte valeur ajoutée qui réclame de leur part des exigences élevées en matière de spécialisation des intervenants, avec comme corollaire, une augmentation des budgets.

Professionnalisation de l’ingénierie-conseil spécialisée

Les maîtrises d’œuvre doivent faire un effort de formation, tant sur les plans technique que réglementaire, en embauchant des ingénieurs-conseils à profil adapté et envoyés en formation continue. Citons une récente formation (fin 2015) dispensée par le Centre de formation professionnelle de l'ingénierie, du conseil et du numérique (IPTIC), qui vise à donner les premières clés de la pratique de la maîtrise d’œuvre aux écologues. Citons également la formation de la pratique du droit à titre accessoire nécessaire à l’activité principale, permettant à une société d’ingénierie de répondre aux exigences de l’arrêté n°742 du 19/12/2000, modifié le 01/12/2003.

La structuration de l’ensemble des professionnels

Le développement de l’AGéBio et de ses activités est, bien entendu, une autre piste particulièrement intéressante, puisqu’il permet de mettre en contact de plus en plus de professionnels, décideurs, prestataires, scientifiques, formateurs… oeuvrant ensemble dans la définition et l’amélioration des bonnes pratiques, définissant des cadres déontologique et éthique… pour l’ensemble de la filière.

Page 25: Je remercie le comité scientifique de l’AGéBio de me ... · C’est à la fois une avancée et en même temps, on voit bien qu’il faut poursuivre la démarche ... ensemble quelques

25 / 26

La réglementation

Le référentiel technique d’application obligatoire pour les marchés publics de travaux (CCTG, fascicule 35) mérite d’être rapidement mis à jour. La réglementation relative à la qualité technologique de lots de semences pourrait également être élargie à d’autres espèces : mieux encadrées sur le plan de la qualité de leurs semences commercialisées, certaines espèces pourraient ainsi bénéficier d’un effet levier et voir leur production augmenter avec la demande des prescripteurs.

Aide au développement de la production

La disponibilité commerciale de lots de semences fait (presque) tout. Et on assiste depuis des années au serpent qui se mord la queue : engager et investir dans la production d’une nouvelle espèce est risqué pour le producteur si la demande n’est pas assurée… mais la demande circonstanciée émanant du prescripteur ne peut vraiment porter que sur le disponible ! Dans ces conditions, l’interprofession AGéBio, le ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie (MEDDE), la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité (FRB), les donneurs d’ordres, par exemple les membres du Club Infrastructures Linéaires et Biodiversité (CILB)… doivent s’unir pour promouvoir la diversification et l’augmentation des productions de semences en France.

La recherche

Remobiliser des équipes de recherche, par exemple, pour des tests variétaux en routine des espèces de grandes cultures, Irstea (à l’époque Cemagref). Par la voix de Françoise Dinger, spécialiste reconnue notamment pour le domaine montagnard, l’institut de recherche a élaboré il y a plus d’une vingtaine d’années une composition que l’on pourrait qualifier de « généraliste », et qui a été appliquée depuis tout ce temps à grande échelle sur l’immense domaine skiable des 3 Vallées en Savoie ; le mélange est d’ailleurs connu sous l’appellation mélange « 3 vallées ». Quelques 10 années plus tard, de l’avis même du fournisseur qui fabrique plus d’une centaine de tonnes de ce mélange chaque année, il se borne (et c’est tout à fait normal) à remplacer les variétés qui disparaissent progressivement du catalogue officiel français des espèces et variétés au profit de nouvelles variétés inscrites. La composition spécifique n’a donc pas évolué depuis tout ce temps et les nouvelles variétés qui composent le mélange n’ont fait l’objet d’aucun test en condition de montagne.

Page 26: Je remercie le comité scientifique de l’AGéBio de me ... · C’est à la fois une avancée et en même temps, on voit bien qu’il faut poursuivre la démarche ... ensemble quelques

26 / 26

Je vous remercie pour votre attention.