krishnamurti (madanapalle, 1895 - ojaï, 1986), par jean biès
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8/2/2019 Krishnamurti (Madanapalle, 1895 - Oja, 1986), par Jean Bis
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Jiddu KRISHNAMURTI
(Madanapalle, 1895 - Oja, 1986)
L uvre-vie
Huitime enfant dune famille de brahmanes de stricte obser
vance, Jiddu Krishna Nariana nat le 11 mai 1895 Madanapalle,
au nord de Madras. Son enfance sera misrable et maladive.
Charles Webster Leadbeater, membre fondateur de la Socit
thosophique que prside Annie Besant, dcouvre le jeune
Krishnamurti (la forme divine de Krishna ), alors g de dix ans,
en compagnie de son jeune frre, Nitynanda, et pressent que
Jiddu est apte devenir 1 Instructeur Spirituel du Monde quat
tendait la Grande Fraternit Blanche, section sotrique de la
thosophie. Leadbeater prend en charge lducation de lenfant etle confie Khoutoumi.
Dtestant lcole, o il reoit des coups - pour cause de stupi
dit , l adolescent est d'une nature rveuse et mlancolique. Il aime
le sport et la mcanique, comme, plus tard, les films suspense,
montre cependant une grande attirance pour la vie spirituelle.
En 1911, l'Ordre de ltoile dOrient est cr. Krishnamurti pr
side, car il est apparu que le Seigneur Maitreya - le Bouddha
instructeur - avait pris corps en lui. En 1914, les deux frres sont
emmens Londres ; mais Krishnamurti choue lexamen d'en
tre Oxford, et part seul pour Paris. Il tmoigne ses intimes desphnomnes de possession dont il est lobjet, et de la douloureuse
volution de son corps. Celui-ci subit les diffrentes tapes dune
initiation qui le conduit au niveau d'arhat (sage sans dsir
propre), atteint enfin un tat de conscience non diffrenci avec
Maitreya.
En 1925, la mort de son frre avait considrablement mri le
jeune homme. Une fois dpasse la douleur, il russit sidentifier
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avec tous les tres ; tout lui apparut comme limage du Bien-
Aim : il dcouvrait la joie travers la Libration. Les disciples
affluent ; il reoit argent et domaines.
Coup de thtre : Ommen, en 1929, devant plus de trois mille
membres de ltoile, il dissout lOrdre. Je maintiens que la Vrit
est un pays sans chemin ; on ne peut lapprocher par aucune
voie, aucune religion ni secte. Non seulement Krishnamurti ne
veut appartenir aucun organisme spirituel, mais il ne veut aucun
disciple. Ds que vous suivez quelquun, vous cessez de suivre laVrit. Une seule chose compte dsormais : Librer lhomme de
toutes les cages, de toutes les peurs. Il rompt ainsi avec la Socit
thosophique.
Krishnamurti consacrera tout le reste de sa vie donner tra
vers le monde des milliers de confrences : Californie, Amrique
du Sud, Angleterre, Hollande, Suisse, Inde ; crer des centres
ducatifs - Brockwood Park, Oak Grove School, Rishi Valley - ;
dbarrasser les esprits des images, des cltures, des scurits reli
gieuses, sociales, politiques, dconditionner les consciences.
Lensemble a donn lieu quelque quatre-vingts livres, parmi lesquels De l ducation, La Rvolution du silence, La Premire et
Dernire Libert, Se librer du connu.
Jusqu ce que la mort le surprenne Oja (Californie), le
17 fvrier 1986.
Krishnamurti en revient constamment aux thmes essentiels.
On a pu cependant diviser son message en quatre priodes. De
1929 1933, il est surtout enclin traiter du moi , en dtaillant le
processus suivant lequel lhomme scrte ce moi, source de
conflits permanents. De 1934 1938, il analyse ces conflits,
dnonce les mensonges scuritaires que sont les groupes. Stant
tu durant la guerre, il reprend son activit oratoire, et insiste, entre
1944 et 1961, sur la connaissance de soi, la signification de la vie,
lharmonisation du mental, du cur et de lintuition. De 1962 sa
mort, son thme de prdilection est le silence, langage universel.
Krishnamurti sapplique inlassablement montrer comment,
sous lemprise de la peur, nous nous fuyons, pensons de manire
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conventionnelle, manquons dattention au mouvement cratif de
la nature et de la vie, ce qui ne peut que nous rendre agressifs et
malheureux.
Parce quil change perptuellement, le moi se condamne aux
dualits : peur et courage, conscience personnelle et conscience
cosmique, attachement au pass et nostalgie de lintemporel, car
refour des choix opposs. Lintellectualisme, en particulier,
multiplie les contradictions, et par l, supprime la possibilit de
nous ouvrir au rel. Un esprit charg de savoirs, de souvenirs,dopinions, de croyances, ne peut tre simple. Or seule la plus
grande simplicit est en mesure de simplifier les problmes, et par
l de les rsoudre. La simplicit est action sans ide. Cest ce qui
la rend cratrice et capable de libration.
C'est dire quil faut changer ; et il y a urgence au changement.
Chaque instant est une occasion perdue si nous ne lutilisons pas
en vue de la rvolution intrieure. Le monde du dehors nest que
notre image, notre prolongement. Il nous est possible de vivre
autrement, et de le transformer en nous transformant.
Efforons-nous dtre * srieux dans cette recherche. couter demanire totale permet notre attention de saisir ce qui advient. Cet
art dcouter, car cen est un, avec un esprit rceptif, dnu d'crans
de rsistance, ne nous permet pas seulement dentendre notre
propre bruit, il nous rend conscient de ce qui est, sans opposition.
Cette perception de la vrit peut tre saisie dans chaque action,
dans le quotidien le plus banal et fugitif ; dans ce que dit notre
conjoint, un ami, un tranger, et dans ce que lon dit soi-mme.
Certes, cet tat de complte disponibilit, de * passivit active ,
nous est difficile exprimenter : nous nous en vadons sans
cesse dans une pense qui rend impossible le vrai silence mental,
lequel permet dtre au Prsent. Il nous faut donc, par un renver
sement intrieur, devenir souples, libres de cet instrument de
division et de dispersion qu'est le moi. Fabriqu par notre mental,
le moi est le principal obstacle lexprience de lternit, parce
quil nous ramne constamment au pass et la dure.
Limportant est de traverser le mur des conditionnements que
sont habitudes et rflexes, qui nous privent de la fracheur de ce
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regard qui nous rendrait toujours sereins et heureux. La routine est
ce qui nous permet de ne pas changer. Il convient au contraire de
sexaminer sans identification, ni comparaison, ni condamnation,
ni dsir de se justifier, dobserver d'instant en instantce qui se
passe - ce qui rend peu peu conscient des mobiles de toutes nos
actions. Il convient aussi de laisser les mots, dont le pouvoir est
paralysant. Us sont des moules o couler les ides. Or lide nest
quune cristallisation de la pense en un symbole, et leffort de se
conformer au symbole engendre une contradiction, que seule laconnaissance de soi dissipe.
Ds que nous comprenons nos prjugs, nos angoisses, notre
souffrance avec une perception directe de linstant, nous cessons
d'tre des * personnalits demprunt , programmes dans la mca
nique rptitive que nous prte la socit. Car si nous ne sommes
pas seuls, nous sentons seuls , et avons peur de nous-mmes, des
autres, de la vie. Librons-nous donc de l'ego, accordons-nous au
silence, la libert qui nous est naturelle, lAmour.
LAmour est un tat dunit absolue. Lopposition entre le
penseur et la pense, lobservateur et lobjet observ, lexpri
mentateur et lexprience n'est qu'illusion. Une vision directe, hors
du temps, produit dans l'esprit un changement profond et radical.
Elle se situe au-del des ides et des mots et du moi ; elle rejoint
cet Amour qui, seul, peut transformer la folie du monde. Or
l'Amour ne pense pas . Il est vacuit de lesprit, qui dbouche
sur une immense tranquillit, un calme non voulu, non construit,
mais rsultant de la comprhension de ce qui est. Elle n'est ni
pass, ni futur, ni vasion, ni consolation, ni effet du savoir ou de
la volont, ni mme exprience.
Pareille vrit ne peut nous tre donne par quelquun ; nous
de la dcouvrir et de la devenir. Do le refus des religions ces
balivernes - et de tout disciple.
Le seul instrument de travail reste la mditation, qui nest jamais
prire car elle est - la fin du langage . Elle nest pas limite certaines
heures de la journe. Elle consiste liminer toute malhonntet
' intellectuelle, tout vagabondage mental ; elle exclut l'imagination.
Elle est -mouvement dans limmobilit, mouvement perptuel
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* mouvement attentif ; toujours neuve, car sans continuit ; * apoge
de toute nergie, car sans gaspillage dnergie. Elle transcende le
temps, veille la flicit, manifeste * laction du silence .
En sadressant tous ceux que le nom-et-forme des religions
laisse insatisfaits, en enseignant la perception des mouvements de sa
propre conscience et le dconditionnement de celle-ci, qui est le
meilleur contrepoison aux sectes, en invitant couter les voix du
cur et de la nature dont il souligne la beaut, Krishnamurti ne pouvait quavoir une audience croissante, et plus que jamais actuelle au
seuil du XXIe sicle. Son ultime message tient dans la libration de
tout, y compris de la qute spirituelle ; il conduit linexprimable.
Toutefois, en entranant les foules trs haut dans la montagne,
il leur fait courir le risque de les y abandonner et de les livrer
elles-mmes. Son enseignement sadresse en ralit une lite
capable de saffranchir sans superbe de toute autorit, suffisam
ment mre et lucide pour se reconnatre en lui.
Principaux ouvrages
ditions Stock
Aux tudiants, trad. C. Suars, 1972. La Rvolution du silence,
trad. C. Suars, 1977 / Livre de poche, 1995. Tradition et Rvolution,
trad. N. Kossiakov, 1978. La Premire et Dernire Libert, trad.
C. Suars, 1979. Se librer du connu, trad. C. Suars, 1990.
ditions du Rocher
La Flamm e de l attention, trad. J.-M. Plasait, 1987. De la vie et
de la mort, trad. C. Joyeux, 1994. La Relation de l'homme au
monde, trad. V. de Charrire, 1995. De la libert, trad. L. Larreur,
J. M. Plasait, 1996.
Autres ditions
De l ducation, trad. C. Suars, Delachaux-Niestl, 1967. De la
connaissance de soi, trad. C. Suars, Le Courrier du Livre, 1992. Le
Journal de Krishnamurti, trad. N. Tisserand, Buchet-Chastel, 1995.
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Dans le texte
Lindividu est de premire importance, non le systme. Le but
de lducation nest pas de produire des rudits, des techniciens
ou des quteurs demploi, mais des hommes et des femmes int
grs et librs de la peur, car ce nest quentre de tels tres que la
paix pourra s'instaurer.
Un autre but de l ducation est de crer de nouvelles valeurs,
de sorte quen atteignant leur maturit, les individus puissent
aborder avec intelligence les problmes qui surgissent devant eux.
Le savoir nest pas la sagesse. La sagesse n'est pas le fruit de
la peur et de loppression, elle surgit lorsquon observe et com
prend les incidents quotidiens, dans les relations humaines.
Si nous voulons changer les conditions existantes, nous
devons dabord nous transformer nous-mmes, c'est--dire deve
nir conscients de nos actions, de nos penses, de nos sentiments
dans notre vie quotidienne.
La vraie ducation a pour but la libert individuelle, qui seule
peut tablir une coopration entre lindividu et la collectivit.
La vraie ducation commence par celle de lducateur. Il doitse comprendre lui-mme et tre affranchi des faons de penser
strotypes. Car son enseignement est limage de ce qui est.
Lenseignement nest pas un panouissement de la personnalit
du matre, mais labngation de soi.
tre cratif, ce nest pas simplement produire des pomes, des
statues ou des enfants, cest tre dans un tat o la vrit peut entrer
en existence. La vrit nat lorsquil y a cessation complte de la
pense ; et la pense ne disparat que lorsque le moi est absent.
De l ducation
La pense nest jamais innocente. La mditation met fin la
pense, mais non par l'action de celui qui mdite, car celui qui
mdite nest autre que la mditation.
O La mort que provoque la mditation est limmortalit du neuf.
Le neuf nest pas dans le champ de la pense, et la mditation est
le silence de la pense.
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Linnocence est au-del de la pense, laquelle, quoi quelle
fasse, ne peut jamais latteindre, car la pense est toujours vieille.
Cest linnocence, comme lamour, qui est immortelle.
Limmensit du silence est l'immensit dune conscience en
laquelle nexiste pas de centre.
La beaut est cet amour o le mesurable nest plus. Alors, cet
amour, quoi quil fasse, est beaut.
La mditation nest pas une activit dans lisolement, mais
une action dans la vie quotidienne, faite de coopration, de sensibilit et d intelligence.
tre seul, c est tre un tranger qui nappartient aucune reli
gion, nation ou croyance, aucun dogme. tre seul est ltat dune
innocence que nont jamais atteint les mfaits commis par
lhomme : cest une innocence qui peut vivre dans le monde, avec
toutes ses confusions, et pourtant ne pas y appartenir.
Vous divisez la vie en ce qui est sacr et ce qui ne lest pas,
en ce qui est immoral et ce qui est moral. Cette division engendre
des malheurs et de la violence. Tout est sacr ou rien nest sacr.
Mditer, cest se vider du connu. Le connu est le pass.
la lumire du silence tous les problmes se dissolvent.
La Rvolution du silence
Je nagis pas en tant que gourou-, car, tout dabord, je ne
vous apporte aucune consolation ; je ne vous dis pas ce que vous
devriez faire ; je ne fais que vous montrer quelque chose que
vous tes libre d'accepter ou de refuser. La vrit ne peut vous
tre donne par personne. Il vous faut la dcouvrir. La compr
hension vient avec la perception de ce qui * est . Parvenir cet
tat o lon peroit instantanment la vrit est possible, et cest
la seule voie.
La vraie rvolution ne peut avoir lieu que lorsque vous, lin
dividu, devenez lucide dans vos rapports avec autrui. Se
connatre, cest studier en action, laquelle est relation.
Comment provoquer une transformation fondamentale, radi
cale de la socit ? Voil notre problme. Et cette transformation
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du monde extrieur ne peut pas avoir lieu sans une rvolution
intrieure. Ce que vous tes, le monde lest.
La comprhension de ce qui est exige un tat desprit en lequel
il ny a ni identification ni condamnation, ce qui implique un esprit vif
et pourtant passif. Lintensit de lintrt engendre cet tat desprit.
Il ny a pas de mthode pour se connatre. Notre compr
hension nest pas un rsultat ; elle consiste se voir, dinstant en
instant, dans le miroir des rapports que lon entretient avec les
personnes, les choses, les possessions, les ides.
Penser ne rsout pas nos problmes. Penser est videmment
une raction.
Il ny a de possibilit de cration que lorsque lesprit est vide.
La peur est une souffrance. La peur est la non-acceptation de
ce qui est .
La peur nexiste que par rapport quelque chose. Cest lesprit
qui cre la peur. Seule la connaissance de soi peut vous affranchir
de la peur. La connaissance de soi est le commencement de la
sagesse et la fin de la peur.
Le moi est une force qui isole, qui dtruit, et je veux trouver
le moyen de la dissoudre.
Lamour nest pas dans le champ de lego. L o est lamour,
le moi nest pas.
Tant que nous nous mentons nous-mmes, sous quelque
forme que ce soit, il ne peut y avoir d amour. Lamour nappartient pas
au temps. Lamour est la seule chose qui soit ternellement neuve.
Sil y a de lamour, il ny a pas de problme social, ni besoin de
systmes de philosophie sur la faon de traiter ces problmes.
Lamour nest pas diffrent de la vrit.
Qui rsiste? Lorsque vous vous soumettez la volont de
Dieu, cest votre projection que vous vous soumettez. Les croyances
divisent les hommes. Elles sont dsintgrantes et destructrices.
Ma ralisation na rien faire avec ce que je dis ; et
lhomme qui rend un culte un autre parce que cet autre sest ra
lis adore en fait lautorit ; par consquent, il ne trouvera jamais
la vrit.
La Premire et Dernire Libert