la consecratio manquée de l. cornelius sulla felix

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HAL Id: halshs-01944434 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01944434 Submitted on 23 Sep 2019 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Copyright La consecratio manquée de L. Cornelius Sulla Felix Massimo Blasi To cite this version: Massimo Blasi. La consecratio manquée de L. Cornelius Sulla Felix. Revue des études anciennes, Re- vue des études anciennes, Université Bordeaux Montaigne, 2018, 120 (1), pp.57-71. halshs-01944434

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HAL Id: halshs-01944434https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01944434

Submitted on 23 Sep 2019

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L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinée au dépôt et à la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publiés ou non,émanant des établissements d’enseignement et derecherche français ou étrangers, des laboratoirespublics ou privés.

Copyright

La consecratio manquée de L. Cornelius Sulla FelixMassimo Blasi

To cite this version:Massimo Blasi. La consecratio manquée de L. Cornelius Sulla Felix. Revue des études anciennes, Re-vue des études anciennes, Université Bordeaux Montaigne, 2018, 120 (1), pp.57-71. �halshs-01944434�

ISSN 0035-2004

REVUE DES ÉTUDES ANCIENNESTOME 120, 2018 N°1

SOMMAIRE

ARTICLES :

Milagros Navarro Caballero, María del Rosario HerNaNdo SobriNo, À l’ombre de Mommsen :

retour sur la donation alimentaire de Fabia H[---]la................................................................... 3Michele bellomo, La (pro)dittatura di Quinto Fabio Massimo (217 a.C.): a proposito di alcune

ipotesi recenti ................................................................................................................................ 37Massimo blaSi, La consecratio manquée de L. Cornelius Sulla Felix ......................................... 57Sophie Hulot, César génocidaire ? Le massacre des Usipètes et des Tenctères (55 av. J.-C.) ... 73Lee FrataNtuoNo, The Wolf in Virgil ............................................................................................ 101Gabrielle Frija, Les notables de Stratonicée de Carie à l’époque antonine : hétérogénéité ..........

juridique, homogénéité sociale ..................................................................................................... 121

QUESTIONS ET PERSPECTIVES

Claude aziza, L’Antiquité au cinéma............................................................................................ 141

LECTURES CRITIQUES

Philippe RouSSeau, Un parcours audacieux : Hésiode de l’Enûma elish au Paradis perdu ........ 149Françoise-Hélène maSSa-Pairault, Des Attalides à Rome. Perspectives sur Pergame ............... 163

Comptes rendus ............................................................................................................................. 187Notes de lectures ........................................................................................................................... 323Liste des ouvrages reçus ............................................................................................................... 327

48€ ISBN 979-10-300-0288-1

REA, T. 120, 2018, n°1, p. 57 à 71

* Je tiens à remercier mon ancien maître Augusto Fraschetti, aux Manes duquel je consacre cet article. Je remercie aussi Frédéric Hurlet, Robinson Baudry et Francesca Rohr Vio pour leur habituelle disponibilité et les experts anonymes ayant relu cet article pour leurs remarques et leurs conseils. Les traductions sont celles de la CUF, parfois légèrement modifiées.

** Sapienza. Università di Roma ; [email protected]

LA CONSECRATIO MANQUÉE DE L. CORNELIUS SULLA FELIX*

Massimo BLASI**

Résumé. – Il est possible d’identifier dans les sources anciennes des éléments témoignant d’un projet qui aurait dû aboutir à la divinisation de L. Cornelius Sylla Felix, mais qui avorta. Nous nous proposons de montrer que ce projet est l’œuvre de Sylla et pas seulement une invention de l’historiographie contemporaine et ultérieure dans le cadre du débat (ancien et moderne) autour de l’image du dictateur.

Abstract. – Through ancient sources it is possible to identify elements proving the existence of a project which aimed to the divinization of L. Cornelius Sylla Felix the dictator. We strive to demonstrate that beyond this project there was Sylla himself and that it was not a mere invention of contemporary and subsequent historiography.

Mots-clés. – Sylla, consécration, Auguste, Romulus, crémation, Champs de Mars, Palus Caprae.

Keywords. – Sylla, consecratio, Auguste, Romulus, incineration, Campus Martius, Palus Caprae.

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« Le jour des funérailles, comme le ciel fut nuageux dès le matin et que l’on s’attendait à la pluie, on ne fit la levée du corps qu’à la neuvième heure. Alors un vent violent souffla sur le bûcher, y faisant surgir une grande flamme, et l’on eut tout juste le temps, quand le bûcher s’affaissa et que le feu s’éteignit, de ramasser les ossements, car aussitôt une pluie abondante se mit à tomber et dura jusqu’à la nuit. Il semblait ainsi que sa Fortune le suivait jusqu’au bout et prenait part à ses funérailles ».

Dans ce célèbre passage de la Vie de Sylla, Plutarque souligne la présence des dieux aux funérailles de L. Cornelius Sylla Felix sous la forme d’éléments naturels et de la Fortune, même s’il n’y eut pas de divinisation pour le défunt dictateur. En effet, comme Jérôme Carcopino le rappelle,

« Les funérailles de Sylla n’avaient point été accompagnées d’une cérémonie officielle de divinisation ; mais la pluie providentielle qui attendit, pour tomber sur son bûcher, l’achèvement de son incinération, associa visiblement le ciel aux hommages humaines qui lui étaient rendus et consacra sa divinité dans l’opinion populaire » 1.

Même s’il est bien établi que Sylla ne fut pas divinisé, il est possible d’identifier dans les sources des éléments témoignant de l’existence d’un projet qui aurait dû aboutir à sa divinisation, mais qui avorta. Nous essayerons de comprendre si ce projet est l’œuvre de Sylla ou si c’est une invention de l’historiographie contemporaine et ultérieure dans le cadre du débat (ancien et moderne) autour de l’image du dictateur.

Nous nous proposons de revenir sur la vie et l’œuvre politique du dictateur L. Cornelius Sulla Felix pour nous interroger sur la procédure qui donne à un homme décédé le statut d’un dieu (diuus) et qui porte le nom de consecratio. Tout d’abord nous commencerons par l’examen de la documentation concernant la crémation du corps de Sylla et le lieu de son bûcher, pour suivre avec sa Felicitas, l’association entre lui et Romulus, le rapport étroit avec les dieux, le cas d’Auguste comme un élément précieux pour mieux comprendre le cas syllanien et finalement nous essayerons de démontrer que Sylla avait projeté sa consecratio, même s’il s’agit d’une interprétation possible.

LA CRÉMATION DU CORPS DE SYLLA

Comme il a été récemment démontré 2, les funérailles publiques de Sylla en 78 constituèrent un moment délicat pour ses partisans, qui étaient sur la défensive après avoir fait l’objet de fréquentes attaques de la part des populares et de leur chef Lépide. Ces derniers, en réclamant de jeter le corps du défunt dans le Tibre, projetèrent de renverser le gouvernement en place. On comprend dans ces conditions pour quelle raison les syllaniens organisèrent pour leur chef

1. J. carcoPino, Sylla ou la monarchie manquée, Paris 1931, p. 229.2. M. blasi, Strategie funerarie. Onori funebri pubblici e lotta politica nella Roma medio e tardorepubblicana,

Rome 2012, p. 22-23.

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une fastueuse pompa funebris 3 : celle-ci devait décourager leurs adversaires en les empêchant de mener à bien ce projet révolutionnaire. Le rapport étroit entre le corps du défunt et le corps civique est donc évident 4.

Malgré la portée de la cérémonie à laquelle prirent part les plus hautes autorités civiles et religieuses, les funérailles ne pouvaient à elles seules suffire à atteindre cet objectif : un iustitium fut donc proclamé. Une de nos sources, Granius Licinianus 5, souligne que la crémation de Sylla résulta d’une décision de L. Marcius Philippus, partisan du défunt dictateur 6, qui craignait que les populares ne fassent au corps du défunt ce que de son vivant Sylla avait fait à celui de C. Marius. Toujours selon Granius Licinianus, et non sans vraisemblance, Sylla aurait préféré l’inhumation à la crémation, évidemment dans le respect de l’ancienne tradition de sa famille. Toutefois, il faut considérer qu’étant donné l’identification entre le corps de Sylla et le corps politique de Rome, la protection de Sylla en tant que défunt était prioritaire pour ses partisans, dans la mesure où la condamnation de leur chef signifiait à la fois leur mise à l’écart, puisqu’ils avaient été mis au pouvoir par Sylla, et l’échec de la restauration entreprise par les optimates – situation qu’on retrouva à la mort de Jules César 7. Cependant un autre élément du dossier, en contradiction avec ce qu’en dit Granius Licinianus, réside dans les témoignages de Cicéron 8 et de Pline l’Ancien 9, qui attribuent à Sylla et non à ses partisans le choix de la crémation 10.

LE LIEU DU BÛCHER ET LA DISPARITION DE ROMULUS

Si la crémation de Sylla fut donc pour ses partisans une nécessité, ce choix apparaît tout à fait normal aux yeux des historiens à partir du moment où l’on considère les usages funéraires de la République tardive 11. Cependant, un détail présente un intérêt tout particulier : le lieu où

3. Pour la description, cf. App., civ., I, 105 qui parle d’un lit funèbre « en or et digne d’un roi ».4. L’outrage fait au corps rappelle l’épisode des Gracques, qui furent des populares victimes des optimates,

ce qui témoigne du fait que ces stratégies n’étaient pas une exclusivité de l’une ou de l’autre tendance politique, mais un patrimoine partagé qui, à l’occasion, pouvait être utilisé par l’une ou l’autre des deux factions.

5. Gran. Licin. XXXII-XXXIII Flemisch : Condi corpus iusserat [scil. Sulla] non comburi. Sed L. Philippus cremandum potius censuit, ne idem Sullae eveniret quod C. Mario, cuius corpus milites inimici extractum monumento disiecerant. Itaque iustitium fuit matronaeque eum toto anno luxerunt. In campo Romae sepultus est amplissimo funere elatus magna populi frequentia. Cuius rogo quom ignis esset inlatus, non mediocris imber est insecutus.

6. Gran. Licin. XXXIII Flemisch. Une partie de la critique pense qu’il faut l’identifier avec l’homme « le plus éloquent des orateurs romains de l’époque » (App., civ., I, 106) qui prononça le discours funèbre en l’honneur de Sylla ; cf. W. kierdorF, Laudatio funebris. Interpretationen und Untersuchungen zur Entwicklung der römischen Leichenrede, Meisenheim 1980, p. 137.

7. M. blasi, op. cit., p. 38-40.8. Cic., leg., II, 57.9. Plin., nat., VII, 187.10. W. letzner, Lucius Cornelius Sulla. Versuch einer Biographie, Münster 2000, p. 319 pense que la

crémation est un choix personnel de Sylla, mais il n’explique pas pour quelle raison.11. M. blasi, op. cit., p. 109.

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le bûcher fut placé, le Champ de Mars. À ce sujet le poète Lucain écrit : « Est-ce cela qui a mérité à Sylla d’être appelé le Sauveur de l’Univers, l’Heureux, et de se faire élever un tombeau au milieu du Champs de Mars ? » 12. Le poète y met l’accent sur trois mots, d’une grande importance : felix, tumulum et medio. Il s’agit de termes ayant un rapport précis avec Sylla. Le premier renvoie à la Felicitas, la faveur divine dont le dictateur aurait été protégé jusqu’à la fin de sa vie ; le deuxième au type de tombeau qui fut érigé en son honneur ; le troisième au lieu où le tombeau fut placé, le Champ de Mars central, un endroit que les Romains connaissaient très bien grâce au « Marais de la Chèvre » (le palus Caprae), où Romulus avait quitté la terre pour monter au ciel sous la forme du dieu Quirinus 13. C’est toujours là, rappelons-le, qu’Agrippa fit bâtir le Panthéon et que les bûchers des princes (les ustrina) furent élevés, en raison du caractère sacré de cette région de Rome 14 (il n’est pas étonnant que dans la même région de Rome, sous l’actuel Palais de Montecitorio, se trouve l’ustrinum d’Auguste 15). Toutefois, avant Sylla le seul cas connu de sépultures est le double tombeau pour P. et Cn. Cornelii Scipiones, quoique, nous le rappelons, on ignore son emplacement exact (en plus, l’on ne sait pas s’il s’agissait d’un véritable tombeau ou bien, comme il paraît plus vraisemblable, d’un cénotaphe) 16.

Sylla devait bien connaître la symbolique de ces lieux, et notamment la mémoire historique attachée au palus Caprae. Comme l’écrit U. Laffi : « Sylla aimait se présenter […] en tant que nouveau Romulus, sauveur et père de la patrie, instaurateur d’un nouvel ordre » 17. Il est

12. Lucain II, 221-222 : Hisne salus rerum, Felix his Sulla vocari, / his meruit tumulum medio sibi tollere Campo ?

13. A. Fraschetti, Romolo il fondatore, Rome-Bari 2002, p. 120-121 (et 104-109 pour les nombreuses versions). Le savant pense à une origine césarienne de la tradition, conclusion que nous suivons.

14. Sur le tumulus, W. letzner, op. cit., p. 320, n. 106 ; A. carandini, P. caraFa, Atlante di Roma antica. Biografia e ritratti della città. Volume 1, Milan 2012, p. 103. Sur sa valeur sous la République tardive, H. von hesberg, Römische Grabbauten, Darmstadt 1992, p. 94 ; C. giatti, « Architettura e linguaggio decorativo del monument funerario: modelli culturali e forme di rappresentazione a Roma tra II e I secolo a.C. » dans E. la rocca, A. d’alessio éd., Tradizione e Innovazione. L’elaborazione del linguaggio ellenistico nell’architettura romana e italica di età tardo-repubblicana, Rome 2011, p. 148-149, n. 86 et p. 154-155. Pour la crémation comme promesse d’apothéose, F. coarelli, Il Campo Marzio. Dalle origini alla fine della Repubblica, Rome 1997, p. 592 ; J. arce, Funus imperatorum. Los funerales de los emperadores romanos, Madrid 1988, p. 27, n. 69-73. Sur le palus Caprae, S. montero, « Los prodigios en la vida del ultimo Caesar » dans G. urso éd., L’ultimo Cesare. Scritti riforme progetti poteri congiure, Rome 2000, p. 231-244. Sur le Champs de Mars en tant que lieu de sépulture voir B. Porcari, « Campo Marzio settentrionale. Un nuovo monumento funerario da via Tomacelli » dans F. FiliPPi éd., Campo Marzio, Rome 2016, p. 453-454.

15. Cf. F. coarelli, op. cit., p. 601 ; K.-J. hölkeskamP, « Rituali e cerimonie “alla romana”. Nuove prospettive sulla cultura politica dell’età repubblicana », Studi Storici 47, 2006, p. 356, n. 102.

16. M. blasi, op. cit., p. 69-71. B. Porcari, op. cit., p. 439-448 décrit aussi un nouveau tombeau repéré Via Tomacelli, près du Mausolée d’Auguste, daté de la première moitié du IIe siècle av. J.-C. (terminus post quem), dont on ne connaît ni le défunt ni sa famille et qui, de toute façon, ne faisait pas partie des tombeaux du Champ de Mars central, pour lequel en l’état présent le cas de Sylla demeure le plus ancien.

17. « Silla amava presentarsi […] come nuovo Romolo, il salvatore e il padre della patria, l’instauratore di un nuovo ordine » (U. laFFi, « Il mito di Silla », Athenaeum 45, 1967, p. 255).

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fort possible que le dictateur ait pensé à Romulus, quand il conçut le projet de son tombeau (pour son corps ou ce qui en resterait après la crémation sur un bûcher sans doute juste à côté) dans un endroit si étroitement lié à l’apothéose du premier roi légendaire de Rome. En effet, même de son vivant Sylla avait été comparé à Romulus à plusieurs reprises, notamment à l’occasion de son triomphe de 81 av. J.-C. lorsque le dictateur avait été appelé « sauveur et père » en souvenir de Romulus, comme le souligne E. Gabba 18. Selon M. Ver Eecke, l’épithète pater ne serait pas dû à la propagande philo-syllanienne, mais à celle des conservateurs qui, en s’éloignant du nouveau Sylla Felix (à leur avis dangereusement novateur), l’appelèrent pater. Évidemment, ils jugeaient que le « romulisme » de Sylla était moins dangereux que sa Felicitas considérée comme ambiguë 19. À Rome, c’était Romulus qui incarnait le modèle du pater : au moment de sa mort, les Romains l’avaient salué comme parens d’après la tradition 20 et, plus encore, ils avaient employé la métaphore de l’autorité paternelle pour en décrire le règne 21. Le dictateur devait s’imaginer comme un nouveau fondateur de Rome et donc comme un nouveau Romulus, non pas au sens d’un monarque, mais plutôt au sens républicain et donc aristocratique. À l’appui de cette hypothèse, on rappellera le passage de Lucain, déjà mentionné. C’est donc selon toute vraisemblance Sylla qui fit ériger son propre monument funéraire, un tumulus, et qui en choisit l’emplacement, le Champ de Mars medius, deux éléments traditionnellement associés à Romulus en tant que fondateur, qui demeure un aspect auquel la Felicitas du défunt, citée à la ligne suivante, renvoie.

LA FELICITAS DE SYLLA

La Felicitas de Sylla, comme on le sait bien, descend du thème de la Fortuna du roi Servius Tullius, considéré comme le fondateur de la ville de Rome (alter conditor, le deuxième fondateur) 22 ; pour cette raison, Sylla s’inspira également de lui (par exemple à travers l’extension du pomerium) 23, même s’il n’avait aucunement l’intention de se présenter

18. Plut., Syll., XXIV, 1 cf. E. gabba, « Studi su Dionigi di Alicarnasso », Athenaeum 38, 1960, p. 220-221. 19. M. ver eecke, La République et le roi. Le mythe de Romulus à la fin de la République romaine, Paris 2008,

p. 177.20. H. wagenvoort, Studies in Roman Literature, Culture and Religion, Leyde 1956.21. T. R. stevenson, « The Ideal Benefactor and the Father Analogy in Greek and Roman Tought », CQ 42,

1992, p. 421-436.22. P.-M. martin, « Servius Tullius et les Imperatores » dans Aa.Vv., La Rome des premiers siècles. Légende

et histoire (Actes de la Table Ronde en l’honneur de Massimo Pallottino, Paris 3-4 Mai 1990), Florence 1992, p. 178-181.

23. À propos de l’expansion du pomerium, voir l’utile synthèse de M. andreussi, « Pomerium » dans E. M. steinby éd., Lexicon Topographicum Vrbis Romae, IV, Rome 1999, p. 101 ; cf. Fr. hurlet, La dictature de Sylla : monarchie ou magistrature républicaine? Essai d’histoire constitutionnelle, Rome 1993, p. 130. G. S. sumi, « Spectacles and Sulla’s Public Image », Historia 51, 2002, p. 426-427 la met en rapport avec la reconstruction du Capitole détruit en 83 av. J.-C., en envisageant dans les deux interventions l’expression de l’abondance dont Sylla faisait preuve dans sa propagande ; Fr. hinard, Sullana Varia. Aux sources de la première guerre civile romaine, Paris 2008, p. 66-69 observe que cette « modification de l’espace civique était la conséquence d’une

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comme un souverain : sa recusatio imperii le prouve. En effet, il y a d’autres exemples à ce sujet : l’allusion de Sylla à Titus Larcius, premier dictateur après l’expulsion de Tarquin le Superbe, avec laquelle Sylla exprimait ses vœux pour un retour à la République originelle. C’est toujours à travers Larcius, qui avait été élu dictateur, que Sylla essaya de légitimer sa dictature. Tout cela fait partie du « mythe républicain » de Sylla, mythe qui s’oppose à l’autre, le « tyrannique », construit par ses ennemis, qui mirent l’accent sur sa tendance monarchique en critiquant sa dictature, une magistrature qui à cause de ses pleins pouvoirs faisait penser aux rois 24.

Un élément supplémentaire prouvant le lien à établir entre Sylla et les rois se trouve dans le passage d’Appien précisant que l’abandon du pouvoir de la part de Sylla et sa transmission non pas à ses fils, « mais en faveur de ceux-là mêmes qui étaient soumis à sa tyrannie » (turannoumenois), est « un fait extraordinaire » (en Grec, thauma) qui contraste avec l’attitude de toute une série de rois dont il cite les noms : « Ptolémée en Égypte, Ariobarzane en Cappadoce et Séleucos en Syrie » 25. Appien et sa source paraissent surpris tant un tel comportement, de la part de Sylla, ne leur semble pas vraisemblable. Cet étonnement est d’un grand intérêt pour nous. Il prouve en effet que sous l’Empire, l’image qu’on avait du dictateur était encore manifestement déformée par la propagande mise en place par ses ennemis après 81 av. J.-C., année du triomphe de Sylla et (peut-être) de l’abdication de sa dictature 26. À ce

réforme institutionnelle » et qu’« il est possible de l’analyser en la mettant plus précisément en rapport avec l’œuvre du dictateur en général et avec la prolatio pomerii en particulier », en concluant que « l’élargissement du pomerium achevait de fonder la nouvelle Rome », étant donné que « c’est Claude qui est responsable du lien entre pomerium et conquête ». Datée en l’an 81 av. J.-C. (plutôt qu’en 80 av. J.-C.), la prolatio pomerii (« extension du pomerium ») fut un droit acquis par Sylla grâce à la lex Valeria, loi lui permettant de scribere leges et rem publicam constituere (Fr. hurlet, La dictature de Sylla..., op. cit., p. 95 et 97 avec bibliographie détaillée) et aussi de fonder des colonies (Plut., Syll., XXXIII, 1 ; cf. A. simonelli, « Considerazioni sull’origine, la natura e l’evoluzione del Pomerium », Aevum 75, 2001, p. 154). M. ver eecke, op. cit., p. 156-159 n’y voit pas l’indice d’une tendance monarchique, mais la conséquence des pouvoirs d’augure de Sylla (même si son augurat n’est pas assuré : cf. la discussion récente autour de sa datation, en 84 ou bien fin 82 avant J.-C., dans P. assenmaker, « L. Sylla imperator et imperator iterum : pour une réévaluation de la chronologie des émissions monétaires de Sylla (RRC 367368 et 359) », RN 170, 2013, p. 259 n. 62). Sur Servius Tullius, alter conditor, D. briquel, « Des rois venus du nord » dans Fr. hinard éd., Histoire romaine : tome I, des origines à Auguste, Paris 2000, p. 85-130 ; M. ver eecke, op. cit., p. 159, n. 245.

24. M. ver eecke, op. cit., p. 141-142 et 145-146.25. App., civ., I, 103; cf. Suet., Iul., LXXVII, qui fait tenir à César le propos selon lequel « Sylla se conduisit

comme un écolier quand il abdiqua la dictature ». 26. Fr. hurlet, « Pouvoirs extraordinaires et tromperie. La tentation de la monarchie à la fin de la

République romaine (82-44 av. J.-C.) » dans A. turner, J.H.K.O chong-gossard, Fr. J. vervaet éds., Private and Public Lies. The Discourse of Despotism and Deceit in the Graeco-Roman World, Leyde 2010, p. 110 n. 9. Fr. hurlet, La dictature de Sylla..., op. cit., p. 167-168 : « […] à la fin de l’année 81 (ou durant l’été 80), son œuvre politique achevée, il [scil. Sylla] déposa un pouvoir qui n’avait plus aucune justification. Cet acte prouve de manière indéniable que dans l’esprit de Sylla, la dictature ne devait pas être le commencement d’un régime monarchique, mais seulement une phase d’exception, une parenthèse, pour remanier les institutions républicaines et leur imprimer une nouvelle vie. L’abdication était aussi une preuve de la cohérence logique et politique de son vaste programme […] ». Fr. J. vervaet, « The lex Valeria and Sulla’s Empowerment as Dictator (82-79 BCE) »,

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moment-là, Sylla avait perdu la faveur des optimates, gênés par la Felicitas du dictateur qui laissait présager trop de changements. En outre, à propos des rapports entre Sylla et les rois et dans la description des funérailles du dictateur, Appien 27 mentionne le lit digne des rois (kosmos basilikos) et la sépulture au Champ de Mars 28, « où les rois sont ensevelis » (entha basileis thaptontai monoi) 29. Citons enfin un passage long et débattu des Antiquités romaines de Denys d’Halicarnasse 30, où la constitution de Romulus est présentée d’une façon qui rappelle celle de Sylla et qui donne du premier roi le portrait « syllanien » d’un homme soutenu par le Sénat 31. Comme l’écrit E. Gabba, cette version « faisait de Sylla en 81 av. J.-C. le sauveur de la Patrie, le père de la Patrie, le nouveau Romulus » 32. Ce savant pense que cette tradition dérivait des sources qui accusent Sylla d’adfectatio regni et le critiquent à travers la condamnation de Romulus, même si Sylla se comparait à Romulus non pas en raison d’un sentiment monarchique, mais parce qu’il lui fallait se présenter comme un nouveau fondateur s’il voulait légitimer sa dictature 33. D’une façon similaire, en 88 av. J.-C., Sylla s’inspira du

Cahiers Glotz 15, 2004 pense plutôt à l’année 79 av. J.-C. comme date de l’abdication de la dictature. Toutefois, ses arguments ne nous paraissent pas suffisamment convaincants : pensons, par exemple, à l’interprétation qu’il donne d’un passage d’Appien (civ., I, 103), notamment du sens du syntagme megalè archè : le savant y voit la dictature de Sylla (Fr. j. vervaet, op. cit., p. 60-61), alors que le contexte du passage fait traditionnellement penser à son deuxième consulat (E. badian, « Additional Notes on Roman Magistrates », Athenaeum 48, 1970, p. 8-14) ; ou bien pensons au recours à des argumenta ex silentio (cf. Fr. j. vervaet, op. cit., p. 63 sur le passage de Cic., Rosc. Am., CXXXIX : « […] this intriguing statement need not imply that he abdicated already in 81. If that had been the case, Cicero could have easily made this clear ») et à des interprétations un peu libres (cf. Fr. j. vervaet, op. cit., p. 63 où à propos de Plut. Syll. VI, 5, qui ne mentionne que le consulat de Sylla, on lit : « In my opinion, this valuable passage shows that Sulla was still really dictator in 80, but presented himself solely as consul »). Sur le problème de la durée de la dictature de Sylla, cf. Fr. hinard, op. cit., p. 58-60, qui démontre que ce problème est posé par un passage d’Appien (civ. I, 9-10) d’interprétation difficile, faisant l’objet de nombreuses études (p. 56, n. 74 pour la bibliographie précédente) : « Il faut se rendre à l’évidence, la dictature n’avait pas duré plusieurs années. Mais je crois avoir démontré, pour ma part, que l’abdication de la magistrature s’était produite au bout de six mois, durée traditionnelle de la magistrature » (Fr. hinard, op. cit., p. 57).

27. App., civ., I, 105.28. App., civ., I, 106.29. F. coarelli, Il Campo Marzio..., op. cit., p. 156 écrit que le mot basileis signifie « rois », alors

qu’E. gabba éd., Appiani Bellorum Civilium liber primus. Introduzione, testo critico e commento con traduzione e indici, Florence 1958, p. 292 penche plutôt pour « princes » en attribuant à Appien le renvoi à l’usage impérial d’ensevelir les princes dans cette région de Rome. Mais il faut se rappeler que les princes avaient leurs bûchers et tombeaux au Champ de Mars central, parce qu’à l’origine les rois y étaient ensevelis (et, après, Sylla et César aussi le furent). Les deux interprétations ne nous paraissent donc pas inconciliables.

30. Dion.H., ant., II, 7-29 ; U. laFFi, art. cit., p. 256. Pour l’état de la question, voir A. delcourt, Lecture des Antiquités romaines de Denys d’Halicarnasse. Un historien entre deux mondes, Bruxelles 2005, p. 314-340.

31. Romulus, en effet, avait créé le Sénat et opéré la première lectio (« choix ») pour y intégrer les Sabins de Titus Tatius (M. ver eecke, op. cit., p. 166-167).

32. « […] faceva di Silla, nell’81 a.C., il salvatore della Patria, il padre della Patria, il nuovo Romolo » (E. gabba, « Studi su Dionigi di Alicarnasso... », art. cit., p. 220-221).

33. Ibid., p. 216-218 et 224.

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modèle de Servius Tullius pour réformer l’ordre de vote dans les comices centuriates 34. Du même, pour la lectio senatus de l’année 81 av. J.-C., Sylla dut s’inspirer du modèle de Romulus ou de Servius Tullius 35, voire selon E. Gabba d’autres grandes figures de l’histoire romaine 36, qu’il ne nous est pas possible d’identifier 37. Pour cette raison, on peut parler de « l’éclectisme politique » de Sylla, similaire à son éclectisme religieux, par ailleurs bien connu.

L’ASSOCIATION ENTRE SYLLA ET ROMULUS

À partir de 81 av. J.-C., les populares et une partie des conservateurs employèrent l’association entre Sylla et Romulus pour noircir l’image de Romulus, qui devint un tyran cruel et méchant 38. Les accusations contre Romulus rappellent celles qui furent adressées à Sylla à propos des confiscations, des distributions des terres, de la concession de la citoyenneté et de l’opposition entre anciens et nouveaux citoyens 39. C. Licinius Macer 40, Denys d’Halicarnasse 41 et Plutarque constituent à ce sujet des sources précieuses 42.

À l’inverse, l’image de Sylla fut construite à partir de celle de Romulus. Salluste écrit ainsi que Lépide appelait Sylla « ce cruel tyran » et que Cicéron dénonce souvent la royauté de Sylla 43. Quoiqu’il s’agisse de traditions hostiles au dictateur, elles se fondaient sur une réalité indiscutable : Sylla s’inspirait de Romulus, même si c’était le fondateur et non le roi qu’il prétendait imiter. À ce sujet, il y a plusieurs éléments probants : l’extension du pomerium 44, la

34. Il a été soutenu, sur la foi d’arguments convaincants, que le pamphlet de Denys d’Halicarnasse n’était pas l’œuvre des syllaniens, mais le fruit de la pensée politique de l’historien grec (M. ver eecke, op. cit., p. 176 ; cf. P.-M. martin, op. cit, p. 174-175 ; A. delcourt, op. cit., p. 340). Cependant, il est possible que l’historien grec ait développé le pamphlet à partir de ce que la propagande syllanienne disait, en présentant Romulus (et Servius Tullius) comme un modèle pour Sylla.

35. La comparaison avec Romulus est très étroite, même si la procédure suivie par ce roi concernait les seuls patriciens, alors que Sylla fit un pas en arrière face à la question des tribus.

36. Comme celui de Brutus, qui avait instauré la concorde, en rendant au Sénat sa puissance et en y faisant rentrer les chevaliers, tout comme Sylla le fit : E. gabba, « Il ceto equestre e il senato di Silla », Athenaeum 34, 1956, p. 132-133.

37. C’est certain que, au moins pour la réforme du Sénat, la période de référence était pour les Romains du temps de Sylla la période royale : M. ver eecke, op. cit., p. 170.

38. Voir à ce sujet Fr. hurlet, « Pouvoirs extraordinaires et tromperie... », op. cit., p. 111-112.39. E. gabba, « Studi su Dionigi di Alicarnasso... », art. cit., p. 221.40. U. laFFi, art. cit., p. 258, n. 119.41. Dion.H., ant., II, 56 ; cf. E. gabba, « Studi su Dionigi di Alicarnasso... », art. cit., p. 221, n. 131.42. Plut., Rom., XXVI-XXVII. L’« assassinat » de Romulus devait remonter à cette tradition : Liv. I, 16, 4

(R. M. ogilvie, A Commentary on Livy. Books 1-5, Oxford 1965, p. 86).43. Cicéron insiste sur l’omnipotence du dictateur à plusieurs reprises dans le discours pro Roscio Amerino

(en particulier, XXII ; CXXXI ; CXXXVII et CXXXIX). Salluste, dans le célèbre discours de Lépide (hist., I, 55, 5), appelle Sylla scaeuus iste Romulus (cf. P. mcgushin, Sallust: The Histories. Translated with Introduction and Commentary. Volume 1, Oxford 1992, p. 115).

44. Voir supra.

la consEcratio manquée de l. cornelius sulla Felix 65

reprise de la Felicitas de Servius Tullius 45 (l’alter conditor), le lien entre l’éducation de Sylla et celle de Servius Tullius 46, le rapport gentilice avec Caeculus, ancêtre de la gens Caecilia à laquelle Sylla appartenait grâce à sa femme Caecilia Metella 47. Il faut donc distinguer entre l’interprétation de l’œuvre de Sylla présentée par ses contemporains, les hommes politiques et les historiens ultérieurs, comme Frédéric Hurlet l’a rappelé 48.

En somme, le choix du tombeau et de son emplacement sur le Champ de Mars central, le type de rite funéraire, la crémation, et les funérailles dignes d’un roi semblent être le résultat d’un projet précis de Sylla, qui de son vivant avait déjà beaucoup exploité son propre rapport idéologique avec Romulus. Un jeu tout à fait dangereux et qui comportait des risques.

SYLLA ET LES DIEUX

L’allusion à la disparition de Romulus suggérée par la proximité du palus Caprae n’est pas une simple coïncidence : elle devait préparer la consécration de Sylla, homme dont le rapport étroit avec les dieux avait toujours été mis en place par lui-même et ses partisans grâce à toute une propagande 49.

Pensons à la façon dont Sylla présenta sa dictature, comme Frédéric Hurlet l’a bien démontré 50, ou encore au lien instauré par Sylla entre lui-même et Hercule et Énée, deux personnages-clés de la mémoire culturelle romaine. Sylla se rattachait à Hercule, à travers l’« Hercule Syllanien » 51 et la dîme qu’il offrit au temple du dieu en 81 av. J.-C. 52 et à Énée, à travers le cognomen grec Epaphroditos, « descendant d’Aphrodite » 53. La raison du choix de ces personnages réside dans le fait que les deux étaient des fondateurs et qu’ils montèrent au ciel après leur mort : était-ce un hasard ? Nous ne le croyons pas.

45. F. coarelli, Il foro boario : dalle origini alla fine della Repubblica, Rome 1988, p. 253-328.46. P.-M. martin, op. cit., p. 179.47. M. ver eecke, op. cit., p. 131. Finalement, le motif du feu est commun à Servius Tullius et à Caeculus,

comme on le lit dans une tradition de Promathion citée par le seul Plutarque (Plut., Rom., II, 4-5), peut-être encore connue dans la Rome de Sylla (M. ver eecke, op. cit., p. 132-133).

48. Fr. hurlet, « Pouvoirs extraordinaires et tromperie... », op. cit., p. 109 et 111-112.49. M. ver eecke, op. cit., p. 179 voit dans les optimates les responsables de la « romulisation » de Sylla

après sa mort ; à son avis, les funérailles ne seraient pas à interpréter comme une imitation de la fin de Romulus afin de donner de Sylla l’image d’un nouveau dieu ; en effet, Sylla, à la différence de Romulus, ne reçut pas d’honneurs divins, mais humains. On rappelle que son corps avait été incinéré selon le rite, alors que celui de Romulus disparut et que ses funérailles, bien qu’exceptionnelles, n’avaient rien de divin. Le modèle des funérailles de Sylla aurait été des funérailles pour les summi uiri républicains. Cependant, le passage de Lucain II, 221-222 prouve que Sylla joua un rôle déterminant dans l’organisation de ses funérailles et ouvre une perspective différente, sur laquelle nous reviendrons plus loin.

50. Fr. hurlet, La dictature de Sylla..., op. cit.51. E. S. ramage, « Sulla’s Propaganda », Klio 73, 1991, p. 113-114 et 118-119; Fr. hurlet, La dictature de

Sylla..., op. cit., p. 123-124.52. Plut., Syll., XXXV, 1 et Fr. hurlet, La dictature de Sylla..., op. cit., p. 129.53. E. S. ramage, art. cit., p. 100-102 ; Fr. hurlet, La dictature de Sylla..., op. cit., p. 115-118.

66 massimo blasi

Avant de mourir, Sylla connut selon la tradition une expérience mystique : son génie lui apparut pour lui annoncer son prochain départ. Sylla se hâta alors d’écrire son testament et mourut aussitôt après 54. Le récit tiré des Mémoires de Sylla est généralement attribué à son affranchi L. Cornelius Epicadus, parce que l’on sait 55 que le dictateur arrêta son autobiographie deux jours avant sa mort 56. La présence d’un génie n’apporte rien de spécial à la personne de Sylla, tous les hommes en ayant un, mais le fait que le génie lui soit apparu est un événement exceptionnel : c’est un autre exemple du rapport privilégié que Sylla prétendait entretenir avec les dieux. À ce sujet, nous disposons de témoignages numismatiques 57 et de toute une série de passages tirés des Vies de Plutarque, notamment de celles de Sylla et de Marius 58, remplies d’épisodes sur la Felicitas du dictateur 59, le surnaturel 60 et les prophéties 61, autant d’éléments qui suggèrent que les Mémoires constituaient la source de ces récits 62. De même, les funérailles sont présentées comme un événement auquel les dieux prirent part, en parfaite cohérence avec la vie mystique de Sylla 63. Il s’agit du premier funus publicum attesté, un choix stratégique pour que Sylla se distingue de tous les autres personnages publics en s’inspirant du modèle gréco-oriental des funérailles destinées aux souverains divinisés 64.

54. App., civ., I, 105.55. App., civ., I, 105 ; cf. Plut., Syll., XXXVII. Il est possible que L. Licinius Lucullus, fidèle syllanien,

ait ordonné à Epicadus de compléter les Mémoires de Sylla, comme le pense J. carcoPino, op. cit., p. 234 sur la base du fait que Lucullus avait été nommé exécuteur testamentaire du défunt dictateur (Plut., Lucull., IV, 4 ; cf. Pomp., XV, 2).

56. Nous ne sommes pas convaincu par la traduction du grec graphon epausato donnée par T.J. cornell éd., The Fragments of the Roman Historians, vol. III, Oxford 2013, p. 291, où le syntagme est entendu comme « [scil. Sylla] acheva son œuvre » : sinon, comment expliquer ce que nous lisons dans Suet. gramm. XII, où l’on dit que l’affranchi Epicadus acheva les Mémoires laissées incomplètes par Sylla ? On pourrait rendre le syntagme avec « [scil. Sylla] arrêta d’écrire son œuvre », grâce à l’autre valeur qu’on peut donner au verbe pauo (ThLG, VIII, p. 631 C).

57. U. laFFi, art. cit., p. 256-257, n. 114 ; cf. M. H. crawFord, Roman Republican Coinage, Cambridge 1974, n. 359 (pour le rapport entre Sylla et Venus ; à ce sujet, P. assenmaker, « L. Sylla imperator... », art. cit., p. 257-263) et n. 381 (pour sa Felicitas).

58. E. valgiglio, « L’autobiografia di Silla nelle biografie di Plutarco », Studi Urbinati 49, 1975, p. 345-381.59. (Plut., Syll.) XII, 1-3 et 4-8. XIII, 5. XIV, 1-5 et 9-12. XV, 2-3. XVIII. XIX. XXI, 3. XXIII. XXIV. XXV ;

cf. E. valgiglio, art. cit., p. 271-273.60. Plut., Syll., XXVII. XXVIII, 7-17. XXXIV. XXXVII. XXXVIII ; cf. E. valgiglio, art. cit., p. 274.61. Plut., Syll., V, 11 ; cf. XXXVII, 2 ; à ce sujet, E. valgiglio, art. cit., p. 271.62. Pour une liste complète, voir E. valgiglio, art. cit., p. 271-276.63. Plut., Syll., XXXVIII.64. J. arce, op. cit., p. 27.

la consEcratio manquée de l. cornelius sulla Felix 67

Comme un passage d’Appien le suggère 65, Sylla planifia ses funérailles dans les moindres détails 66. Dans ces conditions, il n’est pas exclu que dans son testament il y ait laissé des dispositions concernant la cérémonie 67, comme ce fut le cas d’Auguste 68, cérémonie probablement conçue par Sylla pour aboutir à l’apothéose, sans toutefois y parvenir. Cela doit nous faire réfléchir. Il s’agit d’une autre tentative de la part du dictateur de se présenter pourvu d’une aura divine. C’est ce qu’il avait essayé de faire à l’occasion du triomphe de 81 av. J.-C. avec l’institution des Ludi Victoriae Sullanae 69. À ce moment-là, il s’était laissé conférer l’épithète de Felix (« celui qui est protégé par les dieux ») : il s’agissait du célèbre thème que Q. Lutatius Catulus 70 avait déjà employé au temps de son opposition à C. Marius. Sylla ne se contenta pas de s’approprier l’épithète de Felix, mais il la pérennisa, car la Felicitas de Sylla l’aurait suivi pour toute sa vie (et après encore, comme nous le verrons). Les Mémoires eux-mêmes auraient fait partie de ce projet, en contribuant à la diffusion de la vision « syllanienne » du monde 71.

LE CAS D’AUGUSTE

Pour mieux comprendre la tentative de Sylla dans son intention de devenir un dieu, il faut prendre en considération le cas d’Auguste. Le prince, comme on le sait bien, avait planifié dans les moindres détails ses propres funérailles dans un livre, les mandata de funere suo, en introduisant dans le rituel traditionnel des nouveaux éléments pour distinguer ses funérailles, celles d’un souverain qui allait devenir un dieu, des funérailles des autres sénateurs 72. Ce qui nous intéresse ici est qu’on retrouve sous Sylla la plupart des innovations funéraires qu’Auguste

65. App., civ., I, 105.66. Au moins, l’hypothèse est probable, comme le pense aussi G. S. sumi, « Spectacles... », art. cit., p. 420.67. Cf. Plut., Luc., IV, 6 et Pomp., XV, 2.68. Pensons à Nic. Dam., Aug., XLVIII (B. scardigli, Vita di Augusto. Introduzione, traduzione italiana

e commento storico, Florence 1983, p. 185) pour les mandata de funere suo d’Auguste dans ses Res Gestae ; cf. Fr. hurlet, « Devenir un dieu. La mort d’Auguste et la naissance de la monarchie imperial », SHHA 32, 2014, p. 72-73, n. 51. César aussi fut divinisé. Il faut toutefois rappeler que derrière sa consécration il y a toujours Auguste, seul ou plus vraisemblablement avec l’appui du groupe césarien. En effet, pour ce que l’on sache, César ne planifia pas sa divinisation : c’est Auguste qui le fit pour lui (dans ses intérêts, en tant que son fils !) et, après, pour lui-même aussi.

69. Pour ces Ludi et leur rapport étroit avec l’idéologie syllanienne de la victoire, cf. E. S. ramage, art. cit., p. 93-121 qui examine toutes les sources pour démontrer que le dictateur fut le premier qui fit une promotion systématique de lui-même en utilisant tous les « media » dont on disposait au Ier siècle av. J.-C. et que César et Auguste surenchérirent par rapport à sa stratégie médiatique.

70. En dédiant un temple à la Fortuna Huiusce Diei.71. A. keaveney, Sulla. The Last Republican, Londres 2005, p. 173. En particulier, E. S. ramage, art. cit.,

p. 95-102. Il est difficile de dire si Sylla croyait vraiment ce qu’il racontait. Il est plus vraisemblable qu’il connaissait l’impact que ce genre de croyances exerçait sur le peuple.

72. Fr. hurlet, « Devenir un dieu... », art. cit., p. 68. Sur la consecratio d’Auguste et son culte impérial, cf. D. Palombi, « Roma: culto imperiale e paesaggio urbano » dans F. Fontana éd., Sacrum facere (Atti del I Seminario di Archeologia del Sacro, Trieste 17-18 febbraio 2012), Trieste 2014, p. 132, n. 44-45.

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introduisit, même s’il est allé plus loin 73 : (1) tous les ordres civils et militaires prirent part à la cérémonie 74 ; (2) le corps du défunt fut allongé sur un lit d’ivoire et d’or 75 ; (3) plusieurs images représentant le défunt furent montrées lors de la procession funèbre, qui pouvaient servir à la cérémonie de consecratio 76 ; (4) le bûcher fut placé au Champ de Mars (notamment, au milieu du champ selon l’hypothèse convaincante de V. Jolivet) 77 ; (5) les chevaliers intervinrent en tant qu’ordre constitué dans le cadre d’une decursio 78 ; (6) finalement le corps de Sylla et celui d’Auguste rentrèrent à Rome d’une façon qui rappelait celle de la procession triomphale 79.

Il y a un autre élément des funérailles d’Auguste qui doit nous faire réfléchir sur le rapport avec les funérailles de Sylla : le témoignage du sénateur Numerius Atticus, qui aurait vu l’image du prince montant au ciel, au moment où le corps était incinéré. Nous pensons qu’un tel témoignage, qui valut à Auguste sa consecratio, avait été possible grâce à l’emplacement du bûcher sur le Champ de Mars. Sur le plan de la mémoire culturelle cet endroit était lié à la plus célèbre montée au ciel de Romulus, qui eut lieu dans le palus Caprae, une montée de plus, dont un sénateur s’était fait le témoin. Si l’on considère le fait que le marais de la Chèvre occupait une partie du Champ de Mars central, il nous paraît légitime de supposer, comme le fait V. Jolivet, qu’Auguste fut incinéré au même endroit 80. Auguste paraît donc suivre encore une fois le modèle de Sylla, qui remontait quant à lui à celui de Romulus. Le but du prince était d’obtenir la consecratio. Étant donné qu’à cette époque il n’était pas habituel pour les

73. Dans le seul cas d’Auguste on connaît la présence des effigies des grands Romains au défilé des ancêtres, la double laudatio funebris et le passage du cercueil sous la porte triomphale : pour sources et la discussion, on renverra à Fr. hurlet, « Devenir un dieu... », art. cit., p. 70-71 ; cf. G. S. sumi, Ceremony and Power. Performing Politics in Rome between Republic and Empire, Ann Arbor 2005, p. 257-258.

74. Pour Sylla, M. blasi, op. cit., p. 16-17 avec les sources ; G. S. sumi, « Spectacles... », art. cit., p. 428 y voit le symbole de la concordia du défunt (un aspect important de sa propagande) ; pour Auguste, Suet., Aug., C, 2 ; Dio LVI, 42, 1.

75. Pour Sylla, App., civ., I, 105 (un “lit en or et digne d’un roi”) ; pour Auguste, Dion Cassius LVI, 34, 1.76. Dans son défilé funèbre Sylla eut une effigie à la place de son corps (Plut., Syll., XXXVIII, 3 ; cf. M. blasi,

op. cit., p. 17-18, n. 27), comme ce fut le cas pour César (App., civ., II, 37 ; cf. M. blasi, op. cit., p. 31-32, n. 68). Pourtant, il faut rappeler qu’aux funérailles de Sylla il y avait une seconde effigie symbolisant un licteur (Plut., Syll., XXXVIII, 4 cf. M. blasi, op. cit., p. 17 et 22). Pour Auguste, Dion Cassius LVI, 34, 1 cf. A. Fraschetti, Roma e il principe, Rome-Bari 2005 [1990, trad. française de V. jolivet, Rome et le prince, Paris 1994], p. 72-73 ; cf. G. S. sumi, Ceremony and Power..., op. cit., p. 258-259. À propos des épices aux funérailles de Sylla, un élément qu’on retrouve chez les funérailles impériales, cf. G. S. sumi, « Spectacles », art. cit., p. 421 n. 51 qui écrit : “It is possible that the appearence of this image of Sulla in cinnamon and frankincense was intended to adumbrate Sulla’s divinity”, en rappelant la double cérémonie funéraire des empereurs, car “its [the image] mere presence might have hinted at apotheosis”.

77. Pour Sylla, Lucain II, 221-222 ; pour Auguste, V. jolivet, « Ustrinum Augusti » dans E. M. steinby éd., Lexicon, op. cit., p. 97 sur la base de Strabon V, 3, 8 (cf. F. coarelli, Il Campo Marzio..., op. cit., p. 599-602 ; A. Fraschetti, Roma e il principe..., op. cit., p. 41, n. 2).

78. Pour Sylla, App., civ., I, 106 cf. M. blasi, op. cit., p. 72, n. 173 ; pour Auguste, Dion Cassius LVI, 42, 1 ; cf. S. demougin, L’ordre équestre sous les Julio-Claudiens, Rome 1988, p. 263-272.

79. À cet égard, cf. G. S. sumi, « Spectacles », art. cit., p. 420. 80. Voir supra.

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membres de l’aristocratie de se faire ensevelir in medio campo, Sylla y fit bâtir son tombeau et vraisemblablement aussi son bûcher en poursuivant la même finalité que celle observée dans le cas d’Auguste 81 ?

La conclusion s’impose : Auguste, qui sans doute connaissait bien les funérailles de Sylla, en avait donc repris les éléments qui, à son avis (et du point de vue d’un homme de son temps), soulignaient bien la nature extraordinaire et divine du défunt, car ces éléments mêmes lui auraient assuré sa consecratio. Pour ce qui est des liens entre politique et funérailles, Sylla constitua donc un précédent significatif pour Auguste 82.

UN PROJET DE CONSÉCRATION ?

Le seul auteur qui a porté son attention sur le projet avorté de la consecratio de Sylla est J. Carcopino dans Sylla ou la monarchie manquée de 1931, une œuvre certes datée mais qui constitue encore un objet d’intérêt. Voici ce qu’il écrit à ce sujet : « Les funérailles de Sylla n’avaient point été accompagnées d’une cérémonie officielle de divinisation ; mais la pluie providentielle qui attendit, pour tomber sur son bûcher, l’achèvement de son incinération, associa visiblement le ciel aux hommages humaines qui lui étaient rendus et consacra sa divinité dans l’opinion populaire » 83. La pluie « providentielle » fait penser à un passage de Plutarque, qui témoigne de la présence des dieux, et notamment de la Fortuna, aux funérailles du dictateur : « Le jour des funérailles, comme le ciel fut nuageux dès le matin et que l’on s’attendait à la pluie, on ne fit la levée du corps qu’à la neuvième heure. Alors un vent violent souffla sur le bûcher, y faisant surgir une grande flamme, et l’on eut tout juste le temps, quand le bûcher s’affaissa et que le feu s’éteignit, de ramasser les ossements, car aussitôt une pluie abondante se mit à tomber et dura jusqu’à la nuit. Il semblait ainsi que sa Fortune le suivait jusqu’au bout et prenait part à ses funérailles » 84.

En raison des différents éléments que nous avons exposés plus haut, il faut se demander si Sylla avait ou non nourri le projet de se faire diviniser, et ce même si le Sénat ne lui décerna pas un tel honneur. Pour essayer de répondre à cette question, il faut tout d’abord rappeler ce que nous avons dit à propos de l’image réalisée en épices du défunt, image qu’on retrouve sous Auguste et les empereurs successifs au moment de leur consecratio 85 ; de même, il faut revenir au passage de Lucain cité plus haut rappelant que le tombeau de Sylla sur le Champ de Mars central était localisé à un endroit hautement significatif qui renvoyait à la disparition de Romulus et à son apothéose. Dans la mesure où il y avait un lien étroit entre le Champ de Mars central et la crémation, il nous paraît plus vraisemblable de penser que le choix de la

81. Voir supra n. 13.82. Ainsi que pour Jules César, quoique, dans ce cas-là, ce soit toujours Auguste et le groupe césarien qui

s’occupèrent de sa divinisation (cf. supra n. 69).83. J. carcoPino, op. cit., p. 229.84. Plut., Syll., XXXVIII, 4-5. 85. Voir supra n. 71.

70 massimo blasi

crémation était imputable à Sylla (tradition suivie par Cicéron et Pline l’Ancien), plutôt qu’à son entourage (Granius Licinianus). En définitive, la consécration de Sylla Felix devait paraître tout à fait logique, parce qu’elle n’était que le résultat d’une vie menée sous la protection des dieux 86.

Nous pensons que, même à la fin de sa vie, en parfaite cohérence avec le reste, Sylla voulut s’inspirer de Romulus, le fondateur, et non le roi. Cette fois, il ne pouvait pas s’inspirer de Servius Tullius, car l’alter conditor n’avait pas été divinisé, même s’il restait un modèle pour Sylla essayant de se présenter comme un refondateur de Rome inspiré par les dieux. Il s’agit de gestes symboliques qui ont fait de la légende des origines un modèle précis.

En conclusion, de son vivant Sylla avait eu recours à plusieurs modèles (Romulus, Numa Pompilius, Servius Tullius, Brutus, Titus Larcius), mais toujours en fonction de nécessités précises qui renvoient à un « éclectisme » à la fois religieux et politique et à un respect de la tradition des ancêtres. C’est, toutefois, la relation avec Romulus qui s’accentua après la mort de Sylla, se teintant des couleurs du despotisme du premier souverain. Comme nous l’avons dit, les responsables en furent les optimates qui, dès 81 av. J.-C., prirent leurs distances avec le nouveau Sylla Felix. C’est à eux qu’il faut attribuer l’idée d’appeler Sylla pater afin de faire du « romulisme syllanien » une dictature et de le séparer de la sphère religieuse à laquelle Sylla grâce à sa Felicitas l’avait associée 87.

Le « romulisme » et le « servianisme » de Sylla n’étaient pas synonymes d’aspirations à la royauté, mais ils avaient un sens charismatique, augural et républicain. Toutefois, le simple fait que Romulus et Servius Tullius étaient des rois faisait de Sylla un adfectator regni, au moins aux yeux de ses adversaires 88. Il n’est pas étonnant qu’à sa mort, il y ait eu des désordres à Rome. En effet, dans le passage déjà examiné de Granius Licinianus 89, on mentionne le iustitium proclamé à l’issue de la mort du dictateur. Il s’agissait en l’occurrence de la suspension temporaire de toute juridiction civile, des séances du Sénat, des audiences publiques et des activités commerciales 90, avec une fonction préventive lors de situations potentiellement

86. Elle ne serait pas seulement « […] héritière des idéologies “impériales” qui, surtout depuis Marius et Sylla, tendaient à rapprocher les grands généraux vainqueurs de la sphère divine », comme le souligne P. assenmaker, « Les défunts Pompée et César dans les propagandes de leurs héritiers : l’exploitation politique des conceptions philosophiques et religieuses liées à la mort à la fin de la République » dans J. andreu, D. esPinosa, S. Pastor éds., Mors omnibus instat. Aspectos arqueológicos, epigráficos y rituales de la muerte en el Occidente Romano, Madrid 2011, p. 102), en traitant de la montée au ciel de Jules César.

87. Au « romulisme » les optimates préféraient le mos maiorum, en le jugeant moins dangereux et moins subversif : M. ver eecke, op. cit., p. 180-181.

88. Pensons à Auguste, qui refusa son association à Romulus. 89. Gran. Licin. XXXII-XXXIII Flemisch.90. Pour une définition, C. daremberg, E. saglio éds., Dictionnaire des antiquités grecques et romaines :

d’après les textes et les monuments, Paris 1877-1919, s.v. Iustitium ; cf. A. Fraschetti, Roma e il principe..., op. cit., p. 104 et 108.

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dangereuses pour la ville. Grâce au iustitium et au rôle joué par Cn. Pompeius Magnus, toutes les tensions furent contenues 91, alors même qu’elles ne devaient pas être négligeables, si l’on considère qu’Appien parle de stasis 92.

Pour revenir à la consecratio, nous pensons qu’elle faisait partie d’un projet précis du dictateur en parfaite cohérence avec le Romulus-fondateur, dont il s’était inspiré lors de sa vie, mais les partisans du défunt dictateur furent obligés d’y renoncer dans une situation politique aussi délicate, quoique leur groupe politique eût grandement bénéficié d’une telle reconnaissance ; en effet, opérer sous la protection de la Felicitas et obtenir la consécration de leur chef auraient garanti la pérennité de la nouvelle res publica optimate, l’œuvre d’un homme protégé par les dieux ne pouvant qu’être une œuvre légitime et parfaite. Toutefois, la consecratio de Sylla aurait provoqué un soulèvement des populares et à ce moment-là, l’objectif des syllaniens aurait été d’empêcher les adversaires de bouleverser le gouvernement. Face à la « raison d’État », la divinisation de Sylla n’était plus prioritaire 93.

Cependant, même s’il n’y eut pas de consecratio au sens rituel du terme, il y en eut une dans l’historiographie. La comparaison d’un passage de Plutarque 94 sur les funérailles de Sylla avec un passage de Tite-Live 95 sur la disparition / montée au Ciel de Romulus permet de mettre en avant plusieurs analogies 96 : le ciel était nuageux, un violent orage éclata, il plut beaucoup. Les corps de Romulus et de Sylla disparurent, l’un enlevé au ciel, l’autre brûlé sur le bûcher. Dans les deux récits, on trouve de nombreux renvois à la sphère divine, avec la présence des dieux prenant part aux funérailles sous la forme des éléments naturels (la Fortune elle-même était là, comme Plutarque l’écrit) et avec l’obscurité qui soudain arracha Romulus pour l’emmener au Ciel sous la forme de Quirinus. L’ambitieux projet post mortem de Sylla échoua, mais le dictateur fut assimilé à un dieu, même si ce ne fut que par l’historiographie et de façon allusive. C’est déjà un bon résultat. Le mérite en revint à sa Felicitas.

91. Plut., Syll., XXXVIII, 2.92. App., civ., I, 105.93. On ne parle plus du fait que « les temps n’étaient pas mûrs », comme l’écrit Carcopino (J. carcoPino,

op. cit., p. 229) : Fr. hurlet, « Pouvoirs extraordinaires et tromperie... », op. cit., p. 112, n. 13 et 14. Comme A. keaveney l’a justement écrit, la mort de Sylla et les choix de Crassus et de Pompée en 70 av. J.-C. marquèrent la fin du grand projet optimate élaboré par le dictateur (A. keaveney, op. cit., p. 324).

94. Plut., Syll., XXXVIII, 4-5.95. Liv. I, 16, 1 et 6-7 (R. M. ogilvie, op. cit., p. 85-87).96. M. blasi, op. cit., p. 108-110.

ISSN 0035-2004

REVUE DES ÉTUDES ANCIENNESTOME 120, 2018 N°1

SOMMAIRE

ARTICLES :

Milagros Navarro Caballero, María del Rosario HerNaNdo SobriNo, À l’ombre de Mommsen :

retour sur la donation alimentaire de Fabia H[---]la................................................................... 3Michele bellomo, La (pro)dittatura di Quinto Fabio Massimo (217 a.C.): a proposito di alcune

ipotesi recenti ................................................................................................................................ 37Massimo blaSi, La consecratio manquée de L. Cornelius Sulla Felix ......................................... 57Sophie Hulot, César génocidaire ? Le massacre des Usipètes et des Tenctères (55 av. J.-C.) ... 73Lee FrataNtuoNo, The Wolf in Virgil ............................................................................................ 101Gabrielle Frija, Les notables de Stratonicée de Carie à l’époque antonine : hétérogénéité ..........

juridique, homogénéité sociale ..................................................................................................... 121

QUESTIONS ET PERSPECTIVES

Claude aziza, L’Antiquité au cinéma............................................................................................ 141

LECTURES CRITIQUES

Philippe RouSSeau, Un parcours audacieux : Hésiode de l’Enûma elish au Paradis perdu ........ 149Françoise-Hélène maSSa-Pairault, Des Attalides à Rome. Perspectives sur Pergame ............... 163

Comptes rendus ............................................................................................................................. 187Notes de lectures ........................................................................................................................... 323Liste des ouvrages reçus ............................................................................................................... 327

48€ ISBN 979-10-300-0288-1