la conservation des monuments historiques en alsace de 1914 à
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UNIVERSIT DE STRASBOURG
COLE DOCTORALE 519 SHS-PE
quipe daccueil 3400 ARCHE
THSE prsente par :Nicolas LEFORT
soutenue le : samedi 28 septembre 2013
pour obtenir le grade de : Docteur de lUniversit de Strasbourg Discipline/ Spcialit : HISTOIRE
Patrimoine rgional, administration nationale : la conservation des monuments historiques
en Alsace de 1914 1964 Volume 1
THSE dirige par : M. Franois IGERSHEIM Professeur mrite dhistoire de lAlsace, Universit de
Strasbourg.
RAPPORTEURS : MME Catherine BERTHO LAVENIR Professeur dhistoire culturelle et des mdias, Universit
Sorbonne Nouvelle Paris 3. M. Laurent BARIDON Professeur dhistoire de lart contemporain, Universit Lumire
Lyon 2.
AUTRES MEMBRES DU JURY : M. Claude MULLER Professeur dhistoire de lAlsace, Universit de Strasbourg. MME Arlette AUDUC Agrge dhistoire et docteur de lEPHE. Conservateur en chef du
patrimoine, chef du service patrimoines et inventaire de la Rgion le-de-France.
MME Anne-Marie CHTELET Professeur dhistoire et de culture architecturales, cole nationale suprieure darchitecture de Strasbourg.
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Remerciements
Je remercie dabord M. Franois Igersheim davoir accept de diriger ce travail et
de mavoir apport ses conseils durant ces six annes de recherches et dcriture. Je
remercie galement Mme Anne-Marie Chtelet de mavoir invit participer son
sminaire lcole nationale suprieure darchitecture de Strasbourg et M. Franck Storne
de mavoir ouvert les archives de cette cole.
Je remercie le ministre de la culture, direction gnrale des patrimoines, de
mavoir apport son soutien financier au titre de lanne 2011 ; M. Jean-Daniel Pariset de
mavoir autoris utiliser les photographies de la Base Mmoire pour illustrer ce travail ;
M. Alain Hauss et M. Simon Pichaud de mavoir permis de consulter les archives de la
DRAC Alsace.
Mes remerciements vont aussi au personnel des services darchives et des
bibliothques o jai travaill ces dernires annes, en particulier la Mdiathque de
larchitecture et du patrimoine, les Archives dpartementales du Bas-Rhin et du Haut-Rhin,
et la Bibliothque nationale et universitaire de Strasbourg.
Je tiens remercier tout particulirement les personnes qui mont communiqu une
partie des archives en leur possession : M. Bruno Glis, M. Hugues Herz et M. Franois
Monnet. Je remercie aussi M. Daniel Gaymard de mavoir accord un long entretien, M.
Michel Spitz pour ses renseignements sur le Hartmannswillerkopf, M. Jean-Paul Lingelser
pour son accueil la Socit des amis de la cathdrale de Strasbourg, et M. Raymond
Theiller pour ses renseignements.
Lcriture dune thse est une aventure longue et difficile. Je remercie toutes les
personnes qui mont apport leur soutien et leurs encouragements au cours de ces dernires
annes : mes amis, mes collgues et ma famille.
Je ddie cette thse ma compagne Julie Heitzler. Sans son appui et sa patience, ce
travail naurait jamais pu aboutir.
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Sommaire
VOLUME 1 Sommaire ............................................................................................................................... 5 Remerciements ...................................................................................................................... 3 Introduction ......................................................................................................................... 11
Repres historiographiques.............................................................................................. 13 Notre enqute sur les monuments historiques dAlsace de 1914 1964 ........................ 18 Nos sources ...................................................................................................................... 20
1re partie. Les monuments historiques dAlsace face au retour la France ........................ 23 Chapitre 1. La protection des monuments et uvres dart dans les territoires recouvrs de lAlsace (1914-1919) .................................................................................................. 23
I. Les enjeux de la conservation des monuments historiques pendant la Grande Guerre (1914-1918) ................................................................................................................. 24 II. Les premires mesures de protection de ladministration militaire franaise dans les territoires reconquis de lAlsace (1914-1916) ............................................................. 30 III. Le service de protection et dvacuation des monuments et uvres dart du front est en Alsace (1917-1919) ........................................................................................... 34 IV. Le service de rcupration des uvres dart en Alsace (1918-1919) .................... 45
Chapitre 2. Les monuments historiques et les sites dAlsace et de Lorraine : un rgime juridique particulier (1919-1925) .................................................................................... 53
I. Llaboration du rgime des monuments historiques et des sites en France et en Alsace-Lorraine (1830-1918) ...................................................................................... 54 II. Lintroduction particulire en Alsace et en Lorraine de la loi franaise de 1913 sur les monuments historiques : larrt Millerand du 20 juin 1919 ................................. 76 III. Lintroduction de la lgislation sur les sites et la rglementation de laffichage 102 IV. La lgislation sur lurbanisme ............................................................................. 114
Chapitre 3. La rorganisation des services darchitecture et des beaux-arts dAlsace et de Lorraine (1918-1922) .................................................................................................... 121
I. Lorganisation des services de larchitecture et des beaux-arts en Alsace-Lorraine et en France en 1918 ...................................................................................................... 122 II. Lorganisation des services darchitecture et des beaux-arts dAlsace-Lorraine aprs le retour la France (1918-1922) ..................................................................... 137
Chapitre 4. Inventorier, classer et protger les monuments historiques, les objets mobiliers et les sites en Alsace aprs le retour la France (1919-1925) ....................... 187
I. Les monuments classs, les monuments inscrits et linventaire en Alsace avant 1918 ................................................................................................................................... 188
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II. Les nouveaux classements, la rception de la liste Wolff et la poursuite de linventaire par la commission de larchitecture et des beaux-arts dAlsace et de Lorraine (1919-1925) ................................................................................................ 197 III. Un cas particulier : le classement et la protection des vestiges et souvenirs de guerre ......................................................................................................................... 206 IV. Ltude et le classement des monuments des XVIIe et XVIIIe sicles franais ................................................................................................................................... 219 V. Une administration impuissante protger les objets et uvres dart dAlsace ? 232 VI. Les commissions dpartementales des sites et monuments naturels de caractre artistique de la loi de 1906 ........................................................................................ 238 VII. Le rle des associations rgionales de protection .............................................. 246
Chapitre 5. Les monuments historiques dans le budget dAlsace et de Lorraine : les crdits des Beaux-Arts et des Cultes (1919-1925) ........................................................ 255
I. Le budget des Beaux-Arts dAlsace et de Lorraine (1919-1924) .......................... 256 II. Lapport du budget des Cultes dAlsace et de Lorraine (1919-1925) .................. 270 III. Labsence de crdits dpartementaux en faveur des monuments historiques (1919-1925) .......................................................................................................................... 276
Chapitre 6. La restauration des monuments historiques de lAlsace et sa rception aprs 1918 ............................................................................................................................... 278
I. La rception des restaurations de monuments historiques de lAlsace antrieures 1918 ........................................................................................................................... 280 II. Lachvement des travaux du pilier nord de la cathdrale de Strasbourg ............ 293 III. Des dommages de guerre concentrs dans le Haut-Rhin .................................... 297 IV. Le cadre de la reconstruction en Alsace .............................................................. 303 V. La restauration des monuments historiques endommags par la guerre dans le Haut-Rhin .................................................................................................................. 307 VI. La reconstitution de laspect traditionnel des villes et villages dAlsace endommags par la guerre ......................................................................................... 325
Chapitre 7. La construction dun lieu de mmoire : le monument national de lHartmannswillerkopf (Vieil-Armand) ........................................................................ 332
I. Ladministration des Beaux-Arts face au tourisme de guerre sur le front dAlsace ................................................................................................................................... 332 II. Ladministration des Beaux-Arts face la multiplication des projets de monuments commmoratifs au Hartmannswillerkopf .................................................................. 337 III. Le plan densemble de larchitecte Paul Glis (avril 1921) ................................ 352 IV. Les travaux du service des monuments historiques au Hartmannswillerkopf (t 1921) .......................................................................................................................... 359 V. Le projet de larchitecte Robert Danis (1922-1925) ............................................ 363
2e partie. La centralisation Paris (1925-1939) ................................................................ 379 Chapitre 8. Le rattachement des services de larchitecture et des beaux-arts dAlsace et de Lorraine Paris (1921-1925) .................................................................................... 379
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I. Un rattachement envisag ds la prparation du budget de 1922 .......................... 379 II. La dfense de la direction de larchitecture et des beaux-arts dAlsace et de Lorraine ..................................................................................................................... 381 III. Le dbat autour du rattachement ......................................................................... 383 IV. Ltude des modalits du rattachement ............................................................... 386 V. Lorganisation provisoire en vue du rattachement (janvier-fvrier 1923)............ 392 VI. Le dcret de rattachement (19 avril 1923)........................................................... 396 VII. Les diffrents projets de rorganisation des services darchitecture et des beaux-arts et le maintien de lorganisation provisoire ......................................................... 398 VIII. Des fonctionnaires germanophiles la direction de larchitecture et des beaux-arts ? ........................................................................................................................... 408 IX. Une srie de critiques lencontre des services de larchitecture et des beaux-arts ................................................................................................................................... 409 X. Lincorporation du personnel dans les cadres gnraux de ladministration des beaux-arts................................................................................................................... 411 XI. La fin du rgime transitoire (1925) ..................................................................... 414
Chapitre 9. Les rformes des services darchitecture et des beaux-arts dAlsace et de Lorraine aprs leur rattachement Paris (1926-1940) .................................................. 416
I. La transformation du bureau de liaison en section de bureau des monuments historiques (1927-1929) ............................................................................................. 416 II. Les difficults du service darchitecture des btiments publics (1927-1929) ....... 418 III. La cration de deux postes dinspecteurs des monuments historiques chargs de linventaire supplmentaire (1929-1930) .................................................................. 423 IV. Les services darchitecture dAlsace-Lorraine face aux restrictions financires (1933-1934) ............................................................................................................... 425 V. Une institution locale en dbat : architectes agrs et contrle des travaux communaux (1933-1939) .......................................................................................... 438 VI. Au service darchitecture des monuments historiques : le remplacement de Robert Danis par Paul Glis (1937-1939) ............................................................................. 451 VII. La transformation de la section de bureau des monuments historiques en service administratif des Beaux-Arts (1939-1940) ................................................................ 452
Chapitre 10. Rgularisation, volution et lacunes du rgime des monuments historiques et des sites dAlsace et de Lorraine jusquen 1939 ....................................................... 455
I. Lvolution du rgime franais des monuments historiques aprs 1918 ............... 456 II. La rgularisation lgislative incomplte en Alsace et en Lorraine ....................... 459 III. La nouvelle loi sur les monuments naturels et les sites (2 mai 1930) ................. 475 III. La nouvelle rglementation relative laffichage ............................................... 483
Chapitre 11. La protection des monuments historiques et des sites dAlsace aprs la centralisation Paris (1925-1939) ................................................................................. 490
I. La commission des monuments historiques Paris (1925-1939) .......................... 491
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II. Le classement et linventaire supplmentaire des monuments historiques en Alsace de 1926 1939 .......................................................................................................... 494 III. La protection du Vieux Strasbourg ..................................................................... 512 IV. Le conflit entre le service des monuments historiques et la fondation de luvre Notre-Dame relatif aux travaux de la cathdrale (1925-1938) ................................. 540 V. La lutte contre les curs embellisseurs : lglise de Niederhaslach (1925-1930) 553 VI. La protection des monuments naturels et des sites dAlsace .............................. 555
Chapitre 12. La grande piti du budget des monuments historiques dAlsace (1925-1939) .............................................................................................................................. 573
I. Le budget des monuments historiques de ltat aprs le rattachement ................. 573 II. Les crdits du budget des Cultes dAlsace et de Lorraine : un maigre complment pour les monuments historiques ................................................................................ 589 III. Les fonds de concours des communes ................................................................ 592 IV. Les fonds de concours dpartementaux pour les monuments historiques et les difices cultuels ......................................................................................................... 597 V. La rpartition des crdits : le rle des commissions dpartementales .................. 630 VI. Un bilan des travaux de lentre-deux-guerres : des chantiers nombreux mais de faible importance ....................................................................................................... 653
VOLUME 2 3e partie. Les monuments historiques dAlsace, la Deuxime Guerre mondiale et la Reconstruction ................................................................................................................... 657
Chapitre 13. Les monuments historiques dAlsace dans la Deuxime Guerre mondiale ....................................................................................................................................... 657
I. Les monuments historiques dAlsace et la marche la guerre (1935-1939) ......... 658 II. Les monuments historiques dAlsace dans la guerre (septembre 1939 juin 1940) ................................................................................................................................... 664 III. Les services des Beaux-Arts dAlsace et de Lorraine replis en Dordogne ....... 674 IV. Les monuments historiques en Alsace annexe de fait (1940-1944) .................. 678 V. Les dommages de guerre ...................................................................................... 688
Chapitre 14. La rorganisation des services darchitecture et des beaux-arts dAlsace de 1945 1964 : des monuments historiques aux btiments de France ............................ 692
I. La rorganisation des services centraux et de leur chelon administratif rgional 692 II. Lpuration dans les services darchitecture dAlsace et de Lorraine .................. 695 III. Lorganisation dun service des antiquits et objets dart en Alsace .................. 697 IV. Le contrle des fouilles archologiques .............................................................. 706 V. Le service des sites, perspectives et paysages ...................................................... 711 VI. La rorganisation du service darchitecture des monuments historiques dAlsace ................................................................................................................................... 714
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VII. Une grande rforme inspire du modle alsacien-lorrain : la cration du corps des architectes et des agences des btiments de France ................................................... 729 VIII. Le contrle des travaux aux difices cultuels dAlsace : des btiments civils aux monuments historiques .............................................................................................. 742 IX. La crise de lagence dpartementale des monuments historiques du Haut-Rhin 747 X. Un alignement progressif des agences du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle sur le reste de la France ou linverse ?....................................................................... 754 XI. Le nouvel chelon rgional de la direction de larchitecture : la conservation des btiments de France de Strasbourg ............................................................................ 759
Chapitre 15. Le retour des pnuries budgtaires et la recherche de nouveaux modes de gestion des crdits (1945-1964) ..................................................................................... 766
I. Le budget des monuments historiques de ltat..................................................... 766 II. Le service des monuments historiques face la pnurie ...................................... 775 III. La planification et les lois de programme ........................................................... 781 IV. Le budget des Cultes de ltat ............................................................................. 794 V. Les crdits dpartementaux pour les difices cultuels du Bas-Rhin et du Haut-Rhin ................................................................................................................................... 797 VIII. Les fonds de concours dpartementaux pour lentretien des monuments historiques dans le Bas-Rhin et le Haut-Rhin ............................................................ 819
Chapitre 16. La deuxime reconstruction daprs-guerre en Alsace ............................. 843 I. La nouvelle lgislation sur les monuments historiques .......................................... 844 II. La Reconstruction : nouveau ministre et nouvelle loi ......................................... 850 III. Les dfis de laprs-guerre .................................................................................. 851 IV. Les tapes de la reconstruction ............................................................................ 859 V. Les choix du service en matire darchitecture .................................................... 882
Chapitre 17. Recensement et protection des monuments historiques dAlsace aprs la Seconde Guerre mondiale (1945-1964) ......................................................................... 904
I. De linventaire des monuments historiques linventaire gnral du patrimoine . 905 II. Les nouvelles mesures de protection .................................................................... 929 III. Une politique de protection issue de la Seconde Guerre mondiale ..................... 937 III. Les objets mobiliers ............................................................................................. 960
Chapitre 18. Monuments historiques, sites et urbanisme en Alsace : le tournant des annes 1960 ................................................................................................................... 964
I. Labrogation jurisprudentielle de la rglementation locale relative laffichage (1961) ........................................................................................................................ 965 II. La protection des abords ....................................................................................... 969 III. Les sites ............................................................................................................... 978 IV. Les secteurs sauvegards ..................................................................................... 983
Conclusion gnrale ........................................................................................................ 1003 Sources ............................................................................................................................ 1011
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Bibliographie ................................................................................................................... 1052 Annexes ........................................................................................................................... 1097 Index des noms de personnes .......................................................................................... 1170 Index des noms de lieux (monuments et sites) ................................................................ 1184 Table des tableaux ........................................................................................................... 1195 Table des graphiques ....................................................................................................... 1198 Table des illustrations ...................................................................................................... 1200 Table des matires ........................................................................................................... 1207
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Introduction
Les immeubles dont la conservation prsente, au point de vue de lhistoire ou de
lart, un intrt public, sont classs comme monuments historiques1. La formulation de
larticle 1er de la loi franaise du 31 dcembre 1913 contraste apparemment avec celle du
professeur dhistoire de lart de lUniversit de Strasbourg, Georg Dehio, initiateur du
nouvel inventaire scientifique des monuments de lAlsace et de la Lorraine et auteur de son
expos des motifs, longuement voque lors du dbat au Parlement rgional dAlsace et de
Lorraine de 1912 : Nous ne conservons pas un monument parce que nous le croyons
beau, mais parce que cest un lment de notre existence nationale. La conservation des
monuments historiques ne procde pas du plaisir esthtique, mais dun devoir de pit2.
Et pourtant, avec la notion souple et changeante dintrt public de la loi
franaise, les deux dfinitions expriment une mme ralit : cest celui qui classe qui
dcide de lintrt public ncessairement national ? du monument historique.
Si celui qui classe est en dernire instance ltat, ce nest pas lui qui dcide seul de
lintrt public de protger un monument, et lintrt national est susceptible de
dfinitions plus ou moins larges. Une constante cependant, la ncessit de tenir compte,
voire de sinspirer des pits locales et rgionales, quand elles ne sont pas en conflit
avec lintrt national que dfinit ltat. Cest ainsi que lon a procd ds les premiers
classements de la Monarchie de Juillet. Et lexprience de la vie dans un tat fdral
quont connue lAlsace et la Lorraine de 1871 1918 ne garantit pas ncessairement la
prise en compte des intrts locaux et provinciaux par une bureaucratie gouvernementale
recrute lextrieur.
Cependant, lAlsace et la Lorraine avaient connu un rgime largement dcentralis,
o les dputs, les conseillers gnraux et les municipalits pesaient fortement sur les
dcisions politiques et administratives, o les grandes lignes des budgets et des comptes
1 Journal officiel de la Rpublique franaise, Lois et dcrets, dimanche 4 janvier 1914, p. 130. Loi du 31 dcembre 1913 sur les monuments historiques, article 1er. 2 Georg Dehio, Denkmalschutz und Denkmalpflege im neunzehnten Jahrhundert, Rede zur Feier des Geburstages Sr. Majestt des Kaisers gehalten in der Aula der Kaiser-Wilhelms-Universitt Strassburg, Strasbourg, Heitz und Mndel, 1905, 25 p. Sur lhistoire de linventaire Dehio, voir Franois Igersheim, LAlsace et ses historiens, 1680-1914, La fabrique des monuments, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2006, p. 425-426.
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locaux et rgionaux dpendaient largement de leur vote, dtermin par les pressions des
collectivits et des associations. Cela tait aussi le cas pour les monuments historiques.
Aprs le retour la France de 1918-1919, lAlsace et la Lorraine tenaient
conserver cette capacit dinfluer sur les dcisions de ltat centralis o elles reprenaient
leur place. Le dput du Bas-Rhin Eugne Muller, professeur la Facult de Thologie
catholique de Strasbourg, intervint longuement la Chambre, lors de la discussion du
budget des beaux-arts de 1923, pour rclamer la rgionalisation du service des monuments
historiques afin den amliorer le fonctionnement, den augmenter les ressources
financires et de dvelopper les initiatives locales pour la conservation des monuments3.
Ancien prsident de la Socit pour la conservation des monuments historiques dAlsace,
dput au Parlement dAlsace-Lorraine et cheville ouvrire de sa commission de
lducation et de la culture, membre de lancienne commission des btiments civils du
Reichsland dAlsace-Lorraine (Landesbaukommission) qui avait t cre en 1908, de la
commission de larchitecture et des beaux-arts dAlsace de Lorraine de 1919 1925, et de
la commission des monuments historiques partir de 1923, le dput Eugne Muller avait
pu comparer les avantages et les inconvnients de lorganisation fortement centralise du
service des monuments historiques en France et de lorganisation rgionale de la
Denkmalpflege qui stait mise en place en Alsace et en Lorraine au tournant des XIXe et
XXe sicles. Au moment o Muller prit la parole la Chambre, le gouvernement franais
tait en train de prparer la centralisation des services darchitecture et des beaux-arts
dAlsace et de Lorraine au ministre de linstruction publique et des beaux-arts Paris. Or,
coexistant avec un droit allemand pnal, commercial, civil, etc., progressivement introduit,
lAlsace et la Lorraine avaient conserv le rgime des cultes hrit de la France, qui
sappliquait aussi aux nombreuses glises classes et leurs objets dart. Elles disposaient
galement dune lgislation locale en matire de protection des sites. Certaines institutions,
telles que les archives rgionales des monuments historiques dAlsace-Lorraine
(Denkmalarchiv), navaient pas dquivalent en France.
On peut donc se demander quelle lgislation et quelle pratique administrative de la
conservation des monuments historiques le gouvernement franais appliqua-t-il en Alsace
et en Lorraine recouvres ? Quelle autonomie fut laisse aux dpartements, aux
municipalits et aux associations pour la conservation de leurs monuments ? Quelles
institutions particulires lAlsace et la Lorraine furent conserves et ventuellement
3 Journal officiel de la Rpublique franaise, Dbats parlementaires, Chambre des dputs, 12 dcembre 1922, p. 4054.
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tendues au reste de la France ? Enfin, comment lintervention du service des monuments
historiques en Alsace fut-elle reue par les lus et par lopinion ?
Repres historiographiques
Cr en 1830, le service des monuments historiques nest devenu un objet dtude
que tardivement. Son histoire est dsormais bien connue4. Elle fut dabord crite par ses
propres administrateurs qui cherchaient ainsi en lgitimer lexistence et le
dveloppement. En 1917, le chef des services darchitecture Paul Lon publia Les
monuments historiques, Conservation, restauration ouvrage dans lequel il retraait
lhistoire des monuments historiques de leurs origines prrvolutionnaires la veille de la
Premire Guerre mondiale. Il y dcrivait la cration, lorganisation et les ralisations du
service5. Paul Lon occupa le poste de directeur des beaux-arts de 1919 1932. Son
ouvrage fut augment en 1951 pour intgrer lvolution de la lgislation depuis la loi de
1913, les dommages des deux guerres mondiales et leur rparation6. En 1926, le chef du
bureau des monuments historiques Paul Verdier publia La protection des monuments
historiques en France7, puis en 1934, une tude dhistoire administrative plus toffe pour
le Congrs archologique de France, qui clbrait alors le centenaire du service des
monuments historiques et de la Socit franaise darchologie8.
Lhistoire critique du service des monuments historiques se dveloppa aprs le
tournant que constiturent lAnne europenne du patrimoine (1975) et lAnne du
patrimoine en France (1980). Dans un article clbre paru dans la Revue de lArt, Jean-
Pierre Babelon et Andr Chastel sinterrogrent, les premiers, sur lmergence et la
4 Voir le bilan historiographique tabli par Arlette Auduc, Quand les monuments construisaient la nation, Le service des monuments historiques de 1830 1940, Paris, Comit dhistoire du ministre de la culture, 2008 (Travaux et documents n25), p. 13-18. Voir galement mon rapport dtape : Nicolas Lefort, La conservation des monuments historiques en Alsace de 1919 1959, mmoire pour le diplme dtudes approfondies arts, histoire et civilisations de lEurope sous la direction de Franois Igersheim, universit Marc Bloch, Strasbourg, 2004, 261 p. dactyl. 5 Paul Lon, Les monuments historiques, Conservation, restauration, Paris, Henri Laurens, 1917, 380 p. 6 Paul Lon, La vie des monuments franais, Destruction, restauration, Paris, Picard, 1951, 584 p. 7 Paul Verdier, La protection des monuments historiques, Paris, Touring-Club de France, 1926 (Comit des sites et monuments), 61 p. 8 Paul Verdier, Le service des monuments historiques, Son histoire, Organisation, administration, lgislation (1830-1934) , dans Socit franaise darchologie, Centenaire du service des monuments historiques et de la Socit franaise darchologie, Congrs archologique de France, XCVIIe session tenue Paris en 1934, tome 1, Paris, Picard, 1936, p. 53-286,
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dfinition de la notion de patrimoine9. Franoise Berc sintressa au rle des socits
savantes dans la conservation des monuments10. Elle publia les premiers procs-verbaux de
la commission des monuments historiques et les relevs des architectes du service11. Puis
elle consacra un ouvrage aux chantiers de restauration de monuments historiques12. Jean-
Michel Leniaud voua sa thse dcole des chartes larchitecte des difices diocsains
Jean-Baptiste Lassus13, puis sa thse de doctorat au service des difices diocsains14, ainsi
que plusieurs essais au patrimoine15. Dans Les lieux de mmoires publis sous la direction
de Pierre Nora en 1984, sept contributions portrent sur la notion de patrimoine, les acteurs
et les institutions de sa connaissance et de sa conservation au XIXe sicle16. Dominique
Poulot revint sur la naissance du monument historique17.
Les annes 1990 et 2000 virent la multiplication des tudes consacres aux
politiques du patrimoine. Depuis 1993, le comit dhistoire du ministre de la culture
runit des historiens et des administrateurs du patrimoine. Son sminaire sur les politiques
du patrimoine aboutit en 2003 la publication dun ouvrage collectif riche dune trentaine
de contributions intgrant pleinement le XXe sicle18. Les grandes thses qui posrent les
jalons de lhistoire du service des monuments historiques taient alors en cours dcriture.
La thse de lEPHE dArlette Auduc retraa, partir des archives administratives et des
journaux officiels, lhistoire institutionnelle du service des monuments historiques de sa
9 Jean-Pierre Babelon et Andr Chastel, La notion de patrimoine , dans Revue de lArt, 49, 1980, p. 5-32 ; repris dans Jean-Pierre Babelon et Andr-Chastel, La notion de patrimoine, Paris, ditions Liana Levi, 1994, 141 p. 10 Franoise Berc, Les socits savantes et la protection du patrimoine monumental , dans Actes du 100e Congrs national des socits savantes, Paris, CTHS, 1976, p. 155-167. 11 Franoise Berc, Les premiers travaux de la commission des monuments historiques, 1837-1848, Procs-verbaux et relevs darchitectes, Paris, A. et J. Picard, 1979 (Bibliothque de la sauvegarde lart franais), 452 p. 12 Franoise Berc, Des monuments historiques au patrimoine du XVIIIe sicle nos jours ou Les garement du cur et de lesprit , Paris, Flammarion, 2000, 226 p. 13 Jean-Michel Leniaud, Jean-Baptiste Lassus (1807-1857) ou le temps retrouv des cathdrales, Paris, Socit franaise darchologie, 1980 (Bibliothque de la Socit franaise darchologie, 12), 296 p. 14 Jean-Michel Leniaud, Les cathdrales au XIXe sicle, tude du service des difices diocsains, Paris, Economica, 1993, 984 p. 15 Jean-Michel Leniaud, Lutopie franaise, Essai sur le patrimoine, Paris, Mengs, 1992, 181 p. Jean-Michel Leniaud, Les archipels du pass, Le patrimoine et son histoire, Paris, Fayard, 2002, 361 p. 16 Pierre Nora, dir., Les lieux de mmoire, 3 tomes, Paris, Gallimard, 1997 (Quarto), 4755 p. La notion de patrimoine (Andr Chastel), Naissance des muses de province (douard Pommier), Alexandre Lenoir et les muses des monuments franais (Dominique Poulot), Arcisse de Caumont et les socits savantes (Franoise Berc), Guizot et les institutions de mmoire (Laurent This), Mrime et linspection des monuments historiques (Andr Fermigier), Viollet-le-Duc et la restauration (Bruno Foucart). 17 Dominique Poulot, Naissance du monument historique , dans Revue dhistoire moderne et contemporaine, XXXII, juillet-septembre 1985, p. 418-450. 18 Philippe Poirrier et Loc Vadelorge, dir., Pour une histoire des politiques du patrimoine, Paris, Comit dhistoire du ministre de la culture, Fondation Maison des sciences de lhomme, 2003 (Travaux et documents n16), 615 p.
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naissance en 1830 la csure de 194019. La thse de Patrice Gourbin tudia lorganisation
du service des monuments historiques sous le rgime de Vichy et la IVe Rpublique, la
grande rforme des btiments de France, dont il voqua les origines alsaciennes et
lorraines, et les problmes darchitecture et durbanisme lis aux destructions de la
Seconde Guerre mondiale20. La thse dcole des chartes de Xavier Laurent sintressa
la politique du patrimoine monumental dAndr Malraux Jacques Duhamel (1959-1973) :
la planification et les lois de programme, la politique des sites et des abords, les secteurs
sauvegards, la naissance de lInventaire et llargissement du champ dintervention
patrimonial21. Il voua galement un article aux relations entre ltat et les collectivits
locales dans la conservation des monuments historiques22. Les principaux jalons ont donc
t poss. Mais cette histoire du service des monuments historiques, vue de Paris, ne rend
pas compte des particularits rgionales, dpartementales et locales quil reste largement
explorer.
En Alsace, le colloque de Strasbourg en 2004, Monuments historiques,
Denkmalpflege, et image des lieux de mmoire en France et en Allemagne , permit de
faire le point23. En 2006, Franois Igersheim publia sa somme historiographique sur
LAlsace et ses historiens de 1680 191424. Il y tudiait le dveloppement de la sensibilit
aux monuments puis aux sites et aux paysages, les dbuts de la conservation des
monuments historiques, la naissance et le rle de la Socit pour la conservation des
monuments historiques dAlsace, et aprs 1870, lorganisation de la Denkmalpflege sur le
modle allemand. Son sminaire dhistoire de lAlsace fut le cadre de nombreuses tudes
sur le patrimoine rgional.
Lhistoire de la conservation des monuments historiques en Alsace au XXe sicle
restait presque entirement crire. En 1930, le juriste Gabriel Vernhette stonnait des
19 Arlette Auduc, Quand les monuments construisaient la nation, Le service des monuments historiques de 1830 1940, Paris, Comit dhistoire du ministre de la culture, 2008 (Travaux et documents n25), 640 p. Notre compte-rendu dans Revue dAlsace, 135, 2009, p. 499-502. 20 Patrice Gourbin, Les monuments historiques de 1940 1959, Administration, architecture, urbanisme, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008 (Art & Socit), 286 p. Notre compte-rendu dans Revue dAlsace, 134, 2008, p. 474-477. 21 Xavier Laurent, Grandeur et misre du patrimoine dAndr Malraux Jacques Duhamel (1959-1973), Paris, 2003 (Mmoires et documents de lcole des chartes n70, Travaux et documents du comit dhistoire du ministre de la culture n15), 380 p. 22 Xavier Laurent, Les monuments historiques, ltat et les collectivits locales : partenariat ou tutelle ? , dans Philippe Poirrier et Ren Rizzardo, dir., La coopration entre le ministre de la culture et les collectivits territoriales (1959-2009), Paris, Comit dhistoire du ministre de la culture, 2009 (Travaux et documents n26), p. 239-259. 23 Monuments et paysages dAlsace entre France et Allemagne (= Revue dAlsace, 131, 2005), 667 p. 24 Franois Igersheim, LAlsace et ses historiens, 1680-1914, La fabrique des monuments, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2006, 524 p.
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spcificits du rgime alsacien et lorrain de conservation des monuments historiques et
avouait ne pas les comprendre25. En 1952, Robert Brichet consacra quelques pages de son
tude sur le rgime des monuments historiques au statut particulier des monuments
historiques dAlsace et de la fondation de luvre Notre-Dame charge de la conservation
de la cathdrale de Strasbourg26. En 1937, linspecteur des monuments historiques
dAlsace Paul Lechten dressa un bilan de lactivit de ladministration des beaux-arts en
Alsace depuis le retour la France en 191827. Son tude cherchait montrer que, malgr la
pnurie des crdits, le service des monuments historiques tait parvenu entretenir les 250
monuments classs que comptait alors la rgion, restaurer les plus emblmatiques dentre
eux, et dvelopper leur connaissance par lorganisation dexpositions et des publications.
partir du milieu des annes 1970, plusieurs articles furent consacrs larchitecte
allemand Johann Knauth, tantt qualifi de sauveur de la cathdrale de Strasbourg,
tantt prsent comme un martyr de ladministration franaise en raison de son
expulsion en 192128. Un rcent mmoire de master a port sur larchitecte Robert Danis29,
directeur des services darchitecture et des beaux-arts dAlsace et de Lorraine de 1919
1925, architecte en chef des btiments civils, palais nationaux et monuments historiques
dAlsace durant lentre-deux-guerres, puis directeur gnral de larchitecture la
Libration. Les autres architectes du service des monuments historiques dAlsace restent
trs mal connus malgr la stature nationale, voire internationale de certains dentre eux30.
Marie-Nole Denis a men lenqute sur le rle de la Socit pour la conservation
des monuments historiques dAlsace dans la dfinition et la protection du patrimoine
25 Gabriel Vernhette, La protection des monuments historiques et des objets dart en France et en Italie, thse de droit, Lyon, 1930, 151 p. 26 Robert Brichet, Le rgime des monuments historiques en France, Paris, Librairies techniques, Librairie de la Cour de cassation, 1952, 237 p. 27 Paul Lechten, Luvre de ladministration des beaux-arts , dans LAlsace depuis son retour la France, premier supplment, Strasbourg, Comit alsacien dtudes et dinformations, 1937, p. 124-156. 28 Jean-Richard Haeusser, la mmoire de Johann Knauth (1864-1924), dans Bulletin de la Socit des Amis de la cathdrale de Strasbourg, 2e srie, XI, 1974, p. 10-13. Jean-Richard Haeusser, En lhonneur dun grand architecte de luvre Notre-Dame : Johann Knauth , dans Bulletin de la cathdrale de Strasbourg, XII, 1976, p. 83-85. H. Hering et A. Schimpf, Les travaux de consolidation du pilier supportant la tour de la cathdrale de Strasbourg, conduits par Johann Knauth et Charles Pierre , dans Bulletin de la cathdrale de Strasbourg, XIII, 1978, p. 7-40. Franois Uberfill, Johann Knauth, dernier architecte allemand de luvre Notre-Dame (1905-1920) : un destin tragique , dans Bulletin de la cathdrale de Strasbourg, XXVI, 2004, p. 53-70. 29 Claire Johann, Robert Danis, 1879-1949, Un architecte entre monuments historiques et palais nationaux, de Paris Strasbourg, mmoire de master 2 sous la direction dAnne-Marie Chtelet, cole nationale suprieure darchitecture de Strasbourg, Strasbourg, 2012, 101 p. 30 Paul Glis, qui fut lorigine de la protection du village de Prouges et du quartier Saint-Jean Lyon, auteur de la reconstruction de Bergues, na fait lobjet daucune tude jusqu ce jour. De mme pour Bertrand Monnet, qui fut pourtant prsident de la Compagnie des architectes en chef des monuments historiques, invit donner des confrences ltranger et dcor par le Saint-Sige de lordre de Saint-Grgoire-le-Grand pour son uvre de restauration de la cathdrale de Strasbourg et de reconstruction des glises dAlsace.
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rgional31. Des tudes partielles ont t consacres la protection et la mise en valeur des
vestiges et souvenirs de guerre de la Premire Guerre mondiale32. Le cas du champ de
bataille du Linge est dsormais trait33, celui de lHartmannswillerkopf restait en grande
partie crire, bien quil ait rcemment attir lattention34. La protection des sites et
paysages des Vosges a fait lobjet de notre tude en 200635.
La politique patrimoniale du dpartement du Haut-Rhin dans lentre-deux-guerres a
t esquisse dans mon mmoire de matrise36, celle du Bas-Rhin dans un mmoire de
premire anne de master37. Elle restait entirement crire pour laprs Seconde Guerre
mondiale.
Pour la priode de lannexion de fait lAllemagne nazie (1940-1944), seule la
politique des fouilles archologiques est bien connue38 : il y aurait encore beaucoup dire
sur le Landesdenkmalamt et son chef, le Dr. Joseph Schlippe.
La priode de la reconstruction a t peu tudie. En 1970, larchitecte en chef des
monuments historiques Bertrand Monnet livra un rapide bilan de laction du service des
monuments historiques en Alsace depuis la Libration39. Depuis quelques annes, le
sminaire dAnne-Marie Chtelet lcole nationale suprieure darchitecture de
Strasbourg est le cadre de recherches sur la reconstruction qui ouvrent des perspectives40.
31 Marie-Nole Denis, La Socit pour la conservation des monuments historiques dAlsace aux origines de la notion de patrimoine rgional , dans Cahiers alsaciens darchologie, dart et dhistoire, XLI, 1998, p. 141-155. 32 Andr Claverie, Lthique dun classement de monuments historiques commmorant la guerre 1914-1918 en Alsace , dans Dialogues transvosgiens entre les trois rgions Alsace/Franche-Comt/Lorraine, Aspects dhier et daujourdhui, 10, 1995, p. 121-127. 33 Florian Hensel, Le Lingekopf, De 1915 nos jours, Destruction Remise en tat Revalorisation dun champ de bataille alsacien de la Premire Guerre mondiale, Colmar, Jrme Do Bentzinger diteur, 2013, 267 p. 34 Thierry Ehret, Hartmannswillerkopf : un monument national de la Grande Guerre , dans Guerres mondiales et conflits contemporains, 235, 3-2009, p. 61-73. Larchitecte Michel Spitz a bien voulu nous communiquer son rapport diagnostic sur le monument national de lHartmannswillerkopf. 35 Nicolas Lefort, La protection des paysages dans les Vosges (1923-1939) , dans Revue dAlsace, 132, 2006, p. 283-317. 36 Nicolas Lefort, La conservation des monuments historiques dans le Haut-Rhin de 1919 1939 : continuit et innovations, mmoire de matrise en histoire sous la direction de Franois Igersheim, universit Marc Bloch, 2 tomes, Strasbourg, 2003, 220 p. dactyl. Mmoire partiellement publi dans Nicolas Lefort, Le service des monuments historiques dans le Haut-Rhin de 1919 1939 , dans Chantiers historiques en Alsace, 7, 2004, p. 231-255. 37 Marie-Aurore Hergott, Le conseil gnral du Bas-Rhin et la valorisation du patrimoine de 1919 1939, mmoire de master 1 sous la direction de Franois Igersheim, universit Marc Bloch, Strasbourg, 2007, 49 p. dactyl. 38 Bernadette Schnitzler, La passion de lantiquit, Six sicles de recherches archologiques en Alsace, Strasbourg, Socit savante dAlsace, 1998 (Recherches et documents, tome 60), 351 p. Larchologie en Alsace et en Moselle au temps de lannexion (1940-1944), Strasbourg-Metz, 2001, 256 p. 39 Bertrand Monnet, Le service des monuments historiques depuis la Libration , dans Saisons dAlsace, 35, 1970, p. 285-295. 40 Pauline Smon, La reconstruction du palais Rohan, Une illustration de la politique patrimoniale de Strasbourg aprs 1945, mmoire de master 2 sous la direction dAnne-Marie Chtelet, cole nationale
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La politique patrimoniale du ministre Malraux a galement suscit lintrt. En
1970, les Saisons dAlsace consacrrent un numro spcial lInventaire gnral des
monuments et richesses artistiques en Alsace41. Plus rcemment, Jean-Philippe Meyer a
retrac les grandes lignes de lhistoire du service rgional de linventaire dAlsace de sa
cration aux annes 200042. Les secteurs sauvegards ont fait lobjet de mmoires de
master en histoire43 et en architecture44.
Notre enqute sur les monuments
historiques dAlsace de 1914
1964
La prsente enqute porte sur lvolution lgislative, lorganisation administrative,
le budget, la politique de protection et les ralisations concrtes du service des monuments
historiques en Alsace, ainsi que sur la politique des dpartements du Bas-Rhin et du Haut-
Rhin en faveur du patrimoine monumental, y compris les difices cultuels non protgs au
titre des monuments historiques. Le plan chronologique sest impos pour rendre compte
des continuits et des ruptures. Il est divis en trois parties chronologiquement ingales,
mais relativement quilibres dans le texte.
Les bornes chronologiques de notre tude navaient rien dvident au dpart. 1914 a
t prfr 1918 pour pouvoir voquer les mesures de protection des monuments
historiques prises par ladministration militaire franaise dans la partie de la Haute Alsace
que la France occupa ds aot 1914, le fonctionnement du service de protection et
dvacuation des monuments et uvres dart, et surtout, les rflexions de la Confrence
dAlsace-Lorraine sur le rgime des monuments historiques appliquer aux territoires
suprieure darchitecture de Strasbourg, Strasbourg, 2012, 75 p. dactyl. Travaux en cours sur la reconstruction de lAncienne Douane et la reconstruction du quartier Gutenberg Strasbourg. 41 LInventaire gnral des monuments et des richesses artistiques de la France (= Saisons dAlsace, 33-34, 1970), 199 p. 42 Jean-Philippe Meyer, Le service de linventaire du patrimoine culturel et sa documentation , dans Revue dAlsace, 134, 2008, p. 389-417. 43 Marie Laurent, Le secteur sauvegard de Strasbourg, plan de sauvegarde et de mise en valeur, mmoire de master sous la direction de Franois Igersheim, universit Marc Bloch, Strasbourg, 2008, 240 p. Mmoire rcompens par la Socit des Amis du Vieux-Strasbourg. 44 Louise Chauvin, Politique de valorisation du patrimoine, Le secteur sauvegard de Strasbourg, 1974-2012, mmoire de master 2 sous la direction dAnne-Marie Chtelet, cole nationale suprieure darchitecture de Strasbourg, Strasbourg, 2013, 64 p. dactyl.
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recouvrs aprs la victoire. La priode qui stend de 1914 1925 fut en effet celle du
retour de lAlsace et de la Lorraine la France. Un commissariat gnral de la Rpublique
fut cr Strasbourg pour administrer les provinces recouvres. Il introduisit en Alsace et
en Lorraine la lgislation franaise sur les monuments historiques, les sites et laffichage
de manire particulire et incomplte. Il cra une direction de larchitecture et des beaux-
arts dAlsace et de Lorraine qui rorganisa le service des monuments historiques dAlsace
et recruta de nombreux architectes. Une commission de larchitecture et des beaux-arts
dAlsace et de Lorraine fut recre pour tudier les propositions de classement et les
projets de restauration de monuments. Des commissions dpartementales furent charges
de la protection des sites et monuments naturels. On se proccupa de rparer les dommages
de guerre, de protger et de mettre en valeur les sites de guerre de lancien front dAlsace.
Lanne 1925 marqua une premire rupture. Le commissariat gnral de la
Rpublique, la direction et la commission de larchitecture et des beaux-arts dAlsace et de
Lorraine furent supprims. Lorganisation alsacienne et lorraine des services darchitecture
fut maintenue mais le service des monuments historiques dAlsace fut rattach au ministre
des beaux-arts. Les questions relatives aux monuments historiques dAlsace furent
centralises Paris par la commission des monuments historiques. Lintroduction
lgislative fut rgularise et tendue. Les anciens classements furent mis jour et de
nouvelles protections furent prononces. Les crdits du budget dAlsace et de Lorraine
furent intgrs au budget gnral. Toutes ces mesures ne manqurent pas de soulever des
protestations et des difficults. Les dpartements prirent le relai de lancienne rgion en
votant des crdits pour les monuments historiques et les difices cultuels.
Le dbut de la Seconde Guerre mondiale constitua une seconde cassure. La guerre
bouleversa le fonctionnement du service des monuments historiques dAlsace. Aprs
larmistice de juin 1940, lAlsace et la Moselle furent annexes de fait lAllemagne
nazie. Les Allemands rorganisrent un service de conservation des monuments
historiques ou Landesdenkmalamt. Les bombardements allis et les combats de la
Libration causrent de nombreux dommages dans les monuments historiques. la
Libration, la direction gnrale de larchitecture lana la grande rforme des btiments
de France sur le modle alsacien-lorrain. Les annes 1950 et 1960 furent marques par la
reconstruction et ses difficults. La tche du service tait immense, ses crdits trs
insuffisants. De nouveaux modes de gestion des crdits durent tre mis au point.
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Le choix du terminus ad quem de notre enqute a t plus difficile. Notre projet de
dpart allait jusqu la premire dcentralisation du dbut des annes 1980. Il sest avr
trop ambitieux. Par ailleurs, les archives relatives aux annes 1970 et 1980 nont pas toutes
t verses.
Lanne 1964 a t choisie parce quelle marqua le dbut de lapplication en Alsace
et en Lorraine de lensemble de la loi du 31 dcembre 1913, les dispositions relatives aux
objets mobiliers nayant t introduites que par la loi du 30 dcembre 1963. Surtout, avec
laboutissement des inflexions rgionales donnes par la planification franaise, elle
permet de rendre compte de la rupture que constitua le moment Malraux avec la
cration des secteurs sauvegards (1962), la cration des comits rgionaux des affaires
culturelles (1963) et le dbut de laventure de lInventaire, dont lAlsace fut lune des
deux rgions pilotes avec la Bretagne (1964). Lenqute a t prolonge pour pouvoir
tudier lapplication des rformes du dbut des annes 1960.
Nos sources
Notre enqute repose essentiellement sur le dpouillement darchives
administratives et dimprims officiels. Les archives nationales se sont avres peu
intressantes pour notre sujet. Seul le fonds de ladministration provisoire de lAlsace-
Lorraine de 1914 1919 a t vraiment utile. En effet, le service des monuments
historiques dispose de son propre dpt darchives : les fonds de la Mdiathque de
larchitecture et du patrimoine Charenton-le-Pont ont permis dtudier les questions
relatives la lgislation, lorganisation, au personnel et au budget du service des
monuments historiques, les dbats de la commission suprieure des monuments historiques
et de ses sous-commissions, et des exemples de chantiers de restauration. Les archives du
service des monuments historiques dAlsace ont t scindes en deux fonds
dpartementaux en 1945 : ils ont t verss respectivement aux archives dpartementales
du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Ils renseignent sur lorganisation du service et sa pratique
administrative quotidienne. Malheureusement, le fonds du Bas-Rhin est lacunaire et
certaines archives se trouvent encore dans les services, au palais du Rhin Strasbourg. De
mme, les archives gnrales de la conservation rgionale des btiments de France nont
pas encore t verses. Certains dossiers de personnels ont cependant pu tre consults
directement dans les services.
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Aux archives dpartementales du Bas-Rhin, les fonds du commissariat gnral de la
Rpublique (1918-1925) et de la direction gnrale des services dAlsace et de Lorraine
(1918-1940) ont permis dtudier la lgislation particulire aux dpartements recouvrs, les
rorganisations des services aprs la Premire Guerre mondiales, et les questions plus
politiques. Les papiers des prfectures du Bas-Rhin et du Haut-Rhin ont galement t
consults. Aux archives de la ville et de la communaut urbaine de Strasbourg, nous avons
dpouill les archives de la direction des travaux municipaux, de la fondation de luvre
Notre-Dame de la cathdrale de Strasbourg, et les papiers du chanoine Eugne Muller.
Nous sommes alls la recherche des archives personnelles des architectes des
monuments historiques qui ont uvr en Alsace. Seuls les papiers de Bertrand Monnet
(1910-1989) ont t verss la Mdiathque de larchitecture et du patrimoine. Les papiers
de Paul Glis (1887-1975) ont t conservs par son petit-fils Bruno Glis, architecte
DPLG Paris, qui a numris pour nous des documents biographiques, des pices de
correspondance et une collection de photographies des uvres de son grand-pre.
Larchitecte des btiments de France Hugues Herz nous a prts des documents relatifs aux
monuments historiques et lagence des btiments de France du Haut-Rhin. Il nous a
galement accord un long entretien en 2008. Les archives de larchitecte des monuments
historiques Charles Czarnowsky (1879-1960) et de larchitecte en chef de la Ville de
Strasbourg Robert Will (1910-1998) ont t lgues la Bibliothque nationale et
universitaire de Strasbourg. Par contre, les papiers des architectes des btiments de France
Charles Henri Arnhold et Fernand Guri nont pas t retrouvs, et les archives de Robert
Danis (1879-1949), qui ont t conserves, nont pu tre consultes.
Les sources imprimes sont trs importantes. Les textes introduisant la lgislation
franaise en Alsace et en Lorraine, les dcrets organisant les services darchitecture, les
arrts de nomination des personnels, les arrts et listes de classement de monuments et
de sites ont t publis au Bulletin officiel dAlsace et de Lorraine (1918-1940). Ldition
des Lois et dcrets du Journal officiel de la Rpublique franaise a t surtout utile pour la
priode postrieure. Nous avons galement eu recours ldition des Dbats
parlementaires. Les procs-verbaux de la confrence dAlsace-Lorraine (1914-1918), puis
du conseil suprieur (1919-1920) et du conseil consultatif dAlsace et de Lorraine (1920-
1924) ont t trs utiles, le budget dAlsace et de Lorraine galement. Les rapports, procs-
verbaux et budgets des conseils gnraux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin ont t dpouills
pour toute la priode (1919-1964), ainsi que les Recueils des actes administratifs des deux
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22
dpartements. Les priodiques rgionaux et les nombreuses coupures de presse retrouves
dans les archives du service des monuments historiques ont permis dtudier la rception
par lopinion rgionale des ralisations du service des monuments historiques. Il resterait
toutefois beaucoup faire sur ce dernier point.
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23
1re partie. Les monuments
historiques dAlsace face au
retour la France
Chapitre 1. La protection des
monuments et uvres dart dans
les territoires recouvrs de lAlsace
(1914-1919)
Ds le dbut de la Premire Guerre mondiale au mois daot 1914, larme
franaise parvient occuper la partie sud de la Haute-Alsace1. Elle y retrouve plusieurs
monuments historiques : la collgiale Saint-Thibaut de Thann (classe par la commission
des monuments historiques en 1841), les ruines du chteau dEngelbourg (classes par
ladministration allemande en 1898), la chapelle de lancienne abbaye de Masevaux (1898)
et lglise de Vieux-Thann (1904)2.
Aprs le bombardement de la cathdrale de Reims en septembre 1914, les
monuments historiques dAlsace deviennent un sujet de la propagande de guerre et restent
un objet de dbat entre la France et lAllemagne. Il faut toutefois attendre 1915 pour que
ladministration militaire franaise prenne des mesures pour la protection des monuments
des territoires reconquis, et 1917 pour que ladministration des Beaux-Arts et le ministre
de la Guerre instituent un vritable service de protection et dvacuation des monuments
et uvres dart de la zone des armes qui fonctionne en Alsace. la fin de la guerre, est
aussi cr un service de rcupration des uvres dart charg de rechercher et de
1 Jean-Nol Grandhomme, dir., Boches ou tricolores ? Les Alsaciens-Lorrains dans la Grande Guerre, Strasbourg, La Nue bleue, 2008, p. 425. 2 Archives dpartementales du Bas-Rhin, 98 AL 626. Extrait du rapport numrot 200 exemplaires, publi par lAdministration militaire de lAlsace en 1917 sur lorganisation du territoire de Thann (24 novembre 1914-24 novembre 1916).
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24
rapatrier les objets et uvres dart enlevs par les Allemands dans les territoires occups
du nord de la France et de la Belgique, qui se proccupe galement des uvres dart
vacues dAlsace par les Allemands depuis 1914 et des objets emports aprs la guerre de
1870.
I. Les enjeux de la conservation des monuments
historiques pendant la Grande Guerre (1914-
1918)
La guerre qui commence en aot 1914 se rvle rapidement trs diffrente des
prcdents conflits. Les monuments historiques y tiennent une place particulire.
A. Les monuments historiques au centre de la propagande de
guerre
Le 19 septembre 1914, le bombardement et lincendie de la cathdrale de Reims
suscitent un trs vif moi. Ds le lendemain, le gouvernement franais proteste fortement
contre cet acte de vandalisme3. Lopinion publique sindigne galement de cette
manifestation de la barbarie allemande. Ds lors, la destruction des monuments et des
uvres dart constitue un thme majeur de la propagande de guerre et leur prservation
devient un enjeu politique et idologique.
Le caricaturiste alsacien, Jean-Jacques Waltz dit Hansi4, engag dans larme
franaise ds la dclaration de guerre, publie dans Le Matin du 27 septembre 1914, un
dessin satyrique intitul Un remde pire que le mal , par lequel il dnonce la destruction
de la cathdrale de Reims et les mthodes allemandes de restauration des monuments
historiques. En effet, le dessin montre un gros Allemand qui, apprenant la nouvelle de
lincendie de la cathdrale de Reims la lecture du Strassburger Post, fait la rflexion :
La gaddralle de Reims ? Cest peu de chose ; nous la reconstruirons aprs la gonqute,
3 Yann Harlaut, La restauration de la cathdrale de Reims : enjeux et ingrences , dans Philippe Poirrier et Loc Vadelorge, dir., Pour une histoire des politiques du patrimoine, Paris, Comit dhistoire du ministre de la culture, 2003 (Travaux et documents n16), p. 255. 4 Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne, 15, 1412. Notice par Pierre Marie Tyl. Jean-Jacques Waltz dit Hansi (1873-1951).
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25
comme le Hoh-Koenigsburg5 ! Il oppose donc le caractre authentique des restaurations
franaises au pastiche et la lourdeur des restaurations allemandes.
En Allemagne, les suites du bombardement de la cathdrale de Reims ont un effet
rassembleur chez les lites intellectuelles et artistiques dans leur soutien aux dirigeants
allemands6. Avant guerre, lhistorien de lart Paul Clemen, professeur luniversit de
Bonn et inspecteur des monuments de la Rhnanie avait vant la conservation des
monuments historiques en France7. Mais dans un article paru en 1915, le mme Paul
Clemen reproche la Rpublique franaise davoir abandonn lentretien des glises de
France en votant la loi de sparation des glises et de ltat de 1905. Il accuse aussi
larme franaise davoir provoqu lincendie de la cathdrale de Strasbourg en 1870 et le
bombardement de la cathdrale de Reims en 1914 par lutilisation de leurs tours comme
postes dobservation, ce que conteste formellement le traducteur franais du texte, Louis
Dimier8.
Dans les territoires belges et franais occups, Paul Clemen organise
progressivement le Kunstschutz, un service de protection des monuments et uvres dart,
dont lobjet est de prouver au monde que lAllemagne est une nation civilise qui se
proccupe de prserver lart de lennemi9. Ct franais, le chef des services
darchitecture au ministre de lInstruction publique et des beaux-arts Paul Lon prend
diffrentes mesures de protection et de rparation provisoire des monuments
endommags10.
En 1916, linitiative du Journal, la Ville de Paris organise, sous le patronage du
sous-secrtaire dtat des Beaux-Arts, une exposition duvres dart mutiles ou
provenant des rgions dvastes par lennemi. Les objets exposs au Petit Palais ont t
recueillis sur les diverses parties du front par linspecteur gnral des monuments
5 Cit dans Yann Harlaut, La restauration de la cathdrale de Reims : enjeux et ingrences , dans Philippe Poirrier et Loc Vadelorge, dir., Pour une histoire des politiques du patrimoine, Paris, Comit dhistoire du ministre de la culture, 2003 (Travaux et documents n16), p. 256. 6 Christina Kott, Prserver lart de lennemi ? Le patrimoine artistique en Belgique et en France occupes, 1914-1918, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2006 (Comparatisme et socit n4), p. 43-45. 7 Paul Clemen, Die Denkmalpflege in Frankreich, Berlin, 1898, cit par Paul Lon, La renaissance des ruines, Maisons, monuments, Paris, Henri Laurens, 1918 (La guerre et larchitecture), p. 67-68. 8 Paul Clemen, La protection allemande des monuments de lart pendant la guerre , traduit et comment par Louis Dimier, dans Correspondance historique et archologique, 1914-1915, p. 243-265. 9 Sur lhistoire du Kunstschutz, voir : Christina Kott, Prserver lart de lennemi ? Le patrimoine artistique en Belgique et en France occupes, 1914-1918, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2006 (Comparatisme et socit n4), 441 p. 10 Arlette Auduc, Quand les monuments construisaient la nation, Le service des monuments historiques de 1830 1940, Paris, Comit dhistoire du ministre de la culture, 2008 (Travaux et documents n25), p. 389-391.
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historiques Paul Ginisty avec laide des autorits civiles et militaires. Ils doivent tmoigner
de la fureur du vandalisme allemand , attester de la folie de dvastation de ceux que
lHistoire fltrira du nom renouvel de Barbares et permettre de garder la mmoire de
leur frnsie de destruction. Une salle de lexposition est consacre lAlsace
franaise. On y trouve lenseigne de lancienne htellerie du Cerf Thann et quatre
plaques de fontes provenant danciens poles des poques Louis XIII et Louis XV. On peut
y voir surtout une srie de 18 dessins de lartiste alsacien Robert Kammerer montrant les
dgts causs par les bombardements allemands aux anciens remparts et aux vieilles
maisons de Thann, ainsi quaux statues des XVe et XVIe sicles de la collgiale Saint-
Thibaut11.
En 1918, deux ouvrages rpondent larticle de Paul Clemen. Linspecteur gnral
des Beaux-Arts Arsne Alexandre fait paratre Les monuments franais dtruits par
lAllemagne, une enqute mene pour le sous-secrtariat des Beaux-Arts, avec pour triple
objectif de :
Dnombrer, autant quil est encore possible lheure prsente, les destructions des uvres dart,
des asiles de la pense et de lidal, quau nom de la culture allemande et approuves par elle, les
armes allemandes ont perptres ;
Repousser les dmentis et rfuter les sophismes par lesquels les incendiaires et les penseurs
allemands ont cru masquer la prmditation des ruines et justifier ses rsultats ;
Conserver et transmettre comme une arme dfensive contre loubli la mmoire et la preuve de faits
qui plus tard affligeront et tonneront lhumanit peut-tre plus encore quils ne le font aujourdhui
mme, dans la tourmente et sa confusion12.
Paralllement, Paul Lon rpond aux accusations dincurie de Paul Clemen dans un
petit livre intitul La renaissance des ruines. Il y consacre un chapitre La reconstitution
monumentale de la France dans lequel il oppose nettement les mthodes franaise et
allemande de restauration des monuments historiques en prenant pour exemple les glises
dAlsace (Ill. 1 et 2) :
Le respect du pass nous a fait souvent accuser de ngligence par nos ennemis. Il suffit
dexaminer la restauration de lglise de Thann ou celle de lglise de Sewen faites par les
architectes du gouvernement imprial pour comprendre lirrductible opposition de leurs mthodes
11 Exposition duvres dart mutiles ou provenant des rgions dvastes par lennemi organise sous le patronage du sous-secrtaire dtat des Beaux-Arts par la Ville de Paris sur linitiative du Journal , Paris, 1916, p. 56-57. 12 Arsne Alexandre, Les monuments franais dtruits par lAllemagne, Enqute entreprise par ordre de M. Albert Dalimier, sous-secrtaire dtat des Beaux-Arts, Paris-Nancy, Berger-Levrault, 1918, p. 1.
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et des ntres. Thann, le remplacement des statues anciennes de la faade par une galerie
colonnettes de la plus burlesque invention, linvraisemblable coloris de la toiture, la dcoration
peinte de la nef, permettent de juger si notre abstention nest pas prfrable leur zle13.
13 Paul Lon, La renaissance des ruines, Maisons, monuments, Paris, Henri Laurens, 1917, p. 71.
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Ill. 1 : La faade occidentale de la collgiale Saint-Thibaut de Thann
avant et aprs restauration par Charles Winkler
Ill. 2 : Lintrieur de lglise de Sewen aprs la restauration allemande
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B. Les monuments historiques dAlsace, un enjeu national
La rcupration de lAlsace tant lun des principaux buts de guerre de la France,
ses monuments historiques deviennent plus que jamais un enjeu national.
En 1917, lhistorien de lart mile Mle fait paratre Lart allemand et lart
franais du Moyen ge. Il y dfend la thse selon laquelle les Franais ont invent lart
roman et lart gothique que les Allemands nont fait que copier, do leur acharnement
contre la cathdrale de Reims. mile Mle explique que larchitecture gothique sest
diffuse en Alsace avant lAllemagne et que la province tait donc tourne vers la
France ds le Moyen ge :
Les Allemands ont essay de nous faire croire que lAlsace du Moyen ge tait oriente du ct de
lAllemagne et que les Vosges formaient entre elle et nous une barrire infranchissable. Il nen est
rien. LAlsace a connu la croise dogives avant lAllemagne. Les plus anciennes de ces croises
dogives se voient dans lglise de Murbach demi dtruite, mais si magnifique encore dans sa
solitude. Murbach, grandiose abbaye de lordre de Cluny, a conserv plus dun trait clunisien dans
son architecture. Elle fut leve vers 1150, et cest peu aprs cette date quelle reut sur le chur
et le transept des croises dogives trs archaques daspect, et sans clef de vote. Do lui venait
linvention nouvelle ? Sans doute de la Bourgogne laquelle tant de liens la rattachaient14.
mile Mle consacre galement de nombreuses pages la cathdrale de
Strasbourg :
Ces influences de la rgion parisienne, nous allons les retrouver dans une cathdrale que
lAllemagne croit sienne, mais qui est presque toute franaise : la cathdrale de Strasbourg.
Jamais ni les Allemands ni les Franais nont parl avec sang-froid de cette cathdrale de
Strasbourg, plac comme une pierre milliaire la limite de deux mondes. [] On sent que la haute
flche est lenjeu dune terrible guerre que deux races se livrent depuis des sicles15.
Pour le prouver, il rpertorie les influences franaises la cathdrale de
Strasbourg : Chartres pour le bras sud du transept et le pilier des Anges, la basilique Saint-
Denis pour la nef, Notre-Dame de Paris pour la faade occidentale et sa rose centrale,
Reims pour les statues de lglise et de la Synagogue du portail sud. Il rappelle aussi les
incertitudes relatives Erwin de Steinbach et dnigre les matres allemands Ulrich
dEnsingen et Jean Hltz :
14 mile Mle, Lart allemand et lart franais du Moyen ge, Paris, Armand Colin, 1923, p. 117-118. 15 mile Mle, Lart allemand et lart franais du Moyen ge, Paris, Armand Colin, 1923, p. 150-151.
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quoi donc se rduit la part de lAllemagne ? ltage de la tour nord qui porte la flche et la
flche elle-mme. [] Cest la partie la plus clbre de la cathdrale de Strasbourg et cest la
moins belle. [] Peut-tre pourrait-on ajouter quon retrouve dans cette trange conception
quelques-uns des traits les plus frappants du gnie allemand : got du colossal, complication
infinie, profond savoir qui sapplique avec une patience inlassable, mais qui ne sait faire natre ni la
clart, ni la beaut16.
II. Les premires mesures de protection de
ladministration militaire franaise dans les
territoires reconquis de lAlsace (1914-1916)
Lorsque la guerre dbute en aot 1914, le service des monuments historiques na
prvu aucun plan densemble pour la protection et lvacuation des monuments et uvres
dart de la zone des armes. Les premires destructions dampleur forcent les autorits
civiles et militaires ragir.
Malgr la proximit des lignes allemandes, les autorits militaires franaises du
territoire reconquis dAlsace ne prennent dabord aucune mesure de protection pour les
monuments historiques de la rgion, pensant sans doute que les Allemands ne tireraient pas
sur des difices quils comptaient bien rcuprer17. Beaucoup moins confiant, le clerg
local sinquite tout particulirement du sort de la reine des glises , la collgiale Saint-
Thibaut de Thann :
Durant toute la guerre, nous tions anxieux sur le sort du merveilleux sanctuaire de Saint-Thibaut.
En apprenant par les feuilles publiques, de quelle manire les Vandales et Sudois de notre temps
se comportaient lgard des glises et des cathdrales de Belgique et du Nord de la France,
personne navait lieu dtre assur que la flche de Thann ne serait pas aussi le but des canons
allemands18.
Cest pourquoi, le 15 aot 1914, le cur de Thann Charles Pesseux refuse de donner
un commandant de larme franaise la cl de la tour, de crainte quelle ne soit prise pour
cible par les Allemands. Dans les jours qui suivent, il en confie toutefois la garde un
gnral franais contre la garantie que personne ny accdera pendant la dure de la guerre.
16 mile Mle, Lart allemand et lart franais du Moyen ge, Paris, Armand Colin, 1923, p. 161-162. 17 Cest en tout cas lanalyse que fait le critique dart Andr Hallays. Andr Hallays, la France, Sites et monuments, LAlsace (le Haut-Rhin le Bas-Rhin), Paris, Touring-Club de France, 1929, p. 10 18 Gilles Sifferlen, tat actuel de nos glises du front de guerre dans le Sundgau , dans Bulletin ecclsiastique de Strasbourg, 38, 1919, p. 68.
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Par consquent, les Allemands ne peuvent accuser les Franais de se servir de la flche de
la collgiale comme observatoire19.
Malgr cela, les bombardements allemands de dcembre 1914 et janvier 1915
prennent notamment pour cible la collgiale de Thann et y occasionnent de srieux dgts.
Les autorits militaires franaises prennent alors conscience du danger que court le
monument. Elles se rendent galement compte que sa prservation constitue un enjeu
politique et idologique particulirement important. Parmi les sculptures de la collgiale
figurent des uvres de lcole franaise du XIVe sicle , comme les statues de saint
Jean lvangliste et du roi Saint Louis. La collgiale ayant t classe par la commission
des monuments historiques Paris avant lannexion de 1870, ladministration franaise se
doit de la protger.
Par consquent, les autorits militaires dcident de charger un expert de cette
question : en fvrier 1915, Gustave Pimienta20, sculpteur Paris et officier de rserve, est
spcialement affect dans le territoire de Thann-Masevaux pour y assurer la conservation
des objets dart21.
Thann, Gustave Pimienta fait dposer une douzaine de statues de la collgiale
Saint-Thibaut pour les mettre labri dans la cave vote de la maison de Jules Scheurer
Bitschwiller. Il fait aussi protger les stalles en bois sculpt, les deux grands portails et
leurs tympans sculpts par des chafaudages de planches et un matelassage renforc de
sacs de coton22 (Ill. 3).
19 Gilles Sifferlen, tat actuel de nos glises du front de guerre dans le Sundgau , dans Bulletin ecclsiastique de Strasbourg, 38, 1919, p. 69. 20 Michel Florisoone, Gustave Pimienta, sa vie, son uvre, Paris, Institut de France, 1986. Gustave Pimienta (Paris, 1er aot 1888 Prban, Maine-et-Loire, 1982), sculpteur franais. Originaire dAlsace par sa mre et dEspagne par son pre. 21 Archives dpartementales du Bas-Rhin, 98 AL 626. Extrait du rapport numrot 200 exemplaires, publi par lAdministration militaire de lAlsace en 1917 sur lorganisation du territoire de Thann (24 novembre 1914-14 novembre 1916). Rapport du commissaire de police mobile Barthelet au contrleur gnral des services de recherches judiciaires, 16 juin 1927. 22 Archives dpartementales du Bas-Rhin, 98 AL 626. Extrait du rapport numrot 200 exemplaires, publi par lAdministration militaire de lAlsace en 1917 sur lorganisation du territoire de Thann (24 novembre 1914-14 novembre 1916). Rapport cit dans : Joseph Baumann, Restaurations et rnovations de la collgiale de Thann travers les sicles (suite et fin) , dans Annuaire de la socit dhistoire des rgions de Thann-Guebwiller 1979-80, 13, 1981, p. 36. Voir galement : Gilles Sifferlen, tat actuel de nos glises du front de guerre dans le Sundgau , dans Bulletin ecclsiastique de Strasbourg, 38, 1919, p. 68-71.
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Ill. 3 : Les portails de la collgiale Saint-Thibaut de Thann protgs par
les militaires franais en 1915 (Ministre de la culture, mdiathque de
larchitecture et du patrimoine, D0000362)
Les premires mesures prises par les militaires franais la collgiale de Thann
montrent une certaine efficacit. Le 15 fvrier 1916, un obus clate dans les orgues et brise
le plus haut bas-relief du tympan suprieur du portail occidental reprsentant le
Couronnement de la Vierge. Celui-ci entrane dans sa chute les statues de la Vierge
lenfant, de la Nativit et de la Mise en croix des deux tympans infrieurs. Mais au lieu de
sabmer sur le sol, les fragments tombent dans les sacs de coton installs un an plus tt,
permettant ainsi de les recueillir, de les classer et de les mettre labri en attendant leur
remise en place aprs la guerre.
la suite de ce bombardement, les mesures de protection sont renforces : les
stalles en bois sculpt, qui avaient dabord t protges au moyen de sacs de coton, sont
dmontes le 17 mars 1916 en 245 pices tiquetes, soigneusement emballes, et
transportes Fellering (Haut-Rhin). Les orgues dmolis par lobus menaant de
seffondrer dans lglise sont galement dmonts partir du 25 mars 1916 et envoys
Kruth (Haut-Rhin). Les vitraux anciens du chur, dj endommags, sont dposs avec un
grand soin et une grande mthode :
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Pour permettre de remonter et de restaurer ces vitraux [] un plan des plus prcis a t dress.
Sur chaque fragment de vitrail se trouve marqu la craie une lettre et un numro correspondant
un numro et une lettre du plan. Des rayures rouges indiquent les vitraux non retirs parce que
modernes, demi-dtruits et sans valeur artistique. Chaque caisse renferme un vitrail : une
tiquette cloue sur la baisse indique le sujet du vitrail quelle contient23.
Les vitraux modernes de la Chapelle de la Vierge rests en place sont dailleurs
souffls par une explosion.
Vu la dure du conflit, les chafaudages de soutien de la collgiale Saint-Thibaut
sont vrifis tous les mois, le coton tass par la pluie est rgulirement rehauss, les sacs
terre renouvels. Enfin, les militaires franais prennent des empreintes et excutent des
moulages des plus beaux lments de la collgiale pour pouvoir les reconstituer en cas de
destruction.
Vieux-Thann, lglise est encore plus gravement touche par les bombardements
de 1914-1915. La plupart des vitraux sont anantis en septembre 1914. En fvrier 1915, les
militaires franais en rassemblent les nombreux fragments, les classent et les mettent
labri. Sous le bombardement, ils parviennent rcuprer presque intact le Vitrail de la
Vierge, une des uvres les plus prcieuses de la peinture sur verre en Alsace. De
mme, une Vierge lenfant est descendue dun contrefort extrieur du chur.
lintrieur de lglise, le Tombeau du Christ est entirement recouvert de sacs de sable, les
orgues sont dmonts et envoys Kruth.
Le rapport de lAdministration militaire franaise en Alsace sur les mesures de
protection prises entre 1914 et 1916 souligne que ces uvres appartiennent lcole
allemande. Lglise na dailleurs pas t classe par la commission des monuments
historiques avant 1870, mais par ladministration allemande en 1904. Les autorits
militaires montrent ainsi quen nation civilise, la France prserve aussi bien les uvres
dart de style allemand que de got franais24.
23 Archives dpartementales du Bas-Rhin, 98 AL 626. Extrait du rapport numrot 200 exemplaires, publi par lAdministration militaire de lAlsace en 1917 sur lorganisation du territoire de Thann (24 novembre 1914-14 novembre 1916). 24 Archives dpartementales du Bas-Rhin, 98 AL 626. Extrait du rapport numrot 200 exemplaires, publi par lAdministration militaire de lAlsace en 1917 sur lorganisation du territoire de Thann (24 novembre 1914-14 novembre 1916).
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III. Le service de protection et dvacuation des
monuments et uvres dart du front est en
Alsace (1917-1919)
Au cours de la guerre, les monuments situs dans la zone du front sont exposs un
danger croissant li au perfectionnement des armements : pendant la bataille de la Marne
de septembre 1914, les monuments atteints sont seulement mutils ; durant les batailles de
Verdun et de la Somme en 1916, les difices touchs sont compltement pulvriss. En
outre, la zone des destructions sest tendue, et la deuxime retraite allemande du 24
fvrier 1917 cause des dgts trs importants25. Cest pourquoi, le sous-secrtariat des
Beaux-Arts et le ministre de la Guerre crent, le 21 mai 1917, un service de protection
des monuments et uvres dart situs dans la zone des armes qui est plac sous la
direction dune commission interministrielle26.
A. Lorganisation dun service de protection et dvacuation
des monuments et uvres dart situs dans la zone des
armes (1917)
Lorganisation du service est dcrite dans une note du 13 septembre 1917. La zone
des armes est divise en trois sections : nord, centre et est. Un officier dadministration est
plac la tte de chaque section. Celui-ci dispose dun personnel permanent compos dun
sous-officier et de deux hommes de troupe, dont un secrtaire-dactylographe, et si
ncessaire, dun personnel temporaire recrut spcialement sur place pour les travaux de
manutention. Le secrtaire-dactylographe est attach au sige de la section o sont
centralises les archives administratives.
La premire mission des chefs de section est de procder linspection des
monuments de leur circonscription et de dterminer les lments darchitecture ou uvres
dart sauvegarder. Pour ce travail, les chefs de section disposent dune voiture
automobile. Les lments darchitecture et les uvres dart sauvegarder doivent tre
tiquets et faire lobjet dun inventaire et de photographies : pour le chef de la division
25 Paul Lon, La renaissance des ruines, Maisons, monuments, Paris, Henri Laurens, 1918, p. 61-63. 26 Arlette Auduc, Quand les monuments construisaient la nation, Le service des monuments historiques de 1830 1940, Paris, Comit dhistoire du ministre de la culture, 2008 (Travaux et documents n25), p. 391-394.
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des services darchitecture Paul Lon, cest loccasion de crer un service
photographique des oprations de guerre qui manquait cruellement au service des
monuments historiques27.
Selon la situation, les lments darchitecture et les uvres dart sont, soit prservs
sur place, dans ldifice mme ou dans un local adapt de la commune, soit vacus vers
un dpt de la section situ labri des bombardements. Le cas chant, le transport est
effectu par camion automobile. Dans la mesure du possible, les objets dun mme
dpartement sont centraliss dans un dpt situ dans le dpartement28.
1. Lorganisation du service de protection et
dvacuation des uvres dart du front est
Au sein du service de protection et dvacuation des monuments et uvres dart de
la zone des armes, la 3e section du front de lEst, comprend les dpartements de la Meuse,
de la Meurthe-et-Moselle, des Vosges29, Belfort et les territoires reconquis de lAlsace.
Son sige administratif est fix Verdun puis Metz30 (Ill. 4). Le 6 septembre 1917, sa
direction est confie un officier dadministration de 3e classe du Gnie, le sous-lieutenant
Robert Danis, second par le sergent Ernest Schmit31.
27 Paul Lon, Du Palais-Royal au Palais-Bourbon, Souvenirs, Paris, Albin, Michel, 1947, p. 175. 28 Archives dpartementales du Bas-Rhin, 178 AL 35. Note sur le fonctionnement du service dvacuation et de conservation des uvres dart situs dans la zone des armes, 13 septembre 1917. 29 Sur ce dpartement, voir : Isabelle Chave, Laction dans les Vosges du service de protection des monuments et uvres dart du front de lEst (1917-1919) , dans La grande guerre dans les Vosges, Sources et tat des lieux (colloque pinal, 2008), pinal, 2009, p. 237-244. 30 Archives dpartementales du Bas-Rhin, 178 AL 35. Le ministre de lInstruction publique et des beaux-arts au sous-lieutenant Danis, chef du service de protection des monuments et uvres dart du front est, 26 dcembre 1918. 31 Archives dpartementales du Bas-Rhin, 178 AL 35. Le ministre de la Guerre au gnral commandant la 6e rgion, 6 septembre 1917.
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Ill. 4 : Monuments et uvres dart du front Est. Organisation du service
par zones dvastes. Carte jointe au rapport n803 en date du 22
janvier 1919 (Mdiathque de larchitecture et du patrimoine, 80/3/21)
2. Robert Danis, chef du service de protection et
dvacuation des monuments et uvres dart du front
est
Marie Henry Robert Danis est n Belfort le 15 juillet 1879. Il fait des tudes
secondaires classiques avant dentrer en 1899 lcole nationale des Beaux-Arts de Paris,
o il est llve dHenry Deglane. Il reoit, en 1903-1904, la grande mdaille dmulation,
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une dizaine de mdailles de 1re classe, puis trois prix : le prix Godebeuf en 1905, le prix
Stilmann en 1908 et le prix Saint Agnan-Boucher en 1909. Il devient architecte diplm
par le gouvernement (DPLG) en 1905, continue obtenir des mdailles la Socit des
architectes diplms par le gouvernement (SADG) en 1907-1908 et au Salon des artistes
franais. Il gagne deux autres prix lAcadmie des Beaux-Arts : le prix Jean Leclaire en
1907 et le prix Rouyer en 1911, entre autres pour la qualit de ses relevs darchitecture
franaise (porte de Brisach Belfort). Titulaire dune bourse de voyage de ltat en 1910,
il visite les Pays-Bas, la valle du Rhin et lItalie. En fvrier 1913, il est recrut comme
architecte ordinaire des btiments civils et des palais nationaux et affect au palais de
Versailles et de Trianon. Le 25 novembre de la mme anne, il est admis second au
concours darchitecte en chef des monuments historiques, avec une tude sur lglise
Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Gonesse (XIIe-XIIIe sicles). Le 23 janvier 1915, il est
nomm architecte en chef des monuments historiques du dpartement des Vosges32.
3. Le dveloppement des missions et laccroissement
du personnel du service
Dans un rapport du 6 aot 1918, Robert Danis dcrit ltendue des missions du
service de protection et de rcupration des monuments et uvres dart du front est :
La conservation des difices classs parmi les monuments historiques qui exige lenlvement des
sculptures, des boiseries, des tableaux et des vitraux, e