la fonction des dialogues dans le théâtre de henrik...
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Lafonctiondesdialoguesdanslethéâtre
deHenrikIbsenUnelecturephénoménologiqueensuivantFreudetLacan
LeneScharling
Introduction-Laquestiondel’auteur
Lethéâtremoderneestunendroitspécifiquesansnarrateurdirect.Laquestion
de l’auteur, aumoment de la formation littéraire du structuralisme, s’est fondée
suruntextedeLacan,Leséminairesur«Lalettrevolée»1,dontils’estdémarqué,et
acontribuédefaçonfondamentaleàthefrenchtheory2.Thefrenchtheoryrestela
méthode d’analyse littéraire utilisée dans les universités des pays anglo-saxons
(Etats-Unis,Angleterre,Scandinavie...),maisestplutôt tombédans lesoubliettes
des universités françaises ayant dépassé sa question: «qui est l’auteur d’un
texte?».
Étantpartiedenosrecherchessur laphénoménologiede larépétitionc’est ici
quenousvoulonstraiter,defaçonsommaire,laquestiondel’auteurdébordantla
questiondelarépétitionsoulevéedansnotremémoire.
Unequestionquiaorienténotrerechercheest:àquoiFreuds’intéressait-ilen
s’approchantdel’artetdelalittérature?Nousavonschoisilemêmeauteur,auteur
1,LACANJacques,Leséminairesur«Lalettrevolé»(1954-55et1966),inÉcrits,Paris,Seuil,1966,
pp.11-612LecorpusdestextesquiontfondélestructuralismeenFrancesontentreautres:JacquesLacan,
Leséminairede«Lalettrevolé»;RolandBarthes,Lamortdel’auteur,Lemythe,aujourd’hui;MichelFoucault:Qu’est-cequ’unauteur?;GérardGenette,Structuralismeetcritiquelittéraire;JacquesDerrida,Lastructure,lesigneetlejeudanslediscoursdesscienceshumaines;PierreBourdieu:Lesconditionssocialesdelacirculationdesidées;MichelEspagne,Lestransfertsculturels;GillesDeleuze,Qu’est-cequ’unelittératuremineure?;...
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de théâtre, Henrik Ibsen, dont Freud a fait une analyse de la pièce de théâtre
Romersholm3.
En rapprochant les discours de Lacan aux dialogues au théâtre, nous nous
sommes posé la question de la fonction des dialogues spécifiques au théâtre
d’Ibsen. Nous cherchons à comprendre dans la fiction ce que les dialogues au
théâtre ont d’important. Est-ce que le théâtre est un lieu oùnous allons trouver
réponse par rapport à notre semblable, à l’autre ? Et est-ce que le théâtre peut
nousaider,commemodèle,àtrouverdesréponses?
Freudetlaquestiondel’auteur
Qu’est-ce qui a intéressé Freud quand il interroge des formes artistiquespar
rapportà lapsychanalyse?Quelsavoir invitaitFreudàdireque lesauteurssont
plussavantsquelesphilosophes?Freudécritàproposdel’analyseLedélireetles
rêves dans la «Gravida» de W. Jensen4: « [...] ce sont de précieux alliés que les
poètes,et l’ondoitattachergrandprixà leur témoignage, car ils savent toujours
une fouledechosesentrecielet terredontnotresagessed’écolenepeutencore
rienrêver.5Enpsychologieilssontbienenavancesurnous,hommesduquotidien,
parce qu’ils puisent là à des sources que nous n’avons pas encore rendues
accessiblesàlascience.6»C’estdanscetteanalysedelaGravidaqueFreudposela
question cliniquede la distinction entre le délire et le rêve en s’appuyant sur la
productionlittéraire.Ilconstatequelerêvedanslafictionnesertqu’àunesimple
prolongationdeladescriptionducaractère.
ParmilesauteursquiontintéresséFreudc’estlapièceRosmersholm(1886)7de
Henrik IbsendontFreud faituneanalysedupersonnagedeRebekkaWest.Cette
3IBSEN,Henrik(1828-1906),Rosmersholm,drame,inOeuvrescomplètes,1886,Paris,Plon,19454JENSEN,Wilhelm(1837-1911),Gravida,einpompejanischesPhantasiestück,DresdenetLeipzig,
CarlReissner,19035CecienallusionàHamlet:«Ilyaplusdechosesaucieletsurlaterre,Horatio,quen’enrêve
votresagessed’école».6FREUD,Sigmund,Délireetrêvesdansla"Gradiva"deJensen,inŒuvrescomplètes,tomeVII(1906-
1908),Paris,PressesUniversitairesdeFrances,2007,p.447IBSEN,Henrik(1828-1906),Rosmersholm,drame,inOeuvrescomplètes,1886,Paris,Plon,1945
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analyse l’amène, par rapport à la question de l’automatisme de répétition8,
à «avancer que l’échec a souvent pour le sujet fonction de «prix à payer», de
tribut exigé par une culpabilité sous-jacente.9» C’est-à-dire que Freud trouve à
traversce travaild’auteurdesdonnéescliniques, icidesdonnéespar rapportau
phénomènedelarépétition.L’apportdeFreudparrapportàcephénomène,nous
l’avonsdéveloppédansnotremémoire.
Lacanet«Lalettrevolée»
Le structuralisme, chez Lacan, n’est pas la question de «quelle est la
structure?»mais «qu’est-ce qui fait structure? ». En s’appuyant sur «La lettre
volée»10Lacandégage11quecequifaitstructureestlapoursuitedecequel’onne
peut pas avoir, que l’on n’aura jamais, ici une lettre «qui arrive toujours à
destination»,c’est-à-dire«quiresteensouffrance»(page41inÉcrits).L’objetdu
récit c’est la lettre réelle,qui contient l’objetde la lettre - jamaisdévoilé -etqui
devientlettrelittérale,c’est-à-direlalettrepetita,d’unepart;etl’objetdelalettre,
quêtededésird’autrepart, l’unreprésentant l’autre.C’est lesignifiédel’objet, la
lettre, qui façonne et donc structure le parcours du récit en passant
successivement,logiquementselonlesintérêts,parlespersonnesimpliquéesdans
lanarration,personnesfaçonnéesparlalettre.C’estlefrayagequifaitstructure.
Dans cette quête, c’est le dire du sujet qui importe et donc la question de
l’auteur.Ilyal’auteurdutexte,EdgarAllanPoe,etilyal’auteurentantquecequi
s’écrit‘venantdel’autrescène’,c’est-à-diredudésir,nesurgissantqu‘uninstant.
8FREUD,Sigmund,Au-delàduprincipedeplaisir[JenseitsdesLustprinzips],19209BALBURE,Brigitte,«répétition»inDictionnairedelapsychanalyse,Chemama,Rolandet
Vandermersch,Bernarnd,Paris,Larousse,1995/2003,p.36710POE,EdgarAllan,Lalettrevolée,inHistoiresextraordinaires[traductionCharlesBaudelaire],pp.
92-115,Paris,ÉditionGallimard–Collectionfolioclassique,1973,L’introduction200411LACAN,Jacques,Leséminairesur«Lalettrevolé»,suividePrésentationdelasuiteetIntroduction,
inÉcrits,Paris,Seuil,1966,pp.11-61
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LethéâtredeHenrikIbsen
La forme dramaturgique d’Ibsen, dit le critique littéraire danois Georg
Brandes12, n’est pas du «théâtre». Jusqu’alors il était coutume d’exposer un
personnageenluifaisanttraverserdesépreuvesdanslesquellesilétaitpiégé,puis
montrédudoigtcombienilétaitmaladroit.Ibseninventeunautretypedethéâtre,
ditBrandes,depuislapièceMadameIngerdeØstraat13ilneprocèdejamaisavecce
genre.«ChezIbsenlecaractèredupersonnageserelèveparuneforcespontanée,
unvoileestécartéetnousdécouvronslestraitsdupersonnage.Puisunautrevoile
setireetnousvoilàrenseignésursonpassé.Letroisièmevoiletombeetlanature
intimedupersonnagenousdevientperceptible.[...]Lespersonnagessontfouillés
plus profondément que ceux de n’importe quel autre écrivain moderne, et leur
dessin étalé devant nous sans aucun artifice. La technique est nouvelle: plus de
monologues, plus de répliques à part, nous sommes forcés de nous ingénier à
comprendre,commedanslavieréelle.»
Lenarrateur,oul’auteurdelapièce,n’estpasprésentdefaçonexplicite,comme
c’est le cas «dans la vie réelle». L’auteur n’emmène pas la narration en nous
donnant accès aux pensées personnelles des personnages sous forme de
monologue,lecaractèreseulsurscène,iln’yapasderépliquesàpartadresséesau
publicpourrenseignersurlesensdelanarration.
Ibsen s’est inspiré de Kierkegaard et décrit l’individualisme de celui-ci:
«L'essentiel est d'être sincère et vrai vis-à-vis de soi-même. Il ne s'agit pas de
vouloircecioucela,maisdevouloircequel'ondoitabsolumentvouloir,parceque
l'onestsoi,etquel'onnepeutpasfaireautrement.Toutleresteneconduitqu'au
mensonge.»14Est-cequec’estavecIbsenqueFreudtrouvel’auteurplusintelligent
quelephilosophe,queKierkegaard?Nousnesoulevonsqu’unesupposition.
12BRANDES,Georg(1842-1927),HenrikIbsenEssais,(1889),Paris,L'Elan,199113IBSEN,Henrik(1828-1906),MadameIngerdeØstraat,drame,inOeuvrescomplètes,1857,Paris,
Plon,194514enréférenceàBOYER,Régis,HenrikIbsen,inEncyclopædiaUniversalis,2007
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Ibsendéfinitsonthéâtreavec lacontradiction15commeundesthèmesquiest
maintenuàtraverstoutsontravail:«...lacontradictionentremoyenspropreset
ambitions, entre volonté et possibilité, entre en même temps la tragédie et la
comédieetdel’humanitéetdel’individu,...»16Ibsenmetenoppositiondesthèmes
comme la volonté et la vocation ardue contre la lâcheté et les compromis
médiocres. Ibsendit d’unde ses personnages, le pasteurBrand, que c’est «moi-
mêmedansmesmeilleursmoments.»17
Nous voyons ici quelques uns des éléments, que nous soulignons comme
essentielsdansletravaild’Ibsenetcequis’yjoue,cequisemetenscènepourle
montreraupublic,-cequipourIbsenlui-mêmevaau-delàdudivertissement.
LesdialogueschezIbsen
Làoùlethéâtred’Ibsenrestetoujoursétonnammentvif,c’estd’avoirsaisi,avec
l’existentialisme,d’unefaçonincontournablelaquestiondel’impossible.Lejeu,les
personnages,deshommes,desfemmes,chacunsetrouveàunendroitlimitéenlui-
même,àsondiscours.C’est laquestionde lasolitudefaceàuneexistencequine
donneaucuneréponse,quibordel’impossible.
Lacanillustrececidans«Lalettrevolée»decettefaçon:«L’émetteur[...]reçoit
durécepteursonpropremessagesousuneformeinversée.»18Lediscoursenvers
l’autre, est son propre discours à l’envers venu de l’autre; et encore : «... qu’on
15littéralement:contredire,modsigelsen,ledirecontre.16[(…)modsigelsenmellemevneoghigen,mellemviljeogmulighed,menneskehedensogindividets
tragédieogkomediepåengang,-]Ibsen,Henrik,Introductionaudeuxièmeédition[Forordtilandenudgave],Dresdenfév.1875,in[Œuvrescomplètes]Samledeværker-Mindeudgave,tomeI,KristianiaetCopenhague[KristianiaogKøbenhavn],édition:GyldendalskeBoghandel–NordiskeForlag,1907,pp.7-10
17IBSEN,Henrik,enréférenceàLettreàPeterHansen28.octobre1870:«Brandestmoi-mêmedansmesmeilleursmoments–commec’estaussicertainquej’aiparmonanatomiepersonnellemisaujourbeaucoupde(mes)traitsàlafoisdansPeerGyntetdansStensgård.»
18LACAN,Jacques,Leséminairesur«Lalettrevolé»,suividePrésentationdelasuiteetIntroduction,inÉcrits,Paris,Seuil,1966,p.41,citation:«C’estainsiquecequeveutdire«lalettrevolé»,voire«ensouffrance»,c’estqu’unelettrearrivetoujoursàdestination.
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reçoitsonpropremessagedel’autre,sousuneformeinversée»,répèteLacandans
sonséminaire.19
Letiersauthéâtre
Chez Ibsenune formedialectiqueprendplacedans ledialogue.Lescontraires
sontexprimésà travers lespersonnagesde lapièce.La formeestunemiseànu
d’une tentative d’entendement, un entendement qui échoue, et qui est montré,
exposé.Onpourrait rajouter ici: en sécuritéd’interventiond’unevéritable autre
personne-nousallonsyrevenir-puisqueceluiàquiIbsens’adresseestapriorile
public. Ce public, figure de tiers, figure d’une place à qui ce dialogue s’adresse
commeautre,c’est l’autredutexte.Letexteest jouépour le tiers. Ibsenprend le
publicà témoin,metd’office lepublic commeétant le réceptacle, étant figurede
silence,qu’iln’yapasderéponse.Lascènea lasalle,a lepublic,commetémoin.
Peut-être le théâtred’Ibsena-t-il justementceladesupportablequec’estdonc le
publicquirestedivisé,commeunpursignifiant,àconditiond’y instaurer lesens
sanscesse.Lesujetdivisése trouveducôtéde lasalle, lieumétaphorique.De là,
surgissentconcrètementlesinterprétationsinfiniesduthéâtred’Ibsen.
19LACAN, Jacques,LeMoidans la théoriedeFreudetdans la techniquede lapsychanalyse (1974-
1975),Paris,Éditionhorscommercedel’A.L.I.,2002,Leçonde8décembre1954«[...]Vousêtesenprésenced’unsujetdanslamesureoùcequ’ilditoucequ’ilfait,c’estlamêmechose,peuventêtresupposésavoirété faitspourvous feinter,avecnaturellement toutcequecelacomportededialectique jusque y compris qu’il dise la vérité pour que vous croyiez le contraire. Vous connaissezl’histoiredupersonnagequidit:«JevaisàCracovie»,etl’autrerépond:«Pourquoimedis-tuquetuvasàCracoviepuisquetuyvastouslesjours,tumeledispourmefairecroirequetuvasailleurs»,histoirejuivemiseenévidenceparFreud.Lanotionquecequelesujetmeditestdansunerelationfondamentaleavecunefeintepossible,estexactementlamêmechose,làaussiilm’envoie,j’enreçoislaparole,c’est-à-direlemessage dont il s’agit, sous une forme inversée, car très exactement il s’agit bien entendu de«j’appréhendecequiestvrai»,etcequiestlecontraireduvraiestprécisémentcequej’enreçois.Voici la structure sous ses deux faces, de paroles fondatrices et de paroles menteuses, de parolestrompeuses en tant que telles ; voici à quel niveau s’originalisent toutes les formes de communicationpossible,carnousavonsgénéralisélanotiondecommunication.»
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L’autrescène
L’inaccessible,explicitementinaccessibleauthéâtre,c’estl’autrescène,puisqu’il
n’yapasderisque-nousyrevenons-iln’yapasderisqueàtelpointquel’enjeu
delascènesetrouveducôtéduspectateur,commelefaitIbsendanssaméthode.
Cen’estplusunecomédiequiexposeuncomportement,dontl’onpeutsedivertir,
comprendrelamorale,danslequellepublicn’apasétéimpliqué,ayantleprivilège
du recul. Laméthoded’Ibsenpose au contrairedesquestions. C’est en celaqu’il
renouvelle le théâtre20 et faitdéborder la scènede la scène, etque l’autre scène,
danslesensfreudien,ducoupsetrouveducôtédelasalle,etquecequifaitretour,
c’estcequiaétédéplacéducôtédel’adresse,placédanslasalle,ducôtédupublic.
Qu’est-cequece retour? Ilyaunretourconcret,maisquin’estpasceluique
nousvisonsici,ceconcretdescritiquesjournalistiquesquiassurentàlapièceun
succès, un fiasco, des interprétations infinies, vécus sur le moment, écrits,
proliférés, l’idée du théâtre d’Ibsen. Ce retour que nous désignons ici concerne
cette question: pourquoi joue-t-on encore le théâtre d’Ibsenaujourd’hui? Que
n’avons-nouspasencoreentendu?Ouqu’ya-t-ilencoreàentendre?
Cetteautre scène envoyéedu côté tiers, côtépublic - l’autre formedu réel21 -
reste suspenduecommeétant laquestionduréel.Le réeldequoi?De la réalité,
virkeligheden22, de l’existence. C’est-à-dire ce vide dans ce réel: il n’y a pas de
réponse, saufà le crierpassionnément, à lemettreenscène,mettre l’horreuren
scène,l’horreurd’unmanquedesens.
Cetterecherches’appuiesurlapièceJohnGabrielBorkmandontnousavonstiré
des conséquences d’un des dialogues clefs (voir ici en annexe).
De façon explicite l’horreur fait partie du dialogue. Cette horreur survient au
moment de l’échec des plans de vie que John Gabriel Borkman avait pourtant 20ibid.,BRANDES,Georg,HenrikIbsenEssais,21LACAN,Jacques,Lesquatreconceptsfondamentauxdelapsychanalyse.1964,Paris,Seuil1973,
pp.58-5922laréalité(danois,norvégien).
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minutieusement préparés. L’horreur est alors une rupture inconcevable, voir
impossible,que l’échec impose.L’impossible, c’estque larupturen’estpasperçu
comme tell mais nié, puisque Borkman est sûr de pouvoir rétablir sa situation
socialed’avantlefaitdel’échec23.
Ledehorsdedansillusoireduthéâtre-questionderéel
Demanièregénérale,cequegarantitlethéâtrec’estquecelan’estquedujeu,ça
n’est pas pour de bon et qu’enfin, pour une soirée, est cette raison d’être d’une
mise en scène de ce dehors, un dehors auquel le théâtre ne participe pas,mais
envers lequel il peut exposer librement toutes les retours du sens, contresens,
s’exposeràcielouvert.Cethéâtredevientalorslelieud’unparadoxe,spécialement
celuid’Ibsen.
Onpourraaussiyvoirunsautparadoxaldansletempsdel’histoireduthéâtre
depuis les arènes grecques jusqu’à ce théâtre moderne derrière les rideaux; et
mêmeencorejusqu’àunescèneencoreplusexpérimentale,denosjours,tentative
d’essayer de faire éclater justement ce théâtre, pour que ce jeu se joue dans
n’importequellieu,surgissantsansavertissement.C’estunvieuxconflitquenous
reprenonsici,entrelesemblantauthéâtre,etlesemblantdanslavie,quelavieest
unescènedethéâtre,unlieudusemblant,quelethéâtredevientlascènedelavie.
C’est-à-direqu’entrelefaitdesesentirensécuritésurlascèneetlerisquedansla
«vraievie»,c’estlesouhaitquel’audacepuisseapporterlethéâtreaucœurdela
vie, agir sans véritable risque. Ce qui devient un essai de franchissement
pathétique,aumieuxpoétique.
23 Pour des raisonde cohérence de notre propos, vue que ceci n’est qu’uneminimémoire, nous
avonsexcludanssonétatactuel,unerésuméetanalysesommairedelapièced’Ibsendenotrechoixpour notre recherche : John Gabriel Borkman; ainsi qu’une présentation du contexte dutravaillittérairedeHenrikIbsenn’apasnonplustrouvéuneplaceprépondéranteactuellement.Enannexenousavonsmisunaperçud’unescèneclefetnoscommentaires.
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Faceauvideduréel-lacertitude
Cetteautrescène24à ‘cielouvert’surscène,-cequin’estpaslevoyeurismeau
premierdegrémaisestcequiconclutcommecertitudenécessaire,commeraison
d’être:faireœuvre.Cetroisièmetemps25,quidit:l’horreurdurisqueàs’exposer
devantcequinepeutpasêtresu,quilogiquementnepeutpasêtredéduit.Lasalle
commetémoin,-commelestroisprisonniersavecchacunaudosundisqueblanc-,
l’auteur,procèdeàs‘ensortiraveclacertituded’untexteàdire:«jesuisblanc»26.
C’est l’instantdu jeu, - jouer sa vied’artiste, d’écrivain, exposer ses vérités, la
passion-cetteraisond’être-,et lamise,commesortie,-quiestenfonctiond’un
réel,uninconnu,quela logiquenepeutpasrésoudre,quidépenddecequece je
qui s’instaure,quidit,écrit,undirequiducoupestcertain!Ledouteest levé le
tempsd’unepièce,figured’unlieu,d’uneplace-surscène.
LedoutepsychopathologiquechezIbsensemanifestedanslesgrandsrôlesde
femme,commeNoradansUnemaisondepoupée,ouHeddaGabler. llestcourant,
dansl’analyselittéraire,delesinterprétercommeétantIbsenlui-même.N’est-t-il
pas Nora qui voudra sortir de sa prison de femme, le convenu d’un foyer,
littéralement de sa pièce, elle qui ne sait pas comment sortir de ce qu’est sa
représentationdumonde,c’est-à-diredesaVorstellungsrepräsentanz,[forestillings
24LACAN,Jacques,Lesquatreconceptsfondamentauxdelapsychanalyse.1964,Paris,Seuil1973,
p.55:«Leprocessusprimaire-[...]l’inconscient[...]sonexpériencederupture,entreperceptionetconscience,danscelieu,vousai-jedit,intemporel,quicontraintàposercequeFreudappelle[...]dieIdeeeinerandererLokalitât–uneautrelocalité,unautreespace,uneautrescène,l’entreperceptionetconscience.»
25LACAN,Jacques,Letempslogiqueetl’assertiondecertitudeanticipée,inÉcrits,p.197,Paris,Seuil,1966
26ibid.,LACAN,Jacques,Lesquatreconceptsfondamentauxdelapsychanalyse.1964,Paris,Seuil1973,p.37,«...àconditionquenoussachionscequeveutdireceterme–lesujet.Descartesnelesavaitpas,saufquecefutlesujetd’unecertitudeetlerejetdetoutsavoirantérieur–maisnoussavons,grâceàFreud,quelesujetdel’inconscientsemanifeste,queçapenseavantqu’ilentreencertitude.»
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repræsentant,forestilling27].Norasouhaiteseréaliser,maispersonnenel’aide,elle
est incomprise. Ce thème nous fait retourner à notre question initiale sur la
fonctiondesdialogues,quimontrentl’impossibledurapport,etspécialementchez
Ibsen,l’impossibledepouvoirdouter.
Iln’yapasdesolutiondanslespiècesd’Ibsen,iln’yaqu’unexposédesfaits,il
n’yaqu’unpurcridevantl’horreur28,etonnepeutpassortirdelascène.Comme
leditLacan,onnepeutpassortirdelalangue.
Laséduction-fascinationprochedelasurpriseselonFreud29?
Lespectateurpeutêtrepris,pouruntemps,dans laconvictioncharmeuse,du
miroitementfabuleuxsurscène,decemasqued’auteur, letexte,quisemblepour
un temps être l’objet idéal. Un public avisé, ayant été emporté sur le moment,
l’instant d’un oubli, sort du théâtre au moyen du réel, comme d’un rêve, pour
retrouver ce même réel dehors et en conséquence déçu du spectacle, qui,
évidemment,letempsd’uneillusionn’apasété«unfaire»30.
27Ennorvégien,endanois,prochedel’allemand,lemotpourlepiècedethéâtreestcommenous
l’avonsenfrançais:unereprésentation,fore-,Ver-–devant,-stilling,-stellung,-posé,posédevant,littéralementquelquechosequ’onmetdevantsoit,devantcequin’estpaspossible.
28IBSEN,Henrik,JohnGabrielBorkman,Paris,ActesSud,1985,(voiraussiicienannexeI).Borkmanafaitunefaillitecuisantdanssavie,lachuted’unhommeayantlafoliedesgrandeurs.
29FREUD,Sigmund,Au-delàduprincipedeplaisir[JenseitsdesLustprinzips],1920:«Onconsidèregénéralementlesmotsfrayeur,peur,angoissecommedessynonymes.Enquoionatort,carrienn'estplusfacilequedelesdifférencier,lorsqu'onlesconsidèredansleursrapportsavecundanger.L'angoisseestunétatqu'onpeutcaractérisercommeunétatd'attentededanger,depréparationaudanger,connuouinconnu;lapeursupposeunobjetdéterminéenprésenceduquelonéprouvecesentiment;quantàlafrayeur,ellereprésenteunétatqueprovoqueundangeractuel,auquelonn'étaitpaspréparé:cequilacaractériseprincipalement,c'estlasurprise.»
30LACAN,Jacques,RSI(1974-1975),Paris,Éditionhorscommercedel’A.L.I.,2002
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Conclusion
Entrelefaireetledire:leréel.Cettemiseànu,sansnarrateurexplicite,n’ayant
quelethéâtrepourcadre,estunmoyensûrdedéguisement,decequines’yfait
pas:delefaire31.Ilyestlejeudelasurprise,devéritésàsaisir,desensdecequi
estécrit,etquirenouvellelesens,renouvellecequiserépèted’ex-sistence.Puisil
y a un reste, c’est la métaphore de l’infini, l’infini des interprétations qui sera
toujours une forme de réel de ce que Ibsen a écrit. Ce que le théâtre moderne
répète est alors la question de l’Autre, du semblable, puis celle de l’existence.
Habitercesquestions,c’esthabiterlalettre.Laquestiondusensdel’existenceest
aussiunequestionpourl’art,saufquel’artn’estpaslefaire,encelal’artest‘libre’
delefaire.
Cecipourconclusion:lesdialoguesdanslethéâtredeHenrikIbsenrévèledece
queLacannousapprendparrapportaudiscoursetlaquestioncrucialedel’autre
etdoncduréel.
Ceci emmène l’autre versant de l’art qui est aussi de laisser trace. Trace de
quoi?Duréel,dumanque?Commentcapterleréeldansl’art?
Unedescapacitésmajeursdel’œuvredeHenrikIbsen,c’estjustementdenepas
venirrépondrelàoùillaisselui-mêmedesquestionsouvertes.
31MELMAN,Charles,Quepuis-jesavoir,ConférencesEPHEP2011-2012,Paris,éditésousla
responsabilitédesélèves,2010-12:enréférenceauconférenceavecPhilippeAdrien:Cequ’onnerisquepasdefaireauthéâtre,c’estlerencontreconcret.Nousn’allonsjamaisvoirdespersonnesréellementensemble.
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Bibliographie
L’œuvredeHenrikIbsen(1828-1906):
Ibsen,Henrik,Oeuvrescomplètes,Paris,Plon,1945
Ibsen,Henrik,JohnGabrielBorkman,Paris,ActesSud,1985,
Ibsen,Henrik,JohnGabrielBorkman(1896),inOeuvrescomplètes,Paris,Plon,1945
Surl’auteurHenrikIbsen,ouvragesendanoisounorvégien:
Ibsen,Henrik,Forordtilandenudgave,Dresdenfév.1875,inSamledeværker-Mindeudgave,tomeI,p.7,KristianiaogKøbenhavn[trad.KristianiaetCopenhague],GyldendalskeBoghandel–NordiskeForlag,1907
OeuvrescomplètesdeHenrikIbsen32,selon:[HenrikIbsenssamledeværker],dixvolumes,Copenhague,1898-1902,GyldendalskeBoghandelsForlagiKøbenhavnhttp://www.dokpro.uio.no/cgi-bin/litteratur/ibsenvisfaks.pl?stykke=John+Gabriel+Borkman&path=/ibsen/drama/johngb/kbkbh&fil=kbjg_&sider=1-220&siffer=3&side=0&ms=Det+Kongelige+Bibliotek+Collin+262,+4%B0,+IV.3&foto=Foto:+Det+Kongelige+Biblioteks+Fotoatelier.+Kommersiell+bruk+kun+etter+avtale+med+biblioteket.,der.acc.2011Catilina[idem.],drame,1850.LeTertredesguerriers[Kjæmpehøjen],drame,1850.LanuitdeSaint-Jean[Sancthansnatten],drame,1852.LafêteàSolhaug[GildetpaaSolhaug],drame,1855.DameIngerd’Østråt[FruIngertilØsteraad],drame,1857.OlafLiljekrans[idem.],drame,1857.LesGuerriersdeHelgeland[HærmændenepaaHelgeland],drame,1858.Lacomédiedel’amour[KjærlighedensKomedie],drame,1862.LesPrétendantsàlaCouronne[Kongs-Emnerne],drame,1863.Brand[idem.],drame,1866.PeerGynt[idem.],drame,1867.L’uniondesjeunes[Deungesforbund],drame,1869.Poèmes[Digte],poésie,187133EmpereuretGaliléen[KejserogGalilæer],drame,1873.Lessoutiensdelasociété[Samfundetsstøtter],drame,1877.UneMaisondepoupée[Etdukkehjem],drame,1879.LesRevenants[Gengangere],drame,1881.Ennemidupeuple[EnFolkefiende],drame,1882.LeCanardsauvage[Vildanden],drame,1884.Rosmersholm[idem.],drame,1886.LaDamedelamer[FruenfraHavet],drame,1888.HeddaGabler[idem.],drame,1890.Solnessleconstructeur[BygmesterSolness],drame,1892.LePetitEyolf[LilleEyolf],drame,1894.JohnGabrielBorkman[idem.],drame,1896.Quandnousnousréveillonsd’entrelesmorts[Nårvidødevågner],drame,1899.
32Icinousavonsmitenavantlatraductiondestitres.Lestitresoriginauxsonticicommedansl’ouvrageimpriméauDanemark(icientreguillemets[…]).33IBSEN,Henrik,Digte,inSamledeværker-Mindeudgave,tomeIII,KristianiaogKøbenhavn[trad.KristianiaetCopenhague],GyldendalskeBoghandel–NordiskeForlag,1907
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ANNEXEI
Ibsen,Henrik,JohnGabrielBorkman,Paris,ActesSud,1985:
extraitdescèneverslafindelapièce
Extraitàpartirdemonmasterenlittérature
RésumédelapièceJohnGabrielBorkmandeHenrikIbsen
AprèsSolnessleconstructeuretLePetitEyolf,avantQuandnousnousréveillerons
d'entrelesmorts,lapièceJohnGabrielBorkmanestletroisièmetitredesonultime
quatuor.Chacunedecespiècesmetenavantlafigured'uncréateur,unarchitecte,
un philosophe ou un sculpteur, qui se retourne sur son œuvre et sa vie. John
Gabriel Borkman, lui, est banquier. Ou plutôt, il l'était, puisqu'une faillite
retentissanteluiavaluunséjourdeplusieursannéesenprisonetundéshonneur
dontilnes'estpasrelevé.
Cettepièced’Ibsenestcomposéeenquatreactes.Lesrépliquessontbrèves.
LepremiernommédanslapièceestErhart,c’estavecsonprénomquedébutela
pièce,c’estsamèrequil’appelle.
Lapiècenous introduit, enune seule etmême journée, àune situationoù les
impliqués vont tous vivre un tournant dans leurs destins communs. En raison
d’unemaladiemortelleàéchéanceprochepourl’unededeuxsœursjumelles,Ella,
celle-ciestdanslahâted’unemiseenplaced’unsensàsavie,puisquecellequ’elle
a vécue jusqu’alors est ratée. Elle souhaite que Erhart, le jeune homme, vienne
vivreavecellepourpassersesderniersmomentsensacompagnie.Pourcelaelle
rendvisiteà sa sœuretà sonmari JohnGabrielBorkman,qu’Ella logedansune
maison à elle. Au cours de la pièce elle apprend qu’elle aurait pu vivre une vie
d’amouravecl’éludesoncœur,JohnGabrielBorkman,quifinalementl’asacrifiée
pour obtenir ce qui était son désir à lui: devenir l’homme le plus puissant de
Norvège,êtrel’espritcréateurdetoutinvestissementdupays.Ilaccèdeàunposte
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debanquierd’importanceencédantEllaàunhommequiladésireardemment,et
qui,encontrepartie,confieceposteàBorkman.MaisEllaneveutriensavoirdecet
homme. Alors cet homme se venge de n’avoir pas eu ce que Borkman lui avait
promisetdivulguetoutesleslettresqueBorkmanluiaécrits,queBorkmanavait
adressésàsonamifidèle.CeslettresvontfairechuterBorkmanemmenéenprocès
pour escroquerie auprès de la banque. C’est lamégalomanie deBorkmanqui l’a
obligé à se soumettre aux mirages du pouvoir. Cela fait huit ans que Borkman
rumineunevengeance,enrestantenferméaupremierétagedelamaisonqueElla
a prêté. C’est Ella qui fait survivre la famille après la faillite. Borkman emmène
ainsi avec lui ses proches dans une vie sans issue: Ella qui l’aimait, Gunhild sa
femmelégitime,lasœurjumelled’Ellaetmèred’Erhart,leurfils.
Alafindelapièce,c’estlefils,annoncéaudébut,quiéchappeàtouslesdestins
divergentsquesesparentsettanteontprévuspourlui,àsaplace,etaussiparson
pèreàsoninsu.Cepèrequin’arienfaitpoursonfils,quineleconnaîtpasayant
ététropoccupéparsapropregloire,commedesachute,desaplacedansl’ombre
delahonte.Cepèrequinevitquedechimères.Lefilséchappeenpartantavecdes
amisàl’étranger.
Analysesommairedelapièce
La question de l’amour, d’aimer, est essentielle. La vraie histoire d’amour n’a
pasétéentreBorkmanetsafemmeGunhild,maisentreElla,lasœur,etBorkman.
Lessœursjumellessont ici lesdeuxfacesd’uneseuleetmêmefemme,celleavec
quionestmariéetcellequ’onaime.Lepointdevueimplicitesurlapièceestlefils,
le jeunehomme,quipourtantsemble insignifiantmaisquireprésente l’espoirau
milieudesdifficultésmanifestesd’unentourageirréaliste.Lapièceestprochedes
questionsqu’Ibsensepose lui-mêmeàcetteépoquedesavieayantdéjàvécu la
gloired’unhommede théâtremondialmaisqui anégligé l’amour, l’amis à côté
danssavie.
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Dialoguesclefs
Nousavonschoisilascèneessentielledecettepièced’Ibsen.Lascènequiestau
cœurdelaquestiondel’amour.Noussommesdansl’actedeux.L’amideBorkman
vientdepartir.Borkmanestseul.Cela faithuitansqu’ils’enfermeà l’étagede la
maison, ne recevant que de rares visites. Sa femme, Gunhild, et son fils, Erhart,
occupent lerez-de-chaussée, il les fréquenteàpeine, ilnedescend jamaisdeson
étagepourlesvoir.Ella,lasœurjumelledesafemme,estvenueenvisite.Dansle
premieracteellearencontréGunhild,sasœur,à l’étageendessous. Maintenant
elleestmontéevoirJohn.Ellerentredansl’ombre,ilfaitsoir,elleporteunebougie.
Ilnelareconnaîtpastoutesuite.
(Pourdesraisonsdeplacenousn’avonspaslaisséledialoguetelquelici,maisdéjà
rajouté nos commentaires après chaque réplique. Il est pourtant bon de lire le
dialogue tel qu’il a été écrit, pour que justement cette ‘troisième écoute’ qu’est le
lecteurpuissefonctionner.Noscommentairesviennentobstruercequiestjustement
cetessentieldanslafonctiondudialogue.)
EllaRentheim.
Oui, - C’est ta Ella à toi, - comme tu m’appelait dans le temps. Il y a
longtemps,cesannéeslà,ilysilongtemps.
L’intimitéestconfirméedesapart,ilsontbieneuunerelationamoureusedansle
temps.
[...]
EllaRentheim.
C’est impossible de nommer combien c’est loin que nous nous sommes
rencontrés,faceàface,Borkman
Puisleregret,lemanque.
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Borkman
(sombre)
Ilyatrès,trèslongtemps.Toutel’horreurentre-temps.
Borkmanconfirmequelarelationavaitbienétélà,etilrajouteaussitôtcequil’a
faitéchouer:,l’horreur-c’estsonapperçuàlui.
EllaRentheim.
Touteuneexistencepasséeentre-temps.Uneexistenceperdue.
Ducôtéspectateur,oulecteur:Iciils’entendqu’ilsviventchacundansleurmonde
ouqu’ilsontuneidéedifférentechacunsurunmêmepassé.Cesontdesdiresoùiln’y
apasde‘question-réponse’,pasdepromessefuture,pasdedemandeexplicite,mais
des demandes implicites, pas de demande à valider, de reconnaître l’énoncé et la
demandedel’énoncé–del’autre.
Borkman
(Laregardedurement)
Gaspillé!
Borkmanconfirme.Ilyaeuunerelationamoureuse,ellen’apasétévécue.Ouelle
a échoué. Elle n’a pas été palpable, - pour ici nous rapprocher des commentaires
d’Ibsenlui-mêmequandilparledesthèmesdesesdernièrespièces.34PourIbsencette
questiondel’amourresteouverte,pourluicommedanssapièce.
Borkmanconfirme,maisilesticiaussidanslacontinuitédeconfirmersonpropre
propossurl’horreur.Nouspouvonsicientendrecegaspillécommevenantconfirmer
quecequ’ilavécuestgaspillé, l’échecdesonaffaireprofessionnelle,commeonpeu
entendre gaspillé comme tout de son existence est gaspillé, ici peut-être devant
l’horreur justement. L’horreur dénote quelque chose d’un fouillis, rien ne s’y
distingue.
34YSTAD,Vigis,JohnGabrielBorkman,inHenrikIbsensskrifter,tome10(sur17),Oslo,Aschehoug,
2005-2010[Titretrad.enfr.:LesécritsdeHenrikIbsen]
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Entantquespectateur:Endélimitantl’horreuretlegaspillécommeappartenant
àBorkman,nousvoyonsunhommeoccupéparcesdeuxentités (dires). Iln’estpas
disponible pour la personne avec qui il parle. Il ne la rejoint pas. Il ne fait que
confirmerunmêmeendroit,etilyreste.
EllaRentheim.
Oui,simplementgaspillé.Pournousdeux.
Ellareprendsonmotàlui:gaspillé.Ellel’aentendu,lui.Elleestd’accordavecce
qu’ildit.Puisellerajoute‘nousdeux’.Elleessayelàjustement,dedirequelquechose
surcet‘êtreensemble’–dansleurpassé,-commemaintenant.
Du côté du lecteur: nous restons en suspens sur cette question qu’elle lance à
Borkman.Le ‘nousdeux’est ici: ilyaeuun«nousdeux»quiestaussipossible ici.
Elle demande est-ce que ce «nous deux» est-il présent là maintenant:«oui ou
non?».
Borkman
(suruntonfroidd’hommed’affaires).
Jeneconsidèrepasencoremaviecommegaspillée.
Ici la didascalie sur l’attitude dans sa réponse à Borkman devient le message
essentiel.Noussommesaucœurdelarésolutionibsénienne.
Ilentendenfaitsonpropremotgaspillédanslabouched’Ella.Ilentendàsontour
cequ’iladitlui-mêmeauparavant.Ouest-cequ’ilnereconnaitjustementpascequ’il
vientdedire,venantd’Ella,del’autre,qu’ilnel’apasdit,iln’estpas‘unetellechose’
commegaspillé?Ilnepeutpass’identifieraveccequ’ilditlui-mêmeenl’entendant
dans la bouche de l’autre. Il ne peut pas s’y reconnaître, donc il ne peut pas en
prendre acte et en faire quelque chose. Il reste dans ces mirages, surtout en
répondantcommeillefait.Ilmaintientuneidentitééchue,ilmaintientêtrel’homme
d’affairesdansletemps,celuiambitieux,réussissantsanssavoirpourquoi,etceluiqui
n’apashonorél’amourpuisqueoccupéparsonambition,savied’hommed’affaires.
La négation employée par Borkman est une confirmation à l’envers. C’est en
LafonctiondesdialoguesdanslethéâtredeHenrikIbsen-UnelecturephénoménologiqueLeneScharling2011
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contradictionavecleshuitansqu’ilvientdepasserici,àl’étagedecettemaison.Ce
quiconfirme lemondedechimèresdans lequel ilvitet semaintient,maintientune
illusion d’identité – devant l’horreur. Et la pièce va nous le montrer. Le jour de
l’événementdelapièceestcelledelafindelaviedeBorkman.
EllaRentheim.
Ahbon,maistaviealors?
Savieàlui,àBorkman.Savieàvivre.Vivreaveclesautres.Ellaluiditiciqu’elle
est encore làpour lui.Ellan’estpasdupe.Elle entend lamêmeobstinationcomme
dansletemps.Ellepointecequ’ilagaspillé.Savie,levécudelavie,lavieauprèsde
quelqu’unqu’onaime.N’a-t-ellepasdevaleurpourlui?
La suite consiste en leurs échanges qui exposent leur passé, ce qui a eu lieu.
C’estun récit faitpourque le spectateurcomprennecequi c’estpassépoureux,
queldrame ilsontvécu.Borkmana sacrifié sonamourpourElla. Il l’adonnéen
échange à son meilleur ami pour obtenir en contrepartie une gloire d’homme
d’affaires.Mais Ella n’a pas accepté d’être unemarchandise. L’accord avec l’ami
intimedeBorkmanvaéchouer, leposted’hommed’affaires importantqu’ilavait
obtenu va échouer, trahi par celui qui était son ami, trahi parce que cet ami est
déçuqu’Ellaneveuillepasdelui,ilreprenddonccequ’ilapuoffriràBorkman.
Icil’horreurestlegestedetrochumaincontrelaréussiteprofessionnelle,etpas
n’importequeltroc.Ilabandonnelàunamourqu’ilauraitpuvivre,cequisemble
doublement cruel et incompréhensible. Passer huit ans de sa vie à ruminer une
revanchesansprojetconcretouréalisablerestepathétique.DécidémentBorkman
n’est pas facile à comprendre. Ou le monde n’est pas facile à comprendre pour
Borkman.
Du côté du spectateur toute la situation n’est que questions successives
ouvertes.Desquestionsqu’Ibsenposedefaçonindirectedanssonrécit.C’estune
forcedenepasvenirrépondrelàoùl’existencen’amènepasderéponsenonplus.
Voilàencoreundespointsmajeursdel’œuvred’Ibsen.
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Index
Index page21
1.Introduction-Laquestiondel’auteur...................................page1
2.Développement
Introduction-Freudetlaquestiondel’auteurLacanet«Lalettrevolée» LethéâtredeHenrikIbsen LesdialogueschezIbsen Letiersauthéâtre L’autrescène Lededansdehorsillusoireduthéâtre-questionderéelFaceauvideduréel-lacertitudeLaséduction-fascinationprochedelasurpriseselonFreud?
3.Conclusion-Entrelefaireetledire (l’autre):leréel..................page10
Bibliographie.........................................................page12
Annexe...............................................................page15
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