la francophonie

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Chapitre 1 LES REPRÉSENTATIONS DE L’ESPACE FRANCOPHONE : VERS UN E GRILLE D’ANALYSE DES SITUATIONS LINGUISTIQUES Robert Chaudenson Cette grille d’analyse des situations linguistiques de l’espace francophone (qui n’est d’aille urs, en fait, dan s le principe, nullem ent limitée à ce domaine) est un des résul tats du programme de recherche «Langues nationa les, français et développement ». Ce programm e conçu en 1985 a été conduit en 1986 et 1987 grâce aux moyens reç us dans le cadre de l’Act ion Thé mat ique Programmée du CNRS («Politiqu es et straté gies du développement») et, surtout, de l’appel d’o ffr es conjoint du Ministère de l’Éducation Nationale et du Ministère de la Recherche et de la Techno logi e de la Répu bliqu e Française («Éc onomie des res- sou rce s humaines dans les pays en dévelo ppeme nt»). Le résultat de ce travail a déjà été publié , so us une forme expérimentale, dans une plaquette éditée par l’Agence de Coopération Culturelle et technique et l’Instit ut d’ét udes créo les et fran cophon es (1988). Cette étude initiale a fait l’objet de commentaires et su g- gestions, notamment au cours de la réunio n du réseau «Langues et dévelop pe- ment » , à Ouagadougou (novembre 1988), qui ont donné lieu à de s mises au point par l’auteur dan s le bulle tin «Langue et développement » no 4. Cett e mise au point est reproduite dans le deux ième chapitre de cet ouvrage. Un des buts essentiels du progra mme I «Langu es et développement » retenu au titre de l’appel d’offre «Economie des re sso ur ces humaines dans les pay s en développement » était l’élaboration d’une grille d’analyse des situations linguis- tiques au sein de l’espace francophone en vue d’une typo logisa tion des situations de francophonie, mais aussi de la recherche de straté gies adaptées en matièr e d’amé- nagement linguistique. Le titre i nitial de ce programme était «Langues nationales, 9

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  • Chapitre 1

    LES REPRSENTATIONS DE LESPACE FRANCOPHONE :

    VERS UNE GRILLE DANALYSE DES SITUATIONS LINGUISTIQUES

    Robert Chaudenson

    Cette grille danalyse des situations linguistiques de lespace francophone (qui nest dailleurs, en fait, dans le principe, nullement limite ce domaine) est un des rsultats du programme de recherche Langues nationales, franais et dveloppement . Ce programme conu en 1985 a t conduit en 1986 et 1987 grce aux moyens reus dans le cadre de lAction Thmatique Programme du CNRS (Politiques et stratgies du dveloppement) et, surtout, de lappel doffres conjoint du Ministre de lducation Nationale et du Ministre de la Recherche et de la Technologie de la Rpublique Franaise (conomie des res- sources humaines dans les pays en dveloppement). Le rsultat de ce travail a dj t publi, sous une forme exprimentale, dans une plaquette dite par lAgence de Coopration Culturelle et technique et lInstitut dtudes croles et francophones (1988). Cette tude initiale a fait lobjet de commentaires et sug- gestions, notamment au cours de la runion du rseau Langues et dveloppe- ment , Ouagadougou (novembre 1988), qui ont donn lieu des mises au point par lauteur dans le bulletin Langue et dveloppement no 4. Cette mise au point est reproduite dans le deuxime chapitre de cet ouvrage.

    Un des buts essentiels du programme I Langues et dveloppement retenu au titre de lappel doffre Economie des ressources humaines dans les pays en dveloppement tait llaboration dune grille danalyse des situations linguis- tiques au sein de lespace francophone en vue dune typologisation des situations de francophonie, mais aussi de la recherche de stratgies adaptes en matire dam- nagement linguistique. Le titre initial de ce programme tait Langues nationales,

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  • franais et dveloppement ; il tait sans doute, en un sens plus explicite, mais aussi porteur des ambiguts, quivoques et contestations que suscite, selon les contextes, lemploi mme du terme de langues nationales Aussi, la demande de certains participants, cet intitul a-t-il t modifi en Langues et dvelop- pement ; ce changement a lavantage de souligner que si le terrain de mise au point de ces outils danalyse est lespace francophone, rien ne soppose, bien entendu, ce quaprs sa mise au point dfinitive et son exprimentation, cette grille puisse tre employe pour lanalyse de nimporte quelle situation linguistique.

    Dans la mesure mme o ce programme concernait le monde francophone, I avec une application trois Etats : Madagascar, Maurice et le Rwanda, eux-mmes supposs, par hypothse, reprsentatifs de certains types de situation de franco- phonie, il est a paru invitable de privilgier comme point focalisateur de Iana- lyse la situation et les caractres du franais. 11 est toutefois bien vident que cet effort pour dfinir, analyser et classer les situations de francophonie saccompagne toujours dune prise en compte et dune mise en lumire complmentaires (sans tre toujours explicites) des statuts et des fonctions des langues prsentes dans ce mme espace. Une tude spcifique dun cas particulier impliquerait donc Iuti- lisation de la grille danalyse pour chacune des langues en prsence de faon dgager par l une analyse complte de la situation.

    Des tudes monographiques sur les trois tats concerns par le programme figureront au rapport final et permettront de rendre compte de la diversit des situations. Toutefois, la vise thorique du programme demeure et doit tre ds labord distingue des tentatives danalyses sociolinguistiques classiques des situa- tions de diglossie, bilinguisme et multilinguisme (Ferguson, 1959; Mackey, 1976; Stewart, 1962). Elles sont assez connues pour quil ne soit pas ncessaire de les rappeler dans leur dtail et surtout, rptons-le, la nature mme de notre approche nous a conduit laborer la version exprimentale de cette grille partir de llment commun lensemble des situations envisages: le franais.

    De ce fait, il est ncessaire de faire prcder la mise au point de lanalyse elle-mme dun examen du concept mme de francophonie. Nous nentrerons cependant pas dans une exgse du type de celle quenvisageait le groupe de travail sur lanalyse de discours de Langage et Socit (communication au Colloque de Nice, septembre 1987 sur Francophonie, norme et groupe de rfrence). Notre perspective est ici rigoureusement synchronique (on pargnera donc au lecteur la rfrence, dsormais invitable, O.Reclus!) et vise bien plutt le discours officiel ou mdiatique sur la francophonie dans la mesure o, terme, nos proccupations sont de lordre le plus concret (le terme dveloppement semble suffisant nos yeux pour souligner cet aspect et cette approche est radicalement diffrente de celle du groupe voqu ci-dessus qui se propose, de la faon la plus lgitime dailleurs, dtudier le dplacement conceptuel induit par lmergence de la notion de francophonie, Nice, 1987, p. 1).

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  • Pour le domaine que nous avons retenu (discours officiel et/ou mdiatique), deux types de dfinitions, lune gopolitique, lautre linguistique, coexistent et, certains gards, sopposent (II faut noter toutefois que la premire domine trs largement ce type de discours).

    Lapproche gopolitique, dominante, parat la mieux constitue et offre les dfinitions les plus objectives. Un tat francophone serait un tat reconnaissant le franais comme langue offtcielle (unique ou non). Une autre dfinition se fait jour depuis quelques annes : un tat francophone serait un tat participant aux instances de la francophonie. Cette seconde dfinition prend dautant plus de con- sistance que depuis 1970 a t cr un organisme de coopration internationale I entre les Etats francophones, lAgence de Coopration Culturelle et Technique (ACCT). LACCT rassemble, selon sa dfinition mme, des pays lis par lusage commun de la langue franaise Elle comprend 30 pays membres (Belgique, Bnin, Burkina Faso, Burundi, Canada, Comores, Congo, Centrafrique, Cte divoire, Djibouti, France, Gabon, Guine, Hati, la Dominique, Liban, Luxembourg, Madagascar (depuis fin 1990), Mali, le Maurice, Monaco, Niger, Rwanda, Sngal, Seychelles, Tchad, Togo, Tunisie, Vanuatu, Vit-Nam, Zare), 8 tats associs (Cameroun, Egypte, Guine-Bissau, Laos, Maroc, Mauritanie, Sainte-Lucie) et 2 gouvernements participants (Nouveau-Brunswick et Qubec). Ce classement mriterait lui seul une tude approfondie puisque des tats qui paraissent prsenter objectivement des situations trs proches sont dans des catgories diffrentes (ainsi la Tunisie et la Dominique sont pays membres alors que le Maroc et Sainte-Lucie sont tats associs).

    La cration des Sommets des Chefs dtats francophones a compliqu les choses puisque participent ces Sommets des tats qui comme la Rpublique Malgache par exemple nappartenaientt pas IACCT cette poque. Le 2 Sommet tenu au Qubec a ainsi runi 4 1 dlgations (qui, toutefois, ne sont pas exactement les 40 tats de IACCT ).

    La comparaison avec lusage du franais IUNESCO ne simplifie pas les choses. 39 pays y utilisent le franais dans leurs communications oficielles (33 de faon exclusive, 6 en alternance avec dautres langues).

    On voit par l que des donnes apparemment objectives sont trs loin dtre claires et stables. La dfinition par lusage du franais comme langue officielle ne lest pas davantage. Lle Maurice, par exemple, membre de IACCT et par- ticipant aux Sommets francophones naccorde officiellement aucun statut au fran- ais et est, par ailleurs, membre du Commonwealth, comme La Dominique ou Sainte-Lucie (II faut cependant ajouter pour tre plus prcis, que dans les domaines officiels, le franais est le plus souvent autoris ou tolr). Le Qubec, qui joue depuis longtemps un rle trs actif dans la politique internationale franco- phone, nest pas un Etat souverain (il est une Province du Canada). Par ailleurs, IACCT comprend parmi ses membres des tats qui ne reconnaissent pas le franais comme langue officielle (le Viet-Nam par exemple), tandis que des pays qui le

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  • font comme le Cameroun (avec 2 langues offtcielles qui sont le franais et langlais) ne sont que membres associs. Par ailleurs lAlgrie, ou la Suisse ( un degr moindre) se tiennent, en gnral, lcart de ces activits.

    Seuls donc les gopolitologues qui voient le monde de haut et de loin, peuvent affirmer avec une tranquille assurance quil y a dans le monde n tats francophones, alors que ce nombre est variable si lon adopte pour le dterminer des critres objectifs (reconnaissance du franais comme langue offtcielle, appar- tenance des institutions, participation des runions internationales). Les choix politiques des tats, circonstanciels ou permanents, influent largement sur ces dcisions et les modifient, le cas chant. Pour prendre le cas du Maghreb, la Tunisie par exemple, est officiellement francophone (membre de IACCT et par- ticipant aux Sommets francophones), alors que le Maroc a une position ambigu (tat associ et non pays membre de IACCT quoique la coopration bilatrale avec la France y soit des plus intenses); lAlgrie quant elle, est totalement trangre toute cette activit francophone, bien que la place du franais en Algrie reste, dans les faits, non ngligeable (lAlgrie est, par exemple, le 4 Etat tranger pour limportation des livres en franais). Madagascar peut galement illustrer le caractre mouvant de ces classements: alors que lUniversit de Madagascar a continu faire partie de IAUPELF (son recteur a mme sig au Conseil dAdministration), la Rpublique malgache ntait plus membre de IACCT o elle nest rentre quen 1990. Prlude ce retour et consquence dun changement sensible dans la politique mene par le Prsident Ratsiraka, ce dernier avait t un des participants les plus remarqus au ler Sommet des Chefs dtat francophones tenu Paris en 1986.

    La francophonie apparat donc, dans cette perspective gopolitique, et pour nombre dEtats, comme une carte que les Etats peuvent jouer de faon trs diffrente en fonction des circonstances; il serait ds lors trs hasardeux de tirer des conclusions linguistiqzres de ces affirmations qui apparaissent, dans bien des cas, comme variables selon les temps et les lieux. Dans la mise au point de la grille danalyse que nous proposerons, nous nous efforcerons donc datteindre dabord une saisie objective des situations linguistiques, en ne prenant en compte que de faon limite lusage gopolitique de la francophonie (cest un des lments de la situation mais ce nest assurment pas llment de dfinition unique ni mme essentiel).

    Lapproche linguistique du phnomne francophone se rvle plus difficile encore dans la plupart des cas car elle se trouve complique par les incertitudes mmes de la situation gopolitique. En effet, dans un certain nombre de cas, le niveau ou le degr de francophonie au sens linguistique (avec toutes les ques- tions que soulve cette approche) constitue, lvidence, lui-mme, dans une cer- I taine mesure, une donne gopolitique. Ainsi un Etat saffirmant francophone ne souhaite pas faire apparatre que ce caractre nest quune illusion linguis- tique propre faciliter par exemple la mise en place dune politique de coopration bilatrale avec la France (sans dailleurs quaucun des partenaires ne soit rellement

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  • dupe, chacun y trouvant un avantage, rel ou suppos). En revanche, dautres tats, en rupture ou prenant leurs distances avec le monde francophone, ne souhaitent pas davantage voir mise en vidence la place que le franais peut tenir chez eux.

    Une tude linguistique relle de la francophonie supposerait une valuation objective du nombre et du niveau de comptences des locuteurs (tymologiquement au moins, francophone signifie - on tend parfois loublier -, qui parle le franais). Or il est bien clair que de telles donnes nexistent pas et que toutes les tentatives dmolinguistiques pour les dduire dautres donnes empruntes, pour lessentiel aux statistiques de lducation ne peuvent avoir quune valeur extrmement relative. Ces donnes existeraient-elles dailleurs quil resterait dfinir le seuil minimum de comptence linguistique en franais partir duquel un locuteur pourrait tre rput francophone et vrifier que ce niveau est atteint par ceux quon qualifie de locuteurs rels . Les travaux de IIRAF (Institut de Recherches sur IAvenir du Franais) labors par C.Couvert, ont t longtemps la principale source de donnes sur ltat et lavenir de la francophonie (soit directement par les publications de cet Institut, soit indirectement par la diffusion des valuations quelles proposaient). II nest pas inutile de sarrter sur les mthodes de calcul et dvaluation de IIRAF.

    Pour le dnombrement des francophones, prsents et venir, sont arrts des critres des diffrents niveaux de matrise de langue. Trois grandes cat- gories sont distingues : les francophones de naissance , les francophones ddu- cation et de culture (exemple-type lAfrique Noire), les francophones de Itran- ger traditionnel

    Bien entendu le deuxime groupe est celui qui nous intresse au premier chef, la contestation ne portant gure sur le premier et le troisime tant ici un peu hors du champ de notre tude.

    Les solutions retenues consistent appliquer des critres dutilisation pra- tique de la langue auxquelles on fera correspondre les quivalents scolaires tablis par pays du fait des diffrences constates entre les systmes ducatifs. Les diffrents niveaux adopts pour les francophones dducation et de culture sont les suivants :

    - Niveau 1

    Oralit simple, coute et comprhension de la radio, capacit de rpondre des questions simples.. Lquivalent scolaire sera peu prs la fin des deux premires annes de lenseignement primaire. Limportance de lcoute de la radio pourra servir de contre-preuve. La projection devra tenir compte du parc Radio- Tlvision prvisible.

    - Niveau 2

    Lecture du journal, criture simple. Ce niveau correspond la fin dun ensei- gnement primaire de bonne qualit.

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  • - Niveau 3

    Lecture douvrages simples, stnodactylo, comprhension dun film fran- ais.. . Niveau obtenu en fin de classe de 3e. Lurbanisation et la consommation de biens culturels vont jouer un rle important pour les niveaux 2 et 3.

    - Niveau 4 Pratique aise dun franais correct par un sujet qui domine la langue quil

    utilise: correspond au baccalaurat. Les titulaires dune formation gale ou sup- rieure BAC + 4 feront lobjet dun dcompte spar lintrieur de ce groupe. (C. Couvert: ce texte figure dans toutes les monographies de IIRAF).

    Il est clair que les locuteurs de niveaux 4 et 5 (le niveau 5 ntant pas expli- citement caractris mais voqu dans le texte ci-dessus) sont aisment dnom- brables (achvement du cycle secondaire et entre dans lenseignement suprieur; la plupart des statistiques nationales fournissent de telles donnes); les niveaux 1 et 2 en revanche font problme. Une certaine exprience de terrain fait douter que les lves la fin des deux premires annes de lenseignement primaire prsentent, dans tous les cas, les comptences voques ici (oralit simple, coute et comprhension de la radio, capacit de rpondre des question simples , C. Couvert). On peut dailleurs apporter des peaues de la non-validit de tels critres : en Guine par exemple o a t effectue une enqute rcente (1989-90), il a t dmontr quau bout de quatre de scolaritprimaire, parmi les enfants qui arrivent ce stade (50 TO), une fmtepropwtions dkves na pas encore atteint le niveau de la/- phabtisation rudimentaire (J.Y. Martin, La double contrainte de lenseignement primaire en Guine, 1991, p. 7). Lors dun bref sjour au Mali (juillet 1991), jai moi-mme, pu, ici ou l, constater que des enfants qui taient en troisime ou quatrime anne dcole (je lai su par un interprte) ne comprenaient pas les questions, pourtant des plus simples, qui leur taient poses.

    Par ailleurs, ici ou l, apparat un concept qui nest pas prsent dans la description des niveaux et qui est celui de rel francophone (Seychelles, 1985, pp. 41, 49, 5 1). Ces rels francophones seraient, semble-t-il, distinguer des francisants . Sajoute donc encore une nouvelle catgorie dont la dfinition est un peu vague:

    Le pourcentage des francophones de niveau N 1 est majoritaire quelle que soit la gnration. On ne peut cependant pas parler de francophones mais plutt de francisants puisquil sagit davoir une connaissance orale simple du franais. Ces francisants comprennent la langue franaise mais ne parlent pas obligatoire- ment (Seychelles, 1985, p. 49).

    Comment, ds lors, C.Couvert peut-elle quelques pages plus loin (pp. 78-9) maintenir sans changement sa classification en niveaux et reconnatre comme francophones dducation et de culture des locuteurs dont elle a constat elle- mme peu avant quon ne peut les qualifier de francophones? Les francophones rels seraient-ils les seuls locuteurs des N3, N4 et N5 comme le font apparatre les commentaires de lauteur (p. 49, p. 52)? Pourquoi ne pas le dire, quitte

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  • ne plus fournir dextrapolations mirobolantes lhorizon 2000 ? On dcouvre en effet avec stupeur quil est prvu aux Seychelles pour 1990 44 % de francophones (p. 53); tout dmontre pourtant dans larchipel, depuis des dcennies, un recul du franais que lauteur lui-mme reconnat (le franais langue-mre du crole est parl par une population dcroissante , p. 4 1). Jai pu personnellement obser- ver lvolution de cette situation au cours de plusieurs sjours dans larchipel (de 1969 1979) et la rforme ducative de 198 1 (qui faisait commencer lappren- tissage du franais langue trangre en 4 anne du primaire) na gure modifi lvolution de la situation.

    II est inutile dpiloguer sur le danger de telles mthodes; lauteur le pressent puisquelle introduit, malheureusement sans le dire assez clairement, des restric- tions qui font quen fait les francophones rels, selon ses propres termes, sont constitus par les catgories 3, 4 et 5 (ce qui reprsenterait, pour le cas seychellois, environ 7 % de la population en 1990 ce qui parat nettement plus raisonnable quoique fort optimiste). En fait, seule une connaissance tendue et concrte des situations locales peut permettre dviter les aberrations auxquelles conduit in- vitablement une application aveugle des principes de la dmolinguistique (il I est vident par exemple, que dans certains Etats, la comptence de niveau 2 rpute tre celle des lves de la fin du primaire est tout juste celle de certains des matres de ce mme cycle). Nous reviendrons sur ces problmes de lvaluation de la com- ptence qui sont loin dtre simples rsoudre.

    Quelques citations suffiront illustrer la gnralisation de loptimisme des commentateurs :

    Ldition francophone [. . .] connat des difficults de structures plus que de march; le potentiel de lecteurs reste immense : presque 200 millions (H.de Kerret, ibid., p. 19).

    La francophonie est en constante expansion er en lan 2000 il y aura 160 millions de francophones [lAfrique Noire reprsentant lessentiel de Iac- croissement] (France-Inter, 8 heures, 2-9-87). On dit que 300 millions de locuteurs peuvent pratiquer le franais (G.Dupuy, Libration, 2-09-87, p. 3).

    Sans accumuler les chiffres, on peut passer directement au record absolu dtenu par M.Druon:

    C ce rythme [de la dmographie et de la scolarisation] il y aura dans les premires dcennies du XXI sicle quelque cinq cent millions de franco- phones (cit par Le Point, 7 aot 1987, p. 38)

    Le vrai problme est moins dans les incertitudes des valuations et plus encore des prvisions, que dans le fait que, considres par beaucoup comme semi-officielles , elles sont reprises partout.

    Les extrapolations reposant essentiellement sur la croissance dmographique et sur laugmentation du taux de scolarisation, il en rsulte un optimisme gn-

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  • ralis qui parat dangereux dans la mesure o il occulte la ralit (bien diffrente) des situations et, surtout, o il conduit penser que tout est pour le mieux dans la meilleure des francophonies possibles, alors quil serait urgent de rflchir sur des stratgies visant mieux adapter les modes de diffusion du franais la ralit du prsent et de lavenir des situations.

    A dire que le roi est nu, on passe pour un esprit chagrin voire un pisse- vinaigre (T. Chirac) ou un mauvais Franais. Les donnes de IIRAF, reprises par la presse (surtout loccasion dvnements mdiatiques comme les Sommets) simposent chacun et sont mme lobjet de surenchres dlirantes. La revue de presse des plus sommaires et lacunaires effectue ci-dessus a permis de voir la diversit (mais loptimisme) des valuations du nombre des francophones (de 100 300 millions) comme des prvisions (de 160 500 millions au XXI sicle!).

    Le dossier du Monde sur la francophonie (septembre 1987) illustre aussi, en dpit de la qualit et du srieux traditionnels de cette publication, les incertitudes et les erreurs des dossiers sur le monde francophone. La dernire page de ce dossier Ltat du monde utilisant le franais comporte une carte du monde francophone et les valuations en locuteurs rels daprs les estimations faites en 1985 par le Haut-Conseil de la Francophonie. Le point le plus remarquable est que ces chiffres sont, dans plusieurs cas, en contradiction avec des indications darticles de ce mme dossier, gnralement plus prcises car elles manent de journalistes ayant une relle connaissance du terrain. Ainsi, pour le Sngal, on indique (p. 12) 2 000 000 de locuteurs rels (mais quentend-on par l?) alors que, p. 5, on apprend que le franais est parl couramment par 15 % des 6 millions de Sngalais (soit 900 000). Il en est de mme pour la Belgique : 7 000 000 (~y compris les Flamands francophones), p. 12) ce qui tendrait prouver que sil y a 4,3 millions de francophones (p. 4), plus de la moiti des nerlandophones flamands est francophone, ce qui parat, pour le moins, excessif. On peut faire la mme remarque pour la Suisse qui est crdite de 2,5 millions de francophones alors quil ny a que 1,2 million de Suisses romands et que chacun saccorde (ibid. p. 4) reconnatre la tendance des Suisses dexpression allemande se replier sur eux-mmes et privilgier lusage des dialectes locaux. Que dire du fait quon considre que 3 500 000 dHatiens sont des francophones rels , alors quaucune valuation raisonnable ne peut en admettre plus de 500 000. On est encore plus surpris dapprendre quil y a 500 000 francophones rels en Angola et au Cabinda, sans parler des francophones du Cap-Vert, de Guine-Bissau, de Sainte- Lucie ou de la Dominique dont le nombre nest pas prcis dans la mesure o ils figurent dans des ensembles fourre-tout dont la logique napparat gure mais dont limportance est assurment exagre.

    Le total slve 124 500 000 de francophones rels (on serait tent de dire, comme Rabelais, sans compter les femmes et les petits enfants. . .) ce qui est une exagration somme toute modeste en comparaison des chiffres quon a pu voir avancer par ailleurs. Cest par lassitude devant ces rpartitions et ces

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  • valuations que jai propos de distinguer dans la francofaune trois types majeurs despces : les francophones (ceux qui ont en franais une comptence tendue et relle), les francophonodes (qui peuvent donner quelque apparence de fran- cophonie linguistique, mais sans vritable comptence) et les franco-aphones (R. Chaudenson, Vers une rtholution francophone, 1989)

    En fait, on laura compris, lvaluation du nombre des francophones est en fait impossible sans une dfinition linguistique de la comptence en franais et, en principe, une vrification exprimentale de cette comptence. Ce critre est naturellement inutilisable et le seul palliatif peu prs srieux serait le recours (pour les pays o le franais nest pas Ll) un critre ducatif (le niveau 4 - baccalaurat - des analyses de IIRAF). Toutefois, cette mthode nest pas satisfaisante et une bonne connaissance des situations permet dutiles modulations.

    Heureusement, notre propos nest tant de compter les francophones, que dtudier les situations de francophonie (le nombre de locuteurs tant bien entendu un lment de ces situations). Quelques linguistes se sont penchs sur le problme dune approche globalisante de la francophonie et ont tent, selon des principes divers, de classer ces situations.

    Willy Bal (Unit et diversit de la langue franaise, 1977) vite dailleurs lusage systmatique du mot francophonie dans lessai de description des situa- tions auquel il se livre. Sa perspective est, pour partie historique, et se fonde sur le constat de lexpansion de la langue franaise W. Bal aime illustrer ce point en rappelant que, paradoxalement, la Wallonie (Belgique romane) est, cet gard, plus franc;aise que la France doc puisque, historiquement, au plan strictement linguistique, elle se rattache aux parlers dol (parmi lesquels le franais est celui qui a le mieux russi) tandis que laire linguistique des dialectes doc est, en fait, une zone dexpansion du franais.

    Selon W. Bal, on peut donc tablir une opposition fondamentale entre tra- dition et expansion (p. 9) (mme si, vrai dire, le domaine dol a t his- toriquement, lui aussi, au moins pour partie, une aire dexpansion du dialecte dol qui tait en train de devenir le franais) : au sens le plus rigoureux, sauf pour une aire trs rduite, tout lespace du franais est constitu par des zones dexpansion.

    W. Bal envisage successivement les facteurs de diversification des situations qui sont dordre historique, gographique, linguistique et sociolinguistique. Laspect historique est celui sur lequel il sattarde le plus longuement en essayant de prciser les modes de lexpansion . Ce phnomne est prsent comme ralis sous quatre formes:

    1 - la superposition : lorsque, gnralement pour des raisons politiques, une langue [le franais] en vient assumer, partiellement ou exclusi- vement, dans un territoire alloglotte, des fonctions sociales considres comme suprieures (telles que ladministration, lenseignement, les rela- tions internationales) .

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  • 2 - Iimportation lie des dplacements de population.

    3 - le rayonnement culturel qui fait que la langue est tudie et peut tre pratique comme langue trangre par des alloglottes.

    4 - Iimplantation quand la langue trangre devient Ll dun grand nombre dhabitants dun territoire donn.

    Le problme est quil y a trs souvent, dans lexpansion, combinaison de ces phnomnes. On peut rsumer en un tableau les exemples quvoque W. Bal.

    Aire Super. Import Rayon. Implant.

    Aire des parlers dol

    Luxembourg Rgion de Bruxelles Canada Louisiane Hati Antilles franaises La Runion le Maurice Seychelles Maghreb Afrique subsaharienne Madagascar

    + + + + + + + +

    + +

    + + + + + +

    + +

    + + + +

    Cette approche historique pose dans certains cas des problmes. Ainsi, dans les aires crolophones, on ne peut gure voir une superposition du franais puisque le franais (ou des formes populaires et/ou dialectales) (de cette langue) a t souvent la langue dorigine (si lon peut dire) les divers croles stant his- toriquement constitus partir delle.

    Limportation apparat donc comme le point majeur, caractrisant, en gros, les zones peuplement franais, la superposition allant ensuite de soi sauf dans les cas o le franais lui-mme est victime, son tour, dune implantation et dune superposition trangre (Amrique du Nord).

    Les autres ordres de facteurs sont prsents plus rapidement:

    * Situation gographique et conomique : Continuit territoriale ou isolement Proximit du centre de rayonnement dune autre langue I

    l Organisation politique et conomique (appartenance un Etat, une zone dinfluente).

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  • * Situation linguistique l Situations unilingues (compte tenu dune diversit interne normale) ou

    plurilingues l Plurilinguisme de droit et/ou de fait (avec des rpercussions au plan socio-

    linguistique : exercice exclusif ou concurrentiel des fonctions officielles). l Relations avec des substrats, superstrats ou adstrats.

    * Facteurs sociolinguistiques l Pourcentages de locuteurs plurilingues ou unilingues l Rpartition des langues en fonction des situations.

    W. Bal en vient ainsi, sans entrer dans le dtail, numrer quelques rap- ports entre varits linguistiques en prsence (p. 10):

    - langue majoritaire vs langue minoritaire - langue valorise vs langue dprcie - langue protge vs langue combattue - langue polyfonctionnelle vs langue emplois limits - langue en usage exclusif dans certaines fonctions vs usage concurrentiel

    de langues dans les mmes fonctions - langue maternelle vs langue officielle ou langue dappoint

    Lauteur en arrive ainsi, au prix dune assez forte schmatisation rpar- tir la francophonie entre les zones suivantes :

    1. France a) zone des parlers dol et villes de lensemble du pays part lAlsace, b) milieu rural occitan, c) milieux ruraux catalan, corse, breton, flamand, d) Alsace.

    2. Zones hors de France caractrise par la tradition dol ou une implan- tation transforme en implantation massive : a) Belgique francophone, Suisse romande, Val-dAoste, b) Canada franais.

    3. Territoires doutre-Mer, longue tradition franaise, avec immigration et nombre rduit, un certain mlange de races et formation de parlers croles : notamment Hati, les Antilles franaises, larchipel des Mascareignes.

    4. Zones o lexpansion a t ralise principalement par superposition : anciens protectorats et colonies franais et belges. Dans cet ensemble on pourrait distinguer : a) Afrique noire et Madagascar, b) Maghreb (o la part de limportation a t plus considrable), c) Etats correspondant lancienne Indochine franaise.

    5. Zones de rayonnement culturel: Proche et Moyen-Orient.

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  • W. Bal lui-mme est parfaitement sensible au caractre sommaire de ce schma comme au fait quil ne permet pas dintgrer certaines situations par- ticulires (Liban, Louisiane, Luxembourg) tout en effaant des distinctions fondes en ralit (entre la Wallonie, zone de tradition et Bruxelles, zone dex- pansion, ou entre le Qubec et le reste du Canada franais; on pourrait y ajouter les aires crolophones car le cas dHati et de lle Maurice, par exemple, sont extrmement diffrents).

    Lautre inconvnient de cette classification est quelle carte des critres de classement essentiels que W. Bal nignore videmment pas puisquil les mentionne dans son analyse des facteurs linguistiques et sociolinguistiques (unilinguisme vs plurilinguisme; droit et fait; fonctions du franais, etc.. .).

    Une autre typologie est propose par A. Valdman dans lavant-propos du franais hors ak France (1979). A. Valdman propose de substituer au critre propos par W. Bal (tradition vs expansion) une distinction entre franais langue verna- culaire (1) et franais langue officielle ou vhiculaire (2) (p. 9) : Dans les rgions qui appartiennent au premier groupe la majorit de la population autochtone pra- tique couramment le franais tandis que dans celle du second groupe les locuteurs effectifs ne constituent quune minorit). Notons au passage que le champ din- vestigation et de rflexion dA. Valdman ne concide pas avec celui de W. Bal puisque le premier ne considre que le cas du franais hors de France.

    Dans le cas (l), le franais, langue vernaculaire prsente une variation intra- linguistique normale avec des dialectes gographiques et sociaux et une diversit de registres, de style.. . Il se caractrise aussi par les traits qui sont ceux de tout vernaculaire

    - lien affectif entre le locuteur et la langue - acquisition au foyer ou dans des groupes sociaux.

    11 peut jouir ou non du statut de langue officielle et se trouve souvent dans des situations de contact linguistique qui ne sont pas sans importantes inci- dences sur sa nature et son volution.

    Dans la situation (2) o le franais sert de langue officielle et/ou de langue vhiculaire, la diffrence de statut et de fonction entrane une variabilit qui sex- plique par des causes toutes diffrentes:

    - langues maternelles ou vhiculaires connues - circonstance dacquisition de la langue officielle (canaux formels) - stratgies de communication (mtissage ou non-mtissage des noncs).

    Ces remarques sont intressantes mais lopposition de base (vernaculaire vs officiel et/ou vhiculaire) pose problme car officiel)> est de lordre du statut et vhiculaire de celui de la fonction. De ce fait, se trouvent regroupes sous une mme rubrique des situations trs diffrentes. Outre le fait que le franais peut tre la fois vernaculaire et langue officielle, il peut aussi, par ailleurs tre langue officielle sans tre langue vhiculaire (Hati), langue officielle et langue vhiculaire

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  • (Afrique subsaharienne); vhiculaire partiel sans tre langue officielle (Liban); vhi- culaire et vernaculaire partiel sans rle offtciel (Maurice).

    A. Valdman illustre sa typologie par des exemples (qui confirment, pour partie, les remarques prcdentes).

    1. Franais langue vernaculaire (appris au foyer)

    Groupe 1: Belgique, Suisse romande, Qubec. Le franais joue le rle de langue officielle, soit seul, soit au ct dautres langues.

    Groupe 2 : Val dAoste, province canadienne comme le Nouveau-Brunswick ou lOntario, la Louisiane, la Nouvelle-Angleterre, les isolats amricains (St-Thomas, Missouri, Pennsylvanie). Dans ce second cas, le franais sert unique- ment de vernaculaire mme si certains droits lui sont reconnus.

    2. La seconde grande catgorie est constitue par les rgions o le franais sert principalement de langue officielle assumant les fonctions de vhicule pour les affaires administratives et pour les relations avec lextrieur (1979, p. 12). Elles se regroupent, selon A. Valdman en 5 catgories:

    - les DOM et les TOM - les territoires crolophones - les pays du Maghreb et Madagascar - les Etats dAfrique Noire (o des langues nationales sont semi-offtcialises

    ou largement vhicularises) - les tats dAfrique Noire o le franais est le principal vhiculaire.

    On peroit le caractre extrmement htrogne de ce regroupement. En fait il est clair quA. Valdman est ici, si lon peut dire, victime du genre quil pratique puisque cette typologie est, en fait, esquisse en vue de la prsentation de la srie darticles qui constitue le volume collectif Lefian@ hors de France.

    A. Valdman revient dailleurs lui-mme sur ce classement pour essayer de le rendre plus opratoire et plus prcis (Normes locales et francophonie , 1983). La classification propose repose toujours sur lopposition vernaculaire vs officiel.

    1. Rgion de langue vernaculaire franaise.

    Deux sous-groupes qui correspondent exactement ceux de la classification de 1979 (cf. supra).

    2. Rgion de langue officielle franaise (langue offtcielle principale ou secondaire)

    - principale : Hati, Afrique francophone l - secondaire : Madagascar, Maghreb.

    3. Rgions de langue vernaculaire franaise infriorise.

    Un peu curieusement cette troisime catgorie reprend exactement le sous- groupe 1 de la premire catgorie (ci-dessus): provinces canadiennes (sauf le

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  • Qubec), Val dAoste, zones francophones des tats-Unis. Ces zones sont, en fait, caractrises par la domination dune autre langue europenne (anglo-amricain ou italien) et des phnomnes de mixit et/ou de restructuration du vernaculaire franais (dont lemploi, ajoutons-le, est souvent limit une fraction trs rduite de la population). Cette infriorisation du franais nest qu peine limite, le plus souvent, par une reconnaissance statutaire officielle de son existence.

    En fait l encore, la typologie esquisse a un but autre que celui dune recherche spcifique dune classification des situations francophones. Il sagit plutt pour A. Valdman de rechercher un modle qui permette de classer les variations du franais que de prendre en compte de faon globale les situations de francophonie et, bien entendu, cette perspective conduit des choix de critres que nous ne pouvons admettre comme tels dans une rflexion oriente de faon plus spcifique vers lanalyse des situations francophones (et non vers ltude des varits de franais rencontres dans de tels contextes).

    Quoique limite aux situations africaines, lapproche de G. Manessy (1979) est plus proche de nos proccupations et de nos objectifs. Elle se fonde en effet, pour lessentiel, sur les rapports qui stablissent entre le franais et les langues locales et sur la situation sociolinguistique des pays en cause (G. Manessy reprend, en partie seulement car il le conteste sur certains points, le classement propos par P.Alexandre en 196 1 dans Problmes linguistiques des tats ngro-africains lheure de lindpendance >)).

    On peut, dans cette perspective, distinguer trois grands types de situations :

    1. tats linguistiquement homognes : Rwanda, Burundi [on pourrait, avec des nuances et des rserves y ajouter, pour notre tude qui dpasse les limites de lAfrique, Hati, les Seychelles, la Dominique, Sainte-Lucie].

    2. tats htrognes mais possdant une langue dominante au niveau national (dmographiquement ou sociologiquement) : Mauritanie (arabe), Sngal (wolof), Mali (malinke-bambara), Niger (haoussa), RCA (sango), Gabon (fang).

    G. Manessy conteste, dans son dtail, cette classification en faisant justement observer quil y aurait lieu de distinguer entre superposition et assimilation : Ihaoussa, langue vhiculaire au Niger, se superpose dans louest au songhay- djerma et, par l, ne joue pas le mme rle que le wolof, langue assimilatrice au Sngal.

    3. tats htrognes sans langue dominante: Guine, Cte divoire, Haute-Volta [Burkina Faso], Togo, Dahomey [Bnin], Tchad, Cameroun, Congo, Zare (avec quatre grandes langues officielles : kiswahili, tschiluba, kikongo et lingala).

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  • On peut noter que des pays comme Madagascar et lle Maurice par exemple peuvent entrer dans les catgories 1 ou 2 selon lanalyse que lon fait de leur situation.

    Lanalyse de G. Manessy montre bien dailleurs, dans son dveloppement, les limites dune telle classification, certes utile, mais notoirement insuffisante.

    En effet le franais est prsent partout et cette prsence a des traits communs : - caractre rcent (sauf au Sngal. Ce point souligne la diffrence avec

    des situations voques auparavant (Amrique du Nord, monde crole) o la prsence franaise a souvent plus de trois sicles.

    - caractre dlibr : Le colonisateur [a] toujours mesur aux progrs de sa langue limportance de son emprise sur le pays (1979, p. 334). Selon G. Manessy, le rle de larme a t essentiel, au dbut surtout, soit quelle cumule autorits administrative et militaire, soit quelle four- nisse ladministration (pour ses cadres) danciens militaires (ceci expli- querait sans doute limportance du rle jou par le franais-tirailleur ou petit-ngre qui, appris par les soldats dorigine africaine, aurait t ensuite diffus par eux, leur retour la vie civile). Ce fait est con- firm par des impressions de terrain, lancien combattant tait souvent dans un village de nos anciennes colonies le francophone le plus comptent.

    11 faut ajouter que ce franais dAfrique na pas de faon notable t transmis par importation, pour reprendre la terminologie de W. Bal. Les colonies fran- aises dAfrique occidentale et quatoriale nont pas t des colonies de peuplement ( la diffrence de lAmrique du Nord et du monde crole). Bien entendu, ce trait nest pas voqu par G. Manessy puisque son propos se limite lAfrique Noire mais il est, en revanche, essentiel dans une approche gnrale du phnomne francophone.

    Dans une tude intitule Vers une typologie des situations de francopho- nie (1986), jai suggr une approche qui prenait un critre de base autre que celui choisi par W. Bal (tradition vs expansion) ou A. Valdman (langue verna- culaire vs officielle ou vhiculaire). 11 me paraissait utile et commode dutiliser (avec certaines adaptations dailleurs), lopposition classique en amnagement lin- guistique entre status et ~~corpus~~. Depuis H. Kloss, en effet,on distingue traditionnellement, les actions ou les travaux portant sur les statuts ou les fonctions des langues (statut) de ceux qui concernent les systmes linguistiques eux- mmes (corpus : standardisation et/ou instrumentalisation, etc.. .).

    Javais propos demployer status dans un sens assez classique (statut et fonctions), mais de modifier celui de corpus en lui attribuant une signification sensiblement diffrente. Ce mot sapplique, dans une premire approche, des ordres de faits essentiels qui seront, par la suite, prciss:

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  • A. Volume de production linguistique ralis en franais et pourcentage (hic et nunc) par rapport dautres langues en usage.

    B. Nature de la comptence linguistique des locuteurs du franais et de leur comptence de communication (modes dappropriation; com- ptences diverses: unilingues, bilingues, diglottes (diglottes actifs ou passifs).

    Nous avions donc t tent de poser comme point de dpart un schma trs simple comportant deux ples limites (1 et III):

    1 II III _-______________________________________--------------------------------------------------

    Statut + + -

    corpus - + + _______________-________________________--------------------------------------------------

    Le type II (central) est, dans cette approche, le moins intressant puisquil correspond la situation franaise (et, mme en llargissant un peu, des aires o le franais est une langue vernaculaire). Le franais a un statut de langue offi- cielle (de jure))) et remplit toutes les fonctions sans partage (statut); par ailleurs, le volume de production linguistique en franais est maximum (100 % ou peu prs ) et la comptence des locuteurs complte. Ce cas est naturellement prendre en compte (il figure dans la typologie) mais ne prsente quun intrt limit pour notre approche.

    Plus intressants bien sr sont les types polaires. Le type 1 correspond, en principe et la limite, une situation o le franais aurait un statut majeur (langue officielle, langue des institutions, etc.) mais ne serait pas parl (toujours la limite). Bien entendu, une telle situation nest pas concevable de faon absolue, mais certains cas peuvent sen rapprocher. En Hati, par exemple, le franais com- porte les lments de statut de ce type 1 (langue officielle, langue de ltat, des moyens de communication de masse officiels, etc.) alors que lusage rel et quo- tidien de cette langue est, pour lensemble du pays, trs rduit et que moins de 10 % de la population possde, en thorie, une comptence en franais (cette valuation est bien sr trs loigne de celle que font de la situation hatienne les institutions francophones officielles).

    Le type III parfait est aussi largement thorique puisquil sagirait, Iin- verse, dun pays o le franais naurait aucune reconnaissance ni statut officiels h tout en tant dun usage tendu dans la communication locale. LIle Maurice, par exemple, tend vers ce type puisque le franais ny a aucun statut (langlais fait fonction de langue officielle et constitue la langue de ltat) mais se trouve nettement prsent dans la communication locale. Un pourcentage non ngligeable

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  • de Mauriciens est francophone et la classe des no-francophones est en expan- sion (cf. Baggioni et De Robillard, 1990) (ce pourcentage est, en tout cas, net- tement plus lev que dans bien des pays statutairement considrs comme francophones).

    II en rsulte que les signes + et - ne doivent pas tre interprts en termes absolus ( + = 100 % ou - = 0 % pour la rubrique corpus) mais de faon relative. Avec ces nuances, on peut considrer que lle Maurice entre assez bien dans le type III du tableau ci-dessus.

    Logiquement, toute francophonie de status (S + ) devrait ncessairement impliquer une francophonie de corpus>> (C + ) ce qui, on la vu, nest pas toujours le cas. On pourrait mme dire que, dans la plupart des cas, S>C, cest--dire que le volume de communication en franais est relativement rduit par rapport ce quon pourrait attendre, compte tenu du statut du franais. La comptence en franais des locuteurs est, la plupart du temps, limite dans des pays o le statut de cette langue est tout fait positif. Le cas inverse (S- C + ) peut tre reprsent par la situation des minorits franaises dAmrique du Nord avant quaient t engages les luttes pour le droit la langue qui ont conduit, au moins en thorie, des situations de type (S + C + ). On peut concevoir une ligne allant du type 1 au type III et o la position mdiane est occupe par le cas (S + c+>:

    1 II III ________________________________________--------------------------------------------------

    (si+ c-) (s+ c+) (S- C-t)

    II est sr dans ce cas que la plupart des situations des tats francophones se trouvent places sur le segment 1 + II; la partie II + III accueille des cas plus particuliers comme celui de lle Maurice (cf. supra) ou, par exemple, celui de communauts linguistiques issues dimmigrations francophones anciennes (les Acadiens de Louisiane, par exemple, mme si la Louisiane est, aux tats-Unis, I un Etat rput officiellement bilingue

    Toutefois cette reprsentation comporte linconvnient de donner penser quil y a, en quelque sorte, pour les zones 1 + II et II + III, une espce de com- plmentarit entre S et C (lorsque lun dcrotrait, lautre crotrait) ce qui est videmment faux. Pour carter cette interprtation, il apparat donc ncessaire de chercher une autre prsentation des donnes permettant leur formalisation.

    Celle qui est ici propose consiste reprsenter le status et le ~Corpus non par deux lignes parallles (orientes par + et - ) mais par des coordonnes qui permettent de localiser les diffrentes situations dans le plan ainsi caractris, le statut constituant les ordonnes et le corpus les abscisses:

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  • Z (France)

    . . . . . . ..__.........._...........__._..........._____............_____..

    C

    On vite ainsi linconvnient prcdemment voqu, status et corpus tant valus, selon une procdure qui sera expose et symbolise, pour chaque cas, par une valeur numrique (de 0 100). On peut dterminer donc pour chaque cas trait, des coordonnes prcises et on peut esprer la fois voir apparatre les diffrences sensibles entre les types et esquisser, sur des bases plus exactes, des rapprochements typologiques, eux-mmes propres susciter des modalits dac- tions mieux adaptes aux situations relles et des cooprations au sein des sous- ensembles ainsi mis en vidence.

    Pour rendre plus claire lutilisation dun tel systme de reprsentation, nous avons choisi dy situer, arbitrairement, les noms dun certain nombre dtats (ou I de parties dEtats). Leur localisation repose sur une valuation intuitive de leurs positions respectives. Ce schma se diffrencie de celui que permettrait dtablir lapplication rigoureuse des critres qui seront proposs un peu, comme au temps de la navigation voile, on notait en parallle les positions estimes et ~obser- ves (la justesse de la navigation lestime tant souvent surprenante!). Les positionnements de ce schma sont galement faits lestime et on ne peut quesprer quils se trouvent relativement vrifis par une apprciation plus rigou- reuse des lments de positionnement (ce qui est, implicitement, une forme de vrification du mode de reprsentation adopt).

    1. France (valeurs maximales pour S comme pour C) : pas de remarques particulires. On pourrait voquer bien sr le cas des langues rgionales ou de celles de limmigration). Le cas des DOM, en revanche, est mentionn car il pr- sente un aspect particulier dans la mesure o la production langagire en franais est moindre et o une partie de la population, variable selon les DOM, est cro- lophone unilingue, cest--dire non-francophone).

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  • 2. Zare (S lev, C, rduit). Ce cas est celui de la plupart des pays dAfri- que Noire (mais aussi dHati par exemple) o le franais est la se.& langue officilIe (mme si sont parfois reconnues, par ailleurs, des langues nationales. Cette recon- naissance de langues nationales apparat souvent comme une forme de conces- sion, sans grande porte, aux affirmations nationalistes ou identitaires qui pour- raient conduire contester le statut de langue offtcielle accord au franais). Une partie variable de la population est linguistiquement francophone (au Zare ou en Hati cette portion reprsente, dit-on, environ 10 % au maximum; elle peut slever 30 % dans dautres pays). Dans tous les cas, limmense majorit de la population na quune connaissance trs rduite du franais. Laccroissement des pourcentages de scolarisation est souvent mis en avant pour justifier une augmen- tation du nombre des francophones mais ces chiffres sont relativement trompeurs et rendent donc trs douteuses, on la vu, les extrapolations des dmolinguistes .

    Se trouvent probablement dans cette zone, les tats suivants dont les situa- tions seront, bien entendu, dterminer avec plus de prcision:

    Bnin, Burkina-Faso, Centrafrique, Congo, Gabon, Guine, Hati, Mali, Niger, Sngal, Tchad, Togo.

    3. Qubec. Le Qubec (province incluse dans ltat fdral bilingue du Canada) se trouve en position dcale par rapport la France la fois sur le plan du statut (place statutaire de langlais) et sur celui du corpus (place de cette mme langue dans la communication). Le Canada se trouvant, lui, bien plus gauche du tableau (corpus) et plus bas sur le plan du statut pour des raisons videntes (au plan de ltat, la ralit du bilinguisme, mme dans les services fdraux, reflte lingalit des statuts et aussi celles des communauts de locuteurs. Dans un bureau dAir Canada, Toronto, par exemple, il y a effectivement toujours une htesse qui parle le franais, mais on en trouve 5 ou 6 autres qui ne parlent que langlais; la volont dutiliser le franais pnalise, en obligeant une attente prolonge; dans les bureaux de poste, les employs francophones sont beaucoup moins nombreux encore et dune comptence en franais incertaine. La Belgique se situe sur les plans S et C un niveau un peu intermdiaire entre le Qubec et le Canada.

    4. Le Cameroun, les Comores, les Seychelles sont des exemples dtats o le statut du franais est officiellement reconnu mais partag avec une ou plu- sieurs autres langues: langlais au Cameroun, larabe aux Comores, langlais et le crole seychellois aux Seychelles. Au Cameroun, le bilinguisme officiel anglais- franais rsulte de la runification en 1961 de ltat fdr qui comprenait un tat occidental (anglophone) et un tat oriental (francophone), ce dernier tant dailleurs 3,5 fois plus peupl que le premier. Le fonctionnement de ltat se fait donc systmatiquement dans les deux langues, le bilinguisme tant largement dveloppe dans le systme ducatif (les communications quotidiennes stablissent, bien entendu, pour lessentiel, en langues africaines).

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  • S DOM France

    Zare Qubec

    Belgique

    Canada

    Cameroun

    Comores

    Seychelles

    Maurice

    Tunisie

    Maroc

    Sainte-Lucie Guine-Bissau

    Franco-Amricains

  • Le cas des Comores est tout diffrent quoiquil soit, en apparence proche, puisquon se trouve en prsence dun bilinguisme officiel arabe-franais, la com- munication quotidienne se faisant dans les dialectes comoriens. En fait, larabe est essentiellement la langue religieuse (les Comores sont comme la Mauritanie et Djibouti des rpubliques islamiques); elle est apprise lcole coranique alors que lducation laque est faite peu prs uniquement en franais (le comorien tant peu peu introduit dans le systme). Ladministration utilise le franais pour les actes essentiels (Journal officiel), mais le comorien a une large place dans les actes juridiques et ladministration courante.

    Le cas des Seychelles est encore autre : trois langues officielles : anglais, fran- ais, crole (seychellois). Langlais toutefois est la fois la langue de Iadminis- tration officielle et de lducation (mme si laccs lcole se fait, pendant les trois premires annes en crole, et si le franais doit garder une place comme matire denseignement). Les Seychelles sont un des rares pays pour lequel on dispose de donnes statistiques prcises sur lusage des langues. En 197 1, 29,4 % de la population se dclarait capable de parler le franais (37,7 % se considrant comme pouvant parler anglais) mais le mouvement de rduction du pourcentage de francophones se dessinait dj trs nettement puisque si la proportion slevait 37 % chez les locuteurs de plus de 15 ans, elle tombait 19,7 chez les moins de 15 ans. Langlicisation du systme ducatif qui tait lorigine de ce chan- gement stant poursuivie (cf. Chaudenson et Vernet, 1983). Ces chiffres sont rviser en baisse sensible en dpit de la coopration qui sest tablie avec la France et de loptimisme des dmolinguistes (cf. Couvert, 1985).

    Pour lessentiel, la situation des tats dans la verticalit est dtermine (S dcroissant) par des situations de bilinguisme ou de multilinguisme officiels, mme si ces facteurs ne sont pas seuls dterminer le statut:

    - bilinguisme officiel correspondant lexistence de communauts linguis- I tiques diffrentes dans le mme Etat : Belgique, Canada, Suisse (ces com- munauts sont formes de locuteurs natifs, mme si une partie dentre eux peut tre effectivement bilingue);

    - bilinguisme de langues europennes (anglais-franais) dans des pays qui, par ailleurs, possdent des langues vernaculaires : Cameroun, Vanuatu. Ce bilinguisme rsulte de circonstances historiques lies des colonisations;

    - bilinguisme ou multilinguisme officiels : langue(s) europenne(s) et langue nationale : Burundi (kirundi et franais), Madagascar (malgache et franais), Rwanda (franais) 2 langue officielle); Seychelles (anglais, franais et crole seychellois);

    - bilinguisme arabe-franais dans les rpubliques islamiques : Comores (la langue dusage quotidien est le comorien); Djibouti (langues locales: afar et somali); Mauritanie.

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  • Toutefois, comme nous lavons dit, ces lments ne sont pas seuls constituer le statut et des analyses plus compltes sont videmment ncessaires pour dter- I miner la place exacte de chaque Etat.

    5. Le cas des pays du Maghreb est particulier en ce sens que le franais ny a plus de statut tout en conservant dans la communication une place non ngli- geable (et que favorisent, par ailleurs, les importantes immigrations maghrbines en France). La situation diffrente au plan du statut est dtermine par lattitude lgard des instances francophones (la Tunisie est, par exemple, membre de IACCT alors que le Maroc ny est quassoci, lAlgrie se tenant tout fait lcart de ces activits).

    6. Lle Maurice est un cas assez particulier. Le franais na aucun statut officiel et langlais (qui nen a pas davantage dailleurs) est la langue de Iadmi- n nistration et de lcole. Toutefois IIIe Maurice participe de faon trs active toutes les manifestations francophones et une coopration importante avec la France.

    Pour ce qui est du corpus, le fait essentiel est que dans ce territoire essen- tiellement crolophone, en dpit de lorigine indienne de la majorit de la popu- lation, une bonne partie des communications de masse et de lactivit culturelle sopre en franais (dailleurs langue maternelle dune partie aujourdhui trs rduite de la population mais avec un mouvement dexpansion de no- francophonie dans des catgories sociales relevant de la population gnrale ou du groupe indo-mauricien. Pour plus de dtails sur la situation de lle Maurice, cf.D. Baggioni et D. de Robillard, 1990.

    7. Les Franco-Amricains de Nouvelle-Angleterre (environ 900 000 indi- vidus de langue maternelle franaise en 1970 mais le nombre rel des francophones actuels se situe sans doute, au maximum, aux alentours de 500 000). II sagit l de communauts de francophones natifs (ou, ayant en tout cas, acquis le franais en milieu familial) dans des socits o le franais na aucun statut officiel (ce cas tait autrefois celui de la Louisiane mme si le bilinguisme de ltat est plus reconnu en droit que manifest dans les faits).

    8. Le dernier cas est celui des tats qui se trouvent en bas et gauche du schma et que caractrisent, la limite, la situation S = 0; C = 0.

    On peut ranger dans cette catgorie des tats qui tout en apparaissant dans la mouvante francophone au plan gopolitique (adhsion lACCT, participation aux Sommets francophones) ne font aucune place statutaire au franais et ne pos- sdent dans leur population quun nombre rduit voire infime de locuteurs francophones.

    On peut faire entrer dans ce type, les tats suivants, avec les nuances quim- poseraient un examen dtaill des diverses situations: Dominique, gypte, Guine-Bissau, Laos, Liban, Sainte-Lucie, Vit-Nam.

    Ces cas sont en effet eux-mmes diffrents:

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  • La Dominique et Sainte-Lucie sont des les crolophones o sont parls des croles franais trs proches de ceux de la Martinique et de la Guadeloupe et o la langue officielle est langlais. Le franais y a compltement disparu (sauf cas exceptionnel).

    Le Laos et le Vit-Nam, anciennes colonies franaises dIndochine, ne font pas de place offkielle au franais (encore quil reste, semble-t-il, la langue diplo- matique du Laos). La place du franais dans ces pays reste mal connue, mais les francophones y paraissent une espce en voie de disparition. Le tableau dress par P.Bandon en 1975 (Le franais hors de France, 1979) tait dj trs pessimiste: Dans la panique et lhorreur [du printemps 19751 un ordre nouveau est en train de natre en Indochine, tout au moins en matire politique, sociale et conomique. Car en matire linguistique ces vnements ne font que prcipiter le dclin de la francophonie commenc voici 25 ans mais rendu irrversible surtout dans les cinq dernires annes, p. 679.

    Le Laos a sans doute une situation un peu diffrente en raison dun dcalage historique qui a fait que le franais y est rest le mdium denseignement dans le cycle secondaire jusquen 1974-75 alors quau Nord-Vit-Nam, la vitnami- sation avait t opre ds 1950. On doit constater dailleurs que lors du Sommet de Qubec (1987), des manifestants vietnamiens ont dnonc ce quils appellent lhypocrisie du rgime dHano qui, selon eux, fait tout son possible pour interdire le franais sur son territoire, Libration, 4-9-87, p. 19.

    Les cas du Liban et de lEgypte sont encore diffrents. Au Liban, la langue franaise, historiquement, a prcd le mandat politique de la France (1920-43) et a t diffuse ds la deuxime moiti du XIX sicle, par les tablissements scolaires - ce qui en a fait la langue europenne de llite du pays. En 1943, au moment de lindpendance, en dpit des tentatives pour instaurer officiellement un bilinguisme arabe-franais, seul larabe fut reconnu comme langue officielle, le franais devant faire lobjet de dispositions lgislatives spciales qui ne furent, en fait, jamais prises. Le Liban qui, il y a une dizaine dannes encore se serait incontestablement situ un peu comme lle Maurice, volue, semble-t-il, vers une situation diffrente. Le cas de lgypte est tout autre et le rapprochement avec le monde francophone relve dune stratgie quasi-purement politique, mme si quelques traces de francophonie subsistent dans la socit gyptienne. Le matre doeuvre de cette politique dont le thme est le franais langue du non- alignement , est M. Boutros-Ghali, dont le rle parat cet gard dterminant.

    Reste le cas le plus tonnant car, la diffrence des prcdents, on ne peut tablir de lien, de quelque nature quil soit, avec lensemble francophone. Cest celui de la Guine-Bissau, territoire crolophone (on y parle un crole base por- tugaise) dont la langue officielle est le portugais et qui na jamais t sous la domi- nation coloniale franaise.

    11 est toutefois vident que la dtermination de la place des tats dans le schma largement impressionniste, doit se fonder sur des critres plus prcis et

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  • quune grille danalyse est mettre au point afin daboutir des localisations qui rsultent dun mode opratoire plus consistant que lestime ci-dessus voque.

    II convient didentifier les composantes principales du status et du corpus, en gardant bien sr lesprit que status et corpus ne sont pas des entits absolument trangres lune lautre et que lvolution au sein de lune des deux catgories a dinvitables consquences au sein de lautre. Par ailleurs, il est galement vident que si notre perspective prend en compte le franais, la place et le rle des autres langues est un facteur qui est sans cesse complmentairement prsent mme sil nest pas explicitement voqu.

    La ncessit de placer les tats dans le schma implique donc llaboration dune chelle de valeurs numriques affectant chaque composante du corpus et du status. Comme cela a t dj soulign, la rpartition de certains lments entre status et corpus peut paratre parfois un peu arbitraire (et elle lest!). Cest ainsi que les communications caractre officiel qui pourraient, dun point de vue strict, tre regardes comme relevant du corpus sont en fait classes dans le status dans la mesure o le choix linguistique parat la consquence dune dis- position lgale ou rglementaire (donc relevant directement du status).

    Le status

    Toutefois, si le caractre officiel est une des composantes majeures du status, il est loin den tre la seule comme on a trop souvent tendance le croire. Dautres lments sont prendre en compte : ainsi par exemple le fonctionnement linguis- tique des secteurs secondaire et tertiaire privs en particulier. En effet, si dans les pays en dveloppement, le secteur public (et, en particulier, ladministration qui fournit les emplois la fois les plus nombreux et les plus prestigieux) suppose ncessairement une comptence dans la langue officielle, les secteurs secondaire et tertiaire priv peuvent tout fait fonctionner, au moins en partie, dans une langue diffrente. Ainsi en Hati, le monde des affaires est trs largement anglo- phone dans la mesure o un nombre important de socits implantes en Hati sont sous contrle amricain (la place de lespagnol est galement non ngligeable en raison des relations avec Miami et lAmrique centrale ou latine). Laccs lemploi passe donc par la pratique de langlais ce qui, bien entendu, accrot con- sidrablement le prestige et lattrait de cette langue.

    Les communications de masse forment, par ailleurs, un troisime domaine prendre en compte, encore quon puisse considrer quil relve la fois du status et du corpus: cette ambigut tient ce que, selon les lieux, ce secteur relve plus ou moins de linitiative prive et individuelle ou, au contraire, est entirement I contrle par IEtat. Dans le premier cas, le choix linguistique tient des options individuelles mme si interviennent bien entendu des considrations politiques ou sociolinguistiques : choix de telle langue pour manifester une option idolo- gique ou politique ou pour atteindre tel ou tel groupe social; dans le second cas,

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  • les choix linguistiques sont plus ou moins conformes aux options manifestes par les dcisions nationales (choix dune ou de plusieurs langues comme langues offi- cielles ou nationales ou, dans le cas dune structure fdrale, comme langues des premiers ou tats fdraux). Nous avons essay de tenir compte de cette situation en intgrant pour partie les communications de masse au corpus par le biais de Iexposition la langue.

    Le corpus

    Les lments du corpus sont plus faciles identifier dans la mesure o la dcision a t prise de faire figurer dans le statut certains domaines qui peuvent relever, pour partie, de lun et/ou de lautre (rptons-le, status et corpus sont non seulement lis mais sont souvent des approches diffrentes dune mme ralit sociolinguistique). Ces lments sont constitus par plusieurs ensembles de donnes :

    1. Donnes statistiques et golinguistiques. Si on disposait sur ce point de donnes sres, les problmes du corpus seraient sans doute trs simplifis.

    Mme si la fiabilit de telles donnes est souvent douteuse, elles constituent une approche quasi-invitable (toutefois, dans bien des cas, elles ne sont pas dis- ponibles). Le principal problme est pour les langues non-maternelles (pour Ies- quelles il peut y avoir aussi des problmes) celui de la validit des renseignements recueillis (comptence du locuteur ou image de cette comptence que le locuteur souhaite donner, consciemment ou non?). Le lien avec les problmes de status est clair: le statut positif dune langue peut pousser un tmoin se dclarer locuteur de cette langue si modeste quy soit sa comptence relle (jamais vrifie) :

    - aires demploi (gographique ou sociale) des langues : cf. Atlas linguistique du Camwoun

    - combinatoire des langues (Recensement de 197 1 aux Seychelles).

    2. Mode dappropriation du franais. On peut distinguer plusieurs modes dappropriation du franais (acquisition sera rserv pour la comptence en langue maternelle, apprentissage tant spcialis pour le dveloppement dune comptence en L2 ou In; appropriation linguistique sera le terme gnrique incluant ces deux processus).

    3. La production langagire. Cet aspect est tout fait essentiel puisquil est constitutif de la notion mme de corpus. On aurait mme pu songer le sub- stituer dans cette tude corpus , mais ce dernier terme, par son vague mme, est plus englobant et permet une opposition plus parlante avec status. Cest aussi l que se rencontrent les principales difficults. En effet, sagissant dun individu donn, il est relativement facile dvaluer, par exemple, sa production langagire en franais dans les principales situations de communication que sont la famille, lcole et la communaut. En revanche, les mmes estimations au niveau dun

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  • groupe social savrent beaucoup plus difficiles (sauf mettre en uvre des pro- cdures denqute sociolinguistique trs lourdes dont les rsultats peuvent dail- leurs tre considrablement biaiss si lenqute ne repose pas sur des observations directes).

    Les problmes sont encore accrus dans les socits hautement multilingues (ce qui est souvent le cas en Afrique) o chaque individu possde une comptence (certes souvent limite aux besoins fonctionnels) dans plusieurs langues.

    II serait bien entendu tentant de raffiner quelque peu lanalyse et de ne pas se contenter dune apprciation du volume brut de production linguistique, mais de pondrer lanalyse par la prise en compte de I importance des situations de production (administration, mdias, travail, foyer.. .). Toutefois, on risque alors de survaluer les paramtres statutaires puisque ces facteurs sont dj trs largement pris en compte au plan du status.

    Par ailleurs, il importe de distinguer, on le verra, la production de Iexpo- sition langagires.

    4. La comptence en franais. Pour les locuteurs de langues autres que Ll se pose le problme de lvaluation de la comptence relle que nous avons dj abord par lexamen critique des mthodes dmolinguistiques . Toute Iam- bigut des valuations chiffres de la francophonie joue sur les confusions entre S et C (avec pour fcheux corollaire linadaptation de la politique du franais des situations dont on souhaite peut-tre quelles ne soient pas trop exactement connues).

    Cf. G. Manessy : La proportion des locuteurs africains des diverses varits de franais nest pas connue et sans doute pas connaissable, 1979, p. 347.

    Dans la plupart des cas (hors des zones o le franais est la langue verna- cularie : France, Suisse romande, Belgique francophone, Qubec) les diverses aires (ou tats) nentrent pas dans une catgorie dtermine homogne mais voient leurs populations se rpartir en groupes divers:

    1. Locuteurs comptence de franais Ll (ou assimils)

    2. Locuteurs double comptence large : X L 1 + franais L2

    3. Locuteurs du franais L2 (ou L3) avec une comptence rduite (vhi- cularisation, spcialisation fonctionnelle, comptence passive.. .)

    4. Locuteurs sans comptences relles en franais.

    La troisime catgorie est videmment celle dont lapproche et lvaluation sont les plus complexes.

    Nous avons, plusieurs reprises, mis en garde contre les aberrations de Iap- proche dmolinguistique qui consiste fonder des estimations etlou des pr- visions sur le nombre des locuteurs francophones sur de simples extrapolations des taux de croissance dmographique et de scolarisation. Les estimations des dmographes sont valables.. sauf si les choses se passent autrement que prvu

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  • A ce qui est souvent le cas. Ainsi en 1965 on prvoyait que IIle de la Runion aurait en 1985 1 million dhabitants; il y en a eu, en fait, peine plus de 500 000 parce quentre temps un certain nombre de facteurs (non prvus par les dmographes!) ont chang.

    Pour ne pas passer pour un maniaque et un esprit chagrin, jemprunterai G. Manessy, parfait connaisseur des problmes linguistiques de lAfrique, quelques donnes un peu anciennes mais qui illustrent parfaitement le danger de ces types danalyse:

    La proportion de ces derniers [les locuteurs qui ont une connaissance suffkante du franais pour participer la vie publique] est value 10 % par M.G. Anson (1973, 23) au Togo o le taux de scolarisation est proche de 58 % (Duponchel 1.2.1.1.). Au Sngal, o ce taux est de 42 %, 11 % des hommes et 1 % des femmes savent lire et crire le franais (Dumont, 1.). Compte tenu du faible niveau de lenseignement dans les classes surpeuples et de la pnurie de matres comp- tents, ilserait imprudent dvaluer selon le mme rapport le pourcentage des usagers du franais correct dans les pays taux de scolarisation faible, comme le Mali (14,5 %; cf. Blond, 2. l.), ou relativement lev comme le Cameroun (entre 22,4 % et 94 % selon les rgions, soit 74 % en moyenne pour 1973; cf. Renaud 1.1.2.). Dune manire gnrale, cependant les gens capables dutiliser couramment le franais comme langue seconde constituent une petite minorit o les diverses composantes de la socit sont trs ingalement reprsentes. (1979, p. 347).

    On voit assez par ces remarques combien lignorance des ralits africaines et, au plan plus mthodologique, lomission des aspects qualitatifs des situations peuvent conduire des aberrations dans lvaluation et plus encore dans la pr- vision. Ajoutons que les aspects politiques des problmes sont galement prendre en compte et que les donnes gopolitiques ne sont donc pas, on la vu, beaucoup plus sres.

    Dans notre perspective, le franais est donc pris non comme le sommet dune hirarchie, mais comme point de focalisation ; une approche complte devrait, cas par cas, envisager les situations nationales si lon souhaitait utiliser ce mode danalyse pour essayer dapporter des lments de solution aux problmes nationaux.

    5. Vhicularisation vs vernacularisation

    Ce point est envisager dans une perspective moins globale que celle qui fonde lopposition tablie par A. Valdman entre vernaculaire et vhiculaire (mme si cette distinction reste tout fait pertinente et doit tre conserve).

    - Vhicularisation de la langue.

    1. hors du groupe o elle est ventuellement vernaculaire, dans les communications

    4 o un locuteur de ce groupe est engag

    b) o aucun locuteur de ce groupe est engag.

    2. dans des situations o la langue nest le vernaculaire daucun locuteur.

    35

  • - Vernacularisation : la vernacularisation dun vhiculaire ,; est peut-tre envisager aussi (Le franais dAbidjan? La no-francophonie IIle Maurice?). Ce point est videmment corrler avec le mode dappropriation, la vernacula- risation se caractrisant prcisment par la substitution pour une partie dun groupe social de lacquisition du franais Ll son apprentissage comme L2. La verna- cularisation (processus) se distingue bien entendu de la vernacularit (tat) de mme que, dans les mmes termes, se distinguent vhicularisation et vhiculari t .

    Compte tenu du caractre exprimental dune telle approche, il parat

    inutile de sattarder sur les composantes du status et du corpus; aussi peut-on proposer la fois une grille et une pondration des lments qui permettent de quantifier et par consquent de progresser dans la ralisation du tableau de classement qui a t esquiss par le schma ci-dessus.

    Nous ne justifierons pas ici, dans leur dtail, les choix qui ont conduit adopter les pondrations proposes (qui, rptons-le encore, sont exprimentales). Limportant nous parat, ce stade de la recherche:

    - de proposer une grille commune ltude de toutes les situations;

    - disoler les facteurs ou ensembles de facteurs prendre en compte;

    - de les valuer (certes un peu arbitrairement) de faon cohrente, de faon mettre en vidence les situations types par le regroupement des tats dans le plan ainsi dfini.

    Lapplication de cette mthode fera sans doute apparatre la ncessit de modifications dans cette grille, les adaptations indispensables seront alors bien entendu ralises.

    LVALUATION

    A. Statut

    1. Offcialit unique ................................... partage (n 1) ......................... partage (n n) ......................... peu de reconnaissance .................

    2. Usages institutionnaliss textes officiels (lois. .). ................. textes administratifs nationaux ....... justice ................................... administration locale .................. religion ..................................

    12 8 4 0

    Total Partiel 4 4 4 4 4

    36

  • 3. Education

    Medium primaire ........................... secondaire ......................... suprieur ...........................

    Langue enseigne intensif .............................. moyen ...............................

    4. Moyens de communication de masse

    presse crite ............................. radio ..................................... tlvision ................................ cinma (circuit commerc.) ............ dition ...................................

    5. Secteur secondaire et tertiaire priv Possibilits professionnelles ouvertes

    excellentes .............................. bonnes ................................... moyennes ...............................

    nulles.. ...................................

    Total Partiel Non utilis 10 0 10 0 10 0

    5 0 2 0

    20 15 10 0

    Les rponses affectes du chiffre maximal amnent un total de 107 (ce qui est par exemple le cas de la France).

    Nous ne justifions pas ici les choix qui fondent les valeurs numriques affec- tes chaque lment; rappelons simplement notre principe de double valuation (estime et observe). En tout tat de cause, lutilisation de la grille et Iana- lyse des rsultats obtenus nous conduiraient peut-tre, nous lavons dit, rviser la grille elle-mme.

    B. Corpus

    Tout en soulignant une fois encore la fois le caractre exprimental de cette approche et les interactions videntes entre status et corpus, il est ncessaire de procder, l aussi, une certaine formalisation des composantes de la notion de corpus (on peut la dfinir essentiellement partir des modes et des conditions dappropriation et dusage de la comptence linguistique).

    On distinguera ainsi 4 secteurs principaux pour lesquels seront dtermines des valeurs qui permettront dtablir un indice permettant de caractriser chaque situation ce point de vue.

    a) Appropriation linguistique : mode dacquisition (L 1) et/ou dapprentis- sage (L2)

    37

  • Rappelons que par la convention pralablement voque, acquisition est employ pour la langue maternelle (acquise dans la famille) et apprentissage pour le dveloppement dune comptence de langue seconde (que cet apprentissage soit opr en milieu institutionnel ou non).

    Comme dans le cas du status, les situations seront affectes dun indice (de 20 0).

    Pour la clart des tableaux, nous utiliserons les ensembles de symboles suivants :

    1 = Il

    Il/12

    11112

    IlU2

    &=

    51 =

    2 =

    &3 =

    mode dacquisition; dsigne lacquisition du franais comme langue maternelle unique. Diffrentes autres situations o lapprentissage dune ou plusieurs langues intervient seront symbolises par les procds suivants (qui seront par la suite rutiliss):

    (le franais constitue la principale langue maternelle de lenfant bien quune ou plusieurs autres langues soient acquises en mme temps);

    (apprentissage simultan du franais et dune autre langue sans que lune prime sur lautre)

    (situation inverse de 11/12)

    mode dapprentissage

    franais utilis comme medium denseignement dans le systme scolaire

    franais enseign comme langue seconde

    pas denseignement en franais ou du franais.

    Acq. (1)

    App. (f)

    11 20 ---------_______________ ________________________

    11/12 18- 16 ________________________ __--_-______-_-----_____

    Il(12 15-13 _____________--__-______ ________________________

    IlU2 12-10 ________________________ ________________________

    &1 14-o ___________________-____ --__________---__

    f2 10-O ________________________ ______---_______________

    f3 2-o

    38

  • Bien entendu, lutilisation de cette grille se fait deux niveaux; celui qui est prsent ci-dessus est le niveau synthtique dans la mesure o pour un tat est choisi un indice moyen. Toutefois, si cela est ncessaire, ce choix peut se fonder sur une analyse antrieure qui, pour un domaine donn, dterminera le pourcen- tage de locuteurs qui entrent, ventuellement dans plusieurs des catgories ainsi dfinies. Ds lors les valuations doivent tre multiplies par le pourcentage de locuteurs relevant de cette catgorie (cette opration doit tre effectue sur tous les cas bien sr). On peut illustrer ce cas par celui des Seychelles en 197 1 (il sagit de la simple mise en forme des donnes dun recensement)

    Les donnes de f 1 et &2 sont sans doute approximatives mais font apparatre que les locuteurs francophones (ou, en tout cas, ceux qui se dclarent tels) appar- tiennent trois catgories diffrentes :

    - des locuteurs de franais langue maternelle (ou en tout cas de 11/12,11~12 ou 1 lU2, la 12 tant en Ioccurence le crole seychellois, ce qui, dans les situations de crolophonies correspond en fait souvent 11112, cest--dire une acquisition simultane du francais et du crole);

    - des locuteurs ayant utilis le franais comme medium au cours de leur scolarit;

    - des locuteurs nayant reu quun enseignement de langue (franais langue 2) en raison des changements de politique ducative qui ont conduit peu peu le systme seychellois faire une place de plus en plus grande langlais.

    Ces donnes sont donc partiellement inexactes car le recensement de 1970 distingue 2 catgories (+ ou - de 15 ans) ce qui ne correspond pas en fait aux dates essentielles de changement du systme ducatif (lidal aurait t de fixer la dmarcation entre les groupes dge en fonction du changement dans le systme ducatif).

    On a donc finalement comme total pour lappropriation:

    20 X 0,02 + 10 X 0,19 i- 6 X 0,08 soit en arrondissant: 3. Cette valuation ne correspond dailleurs pas la situation prsente.

    b) Vernacularit/ vernacularisation vs vhicularit/ vhicularisation.

    39

  • Le franais peut en effet tre la langue vernaculaire de la totalit ou dune partie de la population dun tat mais il peut aussi devenir, dans certaines con- ditions, le vernaculaire de certains groupes sociaux (ce processus nest pas courant mais est nanmoins observable). Le cas de vhicularisation est bien entendu celui o cette langue est utilise par des locuteurs de langues diffrentes dans des situa- tions de communication qui nimposent pas statutairement lusage du franais.

    , vernaculante

    vernacularisation

    vhicularisation

    tendue

    limite

    urb.

    rur.

    urb.

    rur.

    (1)

    15-12

    1 l-8

    8-5

    5-2

    0

    (1) Ce cas ne peut apparatre que dans des pays o le franais nest pas vernaculaire et dans les zones urbaines (cest, selon certains auteurs, le cas de quelques quartiers dAbidjan par exemple). Dans ce cas, pour ne pas fausser le rsultat mais prendre en compte la donne, lindice port devra prendre en compte limportance et ltendue de la communaut de locuteurs concerne par rapport lensemble de ltat en cause. Compte tenu de la raret et de la particularit de tels cas, il ne parat pas utile de prciser plus, a priori, la pondration.

    c) Les types de comptences. . Rappelons les principaux types voqus :

    1 - locuteurs comptence de franais Ll (ou assimils);

    2 - locuteurs double comptence large L 1 + franais L2 (ou comptences multiples) ;

    3 - locuteurs de franais Ln (L2, L3, etc. ..) avec une comptence rduite (vhicularisation, spcialisation fonctionnelle, etc.. .);

    4 - locuteurs sans comptence suffisante ou relle en franais.

    Il est possible par estimation dtablir pour chaque tat une valuation som- maire de ces pourcentages (on peut, bien sr, utiliser des donnes statistiques - scolarisation par exemple - mais condition de nen faire usage quavec les

    40

  • adaptations et les corrections auxquelles doit conduire une exacte connaissance des situations locales. On ne peut, en effet conclure par exemple quun pays qui scolarise 80 % ses enfants en franais est francophone 80 % !

    On peut, partir de l, dterminer un indice national fond sur ces lments. Le cas des pays vernacularit gnrale ou mme partielle nest pas essentiel ici puisque on dispose dans ces pays (tous du Nord) des statistiques pr- cises et relativement fiables quant au nombre de francophones. Le point essentiel est les rapports entre 2.3. et 4. et donc, en fait entre 2-3 et la population totale de ltat. Dans une approche empirique, on peut sans doute admettre que pour des Etats o le statut du franais est relativement identique, le rapport 2/3 doit tre peu prs constant puisque lun et lautre sont, pour une bonne part, le rsul- tat de laction du systme ducatif. On peut donc se contenter, en premire ana- lyse, du pourcentage reprsent par les catgories 2 et 3 dans la population totale (la catgorie 1 y tant, pour mmoire, ajoute). Un indice fond sur les seules catgories 1 et 2 serait sans doute plus prcis (le niveau dtudes suprieures servant alors dindicateur principal).

    % (l-2-3)

    100-90 20-18 90-80 17- 16 80-70 15-14 70-60 13-12 60-50 1 l-10 50-40 9-8

    40-30 7-6 30-20 5-4 20- 10 3-2 10-O 1-o

    11 est noter que pour la partie suprieure du tableau, les pourcentages sont ceux des locuteurs de franais vernaculaire et que ce tableau ne convient quim- parfaitement pour les cas de minorits francophones vernaculaires dans des tats majoritairement alloglottes.

    d) Production et exposition langagires

    Lune et lautre rsultent pour une bonne part de facteurs voqus prc- demment (statut et corpus) mais il parat utile de les examiner et de les intgrer, de faon spcifique (il ny a pas dobstacle mthodologique ce que des aspects partiellement communs soient pris en compte de points de vue diffrents si les

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  • pondrations adoptes prennent en compte ce problme et matrialisent cette complmentarit .

    La production langagire envisage ici est essentiellement individuelle (elle sera donc invitablement lobjet dapproximations) hors des situations de com- munication o le choix linguistique impos au locuteur.

    Lexposition est au contraire pour une bonne part lie des situations o lemploi du franais nest pas li des choix des interlocuteurs et o la commu- nication peut tre univoque (les situations dapprentissage institutionnel tant toutefois exclues) : les moyens de communication de masse, audio-visuels surtout, illustrent particulirement cet aspect.

    Production langagire

    Exposition langagire

    forte 10-8 ___________________ -_ moyenne 7-5

    ____________-----__ __________________ rduite 4-3

    ___________________ __--____-_----____ faible 2-3

    forte 10-8 __________________- _---__-----__-____ moyenne 7-5

    _________________-- _-____---_________ rduite 4-3

    --------__--_______ __________________ faible 2-O

    Lors du calcul du total, on ramnera, pour la commodit, les donnes un total maximum de 100 par une rgle de 3 en arrondissant le rsultat obtenu: y x 100

    80

    (on pourrait bien sr envisager une modification des indices qui viterait cette opration mais il nous a paru inutile de changer les modes dvaluation tradition- nels de 0 10 ou de 0 20).

    La mise au point de cette grille danalyse nest quun des rsultats, encore problmatique dailleurs, de la mise en uvre de ce programme de recherche. Mme si cet instrument est, avant tout, orient vers lanalyse des situations de francophonie, il peut tre tout fait utile pour analyser les situations linguistiques dans leur ensemble (le mme outil peut tre utilis pour les autres langues de

    42

  • ce mme espace francophone) et par ailleurs, elle peut galement sappliquer, hors de cet espace, toute situation linguistique.

    Par ailleurs cette grille danalyse pourrait sans doute, assez facilement per- mettre llaboration dun systme expert danalyse des situations linguistiques et de dfinition des modles adapts damnagement linguistique. Une rflexion est engage en ce sens et fera lobjet dune publication ultrieure.

    En guise de conclusion (partiellement provisoire)

    Quelques remarques finales peuvent servir de conclusions mais auraient pu, tout aussi bien, faire figure dintroduction. Elles visent souligner les deux ensembles de caractres majeurs qui marquent cette proposition de grille danalyse des situations de francophonie.

    Le premier touche au caractre de polyfonctionnalit de la grille. Certes, elle est prsente ici comme visant mettre en vidence une typologie des situa- tions de francophonie partir dune analyse compare du status et de lusage du franais (corpus utilis dans le texte regroupe en fait, on la vu, des donnes qui ne sont pas seulement celles que peut recouvrir habituellement usage et inclut, en particulier, les modes dappropriation de la langue, acquisition ou apprentissage, ainsi que la comptence; la recherche ventuelle dune terminologie plus adquate est un des lments de lexprimentation sur lequel nous revien- drons). II est toutefois clair, dans notre esprit au moins, que ce nest l quun des modes dutilisation de cette grille. Si elle se rvle adquate lexprimentation et conduit des rsultats danalyse positifs et cohrents, on pourra prtendre quelle est, en fait, universelle et quelle peut tre applique toutes les situations de plurilinguisme.

    Si elle nest nullement limite dans son usage aux seules situations de fran- cophonie, elle nest pas non plus, au sein mme de cet ensemble, utilisable dans la seule perspective o nous avons choisi de la tester. On peut en effet noter au moins quatre modes principaux dutilisation de cette grille:

    a) Application une langue commune toutes les situations linguistiques dun ensemble donn (le franais dans lespace francophone); cest le cas que nous envisageons dans la phase dexprimentation de la grille.

    b) Application une langue qui apparat dans un ensemble plus rduit (de cet espace ou dun autre bien entendu mais, pour rester dans le cas de la francophonie, on pourait songer utiliser la grille pour tudier la situation du bambara en Afrique de lOuest ou du swahili en Afrique Centrale).

    c) Application toute langue (vhiculaire ou vernaculaire) au sein dun mme tat; une comparaison entre la situation de la mme langue dans deux tats entrant, nos yeux, plutt dans le cas de b).

    43

  • d) Application ltude de la situation linguistique dun seul et mme tat par combinaison des donnes recueillies par a + b + c ou a + b; dans ce cas, le produit final est bien entendu diffrent dans sa prsentation puisque lobjectif nest videmment pas le mme. II nous est apparu raisonnable de diffrer la mise au point de ce modle dans la mesure o cette grille est, rptons-le, en cours dexprimentation.

    Le caractre exprimental est en effet le second aspect sur lequel nous sou- haitons prsenter quelques remarques en guise de conclusion.

    Les premires touchent la conception et la mise en uvre de la grille. Un problme est assurment pos par lusage du terme CO~~US~> qui est quelque peu inadquat mais a lavantage de reprendre une opposition classique et, par son vague mme, de permettre de couvrir des ralits diverses que dsignent des termes tout fait adquats (usage, appropriation, comptence, etc.. .) sans quau- cun dentre eux ne puisse les englober tous. Bon nombre de choix thoriques peuvent tre discuts; la perspective gnrale dabord mais cest le vide tho- rique mme qui a conduit concevoir cette grille; le choix des composantes du status ( il ny a l sans doute pas grand chose dire) et du corpus>> (pro- bablement plus discutable); le point le plus intressant est assurment celui des modes dvaluation numrique des composantes. II faut dailleurs quelque peu clarifier ces aspects pour les utilisateurs ventuels de faon assurer un maximum de cohrence dans la collecte et lvaluation des donnes.

    On peut dire, sommairement et pour simplifier, que celles-ci sont en fait de trois ordres majeurs:

    1. Donnes objectives immdiatement interprtables et quantifiables. 2. Donnes objectives quantifiables par analyse. 3. Donnes subjectives.

    La premire catgorie ne pose peu prs