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Sommaire février - mars 2012 - Commission paritaire en cours - N° ISSN en cours Bureau de la SOFOP Président : C. ROMANA - 1 er Vice-Président : J. LECHEVALLIER - 2 e Vice Président : C. KARGER Ancien Président : C. BONNARD - Secrétaire Général : J.L. JOUVE - Trésorier : P. LASCOMBES Membres du Bureau : B. de BILLY, F. CHOTEL, A KAELIN, P MARY, J. SALES DE GAUZY (SOFCOT), P WICART la Gazette est dorénavant publié en format A4, afin d’être directement imprimée à partir de votre ordinateur via notre adresse www.livres-medicaux.com Fondateur J.C. POULIQUEN † Editorialiste H. CARLIOZ (Paris) Rédacteur en chef C. MORIN (Berck) Membres J CATON (Lyon) P CHRESTIAN (Marseille G FINIDORI (Paris) J L JOUVE (Marseille R KOHLER (Lyon) P LASCOMBES (Nancy) G F PENNEÇOT (Paris) M RONGIERES (Toulouse) J SALES DE GAUZY (Toulouse) R VIALLE (Paris) et le GROUPE OMBREDANNE” Correspondants étrangers M BEN GHACHEM (Tunis) R JAWISH (Beyrouth) I. GHANEM (Beyrouth) Editeur SAURAMPS MEDICAL S.a.r.l. D. TORREILLES 11, boulevard Henri IV CS 79525 34960 MONTPELLIER Cedex 2 Tél. : 04 67 63 68 80 Fax : 04 67 52 59 05 La Gazette de la SO ciété F rançaise d’ O rthopédie P édiatrique N°35 Editorial SO.F.O.P. Interview en Micro trottoir de Micro chirurgiens ..................................................... 2 Qu’est-ce-que la chirurgie réparatrice ? par A.C. Masquelet ................................. 3 Enseignement de la chirurgie réparatrice de l’enfant à l’école de chirurgie du Fer à Moulin par F. Fitoussi ......................... 5 La mise au point d’un nouveau lambeau ou comment se fait l’innovation en chirurgie par A.C. Masquelet ..................... 7 Protocole de recherche : étude de l’anatomie chirurgicale du nerf brachial cutané interne par M. Bachy, C. Romana ..................................... 11 Le Centre des brûlés de l’hôpital Armand Trousseau par P. Richard............................................................. 14 L’entrée du microscope dans les blocs opératoires a fait progresser le traitement de bien des maladies dans notre spéciali- té. Je crois que c’est à Alain GILBERT qu’est due cette irruption en pédiatrie d’une tech- nique déjà développée en ORL, en Ophtal- mologie et ailleurs. C’était en 1977. Il s’est attaqué, avec le succès que l’on connaît, à la réparation directe des lésions plexiques de la paralysie obstétricale, aux transferts vascularisés osseux pour les pseudarthro- ses congénitales et pour les pertes osseu- ses traumatiques ou infectieuses, aux lam- beaux cutanés ou cutanéo-musculaires dans les séquelles graves de même origine, à bien d’autres chapitres de la chirurgie réparatrice comme le transfert d’orteil en remplacement d’un pouce. Je ne sais pas tout de ses innovations. Il ne faut donc pas voir dans cette brève énumération autre chose que des exemples et un hommage au promoteur. Il a aussi, et peut-être surtout, créé une école dont Alain MASQUELET, Claudia RO- MANA et par branchement comme dans un arbre généalogique, Manon BACHY et Franck FITOUSSI, sont parmi les meilleurs représentants. Leurs travaux sont toujours de qualité, qu’ils concernent ou non la microchirurgie. Ceux que la Gazette nous donne aujourd’hui le prouvent. J’aime le contraste voulu et significatif en- tre le texte et les images donnés par Frank Fitoussi – hommage à l’enseignement de l’anatomie classique – et ceux élaborés par Manon Bachy et Claudia Romana – lam- beau d’avenir imaginé grâce à la connais- sance précise d’un petit nerf négligé. Le passé/présent de Fitoussi et le présent/fu- tur de Bachy/Romana se joignent dans les locaux du Fer à Moulin. Les deux textes rédigés par Alain Mas- quelet sont de même intention : il nous faut oublier quelques instants la seule technique (indispensable et magnifique) pour préciser la nécessaire réflexion qui sous-tend l’activité chirurgicale. Même si Masquelet parle de la seule chirurgie ré- paratrice, sa pensée peut s’étendre, avec des nuances stratégiques et tactiques, à toutes nos décisions opératoires en ce sens que rien n’y doit aller « au petit bonheur la chance ». Dans son autre texte, il dissèque en philosophe le processus qui aboutit à la création, à l’invention, d’un nouveau lam- beau, puis, en chirurgien/chercheur, il dé- crit le principe et la réalisation du lambeau en question. Je souhaite aux orthopédistes pédiatres, et pourquoi pas aux orthopédistes « tout court » de trouver à la lecture de ces textes autant de plaisir que j’en ai ressenti moi- même. En outre, elle leur sera utile, ce qui ne saurait plus l’être pour moi. Henri Carlioz Réflexions sur la microchirurgie

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Page 1: La Gazette N°35 - livres medicaux · Sommaire février - mars 2012 - Commission paritaire en cours - N° ISSN en cours Bureau de la SOFOP Président : C. Ro m a n a - 1er Vice-Président:

Som

mai

refévrier - mars 2012 - Commission paritaire en cours - N° ISSN en cours

Bureau de la SOFOPPrésident : C. Romana - 1er Vice-Président : J. LeChevaLLieR - 2e Vice Président : C. KaRgeR

Ancien Président : C. BonnaRd - Secrétaire Général : J.L. Jouve - Trésorier : P. LasComBes Membres du Bureau : B. de BiLLy, F. ChoteL, a KaeLin, P maRy, J. saLes de gauzy (soFCot), P WiCaRt

la Gazette est dorénavant publié en format A4, afin d’être directement imprimée à partir de votre ordinateur via notre adresse www.livres-medicaux.com

FondateurJ.C. POULIQUEN †

EditorialisteH. CArLIOz (Paris)Rédacteur en chef C. MOrIN (Berck)

Membres J CATON (Lyon)

P CHrESTIAN (MarseilleG FINIDOrI (Paris)

J L JOUVE (Marseille

r KOHLEr (Lyon)P LASCOMBES (Nancy)G F PENNEÇOT (Paris)

M rONGIErES (Toulouse)J SALES DE GAUzY (Toulouse)

r VIALLE (Paris)et le GrOUPE OMBrEDANNE”

Correspondants étrangersM BEN GHACHEM (Tunis)

r JAWISH (Beyrouth)I. GHANEM (Beyrouth)

EditeurSAUrAMPS MEDICALS.a.r.l. D. TOrrEILLES

11, boulevard Henri IVCS 79525 34960 MONTPELLIEr Cedex 2 Tél. : 04 67 63 68 80Fax : 04 67 52 59 05

La Gazette de la SOciété Française d’Orthopédie Pédiatrique

N°35

Editorial SO.F.O.P.

Interview en Micro trottoir de Micro chirurgiens .....................................................2Qu’est-ce-que la chirurgie réparatrice ? par A.C. Masquelet .................................3Enseignement de la chirurgie réparatricede l’enfant à l’école de chirurgie du Fer à Moulin par F. Fitoussi .........................5La mise au point d’un nouveau lambeauou comment se fait l’innovation en chirurgie par A.C. Masquelet .....................7Protocole de recherche : étude de l’anatomie chirurgicaledu nerf brachial cutané interne par M. Bachy, C. romana .....................................11Le Centre des brûlésde l’hôpital Armand Trousseau par P. richard .............................................................14

L’entrée du microscope dans les blocs opératoires a fait progresser le traitement de bien des maladies dans notre spéciali-té. Je crois que c’est à Alain GILBERT qu’est due cette irruption en pédiatrie d’une tech-nique déjà développée en ORL, en Ophtal-mologie et ailleurs. C’était en 1977. Il s’est attaqué, avec le succès que l’on connaît, à la réparation directe des lésions plexiques de la paralysie obstétricale, aux transferts vascularisés osseux pour les pseudarthro-ses congénitales et pour les pertes osseu-ses traumatiques ou infectieuses, aux lam-beaux cutanés ou cutanéo-musculaires dans les séquelles graves de même origine, à bien d’autres chapitres de la chirurgie réparatrice comme le transfert d’orteil en remplacement d’un pouce. Je ne sais pas tout de ses innovations. Il ne faut donc pas voir dans cette brève énumération autre chose que des exemples et un hommage au promoteur.

Il a aussi, et peut-être surtout, créé une école dont Alain MASQUELET, Claudia RO-MANA et par branchement comme dans un arbre généalogique, Manon BACHY et Franck FITOUSSI, sont parmi les meilleurs représentants. Leurs travaux sont toujours de qualité, qu’ils concernent ou non la microchirurgie. Ceux que la Gazette nous donne aujourd’hui le prouvent.J’aime le contraste voulu et significatif en-tre le texte et les images donnés par Frank Fitoussi – hommage à l’enseignement de l’anatomie classique – et ceux élaborés par Manon Bachy et Claudia Romana – lam-beau d’avenir imaginé grâce à la connais-sance précise d’un petit nerf négligé. Le passé/présent de Fitoussi et le présent/fu-tur de Bachy/Romana se joignent dans les locaux du Fer à Moulin.Les deux textes rédigés par Alain Mas-quelet sont de même intention : il nous faut oublier quelques instants la seule

technique (indispensable et magnifique) pour préciser la nécessaire réflexion qui sous-tend l’activité chirurgicale. Même si Masquelet parle de la seule chirurgie ré-paratrice, sa pensée peut s’étendre, avec des nuances stratégiques et tactiques, à toutes nos décisions opératoires en ce sens que rien n’y doit aller « au petit bonheur la chance ». Dans son autre texte, il dissèque en philosophe le processus qui aboutit à la création, à l’invention, d’un nouveau lam-beau, puis, en chirurgien/chercheur, il dé-crit le principe et la réalisation du lambeau en question.Je souhaite aux orthopédistes pédiatres, et pourquoi pas aux orthopédistes « tout court » de trouver à la lecture de ces textes autant de plaisir que j’en ai ressenti moi-même. En outre, elle leur sera utile, ce qui ne saurait plus l’être pour moi.

Henri Carlioz

Réflexions sur la microchirurgie

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Interview en Micro trottoir de Micro chirurgienspar l’un des journalistes de la Gazette, le 31 novembre 2011

Voici maintenant, en micro-trottoir, l’interview des Micro chirurgiens réalisé le 31 novembre 2011 par l’un des journa-listes de la Gazette :

- Gazette : « Gilbert, voulez-vous confier à nos lecteurs vos pré-férences chirurgicales ? »- Dr Gilbert : « Comme vous devriez le savoir à la lecture de cette Gazette, c’est surtout la microchirurgie qui remplit mes journées. »- Gazette : « J’ai quelque difficulté à vous croire. En effet, l’éty-mologie nous apprend que micro vient de micros, terme grec qui signifie petit. Or, vous dites souvent qu’il n’y a pas de petite chirurgie. La microchirurgie n’existe donc pas ; comment peut-elle tant vous occuper ? »- Dr Gilbert : « Excusez-moi, j’ai un macroappel sur mon por-table. »- Gazette : « Dr Romana, Dr Bachy, votre travail de dissection du nerf brachial cutané interne peut changer tout l’avenir de votre spécialité. La figure 2 montre que vous avez étudié le bras droit seulement. Peut-on espérer un progrès plus considérable encore d’une dissection du brachial cutané interne gauche ? »

- Dr Romana : « Nous le pensons, bien sûr, mais nous atten-dons en vain, au pavillon d’anatomie, un sujet qui ait ses deux membres supérieurs, le gauche surtout, ce qui est devenu très rare depuis avril 2002. »- Gazette : « Je vous remercie, Madame la Présidente.Dr Masquelet, il semble, à lire vos textes, que la chirurgie parte en lambeaux. Est-ce mauvaise interprétation de ma part ? »- Dr Masquelet : « La réponse est simple. L’épistémologie nous met en garde envers la polysémie du terme que vous utilisez. L’actuation de celui-ci rend problématique l’expertise d’une technique ainsi affairée. La réponse à votre question est donc à trouver plus dans l’holisme que dans la sérendipité. »- Gazette : « Tout est maintenant parfaitement clair. Je vous en remercie ainsi que du temps que vous nous avez consacré. »

La rédactioz

THÈMES ABORDÉS :

- Découverte des paramètres d’équilibre sagittal et applications au quotidien- Planification de la correction chirurgicale d’un déséquilibre rachidien dans les trois plans de l’espace- Vissage cervical postérieur de C2à C7- Arthrodèse TLIF-PLIF versus double temps.- Molécules inductrices de l’ostéogénèse.-Technique de Jackson simplifiée pour fixation lombosacrée- Technique de vissage iliosacré pour la prise pelvienne dans les déformations.

TABLES RONDES :

- Les ostéotomies transpédiculaires : évolution à plus de 5 ans- Prise en charge des tumeurs bégnines du rachis- Monitoring peropératoire

Extrait du programme

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Qu’est-ce-que la chirurgie réparatrice ?par A.C. Masquelet

Introduction La chirurgie réparatrice n’a pas d’existence institution-

nelle. Ce n’est ni une discipline universitaire ni une spécia-lité chirurgicale. La chirurgie réparatrice est avant tout une pratique dans laquelle se reconnaissent des secteurs parti-culiers de toutes les spécialités chirurgicales. Une définition commode consisterait à la présenter comme la chirurgie de la perte de substance ce qui, soit dit en passant, la distingue radicalement des activités chirurgicales d’exérèse qui sup-priment, enlèvent ou excisent. Ainsi la chirurgie tumorale peut très bien ne comporter qu’une opération d’exérèse. Elle peut aussi impliquer une opération réparatrice lorsque la situation l’exige. Face à une perte de substance, l’erreur commune consiste à penser immédiatement en terme de technique chirurgicale et à croire que la technique déter-mine la planification thérapeutique. En réalité, le choix tech-nique n’est que l’aboutissement d’une longue démarche qui consiste pour l’essentiel en l’élaboration d’une stratégie. Cela est particulièrement vrai dans la chirurgie de l’appareil locomoteur où il conviendra de considérer : • l’aspect lésionnel responsable d’une déficience liée à

l’altération d’une structure ou d’une fonction physiolo-gique, anatomique ou même psychique,

• l’aspect fonctionnel en rapport avec la réduction par-tielle ou totale de la capacité à accomplir telle ou telle activité,

• l’aspect du handicap enfin qui ressortit de la limitation de la capacité à interagir avec l’environnement social, professionnel, familial, sportif…

L’appareil locomoteur Cela nous conduit à nous interroger sur la nature de

l’appareil locomoteur qui n’est pas réductible à une seule définition. On peut convenir que l’appareil moteur est une somme de fonctions primordiales (bipédie, préhension), un assemblage de régions anatomiques qui entretiennent une correspondance assez étroite avec la définition fonctionnel-le (membre supérieur, membre inférieur, rachis et ceinture), ou encore une structure multi-tissulaire associant une char-pente ostéo-articulaire et des éléments moteurs (muscles, tendons, nerfs), l’ensemble logé dans une enveloppe qui est le revêtement fascio-cutané. L’appareil locomoteur gagne à relever d’une définition phé-noménologique dès lors qu’il assume et assure la fonction essentielle du mouvement. A bien des égards, le mouve-ment est cette disposition qui permet à l’être humain d’agir sur son environnement, ce que ne peut pas faire un crus-tacé. Cette vision (plus philosophique que physiologique) permettrait d’accorder à l’appareil locomoteur une préséan-ce sur les autres appareils (urogénital, cardio-pulmonaire, digestif…) lesquels seraient, en quelque sorte, les acteurs secondaires du mouvement, en contribuant au fonction-nement de l’appareil moteur. Une telle conception n’est, à l’évidence, pas politiquement correcte, car la chirurgie de l’appareil locomoteur et sa branche réparatrice auraient du même coup, dans cette perspective, une position prédomi-nante par rapport aux autres spécialités chirurgicales. Ce qui est loin d’être le cas dans la pratique quotidienne.

La prise en charge du patient en chirurgie répa-ratrice de l’appareil locomoteur

L’étape essentielle est celle d’une évaluation qui doit être la plus précise et la plus rigoureuse possible en couvrant trois aspects :• Evaluation de la perte tissulaire tissu par tissu (peau, tis-

sus adipeux, muscles, tendons, nerfs, os, articulations..), en procédant méthodiquement de la superficie vers la profondeur que ce soit par l’examen clinique, l’explora-tion chirurgicale ou les examens d’imagerie ou autres

• Evaluation du déficit fonctionnel,• Evaluation enfin des conséquences du déficit fonction-

nel sur les activités globales du patient.

Seule une évaluation correcte permettra de cerner un ob-jectif thérapeutique. En autres termes, il s’agira de répondre aux questions qu’est-il permis d’espérer restituer ? et que faut-il faire dans cette perspective ? pour ensuite seulement poser la question technique comment vais-je m’y prendre et quelle technique utiliser ? Un élément qui complique toute tentative de formalisation de cette démarche, est la diversité des situations. On peut en repérer trois types :• En urgence, le chirurgien est le seul responsable. Il lui

incombe surtout, par son action immédiate, de ne pas entraver de futures interventions. L’anticipation est le principal ressort d’une démarche qui repose sur un bi-lan difficile à établir et c’est sur le souci de ne pas com-promettre l’avenir par une action intempestive que s’est construit le concept de « trauma damage control ».

• Au stade des séquelles, on dispose de temps pour l’éva-luation et surtout pour la discussion. C’est là que prend tout son relief ce que l’on appelle désormais la décision médicale partagée qui présuppose un cadre de relation médecin-patient fondé sur la délibération plutôt que sur l’information.

• Il est des situations spécifiques, comme celle de la chirurgie tumorale où la préoccupation première est d’obtenir la guérison définitive. Il faudra bien entendu peser les sacrifices tissulaires à faire (axe nerveux en particulier) anticiper les déficits fonctionnels et les solu-tions qui pourront leurs être apportées.

Les notions de stratégie et de tactique au service de la chirurgie réparatrice

En quoi réside la stratégie devant une perte de substan-ce ? En ceci que les structures à réparer ou à reconstituer sont l’enveloppe des parties molles périphériques, la charpente ostéo-articulaire et le système d’animation des segments et des articulations (tendons, muscles et nerfs). La stratégie complète 3 r en cas de perte de substance complexe multi-tissulaire comprend donc trois objectifs : la réparation des parties molles, la reconstruction du squelette et enfin la réanimation de la fonction. Cette stratégie globale doit bien entendu être adaptée à chaque situation. Ainsi dans les fractures ouvertes de jambe, la majorité des situations obéit à une stratégie 2 r : répa-ration des parties molles et reconstruction du squelette. Il n’est pas fréquent d’avoir à envisager la réanimation d’une fonction au membre inférieur.

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Qu’est-ce-que la chirurgie réparatrice ?par A.C. Masquelet

En revanche, les écrasements complexes de l’avant-bras mettent en jeu la totalité de la stratégie. Dans d’autres cas, les parties molles seront jugées suffisantes et la stratégie 2 r concernera la reconstruction du squelette et la réanimation de la fonction. Un des points clés de la stratégie est la ré-paration première des parties molles périphériques quand elle s’avère nécessaire. En effet, l’enveloppe recrée la forme et ménage l’espace de reconstruction ostéo-articulaire et de réanimation de la fonction. Autrement dit, la forme comme contenant est la condition nécessaire de la réfection du contenu. Face à un patient singulier, une fois que l’on a défini une stratégie, il devient impératif de préciser l’agencement ou la succession des étapes opératoires. Envisage-t-on d’inter-venir en une fois ou en plusieurs fois ? Toutes les combinai-sons dans le temps sont possibles et constituent autant de tactiques. Les implications à tirer de ces différentes notions sont les suivantes : La stratégie est décidée en fonction des lésions du déficit fonctionnel et de l’objectif final que l’on a fixé. La tactique est liée par une dépendance réciproque aux techniques possibles et imaginables. On n’utilisera pas la même techni-que selon qu’on procède en un temps ou en plusieurs pha-ses opératoires.

Les techniques en chirurgie réparatriceLes techniques sont définies par les stratégies globales

et fortement influencées par les tactiques. L’ensemble des techniques de chirurgies orthopédiques et traumatologi-ques peuvent, à ce titre, être considérées comme des tech-niques de chirurgie réparatrice. Il semble alors nécessaire de classer les procédés techniques non pas par leur mode d’ac-tion selon la distinction traditionnelle (synthèse, diérèse, exérèse, prothèse) mais selon les objectifs à atteindre. Pour chacune des structures à réparer ou à reconstituer, on peut distinguer grosso modo trois niveaux de complexité crois-sante qui s’apparient à la gravité des lésions tissulaires.

R1 : Les techniques de réparation de l’enveloppeNiveau 1 : cicatrisation dirigée, VAC, plastie cutanée, greffe de peau, lambeau de rotation ou d’avancement. Niveau 2 : expansion cutanée, lambeau pédiculé en îlot, cross leg.Niveau 3 : lambeau libre avec anastomoses micro-chirurgi-cales.

R2 : Les techniques de reconstruction ostéo-articulaireOpération sur l’os• :

Niveau 1 : décortication ostéo-périostée, greffe osseuse pé-ri-focale ou intra-focale, substitut osseux, facteurs de crois-sance.Niveau 2 : allogreffe, greffe corticale ou greffe spongieuse de reconstruction, transport osseux progressif, greffe spon-gieuse à l’air libre. Niveau 3 : greffe osseuse vascularisée.

Opération sur les articulations :•Niveau 1 : mobilisation.Niveau 2 : arthrolyse, arthroplastie prothétique.Niveau 3 : arthroplastie remodelante, arthroplastie d’inter-position, opération mobilisatrice.

R3 : Techniques de réanimation de la fonctionNiveau 1 : ténolyse, neurolyse.Niveau 2 : greffe nerveuse, greffe tendineuse, transfert mus-culo-tendineux.Niveau 3 : greffe tendineuse ou nerveuse vascularisée, trans-fert musculaire libre fonctionnel.

En conclusionLes notions de stratégie et de tactique dans le traitement

des pertes de substance complexes sont guidée par le prin-cipe suivant : la réanimation de la fonction ne peut être réa-lisée que sur une charpente ostéo-articulaire reconstruite et parfaitement mobile. La reconstruction de la charpente, quel que soit le procédé utilisé, ne peut être envisagée sans une réparation préalable ou concomitante de l’enveloppe des parties molles, réparation à laquelle il faut dans toute si-tuation accorder la priorité absolue. L’intégrité du contenant est en effet la condition sine qua non de la reconstitution du contenu.

18-21 avril 2012HelsinkiEPOS meetingwww.epos.efort.org

16-19 mai 2012Denver, ColoradoPOSNA meetingwww.posna.org

6-9 juin 2012Palais des Congrès, BordeauxCongrès SFP (Société Française de Pédiatrie)www.sfpediatrie.com

7-9 juin 2012Palais des Congrès, Strasbourg7ème congrès de la SFCRwww.sfcr.fr

Réunions à venir

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Enseignement de la chirurgie réparatrice de l’enfantà l’école de chirurgie du Fer à Moulin

par F. Fitoussi

Un lieu chargé d’histoirePour mettre un terme aux dissections clandestines et

insalubres auxquelles devaient se livrer les chirurgiens, le Conseil Général des Hospices, dans sa séance du 21 décem-bre 1832, décidait l’édification au 17, rue du Fer-à-Moulin d’un Amphithéâtre d’anatomie sur l’emplacement de l’an-cien cimetière de Clamart. Le tracé de l’actuelle rue du Fer-à-Moulin a été ouvert au Xiie siècle. A l’origine, elle se nom-me rue du Comte-de-Boulogne en raison des seigneurs de Boulogne qui possédaient un hôtel en cet endroit. En 1713, cette rue fut divisée en deux parties et avait alors deux dé-nominations : la première se nommait rue des Morts parce qu’elle longeait le cimetière de Clamart ; la deuxième partie s’appelait rue du Permoulin, nom venant possiblement d’un

propriétaire. En 1780, la dénomination de Permoulin fut remplacée par celle de Fer-à-Moulin. La rue du Fer-à-Moulin longe l’arrière de l’hôtel Scipion, construit à partir de 1565 pour Scipion Sardini, financier et banquier français d’origine toscane qui a fait partie des influents italiens de l’entourage de Catherine de Médicis. L’hôtel Scipion devient à la révolu-tion française la boulangerie des Hôpitaux de Paris, institu-tion qui en a toujours la tutelle.

Une activité chargée d’histoireUn théâtre anatomique était un édifice spécialisé (Fig. 1)

où l’on procédait à des dissections anatomiques en public à partir de la fin du moyen âge. Il s’agissait alors d’une résur-gence historique des dissections humaines à vocation scien-tifique pratiquées au cours de l’Antiquité, notamment par Hérophilos à Alexandrie. Les théâtres anatomiques demeu-rèrent des structures démontables jusqu’à ce que fussent érigées les premières installations permanentes en Europe de Sud (Fig. 2. Padoue, 1594).

La plupart du temps, ils étaient conçus sous la forme d’am-phithéâtres en bois au centre desquels le cadavre à étudier était placé sur une table de dissection, l’anatomiste condui-sant la leçon. On emploie donc souvent les termes « d’Am-phithéâtre d’anatomie » pour désigner ces gradins concen-triques qui manifestaient de par leur disposition le nouveau moyen privilégié d’accéder à la connaissance anatomique, en plus des traités spécialisés. Ainsi disposés, les théâtres anatomiques attirèrent, en plus des seuls médecins et étu-diants en médecine à qui ces structures d’enseignement universitaire étaient principalement destinées, de nom-breux curieux issus de milieux sociaux variés.

Fig. 1 : Caractéristiques architecturales d’un théâtre anatomique

Fig. 2 : Théâtre anatomique de Padoue

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Enseignement de la chirurgie réparatrice de l’enfantà l’école de chirurgie du Fer à Moulin

par F. FitoussiUn lieu d’enseignement

L’édification de l’école de chirurgie, entreprise selon les plans de M. Huve, architecte, grâce à des fonds votés par le Conseil Municipal de la Ville de Paris et l’aide de l’Etat, fut achevée en 1836. Elle fut rattachée en 1849 à l’Assistance Pu-blique des Hôpitaux de Paris nouvellement créée, qui reçut les attributions du Conseil Général des Hospices. Serres, le premier directeur, y accueillit les élèves internes et les ex-ternes des hospices, seuls admis à y pratiquer des dissec-tions d’anatomie (Fig. 3). En 1890, un centre de chirurgie expérimentale fut adjoint à l’activité de dissection anatomi-que. Il semble que la fréquentation ait été très importante, puisqu’en 1939, près de 600 élèves s’occupaient à des tra-vaux anatomiques.

L’édifice actuel fut reconstruit en 1982, et mis aux normes légales européennes en 1992. On ne peut toutefois pas parler d’amphithéâtre d’anatomie stricto sensu puisque la salle de dissection, dans laquelle plusieurs petits groupes d’étudiants peuvent travailler, est séparée de l’amphithéâ-tre des cours. Il est néanmoins possible d’installer au bas de l’amphithéâtre une table de dissection puisqu’il est doté de caméras et scialytiques.

Un lieu de recherche en chirurgie réparatriceEn plus de l’enseignement de l’anatomie, l’école de

chirurgie s’est également imposée comme un lieu privilégié de recherche concernant la chirurgie réparatrice. Depuis la première description en 1862 par John Wood, chirurgien au Medical Department of King’s College à Londres, du pre-mier lambeau cutané à vascularisation axiale, de nombreu-ses études de par le monde ont permis des avancées dans la description de nouveaux lambeaux. En 1892, un chirur-gien Italien de Pavie nommé Ignio Tansini a décrit le premier lambeau myocutané de latissimus dorsi pour la réparation des amputations pour cancer du sein. Esser, un chirurgien Hollandais, a décrit en 1917 le concept du lambeau en îlot. C’est en 1936 que Michel Salmon, chirurgien et anatomiste français, publia « Les artères de la peau », travail complet et restant toujours de référence sur la vascularisation cutanée. C’est en fin de compte à partir des années 50 et avec l’essor de la microchirurgie et des réimplantations, qu’ont été dé-crits les principaux lambeaux et transferts libres.

La découverte de l’importance des artères septales, du fas-cia lors de la levée des lambeaux cutanés, de la possibilité de lever des lambeaux à pédicule distal à flux rétrograde ainsi que la notion d’axe neuro vasculaire réalisèrent des avan-cées majeures dans le développement de cette chirurgie. C’est dans l’école de chirurgie du Fer-à-Moulin qu’ont été réalisées les nombreuses études anatomiques sur l’anato-mie vasculaire de la peau et des muscles permettant la des-cription de nouveaux lambeaux.

Le cours de base en chirurgie réparatrice des membres de l’enfant

Depuis plusieurs années, des cours de base en Chirur-gie réparatrice des membres chez l’enfant sont donnés aux chirurgiens orthopédistes et viscéraux pédiatriques (inter-nes et chefs de cliniques) sous l’égide de la S.O.F.O.P. Sont enseignés sous forme de cours magistraux et de dissections, les principes généraux de la chirurgie des lambeaux chez l’enfant, la vascularisation de la peau et des muscles, les soins locaux, les plasties cutanées et greffes de peau, ainsi que les lambeaux les plus utilisés en pratique courante. Les étudiants sont amenés à « plancher » sur des cas cliniques en fin de session.

L’école de chirurgie est un lieu unique de recherche, d’ap-prentissage de l’anatomie et de la chirurgie par la dissection. Elle est ouverte en priorité aux internes et au personnel mé-dical des Hôpitaux de Paris mais des chirurgiens de tous les pays viennent y pratiquer leur art.

Pour en savoir plus :

SCHUMACHEr G.-H. Theatrum Anatomicum in History and Today, Interna-tional Journal of Morphology, n°25(1), 20LAzArE F. ET L. Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments, 1844, p.214HECKSCHEr W. S. rembrandt’s Anatomy of Dr. Nicolaas Tulp: An Iconologi-cal Study, New York University Press, New York, 1958WOOD J. Care of extreme deformity of the neck and forearm from the ci-catrices of a burn, cured by extension, excision and transplantation of skin adjacent and remote. Med Chirurg Trans 46:149, 1863.ESSEr JFS. Island flaps. Med J New York 106:264, 1917.SALMON M. Les artères de la peau. Masson, Paris, 1936.GILBErT A. Free vascularized bone grafts. Int. Surg. 66:27-31, 1981GILBErT A, TEOT L. The free scapular flap. Plast Reconstr Surg 69:601, 1982MASQUELET AC, PENTEADO CV. Le lambeau interosseux postérieur. Ann Chir Main 62 :131, 1987.MASQUELET AC, BEVErIDGE J, rOMANA MC, GErBEr C. The lateral supra-malleolar flap. Plast. Reconstr. Surg. 81 :74, 1988MASQUELET AC, rOMANA MC, WOLF G. Skin island flap supplied by the vascular axis of the sensitive superficial nerves : anatomic study and clinical experience in the leg. Plast Reconstr. Surg. 89 :1115, 1992.

Fig. 3 : Programme de l’année 1874-1875

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La mise au point d’un nouveau lambeau,ou comment se fait l’innovation en chirurgie...

par A.C. MasqueletL’intitulé de ce texte recouvre en réalité la question cru-

ciale de l’innovation en chirurgie et, d’une façon plus géné-rale, celle du mystérieux processus de créativité qui est à l’œuvre dans la découverte ou l’invention. Autrement dit, existe-t-il une logique de la découverte, la logique étant définie comme un enchaînement cohérent et rationnel de propositions. Et pourrait-on, dès lors, énon-cer une méthode susceptible de faire émerger de nouvelles connaissances ?Je m’en tiendrai, dans ce bref article, à la distinction classi-que entre découverte et invention. L’invention s’inscrit dans la perspective d’une intention finalisée tandis que la décou-verte se fait à l’intérieur d’un domaine préexistant. L’histoire des sciences tend à nous montrer que le processus de découverte n’est pas univoque. La découverte peut avoir une histoire et parfois même une longue histoire comme en témoigne l’énoncé des lois de Newton sur la gravitation qui consacre l’aboutissement d’une démarche dont les princi-pales étapes sont la révolution copernicienne, la précision des mesures astronomiques de Tycho Brahe, les lois de Ke-pler sur les orbites astrales, la démonstration du mouve-ment inertiel par Galilée et l’écriture mathématique de la géométrie par Descartes. En revanche, la découverte peut également être le fruit miraculeux d’une création soudaine : on pense dans ce domaine à Claude-Bernard, à Sauerbruck (l’élève de Mikulic qui mit au point la chambre à pression négative pour les opérations du thorax), à Ambroise Paré qui manquait d’huile de sureau pour traiter les blessés au siège de Turin…

Méfions-nous cependant de la logique de la découverte présentée par Claude-Bernard dans son Introduction à l’étu-de de la médecine expérimentale. Comme l’a amplement montré Canguilhem, l’introduction doit se lire à l’envers en commençant par la fin, c’est-à-dire par les observations. Se-lon une lecture commune antérograde, l’Introduction n’est en effet qu’un réarrangement a posteriori et une idéalisa-tion du processus créateur destiné à convaincre le lecteur qu’il existerait une logique de la découverte. Il n’empêche que ce que disait Paul Bert en parlant de son maitre Claude-Bernard « il avait des yeux tout autour de la tête et il trouvait ce qu’il ne cherchait pas » est l’une des clés du processus de découverte, ce que l’on appelle la sérendipité ; terme intro-duit par Walpole en 1754, d’après le conte persan « Les trois princes de Sérendip », qui désigne une découverte inatten-due réalisée sous l’effet du hasard (on trouve une illustration éclatante de sérendipité dans le chapitre III de zadig -Vol-taire, 1747- intitulé « Le cheval et le chien »). La question qui se pose est de savoir si une découverte « au hasard » peut être le fait de n’importe qui. Question vaine car nous ne sommes pas égaux face au hasard. La sérendipité exige un véritable « cocktail » de dispositions d’esprit qui ne doivent rien au ha-sard. On retiendra quelques ingrédients indispensables à la confection de ce cocktail :

• l’étonnement devant les faits les plus anodins (cf les souris de Claude-Bernard qui urinent sur la table de laboratoire),

• la curiosité, qui impose de dépasser le stade de l’étonnement et incite à s’engager dans une investi-gation,

• l’obsession de comprendre, qui implique de penser en permanence au problème qu’on s’est posé,

• la pratique assidue de la métaphore et de l’analogie qui sont les outils de transfert de technologie et de glissement de concepts,

• la bissociation (décrite par Koestler dans Act of creation, 1967) qui est la faculté d’associer et de rapprocher deux idées ou deux faits très éloignés loin de l’autre,

• l’aptitude à formuler des hypothèses (selon la lo-gique de l’abduction, analysée par le philosophe américain Peirce) véritable remontée du consé-quent à l’antécédent,

• et last but not least, un gout modéré de la trans-gression au moment de l’action, ce qui signifie, au gré, dans de nombreuses situations, faire un pas de côté, franchir une ligne continue, s’inscrire à l’en-contre de l’opinion dominante, ramer à contre cou-rant, ou tout simplement sortir des sentiers battus.

On en revient, après ce détour, à ce qui est, stricto sensu, le thème de cet article : la description d’un nouveau lambeau est de l’ordre de l’invention. En effet, avant sa description, le lambeau nouvellement conçu n’existe pas en tant que tel (alors que l’Amérique préexistait à sa découverte par Co-lomb). N’existe que la surface infinie du recouvrement cuta-né du corps humain, infinie au sens où on peut en faire plu-sieurs fois le tour sans jamais repasser par le point de départ, à l’instar des voyages sans limites que l’on peut effectuer tout autour de la terre. Mais on n’invente pas « par hasard ». Il faut, pour mettre au point un nouveau procédé thérapeutique, une intention finalisée qui est la situation problématique d’un patient singulier pour lequel, dans des circonstances données, aucune des solutions déjà existantes n’est satis-faisante. Voilà ce sur quoi il faut insister ; les avancées, les innovations, les inventions, les découvertes en chirurgie ont pour événement déclencheur, le patient. Nous sommes, en tant que chirurgiens, dans le domaine technique qui nous occupe, à la fois autonomes et dépendants au regard de la recherche scientifique fondamentale. Certes dépendants de la technologie instrumentale représentée par les outils que nous utilisons, mais autonomes en ce sens que la source des innovations est la nouveauté du regard que l’on peut porter, dans des circonstances données, sur un patient et sa patho-logie. Cette notion essentielle se heurte à l’opinion commu-ne et aux tendances politiques idéologisantes qui voient ou qui souhaiteraient ne voir dans la pratique chirurgicale que des applications techniques d’un savoir élaboré en totalité dans des officines institutionnelles.

Pour illustrer ce point de vue, je prendrai un exemple sim-ple celui de la mise au point du lambeau supra-malléolaire latéral dont nous avons publié la première description en 1988 avec J Bedvridge, M-C romana et C. Gerber [1]. L’arti-cle princeps présente un « produit fini » dont la mise au point a été en réalité progressive et laborieuse, la reconstitution a posteriori du processus permettant d’établir un lien entre les diverses étapes.

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Pour en comprendre l’enjeu il faut faire référence aux connaissances de l’époque. Un auteur Anglo-saxon, Ponten, avait établi en 1981 la possibilité de prélever de grands lam-beaux au niveau de la jambe, d’un ratio longueur/largeur égal à 4, à la condition d’inclure le fascia profond dans le pré-lèvement. Au début des années 80 du siècle dernier les tech-niques de couverture par lambeaux cutanés locaux étaient donc fondées sur de grands lambeaux de rotation fascio-cutanés péninsulaire, à charnière proximale, cette dernière caractéristique ayant une importance déterminante pour la suite de l’exposé. Les conditions d’une avancée technique s’offrent en 1984 sous la forme d’un patient affligé d’une sé-quelle de brûlure responsable d’une déformation du pied gauche en éversion maximum, dans un contexte de précari-té récusant par avance les solutions déjà éprouvées comme le cross leg ou un lambeau libre micro-chirurgical. Il s’agit de trouver une solution simple, rapide, efficace et... inédite. S’appuyant sur l’article de Ponten, on réalise alors, après li-bération extensive du pied, un lambeau fascio-cutané de rotation, de ration 4/1, à charnière distale (Fig.1).

Cela constituait une transgression par rapport aux techni-ques communément utilisées à cette époque. Le lambeau ayant cicatrisé en totalité, il s’ensuivit alors une série de questionnements, d’interrogations et d’hypothèses. Com-ment un tel lambeau à charnière distale pouvait-il survivre ? L’hypothèse la plus vraisemblable était celle de la présence d’un axe vasculaire irriguant le lambeau. Une étude anato-mique sur corps injecté, réalisée quelques temps après cette « première », a montré, en effet, l’existence constante d’une artère cutanée issue de la perforante antérieure de l’artère fi-bulaire, qui contribue par son trajet ascendant à vasculariser le tiers inférieur de la face cutanée latérale de jambe (Fig. 2). Mais le plus surprenant dans cette démarche, en apparence logique, est ailleurs : c’est que l’hypothèse d’un axe vascu-laire avait été émise à propos d’un lambeau clinique prélevé sur la face médiale de jambe alors que l’étude anatomique avait concerné, par erreur, la face latérale de jambe.Voilà un cas typique de sérendipité, dont la prise de conscien-ce s’est faite tardivement et a posteriori.

Plusieurs cas de ces lambeaux à charnière distale furent, par la suite, réalisés avec succès, y compris pour les pertes de substance du pied, ce qui nécessitait une deuxième inter-vention pour sectionner la charnière (Fig.3a et b).

La mise au point d’un nouveau lambeau,ou comment se fait l’innovation en chirurgie...

par A.C. Masquelet

Fig. 1 : cas clinique initial ; après libération du pied on voit que le lam-beau à charnière distale a été prélevé sur la face antéro médiale de la jambe.

Fig. 2 : « découverte » de la branche cutanée issue de la perforante de l’artère fibulaire, dans le cadre de dissections réalisées en pensant re-produire les conditions de prélèvement du lambeau clinique.

Fig. 3a : lambeau à charnière distale pour une perte de substance du pied.

Fig. 3b : une seconde opération est nécessaire pour sevrer le lambeau.

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Le raisonnement fut donc poursuivi : il s’agissait de trouver un moyen de libérer le lambeau de sa charnière distale pour faire un véritable lambeau en îlot et étendre ses indications. retour donc, une fois de plus, à l’amphithéâtre d’anatomie. Grâce à de nouvelles dissections faites dans un but précis, on mit à jour la continuité anastomotique entre l’artère fi-bulaire et le réseau dorsal du pied issu de l’artère pédieuse. Le lambeau supra-malléolaire latéral en îlot à point de pivot distal était né (Fig. 4).

Mais les choses n’en sont pas restées là. Quelque temps plus tard, un disciple et ami, se basant uniquement sur une des-cription oratoire de la technique, réalisa sur un patient une variante intéressante du lambeau (Fig. 5), en croyant appli-quer la technique originelle [2]. L’ensemble de la mise au point depuis l’intervention initiale jusqu’à la publication de la variante technique aura duré 7 ans.

Cet exemple illustre, non pas une méthode, mais les princi-pes de la méthode pour réaliser une avancée :

• pression du cas clinique (nécessité et précarité des conditions d’exercice),

• transgression initiale,• formulation des hypothèses et études anatomiques

orientées, • heuristique de l’erreur (étude anatomique initiale

d’un autre site et réalisation d’une variante tech-nique qui ressortissent toutes deux de la sérendi-pité).

La mise au point d’un nouveau lambeau,ou comment se fait l’innovation en chirurgie...

par A.C. Masquelet

Fig. 4 : premier cas clinique de lambeau supramalléolaire latéral en ilôt (Hôpital Trousseau, service du Pr Carlioz).

Fig. 5 : Modification technique du lambeau apportée par Ph Valenti, qui pensait réaliser la technique originelle. Cette variante procure un arc de rotation plus distal.

CHIRURGIE RÉPARATRICE EN ORTHOPÉDIE

TRAUMATOLOGIE

Tome 1 : Les lambeaux

A.C. Masquelet Isbn : 978 284023 682 5331 pagesFormat 21 x 27novembre 2010

232 €

Prix spécialmembres SOFOP

180 €

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La mise au point d’autres lambeaux ne s’est pas avérée aussi laborieuse. Le lambeau interosseux postérieur [3] et le lam-beau sural distal [4] qui ont connu et connaissent encore une grande fortune, ont été mis au point directement à par-tir de la lecture d’un ouvrage déjà ancien, « Les artères de la peau » de Michel Salmon (1936), et d’un simple enchaîne-ment d’idées consistant à dire « s’il y a un axe vasculaire, un lambeau peut être décrit ». Ce qui permet d’ajouter quelques ingrédients au cocktail déjà évoqué :

• une parfaite connaissance de la littérature actuali-sée, qui autorise, paradoxalement, d’en faire table rase et de se présenter « neuf en esprit » devant une situation inédite,

• l’intérêt de lire les Anciens, à travers leurs ouvrages d’anatomie et de techniques chirurgicales, car les avancées naissent souvent de l’exhumation de no-tions oubliées ou méconnues que l’on modifie ou que l’on ajuste à des problématiques modernes.

En conclusionEntre les années 1980 et 2000, la chirurgie des lambeaux

a été à la fois une expérience extraordinaire de mises au point techniques et de services rendus à de nombreux pa-tients, et une source de réflexion sur les conditions des avan-cées chirurgicales.

Je reste convaincu qu’il existe une véritable science chirurgi-cale dotée d’une grande autonomie et dont le point de dé-part est, non pas le laboratoire de recherche fondamentale, mais la singularité d’un patient et le questionnement qu’elle peut susciter. Cette assertion implique d’entretenir en per-manence une distance critique vis-à-vis d’une application dogmatique de la médecine factuelle (« evidence based medicine »), puisque, par définition, les données probantes n’existent pas hors des sentiers battus. L’homme souffrant est une encyclopédie du monde et, pour qui veut bien pren-dre la peine de la déchiffrer « il n’y a pas de hasard dans la découverte ou l’invention, il n’y a que des esprits bien préparés » (Pasteur).

Références

1- BEDVrIDGE J, rOMANA M-C ET GErBEr C. Plastic and reconstructive Surgery 1988 ; 81 : 74-812- VALENTI PH, MASQUELET A-C, rOMANA M-C. Technical refinenent of the lateral supra malleolar flap : . Br J Plast Surg 1991 ; 117 : 459-623- MASQUELET AC, PENTEADO CV. The posterior interosseous flap. Ann Chir Main 1987 ; 6 : 131-94- MASQUELET AC, rOMANA MC, WOLF G. Skin island flaps supplied by the vascular axis of the sensitive superficial nerves : anatomic study and clinical experience in the leg. Plast Reconstr Surg 1992 ; 89 : 1115-21

La mise au point d’un nouveau lambeau,ou comment se fait l’innovation en chirurgie...

par A.C. Masquelet

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Protocole de recherche : étude de l’anatomie chirurgicale du nerf brachial cutané interne

par M. Bachy et C. Romana

IntroductionLes avancées en chirurgie réparatrice des membres repo-

sent sur une connaissance approfondie de l’anatomie. Dans le passé, la connaissance de l’anatomie macroscopique a permis de décrire les voies d’abord des membres ; actuelle-ment elle permet de connaître les dispositions anatomiques susceptibles d’être utilisées pour décrire et prélever des lam-beaux. Les progrès en microchirurgie et le développement de lambeaux perforants ont conduit à approfondir l’étude de la topographie des vaisseaux et des nerfs, en particulier leur distribution au niveau des muscles et des téguments. Mais si l’anatomie de la face médiale du bras a été bien dé-crite par les chirurgiens plasticiens, pour la réalisation de brachioplasties dans les séquelles d’obésité, il s’agit cepen-dant d’une chirurgie superficielle de cure d’excédent cuta-né, sans relation avec les structures anatomiques profondes. Le chirurgien réparateur voit dans cette même anatomie la possibilité de prélever un lambeau de reconstruction.L’objectif de ce travail est de présenter un protocole de re-cherche détaillant la méthodologie d’une étude de l’anato-mie chirurgicale du nerf brachial cutané interne.

Rappels anatomiques [1]

Le nerf brachial cutané interne est un nerf sensitif, plus petite branche terminale du plexus brachial, responsable de l’innervation de la face interne du bras. Il nait du tronc secondaire antéro-interne du plexus brachial, un peu au-dessus de l’origine du nerf ulnaire. Ses fibres proviennent du huitième nerf cervical et du premier nerf dorsal.

Trajet et rapportsLe nerf brachial cutané interne descend en dedans de l’ar-tère axillaire en se portant progressivement en avant, puis en dedans du nerf ulnaire et de la veine axillaire. Au bras, le nerf descend en avant de la veine humérale interne ou de la veine basilique, quand ce vaisseau monte jusqu’à l’aisselle. Il traverse l’aponévrose par le même orifice que cette veine, vers le milieu du bras, et devient superficiel et se divise après en deux branches terminales.

Branches collatéralesIl donne à la base de l’aisselle le rameau cutané du bras qui se ramifie dans les téguments de la région interne du bras.

Branches terminalesLe brachial cutané interne se divise un peu au-dessus de l’épicondyle médial en 2 branches terminales : l’une anté-rieure et l’autre postérieure.• La branche antérieure descend le long et en dehors de

la veine basilique, et se subdivise bientôt en deux ou trois rameaux. Ceux-ci croisent la veine médiane basili-que et passent ordinairement l’un en avant et les autres en arrière de ce vaisseau. Puis ils descendent jusqu’au poignet et innervent les téguments de la région antéro-interne de l’avant-bras.

• La branche postérieure se porte en bas et en dedans, contourne le bord interne du bras en passant au-dessus de l’épicondyle médial et se distribue à la peau de la ré-gion postéro-interne de l’avant-bras.

Vascularisation de la région médiale du bras Une étude anatomique montre que la vascularisation de

la partie supérieure de la face médiale du bras est assurée par la branche superficielle fascio-cutanée issue de l’artère collatérale ulnaire supérieure, naissant, elle, directement de l’artère humérale [2]. La partie moyenne et inférieure de la face médiale du bras est vascularisée par 3 ou 4 pédicules fascio-cutanés issus de la partie distale de l’artère collatérale ulnaire supérieure, se terminant par une anastomose avec le rameau postérieure de l’artère récurrente ulnaire (Fig. 1).

Matériel et méthodeLa dissection sera effectuée par deux chirurgiens ortho-

pédistes. Dix membres supérieurs frais, obtenus à partir de cadavres adultes seront inclus dans cette étude.

Préparation des sujetsL’injection artérielle sera effectuée au niveau de l’artère sous-clavière pour laisser vierge la région d’intérêt : la face médiale du bras. L’encre de chine noire est utilisée comme colorant de façon à bien individualiser les structures arté-rielles. Un délai de 48 heures sera respecté entre l’injection et la dissection pour permettre une pénétration optimale, et ainsi individualiser les fines branches artérielles fascio-cu-tanées.

Repères anatomiquesLe bord inférieur du tendon sous-scapulaire, le pli du coude, et le relief osseux de l’épicondyle médial seront repérés et tracés au stylo dermographique.

DissectionSujet en décubitus dorsal, le membre est porté en abduction sur une table à bras, le chirurgien se place dans l’aisselle.Premier temps proximal Une voie d’abord classique longitudinale [3] permet d’ex-poser la région d’intérêt. Une ligne unissant le sommet de l’aisselle vers la styloïde du radius, donne l’axe de l’artère hu-mérale au niveau du bras. L’incision débute au bord inférieur

Fig. 1 : dissection cadavérique du nerf brachial cutané interne

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Protocole de recherche :étude de l’anatomie chirurgicale du nerf brachial cutané interne

par M. Bachy et C. Romana

du tendon du petit pectoral et descend à la face médiale du bras. Les bords cutanés sont écartés, vers le dehors pour ne pas endommager les berges internes et leur vascularisa-tion. L’aponévrose est incisée longitudinalement, le muscle biceps est récliné en dehors permettant d’exposer l’artère humérale et les différents éléments artériels et nerveux che-minant avec elle. La dissection se poursuit pour identifier les structures d’intérêt (Fig. 2) :

• l’artère collatérale ulnaire supérieure, naissant de l’artère humérale.

• la branche superficielle fascio-cutanée, naissant de l’artère collatérale supérieure peu après sa naissance.

• la branche terminale de l’artère collatérale supé-rieure qui donnera les pédicules fascio-cutanés.

• Le nerf ulnaire est individualisé en dedans.• La veine basilique est repérée avec son point de

perforation de l’aponévrose brachiale.• Le nerf brachial cutané interne chemine à la face

interne du bras et perfore l’aponévrose brachiale avec la veine basilique

Deuxième temps Voie d’abord médiale au niveau du pli du coude afin d’indivi-dualiser la veine basilique, avec son trajet ascendant dans le tissus cellulaire sous cutané de la face médiale du bras.

DiscussionLes auteurs s’attachent à repérer les structures anatomi-

ques, et à utiliser des notions de longueur relatives (¹/₃, ½, etc) par rapport à des repères anatomiques dessinés sur la peau, plutôt que des mesures réelles en cm, pour palier aux variations anatomiques existantes entre les sujets de dissec-tion.

L’axe entre le bord inférieur du muscle petit pectoral et le pli du coude sera le repère longitudinal de référence pour étudier :

• les rapports du nerf ulnaire avec la division de l’ar-tère collatérale ulnaire supérieure pour donner la branche superficielle fascio-cutanée. Il est en effet décrit que dans 75 % des cas la branche fas-cio-cutanée superficielle chemine en arrière alors que l’artère collatérale ulnaire supérieure chemine toujours en avant, le nerf ulnaire étant alors pris en pince entre ses deux artères (Fig. 1).

• le niveau de naissance de l’artère collatérale ulnaire supérieure et son niveau de division.

• le niveau de pénétration du nerf brachial cutané in-terne dans l’aponévrose brachiale.

• le niveau d’anastomose distale entre l’artère colla-térale ulnaire supérieure et le rameau postérieur de l’artère récurrente ulnaire.

Karamürsel et al ont déjà décrit un lambeau fascio-cutané médial du bras, comme un lambeau libre [4]. Notre ambition est d’utiliser le revêtement cutané de la face médiale du bras comme lambeau pédiculé à pédicule distal ou proximal, se basant sur la connaissance de la vascularisation neuro-cu-tanée de la face médiale du bras. Les repères anatomiques décrits permettront d’améliorer la connaissance des diffé-rents éléments vasculaires en échelle permettant de préle-ver ce type de lambeau. Décrit par Masquelet et al., tout nerf superficiel est vascularisé par une artère neuro-cutanée qui donne des arborescences vasculaires à destinée cutanée [5] (Fig. 3).

Cette disposition de l’artère neuro-cutanée du nerf brachial cutané interne peut permettre le prélèvement d’un lambeau à pédicule fascio-graisseux à pédicule proximal vascularisé par la branche superficielle fascio-cutanée ; ou à pédicule distal vascularisé par les branches les plus distales de l’ar-tère collatérale ulnaire supérieure qui s’anastomose avec le rameau postérieur de l’artère ulnaire.

Fig. 2: vascularisation de la face médiale du bras d’après Le Huec et al. [2] modifié

Fig. 3 : vascularisation neuro-cutanée d’après Masquelet et Dorn

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ConclusionUne meilleure connaissance de l’innervation et de la vas-

cularisation neuro-cutanée de la face médiale du bras ouvre des perspectives thérapeutiques concrètes avec la descrip-tion d’un lambeau neuro-cutané à point de pivot proximal ou distal. L’utilisation de tels lambeaux a de larges cibles thé-rapeutiques, par exemple : couverture d’expositions osseu-ses au niveau du coude ou séquelles de brûlure axillaire.

Références

1. rOUVIèrE H. Anatomie descriptive et topographique Tome 3. 2ème édi-tion, Masson 19782. LE HUEC JC, LIQUOIS F, LEGEr O, CHAUVEAUx D, MIDY D, LE rEBELLEr AA. Study of the fasciocutaneous vascularisation of the arm. Surgical ap-plications. Surg Radiol Anat. 1995;17(2):121-8, 8-10.3. TUBIANA r., MCCULLOUGH C., MASQUELET AC. Voies d’abord chirurgi-cales du membre supérieur. Masson 1990.4. KArAMürSEL S, BAGDATLI D, zEMIr z, TüCCAr E, CELEBIOGLU S. Use of the medial arm skin as a free flap. Plast Reconstr Surg. 2005 ;115(7) :2025-31 5. MASQUELET AC, rOMANA MC, WOLF G. Skin island flaps supplied by the vascular axis of the sensitive superficial nerves : anatomic study and clinical experience in the leg. Plast Reconstr Surg. 1992 ;89(6) :1115-21

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par M. Bachy et C. Romana

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Le Centre des brûlés de l’hôpital Armand Trousseau par P. Richard*

Quelques notions historiques ....En 1977, un nouveau bâtiment (actuellement PL. Chigot)

voit le jour à l’hôpital Trousseau sur l’emplacement des an-ciens pavillons d’isolement des enfants contagieux. Cette construction s’inscrit dans un projet de modernisation de l’hôpital avec un développement de la chirurgie. Dans ces locaux s’ouvrent deux services de chirurgie pédiatrique spé-cialisés : celui de chirurgie viscérale du Pr M. Gruner et celui de chirurgie orthopédique du Pr H. Carlioz, ce dernier com-prenant un secteur de dix lits de réanimation adaptés à la prise en charge des enfants brûlés. Ces deux services pren-nent la suite du service de chirurgie générale du Pr L. Chigot. Cette évolution est un réel progrès pour l’accueil et la prise en charge des enfants, notamment brûlés, par rapport aux conditions antérieurement présentes dans les locaux de l’ancien pavillon de chirurgie.

Au fil des années, cette unité de réanimation des enfants brûlés évoluera beaucoup tant sur le plan structurel que médical. Ces évolutions furent en partie liées à la collabora-tion des anesthésistes-réanimateurs et des chirurgiens, en particulier A. Gilbert, A. Masquelet, C. romana et L. Pinheiro, conduisant en 1993 à la création d’une FAMA qui officiali-sait la nécessité d’une association de ces deux compétences complémentaires sous la forme d’un partenariat multidis-ciplinaire autour du patient brûlé. En 2001, la construction d’une nouvelle unité représenta une évolution majeure en permettant la réunion des enfants brûlés de moyenne et grande surface au sein d’une même structure et la création d’une consultation spécialisée dans le traitement des plaies et brûlures. L’objectif de cette réunion était de mettre fin à la disparité des soins, qui s’était installée par la force des cho-ses en terme de moyens et de types de prise en charge entre les enfants hospitalisés du service de chirurgie orthopédi-que et ceux de l’unité spécialisée de réanimation. Ce regrou-pement permit d’unifier les pratiques et d’appliquer aux malades plus légers les progrès effectués au fil des années sur les malades de réanimation tant au niveau de la prise en charge locale que générale. Cette réunion fut aussi à l’ori-gine d’une amélioration de l’accueil, du suivi des enfants, et a induit une majoration des compétences et de la polyva-lence des personnels soignants. L’autre moteur évolutif fut qu’au cours des quinze dernières années les contraintes éco-nomiques et les différentes politiques de santé ont créé de nombreux bouleversements du monde hospitalier, respon-sables de profonds remaniements dans les établissements de santé.

Au niveau de l’hôpital Trousseau, comme pour la plupart des hôpitaux, les restrictions budgétaires, les diminutions du personnel soignant et des lits d’hospitalisation, l’application des décrets, la création des pôles ont contraint le corps mé-dical à s’adapter. Cette adaptation fut un choc culturel avec l’apparition de la notion d’efficience. Cet objectif d’optimi-satisation des fonctionnements avec des moyens contraints a imposé la disparition des logiques de territoire au profit d’une mutualisation des expertises. Cette évolution condui-sit à la constitution de pôles d’excellence locaux, redéfinis-sant les orientations des établissements et ainsi l’offre de soins de l’institution et de la région. Cette nouvelle politi-que, basée sur le regroupement et la complémentarité des équipes a notamment permis de mettre en avant à l’hôpital Trousseau, l’expertise unique anesthésio-chirurgicale déve-loppée au fil des années dans la prise en charge des brûlures

et des autres atteintes tégumentaires ainsi que dans la ré-habilitation des différentes atteintes osseuses et des parties molles de l’enfant.

Dans ce contexte, les remaniements des structures ont né-cessité, à partir de 2007, le regroupement géographique des dix lits de l’unité de réanimation des enfants brûlés et des huit lits de l’unité de soins continus post chirurgicaux. Ce plateau partagé de soins aigus anesthesio-réanimatoires a été logiquement rattaché au service d’anesthésie-réanima-tion chirurgicale! En parallèle et conformément aux décrets régissant les centres de traitement des grands brûlés (2007), a été créée une unité de dix lits chirurgicaux dédiés aux en-fants brûlés ne nécessitant pas ou plus d’anesthésies itérati-ves ou de soins lourds. Cette unité a été rattachée au service de chirurgie maxillo-faciale et plastique, dans l’optique d’af-ficher et de bénéficier de l’expertise et de la valence universi-taire de chirurgie plastique en cohérence avec les décrets de 2007. Ces modifications ont permis de doter l’hôpital Trous-seau d’un Centre des brûlés répondant aux normes exigées par l’ArS. C’est donc actuellement dans ce cadre incluant un plateau technique comprenant une USC et la réanimation brûlés (Dr P. richard, Pr I. Constant, service d’anesthésie), la chirurgie des brûlés et la chirurgie plastique (Pr MP. Vazquez), des consultations spécialisées, que les compétences locales s’exercent dans le domaine de la réhabilitation des lésions cutanées ou des parties molles avec pour les atteintes spé-cifiques, la collaboration et l’expertise des autres disciplines médico-chirurgicales de l’hôpital.

L’influence organisationnelle……Ce que l’on peut constater, en regard de l’évolution orga-

nisationnelle de ce secteur de prise en charge des enfants brûlés, c’est que chacune des réorganisations structurelles a permis d’ouvrir des axes de développement de plus en plus larges. L’évolution a été progressive d’un secteur initiale-ment rattaché à un service, en passant par un bi partenariat pour aboutir à la création d’un Centre en accord avec les dé-crets et les recommandations de la SFETB.

Actuellement ce Centre permet à l’hôpital Trousseau d’offrir un secteur unique de compétences dans la prise en char-ge des lésions cutanées et muqueuses de l’enfant quelque soit leur origine, brûlures, traumas, tumeurs, infection, der-matologiques (le centre est notamment référent dans les maladies bulleuses aigües). La prise en charge anesthesio-réanimatoire du patient brûlé est très particulière associant une expertise des atteintes générales sévères (infectieuses, respiratoires, nutritionnelles, hydroélectrolytiques...), une expertise des atteintes locales et une expertise en terme de prise en charge de la douleur. Ainsi, ce plateau technique associant l’unité de réanimation des enfants brûlés et l’unité de soins continus, est devenu support et centre de recours non seulement pour les patients brûlés mais également pour ceux posant problème pour l’ensemble des spécialités médico-chirurgicales. Ce plateau technique est devenu un atout majeur pour l’hôpital Trousseau.

Un creuset d’innovations ....On ne peut évoquer les différentes modifications struc-

turelles de ce Centre sans faire part des nombreuses avan-cées médicales qui y ont vu le jour.

* anesthésiste-réanimateur

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A la fin des années 70, la mortalité par brûlures sévères était importante soit au stade précoce par défaillances or-ganiques soit à une phase plus tardive par infection ou fai-sant suite aux difficultés voire à l’impossibilité de rétablir une couverture cutanée. A cette époque la prise en charge des enfants brûlés consistait à appliquer aux brûlures des concepts chirurgicaux admis de longue date, qui considé-raient la colonisation ou l’infection des plaies inévitables, voire bénéfiques (le «pus libérateur» du Moyen-Âge) repris par r. Vilain. Le corollaire thérapeutique était l’application d’une technique dite de détersion microbienne «contrôlée». Les brûlures, étaient initialement exposées à l’air et rece-vaient une application biquotidienne d’un antiseptique. Dès l’apparition d’une macération ou d’un début de décapage elles étaient mises sous un pansement composé d’un tulle gras recouvert d’un antiseptique. Avec cette méthode, la colonisation bactérienne était rapide et l’élimination des tis-sus nécrotiques était effectuée par le personnel para médi-cal lors des bains quotidiens sans anesthésie. Les infections locales et générales étaient fréquentes, et le recours à une antibiothérapie régulier. L’inflammation des plaies et brûlu-res détergées, était constante et recherchée, notamment au travers l’application des pansements gras. L’alternance corps gras puis corticoïdes était habituelle pour essayer de contrô-ler l’hypertrophie du tissu de granulation avant la greffe cu-tanée. La prise de cette greffe était très dépendante de la préparation du sous-sol et donc très aléatoire.

L’élément de modernité fut donc la création à l’hôpital Trousseau, d’une réanimation spécialisée associant de manière permanente, les compétences et le regard critique des anesthésistes-réanimateurs aux compétences de chirur-giens intéressés par la brûlure. Cette association permit des avancées rapides notamment dans le domaine de la réani-mation où l’absence de consensus ou de codification de la prise en charge des perturbations physiologiques des brû-lures étendues de l’enfant imposa très rapidement des tra-vaux innovants. Les études s’orientèrent tout d’abord sur les moyens de compensation des pertes hydro électrolytiques et caloriques lors de la phase initiale, sur la mise au point de plusieurs compositions de nutrition entérale (pour cou-vrir les besoins nutritifs des enfants brûlés, du nourrisson au grand enfant) mais aussi par la mise en évidence par des études pharmacocinétiques de la nécessité d’une majora-tion et adaptation des posologies médicamenteuses, chez l’enfant brûlé, (notamment celles des antibiotiques). Dans cette démarche, chaque avancée dans la survie des grands brulés révélait de nouvelles difficultés, qui nous plaçaient face à des problèmes non connus de nos différents collè-gues, pour des situations cliniques non répertoriées. Ainsi, pendant longtemps, nous avons eu le sentiment de réaliser une médecine de l’extrême.

Cette nouvelle prise en charge en repoussant les limites de la survie souligna chez le brûlé, l’interdépendance entre le local et le général. Ainsi, il devint flagrant que l’état général du brûlé était dépendant de l’évolution locale ; ainsi certains brûlés continuaient de mourir du fait de brûlures limitées mais infectées. Il apparut alors clairement que l’état local est dépendant de l’évolution générale ; ainsi, on constatait que tout retard de réanimation, de compensation des pertes ag-gravaient les atteintes. Il y avait donc à ce niveau un élément majeur imposant la rupture avec les pratiques anciennes. De fait, les brûlures n’apparaissaient plus comme des atteintes

fixées et définies par l’accident mais comme des atteintes évolutives capables de s’approfondir. Traiter un brûlé n’était donc pas traiter une brûlure. Ceci conduit en pratique en 1983 à une modification radicale et complète des soins lo-caux avec un renforcement important de la lutte anti infec-tieuse, un abandon de la détersion microbienne, un arrêt des pansements gras et des techniques de macération, une limitation de la granulation source de séquelles.

Les innovations...Il fallut donc analyser et mettre en perspective les dif-

férentes orientations thérapeutiques possibles, définir des objectifs et une stratégie, concevoir une nouvelle prise en charge locale c’est-à-dire : INVENTEr. Ce n’est pas sans dif-ficultés que fut proposé voire imposé un changement des pratiques tant dans le domaine des soins locaux que dans le domaine chirurgical. Luttes contre les dogmes, les pouvoirs, les habitudes, nécessités permanentes de démontrer, de justifier les nouvelles orientations, de faire face aux critiques, aux oppositions. Il faudrait plusieurs pages pour évoquer cette période qui a notamment conduit à une re-conceptua-lisation du pansement et des moyens de couverture cuta-née. La première innovation fut sans doute d’avoir souligné le rôle majeur de la zone de contact du pansement avec la plaie. Cette réflexion nous conduira à proposer l’application d’une membrane synthétique (à l’origine utilisée dans l’agri-culture) comme un des éléments constitutifs du pansement. Cette membrane que nous (P. richard) avons nommé Inter-face S, confirme depuis trente ans l’intérêt de la perméabi-lité, de la neutralité et de la non-adhérence au contact de la plaie. Ces qualités s’expriment en particulier au travers des effets anti-macération, anti-infectieux, anti-inflammatoires, antalgiques. Cette membrane est à l’origine d’une nouvelle classe de pansements aux propriétés spécifiques selon les produits : les interfaces.

Une autre innovation a été la prise en charge locale des brû-lures, la prévention de l’infection par pulvérisations tou-tes les deux heures d’une solution de Chlorhexidine aqueuse. Cette méthode révèle une telle efficacité qu’elle est toujours appliquée trente ans après ses débuts. Cette pratique a dé-montré que la colonisation des plaies n’est pas une fatalité, que la prévention de l’infection locale permet à la brûlure de ne pas s’approfondir, qu’elle diminue l’inflammation et amé-liore la vitesse et la qualité de la cicatrisation. Depuis trente ans des milliers d’enfants ont été traités selon ce principe de prévention de l’infection permettant d’améliorer la qualité du sous-sol, la prise des greffes, l’emploi de l’antibiothérapie, en prévenant le risque d’émergence de bactéries résistan-tes mais aussi celui d’infections nosocomiales (le risque de contamination à partir d’un patient « propre » est bien évi-demment très faible). Cette pratique a aussi modifié la prise en charge chirurgicale par une nouvelle innovation : l’ex-postion à l’air des brûlures par l’exérèse des escarres vers le 7ème-10ème jour (C. romana). Dans les brûlures de deuxième degré intermédiaire ou profondes qui sont très fréquentes chez l’enfant, cette technique a pour avantage de permettre d’obtenir une cicatrisation des zones les plus superficielles (autour du 7ème jour) tout en prévenant la macération et la surinfection locale. Au-delà de ce délai l’excision des zones de nécrose et des croûtes résiduelles est alors facilement réalisable en raison de la disparition de l’oedème et de la bonne détermination du plan de clivage entre zones saines et lésées.

Le Centre des brûlés de l’hôpital Armand Trousseau par P. Richard

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Cette technique permet ainsi une préservation des îlots ré-siduels de cicatrisation et facilite la greffe. Elle fut appliquée dès 1983 et a depuis très nettement améliorée le pronostic des brûlures notamment celles de la face. Dans cette loca-lisation le Centre de Trousseau a été pionnier chez l’enfant dans la technique d’excision greffe différée (au dixième jour) avec comme site donneur le cuir chevelu ainsi que dans la conception et la réalisation de masques faciaux compres-sifs.

L’amélioration de la survie des grands brûlés nous a confron-tés aussi au problème de la couverture cutanée des brûlures étendues. Chez ces patients, la limitation des surfaces des zones donneuses impose d’utiliser des moyens de couvertu-re temporaires dans l’attente d’une possibilité d’autogreffe. Cette nécessité nous a conduits à initier puis à collaborer à l’ouverture de la première banque de peau au sein de l’APHP. Initialement créée à Trousseau elle deviendra au fil des an-nées une banque de tissus (actuellement localisée à Saint Louis). Cette banque nous approvisionne régulièrement en homogreffes de peau cryo-congelées, issues de sujets don-neurs d’organes. Parmi les méthodes de couvertures défini-tives, nous avons recours à l’usage des cultures cellulaires de kératinocytes pour la couverture des très grands brûlés et aux matrices inductrices de néo derme pour la prévention ou le traitement des séquelles. Dans cette voie d’avenir no-tre Centre est actuellement partenaire dans un programme de recherches applicatives sur la création d’une néo peau à partir de cultures de cellules souches. Autre innovation, le développement de la chirurgie des lambeaux par A. Gil-bert, A. Masquelet et C. romana permettant la prise en char-ge des brûlures des membres extrêmement profondes (brû-lures électriques, par le feu...), les lésions dues au purpura fulminans et enfin aux grands délabrements des membres d’origine traumatique.

Nous ne pouvions terminer ces quelques pages sans évo-quer la révolution que nous avons contribué à déclencher et à répandre par la reconnaissance et la prise en charge de la douleur de l’enfant. Si ces traitements font aujourd’hui partie des bonnes pratiques et sont même devenus un droit pour les malades, il n’en était pas de même au début des années 80. A cette époque la douleur des enfants était très peu prise en compte, peu reconnue et non évaluée, elle était peu ou pas traitée. Dans le domaine de la brûlure la situa-tion était bien évidemment similaire et ce qui était évident pour le commun des mortels ne l’était plus pour les profes-sionnels baignés d’idées diffusées par bon nombre d’écrits, imprégnés de croyances et d’habitudes, murés dans leurs certitudes. Deux points étaient traditionnellement rappor-tés pour le brûlé : l’insensibilité des atteintes profondes et un tableau d’encéphalopathie d’étiologies non précisées (toxi-que, métabolique, infectieuse, psychologique...). En 1983, le travail du Dr A.Gauvain-Picard et collaborateurs sur la dou-leur de l’enfant cancéreux fut une véritable révélation. Elle décrivait dans les situations algiques persistantes ou sévères la survenue d’un tableau clinique avec repli massif, baisse de la communication, lenteur des mouvements ou immobilité, tristesse et surtout une non réaction aux stimulations exté-rieures (même celles douloureuses). Ce syndrome d’atonie psychomotrice donnait enfin une autre étiologie aux ta-bleaux cliniques que nous observions chez les enfants brû-lés. Un nouvel abord s’ouvrait puisque ces manifestations cliniques étaient jusque là classiquement attribuées à une

origine psychologique et étaient bien évidemment résistan-tes à tous les abords thérapeutiques. Un nouveau territoire thérapeutique, de nouveaux défis s’ouvraient mais aussi de nouveaux « combats ». Pour se replacer dans le contexte de l’époque, il est facile de com-prendre qu’on ne prescrit pas impunément dans une réa-nimation de dix lits autant de morphine en 18 mois qu’un hôpital (de plus de 400 lits) en a consommé pendant 18 ans. La prise en charge de la douleur fut un long chemin, un apprentissage en terrain inconnu qui rencontra de nom-breuses oppositions notamment parmi les pairs et toutes les différentes catégories de soignants. L’accusation de pro-voquer des toxicomanies et le déni de la douleur étaient souvent des boucliers à la crainte d’être considéré comme ayant été maltraitant. Cette prise en charge de la douleur imposa le développement et l’utilisation de grilles d’éva-luation pour sortir des a priori et rendre l’analyse clinique la plus objective possible. Elle imposa aussi d’apprendre à utiliser les antalgiques chez l’enfant et notamment la mor-phine qui avait été délaissée depuis longtemps. De curatif l’objectif est rapidement devenu d’être préventif au niveau des douleurs de fond et au moment des actes invasifs. Cette attitude nous a conduits à effectuer tous les jours les soins algiques sous anesthésie. L’expérience développée au fil des années dans le traitement de la douleur a levé rapidement nos inquiétudes initiales sur une potentielle toxicité de ces pratiques thérapeutiques dont les bénéfices au niveau local et général sont maintenant largement reconnus chez l’en-fant brûlé. Au niveau de la réanimation, la mise en place d’une prise en charge antalgique permis de faire disparaitre l’atonie psychomotrice et de ramener les enfants dans une vie relationnelle « normale » dans les limites de leurs attein-tes physiques. Associées à la prévention de l’infection par les soins locaux répétés ces mesures contribuèrent à rendre ca-duque l’architecture de l’unité antérieurement basée sur un concept d’isolement. De nos jours l’implication de l’équipe des réanimateurs des brûlés dans la douleur de l’enfant est toujours importante et constructive. En effet si les douleurs nociceptives sont maintenant reconnues et traitées en routi-ne, la reconnaissance et la prise en charge des douleurs neu-ropathiques, de l’hyperalgie secondaire et des PTSD, reste un domaine de recherche clinique a explorer.

Pour conclure…Il nous semble que l’histoire médicale de cette structure

de soins illustre quelques principes simples et pragmati-ques :

• La capacité d’innover est dépendante des indivi-dus, son expression est souvent tributaire des ca-dres d’exercice et en ce sens l’organisation peut être un facteur limitant.

• Le progrès n’est pas simplement une évolution na-turelle suite à une nouvelle découverte mais qu’il peut être le fruit d’une lutte contre des dogmes, des croyances, des habitudes, des conceptions dé-passées, ou encore des résistances de principe. En ce sens le progrès, au delà d’une simple évolution peut résulter parfois d’une réelle révolution.

• Enfin la résolution des problèmes, en terme de questions cliniques, révèlent inéluctablement d’autres questions pertinentes qui repoussent les limites de la thérapeutique toujours plus loin, bien au-delà des champs d’application stricts de la chirurgie ou de l’anesthésie.

Le Centre des brûlés de l’hôpital Armand Trousseau par P. Richard