la machine à influencer

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  • Alors, une fois au sommet de cette montagne, quel chemin

    prendre ?Instinctivement, nous

    avons tendance aller vers ceux qui nous ressemblent.

    Cest ce quon appelle lhomophilie et cest ce qui forge notre

    vision du monde.

    Le miroir qurige lhomophilie reflte et renforce notre point de vue.

    VISION DU MONDE DE BROOKE

    Cest malsain. Cela peut conduire tout un ventail de maladies

    dorigine numrique.

    Le dessin illustre lexpression "Birds of a feather flock together", littralement "Les oiseaux au mme plumage se rassemblent" (NDE).

    129

  • Beaucoup avancent que la capacit dInternet relier des esprits semblables partout dans le

    monde encourage la cration de chambres dcho virtuellement tanches.

    Ces chambres dcho engendrent un phnomne de cybercascade : un "fait" post par une personne se transmet dautres dans une pro-gression gomtrique jusqu ce que des millions de personnes dans le monde puissent potentiellement le croire.

    Coupes de toute dissension, les chambres semplissent dun sentiment non justifi de

    certitude. Cest ce quon appelle lamplification incestueuse, terme qui sest dabord appliqu aux

    planificateurs militaires isols fondant leurs stratgies sur des hypothses errones.

    Lamplification incestueuse peut toucher nimporte quelle sphre, mme sans Internet. Mais a aide.

    La bulle de limmobilier ? Nimporte quoi !

    Indice : si vous entendez un groupe de types quon appelle les "Matres de lUnivers"*, fuyez !

    Cass Sunstein cite de nombreuses tudes montrant comment

    les gens qui ne parlent quavec leurs semblables

    senfoncent dans lextrmisme. Ils marginalisent les

    modrs. . .

    . . . et diabolisent les voix discordantes. Le plus grand danger des chambres dcho, cest un extrmisme injustifi.

    Cest une menace permanente pour notre dmocratie.

    * Surnom donn aux traders obligataires amricains (NDE).

    130

  • Chaque nouveau progrs numrique nous permet de choisir et damplifier la ralit telle que nous

    la prfrons.

    Avec les progrs des technologies de reconnaissance faciale et des bases

    de donnes associes, personne ne sera plus inconnu.

    Les mmes proprits sont en passe dtre intgres des lentilles de contact.

    Mais les technologies qui amplifient notre vision du

    monde peuvent aussi la dimi-nuer. Vous ne voulez pas voir

    lagresseur sexuel ? Seulement sa petite amie ? Hop, cest fait !

    Comment sinscrit la tolrance dans ce monde-l ?

    Comment se dvelopper intellectuellement ou

    moralement si nous pou-vons viter les rencontres

    avec ce qui nest pas familier, ce qui nest pas bienvenu ou ce qui nest

    pas attendu ?

    ACHETEZ CETTE CHEMISE CHEZ BANANA REPUBLIC

    CASIER DAGRESSEUR

    SEXUEL

    PETITE AMIE VULGAIRE

    131

  • Lauteur Nicholas Carr a une autre crainte : "Est-ce que Google nous rend stupide ?"

    Les mdias ne sont pas des canaux passifs de diffusion de linformation. Ils fournissent de la

    matire pour penser, mais ils faonnent aussi le fonction-nement de notre

    pense.

    Ces dernires annes, jai eu le sentiment dsagrable que quelquun ou quelque chose bidouillait mon

    cerveau, en redessinait la cartographie neuronale, reprogrammait ma mmoire.

    Me plonger dans un livre ou dans un long article tait autrefois chose facile. . . Aujourdhui, jai souvent tendance me dconcentrer au bout de

    deux ou trois pages.

    . . . Autrefois, jtais capable de plonger dans un ocan de mots. Aujourdhui, je glisse

    la surface comme un type en jet-ski.

    La technologie transforme nos cerveaux. La premire utilisation doutils manuels par lhomme concide avec le dveloppement du cortex prfrontal, tout comme le langage grammatical et

    la construction de rseaux sociaux plus complexes.

    Il est donc probable que nos cerveaux soient amens traiter linformation diffremment dans un environnement de plus en plus interconnect. Nous aurons aussi la capacit

    devancer lvolution de lespce en implantant de nouvelles technologies.

    Ca vous fait peur ?,

    132

  • En fait, je nai pas peur, et pas parce que je suis particulirement optimiste sur la nature humaine. Je tire juste les leons de lhistoire. Et lhistoire des communications est pleine. . . de grands vnements.

    On voit toujours lavenir en simaginant que le dernier gadget aura raison de notre concentration, de notre mmoire, de nos communauts, de notre sant mentale et physique. . .

    Prenez la tlvision. Le 9 mai 1961, voici ce que le prsident de la Federal Communications Commission, Newton N. Minow, dclare devant une assemble de lAssociation des chanes de tlvision. . .

    Jinvite chacun dentre vous sasseoir devant son poste de tlvision quand votre chane dmarre ses programmes et la regarder jusqu la fin.

    Je peux vous assurer que vous allez observer un vaste dsert.

    vrai dire, les peurs suscites par la tlvision sappuient sur de

    solides arguments.

    Toutes les tudes ont mis en vidence les unes aprs les autres des liens patents entre une exposition excessive la tlvision et lobsit infantile, le fait de fumer et une activit sexuelle prcoce.

    133

  • Mais la radio aussi a t condamne. Un numro de Gramophone paru en 1936 citait une recherche affirmant que "les enfants restent veills dans leur lit, agits et inquiets, ou se rveillent en hurlant, cause des cauchemars quils font aprs avoir cout des histoires policires la radio".

    BIENVENUE, CHERS AMIS, DANS LE SANCTUAIRE

    INTRIEUR. . .

    Aujourdhui nous regrettons lge dor de la radio, quand nous devions faire appel

    notre imagination.

    Neil Postman, thoricien des communications, crit en 1985 que le mot imprim fut un grand bond en avant et il dplore ce quil voit comme sa fin.

    La plupart de nos ides modernes sur les

    utilisations de lintellect ont t formes par le mot imprim, comme lont t nos ides sur lducation, le savoir, la vrit et

    linformation. . .

    ". . . alors que la typographie est relgue la priphrie de notre culture. . . le srieux, la clart et par-dessus tout la valeur du discours public dclinent dangereusement."

    Mais, un sicle plus tt, la pratique assidue de la lecture tait suspecte. Surtout chez les filles.

    "Insenss sont les parents. . . qui puisent les cerveaux de leurs enfants. . . avec des tudes com-

    plexes et multiples. . . les maux sont manifestes dans tous les domaines. Certaines filles brillantes prendront

    bientt le chemin de lasile psychiatrique. . ."

    134

  • Avec la cration de limprimerie par Gutenberg naquit la peur dun trop-plein dinformations. En 1545, Conrad Gesner rassemble une Bibliothque universelle tout en se plaignant de. . .

    . . . labondance nfaste et confondante

    de livres. . .

    Il dcide de ne retenir que les livres crits en grec, en latin ou en hbreu.

    Barnaby Rich, soldat anglais, crit en 1613 que les livres. . .

    . . . surchargent le monde au point

    quil ne peut digrer labondance des

    futilits qui closent et viennent au monde

    tous les jours !

    Rich est lui-mme auteur de 26 livres dont plusieurs travaux sur larme, les moeurs, la morale ainsi que des romans.

    En 1985, Tibor Braun donne le nom de "syndrome de Barnaby Rich" la conviction que "cest toujours lautre auteur qui en crit et qui en publie trop".

    Dans le Phdre de Platon, Socrate tourne en drision linvention de lcriture avec une histoire dans laquelle le dieu gyptien qui inventa lalphabet sen vante auprs du roi.

    Cela rendra les gyptiens plus sages et enrichira

    leur mmoire.

    Linventeur nest pas toujours le meilleur juge de ses propres inventions. Votre dcouverte

    engendrera loubli dans lesprit des

    apprenants ils se fieront des caractres crits extrieurs et ne se souviendront plus par eux-mmes.

    135

  • Ce qui nous amne cette leon de sagesse propose par lauteur Douglas Adams.

    Tout ce qui existe dans le monde votre naissance est normal et ordinaire,

    et fait tout naturellement partie de la faon dont le monde fonctionne.

    Tout ce qui est invent entre vos 15 et 35 ans est nouveau, excitant et rvolutionnaire.

    Tout ce qui est invent aprs vos 35 ans va lencontre de lordre naturel des choses.

    Adams prodigue les meilleurs conseils qui soient pour ces temps terrifiants quand, en 1979, il dcrit son Guide du voyageur galactique alors encore imaginaire.

    Il dispose de cent petites touches ultra-plates et dun cran denviron dix centimtres carrs sur lequel on peut faire dfiler un million

    de pages en un instant.

    Ca a lair follement compliqu et cest la raison pour laquelle il est crit dessus "NE PANIQUEZ

    PAS" en grosses lettres rassurantes.

    ,

    136

  • Mais pourquoi je ne paniquerais

    pas ?

    Il y a beaucoup dtudes qui incitent

    paniquer !

    Lide que trop de choix nourrit lapathie et la paralysie sappuie sur une tude de 1999 mene par Sheena Iyengar et Mark Lepper. Ces derniers installent un stand de dgustation dans un supermarch chic et proposent un groupe six varits de confiture.

    Noubliez pas votre coupon de rduction !

    30 % du groupe ont utilis leur coupon pour acheter de la confiture par la suite.

    un second groupe ils proposent un choix de 24 varits.

    Noubliez pas votre coupon de rduction !

    Sur ce groupe, seuls 3 % utilisent leur coupon, diffrence tonnante. La quantit de choix semble les dcourager de choisir quoi que ce soit.

    Dix ans plus tard, le psychologue suisse Benjamin Scheibehenne et ses collgues essaient de reproduire ltude des confitures mais chouent obtenir les mmes rsultats. Alors ils conduisent une mta-analyse sur 50 tudes de limpact du choix.

    Nous navons trouv aucune preuve empirique concernant

    lexcs de choix.

    137

  • Alors pourquoi lexcs dinformations est-il peru comme lune des grandes maladies des temps modernes ? Le thoricien des mdias Clay Shirky avance que nombreux sont ceux qui confondent excs dinformations et mauvais filtrage.

    Si vous preniez le contenu dune librairie Barnes and Noble* de taille moyenne, que vous le dversiez dans la rue et que vous disiez quelquun : "il y a des travaux dAuden l-dedans, il y a aussi du Platon. Fouillez donc et

    vous trouverez quelque chose qui vous plat".

    Si vous fouillez, vous savez ce que vous trouverez ?

    * Grande chane de librairies amricaine (NDE).

    Toutes ces ordures.

    La raison pour laquelle nous nprouvons pas de problme dexcs dinfor-mations dans une librairie ou une bibliothque, cest parce que nous sommes habitus au systme

    de catalogage.

    Donc la vritable question est : comment laborer des filtres pour le Web afin de nous reprer dans

    cette somme dinformations particulirement abondante ?

    Le fait est que ces filtres existent dj. . . Une constellation dagrgateurs, de rseaux

    sociaux, de mdias dinformation traditionnels et jen passe. . .

    Vous navez pas vous y aventurer seul.

    Vous avez des amis, l-dedans.

    138

  • Mais avons-nous vraiment des amis l-dedans ? Ou perdons-nous contact avec les gens qui comptent

    vraiment pour nous en les remplaant par des liens distendus avec des gens

    que nous ne connaissons pas ?

    OUI ! En 1985, la plupart des Amricains comptent trois personnes avec qui ils discutent de "sujets importants". En 2004, ils nen ont plus que deux. Et le

    nombre de gens qui ne se confient personne a presque tripl.

    Ils ont peut-tre 600 amis sur Facebook et 25 correspondants lectroniques par jour, mais ils ne discutent pas des sujets

    qui leur importent sur le plan personnel.

    Lynn Smith-Lovin, sociologue Duke.

    NON ! Les gens utilisent Internet pour augmenter

    le nombre de personnes avec lesquelles ils interagissent dans le monde. . . et ils nutilisent pas ces systmes comme substituts

    dautres formes de contact humain. . .

    Il y a des gens solitaires. . . et lexistence de ces technologies leur permet de rester isols. Mais pour la vaste majorit des personnes interroges dans notre tude, ces technologies sont un plus dans leur bien-tre social.

    Lee Rainie, chercheur Pew.

    139

  • Ok, Lee Rainie, mais quid des

    chambres dcho ? Ne crons-nous pas des petits mondes

    virtuels dans lesquels nous

    navons pas nous confronter

    lautre ?

    Au contraire ! Nous avons constat que les utilisateurs dInternet et des tlphones mobiles

    avaient des rseaux bien plus vastes et diversifis.

    Par exemple, les gros utilisateurs dInternet et les blogueurs sont plus

    susceptibles de se confier une personne dune

    autre race. . .

    . . . et ceux qui partagent des photos en ligne sont plus susceptibles de discuter de

    sujets importants avec quelquun qui appartient un parti politique

    diffrent du leur.

    En ralit, ceux qui sont les plus adeptes de ces technologies ne sont pas ceux quon retrouve dans les chambres dcho : ils

    nont de cesse de chercher et de trouver des arguments opposs aux leurs. . .

    Ils se comportent comme des omnivores de linformation, scrutant

    tous les horizons possibles. Ils tombent donc sans arrt sur des lments qui ne vont pas dans leur sens.

    Il savre quutiliser un appareil pour entrer en contact et parler avec quelquun comme par exemple votre mre nest

    pas ncessairement un substitut mdiocre au contact direct.

    Des chercheurs ont demand des jeunes filles daccomplir une tche stressante.

    Ensuite, certaines filles parlaient leurs mres en personne et dautres les joignaient par tlphone. Les deux groupes ont prsent

    une mme chute de lhormone du stress, le cortisol (bien que ce soit un peu

    plus long par tlphone).

    Etre accro son portable est donc peut-tre un remde contre lisolement. Et tre accro

    linformation nous immunise peut-tre contre les chambres dcho.

    Peut-tre que ces technologies qui ont engendr les maladies numriques portent en

    elles le REMEDE.

    ^

    '

    140

  • Mais que dire des tudes qui tablissent que notre capacit rflchir est diminue par

    tout le temps que nous passons papillonner en ligne?

    Selon Nick Carr, nous avons besoin de temps pour collecter des donnes de faon efficace, tout comme nous avons besoin

    de temps pour la contemplation inefficace. Mais nous navons pas tant de temps que a. Et cest ce

    qui nous transforme.

    Il y a un adage chez les neuroscientifiques selon

    lequel les neurones qui sont stimuls ensemble ont tendance se connecter.

    force de pratiquer une certaine comptence, les circuits se renforcent et la rgion de votre cerveau ddie

    cette comptence grossit.

    Un rapport publi par la British Library et le Joint Information Systems Committee en

    2008 taye cette thse. . .

    Des tudes approfondies des connexions montrent chez

    les tudiants et les professeurs une forte tendance un

    comportement superficiel se rduisant feuilleter dans les bibliothques numriques.

    La socit sabtit."

    Mais feuilleter est-il ncessairement un signe

    dabtissement ?

    Est-ce quon ne sait plus penser ou est-ce

    quon pense juste diffremment ?

    141

  • Selon la pdagogue Kate Hayles, notre "style cognitif" est en pleine volution, passant de lattention profonde lhyperattention en rponse une re domine par la vitesse et la richesse de linformation.

    "Lattention profonde. . . se caractrise par le fait de se concentrer sur un seul objet pendant de longues priodes, de rester indiffrent tout stimulus extrieur. . . et davoir une tolrance leve pour les temps de concentration longs."

    "Lhyperattention se caractrise par un changement rapide de centres dattention. . . privilgiant de multiples courants dinformation, cherchant un haut niveau de stimulation et prsentant une faible tolrance lennui."

    Hayles suggre quil sagit dune adaptation naturelle. Cela veut-il dire que ce gamin jouant GTA sur sa console reprsente lavenir de lhumanit ?

    En 2004, le National Endowment for the Arts publie une tude

    qui montre que moins de la moiti des Amricains lisent de la litt-rature. Elle incrimine la prdomi-nance de la tl, de la radio, des enregistrements, des jeux vido et dInternet, et la passivit que ces mdias nourrissent.

    En 2002, alors que les donnes sont collectes pour ltude parue en 2004, Internet tait bien moins

    interactif, bien moins riche. . . tout juste un nourrisson.

    Mais aujourdhui, la lecture, mme chez les jeunes natifs de lre numrique, est remonte

    en flche ! Et ils lisent. . . des LIVRES !

    142