la morale

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EXCLUSIF QUAND WILL SELF RENCONTRE MARTIN AMIS T 02049 - 504 - F: 6,00 E RENTRÉE LITTÉRAIRE de Mathieu Lindon à José Saramago, LA SÉLECTION DE LA RÉDACTION Le Vrai Sang LA MORALE LA MORALE Tablette relatant l’épopée de Gilgamesh, époque néo-assyrienne. Gilgamesh et l’invention de la vertu Le véritable Zarathoustra L’honestum de Cicéron Saint Augustin le repenti Les morales du Grand Siècle Le dilemme de Mme de Lafayette Kant ou le sens du devoir Henry James face aux puritains La conscience de Hannah Arendt Gilgamesh et l’invention de la vertu Le véritable Zarathoustra L’honestum de Cicéron Saint Augustin le repenti Les morales du Grand Siècle Le dilemme de Mme de Lafayette Kant ou le sens du devoir Henry James face aux puritains La conscience de Hannah Arendt

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Des épopées anciennes aux incertitudes contemporaines, tours et détours d’une notion interrogeant les limites de l’humanité.

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EXCLUSIF QUAND WILL SELF RENCONTRE MARTIN AMIS

T 02049 - 504 - F: 6,00 E

RENTRÉE LITTÉRAIRE de Mathieu Lindon à José Saramago, LA SÉLECTION DE LA RÉDACTION

Le Vrai Sang

LA MORALELA MORALE

Tablette relatant l’épopée de Gilgamesh,

époque néo-assyrienne.

Gilgamesh et l’invention de la vertuLe véritable Zarathoustra

L’honestum de CicéronSaint Augustin le repenti

Les morales du Grand SiècleLe dilemme de Mme de Lafayette

Kant ou le sens du devoirHenry James face aux puritains

La conscience de Hannah Arendt

Gilgamesh et l’invention de la vertuLe véritable Zarathoustra

L’honestum de CicéronSaint Augustin le repenti

Les morales du Grand SiècleLe dilemme de Mme de Lafayette

Kant ou le sens du devoirHenry James face aux puritains

La conscience de Hannah Arendt

3 Éditorial

Janvier 2011 | | Le Magazine Littéraire

Édité par Sophia Publications74, avenue du Maine, 75014 Paris.Tél. : 01 44 10 10 10 Fax : 01 44 10 13 94Courriel : [email protected] : www.magazine-litteraire.com

Service abonnements Le Magazine Littéraire, Service abonnements 22, rue René-Boulanger, 75472 Paris Cedex 10Tél. - France : 01 55 56 71 25Tél. - Étranger : 00 33 1 55 56 71 25Courriel : [email protected] France 2010 : 1 an, 11 numéros, 58 €.Achat de revues et d’écrins : 02 38 33 42 87 U. E. et autres pays, nous contacter.

Pour joindre directement par téléphone votre correspondant, composez le 01 44 10, suivi des quatre chiffres placés après son nom.

RédactionDirecteur de la rédactionJoseph Macé-Scaron (13 85)[email protected]édacteur en chef Laurent Nunez (10 70) [email protected]édacteur en chef adjoint Hervé Aubron (13 87) [email protected] éditorial Alexis LacroixChef de rubrique « La vie des lettres » Alexis Brocas (13 93)Conception couverture A noirConception maquette Blandine PerroisDirectrice artistique Blandine Perrois (13 89) [email protected] photo Michel Bénichou (13 90) [email protected]/éditrice web Enrica Sartori (13 95) [email protected] Valérie Cabridens (13 88)[email protected] Christophe Perrusson (13 78)Directrice administrative et financièreDounia Ammor (13 73)Directrice commerciale et marketing Virginie Marliac (54 49)

Marketing directGestion : Isabelle Parez (13 60) [email protected] : Anne Alloueteau (54 50)

Vente et promotionDirectrice : Évelyne Miont (13 80) [email protected] messageries VIP Diffusion Presse Contact : Frédéric Vinot (N° Vert : 08 00 51 49 74)Diffusion librairies : Difpop : 01 40 24 21 31

PublicitéDirectrice commerciale Publicité et Développement Caroline Nourry (13 96)Publicité littéraire Marie Amiel - responsable de clientèle (12 11) [email protected]é culturelle Françoise Hullot - responsable de clientèle (12 13) [email protected]

Service comptabilité Nathalie Puech-Robert (12 89) [email protected]

Impression Imprimerie G. Canale, via Liguria 24, 10 071 Borgaro (To), Italie.

Commission paritairen° 0410 K 79505. ISSN- : 0024-9807

Les manuscrits non insérés ne sont pas rendus.Copyright © Magazine LittéraireLe Magazine Littéraire est publié par Sophia Publications, Société anonyme au capital de 115 500 euros.

Président-directeur général et directeur de la publicationPhilippe ClergetDépôt légal : à parution

Par Joseph Macé-Scaron

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C ette année, les éditions Gallimard souf-fleront leurs cent bougies. Le Maga-zine Littéraire reviendra, tout au long de ces mois, sur cette aventure intel-lectuelle et éditoriale qui constitue

sans doute le cours le plus intérieur de notre littéra-ture contemporaine. Pour autant, il ne faudrait pas que cet événement en éclipse un autre : les vingt ans des éditions de L’Olivier, portées par Olivier Cohen, qui a su construire une maison à son image. Or, jus-tement, L’Olivier publie, en cette rentrée de janvier, un livre exemplaire de sa démarche : faire connaître de jeunes auteurs, sélec-tionner le meilleur de la littérature amé-ricaine, provoquer le débat. Cet ouvrage est celui de Jonathan Safran Foer : Faut-il manger les animaux ? Nous avons déjà souligné ici combien les écri-vains disposent d’une bonne longueur d’avance – les philosophes restant des carnivores – sur la question des rapports entre l’humanité et l’ani-malité. La place de l’animal est à reconsidérer. Et, encore une fois, seule la littérature rend aux bêtes la parole qu’elles n’ont pas.

J onathan Safran Foer a été l’élève de Joyce Carol Oates à Princeton. Il est déjà l’auteur de deux romans majeurs, Tout est illuminé et Extrême-

ment fort et incroyablement près. Dans son dernier ouvrage, il met tout le poids de son talent littéraire au service d’un vibrant plaidoyer contre l’élevage industriel et l’abattage des animaux. J’écris « plai-doyer », et déjà le mot se dérobe : car Safran Foer est plus dans la peau de Truman Capote que dans celle d’un avocat. Ce qu’il nous donne à lire et donc à voir n’est pas seulement juste : c’est, au sens propre, hal-lucinant. Bien sûr, l’actualité, avec la crise de la vache folle, ses destructions et ses bûchers d’animaux, a ouvert une large brèche dans les esprits ; mais il s’agit ici de bien davantage. Je ne suis pas sûr que, dans cet éditorial, il soit bienvenu de présenter des extraits de Faut-il manger les animaux ? et de s’appesantir sur les becs et les groins tranchés à vif, les yeux arra-chés, les poux de mer… Vache, veau, porc, poisson, rien n’est épargné – c’est l’arche de Noé à l’envers. Pour ma part, je ne crois pas être sorti indemne de

la lecture de cet essai. D’autant que les acteurs de ce massacre (ouvriers, bou-chers, éleveurs, proprié-taires…) ne sont pas sur le banc des accusés. Aucune moraline dans ces pages. Lorsqu’il doit tracer le por-trait de l’un des tortion-naires, l’auteur écrit simple-ment : « Il parle fort et sans détour. Il est du genre à réveiller tout le temps les bébés qui dorment. » Tout est dit.

S i l’on s’attache à la question de l’indus-trialisation, on se

souvient, comme l’a écrit Élisabeth de Fontenay, que ce sont les abattoirs de Chicago qui ont inspiré la division du travail à Henry Ford, antisémite notoire, adepte et ami d’Hitler. Voilà pourquoi Isaac Bashevis Singer, Elias Canetti et Vassili Grossman ont placé au cœur de leurs œuvres « une interrogation pressante sur la manière pogromiste, nazie, qu’ont les hommes de traiter les bêtes ». Que nous apporte ce livre ? Bien plus qu’une défense et illustration du végétarisme. Un retour à ce que Blake appelait le « chant de l’innocence » de l’agneau par opposition à l’ordre terrible (fearful symmetry) du tigre. Dans une publication récente, Cécile Guilbert définissait ainsi ce champ trop souvent laissé en jachère : « L’innocence, cette contrée sans mémoire, d’où le mal est absent et qui n’a d’autre objet que la pure et indéfinie faculté d’être . » À ce souci, le romancier américain répond par une question : « La personne qui fait l’effort d’agir pour son innocence doit-elle vraiment être vue avec commisération ? » Son essai nous fera-t-il suffisamment honte pour que, comme le disait Kafka, le souvenir nous revienne ?

[email protected] manger les animaux ?, Jonathan Safran Foer,

éd. de L’Olivier, traduit de l’anglais (États-Unis) par Gilles Berton et Raymond Clarinard, 368 p., 22 .

Animaux & Cie, Cécile Guilbert, photographies de Nicolas Guilbert, éd. Grasset, 256 p., 29 .

Jonathan Safran Foer, à dévorer

Faut-il manger les animaux ? le rappelle : seule la littérature rend aux bêtes la parole qu’elles n’ont pas.

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Janvier 2011 | | Le Magazine Littéraire

Le cercle critique

En vidéo : renaissance d’un pont

Naissance d’un pont,

Bicentenaire Alfred de Musset

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n° 504 janvier 2011Sommaire

9050102 Inédit : Le Vrai Sang de Valère Novarina Dossier : la morale.

Photo de couverture :

Abonnez-vous page 97

Ce numéro comporte 3 encarts : 1 encart abonnement sur les exemplaires kiosque, 1 encart Edigroup sur exemplaires de Suisse et Belgique, 1 encart Le Monde sur une sélection d’abonnés.

Le Britannique Martin Amis dialogue avec son confrère et compatriote Will Self : retranscription de leur échange.

L’actualitéL’éditorial de Joseph Macé-ScaronContributeursRencontre Will Self face à Martin AmisLa vie des lettres Édition, festivals, spectacles… Les rendez-vous du mois

Le cahier critiqueFiction

Maurizio Serra, Malaparte, vies et légendesJavier Pastor, Mat échecOuLiPo, C’est un métier d’hommeAndreï Makine, Le Livre des brèves amours éternellesDany Laferrière, Tout bouge autour de moiMathieu Lindon, Ce qu’aimer veut direPhilippe Sollers, Trésor d’amourRoger Grenier, Le Palais des livresJosé Saramago, CaïnJames Ellroy, La Malédiction HillikerNaguib Mahfouz, Karnak CaféRichard Grossman, L’Homme-AlphabetJohn Irving, Dernière nuit à Twisted RiverPierric Bailly, Michaël Jackson

PoésieBernard Manciet, L’Enterrement à Sabres

Non-fictionMartin Heidegger, ParménideHomère, L’Iliade (nouvelle traduction)Marco Filoni, Le Philosophe du dimanche. La Vie et la Pensée d’Alexandre KojèveTheodor W. Adorno, Prismes

Marc Bochet, L’Âne, le Job des animauxKaroline Leach, Lewis Carroll,

une réalité retrouvée

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Dossier : Céline

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Grand entretien avec Dominique Fernandez.

Le dossier La morale

dossier coordonné par Maxime Rovere Gilgamesh, par Florence Malbran-Labat

Ainsi régulait Zarathoustra, par Clarisse HerrenschmidtL’Égypte antique, par Pascal VernusLa Bible hébraïque, par Christophe BatschLe moment grec, des dieux aux hommes par Pierre-Marie MorelCicéron, par Sabine LucianiSaint Augustin, par Lucien JerphagnonRâzî, médecin de l’âme, par Joël ChandelierPaul Bénichou et les Morales du Grand Siècle, par Patrick DandreyLa quête de La Princesse de Clèves, par Florence ChapiroChamfort, Vauvenargues : aux Lumières des moralistes, par Jean DagenEmmanuel Kant, une question de formule, par Antoine GrandjeanRobespierre, l’amour des lois, par Sophie WahnichHenry James, le massacre des innocents, par Jean PavansHannah Arendt, par Thierry MénissierLe féminisme et la morale des mâles, par Mounira ChattiÉthiques de la philosophie analytique, par Patrick Ducray

Le magazine des écrivains Grand entretien avec Dominique Fernandez

« Tant de livres ont changé ma vie » Admiration Léon Chestov, par Agnès Clerc Archétype Caligula, par Christophe Bident Inédit Le Vrai Sang, de Valère Novarina Le dernier mot, par Alain Rey

8 Rencontre

Le Magazine Littéraire | | Janvier 2011

I l n’est pas si fréquent que ceux qui ont la « fabu-lation » pour vocation croisent le fer sur leur pratique de l’écriture. Le FestivalandCo, orga-nisé par la librairie Shakespeare and Company, déjoue à dates fixes à Paris cette fatalité, en

invitant à débattre tous les auteurs anglophones qui réinventent la littérature contemporaine. Cette année, à travers le thème « Politique et fiction », ce rendez-vous renommé a abordé de multiples interrogations. Quelle fonction nos sociétés concèdent-elles à l’ima-gination narrative ? Une œuvre peut-elle décrire le réel – et notamment sa part sociale – sans être politique ? Les écrivains, enfin, ont-ils une responsabilité propre ? Et, si c’est le cas, leur sentiment de résider « dans le ventre d’une baleine », selon le mot de Salman Rush-die, est-il profitable ou stérilisant ? Tandis que des auteurs du monde entier étaient invités à lire et à com-menter des extraits de leurs œuvres sous le chapiteau de toile du square René-Viviani, à deux pas de Notre-Dame, les organisateurs de cette manifestation ont eu l’heureuse idée de programmer une joute exception-nelle, opposant deux monstres sacrés de la littérature britannique : Martin Amis et Will Self. Le premier, né en 1961, auteur halluciné et contestataire de Théorie quantitative de la démence, ne tait rien de la dette qu’il a contractée envers son aîné, et le passe au crible de ses questions. Pour Martin Amis, c’est l’occasion de pousser plus avant le questionnement sur sa tra-jectoire singulière et d’admettre qu’avec les ans il s’est détaché de son apolitisme de principe, car la littéra-ture est le site même de son engagement – comme le souligne Le Deuxième Avion, son essai sur les atten-tats du 11 Septembre. Nous reproduisons ici, avec l’aimable concours de la librairie Shakespeare and Company, de larges extraits de leurs échanges.

Will Self. Je voudrais d’abord vous dire l’immense plaisir que j’éprouve à me retrouver ici parmi vous, en compagnie de Martin Amis. Il est l’auteur d’un très grand nombre de romans, de nouvelles et d’essais. Toutefois, il est passablement difficile, en dehors de la Grande-Bretagne, et spécialement de ce côté-ci de la Manche, d’apprécier l’importance qu’il a acquise

Will Self et Martin Amis

Will Self.

‘‘ Un écrivain n’est pas

À lire de Will Self

Le Livre de Dave, traduit de l’anglais par Robert Davreu, éd. de l’Olivier, 540 p., 25 €.

No Smoking, traduit de l’anglais par Francis Kerline, rééd. Points, 410 p., 7,50 €.

Extraits d’un dialogue où les deux grandes figures de la littérature britannique interrogent les rapports entre l’écriture et le politique.Traduction Anne-Laure Tissut, revue et complétée par Alexis Lacroix

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Janvier 2011 | | Le Magazine Littéraire

dans la société britannique. Mais peut-être dois-je commencer par une histoire apparemment anecdo-tique. Dans ma jeunesse, lorsque je tâtonnais encore vers l’écriture, Martin Amis ne représentait pas pour moi un écrivain parmi d’autres, mais l’écrivain en majuscules. Il était l’écrivain par excellence, et sans doute le plus grand écrivain de langue anglaise depuis les années 1960. J’étais déjà impressionné par l’assi-duité avec laquelle mes contemporains lui rendaient visite pour lui demander conseil. Il était saisi de toutes sortes de demandes, et on exigeait de lui qu’il se pro-nonce sur les sujets les plus hétéroclites, depuis l’in-terdiction de fumer jusqu’à l’imminence d’une nou-velle guerre. Aujourd’hui, notre discussion va avoir essentiellement pour objet Le Deuxième Avion, un recueil d’essais publiés au lendemain immédiat des attentats du 11 Septembre ; la tonalité générale de ce livre, empreinte d’une liberté provocatrice, va large-ment à l’encontre du « politiquement correct » de l’époque. Martin Amis, on le voit d’emblée, a donc pleinement sa place dans ce festival consacré aux rela-tions entre littérature et politique : la question de leur articulation est même devenue l’un des fils rouges de son œuvre. Voici la première question que je voudrais lui soumettre : Est-il exact que votre œuvre, au fil des années, s’est imprégnée d’un engagement plus accusé ? Et, si c’est le cas, comment s’est produit pour vous ce tournant ?Martin Amis. Permettez-moi d’abord de vous retourner le compliment ! Je suis plutôt avare de propos laudateurs, mais là je ne me retiens pas… En fait, jusqu’ici, je n’ai eu que deux fois l’occasion de saluer un grand talent lit-téraire, et en ce qui vous concerne, cher Will Self, j’aurais déjà pu – ou dû – le faire à l’oc-casion de la parution de votre Théorie quanti-tative de la démence. À mes yeux, vous êtes un peu l’enfant qu’auraient pu avoir, ensemble, Borges et Ballard, s’ils étaient tombés amoureux…W. S. Cette image me terrifie ! Je pense à la malé-diction qu’aurait représentée le fait d’être né d’un tel accouplement. (rires)M. A. Eh bien, oui, c’est sûr, pardonnez-moi cette image !… (rires) Mais, enfin, revenons au sujet de votre question. Vous me demandez si mon œuvre manifeste une évolution vers une forme plus ou moins assumée de politisation, vers un point de vue engagé. Il est vrai que, dans ma jeu-nesse, je mettais un point d’honneur à me tenir éloigné de toute forme d’engagement. Je m’enor-gueillissais de ce retrait, et, aujourd’hui, si je suis hon-nête, je suis bien forcé de m’avouer que c’était là

à l’abri dans sa bulle ’’À lire de Martin Amis

Le Deuxième Avion 11 Septembre : 2001-2007, traduit de l’anglais par Bernard Hoepffner, éd. Gallimard, 270 p., 21 €.

Martin Amis.

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12 La vie des lettres

Le Magazine Littéraire | | Janvier 2011

Enfant, j’ai baigné dans ce monde-là. J’ai par exemple des souvenirs très émus de Robin Cook quand il venait chez nous. »Benjamin Guérif doit tout de même se défendre contre cette image d’héritier. « J’avais de quoi prétendre à ce poste. Je connaissais déjà tout le monde, je maîtrise plusieurs langues scandinaves. Après, suis-je le meilleur choix ? Je n’ai pas la réponse », déclare-t-il avant que la question ne vienne,

Q uand il arrive, vêtu de gris, arbo-rant un air austère de pasteur bergmanien, on cherche en vain chez lui les traces de la trucu-lence paternelle. Benjamin Gué-

rif, 33 ans, occupe aujourd’hui, comme il le dit modestement, le poste d’éditeur junior chez Rivages, maison sur laquelle son père François a régné pendant trente ans, construi-sant l’un des catalogues les plus remar-quables de l’édition policière. Son travail consiste à décharger son père de « ce qu’il ne veut plus faire » – notamment les travaux d’intendance. « C’était une chance unique. Il fallait la saisir. Mais cela s’est fait naturellement.

« J’avais de quoi prétendre à ce poste. Après, suis-je le meilleur choix ? »

comme s’il avait dû y répondre trop souvent. « Au début, bien sûr, je donnais l’impression de placer mon fils, reconnaît François Gué-rif. Mais je crois que ce n’est plus vrai. Auprès des agents, des auteurs, dans le travail quo-tidien, il a su trouver sa place. »Pour le père, la succession est clairement assumée : « Rivages/Noir, c’est mon seul héri-tage. Que lui laisser d’autre ? » On sent, quand il en parle, le bonheur d’avoir entraîné sur le terrain policier un fils qui s’est longtemps pas-sionné pour l’histoire et la littérature clas-sique, et qui s’en était allé chez Pierre-Jean et Hélène Oswald, fondateurs des éditions NéO, avant de revenir vers lui. « Il se méfiait de papa, c’est normal. Chez NéO, il a découvert une littérature qu’il s’est mis à aimer. »Pour l’instant, Benjamin Guérif tient à garder profil bas. « Je ne succède pas à François, je le seconde. Il m’a toujours dit : c’est un métier dont on ne part que les pieds devant. Je lis pour lui beaucoup des manuscrits qui arrivent par la poste. » Les critères de sélec-tion ? « Il m’a demandé : “Trouve-moi une écriture.” J’ai ainsi découvert Lorent Idir. »À partir de là, Benjamin Guérif s’anime. Il nous révèle même un parcours bien plus ori-ginal qu’on ne l’attendait. Il avait entrepris des études d’histoire, mais, sans motivation aux abords de la licence, il partit en Norvège où il décida de s’installer. Non pas dans la charmante Oslo, mais sur l’île de Röst, au large de la Laponie. Il intégra un village de pêcheurs, vécut dans des conditions som-maires, en passant tout de même une maî-trise et un doctorat en histoire scandinave. Pendant une dizaine d’années, il se promè-nera ainsi, entre Paris et le Grand Nord. De cette expérience, il a retiré la matière d’un beau roman, Pietro Querini, publié chez Rivages. Et puis ? « Au bout de dix ans, j’étais en voie de minéralisation avancée. »Il est revenu. « J’avais peur de la frustration si je me lançais dans une carrière universitaire : peu de postes, des champs d’étude res-treints. » Il a écrit un roman de heroic fantasy, refusé partout. « Ces refus m’ont poussé vers la traduction. » Commence une période dédiée à la réécriture et à la traduction, des langues scandinaves ou de l’anglais, souvent pour les éditions Denoël. « Ce travail a pris le dessus sur le reste. » Et c’est tout naturelle-ment qu’il s’est rapproché de Rivages.La passation de pouvoir n’est pas sans risque, et on espère, chez Rivages, que les poids lourds étrangers de la collection, les James Ellroy et Dennis Lehane, n’écouteront pas les propositions d’Albin Michel ou de Robert Laf-font. « Cela peut arriver, bien sûr, mais nous les avons toujours beaucoup suivis. Je ferai tout pour qu’il n’y ait pas de coupure. »

Hubert Prolongeau

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portraitRivages et filsÀ 33 ans, Benjamin Guérif prend la relève de son père, François, à la tête de la collection « Rivages/Noir » – une référence dans le polar.

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Janvier 2011 | | Le Magazine Littéraire

éditionUn scénario inédit de BurroughsLes éditions Tristram publient le 6 janvier un scénario de film inédit signé William Burroughs (photo). Intitulé Le Porte-Lame, il est tiré d’un roman de science-fiction (d’Alan E. Nourse) dont les thèmes – épidémie de cancer, chasse à l’homme – ont dû ravir l’auteur du Festin nu : dans un futur proche, les laboratoires pratiquent la rétention de traitements aux dépens des déshérités, lesquels se rabattent sur des réseaux clandestins.

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Des écrivains envoyés spéciauxL a divination éditoriale, science approximative qui consiste

à prévoir les sorties en librairie, se pratique à l’aide d’instru-ments variés. On peut se servir de la presse internationale,

qui permet aux lecteurs xénophiles de devancer l’actualité des publi-cations étrangères en France. On peut aussi étudier dans Livres Hebdo la liste des titres déposés. Une autre méthode, par anticipa-tion, consiste à s’intéresser à la liste des auteurs boursiers de l’orga-nisme public Culturesfrance (qui devient cette année Institut fran-çais). Sous le titre de Missions Stendhal, ces bourses proposent une « aide personnalisée » (de 6 000 euros maximum) à un « projet d’écri-ture dans un pays clairement identifié ». Les dossiers de candidature des élus esquissent donc un panorama de l’avenir proche du pay-sage littéraire français. En voici un aperçu.Après avoir inventé une prison souterraine dans Technosmose, Mathieu Terence passe aux étoiles : sa bourse Stendhal l’a emmené à Hawaï, où se trouve l’un des plus grands observatoires astrono-miques. Il y installera l’amant d’une astronaute perdue en mission, narrateur de son prochain roman (aux éditions Gallimard).Jean Rolin a appliqué sa forme de journalisme littéraire à la méga-pole de Los Angeles. Il travaille actuellement à raconter les « péri-péties aléatoires » qu’il y a vécues, à travers celles d’un sexagénaire cherchant à rencontrer Britney Spears. Les éditions P.O.L espèrent publier ce texte à la fin de 2011 ou au début de 2012.Élisabeth Barillé a suivi les traces de Lou Andreas-Salomé et de Rilke dans leur voyage de Saint-Pétersbourg à Kazan, avec retour. Une façon de renouer avec son grand-père russe, qui lui avait justement offert les œuvres de l’écrivaine allemande, à laquelle elle a consa-cré une anthologie en octobre dernier. Le roman, qu’elle projette de finir en septembre prochain, paraîtra aux éditions Grasset.Après l’Amérique centrale, explorée dans Pura Vida, et l’Afrique dans Equatoria, Patrick Deville s’intéresse à l’Asie et s’est rendu au Cambodge. Les actuels procès des dirigeants khmers serviront d’épicentre à sa nouvelle polyphonie, en cours d’écriture et à la date de publication (aux éditions du Seuil) encore incertaine.Fascinée par la figure du romancier Roberto Bolaño, Lorette Nobé-court (En nous la vie des morts) est partie pour le Chili. Son projet de livre en 365 fragments devrait, selon Christophe Bataille, son édi-teur chez Grasset, paraître fin 2011-début 2012. Il porte pour l’ins-tant le titre de « Grâce leur soit rendue ». Alexis Brocas

www.culturesfrance.com/

Paul Éluard, en 1930.

Réédition ÉluardLe 27 janvier, les éditions Seghers font paraître, dans de nouvelles éditions, trois ouvrages de Paul Éluard jusqu’alors indisponibles, sinon en occasion ou en édition de luxe. Il s’agit du recueil de textes en prose L’Immaculée Conception, écrit avec André Breton, des Lettres de jeunesse, ainsi que de Poésie involontaire et poésie intentionnelle, une anthologie originale où l’écrivain a réservé les pages de gauche aux heureuses trouvailles poétiques dues au hasard et celles de droite à la poésie traditionnelle.

Barrès à SparteLancée en juin dernier, la collection « Le Voyage littéraire », créée par les éditions François Bourin, se consacre aux récits de voyage tombés dans l’oubli. Elle exhumera, en février prochain, un texte de Maurice Barrès, Le Voyage de Sparte, où l’auteur oppose l’antique Lacédémone à sa rivale athénienne.

Laclos en PléiadeLa Pléiade prépare, pour le mois de février, une nouvelle édition consacrée à l’œuvre de Choderlos de Laclos. Rappelons que celle-ci ne se résume pas au seul roman, Les Liaisons dangereuses. Ainsi, Laclos est l’auteur d’un essai enflammé, Des femmes et de leur éducation, qui stigmatise l’instruction insignifiante dispensée à ses contemporaines.

Quevedo trois foisFrancisco de Quevedo, génial touche-à-tout du Siècle d’or espagnol, fait l’objet de nombreuses attentions de la part de l’édition française. En novembre, la traductrice Aline Schulman a publié sa version de la truculente Vie du truand don Pablos de Ségovie, vagabond exemplaire et modèle des filous (éd. Fayard). Ce mois-ci, Folio ressort ses célèbres sonnets (Les Furies et les Peines). En février, les éditions Les Fondeurs de briques feront paraître un recueil de ses Proses festives.

Icônes du peupleL’industrie soviétique excellait en un domaine : la production de masse d’une iconographie propagandiste. Les éditions du Rouergue passent en revue les bannières du communisme russe dans un très beau livre, Sous les plis du drapeau rouge, dont les textes, dus à Pierre Znamenski, tempèrent les images et les slogans enflammés du régime.

Élisabeth Barillé sur les traces de Lou Andreas-Salomé.

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Le Magazine Littéraire | | Janvier 2011

Sous la peau de MalaparteMalaparte, vies et légendes, Maurizio Serra, éd. Grasset, 608 p., 22,50 €.

E nfin, une biographie de Malaparte ! Le Contre Sainte-Beuve de Proust ayant fait les ravages que l’on sait, nous nous sommes si puissamment persuadés que le moi social n’avait rien à voir avec le

moi créateur que nous avons longtemps fait l’écono-mie de certaines « Vies » dès lors que l’œuvre parais-sait se suffire à elle-même tant elle nous en imposait. Tel fut le cas pour celle de cet homme né Kurt Erich Suckert en 1898, mort Curzio Malaparte en 1957, grâce ou à cause de Kaputt, de La Peau et de Technique du coup d’État. Or, dans ce cas précis, cette absence dans nos rayons était d’autant plus étrange que peu d’exis-tences auront été aussi intenses, actives, flamboyantes et romanesques que la sienne. De la chair à biogra-phie ! N’était-ce le délicat hommage en forme de por-trait de Bruno Tessarech, Pour Malaparte (2007), et les pages que lui a consacrées Milan Kundera dans Une rencontre (2009), on ne trouvait rien depuis une ving-taine d’années, du moins en France, où le personnage fut longtemps ignoré.Enfin, Maurizio Serra vint, qui écrivit sa biographie directement dans notre langue, comme si cela s’im-posait d’évidence pour ce diplomate italien en poste à Paris, si naturellement italofrançais que l’on se plaît à l’écrire sans la nécessité du trait d’union. L’étude qu’il avait publiée il y a deux ans, Les Frères séparés – entendez : Aragon, Drieu La Rochelle, Malraux –, révélait déjà l’acuité de son érudition littéraire. Mala-parte, vies et légendes la porte au plus haut. Sa réus-site en est éblouissante, qu’il s’agisse de l’élégance de l’écriture, de la richesse de l’enquête ou de la finesse des analyses. Ce qui n’allait pas de soi avec un animal tel que Malaparte. On ne fait pas plus piégeux, tant le mensonge épouse si naturellement le mouvement de son âme et la plupart de ses attitudes ; il persuadait d’autant plus aisément son entourage de la véracité de ses inventions qu’il en paraissait lui-même convaincu ; mais un mensonge qui, dès ses plus jeu-nes années, s’ennoblit par la littérature, sa mythoma-nie romanesque s’enracinant dans une mythologie poétique. Ce qui est bien le moins pour qui ne sera jamais fidèle qu’à Chateaubriand et préférera les chiens aux humains. Fabulateur mais pas mystificateur, il n’a cessé de malaxer l’histoire pour en faire la matière première de son œuvre, manière de signifier son mépris à ce paquet d’événements qui s’avance pompeusement précédé d’un grand « H », quand la

littérature doit s’affirmer avec une grande hache. Le biographe a lu tous les livres de et sur son héros ; il a retrouvé quantité d’archives inconnues ; il a épluché sa correspondance et son journal, inédits en français. Le débroussaillage de ce maquis se révélait d’autant plus indispensable qu’il n’existe pas encore de vérita-ble édition savante des œuvres complètes de Mala-parte dans son propre pays. Outre un grand nombre d’informations précises, de détails jusqu’alors entra-perçus, de choses vues et entendues, ce livre impres-sionnant de densité nous offre un portrait de réfé-rence qui remet les légendes à leur place, l’indulgence des lecteurs français dût-elle en souffrir. Il faudra s’y faire : oui, Malaparte a été un authentique fasciste, et même un pilier du régime jusqu’en 1934 ; non, sa relé-gation à Lipari n’a pas duré cinq ans mais quelques mois, et elle ne trouva pas son origine dans sa rébel-lion politique mais dans une intrigue sordide ; oui, il demeura le protégé de Mussolini jusqu’à la chute de ce dernier, en 1943… L’auteur entend balayer les lieux communs qui traînent aux basques de son héros ; mais qu’il s’agisse de l’opportunisme, du souci de l’appa-rence, du cabotinage, de l’égocentrisme, de l’exhibi-tionnisme, du charisme, du dandysme, des bons mots assassins, du cynisme, de sa puis-sance de travail, du calcul, du culte du moi, du choix du pseudonyme (il avait bien compris l’intérêt de s’appeler D’Annunzio plutôt que Rapagnetta), du goût de la mani-pulation et de la polémique, il doit bien convenir qu’ils ne sont pas pour autant tous dénués de fon-dement. On y revient toujours, quand bien même le gratifierait-on d’une esthétique en lieu et place de sentiments. Le fait est que l’amour, ses scènes et ses histoi-res, est absent de son œuvre. Rien sur la jalousie.De ce portrait critique, modèle de ce que devrait être l’exercice d’ad-miration, Malaparte émerge comme un amoureux de la force dans toutes ses expressions, fus-sent-elles les plus totalitaires en politique, du fascisme au commu-nisme de guerre. Là se trouve le nœud de sa cohérence et de sa constance. La force, l’ordre, le pro-tocole, l’épure, les masques : il y a du Mishima en lui. Il a pareillement le culte du corps et de la forme.

Par Pierre Assouline

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Que faisait-il […] une fois le dernier convive, la dernière femme partis ? Sa grande puis-sance de travail, le temps consacré à la toilette, à l’exercice phy sique, à la compagnie des animaux ne suffisent pas à esquisser une ré-ponse, surtout qu’il n’avait pas besoin de beaucoup de sommeil. Sans doute rentrait-il alors en lui-même, pour ronger son os. Sa vie n’a pas été bien longue, mais même en y faisant rentrer toutes les aventures réelles et imagi-naires qui furent les siennes, on est frappé du décalage qui existe entre le caractère ramassé de ses expériences (quelques mois en Russie, en Éthiopie ou en Fin-lande, une ou deux années en moyenne pour ses amours) et tout ce qu’il en tira.

Malaparte, vies et légendes, Maurizio Serra

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À l’ombre de mes propos. Journal de l’année 2009, Hubert Nyssen, éd. Leméac/Actes Sud, 120 p., 15 €.

C omme des lettres lointaines que l’on reçoit avec le décalage horaire et l’empreinte des pays traversés, paraissent les car-nets du millésime 2009 d’Hubert Nyssen. Éditeur à la retraite

et écrivain à plein régime, le fondateur d’Actes Sud nous livre son quatrième journal de bord, ou plutôt sa version « quintessenciée » : depuis 2004, l’on peut découvrir dans leur fraîcheur, et in extenso, ses toutes dernières pensées sur son site, www.hubertnyssen.com – pas un blog, mais une éphéméride de l’année en cours. Que l’on retrouve l’essayiste pour ce nouveau rendez-vous ou que l’on em-barque pour la première fois, difficile de ne pas se laisser séduire par ces notes suggestives, enthousiastes, parfois romanesques, toujours élaguées à la juste taille. D’un bout à l’autre du texte, et dans tous les sens, court le fil éclectique du désir : frous-frous de fantômes, de femmes et de fictions. On dit d’une fête que ce sont ses invités qui font sa réussite. À l’ombre de mes propos convoque les vivants et les autres, Nancy Huston, Samuel Pepys, Wallace Stegner, Marie- Christine Barrault, les petits et moins petits enfants… Ni mondanités ni à pro-prement parler intimité, Hubert Nyssen nous fait partager sa convi-vialité. Des « passagers » du mas Martin au village du Paradou, où il s’est désormais installé, il écrit : « À de rares exceptions près, tous m’apportent, à leur rythme et à leur manière, les fra grances, les cou-leurs, les frémissements d’autres vies dont j’ai ainsi la réconfortante illusion d’être complice. » À peine des anecdotes, déjà des scénarios, qui donnent envie de lire, et d’essaimer. L’auteur n’appuie jamais le trait ; il fait montre d’une élégance qui esquisse sans définir, qui chan-tourne le souvenir d’une peur, d’un rêve, d’une voix, ou d’une ren-contre : « La nuit était soyeuse, le mistral discret, et nous avons fait un inventaire paresseux de nos affinités. »Bien plus court que les précédents journaux ou carnets de l’écrivain, À l’ombre de mes propos pourra laisser le lecteur sur sa faim, ou lui donner la curiosité de butiner les autres livres. L’écriture en est peut-être aussi plus inquiète, sinon plus pessimiste : les habituelles et facétieuses « coïncidences », chères à l’auteur qui dit écrire chaque jour « pour ressusciter les morts et rassurer les vivants », se muent parfois ici en « avertissements ». De leur côté, les motifs récurrents (du Tita-nic à la grisaille politique) et les insomnies peuplent le texte. En dépit de tout et du mistral – trouble-fête et personnage à part entière –, dominent, inextricablement mêlés, le plaisir de la lecture et celui de l’écriture, toujours en partance vers de nouveaux projets. Corps du texte, essayage du manuscrit qu’on a laissé reposer, effleurement d’une idée, ou mots rares dont, en « vieux libertin », on se régale, et sans méta-phore… À l’ombre de mes propos se donne à lire comme le portrait d’un homme fidèle au rôle qu’il s’est fixé de passeur, et comme le témoignage d’une écriture intensément habitée.

Pour le reste, c’est-à-dire la conception latine de la mise en scène de soi, il faut le considérer comme le fils naturel de Jean Cocteau et de Greta Garbo. Comme s’en targuait Wilde, il aura mis son talent dans son œuvre et son génie dans sa vie, et nul ne saura jamais dire ce qu’on y a perdu. Lui-même le pressentait-il, qui fut sans cesse miné par une névrose d’échec ?La démocratie parlementaire lui répugnait à propor-tion de son attachement aux valeurs de l’esprit répu-blicain. Peut-être parce que la première offrait le spec-tacle mou de sa faiblesse et de sa médiocrité, comme si tous les idéaux de fer dont elle était porteuse s’étaient réfugiés dans le second. L’empathie de Maurizio Serra pour son personnage est sans indulgence car elle se déploie en permanence sur la crête des contradictions de celui-ci : « Il aura réussi à donner l’impression de la spontanéité, du trop-plein d’émotion et d’indigna-tion, là où il fut le plus froid et sinueux des auteurs », écrit-il. Au fond, le paradoxe de Malaparte s’inscrit dans sa fascinante maison de Capri. Tout sauf une villa : cet « autoportrait en pierre » était un bunker à la beauté sévère, à l’allure austère, au confort ascé-tique, mais dont la cave regorgeait de grands crus.

Hubert Nyssen, par affinitésPar Chloé Brendlé

Une belle biographie de l’écrivain italien, ici en 1948.

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Sur les chemins plus ou moins caillouteux de l’existence, la morale se propose comme une manière de s’orienter. Là où les horizons semblent ouverts jusqu’à l’angoisse, elle pose quatre repères comme des points cardinaux. Ce sont les notions de bien, de mal, de vertu et de devoir. Mais on croit un peu vite que ces notions expriment des principes. C’est l’inverse : la morale ne tolère aucune évi-dence. Tous ces points d’appui basculent et se renversent, si bien que l’on peut facile-ment se convaincre de faire le bien par des actions nuisibles, ou de faire mal lorsque l’on s’y prend bien. La vertu ne s’est-elle pas déjà nichée dans des endroits incongrus ? Le devoir n’a-t-il pas servi des causes inaccep-tables ? C’est dire que la morale ne va jamais sans embarras. Ses notions fondamentales sont des repères, mais elles indiquent essen-tiellement notre perplexité.De plus, quoi qu’il en semble, ces quatre notions ne sont pas tout à fait interdépen-dantes. L’Antiquité grecque, qui a élaboré l’idée du bien sous sa forme la mieux définie, ne connaît pas la notion de devoir. L’idée d’une règle infrangible émanant d’une ins-tance transcendante ou celle d’une loi uni-verselle murmurée au-dedans de nous sem-bleraient d’étranges suppositions à n’importe quel penseur antique. Inversement, on peut se trouver « par-delà le bien et le mal », selon l’expression de Nietzsche, et s’affirmer le plus inconditionnellement épris de vertu. L’étude du mazdéisme, dont Zarathoustra fut le pro-phète, offre à cet égard de stimulantes direc-tions de pensée.Il faut donc admettre que la morale n’af-fronte nullement des interrogations millé-naires. Les questions que nous nous

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Saint Michel chassant le démon, détail du Calvaire de Josse Lieferinxe, 1505, musée du Louvre, Paris.

La morale

À lire Mythe et épopée,

Georges Dumézil, éd. Gallimard, « Quarto », 1 464 p., 31,50 €.

Histoire raisonnée de la philosophie morale et politique, I. De l’Antiquité aux Lumières, II. Des Lumières à nos jours, Alain Caillé, Michel Senellart et Christian Lazzeri (dir.), éd. Flammarion, « Champs », 520 p. et 560 p., 26 € les deux.

Vient de paraître La Voix et la Vertu.

Variétés du perfectionnisme moral, Sandra Laugier (dir.), éd. PUF, « Éthique et philosophie morale », 532 p., 39 €.

Des épopées anciennes aux incertitudes contemporaines, tours et détours d’une notion interrogeant les limites de l’humanité.Dossier coordonné par Maxime Rovere