la politique à contre champs

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  • 8/8/2019 La politique contre champs

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    La politique contre champs : Gnalogie des coulissesdes campagnes lectorales comme genre.

    Amar LAKEL, 17 juin 2003

    Quand ARTE programme, le 20 fvrier 2002, heure de grande coute, ledocumentaire de Raymond Depardon, 1974, une partie de campagne, elle sassureune couverture mdiatique dans tous les journaux crits et dans toutes les radiosde France. Cet vnement cathodique, comme tout vnement, tire la puissancede son impact dune dialectique entre originalit et exemplarit. Dune partmerge soudainement un documentaire sur les coulisses de la campagne de Valry Giscard dEstaing, ralis par le plus grand voleur dimages de laquotidiennet, 28 ans aprs sa ralisation, 28 ans aprs son bannissement duvisible par VGE lui-mme. Dautre part, ce documentaire vient bouleverser lagnalogie dun genre nouveau. Valery Giscard dEstaing a vivement aid ladiffusion tlvisuelle dun documentaire dont il possdait les droits mais quilavait jusque-l refus de diffuser. Dans la stratgie du prsident de laConvention sur l'avenir de l'Europe, ce qui pouvait apparatre commedommageable la construction de son image dans lespace de la reprsentationen 1974 devient aujourdhui un objet privilgi de communication politique.

    Saisir lmergence dun genre, cest profiter dune archive circonscrite enpleine gestation. Dans son dveloppement, chaque occurrence documentaire dugenre met nu ses conditions de production du fait des nombreux commentairesqui accompagnent souvent ces OMNI traversant le paysage audiovisuel franais.Nous serions tenter dassocier notre corpus un auteur, Serge Moati. Dans le

    cadre de notre tude, force est de constater que chaque lection depuis 1995 esten effet illustre par une fresque de lauteur. Que ce soit dans les permanences oudans les mutations, Serge Moati est sans aucun doute la colonne vertbrale dugenre. Avec 47,3% : coulisses dune campagne et Jospin 1997 : coulisses dunevictoire, il nous offre les deux premiers volets dun triptyque apologtique deLionel Jospin quil ne terminera pas. Il prfre en effet oprer une modificationdans le genre, passant du portrait intimiste la fresque passionnelle. En 2001, ilralise en effet de nouveau les coulisses dune campagne, les municipales deParis, dans 2001 : la prise de lhtel de villemais en oprant quelques mutationsdans sa narration. Les lections prsidentielles de 2002 sont ponctues, quant

    elles, par des parties de documentaires, prsentes tout au long de la campagne,les Coulisses de campagne, et rassembles dans Tous en scne ou le spectacledune lection. Mais ce qui singularise un genre, cest son autonomie par rapport la crativit dun auteur. Dans le cadre des coulisses, la rptitivit fut assurequasi immdiatement par de multiples auteurs : la conqute de Clichy de quicouvre la campagne de Didier Schuller aux cantonales et municipales de 1996 ;Paris tout prixde Yves Jeulan et Pascale Clark sur les municipales de 2001 Paris, Comme un coup de tonnerreet Partie de Campagne non autorise 1surles prsidentielles de 2002. Inutile de souligner la polarisation thmatique destitres pour justifier la constitution dun nouveau genre qui puise ses inspirations

    1A ce titre, il est intressant de noter que le documentaire fait directement allusion Partie de campagne

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    dans le mouvement de proximit et dintimit quopre une certaine forme demdiation que lon peut qualifier de quotidiennet ou plutt de banalit .

    Pourtant ni la rptitivit, ni la rgularit de ces documentaires ne doitnous induire en erreur et les rduire de simples coups mdiatiques dunetlvision impertinente ou seulement des documents dune nouvelle propagande

    au service dun nouveau personnel politique. Un documentaire comme les yeuxdans les bleus, nous montre que dune part lhistoire mdiatique possde sapropre rationalit et que dautre part la question du genre ne pourrait sesatisfaire dune description technologique. Seule la dfinition dune isotopiestructurale entre signe et rfrent peut nous offrir une dmarche globale qui,dans la ligne de la RhtoriquedAristote, cherche la puissance du discours dansle mariage de la langue et des vrits communes. Lisotopie structurale sappuieau niveau syntagmatique sur une analyse smiologique2 pour dessiner ledispositif dun genre qui saffiche comme une rupture avec la reprsentationinstitutionnelle, et au niveau paradigmatique sur une analyse politique qui vient

    souligner la nouvelle configuration du sens commun dans le champ dun espacepublic en proie une profonde crise de lgitimit. Nous voil donc face uneproblmatique qui peut savrer fconde pour le chercheur en communicationpolitique plusieurs niveaux. Comment ce genre documentaire, qui respecte djune structure que lanalyse interne doit dgager, sest-il constitu si rapidement ?Dans quelle reprsentation de lespace public ces documentaires rencontrent-ilsun public important qui montre chaque mois son engouement grandissant pourune tlvision de lintime ? Quel intrt un homme politique a-t-il inclure ses rvlations dans sa stratgie politique ? En bref, dans la reconstruction de lareprsentation politique quoprent actuellement les Mass Media, quelle lignedirectrice peut-on dessiner travers lmergence dune multitude de genresnouveaux ? ct de lentretien effront et intimiste, charg de reconstruire lesujet politique dans sa banalit et sa sentimentalit (Vivement Dimanche, Levrai journal), il nous faut tudier le genre coulisses dune campagnedans laspcificit de son contrat de communication.

    De notre dmarche danalyse des isotopies, nous esprons relancer leconcept didologie compris comme une reprsentation du rapport imaginairedes individus leurs conditions relles dexistence (ALTHUSSER, 1976). Silidologie est structure comme un langage , lanalyse de genre nous ouvre unecartographie politique des dispositifs mdiatiques contemporains, charge dereproduire notre rapport aux rfrents institutionnels. Ainsi face cette fiction

    du rel , qui sannonce comme une disponibilit absolue pour le temps de laction les auteurs ne faisant que suivre la campagne afin de tout montrer - nousapporterons notre interprtation afin de dgager les trois niveaux de mimesisqui, comme lexplique Paul Ricur dans Temps et Rcit, engagent une certaineexprience humaine, dfinie par une structure symbolique et temporelle, unniveau de narration, dfini par la dynamique du rcit et un contrat decommunication qui engage le spectateur redfinir son rapport lespace public.Les coulisses de campagne comme genre peuvent tre tudies dans ce dispositifnarratif que lon voudrait qualifier, par la suite, d iconoclaste qui, au-del dela rvlation de la reprsentation, se charge de refonder le lien en dtruisant les

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    crans qui nous sparent de la substance. Liconoclastie est un dispositif que lonretrouve dans toutes les histoires didologies politiques. Liconoclaste condamneles effigies dans leur matrialit car elles empcheraient le contact fusionnelentre la substance souveraine et le fidle. Dtruire les icnes quivaudrait restaurer la possibilit dune exprience directe entre les sujets et le souverain.

    Notre tude souhaite souligner les moyens par lesquels les auteurs sengagentdans cette tradition afin de dtruire les oripeaux de la politique-spectacle, pourrenouer avec la plus pure tradition rpublicaine. Il ny a donc nullement rupturedans le contrat communicationnel qui lie les mdiateurs audiovisuels et lesmdiateurs politiques mais rengociation des accords qui attribuent leursfonctions dans la reprsentation de lespace public. Nous tudierons donc cettedynamique iconoclaste par une reconstruction en trois temps qui rvle les troisdispositifs : la dmarche de destruction de la politique spectaculaire, larestauration du lien sympathique avec le candidat par le partage de notrehumanit commune et enfin la refondation de lengagement politique dans la plus

    pure tradition dmocratique.

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    discours journalistique hyper-formalis. La monstration rpte de ces codesgnre cette sensibilit mta-textuelle qui rompt linclusion du sujet dans lediscours. Ce dernier accde au niveau critique a priori du langage.

    Il ny a pas que lapparition des hommes politiques la tlvision qui soitdcrdibilise par sa dimension purement spectaculaire. Notre nouveau statut

    mta-discursif nous donne accs aux loges du thtre politique. Le maquillagedes visages et des mots vient dsubstantifier la communication politique. Larvlation du maquillage de lmetteur, de la performativit purementstratgique du message et de lobjectivation du rcepteur fait voler en clats levoile dignorance ncessaire toute situation de communication endcrdibilisant le sujet du discours dans sa dimension institutionnelle. Lespectateur, se voyant trait comme objet du discours par les tiers mdiateurs,professionnels de la communication, sexclut de son statut de sujet gnr parladresse dune interpellation communicationnelle de premier niveau.

    Regard contre-champ : RvlationPour renforcer leffet de dplacement, les auteurs jouent sur la rvlation

    de perles que seul notre nouveau statut diniti permet de connatre. Toute ladimension du discours institutionnel est explore puis transgresse. Par le statutdes sujets, lobjet de leurs discours, le niveau de langue, les auteurs sattachent nous rapporter les discours inaudibles, le off . Ainsi une multitude de scnes seprsente nous par sa seule fonction de discours infme (sans droit lapublicit). Ce qui aurait t exclus dun documentaire politique classique est icimontr comme un champ dinitiation. Les effets de rel produits par unemultitude de petites sayntes transgressives (dans la dimension discursive),matrialisent un regard nouveau et original, qui vient confirmer notre nouvelleascension.

    Rien ne symbolise mieux la volont de renversement de la position contrechamp que le dos du candidat. La succession des scnes o les sujets, posantdevant un objectif, sont films dans une position symtriquement oppose,produit un ddoublement antagoniste de lespace de mdiation politique. Auspectateur observant la face des candidats par lintermdiaire des prises de vueconventionnelles, on substitue le spectateur initi qui adopte une positionradicalement oppose. Cet effet de miroir dvoile et donc dtruit lui-aussi le

    contrat conventionnel de communication.Cest par ce dplacement du regard que le mdiateur conventionnel devient

    un objet part entire du discours. De cette position de coulisses, on observetoute la machinerie, tous les artifices qui construisent la reprsentationspectaculaire. La monstration ironique des conditions de production du discoursmdiatique vise lartificialit et la technicit dune situation qui a perdu tout sonnaturel. Lhomme politique semble dbord par la technicit qui en a fait son jouet, sa marionnette, entirement soumise ses manipulations les plussaugrenues. Lomniprsence des machineries mdiatiques semble submergerlhomme politique et lenfermer dans des impratifs spectaculaires

    disproportionns au regard de lidal asctique dune dmocratie de proximit,proche de la vie quotidienne et quasi-directe.

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    Cest donc par le jeu de la transgression de lespace et du temps que linitise voit offrir des scnes auxquelles il ntait pas habitu. La prdilection desmissions de radio joue sur la transformation de lauditeur en spectateur - ce quelauditeur lambda ne peut voir, le spectateur initi sen dlecte. Ce dplacementspatial qui sappuie sur la monstration des conditions de production est un

    condens symbolique qui explique largement son omniprsence dans tous lesdocumentaires. La prdilection pour les discours off avant ou aprs lmissionjoue sur le dplacement temporel ou la transgression des limites qui nous donneaccs des types de discours jusque-l inaudibles. Les scnes des prparatifs demeeting jouent ici le mme rle de condens symbolique comme paradigme descoulisses par la transgression spatiale et temporelle. Nous sommes tmoins dellaboration de la machinerie tout en participant aux conversations off , quicommentent les discours officiels.

    Un regard iconoclaste : DcrdibilisationMais les auteurs ne se contentent pas seulement de linitiation, ils

    appellent les spectateurs briser le miroir. Par une critique virulente des acteursde la mdiation, ce sont les professionnels de la communication qui sont viss. Leregard iconoclaste invite briser lespace de la reprsentation qui enferme lasubstance, la rduit et finit par la tuer. La politique en est rduite un spectacleburlesque o le politique est encadr pour ne pas dire enferm dans la logiquemdiatique. Cette dernire devient la responsable de la dcrdibilisation delespace politique. Incarne comme un ensemble de recettes fumeuses, lacommunication est prsente comme une magie qui ne nourrit que ses shamans.

    Lomniprsence de la horde de journalistes dans la campagne forme uncran dense entre le candidat et ses interlocuteurs. Vritable nue dtruisanttout sur leur passage, les journalistes sont peints comme un ensemble parasitaireomniprsent, simmisant partout, imposant leurs conditions, dictant les rglesde lactivit politique. Il sagit ici de la dnonciation du rapt mdiatique de lapolitique. Le journaliste politique apparat comme le paparazzi de la campagnelectorale, rduisant lactivit politique une starisation des candidats. Ainsi niles runions avec les citoyens, ni les institutions politiques ne gardent leurnaturel et leur sincrit. Lomniprsence de la logique mdiatique vide lalgitimit du rfrent. Cest une rfrence directe la critique de la socit du

    spectacle.Le rapt du politique atteint un tel degr que lomniprsence des mdias

    dans la stratgie politique des candidats tourne lobsession. Dans une cltureacheve, un systme circulaire engage le candidat communiquer pour la presseet ne se proccuper du retour de son discours que dans la presse. Aprs Debors,le simulacre baudrillardien est invoqu pour dessiner la dynamique dunerupture. Dans cette dimension mdiatique auto-rfrentielle, la ngation durcepteur/spectateur/citoyen apparat comme lintolrable injustice.

    A de nombreuses reprises, la proximit, voire la promiscuit entre lesjournalistes et les hommes politiques apparat dans des scnes o se dessine un

    lieu commun, o les acteurs mdiatiques sentendent. Le sentiment quunengociation menant une entente dont nous sommes exclus induit lide dune

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    caste charge dassurer sa reproduction par la conservation de son art de lacommunication. Dans un jeu de coersduction, les mdiateurs entament unedanse compromettante dont la dnonciation est devenue un paradigme courantdepuis luvre de Pierre Carles.

    La position critique vire au pamphlet satirique dans des scnes

    danthologie o les professionnels de la communication sont ridiculiss. Lasimplicit de leur thorie, la rduction du discours des icnes publicitaires, lesdbat spcieux sur la valeur dun mot, la couleur dune cravate ou le teint ducandidat, nous effraient et nous font rire, gnrant dans tous les cas un rejetradical de liconologiecontemporaine.

    Mais une fois le miroir bris, lauteur lgitim par la mise mort de lareprsentation nous invite dcouvrir le vrai visage de la politique. Lesacrifice de la part maudite du spectacle fait ici don dune restauration du contrat

    communicationnel. Le lynchage est le moment invitable pour linstitution dunenouvelle communaut, nous aurait expliqu Ren Girard. Cest alors que peutsoprer une dialectique qui plonge sa dynamique dans la plus pure tradition dellection rpublicaine. Entre restauration du lien et bataille politique, les acteurssont la fois proches de nous et exceptionnels. Par ce double jeu de la banalit etde lexploit, les candidats llection se construisent ce double statut qui fait lepropre des systmes reprsentationnels de la Rpublique.

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    La restauration du lienLa restauration du lien est le pralable incontournable pour interpeller le

    spectateur en tant que sujet politique, car cest bien de la crise du politique queces documentaires veulent traiter. La rupture qui spare la socit civile de sa

    reprsentation politique est le cancer de la dmocratie et de la rpublique. Lesauteurs le savent. Sils ont dtruit les crans mdiatiques, cest pour abattre lesbarrires qui nous sparaient de lhomme politique. Alors peut commencer unvoyage initiatique visant nous faire passer de notre tat prsent, nourri dedfiance et de ressentiment, une sympathie, au sens propre du terme, enversles candidats. Nous partageons ainsi un patient travail de restauration du lien etde refondation de la communaut, essentiel par la substance. Le spectateur estinvit entreprendre une dmarche basilicale qui restaurera son identit par lacommunaut grce une mdiation pastorale.

    Le dialogue : la connexionLe constat est invitable : la rupture entre socit civile et homme

    politique est grande. Aller au devant des lecteurs, cest au mieux susciterlindiffrence et au pire le ressentiment. Tout un discours populaire critique etvirulent est invoqu dans la plupart des documentaires. Les sayntesmtonymiques fonctionnent dans les documentaires comme un point de dpart.Qui tes- vous ? Que venez-vous faire l ? Entre le vous et le nous, un abme.Peut-on encore dialoguer ?

    Le citoyen-spectateur nest donc pas absent de cette fresque. Bien aucontraire, sa prsentation forme le point dancrage du discours et lui assure sacaptation. Le doute le dfinit. Il ne croit plus en la politique. Militant de base,syndicaliste, citoyen de passage, il interpelle lhomme politique pour luidemander ce quil est venu faire ici, qua-t-il lintention de faire pour nous. Mmesi les interpellations virent souvent lanathme, elles jouent un double rledinvocation cathartique, car si la critique est nettement reprsente, elle ne virejamais la ngation pure et simple. Dans son cri de colre ou de dsespoir, le sondune requte se fait entendre. La demande prfigurant la possibilit dun liendirect, qui formerait la souche dune dmocratie retrouve.

    La banalit : lidentificationPourtant le vous et le nous peuvent devenir un toi et un moi. Dans un

    mouvement inverse, la distance entre le candidat et le spectateur est rduite nant par des processus didentification multiples. Quand le candidat se lche ,il est un homme ou une femme comme les autres. Les postures dune extrmebanalit, les rats et les maladresses viennent humaniser cette figure afin derompre la fracture de classe (entre le politique et le social). Une dialectiquesamorce entre les accusations de distance que nous portons et le constat delextrme proximit du candidat.

    Le candidat nous est dabord prsent dans son plus simple appareil. Les

    nombreux effets de rel des scnes dune extrme banalit lhumanisentprofondment. La description vise faire disparatre la distance qui nous spare.

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    Lignorance affiche, lennui ou la frugalit, la posture de monsieur et madame tout le monde sont des classiques du genre naturaliste. Aucun spectateur nepeut viter un processus didentification qui plonge ses racines symboliques auplus profond de lidologie dmocratique. Llu lest avant tout de sacommunaut, il doit donc en tre membre lgitime part entire. Il doit partager

    le destin du peuple pour pouvoir prtendre le reprsenter.On ne prsente plus la figure de la femme ou mieux encore de la

    famille du candidat . Le marketing politique en a fait depuis longtemps grandusage. Preuve de la probit morale et institutionnelle du candidat, elle nousassure par lamour quelle lui porte en tant que mari, pre ou grand-pre, desvaleurs humaines quil doit incarner pour prtendre une fonction dontlanalogie domestique ancestrale nous montre depuis longtemps la dimensionpaternaliste.

    Quand le candidat se lche , le carcan explose. Rires, chansons et amitisont des scnes fortes dadhsion o le sourire communicatif nous emporte dans

    un tourbillon fusionnel. Dans un rflexe anthropologique, on adhre lacommunaut du plaisir sans pouvoir se retenir. Mme Jean-Marie Le Pen enarrive faire mentir ladage de Desproges.

    Lhumanit : la compassionMais cette double contrainte est dpasse par la fusion sympathique. Le

    vivre ensemble motionnel emporte bien souvent toutes les rserves. Le doute, ladouleur, la souffrance mais aussi la joie sont des passions dont la force suspend lalogique. Leur puissance de contagion en fait un substrat essentiel de larhtorique politique car elle fusionne lobjet et le sujet, lmetteur et le rcepteurgrce ce rflexe sympathique du fondement de notre humanit.

    La solitude du candidat, la fatigue, les doutes jouent sur un autre registrede la sympathie : la compassion. La fragilit et le dsarroi dsamorcent notreapprhension et nous enjoignent bien au contraire vouloir lui venir en aide. Ceregistre pathtique arrive une seconde efficace dans lhumanisation ducandidat. L encore le candidat se lche en faisant sauter son carcan, mais cestpour nous montrer sa fragilit.

    La dmarche idologique dinterpellation sappuie sur le registre du pathosquelle invoque par les figures de la banalit et de lhumanit. La sympathiecomme technologie fusionnelle est intrinsquement lie (depuis Aristote et sontableau des passions et des dispositions) la rhtorique politique. Ici cest auservice dune identification et dune rduction de la fracture que laffect devient lapossibilit dune restauration du lien politique. Cest pourtant partir dune miseen intrigue des plus romanesques (entirement assume par des auteurs commeMoati) que les coulisses se transforment en une marche hroque dans la plusgrande tradition de lpope. Si le candidat doit convaincre de son appartenance

    la communaut, il ne doit son lection qu son exceptionnelle combativit.

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    La restauration de la souverainet dmocratiqueIl partira seul et arrivera port victorieux par toute la nation. La bataille

    politique est peinte comme une fresque de hros y engageant toutes leurs forces.Dans un mouvement ascensionnel, le candidat, tel Ulysse, quitte ses oripeaux de

    simple candidat pour devenir le chef de tout un peuple. Le mouvement se fait entrois actes : les preuves de slection du candidat au statut de Hrault, lacampagne lectorale o lon voit saffronter les chefs de tous les bastionspolitiques et enfin lpreuve ultime du jugement souverain. A ceux qui rejettentla politique dans une caste homogne, spare de la base populaire par unefracture horizontale, les auteurs opposent une ligne de front verticale engageantdes camps entiers, du gnral de campagne au simple militant. La pondrationdes thmes traits dans nos archives montre que la figure de la bataille hroquedevient prpondrante avec les lections municipales de Paris. Il apparat unesorte de dplacement du centre de gravit dans le genre mme des coulisses, du

    traitement de la quotidiennet vers celui de la pugnacit.Llection du candidat la candidatureLe candidat, pour devenir le Hrault de son camp politique, doit passer

    lpreuve de la candidature la candidature. Avant-premire qui augure dellection, cest auprs de ceux qui le connaissent bien quil doit tre lgitime.Dans un processus dlection dmocratique, chaque parti doit nous envoyer cequil a de meilleur. LActe I est lantichambre de la campagne, le jeu dans le jeu.Les affrontements sont violents, les bras de fer sans concession : il ne doit enrester quun ! Celui qui survivra aura prouv quil possde lart, la force et djune lgitimit entrer dans larne.

    Lmergence du Hrault est avant tout une question de personne. Lacandidature la candidature a ceci de particulier que les opposants ne luttentpas tant sur les ides quils dfendent que sur les qualits quils dvoilent pourles dfendre. Cest par leur pugnacit et leur habilit du jeu politique, par leursqualits personnelles quils se constituent dans lethos de lhomme politique. Ainsi, agressivit et joutes passionnelles mettent en valeur leur comptence guerroyer dans larne politique.

    Outre les qualits personnelles, le candidat tire sa lgitimit de sareprsentativit. Au sein de son parti, il est dj llu dun courant qui doit se

    trouver dans la majorit des adhrents. Dans un premier temps, sa notabilit sejuge la position de ses amis, des noms prestigieux qui le dfendent. Cest de sesfidles et de ses alliances que le candidat peut tirer son droit incarner le parti.Leur engagement est un don qui vient renforcer sa valeur, mais sa popularit estle deuxime indice de sa reprsentativit. Prfiguration dune majorit lective,la base qui lacclame et le hue forme un laboratoire de capacits convaincre leplus grand nombre.

    Enfin llection du candidat (au parti socialiste) fait figure de jeu lectoral.Dans un contexte favorable, les candidats saffrontent dans un simulacre decampagne o ils pourront tester leurs comptences dans une rptition gnrale

    grandeur nature. Les mdias, les meetings, les rencontres decitoyenspermettent de constituer un tour 0 de la grande lection.

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    La bataille lectoraleMais le candidat nest pas seul, il est le hros qui mne la bataille tout un

    camp, qui le suit dans un engagement et une fidlit reprsentant le fondementde sa lgitimit. Dans le rcit de conqute, une description hirarchique tendprogressivement le cadre, de lhomme lquipe de campagne, au cadre du parti,aux activistes, aux militants puis enfin la foule des sympathisants. Par unphnomne de contagion, le mouvement mtonymique assure par louverture duchamp de reprsentation une extension de lengagement, qui ne peut se refermerque sur le spectateur.

    Toute une arme nous est dabord prsente en ordre de bataille. Sur lebranle-bas de combat se dessine la hirarchie des rles dans une configurationmilitaire archtypale. Au sommet, le chef des armes et son conseil (les hommes

    du futur prsident), dcident de la stratgie. Amis, experts et hommesdexprience mettent toutes leurs comptences stratgiques au service dellaboration des plans de campagne. Vient ensuite la runion des officiers destats majors, commandants en chef de leurs troupes respectives. En dessousencore, lintendance suit. Secrtaires et responsables de bureaux, arms de leurstandard tlphonique, surveillent le bon droulement des informations. Enfinlarme des colleurs daffiches, militants engags qui descendent sur le terrain.La mtaphore dune guerre qui nendommage que les amours propres estclairement file.

    Mais dans cette guerre, le chef est aux premires loges de la longue

    campagne de conqute des voix lectorales. Il doit occuper le terrain en arpentanttous les recoins de sa circonscription ; conqurir le cur de chaque lecteur etde chaque spectateur ; galvaniser ses partisans. Il doit enfin frapper ladversaire,encore et encore, et sortir victorieux de chaque bataille. La politique, nous dit-on,est la continuation de la guerre par dautres moyens.

    Le jugement dernierLe dernier acte se termine trs logiquement sur lultime bataille. Celle qui

    engage toute la nation aux deux tours des lections. Mais ce qui se manifestedans le traitement de ce moment dmocratique est le renversement de lasouverainet. Tout ce dferlement de puissance, ce hros entour des meilleursstratges, sappuyant sur les plus comptents, soutenus par les plus fervents,toute cette arme plie le genou devant le jugement du peuple. Cette souverainetabsolue et tragique se rvle dans la dialectique dun vote qui, prcd de larumeur grondante, frappe deffroi ou de transfiguration un hros qui au fil desheures quitte son camp pour se retrouver seul face au destin.

    Du peuple que gronde la souverainet. Point culminant de la campagne etdu documentaire, lannonce du jugement populaire, du vote souverain, vient en

    crescendo au fil des estimations. Les mdiateurs politiques, sondeurs et journalistes, sont lunique voie daccs la vrit dmocratique. Dans une

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    orchestration narrative classique, un compte rebours est lanc, avec commepoint culminantle 20 heures . Il sert de rythmique cardiaque au suspens dela squence. Cette trame temporelle se donne voir par la srialisation desquences clefs : les coups de fil ceux qui savent, les prospections des membresde latelier de campagne, les commentaires des rsultats provisoires. Temps et

    rcit semblent se focaliser sur un point ultime qui acquiert une densit et unecharge extraordinaire.

    Paralllement langoisse des acteurs de la bataille lectorale estproportionnelle leur impuissance. Sur laxe temporel du compte rebours, onassiste au dveloppement de lanxit. Les hirarchies et les diffrences sonttransfigures au cur de latelier. Chaque acteur de campagne est rduit uneattente interminable. La valeur symbolique dune humilit transfigure par latoute puissance du vote souverain est dautant plus forte que la focalisation descadrages se concentre de plus en plus sur le candidat.

    Au confluent des deux courants, celuide la rvlation et celui de langoisse,

    se trouve le candidat solitaire comme point de fuite. Par un mouvement defocalisation, les auteurs condensent dans sa stature la totalit de leur narration.Cette figure rapproche, parfois en gros plan, du visage silencieux mais loindtre muet offre dune part la densit dramaturgique ncessaire lmergencesoudaine du jugement populaire, mais aussi symbolise le processus dereprsentation dmocratique qui de la totalit ne fera quun. La victoire qui mnele candidat seul face au peuple dans la rue ntant que limage dpinal de cettequivalence r-invoque.

    La mtaphore militaire est le plus ancien paradigme de llection politique. RogerCaillois a si clairement montr la nature anthropologique commune entre le jeu,la fte et la guerre, quil nous faut utiliser sa distinction structurale entre sacreet profane, entre chaos et unit, entre guerre et paix pour interprter larestauration cathartique de ces messages politiques. La restauration de ladimension belliciste tente de dfendre lespace politique dune dsaffection quitouche le fondement de sa lgitimit. Linstitution politique nest-elle pasassigne rejouer perptuellement le fondement originel de la communaut ?Cest la thse de Ren Girard, dans la violence et la sacr, qui, dans leprolongement de Roger Caillois, nous rvle une architecture symboliqueprsente dans les grandes ftes de restauration de la communaut : guerre et

    lection/sacrifice.

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    ConclusionPour qualifier leurs uvres, des auteurs comme Serge Moati ou Yves

    Jeulan aiment parler de fiction du rel. Cette dmarche, que je prfre qualifier

    de fiction de la quotidiennet (au double sens, dun temps qui se vit danslinstant et de la banalit des actes), se veut la construction dune reprsentation(au sens de la mimesis de Ricur) de notre exprience du temps dans sadimension spontane. Temps contre rcits, cest le mythe de lauteur transparentde la tradition du ralisme naturaliste qui construit sa mdiation au service de ladomination absolue de son objet. Sil nous est facile de montrer lextrmescnarisation de ces uvres artistiques, il nous faut souligner leur modernit parleur caractre d uvre ouverte . Dans le processus qui relie le ralisateur auspectateur, Paul Ricur (RICOEUR, 1984) et Umberto Eco (ECO, 1985) ontdgag depuis longtemps la triple dimensiondu rcit. Dune part, la construction

    smiologique dorganisation de laction et du temps dvoile la position dauteurcomme systme de production du sens. Dautre part, le contrat de communicationqui invite le sujet-spectateur une dmarche cognitive (logique et affective) lemne au coeur du sens commun. A la base de cette double dmarche, il y alespace symbolique constitu par la sdimentation des genres. Luvre commeinterprtation diachronique, comme travail mta-textuel un niveau n, est unetentative de rapt de laccord du rcepteur.

    Les coulisses des lections comme genre reposent sur un processus derefondation de lespace public comme base de la reprsentation politique. Pourpouvoir proposer cette refondation, les auteurs de ces documentaires se doivent

    de reconstruire la possibilit dune communication mdiatique qui subit, elleaussi de plein fouet, cette crise reprsentationnelle, car bien plus quunehypothtique crise de laction publique, il sagit dune crise de la reprsentationpolitique comme mise distance de la socit civile. Cette crise est le fondement de la position iconoclaste dans les champs de la reprsentation mdiatique etpolitique. La critique virulente de la rduction du politique par les prtres de lacommunication, la monstration ironique dune vampirisation cathodique delacteur politique et de la distanciation, instituent un ailleurs communicationnel,un schme qui offre un nouveau contrat scell par le sacrifice de la politiquespectacle. Par cesacrifice initiatique et institutionnalisant, se fonde un nouveauregard, une nouvelle re de communication politique, un nouveau lieu commun.

    Toute communication nassure sa dimension pragmatique que par laccordpralable du lieu commun discursif, linstitution de la discussion. Mais lapragmatique politique ne seffectue que par la ralisation de la communaut, lacommunion. Ce processus, que Rgis Debray a trs bien analys dans Critique dela raison politique(DEBRAY, ????), consiste en une opration didentification dessujets par divers procds tels que le chant, la mtonymie symbolique (rductionau drapeau, etc), les dfilsLes coulisses sont sur cette dimension une formesymptomatique des nouveaux modes de restauration du lien, car une re quisannonce comme post-doctrinaire, lidologie use de lhumanit (figure banaleet quotidienne de lhomme occidental) comme substrat symbolique, comme

    dnominateur commun de nos expriences o lautre est moi, o je peux trelautre. Processus spculaire dune socit civile devenue narcissique et qui ne

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    supporte plus la distanciation. La restauration du lien se fonde l-encore sur lesacrifice de lidal, car mes Hraults ne sont plus cette figure du sujet de raison,de la vertu et du travail (Professeur, avocat, journaliste, patron), mais unhumain, rien moins quhumain. La lgitimit de ma reprsentation, il ne la tireraque de sa proximit ontologique. Cest donc par le discours de lintime et de la

    proximit, par une reprsentation de la banalit comme miroir narcissique que lemdiateur soffrira la faveur du peuple. Vient enfin le temps de la politique o lecandidat retrouvera son droit la dlgation. Dans la grande traditionrpublicaine, la campagne lectorale se montre comme un jeu de guerre, uneolympiade o les preuves slectionneront le meilleur de la communaut. Maisl-encore le discours usera de son ton intime, de sa proximit pour magnifier lapuissance du spectateur souverain. Lhumilit de ses reprsentants flattera sapuissance souveraine. Le miroir narcissique est dress par un autre. Lanalyse dugenre des coulisses nous mne donc aux frontires des nouvelles conditions deproduction du discours politique. Notre interprtation a voulu clairer, de sa

    position critique, les conditions et le travail de luvre. Qua-t-elle fait ? Unnouveau mta-discours. ? Pas seulement. Dans son tude des nouvelles formes demdiation politique, ellesouhaite sinscrire dans la dmarche propre lthiquede la discussion dmocratique qui problmatise toute prise de parole, toutecommunication dans ses a priori structuraux dune part et dans ses objectifspragmatiques dautre part. Elle veut rompre lvidence du nouveau contratmdiatique que lon nous proposepour ngocier la lgitimit dune constructionde notre ralit politique.

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    Bibliographie :Archives INADEPARDON Raymond(1974),1974, une partie de campagne, ARTE, 20/02/2002

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    22:39:30MOATI Serge(1996), 47,3, coulisses dune campagne, ARTE, 23/01/1996 20:44:04GILBERT Erik(1995), Partie de Campagne, 24 Heures, Canal +, 25/03/1995

    12:37:48SCHNEIDERMANN Daniel (1996),Arrt sur images, La Cinquime, 01/06/1996

    17:59:00MOATI Serge(1997), Jospin 1997 : coulisses de campagne, France 3, 14/06/1997

    22:28:46MOATI Serge(2001), 2001 : la prise de lhtel de ville, 18/04/2001 23:22:58SAUVAGE Pascale et JEULAN Yves (2001), Paris tout prix, les coulisses dune

    lection, Canal +, 24/04/2001 20:35:00SCHNEIDERMANN Daniel (1996),Arrt sur images, La Cinquime, 29/04/2001

    12:31:31MOATI Serge(2002), Tous en scne ou spectacle dune lection, France 3,

    12/05/2002 20:55:54HAUMANT Stphane et LACROIX Frdric(2002), Journal non autoris dune

    campagne, 90 minutes, Canal +, 05/05/2002 21:02:41MEUNIER Stphane(1998), Les yeux dans les bleus, CANAL +, 07.08.1998

    22:39:40MEUNIER Stphane(1998), Les yeux dans les bleus 2, CANAL +, 14.05.2002

    21 :00 :18MEUNIER Stphane(1998), Les yeux dans les bleus 3, CANAL +, 07.09.2002

    12 :30 :58MEUNIER Stphane (2002), Comme un coup de tonerre, France 2, 20.06.2002

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    BibliographieARISTOTE(-), Rhtorique, Le Livre de poche, Paris, Librairie gnrale franaiseBARTHES Roland(1985), Laventure smiologique, Point Essais, Paris, d. duSeuilRICOEUR Paul(1984), Temps et Rcits TI : la configuration dans le rcit defiction, Point Essais, Ed. du SeuilECO Umberto(1985), Lector in Fabula, Le Livre de poche, Paris, Librairiegnrale franaise

    ECO Umberto(1965), Luvre ouverte, Point Essais, Paris, d. du Seuil

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    ALTHUSSER Louis(1976), Idologie et Appareils Idologiques dEtat , inPositions, Paris, Editions Sociales,DEBRAY Rgis ( ????), Critique de la raison politique