la question du foncier agricole en algérie pratiques foncières
TRANSCRIPT
La question du foncier agricole en AlgériePratiques foncières / pratiques sociales
Le cas de Salah Bouchaour (nord-est algérien)
Hayette NemouchiESo-CAEN
UNIvERSITÉ CAEN-BASSE-NoRMANDIE - UMR 6590 - CNRS
2- Les propriétaires résidant hors de la commune à laquelleappartient leur bien foncier
1- La rédaction du présent article s’appuie sur le travail derecherche mené dans le cadre d’une thèse de doctorat àl’Université de Caen-Basse-Normandie, sous la directiondu Pr Robert Hérin, dans le cadre d’un accueil commechercheur associé au sein du laboratoire ESo-Caen del’UMR 6590 du CNRS
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d’identifier les stratégies d’action de cette population à
travers ses modes d’appropriation, d’exploitation et de
gestion des terres agricoles. Ici la question foncière est
inscrite dans une perspective de géographie sociale,
elle ne se résume pas à la relation propriété/ proprié-
taire, mais elle reflète, sans doute, des pratiques socié-
tales plus large donnant, ainsi, un sens aux relations
qui existent entre les agriculteurs eux même, qu’ils
soient propriétaires, simples exploitants, propriétaires
locaux ou encore extra locaux2.
En Algérie, le foncier a une prégnance particulière-
ment forte sur toute l’évolution des campagnes. Dans
ces territoires il y a eu au moins deux grandes ruptures
foncières: rupture lors de la colonisation et lors de l’in-
dépendance. Ceci a donné successivement: des
domaines coloniaux et des domaines algériens puis,
des domaines socialistes, des domaines privés, des
domaines collectifs et des propriétés individuelles.
Cette multitude de formes de propriété ne facilite pas la
tâche aux décideurs qui espèrent toujours homogé-
néiser les structures foncières. Malgré le foisonnement
de lois et décrets concernant le foncier, l’Algérie n’arrive
toujours pas à créer des unités agricoles économique-
ment viables et largement autonomes en matière de
gestion.
Dans une perspective plus large, mon étude tente,
à travers une approche de géographie sociale, de
déterminer le rôle de l’unité agricole dans le mode d’or-
ganisation de la population locale. Comment cette unité
agricole assume-t-elle, encore, ses quatre fonctions :
unité économique, outil de travail, lieu de résidence et
patrimoine familial ?
Le cas algérien est très particulier pour les études
des sciences sociales. C’est un pays dans lequel, la
société a toujours vécu dans des environnements poli-
tiques, économiques et sociaux en perpétuelles muta-
tions, mutations qui visaient à chaque fois la mise en
place d’un nouveau processus de développement éco-
nomique différent du précédent, en engendrant à
Introduction
La présente thèse1 se situe dans la continuité
d’une recherche qui a débuté en 2001 lors de
la réalisation d’un mémoire de fin d’étude à
l’Université d’Annaba (Algérie) pour l’obtention du
diplôme d’Ingénieur d’État en Aménagement du Terri-
toire, option : Aménagement des espaces ruraux. Lors
de ce premier travail de recherche, l’accent était mis sur
la spatialisation de l’information foncière. Á travers une
reconstitution des plans cadastraux de ma zone d’étude
(Salah Bouchaour, nord-est algérien, carte n°1, ci-
après) la complexité de la question foncière est mise en
relief (morcellement des terres agricoles, ambiguïté des
statuts fonciers, miniaturisation des surfaces agricoles,
etc.)
En Algérie, comme dans la majorité des pays afri-
cains, la problématique du foncier devient cruciale. La
compétition pour l’accès aux ressources naturelle, et
plus précisément la terre, augmente sous les effets
conjugués de la croissance démographique, de la crise
du pastoralisme et de l’emprise croissante des poli-
tiques urbaines. Pour des raisons extrêmement variées
et à des degrés divers, le foncier se trouve au centre
des débats et des enjeux qui animent les programmes
d’organisation socio-spatiale des territoires (comme les
plans de développement et d’aménagement des
espaces ruraux et urbains, les plans d’occupation du
sol, etc.)
Ma recherche localisée qui a été menée pendant la
thèse s’est concentrée sur la détermination des diffé-
rents acteurs fonciers dans l’Algérie rurale. L’objectif
consiste, non seulement à confirmer le rôle déterminant
de l’État algérien dans la détérioration de la ressource
foncière, mais aussi à mettre en lumière d’autres
acteurs impliqués dans le débat foncier, dont la popula-
tion visée par les différentes politiques de l’État. Il s’agit
Travaux et documents
La question du foncier agricole en Algérie. Pratiques foncières/pratiques sociales
Le cas de Salah Bouchaour (nord-est algérien)90
mane Bedrani dans L’agriculture algérienne depuis
1966 ou en encore Pierre Bourdieu et Abdelmalek
Sayad dans Le déracinement, la crise de l’agriculture
traditionnelle en Algérie.
Le déterminant politique
Depuis l’indépendance, le déterminant politique a
constamment influé sur la façon dont se pose et se
traite la problématique foncière en Algérie. Du socia-
lisme à l’ouverture vers l’économie de marché, la terre
a constitué la toile de fond de la quasi-totalité des pro-
grammes de développement rural. Après tant de
réformes et de réorganisations agraire Il en ressort
aujourd’hui plusieurs interrogations sur la gestion du
foncier ; interrogations qui portent sur :
• les enjeux politiques et économiques du contrôle
de la terre ;
• les problèmes de maîtrise du foncier ;
• la sécurité foncière ;
• la privatisation et les problèmes de la rente fon-
cière ;
• les rapports hommes/terre.
Les changements politiques ont souvent abouti à
l’établissement de programmes de développement trai-
tant quatre thèmes principaux : l’industrialisation, l’ex-
plosion démographique, l’urbanisation et l’agriculture.
Par conséquent, le dossier du foncier s’est retrouvé sur
le devant de la scène. La réalisation de ces pro-
grammes nécessite une assiette foncière disponible et
bien gérée ; or la rareté du facteur terre et sa mauvaise
gestion, demeurent les caractéristiques principales de
ce capital en Algérie, une situation qui ne peut que blo-
quer la réalisation des objectifs attendus. Actuellement
les prérogatives de l’État algérien vont vers une poli-
tique libérale. Le but serait de stimuler les initiatives pri-
vées d’investissement aussi bien d’origine locale qu’é-
trangère. Cette perspective pourrait être en adaptation
avec l’évolution des systèmes de productions qui ser-
vent à la logique de l’économie de marché. En
revanche, la réalisation de cet objectif risque d’être pro-
blématique à cause des contraintes d’ordre organisa-
tionnel (régularisations judiciaires incomplètes de cer-
tains conflits liés à la terre, absence de suivi et de
transparence des informations liées à la terre, pluralité
des acteurs en matière de la gestion du foncier, etc) qui
bloquent les bonnes volontés et encouragent les pra-
tiques spéculatives et illégales sur la terre.
moyen et à long terme de nouvelles organisations
sociétales. L’Algérie est, aussi, un laboratoire qui
permet de comprendre l’évolution des questions liées à
la terre. Ici, les bouleversements fonciers sont condi-
tionnés aux changements des contextes politiques (de
la nationalisation à la libéralisation du marché de la
terre), économiques (du socialisme à l’économie de
marché), juridiques (de la propriété coutumière basée
sur les prescriptions coraniques à la propriété reconnue
par le cadastre européen) et sociaux, etc.
Le présent article s’articule en deux principales par-
ties :
La première partie expose les différents détermi-
nants de la question foncière en Algérie. Trois facteurs
d’analyse sont pris en compte : l’Histoire, la Politique et
l’aspect socio-économique de la question (modes d’u-
tilisation des terres par la population et le marché fon-
cier) ;
La deuxième partie présente la méthodologie et les
résultats de la recherche localisée. Á travers l’exemple
de Salah Bouchaour, une commune rurale du nord-est
algérien, l’analyse de la question foncière est portée à
l’échelle la plus fine de l’observation.
1- LeS détermINANtS de LA queStIoN foNcIère eN
ALgérIe
Pour une lecture plus contextualisée et dans le but
de mieux saisir la logique que recèle la question de la
terre en Algérie, ma problématique s’articule autour de
trois déterminants relatifs à la question foncière :
Le déterminant historique
Tout essai pour élucider la genèse et les transfor-
mations des structures agraires doit recourir à l’histoire.
Parler de la propriété foncière en Algérie, c’est évoquer
inévitablement tout un processus historique au cours
duquel la terre a été l’enjeu principal et l’objet de choix
politiques, voire idéologiques au cours des grandes
périodes de son histoire: la période pré coloniale, la
période coloniale et la période post coloniale. Chaque
période est caractérisée par un mode spécifique d’ap-
propriation et donc par des formes de propriétés fon-
cières différentes. Á ce sujet, on peut faire référence à
quelques auteurs qui ont consacré leur analyse à cette
histoire foncière de l’Algérie, à savoir : Djilali Benam-
rane dans Agriculture et développement en Algérie, Sli-
3- Wilaya l’équivalent du département en France4- Ici, le « pays » désigne une étendue plus limitée que celledu territoire d’une nation et ses habitants ; synonyme decontrée, le « pays » est défini comme étant un espace géo-graphique homogène qui se distingue de ses voisins par unensemble de caractères physiques et humains différents(Merlin P et Choay F, 2000)
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Le cas de Salah Bouchaour (nord-est algérien)91
2- SALAH BoucHAour, Le cHoIx d’uNe étude LocALe
Salah Bouchaour est une commune située dans le
nord-est algérien, à 25 km de son chef lieu de wilaya3
Skikda (ex Philippeville). L’espace communal s’étend
sur une superficie de 93 Km² et abrite une population
estimée à 25933 habitants (selon le recensement de
1998) soit une densité moyenne de 278 habitant/km².
L’aire d’étude appartient au « pays4 de Skikda » drainée
par la vallée alluviale de l’oued Saf Saf.
La complexité des rapports sociaux qui tournent
autour du foncier invite à opter pour une approche
locale. Dans le but d’obtenir une vision plus précise des
problèmes fonciers, il était nécessaire de mobiliser une
multitude de facteurs d’analyse comme: les modes
d’exploitation des terres étatiques, les modes d’exploi-
tation des terres privées, les transactions foncières
entre particuliers, les partages de l’héritage entre les
membres de la même famille, les relations entre loca-
taires et propriétaire, etc. or, la multiplication des fac-
teurs d’analyse oblige à réduire le champ d’analyse. Ce
qui peut, éventuellement, améliorer la faisabilité et la
pertinence de l’étude. De ce fait, mon terrain d’étude a
été limité à la seule commune de Salah Bouchaour.
Chaque échelle a sa pertinence propre. Il faut faire
la différence entre l’échelle des faits et l’échelle des
effets. La production agricole, la croissance écono-
mique, la pauvreté dans les milieux ruraux, l’exode rural
et la périurbanisation… sont autant d’éléments qui relè-
vent de l’échelle des effets, tandis que les modes de
faire-valoir (direct ou indirect), le morcellement des
terres agricoles, la spéculation foncière, les change-
ments d’usage des terres agricoles, les partages suc-
cessoraux sont autant d’éléments qui relèvent de l’é-
chelle des faits. Les composants de la seconde échelle
produisent les éléments de la première échelle, ce qui
pousse à attacher une grande importance à l’analyse
de l’échelle des faits, qui ne peut être réalisée que sur
de petits espaces.
Le déterminant socio-économique
En Algérie l’aspect socio-économique se situe au
cœur de la problématique foncière. Il a malheureuse-
ment été peu analysé par les études antérieures. Dans
les sociétés africaines ou d’ailleurs, la terre a toujours
constitué la base de l’identité et le principal moyen de
survie. Historiquement, les rapports sociaux se sont
cristallisés autour de la terre. Les dépossessions et les
spoliations dont les populations autochtones ont été vic-
times pendant la colonisation ont été des ferments prin-
cipaux de la lutte de libération nationale. L’importance
économique et sociale du foncier se traduit dans les
formes d’exploiter et d’investir la terre afin de créer les
richesses, garantir la prospérité et développer l’éco-
nomie nationale.
Le cheminement qu’a suivi l’Algérie dans son pro-
cessus de développement socio-économique a poussé
les chercheurs locaux à privilégier certains angles de
vue plutôt que d’autres. Concernant le foncier, l’analyse
a souvent porté sur les structures foncières/structures
agraires. Les réformes agraires ont été fréquemment
critiquées à cause des problèmes structuraux des
exploitations agricoles (taille, disposition géographique,
production agricole, niveau d’équipement, effectif de
main d’œuvre, etc.). Mais les nouveaux comportements
sociaux dans le monde rural n’ont jamais été étudiés en
profondeur.
Aussi deux éléments pertinents pour la compréhen-
sion du système foncier ont été privilégiés dans la
recherche :
Les formes de faire valoir la terre
Comprendre les logiques des pratiques sociales sur
le foncier. Pourquoi on loue ? Pourquoi on exploite soi-
même son domaine ? Ces questions conduisent à iden-
tifier les structures sociales qui composent le monde
rural algérien (propriétaires, locataires, ouvriers agri-
coles…) et la forme organisationnelle qui en découle.
Le marché foncier
Il est nécessaire de porter un intérêt particulier sur
les transactions foncières, qui sont effectuées essen-
tiellement entre les particuliers. En Algérie, ce volet
demeure très peu connu, vu que n’importe quelle trans-
action se fait dans la discrétion et à l’abri des institutions
spécialisées (services des domaines, agences fon-
cières).
Travaux et documents
La question du foncier agricole en Algérie. Pratiques foncières/pratiques sociales
Le cas de Salah Bouchaour (nord-est algérien)92
fondissement et l’articulation du sens de la question
foncière s’appuient sur la consultation de différents
documents (les journaux officiels, les notes et circu-
laires administratives, les rapports d’études réalisés par
des organismes spéciaux comme la Banque Mondiale,
la FAo, par ex.) et des différents travaux scientifiques
sur le domaine. Cette démarche permet d’enrichir l’ap-
proche iniitiale, en s’interessant à différents aspects : la
sécurité et la précarité foncière, la gouvernance et les
modes d’accès à la terre, le développement agricole et
les faits de la mondialisation, le marché foncier et les
effets de la périurbanisation.
Ensuite, un exercice cartographique important s’im-
pose. l’objectif consistait à spatialiser l’information fon-
cière à travers la réalisation d’une série de cartes. Ces
dernières retraçaient l’évolution parcellaire de la zone
d’étude à des différentes dates (1976, 1986, 1988, 2001),
significatives pour l’histoire foncière de l’Algérie rurale.
Les dates retenues correspondent en effet à des
réformes et à des restructurations foncières conçues à
un niveau national, qui ont été appliquées au niveau de
la localité de Salah Bouchaour. Ce volet cartographique
a été complété par d’autres cartes thématiques comme :
la carte des pentes, carte des unités topographique,
carte de l’occupation du sol, etc.
Enfin, l’approche du terrain a constitué la phase la
plus importante de ce travail de recherche. Le but est d’é-
Dans le but d’analyser les différentes mutations fon-
cières qu’a connues l’Algérie, j’ai choisi la commune de
Salah Bouchaour comme terrain d’étude. Mon choix qui
a porté sur cette commune revient aux faits que :
Salah Bouchaour est entièrement cadastrée depuis
2001, c’est une information qui est capitale pour la
réalisation de mon travail de recherche. C’est aussi une
commune qui appartient à une des plus importantes
vallées du nord-est algérien, la vallée du Saf-Saf. Sa
valeur agronomique fait de la commune un espace agri-
cole de grand intérêt.
Salah Bouchaour fut l’objet de différentes occupa-
tions (romaines, françaises) dont chacune a instauré sa
logique et ses modes d’organisation spatiale. C’est
aussi le cas après l’indépendance où l’État algérien
appliqua sur le territoire communal toutes les réformes
agraires successives.
Étant moi-même native de la wilaya de Skikda, je
dispose d’une connaissance assez importante de la
région. Cela m’a aidé à accéder, parfois, aux informa-
tions nécessaires à cette étude.
Salah Bouchaour est donc un exemple très appro-
prié pour cette étude. C’est un cas qui peut être géné-
ralisé sur tout le nord algérien, principalement sur les
espaces qui ont une haute valeur agricole.
Comme tout travail de recherche, une méthodologie
d’approche a été mise en place pour mener cette étude
et répondre aux questions posées dans la probléma-
tique retenue.
D’abord, il y a la recherche documentaire. L’appro- Réalisation : Némouchi H.
Azzaba
El-H
arro
uch
Commune de Zardezas
Commune
d'Elghdir
Commune
de Ramdane Djamel
Co
mm
un
ed
'Em
jez
Ed
ch
ich
e
Commune d'El-Harrouch
0 2 km
Ramdane Djamel
Skikda
Jijel
Faid Enkhal
Djebel Meksen
Village
de Oued Elkassab
Salah Bouchaour
Ramdane Djamel
Skikda
Jijel
Faid Enkhal
Djebel Meksen
Village
de Oued Elkassab
Salah Bouchaour
Zone d'enquête
AgglomérationsCommune
Oued principal et secondaire
Route Nationale
Chemin de Fer
Section
Carte 2 - Espace d'enquête : commune de Salah Bouchaour
du wilaya de Skikda
Carte 1 - le wilaya de Skikda et la commune de Salah Bouchaour
Mer Mediterranée
Skikda
Colo
SkikdaAlger
Tamalousse
Ben Azzouz
Colo
El-Harrouche
Colo
El-Harrouche
Algérie
Ramedan Djamel
Wila
ya d
'An
nab
a
Wilaya de Guelma
Wilaya de Constantine
Wilaya
de Jijel
Tamalousse
Ben Azzouz
0 10 km
El-Harrouche
AlgérieWilayaDaïraCommune
WilayaDaïraCommune
Commune de Salah Bouchaour
Ramedan Djamel
Réalisation : Némouchi H.
Chef lieu de :Limite de :
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La question du foncier agricole en Algérie. Pratiques foncières/pratiques sociales
Le cas de Salah Bouchaour (nord-est algérien)93
mutations des structures foncières de la com-
mune de Salah Bouchaour
Pendant la période coloniale, il a été constitué un
domaine colonial s’étendant sur la moitié de l’espace
communal soit 2254 ha. Ces terres coloniales étaient
exploitées par des unités agricoles de taille variant entre
100 et 200 ha. Le reste de la commune, organisé en
douars, était constitué par des terres Melk pour les
quelles les informations sont rares.
Á l’indépendance, l’assiette foncière de Salah Bou-
chaour (essentiellement le domaine colonial) fait l’objet
de toutes les réformes et les restructurations foncières
entreprises par l’État algérien.
En 1976 (carte n°3), la situation foncière était carac-
térisée par la coexistence de deux types de domaines
agricoles, les Domaines Autogérés et les Domaines de
la Révolution Agraire, qui s’étendaient sur une surface
de 2788 ha. Á ce moment de l’histoire foncière de Salah
Bouchaour, la structure des exploitations agricoles exis-
tablir un contact plus étroit avec la population agricole de
la zone d’étude. Cela a permis de cerner son mode de
vie dans ses rapports avec les modes d’appropriation et
d’exploitation des terres agricoles. Les pratiques sociales
sur le foncier sont mises en relief à travers les nombreux
entretiens effectués, 150 au total (par questionnaires
fermés puis complétés par des entretiens ouverts). Notre
espace d’étude est divisé en 21 sections cadastrales, 13
ont été retenues pour l’enquête.
Ils y avaient deux chapitres importants qui guidaient
les entretiens : les exploitants (en tant qu’acteur foncier)
et les exploitations (en tant qu’unité agricole). Les résul-
tats escomptés sont autant quantitatifs (sexe, âge, super-
ficie des parcelles, nombre d’ouvriers agricole, etc.) que
qualitatifs (mode de faire valoir, conflits fonciers, rapport
lieu de naissance/lieu de résidence, etc.). Il a été effectué
un traitement empirique des données quantitatives et
une retranscription de nombreux entretiens jugés perti-
nents pour la recherche en question.
3
CommuneRouteChemin de ferOued Saf-Saf
Secteur Socialiste
CAP AM Comité de Gestion
Ferme
Secteur de la Révolution Agraire
CAPRA(1ère phase)
HANGAR HANGAR
F.N.R.A
Terres privées
Agglomération chef lieu
CAPRA(2ème phase)
Terres appartenant aux communes avoisinantes
Source : Benbouaziz A. et All(1976) : la vallée du Saf Saf : élément pour une restructuration de l'espace rural
0 1 km
Commune
de Ramdane Djamel
Co
mm
un
ed
'Em
jez
Ed
ch
ich
e
Commune
d'El-Harrouch
Carte 3 - Commune de Salah Bouchaour du wilaya de Skikda : situation de la structure foncière en 1976
Salah Bouchaour
Travaux et documents
La question du foncier agricole en Algérie. Pratiques foncières/pratiques sociales
Le cas de Salah Bouchaour (nord-est algérien)94
la Révolution Agraire par laquelle un certain nombre
d’EAC ont été dissoutes ou réduites en matière de
superficie. Dans la commune de Salah Bouchaour le
nombre des exploitations agricoles du domaine privé de
l’État s’est accru de 48 EAC est passé à 61 et de 10 EAI
à 129 exploitations. La superficie totale des EAC est
passée de 2038 ha à 2312, celle des EAI de 39 ha à
581.
Cette instabilité des structures foncières a
engendré une pluralité des modes d’exploitation tout
en maintenant le morcellement des terres agricoles.
La réalité sociale du foncier agricole de Salah
Bouchaour
Aujourd’hui, la question foncière évolue sous l’effet
des différentes transformations (politiques, écono-
miques, juridiques et sociales) qui touche la société
tantes traduit un état de grand morcellement, en parti-
culier des exploitations agricoles du domaine autogéré.
En vue d’homogénéiser et d’unifier la structure fon-
cière, l’application de l’opération de restructuration de
1981 a donné naissance à six Domaine Agricoles
Socialistes (DAS) sur une surface de 2192 ha, soit 365
ha par unité agricole. Le morcellement des terres éta-
tiques a été diminué mais en 1987-1988 les Domaines
Agricoles Socialistes ont été éclatés pour être réorga-
nisés en Exploitations Agricoles Collectives (EAC) et en
Exploitations Agricoles Individuelles (EAI).
Les six DAS ont été divisés en plusieurs unités agri-
coles (EAC et EAI) avec une moyenne de 36 ha par
exploitation. Après cette grande restructuration (issue
de la loi 87/19), d’autres bouleversements moins impor-
tants ont été opérés au cours de la décennie 1990, à
savoir la loi 90-25 relative à la restitution des terres de
Figure 1 - Des statuts sans cesse remis en cause
.Réalisation : Nemouchi H.
0 1 2 3 M ha
50 000 exploitations
coloniales environ
60 ha/exploitation
Rachat par algériens
2 2000 exploitationscoloniales
120 ha/exploitation
2.7 millions d'ha
2.4 millions d'ha
nationalisés sur colons2 000 domaines
autogérés
1200ha/domaine
1.1 M ha nationalisés surgrands propriétaires2.4 millions d'ha
2 000 domainesautogérés5000 coopératives240ha/coopérative
3.2 millions d'ha (fusion des 2 secteurs)
3 500 domaines
agricoles socialistes
900 ha/DAS
3.1 millions d'ha morcelés24 000 exploitationsagricoles collectives130 ha/exploitation
Restitution auxgrands propriétaires
40 000 exploitationsagricoles collectives60 ha/exploitation
2.1 millions d'ha
165 000 exploitation (?)
15ha/exploitation
1910-1930
Apogée de
la colonisation
1954-1962
situation fin
colonisation
1963-1964Autogestion
1971-1975RévolutionAgraire
1982
Réorganisation
1987-1988Restructurationagraire
1991-1992
Restitution
1995
Privatisation (?)
foncière
Source : COTE. M (1996, p. 58)
AU NIVEAU NATIONAL
AU NIVEAU DE SALAH BOUCHAOUR
358 ha nationalisés sur
grands propriétaires
17 ha donation
2628ha (fusion des 2 secteurs)
2192ha morcelés
Réstitution auxgrands propriétaires
EAI
1963-1964
Autogestion
1971-1975Révolution
1982
Réorganisation
1987-1988Restructuration
1991-1992
Restitution
2009
Privatisation?
1950
pendant la colonisation
agraire
agraire
11 exploitations
205 ha/exploitation
3 domaines
autogérés
751 ha/domaine
3 domaines
autogérés
10 CAPRA
45 ha /capra
6 DAS
365 ha/DAS
48 EAC
43 ha/EAC
61 EAC
28 ha/EAC
coloniales environ
11 exploitations
205 ha/exploitation
3 domaines
autogérés
751 ha/domaine
3 domaines
autogérés
10 CAPRA
45 ha /capra
6 DAS
365 ha/DAS
48 EAC
43 ha/EAC
61 EAC
28 ha/EAC
Quelles Société civiles
d'exploitation agricoles
? combien ha/exploitation
Quelles Société civiles
d'exploitation agricoles
coloniales environ
0 1 000 2 000 3 000 ha
? combien ha/exploitation
Source : Base de données de la Direction des Services Agricole et du cadastre de la wilaya de Skikda, 2001
algérienne contemporaine. Ces transformations pren-
nent de telles dimensions qu’il est nécessaire d’aller
plus loin dans la réflexion sur le foncier.
Par souci de rendre compte aussi concrètement
que possible de la réalité complexe de la question du
foncier agricole en Algérie, 150 enquêtes de terrain ont
été réalisées entre mars et mai 2006. Cette démarche
a mis en évidence les enjeux liés au foncier à travers la
détermination des différents groupes sociaux impliqués
dans la réalité foncière ainsi que leurs logiques d’action.
Les enjeux fonciers renvoient à une relation foncière
fondée sur un rapport social entre acteurs individuels
ou collectifs, relation dictée par des logiques d’actions
diverses: productive, rentière, politique, ou autres. Les
témoignages des différents entretiens effectués avec la
population locale révèlent la réalité sociale du foncier,
telle qu’elle apparait à travers les modes d’accès à la
terre, le marché foncier, les modes de faire valoir ou
encore les conflits fonciers.
Les modes de faire valoir sont traditionnellement
classés en deux catégories principales : les modes de
faire valoir direct et les modes de faire valoir indirect, le
fermage et le métayage. En Algérie les différents débats
sur la question foncière sous-estiment largement la
question des modes de faire valoir des terres agricoles,
qu’elles soient du domaine de l’État ou du domaine
privé. Les discours sont souvent focalisés sur la pro-
priété et les divers droits qui y sont attachés. Le travail
de terrain effectué reflète une autre réalité foncière, une
réalité qui pousse à revoir les règles générales de l’ob-
servation foncière en Algérie. L’espace local de Salah
Bouchaour illustre cette réalité foncière qui traduit une
indissociable réalité sociale de l’espace agricole algé-
rien. Sur un total de 150 exploitations étudiées (tous
secteurs confondus), 35 % sont en mode de faire valoir
indirect, en location. De fait, il semble que cette manière
de céder temporairement le droit de cultiver une par-
celle joue un rôle assez important dans l’ensemble des
dynamiques foncières.
Dans la commune de Salah Bouchaour, la terre
devient un outil de spéculation au centre d’un cercle
vicieux développé essentiellement dans l’informel. La
relation entre l’homme et la terre est dictée par des stra-
tégies purement économiques. Beaucoup d’acteurs y
sont impliqués : les propriétaires privés, les exploitants
du domaine privé de l’État (EAC, EAI), les exploitants
des terres communales, les locataires et les agents des
différents services administratifs.
L’accès à la terre se fait par quatre voies : l’héritage
familial, l’attribution d’un droit d’exploitation des terres
du domaine privé de l’État (pour une durée de 99 ans),
l’attribution d’un droit d’exploitation dans le domaine
communal (un droit d’exploitation qui va faire prochai-
nement l’objet d’un changement en un droit d’appro-
priation) et la cession d’un droit d’exploitation.
conclusion
En Algérie, la terre devient un objet majeur de toutes
les formes de la spéculation. Les pratiques informelles
et les modes de faire valoir indirect tendent à déter-
miner les principaux rapports qui lient l’homme à la
terre. Dans l’espace rural algérien, aucune structure
sociale ni administrative n’est en mesure d’encadrer un
foncier agricole qui est à la fois rare et facilement acces-
sible. Rare du fait de la pression démographique qui
pèse sur la terre. Facilement accessible au vu d’une
multiplicité des modes d’appropriation qui encouragent
des dépassements accentués par la faiblesse de l’en-
cadrement administratif.
La terre est un bien fongible et toutes les exploita-
tions ne sont pas identiques. Elles diffèrent par leur
statut juridique, l’aspect de leur parcellaire et leur
étendue, la valeur agronomique, la disposition par rap-
port aux différentes servitudes, le degré d’influence des
obstacles sur l’exploitation optimale de l’unité, l’impact
de la démographie sur la transformation de la vocation
agricole et les répercussions sur la miniaturisation dese
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o
N° 29, mars 2010
La question du foncier agricole en Algérie. Pratiques foncières/pratiques sociales
Le cas de Salah Bouchaour (nord-est algérien)95
« L’exploitation de ces terres communales devient de plus
en plus dure pour moi. Depuis 7 ans, j’essaie de trouver une
solution à un problème qui complique, justement, la mise en
valeur des terres. Il s’agit d’un problème d’enclavement.
Cette exploitation est maintenant entourée de terres pri-
vées et d’autres attributions individuelles, qui m’empê-
chent d’accéder directement à mon exploitation. Jusqu’à
maintenant je n’ai trouvé qu’une seule solution, c’est payer
mon droit de passage sur les autres terres voisines » (Mr
Hazhouz, 38 ans)
« Notre famille possédait plus de 43 ha de terres agricoles.
Lors de la nationalisation des terres privées, on nous a pris
une grosse surface qu’on n’a jamais récupérée.
Aujourd’hui ces terres qu’on nous aexpropriées ont fait
l’objet d’assiette foncière pour la construction d’un lotis-
sement. On a été indemnisés sous forme d’argent mais la
valeur de ces terres était sous-estimée. Donc même l’argent
qu’on nous a donné ne représente pas la valeur rxacte de nos
terres » (Mr Boudekhana, héritier, 48 ans)
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cessorales. C’est dire que la terre n’est pas un bien
facile à gérer. Les problèmes liés au foncier agricole
sont tellement complexes et entremêlés qu’il est difficile
de les résoudre d’une manière simple et unique.
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96 La question du foncier agricole en Algérie. Pratiques foncières/pratiques sociales
Le cas de Salah Bouchaour (nord-est algérien)