la technologie de l'information au coeur de l'espace de la stratÉgie

346
Université de Montréal HEC Montréal La technologie de l'information au cœur de l'espace de la stratégie L'industrie des services financiers en mutation Thèse soumise pour l'obtention du titre de docteur en philosophie (Ph.D), administration des affaires Albert LEJEUNE Montréal,1993-1994

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Version complète (sauf annexes) de la thèse soumise en 1993 à HEC Montréal pour l'obtention du titre de Ph.D. Administration des affaires

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Page 1: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Université de Montréal HEC Montréal

La technologie de l'information au cœur de l'espace de la stratégie

L'industrie des services financiers en mutation

Thèse soumise pour l'obtention du titre de docteur en philosophie (Ph.D), administration

des affaires

Albert LEJEUNE

Montréal,1993-1994

Page 2: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 2

_________________________________________________________________________

À Gaston et Maggy.

À Danielle et Florence.

À Robert et Ginette.

Table des matières

Sommaire

Chapitre 1 Espace de la stratégie et technologie de l'information 11

Introduction 11

L'intégration technologique 14

L'évolution des solutions de la technologie de l'information 14

L'automatisation des opérations et des transactions 14

L'automatisation des représentations 15

L'automatisation des supports à l'interaction 16

L'architecture de la technologie de l'information 16

La cohésion stratégique 18

Intégrer la structure 19

Intégrer la stratégie 20

Intégrer la culture 20

Travailler l'architecture de l'organisation 21

Problématique 22

La déformation de l'espace organisationnel 22

La vitesse et l'infrastructure technologique ....................................................... 22

L'architecture de la transparence ...................................................................... 23

Habiter ou transiter : le risque d'inertie 24

Contexte 25

Page 3: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 3

_________________________________________________________________________

Les questions de la recherche 28

Première question : 28

Deuxième question : 29

Troisième question : 29

Les besoins stratégiques de l'organisation 29

La relation entre la technologie de l'information et les besoins

stratégiques : l'espace de la stratégie 31

Les propositions de la recherche 32

Première proposition : 35

Deuxième proposition : 35

Troisième proposition : 36

Design et approche méthodologique 36

Importance de la recherche 37

Plan de la thèse 39

Chapitre 2 Trois espaces de la stratégie 41

Introduction 41

Les sources conceptuelles de l'espace de la stratégie 42

La représentation comme acte et comme relation 42

L'espace de représentation de l'architecte ou de l'artiste 43

L'espace de la stratégie 45

La situation de représentation .......................................................................... 46

L'espace de représentation ............................................................................... 46

L'espace de la stratégie .................................................................................... 47

Trois configurations d'espace de la stratégie 47

L'espace vide 47

L'espace programmatique 50

Les liens entre le stratège et l'objet de sa stratégie .......................................... 52

Le lien de projection .......................................................................................... 52

Le lien d'action .................................................................................................. 53

Le lien d'information .......................................................................................... 53

Le contexte de l'espace programmatique ......................................................... 54

L'espace habité 56

Les liens complexes entre le stratège, le contexte et l'objet de la stratégie ..... 58

Gérer le contexte de l'espace habité :légitimité, outils et théories .................... 61

La stratégie et l'espace de la stratégie 66

Page 4: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 4

_________________________________________________________________________

Un parallèle avec les trois modes stratégiques 69

Conclusion 71

Chapitre 3 Le déploiement massif des solutions de la technologie de

l'information 74

Introduction 74

Pourquoi choisir la notion de solution de la technologie de

l'information? 75

La solution de l'automatisation : une première solution de la technologie

de l'information 77

La solution de représentation : une deuxième solution de la technologie

de l'information 78

La dynamique de l'intégration technique : vers la plate-forme intégrée

79

Les formes de concentration des ressources et le mode de gestion de la

technologie de l'information 81

Les problèmes techno-organisationnels induits 83

La fusion des procédés, des activités et des processus 86

Les problèmes de l'automatisation flexible ....................................................... 87

Le cas de l'industrie des services ..................................................................... 88

La confusion des processus décisionnels 89

Les problèmes d'interface dans la prise de décision stratégique ..................... 90

L'acquisition et la diffusion de la connaissance 91

Les problèmes du système expert et du travail coopératif ............................... 91

Les transformations de l'arrimage à la stratégie 93

L'alignement et le support aux opérations 93

L'impact et le mouvement stratégique 94

L'arme de l'automatisation ................................................................................ 95

L'architecture et le comportement stratégique 97

Le lien des solutions de la technologie de l'information avec la

performance 98

L'espace de la stratégie comme espace de changement 99

L'espace vide et les solutions A 99

L'espace programmatique et les solutions R 102

L'espace habité et les solutions I 104

L'exemple du déploiement massif des guichets automatiques 107

Page 5: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 5

_________________________________________________________________________

Conclusion 110

Chapitre 4 Approche méthodologique 112

Introduction 112

Le problème de recherche et la position du chercheur 113

Un problème complexe au carrefour de plusieurs disciplines 113

Un problème flou .............................................................................................. 114

Un problème qui se pose à l'échelle de l'organisation ............................................ 114

Un problème contextuel ..................................................................................... 114

Un problème de nature qualitative ....................................................................... 115

Une approche inductive pour construire une théorie 118

Une approche déductive pour vérifier des propositions 119

Le paradigme de la recherche ............................................................................. 119

Résumé de l'approche de la recherche .................................................................. 121

Le design de la recherche 122

Rappel des questions de la recherche 122

Première question: ............................................................................................. 122

Deuxième question: ........................................................................................... 123

Troisième question: ........................................................................................... 123

Un design imbriqué de plusieurs cas .................................................................... 124

Les unités d'analyse 125

L'organisation ................................................................................................... 126

Les solutions de la technologie de l'information ................................................... 127

L'espace de la stratégie ....................................................................................... 127

La performance ................................................................................................. 128

Les trois propositions de la recherche 128

Première proposition de recherche ...................................................................... 129

Deuxième proposition de recherche ..................................................................... 130

Troisième proposition de recherche ..................................................................... 132

La logique du design de la recherche 133

La validité des construits .................................................................................... 134

La validité interne .............................................................................................. 134

La validité externe ............................................................................................. 135

La fidélité ......................................................................................................... 136

Les étapes de la recherche 136

Page 6: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 6

_________________________________________________________________________

La première étape : la confection des cas sur la relation entre la technologie de

l'information et l'organisation ........................................................................................ 137

La deuxième étape : l'interprétation des cas à partir de la notion d'espace de la stratégie140

La troisième étape : le test qualitatif de l'idée de configuration mixte de technologie de

l'information et d'espace de la stratégie .......................................................................... 148

L'invention, la découverte, l'interprétation et l'explication 154

L’invention ou le design de la recherche 154

La découverte et le codage ouvert 155

La technique de codage des entrevues ................................................................. 157

L'interprétation et le codage axial ................................................................... 158

L'explication et le codage sélectif 158

Conclusion : les composantes du processus de recherche 158

La sélection de l'échantillon 158

Quelles sont les catégories émergentes? 159

Quels sont les événements, actions, incidents qui mènent aux

catégories? 160

Comment les énoncés théoriques ont-ils guidé la cueillette des données?

161

Sur quelles bases des hypothèses ou des propositions ont-elles été

formulées et testées? 162

Dans quelles instances les hypothèses ne rendaient-elles plus compte de la

réalité? 163

Pourquoi et comment avoir retenu une catégorie donnée comme catégorie

centrale? 163

Limites de la recherche 163

Chapitre 5 La banque de l'Est et le dossier des guichets automatiques

165

Introduction 165

L'architecture des affaires 166

La stratégie d'entreprise 167

La réorganisation des activités 173

La technologie de l'information à la Banque de l'Est 176

L'espace vide : une première interprétation de la cohésion et de

l'intégration 182

Page 7: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 7

_________________________________________________________________________

La gestion de l'informatique et le sommet stratégique : un double

espace vide? 183

La dimension politique de l'espace vide 187

La dimension instrumentale de l’espace vide 190

La dimension théorique de l’espace vide 193

Le test qualitatif de la configuration de l'artefact 196

Le profil des entrevues à la Banque de l'Est 202

Conclusion : comment se termine l'espace vide? 205

Chapitre 6 La Banque Métro et le dossier du fichier central client 208

Introduction 208

L'architecture des affaires 208

L'acquisition de la Banque D par la Banque Métro 210

La réorganisation des activités à la Banque Métro 212

La technologie de l'information à la Banque Métro 214

L’informatique à la Banque D, filiale de la Banque Métro 221

L'espace programmatique : une deuxième interprétation de la cohésion

stratégique et de l'intégration technologique 222

Des problèmes à l’interface TI/affaires : le marketing 229

La gestion des applications informatiques dans le domaine des

affaires 230

Une transformation de la façon de travailler 233

Les processus et contenus stratégiques 234

La propriété ..................................................................................................... 237

Le partenariat .................................................................................................. 238

Le réseau ........................................................................................................ 239

L'espace programmatique : une deuxième interprétation de la cohésion

et de l'intégration 239

L'intégration de l'information et du management 245

Vers une configuration de l'interface au niveau des activités 246

La dimension politique en succursale 247

La dimension instrumentale en succursale 248

La dimension théorique en succursale 252

Le test qualitatif de la configuration de l'interface 253

Conclusion 257

Page 8: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 8

_________________________________________________________________________

Chapitre 7 La Banque Mutuelle et les dossiers de la technologie de

l'information 261

Introduction 261

L'architecture des affaires 261

La technologie de l'information à la Banque Mutuelle 267

Vers la configuration des architectes? 269

L'espace habité : une troisième interprétation de la cohésion et de

l'intégration 277

Le profil des entrevues à la Banque Mutuelle 284

Conclusion 285

Chapitre 8 Synthèse et discussion 288

Introduction 288

Retour sur les propositions de recherche 289

Première proposition: 289

Deuxième proposition: 290

Troisième proposition: 290

Les limites de la recherche 290

Discussion autour des guichets automatiques 292

Le guichet automatique comme investissement 293

Le guichet automatique comme solution de la technologie de

l'information 295

Le guichet automatique et l'espace de la stratégie 296

Discussion autour du fichier client intégré 297

Le fichier central client comme investissement 299

Le fichier central client comme solution de la technologie de

l'information 300

Le système d'aide à la décision de groupe 301

Synthèse 303

Le rôle des gestionnaires 304

Les différents contextes organisationnels 304

La notion d'espace de la stratégie face à la réingénierie des affaires

306

L'espace habité et la gestion des micro marchés 307

Et le lien avec la performance? 307

Conclusion : trois types de systèmes d'information stratégiques 309

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Espaces de la stratégie et TI 9

_________________________________________________________________________

Chapitre 9 Conclusion : l'artefact, l'interface et les architectes 311

Introduction 311

La configuration de l'artefact 311

La mise en place d'une plate-forme électronique 311

La configuration de l'interface 313

La relation avec le client contre la retraite vers la technologie 313

La configuration des architectes 315

La pyramide techno-organisationnelle 315

Les transformations de l'organisation 317

Le design dans la configuration des architectes 317

La qualité dans la configuration de l'interface 318

L'efficience dans la configuration de l'artefact 318

Des processus entre les configurations 318

Les déformations du fonctionnement du concept de stratégie 320

La conformation de la fonction informatique 320

La plate-forme : une trajectoire technologique vers un territoire

stratégique 321

La transparence des structures, la fin de la stratégie et le début de la

grande stratégie 322

Vers une nouvelle vision de l'organisation 322

Recherches futures 325

Implications pour la gestion 326

Les conditions de l'oeuvre architecturale 326

Références bibliographiques 329

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Espaces de la stratégie et TI 10

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Espaces de la stratégie et TI 11

_________________________________________________________________________

Chapitre 1 Espace de la stratégie et technologie de l'information

Introduction

Depuis Barnard (1938), Selznick (1957) et Andrews (1971), la mission

organisationnelle est ce concept unique et intégrateur qui définit une identité.

Travaillée et actualisée par les leaders successifs, cette identité offre un sens à

l'engagement des participants, encadre la définition d'un domaine d'activités, structure

une stratégie et projette une image de cohérence dans la société. Des entreprises comme

GE, HP, un groupe comme Matsushita ou la division Saturn de GM illustrent ce rôle

crucial de la mission organisationnelle.

Depuis ENIAC1 en 1941 jusqu'aux plates-formes électroniques intégrant

aujourd'hui le traitement de l'information et la communication à distance, la technologie

de l'information a bouleversé les organisations et questionné leur mission. Des systèmes

de production intégrés basés sur ordinateur aux systèmes de distribution électroniques

reliant directement clients et fournisseurs, en passant par les systèmes de conception

assistée par ordinateur, de vastes applications intégrées forment les nouvelles

fondations des organisations novatrices. Les Anthony (1965), Gorry et Scott Morton

(1970), Wiseman (1985), Scott Morton (ed) (1991) et Keen (1992) ont contribué, avec bien

d'autres, à situer les différentes applications de la technologie de l'information par

rapport à la structure organisationnelle, aux besoins des gestionnaires, à la stratégie et à

l'ensemble organisationnel complexe qu'est une configuration de stratégie, de

structures, de processus et de culture.

Cette évolution technologique rapide semble placer les stratèges devant un

dilemme. Doivent-ils mettre au coeur de la mission la réalisation d'un système

stratégique électronique? Doivent-ils, pour sauvegarder la mission, ignorer la mise en

place de la plate-forme électronique intégrée?

Faire le premier choix, c'est faire des gains de flexibilité en laissant flotter la

définition du domaine d'activités, la stratégie générique mais aussi l'engagement des

participants. À l'extrême de cette position, la mission se trouve définie et incarnée par

le leader technologique, et la vraie planification stratégique devient la planification des

1Le premier ordinateur construit au MIT pour des fins scientifiques.

Page 12: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 12

_________________________________________________________________________

systèmes et de la technologie de l'information. Mais la mission organisationnelle

s'accommode difficilement d'une pression continuelle vers l'intégration technologique.

La légitimité des techniciens s'accroît de façon démesurée, les compétences d'affaires ne

sont plus valorisées, les participants révisent leur engagement :

- «Comme il y a un budget énorme, en hommes et en machines, en

informatique celui qui est là, c'est celui qui a le plus de personnel, le plus de budget. Pour revenir en arrière, c'était l'empire dans l'empire, c'était même... C'était là que ça se passait. C'était lui le décideur. Les autres services, marketing et ressources humaines étaient au service de l'informatique».

[Extrait d'un entretien avec un responsable du marketing d'une banque, février 1991]

Maintenir une mission forte et cohérente, encourager l'autonomie et laisser le

concept de plate-forme électronique intégrée aux concurrents, c'est une autre façon de

résoudre le dilemme. Il faut alors assumer les conséquences d'une architecture

déficiente de l'information :

- «À l'époque on avait des problèmes... bon, on avait des problèmes

internes. Notre système c'était du spaghetti et on avait un problème de réaction. On n'était pas capable de suivre le marché, on n'était pas capable de suivre l'introduction de nouveaux produits et services... Dès que l'on veut changer une caractéristique dans un produit on s'attaque à un monstre et ça coûte une fortune. Donc on s'est attaqué au système informatique pour le rendre plus souple, plus modulaire».

[Entrevue avec un responsable des opérations, février 1991]

Certains gestionnaires de l'ère de l'information sont aveuglés par les gains

potentiels d'une infrastructure électronique intégrée : pour eux, le produit c'est le

système! Ils cherchent d'abord à imposer un système stratégique électronique.

- «Les systèmes jouant un rôle absolument crucial au niveau des

organisations, connaître les opérations c'est connaître le système! Maintenant, c'est ça! C'est ça! Exact! C'est un renversement assez intéressant. Là, l'informatique n'a plus rien, n'a plus rien à justifier!»

[Entrevue avec un consultant senior en architecture des systèmes, décembre 1990]

Pour d'autres gestionnaires, la technologie de l'information, à laquelle ils

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Espaces de la stratégie et TI 13

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entendent peu de choses, ne doit pas questionner l'essence de leur organisation. Dans

leur organisation, l'informatique et la technologie de l'information doivent se limiter à

l'opération des systèmes en place et les responsables des systèmes sont tenus à l'écart

du premier cercle du pouvoir stratégique.

Tous les gestionnaires de haut niveau comprennent ou du moins sentent cette

tension nouvelle entre l'indispensable cohésion stratégique et la nécessaire intégration

technologique. Ils savent que les échanges entre ces deux domaines académiques et

professionnels de la stratégie et de la technologie de l'information sont au centre de la

mise en oeuvre de capacités stratégiques nouvelles dans les grandes organisations

complexes. Mais ils savent également que la contribution des investissements à la

performance financière est rarement au rendez-vous2 et que l'utilisation de la

technologie de l'information comme arme stratégique n'est plus à l'ordre du jour

(Hopper, 1990).

L'intuition de départ du chercheur est que stratégique est maintenant collectif et

que les technologies de l'information peuvent contribuer à construire cet espace collectif

de représentation.

Le but de cette recherche est de contribuer à actualiser, par une recherche

empirique et un travail théorique, la question de la maîtrise stratégique de la

technologie de l'information dans le contexte des années 1990. Il faut pour cela dénouer

- en l'expliquant - cette tension entre la stratégie organisationnelle et la technologie de

l'information. En effet, entre l'unicité de la mission et l'unité de la plate-forme

électronique il n'y a pas un dilemme mais l'exigence de repenser l'espace politique,

instrumental et théorique dans lequel s'énonce et s'implante la stratégie. Cette exigence

passe par la maîtrise d'un cadre conceptuel et d'un vocabulaire permettant aux

gestionnaires de penser en même temps la stratégie et la technologie de l'information.

Nous voulons montrer que la technologie de l'information ne rencontre pas

seulement la stratégie dans l'environnement compétitif de la firme. La technologie de

l'information contribue à transformer le contexte organisationnel par ses outils d'aide à

l'information et à la décision tout en structurant différemment les situations cruciales

qui exigent le partage d'information entre acteurs et décideurs.

Ce chapitre débute par la revue d'éléments de la littérature traitant d'intégration

technologique et de cohésion stratégique. L'exposé de la problématique suit,

accompagné d'une présentation de la notion d'espace de la stratégie. Plus loin dans le

chapitre sont abordés la question, les propositions et le design de la recherche. Enfin

2 (Venkatraman, 1993).

Page 14: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 14

_________________________________________________________________________

l'importance de cette recherche ainsi que le plan de la thèse sont présentés.

L'intégration technologique

L'essence des systèmes d'information de gestion (MIS) a été d'automatiser les

procédures administratives et d'informer le management. Aujourd'hui, les possibilités

d'automatisation sont transformées par la fusion des technologies de l'ordinateur et des

communications. L'automatisation va bien au-delà de l'automatisation des procédures

administratives (l'objet premier des applications MIS) pour inclure l'automatisation des

activités et du management.

Le nouveau potentiel d'automatisation de la technologie de l'information offre

trois types de solutions automatisées : l'automatisation des opérations et des transactions,

l'automatisation des représentations et l'automatisation des supports à l'interaction.

L'évolution des solutions de la technologie de l'information

La technologie de l'information est la fusion, assez récente, de la technologie de

l'ordinateur et de celle des télécommunications. Si l'automatisation a été et est encore

reconnue comme la première finalité de la technologie de l'information, l'ordinateur ne

cesse pas d'évoluer. Conçu à l'origine comme un gigantesque calculateur, le

développement de sa mémoire centrale en fait une machine programmable universelle

tandis qu'il devient déjà un médium de communication organisé en réseau.

Cette évolution technologique et économique de l'ordinateur et de ses

périphériques permet de distinguer trois types de solution de la technologie de

l'information : automatiser, ce sont les solutions A, représenter, ce sont les solutions

R et supporter l'interaction, ce sont les solutions I.

Ces différentes solutions posent des problèmes techniques et organisationnels de

plus en plus complexes. Nous verrons plus loin, au chapitre trois, qu'elles se retrouvent

de plus en plus intégrées dans des plates-formes technologiques.

L'automatisation des opérations et des transactions

Les concepts actuels d'atelier flexible, de machine outil à contrôle numérique, de

fabrication assistée par ordinateur (FAO) ou de (CIM) réalisent l'automatisation des

Page 15: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 15

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opérations (à l'intérieur d'un sous-système d'activités utilisant une technologie définie)

et des transactions (lorsque des frontières technologiques sont traversées) dans les

entreprises manufacturières. De façon analogue, des applications automatisent les

transactions et les opérations dans les entreprises de service, comme les banques et les

assurances.

La caractéristique première de la solution est d'être la solution la plus

technologique : son application élimine un maximum de personnel et son

fonctionnement relève de quelques spécialistes.

L'automatisation des représentations

L'automatisation de la représentation, c'est l'automatisation plus ou moins

complète d'une activité cognitive effectuée habituellement par un manager ou un expert

dans un domaine particulier. Manager ou expert qui, en se représentant mentalement

un problème, cherche à le résoudre.

Ce domaine de l'automatisation des représentations a évolué chronologiquement

depuis la fourniture systématique d'informations générées par les systèmes

d'information de gestion jusqu'au système expert, en passant par le système d'aide à la

prise de décision et le système d'information pour le dirigeant. C'est une progression

continue vers une optimisation de la mémoire et de la capacité d'analyse laissées à la

machine. D'abord complètement extérieur au système qui fournit l'information, le

manager interagit avec ce système pour, finalement, voir tout le processus d'analyse

transféré au système (cas extrême du système expert).

Des solutions automatisées de type regroupent en fait deux catégories

d'applications de la technologie de l'information : d'une part l'outil qui est dans les

mains de l'usager (le SIAD ou système interactif d'aide à la décision, le système expert,

le SIE ou le système d'information pour l'exécutif ou encore le système CAO, le système

de conception assistée par ordinateur) et d'autre part l'effort massif de structuration des

données, des documents et des modèles qui alimentent ces outils comme un fichier

central client ou toute autre application de type . Ainsi l'application fichier central

client exige-t-elle la réécriture de la plupart des grandes applications informatisées de la

banque pour offrir à l'usager (par exemple au vendeur en succursale équipé d'un

système expert pour la vente croisée) une image complète des produits détenus par un

client.

La solution n'est plus une solution purement technologique comme la solution .

Page 16: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 16

_________________________________________________________________________

Les compétences, la motivation et les habiletés de l'utilisateur jouent un rôle

déterminant dans le succès d'une solution .

L'automatisation des supports à l'interaction

L'automatisation des supports à l'interaction désigne la pratique de la

numérisation de la voix, des données et de l'image pour mettre leur transport, local ou à

distance, et leur manipulation par l'ordinateur au service d'un groupe d'usagers en

situation d'interaction. Par exemple, la technologie des réseaux locaux ou à grande

distance permet, en association avec la technologie des commutateurs téléphoniques

numériques, de connecter les personnes, les ordinateurs et les machines. Le courrier

électronique n'est qu'une ébauche rudimentaire du potentiel de ces nouvelles interfaces

organisationnelles; les systèmes d'aide à la décision de groupe illustrent mieux ce

nouveau potentiel.

La solution exige plus que des compétences de bon usager de l'informatique. La

solution dépend des habiletés, des compétences, des motivations et de la culture d'une

équipe ou d'un groupe d'usagers. Ces habiletés et compétences relèvent autant du

domaine de la communication interpersonnelle que de l'informatique.

L'architecture de la technologie de l'information

Les chercheurs commencent à voir du côté des systèmes d'information la cause

de la rigidité et de la lenteur des organisations. Le plus souvent les applications

informatisées ont automatisé le statu quo (Allen et Boynton, 1991) et sont devenues le

principal obstacle à une reconfiguration des processus, des activités et de la structure

hiérarchique. C'est le cas surtout des entreprises occidentales alors que les entreprises

japonaises comptent peu sur des grands systèmes verticaux d'information basés sur

ordinateur (Cole, 1985; Aoki, 1991).

Le projet conjoint de recherche du MIT et de quelques grandes firmes

américaines (Scott Morton, 1991), , fait de l'intégration de la technologie de l'information

le tremplin qui mènera l'entreprise vers une nouvelle conception de ses processus, une

redéfinition de ses réseaux d'affaires et, finalement, une reformulation de sa mission

(Venkatraman : 1991, 1993). Le modèle de Venkatraman est particulièrement

congruent avec cette idée que l'architecture de l'information a remplacé le design

organisationnel, les systèmes de planification et les contrôles financiers comme clé de la

Page 17: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 17

_________________________________________________________________________

conception d'une affaire (Allen et Boynton, 1991).

La mise en réseau des solutions , et de la technologie de l'information se traduit

par une exigence nouvelle : l'architecture de l'information et de la technologie de

l'information dans l'entreprise. C'est la première préoccupation des responsables en charge

des systèmes d'information en Amérique du Nord (Niederman, Brancheau, Wetherbe,

1991).

Plus une organisation multiplie - en plus des types - les types de solutions et ,

plus les facteurs humains, sociaux et organisationnels émergent comme des facteurs à

harmoniser et moins l' de l'informatique centrale constitue à lui seul la source d'un

avantage stratégique. Ainsi les responsables de l'informatique reconnaissent que les

dossiers chauds se situent d'abord à l'extérieur de la fonction informatique et sont plus

de l'ordre de la gestion que de la technologie.

L'architecture technique de la technologie de l'information n'est que la partie

visible de la problématique du déploiement massif des solutions de la technologie de

l'information. En effet, les trois types de solutions , et diffèrent qualitativement des

points de vue de la communication et de leur utilisation.

Du point de vue de la communication - établir un réseau de communication est un

des rôles clés de la haute direction pour Barnard (1938) - les solutions , et se

distinguent aisément. Ce qu'on a appelé, vers 1985, les applications de la technologie de

l'information comme arme stratégique concernait la communication de données entre

ordinateurs ou entre un ordinateur et une interface de saisie de données, c'est à dire des

solutions . En mettant à contribution les individus et le groupe, les solutions et rendent

stratégiques les individus et les groupes en plus des réseaux de communication.

Du point de vue de leur apprentissage et de leur utilisation - l'apprentissage est une

des clés des nouvelles capacités stratégiques (Adler, 1990; Senge, 1990) - les solutions

automatisées , et diffèrent tout autant. La solution est basée sur l'existence d'une

fonction informatique centralisée; à part les opérations de saisie de données qui sont

souvent effectuées par d'autres services sinon par les clients (comme dans le cas des

guichets automatiques), l'informatique prend en charge tout le fonctionnement d'une

solution . La multiplication des solutions et va réduire le rôle de l'informatique à un

rôle de fournisseur d'infrastructures en équipements et réseaux et laisser le

fonctionnement des nouvelles solutions de la technologie de l'information reposer sur

les usagers individuels et sur les groupes d'usagers.

L'architecture technique de la technologie de l'information ne peut donc pas être

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Espaces de la stratégie et TI 18

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envisagée sans une architecture de l'organisation. À l'effort technique3 d'architecture

des applications, des données et des moyens de communication doit correspondre un

effort organisationnel d'architecture des affaires.

La cohésion stratégique

La technologie de l'information exige l'intégration organisationnelle parce qu'elle

automatise - grâce aux solutions , et - des processus transversaux, des représentations

intégrées et des supports multimédia.

Tant à l'intérieur de l'organisation qu'à l'interface entre l'organisation et son

environnement, des processus de conception, de fabrication et de distribution sont

touchés par l'automatisation. L'automatisation de ces processus transversaux (des

activités logiquement reliées comme un cycle de commande) questionne la structure

fonctionnelle des organisations (Aoki, 1991); de la même façon, la pratique des flux

tendus () exige une plus grande coordination ou l'intégration entre les fournisseurs et

l'usine d'assemblage.

Des représentations (par client, par activité, par processus...) de l'organisation et

de son environnement sont maintenant intégrées. L'ensemble de ces données et de ces

modèles intégrés confèrent aux utilisateurs des SIAD (systèmes interactifs d'aide à la

décision), SIE (systèmes d'information pour l'exécutif), SE (systèmes experts) plus de

capacité de réflexion et d'analyse.

Des supports multimédia permettent d'intégrer les documents, l'image, la voix, les

données et le texte dans des séances de travail assistées par ordinateur. La technologie

de l'information intègre ainsi les moyens de supporter l'interaction entre les membres

d'un groupe.

La représentation intégrée d'un client à travers le fichier central client comme la

pratique de la conférence vidéo contribuent à l'intégration organisationnelle. Dans le

premier cas, une solution comme le fichier client intégré fait des employés d'une

succursale bancaire des vendeurs et des conseillers dans la vente d'une gamme intégrée

de produits et services financiers. La vidéoconférence4 permet, par des échanges en

3La première préoccupation technique des responsables de l'informatique est celle de l'architecture technique,

un dossier difficile et . (Niederman, Brancheau, Wetherbe, 1991: 479).

4Chaque magasin Wal Mart (Stalk et al., 1992) est relié au siège social et aux autres magasins par vidéo-

conférence.

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Espaces de la stratégie et TI 19

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temps réel, l'apprentissage à l'échelle de l'organisation.

Ce phénomène d'intégration transforme en même temps la structure, la stratégie

et la culture organisationnelles.

Intégrer la structure

Sous la pression des conditions compétitives actuelles5, la structure

organisationnelle est moins une hiérarchie complète qu'une organisation réduite à son

noyau (, Thompson, 1967) qui se relie, selon les circonstances, à d'autres organisations

pour former des organisations dites . Ce nouveau type d'organisation a recours à de

nombreuses transactions extérieures pour compléter ses activités d'achat, de

production, de mise en marché, de recherche et développement voire même de gestion

ou de support à la gestion.

Cette forme organisationnelle est évidée et éclatée mais réunie dans un espace

informationnel6 unifié dans le temps (communication en temps réel) et dans l'espace

(centralisation au siège social de toutes les données, au besoin à l'aide de satellite

corporatif). La structure organisationnelle se trouve ainsi couplée souplement, par des

alliances, des ententes de franchises ou des entreprises conjointes. Le noyau est relié à

un réseau de fournisseurs, de clients, de sous-traitants ou de concurrents. La lecture de

Porter (1985) éclaire cette réalité, dans la mesure où la structure organisationnelle doit,

selon cet auteur, correspondre à la chaîne de valeur établie en fonction de l'avantage

compétitif recherché.

Quelque part entre le marché et la hiérarchie (Williamson, 1975) le système

réseau devient la véritable enveloppe, la nouvelle frontière qui sépare l'organisation de

l'environnement. La frontière n'est plus organisationnelle (faite de personnes et

5Trois risques objectifs conduisent les organisations à changer leur structure. Pour Child (1987), ce sont les

risques associés à la demande (fluctuante), à l'innovation (accélérée) et à l'inefficience (coûts de production trop

élevés). Ces trois risques demandent, dans l'ordre, plus de rapidité et de cohésion dans la réponse aux modifications

du marché; l'accès aux nouvelles idées et concepts ainsi qu'une grande flexibilité opérationnelle interne, enfin,

l'exercice d'un plus grand contrôle et l'étude de possibilité de sous-traitance de certaines opérations.

Face à chacun de ces risques, la TI ( (Child, 1987)) se qualifie pour offrir de nouvelles structures aux

organisations, depuis la hiérarchie intégrée jusqu'au réseau , en passant par la semi-hiérarchie, le co-contrat, le

contrat coordonné, et les liens de revenus coordonnés.

6Johnston et Vitale (1988), dans un article qui décrit les avantages compétitifs d'un système inter

organisationnel reliant l'organisation focale à ses clients et à ses fournisseurs, proposent d'ailleurs la définition

suivante d'un système (d'information) inter organisationnel ():

(p. 154).

Et reprenant à Cash et Konsynski (1985) une définition qu'ils trouvent simple et utile: .

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Espaces de la stratégie et TI 20

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d'activités spécifiques) mais informationnelle, d'où l'importance cruciale de la sécurité

des systèmes d'information.

Intégrer la stratégie

Dans la vision traditionnelle de la planification stratégique, les objectifs étaient

tout d'abord fixés par le sommet. Aujourd'hui, dans les années 90, la gestion

stratégique ressemble moins à cet exercice de formulation par le sommet et de mise en

oeuvre par les unités d'affaires et les fonctions organisationnelles. Le management

commence à voir les objectifs comme dérivant des capacités de l'entreprise, sur

l'initiative des gestionnaires opérationnels (Adler et al., 1989).

Ainsi dans l'entreprise intégrée, la stratégie se bâtit à partir des activités. Le

comment combattre est en train de prendre l'importance qu'avait le où combattre - le

positionnement. La stratégie est plus une guerre de mouvement qu'une guerre de

position et l'essence de la stratégie est moins la structure des produits et des marchés

d'une compagnie que la dynamique de son comportement. (Stalk et al., 1992).

Dans ce sens, la formulation et la mise en oeuvre de la stratégie sont plus

intégrées aux personnes, aux activités, aux projets et aux processus; la stratégie est

moins ce brillant exercice cognitif de positionnement confié jadis aux technocrates.

Intégrer la culture

Les échanges personnels continus à l'intérieur du groupe, le plus souvent face à

face, font écrire ceci à Vogel (1979), cité par Keys et Miller (1984) : any single factor

explains the Japanese success, it is the group-directed quest for knowledge.

À la manière japonaise, les organisations qui cherchent à bâtir des capacités

stratégiques nouvelles cherchent à installer parmi leurs membres une culture de

l'intégration. Une culture qui devrait favoriser l'échange d'informations et de

connaissances entre différents niveaux et fonctions organisationnels.

Dans cet ordre d'idées, Schein (1988) soutient que la capacité d'innover requiert

l'interrelation des personnes dans l'organisation, ce qui se traduit par une capacité totale

de réseau.

Winograd (1988) et Winograd et Flores (1986) soulignent que ce ne sont ni les

données ni les computations qui sont le de la vie d'une organisation. C'est l'interaction

des personnes travaillant ensemble, maintenant à l'aide de l'ordinateur, qui va amener

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Espaces de la stratégie et TI 21

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cette vie et non le traitement de l'information. L'interaction ou l'action coopérative (ce

qui souligne la jeunesse des idées de Barnard, 1938) fait vivre l'organisation.

Travailler l'architecture de l'organisation

L'architecture des processus et des activités est le signe du nouvel effort de

conception des affaires (Venkatraman, 1991; Davenport et Short, 1990). Le travail de

réorganisation de leurs activités que mènent les entreprises à l'aide de la technologie de

l'information n'est pas sans rappeler les premiers pas du management systématique - à

la fin du dix-neuvième siècle - et du management scientifique - au début du vingtième

siècle (Yates, 1988). À une différence près : un siècle plus tard, l'accent mis sur les

activités de l'entreprise a atteint le coeur de la réflexion sur la stratégie d'entreprise,

principalement avec les contributions largement diffusées de Porter (1980, 1985).

Ainsi, autant la prise de décision au sommet a été au coeur du concept de stratégie,

autant, dans la situation des années 90, la conception revue et ajustée des systèmes, des activités,

des processus, et des projets de l'entreprise doivent conduire notre façon de comprendre le

concept de stratégie.

La stratégie n'est plus seulement cet ensemble de bonnes décisions prises par le

sommet, elle devient le résultat d'efforts multiples de conception revue et ajustée qui

mobilisent des savoirs complexes au niveau des activités. Partout, l'organisation

flexible des capacités et des processus (Davenport et Short, 1990) impose des relations

interfonctionnelles étroites, un plus grand savoir-faire dans la gestion de projets

(Wheelwright et Clark, 1992), une direction bien arrêtée, mais un itinéraire ouvert, un

fort leadership au sommet et une plus grande capacité du management à gérer la

complexité (Child et al., 1991), la technologie et le temps (Stalk, 1988; Bower et Hout,

1989).

La stratégie d'entreprise n'est plus cette constante recherche intellectuelle du

avec l'environnement mais elle devient l'habileté à définir et à faire les bons choix au

niveau des technologies efficaces, des activités nécessaires, des processus judicieux -

pour lutter contre les délais et anticiper le changement environnemental.

L'architecture devient le paradigme de la gestion intégrée des activités par ceux

et celles qui y sont directement impliqués-ées. C'est structurellement, stratégiquement

et culturellement le paradigme de l'organisation horizontale (Fortune, 1992) face à

l'organisation pyramidale.

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Espaces de la stratégie et TI 22

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Problématique

Dans un premier temps, il faut réfléchir à partir de quelques contributions

d'architectes, d'urbanistes ou de sociologues de l'architecture. À nos yeux, ce qui arrive

aux grandes organisations complexes n'est pas très différent de ce qui arrive aux

grandes villes occidentales : comme l'espace de la ville, l'espace de l'entreprise est

transformé.

Dans un deuxième temps, il faut réfléchir à l'organisation des années 90 qui doit

mobiliser des savoirs et des compétences complexes pour répondre dans un temps très

court aux exigences particulières des différents clients.

La déformation de l'espace organisationnel

La ville avait jadis des murs, une frontière et un centre. Aujourd'hui la ville est

un lieu dense traversé en tous sens d'infrastructures de transport et de communications.

Ses frontières ont disparu; la ville est devenue un étalement urbain7. Son centre a

disparu, il est partout et nulle part.

Cette transformation de l'espace urbain - ou organisationnel - peut être abordée

par les notions de vitesse, d'architecture et de comportement humain.

La vitesse et l'infrastructure technologique

Examinons tout d'abord la vitesse des activités et des échanges économiques.

Dans la ville, les infrastructures de transport et de télécommunications soutiennent la

volonté des décideurs d'atteindre l'instantanéité. Téléphones, télécopieurs, réseaux

d'ordinateurs, autoroutes urbaines et satellites contribuent à une organisation de la ville

en temps réel; dans la ville, comme dans l'entreprise, la notion de file d'attente devient

anachronique.

Dans l'entreprise également, la vitesse est devenue la capacité stratégique clé.

7 Entrevue au journal Le Devoir de M. Claude Pichette, président du Groupe de travail sur Montréal et sa

région, le samedi 6 mars 1993.

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Espaces de la stratégie et TI 23

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On bat le concurrent en bouclant un cycle de conception - production - distribution

dans un temps plus court; en éliminant des coûts d'inventaire par l'approvisionnement

et en prenant les décisions en temps réel ou presque. Dans cette recherche de la vitesse,

l'organisation par processus () est la nouvelle idée qui guide le design d'une

organisation pensée pour la vitesse.

L'architecture de la transparence

Dans la ville déformée par ses infrastructures de vitesse se développe

l'architecture de la transparence.

L'architecture urbaine devient transparence plutôt qu'apparence (Virilio, 1984b,

1991). D'immenses façades vitrées reflètent le bleu du ciel comme le mouvement des

gens et des véhicules. L'architecture n'est plus cet art classique de l'apparence

signifiante. La transparence des buildings de la ville moderne symbolise la vitesse

absolue des électrons dans les réseaux informatiques comme la vitesse des photons qui

traversent les parois vitrées.8 L'art de la transparence indique le rôle nouveau de

l'architecture des systèmes et de la technologie de l'information.

La vitesse absolue des télécommunications bouleverse également l'espace

organisationnel et transforme la notion d'architecture de l'entreprise. L'entreprise avait

jadis des murs, une frontière et un centre opérationnel. Dans le nouvel espace créé par

la vitesse des électrons, l'architecture classique des structures devient elle aussi

architecture de la transparence :

«Notre travail, c'est d'aplatir le building et de mettre les murs à terre. Si nous faisons cela, nous verrons que les gens viendront avec de nouvelles idées pour les problèmes que l'organisation doit résoudre. Mais une idée ce n'est pas une idée avec un grand . C'est un système de facturation qui ne connaît pas d'erreur!» déclare Jack Welch (Fortune, 1990).

Les conséquences contingentes de la technologie de l'information sur la ville ou

sur l'entreprise sont radicalement nouvelles. Dans les organisations complexes, les

stratèges au sommet qui ont été formés dans des structures basées sur les produits, les

marchés ou les fonctions, doivent décider maintenant de l'architecture de la technologie

8Il arrive souvent que le siège d'une compagnie qui abrite des ordinateurs adopte la transparence comme

architecture. À Montréal, l'immeuble IST qui borde l'autoroute métropolitaine est typique; en Belgique, le siège

international de SWIFT, le centre mondial de commutation des messages bancaires, présente une partie centrale

complètement transparente. Le même thème graphique de la transparence servait récemment à illustrer une

couverture du magazine Business Week sur l'entreprise virtuelle.

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Espaces de la stratégie et TI 24

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de l'information. L'architecture de l'information devient la condition de la flexibilité

organisationnelle.

Habiter ou transiter : le risque d'inertie

L'habitant de Tokyo utilise un système d'adresse bien particulier qui vient

éclairer - une fois de plus - les différences entre la culture japonaise et la culture nord-

américaine.

«Ce que l'on indique n'est pas le nom de la rue (les rues n'ont pas de

nom), ni le numéro dans la rue (il n'y en a pas); c'est le nom du quartier (machi ou chô), suivi de trois numéros qui se rapportent respectivement à la section de quartier, à l'îlot et à la parcelle. Les deux derniers numéros ne correspondent pas à un ordre logique mais à un ordre pratique, celui dans lequel le terrain a été bâti».(Berque, 1982 : 124)

Le système social japonais est aussi un système spatial particulier. Il a permis

aux entreprises japonaises de connaître une flexibilité peu commune tout en dominant

les Occidentaux pour la vitesse de leur cycle de conception - production - distribution.

De la même manière que les habitants des cités japonaises qui ne comptent pas

sur les noms et les numéros de rue pour s'orienter, les entreprises japonaises comptent

peu (Cole, 1985) sur les ordinateurs et les systèmes d'information verticaux. En lieu et

place, elles comptent sur les capacités d'apprentissage et d'auto-organisation des

habitants9.

Par exemple, une firme comme Toyota semble d'abord reposer sur des capacités

sociales d'organisation et de circulation de l'information plutôt que sur une

infrastructure électronique :

«Cette structure (d'information) est caractérisée par la rapidité des

communications internes, nécessaire à une adaptation coordonnée aux chocs globaux (ceux qui surviennent sur le marché) et à une réaction décentralisée aux chocs locaux, de façon à en minimiser les conséquences sur l'ensemble du système. Il ne fait pas de doute que la qualité de ce système d'information dépend en grande

9Berque commente ainsi cette spécificité spatiale : «La logique de cet espace n'est pas celle de l'observateur,

fût-il le voyageur ou le Prince : c'est celle de l'habitant. Ce n'est pas la rue, espace venant d'ailleurs et menant

ailleurs, qui impose aux lieux habités son nom et son ordre numérique : le nom comme le numéro se rapportent aux

lieux habités, dans l'ordre où ils ont été habités. L'habitant y vit en tant que tel, non pour qu'un regard extérieur le

trouve.» (Berque, 1982 : 124).

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Espaces de la stratégie et TI 25

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partie des capacités (intellectuelles) de traitement de l'information des ouvriers»(Aoki, 1991 : 53).

L'espace de l'entreprise japonaise - pour ce que nous en connaissons par des

auteurs comme Aoki, Nonaka, Pascale... et beaucoup d'autres - est habité par

l'employé, l'ouvrier et le cadre.

L'entreprise occidentale - particulièrement l'entreprise nord-américaine - tend à

devenir un espace plus radicalement technologique que l'espace de l'entreprise

japonaise. L'entreprise nord-américaine semble rechercher la vitesse par

l'investissement en technologie de l'information : dans cet espace, les personnes sont

conviées à transiter, pas à habiter.

«On ne peut pas comparer l'homme qui dort dans un TGV ou dans un

Concorde à l'homme qui prend la mesure d'un territoire comme un Marco Polo ou un d'Aboville traversant le Pacifique à la rame. Cette inertie naissante dans la révolution des transports est devenue globale avec la révolution des transmissions.» (Virilio, entrevue au journal , 28 janvier 1991, p.2)

L'organisation envahie par la technologie de l'information permet - sur papier -

la décentralisation, l'initiative locale et l'adaptation rapide. Paradoxalement, elle

pourrait devenir un lieu d'inertie. Dans ce nouvel espace où il suffit de transiter pour

arriver, (idem). Or, la stratégie ou l'oeuvre stratégique est ce qui (Charnay, 1990 :

9). Depuis des siècles, la notion de stratégie est ce qui vient transmuter l'homme pour

réaliser l'oeuvre. La technologie de l'information, et le risque d'inertie qu'elle contient,

nous amène-t-elle dans un espace déformé qu'il nous sera impossible d'habiter? C'est

cette question de la technologie, de la stratégie et de l'espace que nous voulons

examiner dans cette recherche.

Contexte

Un environnement changeant laisse peser des menaces sur l'avenir des banques

(Bryan, 1988) tandis que les nouveaux venus sur la scène des services financiers (des

courtiers comme Merrill Lynch, des géants de la distribution comme Sears, ou des

géants de l'automobile comme GM) semblent se réserver, aux États-Unis et de plus en

plus au Canada, toutes les opportunités (Sippel, 1989).

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Espaces de la stratégie et TI 26

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Au Canada, et plus spécifiquement au Québec, nous pouvons commencer à saisir

la tâche qui attend les managers en mentionnant le défi du décloisonnement, le défi de

la déréglementation, le défi des produits substituts, le défi de nouveaux produits et le

défi de nouveaux canaux de distribution.

Les perspectives actuelles du décloisonnement au Canada favorisent une offre

de produits intégrés répondant aux besoins financiers d'un client particulier.

Accompagnant le décloisonnement de l'offre des services financiers, la

déréglementation en cours au Canada a favorisé l'arrivée de banques étrangères et la

formation de conglomérats conçus pour offrir des produits et des services financiers

intégrés.

Pour Sippel (1989), c'est l'arrivée de produits substituts qui pèse le plus sur

l'évolution du chiffre d'affaires et du bénéfice des banques aux États-Unis.

L'augmentation rapide du papier commercial () en circulation a frappé durement le

crédit commercial bancaire. Les banques doivent récolter leurs profits non plus sur de

la marge entre les taux exigés pour les prêts et ceux accordés pour les dépôts, mais bien

des frais exigés pour chaque produit et service offert à la clientèle, à la manière de la

banque américaine Citibank. Cette problématique des produits substituts se vérifie

également dans le domaine des plans d'épargne ainsi que de l'assurance générale et de

l'assurance-vie.

La banque doit être capable de traiter de lourdes activités de convenance

(transactions traditionnelles des consommateurs) et de les automatiser pour pouvoir

orienter son personnel vers un effort sans précédent de vente et de conseil. C'est vers

l'offre de nouveaux produits (une grande banque canadienne offre dans les années 90

plus de 200 produits et services) incorporant une part importante de services en conseil

que semble s'orienter l'industrie bancaire en Amérique du Nord. Le consommateur

recherche en effet des produits de haute qualité et parfaitement adaptés à sa propre

planification financière. Les entreprises engagées dans l'offre de produits et services

financiers se doivent ainsi de relever les défis de la segmentation par une connaissance

scientifique du marché. La conception de produits et de services intégrés et

sophistiqués, la différenciation de ces produits et services face à ceux de la concurrence,

et la distribution efficace des produits et services de commodité ou de conseil

expriment cette nouvelle problématique des produits bancaires.

Une banque qui a un actif d'environ 40 milliards de dollars dépense

annuellement quelque 250 millions de dollars en informatique; dans les années 80, elle

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Espaces de la stratégie et TI 27

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occupait dans cette fonction plus de mille personnes. À ces frais d'opération et

d'entretien de l'informatique, s'ajoutent les coûts liés au développement de nouvelles

applications. Le président peut voir apparaître sur son bureau des projets de

développement de 20, 50 ou 100 millions de dollars.

Après avoir été convaincu dans les années 80 de l'importance stratégique de la

technologie de l'information, le président d'une banque dans les années 90 s'interroge

légitimement: où sont passés les bénéfices promis de l'informatique ?

S'il consulte les meilleurs spécialistes et il se fera dire que la technologie de

l'information a tellement envahi toute l'organisation que c'est l'organisation - envahie

par la technologie de l'information - qui devient stratégiquement la formule gagnante.

Il doit apprendre à aligner, dans une même cohérence, les affaires et la technologie de

l'information.

Dans le modèle d'alignement qu'on lui présente (voir la figure 1.1.), la notion

d'architecture est cruciale. Le président doit articuler une architecture d'affaires pour

tirer profit d'une architecture de la technologie de l'information, et réciproquement. Du

côté de l'architecture d'affaires, on doit concevoir les produits et les services,

l'organisation, les processus et le management, l'allocation des ressources et la culture;

du côté de l'architecture de la technologie de l'information, il faut concevoir les

applications, les données et le réseau, les standards et les interfaces, l'organisation et les

habiletés dans le domaine de l'informatique, le management et les processus de

l'informatique ainsi que le niveau du financement.

Comment aborder ce puzzle architectural?

Le message des experts semble être le suivant : continuez à automatiser en

utilisant la technologie de l'information et veillez à intégrer les dimensions de

l'organisation.

Plus vous automatisez, plus vous posez la question de l'architecture de la

technologie de l'information et plus vous intégrez l'organisation, plus vous faites de

l'architecture organisationnelle (voir Nadler et al., 1992). C'est le contexte

caractéristique des organisations complexes des années 90.

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Espaces de la stratégie et TI 28

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Figure 1.1.

PLATE-FORME D'AFFAIRES

PLATE-FORME DE LA TI

ARCHITECTURE D'AFFAIRES

ARCHITECTURE DE LA TI

La dérivation d'architectures à partir de plates-formes existantes1

Source : John Henderson, , dans InSide, Vol.VI, no 47, November 28, 1990.

Cette notion d'ajustement réciproque des affaires à la technologie de

l'information au moyen de l'architecture est un paradigme intéressant. Il repositionne

la question du système d'information stratégique dans un univers bien plus vaste qui

est celui d'un bon ajustement des architectures d'affaires et de la technologie de

l'information. Les contributions de Keen (1992), de Venkatraman (1991, 1993), de

Nadler et al. (1992), etc. vont dans ce sens. Du point de vue de la structure, c'est un

paradigme qui vient corriger la représentation classique de la pyramide

organisationnelle.

Les questions de la recherche

Notre recherche vise à observer, à décrire et à théoriser la relation entre des

solutions de la technologie de l'information et les besoins stratégiques de l'organisation.

Trois questions peuvent illustrer de façon plus précise nos objectifs de recherche.

Première question :

Existe-t-il une relation entre le déploiement massif d'une application de la technologie de

l'information et les besoins stratégiques de l'entreprise?

La première question reflète ce que nous savons aujourd'hui de l'impact de la

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Espaces de la stratégie et TI 29

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technologie de l'information sur les organisations. Le lien de causalité entre des

investissements en TI (technologie de l'information) et la performance financière de

l'organisation est incertain (Senn, 1992; Earl, 1992) et il faut plutôt chercher à

comprendre l'enjeu ou les enjeux stratégiques du déploiement massif d'une ou de

plusieurs solutions précises de la technologie de l'information. Nous cherchons à

qualifier la relation qui permet à un déploiement de la TI de modifier une architecture

des affaires dans le sens de la cohésion stratégique et de contribuer ainsi à la

performance.

Deuxième question :

Est-ce que cette relation nous permet de mieux saisir, de mieux apprécier, le

développement moderne d'avantages concurrentiels et le rôle qu'y joue la technologie de

l'information?

Cette deuxième question porte sur notre compréhension de la relation entre un

déploiement massif de la TI et une architecture d'affaires dans l'atteinte et le maintien

d'avantages concurrentiels dans un secteur industriel.

Troisième question :

Est-ce que la relation observée entre un type d'application de la technologie de

l'information et les besoins stratégiques de l'entreprise est liée à la performance?

Cette troisième question porte sur l'effet d'une relation donnée entre un

déploiement de la TI et une architecture d'affaires sur la performance financière, de

positionnement ou d'innovation.

Les besoins stratégiques de l'organisation

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Espaces de la stratégie et TI 30

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Dans les années 90, la cohésion entre la TI et les affaires relève d'une organisation

plus intégrée et moins cloisonnée souvent qualifiée d' . En fait, il ne s'agit pas d'opposer

une nouvelle forme géométrique à la pyramide mais bien de lui opposer une forme

vivante - comme l'arbre illustré à la figure 1.2. - où les individus ne sont plus seulement

des organisés mais des organisants. Des organisants10, car leurs contributions

définissent une structure, une croissance, un développement stratégique et culturel.

Figure 1.2.

Deux paradigmes de la cohésion stratégique

Dans l'organisation dite horizontale, les individus deviennent plus organisants

qu'organisés mais l'exigence de cohésion demeure. Il faut que les systèmes, les

produits, les projets et les processus restent cohérents en même temps que les individus

s'organisent de façon plus autonome. Pour cela, il faut qu'ils partagent beaucoup plus

que des normes formelles, il faut qu'ils partagent des théories sur l'organisation, qu'ils

utilisent des outils compatibles, qu'ils partagent le pouvoir et la légitimité.

La métaphore de l'arbre s'oppose à celle de la pyramide d'abord pour des raisons

d'exposition à l'environnement (figure 1.2.). La logique de la pyramide est, par rapport

à l'environnement, une logique de fermeture étanche alors que les feuilles de l'arbre

cherchent une exposition maximale à la lumière, ce qui renverse l'exercice du pouvoir.

10L'expression d'organisant est utilisée par Le Moigne (1986).

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Espaces de la stratégie et TI 31

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Dans la pyramide, le pouvoir est au sommet; dans l'arbre le pouvoir existe à partir du

tronc, qui est unique comme l'est le sommet de la pyramide. Dans l'arbre, le pouvoir est

une énergie qui doit se propager pour nourrir les branches (les projets...) et les feuilles

(les organisants). Dans la pyramide, le pouvoir est souvent morte pesanteur.

Pour un certain nombre d'auteurs, la planification stratégique est en perte de

vitesse. Par quoi est-elle remplacée? Par des stratèges qui communiquent mieux, plus

vite et plus fréquemment; par plus de stratèges et par des stratèges qui créent dans leurs

interactions des connaissances nouvelles. Dans des entreprises qui veulent satisfaire

les besoins de leurs clients11, le secret de la stratégie en train de se faire a quitté les

grands exercices de contenu stratégique pour reconfigurer l'espace de représentation de

la stratégie.

Les besoins stratégiques et leurs cotollaires structurels et culturels sont au coeur

de la transformation de l'entreprise des années 90.

La relation entre la technologie de l'information et les besoins stratégiques : l'espace de la stratégie

La technologie de l'information doit être comprise dans le paradigme de l'arbre;

du moins pour les organisations novatrices des années 90. La TI n'a plus comme rôle

premier d'automatiser et de porter directement la stratégie mais bien de supporter les

organisants dans leurs efforts de conception ajustée de l'organisation.

Il faut - c'est un postulat de la recherche - que les organisants partagent un espace de

la stratégie. Il faut fournir aux membres de l'organisation un espace pour réinventer

l'organisation; il faut bâtir un espace de la stratégie cohérent avec les exigences de

l'architecture des affaires et de la TI. Comment l'habitant pourra-t-il s'approprier le

nouvel espace conçu par les spécialistes? Comment l'oeuvre stratégique reste-t-elle

possible dans ce qui pourrait n'être que la planification de l'inertie?

La pertinence de la notion d'espace de la stratégie est précisément là, à l'interface

entre les deux architectures des affaires et de la TI.

La notion d'espace de la stratégie est choisie parce que l'entreprise des années 90

est confrontée à des défis compétitifs majeurs : mondialisation de la concurrence,

innovation technologique accélérée, fluctuation de la demande, déréglementation,

11voir B. Joseph Pine II, , Boston (Mass.): Harvard Busines School Press, 1993.

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Espaces de la stratégie et TI 32

_________________________________________________________________________

compétition tant au niveau des coûts que de la qualité. Ces défis obligent l'entreprise à se

transformer en mobilisant des savoirs et des compétences toujours plus spécialisés. Plus que

jamais le management et l'ensemble des membres d'une organisation sont mis à

contribution pour concevoir ou revoir la conception des systèmes, des procédés et des

produits - et ultimement des structures - dans un contexte économique difficile. Les

nouvelles exigences de la gestion stratégique sont autant des exigences d'acquisition et

de développement de savoirs et de compétences multiples que la mise en place d'un

espace de la stratégie adapté à cet effort de conception des systèmes, des procédés et des

produits.

La stratégie était - et reste le plus souvent - l'apanage de la haute direction;

l'espace de la stratégie est le concept des organisants, le concept de celles et ceux qui

développent, avec leur savoir et à leur niveau, des systèmes, des processus et des

produits.

Les propositions de la recherche

Divers auteurs en gestion ont déjà comparé le stratège qui mène une organisation

à un architecte : architecte du dessein d'une organisation pour Andrews (1980) ou

architecte social pour Bennis et Nanus (1985).

Comment le stratège conçoit-il une stratégie ou résout-il un problème? En

atteignant, par un processus itératif de recherche, un état de connaissance suffisant qui

va transformer la structure de l'espace de représentation du sujet en complétant un

réseau de noeuds d'états de connaissance.12,13

La solution se développe dans un espace de représentation en fonction du dessein () de

l'individu, de la façon dont il s'est représenté l'environnement dans lequel sa tâche doit

s'accomplir et des caractéristiques qu'il est prêt, par culture, expérience ou formation, à

12 (Davis et Olson 1985:243). 13Décrivant le travail de l'architecte, Lebahar (1983) définit un problème comme la nécessité devant laquelle

se trouve un sujet de transformer l'état d'une situation donnée. Il décrit avec beaucoup de finesse les opérations de

réduction effectuées par l'architecte, en partant des données, des contraintes et des demandes du client, depuis sa

première esquisse, jusqu'au plan final. Une réduction d'incertitude qui progresse à travers des grammaires

graphiques de plus en plus fermées: de la topologie à la géométrie projective, pour arriver à l'espace euclidien. On

s'approche des définitions de la stratégie organisationnelle proposées par Mintzberg et Waters (1983): la stratégie

est, à différentes étapes, position (topologie), perception (géométrie projective), et plan (espace euclidien). L'idée de

est propre à l'observateur extérieur qui cherche à reconnaître un artefact stratégique (intentionnel ou émergent) dans

le développement, dans le temps, d'une organisation (Mintzberg et Waters, 1982) ou d'un groupe d'organisations

(Miller et Friesen, 1984).

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Espaces de la stratégie et TI 33

_________________________________________________________________________

attribuer à l'artefact.14

La littérature en stratégie traite des forces et des faiblesses d'une face aux

opportunités et aux contraintes de son . Cette notion d'espace de représentation limitée

cognitivement aux capacités du stratège ne semble plus adaptée à une situation

nouvelle dans laquelle tous les savoirs et les compétences doivent être mobilisées pour

faire face à une complexité croissante dans l'entreprise. Il nous faut étendre cette notion

d'espace de représentation de la stratégie au-delà du stratège au sommet.

Un sociologue de l'architecture, Raymond (1984), met au centre de son ouvrage15

la société comme productrice d'un espace de représentation social qui est à concevoir

comme source, à travers l'histoire, de l'espace de représentation de l'architecte.

Mais qu'est-ce que l'espace de représentation de l'architecte? C'est en même temps

une légitimité sociale codifiée par un pouvoir16 (la légitimité de représenter), un ensemble de

procédés de techniques et de pratiques, et un complexe d'outils et de formes mentales aptes à la

représentation.

Cette notion décrit alors un ensemble comprenant : 1. la légitimité de

représenter, 2. les outils concrets de ce travail de représentation (exemples : les outils

d'un peintre, toile, peinture et couleurs à une époque donnée) et 3. les théories qui sous-

tendent ce travail de représentation (exemple : la géométrie projective pour le peintre

de la Renaissance).

Raymond (1984), sociologue de l'architecture, utilise une typologie en trois points de

ces espaces :

Dans l'espace vide, le concept de stratégie et la légitimité appartiennent au

sommet. Dans cet espace, la technologie de l'information vient se substituer au travail

humain tandis que les contributions du management intermédiaire et du personnel sont

faibles :

-«Au contraire la succursale ne se sentait même pas... elles ne se sentent

même pas responsables (des guichets automatiques) : c'est un bidule qui est dans le sas d'entrée, qui n'appartient même pas à la succursale... Ils voient une compagnie qui vient le remplir puis qui disparaît, il faut envoyer des enveloppes le soir et puis balancer ça... ça ne leur appartient pas. Même... ils n'ont même pas à

14 Le sens des travaux de Simon et Newell (1972) nous indique que la solution est générée dans un espace

de représentation individuel. Un espace collectif de représentation peut-il exister et générer des solutions collectives

à des problèmes communs? C'est sans doute le plus grand bénéfice d'une culture organisationnelle efficace et

transparente. 15 Voir Raymond (1984): . 16 Ceci peut être illustré par une des communications faites lors du congrès international tenu à Montréal en

mai 1990. Il s’agit d’un Moscovite, Viacheslaw Glazychev:

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Espaces de la stratégie et TI 34

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nettoyer, à enlever les papiers, tout... Ils ne se sentent pas responsables jusqu'à tant que la vice-présidence responsable de la succursale décide que chaque succursale soit évaluée sur la propreté, sur la qualité du service, et sur les guichets! »

[Extrait d'un entretien avec un responsable des systèmes informatiques d'une banque, décembre 1990]

Dans l'espace programmatique, les légitimités sont bousculées pour remettre sans

cesse en question l'ajustement réciproque de l'organisation et de l'environnement. Dans

cet espace, la technologie de l'information vient proposer des outils puissants pour

produire de l'information :

-«Les succursales qui sont le plus aux prises avec un marché féroce

voient qu'elles ont de plus en plus besoin d'avoir un plan stratégique. Donc de ne plus gérer à l'oeil, mais d'avoir une stratégie arrêtée. Avoir des plans d'action, mettre dans le coup le personnel et y aller de façon très organisée. Alors ce qu'elles veulent, c'est une base de données qu'elles vont pouvoir exploiter elles-mêmes.»

[Extrait d'un entretien avec un responsable des opérations d'une banque, février 1991]

Dans l'espace habité, le leadership est partagé, la stratégie est un consensus

émergent et des valeurs sont partagées pour faire face aux chocs de l'environnement :

[Extrait d'un entretien avec un responsable du marketing d'une

banque, mars 1991] «Alors ce que ça veut dire aussi, comme le changement n'est pas planifié

complètement pour l'ensemble de l'organisation, ça devient quelque peu de la déstabilisation, du déséquilibre, des essais et des erreurs. On essaie de trouver un meilleur fonctionnement qui nous permette d'y faire face.»

[Extrait d'un entretien avec un responsable des opérations d'une banque, février 1991]

Selon notre compréhension du phénomène, la relation entre le déploiement

massif d'un type d'application de la technologie de l'information et les besoins

stratégiques de l'entreprise se construit dans un espace de la stratégie de façon à former

avec cet espace une configuration cohérente. Nous dérivons de ce point de départ trois

propositions de recherche.

Comme indiqué à la figure 1.3., la recherche doit aborder des notions

Page 35: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 35

_________________________________________________________________________

d'intégration technologique, de cohésion stratégique, d'espace de la stratégie et de

performance.

Figure 1.3.

AFFAIRES

INTÉGRATION TECHNOLOGIQUE

COHÉSION STRATÉGIQUE

TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION

architecture

plate-forme plate-forme

architecture

ESPACE DE LA

STRATÉGIE

PERFO RMANC E

Le domaine de la question de recherche

Première proposition :

Les solutions de la technologie de l'information visant l'automatisation des activités et

des procédés et l'espace de la stratégie vide forment une configuration cohérente qui favorise la

réduction des coûts.

Deuxième proposition :

Les solutions de la technologie de l'information visant la représentation et l'espace de la

stratégie programmatique forment une configuration cohérente qui favorise le positionnement de

l'entreprise.

Page 36: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 36

_________________________________________________________________________

Troisième proposition :

Les solutions de la technologie de l'information visant l'interaction et l'espace de la

stratégie habité forment une configuration cohérente qui favorise la capacité d'innover.

La notion d'espace de la stratégie nous propose les premières catégories utiles

pour comprendre les changements : la légitimité de représenter une stratégie, les

outils de cette représentation et la théorie qui sous-tend cette représentation.

Ces catégories seront-elles pertinentes et suffisantes pour décrire les

transformations des organisations que nous avons observées? Ce sera au lecteur d'en

décider.

Les trois questions de la recherche ont guidé un travail de revue de la littérature

en gestion stratégique pour situer les contributions classiques et récentes par rapport

aux trois espaces de la stratégie : l'espace vide, l'espace programmatique et l'espace

habité. Un résumé de ce travail constitue le deuxième chapitre de cette thèse. La

réponse à chacune des questions de la recherche passe par un examen approndi de ces

trois propositions de départ.

Design et approche méthodologique

Pour répondre aux questions de la recherche, trois entreprises appartenant au

même secteur des banques et des services financiers ainsi que trois solutions de la

technologie de l'information ont été retenues.

Parmi les solutions A qui automatisent une ou des tâches (des solutions de

substitution au travail humain), nous retenons le guichet automatique; parmi les

solutions R qui automatisent partiellement des représentations, nous choisissons le

fichier central client; et parmi les solutions I qui automatisent partiellement des

interactions entres acteurs et décideurs, nous retenons le système d'aide à la décision

pour le groupe. Ces trois dossiers technologiques sont typiquement - à leur début - des

solutions A, R ou I.

Page 37: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 37

_________________________________________________________________________

C'est à partir de revues spécialisées comme Banking World (voir le numéro de

décembre 1988 sur la banque du futur; voir également The Bankers Magazine,

Bancatique etc.) et d'une série d'entrevues préparatoires sur le terrain que nous avons

choisi ces trois solutions de la technologie de l'information. Lors d'une de ces

rencontres en 1990, un gestionnaire de l'informatique nous a confirmé que les dossiers

des guichets automatiques et du fichier central client représentaient 80% des efforts de

développement de l'informatique de la banque. Le choix des systèmes d'aide à la

décision pour le groupe est un choix qui n'a jamais été confirmé sur le terrain comme

étant un dossier allant faire l'objet d'un déploiement massif.

Les modifications politiques, pratiques et théoriques de l'espace de la stratégie

ont été étudiées à travers l'étude de cas pour la période des années 80. Durant les

années 1986-1990, l'étude de cas a consisté en de multiples rencontres et entrevues avec

des gestionnaires et des consultants concernés par les dossiers de la technologie de

l'information que nous étudions.

Les trois organisations ou institutions retenues pour la recherche (la Banque de

l'Est, la Banque Métro et la Banque Mutuelle) sont observées au cours de la décennie

1980 à l'aide des rapports annuels, des journaux d'entreprise et autres documents

internes.

En 1991, des entrevues en profondeur ont été systématiquement menées avec

une dizaine de vice-présidents de l'informatique et du marketing dans les trois banques

retenues pour la recherche. Ces entrevues ont été enregistrées, transcrites, codées

systématiquement et analysées en parallèle avec les données générées par l'étude des

cas.

Importance de la recherche

Une telle recherche pourrait aider la haute direction à mieux comprendre

l'organisation intégrée. Les développements de la technologie de l'information

entraînent les organisations vers des tendances nouvelles (Rockart et Short, 1989; Stalk,

1988) comme une très grande interdépendance entre l' et l', plus de travail en équipe,

une organisation en réseaux, un contrôle stratégique des activités et cycles rapides de

production. Tout ce phénomène d'intégration, même s'il est complexe, reste observable.

Ce qui est tout aussi complexe mais moins observable, c'est le nouveau fonctionnement

du concept de stratégie : pourquoi la planification stratégique est-elle en perte de

vitesse? Pourquoi les stratégies génériques sont-elles plus ambiguës? Pourquoi tant de

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Espaces de la stratégie et TI 38

_________________________________________________________________________

stratégies sont-elles émergentes? Pourquoi l'organisation semble-t-elle compter plus sur

les initiatives des intervenants et moins sur les grandes stratégies issues du sommet?

Quel est maintenant le vrai rôle stratégique de la haute direction? Fabriquer une

architecture intégrée des systèmes? Une culture de l'initiative? Des structures

autonomes?

L'organisation questionne nos a priori sur le leader qui définit la mission, le

personnel spécialisé qui écrit le plan et les acteurs qui le mettent en oeuvre.

Une telle recherche pourrait également aider la haute direction à transformer le

potentiel de la technologie de l'information en favorisant un espace de la stratégie

habité. Un espace de stratégie habité peut se définir par ses qualités d'émergence de

stratégies, d'autonomie locale et de grande légitimité des personnes engagées dans des

opérations qui exigent des savoirs complexes.

Dans l'organisation intégrée où les équipes de travail sont appuyées par de

multiples applications de la technologie de l'information, l'émergence de projets

stratégiques et de stratégies nouvelles est encore plus nette qu'à l'époque où Bower

(1970), Minzberg (1987), Burgelman et Sayles (1987) faisaient ces observations. Dans les

banques, par exemple, les responsables de l'informatique et de télécommunications

peuvent devenir les véritables stratèges de la distribution, en contrôlant, depuis les

opérations pilotes jusqu'au déploiement massif, les guichets automatiques et les

terminaux de points de vente.

L'organisation intégrée se sert ainsi des technologies de l'information pour mieux

servir le client et rehausser ses standards de qualité. En cherchant à mettre le client au

coeur de sa raison d'être, la grande organisation crée de nouvelles légitimités. La

satisfaction du client confère à tout le personnel - et spécialement celui qui est contact

avec le client - une nouvelle importance.

Il nous faut finalement tenter de comprendre et de faire comprendre pourquoi,

au plan économique, les investissements massifs dans l'intégration des plates-formes de

la technologie de l'information ne peuvent pas être justifiés mais relèvent de paris sur le

futur. Pour Hopper (1990), le responsable des technologies de l'information chez

American Airlines, le système de réservation Sabre (une solution A) n'est plus un

système stratégique17. Mais, à ses yeux, de nouvelles applications deviennent

stratégiques : le système Yield Management (solution R) d'analyse des données de

17«In this new era, information technology will be at once more pervasive and less potent/.../ Within their

companies, [managers] will focus less on developing stand-alone applications than on building electronic platforms

that can transform their organizational structures and support new ways of making decisions.» (Hopper, 1990: 118).

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Espaces de la stratégie et TI 39

_________________________________________________________________________

réservation et la plate-forme intégrée InterAAct (solution I) qui va offrir une interface

standard et des facilités de communication globale à tous les employés d'American

Airlines.

Ce que la recherche pourrait apporter comme contribution au plan théorique,

c'est une rencontre entre la stratégie et les sciences cognitives. La centralisation

structurelle et l'organisation taylorisante du travail faisaient de la grande organisation

des cinquante dernières années un espace de la stratégie vide. Vide parce que le diktat

du sommet suffisait à orienter l'organisation.

L'organisation des vingt dernières années, dans un environnement plus

complexe et plus ouvert, a fait des experts de la planification les nouveaux grands

prêtres de l'organisation et a programmé l'espace de la stratégie. L'espace

programmatique est basé sur la fabrication du plan, à travers une représentation

systématique de l'organisation et de son environnement.

Les organisations des années 90 qui innovent et connaissent le succès sont le plus

souvent des organisations qui se basent moins sur le plan que sur une multitude

d'employés stratèges. En réorientant les structures vers l'autonomie, les légitimités vers

l'initiative, les directives vers l'interprétation locale, c'est un nouvel espace de la

stratégie qui apparaît : un espace habité.

Ainsi l'organisation intégrée est-elle en train de transformer le concept de

stratégie. La première conséquence de cette rencontre entre la stratégie et les sciences

cognitives serait de contribuer à redéfinir le concept de stratégie non plus dans le sens

d'une représentation centrale des forces et des faiblesses, des opportunités et des

contraintes (Andrews, 1970) mais bien dans le sens d'un couplage (Varela, 1991) - qui a

des qualités émergentes - entre individus stratèges.

La densité et la qualité de ce couplage entre stratèges pourrait bien être la clé de

la bonne cohésion entre l'architecture des affaires et l'architecture de la technologie de

l'information.

Plan de la thèse

La thèse est présentée en quatre parties : la première partie, la problématique,

contient les chapitres 1, 2 et 3; la deuxième partie, l'approche méthodologique,

comprend le chapitre 4; la troisième partie, les résultats, se compose des chapitres 5, 6 et

7 où chaque chapitre décrit une des trois organisations étudiées; la quatrième partie est

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Espaces de la stratégie et TI 40

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formée d'un chapitre de synthèse, le chapitre 8, et de la conclusion au chapitre 9.

Le chapitre 2 expose les sources conceptuelles de la notion d'espace de la

stratégie. À partir d'une revue de la littérature en gestion stratégique, les trois espaces

de la stratégie, vide, programmatique et habité, sont systématisés.

Le chapitre 3 revient sur les types d'application de la technologie de l'information

dans leur relation avec les besoins stratégiques de l'entreprise. Les solutions qui visent

à automatiser, représenter ou supporter l'interaction sont présentées ainsi que les modes

d'arrimage à la stratégie comme l'alignement, l'impact ou la construction systématique

d'une plate-forme de la technologie de l'information.

Le chapitre 4 présente la méthodologie des cas retenue pour l'entrevue et les

contributions à l'étude de cas de l'entrevue en profondeur et du codage qualitatif.

Le chapitre 5 résume sous forme de cas un ensemble de données qui fait de la

Banque de l'Est, une banque qui orientait beaucoup des investissements en technologie

de l'information vers la réduction de ses coûts à l'intérieur d'un espace vide jusqu'à une

période récente de réorganisation.

Le chapitre 6 propose de cas de la Banque Métro qui est très orientée vers la

confection d'une offre globale et sur mesure au client des services bancaires et

d'assurance. Dans la banque, l'espace programmatique est prédominant et ce qui est

d'abord recherché, c'est le positionnement à travers certaines applications de la

technologie de l'information.

Le chapitre 7 est consacré à la Banque Mutuelle qui est sous plusieurs aspects

une synthèse des deux premiers cas, sans compter que sa structure largement

décentralisée favorise un espace habité et des applications de support aux interactions

entre acteurs et décideurs.

Le chapitre 8 présente une synthèse de la recherche à partir des applications et

des organisations observées tandis que le chapitre 9 propose, au-delà des résultats

immédiats de la recherche, des pistes de recherche et de réflexion pour le gestionnaire

et le chercheur.

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Espaces de la stratégie et TI 41

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Chapitre 2 Trois espaces de la stratégie

«Dans un sens, programme et stratégie

s'opposent absolument :le moment programmatique et

le moment stratégique s'excluent l'un l'autre. Mais dans

un autre sens, ils se succèdent, se combinent, se

complètent l'un l'autre. Tout processus vivant constitue

en fait un mixte variable de stratégie et de programme.

»

Edgard Morin, 1980 : 225.

«Se donner un problème est une activité aussi

étrange que des activités telles que courir au-devant des

coups, se jeter dans la gueule du loup, creuser sa

propre tombe, etc. . . »

Normand Lacharité,1986 : 37.

Introduction

Ce chapitre commence par exposer la notion d'espace de représentation tel qu'utilisée en

sciences cognitives depuis Newell et Simon (1972), en sociologie de l'art par Francastel (1970) et

en sociologie de l'architecture par Raymond (1984).

La notion d'espace de représentation est ensuite adaptée au contexte organisationnel sous

le vocable d'espace de la stratégie. Dans quel espace le stratège au sommet structure-t-il une

situation pour la réduire à un petit nombre de problèmes cruciaux18? Pour répondre à cette

question, il faut considérer un ensemble de dimensions politiques (la légitimité du stratège),

instrumentales (les outils du stratège) et théoriques (les théories qui sous-tendent l'action du

stratège). Nous nous proposons de revoir certaines contributions de la littérature en gestion

stratégique autour de trois configurations d'espace de la stratégie :l'espace vide, l'espace

programmatique et l'espace habité. Pour chacun de ces espaces types, nous discutons la façon

d'y concevoir la stratégie et de la mettre en oeuvre.

Ces différents types d'espace de la stratégie sont commentés et mis en relation avec le

concept central de stratégie et celui de mode stratégique (Mintzberg, 1973).

En conclusion nous soulignons les points essentiels qui font de la notion d'espace de la

stratégie une notion importante pour comprendre l'organisation des années 90.

18Voir Rumelt (1979: 199): «A principal function of strategy is to structure a situation - to separate the

important from the unimportant and to define the critical subproblems to be dealt with».

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Espaces de la stratégie et TI 42

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Les sources conceptuelles de l'espace de la stratégie

La notion d'espace de représentation est propre aux personnes engagées dans un travail de

création, dans un travail de design. Herbert Simon, dans son ouvrage «The Sciences of the

Artificial», définit l'activité de design dans ces termes :«Everyone designs who devises courses of

action aimed at changing existing situations into preferred ones » (1969 :129).

Cette activité de design, propre aux ingénieurs, aux médecins, aux peintres, aux

architectes, aux managers et aux stratèges, procède d'une seule logique :la découverte d'options

différentes de façon à répondre aux critères du design.

Ce processus de recherche de solutions, de choix et de mise en oeuvre est un processus

continu, car si ce processus commence dans un contexte particulier (idée de «starting point»19

chez Simon) chaque pas dans sa mise en oeuvre crée une nouvelle situation, elle-même nouveau

contexte dans lequel se renouvelle l'activité de design.

Pour Simon, arriver à la construction d'un artefact respectant tout les critères d'un design

est d'abord affaire de représentation :«/. . . /solving a problem simply means representing it so as

to make the solution transparent» (Simon 1969 :153).

L'activité de design nous mène donc rapidement à considérer le concept d'espace de

représentation qui est en même temps la représentation interne de l'environnement de la tâche

utilisée par le sujet et la représentation, par le sujet, des changements et transformations possibles

de l'environnement de la tâche.

La représentation comme acte et comme relation

Imaginons un modèle public, par exemple un schéma publié dans une revue académique.

19 Dans les mots de Simon explicitant l'idée de «starting point»: «The real result of our actions is to establish

initial conditions for the next succeeding stage of action» (Simon 1969:187).

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Espaces de la stratégie et TI 43

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Figure 2. 1.

La représentation

Ce modèle pourrait être une équation ou un schéma proposé par un savant atomiste pour

décrire le réel atomique. Ce modèle est l'artefact d'une chose réelle. À partir de ce modèle, un

lecteur, un autre chercheur, peut créer sa propre carte mentale de la chose réelle en reliant le

modèle à sa propre carte mentale de la chose. La représentation (Lacharité, 1987) est en effet un

processus social - les acteurs communiquent des aspects de leur carte respective - et un acte. Le

modèle devenu carte mentale peut inciter le chercheur à agir sur la chose réelle, par exemple au

moyen de l'expérimentation (voir la figure 2. 1. ).

Cette introduction à la notion de représentation, inspirée de Bunge (1983), est importante

car elle situe le sujet comme un acteur et comme être social. La représentation, comme acte et

comme relation, est à distinguer du paradigme du traitement de l'information (Bunge, 1983)

parce qu'elle considère le stratège comme un acteur social plutôt qu'une cible bombardée

d'informations. Le stratège est un acteur compétent dans des domaines complexes du savoir; à

ce titre, il doit souvent agir comme concepteur de système, de procédé, ou de produit. Il agit,

comme l'artiste, dans un espace de représentation.

L'espace de représentation de l'architecte ou de l'artiste

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Espaces de la stratégie et TI 44

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Un détour par quelques ouvrages traitant de l'architecte, de l'art et de l'architecture

(Francastel (1970), Raymond (1984), Bofill (1989), Le Corbusier (1937), Bourdon (1971),

Lebahar (1983), Virilio (1984)) nous a permis d'étendre cette notion d'espace de représentation.

Prenons l'exemple de W. A. Mozart tel que proposé dans le film «Amadeus».

Figure 2. 2.

L'espace de représentation

Trois éléments de contexte déterminent le degré où le génie de Mozart a pu se réaliser; le

degré où l'artiste a pu représenter dans la réalité la carte mentale qui l'habitait. De ce contexte

dépendaient sa légitimité, des outils et des pratiques, ainsi que des théories et des idéologies

concernant la musique.

Mozart, aux ordres de l'empereur et au service de Salieri, ne peut pas écrire et jouer sa

musique sans avoir acquis ou reçu le pouvoir de la représenter. La notation de la musique, la

définition des gammes, la méthode d'écriture, la capacité et la sonorité des instruments vont

définir le contexte pratique dans lequel Mozart va composer. Finalement l'apostrophe de

l'empereur à Mozart («Il y a trop de notes dans votre musique!») indique l'existence d'une théorie

de la musique qui définit comment, pour la cour de l'époque, la musique devrait «sonner» (voir

la figure 2. 2. ).

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Espaces de la stratégie et TI 45

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L'espace de la stratégie

Appelons maintenant l'espace de représentation du stratège, l'espace de la stratégie.

Figure 2. 3.

L'espace de la stratégie

La chose réelle qui retient l'attention du stratège est bien évidemment la performance de

l'organisation. Mais la performance naît d'un effet de levier; d'un travail sur X - le problème

crucial qui devient l'objet de la stratégie - qui peut être, selon la situation, un amalgame

d'organisation et d'environnement, de personnes et de procédés, de culture et de processus

décisionnels, de structure, de technologie et de ressources. Le stratège concentre son attention

sur X pour éviter, par exemple, qu'un problème de production n'affecte la performance ou

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Espaces de la stratégie et TI 46

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qu'une opportunité de vente ne soit perdue. L'objet de la stratégie peut rester le même, comme

un projecteur poursuit un personnage sur une scène d'opéra, ou il peut changer de nature et

d'étendue.

Supposons l'objet de la stratégie soit la réduction des coûts et commentons

successivement la signification de notre schéma (illustré à la figure 2. 3. ) :1. la situation de

représentation, 2. l'espace de représentation et 3. l'ensemble de la configuration.

La situation de représentation

Avant la mise en oeuvre, il y a une situation de représentation; pendant la mise en oeuvre,

il y a une situation de représentation; après la mise en oeuvre, il y a une situation de

représentation. Cela indique qu'il se trouve toujours un ou des stratèges qui projettent, agissent,

informent et s'informent. Le stratège qui cherche à réduire les coûts projette sa carte mentale

sous forme de modèle public (discours, plan stratégique, communiqué de presse), agit ou cherche

à agir sur X (il décrète le gel des salaires) et il s'informe en améliorant son système de suivi des

coûts.

Les chances que son travail de réduction des coûts connaisse du succès dépendent bien

sûr de multiples facteurs environnementaux, mais surtout de sa propre emprise sur l'objet de la

stratégie. Ici intervient la notion d'espace de représentation.

L'espace de représentation

Pour le gestionnaire comme pour Mozart, chaque situation de représentation se déroule

dans un contexte politique, instrumental et théorique. Quel est le poids, en terme de légitimité,

du discours ou du mot d'ordre du gestionnaire? Quels sont ses outils de planification, de

budgétisation, de simulation? Sur quelle technologie de l'information peut-il s'appuyer? Que

vaut sa théorie locale de réduction des coûts? Est-ce le meilleur «fit» actuel? Est-ce une vision

d'avant-garde? Une hallucination? Un consensus partagé par tous les gestionnaires?

L'emprise du stratège sur l'objet de la stratégie viendra d'une cohérence entre le stratège

comme individu, la situation de représentation qui permet ou non d'adresser les vrais problèmes

et l'espace de représentation qui inhibe ou renforce son travail.

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Espaces de la stratégie et TI 47

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L'espace de la stratégie

L'espace de la stratégie est à la fois situation de représentation et espace de

représentation. En d'autres mots, c'est un espace qui désigne autant une activité cognitive qui

permet de définir ou de construire l'objet de la stratégie qu'un travail sur cet objet.

Trois configurations d'espace de la stratégie

Nous développons dans ce chapitre trois configurations qui entourent le stratège :celles

de l'espace vide, de l'espace programmatique et de l'espace habité. Dans l'espace vide, le stratège

a pleinement accès à l'objet de la stratégie parce qu'il a la capacité politique, instrumentale et

théorique, de faire le vide autour de lui afin d'imposer sa propre trajectoire.

Dans l'espace programmatique, les contraintes et les opportunités de l'environnement

ainsi que les forces et faiblesses de l'organisation remplissent la situation de représentation,

réduisant le rôle du stratège-architecte à la projection plutôt qu'à l'action.

Dans l'espace habité, l'objet de la stratégie n'est pas accessible au seul stratège au sommet

:il est multiple et partagé par celles et ceux qui veulent contribuer à de nouvelles stratégies et de

nouvelles performances.

L'espace vide

Ce que Raymond appelle l'espace vide, c'est-à-dire un espace vidé de toute représentation

sociale pour laisser place à une trajectoire d'architecte (l'élaboration d'une intuition esthétique)

nous rapproche de l'entrepreneur visionnaire.

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Espaces de la stratégie et TI 48

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Figure 2. 4.

L'espace vide

L'espace vide caractérise ce type d'architecte qui, pour réaliser son intention esthétique,

fait le vide autour de lui :vide du pouvoir et de la légitimité des autres, vide des contraintes et des

normes existantes, vide des théories préétablies. Seul ce vide permettra à sa trajectoire

personnelle de se développer. Comme représenté sur la figure 2. 4. , l'espace vide se caractérise

par la marge de manoeuvre du stratège. Il se réserve seul l'accès et définit l'objet de sa stratégie;

il veille à ce que sa mise en oeuvre soit conforme à sa vision. Le triangle qui entoure le stratège

symbolise le pouvoir, la légitimité du stratège au sommet.

Le concept d'espace vide est compatible avec cette idée (Smircich et Stubbart, 1985)

d'abandonner la perception que l'organisation doit s'adapter à son environnement. D'après de

récentes recherches sur les crises organisationnelles, ce qui cause les crises c'est un «pattern» de

pensée des dirigeants, plutôt que l'environnement externe; c'est le stratège qui est le premier

concerné - dans l'espace vide - par l'adaptation à l'environnement.

L'exemple de Geneen à ITT (Geneen, 1984) peut être considéré comme un archétype de

ce que nous appelons l'espace vide en stratégie. Nous retrouvons, dans son cas, les trois

dimensions de l'espace de représentation de la façon suivante :1. pour ce qui est de la légitimité,

Geneen détient un pouvoir quasi absolu sur l'ensemble de ses directeurs, seule la stratégie de

Geneen est, a priori, légitime; 2. en terme d'outils, Geneen envoie à ses filiales l'ordre de ne plus

perdre de temps avec la planification stratégique, ces outils sont insignifiants à ses yeux; 3. au

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Espaces de la stratégie et TI 49

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niveau théorique Geneen travaille au cas par cas («managing is to manage!») sans s'embarrasser

d'une théorie de la représentation en stratégie autre que sa propre trajectoire et sa propre vision.

La performance est l'objet central de l'action du stratège organisationnel. Il s'agit de

croître, et, par cette croissance, de construire une organisation plus forte et plus puissante. Une

organisation qui sera un ensemble de modules multiples dont seul le stratège possédera la

logique interne (celle de sa trajectoire). Comme le rappelle Mintzberg (1973) à propos des

entrepreneurs :«We're empire builders. The tremendous compulsion and obsession is not to

make money, but to build an empire».

Ces stratèges de l'espace vide ont compris qu'il fallait une vision, une obsession, une

trajectoire pour bousculer la performance. Le stratège de l'espace vide doit arriver à représenter,

pour les collaborateurs potentiels, le plus grand potentiel de succès :«encouraging the

representativeness heuristic» (Schwenk, 1986).

Ce processus amène le stratège de l'espace vide à manipuler l'information qu'il peut

transmettre à ceux qui sont prêts à s'engager avec lui («contributors»). Ces collaborateurs entrent

ainsi, potentiellement, dans une escalade d'engagement envers la vision du leader. Cet

engagement se poursuit même si les résultats atteints continuent d'être négatifs (Schwenk, 1986).

Pour susciter les actions adéquates, le leader doit constamment confronter les

responsables à leurs résultats (à leur réalité!) :

«Problems, successes, threats, and opportunities crystallize while people

are result watching, which happens intermittently. Much of the time, people

simply continue acting without watching the results» (Starbuck, 1983).

Pour Peters et Waterman (1982), un des premiers attributs qui caractérisent le mieux les

meilleures entreprises innovatrices, c'est le parti pris de l'action. Écho identique dans le livre de

Moss Kanter (1983). L'auteur y écrit en guise de conclusion :«In short, acting first, thought

later; experience first, making a «strategy» out of it second».

Pourquoi ce primat de l'action? Parce que le monde (l'environnement des organisations)

est devenu tellement complexe qu'on a le sentiment de ne plus pouvoir agir sur sa transformation

et que «c'est quand il n'y a plus rien à faire qu'il faut agir» (Autrement, 1985).

Starbuck (1983) définit les organisations comme des «générateurs d'action» :d'actions

automatiques et standardisées d'où la capacité d'apprentissage et d'adaptation à des situations

nouvelles est absente. Les leaders qui ont une trajectoire ferme vers de meilleures performances

vont essayer de briser, au moyen de leurs actions, l'aspect programmatique des organisations

pour susciter l'initiative, la responsabilité et l'entrepreneurship au sein de leur corporation. Mais

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Espaces de la stratégie et TI 50

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ils se heurtent à toute la lourdeur de la mécanique organisationnelle. Leur tentative relève-t-

elle pour autant de la pathologie mentale (Miller et Friesen, 1986)?

Comme l'écrit Geneen, l'entrepreneur, même s'il oeuvre au sein d'une très grande société,

est en affaire pour lui-même. Que vient donc faire toute cette bureaucratie autour de lui?

«Where, people are beginning to ask, are our corporate entrepreneurs? The answer is :there

are none» (Geneen, 1984).

Pour remplacer l'idée d'un contexte dont la «texture causale» (Emery et Trist, 1965) est

complexe par l'obsession de sa propre trajectoire, le stratège de l'espace vide doit être très fort et

posséder un savoir-faire exceptionnel. Comme le souligne Mintzberg () à propos de Sam

Steinberg, le stratège de l'espace vide doit à la fois être réellement en situation de contrôle sur

son organisation («bold control») pour assurer la légitimité de sa vision, de sa trajectoire. Et il

doit posséder une connaissance intime de son métier et de la tâche de son organisation.

«L'important, c'est le vide! ». Cette expression est attribuée au célèbre sculpteur

britannique Henry Moore (décédé en 1986). Le sculpteur voyait moins son travail sur le «plein»,

la matière, que la beauté du vide ainsi créé :de la même façon, dans l'espace vide, l'entrepreneur

est un sculpteur qui jouit du vide qui lui permet de développer sa propre trajectoire.

L'espace programmatique

L'espace programmatique est propre à l'architecte qui finit par renoncer à toute vision

esthétique pour mettre en forme un programme résultant d'un budget, de données sur les coûts et

de contraintes réglementaires (sur l'occupation du sol, les matériaux, l'esthétique et l'industrie de

la construction) nous fait penser au gestionnaire mécanique et objectif apte à fonctionner selon

les coûts/bénéfices, les opportunités/contraintes et les forces/faiblesses.

L'espace programmatique est plein, chargé de normes et de contraintes, d'outils de

représentation et de pratiques enracinées, d'idéologies et de théories bien en place. L'architecte

qui travaille dans ce type d'espace de représentation ne peut plus développer sa propre trajectoire.

Il effectue seulement de la mise en forme de contraintes diverses et multiples (terrain, plan

d'occupation du sol, normes d'urbanisme, normes de construction, cahier des charges).

C'est le type d'espace de représentation décrit par les experts en «problem solving»

(Newell et Simon, 1972) :un espace rempli d'opérateurs où une solution ou un artefact (le produit

d'une activité consciente de design ) ne s'élabore qu'après de multiples itérations. Un type

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Espaces de la stratégie et TI 51

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d'espace qui nie la trajectoire a priori. 20

Figure 2. 5.

L'espace programmatique

La stratégie est conçue alors comme le résultat d'une série d'itérations entre des noeuds de

connaissance concernant les opportunités et les menaces dans l'environnement, ainsi que les

forces et les faiblesses de l'entreprise ou de l'organisation (Andrews, 1980). La dimension

dominante de l'espace de représentation programmatique dans son aspect concret et visible est

certainement l' «outillage» (repérage de l'environnement, modélisation, planification stratégique,

gestion par objectif, budget base zéro) mis en branle, à l'aide d'ordinateurs et de procédures

administratives, pour produire une stratégie-programme.

Sur la figure 2. 5. , le triangle de l'espace vide est devenu le carré de l'espace

programmatique. Sur chaque côté du carré s'exercent des pressions :les opportunités dans

l'environnement, les contraintes de l'environnement, les forces de l'organisation, les faiblesses de

l'organisation. La configuration du pouvoir y est transformée; l'équipe de planification

stratégique et de contrôle joue un rôle clé auprès du stratège au sommet. Le plan devient l'outil

privilégié de la stratégie; l'accès à l'objet de la stratégie est difficile.

Dans la configuration de l'espace programmatique, le stratège est relié à un système de

20 Une image empruntée aux sciences physiques peut nous éclairer: «... comme Prigogine l'a fait remarquer,

l'introduction d'opérateurs en théorie physique apparaît adéquate chaque fois que l'on doit abandonner la notion de

trajectoire» (Lestienne, 1985).

21 comme le souligne Fortune (7 mai 1990) dans son dossier «Who needs a boss?»

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Espaces de la stratégie et TI 52

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planification qui agit sur lui et sur lequel il agit, à défaut d'agir directement, comme le stratège

de l'espace vide, sur l'organisation.

Que prend pour objet le stratège de l'espace programmatique?

Nous basant sur Lorange (1982), nous dirons que les systèmes de planification ont suivi

une évolution depuis le budget («extrapolation»), c'est-à-dire la répartition des ressources,

jusqu'à l'analyse des portefeuilles d'activités («portofolio planning»), en passant par l'étude de

l'avantage compétitif d'une firme sur le marché («business planning»). À travers cette évolution

de la planification, l'objet de la stratégie devient un mixte variable englobant toujours mieux

l'organisation et s'ouvrant toujours plus sur l'environnement pour en construire l'ajustement

réciproque :le «fit».

Quels sont les liens entre le stratège de l'espace programmatique et cet objet? Nous

tâchons de les décrire ci-dessous.

Les liens entre le stratège et l'objet de sa stratégie

Le système de planification va produire une stratégie pour autant que ce système traite les

trois composants de base d'une stratégie :les buts, les ressources et les contraintes de

l'environnement. Autant la relation dominante, dans la configuration de l'espace vide, était

l'action du stratège sur la performance de son organisation, autant, dans la configuration de

l'espace programmatique, la relation clé est la projection d'un plan sur l'objet de la stratégie.

Dans cet espace programmatique, nous retrouvons les trois liens suivants entre le stratège

de l'espace programmatique et l'objet de la stratégie :

- la projection :le couple formé du stratège au sommet et de son «staff» de planification

va développer un modèle de l'objet de la stratégie (la publication d'un plan nécessite un

consensus préalable sur les différentes visions des experts et du manager au sommet), et va

publier ce modèle sous la forme du plan.

- l'action :le stratège n'agit plus directement sur l'objet de la stratégie, mais indirectement,

par l'intermédiaire de son système de planification (le «staff», ses ressources et les processus de

planification).

- l'information :l'objet de la stratégie, à la fois organisation et environnement, doit être

systématiquement suivi et «écouté»; des canaux de communication vers l'objet de la stratégie

sont créés, faisant du stratège de l'espace programmatique une cible bombardée d'informations.

Le lien de projection

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Espaces de la stratégie et TI 53

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Que sont ces «program strategies» ou stratégies programmatiques? À l'articulation du

moment stratégique et du moment programmatique (Morin, 1980), elles font référence à

l'acquisition, l'usage ou la disposition de ressources pour réaliser des projets spécifiques (Steiner,

1979). Ces stratégies programmatiques sont classées fonctionnellement pour pouvoir être

projetées ou publiées pour les gestionnaires opérationnels. Ainsi, il y aura une stratégie de

production (programme de qualité), une stratégie de marketing (choix de nouveaux canaux de

distribution), une stratégie de financement (programme de revente d'actifs non désirés), une

stratégie de personnel (programme de formation).

Ce lien plan-budget fige la stratégie dans l'organisation, avec une flexibilité très restreinte

qui se limite à utiliser des budgets supplémentaires, une révision budgétaire ou des budgets

variables (Steiner, 1979).

Des plans tactiques particuliers comme la gestion par objectif et le budget base zéro,

initié chez Texas Instrument, fournissent des outils originaux de couplage plan-budget.

Le lien d'action

Ce qu'il est important de comprendre ici, dans une configuration programmatique «pure»,

c'est que le stratège au sommet n'agit pas directement, comme dans le cas de l'espace vide, sur

son organisation. En fait, il interagit seulement avec son système de planification. L'interaction

du manager au sommet et des spécialistes en planification produit une stratégie (artefact) publiée

pour les managers fonctionnels. Et cet artefact, le plan, agit, par ses contraintes et le contrôle

qu'il implique, sur les activités à programmer ou à reprogrammer dans l'organisation.

Le lien d'information

Le stratège de l'espace programmatique, le manager au sommet et son «staff» de

planification, sont des «processeurs» d'informations :c'est la vision de Simon (1945) et de Cyert

et March (1963). Les informations seront obtenues sur l'environnement à l'aide d'un système de

repérage de l'environnement; elles s'ajoutent aux informations captées à l'interne par le système

de contrôle.

L'information provenant du repérage de l'environnement

Les entrées d'information dans le système de planification sont le maillon faible de la

planification stratégique. Le débat reste ouvert entre les tenants d'une surveillance de

l'environnement au moyen de systèmes formels (planification à long terme, orientée vers le

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Espaces de la stratégie et TI 54

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contrôle) et les tenants d'une information formelle complétée de sources informelles et ad hoc,

sur une base irrégulière relevant d'une conception de la planification axée sur la stratégie,

l'adaptation, l'analyse et le «formalisme synoptique» (Camillus, 1982) face à l'incrémentalisme

logique.

Pour faire le point sur l'information dans le processus de planification stratégique, nous

pouvons écrire ceci :l'information utilisée dans le processus de planification stratégique constitue

le point névralgique de ce processus. Il ne faut pas pour autant questionner l'utilité de la

planification stratégique (Porter, 1987) mais bien la nature des systèmes de planification.

L'information provenant du système de contrôle

Planification implique contrôle. Même les organisations engagées dans de la

planification non stratégique (domaine d'activités prédéterminé, orientation vers le contrôle

plutôt que l'adaptation), reçoivent et traitent de l'information en provenance de leur système de

contrôle. Quelles sont les sources de ce système?

Pour réussir le contrôle stratégique, il faut, selon Hurst (1982), disposer au niveau de la

mesure :de données provenant de sources plus nombreuses, de plus de sources extérieures, de

données orientées vers l'avenir, de données qualitatives et quantitatives pour vérifier l'exactitude

des prémisses à la décision (plutôt que la valeur des résultats), de standards de performance issus

de l'extérieur et de périodes irrégulières de rapport de données (ces périodes étant basées sur les

événements plutôt que sur le découpage du calendrier).

Le contexte de l'espace programmatique

Nous abordons brièvement les dimensions de légitimité, d'outils et de théories de la

représentation de la stratégie dans un espace programmatique.

La légitimité

Dès que le stratège, par obligation, choix ou penchant naturel, est amené à considérer

«objectivement» à la fois son organisation et l'environnement de celle-ci, il s'engage à partager sa

légitimité de formuler des stratégies (de représenter sur papier, dans le plan et par ses actes,

l'avenir de son organisation) avec les experts en planification et le système de planification mis

en place.

L'équilibre sera fragile entre un service de planification puissant et efficace dans la

formulation et un stratège puissant et efficace dans la mise en oeuvre. Comme l'écrit Ansoff

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Espaces de la stratégie et TI 55

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(1979) dans son plaidoyer pour un leadership stratégique, la légitimité de la technocratie risque

de produire un affaiblissement («lack of power») du stratège et du management au sommet. Et

une incapacité à mettre en oeuvre les meilleures stratégies sur papier.

Les outils de la représentation

«The picture (or perhaps, nightmare) of planning as the solution of

almost unimaginable numbers of simultanous equations can be replaced by a

picture of planning as the construction of a series of unrelated action programs»

(March et Simon, 1958 :176).

Dans l'espace programmatique, le stratège n'agit pas directement sur des personnes mais

il se donne, à travers le processus de planification, les moyens de programmer et de

reprogrammer les activités. Cela ne signifie pas que l'innovation est impossible, mais qu'une fois

identifiée, elle doit être intégrée aux comportements routiniers des membres de l'organisation.

Simon, dans «Administrative Behavior» (1945), discute déjà de ces deux premiers outils.

L'organisation étant un système hiérarchisé, où les moyens d'un niveau inférieur sont les fins du

niveau supérieur, la claire définition des prémisses au sommet impliquera des décisions et des

actions cohérentes avec ces prémisses, à la base.

Simon a écrit également, dans l'introduction du même ouvrage ceci :«the question is not

who decide but who arranges the scheme». Une décision complexe évoluera, au sein d'une

organisation, non seulement en fonction des prémisses fixées par la haute direction, mais aussi en

fonction du «pattern» de communications et de relations humaines qui transmet aux membres de

l'organisation l'information, les prémisses, les buts, les attitudes et les attentes (Simon, 1945).

Les théories de la représentation

Dans la configuration de l'espace programmatique, les conflits les plus subtils mais les

plus impitoyables se déroulent entre des théories de la représentation du futur stratégique d'une

organisation, et ce, tant du côté des chercheurs que des managers ou des experts en planification.

Camerer (1985) après avoir constaté qu'en stratégie et politiques générales, «the state of

the art is disappointing», condamne les approches inductives (et qualitatives). Selon lui, ces

approches se rapportent à l'art, et l'art ne progresse pas, n'accumule pas logiquement les

connaissances.

Il faut donc trouver un langage objectif qui permette de tester des hypothèses et

d'accumuler des connaissances vérifiées. Camerer promulgue ainsi la théorie de la décision,

l'organisation industrielle et la micro-économie comme les disciplines premières de la recherche

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Espaces de la stratégie et TI 56

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en stratégie.

Les théories de la représentation sont abordées par Ramaprasad et Mitroff (1984) qui, à

partir du concept de structure logico-mathématique, soulignent que la formulation d'un problème

dépend du cadre de référence (théorie de la représentation) dans lequel on l'aborde. Ainsi les

théorèmes de la géométrie ne tiennent logiquement que dans le cadre d'un espace euclidien. Ils

mettent en relief l'importance du stratège dans la formulation d'un problème stratégique :«The

ideal strategist should sense, intuit, feel, and think». Ce que ne contredira pas Naylor (1979)

:«Every company has a corporate planning model. In most companies the model exists only in

the head of the chief executive of the company».

Les modèles corporatifs, artefacts de la stratégie, sont issus d'une conception du temps

linéaire («clock-paced»). Dans l'espace programmatique, la notion de territoire à «construire

(voir par exemple la volonté de Carlo de Benedetti, président d'Olivetti, de se construire un

empire) est remplacée par la notion de séquence de mouvements, toujours à reprogrammer.

Autant la notion d'espace, de territoire désiré, est propre au stratège de l'espace vide, autant la

notion de temps et de séquence d'actions programmées dans le temps pour conserver un «fit»

entre l'entreprise et son environnement, est propre au stratège de l'espace programmatique.

L'espace habité

L'espace habité est propre à l'architecte «social» qui est à l'écoute du client, cherchant à

saisir et à traduire exclusivement les besoins d'une famille, d'une communauté ou d'une

organisation sans imposer sa trajectoire esthétique d'architecte. L'espace habité est rempli de

sujets légitimés, étrangers à l'architecte (le leader). Ce sont, en architecture, les futurs habitants

d'un espace construit; en stratégie, les futurs utilisateurs, individus ou sous-systèmes

organisationnels (Quinn, 1980), d'une stratégie mise en oeuvre. Or ces habitants, même s'ils

n'ont pas la compétence esthétique et technique de l'architecte, ont une parole à exprimer sur leur

habitat. Selon Raymond (1984), ces habitants contiennent le concept d'architecture.

L'espace habité est un espace politique et culturel où le pouvoir agit à partir de l'intérieur

et de l'extérieur de l'organisation (Pfeffer et Salancik, 1978; Mintzberg, 1983). Dans cette

configuration, il s'agit moins pour le manager au sommet d'assurer sa propre légitimité que de

comprendre le «pattern» de la stratégie qui se construit autour de lui. Il se doit d'élaborer une

théorie adéquate des intentions et des stratégies des acteurs situés dans et autour de

l'organisation.

L'espace habité comporte deux caractéristiques supplémentaires :1. il concerne autant

que possible tout le management et même (mais pas nécessairement) tous les membres d'une

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Espaces de la stratégie et TI 57

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organisation, et 2. il permet la compatibilité de la trajectoire du leader avec les initiatives du

management et des employés, et, réciproquement, il permet aux membres de l'organisation de

faire leur la trajectoire du leader. Contrairement au mode adaptatif de Mintzberg (1973), nous

développons la notion d'espace habité comme un espace collectivement construit pour être

compatible avec la vision du leader, et non pas comme un espace purement réactif, adaptatif,

aléatoire.

Figure 2. 6.

L'espace habité

Ce ne sont ni la vision du leader, ni le contenu stratégique qui vont donner du sens à une

organisation. Le sens est déjà là, il ne demande qu'à être reconnu (Raymond, 1984). Mais cette

reconnaissance sera tributaire des rapports entre l'architecte social et les utilisateurs de la

stratégie.

«Le leader a peut-être été celui qui a choisi l'image parmi toutes celles

qui étaient possibles à ce moment-là,. . . , mais il est rare que ce soit lui aussi qui

ait en premier lieu conçu la vision» (Bennis et Nanus, 1985).

Sur la figure 2. 6. , la configuration du pouvoir est modifiée; le cercle indique un accès

pour chacun à la légitimité de représenter, un accès à l'objet de la stratégie. Le stratège au

sommet est moins le concepteur de la stratégie que le concepteur d'un espace - l'espace habité -

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Espaces de la stratégie et TI 58

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susceptible de laisser émerger des stratégies nouvelles, des innovations, des nouveaux procédés

et de nouveaux produits. Le stratège au sommet définit volontairement un tel contexte qui

permet l'autonomie stratégique du plus grand nombre de membres et de gestionnaires de

l'organisation.

Les liens complexes entre le stratège, le contexte et l'objet de la stratégie

Le contexte défini par le stratège au sommet, désirant construire un espace habité, est le

suivant :il doit perdre du pouvoir pour pouvoir légitimer les actes des autres stratèges potentiels;

il doit utiliser des outils, de nature structurelle et culturelle, pour créer un contexte suscitant et

autorisant des comportements stratégiques autonomes; il doit enfin s'interdire une vision a priori

de l'avenir de son organisation, pour être à l'écoute des situations émergentes (à encourager ou à

interdire).

La définition d'un contexte plutôt que la publication d'un modèle

«The Key to Strategy is Context» (Davis, 1982). Il y a convergence entre les chercheurs

qui s'intéressent à la stratégie au-delà de la conception du «héros-solo» (l'espace vide) ou de la

programmation de la stratégie (l'espace programmatique) pour affirmer que la clé, pour créer des

comportements stratégiques autonomes, est la gestion du contexte.

Davis (1982), dans son plaidoyer pour la gestion du contexte soutient ceci :«le contexte

est ce qui entoure le contenu, c'est-à-dire un ensemble de présupposés non questionnés qui

filtrent toute expérience». Le contexte n'a pas de signification en soi, mais il fournit le

fondement duquel dérive un contenu. Le contexte crée une réalité, et cette réalité est le contenu.

Définir le contexte, c'est définir le cadre, la frontière du contenu. C'est le pouvoir

d'affirmer que la réalité n'est que ceci, que cela ou plus que tout ceci ou cela. Pour Davis (1982),

la mise en oeuvre d'une stratégie doit, en premier lieu, recréer ce nouveau contexte chez chaque

employé. Son argument est le suivant :un gestionnaire qui ne gère pas le contexte laisse la

stratégie (essayer de) tirer l'organisation; au contraire, le gestionnaire qui gère le contexte fait en

sorte que l'organisation pousse la stratégie.

Le contexte est présent dans l'esprit de chaque «habitant». Changer le contexte, c'est

transformer sa carte mentale :«Every organization member - not just the leadership - would be

very clear about how his or her job implements that strategy». Burgelman (1983) nous fournit

un modèle définissant le contexte structurel et le contexte stratégique. Le contexte structurel est

un vaste concept enveloppant les «mécanismes administratifs variés que le management

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Espaces de la stratégie et TI 59

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corporatif peut manipuler pour changer les intérêts perçus des acteurs stratégiques dans

l'organisation» (Burgelman, 1983). Ces mécanismes sont le choix d'une configuration

structurelle, de mesures de performance, de formalisation de positions et de relations dans

l'organigramme, etc.

Le contexte stratégique reflète, quant à lui, «les efforts du management intermédiaire

pour relier les comportements stratégiques autonomes au niveau produit/marché et le concept de

stratégie de l'entreprise» (idem, 1983). Pour y arriver les managers intermédiaires doivent

donner du sens à ces initiatives stratégiques autonomes et formuler des stratégies réalisables et

attrayantes (idem, 1983).

Pour Burgelman (1983), le concept de stratégie d'entreprise représente «the more or less

explicit articulation of the firm's theory about its past concrete achievements». De ces

comportements autonomes émergeront de nouvelles stratégies dans la mesure où les stratèges au

sommet adoptent une métastratégie (Hedberg et al, 1977; Hafsi, 1985) qui fera d'eux des

«professeurs d'arithmétique». C'est-à-dire des gens dont l'efficacité est mesurée par la capacité

qu'ont leurs étudiants de résoudre des problèmes, et non par leur propre capacité à résoudre ces

problèmes.

L'espace habité regroupe une littérature qui place l'organisation (ou la structure), dans le

temps, avant la stratégie. La clé, c'est que l'émergence d'un contexte d'autonomie stratégique, né

de processus cognitifs, sociaux, organisationnels et politiques complexes (Bower et Doz, 1979)

suscite des contenus qui seront transmis, réarrangés et incorporés par le management au sommet

dans leur définition d'un contenu stratégique pour la firme.

Notons, pour terminer ce point sur le contexte, que cette configuration de l'espace habité

ne se limite pas nécessairement à l'intérieur de l'entreprise ou de l'organisation. Cette

configuration peut se prolonger à l'extérieur de l'organisation. Les échanges étroits avec les

fournisseurs, la participation du syndicat aux décisions à caractère stratégique, le travail en

commun avec les instances gouvernementales ou le pré-développement conjoint de nouvelles

technologies avec des concurrents illustrent ce propos. Cette problématique de l'espace habité est

également illustrée tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'organisation du projet Saturn de GM, où

participation du syndicat, autonomie des unités de travail et coopération avec le gouvernement

vont de pair (Messine, 1987).

Les liens de l'action

Que doit faire le manager au sommet, le stratège dans une telle configuration? Bourgeois

et Brodwin (1984) font cinq suggestions pour guider le stratège. Tout d'abord, le stratège ne peut

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Espaces de la stratégie et TI 60

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surveiller seul toutes les opportunités ou menaces significatives; deuxièmement, le pouvoir dont

dispose le stratège pour imposer sa stratégie est limité; troisièmement, même si le stratège

cherche à planifier, il ne peut échapper au mode réactif, en partie parce qu'il est celui qui donne

les récompenses, et en partie à cause de la complexité d'opérations diversifiées; quatrièmement,

le stratège doit être prudent dans les récompenses ou les incitations qu'il établit; et

cinquièmement, il faut comprendre que la formation de stratégie se produit dans des groupes et

incorpore des perceptions plutôt que des faits irréfutables.

Sans réduire la stratégie à un phénomène de groupe, sans nier le rôle prépondérant du

leader, la configuration de l'espace habité retient que la formation de la stratégie se produit à

l'intérieur d'un groupe.

Nonaka et Johansson (1985) acceptent, tout en la jugeant insuffisante, cette prémisse

:certaines habiletés personnelles favorisent un management à la japonaise. Pour ces derniers

auteurs, les «S» doux ne sont pas seuls à caractériser un tel espace organisationnel. L'essentiel

est que ces habiletés font entrer l'environnement DANS l'organisation. Un niveau élevé de

partage de l'information sur l'environnement mène à une meilleure qualité de l'information

utilisée dans la prise de décisions et à une plus haute capacité de prise de décision. Pour Nonaka

et Johansson (1985), les «S» durs sont fortement mis à contribution dans l'exercice des habiletés

douces. Cette quête constante de la connaissance à travers des échanges interpersonnels explique

à elle seule le succès économique des japonais (Vogel, 1979).

Dans l'espace habité, l'action ne dépend plus nécessairement d'une stratégie programme

:«job assignments, clock, calendar» (Starbuck, 1983). Il y a de l'espace pour une autonomie de

l'action aux différents paliers de l'organisation, à commencer par le plancher. On peut retrouver

l'autonomie de l'action depuis le niveau du groupe de qualité jusqu'au niveau des divisions (chez

Matsushita, elles réinvestissent de façon autonome 30% de leurs revenus) (Pascale et Athos,

1981).

Action autonome, mais action consensuelle. Car c'est le groupe qui agit en se mettant

d'accord sur les moyens de son action. Dans l'espace habité, le consensus est fondamental et il

porte concrètement sur des moyens; dans l'espace programmatique, le consensus porte sur des

fins, sur une mission, mais la mise en oeuvre est rarement consensuelle.

La perception sociale de l'information

Nous considérons, dans l'espace habité, le stratège au sommet au sein d'un groupe formé

de tout ceux qui démontrent un comportement stratégique (qui agissent, à leur niveau, sur les

rapports entre leur «organisation» et son «environnement»).

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Espaces de la stratégie et TI 61

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Il y a des «habitants» de l'organisation, et des processus socioculturels qui permettent à

ces habitants de définir leur «environnement», autrement dit, de s'organiser. Le stratège, le

leader, n'y est pas la «personne-héro» (Barnes et Kriger, 1986), mais le point de rencontre entre

le sommet de la hiérarchie et un réseau informel. Le stratège représentant seulement une petite

partie du leadership organisationnel, on peut développer (idem, 1986) une image holistique du

leadership où le rôle de leader passe de personne à personne.

Cette vision holistique commence par une façon de percevoir l' «environnement». Si ce

dernier est compris comme une réalité objective extérieure (Smircich et Stubbart, 1985), on peut

laisser la tâche de l'analyser à des spécialistes du repérage environnemental. Si on considère

l'environnement perçu (idem), on doit étudier la capacité de jugement du manager. Si,

finalement, on considère que l'environnement est mis en acte, c'est-à-dire socialement construit,

on doit mettre l'accent sur la communication entre les «habitants».

Dans la première option, l'information vient de l'extérieur, peut être organisée en «base de

données stratégiques» et va permettre au stratège d'adapter ses stratégies aux

menaces/opportunités de l'environnement. L'information est dans ce cas de nature cybernétique

:elle vient «boucler» l'organisation sur l'environnement. Dans la seconde option, il faut décrire

les perceptions du manager au sommet. Ici l'information provenant de l'environnement vient

tester, mettre à l'épreuve la capacité de jugement du manager.

Si dans l'espace vide, il n'est question que de la carte du stratège (la vision ou l'obsession

du stratège au sommet) et dans l'espace programmatique du territoire ou de la réalité extérieure

objective, l'espace habité se caractérise par une carte du territoire construite par l'ensemble des

habitants de cet espace. L'enrichissement de cette carte pour en faire le territoire le plus cohérent

(Weick, 1979) des actions de ceux qui l'habitent ne passe pas par le mécanisme du repérage

environnemental, suivie de la réponse adéquate. Le territoire est équivoque et impraticable. Les

événements qui s'y produisent peuvent seulement enrichir la carte organisationnelle. Ainsi,

l'organisation crée son environnement et, ensuite, en fait l'objet de sa réflexion. C'est alors, selon

Weick (1979), que l'organisation formule les stratégies qu'elle a déjà implantées.

Il nous reste à approcher le contexte de l'espace habité en termes de légitimité, d'outils et

de théorie, comme nous l'avons fait pour les deux configurations précédentes de l'espace vide et

de l'espace programmatique.

Gérer le contexte de l'espace habité :légitimité, outils et théories

L'entreprise-stratège :une question de circulation du pouvoir

Barnes et Kriger (1986) nous offrent une façon d'aborder la question du pouvoir dans un

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Espaces de la stratégie et TI 62

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espace habité. Ce n'est pas facile :d'une part, la littérature sur le leadership, quelles que soient les

écoles, conçoit toujours un leader unique et des multiples suiveurs; d'autre part, l'approche de la

réalité «socialement construite» a peu de choses à dire sur le pouvoir. «(Weick) has little to say

about power, authority, and control and nothing to say about domination or manipulation»

(Lane, 1986).

Pour Lane (1986), l'approche de Weick est très pauvre au niveau du pouvoir. Il en veut

pour preuve le livre de Peters et Waterman (1982) qui, à la surprise des deux auteurs, trouve

«excellentes» les entreprises qui sont des créations de la personnalité dominante d'un leader fort.

Après cela, les compagnies ont développé des cultures qui incorporent les valeurs et les pratiques

des grands leaders. Lane (1986) conclut que ce sont Barnard et Selznick, négligés parce qu'ils

appartiennent pour Peters et Waterman à l'école de l'organisation comme système social fermé,

qui fournissent en fait la base théorique de l'excellence (issue du leader-fondateur).

Comme l'autonomie est paradoxale, le phénomène du pouvoir dans le contexte

stratégique de l'espace habité l'est aussi. C'est l'espace de l'antihéros, du leadership tournant, mais

c'est aussi un espace créé, à l'origine, par un leader fort, par une personnalité dominante.

Les outils de l'espace-habité :réaliser l'autonomie

D'après nos lectures, nous pouvons considérer dans cette gamme d'outils cinq

catégories d'outils (qui ne manquent pas de se recouper) :(i) le contrôle stratégique, (ii) le

découplage entre long terme et court terme, (iii) le «self-design» structurel, (iv) les outils

culturels, et (v) les techniques de consensus.

Le contrôle stratégique

Jaeger et Baliga (1985) nous proposent d'opposer deux types de contrôle :le contrôle

culturel, inspiré du management à la japonaise, et le contrôle bureaucratique, propre aux grandes

entreprises américaines. Ces deux types de contrôle sont possibles quand, pour reprendre la

typologie de Ouchi (1977), les mesures d' «output» sont disponibles et le processus de

transformation est connu. Jaeger et Baliga (1985) opposent ainsi leurs deux types de contrôle :l'

«output» du contrôle culturel consiste en valeurs partagées de la performance (à la place de

rapports formels), et le comportement est «réglé» par une philosophie partagée du management

plutôt que par des manuels de SOP («Standard Operating Procedures»). Les auteurs soulignent

également ceci :dans un système de contrôle traditionnel, toutes les valeurs peuvent cohabiter,

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Espaces de la stratégie et TI 63

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mais dans un système culturel, une seule idéologie ou philosophie du management est tolérée,

celle de l'entreprise.

Pour Schreyögg et Steimann (1987), il faut remettre en question la primauté accordée à la

planification («formal planning») et concevoir le contrôle stratégique comme une activité

autonome, et non comme une annexe de la planification. Ces auteurs insistent sur la

responsabilité personnelle de chacun(e) des membres d'une organisation de rappeler, au groupe

ou à l'autorité, ce qui ne va pas. Ainsi, la mise en oeuvre d'une stratégie devient une excellente

source d'information, bien plus utile qu'un département formel de MIS. Tout ceci exige la

création d'un climat d'ouverture, de confiance et de dialogue.

Si le contrôle stratégique est l'outil clé de l'espace habité, c'est qu'il est un outil

d'apprentissage organisationnel. Un outil indispensable, parce que dans la configuration «pure»

que nous décrivons dans ce chapitre, il n'y a ni vision a priori d'un leader, ni stratégie-

programme prête à être mise en oeuvre :il faut agir pour faire émerger la stratégie. Le concept

d'apprentissage organisationnel («organizational learning») trouve tout son sens dans un tel

contexte, bien que sa signification soit confuse (Fiol et Lyles, 1985) :«new insights or

knowledge», «new structures», «new systems», «mere actions», «adaptation», «change»,

«unlearning». Finalement les deux auteurs nous proposent ceci comme définition

:«organizational learning means the process of improving actions through better knowledge and

understanding».

Le découplage du long terme et du court terme

Il faut (Hrebiniak et Joyce, 1986) savoir gérer à court terme les objectifs à long terme de

la stratégie. Cela nécessite la création d'indicateurs de la performance qui fonctionnent à court

terme, tout en vérifiant que ces indicateurs n'aillent pas contre la santé de l'organisation à long

terme. Ces auteurs proposent un processus de prise de décisions en deux cycles (c/t et l/t) qui se

recoupent.

Le «self-design» structurel

Le schéma de Burgelman (1983) indique une tension entre contexte structurel et contexte

stratégique. Si le contexte structurel est trop rigide (définition de la tâche, autorité formelle,

système de récompense/punition), le contexte stratégique ne peut apparaître. Les propositions de

Hedberg et al (1977) visent justement à faire du contexte structurel une variable dépendante du

contexte stratégique.

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Espaces de la stratégie et TI 64

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Les outils culturels

Barney (1986) se demande si la culture organisationnelle peut être la source d'avantage

compétitif. Il lui semble bien que ce soit le cas, et il cite des entreprises comme IBM, Hewlett-

Packard, McDonald's etc. Mais ces grandes entreprises disposent d'immenses ressources.

Celles-ci ne sont-elles pas la cause d'une performance élevée?

La multiplication récente des recherches sur la culture des organisations, que Trice et

Beyer (1984) appellent la «redécouverte» de la culture pose un lien de causalité (sinon une pure

équivalence) (Tichy, 1983) entre culture performante et création d'un contexte stratégique

(Burgelman, 1983; Peters et Waterman, 1982; Moss Kanter, 1983). À condition, Barney (1986),

que la culture soit rare, inimitable et créatrice de valeur (augmenter les ventes, baisser les coûts),

la performance organisationnelle sera améliorée.

Ainsi, la culture d'entreprise rejoint la notion d'autonomie, telle que définie par Le

Moigne (1983) comme :«propriété d'un système en général rendant compte de son aptitude à

être identifié et à s'identifier, à la fois, différent et maintenu différent des environnements

substrats dont il est solidaire». La culture IBM permet en même temps d'identifier IBM de

l'extérieur et permet aux membres d'IBM de s'identifier à IBM de l'intérieur. Le résultat étant

que l'organisation IBM est autonome par rapport à son environnement de clients, fournisseurs et

concurrents. Si la différence n'est plus perçue de l'extérieur ou vécue à l'intérieur, l'autonomie

s'estompe.

Pour Trice et Beyer (1984) les éléments discrets de la culture (symboles, mythes,

histoires) ne sont pas la culture. Ce ne sont que des pratiques qui ne nous révèlent pas la

substance de la culture ou les réseaux de signification contenus dans les idéologies, les normes et

les valeurs. Cependant il faut analyser les formes pour arriver à la substance et les auteurs

proposent une typologie très pertinente des rites, de leur manifestation explicite et de leurs

conséquences latentes. Ces rites et autres composantes discrètes de la culture deviennent les

outils des gestionnaires. Il faut toutefois se rappeler ce paradoxe :une culture forte permet de

s'adapter au changement alors qu'une culture faible (pourtant plus malléable) ne le permet pas

(Trice et Beyer, 1984).

Les techniques de consensus

Les tactiques utilisées pour la mise en oeuvre de la stratégie ne reprennent pas

habituellement la recherche de consensus. Nutt (1987), après avoir étudié des projets

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Espaces de la stratégie et TI 65

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stratégiques dans 68 organisations, voit essentiellement les quatre tactiques suivantes

:«intervention implementation», «participation implementation», «persuasion implementation»,

et «edict implementation».

On est loin de fameux consensus à la japonaise :

«The word in the Japanese vocabulary that describes decision making is

«nemawashi», which refers to the «political» processes by which an unofficial

understanding is reached before any final decision is made on a particular matter.

The litteral meaning of nemawashi is «the process of planting a tree, i. e. ,

implanting its roots into the soil so it can grow» (Keys et Miller, 1984).

Dess (1987) examine la relation entre performance organisationnelle et consensus au sein

du management au sommet. Ses résultats sont comparables à ceux de Bourgeois (1980) qui

montrait que le consensus sur les moyens conduisait toujours à des performances supérieures.

Les théories du contexte habité :de l'idéologie

À la différence des autres configurations de l'espace vide et de l'espace programmatique,

l'espace habité n'offre ni vision a priori du leader, ni construction «scientifique» d'une théorie du

«fit» avec l'environnement.

L'espace habité est un espace de création de sens entre les «habitants», au moyen de

l'interaction sociale. Chacun(e) est, en quelque sorte, convoqué(e) à l'exercice du leadership; il

n'y a pas de programme inflexible mais seulement un engagement profond envers l'organisation

et une expression publique sur des améliorations à apporter à la tâche, sur des variations dans

l'environnement ou sur la pré-décision («nemawashi»).

La théorie qui guide celle ou celui qui travaille dans cet espace est l'idéologie du groupe

ou de l'organisation. Weiss et Miller (1987) font une revue très intéressante de ce concept. Les

tenants actuels de l'idéologie comme facteurs explicatifs sont certainement Starbuck (1982) et

Brunsson (1982). Le premier affirme que les aspects structurels ne sont que superficiels et le

second écrit :«consensus and strong adherence to one ideology. . . are necessary conditions for

organizational survival» (cités par Weiss et Miller, 1987).

En résumé, l'espace habité fonctionne, pour le gestionnaire et les membres de

l'organisation, dans un contexte d'habilitation («empowerment»), d'outils de nature culturelle et

de théories non écrites sur ce qui a fait le succès de l'organisation (une ou des idéologies). Ce

qui est radicalement neuf dans cette configuration, c'est que les liens directs et exclusifs du

stratège au sommet envers «sa» stratégie disparaissent! Subsistent des liens multiples, propres à

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Espaces de la stratégie et TI 66

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chacun des membres de l'organisation, d'information sur l'organisation et sur l'environnement.

Informations aussitôt partagées et interprétées par le groupe. Subsistent des actions individuelles

et autonomes, mais consensuelles, qui vont créer de nouvelles stratégies, non encore précisées.

Dans la configuration «pure», la projection d'un artefact (le plan) a disparu. Toute la

science et l'art du leader sont mis à contribution pour définir un contexte d'autonomie, d'initiative

et de consensus.

La stratégie et l'espace de la stratégie

La stratégie est essentiellement un concept cerné par les chercheurs en politiques

générales :un concept unificateur et multiple qui imprègne la vie de l'organisation depuis le

sommet (le choix des grands objectifs et de la mission) jusqu'au niveau opérationnel (la mise au

point d'une stratégie de la production) en passant par l'unité d'affaires et la formulation de

stratégies de produits et de marchés.

Le concept de stratégie d'entreprise existe (Bower, 1982) depuis une recherche

d'Andrews (1959) et le livre de Learned et al. (1965). Bien que son existence ne soit pas souvent

reconnue dans les faits (lors des conférences et dans les publications) le concept a été utilisé pour

comprendre l'articulation des fins et des moyens en centrant l'attention du chercheur sur la

fonction fondamentale de la haute direction, telle que décrite par Barnard (1938).

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Espaces de la stratégie et TI 67

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Figure 2. 7.

grande stratégie

stratégie

grande tactique

tactique

Les niveaux du concept de stratégie d'après Wilden (1983)

La stratégie d'entreprise est un concept qui traverse verticalement toute l'organisation et

qui comprend horizontalement toutes les unités d'affaires et toutes les fonctions

organisationnelles. La discipline de politiques générales veille à ce que le concept reste entier,

comprenant les fins et les moyens, la formulation et l'implantation, le contenu et le processus.

Dans cette optique, Bower (1982) s'insurge contre les tentatives cherchant à séparer l'analyse des

fins de l'analyse des moyens (Hofer et Schendel, 1979).

La stratégie organisationnelle commence par la grande stratégie. La grande stratégie

(Wilden, 1983), c'est ce qui relie toutes les actions à une source commune :l'identité, la mission,

la culture et l'idéologie. C'est ce qui permet, a contrario, d'identifier les actions (et les décisions)

qui vont à l'encontre d'une mission, d'une identité ou d'une culture.

Cette conception de la stratégie rejoint aisément celle de l'école de Harvard et de

l'approche des politiques générales d'administration («Policy»), avec ses principaux défenseurs

comme Bower et Andrews. C'est aussi l'image que Selznick (1957) se fait de la stratégie. Pour

cet auteur, le rôle fondamental du leader au sommet est de construire l'identité, le «self» de son

organisation. Le leader au sommet sera le facteur déterminant de la transformation d'une

organisation en institution par les valeurs qu'il y insuffle et par le choix éclairé d'une mission

organisationnelle qui sera légitimée par la société.

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Espaces de la stratégie et TI 68

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Cette grande stratégie peut être développée par le leader (vision), être écrite en tête du

premier chapitre du plan stratégique (programme), ou partagée par les membres d'un groupe

(consensus). Le leader veut la réinterpréter à l'aide de sa vision, les planificateurs travaillent à la

fixer, une fois pour toutes, dans le plan, tandis que les gestionnaires et les membres de

l'organisation tentent de la lire dans l'histoire du groupe. Changer le plan ne change pas la grande

stratégie. Il faut changer le groupe, le leader et ses valeurs ainsi que l'organisation; il faut

changer l'histoire.

La stratégie est déjà un pas vers l'action. C'est le choix d'un large chemin qui va encadrer

les niveaux de la tactique. C'est le lieu de la prise de décision, comme mode de fonctionnement

organisationnel. Ici l'apport de Simon (1957) est déterminant. En considérant l'organisation

comme une sorte de bassin hydrographique entre une source le (leader) et un océan les

(activités). Simon nous a amenés à réfléchir sur la structure des processus de prise de décision en

termes de design organisationnel et de prémisses cognitivement partagées par les décideurs, à

partir d'objectifs fixés au sommet.

La stratégie, c'est le lieu de la définition du domaine et d'une stratégie générique qui

conviennent à l'identité de l'organisation. Ici, les logiques implicite et subjective du leader

(Quinn, 1980) ou binaire des planificateurs (Lorange et Vancil, 1977), ou floue du groupe

(Weick, 1969,1979), commencent à se rapprocher.

L'interprétation du groupe et la vision du leader deviennent plus explicites, pour se

comparer aux interventions des planificateurs. La réflexion, l'échange ou le conflit se trouvent

alimentés par les approches normatives issues principalement de l'analyse industrielle, «rénovée»

par Porter (1980, 1985). Les concepts centraux deviennent ceux d'avantages compétitifs et de

stratégie compétitive. Cette conception du secteur industriel comme lieu d'une pratique exclusive

de la compétition est cependant relativisée par les pratiques de coopération entre organisations

(alliances, «joint-venture») (Astley et Fombrun, 1983) élaborées pour protéger l'accès aux

ressources limitées (Pfeffer et Salancik, 1978) ou pour développer une approche plus efficace de

la technologie.

La grande tactique est du domaine de l'action, à la fois lieu de la mise au point des

programmes-budgets spécifiques, en fonction de la stratégie, et lieu d'interprétation distanciée,

ex-post, des actions tactiques en cours. Cette interprétation est formalisée dans les phases du

processus de contrôle (Ouchi et Maguire, 1975), ou elle est laissée à la capacité stratégique du

groupe qui est capable de rétroaction sur la stratégie (Schreyögg et Steimann, 1987). C'est le lieu

du contrôle des processus et des résultats (Ouchi, 1977), mais aussi le lieu de formation des

coalitions qui vont défendre des projets d'investissements (Bower, 1970; Burgelman et Sayles,

1987). C'est enfin le lieu de recherche d'une interprétation, ex-post, des actions

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Espaces de la stratégie et TI 69

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organisationnelles déjà posées au niveau de la petite tactique (Weick, 1979).

Pour le leader, la grande tactique est l'application de sa vision dans les actions concrètes

de chacune et de chacun, et l'évaluation des chances de son organisation de réaliser cette vision.

Dans la petite tactique, il n'y a plus de logique pure, floue ou binaire, de la pensée. Il reste

la logique de l'action. Une logique des intérêts, des sentiments, des valeurs et des

représentations, individuelles et collectives, confrontée à des décisions visant à créer des actions

répétitives, standardisées et programmées (Starbuck, 1983; March et Simon, 1958). C'est

rarement le lieu de l'action créatrice de changement ou de rupture dans le programme, à moins

que la structure et la culture organisationnelles ne lui offrent un contexte favorable (Burgelman,

1983).

Les quatre niveaux de la stratégie et de la tactique sont liés entre eux dans le temps. Ils

s'actualisent dans une double dialectique (au moment de synthèse fragile) de la pensée qui

précède l'action et de l'action qui précède la pensée. La figure 2. 7. illustre les quatre niveaux du

concept de stratégie, à partir des réflexions de Wilden (1983). L'espace de la stratégie est le lieu

(politique, instrumental et cognitif) et le temps de cette dialectique. Ce sont les espaces

enchevêtrés ou distincts de la vision du leader, du plan stratégique ou du consensus

organisationnel. L'espace de la stratégie désigne ainsi un espace politique, pratique et théorique

qui révèle la primauté du leader, du plan ou du consensus comme forme privilégiée de

l'articulation de la pensée et l'action.

Un parallèle avec les trois modes stratégiques

Nous avons appelé la configuration basée sur l'existence d'un leader fort l'espace vide; la

configuration basée sur le plan, l'espace programmatique, et la configuration basée sur la

recherche d'un consensus par le groupe, l'espace habité.

Cette vision peut apparaître comme une relecture du travail de Allison (1971) et de ses

trois modèles de l'acteur rationnel (vidant l'espace autour de lui pour y installer sa propre

trajectoire), de l'acteur administratif (programmant l'espace de l'action) et de l'acteur politique

(où de multiples acteurs, réunis en coalitions, cherchent à occuper un espace). Ansoff (1965)

opposait déjà le planificateur, l'entrepreneur et celui qui réagit après coup («reactor»). Miles et

Snow (1978) recomposèrent les grands comportements stratégiques en termes de réactif,

d'analytique, de défensif et de prospectif. Après Ansoff (1965) et Allison (1971) et au moment

où le paradigme du choix stratégique est bien établi (Child, 1972), Mintzberg présente, dans un

article paru en 1973, les trois modes organisationnels de la stratégie :le mode entrepreneurial, le

mode planificateur et le mode adaptatif.

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Espaces de la stratégie et TI 70

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La prise de décisions est au centre des préoccupations de Mintzberg (1973) qui introduit

ainsi son article :«How do organizations make important decisions and link them together to

form strategies? ». La question est posée de façon cohérente avec l'analyse que Simon (1945) a

faite de l'organisation. L'organisation est d'abord un flux de décisions qui coule du sommet de

l'organisation vers la base. Dans cette vision, ou ce paradigme de l'approche décisionnelle, la

stratégie devient un «pattern», une forme cohérente, dans un ensemble de décisions.

La réponse de Mintzberg est double :les organisations prennent des décisions jointes ou

disjointes. Il y a deux façons de prendre des décisions jointes :soit qu'il y ait un seul preneur de

décision (et c'est le mode entrepreneurial qui imprègne l'organisation), soit qu'il existe un

système, le plan et son processus de fabrication, pour relier entre elles des décisions distinctes (et

c'est le mode planificateur qui domine l'organisation). La façon de prendre des décisions

disjointes est simple :les décideurs sont en face de buts qui ne sont pas clairs, des processus

décisionnels sont très politisés et des changements ne peuvent jamais beaucoup affecter le statu

quo. Nous sommes alors dans le mode adaptatif que Linblom (1959) et Cyert et March (1963)

ont contribué à décrire.

Le mode entrepreneurial est caractérisé par la vision de l'entrepreneur :par sa vision d'un

territoire à occuper dans le futur. À l'intérieur d'un espace vide, parce que vidé des contraintes

qui s'opposent à sa vision, l'entrepreneur recherche activement de nouvelles opportunités,

développe son pouvoir personnel, prend des décisions majeures, provoque des changements

radicaux et se bat pour la croissance d'un «empire».

Le mode planificateur est caractérisé par la formulation et la mise en oeuvre du plan.

Face à l'environnement, l'organisation planifie et replanifie une séquence de mouvements qui

doivent la mener vers le but défini. Les analystes jouent les rôles clés, l'analyse est pratiquée

systématiquement, les décisions sont intégrées en une ou des stratégies. L'espace de la

représentation est défini par les outils pratiques de la planification et les théories disponibles

(analyse industrielle, courbe d'expérience, gestion du portefeuille d'activités) : c'est un espace

programmatique.

L'espace habité ne connaît pas nécessairement les caractéristiques négatives du mode

adaptatif de Mintzberg (1973), à savoir l'absence de buts clairs, la pratique de solutions réactives,

les petits pas incrémentaux et les décisions disjointes quand les membres de l'organisation et le

management ont compris la vision du leader. L'espace habité offre à de multiples sujets

légitimés l'occasion de prendre des initiatives à l'intérieur d'un contexte stratégique qui favorise

l'innovation et le changement. Ce type d'espace se caractérise par une certaine autonomie

structurelle et un haut degré de consensus à l'intérieur du groupe.

Dans l'espace habité, la théorie de la représentation est construite en groupe, ex-post (voir

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Espaces de la stratégie et TI 71

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Weick, 1979) et la stratégie est émergente.

Conclusion

Le débat entre stratégie et structure (Chandler, 1962) a été abordé comme une question de

contingence et de choix limité au sommet stratégique. Depuis, il a été clairement établi

(Burgelman (1983), Bower (1970), Athos et Pascale (1981), Nonaka (1988)) qu'une structure

autonome pour le groupe pouvait permettre à l'organisation d'innover en prenant le risque de

laisser la stratégie émerger des actions des différents groupes. Quand le groupe - l'équipe de

travail ou même une division - est ainsi légitimé, c'est qu'un espace habité est mis en place; un

espace qui redéfinit la stratégie et la structure pour que l'initiative locale contribue au

développement des capacités stratégiques.

Faire plus avec moins, prôner la qualité totale, le zéro défaut, requiert la participation

active du personnel et du management : des structures comme les cercles de qualité leur sont

ouvertes tandis que le management intermédiaire tantôt jouit de plus d'autonomie face au

sommet, tantôt est contraint de disparaître.

Les gains réels le long de la chaîne de production redessinée ne se font que par

d'incessantes innovations et améliorations locales qui exigent l'apprentissage et le partage des

connaissances. À leur manière, les Japonais l'ont démontré, tout comme les entreprises jugées

«excellentes» en Amérique du Nord : le succès passe par le développement d'une culture ou

d'une architecture sociale favorisant l'apprentissage collectif (Vogel (1979), Bennis et Nanus

(1985), Nonaka (1988)). À chaque fois que ce thème de l'apprentissage et du partage des

connaissances est abordé, les auteurs soulignent que cette architecture collégiale doit être basée

sur le groupe (Aoki, 1991).

En retour, le groupe exigera son autonomie structurelle (jusqu'à un certain point) et un

fonctionnement de la stratégie qui ne soit plus basé sur le diktat d'un leader omnipotent, ni sur un

plan incontournable, mais sur une certaine souplesse au niveau de l'établissement des objectifs et

de la répartition des ressources que peut seul amener un fonctionnement consensuel soutenu par

le management au sommet.

Il y a, au sommet des entreprises en route vers «l'excellence», une revendication et

souvent un désir de bâtir un espace habité permettant d'implanter un système de gestion flexible

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Espaces de la stratégie et TI 72

_________________________________________________________________________

tout en maintenant une culture innovatrice (Chakravarty, 1984; Chakravarty et Lorange, 1989).

Comme le soulignent la plupart des grands leaders actuels, l'entreprise des années 90 doit abattre

ses cloisons et démolir ses étages. Quand ces changements sont profonds et complexes, quand ils

impliquent l'apprentissage, la coopération et la coordination des savoirs et des compétences, les

entreprises quittent un espace vide pour fonctionner de plus en plus dans des espaces

programmatiques ou habités.

Ainsi, le concept de stratégie n'est pas confiné au sommet mais «respire» et est à l'oeuvre,

de la grande stratégie à la petite tactique. L'espace que le concept de stratégie peut occuper dans

une organisation dépend alors de la qualité de la vision du leader au sommet, de la flexibilité du

processus de planification et de la mise en place d'un contexte stratégique et structurel favorable

à l'autonomie et à l'action. À ces conditions, le concept de stratégie trouve son plus grand espace

de travail parce qu'il concerne plus de managers et plus d'employés et d'ouvriers21 .

La configuration de l'espace vide peut laisser tout l'espace nécessaire au déploiement de

la stratégie du leader, mais le mode de fonctionnement de cet espace est le plus pauvre.

L'espace programmatique offre un vaste espace pour la stratégie mais son fonctionnement

devient très complexe. Cette complexité peut même dépasser les limites des équipes et des

techniques de planification. La masse d'informations à traiter et de décisions à optimiser devant

un avenir incertain dépasse les meilleurs systèmes de planification.

Figure 2. 8.

Le

confinement vs la «respiration» du concept de stratégie

L'espace habité offre une solution à la complexité. Les problèmes sont réglés là où ils se

21 comme le souligne Fortune (7 mai 1990) dans son dossier «Who needs a boss?»

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Espaces de la stratégie et TI 73

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posent et l'information est amenée là où les équipes résolvent des problèmes. En même temps,

c'est l'espace le plus apte à s'étendre.

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Espaces de la stratégie et TI 74

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Chapitre 3 Le déploiement massif des solutions de la technologie de l'information

Chambers, A.B. et Nagel D.C. (1985)

Introduction

Plusieurs chercheurs ont souligné que les montants investis en technologie de

l'information ne généraient pas nécessairement un retour sur l'investissement. Les

gestionnaires de banques que nous avons observées ont vécu cette situation. Après

avoir dépensé des centaines de millions de dollars année après année en technologie de

l'information, ils font un bilan plutôt négatif de leurs investissements : bien sûr leur

banque possède une centrale informatique peut-être 20 fois plus puissante qu'il y a 10

ans - sans compter tout un parc de micro-ordinateurs (de 1 000 à 5 000) - mais la

performance financière n'a pas toujours suivi. Si la banque compte l'ensemble de ses

investissements en TI, une transaction peut coûter aujourd'hui 20 fois plus cher qu'il y a

quinze ans. Les guichets automatiques n'ont pas provoqué les mises à pied que certains

craignaient ni les économies que d'autres espéraient; il y a deux fois plus de personnel

dans la centrale informatique (une banque moyenne à l'échelle canadienne peut

employer plus de mille informaticiens) et il faut continuer à investir. L'industrie

bancaire dépense, au niveau mondial, 100 milliards de dollars chaque année en

matériel, logiciels et développement d'applications. Une grande banque canadienne

dépense facilement plus de 200 millions de dollars chaque année. Et pourtant ces

systèmes n'amènent pas nécessairement une transformation de la performance - sauf

dans quelques américaines comme celle du Cash Management Account de Merrill

Lynch.

Il faut faire la constatation suivante : si les systèmes d'information comme tels

sont relativement bien gérés, les solutions de la technologie de l'information déployées

massivement échappent à l'attention des gestionnaires à cause de la complexité et de

l'étendue des domaines affectés par leur déploiement.

Ce chapitre cherche à étendre la notion de système d'information pour comprendre

le déploiement massif d'une solution de la technologie de l'information.

Page 75: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 75

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Un système d'information est un ensemble de personnes, de matériel et de

logiciels qui servent à capter, traiter et disséminer de l'information. Le déploiement

massif d'un système d'information implique de nombreux choix au-delà des personnes,

du matériel et du logiciel. Citons les choix suivants : 1. la définition des fonctionnalités

attendues du système (automatiser, représenter, supporter l'interaction);

2. l'intégration de la ou des solutions à l'intérieur d'une plate-forme unique de

technologie de l'information;

3. la forme de concentration de la ressource en technologie de l'information

(propriété, réseau ou impartition) et le mode de gestion de ces ressources à l'interne

(centralisation/décentralisation, partenariat affaires-informatique);

4. l'identification des problèmes techno-organisationnels crées par le déploiement

massif de la technologie de l'information;

5. l'arrimage à la stratégie d'entreprise (alignement, impact ou architecture);

6. l'identification de la nature de la contribution à la performance et la gestion

des bénéfices tangibles ou intangibles (réduction des coûts, positionnement,

innovation).

Le chapitre présente successivement ces six points pour introduire finalement la

notion d'espace de la stratégie dans le modèle d'une solution de la technologie de

l'information déployée massivement dans une organisation.

Pourquoi choisir la notion de solution de la technologie de l'information?

Ce choix vient des nouvelles finalités qui peuvent être assignées à la technologie

de l'information dans l'organisation. Après un premier mot d'ordre, largement

répandu, d'automatisation des opérations et des transactions, la technologie de

l'information doit aussi servir à mieux analyser et à mieux représenter22 aux

gestionnaires l'organisation et son environnement, et elle est maintenant chargée de

faire communiquer entre elles plus de personnes et plus vite.

Nous avons considéré - bien avant la cueillette des données - qu'une recherche

sur les liens entre technologie de l'information, stratégie et performance devait

distinguer et comparer les trois types de solutions, massivement déployées, de la

technologie de l'information : l'automatisation, illustrée dans la recherche par les

guichets automatiques, la solution de la représentation, illustrée par le fichier central client

et la solution de l'interaction, illustrée par les systèmes d'aide à la décision de groupe.

22 Dans le sens de Simon (1969): .

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Espaces de la stratégie et TI 76

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Il faut distinguer les fonctionnalités de la technologie de l'information. Une

application qui vise à automatiser la prise de commande peut être une solution de la

technologie de l'information intéressante parce qu'elle va créer de la performance -

réduire les coûts, accélérer le processus, permettre un meilleur service - dès sa mise en

oeuvre. La performance vient ici par la technologie de l'information. La fonctionnalité

est d'automatiser, c'est ce que appelons dans cette recherche la solution automatisation

de la technologie de l'information et nous nous sommes intéressés pour cela aux

guichets automatiques.

Une autre solution de la technologie de l'information étudiée dans ce travail, le

fichier central client, relève d'une autre fonctionnalité que nous appelons la

représentation : il s'agit de compléter l'espace de représentation du gestionnaire stratège

en lui fournissant l'information stratégiquement adéquate. Dans ce cas, la performance

ne vient plus par l'application informatisée mais de l'effort organisationnel réalisé avec

elle. Nous avons retenu le déploiement du fichier central client dans quelques banques

pour illustrer cette solution de la technologie de l'information pour la représentation.

Cette distinction est importante : Hopper (1990), le pionnier des systèmes d'information

stratégique à American Airlines, a récemment soutenu que le système de réservation

SABRE ne générait plus un avantage compétitif pour sa compagnie maintenant,

ajoutait-il, que l'avantage vient de notre capacité à exploiter toutes les données que nous

possédons pour mieux gérer la flotte, les routes et optimiser l'utilisation des ressources.

Nous avons ajouté dans notre recherche une troisième solution de la technologie

de l'information : la solution de support à l'interaction. Beaucoup d'applications nouvelles

tirent en effet profit de l'intégration des communications de données, de texte, de la

voix et de l'image. Le courrier électronique devient intelligent et les décisions de

groupe peuvent maintenant être supportées par des applications appropriées. Mais les

applications qui ont fait l'objet d'un déploiement massif dans les organisations sont

encore rares. À part le cas de l'application InterAAct chez American Airlines et des

applications similaires chez quelques autres grandes sociétés américaines (Digital,

HP...) qui doivent rejoindre des dizaines de milliers de cadres et d'employés, les

applications documentées dans la littérature sont encore peu nombreuses. Ces

applications commencent à faire l'objet de dossiers spécialisés comme le dossier CSCW

() paru en décembre 1991 dans Communications of the ACM 23. Ici le lien entre

l'application et la performance est encore plus lâche : nous dirons que la performance se

produit dans la technologie de l'information.

23En juillet 1991, la même revue présentait un dossier intitulé .

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Espaces de la stratégie et TI 77

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La solution de l'automatisation : une première solution de la technologie de l'information

Dans les organisations observées, les solutions de la technologie de l'information

se transforment et coexistent. La fonctionnalité de l'automatisation est toujours là et

elle s'applique autant aux opérations à l'interne qu'aux transactions à l'externe. La

gestion de trésorerie effectuée sur un terminal chez le client, la télématique, l'EDI

(l'échange de documents informatisé), les guichets automatiques automatisent un

nombre important d'opérations et de transactions.

Tableau 3.1.

Une typologie des solutions de la technologie de l'information

type de solution

objet de l'automatisation

applications aspect de la communication

aspect de l'utilisation

A

ARARI

les transactions et les

opérations

prise de commande; EDI; FAO;

guichets automatiques

acheminement de données

entre ordinateurs

informaticiens et personnel de sais ie de

données

les représentations

structuration massive des données et outils pour les usagers

téléchargement entre ordinateur central et s tation

de travail individuelle

usager compétent

supporté par l'informatique

les supports à l'interaction

des individus

vidéo- conférence; SIAD-G; courrier

électronique

communication multi-media et

interactive entre individus

groupe d'usagers

aptes à communiquer

guic het autom atique

fichier ce ntral c lient

sy stè me d' aide à la

dé cision de groupe

Si la contribution de ces solutions de la technologie de l'information à la

performance peut être décisive (voir le système de réservation SABRE d'American

Airlines), l'usager contribue peu à la performance de ces systèmes. Comme indiqué au

tableau 3.1., ces systèmes établissent des liens en temps réel entre ordinateurs et

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Espaces de la stratégie et TI 78

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terminaux (intelligents ou non) et la contribution de l'usager se limite à la saisie de

données ou à la consultation d'écrans standardisés.

La solution de représentation : une deuxième solution de la technologie de l'information

Les applications qui relèvent de la technologie de l'information pour

l'automatisation sont souvent déployées avec les applications de la technologie de

l'information pour la représentation. Pour organiser la mémoire de l'entreprise, les

entreprises organisent leurs données à l'aide de systèmes de gestion de bases de

données (SGBD) relationnels : c'est le cas du fichier central client dans les banques (et

actuellement chez Bell Canada) et des bases de données stratégiques (données issues du

repérage environnemental). Les entreprises mettent également au point des modèles

d'aide à la décision (les SIAD) et des heuristiques de diagnostic (les systèmes experts)

offrant des surfaces d'échange - des interfaces - conviviales.

Il ne suffit pas de générer de l'information et des modèles : il faut en tirer profit.

Comme indiqué au tableau 3.1., la communication concerne l'échange de données et de

logiciels d'analyse et de simulation entre des stations de travail individuelles et des

ordinateurs centraux; la présence d'un usager compétent donne du sens à ce potentiel

d'information et d'analyse. L'archétype de cette deuxième solution peut être le

d'American Airlines - qui fournit au management toutes les informations nécessaires à

l'optimisation des routes, de la flotte et des ressources - par opposition au système de

réservation SABRE.

Dans ce nouvel environnement, les gestionnaires font un lien entre le

développement d'un potentiel d'analyse et de segmentation et la performance; cela crée

un nouveau contexte où la possession de l'outil CIF pour Customer Information File ou

dossier client intégré est interprété comme un must, un atout compétitif indispensable.

À cet égard beaucoup de nos informateurs partagent une même admiration pour

le travail de pionnier qui a été réalisé par la Banque Royale, celle qui avait bien sûr le

plus de ressources pour réussir cette percée technologique.

Mais l'art et la science de la segmentation n'est pas le propre des institutions les

plus grosses; une guérilla, menée par les compagnies canadiennes de Fiducie, les Trusts,

illustre bien cette efficacité de la segmentation :

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Espaces de la stratégie et TI 79

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- «Mais la base de relation avec un client, un client ordinaire, c'est notre expérience qui nous dit ça, c'est l'hypothèque. Et puis actuellement la banque a perdu un petit peu de marché dans l'hypothèque. Et puis les gens qui viennent chercher ce marché là : les banques, les compagnies de fiducie, on s'aperçoit que celles qui sont performantes, ce sont celles qui on un CIF. Leur approche est intégrée, leur approche est logique...leur stratégie est logique.

Ils viennent chercher ça (l'hypothèque). Après ça ils viennent chercher une carte de crédit, un compte d'affaires...clic...un compte de chèque....clic....clic...clic....un REER. DDD Trust fait des choses intéressantes dans ce sens là, TTT Trust aussi fait des choses intéressantes».

Ainsi le fichier central client, parce qu'il exige la compétence des usagers, est du

point de vue de nos informateurs et informatrices l'application la plus critique. Le défi

est de développer la compétence des usagers, de créer de nouveaux réflexes, d'instiller

une nouvelle culture, de mener à terme des changements. Dans le cas contraire, les

applications sont peu ou mal utilisées et la stratégie - comme celle de la vente croisée de

produits financiers dans une industrie décloisonnée - ne peut être mise en oeuvre.

La problématique des applications informatisées qui relèvent de la solution

interaction de la technologie de l'information sont traitées plus loin dans le chapitre.

Le tableau 3.1. indique non seulement une progression des solutions A vers les

solutions R et I mais elle propose que les solutions R - ou I - se basent sur les solutions A

pour former des solutions AR - ou ARI. C'est l'effet recherché par les grandes

organisations : construire une plate-forme intégrée de la technologie de l'information.

La dynamique de l'intégration technique : vers la plate-forme intégrée

La tendance à l'intégration rapide des systèmes et de la technologie de

l'information (McKenney et Mc Farlan, 1982; Venkatraman, 1991), accélère la

transformation du modèle organisationnel d'Anthony (1965), l'organisation pyramidale.

En bâtissant de véritables plates-formes intégrées (voir figure 3.1.), les grandes

organisations déploient de grandes applications utilisées par les différents niveaux

hiérarchiques. Dans une banque, une application comme le fichier central client

(solution R) est partagée aussi bien par les vendeurs et les conseillers en succursale

(opérations), les experts en marketing (contrôle de gestion) et la haute direction qui

reçoit des rapports synthétiques basés sur cette application intégrée.

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Espaces de la stratégie et TI 80

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Figure 3.1.

Les composantes d'une plate-forme intégrée de la technologie de l'information

Source : d'après Madnick, 1991 : 35.

Bien sûr, chaque niveau hiérarchique a conservé une façon bien particulière

d'accéder au fichier central client. Les systèmes experts, les systèmes interactifs d'aide à

la décision, les systèmes d'information destinés à la haute direction sont des façons

particulières d'utiliser aujourd'hui les ressources d'une plate-forme intégrée de la

technologie de l'information. Mais l'application elle-même traverse toute l'organisation.

Le fichier client intégré automatise certaines opérations comme la mise à jour des

dossiers clients (solution A); il est utilisé pour représenter la situation d'un client, au

niveau de la succursale, d'un marché ou de l'organisation (solution AR); il pourrait être

utilisé par un groupe d'experts pour différents produits financiers offrant un service

intégré au client (solution ARI).

Dans une plate-forme intégrée, le déploiement massif d'une solution va le plus

souvent solliciter les quatre composantes de la plate-forme : les processeurs spécialisés,

le réseau de communications, les bases de données à accès partagé et les stations de

travail connectées au réseau.

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Espaces de la stratégie et TI 81

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Les formes de concentration des ressources et le mode de gestion de la technologie de l'information

Un des rôles du sommet stratégique est d'évaluer les trois formes de

concentration des ressources en technologie de l'information décrites par Clemons et

Row (1989).

La figure 3.2. expose les choix des formes de concentration des ressources en

technologie de l'information : la propriété, le réseau et l'impartition ().

Alors qu'une logique d'économie d'échelle justifie la propriété des ressources qui

servent à l'automatisation d'une organisation, Clemons et Row (1989) expliquent que la

création d'externalités importantes au sein d'un réseau (comme le réseau Interac opéré

par les banques canadiennes) peut transformer la forme de concentration des ressources

en technologie de l'information. Ces ressources peuvent alors être confiées à un

organisme qui exploite en un réseau global ce qui était auparavant la propriété de

chacune des banques. Cette évolution vaut actuellement pour les réseaux de guichets

automatiques, elle peut valoir demain pour la mise en commun, par les banques, de

grandes centrales informatiques si des externalités significatives peuvent être atteintes.

L'impartition ou le recours plus ou moins radical à la sous-traitance est une troisième

forme de concentration des ressources en technologie de l'information. Dans cette

forme, le matériel, le logiciel et même les personnes peuvent être entièrement sous la

responsabilité d'un sous-traitant.

Page 82: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 82

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Figure 3.2.

intégration horizontale ou verticale

des ressources en TI

PROPRIÉTÉ

IMPARTITION

RÉSEAU

Les formes de concentration des ressources en technologie de l'information

Source : Clemons et Row, 1989

La discussion sur le thème de la concentration des ressources est présente

actuellement dans tous les comités exécutifs bancaires qui s'interrogent sur le mode de

concentration qu'ils doivent choisir en fonction des intérêts de leurs clients, de leurs

actionnaires et des risques d'affaires.

L'impartition risque fort de faire entrer la gestion des applications sous-traitées

dans un espace vide où les solutions de la TI ne sont plus en résonance avec l'analyse

stratégique; la propriété de ces ressources permet d'ajuster l' réciproque des plans

systèmes et d'affaires; la forme du réseau implique le plus souvent le stratège au

sommet dans la formulation et la mise en oeuvre d'une stratégie d'affaires à la fois en

concurrence et en coopération avec les compétiteurs qui participent au réseau (exemple

: le réseau Interac).

Le mode de gestion des ressources de la TI à l'interne est en soi un domaine

complexe. Faut-il centraliser ou décentraliser les ressources en TI? Bâtir

systématiquement un partenariat affaires-informatique? Comment mesurer les

bénéfices et garder le contrôle sur des ressources si facilement gaspillées (par des

erreurs de standardisation du matériel et des logiciels, par des développements

inadéquats ou livrés trop tard, par des usagers incompétents, par des données cruciales

qui ne sont pas protégées etc...) ?

Page 83: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 83

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À une époque nouvelle où le modèle pyramidal est remis en question, où les

applications intégrées (AR ou ARI) deviennent la règle et où la notion d'arme

stratégique ne rend plus compte des nouveaux développements de la technologie de

l'information, une des façons de se donner un cadre conceptuel pour classer les

solutions de la technologie de l'information est celui des problèmes techno

organisationnels induits par ces solutions.

Les problèmes techno-organisationnels induits

La technologie de l'information doit plus être approchée comme une plate-forme

interdépendante du contexte stratégique (Venkatraman, 1989) et moins comme un

système ou une application particulière (voir Scott Morton, 1991).

Les applications déployées massivement sont rapidement copiées et deviennent

de nouveaux standards pour un secteur industriel donné. Sur 30 projets dans 500 des

plus grandes entreprises selon Fortune, quelques-uns (5) seulement ont réussi (Mason,

1991) et les échecs ne sont pas de nature technique mais bien de nature

organisationnelle .

Rockart et Short (1989) ont étudié l'impact de la technologie de l'information sur

l'organisation. Ils ont observé des changements dans la structure interne des

organisations (rôle, pouvoir, hiérarchie), une désintégration des formes

organisationnelles en faveur de formes adaptées au marché, d'une intégration toujours

plus grande des systèmes et de l'émergence de formes organisationnelles basées sur le

groupe de travail, l'équipe centrée sur un problème spécifique.

En faisant la synthèse d'une recherche menée durant quatorze mois auprès de

seize grandes sociétés, Rockart et Short (1989) concluent que la technologie de

l'information est d'abord une nouvelle approche à la gestion de l'interdépendance

transformant les contributions classiques de Lawrence et Lorsh (1967), de Mintzberg

(1979) et de Galbraith (1973). Six contextes organisationnels sont identifiés en

particulier par Rockart et Short (1989) comme étant des contextes où les efforts

d'intégration permis par la technologie de l'information ont remarquablement amélioré

les capacités de gestion d'unités, qu'elles soint organisées par fonction, par produit ou

par région.

Ces contextes sont ceux de l'intégration de la chaîne de production de valeur, de

l'intégration fonctionnelle interne, du travail d'équipe soutenu par la technologie de

l'information, de la planification et du contrôle (maintenant en temps réel et en équipe), de

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Espaces de la stratégie et TI 84

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la gestion de l'organisation de la technologie de l'information, et de l'intégration à un contexte

inter-organisationnel.

De son côté, Weill (1989), cherchant minutieusement dans une étude contrôlée à

mesurer l'impact de la technologie de l'information sur la performance, arrive à douter

de cet impact. Il mentionne toutefois l'existence d'un facteur d'efficacité de la conversion

de l'investissement en performance. Ce facteur capturerait essentiellement des

dimensions de gestion.

L'organisation investie par la technologie de l'information se crée en fait une

multitude de problèmes techno-organisationnels. Bien qu'il soit difficile de les

distinguer, les problèmes sont essentiellement de l'ordre de la fusion des procédés (dans

l'atelier et dans les bureaux); de la confusion dans les processus décisionnels et de

l'acquisition et de la diffusion de la connaissance.

Dans l'atelier comme dans le bureau, les solutions R (l'automatisation des

représentations) s'intègrent aux solutions A (l'automatisation des opérations et des

transactions).

Un système expert crée d'emblée des problèmes techno-organisationnels autour

de la gestion des connaissances. Cette gestion des connaissances fait potentiellement du

système expert une solution I de la technologie de l'information, un concept proche des

systèmes de groupe () même si l'interaction se passe en quelque sorte en amont du

système, entre l'expert et l'ingénieur .

Un système élémentaire d'aide à la décision de groupe - par exemple un système

axé sur le vote - crée d'abord des problèmes techno-organisationnels autour de la prise

de décision; il peut aussi poser des problèmes d'acquisition et de diffusion de la

connaissance. Ainsi, plus la technologie de l'information fait des membres de

l'organisation des organisants plutôt que des organisés (voir le tableau 3.2.), plus les

problèmes techno-organisationnels induits sont complexes et multiples.

Tableau 3.2. Les problèmes techno-organisationnels induits par la technologie de

l'information

les problèmes

techno-

organisationnels

La

technologie

de

l'ordinateur

Les

fonctionnalité

s de

l'ordinateur

L'utilisation

de

l'ordinateur

par

l'organisation

Le rôle des

personnes

dans

l'organisation

Page 85: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 85

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LA FUSION DES

PROCÉDÉS

machine à

calculer

automatiser les

opérations et les

transactions

rationalisation et

contrôle

les organisés

LA CONFUSION

DANS LES

PROCESSUS

DÉCISIONNELS

machine

programmable

universelle

automatiser plus

ou moins

complètement un

espace de

représentation

produire de

l'information

pour le

management

organisés

/

organisants

L'INFUSION ET LA

DIFFUSION DE LA

CONNAISSANCE

médium

structuré de

communication

automatiser le

support à

l'interaction et

l'accès aux

connaissances

favoriser

l'intégration de

l'organisation

les organisants

En toile de fond des nouveaux problèmes techno-organisationnels se trouve la

transformation du statut du personnel et des cadres d'organisés dans une organisation

très formalisée et hiérarchisée au statut d'organisants dans des organisations

décloisonnées, axées sur le temps réel et les savoirs complexes.

Les problèmes techniques viennent de l'évolution de l'ordinateur (voir Winograd

et Florès, 1987), de sa mise en réseau, de l'intégration des données, du phénomène

multimédia ainsi que de la révolution dans les méthodes de développement.

Les problèmes techno-organisationnels proviennent de la nécessaire

transformation de l'organisation et des hommes pour exploiter ce nouveau potentiel

technologique. Trois catégories de problèmes semblent émerger : la fusion des

procédés, la confusion dans les processus décisionnels ainsi que l'infusion et la

diffusion de la connaissance (voir le tableau 3.3).

Page 86: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 86

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Tableau 3.3.

Les problèmes techno-organisationnels et la notion d'espace de la stratégie

SOLUTION GÉNÉRIQUE DE LA

TI

PROBLÈMES TECHNO-

ORGANISATION-NELS

ENGENDRÉS

ESPACE DE LA STRATÉGIE

PRINCIPALEMENT ASSOCIÉ

Automatisation

Fusion des procédés

Espace vide

Représentation

Confusion dans les processus de décision

Espace

Programmatique

Interaction

Infusion et diffusion de la connaissance

Espace Habité

Le tableau 3.3. indique que la fusion des procédés est associée avec l'espace vide;

c'est une opération planifiée par la haute direction et qui risque d'être imposée par le

diktat du sommet. La confusion dans les processus de prise de décisions relève de

l'espace programmatique parce que la disponibilité des données et des modèles de

simulation est cruciale dans la prise de décision. La question de l'infusion et de la

diffusion des connaissances contribue à développer l'espace habité parce que

l'interaction est au coeur de la création de la connaissance.

La fusion des procédés, des activités et des processus

Page 87: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 87

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Les problèmes de l'automatisation flexible mais aussi ceux de l'automatisation

des bureaux et des services sont des problèmes techno-organisationnels posés par les

solutions de type A.

Les problèmes de l'automatisation flexible

Dans l'atelier, l'automatisation flexible requiert une représentation adéquate de la

pièce à produire au niveau de l'équipe de travail. Cette représentation va permettre

d'entrer de nouvelles données et de modifier des réglages et des programmes sur une

machine outil programmable.

Cette organisation du travail intègre la tâche des gens du secteur production

avec la tâche des gens du secteur organisation et méthodes.

L'ancienne classification de Woodward (1958) qui décrivait les procédés de

production en les classant entre technologie de travail à l'unité, en petite série, à la

chaîne et en continu, ne se vérifie plus (Adler, 1988). Le potentiel de la technologie de

l'information est tel qu'elle propose une perfection logique pour tous les types de

procédés en les ramenant tous à une seule classe de procédés : le procédé continu (voir

figure 3.3.).

La fusion des procédés est due à l'automatisation dite flexible. La technologie de

l'information déclenche un potentiel productif nouveau, mais l'utilisation de ce

potentiel doit reposer sur une stratégie explicite à tous les niveaux de l'entreprise et sur

une quête collective de la connaissance grâce à un apprentissage continu .

Page 88: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 88

_________________________________________________________________________

Figure 3.3.

Structure des procédés

Produit unique

Produits multiples

Produits majeurs

Produits standardisés

À LA PIÈCE

EN LOTS

LIGNE D'ASSEM-

BLAGE

FLUX CONTINU

L'effet de l'automatisation sur la matrice

des produits et des procédés Source : Adler (1988 : 39)

La maîtrise parfaite de la nouvelle technologie semble impossible (80% des

entreprises ne parviennent pas ou renoncent à rendre flexible leur ligne de production,

après un investissement dans un système dit (Adler, 1988)), parce que les stratégies

fonctionnelles font défaut (surtout la stratégie de production (Weelwright, 1984)), et que

l'apport humain devient crucial dans la maîtrise des nouvelles technologies.

Le cas de l'industrie des services

Dans l'industrie des services, le portrait est assez similaire. Les grandes

applications du type A ont d'abord contribué à éliminer du personnel (exemple dans les

banques : le traitement automatique des chèques). Mais les nouveaux investissements

dans la technologie de l'information relèvent plus de solutions AR que de pures

solutions A et les problèmes techno-organisationnels dépassent l'organisation des

activités. Le fait que le déploiement massif des solutions de la technologie de

l'information crée des problèmes techno-organisationnels de plus en plus complexes

Page 89: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 89

_________________________________________________________________________

pourrait bien contribuer à expliquer la relation chaotique entre la progression continue

des investissements en technologie de l'information et la productivité des employés

dans l'industrie américaine des services (voir figure 3.4.).

Le fichier central client, développé à grands frais par la plupart des banques,

offre de l'information intégrée sur la situation d'un client... Au conseiller et à l'employé

d'en tirer profit! Comme dans le cas de l'automatisation flexible la représentation est

fondue dans l'automatisation avec comme conséquence des exigences nouvelles au

niveau de l'initiative, des compétences, de l'esprit de collaboration, de la qualité des

stratégies fonctionnelles. La croissance exponentielle des investissements en

technologie de l'information dans l'industrie des services n'a pas eu d'impact décisif sur

la productivité des employés-ées.

La confusion des processus décisionnels

La mise en place des nouveaux concepts d'aide à la prise de décision pour le

gestionnaire multiplie les analyses spécialisées effectuées par des individus isolés. Ces

solutions de la technologie de l'information contribuent-elles à clarifier les prémisses et

le design des processus décisionnels? Ces solutions sont-elles développées autour d'un

paradigme cohérent qui tient compte de la complexité, de l'unicité de la stratégie et de

la nature sociale du processus décisionnel? Les systèmes de contrôle mis en place pour

soutenir la hiérarchie n'inhibent-ils pas la décision là où les problèmes se posent et

requièrent des initiatives rapides?

Page 90: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 90

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Figure 3.4.

investissements

en technologie

de l'information

productivité

des cols blancs

1962 1970 1980 1990

1962 1970 1980 1990

index d e

do tation

en capital *

index d e

prod uctiv ité *

* So urce: S. Ro ach, "Serv ice Under Siege: The Restructuring Imp erative",

Harvard Business Rev iew, Septemb er-Octo ber 1 99 1: 8 5. Les investissements en technologie de l'information comparés à la productivité des

cols blancs, aux États-Unis

Les problèmes d'interface dans la prise de décision stratégique

L'activité de prise de décisions est le moteur de l'organisation (Simon, 1945) et,

réciproquement, la planification est dans son essence un processus de prise de décision

(Ackoff, 1970). Les outils d'aide à la décision aux différents niveaux de la hiérarchie - et

les systèmes experts - doivent contribuer à une meilleure prise de décisions au sommet

et, au niveau des cadres intermédiaires, à un meilleur contrôle de la gestion et à un

meilleur contrôle des opérations.

Simon, dans (1945), discute de l'efficacité de la prise de décisions à partir de la

définition des prémisses des prises de décisions et du design du réseau de prise de

décision. Il écrit : . Une décision complexe évoluera, au sein d'une organisation, non

seulement en fonction des prémisses fixées par la haute direction, mais aussi en fonction

Page 91: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 91

_________________________________________________________________________

du de communications et de relations humaines qui transmet aux membres de

l'organisation l'information, les prémisses, les buts, les attitudes et les attentes.

Dans le contexte de l'organisation des années 90, la confusion peut naître de

prémisses multipliées et de schémas décisionnels qui s'éloignent de la logique de la

chaîne hiérarchique reliant les moyens aux fins.

Confier des outils puissants d'aide à la décision - donc des modèles, donc des

prémisses - à de multiples décideurs isolés et autonomes dans leur fonction

organisationnelle, c'est risquer d'aboutir à des conclusions incompatibles entre finances,

informatique et production, par exemple. L'existence de nouvelles interfaces entre les

grandes fonctions organisationnelles comme les groupes de travail, les déplacements de

cadres et les bases de données intégrées contribue à brouiller le schéma organisationnel

de la prise de décisions. Il résulte de ce nouveau contexte stratégique une redistribution

des rôles, des tâches et des responsabilités qui mènent à de nouveaux design des

processus de prise de décisions au sein de l'organisation : (Hax, 1989).

Les organisations envahies par les solutions AR de la technologie de

l'information doivent résoudre des problèmes techno-organisationnels nouveaux qui

portent sur les prémisses et les design des processus décisionnels. Une contribution

comme celle de Frederiks et Venkatraman (1988) essaie d'intégrer les décideurs

impliqués dans la formulation et la mise en oeuvre de la stratégie pour solutionner des

problèmes d'interface entre les visions fonctionnelles.

L'acquisition et la diffusion de la connaissance

La technologie du système expert est celle qui automatise le plus un espace de

représentation. Le système expert est d'abord un transfert de mémoire ou de

représentations enregistrées dans le cerveau humain. C'est, à partir d'interactions entre

l'expert et l'ingénieur , un transfert de la mémoire d'un expert très compétent dans un

champ bien délimité du savoir humain vers la mémoire de l'ordinateur. Et comme la

mémoire de l'expert est hologrammatique (ce sont les computations qui ont servi à

établir la représentation qui sont engrammées dans la mémoire), ce que l'ingénieur

peut en extraire, ce sont des règles ou des computations. Les interactions du couple

expert-ingénieur forment la clé du succès du système expert.

Les problèmes du système expert et du travail coopératif

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Espaces de la stratégie et TI 92

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Dans l'organisation, le système expert est là pour préserver et disséminer de

l'expertise rare (Luconi et al, 1986). N'est-ce pas le rôle de la mémoire

organisationnelle? Ainsi, le système expert révèle une rupture dans le paradigme

traditionnel de l'homme comme et . Zeleny (1987 : 59) écrit à ce sujet :

.

Les tenants des systèmes experts comme ceux des systèmes coopératifs partent

d'un même constat : l'acquisition et la diffusion de la connaissance sont là pour

coordonner l'action. Les systèmes d'aide au travail coopératif sont des systèmes axés

sur la coordination de l'action, donc sur l'intelligence, c'est-à-dire - comme l'écrit

Nonaka (1988) - la création et la destruction des connaissances. Ces systèmes sont liés

logiquement aux systèmes experts par la nature des problèmes techno-organisationnels

qu'ils induisent. Dans les deux cas - sauvegarde de règles dans un SE ou partage

d'histoires pour favoriser l'apprentissage organisationnel (Epple et al. 1991) - il s'agit

d'améliorer le savoir, les connaissances, l'intelligence de l'organisation. Comme le

souligne Stata (1989) l'enjeu de l'apprentissage organisationnel devient critique :

.

Contrairement à la situation qui prévalait au début de l'informatisation des

entreprises, l'essentiel du travail dans les organisations est actuellement effectué de

façon coordonnée, voire même collégiale. La technologie de l'information mise au

service du travail en groupe concerne les trois domaines clés de la communication, de la

collaboration et de la coordination (Ellis et al, 1991). Le but des systèmes de groupe24 ()

est d'assister les groupes dans la communication, dans la collaboration et dans la

coordination de leurs activités.

24Plus spécifiquement, un système de groupe est un système basé sur ordinateur qui supporte des groupes ou

des personnes engagées dans une tâche commune (ou un but commun) et qui fournit une interface vers un

environnement partagé (idem: 40). Ainsi, un système de groupe comme le courrier électronique contribue peu au

partage d'un environnement commun (face à une salle de conférence équipée de systèmes de groupe). Les

applications de groupe peuvent être classées en fonction des dimensions de temps et d'espace (de l'interaction en

face à face à l'interaction à distance et asynchrone). Elles peuvent aussi être classées en fonction de leurs

fonctionnalités: les systèmes de messagerie, les systèmes d'écriture en groupe, les systèmes d'aide à la décision de

groupe et les salles de réunion électroniques, les conférences par ordinateur, les agents intelligents et les systèmes de

coordination (routage de documents, programmation de processus, systèmes de suivi des engagements etc...) (idem).

Page 93: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 93

_________________________________________________________________________

Les transformations de l'arrimage à la stratégie

Le passage des solutions A aux solutions AR et ARI ne concerne pas seulement

des changements de paradigme sur ce que sont les systèmes d'information ni des

changements d'espace de la stratégie : l'arrimage des systèmes et de la technologie de

l'information à la stratégie est directement questionnée.

Pour Boyton et Zmud (1987), la gestion des technologies de l'information est

passée d'une étape d'adaptation de la technologie de l'information aux fonctions centrales de la

firme (1965-1975) à une étape de support aux managers et aux professionnels (1975-1985)

ainsi qu'à une extension des applications centrales () vers l'extérieur de l'organisation.

En fait, les entreprises sont passées des solutions A aux solutions AR et - bien

plus tard - aux solutions AR dites stratégiques, c'est-à-dire les solutions AR qui étendent

les applications centrales vers les clients et les fournisseurs.

Les techniques de planification des systèmes d'information reflètent bien cette

évolution25 : la solution A, comme la solution AR, peut être arrimée à la stratégie en

mode d'alignement (les gens de systèmes essayent de à la stratégie) ou en mode

d'impact (les gens de système veulent changer la stratégie en développant de nouvelles

applications).

L'alignement et le support aux opérations

Dans les années 60, il s'agissait de construire une entreprise dans une entreprise

(un gros système et beaucoup d'analystes et de programmeurs). C'était l'époque des

étapes de la croissance (SOG pour ) : initiation, expansion, consolidation et maturité

(Nolan, 1974).

Deux transformations majeures sont venues transformer le contexte

technologique : la technologie de la ressource données () sous forme de capacité de

mémorisation et de gestion de base de données, et les systèmes en ligne directe (). À

partir de cette période l'accent, pour la planification des systèmes, n'est plus mis sur la

25Les cas classiques de AHS (), de Merrill Lynch (Lucas, 1986) ou de Federal Express (mais aussi de USA

TODAY, de General Electric, de Bank of America, de Toyota USA, de Digital Equipment, Xerox et United Airlines

(Benjamin et al, 1984)) servent d'emblèmes aux tenants de la technologie de l'information comme partie intégrante

de la stratégie d'entreprise, ou même de la technologie de l'information comme définissant la stratégie corporative.

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Espaces de la stratégie et TI 94

_________________________________________________________________________

gestion des applications (comme la paye) et des traitements, mais sur la gestion des

données et des informations considérées comme ressources.»26

Le progiciel BSP () développé par IBM aborde bien la conceptualisation et le

design de l'ensemble de la ressource-données de l'entreprise : l'enjeu n'est plus la

gestion de la salle d'ordinateurs.

Cependant, l'environnement compétitif n'est pas encore considéré (Wiseman,

1985). Des compagnies comme American Airlines innovent toutefois en pratiquant des

solutions AR de façon interorganisationnelle. Dans les années 70, les systèmes de

réservation de billets d'avion dont les terminaux sont loués aux agents de voyage par

les grandes compagnies aériennes illustrent la montée, dans l'industrie des services, des

systèmes stratégiques. L'opération des systèmes de réservation devient d'ailleurs plus

rentable, pour les transporteurs, que les vols eux-mêmes.

L'apparition, dans les années 70, de mini-ordinateurs performants et de micro-

ordinateurs dans les années 80 a permis l'informatisation de fonctions spécialisées de

l'entreprise, à l'aide de progiciels d'applications. Le nouveau concept est devenu celui

lde la gestion de la ressource informationnelle (IRM pour ). L'IRM utilise le concept de

ressources données dans une perspective de gestion. Avec la décentralisation

qu'accompagne les nouvelles technologies de l'information, les systèmes et les bases de

données sont multiples et la question que se pose le manager est : (Sullivan, 1985).

La méthode des facteurs critiques de succès qui assiste le manager dans son

travail d'identification des exigences individuelles en système d'information est le

premier effort de planification implicitement orienté vers les communications. Le CSF

prend une perspective pour satisfaire les besoins informationnels du manager.

L'impact et le mouvement stratégique

Le système SABRE de réservation d'American Airlines représente le prototype de

ce genre d'application. Son impact stratégique a été majeur sur l'industrie; le système a

généré d'énormes revenus pour American Airlines et il représente à lui seul près du

tiers de la valeur de la compagnie.

26«Le fait de partager (les données de l'entreprise) est le reflet d'une évolution dans l'utilisation des systèmes

informatiques. Historiquement, chaque nouvelle application engendrait ses propres fichiers et ses propres

programmes. La création d'une base de données va à l'encontre de cette façon de faire: elle rend possible la

centralisation, la coordination, l'intégration et la diffusion de l'information archivée» (Delobel et Adiba, 1982).

Page 95: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 95

_________________________________________________________________________

C'est à l'externe, au niveau de la gestion électronique des transactions, que ces

systèmes ont, pour la plupart, mérité leur vocable de systèmes stratégiques. En

réduisant le temps et le coût des transactions, ils ont permis de nouveaux arrangements

intra et interorganisationnels. Leur contribution est bien comprise à la lumière du

concept de coût de la transaction.

Ces systèmes ont un impact décisif sur le secteur industriel qui entoure la firme.

Ainsi Porter et Millar (1985) ont établi que la technologie de l'information modifiait les

règles de la compétition : 1. en changeant la structure industrielle, 2. en créant de

nouveaux avantages compétitifs, et 3. en démarrant des affaires complètement

nouvelles.27 Bien qu'il soit parfois délicat de distinguer entre ces deux premiers modes

d'arrimage (voir Parker et Benson, 1988), le passage de l'alignement à l'impact désigne

une capacité entrepreneuriale nouvelle chez les gens de systèmes. L'arme de l'automatisation

Le concept d'arme stratégique se retrouve dans l'analyse de Scott Morton et

Rockart (1984) qui dégagent de l'analyse de cas la présence de mouvements stratégiques

inédits, issus de la technologie de l'information. Porter et Millar (1985) voient à l'aide de

l'analyse de la chaîne de production de valeur et de la grille stratégique de Porter (1980)

de nouvelles façons de développer des avantages compétitifs et de nouvelles stratégies

à partir de la technologie de l'information. C'est aussi, d'une façon très systématique, le

cas de Wiseman (1985) qui conçoit une grille de cinq coups (différenciation, avantage

coût, innovation, croissance, alliance) à jouer, à l'aide de la technologie de l'information,

sur les trois cibles des clients, fournisseurs et concurrents.

Wiseman (1985) va critiquer la classification d'Anthony (reprise par Gorry et

Scott Morton) en soutenant qu'elle inhibe le développement de systèmes d'information

stratégiques (voir le tableau 3.4.).

27Des auteurs, de plus en plus nombreux, ont travaillé les notions d'arme stratégique (Parsons, 1983;

Benjamin et al., 1984), les avantages compétitifs des réseaux interorganisationnels (Barrett et Konsynski, 1982;

Cash et Konsinsky, 1984; Johnston et Vitale, 1988) et plus tard leurs avantages coopératifs (Rotemberg et Saloner,

1989 cité par Venkatraman et Zaheer, 1990). Pour atteindre ces avantages compétitifs ou coopératifs, des

chercheurs ont analysé les liens entre la stratégie et l'architecture de la technologie de l'information (Devlin et

Murphy, 1988; Venkatraman, 1989), ainsi que des liens entre la planification de la stratégie et la planification des

systèmes (King et Cleland, 1975) qui provoquent une réorganisation économique (Clemons et Row, 1989) à travers

une intégration électronique des marchés et des hiérarchies (Williamson, 1975; Malone, Yates et Benjamin, 1987).

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Espaces de la stratégie et TI 96

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Tableau 3.4.

Les solutions de la technologie de l'information

et la classification de Wiseman (1985)

Automatiser les procédures de base

Satisfaire les besoins en information

Appuyer ou porter la s tratégie concurrentielle

SYSTEMES D'INFORMATION STRATÉGIQUES

Systèmes d'information opérationnels

Systèmes d'in- formation d'aide au management

Traitements transactionnels

Extraction et analyse

Utilisation

Fonctionnalités

A

AR

ARI

AR

?

L'apport de Wiseman (1985) est intéressant dans le sens où il démontre que la

notion de système d'information stratégique n'a plus besoin de la distinction entre

systèmes transactionnels et systèmes d'extraction et d'analyse. Mais qu'en est-il des

solutions ARI destinées à supporter l'interaction? Une application comme le système

InterAAct d'American Airlines - qui vise à relier 68 000 employés pour accélérer l'accès

à l'information et transformer les processus de décision à l'échelle mondiale - est-elle un

système stratégique au sens de Wiseman? Dans les années 90, cette métaphore

largement diffusée de la technologie de l'information comme arme compétitive est

incomplète parce qu'elle n'intègre pas dans son cadre conceptuel les solutions de type

ARI.

Le temps de l'arme stratégique - indépendante d'un contexte organisationnel -

semble aujourd'hui dépassé dans la plupart des industries (Mason, 1991). Les

entreprises sont maintenant en situation de rattrapage stratégique et il semble de plus

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Espaces de la stratégie et TI 97

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en plus évident pour les décideurs et les observateurs que les grandes réussites des

systèmes stratégiques étaient aussi de grandes exceptions.

Le concept d'arme stratégique souffre ainsi d'un décalage avec la nouvelle réalité

de la plate-forme technologique intégrée : la plate-forme stratégique est un réseau de

communication qui relie des usagers et leur permet de tirer profit des traitements et des

données.

Les responsables de la fonction MIS, récemment sondés par la revue MIS

Quaterly relèguent de plus en plus bas dans leur liste de priorité le développement de

systèmes stratégiques; ceux-ci passent d'une priorité n°2 en 1986 à une priorité n°8 en

1989. Mason (1991) s'est mis à expliquer aux gestionnaires de systèmes et de

technologie de l'information qu'ils faisaient fausse route : la technologie de l'information

n'est pas une arme stratégique! (Mason, 1991 : 27).

L'architecture et le comportement stratégique

La dernière étape de la planification stratégique de la technologie de

l'information s'articule autour de l'architecture du réseau. C'est, pour Sullivan (1985), la

découverte finale de l'interrelation entre les trois perpectives de planification

précédentes (le traitement, le stockage et la communication ). C'est à l'entreprise de

choisir, en fonction de ses besoins, le niveau d'intégration que ses sous-systèmes

posséderont.

Pour Sullivan (1985), l'architecture de la technologie de l'information - et non plus

d'un système d'information - comprend les applications spécifiques, les standards

logiques et les facilités physiques de traitement, de stockage et de flux d'informations.

Seules les compagnies qui auront assemblé les trois piliers du traitement, du stockage et

de la communication pourront entrer dans ce concept d'architecture de la technologie de

l'information. Un auteur comme Zachman a systématisé et popularisé cette approche

architecturale (Zachman, 1987).

Quand le mode d'arrimage est l'architecture (comme dans le schéma

d'Henderson vu au chapitre premier), les solutions ARI deviennent la règle et la

stratégie se conçoit plus comme développement de capacités que comme coup ou

mouvement stratégique. Dans les entreprises qui atteignent cette maturité

technologique et stratégique, l'initiative de déployer une application donnée revient aux

managers opérationnels qui travaillent en étroit partenariat avec les gens de la

technologie de l'information (voir Henderson, 1990). Les managers de l'unité d'affaires

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Espaces de la stratégie et TI 98

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voient l'opportunité de déployer, ils anticipent un impact marqué sur la performance de

l'unité d'affaires et, pour arriver à implanter une solution, ils mobilisent une équipe de

spécialistes en technologie de l'information. La pratique de la plate-forme stratégique

exige un partenariat constant entre l'unité d'affaires et les spécialistes en technologie de

l'information.

Le lien des solutions de la technologie de l'information avec la performance

Interrogés systématiquement sur la performance anticipée du fichier central

client, les décideurs que nous avons rencontrés ne mentionnent pas la performance

financière pour justifier les investissements effectués dans le déploiement d'un FCC

opérationnel. En fait, ils ne parlent plus, à propos du FCC, de performance financière (qui

pourrait générer des résultats immédiats) mais bien d'importance stratégique. Les

dizaines de millions de dollars qui sont investis dans le déploiement du FCC doivent

soutenir une nouvelle orientation de la succursale axée sur la vente croisée et mieux

positionner l'offre de la banque28. Fournir cet outil et créer de nouveaux réflexes dans

la succursale est crucial pour la banque. Suivant en cela l'exemple du Yield Management

System d'AMR, le fichier central client - même correctement déployé - ne générera pas

de performance du fait de sa seule mise en oeuvre.

Il apparaît que plus les entreprises progressent vers des solutions évoluées de la

technologie de l'information - la représentation (AR) et l'interaction (ARI) - moins la

performance directe de l'application peut être anticipée financièrement alors que son

importance stratégique est croissante29.

28En offrant un meilleur service, en ciblant précisément la clientèle, en réalisant plus de ventes croisées (en

moyenne un client détient à peine deux produits pour une des banques observées), la banque va améliorer son

positionnement et atteindre ses clients plus en profondeur dans leurs besoins courants et dans la gestion de leur

richesse.

29Benson et Parker (1988) proposent cinq dimensions à la mesure du retour sur l'investissement en

technologie de l'information. La première dimension, l'analyse coûts/bénéfices, évalue les effets de la réduction du

personnel, de la baisse du nombre d'entités administratives et de lieux d'opération, et l'amélioration de l'efficience

dans l'utilisation des ressources. Les quatre autres dimensions (la valeur des liaisons établies, la valeur de

l'accélération des processus, la valeur de la restructuration et la valeur de l'innovation) cherchent à mesurer une

valeur obtenue à partir du rôle stratégique de l'application. Les auteurs étudient également comme contribution à la

performance l'avantage compétitif, la réponse compétitive, l'information pour le gestionnaire, l'architecture des

systèmes et l'innovation technologique.

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Espaces de la stratégie et TI 99

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L'exemple type de ce paradoxe est le déploiement massif du système InterAAct

chez AMR qui est à peu près injustifiable financièrement selon les critères de ROI

habituels, mais qui est perçu comme hautement stratégique : comme l'a souligné M.

Hopper, il s'agit alors d'un acte de foi... qui engage plus de cent millions de dollars.

Les liens entre la technologie de l'information et la stratégie - dans ce cas

l'importance stratégique - dépendent des contextes organisationnels.30 Une solution de

la technologie de l'information déployée correctement dans un espace de la stratégie

approprié contribuera différemment à la performance, selon qu'elle est une solution A,

R ou I. La solution A sera associée à la réduction des coûts, la solution R à un meilleur

positionnement et la solution I à une plus grande capacité d'innovation.

L'espace de la stratégie comme espace de changement

La notion d'espace de la stratégie permet de traiter de dimensions

organisationnelles qui ne relèvent pas exactement de la structure ni de la stratégie.

Pour Charan (1991) comme pour McFarlan31, si la structure organisationnelle renvoie à

des systèmes de pouvoir vertical et d'autorité fonctionnelle, l'architecture sociale

renvoie à des mécanismes à travers lesquels des gestionnaires clés peuvent faire des

choix () ainsi qu'à des flux d'information, de pouvoir et de confiance qui donnent une

forme à ces échanges :

(Charan, 1991).

L'espace vide et les solutions A

Pour Jean-Louis Le Moigne (1986), le paradigme MIS est fondé sur la conception

suivante : l'organisation est d'abord un système d'activités à contrôler. Le système MIS est

donc le système de contrôle d'un système à contrôler.

30En France, le V-P systèmes de Elf-Aquitaine le déclare clairement: (Le Monde de l'informatique, 8 janvier

1990). De son côté, James A. Senn, consultant de renommée mondiale, écrit dans une lettre d'affaires: . Weill

(1989) affirme également en conclusion de sa recherche qu'il faut regarder les dépenses en technologie de

l'information par catégorie et que les dépenses totales n'ont pas de sens.

31Selon McFarlan, il faut distinguer entre des affaires et transformation de l'organisation; la transformation

de l'organisation concerne ce qui est informel, social, politique et culturel (Conférence de l'ACI, , Winnipeg et

Montréal, le 16 février 1993).

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Espaces de la stratégie et TI 100

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Il s'agit, dans la perspective MIS d'automatiser, c'est à dire de créer un système de

contrôle qui se substitue à l'intervention humaine. Ainsi, en découpant l'entreprise ou

l'organisation en sous-systèmes, on crée des sous-systèmes automatisés (gestion des

stocks, réception de commandes...) un concept de nature cybernétique (l'information y

existe comme signal déclencheur). Ces applications MIS ne sont pas de nature systémique

(sinon dans le découpage en sous-systèmes) parce que l'approche systémique reconnaît,

elle, le concept fondamental d'émergence. Les propriétés du système émergent de

l'ensemble des parties : elles ne sont pas réductibles à quelques règles fonctionnelles et

explicites, a priori.

Figure 3.5.

Automatisation et espace vide

Ce paradigme du contrôle cybernétique contribue à la création d'un espace vide

autour des solutions automatisées de type A. Au rôle instrumental du système de

contrôle se joignent des dimensions politiques et théoriques. Politiquement, toute la

légitimité appartient au propriétaire du système et les méthodes de développement -

comme le cycle classique - reflètent cet état de fait. Théoriquement, les systèmes A

correspondent à une vision des détenteurs du pouvoir au sommet et des experts en

conception de solutions A. Les usagers, les utilisateurs, les membres de l'organisation

Page 101: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 101

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doivent travailler dans cet espace vidé de leur légitimité, de leurs pratiques et de leurs

visions.

Ce paradigme de l'approche cybernétique et son corollaire - l'espace vide - ne

sont cependant plus cohérents avec la révolution technologique de l'automatisation dite

flexible. Dans l'atelier, les solutions A (comme la FAO, la fabrication assistée par

ordinateur) sont intégrées aux solutions R (la conception assistée par ordinateur, la

CAO, et la gestion des approvisionnements, MRP ou ).

Ce nouveau potentiel technologique intégré permet la fusion des procédés au

niveau de l'atelier, déclenche la réorganisation des activités et une conception revisée

des processus. La figure 3.5. exprime cette configuration qui relie les solutions A et

l'espace vide. Les lettres A et X expriment que l'application technologique A devient

objet de la stratégie X.

Dans une configuration d'automatisation et d'espace vide, les activités se

caractérisent par un niveau extrême d'automatisation. L'organisation est un espace de

flux et de processus, qui n'est pas dépendant de grandes contributions du personnel et

du management. Le management est autant que possible lui-même automatisé, ce qui a

été longuement discuté par Simon (1977) et contesté par Dearden (1965?). Dans cet

ensemble, l'information est caractérisée par un niveau élevé de codification (Boisot, cité

par Child, 1967), et les systèmes d'information sont axés sur l'automatisation des

procédures de base () et sur les rapports aux gestionnaires pour fin de contrôle ().

Comme à l'origine du management systématique (Yates, 1988) la mémoire de

l'organisation est entièrement contenue dans des processus programmés et les données

nécessaires à leur fonctionnement. C'est une mémoire des processus. Nous appelons

globalement cette configuration, où la stratégie est exclusivement dans les mains d'un

leader puissant - et où l'architecture sociale engendre surtout l'application stricte et

passive des normes - l'espace vide.

Cette configuration est à la fois dangereuse et essentielle. Elle est dangereuse

parce que l'application déployée massivement le sera strictement dans le vide, c'est-à-

dire sans transformation au préalable des comportements et des connaissances (Adler,

1988). La réflexion sur la prise de décision en relation avec les capacités humaines

limitées, le rôle des données et des modèles et l'atout de la mémoire et de la puissance

de l'ordinateur pratique une première brèche dans le paradigme de l'automatisation ou

l'approche cybernétique. Ce changement de paradigme doit beaucoup aux

développements théoriques et pratiques de l'approche décisionnelle en systèmes

d'information (Gorry et Scott Morton, 1971). Réfléchir sur le rôle des SI comme aide au

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Espaces de la stratégie et TI 102

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décideur, c'est quitter d'emblée les solutions A pour entrer dans le domaine des

solutions R qui s'attaquent à la représentation. Tous les concepteurs et les développeurs

de systèmes d'aide à la décision, de systèmes pour l'exécutif devraient ainsi partager ce

paradigme de la représentation.32

Dans la littérature, l'émergence des solutions R va soulever de nouveaux débats

sur le paradigme à suivre dans la conception et le développement des SI. Directement

ou indirectement la question de l'espace de la stratégie sera abordée. À l'ère des micro

ordinateurs performants et des puissants progiciels d'aide à la décision, comment

croire que le sommet détienne la même légitimité, détienne tout le contrôle sur les outils

et les méthodes de développement de la technologie de l'information, et continue de

gérer en fonction de sa propre vision?

Les conceptions issues des années 70 et 80 de système interactif d'aide à la prise

de décision (SIAD), de système d'aide à la stratégie (SAS) et de système d'aide pour le

dirigeant (SID) illustrent bien la nécessité d'un paradigme différent du paradigme

cybernétique des solutions A ainsi que le défi qui est posé à l'espace vide.

L'espace vide - hérité des recherches de Taylor - n'est plus adapté à la production

quand la technologie de l'information permet en même temps l'automatisation et la

représentation.

L'espace programmatique et les solutions R

Dans cette deuxième configuration mixte, il y a, au niveau des activités, un

mélange d'îlots d'automatisation. Les contributions du personnel et du management

sont importantes. Le management cherche à anticiper les mouvements de

32 Mais pour Fowler (1979) ce changement de domaine s'est opéré sans changement de paradigme adéquat.

Au contraire! Il faudrait faire table rase des approches MIS et SIAD (systèmes interactifs d'aide à la décision) et SIE

(système d'information pour l'exécutif), parce qu'à chaque fois - même dans ces approches nouvelles, le concepteur

demande au futur usager de définir, a priori, ses besoins en information: ce qui signifie que, si ses besoins sont

entièrement définissables, l'activité du gestionnaire peut être automatisée. Fowler écrit: .

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Espaces de la stratégie et TI 103

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l'environnement pour bien planifier le déploiement des ressources organisationnelles.

Le et le processus de planification sont essentiels au fonctionnement de l'organisation.

La figure 3.6. illustre comment des solutions R forment une configuration cohérente

avec l'espace programmatique.

Le management se sert abondamment de systèmes d'aide à la prise de décisions

composés de modèles et de bases de données. Dans cette configuration, la technologie

de l'information mémorise et transporte de l'information à la fois très codifiée (comme

des nomenclatures, des bons de commande, des statistiques...) et de l'information peu

codifiée comme des paroles, des textes et de l'image. Les systèmes d'information sont

des SIAD qui soutiennent des managers isolés; le travail d'équipe n'est pas

caractéristique de cette configuration. La mémoire de l'organisation est contenue dans

de vastes bases de données et, dans une moindre mesure, dans des processus

programmés. La stratégie est, dans cette configuration, le résultat d'un long et

complexe processus de planification nécessitant séquentiellement les apports des

différents experts et managers.

Figure 3.6.

L'espace programmatique et les solutions R

Cette deuxième configuration pose des défis différents : la technologie (fichier

central client ou système expert déployé massivement en succursale) est dans les mains

des gestionnaires et employés-ées du niveau tactique. Mais ont-ils été recrutés, formés

et récompensés pour agir de façon performante avec l'une ou l'autre application de la

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Espaces de la stratégie et TI 104

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technologie de l'information appartenant à la solution de la représentation? Existe-t-il

un espace de la stratégie adapté à ce genre de déploiement? A-t-on développé une

capacité - globale et locale - de planifier pour comprendre l'environnement, fixer des

objectifs et travailler des stratégies? Ou, au contraire, est-on encore dans l'espace vide?

L'espace habité et les solutions I

Ayant négligé l'importance des interactions entre les personnes, Gorry et Scott

Morton (1989) regrettaient, dans un commentaire rétrospectif sur leur article de 1971,

d'avoir ignoré la nature collective de l'organisation :

(p.59).

Figure 3.7.

L'espace habité et les solutions I

Winograd et Flores (1987) ont proposé une façon d'aborder la conception de

systèmes d'information dans l'organisation qui trouve ses fondements dans cette nature

collective. Une façon de concevoir les SI qui prend en compte le langage comme

fondement de l'organisation et l'action coopérative comme méthode d'accomplissement

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Espaces de la stratégie et TI 105

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des objectifs. La figure 3.7. indique comment les solutions I de la technologie de

l'information peuvent former une configuration cohérente avec l'espace habité.

Pour Winograd et Flores (1987), il faut dépasser le paradigme des SI pour l'aide

au décideur. Leur position de concepteurs de systèmes d'information basés sur

ordinateur est étrangère à la création d'un système formel qui va couvrir tout le

fonctionnement des personnes et de l'organisation. Quand cette position est adoptée, il

en résulte à la fois un système inflexible et un espace pour l'action incapable d'exploiter

de nouvelles occasions d'affaires. Pour ces concepteurs, la bonne approche est

d'améliorer le réseau d'équipements avec lequel travaillent les employés (idem : 170)

. «The computer is ultimately a structured dynamic communication

medium that is qualitatively different from earlier media such as print and telephones. Communication is not a process of transmitting information or symbols, but one of commitment and interpretation .» (idem : 176)

Malone (1985 : 66) - avant d'aborder les problèmes théoriques de la coordination

- a abordé directement le concept d'interface organisationnelle à partir de cette

définition : . En créant le concept d'interface organisationnelle, Malone cherche à

considérer l'existence d'un espace de représentation collectif plutôt que singulier

(Malone, 1985 : 69).

Rejoignant la primauté du concept d'action et considérant comme Winograd,

Malone ou Fowler que la finalité d'un système d'information est de construire un espace

favorisant l'action, Le Moigne écrit :

(Le Moigne, 1986).

La clé, pour celui ou celle qui conçoit un système d'information dans ce nouveau

paradigme, n'est plus dans la modélisation a priori d'un processus comportemental ou

décisionnel, mais dans la représentation globale des informations résultant des actions

posées par les acteurs de l'organisation.

L'évolution des systèmes stratégiques pour American Airlines (Hopper, 1990)

illustre bien ce propos. Vingt-cinq ans après avoir jeté les bases du système de

réservation SABRE, American Airlines planifie, en 1989, de dépenser 150 millions de

dollars dans la mise en place d'une plate-forme électronique. En quoi consiste-t-elle?

C'est un système universel qui connecte ensemble tous les micro-ordinateurs, les minis

et les ordinateurs centraux pour faire de tous les employés et les chefs d'équipe des

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Espaces de la stratégie et TI 106

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décideurs capables de contribuer réellement au succès d'American Airlines. Les

usagers pourront avoir accès à un maximum de données et communiqueront à l'aide

d'une seule et même interface graphique à travers le monde (le NewWave de Hewlett-

Packard). Il s'agira dans une première étape de relier 14 000 employés et gestionnaires

intermédiaires. Bientôt - à la fin du déploiement - 68 000 employés et managers seront

ainsi reliés.

Ce projet vient illustrer ce que nous pouvions attendre comme nouveaux

développements de la technologie de l'information après l'automatisation et la

représentation - où les concepts développés (SIAD, système expert) supportaient un

manager seul, isolé, singulier. En agissant de la sorte, le concepteur contribue au

processus d'auto-représentation qui permet à toute organisation de s'organiser par le

processus informationnel qu'elle forme (l'organisation est créatrice d'informations; et ces

informations doivent être représentées) et qui la forme (en s'étudiant, ex-post, à travers

les informations qu'elle a créées, l'organisation comprend qu'elle peut améliorer des

structures et des performances... l'organisation trouve des règles qui vont servir à son

développement (voir la contribution classique de Weick (1979)).

Le système d'information organisationnel, dans le paradigme proposé par Le

Moigne, est une d'information entre le système des opérations et le système de pilotage

ou de gestion. C'est ce processus de création d'informations qui permet à

l'environnement d'entrer au coeur de l'organisation, alors que la forme stratégique de

l'automatisation pure isole, par la technologie de l'information, l'organisation d'un

environnement considéré comme hostile. Un espace favorisant l'action individuelle et

collective se caractérise par une quête collective de la connaissance permettant de

reconstruire l'environnement à l'intérieur de l'organisation. Les nouvelles applications

de groupe reposent sur des prémisses qui défient le paradigme du gestionnaire preneur

de décisions, à la rationalité limitée; le nouveau paradigme concerne le langage, donc la

communication, l'action et la coopération dans l'action, et l'apprentissage à travers

l'action, donc la connaissance.

Ces nouvelles solutions ARI opéreront une fusion dans les approches MIS, SIAD

et SE pour offrir un seul produit qui soit à la fois un système de communication intégral

(voix, images, données), un système d'analyse interactif entre plusieurs usagers et un

système conjoint de représentation des connaissances. Tout en impliquant un

changement de paradigme pour les développeurs, ces nouveaux systèmes impliquent

des changements culturels profonds. Les entreprises très formalisées autour du

processus de planification ou trop soumise à un réseau de communication hiérarchique,

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Espaces de la stratégie et TI 107

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alimenté par le leader au sommet ne sont pas prêtes pour ce nouveau paradigme et les

nouveaux problèmes techno-organisationnels qu'il annonce.

Dans cette troisième configuration, il y a automatisation poussée mais limitée par

l'autonomie des équipes de travail ou des unités administratives de base. Le

management cherche à établir et à entretenir un contexte suscitant l'initiative et

l'innovation (Burgelman et Sayles, 1987), voire même l'émergence de stratégies

nouvelles. Les contributions du personnel et du management, en termes d'actions

posées et de connaissances acquises collectivement (Vogel, 1979), sont essentielles. La

technologie de l'information supporte, comme dans la configuration précédente, de

l'information à la fois très et très peu codifiée. Mais surtout, elle vise à coordonner les

actions et à supporter des processus de groupe. La mémoire de l'organisation se situe

ici, moins dans des processus programmés ou des bases de données que dans des

interactions au sein d'équipes de travail. Des interactions qui permettent l'acquisition et

la destruction de connaissances (Nonaka, 1988). La faculté de désapprendre dote

l'organisation d'une mémoire qui n'est plus seulement codifiée et cumulative, mais qui

devient intelligente.

L'exemple du déploiement massif des guichets automatiques

L'évolution dynamique des problèmes techno-organisationnels posés par les

solutions de la TI et l'évolution du mode d'arrimage à la stratégie illustrent mieux la

dynamique des applications de la technologie de l'information qu'une typologie

statique. Prenons le cas des guichets automatiques. Stratégiquement, le mode de

gestion et l'importance cruciale du dossier évoluent rapidement. S'il s'agit au début

d'aligner simplement le déploiement de ce type de solution technologique sur les

ressources et les objectifs de la banque, la gestion stratégique du dossier pose

rapidement de multiples questions. Faut-il laisser le dossier dans les mains des

informaticiens? Le confier au marketing? En faire l'affaire de la haute direction? Le

confier aux directions régionales? La réponse s'élabore en fonction de l'impact anticipé

de cette technologie sur la performance de la branche d'affaires, de la capacité

entrepreneuriale des gens de systèmes et de la qualité du partenariat affaires-

technologie de l'information dans l'organisation.

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Espaces de la stratégie et TI 108

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L'exemple du guichet automatique est intéressant pour explorer cette notion

d'espace de la stratégie appliqué à une solution de la technologie de l'information. Pour

décrire l'évolution du guichet automatique, il faut distinguer son évolution

technologique (A->AR->ARI), son mode de gestion stratégique, les problèmes techno-

organisationnels induits et l'espace de la stratégie dans lequel ces problèmes peuvent

être résolus. Technologiquement, le guichet est d'abord un distributeur mécanique de

billets de banque; connecté en temps réel à l'ordinateur central, le nombre de ses

fonctions transactionnelles explose; relié à un ou des systèmes experts et à un système

de messagerie vocale, il devient un outil interactif du point de vue du client (simulation

d'un prêt, prise de rendez-vous avec un directeur de succursale, informations sur les

produits et services de la banque); intégré à un mini-ordinateur au niveau de la

succursale, il permet d'offrir localement des produits spécifiques.

Figure 3.8.

Alignement

Impact

Plate-formestratégique

Espace vide

Espace programma-

tique

Espace habité

A AR

ARAR,ARI

GA

$

GA

$

GA

$

GA

$

GA

$

L'évolution du guichet automatique à partir de son arrimage à la stratégie et de l'espace de la stratégie

Parallèlement, plus les clients utilisent les fonctions nouvelles de cet outil, plus

les données recueillies sur les transactions et les demandes d'information sont

complètes et complexes. Le guichet automatise d'abord une transaction de base

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Espaces de la stratégie et TI 109

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(solution A), permet ensuite une meilleure représentation du marché (solution AR) et

supporte finalement l'interaction entre le client et sa banque (solution ARI, quand le

guichet permet de concevoir et de distribuer des produits et des services qui répondent

à une demande locale) (figure 3.8.).

Alors que l'espace vide permet ou devrait permettre de régler les problèmes de

l'automatisation (mais pas de l'automatisation flexible), l'espace programmatique

devrait permettre de régler les problèmes induits par les solutions AR et l'espace habité

devrait fournir un contexte organisationnel pour régler les problèmes - de l'ordre de

l'acquisition et de la diffusion de la connaissance - induits par les solutions ARI.

Les problèmes techno-organisationnels induits par le déploiement massif des

guichets automatiques vont de pair avec les modifications technologiques du guichet et

le mode de gestion stratégique du dossier. D'une situation initiale qui voit la haute

direction donner un feu vert à l'informatique, on se retrouve avec des directions

régionales et de succursales engagées, en collaboration avec le marketing, dans la

gestion stratégique de guichets automatiques devenus de véritables kiosques

d'information connectés à une plate-forme informatique intégrée. Des problèmes

techno-organisationnels initiaux comme la réorganisation du travail en succursale, on

est passé à des problèmes de processus décisionnels (qui doit gérer les guichets et

comment?) pour finir par rencontrer des problèmes de connaissance locale de

l'informatique, des produits et des besoins des clients.

La figure 3.8. résume le fait que le guichet est devenu une solution technologique

complexe (plus AR et ARI qu'une solution A), que sa gestion stratégique est modifiée

(alignement -> impact -> architecture) et que les nouveaux problèmes techno-

organisationnels requièrent de nouveaux espaces de la stratégie pour trouver leurs

solutions.

Le distributeur de billets est performant dans l'espace vide; il ne requiert pas de

réorganisation dans la succursale ni ne crée de problèmes techno-organisationnels

nécessitant l'implication des employés et des cadres.

Le guichet automatique aux fonctions multiples est géré dans le but d'améliorer

les performances de la branche d'affaires. Cette nouvelle situation, de type AR,

implique - au niveau de la succursale - une stratégie de transfert des transactions vers

ces appareils et l'exploitation efficace de toutes les données produites.

Le véritable kiosque d'information piloté localement de façon autonome crée de

nouveaux problèmes techno-organisationnels (gestion et développement de produits;

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Espaces de la stratégie et TI 110

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compétences variées; travail en équipe; maîtrise locale de l'informatique

transactionnelle) : la solution ARI nécessite un espace de la stratégie habité.

Les changements à réussir pour tirer de la performance d'une organisation

envahie par la technologie de l'information concernent moins la structure que l'espace -

politique, instrumental et théorique - dans lequel s'établissent les interactions entre

acteurs et décideurs qui conçoivent et mettent en oeuvre la stratégie.

Conclusion

Au niveau du gestionnaire, le diagnostic est simple : . Mais autour de ce

diagnostic simple, nous avons voulu saisir et comprendre les catégories des

gestionnaires et découvrir leur compréhension des différentes solutions de la TI qui ont

été déployées massivement dans leur organisation.

Dans ces organisations massivement envahies par la technologie de

l'information, le changement est en tête d'affiche : nouvelles structures, révision des

processus, redistribution des rôles, programmes de qualité totale... de grandes décisions

se prennent. Les solutions de la technologie de l'information devraient se déployer dans

des espaces de la stratégie adaptés. Le déploiement massif d'une solution de la

technologie de l'information engendre de nouvelles interactions et de nouvelles

interdépendances. Ces nouvelles interactions créent de l'instabilité et de nouveaux

problèmes techno-organisationnels.

La problématique de la gestion des ressources en technologie de l'information est

maintenant très éloignée des décisions au cas par cas concernant des applications qui

permettraient de sauver plus ou moins de coûts. Aujourd'hui, la problématique est

globale : elle concerne toute l'entreprise et son environnement d'affaires. La réponse

technologique devrait émerger à travers une architecture intégrée des applications, des

traitements et des données.

Nous considérons pour les fins de cette recherche une première solution de la

technologie de l'information qui est celle de la TI pour l'automatisation. Historiquement, elle

est liée aux premières tabulatrices et aux premiers ordinateurs qui étaient d'abord de

puissantes machines à calculer, donc à traiter des données exclusivement quantitatives.

Cette finalité première de l'ordinateur continue à se développer, par exemple dans

l'industrie bancaire, avec les systèmes transactionnels en temps réel (issus de la fusion

des télécommunications et des ordinateurs) qui remplacent les anciens systèmes

centraux axés sur le traitement par lots.

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Espaces de la stratégie et TI 111

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Une deuxième forme de la TI correspond à une deuxième évolution de

l'ordinateur reconnu, grâce à sa mémoire, comme une machine universelle propre à la

manipulation de symboles et non plus seulement à la manipulation de chiffres.

L'ordinateur se définit ainsi comme une machine universelle programmable grâce à sa

mémoire (). Nous considérons que cette finalité se développe toujours, cette fois en

association avec les télécommunications pour créer une deuxième solution de la TI : la

représentation. Ici, le concept central est la donnée, l'information ou la connaissance qui

est en mémoire (et sur laquelle l'usager peut ou non effectuer des simulations) et à la

disposition du décideur à l'aide de SIAD, SIE ou SE.

L'ordinateur est enfin un réseau d'ordinateurs : non plus une machine

physiquement identifiable, mais une machine virtuelle globale qui effectue des bouts de

programme sur un site ou sur un autre, fait voyager des données partout sur le réseau,

emprunte des capacités de traitement au réseau voisin et prête certains de ses

périphériques à un troisième. Nous considérons que cette machine virtuelle est d'abord

un médium structuré de communication propre à coordonner les actions d'usagers

multiples. Au centre de cette troisième solution de la TI pour l’interaction (actualisée dans

les SIAD de groupe et les interfaces organisationnelles intelligentes), l'acteur n'est plus

un processeur d'informations isolé, mais un acteur engagé dans un travail d'équipe.

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Espaces de la stratégie et TI 112

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Chapitre 4 Approche méthodologique

«Namely, my intend is to shift attention away

from investigators' «problems», such as technical issues

of reliability and validity, to respondents' problems,

specifically, their efforts to construct coherent and

reasonable worlds of meaning and to make sense of

their experiences.»

Elliot G. Mishler (1986 : 118)

«Measuring in real organizational terms

means measuring things that really happen in

organizations, as they experience them.»

Henry Mintzberg (1979 : 586)

Introduction

En voulant contribuer au travail de la haute direction, le chercheur en politiques générales

d'administration («Policy») doit opter pour une approche herméneutique et pragmatique tout en

cherchant à systématiser un langage permettant, non de résoudre, mais du moins de spécifier

davantage le problème du stratège. Une telle recherche doit passer par les gestionnaires

stratégiques de la technologie de l'information, car ce sont eux qui résolvent continuellement les

problèmes posés par la gestion des organisations. Ils le font en se parlant, en se formant et en

accumulant empiriquement des connaissances comme les peintres ont successivement réglé, par

leur pratique, des problèmes de représentation, de pigments, de textures, etc.

Un langage élaboré33, dans un cadre conceptuel fondé avec un vocabulaire adapté, ne

résout pas le problème du stratège mais en rend la spécification plus précise. Cette question du

langage est certainement la première à se poser. Quand les concepts, les catégories n'existent

pas, les disciplines sont aveugles et les problèmes invisibles.

Ainsi Atlan (1983), discutant de l'avènement de la physico-chimie, les frontières de la

connaissance se trouvent aux articulations entre des niveaux d'organisation du réel qui

correspondent à des champs de savoir différents où les techniques et les discours ne se

33Pour Bower (1982), cette systématisation du langage est la mieux illustrée par Porter (1980) qui a fourni,

par son analyse structurelle d'une industrie, un langage systématique pour analyser une position compétitive.

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Espaces de la stratégie et TI 113

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recouvrent pas : c'est le cas des disciplines de la politique générale d'une part et des systèmes

d'information de gestion, d'autre part.

Le problème de recherche et la position du chercheur

Si les enseignants et chercheurs de ces deux domaines se fréquentent peu,

l'enchevêtrement des problèmes relevant en même temps de la politique générale et des systèmes

d'information crée une nouvelle situation entre les gestionnaires de la stratégie et des systèmes.

Ils «sentent» et cherchent à comprendre cette nouvelle problématique. D'où l'intérêt de

l'anthropologue (Zuboff, 1990), qui se «risque» dans la recherche et l'étude de ce phénomène

nouveau ou des économistes de l'information (Parker et Benson, 1988), qui placent le

changement organisationnel et humain au coeur de la problématique des nouvelles technologies

de l'information.34

Un problème complexe au carrefour de plusieurs disciplines

Les moyens de comprendre ce changement sont multiples. La solution informatisée qui

est implantée massivement constitue un premier objet d'analyse. Ainsi, par exemple, l'EDI

(échange de documents informatisé) constitue un objet d'analyse intéressant. Mais étudier l'EDI,

ce n'est pas encore étudier des transformations organisationnelles qui pourraient être associées à

cette solution technologique; c'est ce que souligne Venkatraman (1993) quand il commente les

liens entre transformation organisationnelle et bénéfices attendus de la technologie de

l'information. Il faut étudier les transformations organisationnelles. Mais cette transformation

de l'organisation n'est pas seulement affaire de réorganisation de processus d'affaires : pour

McFarlan (1993), c'est d'abord une question de changement de dimensions politiques, culturelles

et informelles. Si l'essentiel de cette transformation se situe dans l'informel, le social, le

politique et le culturel, le chercheur doit se considérer comme un instrument de recherche

irremplaçable. Dans la mesure du possible, il doit connaître les fondements des approches

politique, culturelle, stratégique et technologique pour saisir le phénomène de la transformation

organisationnelle autour des applications de la TI déployées massivement.

34«Change is at the heart of Information Technology» (Benson et Parker, 1988)

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Espaces de la stratégie et TI 114

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Un problème flou

Si les solutions de la TI relèvent de la discipline des systèmes d'information, leur impact

sur l'organisation relève de l'analyse des structures et de la stratégie mais aussi de la culture et de

la politique. Le problème touche à beaucoup de domaines, c'est une première chose. À un

niveau logique, il est difficile à traiter formellement; c'est une deuxième chose. Dans la

littérature le problème est souvent exprimé en termes d'architectures à aligner dans le domaine

des affaires et celui de la technologie; il est parfois considéré comme un problème entièrement

réductible à un modèle formel. Si c'était le cas, nous pensons que le problème du changement et

de la transformation organisationnelle pour générer des bénéfices serait résolu depuis longtemps.

Or, il n'en est rien.

Un problème qui se pose à l'échelle de l'organisation

Comme on peut le relever dans les travaux récents consacrés au rôle stratégique de la

technologie de l'information, la conceptualisation des effets réciproques de la technologie sur

l'organisation impose aux chercheurs une approche configurationnelle. Ainsi, Venkatraman

(1989, 1991, 1993) met de l'avant la reconfiguration de l'organisation, l'étude du MIT (Scott

Morton (ed.), 1991) qualifie le rôle de la TI d'agent transformateur de l'organisation tandis que

Zuboff (1988) souligne que la dynamique du déploiement de la TI reconfigure l'organisation du

travail et les relations sociales:

«As long as the technology is treated narrowly in its automating function,

it perpetuates the logic of the industrial machine that, over the course of this

century, has made it possible to rationalize work while decreasing the dependence

on human skills. However, when the technology also informates the process to

which it is applied, it increases the explicit information content of tasks and sets

into motion a series of dynamics that will ultimately reconfigure the nature of work

and the social relationships that organize productive activity.» (Nous soulignons)

(Zuboff, 1988 : 10,11).

Il s'en suit une exigence de vision holistique pour le chercheur; il doit comprendre que

l'investissement en technologie de l'information ne contribue pas directement à la performance.

Ce sont au contraire les transformations de l'organisation du travail - qui relève de l'architecture

des affaires - et l'évolution des relations sociales - ce qui relève de l'espace de la stratégie - qui

contribuent, ou ne contribuent pas, à la performance organisationnelle.

Un problème contextuel

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Espaces de la stratégie et TI 115

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En évaluant des recherches des années 80, Kauffman et Weill (1989) ont rencontré des

conclusions divergentes, en faveur et contre la démonstration d'un effet positif des

investissements en technologie de l'information sur la performance. Le point commun de ces

recherches était d'échouer dans toute explication du «comment» et du «pourquoi» d'un effet de la

technologie de l'information sur la performance35, et ce, pour quatre raisons.

Premièrement, le design habituellement pratiqué exclut toute variable intermédiaire alors

que pour chaque cas d'application stratégique de la technologie de l'information, il y a effet de

levier de la technologie de l'information sur une variable stratégique qui en retour affecte la

performance. Deuxièmement, les unités d'analyse retenues vont, par exemple pour la banque, de

la banque au secteur industriel ou même à l'économie nationale. Kauffman et Weill (1989)

s'inquiètent ainsi des choix «macro» des chercheurs sur l'échelle des unités d'analyse.36 Quand

les liens entre performance et technologie de l'information sont significatifs au niveau d'une

économie ou d'une industrie, ces liens sont lâches. Le niveau d'analyse trop global entraîne la

dilution des résultats et l'incapacité pour le chercheur de conclure sur le «comment» et le

«pourquoi» de ces liens. Troisièmement ces recherches sont effectuées - parfois - sans aucune

base théorique a priori. Si la base théorique est existante, c’est la plupart du temps l'économie

qui est le champ de support à l'investigation ou, plus rarement, des théories sur l'innovation.

Pour Kauffman et Weill (1989), nous sommes donc à la recherche d'études

soigneusement préparées pour traiter de ce problème neuf et complexe des liens entre

technologie de l'information et performance dans un contexte stratégique. Des études qui

prennent en compte un contexte organisationnel parce que - et c'est le quatrième point - aucune

des recherches évaluées n'utilisent de variables contextuelles.

Le problème que nous traitons est donc multidisciplinaire, complexe, flou et d'envergure

globale : il concerne l'ensemble de l'organisation ou du contexte organisationnel.

Un problème de nature qualitative

Le phénomène ne se présente pas sous la forme de quantités à capter et à comparer. La

variable même d'investissement total en technologie de l'information est insignifiante aux yeux

35Une théorie qui dirait qu'un dollar d'investi dans la TI crée deux dollars de profit est inutile si (Whetten,

1989) on ne répond pas aux quoi, comment, pourquoi, qui, où, et quand. 36 Bakos (1987) distingue: 1. l'économie dans son ensemble, 2. l'industrie au sein d'une économie, 3. la firme

au sein d'une industrie, 4. un groupe de travail ou une division au sein d'une firme, 5. l'individu ou le système

d'information.

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Espaces de la stratégie et TI 116

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des chercheurs et des consultants alors que chaque type d'investissement en technologie de

l'information a un impact particulier sur la performance:

«... no distinction is made among different types of IT investment.

Investments in operational IT (i.e., transaction processing and operational control

systems) are intented to impact different aspects of firm performance than

investments applied to systems for strategic competitive advantage (i.e., new

products or services, executive information systems, etc.)» (Weill et Olson, 1989 :

7).

En observant notre domaine de recherche, nous constatons que les rapports entre

technologie de l'information et performance sont denses et complexes. La capacité de l'entreprise

de convertir efficacement des investissements en technologie de l'information en performance

grâce à la qualité de sa gestion est cruciale (Weill, 1988; Weill et Olson, 1989). Le phénomène

est donc tributaire de la qualité. Ainsi le chercheur qui veut aborder la relation entre les besoins

stratégiques de l'organisation et la technologie de l'information doit travailler avec des données

qualitatives et contribuer au développement d'une théorie fondée sur ces données.

Le travail d'élaboration de théories doit contribuer à créer du sens, à la fois pour le

gestionnaire et pour le chercheur. Weick l'a souligné pour le gestionnaire (1969, 1979) et pour le

théoricien (1989) : «We are in a business of sense-making».

De là découle le choix d'une approche méthodologique qui tienne compte du contexte

organisationnel. Le choix de la recherche qualitative est aussi un choix de conviction

personnelle face au phénomène observé : le choix de découvrir, d'interpréter et d'expliquer le

phénomène d'abord à partir des mots, des événements, des contextes et des situations où

interagissent des acteurs.

Il apparaît que l'observation participante est la plus vénérable des traditions en recherche

qualitative (Kirk et Miller, 1986); ainsi la recherche qualitative est-elle toujours une forme

d'observation participante. Cette tradition consiste à observer les gens sur leur propre territoire, à

échanger avec eux dans leur propre langage. Cette tradition imprègne la recherche qualitative,

que ce soit l'étude de cas en stratégie et en politiques générales (Bower, 1970) ou l'entrevue en

profondeur retenue pour rassembler l'essentiel de nos données.

Bien après les politiques générales, l'approche qualitative est heureusement de plus en

plus pratiquée dans le champ des systèmes d'information de gestion. Il s'agit pour Benbasat et al.

(1987) de mettre de l'avant le principe d'une recherche idéographique plutôt que nomothétique

parce que le chercheur apprend à bâtir une théorie à partir du travail du praticien :

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Espaces de la stratégie et TI 117

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«Ainsi les chercheurs apprennent habituellement en étudiant les

innovations mises en place par les gestionnaires plutôt qu'en fournissant eux-

mêmes le savoir initial qui servira à ces idées nouvelles» (idem, p. 370).

Pour Benbasat et al. (1987), citant Christenson (1976), la méthode des cas est la

meilleure approche pour saisir les connaissances des praticiens et en dériver des théories. Il est

ainsi essentiel que le chercheur soit, sur le terrain, attentif au langage et aux expériences des

praticiens.

Le champ disciplinaire des systèmes d'information de gestion, pourtant bâti autour des

méthodologies quantitatives, s'est déplacé vers une problématique organisationnelle ce qui

justifie encore plus ce nouveau parti pris pour la méthodologie qualitative :

«Le domaine des SI a subi également un glissement des questions

technologiques vers les questions managériales et organisationnelles; en

conséquence, il y a plus d'intérêt maintenant pour comprendre comment

interagissent le contexte et les innovations» (idem, p. 370).

La position du chercheur

Ni le physicien des particules, ni le biologiste de la faune ailée ne se font questionner par

leur objet d'analyse : les particules ou les oiseaux ne posent pas de questions à ceux qui les

observent! Au contraire, le chercheur en management se fait questionner non seulement par ses

pairs mais aussi par les gestionnaires de l'organisation qu'il observe. Les gestionnaires

l'interpellent sur le pourquoi de sa recherche, l'interrogent sur ses conclusions et peuvent lui

demander conseil pour la gestion de leur organisation.

Alors que la physique quantique ou la biologie se pratiquent entre pairs, la recherche en

management doit être pensée pour favoriser le dialogue avec les gestionnaires. En ce sens,

l'approche qualitative - comme l'étude de cas et l'entrevue en profondeur que nous avons

pratiquées - sont des outils privilégiées de compréhension mutuelle et de développement des

habiletés cliniques du chercheur.

L'approche qualitative est cependant une approche à haut risque car si le point de départ

de la recherche est connu, le point d'arrivée - en terme de temps écoulé et d'importance de la

contribution - demeure incertain. Le chercheur doit donc développer une habileté de survivre sur

le terrain et de vivre avec des données de plus en plus complètes et complexes à interpréter :

«Il est reconnu que le chercheur qualitatif arrive sur scène avec un

bagage théorique considérable mais avec bien peu d'idées sur ce qui va arriver

ensuite. En utilisant la théorie, le sens commun ainsi que toutes les ressources à

portée de sa main, ce chercheur s'efforce d'abord de survivre sur le terrain de

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Espaces de la stratégie et TI 118

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recherche et, deuxièmement, de se trouver une position dans laquelle l'observation

et l'entrevue deviennent possibles» (traduit de Kirk et Miller, 1986 : 30) (Nous

mettons en caractère gras).

Les éléments suivants contribuent à définir la position du chercheur:

Les organisants et le design : la mobilisation de savoirs complexes, l'organisation par

équipes et par projets font des gestionnaires et des employés des organisants plutôt que des

organisés. Le travail des organisants est fondamentalement un travail de conception ou de

design37. La métaphore de l'architecture a été choisie au début de la démarche de la thèse,

lors de la rédaction des rapports théoriques, depuis 1985. Cette métaphore s'est avérée féconde

et est largement utilisée dans la littérature spécialisée qui désigne par le concept d'architecture

organisationnelle la réorganisation du domaine et des processus d'affaires avec l'aide de la

technologie de l'information. La notion d'espace de

représentation indique que nous n'utilisons pas la métaphore de l'architecture à un premier degré

où le plan de l'architecte équivaudrait à la nouvelle architecture des processus d'affaires mais à

un second degré où l'espace de représentation de l'architecte nous permet de construire la notion

d'espace de représentation de la stratégie.

Un dernier aspect concernant la position du chercheur mérite d'être souligné. Il privilégie

dans un premier temps une approche inductive et dans un deuxième temps une approche

déductive. L'approche déductive se justifie parce que la science est une activité logico-

expérimentale où on doit aborder les problèmes sur lesquels on travaille à partir de la littérature

existante. L'approche inductive se justifie parce que les données découvertes vont bien au-delà

des catégories initiale ment retenues; le chercheur doit être prêt à développer de nouvelles

catégories à partir des faits.

Une approche inductive pour construire une théorie

Peut-on démarrer une recherche d'une façon empirico-formelle avec des propositions bien

définies et se réclamer d'une méthode, comme celle de Strauss et Corbin (1991) de construction

fondée d'une théorie? La réponse est dans l'attitude du chercheur. Comme il n'y a pas de

contradiction entre la recherche menée à partir de données qualitatives et la recherche menée à

partir de données quantitatives - qui sont même une source de triangulation - il n'y a pas de

contradiction entre la possession de propositions de recherche et la tentative de construction

37«The most important invention that will come out of the corporate research lab in the future will be the

corporation itself» (Brown, 1991).

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Espaces de la stratégie et TI 119

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d'une théorie à partir des faits : il suffit d'être prêt à se défaire de ses propositions ou tout le

moins à les modifier.

Par exemple, nous avons commencé à examiner les catégories et sous-catégories

contenues dans les transcriptions des entrevues en profondeur en tablant sur une quinzaine de

catégories. Quelques semaines plus tard, ce chiffre dépassait quatre cent catégories (et sous-

catégories), avant de revenir à environ cent cinquante. Lors de cette période, la richesse des

données dépassait clairement les catégories de départ; le cheminement rigoureux proposé par

Strauss et Corbin (1991) nous a permis de continuer l'analyse en laissant quelque peu de côté les

propositions de départ.

Une approche déductive pour vérifier des propositions

Pratiquer une démarche inductive, des faits vers la théorie, et obtenir des données

qualitatives n'est pas synonyme d'empirisme pur ni de tabula rasa. Parce que nous considérons

la science comme une activité logico-expérimentale, nous avons consacré beaucoup de temps et

d'énergie à la construction du problème38 sur lequel nous travaillons et nous avons bâti des

propositions avant d'aborder la recherche sur le terrain.

Le paradigme de la recherche

Le paradigme est un modèle qui permet de concevoir les données de façon systématique

et de les relier de façon complexe. Pour Strauss et Corbin (1991), il s'agit de relier les conditions

causales, le phénomène, le contexte, les conditions qui interviennent, les stratégies d'action et

d'interaction et, finalement, les conséquences. C'est ce que nous faisons au tableau 4.1. pour

notre recherche.

38L'importance de la définition du problème de recherche est commenté ainsi par Bachelard: «L'esprit

scientifique nous interdit d'avoir des opinions sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que

nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu'on dise, dans la

vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d'eux-mêmes. C'est précisément ce sens du problème qui donne la

marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une

question. S'il n'y a pas eu de question, il ne peut y avoir de connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n'est

donné. Tout est construit.» (Bachelard, 1967: 14).

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Espaces de la stratégie et TI 120

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Tableau 4.1.

Le paradigme de la recherche

PARADIGME

selon Strauss et Corbin (1991)

MODÈLE

utilisé dans la recherche

CONDITIONS CAUSALES

dans le secteur des services bancaires et

financiers, au cours des années 80 se

présentent:

- le décloisonnement

- la déréglementation

- le déploiement massif de deux solutions de la

technologie de l'information est observé, les

deux solutions sont:

- les guichets automatiques

- le fichier central client

PHÉNOMÈNE

les caractéristiques et les finalités

contrastées de ces deux déploiements

massifs viennent modifier les capacités

concurrentielles des entreprises

CONTEXTE

trois organisations concurrentes et différentes :

l'une axée sur le leader, l'autre sur le plan, la

troisième sur l'autonomie locale

CONDITIONS INTERVENANT

LORS DU PHÉNOMÈNE

la conjoncture économique, le jeu

concurrentiel mais aussi les conditions

d'histoire, de culture, de stratégie et de

structure créent des situations particulières lors

du déploiement massif des solutions de la

technologie de l'information

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Espaces de la stratégie et TI 121

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STRATÉGIES D'ACTION ET

D'INTERACTION

tout au long du déploiement massif, les

légitimités sont affectées, les moyens d'action

sont modifiés et les théories de l'action sont

questionnées; ainsi l' «empire» informatique

perd de l'importance, le marketing est plus

présent, la succursale se doit de développer un

comportement stratégique, la planification

stratégique semble en perte de vitesse tandis

qu'un nouveau partenariat affaires-technologie

de l'information est imaginé

CONSÉQUENCES

la contribution à la performance des solutions

de la technologie de l'information déployées

massivement - bien que difficile à évaluer -

est critiquée; le mode de gestion des dossiers

technologiques est modifié; l'espace de la

stratégie se transforme.

Résumé de l'approche de la recherche

Dans un travail de recherche préliminaire (1985-1989), en parallèle avec un travail plus

théorique, nous avons additionné une quarantaine d'heures d'entrevues avec des cadres

intermédiaires et supérieurs dans l'industrie bancaire, en France et au Québec, ainsi que des

consultants en systèmes d'information, spécialisés dans les systèmes bancaires.

Tout au long de la recherche, des documents accessibles au public comme les rapports

annuels, les journaux d'entreprise et des articles de la presse d'affaires ont servi à mieux décrire

le déploiement des solutions de la technologie de l'information durant les années 80. De plus, le

chercheur était, durant toutes les années de la recherche, un client des trois organisations étudiées

- et d'autres banques concurrentes -, ce qui lui a permis de vérifier l'évolution technologique des

guichets automatiques et l'avènement de la fonction conseil dans les trois organisations étudiées.

Durant l'année académique 1990-1991, nous avons mené une série d'entrevues

systématiques auprès de la haute direction (au niveau de la vice-présidence) de trois entreprises

bancaires, différentes par leur taille, leur structure et leur philosophie des affaires. Il s'agit

d'entrevues en profondeur (McCracken, 1988), d'une durée de deux à trois heures. Ces entrevues

sont enregistrées au magnétophone, transcrites intégralement, codées (voir Miles et Huberman,

1984; Strauss et Corbin, 1991) et analysées. Une douzaine de ces entrevues ont été réalisées

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Espaces de la stratégie et TI 122

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dans les trois organisations choisies pour la recherche. Ces entrevues ont été suivies d'une ou de

deux entrevues de contrôle avec chacun des participants. Lors des entrevues de contrôle, la

transcription de la première entrevue était validée avec les informateurs.

Le design de la recherche

La mise au point du design de la recherche a été un des grands défis de cette recherche.

Comment, avec des moyens d'investigation très limités, penser étudier des organisations dans

leur ensemble, observer en détail leur fonction informatique, décrire de l'intérieur un nouveau

partenariat technologie-affaires tout en décrivant les changements - plus subtils - de l'espace de la

stratégie? Le travail de recherche ne pouvait être que partiel à partir des ressources dont nous

disposions.

Rappel des questions de la recherche

Le but premier de la recherche est de contribuer à l'étude des modifications du

comportement stratégique des organisations par, avec ou dans la technologie de l'information.

Découvrir, observer, comprendre et expliquer cette ou ces modifications doit permettre au

chercheur de les théoriser, de fournir aux gestionnaires des observations ou des théories

susceptibles d'améliorer les ajustements réciproques entre les affaires et la technologie de

l'information. Ce but principal nous a conduit à observer comment les banques adaptent leur

comportement stratégique à certaines solutions de la technologie de l'information.

Première question:

Existe-t-il une relation entre le déploiement massif d'une application de la technologie de

l'information et les besoins stratégiques de l'entreprise?

Nous avons discuté tout au long du troisième chapitre de la relation entre les besoins

stratégiques de l'entreprise et le déploiement massif d'une application de la TI. Nous

comprenons aujourd'hui, à travers la littérature récente, que cette relation est beaucoup plus

complexe que la notion de système stratégique des années 80 le laissait supposer. La solution de

la TI ne répond pas d'elle-même aux besoins stratégiques : la forme de concentration de la

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Espaces de la stratégie et TI 123

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ressource, le mode d'arrimage à la stratégie, les solutions apportées aux problèmes techno-

organisationnels ainsi que le souci de mettre en place une plate-forme intégrée de la TI

définissent la contribution possible du déploiement massif d'une solution de la TI.

Deuxième question:

Cette relation, dans sa cohérence politique, instrumentale et théorique, nous permet-elle

de mieux saisir, de mieux apprécier, le développement moderne d'avantages concurrentiels et le

rôle qu'y joue la technologie de l'information?

Pour saisir cette cohérence interne, plutôt que de parler d'organisation informelle39, nous

avons proposé au chapitre deux la notion d'espace de la stratégie. Cette notion est dérivée de

l'espace de représentation de l'artiste ou de l'architecte et comprend des dimensions politiques,

instrumentales et théoriques. L'espace politique confère ou non la légitimité d'agir40, d'actualiser

ou de représenter une stratégie; l'espace instrumental met des outils à la disposition de l'architete

tandis que l'espace théorique contient une vision du monde41.

La réponse à cette deuxième question nous oriente vers la compréhension de la façon

dont la solution de la TI, une fois déployée, va satisfaire des besoins stratégiques dans un espace

de la stratégie adéquat. Nouvel outil dans un espace de la stratégie, chaque solution de la TI

vient modifier des capacités d'agir, modifier des façons de faire et transformer des théories de

l'action.

Troisième question:

Est-ce que la relation observée entre un type d'application de la technologie de

l'information et les besoins stratégiques de l'entreprise forme une configuration liée à la

performance?

Nous avons posé à la fin du troisième chapitre, trois configurations mixtes d'espace de la

stratégie et de solution de la TI : la configuration de l'artefact, la configuration de l'interface et

39Un ensemble d'arrangements en émergence incluant des structures, des processus et des relations

généralement opposé à la structure formelle (Nadler et al., 1992: 50). 40Cette dimension est voisine de la notion d'habilitation ou d'empowerement (Shaw, 1992). 41La dimension théorique est voisine de la notion de présupposé fondamental ou basic assumption (Schein,

1993).

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Espaces de la stratégie et TI 124

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celle des architectes. Qu'en est-il de la réalité de ces configurations et de leur contribution à la

performance?

Un design imbriqué de plusieurs cas

Nous avons contrôlé la variance extérieure à la question de recherche en choisissant une

seule industrie où le traitement de l'information joue un rôle crucial tant dans les méthodes et

procédés que dans les produits offerts. L'industrie canadienne des services bancaires et

financiers a été retenue comme l'industrie dans laquelle les organisations seraient choisies.

Trois organisations très différentes, mais se faisant concurrence sur les mêmes marchés,

ont été choisies. Cet échantillonnage peut être qualifié d'échantillonnage théorique (Strauss et

Corbin, 1991) ou de réplication théorique (Yin, 1989) parce que le chercheur choisit les cas à

étudier en fonction de leurs différences.

Il découle aussi de ce parti pris pour l'analyse qualitative42 que le groupe des

informateurs ne doit pas être traité comme un échantillon permettant des inférences quantitatives,

mais plus exactement comme un moyen de découvrir des catégories «vraies».

Le design est imbriqué parce que plusieurs unités d'analyse ont été utilisées (voir la figure

4.1.) : 1. l'organisation et ses besoins stratégiques, 2. le déploiement des trois solutions de la

technologie de l'information observées forme une deuxième unité d'analyse, 3. les dimensions

politiques, instrumentales et théoriques de la relation entre besoins stratégiques de l'organisation

et la TI, et 4. la configuration mixte formée d'une ou de plusieurs solutions de la TI, des besoins

stratégiques de l'organisation, de l'espace de la stratégie et de la performance.

42 Une approche qui est de plus en plus à l'honneur en systèmes d'information (Benbasat et al., 1987; Lee,

1989; Weill et Olson, 1989).

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Espaces de la stratégie et TI 125

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Figure 4.1.

les dimensions informelles de la cohérence interne

[espace de la stratégie]

les besoins st ratégiques

de l'organisat ion

pr emière unité d'analyse:

l'organisat ion

de uxième unité d'analyse:

trois solutions de la TI

quatrième unité d'analyse:

la configuration mixt e des solutions de la TI, de l'espace de la strat égie, des besoins strat égiques et de la performance

questi on 3

questi on 1

questi on 2

la performance

les solutions de la

technologie de

l'information massivement

déployées

troisième unité d'analyse:

l'espace de la strat égie aut our des t rois solut ions

de la T I

Le design de la recherche

Les unités d'analyse

Les unités d'analyse doivent être reliées à la façon dont la question a été posée et aux

énoncés des propositions de recherche. Des liens logiques forts contribuent à faire du design de

la recherche une première preuve : une preuve logique.

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Espaces de la stratégie et TI 126

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Ainsi posée, la première question (Est-ce qu'il y a une relation entre les besoins

stratégiques et le déploiement d'une solution de la TI?) nous oblige à étudier le sommet

stratégique de l'organisation, car c'est là que peut se définir l'importance stratégique d'une

application de la technologie de l'information. Mais soyons fidèles à notre vision de la stratégie,

telle que présentée dans le chapitre deux : si le confinement de la stratégie au sommet est un

signe de manque de flexibilité et de comportement stratégique, nous devons observer - à la

mesure de nos moyens - l'organisation dans son ensemble.

Cette première question fait du processus de mise en oeuvre des solutions de la

technologie de l'information - leur déploiement massif - une deuxième unité d'analyse

logiquement pertinente. Cet aspect de la recherche est important parce qu'il peut nous amener à

conclure que des solutions différentes A, AR, ARI de la TI ont des relations distinctes avec les

besoins stratégiques de l'entreprise.

La deuxième question qui porte sur la cohérence (politique, instrumentale et théorique)

de la relation entre TI et besoins stratégiques indique que ce ne sont pas des décisions

stratégiques qui nous intéressent mais ce que nous avons appelé l'espace de la stratégie, un

espace pour la conception, l'action et la décision qui est affaire de légitimité, de moyens et de

théorie. À ce niveau, l'unité d'analyse est représentée par les individus engagés dans la gestion

stratégique des solutions de la technologie de l'information.

La troisième question porte sur un lien entre une configuration mixte de TI et d'espace de

la stratégie et une forme de contribution à la performance. Les entrevues avec les gestionnaires

porteront donc explicitement sur la contribution des solutions de la TI à la performance de

l'organisation.

L'organisation

Prétendre décrire les besoins stratégiques de trois organisations dont certaines approchent

les 15 000 employés et sont très décentralisées est strictement impossible. Rencontrer tous les

membres de la haute direction de chacune de ces organisations nous aurait demandé une

cinquantaine d'entrevues. Pour cerner les besoins stratégiques d'une organisation, nous avons eu

recours à la presse d'affaires, aux revues et à certains ouvrages spécialisés sur l'industrie

bancaire; nous avons effectué des entrevues exploratoires avec des gestionnaires intermédiaires

et des consultants en systèmes et nous avons décidé de limiter nos rencontres au sommet aux

vice-présidences informatique et marketing. Nos premières observations nous indiquaient en

effet que la relation entre les besoins stratégiques de l'entreprise et les solutions de la TI que nous

avions retenues se passait d'abord entre ces deux fonctions organisationnelles.

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Espaces de la stratégie et TI 127

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Les solutions de la technologie de l'information

Trois applications précises de la technologie de l'information ont été retenues pour

aborder de façon très simple ces configurations complexes d'espace de la stratégie et de

technologie de l'information : les guichets automatiques (la solution A), le fichier central client

(la solution AR) et les systèmes d'aide à la décision de groupe (la solution ARI). Au moment de

la recherche, les deux premières applications étaient massivement déployées et posaient, à

l'échelle de l'organisation, des questions sur l'espace de la stratégie à même de supporter ces

potentiels technologiques nouveaux. La troisième application n'était pas déployée et sa

fonctionnalité à peine envisagée. Les entrevues en profondeur ont porté également sur la

solution ARI retenue pour l'étude.

L'espace de la stratégie

Pour bien répondre à la deuxième et à la troisième question, nous avons vérifié chez des

personnes compétentes à la fois en stratégie et en technologie de l'information (à l'aide

d'entrevues en profondeur peu structurées) les liens entre chacune des applications choisies, la

performance attendue et l'espace de la stratégie qui se met en place autour de ces solutions de la

TI.

Le premier obstacle de la recherche fut de trouver, d'identifier ces hommes et ces femmes

qui, venant de la technologie, se retrouvent intégrés-ées à des équipes d'affaires pour leur

apporter leur savoir-faire alors que d'autres, venant du côté des affaires, se retrouvent en charge

de la gestion et du développement, partiel ou global, de la technologie de l'information dans

l'organisation pour imprimer une direction stratégique au développement de la technologie de

l'information.

Nos entrevues préliminaires menées depuis l'hiver 1985, en parallèle avec la rédaction

des rapports théoriques et la rédaction de la proposition de thèse, nous ont permis de saisir

l'importance de ces personnes, véritables interfaces entre la technologie de l'information et la

stratégie, chargées de fixer le cadre de leur intégration réciproque. Ce sont, au sens

anthropologique, des initiés ou «insiders» que nous avons rencontré pour atteindre nos objectifs

de recherche.

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Espaces de la stratégie et TI 128

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Les rencontres et entrevues en profondeur avec les managers au sommet nous ont permis

de cerner culturellement l' «insider»43et de le distinguer de l' «outsider».

En étudiant ces «insiders», ces personnes engagées dans la gestion des liens entre la

stratégie et la technologie de l'information, nous misons sur le fait que ce sont elles qui vont

inventer le langage, trouver les mots pour articuler deux niveaux distincts qui ne se recouvraient

pas dans les organisations : le niveau de la stratégie (laissée traditionnellement aux experts au

sommet) et celui de la technologie de l'information (laissée traditionnellement aux experts MIS

issus de l'informatique et des sciences «dures») .

Ces personnes font partie, au-delà de leurs organisations respectives, d'une communauté

nouvelle chargée de porter la bannière du développement stratégique de la technologie de

l'information. Notre objectif fut de rencontrer un nombre44 suffisant de ces personnes qui sont

particulièrement engagées dans l'articulation des langages de la technologie de l'information et

de la stratégie.

La performance

Ce qui nous intéresse dans la performance, c'est de vérifier - à partir de l'expérience des

gestionnaires rencontrés - la forme de contribution des solutions de la TI à la performance et plus

globalement la forme de contribution à la stratégie d'une configuration mixte de TI et d'espace de

la stratégie.

Les trois propositions de la recherche

L'histoire des sciences est remplie de découvertes inattendues, hors de toute approche

hypothético-déductive : la pénicilline, l'ADN (Kirk et Miller, 1986) mais aussi les rayons X et la

relativité. Ainsi, le test d'hypothèse n'est pas la seule activité de recherche : il faut donc bien que

43 La linguiste Golopentia (1988) décrit ainsi la dichotomie «insider-outsider»: l'insider répond au portrait-

robot suivant: «Il est habile, connaisseur des lois, us et coutumes, des règles du jeu, de l'étiquette, des tabous; il a

des intuitions sémiotiques; il est doué de dynamisme communicatif, d'assurance, d'initiative» (p.104).

De son côté, l'outsider répond à un portrait-robot différent: «Il parle mal à propos, produisant des

lapalissades et tautologies, il ignore les tabous, fait des gaffes, manque d'intuition et de créativité dans le

maniement du code, du canal, de la situation, etc., il est dénué de dynamisme communicatif, il manque de sécurité

sémiotique» (p.104).

44Selon McCracken (1988) un maximum de 8 (huit) longues entrevues est conseillé quand le chercheur

fonctionne avec cette méthodologie. Cette méthodologie ne doit toutefois pas être utilisée isolément: le chercheur

doit disposer de données de type «étude de cas» pour interpréter correctement ses résultats.

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Espaces de la stratégie et TI 129

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ces découvertes étonnantes soient venues d'une autre façon, car pour tester une hypothèse, le

chercheur doit déjà savoir ce qu'il va pouvoir trouver (Kirk et Miller, 1986 : 17).

Pour Deslauriers, l'hypothèse n'est pas la seule avenue possible en science; la proposition

semble plus appropriée en recherche qualitative (1991:97), car elle offre une de capacité d'agir et

de réagir aux données en laissant une marge de manoeuvre au chercheur. Le chercheur qualitatif

commence son activité de recherche non pas avec des construits opérationnalisés dans le détail,

mais avec des concepts indicatifs.

À l'aide de ces balises assez générales, il commence à rassembler des informations et au

fur et à mesure que les données s'accumulent, les concepts prennent forme, les processus se

solidifient, les propositions apparaissent (Deslauriers, 1991 : 98).

Nos propositions viennent de lectures, de réflexions, de discussions, de consultations et

surtout d'entrevues exploratoires menées sur le terrain. Ce sont les moyens ordinaires de former

des propositions (idem : 98).

Comme le souligne Kaplan (1964 : 53) cité par Bacharach (1989) le travail de

conceptualisation est un travail paradoxal car les concepts corrects sont nécessaires pour

formuler une bonne théorie alors que nous avons besoin d'une bonne théorie pour rejoindre les

concepts.

Première proposition de recherche

L'espace de la stratégie vide et les solutions A de la technologie de l'information tendent

à former une configuration cohérente.

L'automatisation concerne d'abord l'intérieur de l'organisation. La banque est une sorte

d'usine à papier. L'automatisation des opérations peut faire disparaître l'essentiel du papier

utilisé et diminuer le temps passé à des opérations de routine.

L'automatisation concerne également l'extérieur de l'organisation. Les transactions des

clients sont de moins en moins initiées à partir d'un formulaire rempli par un-une employé-e mais

elles sont de plus en plus initiées électroniquement à partir d'une instruction donnée par le client

ou l’employé au clavier d'un guichet automatique, d'un terminal point de vente, d'un téléphone,

ou d'un micro-ordinateur. La succursale change. Elle reçoit de plus en plus de transactions

électroniques et elle voit ses opérations largement automatisées. Certaines succursales

deviendront entièrement automatisées, tandis que d'autres seront axées plus ou moins

exclusivement sur le service et le conseil à la clientèle.

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Espaces de la stratégie et TI 130

_________________________________________________________________________

La perspective de l'automatisation implique la création d'un marché électronique,

l'automatisation (au moins partielle, parfois totale) des succursales et le regroupement des tâches

de «back-office» dans des installations - centrales ou régionales - entièrement automatisées.

Politiquement, l'affectation de ressources majeures pour la technologie de l'information visant à

l'automatisation massive des opérations et des transactions exige une très grande légitimité du

stratège au sommet. Instrumentalement, la technologie de l'information visant l'automatisation

des opérations et des transactions vise également l'intégration des activités. La technologie de

l'information visant l'automatisation des opérations et des transactions se développe suivant la

vision stratégique du stratège au sommet.

Cette configuration favorise la réduction des coûts.

Cet objectif d'efficience est implicitement traité par Farley et al. (1987) quand ils étudient

les bénéfices escomptés de l'automatisation des ateliers : il s'agit de réduire les coûts directs de la

main-d'oeuvre, de diminuer l'inventaire, de baisser le nombre de rebuts, d'abaisser les coûts des

matériaux et de limiter les coûts fixes.

La considération d'un retour important sur l'investissement grâce à une technologie qui

supprime les emplois et accélère les transactions et les opérations est encore le premier facteur

motivant le développement de la technologie de l'information dans les organisations (Benson et

Parker, 1989).

L'efficience a guidé l'effort d'automatisation des opérations et des transactions de base

dans une première étape du traitement des chèques et des comptes-client mais aussi dans une

nouvelle étape d'aiguillage électronique, de programmes de cartes de débit et de services aux

investisseurs. Déjà en 1970, la banque One installait le premier guichet automatique suivie, sur

une plus grande échelle, par Citicorp. À l'aube des années 90, cette étape de la recherche

massive de l'efficience semble largement franchie dans les banques oeuvrant au Québec, mais

beaucoup moins dans les sociétés d'assurance.

Deuxième proposition de recherche

L'espace de la stratégie programmatique et les solutions R ou AR de la technologie de

l'information tendent à former une configuration cohérente.

À partir du moment où la technologie de l'information cesse d'être exclusivement sous le

contrôle de spécialistes en systèmes pour s'ouvrir sur les défis internes et externes de la stratégie,

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Espaces de la stratégie et TI 131

_________________________________________________________________________

les nouveaux dossiers de la technologie de l'information apparaissent. Il s'agit d'aligner les

systèmes et la technologie de l'information sur la stratégie. À la suite de cet alignement des

systèmes sur la stratégie se pose la question de l'architecture globale de la technologie de

l'information : cette architecture globale doit permettre à un groupe financier diversifié d'offrir un

ensemble de produits, de façon intégrée, au consommateur.

Comme le souligne un représentant de la Midland Bank : «Customers' needs remain

unpredictable so it is necessary to invest in a structure for systems, premises and people that will

be flexible enough to accomodate changing customers demands» (Banking World, décembre

1988 : 29-30).

Il s'agit pour les banques de développer à l'aide de la technologie de l'information leur

connaissance des clients actuels ou futurs. Les applications de base sont essentiellement le

fichier central client («Customer Information File») , les systèmes experts, les systèmes d'aide à

la décision, le télémarketing et tous les outils d'analyse ou d'aide à l'analyse de ces données

brutes pour affiner la segmentation du marché et améliorer la planification stratégique.

Au niveau des opérations, le traitement en ligne et l'offre de services de conseil vont

amener la réorganisation de la succursale au profit des nouvelles activités de conseil qui devront

bénéficier d'un environnement bureautique évolué et de nouvelles applications de type système

expert.

L'affectation de ressources majeures pour la technologie de l'information visant à la

représentation systématique des problèmes et des situations est reliée à l'existence d'un processus

et d'un personnel de planification stratégique formulant et mettant en oeuvre la stratégie

d'entreprise. La technologie de l'information visant à la représentation systématique des

problèmes et des situations en vue de leur intégration est l'outil privilégié des stratèges de

l'espace programmatique qui développent le couplage entre le plan directeur de l'informatique et

le plan stratégique.

Cette configuration favorise le positionnement stratégique.

La configuration espace programmatique/solutions de la technologie de l'information

pour la représentation favorise le positionnement stratégique. En effet, l'entreprise acquiert, au

moyen de la flexibilité introduite par l'intégration de la technologie de l'information, la capacité

de redéfinir sa mission, ses domaines d'activités et ses réseaux d'affaires (Venkatraman, 1989).

Ainsi, quand la législation le permet, une banque se met à offrir, en plus de ses services

d'épargne, de crédit et de chèques, de l'assurance et des services de courtage à son comptoir.

L'unité d'affaires se donne, par la technologie de l'information intégrée, des économies de

champ parce qu'une même plate-forme intégrée supporte des produits et des services distincts;

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Espaces de la stratégie et TI 132

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elle se donne aussi une grande souplesse pour développer un avantage compétitif de

différenciation.

La participation d'une ou plusieurs unités d'affaires à des réseaux interorganisationnels,

de type échange électronique de données (EDI) ou réseau numérique à intégration de services

(RNIS ou ISDN), offre à l'entreprise de nouvelles opportunités stratégiques. Ces nouveaux

circuits de distribution exigent une structuration des données faite en fonction des clients.

L'utilisation de dossiers d'information sur le consommateur (CIF, pour «Customer Information

File») va permettre la vente croisée, la gestion des relations avec le client, l'analyse de la

profitabilité des différents segments du marché, l'aide à la planification stratégique et la

confection de rapports aux gestionnaires. Le FCC et le réseau interorganisationnel s'imposent

comme étant des outils nouveaux pour la mise au point d'un avantage stratégique de

différenciation.

Troisième proposition de recherche

L'espace habité et les solutions de la technologie de l'information qui supportent

l'interaction tendent à former une configuration cohérente.

Grâce aux systèmes de communication intégrés (voix, images et données), les sociétés du

secteur des services financiers vont encore plus loin dans les solutions de la technologie de

l'information. Ce qui est recherché ici, c'est l'interaction : l'interaction entre le client et l'employé

spécialisé dans l'activité de conseil et l'approche intégrée (vente simultanée de produits financiers

de différentes natures); interaction aussi des membres des différentes équipes opérationnelles de

conception, de fabrication et de distribution de ces produits et services.

Ces différentes applications se déploient plus efficacement dans un espace de la stratégie

habité, qui correspond à un comportement stratégique autonome. Les fonctions

organisationnelles se trouvent alors affectées. De façon générale, elles se retrouvent plus

intégrées aux autres fonctions et doivent redéfinir leurs processus à la lumière des nouvelles

potentialités au niveau de l'automatisation, de la représentation et de l'interaction, dans la

recherche d'un avantage compétitif.

L'affectation de ressources majeures aux solutions de la technologie de l'information pour

l'interaction est reliée à l'existence d'un contexte stratégique suscitant une dynamique locale de

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Espaces de la stratégie et TI 133

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définition, de proposition et de conduite de projet, y compris les projets en technologie de

l'information, par une ou des équipes de travail. La technologie de l'information visant à

développer et à supporter systématiquement l'interaction des acteurs et des décideurs en vue de la

coordination de leurs actions est l'outil privilégié des stratèges de l'espace habité.

Cette configuration favorise l'innovation.

Cette configuration espace habité/technologie de l'information pour l'interaction favorise

l'innovation. En rendant imputables les managers «line» de la technologie de l'information

(Rockart, 1988) et en leur fournissant un maximum d'outils (ateliers logiciels et outils de

quatrième génération) et de support au développement d'applications (les info-centres),

l'organisation crée un contexte stratégique qui va valoriser le travail d'équipe et tout en

favorisant l'innovation.

L'implantation de cet objectif de capacité stratégique accrue par l'innovation est d'abord

une question de contexte stratégique, de structure autonome et de culture centrée sur

l'apprentissage. Des développements récents de la technologie de l'information sont cependant

susceptibles de contribuer à la mise en place de cette configuration : les outils automatisés de

développement des applications, les interfaces plus conviviales, les applications centrées sur les

interactions au sein du groupe, la mise en place d'un réseau intégré (données, voix, images) de

communication à l'intérieur de l'organisation, de façon à créer un environnement favorisant

l'interaction.

On va demander aux managers opérationnels de contribuer directement à la planification

de la technologie de l'information car ils connaissent le marché. L'organisation cherche, près des

opérations, à créer des champions de l'innovation (Mathis Beath, 1991) plutôt que de laisser tout

le travail à un bureau des méthodes. Les méthodologies de développement assistées par

ordinateur doivent laisser un espace pour des développements, en temps réel, profitables aux

opérations.

La logique du design de la recherche

Nous aboutirons à une meilleure compréhension des liens entre technologie de

l'information, stratégie et performance si nous sommes capable d'offrir à la lectrice ou au lecteur

de cette recherche une chaîne continue et logique depuis la question de recherche jusqu'aux

conclusions : «This chain of evidence will improve the reliability of the data.» (Yin, 1989 : 102;

repris par Benbasat et al., 1987 : 383).

Page 134: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 134

_________________________________________________________________________

Pour Strauss et Corbin (1991), les critères d'évaluation d'une recherche qualitative sont

des procédures explicites et des standards de recherche appropriés au type d'étude. Les canons

usuels de la «bonne science» sont aussi ceux de la recherche qualitative, à ceci près : ils doivent

être redéfinis pour rencontrer les réalités de la recherche qualitative et la complexité des

phénomènes sociaux (idem : 250). Ces canons ne doivent pas être littéralement importés de la

physique ou de la biologie mais redéfinis en fonction du mode de découverte et des procédures

de la recherche qualitative.

Par exemple, aucune théorie qui a trait à un phénomène social ne peut être reproduite à la

manière d'une théorie physique. La reproduction de notre recherche demanderait la présence

d'un chercheur partageant la même perspective théorique, suivant les mêmes règles générales de

cueillette et d'analyse dans un ensemble similaire de conditions (Strauss et Corbin, 1991 : 251).

Il reste que le succès d'un projet de recherche est jugé par ses produits (idem : 252) et que

notre cadre théorique ainsi que nos résultats partiels ont été évalués cinq fois par des arbitres et

présentés ainsi deux fois à l'ASAC (en 1987 et en 1991), une fois à l'ACFAS (1990) et deux fois

lors des Conférences internationales de management stratégique (à Montréal en 1991 et à Paris,

en 1992).

La validité des construits

Pour Yin (1989), le premier critère de qualité d'une étude de cas, c'est la validité des

construits : sont-ils mesurés, ou approximés, à partir d'un jugement subjectif ou à l'intérieur de

procédures rigoureuses? Comme Yin le suggère, nous avons multiplié les sources d'évidence

(les entrevues exploratoires dans les organisations et avec des entreprises de consultation en

technologie de l'information, les entrevues en profondeur et l'utilisation des documents émanent

de l'entreprise, de la presse d'affaires et de la littérature académique). Nous avons soigné la

construction d'une chaîne d'évidence depuis les questions de recherche jusqu'aux résultats.

Finalement, nous nous sommes «validés» avec nos informateurs lors des entrevues de

recherche en ce qui concerne les thèmes émergents de la recherche (comme la fin de l' «empire»

informatique, le peu de planification stratégique au sommet, le nouveau comportement

stratégique des succursales et l'émergence de la fonction marketing) et les transcriptions des

entrevues.

La validité interne

«La validité interne est en général la plus grande force d'une étude sur le terrain

effectuée avec soin» (Burgelman et Sayles, 1987). Ces auteurs soulignent que la familiarité du

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Espaces de la stratégie et TI 135

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chercheur avec le phénomène qu'il étudie, la production de données abondantes et une stratégie

de découverte bien fondée sont susceptibles de garantir une description fiable du phénomène.

La question de la validité interne est reprise plus loin dans le chapitre à l'aide des critères

émis par Strauss et Corbin (1991) pour juger de la qualité du processus d'une recherche et de son

caractère de théorie bien fondée.

La validité externe

Le but d'une théorie fondée est de spécifier les conditions qui ont mené à un ensemble

d'actions et d'interactions ayant trait à un phénomène et à ses conséquences. Plus l'échantillon

théorique est vaste et systématiquement établi, plus riches seront les conditions rencontrées et

plus grande sera la capacité de généralisation de la théorie.

L'industrie retenue exclut une réflexion sur d'autres types d'industries comme les

industries manufacturières; le nombre de cas - trois organisations - est également limitatif.

La période retenue - les années 80 - est une période très turbulente pour l'industrie des

services bancaires et financiers. La déréglementation et le décloisonnement ont certainement

accéléré le développement de certains dossiers technologiques comme le fichier client.

Le nombre de dossiers de la technologie de l'information étudiés peut également être

critiqué. Cependant, les deux premiers regroupent les plus importants investissements en

développement pour les banques, selon plusieurs observateurs.

Le nombre limité d'informateurs à l'intérieur de chaque organisation est également à

considérer même si en plus d'une douzaine d'entrevues en profondeur, nous avons dû au long de

ces années échanger avec une trentaine de gestionnaires et une dizaine de consultants seniors

(sans compter une vingtaine de cadres et d'employés-ées des organisations observées rencontrés-

ées dans le cadre de mes cours à l'université, de projets de recherche ou de direction de

mémoires).

Un auteur comme Bower souligne cependant le besoin de développer des théories

nouvelles (Bower, 1970 : 25), même à partir d'une seule entreprise étudiée, plutôt que de générer

des données faibles à partir d'un vaste sondage.

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Espaces de la stratégie et TI 136

_________________________________________________________________________

La fidélité

Dans la recherche qualitative, le chercheur sur le terrain est engagé de façon permanente

dans quelque chose qui ressemble vraiment au test d'hypothèse, ce qui l'oblige à vérifier sa

perception et sa compréhension face à de multiples sources d'erreurs (Kirk et Miller, 1986 : 25).

Quand sa compréhension est invalide, le chercheur qualitatif va s'en rendre compte plus ou

moins rapidement (idem).

La fidélité dépend essentiellement de la description explicite des procédures. Les

données doivent être rapportées dans les termes d'une théorie implicite ou explicite; la fidélité

comme la validité prennent leur sens en fonction d'une théorie (voir le tableau 4.1). En annexe

de la thèse sont commentés le protocole de recherche ayant servi aux entrevues et à la description

des cas ainsi que la base de données contenant les extraits d'entrevues ou vignettes narratives.

Ces deux éléments, le protocole de recherche et la base de données, sont mentionnés par Yin

(1989) comme garantissant la fidélité dans la méthode des cas.

Les étapes de la recherche

Cette recherche s'est amorcée lors de la remise de travaux de recherche pour les

séminaires de recherche en stratégie45 et de PGA ou politiques générales d'administration46

(Policy). Les deux rapports («Coopération stratégique» et «Les activités nommées et les

activités sans nom») portaient sur des organisations oeuvrant dans l'industrie française et

québécoise des services financiers. En 1988, trois organisations ont été retenues pour la

recherche qui s'est déroulée de 1989 à 1992.

La première étape de la recherche avait comme objectif la description de la relation entre

des solutions de la TI et les besoins stratégiques de l'entreprise. La période retenue pour cette

description était la décennie des années 80.

La deuxième étape de la recherche portait plus précisément sur des changements

observables dans l'espace de la stratégie lors du déploiement massif des solutions de la TI et de

leur intégration au travail en succursale. Des entrevues en profondeur avec des membres de la

45Le séminaire de «Recherche en stratégie» était offert dans la programme conjoint par les professeurs Yvan

Allaire, Roger Miller et Jean Pasquero à l'UQAM. 46Ce séminaire est toujours offert par le professeur Henry Mintzberg à l'université McGill.

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Espaces de la stratégie et TI 137

_________________________________________________________________________

haute direction - essentiellement en marketing et en informatique - ont été menées pour

comprendre ces changements.

Enfin, lors d'une troisième étape de la recherche, les entrevues en profondeur ont été

transcrites à partir des enregistrements, codées et analysées. Des rapports d'analyse ont été

produits sur près de 2 500 vignettes narratives à l'aide d'un progiciel de gestion de base de

données. Les étapes de la recherche sont résumées dans le tableau 4.2.

La première étape : la confection des cas sur la relation entre la technologie de

l'information et l'organisation

En observant depuis 1985 des organisations de l'industrie des services bancaires et

financiers, et en les observant tout en pensant à la notion d'espace de la stratégie, nous avions

remarqué tout d'abord deux points. Le premier point était celui de l'intégration plus serrée des

activités des différentes composantes pour mettre à la disposition du client une offre globale de

produits et de services dans le cadre d'une industrie en voie de décloisonnement et de

déréglementation; c'est ce que nous avions appelé alors la coopération stratégique.

Le deuxième point était celui du statut particulier de l'informatique et de la fonction

contrôle qui semblaient même échapper au processus de planification stratégique; la fonction

contrôle devant d'ailleurs beaucoup à l'informatique.

Une anecdote à ce sujet : au siège social d'une importante banque française, de jeunes

contrôleurs financiers vivent au milieu d'une débauche d'équipements de bureautique dans de

vastes bureaux exposés plein sud, avec une vue superbe sur la ville; du côté nord du bâtiment,

dans un même petit bureau, un économiste et un sociologue se partagent du papier et du crayon :

ils sont en charge de la planification stratégique à moyen et à long terme...

Tableau 4.2.

Les étapes de la recherche

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Espaces de la stratégie et TI 138

_________________________________________________________________________

Première étape

Description de la relation

entre technologie de

l'information et stratégie

Deuxième étape

Interprétation de cette

relation dans le cadre de

dossiers précis de la TI

Troisième étape

Test de l'idée de

configuration mixte de

technologie de

l'information et d'espace

de la stratégie

- consultation continue de la

littérature dans les domaines

de la TI et de la stratégie

- suivi de la presse d'affaires

et informatique québécoise,

canadienne, française et

américaine

- travail de description à

partir de documents internes

et externes aux entreprises;

analyse des notes de 40

heures d'entrevues avec les

gestionnaires des

organisations observées et

des consultants.

- rédaction des cas pour

présenter les contextes

organisationnels

- accumulation de données

plus précises autour des

dossiers technologiques

(guichets automatiques,

fichier central client et

système d'aide à la décision

de groupe)

- réalisation d'entrevues en

profondeur avec la haute

direction des entreprises

portant sur l'historique des

guichets automatiques et du

fichier central client ainsi

que sur la contribution de

ces solutions de la TI à la

performance

organisationnelle

- codage et analyse

systématique des entrevues

- mise en relation des

résultats du codage avec les

résultats des descriptions de

cas pour arriver à tester

qualitativement l'idée de

configuration mixte de TI et

d'espace de la stratégie

Contrôleurs et planificateurs - l'un de ces derniers souffre d'un ulcère à l'estomac - ne se

parlent pas et ne semblent pas partager le même espace de la stratégie! La cueillette de données

sur les cas a été guidée par ces deux observations premières : l'exigence d'intégration à l'échelle

de l'organisation et le statut spécial de l'informatique face à la planification stratégique.

L'observation sur le terrain nous a permis de contrôler certains dangers de l'entrevue

quand on en fait une source exclusive de données. Le chercheur doit trouver des faits, échapper

à la fiction, et valider constamment son interprétation des faits. À cet égard, le travail minutieux

de vérification à partir de sources d'information multiples est un gage de validité interne et de

fidélité.

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Espaces de la stratégie et TI 139

_________________________________________________________________________

Quatre thèmes principaux ont été retenus pour écrire les cas. Le premier est celui de la

stratégie d'entreprise. Nous avons constaté dans les trois organisations étudiées le même

phénomène d'intégration interne et, à des degrés divers, la même faiblesse de la planification

stratégique face au pouvoir des décideurs financiers qui ont, dans la conjoncture actuelle, un

horizon à court terme.

Le deuxième thème retenu est celui de la fin de l' «empire informatique». Là aussi il

faudrait apporter des nuances mais le même phénomène peut être observé : il faut couper les

coûts de l'informatique, arrêter d'investir et revoir le statut privilégié des informaticiens et de la

fonction informatique.

Un troisième thème retenu est celui de la réorganisation des activités et du rôle de la

qualité dans l'optique d'une offre globale et personnalisée de produits et de services bancaires et

financiers aux clients. Il s'agit encore d'un phénomène récurrent : introduire la fonction conseil

en succursale, transformer les compétences et la motivation, devenir une entreprise de vente

plutôt qu'une institution de dépôt.

Le quatrième thème retenu est celui de la gestion stratégique de la succursale et du rôle

nouveau du marketing à la fois au siège social et dans la succursale. Le gérant de succursale

n'est plus ce cadre en attente d'une promotion au siège social mais bien un entrepreneur qui se

voit conférer, toujours avec certaines nuances selon les organisations, de plus en plus

d'autonomie et de latitude dans sa gestion pour autant que la croissance suive.

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Espaces de la stratégie et TI 140

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La deuxième étape : l'interprétation des cas à partir de la notion d'espace de la stratégie

Le premier critère mentionné par Strauss et Corbin (1991) à propos des critères d'une

recherche empiriquement fondée est celui-ci : les concepts de cette recherche sont-ils générés par

les données? La réponse doit être positive pour satisfaire au critère de la fondation empirique de

la recherche.

Pour Maffesoli (cité par Deslauriers, 1991 : 95), «il faut traiter les idées comme des

boîtes à fleurs qui encadrent la réalité; le plus important n'est pas la boîte mais la fleur.» Ainsi

il vaudrait mieux utiliser la notion que le concept, car la souplesse de celle-ci satisfait mieux

notre désir de connaissance (idem : 94). À l'autre extrémité du spectre se trouve le construit,

cher à la recherche positiviste47. Entre le construit et la notion, il y a le concept, celui du langage

courant (l'amour, l'intelligence...) - le concept concret - mais aussi le concept indicatif ou

«sensitizing concept» (Meszaros, cité par Deslauriers 1991 : 92). Le concept indicatif désigne

«un ensemble de notions plutôt générales, assez précises pour identifier les données et les

regrouper, mais assez larges pour désigner plus d'une chose à la fois» (idem : 92).

Pour Dyer et Wilkins (1991) l'utilisation de construits en recherche qualitative s'effectue

au détriment des histoires qui permettent de comprendre les situations en profondeur.

«We return to the classics because they are good stories, not because they

are merely clear statements of a construct. Indeed, the very clarity of the

constructs stems from the story that supports and demonstrates them.» (Dyer et

Wilkins, 1991 : 617)

Notre choix de l'entrevue en profondeur est, dans un premier temps, un choix délibéré

pour les histoires face aux construits. Voici, pour illustrer ce parti pris, deux brefs extraits

d'entrevues menées durant la recherche:

- «Il y a un mood qui se crée, il y a des gens de l'informatique qui ont le

potentiel et le thinking business qui sont rendus maintenant dans le business. Et il

y a des gens du business qui sont venus en informatique pour savoir c'est quoi

(l'informatique) et comment faire ce fameux arrimage là. Quand on regarde dans

d'autres directions comme à la banque CCC actuellement c'est la même chose.

Les deux derniers chefs de l'informatique de la banque CCC, ce ne sont pas des

informaticiens, ce sont des banquiers. Donc il y a un move».

47Pour Kerlinger, un construit c'est d'abord un ensemble de variables, le construit a été de façon délibérée

inventé ou adapté - on pourrait écrire construit - à des fins purement scientifiques (Kerlinger, 1973).

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Espaces de la stratégie et TI 141

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- «Et on a un vice-président informatique qui était vice-président aux

opérations et ressources humaines (...). Donc, ce n'est pas un informaticien...il

arrive plus comme un administrateur, comme un administrateur soucieux de

donner un cadre de gestion, des indicateurs de gestion de stratégie. Moi je dirais

que l'ère de l'âge d'or de l'informatique est comme terminé. Et en plus avec la

décentralisation, l'expertise va se décentraliser».

Pour nous convaincre, les histoires sont plus efficaces que les démonstrations statistiques.

Cependant, avant de recueillir les «bonnes» histoires en vue de former des théories, des concepts

doivent d'abord être assimilés pour former des propositions.

Nous nous servons essentiellement dans cette recherche des concepts de performance,

d'espace de la stratégie et de solution de la technologie de l'information. Nous n'avons pas

opérationnalisé le concept d'espace de la stratégie pour en faire un construit au sens positiviste;

nous avons voulu l'utiliser comme concept indicatif, assez souple et assez large pour capter des

informations multiples mais assez précis et rigoureux pour les classer.

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Espaces de la stratégie et TI 142

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Tableau 4.3.

Le concept d'espace de la stratégie

EESSPPAACCEE DDEE LLAA

SSTTRRAATTÉÉGGIIEE

ESPACE VIDE

ESPACE

PROGRAM-

MATIQUE

ESPACE HABITÉ

espace politique

la légitimité du

leader

la légitimité du leader

et du personnel de

planification

la légitimité du

groupe

opérationnel

espace instrumental

l'action du leader

le plan pour formuler

et pour mettre en

oeuvre

les mécanismes de

l'action collective

espace théorique

la vision du leader

la recherche du «fit»

avec l'environnement

le consensus du

groupe

Le construit d'espace de la stratégie

La notion d'espace de la stratégie permet d'adresser des dimensions organisationnelles

qui ne relèvent pas exactement de la structure. Il en va ainsi pour Charan (1991) qui s'éloigne de

la notion de structure organisationnelle en lui préférant la notion d'architecture sociale.

Là où la structure organisationnelle réfère à des systèmes de pouvoir vertical et d'autorité

fonctionnelle, l'architecture sociale réfère à des mécanismes plus fins d'un point de vue

sociologique : «Social architecture concerns what happens when the network comes together -

the intensity, substance, output, and quality of interactions - as well as the frequency and

character of dialogue among members on a day-to-day basis » (Charan, 1991). L'espace de la

stratégie décrit des changements moins directement observables que les changements de

structure : il s'agit des modifications de légitimité («self-confidence»), d'outils (programmes de

formation...) et de théorie («simplicity») sur la façon de réussir des changements stratégiques,

comme le fait, par exemple, Jack Welch chez GE ().

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Espaces de la stratégie et TI 143

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Le postulat de la recherche est que les changements nécessaires pour obtenir de la

performance d'une organisation envahie par la technologie de l'information concernent moins la

structure que l'espace de la stratégie (voir le tableau 4.3.) - politique, instrumental et théorique -

dans lequel s'établissent les interactions entre acteurs et décideurs qui conçoivent et mettent en

oeuvre la stratégie.

Tableau 4.4.

Les propriétés de l'espace de la stratégie

ESPACE VIDE ESPACE VIDE INSTRUMENTAL

Action majeure posée par le sommet

Action majeure posée par la vice-présidence informatique

Emprise du sommet sur les opérations et les activités

ESPACE VIDE POLITIQUE Pouvoir, influence, légitimité des bureaux-chefs

Pouvoir, influence, légitimité du fournisseur

Pouvoir, influence, légitimité du v-p informatique

Pouvoir, influence, légitimité du v-p marketing

Pouvoir, influence, légitimité du v-p opérations

ESPACE VIDE THÉORIQUE Vision, obsession, intuition du fournisseur de systèmes informatiques

Vision, obsession, intuition du v-p informatique

Vision, obsession, intuition du v-p marketing

Le premier concept est celui de l'espace de la stratégie. Nous parlons d'espace de la

stratégie pour indiquer les trois dimensions de la légitimité, des outils et des théories qui sous-

tendent la formulation et l'implantation de la stratégie. En caractérisant l'espace de la stratégie

d'espace vide (voir le tableau 4.4), d'espace programmatique (voir le tableau 4.5.) et d'espace

habité (voir le tableau 4.6.), nous voulons également indiquer que la stratégie est une unité

complexe à l'oeuvre aux différents niveaux hiérarchiques de l'organisation.

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Espaces de la stratégie et TI 144

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Tableau 4.5.

Les propriétés de l'espace programmatique

ESPACE PROGRAMMATIQUE ESPACE PROGRAMMATIQUE INSTRUMENTAL

Action collective : gestion par projet formalisée dans l’espace programmatique (ex : groupe de

développement de produit)

Décision majeure prise dans le cadre du processus de planification stratégique

Emprise du plan et du staff de planification sur les activités et sur les opérations

Utilisation du fichier central client par le siège social de la banque

Formation aux outils de l’espace programmatique (plans, budgets, programmes, procédures...)

Marge de manoeuvre de la succursale dans l’espace programmatique

ESPACE PROGRAMMATIQUE POLITIQUE Résistance au changement dans l’espace programmatique

Pouvoir, influence, légitimité du couple : staff de planification stratégique et sommet

Pouvoir, influence, légitimité du réseau des succursales

Pouvoir, influence, légitimité du couple : staff de planification systèmes et vice-présidence

informatique

ESPACE PROGRAMMATIQUE THÉORIQUE Modèle concurrentiel utilisé pour formuler une stratégie

Modèle économique ou financier utilisé pour formuler une stratégie

Modèle technologique utilisé pour formuler une stratégie (nolan, mcfarlan...)

Effort de modélisation du puzzle techno-stratégique

La littérature reconnaît cette complexité en distinguant la recherche d'une identité et d'une

vision pour l'entreprise (dans l'espace vide), la mise au point d'une stratégie générique (dans

l'espace programmatique), l'attention prêtée aux projets opérationnels - souvent axés sur

l'innovation de produits et de procédés - issus d'un niveau tactique et l'attention quotidienne aux

détails de l'évolution du marché et aux détails de la qualité du produit ou du service offert (dans

l'espace habité).

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Espaces de la stratégie et TI 145

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Tableau 4.6.

Les propriétés de l'espace habité

ESPACE HABITÉ ESPACE HABITÉ INSTRUMENTAL

Action collective entre les succursales

Emprise de la succursale sur ses propres activités et opérations

Utilisation du fichier central client par la succursale

Formation aux outils de l’espace habité (leadership partagé, travail d’équipe, analyse en groupe

de l’environnement...)

Langage stratégique commun

Marge de manoeuvre de la succursale dans l’espace habité

Outils fournis par le sommet dans le cadre et pour le maintien de l’espace habité

Changement de structure dans le sens d’une plus grande autonomie pour les succursales

Outils développés par la succursale dans le cadre et pour le maintien de l’espace habité

ESPACE HABITÉ POLITIQUE Luttes de pouvoir dans une arène politique sans arbitrage fort exercé par le sommet

Luttes de pouvoir, au sommet, dans une arène politique sans arbitrage fort exercé par le sommet

Pouvoir, influence, légitimité des équipes et des groupes de travail

Soutien du sommet dans le partage du pouvoir, de la légitimité et de l’influence en faveur des

succursales ou des groupes de travail

Pouvoir, influence, légitimité des succursales

ESPACE HABITÉ THÉORIQUE Recherche du consensus

Émergence de projets, d’initiatives, de stratégie

Idéologie de la participation

Le concept de stratégie, surtout quand il est perçu et traité comme une unité complexe, a

déjà démontré sa capacité de capter le phénomène du comportement distinct d'entreprises opérant

dans une même industrie.

Le construit d'espace de la stratégie systématise trois dimensions fondamentales de la

stratégie (politique, pratique, théorique) qui définissent trois architectures (vide,

programmatique, habitée) de cet espace.

Les résultats de la recherche indiquent que le concept d’espace de la stratégie a, comme

le concept de stratégie, des qualités de validité discriminante (il présente des caractéristiques

distinctes dans des organisations distinctes) et de validité convergente (les différentes mesures du

concept - obtenues au moyen des cas ou des entrevues - partagent de la variance).

Le construit de performance

Le deuxième construit que nous utilisons dans cette recherche est celui de performance.

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Espaces de la stratégie et TI 146

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Tableau 4.7.

Le concept de performance

PERFORMANCE

financière

Profitabilité

Réduction des coûts

de positionnement

Part de marché

Nouveaux produits

Qualité des produits

Efficience marketing

Valeur ajoutée

Efficience technologique

de capacité stratégique

Planification flexible

Contexte stratégique

Culture innovatrice

Les rapports entre technologie de l'information et performance sont denses et complexes.

Non seulement la technologie de l'information est-elle un chemin vers la performance financière,

vers un nouveau positionnement ou performance d'affaires (produits-marchés) et vers la

capacité stratégique, elle est aussi, en tant que technologie nouvelle, une source d'ambiguïté

dans la compréhension de la performance, un moyen direct de mesure de la performance du

personnel dont la tâche est reliée à l'ordinateur et un moyen de communiquer instantanément

cette performance aux membres de l'organisation.

À un niveau plus général, la performance se confond avec l'efficacité organisationnelle

(Venkatraman et Ramanujam, 1986). Ainsi le concept de performance est aussi central en

gestion stratégique que le concept de santé en médecine. Ses dimensions sont multiples et

l'opérationnalisation doit dépendre de l'approche particulière du chercheur.

Venkatraman et Ramanujam (1986) proposent de considérer la performance financière et

la performance opérationnelle ou d'affaires («business performance») comme des sous-

ensembles de l'efficacité organisationnelle et de les traiter comme tels sans essayer

d'opérationnaliser toutes les dimensions du construit d'efficacité organisationnelle. Cette

approche a le mérite de la clarté et le désavantage de ne pas soulever le problème soulevé par

Adler (1988) : celui de l'ambiguïté de la performance.

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Espaces de la stratégie et TI 147

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Si l'on s'en tient à la performance financière, le chercheur considère alors l'organisation

(ou une de ses composantes) comme une boîte noire et veut seulement connaître le taux de

croissance de l'organisation (ses extrants) qu'il observe et son efficience dans l'utilisation de ses

ressources (ses intrants). Les indicateurs sont alors la croissance des ventes, la profitabilité

(retours sur les actifs, sur les ventes, sur le capital, sur l'investissement), le gain par action et

d'autres mesures d'ordre financier basées sur le marché plutôt que sur le système comptable (ex :

valeur du marché par rapport à la valeur aux livres).

La performance non financière est traitée par Venkatraman et Ramanujam (1986) comme

performance opérationnelle : c'est une performance reliée à l'environnement dans lequel la firme

évolue. Les indicateurs sont ici la part de marché, l'introduction de nouveaux produits, la qualité

du produit, l'efficacité du marketing, la valeur ajoutée par la fabrication, et d'autres mesures

comme l'efficience technologique.

Le point de vue du chercheur qui s'intéresse à la performance opérationnelle est distinct

du point de vue précédent qui considérait l'organisation comme une boîte noire. Dans cette

deuxième approche, la boîte noire n'est pas encore ouverte, mais les relations avec

l'environnement économique (le marché), social (les clients) et technologique (quant aux

produits et aux procédés) sont considérées.

La troisième approche de la performance serait une approche organisationnelle centrée

sur la qualité de la culture organisationnelle, sur la flexibilité du processus de planification et sur

l'adéquation du contexte stratégique et structurel créé par le manager au sommet. Ce qu'écrit

Adler (1988) - que nous citons plus loin - rejoint le souci de nombreux auteurs comme

Chakravarty ou Burgelman de mettre l'accent sur la mesure des conditions correctes de la

performance, qui est comprise alors comme viabilité future, plutôt que sur une mesure ex-post

de la performance : «...with technology's continued acceleration, each new step in automation is

a bigger one, which increases the ambiguity of objectives and of paths to attaining them» (p.44).

Ce qui nous intéresse dans le construit de performance ce ne sont pas tant les mesures des

diverses variables (ROI ou, pour une banque, les frais d’opération par 100$ d’actif) qui

opérationnalisent cette performance, mais bien les choix que font les membres de la direction

afin de relier tel investissement en technologie de l'information à tel type de performance ainsi

que les instruments de mesure que les organisations se donnent pour apprécier la réduction des

coûts, le positionnement ou le développement d’une plus grande capacité stratégique.

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Espaces de la stratégie et TI 148

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Tableau 4.8.

Les propriétés du concept de performance

PERFORMANCE RÉALISÉE PAR L’ENTREPRISE PERFORMANCE EN TERME DE CAPACITÉ STRATÉGIQUE

Culture innovatrice : performance en terme de capacité stratégique

Planification flexible : performance en terme de capacité stratégique

Contexte stratégique : performance en terme de capacité stratégique

PERFORMANCE FINANCIÈRE Croissance des revenus causée par le fc

Croissance des revenus causée par les guichets

Croissance des revenus causée par les tpv

Réduction des coûts à l’aide du fc

Réduction des coûts à l’aide des guichets automatiques

Réduction des coûts à l’aide de la réduction des lieux d’opérations

Réduction des coûts à l’aide de la réduction de personnel

Réduction des coûts à l’aide du tpv

Profitabilité

Profitabilité : seuil de rentabilité des guichets automatiques : nombre transactions/guichet

Profitabilité des terminaux point de vente

Profitabilité : taux d’utilisation des cartes de guichet

PERFORMANCE DE POSITIONNEMENT Part de marché

Efficience technologique provenant d’un meilleur couplage entre la stratégie et la

technologie de l’information

Efficience marketing

Nouveaux produits

Qualité des produits

Qualité des produits au moyen de la flexibilité

Performance globale des terminaux point de vente

Valeur ajoutée par les nouvelles liaisons, l’accélération des échanges, la restructuration et

l’innovation

Valeur ajoutée par l’intégration du réseau

Performance en terme de nombre de ventes croisées

La troisième étape : le test qualitatif de l'idée de configuration mixte de technologie de

l'information et d'espace de la stratégie

Afin de comprendre les managers et de rendre compte des liens dynamiques entre la

technologie de l'information et l'espace de la stratégie, nous avons choisi d'apporter un soin

particulier à l'analyse des thèmes qu'ils ou elles ont abordés.

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Espaces de la stratégie et TI 149

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L'entrevue en profondeur ou le discours partagé

Pour Mishler (1986) et Briggs (1986), citant Cicourel (1982), l'entrevue telle que

pratiquée en sciences sociales doit être considérée comme un événement de parole («speech

event») au même titre que les autres activités de parole que sont les actes de parole, les

situations et les communautés de parole.

Pour Hymes (1967:19), cité par Mishler (1986:35), l'entrevue doit être considérée comme

une activité parmi toutes les activités, ou aspects d'activités, qui sont directement gouvernées par

des règles d'usage du langage. Ce qui devient ainsi évident entre les acteurs d'une entrevue, c'est

l'existence de présupposés culturels qui sont partagés : «Questioning and answering are ways of

speaking that are grounded in and depend on culturally shared and often tacit assumptions

about how to express and understand beliefs, experiences, feelings, and intentions.» (Mishler,

1986:7).

Gumperz, cité par Mishler (1986), définit ainsi les activités de langage : «a set of social

relationships enacted about a set of schemata in relation to some communicative goal »

(Gumperz, 1982). Ainsi, raconter une histoire, bavarder, enseigner ou interviewer implique

certaines attentes sur la progression thématique, les règles de la prise du tour de parole, la forme,

sur le résultat de l'interaction aussi bien que sur la contrainte du contexte (idem).

Le courant méthodologique traditionnel qui considère l'entrevue comme un moyen, parmi

d'autres, de remplir un questionnaire considère que nous savons tout de l'entrevue. Ce courant se

situe dans le paradigme behavioriste du stimulus-réponse et poursuit cette chimère (Mishler,

1986) de l'interview stimulus en prenant pour acquis que le langage est un assemblage de petites

boîtes et que les faits ont l'objectivité de la roche.

C'est Lazarsfeld (1935) qui a le premier compris que les variations dans la formulation

que les interviewers apportaient aux questions étaient la clé de la bonne interview. Le jeu des

questions et des réponses commence entre l'enfant et sa mère et se poursuit tout au long de la vie,

notamment dans le fonctionnement quotidien des organisations. Ce jeu, utilisé avec les règles

scientifiques appropriées, doit être considéré comme une approche correcte de la connaissance

(Cicourel, 1982; Briggs, 1986; Mishler, 1986). Il ne s'agit pas d'affirmer du bout des lèvres que

l'entrevue non-structurée est un moyen d'investigation toléré quand le chercheur est peu

connaissant dans son domaine, il s'agit, au contraire, d'affirmer que l'entrevue, abordée comme la

construction conjointe d'un discours, est un moyen complet non seulement pour générer des

hypothèses, mais aussi pour les tester. Sa force réside dans l'interprétation plus serrée des

données grâce à l'attention accordée au contexte, dans le choix d'unités d'analyse concrètes et

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Espaces de la stratégie et TI 150

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porteuses de sens et dans l'obligation pour le chercheur d'avoir construit un cadre théorique

solide avant d'aborder les entrevues proprement dites.

Cette approche, plutôt que de s'en remettre au hasard pour le choix d'un échantillon dans

une population, doit situer les informateurs clés ou, en ethnologie, les personnes les mieux

placées par leur savoir et leur capacité d'échanger sur le fonctionnement de leur groupe.

Cette recherche des informateurs est longue et délicate. Elle suppose que le chercheur

soit d'une certaine façon reconnu par le groupe étudié. Il faut qu'il inspire confiance et qu'il soit

prêt à partager les normes du groupe étudié. Ce que Bower dit très clairement des recherches en

politiques générales : il faut que le chercheur inspire confiance et ait même des relations de

travail avec les personnes des organisations étudiées. C'est ce que nous nous sommes efforcés de

faire.

Le but est de produire, ensemble, du sens à partir des entrevues. Il s'agit donc que les

questions soient fixées dans leur sens, leur signification plutôt que dans leurs mots («meaning vs

wording » Lazarsfeld, 1935; Mishler, 1986). En mettant ainsi l'accent sur l'interaction plutôt que

sur le stimulus, l'entrevue devient une entreprise de cueillette de données où le face à face est

nécessaire. L'interaction doit en plus (Briggs, 1986:7) intervenir dans un contexte de recherche

et obliger l'investigateur à poser des questions. En général, ce type d'entrevues est complété par

du travail sur le terrain qui met en oeuvre d'autres procédures visant à ramasser des données.

Ainsi, les interviews sont le produit coopératif des interactions entre au moins deux personnes

qui assument des rôles différents et qui viennent fréquemment d'horizons social, culturel et/ou

linguistique différents (Briggs, 1986 : 102).

L'esprit de coopération et de confiance suscite et accorde de l'importance aux histoires

racontées par la personne interviewée. Cette relation confiante peut s'obtenir en légitimant la

personne rencontrée, en lui donnant, à la différence du diagnostic médical classique (Mishler,

1986), le pouvoir de se raconter.

Il ne s'agit pas seulement de créer une atmosphère amicale et agréable. Il faut aller

jusqu'à considérer les personnes interviewées comme des collaborateurs de la recherche,

participant, le cas échéant, à l'analyse et à l'interprétation des résultats.

Cette orientation dans la pratique de l'interview ne peut être adoptée que si le chercheur

comprend que chaque groupe dispose d'un métalangage48, qu'il se familiarise avec ce type de

métalangage et qu'il développe des techniques d'interview qui rencontrent ces normes.

Si dans cette option méthodologique, le chercheur tente de percevoir d'abord les

problèmes de l'informateur-trice avant ses propres problèmes techniques de validité et de fidélité,

48 «Investigating the metacommunicative repertoire of the group in question is the necessary starting point

for research» (Briggs, 1986:29)

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Espaces de la stratégie et TI 151

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cela ne signifie pas que la rigueur est délaissée au profit de la pertinence, car la façon de

concevoir la rigueur en recherche est modifiée dans ce contexte. Il s'agit d'atteindre, dans les

mots de Cicourel (1982) un niveau de validité écologique : le chercheur doit refléter les actions

quotidiennes d'une collectivité. Briggs (1986 : 28) écrit : «The interviewer's attempts to increase

reliability by standardizing the presentation of the questions thwarts her or his ability to achieve

ecological validity».

Mishler (1986 : 24) écrit de son côté:

«The one-shot interview conducted by an interviewer without local

knowledge of a respondent's life situation and following a standard schedule that

explicitely excludes attention to particular circumstances ... does not provide the

necessary contextual basis for adequate interpretation ».

Les sources méthodologiques de l'entrevue en profondeur ou de la longue entrevue

(McCracken, 1988) viennent principalement de la sociolinguistique. C'est cette science qui peut

donner la compréhension la plus précise de l'entrevue qualitative.

La sociolinguistique nous permet de distinguer l'approche qualitative de l'entrevue

(Briggs, 1986; McCracken, 1988) d'une approche de type «survey» destinée à recueillir des

données quantitatives (voir Fowler et Mangione, 1990). La seconde se base sur un paradigme

behavioriste où le répondant reçoit des stimuli qui doivent être standardisés (car l'interviewer est

considéré comme une source d'erreurs et de biais) tandis que la première approche se fonde sur

un discours partagé, un travail coopératif et une rencontre en profondeur qui a lieu dans un

contexte précis.

Briggs (1986) mentionne, parmi les linguistes, des auteurs comme Hymes, Fishman et

Labov pour leurs travaux orientés vers l'étude de la parole «parlante» plutôt que vers les froides

classifications de Saussure ou les orientations théoriques de Chomsky.

Il y a lieu, toujours pour Briggs (1986), de rapprocher ces travaux de sociolinguistique

d'efforts réalisés en philosophie pour formuler de nouvelles théories du langage comme celles

d'Austin (1962) et de Searle (1969). Il faut également comprendre dans ces théories nouvelles

les apports de la phénoménologie et de l'herméneutique qui ont accru la sophistication dans

l'interprétation des textes.

Enfin, des travaux de la sociologie s'ajoutent à ces percées de la linguistique et de la

philosophie pour former la sociolinguistique. Ainsi, Goffman (1959) et les

ethnométhodologistes comme Garfinkel et Sacks ont fait de grandes contributions, tout comme

Cicourel. Selon Briggs (1986:113), ces gens-là ont mis au défi les scientifiques des sciences

sociales de prêter attention aux présupposés linguistiques de leurs recherches et de rendre

explicites les informations contextuelles qui mettent en forme leurs analyses.

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Espaces de la stratégie et TI 152

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Actuellement, les apports de la psychologie cognitive viennent encore enrichir et

complexifier notre compréhension de la communication verbale. Les travaux de Sperber et

Wilson (1986) et plus généralement les contributions de la pragmatique (une branche de la

linguistique) illustrent bien cette nouvelle vision. Le phénomène de la communication n'est plus

dans un paradigme behavioriste mais dans un nouveau paradigme de la (psycho-socio) cognition.

Dans ce paradigme la personne qui veut communiquer soumet au destinataire une série

d'hypothèses (sous forme de sons ou d'autres indices ostensibles) que ce dernier devra éclaircir

logiquement à l'aide de ses capacités inférentielles. La communication est ainsi régie par le

principe de pertinence : l'intention communicative de la personne qui communique doit, pour

être pertinente, produire le plus d'effets possibles chez le destinataire en exigeant de sa part le

moins d'efforts inférentiels.49

49 «Étant donné le principe de pertinence, tout ce dont le destinataire a besoin, c'est que les propriétés du

stimulus ostensible engagent son travail inférentiel sur la bonne voie; il n'est pas nécessaire pour cela que les

propriétés du stimulus représentent ou codent dans le détail l'intention informative du communicateur.» (Sperber et

Wilson, 1989: 381).

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Espaces de la stratégie et TI 153

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Tableau 4.9.

Les étapes de la recherche qualitative comparées aux étapes d'une construction fondée

d'une théorie

Étape dans la

recherche qualitative

Étape dans

la

construction

fondée d'une

théorie

Méthodologie de

support pour

recueillir les

données

Techniques de

réduction et

d'analyse des

données

Outils utilisés

pour pratiquer

les techniques

L'INVENTION

Mise au point du

design de la recherche

Enoncé de la question

de recherche

Formulation des

propositions de

recherche

connaissance de

la littérature en

stratégie et

systèmes

d'information;

présentation du

cadre théorique à

l'ASAC

(Toronto, 1987;

Niagara Falls,

1991); examen

de la littérature

en méthodologie

et des choix

méthodologiques

des chercheurs

du domaine

stratégie/système

s d'information

bibliothèques,

colloques

spécialisés,

rencontres avec des

spécialistes

reconnus;

discussions avec les

membres du comité

de thèse, avec des

collègues et des

informateurs;

conception d'un

cadre théorique

permettant de joindre

la littérature en

stratégie et en

systèmes

d'information

(rapports théoriques

1 et 2);

logiciel de traitement

d'idées;

logiciel graphique;

traitement de texte;

base de données

bibliographique

personnelle; accès

aux bases de

données spécialisées

LA

DÉCOUVERTE

LE CODAGE

OUVERT

La méthode des cas :

entrevues

préparatoires et

collecte de sources

d'évidence

(Benbasat et al.,

1987;Yin, 1989)

mise en place d'un

système de

classement des

mémos, documents

d'entreprise et

extraits de presse en

fonction des thèmes

et des organisations

système de

classement manuel

Page 154: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 154

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Les entrevues en

profondeur

(Mischler, 1986)

le codage ouvert

et le codage fermé

des entrevues

(Miles et Huberman,

1986; Mathis Beath,

1991)

magnétophone;

traitement de texte;

extraction des

vignettes

sélectionnées vers

une base de données

comprenant 2 500

extraits d'entrevues

L'ANALYSE

LE CODAGE

AXIAL présentation des

résultats partiels

aux Conférences

en management

stratégique de

Montréal (1991)

et de Paris

(1992)

passage des

catégories culturelles

aux catégories

analytiques

(McCracken, 1988)

structuration des

sources

documentaires par

période

rapports de la base

de données par

catégorie, entreprise,

solution de la

technologie de

l'information;

logiciel de traitement

de texte, logiciel de

traitement d'idées

L'EXPLICATIO

N

LE CODAGE

SÉLECTIF

(Strauss et

Corbin, 1991)

la rédaction des cas

(Bower, 1979)

le travail de

«scénarisation» ou le

choix d'une ligne

directrice par histoire

de cas

rapports de la base

de données par

période;

logiciel de traitement

d'idées;

traitement de texte

L'invention, la découverte, l'interprétation et l'explication

Les règles de la recherche qualitative sont simples : le chercheur doit respecter les quatre

phases de l'invention, de la découverte, de l'interprétation et de l'explication (Kirk et Miller, 1986

: 60). Ces quatre étapes structurent le reste du chapitre.

L'utilité quelque peu décroissante des propositions de la recherche n'enlève rien à leur

immense utilité au point de départ quand il s'agit de penser aux questions, à la pertinence, au

contexte, au design et à la méthodologie de la recherche. En l'absence de propositions clairement

énoncées, tout ce travail d'invention de la recherche aurait été impossible. Nous résumons au

tableau 4.9. quelques aspects méthodologiques avant d'analyser le design plus en détail.

L’invention ou le design de la recherche

Page 155: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 155

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Cette partie du travail de recherche est présente dans les quatre premiers chapitres qui

traitent de la question générale de l'espace de la stratégie et de la technologie de l'information; de

l'espace de la stratégie par rapport à la littérature en gestion stratégique; de la problématique du

déploiement massif d'une solution de la technologie de l'information et des choix

méthodologiques. Des publications couvrent également ce travail de structuration ou d'invention

de la recherche (Lejeune, 1987, 1991, 1992, 1993).

La découverte et le codage ouvert

Cette deuxième phase dénote une phase d'observation, de mesure et de collecte de

données; cette phase produit de l'information mais elle peut également produire des hypothèses.

On pourrait ainsi contraster les recherches qualitatives et quantitatives en situant l'activité de test

d'hypothèse dans la phase de la découverte pour la recherche qualitative et dans la phase de

l'interprétation pour la recherche quantitative (Kirk et Miller, 1986).

Le travail continu sur les propositions de la recherche est une activité ininterrompue de

test d'hypothèse. Lors de chaque entrevue, de chaque lecture, de chaque découverte d'événement

nouveau, le chercheur examine la compatibilité des données qu'il capte et des propositions qu'il

développe. Le chercheur n'attend pas d'avoir terminé sa collecte de données pour se mettre -

comme le chercheur quantitatif - à tester ses propositions dans une phase d'interprétation. Au

contraire tout est test d'hypothèse - ou de proposition. Ce qui change, c'est le niveau

d'abstraction, le chercheur devant s'abstraire des détails pour interpréter les données qu'il a

collectées et expliquer ce qu'il vient d'interpréter.

L'activité de codage ouvert se termine par une maîtrise plus abstraite des données de la

recherche. Sur la figure 4.2. apparaissent les catégories de la recherche après le codage ouvert

(au sens de Strauss et Corbin, 1991). Nous retrouvons sur cette figure les catégories issues des

propositions (espaces vide, programmatique et habité; technologie pour l'automatisation, la

représentation et l'interaction) mais aussi des catégories qui se sont développées dans la

recherche comme les processus stratégiques, les stratégies intentionnelles ou réalisées, des

éléments divers de l'environnement interne et externe ainsi que la problématique de l'intégration

des technologies. L'ensemble des catégories de recherche à cette étape est décrit dans les

annexes.

L'analyse doit porter essentiellement sur les catégories analytiques qui ont été

développées avant la collecte de données. Nous avons dans les chapitres précédents exposé des

catégories analytiques comme les types d'espace de la stratégie, les formes de la technologie de

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Espaces de la stratégie et TI 156

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l'information et les modes de contribution à la performance. Notre cheminement de recherche

doit préciser, valider ou invalider ces catégories pour arriver à vérifier l'existence de

configurations mixtes d'espace de la stratégie et de forme de la technologie de l'information : par

exemple, l'espace vide et la solution automatisation de la technologie de l'information.

En recherche quantitative, les catégories sont des moyens de recherche; en recherche

qualitative, ces catégories sont l'objet de la recherche (McCracken, 1988:17) : «It is the

categories and assumptions, not those who hold them, that matter. In other words, qualitative

research does not survey the terrain, it mines it!».

L'analyse des données des entrevues n'est que l'étape finale d'une méthode de recherche

décrite en quatre étapes par McCracken (1988) : 1. revue exhaustive (et déconstruction) de la

littérature pour découvrir les catégories analytiques et préparer le design du questionnaire; 2.

développement des catégories culturelles (les catégories telles qu'elles sont vécues sur le terrain)

au moyen d'un apprentissage personnel qui fait du moi un instrument de recherche ; 3. la

construction formelle d'un questionnaire et l'entrevue proprement dite qui devient ainsi la

troisième source de données après les catégories analytiques issues de la revue de la littérature et

les catégories culturelles; 4. la découverte de catégories analytiques («the most demanding and

least examined aspect of the qualitative research process») à partir de l'analyse des données de

l'entrevue interprétées à l'aide des deux premières sources de données (les catégories analytiques

et culturelles).

Déjà, lors de l'entrevue, une première analyse a lieu. Le chercheur doit écouter son

informateur pour découvrir les termes clés (exemple : [architecture intégrée]) : les suppositions,

les termes qui accompagnent un terme clé et les interrelations de ce terme. Le chercheur doit

aussi être attentif à d'autres éléments comme l'évitement d'un point de discussion, la distorsion

délibérée, l'incompréhension, le malentendu... Le chercheur doit aussi saisir les présupposés et

les corollaires des énoncés (ce que les mots désignent dans l'esprit du répondant) (McCracken,

1988 : 40).

À partir de toutes ces données commence l'analyse finale. Le chercheur doit enregistrer

les entrevues afin de réaliser une transcription intégrale de celles-ci. L'usage du magnétophone

lui permet également de libérer son esprit. Durant l'entrevue il doit prendre des notes de type

ethnographique tout en signifiant à l'informateur son attention constante.

Lors de cette dernière étape de la recherche, le chercheur doit être prêt à reconstruire sa

vision du monde et ne pas chercher à confiner les réponses des informateurs dans les limites de

ses catégories a priori. Cette dernière étape se décompose elle-même en cinq étapes

(McCracken, 1988 : 42 à 48).

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Espaces de la stratégie et TI 157

_________________________________________________________________________

Dans une première étape, chaque énoncé est considéré isolément : chaque énoncé utile,

ou jugé «intensif», est considéré comme une observation.

La seconde étape part de ces observations et les développe d'abord pour elles-mêmes,

ensuite selon l'évidence de la transcription et enfin selon les catégories analytiques et culturelles

déjà développées par le chercheur.

La troisième étape examine les interrelations des observations de second ordre introduites

dans la phase précédente en les organisant en fonction des catégories analytiques et culturelles

établies par le chercheur. L'objet d'analyse n'est plus la transcription mais bien sur ces

observations de second niveau.

La quatrième étape détermine des «patterns» de consistance ou de contradiction entre les

thèmes, en traitant de façon collective l'ensemble des observations.

La cinquième et dernière étape prend ces thèmes et ces «patterns», comme ils

apparaissent dans plusieurs entrevues, et les soumet à un processus final d'analyse.

Il nous semble avoir respecté l'esprit et la lettre de la démarche qualitative décrite par

McCracken (1988) tant au niveau analytique qu'au niveau culturel, par la pratique. C'est ce que

nous traitons au point suivant.

La technique de codage des entrevues

Le codage systématique est d'abord un moyen de réduire radicalement le volume de

données à manipuler tout en procédant à une première analyse qualitative qui consiste à accoler

un code identique à tout segment de texte qui véhicule le même sens à travers l'ensemble des

entrevues : par exemple l'idée, souvent exprimée, que les guichets automatiques favorisent la

réduction des coûts peut se coder en associant DO.AUT.GA (où DO=dossier,

AUT=automatisation, GA=guichet automatique) à PF.FIN.CT (où PF=performance,

FIN=financière, CT=coûts). Cette méthode permet de réduire de près de 60% le volume de texte

soumis à l'analyse en plus de permettre une analyse directe du nombre de codes, de leur

proximité avec d'autres codes dans telle ou telle réponse, de leur appartenance à une même

famille de codes etc.

Comme pour la transcription intégrale des entrevues, c'est une question de travail, de

temps et d'argent. Miles et Huberman (1984) indiquent qu'un codage valide devrait être effectué

par deux personnes neutres et indépendantes qui partagent, une fois le texte codé, 70% de codes

communs. Nous avons pu, grâce au professeur Jean-Guy Desforges, obtenir l'aide nécessaire à

une telle entreprise.

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Espaces de la stratégie et TI 158

_________________________________________________________________________

La décision de recourir au codage était lourde de conséquences : conséquences négatives

en terme de ressources à mettre en oeuvre, conséquences positives pour toute l'analyse et

l'interprétation des données.

L'interprétation et le codage axial

Cette troisième phase dénote une phase d'évaluation ou d'analyse; cette phase génère de

la compréhension. Les chapitres 5, 6, et 7 interprètent et exposent les résultats de la recherche.

Le chapitre 5 est consacré à la banque de l'Est, le chapitre 6 à la banque Métro et le chapitre 7 à

la banque Mutuelle.

L'explication et le codage sélectif

Cette dernière phase dénote une phase de communication ou d'emballage : cette dernière

phase produit un message. Des résultats partiels ont été «emballés» et présentés aux deux

conférences de gestion stratégique à Montréal en 1991 et à Paris en 1992. La synthèse et la

conclusion relèvent également de l'explication tout comme l'écriture des résultats de la recherche.

Pour les spécialistes de l'étude de cas, la théorie se formule par l'écriture du cas. Il faut raconter

des histoires et il se peut que finalement, des gens les trouvent intéressantes.

Conclusion : les composantes du processus de recherche

Pour Strauss et Corbin (1991), le lecteur d'un travail de recherche qui se réclame de la

construction d'une théorie fondée devrait pouvoir se faire un jugement sur les points suivants:

La sélection de l'échantillon

L'échantillon retenu se limite à trois organisations, trois dossiers technologiques ou

solutions de la technologie de l'information, une douzaine d'informateurs initiés («insiders» au

sens défini plus haut) avec lesquels nous avons réalisé des entrevues en profondeur et une

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Espaces de la stratégie et TI 159

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trentaine d'informateurs rencontrés de façon moins suivie. Les organisations ont été choisies

pour leurs différences politiques et culturelles tout en étant des entreprises de taille comparable

offrant des produits et des services sur les mêmes marchés. Les informateurs initiés

comprennent les vice-présidents systèmes et des responsables d'architecture technologique des

trois organisations ainsi que d'autres vice-présidents et directeurs dans les fonctions de marketing

et d'organisation et méthodes.

Quelles sont les catégories émergentes?

La figure 4.2. ci-dessous indique, pour la Banque de l'Est, les catégories émergentes.

Toutes les catégories reprises dans la figure sont des catégories émergentes. Nous y retrouvons

les catégories fermées (Miles et Huberman, 1984), c'est-à-dire présentes dans les propositions de

la recherche et des catégories ouvertes, des catégories qui ne figuraient pas dans nos propositions

de départ.

Les catégories qui ne figuraient pas dans les propositions de départ sont des catégories

qui ont trait à l'environnement et au changement : l'environnement externe et interne, les

processus stratégiques, les stratégies intentionnelles et réalisées mais aussi, au niveau

technologique, l'intégration des différents systèmes et technologies de l'information. Dans

l'annexe YY, les catégories émergentes sont expliquées en détail. Il est évident que la rédaction

des cas a tenu compte des catégories qui n'étaient pas présentes dans les propositions de

recherche. La figure 4.2. présente, sous forme graphique et en valeurs relatives, le nombre de

vignettes narratives associées à chacune des familles de codes. Les trois dossiers de la TI retenus

pour la recherche sont le guichet automatique pour automatisation, le fichier central client pour

la représentation et le système d'aide à la décision de groupe pour l'interaction. Les vignettes

associées à chaque dossier sont ramenées à 100%; l'ensemble des valeurs totalise ainsi 300%. La

figure 4.2. peut se lire ainsi : en répondant aux questions portant sur les trois dossiers de la TI, les

répondants ont parlé surtout d'espace vide, de processus stratégiques, d'environnement externe,

d'espace programmatique et des solutions de la TI pour automatiser et représenter.

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Espaces de la stratégie et TI 160

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Figure 4.2.

Automatisation

Représe ntation

Inte rac tion

IntégrationEspac e vide

Espac e programmatique

Espac e habitéEnvironnem ent inte rneEnvironnem ent externe

Performance financièrePefor manc e de positionneme ntPerformance de c apacité

Intentions stratégiquesP roce ssus stra té gique s

Stratégie s ré alisé es

0 10 20 30 40 50 60

ESPACES DE LA STRATÉGIE

SOLUTIONS DE LA TI

PERFORMANCE

% La

densité des codes pour les entrevues réalisées à la Banque de l'Est

Les catégories de la figure 4.2. relèvent d'un premier travail de codage ouvert. Lors du

codage axial, nous avons été amenés à identifier (voir les chapitres consacrés au cas) des liens

particuliers entre les solutions pour l'automatisation, l'espace vide, la performance et les

fournisseurs des solutions technologiques. Les catégories fermées sont indiquées en caractère

gras sur la figure 4.2. et les catégories ouvertes en format normal. Nous avons donc identifié un

axe de gestion pour l'automatisation (voir le chapitre 5) et plus tard un axe de gestion pour la

représentation (voir le chapitre 6). Vers la fin de la recherche, lors du codage axial, nous avons

nommé les catégories observées autour des trois dossiers de la TI de la façon suivante : la

configuration de l'artefact, celle de l'interface et celle des architectes. Dans l'étape finale du

codage sélectif, nous nous sommes interrogés sur l'arrimage de ces trois configurations au sein

d'une même entreprise.

Quels sont les événements, actions, incidents qui mènent aux catégories?

Grâce aux entrevues, aux journaux d'entreprise, aux rapports annuels et à la presse

d'affaires, nous avons suivi les grandes étapes de l'évolution du phénomène qui nous intéresse :

l'impact de la technologie de l'information sur la performance par une compréhension de la

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Espaces de la stratégie et TI 161

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notion d'espace de la stratégie. La lecture des cas atteste de la dynamique des événements qui

ont mené aux catégories.

Comment les énoncés théoriques ont-ils guidé la cueillette des données?

Nous avons exposé en profondeur les notions d'espace de la stratégie (chapitre 2) et de

déploiement massif d'une solution de la technologie de l'information (chapitre 3). Nous avons

ensuite formulé des propositions qui relient espace de la stratégie et technologie de l'information.

La cueillette des données à partir des sources d'évidence et plus particulièrement des entrevues

en profondeur est logiquement reliée aux énoncés théoriques. Par exemple, les informateurs ont

été sélectionnés en fonction de leur engagement direct dans le phénomène étudié; nous nous

sommes assurés de la pertinence des dossiers technologiques et des organisations retenues auprès

de multiples intervenants de l'industrie des services conseil en informatique et des organisations

du secteur des services bancaires et financiers.

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Espaces de la stratégie et TI 162

_________________________________________________________________________

Sur quelles bases des hypothèses ou des propositions ont-elles été formulées et

testées?

Les propositions ont été formulées à partir d'un constat repris souvent dans la littérature :

les échecs dans les projets de technologie de l'information sont des échecs organisationnels et

non des échecs techniques.

Figure 4.3.

AFFAIRES

INTÉGRATION

ESPACE DE LA STRATÉGIE

COHÉSION STRATÉGIQUE

TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION

architecture

plate-forme plate-forme

architecture

PERFORMANCE

espace v ide espace programmatique

espace habité

légitimité outils

théories

solutions de la technologie de l'inf ormation pour

l'automatisation la représentation

l'interaction

processus culture organisation stratégie

clients f iliales marchés secteurs industriels f ournisseurs

f inancière de positionnement

de capacité stratégique

ESPACE DE LA STRATÉGIE

plate-f orme matérielle plate-f orme logicielle plate-f orme de communication

Le

modèle de la recherche : une configuration mixte d'espace de la stratégie, de solution de la TI, de

performance et de besoins stratégiques

En contrepoint à cette réalité, les études académiques utilisent des unités d'analyse très

macro (un secteur industriel, une économie nationale), des approches quantitatives et négligent

d'approcher les questions reliées aux contextes des organisations.

La recherche se devait en plus d'aborder la question des liens avec la stratégie puisque

les années 80 ont vu se multiplier les systèmes dits stratégiques. Nous avons donc revu la notion

de stratégie dans sa relation avec la technologie de l'information. Pour nous, c'est notre

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Espaces de la stratégie et TI 163

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proposition de départ, les solutions de la technologie de l'information s'insèrent avec succès dans

des espaces de la stratégie appropriés.

Dans quelles instances les hypothèses ne rendaient-elles plus compte de la

réalité?

Il est certain que nos propositions de recherche ont cessé de rendre compte de la réalité

dans certaines instances. Particulièrement, nous n'avions prévu lors de la première formulation

des propositions de recherche ni l'évolution rapide des solutions de la technologie de

l'information (de l'automatisation à la représentation) ni la coexistence au sein d'une même

organisation des différents espaces de la stratégie, même si un type d'espace restait prédominant.

Pourquoi et comment avoir retenu une catégorie donnée comme catégorie

centrale?

Pour nous, la catégorie centrale de la recherche est la catégorie qui réunit l'espace de la

stratégie, les solutions de la technologie de l'information, les besoins stratégiques de

l'organisation et la contribution à la performance. Si chacune de ces notions est importante en

elle-même, c'est le jeu des concepts ou notions qui est l'objet de la recherche parce que nous

avons plusieurs raisons de penser que les solutions de la TI doivent être gérées et analysées à

l'intérieur de configurations.

Limites de la recherche

Comme l'illustre la figure 4.3., le projet de recherche est d'une grande envergure. Le

projet couvre en même temps la stratégie à travers la notion d'espace de la stratégie et la

technologie de l'information à travers la notion de déploiement massif d'une solution de la

technologie de l'information.

Il est certain que même à l'intérieur d'un nombre très limité d'organisations, il nous est

très difficile de documenter tous les aspects du modèle de recherche, ce que nous nous sommes

quand même obligés de faire.

Nos ressources sont donc très limitées face à l'entreprise qui est devant nous. La méthode

qualitative est une méthode à risques : elle peut générer du sens comme elle peut faire perdre

beaucoup de temps lors de la cueillette, de l'analyse et de l'interprétation des données.

Il va de soi que notre contribution n'est pas de l'ordre de la preuve ou même de

l'établissement d'une théorie formelle. Nous fonctionnons dans une logique de découverte et

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Espaces de la stratégie et TI 164

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notre contribution se situe dans un effort de compréhension des interfaces entre les applications

de la technologie de l'information, la performance, les besoins stratégiques de l'organisation et

les dimensions informelles de la gestion.

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Espaces de la stratégie et TI 165

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Chapitre 5 La banque de l'Est et le dossier des guichets automatiques

«D'ailleurs, souvent, la direction nous a dit

: on ne vous en donne pas plus d'argent parce qu'on sait

que même si on vous en donne, vous allez le faire le

travail, vous allez le sortir le système, mais il ne pourra

pas être absorbé par les gens des succursales.»

«De toute façon, /.../ tu sais tu ne peux pas

tourner la banque up-side down, du jour au lendemain,

...»

[Entrevue réalisée avec un responsable de

systèmes, décembre 1990]

Introduction

Durant la décennie 80-90, la Banque de l'Est a fait souvent la une de la presse

d'affaires : pour son dynamisme, son leadership, son taux de croissance, sa

rémunération des actions. La banque était guidée par un leader au charisme certain. La

banque a connu certaines difficultés durant la crise 82-83, mais elle a renoué rapidement

avec la croissance.

La Banque de l'Est a toujours eu des ambitions de grande banque et une volonté

de s'orienter vers le banking d'entreprise. Plusieurs échecs ont fait redécouvrir à la

banque les vertus de sa clientèle plus traditionnelle des particuliers et surtout des

P.M.E.

Nos contacts avec la Banque de l'Est ont été nombreux. Ils ont cependant été

plus difficiles du côté des affaires et du marketing que du côté de la technologie de

l'information. Pour ce qui concerne la TI, nous avons rencontré et interviewé un

spécialiste de l'architecture cible, un directeur des produits «plastiques» (qui couvre la

variété des cartes bancaires), un directeur de la planification des systèmes, trois

responsables du développement au niveau des directions et des adjoints à la vice-

présidence ainsi que le vice-président exécutif responsable de la fonction informatique.

Nous avons par contre échoué dans nos tentatives d'interviewer en profondeur le

sommet stratégique et le vice-président exécutif du marketing. Nous avons pu

cependant rencontrer et interroger des anciens responsables de la planification

stratégique et des directeurs du marketing. Nous avons été occasionnellement en

relation avec un directeur de succursale et différents employés de la Banque de l'Est.

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Espaces de la stratégie et TI 166

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À partir de la démarche méthodologique retenue dans le chapitre 4, ce chapitre

veut présenter au lecteur le cas de la Banque de l'Est en deux parties : les affaires et la

technologie de l'information.

La Banque de l'Est a fait face à plusieurs réorganisations lors des années 80 pour

faire face à des changements conjoncturels et concurrentiels. Ces réorganisations ont

questionné son architecture technologique qui était très centralisée tant du point de vue

des infrastructures que de l'organisation. Entre ces doubles modifications

architecturales, celles des affaires et celles de la TI, l'espace de la stratégie se transforme

pour répondre à des exigences nouvelles de la clientèle.

Le chapitre comprend quatre grandes parties : 1. l'architecture ou l'organisation

des affaires, 2. l'architecture et l'organisation de la TI, 3. l'espace de la stratégie tel qu'il

est observable autour du dossier des guichets automatiques et 4. les liens entre un

dossier de l'automatisation - les guichets automatiques, la performance et l'espace de la

stratégie sont discutés à partir d'un test qualitatif.

L'architecture des affaires

Nous avons regroupé ce que nous savons de l'architecture des affaires en deux

parties: la stratégie de l'entreprise et la réorganisation des activités.

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Espaces de la stratégie et TI 167

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La stratégie d'entreprise

En 1980, la Banque de l'Est se dote d'un service aux grandes entreprises. Banque

de la petite et de la moyenne entreprise, comme l'étaient les deux établissements qui lui

ont donné naissance, la Banque de l'Est s'oriente vers le service à la grande entreprise.

La banque définit la grande entreprise comme étant l'entreprise qui réalise un chiffre

d'affaires de plus de 75 millions de dollars, qui a besoin d'une marge de crédit de 10

millions de dollars et qui a besoin de services complexes nécessitant le recours à des

spécialistes.

En 1980 également, c'est le lancement du compte de chèque sans frais, nouveau

produit appelé à jouer un rôle de premier plan dans la politique commerciale de la

banque.

Le compte progressif est lancé en octobre 1983. Il intègre de trois produits

bancaires en un seul : chèques, épargne et placement. Les intérêts y sont calculés

quotidiennement.

Une phrase lancée en 1984 devant les cadres par le président de la Banque de

l'Est résume bien sa vision : «Entre volume, prestige, innovation et rentabilité, vous devez

toujours choisir la rentabilité! »

En juillet 1980 se tient un colloque qui lance officiellement les travaux de

planification à long terme de la banque. Tous les secteurs et toutes les régions

géographiques de la Banque de l'Est étaient représentés à ce colloque. L'avenir de la

banque y fait l'objet d'un consensus. La Banque de l'Est doit viser à devenir la banque

canadienne la plus rentable, offrant le meilleur service à la clientèle et fournissant à son

personnel un milieu de travail stimulant. Elle devrait réduire sa concentration

régionale et mettre l'accent sur des marchés spécialisés au Canada et à l'étranger, tout

en continuant à assurer sa croissance au Québec.

Après une année à sensibiliser les différents agents de l'établissement bancaire, le

V-P Planification et les cadres chargés de la préparation du plan peuvent passer à

l'action. L'établissement de l'orientation générale est la première étape de la

planification. La deuxième consiste à déterminer les objectifs à atteindre. Finalement,

en troisième étape, on prépare les stratégies et le plan. L'établissement de l'orientation

et des objectifs relève du comité des politiques et de celui des opérations. Le comité des

politiques est composé de membres de la haute direction; il doit définir les grandes

orientations. Le comité des opérations est formé de vice-présidents représentant des

secteurs comme le réseau de succursales canadien, la gestion du passif, etc. Son rôle est

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Espaces de la stratégie et TI 168

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de veiller à ce que les grandes orientations établies par le comité des politiques se

matérialisent. On recourra très peu aux services de spécialistes de l'extérieur pour la

constitution du plan; la participation des cadres en sera améliorée. Planifier, c'est

envisager des changements... la banque ne cessera pas d'en rencontrer.

La banque étant issue d'une fusion de deux banques de taille moyenne, l'exercice

prenait tout son sens. Les cadres continuaient à vivre dans la culture de leur ancienne

organisation; il était donc essentiel d'accélérer une même prise de conscience de

l'environnement et d'atteindre un consensus sur la direction future de la Banque de

l'Est.

L'une des deux banques fusionnées était de culture plus traditionnelle :

l'employé devait y être perçu comme un gentleman et ne déranger personne. L'autre

banque travaillait depuis plusieurs années à modifier ce comportement de «club privé»

pour devenir plus agressive et développer des gestionnaires évalués d'après leurs

résultats. Les conflits - de nature culturelle - étaient bien évidents.

Une autre perception devait être modifiée : les dirigeants de la nouvelle banque

se voyaient toujours en concurrence avec les autres banques canadiennes anglaises.

Mais la réalité du marché était différente; le nouveau concurrent à battre, c'était la

Banque Mutuelle! Il fallait donc offrir de meilleurs services aux particuliers que ce

concurrent.

Tout au long ce cet exercice de planification qui se prépare pendant 18 mois,

l'informatique - qui est utilisée pour évaluer les coûts et les bénéfices de certains

changements - est représentée par son premier V-P Informatique. Mais l'informatique

n'est pas un problème stratégique pour la banque : c'est sa restructuration en divisions,

la rationalisation de son réseau et l'établissement d'une procédure de budgétisation qui

est délicate.

Le plan se formule facilement; les objectifs sont ambitieux et présentent des

changements substantiels, comme la pénétration du marché ontarien, la présence dans

le «Corporate Banking» - plus facile à pénétrer aux États-Unis qu'au Canada anglais - et

l'équilibre géographique du portefeuille de prêts.

En 1982, dans un contexte économique difficile, arrivent les premières pertes.

L'horizon de la planification change brutalement : la banque risque de perdre 100

millions de dollars dans l'année! Cette situation est le point de départ d'une dramatique

série de coupures de postes : plusieurs milliers employés sont touchés par des mesures

de réduction de postes, 200 succursales sont fermées, les salaires sont coupés.

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Espaces de la stratégie et TI 169

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Après cette expérience, la planification deviendra un processus plus

opportuniste : une occasion se présente, la banque pose un geste. Lors d'une nouvelle

rencontre de tous les V-P et du président de la banque, en 1982, l'accent a été mis sur

des prévisions pour 18 mois et non plus pour cinq ans, ce qui correspondait au souhait

de la haute direction : mettre l'accent sur la rentabilité.

Cette nouvelle compréhension de la planification accompagne un nouveau style

de leadership au sommet. Au leader participatif qui se présentait comme un chef

d'équipe, c'est un décideur - parfois solitaire - qui succède.

Tout en mettant l'accent sur les grandes entreprises, la banque considère que le

marché des particuliers reste intéressant, mais qu'il faut l'exploiter de manière plus

rationnelle. La banque doit non seulement faire plus largement appel aux moyens

électroniques avec des appareils comme le guichet automatique, mais aussi demander

une plus juste rémunération pour les services rendus aux clients. Le mouvement est

d'ailleurs amorcé dans ce sens. Le secteur du marketing a déjà relevé certains frais,

aboli des avantages, diminué certains taux d'intérêt, afin d'augmenter les revenus en

provenance de la clientèle d'individus. Au marketing produits, on estime que ces

mesures vont rapporter plus de 32 millions de dollars par année.

Les projets prioritaires de la banque sont les suivants au début des années 80 :

pour la vice-présidence Finances, achever l'implantation du système de reportage

d'information FICS («Financial Information Control System»), de mettre sur pied des

outils d'évaluation des centres de profit et des centres de coûts; travailler, au point de

vue fiscal, au modèle d'appariement de l'actif et du passif; calculer la rentabilité des

produits bancaires; de mettre au point une méthode de facturation des coûts de

l'informatique aux utilisateurs et planifier la capitalisation.

Les projets prioritaires de la banque pour ce qui concerne le réseau des

succursales sont les suivants : terminer le regroupement des succursales, réduire de la

quantité des documents, simplifier les méthodes de travail, créer un poste de conseiller

en épargne et en crédit dans les succursales, mettre au point un plan de marketing,

étudier les marchés cibles, établir et publiciser l'image de la banque, lancer un nouveau

produit bancaire important à chaque année et éliminer des produits déficitaires, offrir

des programmes de formation à la vente, analyser géographiquement le réseau et

étudier l'expansion hors Québec.

En 1982, après une nouvelle compression de 20 millions de dollars dans les frais

d’exploitation, ces frais sont encore de 2.49$ le 100$ d'actif contre 1,73$ pour l’industrie;

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Espaces de la stratégie et TI 170

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à la fin de 1983, une augmentation nette de la clientèle est enregistrée pour la première

fois.

En 1984, les grands objectifs demeurent la rentabilité et le contrôle des coûts

d’exploitation. À l'issue d'une rencontre de planification à l'été 1983, les objectifs de la

banque pour 1983-84 sont la sollicitation tous azimuts, l'amélioration de l'image, la

croissance zéro dans les frais d'exploitation - la direction propose qu'il soit fait preuve

de rigueur dans l'établissement des priorités en informatique, - la priorité à la qualité du

service à la clientèle et l'accent mis sur les ressources humaines.

Le best-seller américain de Peters et Waterman, «In Search of Excellence », fait

également l'objet de discussions. Le président de la banque a conclu cette session en

mettant l'accent sur l'allocation optimale des ressources à court terme et sur

l'amélioration des compétences des membres du personnel à long terme.

En 1984, la banque constate qu'elle a une structure simple et fonctionnelle pour

son réseau de succursales; cependant, devant la nécessité de simplifier la tâche des

directeurs - ils s'occupent à la fois des particuliers et des entreprises - et de décentraliser

la prise de décisions, la banque ramène de six à deux le nombre de divisions au Québec

et déplace vers les centres régionaux les dossiers de prêts de 300 000$ et moins. Tous les

points de vente auront la même mission.

À la banque, le comité d'administration est complètement séparé du comité des

budgets; c'est une approche typique dans le monde bancaire de séparer le budget de la

stratégie. Dans sa compréhension formelle, la planification stratégique n'existe plus à la

banque au début des années 90. Il reste que les premiers V-P et le président décident

des grandes orientations... jamais la banque ne payerait un «staff» de spécialistes pour

faire de la planification stratégique :

- «Ici, il n'y a pas de frais non justifiés, pas de luxe, moins de personnel

près des hauts dirigeants, moins d'entourage, mais tout le monde prend plus de risques et la banque tolère plus l'erreur ».

Pour un dirigeant au sommet, la planification stratégique, - «c'est le propre de l'Europe et de l'Asie. Nous, on a tous les trois mois

des comptes à rendre aux investisseurs; on a de plus en plus de comptes à rendre aux investisseurs étrangers, aux fonds de pension, aux groupes d'assurance qui exigent un bilan trimestriel. »

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Espaces de la stratégie et TI 171

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La mission de la banque reste d'atteindre une rentabilité supérieure aux autres

banques. La planification à long terme, repose sur quatre personnes qui se font aider

par un groupe de consultants.

Le plan marketing consiste en deux ou trois pages; il est présenté pour fin

d'information à différentes instances. Pour un cadre ayant travaillé à la Banque

Mutuelle : «Ici, les gens savent plus où on s'en va; mais c'est plus facile d'évaluer les progrès

dans la Banque Mutuelle , à cause de leur mémoire corporative. »

À la banque, le groupe «produits» - dirigé par un ancien responsable de

l'informatique - prend l'initiative du lancement de nouveaux produits et place des

commandes à l'informatique et au marketing. Ce type de fonctionnement amène des

frictions, mais les deux responsables s'entendent. L'approche du groupe «produits»

semble autonome par rapport à la grande stratégie : les opérationnels de produits (des

experts en calcul de part de marché, en analyse de segments, etc.) sont-ils devenus des

stratèges?

Un responsable de l'informatique note que 80 % des demandes de

développement viennent des gens de produits, le groupe chargé du positionnement et

de la gestion des produits. Ce qui aboutit finalement, au cours de 1992, au transfert des

activités de développement informatique sous la responsabilité des gens de produits.

Si les succursales de la Banque Mutuelle sont de vraies PME avec à leur tête un

directeur-général qui a beaucoup de latitude, le directeur de succursale se voit confier

de plus en plus responsabilités par la Banque de l'Est. La dernière réorganisation de la

banque vise la création de plusieurs directions régionales, des unités d'affaires qui vont

avoir leur propre budget pour travailler et qui seront technologiquement bien

soutenues.

Les cadres supérieurs se rendent compte que le siège social ne peut pas initier

d'actions. C'est localement que l'avenir de la banque se joue, même en terme d'image

d'entreprise, car la banque n'avait même pas de direction commerciale extérieure à la

succursale; maintenant, les V-P régionaux doivent habiter sur place et participer aux

activités locales selon le modèle du «Community Banking» qui a fait la force de la

Banque Mutuelle. L'objectif est d'augmenter les responsabilités de la succursale tout en

lui allouant les moyens nécessaires : «La banque doit être capable de sentir et de réagir

localement, et déjà on y gagne beaucoup! ».

Cette nouvelle structure met plus de pression sur le modèle de succursale

automatisée : un groupe de travail formé des gens d'informatique, de marketing et de

V-P régionaux est en train de conduire un projet pilote.

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Espaces de la stratégie et TI 172

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Un autre dossier mobilise les énergies des différents responsables : le fichier

central client est bien opérationnel mais «personne ne l'utilise! ». Il faut donc travailler à

intégrer son utilisation dans un processus de vente; les fonctions d'interrogation du

FCC (90 % des requêtes sur le FCC concernent des vérifications d'adresse contre 10 %

concernant la vente d'un produit) servent à peine... Le processus de vente est-il bien

réussi? Est-ce une question de manque de terminaux en succursale? Mais il en

coûterait de 10 000 $ à 15 000 $ par station de travail capable de simuler une vente!

Malgré des objectifs de vente croisée, la moyenne de produits détenus par client

ne dépasse pas deux... La banque est en train de s'orienter vers le client alors qu'elle

était d'abord orientée vers le produit. Un responsable affirme : «Ce n'est pas un fichier

central client qu'on a là : c'est une stratégie! ».

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Espaces de la stratégie et TI 173

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La réorganisation des activités

En mars 1978, la banque forme un comité d'étude sur la décentralisation, comité

dirigé par le vice-président et directeur-général. Beaucoup de sociétés financières ont

une structure beaucoup trop complexe et rigide pour pouvoir effectuer des

changements radicaux. Cette nouvelle structure favorise l'adaptation et la capacité

d'action de chaque élément, puisqu'elle se fonde sur deux principes qui en sont les

caractéristiques principales : la spécialisation des tâches et la décentralisation. Le

comité s'est aperçu que la diversité des fonctions des directeurs régionaux les

surchargeait et les empêchait de bien communiquer avec les succursales. Pour leur

permettre de se consacrer plus entièrement aux succursales, toutes les succursales

regroupées à l'intérieur de huit divisions dans cinq zones géographiques. Chaque

division, dirigée par un vice-président, Opérations, comprendra de cent à cent-vingt

succursales. Chaque division comportera quatre grands secteurs : les opérations, le

crédit, l'administration et le personnel.

En 1980 également, la Banque de l'Est réfléchit sur les succursales de l'avenir.

Dans le cadre de cette réflexion, les divisions ont lancé un programme de regroupement

de succursales qui appartiendront dorénavant à l'un des quatre types définis ci-dessous

:

- la succursale principale offrira tous les services d'une succursale et agira

comme un bureau à volume important. Elle administrera tous les comptes d'entreprises

et les prêts de 200 000 $ et plus pour le compte des succursales qui lui seront rattachées;

- la succursale ordinaire ou conventionnelle offrira tous les services, sauf les

prêts de 200 000 $ et plus;

- la succursale auxiliaire se spécialisera dans les services et le crédit à la

consommation; les autres prêts incomberont à la succursale à laquelle elle serait

rattachée;

- le comptoir offrira tous les services, sauf les prêts, qui incomberont à la

succursale responsable.

À la fin de 1981, la banque aura fusionné 132 succursales sur son réseau

québécois. De plus, 160 succursales seront converties en succursales auxiliaires; ces

changements n'entraîneront aucune mise à pied.

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Espaces de la stratégie et TI 174

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Au début de l'année 1981, un nouveau service - le service «Marketing, produits

spécialisés et filiales» - est mis sur pied. Sa mission est de faire des études de marché en

vue de déterminer les clients possibles et de découvrir leurs besoins, puis de

transmettre cette information aux services ou filiales concernés. L'autre versant de sa

mission est de créer de nouveaux produits bancaires ou de modifier les produits actuels

en fonction de la demande. Le marché de l'entreprise fera l'objet d'une attention

particulière de la part du service. Du côté des particuliers, le service s'occupera

également d'un certain nombre de produits tels que les chèques de voyage, les cartes de

crédit, les mandats, les traites, etc.

Le service cherchera soit à créer de nouveaux produits, soit à modifier ses

produits actuels pour mieux les adapter à la clientèle. Il est fort probable que cette

dernière solution sera la plus utilisée, l'équipement informatique de la banque ne

permettant pas, selon le cadre responsable du service, d'y aller à fond dans la création

de produits nouveaux.

En 1982, le programme de spécialisation des points de vente est en pleine

réalisation. Ce programme vise à confier le service commercial et industriel de volume

important à une partie du réseau de succursales, l'autre fraction se voyant confier la

mission du service aux particuliers. Au Québec, sur 592 points de vente, 378 auront une

mission de service aux entreprises et 214 une mission de service aux particuliers. Ainsi,

la succursale principale et la succursale conventionnelle ont la vocation commune de

servir les entreprises. La banque vise ainsi à rapprocher les centres de décision de

l'endroit même où l'activité a lieu.

À l'automne 1982, la banque met sur pied un système de suggestions à l'intention

de ses employés. Le coordonnateur sera rattaché au secteur des Ressources humaines et

relèvera de son premier V-P. Deux banques canadiennes possèdent ce système depuis

déjà dix ans. Il y a beaucoup de failles dans les activités des entreprises et les cadres

supérieurs qui disposent de l'autorité pour les éliminer n'en soupçonnent même pas

l'existence. De plus, ajoute un responsable du Service du développement des ressources

humaines :

«Les entreprises ne disposent pas de filières qui permettraient

d'acheminer vers le haut, des propositions qui viendraient de la base... On met ainsi un mécanisme de transmission des idées à la disposition de ceux qui souhaiteraient faire des propositions... un mécanisme sûr, capable de surmonter les réticences des cadres ».

General Electric et Northern Telecom sont citées en exemple à cet égard.

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Espaces de la stratégie et TI 175

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L'année 1982 voit la mise sur pied du programme SVP : S pour service, parce que

la banque souhaite servir la clientèle dans les meilleures conditions, V pour vente parce

que le personnel devra accroître la diffusion des produits de la banque, et P pour

participation parce que le programme forme une équipe de vente où chacun participe

activement. Ce programme cherche à répondre au nouveau comportement du

consommateur. Celui-ci magasine pour ses besoins bancaires, il n'est plus attaché à un

établissement : ce qui compte maintenant, c'est la qualité des produits, leur coût, les

taux d'intérêts qui sont proposés.

Les progrès réalisés dans l'informatique constituent un autre facteur important

qui a conduit au programme SVP. Les systèmes informatiques de la banque vont

dégager les employés des travaux de routine pour finalement leur permettre de se

concentrer sur le service à la clientèle.

Dès le début, des progrès dans la qualité des services offerts par la banque sont

remarqués. Quelles sont les composantes d'un service de qualité? Ce sont : l'aspect des

lieux, l'atmosphère de travail, le service aux caisses et le service au comptoir. Au

comptoir, la qualité s'exprime par l'accueil, la politesse, l'exactitude des renseignements

et l'effort de vente. Les tests effectués chez les concurrents indiquent des niveaux de

satisfaction identiques. Ce qui est important, c'est que les succursales touchées par le

programme SVP affichent une meilleure performance dans le domaine de la promotion

et du merchandising ainsi que dans l'effort de vente au comptoir.

Pendant ce temps, au service des ressources humaines, un système de gestion

des données informatisées sur les ressources humaines est mis en place. L'enjeu est

important : plus de 50 % des frais d'exploitation de la banque sont versés en salaires et

en avantages sociaux au personnel. Le système comprend deux volets : profil et

archives d'une part, salaires d'autre part. Le système permet l'accès direct au moyen

d'un écran et d'un clavier.

Le Service des opérations du réseau anime des rencontres inter-sectorielles du

personnel de la banque. À ce moment, à l'été 1983, le rôle de ce service se résume à

rationaliser le réseau de succursales tout en augmentant l'efficacité et en servant de lien

entre le réseau et le siège social. Ce service comprend une section recherche avec sept

analystes. Un des dossiers importants est l'établissement de la caisse-preuve mécanisée

qui bouscule les habitudes dans la succursale.

À l'automne 1983, le journal de l'entreprise fait circuler de l'information sur les

cercles de qualité. La banque devrait-elle imiter les pratiques japonaises? Un premier

vice-président rappelle que le fonctionnement des banques est en constante évolution et

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Espaces de la stratégie et TI 176

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la rapidité de cette évolution est telle que les employés et les gestionnaires ont

beaucoup de mal à la suivre. «Comment pouvons-nous rester à la hauteur dans un contexte

aussi changeant? En recourant à la formation dans le but de devenir excellent dans un domaine,

bon dans un second et informé sur le reste! ». En citant l'auteur Alvin Toffler, le V-P

rappelle que les entreprises de la troisième vague considèrent les frais reliés au

personnel comme un investissement et ceux reliés à l'équipement comme des dépenses.

Le début des années 80 voit l'émergence d'une nouvelle race de banquiers. Ce sont

d'une part, les informaticiens et d'autre part, les représentants ou encore, les vendeurs.

Les informaticiens conçoivent les produits, les développent sur l'informatique et en

automatisent la gestion. Le représentant fait le lien entre cette banque informatisée et la

clientèle.

En avril 1984, la Banque de l'Est décroche la première place au chapitre du

service à la clientèle, d’après un sondage interne.

Dans une interview, le président de la banque déclare le 7 décembre 1985 :

«Ce qui va sûrement continuer à changer, c’est la présence de

l’informatique, la présence de la télématique, la présence de la bureautique, c’est le fait qu’il y aura de plus en plus de terminaux administratifs ».

Au début de 1992, le marketing occupe à la banque 40 personnes et la gestion des

produits en occupe 80. La contribution du marketing est directe et sa rentabilité est

justifiée; le service est très compact et très productif. Cette même année, vingt-et-un

centres régionaux et administratifs sont mis en place et disposent d'une vaste

autonomie. Tout ce qui est «back office» est regroupé à ce niveau; des liens étroits sont

tissés avec l'informatique : la banque veut faire «fondre» son siège social sans pour

autant faire «fondre» son informatique.

La technologie de l'information à la Banque de l'Est

Le traitement d'un chèque coûtait en moyenne de 0,65 $ à 0,70 $ en 1979. Il en

coûterait le double ou le triple en 1982 s'il fallait toujours traiter manuellement les

chèques. Si les années 50 étaient celles des machines comptables, les années 60 celles de

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Espaces de la stratégie et TI 177

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l'augmentation de l'efficacité pour faire face à la croissance du volume, les années 70

sont celles des systèmes électroniques de transfert de fonds tels que le guichet

automatique, le prélèvement automatique ou le terminal au point de vente.

Alors que les principaux changements technologiques - à l'exception de la carte

de crédit - ont touché seulement les opérations internes des banques, les nouvelles

applications vont modifier la façon dont les clients effectuent leurs opérations bancaires.

Ainsi c'est la combinaison des exigences des clients et des facilités procurées par

l'informatique qui a été le moteur de l'évolution des postes en succursale : la croissance

de l'emploi (+234 %) n'a pas été proportionnelle à celle des actifs (+ 1 842 %).

Depuis le 7 avril 1980, le nouveau centre informatique de la Banque de l'Est,

planifié en 1976, bourdonne d'activités. Neuf cent personnes y travaillent pour

différents services : la compensation, les centres régionaux, les usagers internes, le

centre ordinateur et la carte de crédit. La banque souligne à ce moment que

l'informatique est devenue un instrument indispensable à la gestion et au contrôle d'une

entreprise complexe. L'ordinateur permet de traiter l'information et de produire des

rapports avec une grande rapidité et un minimum d'intervention manuelle.

Au courant de l'année 1981, la banque commence à installer 700 terminaux IBM

3600 - de la même marque que ses ordinateurs centraux - dans ses succursales.

Certaines de ces succursales utilisent encore des terminaux d'autres marques comme

Incoterm, Honeywell et Olivetti.

À la même période, deux premiers guichets automatiques sont installés. Ils

offrent au client la possibilité d'effectuer six opérations : dépôt, retrait sur compte ou

carte de crédit, virement de compte à compte, consultation de solde, paiement de

compte en espèces ou tiré sur un compte, quelle que soit la succursale du réseau où il

fait affaire.

Pour la banque, le GA (guichet automatique) est avantageux à la fois pour la

réduction des coûts et pour l'accroissement du chiffre d'affaires; il permet d'augmenter

le niveau d'activité sans agrandir de succursales. Les coûts mêmes du GA ne rebutent

pas la banque : les coûts de l'informatique augmentent moins vite que les frais

d'exploitation à cette époque. Plus fondamentalement, la banque perçoit dans cet

appareil la réorientation du travail du caissier. Le caissier de demain deviendra un

vendeur de produits bancaires doublé d'un conseiller. Depuis le mois de novembre 81,

des cours spéciaux sont offerts aux caissiers pour mieux les préparer à la vente des

produits bancaires.

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Espaces de la stratégie et TI 178

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À la fin de 1983, 25 GA ont été implantés dont cinq dans un rayon d'un kilomètre

du siège social.

La banque recherche continuellement la synergie entre ses opérations de la carte

de crédit et son réseau de succursales qui en est l'instrument idéal de diffusion. Le

directeur des opérations de la carte de crédit de la banque - qui gère 270 personnes -

n'est pas satisfait du traitement de l'information. Par exemple, le système est trop rigide

quand il traite automatiquement les demandes d'adhésion; il n'offre pas de souplesse

pour de légers retards de paiement... et débite automatiquement le compte des

entreprises qui utilisent la carte comme «carte de compagnie» avant de recevoir le

relevé des transactions. De façon générale, la rentabilité des opérations de la carte de

crédit est faible : pour le client qui paie à temps, il n'y a aucun frais alors que, à chaque

fois qu'il utilise sa carte, il déclenche un processus aussi important que le tirage d'un

chèque. Les banques songent d'ailleurs à demander des frais d'adhésion.

Des terminaux administratifs pour la saisie en direct des opérations des

entreprises sont installés en avril 1983.

Au sein de la fonction informatique, le Service aux usagers internes - qui compte

78 employés en 1983 - constitue le lien entre les succursales, les services et

l'informatique. La banque n'est pas encore au stade du traitement des transactions en

temps réel. Ainsi, à la fin de la journée, la succursale envoie tous les formulaires dans

une enveloppe spéciale au Service des usagers internes. Le soir, le secteur production

reçoit le courrier, le trie et remplit les bons de commande pour la saisie des données.

Les préposés des centres d'ordinateurs effectuent ensuite le travail de saisie. Après

vérification et correction, l'ordinateur sort un nouveau relevé qui est vérifié et envoyé à

la succursale.

Le 21 mars 1983 entre en vigueur le nouveau service inter-succursales qui relie

plus de 500 points de vente à l'unité centrale de la banque. Ce système est devenu

possible grâce à l'informatisation des systèmes informatiques épargne et compte

chèques et à la création d'un mode d'accès à l'ensemble des comptes pour les

succursales informatisées.

En mai 1983, il y a 25 000 GA aux USA, 1200 au Canada, dont 8 à la Banque de

l'Est.

Au début des années 80 se pose la question de la bureautique ou de l'utilisation

des micro-ordinateurs dans les succursales et les services. Le V-P Informatique voit

positivement ces changements en 1983. La bureautique est le moyen de réaliser la

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Espaces de la stratégie et TI 179

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nécessaire décentralisation de l'information et d'apporter de l'aide au gestionnaire dans

la prise de décisions.

«L'information était conservée dans les classeurs, à portée de la main.

Dans les années 70, avec la généralisation de l'emploi de l'ordinateur, l'information a été centralisée et ses utilisateurs y avaient difficilement accès. Aujourd'hui, avec les nouveaux ordinateurs ... les utilisateurs peuvent avoir accès à l'information qui les intéresse avec le réseau de télétraitement actuel. Notre stratégie en bureautique est de décentraliser l'information et de la rendre plus accessible, comme c'était le cas avant l'avènement de l'ordinateur »

. C'est sous la responsabilité du V-P Informatique que des standards vont être

fixés pour le déploiement de la bureautique : un seul modèle d'ordinateur, l'IBM PC, de

la même marque que l'ordinateur central, un seul type de logiciel de traitement de texte

et une architecture unifiée. Une fois réglées les questions de la bureautique, le V-P

Informatique cherche à maximiser les possibilités pour le client de la banque d'avoir un

accès direct avec l'ordinateur central de la banque, sans l'intermédiaire d'un employé.

Après le guichet automatique

«la prochaine étape sera celle de l'implantation de terminaux libre-service

qui permettront aux clients de faire leurs mises à jour de carnet, d'ouvrir des comptes et de faire des demandes de prêt; la troisième étape sera celle de la banque à domicile avec un ordinateur personnel relié à la banque; une autre nouveauté sera le terminal au point de vente qui sera éventuellement relié aux banques pour supporter le débit direct ».

Le V-P continue : «Nous sommes obligés d'informatiser en confiant à l'informatique

l'exécution de travaux routiniers. Mais la solution la plus économique serait de demander à la personne qui est à l'origine d'une opération routinière (dépôt, retrait, ouverture de compte, etc...) de l'exécuter elle-même. C'est de la saisie à la source et elle peut être faite par un terminal de type libre-service ».

Finalement, «pour suivre le progrès», la vice-présidence Informatique envisage

de rendre possible l'intégration de tous les comptes d'un client qu'il s'agisse d'un

particulier ou d'une entreprise. Cette intégration permettrait, avec un même numéro,

d'avoir accès à l'information sur les différents comptes d'un client, sur son prêt

hypothécaire ou son prêt personnel.

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Espaces de la stratégie et TI 180

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Pour un responsable du marketing, la micro-informatique a eu l'avantage de

forcer une réflexion entre les gens de l'informatique et le reste de l'organisation. Il a

fallu se poser la question : qu'est ce qui doit être géré par la micro-informatique? Mais il

restait encore à l'informatique à décider qui pouvait avoir un micro-ordinateur sur son

bureau. Même si l'informatique y était opposée, dans les faits beaucoup d'applications

se sont développées de façon parallèle : quel service, dans une banque importante, ne

dispose pas de 20 000 $ pour développer des applications?

Novembre 1984 voit naître un premier partenariat avec un concurrent pour

partager des GA des deux banques. Coûts de la mise en commun : 1,1 million de

dollars, soit le coût d’installation de 20 guichets.

En mai 1984, l'implantation prudente des GA se poursuit. Pour un responsable,

il faut augmenter le taux d’utilisation des cartes et implanter les guichets sur les lieux

d’achalandage (et non là où les épargnants sont nombreux). En novembre 1985, 98 GA

ont été implantés dont 5 hors site, incluant un premier dans un supermarché.

En février 1984, une équipe de soutien Bureautique a été créée au sein du service

ingénierie de systèmes; il y a, à ce moment, 40 systèmes de traitement de textes et une

cinquantaine de micros installés.

Pour un responsable du marketing de la banque : «Dans les banques l'empire informatique est encore fort et nécessaire; sa

force va demeurer pour un certain temps... à moins que des serveurs régionaux de «clearing» en temps réel ne soient partagés par les banques à l'échelle du Canada. »

L'informatique a également eu un rôle déterminant dans la gestion de produits.

Le marketing avait des exigences vis-à-vis de «l'empire» informatique et c'est ce dernier

qui, à l'époque, s'est donné le moyen de trancher; maintenant qu'il y a un groupe de

gestion de produits, l'informatique a perdu un peu de son pouvoir. Cependant, le

marketing, le groupe produits et l'informatique restent sous l'autorité du même V-P

exécutif. L'informatique n'est donc plus «collée» sur le président - qui a dirigé

directement l'informatique pendant deux ans - et elle n'a plus le prétexte de refuser des

requêtes de développement sur la base de sa propre planification. Le président n'est

pas préoccupé par les détails des produits.

Pour un responsable du marketing, les informaticiens ne doivent pas essaimer

dans toute l'organisation : «Je veux que les informaticiens rentrent dans leur place forte car

les réécritures d'applications ne sont pas terminées et que leur grande force est là! ».

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Espaces de la stratégie et TI 181

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Un responsable de l'informatique admet que : «L'informatique s'est dotée de certains pouvoirs, parce que les

informaticiens étaient beaucoup plus instruits que la moyenne. Les directions générales n'avaient pas d'autres alternatives que d'accepter (nos budgets) sans jamais contester. On livrait plus de services; on offrait des niches spéciales. Le pouvoir était là! »

De fait, l'informatique était un des seuls endroits à la banque où les employés

bénéficiaient d'un plan de carrière.

Aujourd'hui, il faut changer la culture des informaticiens, leur faire comprendre

qu'ils ne sont pas des informaticiens mais des banquiers. Depuis 1989, les questions de

la haute direction sur l'informatique se multiplient; les coûts de l'informatique sont

continuellement en hausse de 12 à 15 % alors que la directive est de 3 à 4 %... et que les

marges de la banque sont en baisse!

Pour un des responsables de l'informatique, l'information est à la fois un «must»

et un marasme. Un marasme parce que ce sont les fournisseurs (IBM, Amdhal,

Hitachi...) qui ont mené les banques. En fait les guichets automatiques génèrent plus de

transactions alors que les clients tirent toujours autant de chèques... Avec le résultat que

la transaction est aujourd'hui dix ou vingt fois plus chère à traiter, en bonne partie à

cause de l'information de gestion qui est produite à partir de la transaction. La

puissance de la centrale est passée de 5 MIPS au début des années 80 à 275 MIPS en

1992 : beaucoup de nouveaux services ont été fournis aux usagers. Pour la banque, il

est devenu presque impossible de contenir les coûts d'opération sans avoir recours à

l'impartition («outsourcing»).

L'informatique n'a pas comme objectif de baisser les coûts de façon absolue, elle

doit contribuer à stabiliser la croissance et à mieux la cibler autour du marché principal

de la banque : le particulier et la PME.

Alors que la direction est devenue très sensibilisée à l'informatique d'affaires,

une toute nouvelle structure - comprenant un directeur de la qualité totale - a été créée

pour encadrer les 1 300 employés de l'informatique, dont 700 de support (téléphone,

support au réseau de distribution, suivi des plaintes...).

Le V-P informatique dirige une petite équipe de six personnes pour bien

positionner l'architecture technique des systèmes de la banque. Il renforce également

les directives administratives en cas d'appel d'offre. Avant, il s'agissait d'une décision

purement technique... maintenant c'est devenu plutôt une affaire de comptables!

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Espaces de la stratégie et TI 182

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L'espace vide : une première interprétation de la cohésion et de l'intégration

Ce ne sont pas les guichets automatiques qui ont changé le fonctionnement de la

fonction informatique. Les guichets ne sont d'ailleurs, selon plusieurs informateurs,

qu'un fil de plus qui part du comptoir de la succursale vers la centrale. Les banques qui

ont des stratégies massives d'implantation des guichets et des terminaux au point de

vente doivent cependant revoir leurs capacités de réseaux et de traitement en temps

réel. La plupart des banques se sont mises alors à utiliser des ordinateurs

transactionnels Tandem.

Le fameux mixte affaires/technologie de l'information émerge cependant de

cette période du début des années 80. Des gestionnaires de l'informatique se sont vus

promus sur des conseils d'administration spécialisés dans les opérations Visa,

Mastercard, Interac... Mais ce ne sont pas nécessairement des informaticiens; des

généralistes ont commencé à prendre les commandes et les présidents de banques

s'intéressent de très à leur centrale et à leurs réseaux pour des raisons stratégiques

internes plutôt qu'externes : tout cela commence à coûter trop cher!

En fait l'interface TI/affaires émerge des gestionnaires spécialisés jusque là dans

les opérations Visa ou Mastercard de leur banque; parfois, leur service même

s'arrangera pour superviser le dossier des guichets automatiques. L'informatique n'a

pas encore perdu des dossiers, des ressources et de la visibilité : tout tourne autour

d'elle et ensuite autour des usagers.

Le premier usager touché, c'est le client : c'est elle ou lui qui doit apprendre une

nouvelle façon de consommer des services bancaires. L'impact sur l'organisation est

faible si ce n'est, dans le cas de certaines succursales, de faire de la formation et

d'apporter du support à la clientèle; pour les autres, le défi se limite à entretenir le

«vestibule» toujours achalandé; mais encore là...

Au siège social, le guichet est géré comme un sous-ensemble des activités de

carte, devenus produits automatisés. À la succursale, le guichet est toléré surtout parce

que l'impact anticipé sur le nombre d'emplois en succursale ne se vérifie pas. Mais ce

dossier des guichets automatiques, ou ce dossier de la technologie de l'information pour

l'automatisation, n'est pas le seul dossier d'automatisation. L'automatisation, en

particulier, n'est plus, dans la deuxième partie des années 80, la seule finalité de la

technologie de l'information.

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Espaces de la stratégie et TI 183

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L'espace vide est une situation organisationnelle qui donne des dimensions

particulières aux catégories de la légitimité détenue, des outils mis en place et des

théories véhiculées. L'espace vide, s'il est dominant pendant le déploiement des

guichets automatiques, n'est pas le seul espace de la stratégie qui est observé. En effet,

tant pour les guichets automatiques que pour le fichier central client, l'espace

programmatique côtoie l'espace vide dans les banques.

La gestion de l'informatique et le sommet stratégique : un double espace vide?

La théorie de la contingence, telle que nous la rapporte Mintzberg (1979) dans

son ouvrage consacré à la structure des organisations, définit des lieux précis où se

localisent et s'initient les processus stratégiques.

Ainsi la grande banque, bureaucratie mécaniste par excellence, voit sa stratégie

se définir exclusivement à son sommet. Cette analyse vaut-elle encore pour la banque

investie par la technologie de l'information?

Un des thèmes récurrents des entrevues, et nous en avons rediscuté avec tous les

informateurs dans les entrevues de contrôle, est le thème de l'empire informatique. Il

représente une fonction organisationnelle à la puissance incomparable : une fonction

qui non seulement s'accapare de nombreuses ressources mais, surtout, une fonction liée

- organiquement - au sommet stratégique, d'où l'expression de double espace vide.

Voici un commentaire d'une personne qui ne fait pas partie de l'informatique :

- «Est-ce que vous avez aussi des relations difficiles (avec l'informatique), est-ce qu'il y a un empire dans l'empire?

- Comme il y a un budget énorme, en hommes et en machines. En informatique celui qui est là, c'est celui qui a le plus de personnel, le plus de budget. Pour revenir en arrière, c'était l'empire dans l'empire, c'était même...c'était là où ça se passait. C'était lui le décideur. Les autres services, marketing, ressources humaines étaient au service de l'informatique.

- Il avait le drive... - Il avait le drive et il définissait les besoins directement avec les gens des

réseaux».

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Espaces de la stratégie et TI 184

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Dans les quelques paragraphes qui suivent, nous allons élaborer, à partir de nos

données, sur le contexte qui a fait, surtout dans la deuxième partie des années 80, de

l'informatique un empire.

Le phénomène des guichets automatiques et du fichier central client doivent être

compris à l'intérieur d'un contexte changeant. La dimension sans doute la plus

importante de ce nouveau contexte est la présence de l'informatique dans les opérations

de la banque. En fait, on ne peut plus imaginer changer les façons de mener les activités

sans toucher à l'informatique et réciproquement.

- «Tout ce qu'on faisait sur le plan informatique avait un impact trop

considérable sur les opérations. Ce qui fait que depuis quelques années, on a des vice-présidents exécutifs information qui participent au Conseil de direction. Bon, déjà dans les années 1970... ces barrières là n'étaient plus aussi... marquées, tout cela s'effondre un petit peu».

- «L'informatique relevait-elle des opérations? - Non l'informatique était tout à fait à part, elle a toujours été à part.

Aujourd'hui Services bancaires automatisés a été séparé en parties dont toute la partie implantation est allée à l'informatique, quand je dis informatique, c'est très large parce que c'est rendu que c'est la partie informatique qui est beaucoup plus orientée systèmes opérationnels qu'informatique dans le fond, opérations de systèmes.

Ce groupe là avait la responsabilité de s'occuper des cédules d'implantation, mais souvent ils fixaient les priorités, et devaient faire le lien avec les différentes unités de la banque et aussi tout le processus d'émission de cartes».

Les applications bancaires informatisées ont été conçues de façon étanche :

chaque application utilisait ses propres fichiers de données. Il n'y avait pas de «pont»

entre les applications. Comment alors concevoir des produits mixtes (offrir de

l'assurance sur un prêt...) et disposer de l'image complète d'un client? On peut bien

bricoler un certain temps des passages entre applications - la plate-forme spaghetti -

mais, finalement, il n'y a qu'une option : réécrire les applications pour qu'elles

communiquent en souplesse et mettre en oeuvre des bases de données relationnelles

pour intégrer les données sur le client.

Des choix coûteux qui viennent s'ajouter à l'installation de capacités de

traitement supplémentaires, à la technologie de l'ordinateur spécialisé dans le

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Espaces de la stratégie et TI 185

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«transactionnel» en temps réel (Tandem), aux micro-technologies et aux réseaux de

communication.

-«La refonte fonctionnelle a recommencé en 1989 et on est encore dedans. - Quand vous parlez de refonte fonctionnelle... - C'est refaire les bases de données. - Sous DB2? - Sous DB2. Donc le refaire de façon modulaire pour qu'on puisse

facilement corriger des caractéristiques de produits, ajouter de nouveaux produits pour qu'on puisse structurer l'information concernant le client sous le même élément».

Au coeur de ces enjeux multimillionnaires, il y a les fournisseurs de matériel et

de logiciel (IBM qui doit maintenant se battre avec Tandem et Hitachi) et les entreprises

de consultation en informatique (qui, au Québec, doivent aux banques une bonne part

de leur croissance).

- «Ce sont deux gros dossiers en terme de ressources, les guichets

automatiques et le dossier client intégré...? - Oui, le dossier client et la réécriture des applications, c'est le projet

majeur de la banque sur 5 ans... Là on a commencé en quatre-vingt... huit. Fin 1988 et on s'en va jusqu'en 93. Les guichets automatiques c'est une application qui est à maturité, donc on en fait l'entretien... il n'y a pas grand chose qui se passe dans ça».

- «Le problème qu'on avait à l'époque c'est un manque de souplesse. Je

vous dirai un peu comment c'est venu. Je dirai que cela a peut-être la même dynamique que les guichets automatiques. À l'époque on avait des problèmes...bon on avait des problèmes internes. Notre système c'était du spaghetti et on a un problème de réaction. On n'est pas capable de suivre le marché, on n'est pas capable de suivre l'introduction de nouveaux produits et services. Du moment qu'on veut changer une caractéristique dans un produit on s'attaque à un monstre, ça coûte une fortune. Donc, on s'est attaqué au système informatique pour le rendre plus souple, plus modulaire. Donc il y avait un problème....je dirais de capacité de réponse interne aux besoins soulevés par les succursales. Capacité d'évolution du système.

- Et alors on a anticipé aussi des problèmes de performance. À la longue, comment faire pour arrêter ça d'en arriver dans dix ans à assumer le volume, la

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Espaces de la stratégie et TI 186

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croissance des opérations? Le traitement différé...être capable d'en prendre. Enfin, bref des problèmes internes aussi et de performance».

Il y a une conséquence immédiate de l'automatisation : la production d'une

grande quantité d'information de gestion. Nous l'avons mentionné en commentant le

phénomène du guichet automatique. De la même façon, l'intégration des applications

et la création du FCC crée des informations nouvelles. Qu'en faire? Tout envoyer à la

succursale, tout résumer à l'usage du sommet? Développer de nouveaux outils

d'analyse? Le sommet stratégique veut-il redonner cette information aux acteurs et aux

décideurs sur le terrain? Veut-il la laisser dormir dans de gigantesques bases de

données qui contiennent 10 ou 15 millions d'enregistrements?

- «La maturité (dans l'utilisation d'outils d'analyse informatisés)

commence à... dans ce sens-là commence à s'éveiller, parce que, jusqu'à tout récemment, l'informatique relevait directement du président, monsieur XXX, pendant deux ans. Donc, ça a été très bien ça. Dans le sens où tous ces outils-là ont pu être montés au comité d'administration de la banque sur une base régulière pour présenter des dossiers sur la concurrence, la stratégie, sur les issues, sur des solutions à des problèmes d'affaires. Donc, on est vu comme un partenaire et pas comme un boulet jusqu'à un certain point, même si ça coûte cher (rire) ça coûte cher, on y arrive».

Une autre façon de comprendre le double espace vide - sommet stratégique et

informatique - est que l'un ne peut avancer sans l'autre. L'informatique a besoin de

ressources - toujours plus - et le sommet a besoin d'être au fait des enjeux de la techno-

stratégie. Faut-il bousculer les règles de l'industrie? Nous intégrer, électroniquement,

toujours plus à nos «gros» clients? Ces questions ne peuvent se régler qu'au sommet.

- «Est-ce que la stratégie, si les guichets sont de la stratégie, venait

du sommet stratégique, du président et du directeur-général, ou bien c'était une technologie qui est arrivée à point à l'intérieur, de l'informatique, et qui, bon, s'est retrouvée là...?

- Dans un cas, c'était de l'informatique, encore là, c'est une idée... elle a été par la suite reprise correctement par l'organisation, parce que tu n'as pas le choix, de toute façon il faut que tu fasses les pilotes, il faut du vrai monde! Ça ne peut pas être quelque chose qui est discuté ailleurs qu'au sommet de l'organisation».

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Espaces de la stratégie et TI 187

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- «Quand j'ai présenté le dossier du FCC, voilà deux ans et demi, on parlait de dizaine de millions, plusieurs dizaines de millions. Et la rentabilité était là, les coûts étaient phénoménaux. Il a fallu aller au conseil d'administration tellement que c'était phénoménal d'engager la banque dans un dossier comme ça. Et on a été extrêmement bien reçu, extrêmement bien reçu.

- Les enjeux sont bien compris? - Les enjeux sont compris. On vient de présenter un dossier majeur au

niveau l'EDI, d'échange de données électroniques, de positionnement au niveau de nos grands clients corporatifs et de nos petites et moyennes entreprises. Les enjeux informatiques, les coûts informatiques sont phénoménaux. C'est incroyable l'argent qu'on va mettre là-dedans. On en met déjà depuis deux ans».

- «La grande stratégie des guichets automatiques maintenant est plus

dans le sens de déplacer les transactions qui sont faites actuellement à l'intérieur de la succursale vers des robots qui sont actionnés par les clients. Exemple : je pense qu'on est arrivé à peu près à 20 % de nos transactions manuelles à l'intérieur de la banque qui sont effectuées par des guichets, le reste est fait dans la succursale. Normalement cela coûte plus cher de le faire dans la succursale que de le faire par les guichets. Donc, il y a eu les deux dernières années (88-90) beaucoup de pression pour faire sortir les transactions des succursales, transactions disons... communes».

La dimension politique de l'espace vide

La légitimité du sommet signifie que le signal de changement stratégique vient

d'en haut, du pouvoir qui y est concentré, comme dans le cas des guichets automatiques

:

- «C'est un dossier qui était initié par le sommet stratégique ou par les experts en informatique....

- C'est la direction, la haute direction de la banque, le président et compagnie qui en 1979-80 a bien vu que... bon tout le monde en avait, et on en avait pas... c'est aussi simple que cela... il fallait en avoir ! (rire) Bon la banque sous la pression de certains clients, j'imagine, qui ont été exprimés... faut dire que dans les années 1970-80, le suivi technologique de la concurrence n'était pas un art qui était pratiqué».

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Espaces de la stratégie et TI 188

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L'informatique partage le sommet, elle n'est pas le coeur de tout, comme le dit

notre informateur, mais elle détient le pouvoir sur l'information. Elle détient aussi le

pouvoir sur le rythme des innovations parce qu'elle est la vraie porte d'entrée pour les

nouvelles technologies. Aussi, son pouvoir et sa légitimité symbolique s'en trouvent-ils

renforcés.

- «Il faut l'enlever (le pouvoir de l'informatique sur l'information). Les

gens en informatique, moi je regarde les professionnels qu'on avait en informatique ici puis...les comparaisons sont jamais...sont jamais bonnes. Mais on avait des gens dans l'organisation en organisation de méthode, en comptabilité, en ressources humaines qui étaient des gens plus âgés, qui avaient vécu la période de comptabilité de succursale dans certains cas....qui ont vécu l'organisation, la croissance de l'organisation avec une idéologie maison.

De l'autre côté de mon équipe c'est des gens qui sortaient de l'université qui étaient souvent les plus brillants de leur classe.

Il y avait une réunion avec une ...douze, quinze analystes seniors ou professionnels en informatique là, tu leur passais pas n'importe quoi. Ils étaient capables de réfléchir rapidement. C'était des gens brillants puis des jeunes....il y avait beaucoup d'énergie. Alors quand ils travaillaient avec les gens de l'autre côté, des fois la partie n'était pas égale.

- Le côté de l'informatique possédait le... la vigueur... possédait l'outil... puis ils contrôlaient l'outil qui était un outil un petit peu mystique pour ceux de l'autre côté qui ont pas été élevés avec cet outil là.

- Par contre ceux de l'autre côté avaient l'historique, avaient plus de...de feeling politique. Les gens de l'informatique n’ont aucun feeling politique. Alors ça faisait beau... des belles rencontres des fois. Dans le fond ils regrettaient un peu que c'était toujours des gens de l'informatique (qui s'imposaient)».

Au début des années 80, les responsables de l'informatique accèdent aux comités

de direction. Pour certains, ce sera le chemin vers une présidence. Relation de cause à

effet? Pas nécessairement, mais l'informatique est le passage obligé pour la

compréhension du savoir-faire à l'intérieur d'une banque.

- «Déjà à cette époque là, l'informatique ce n'était pas une petite boîte,

c'était des gens assez, assez haut placés. - C'est ça. - Et même si on se reporte au début des années quatre-vingts, lorsqu'on a

vu apparaître les premiers VP exécutifs, un peu partout sur les comités de gestion, la décision était de savoir si c'était l'informatique qu'on mettait à ce poste là ou si

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on prend quelqu'un d'autre des opérations; c'était ce mouvement-là. Mais il demeure qu'il y a maintenant quelqu'un qui s'occupe à plein temps, qui se rapporte au président, qui participe à l'orientation quotidienne des opérations, quelqu'un qui est avec cette responsabilité informatique».

L'espace vide, c'est l'espace propre aux entrepreneurs qui «créent du vide» pour

pouvoir développer leur trajectoire; pour les responsables de l'informatique, la

trajectoire est difficile à visionner. Mais dossier après dossier, ils recherchent les

innovations, poussent sur le sommet de la banque et mettent en oeuvre de nouvelles

technologies.

- «On a poussé sur la banque pour arriver où on est aujourd'hui et là les gens de marketing ils réalisent, les gens de produits réalisent ce qu'ils ont dans les mains. Moi, j'ai la mission d'influencer la direction dans ces dossiers-là. Puis, je le fais avec tout ce qui sort, que ce soit dans les TPV...n'importe quoi.

- Mes bonshommes, mes bonnes femmes se promènent dans les laboratoires. C'est là que je veux les voir. Je veux les voir signer les norms disclosure, je veux qu'ils sachent ce qui se passe dans les laboratoires d'IBM, dans les laboratoires d'Hitachi, dans les laboratoires des firmes de software. Malheureusement, ça va faire jaser beaucoup de monde parce qu'ils sont tous en Californie! (rire)».

Le rôle des fournisseurs a été particulièrement important dans le cas des guichets

automatiques et, cela reste à démontrer, pour tout ce qui concerne l'automatisation des

opérations et des transactions.

- «Je dirais, comme la plupart des innovations technologiques, il y a dû

avoir beaucoup de stimulation par les fournisseurs. Je vous dirais cela (dans le cas des guichets automatiques)».

Ce sont les fournisseurs qui sont à l'origine des grandes innovations

technologiques qui vont favoriser l'automatisation des banques : les guichets, les

kiosques, la carte à mémoire, le traitement de l'image, la télématique, etc.

- «Il y a les faits que les guichets automatiques représentent par rapport

au service offert à la population une opportunité technologique. Cette opportunité technologique-là ne venait pas nécessairement...nécessairement des institutions financières, mais des fournisseurs qui étaient IBM ou Phillips Diebold».

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- «Étant donné que c'était une opportunité technologique, elle est rentrée par la porte technologique de l'entreprise. Nous, on a dit bon, ce serait peut-être intéressant, et ça rentre encore assez souvent...

La carte de la mémoire va rentrer de la même façon, la télématique est rentrée de la même façon, par la technologie. À un moment donné, on règle une opportunité technologique, est-ce qu'on y va, on n'y va pas dans l'entreprise. Mais là ça redescend, ça redescend dans les unités comme le marketing, les finances ou quelque chose comme ça et ils vont réfléchir sur le bien-fondé».

Ce rôle de gardien et de soutien aux innovations technologiques provenant des

fournisseurs est menacé dans certaines réorganisations de la fonction informatique qui

en confient la gestion à des non-informaticiens. Nous y reviendrons à la fin du chapitre.

La dimension instrumentale de l’espace vide

L'espace vide est un espace où le sommet déploie les moyens nécessaires à son

contrôle sur la formulation et la mise en oeuvre stratégique. Le contrôle du sommet

s'effectue principalement, dans la banque, à travers le processus d'allocation des

ressources et le contrôle budgétaire. De son côté, la fonction informatique joue un rôle

critique dans la définition des outils informatiques qui vont pouvoir être déployés par

les succursales et le siège social.

L'automatisation est propre à l'informatique, mais ne limite pas son champ

d'intervention. Tout ce qui est fait autour de la gestion de l'information, au moment où

apparaissent les micro-technologies, va relever également de son contrôle.

- «Mais j'ai le contrôle sur les acquisitions...les équipements...sur les acquisitions de software parce que je ne veux pas que mon centre à Hong Kong et mon centre à Tokyo, celui de New York...- ...ne puissent pas se parler... ne puissent pas se parler parce qu'il y en a un qui est sur DEC et l'autre sur HP et l'autre sur IBM. Ça fait que l'informatique a une mission globale. Notre président actuel, c'est lui qui lui a donné ce pouvoir là, lorsqu'il a été nommé président, voilà quatre ans. Puis il a dit «c'est l'informatique qui va avoir tous les budgets».

- Tout a été rapatrié et c'était carrément pour l'information. «Ne craignez pas: ce n'est pas une question de budgets. Il n'y a personne qui va pouvoir rien acheter. Ils n'ont pas d'argent. Il y a juste l'informatique». Le président de la banque a dit: «Moi, ça va me donner au niveau de gestion, de savoir combien je dépense en informatique par année». Puis il dit «En plus,

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ça va empêcher les gens d'acheter n'importe quoi». Alors, c'est ce qu'on avait dit.

- Nous on veut contrôler les déploiements de la technologie puis des logiciels puis des stratégies au niveau de l'information».

- «Même si moi j'étais d'avis qu’il fallait laisser le décideur décider,

quand tu les mettais ensemble, ils n’étaient pas capables de décider parfois. Ça prenait du contrôle pour les faire décider, pour dire «Ok» parce qu'on voulait rentrer dans nos budgets puis livrer dans nos délais, à un moment donné il fallait siffler la fin de la récréation».

- «Il y avait une norme dans l'informatique que j'ai renversée, voilà deux

ans, qui disait «On ne développe aucun système sur PC.» Ça fait à peu près quatre ou cinq ans que les PC sont arrivés puis que les clients ont commencé à développer des produits phénoménaux.

- On a trouvé, chez des clients, des produits développés sur lesquels on a une partie du portefeuille...beaucoup d'argent...des millions.... Il n'y a pas de back-up là-dessus. Tout est corrigé aujourd'hui. Donc l'informatique a repris contrôle sur la micro-informatique. Ce n'est pas de la bureautique là....le support des DBase, Lotus c'est une chose, mais la micro-informatique doit être reprise en main par l'informatique».

À première vue, les grandes décisions prises par le responsable de

l'informatique, en accord avec le sommet, sont strictement techniques. Il faut

sélectionner un fournisseur, retenir un produit après un appel d'offres... Mais d'autres

décisions sont prises, sinon entreprises par l'informatique: créer l'association Interac,

déployer les TPV, équiper les succursales en technologies de l'information, choisir une

architecture globale des systèmes et de la technologie de l'information.

- «Alors, j'ai travaillé de concert avec lui puis on a parti l'association

Interac. Lui en a été le premier représentant, moi j'en ai été le deuxième représentant.

- Et puis là, on a....on a créé le réseau Interac».

Au tournant des années 90, autant la Banque de l'Est que la Banque Mutuelle

traversent des bouleversements structuraux. Réorganisation du siège de la Banque

Mutuelle par produits-marché ou création de bureaux régionaux pour la Banque de

l'Est, le remodelage structurel est de mise. Ce remodelage touche plus ou moins

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radicalement la fonction informatique. Son organisation a connu une période plutôt

stable dans les années 1980, maintenant elle est remise en question par les clients de

l'informatique et plus particulièrement par celles et ceux des gestionnaires qui se sont

sentis à l'écart.

- «On a des normes, nous, en terme de salaire, en terme de classement de

conditions de travail. C'est des choses qui n'étaient pas vécues ou appliquées là-bas. Parce que c'est un monde à part, parce que l'appareil sait bien où il réussit.

- C'est un peu comme si on ne comprenait tellement rien là dedans que là-bas on nous demandait cent ressources par année, moi je ne serais absolument pas d'accord avec ça, mais on demandait cent ressources par année et on ne questionnait pas ça. Par ailleurs un secteur comme le nôtre demandait deux ressources par année et on nous demandait «qu'est-ce que c'est ça?».

- Parce que tout était plus...bon... Alors ne comprenant pas trop ce qui se passe on a perdu le contrôle pas mal...sur pas mal de choses...pas mal...des gestions de pas mal de normes (au sein de la fonction informatique)».

- «Ça fait que l'organisation en informatique depuis 8 mois est très

perturbée et puis je suis en train de la corriger. - On a tellement d'ouvrage à faire que l'on n'a pas le temps de s'occuper

de changer les affaires. Elle était très bonne parce que la banque avait embauché la firme XYZ en 1989.

- Il y avait trois vice-présidents ici qui ont présenté une organisation qui serait bonne pour cinq ans. Après ça, là elle est restée là. Elle n'a pas bougé».

- «Il faut être prudent parce que l'aspect budget là, managé par

l'informatique, c'est ... les investissements sont énormes, tu ne peux quasiment plus rien faire sans toucher l'informatique d'une façon ou d'une autre. Les clients (les clients internes, les usagers) commencent à se rendre compte que ce n'est pas nécessairement l'informatique qui est toujours la solution à leurs besoins; souvent, c'est l'aspect approche, démarche organisationnelle, le partenariat aussi».

D'un point de vue formel, l'espace vide place tout le contrôle sur l'organisation

dans les mains du sommet. Durant les vingt dernières années, cette emprise a été

efficace sur les cadres et les employés-es qui effectuaient du travail peu complexe et

facilement contrôlable. Comment maintenant, dans la succursale équipée de FCC et de

stations de travail, continuer à avoir cette emprise sur l'organisation? Comment

s'assurer qu'une caissière devienne une vendeuse efficace des produits de la banque?

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Certaines banques obligent leurs employés-es à placer, par exemple, un certain quota de

cartes de crédit par mois. Mais ce mode de récompense/punition est-il le plus adapté

quand la tâche, à l'intérieur de la succursale, est devenue complexe?

De nombreux responsables signalent le peu d'utilisation des applications

nouvellement développées à coups de millions... Avec cette nouvelle organisation du

travail, le sommet est-il encore en prise sur les activités?

- «Il y a un problème de qualité dépendant de l'information qu'il y a

dedans: si tu ne changes pas d'adresse, ou si il n'indique pas que tu viens d'avoir une carte de crédit, le système va devenir de mauvaise qualité, jusqu'au moment où la mise à jour va se faire, le soir tu reviens à la succursale puis l'autre te poses la même question, tu sais, il faut que tu sois conscient que c'est un outil puissant, mais il faut qu'il soit bien géré. Il faut que la culture et que la mentalité des gens de la succursale soient réfléchies, on peut les aider en mettant à leur disposition un outil de formation, là c'était un de nos objectifs, quand tu développes un système, l'implanter de façon massive».

- «Encore aujourd'hui, on voit des changements que tout ce qui se produit au niveau du réenlignement du FCC je dirais là on a eu la boîte de données, mais je parlais tout à l'heure, il faut compléter, tout ça vient de la direction qui dit bon c'est pas tout là, vous avez livré la machine mais maintenant il faut que les gens s'en servent (du FCC) puis ça c'est clair. C'est au niveau des exécutifs que ça été drivé».

- « Maintenant le problème qu'on va rencontrer ce n'est pas un problème

de technologie, c'est qui va utiliser, qui va utiliser ça? Quelles sont les personnes qui sont habilitées à utiliser ça pour l'instant. Très peu! Très peu parce que même la micro-informatique de base, on...le personnel de succursale n'est même pas familier à utiliser tout ça».

La dimension théorique de l’espace vide

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Espaces de la stratégie et TI 194

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Les années 80 se sont nourries, dans le double espace vide, de visions

entrepreneuriales autour de la technologie de l'information. Au point où, quelque fois

interrogé sur la performance d'une nouvelle application, l'informateur mentionne

d'abord : je crois que c'était plutôt une décision technologique, qui était bonne pour

notre image.

- «À mon point de vue, ce que j'en ai vu, c'est que quand la banque s'est

lancée dans ça (le TPV), je trouvais que ce n'était pas une bonne stratégie dans le sens qu'on n'avait pas d'avantage à être les leaders dans ça et aujourd'hui, les faits confirment qu'on n'en a pas tiré beaucoup d'avantages. Je croirais puis... je pense que l'hypothèse à cette banque-là, à cette époque-là, la banque voulait être une banque avant-gardiste, une banque moderne, une banque orientée vers le développement de la technologie et je ne serais pas surpris si l'orientation beaucoup plus informatique que technologique qu'on a pris à ce moment-là. Aujourd'hui encore, on se demande comment on va faire pour le rentabiliser (le terminal point de vente).

- Si on se dit bon, écoute on a eu nos bénéfices au niveau image de banque dynamique, ou on ne les a pas eus qu'importe, aujourd'hui il faut rentabiliser ça, je ne suis pas convaincu qu'on est capable de faire cette guerre-là et devenir un des intervenants majeurs qui va en retirer des bénéfices».

- «Et puis maintenant, je pense aussi, quelques visionnaires qui disaient «un jour l'avenir sera aux télécommunications, à l'échange».....

- ...à la monnaie plastique..... - Tout à fait... on parlait de ça. Donc, c'était dans l'ordre des choses. Bien

sûr, on est aussi dans une entreprise financière, alors assez rapidement on a mis un rationnel financier à ça. Probablement très, très simple : nous allons ainsi réduire nos coûts d'opération».

Au cours de la décennie 1980, les banques ont appris que les applications de la TI

ne baissaient pas nécessairement les coûts d'opération mais, au contraire, génèrent de

nouveaux coûts d'entretien, de gardiennage, de modernisation, de télécommunications.

Les guichets automatiques, par exemple, sont-ils rentables? Plus une banque en a,

moins elle en est certaine :

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Espaces de la stratégie et TI 195

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- «Et là, c'est que les guichets font partie du décor maintenant. Plus personne ne questionne leur raison d'être, plus personne ne questionne leur rentabilité.

- On n'a plus de discussions là-dessus mais il y a quand même une stratégie d'entreprise qui dit «que le libre-service ne fait pas nécessairement ses frais. Que c'est un service complémentaire de convenance qui est donné au client».

- Et vouloir rentabiliser ça ou s'inventer toutes sortes de questions de rentabilité on n'en sortira pas. C'est un service complémentaire...point à la ligne. Par contre il y a une volonté, à la banque, de tabler davantage sur la diminution du nombre de chèques et sur les files d'attente qui sont juste pour aller déposer de l'argent au guichet par des transferts électroniques de fonds».

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Espaces de la stratégie et TI 196

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Le test qualitatif de la configuration de l'artefact

Nous avons vu se développer autant les guichets automatiques que le FCC à

l'intérieur d'un double espace vide, créé par le sommet stratégique et l'informatique. En

quoi ce double espace vide était-il adapté à la gestion de ces deux dossiers?

Figure 5.1.

Le dossier des guichets automatiques et l'espace vide

PRÉSIDENTPLAN IFIC ATIO N

STRA TÉGIQ UE

V- P

IN FORM ATIQ UEV- P MA RKETING V- P FIN ANC ES V- P OPÉR ATIO NS

Axe principal de gestion

de la TI pour

l’automatisation

FOURNISSEUR TI

Les guichets automatiques possédaient essentiellement des caractéristiques

techniques définies par les fournisseurs de guichets tandis que le dossier du FCC

déclenchait une révision complète de l'architecture des applications de la banque. D'un

côté, il y avait un appareil à choisir de façon unique pour offrir, partout où la banque est

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Espaces de la stratégie et TI 197

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présente, une même interface avec le client qui vient faire ses transactions. Mise à part

cette question d'interface, les banques auraient pu retenir plusieurs appareils et

plusieurs fournisseurs, pour autant que cela ne crée pas de problèmes de

communication avec les ordinateurs centraux.

Un sommet fort était-il indispensable pour gérer ce dossier au niveau technique?

Oui, pour fixer des standards d'interface et de communication et pour imposer un

fournisseur unique, ce qui nous permet de proposer sur la figure 5.1. l'axe fournisseur -

V-P informatique - président pour la gestion d'un dossier de l'automatisation.

Pour ce qui concerne le FCC, la gestion des dimensions techniques est plus

complexe : comment toucher à l'architecture des applications, des standards et des

télécommunications sans centraliser le pouvoir de formuler et de mettre en oeuvre cette

architecture? Face aux forces centrifuges, l'unité architecturale est à conserver. Doit-

elle être décidée dans le vide? C'est une autre question. Aujourd'hui les possibilités de

mettre au point des systèmes composites (composés d'ordinateurs et de logiciels de

constructeurs variés) sont telles que le repli de la direction sur une option tout à fait

centralisée (où tout est basé sur des ordinateurs centraux) et sur un seul constructeur

n'est plus justifiable. Cependant, il faut que les cibles d'architecture soient fixées de

façon unique.

Il est aussi essentiel que la forme de concentration de la ressource soit décidée

par le sommet stratégique qui doit constamment évaluer les options de propriété,

d'impartition et de réseau. Le pouvoir de l'informatique comporte cependant un

danger : celui de favoriser, peut-être de façon non économique, la forme de propriété

qui lui confère le plus de ressources, le plus de visibilité, le plus de pouvoir. En ce sens,

les opérations de reprise en main que vivent ou qu'ont vécu certaines vice-présidences

informatiques peuvent être interprétées par une volonté du sommet d'avoir vraiment la

marge de manoeuvre nécessaire pour choisir entre ces formes de concentration.

L'interrelation du sommet stratégique et de l'informatique dans ce que nous

avons appelé un double espace vide a favorisé la mobilisation des ressources et la

formulation d'une stratégie technologique. Mais qu'en est-il du côté de la mise en

oeuvre?

Des changements culturels sont indispensables - nous l'avons vu - au niveau

des opérations; des changements structurels sont en cours pour «dégraisser»

l'informatique et rendre plus stratégique le contexte opérationnel (autonomie, marge de

manoeuvre, capacité d'innovation...). À l'aide des micro-technologies et d'une marge de

manoeuvre plus grande des bureaux régionaux et des succursales se développe un

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Espaces de la stratégie et TI 198

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nouveau potentiel stratégique au niveau des opérations. Un potentiel dont la mise en

valeur passe par un nouvel espace de la stratégie : une légitimité mieux partagée, de

nouveaux outils de gestion et de nouvelles théories.

L'existence du double espace vide a contribué à protéger la fonction

informatique. À l'intérieur de cette fonction, on a pu retrouver d'autres normes de

salaires, d'autres statuts, d'autres horaires et une grande proximité du sommet

stratégique. Tout cela a contribué à identifier la fonction informatique comme étant

différente, par la nature de son savoir, des fonctions traditionnelles de la banque. Une

prise en charge des grands dossiers technologiques par les experts de l'informatique a

été privilégiée, ce qui a pu rendre délicate ou difficile l'articulation de ce savoir avec

celui des gens de marketing, de finances, d'organisation ou de ressources humaines.

Mais, d'année en année, dans un espace vidé des autres conceptions et

contraintes de l'organisation, la fonction informatique se retrouve en déphasage, lui dit-

on, par rapport au reste de l'organisation :

- «De toute façon, /.../ tu sais tu ne peux pas tourner la banque up-side

down, du jour au lendemain, donc.... - Finalement, il y a le client (de l'informatique) à former, il a ses

habitudes lui aussi. - Oui, c'est ça. D'ailleurs, souvent la direction nous a dit : on ne vous en

donne pas plus d'argent parce qu'on sait que même si on vous en donne, vous allez le faire le travail, vous allez le sortir le système, mais il ne pourra pas être absorbé par les gens des succursales; la capacité d'absorption est X, vous avez atteint le X + X. Donc, faut que vous ralentissiez. C'est un choc ça! Faut que vous ralentissiez, vous êtes trop vite pour le reste de l'organisation!

- Donc nous devons changer notre approche, les impliquer, travailler sur la formation massive, mettre en place d'autres morceaux qui étaient manquants».

De ce décalage entre l'organisation et son informatique qui se traduit par un

décalage entre le coût des applications installées et leur taux d'utilisation naît un

problème de performance. Comment retirer encore des bénéfices de l'informatisation?

- «On développait, on mettait ça sur ordinateur, puis ce n'était pas

utilisé; on mettait ça sur ordinateur, puis ce n'était pas utilisé, les gens n'étaient pas assez formés, le déploiement n'était pas fait. Ça prenait une base, puis on a travaillé sur ces morceaux là. C'est ça qu'on est en train de finaliser. - Maintenant quand on a quelque chose de nouveau, faut être capable de déployer massivement, le plus vite possible. Pour bénéficier, pour avoir des bénéfices.

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Espaces de la stratégie et TI 199

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- Tu as des applications qui ont été développées en 86; quatre ans plus tard, elles n'ont même pas atteint 50% de pénétration dans la boîte. Ce n'est pas bien rentable, la technologie est quasiment finie et désuète, c'est pas tout le monde qui s'en sert! Ce sont les embûches qui nous guettent si tu vas trop vite.»

Les informaticiens eux-mêmes comprennent que leur prochain défi n'est plus

dans le développement mais dans la mise en oeuvre, dans l'utilisation efficace des

applications par les cadres et les employés :

- «Ce n'est pas gagné mais on voit un peu je dirais la victoire à l'horizon,

dans la mesure où on arrête de travailler sur une dimension technique puis on travaille sur une dimension humaine, la formation à la vente puis la communication, mais je pense qu'un élément important c'est qu'on a toujours sous-estimé tant au niveau du FCC global qu'au niveau local, on a souvent sous-estimé la communication que les gens ont fait, où est-ce qu'on en est, tu sais il y a encore un gap entre siège social, je dirais les informaticiens, le siège social puis le reste de l'organisation dans la hiérarchie de la sensibilisation (aux dimensions humaines des dossiers informatiques)».

Un de nos informateurs nous donne l'exemple de sa banque où l'informatique

n'est plus cet entrepreneur identifié dans les années 1980, mais une alliée des actions

entreprises dans le domaine des affaires :

- «Alors, vous étiez support au marketing, en quelque sorte, sur

ce dossier là. Pour le guichet, est-ce que vous étiez support ou meneur directement pour le déploiement massif des guichets?

- Je veux dire, on se met toujours dans une position de support, je veux dire que si on se voyait en position de meneur, on va vite se chercher un meneur pour le prendre parce que on se cherche toujours un commanditaire».

Le concept de «ligne d'affaires» fait son chemin dans les entreprises nord-

américaines. Que l'entreprise soit centralisée ou décentralisée, l'analyse de la valeur a

conclu en faveur d'une structure organisationnelle qui épouse les activités identifiées

comme étant à grande valeur ajoutée. Gérer au niveau de la «ligne d'affaires», cela

signifie aussi lui remettre ses moyens en technologie de l'information.

Même les responsables informatiques apparemment les moins tentés par la

décentralisation poursuivent une réflexion dans cette direction :

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Espaces de la stratégie et TI 200

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- «Mais on a conclu que la banque aurait une approche centralisée pour son informatique mais en même temps elle réalise que : il y a des besoins de décentralisation soit de l'opération ou du développement et que dans ces cas-là une approche cas par cas serait celle qui serait privilégiée. Et pour encadrer ça, on établit des critères, par lesquels un client peut demander de développer son propre système en autant qu'il rencontre les critères. Les critères, c'est des critères de connaissance, d'environnement, d'encadrement, de responsabilisation, d'auto-formation, d'utilisation des techniques qui sont supportées par l'informatique corporative, donc il y a une espèce de plan d'ensemble dans lequel lui (i.e. le client interne), il vient s'articuler».

Tant que l'informatique, que les moyens en TI sont gérés en dehors de la «ligne

d'affaires», le couplage, l'arrimage des affaires à l'informatique, et réciproquement, ne

semble pas devoir trouver de solution performante. C'est d'une façon plus ou moins

confuse, dans un contexte de récession, la démarche de réorganisation qui se passe

dans les grandes banques, particulièrement chez celles qui ont connu une fonction

informatique la plus puissante.

Un de nos informateurs nous parle de la fin d'un empire... Le double espace vide

est menacé de deux façons : diminution du rôle du siège social et réorganisation - plutôt

radicale - de l'informatique :

- «Sauf que...on va vivre une période un peu cacophonique je dirais,

anarchique. En tout cas, particulièrement pour ceux qui sont au siège social. C'est leur affaire. Mais si je regarde la vie d'une institution, ça va être très heureux comme cycle. Sauf qu'on va perdre...on va vivre un peu la perte d'une économie d'échelle. Une perte d'image un peu cohérente. Ce n'est pas si grave. Bon... mais avec... tranquillement la créativité qui va émerger.

- Mais la technocratie est toujours là... - La technocratie est toujours là mais elle va vivre pendant les cinq

prochaines années... une décroissance du personnel. - Oui, mais qui est planifiée? - Non, qui n'est pas planifiée mais qui va se vivre de façon anarchique,

douloureuse mais c'est commencé. Donc, priorité aux unités opérationnelles que sont les succursales. C'est là que se joue l'avenir de l'institution.

- Oui. - Dans la tête de tous ceux qui n'ont plus rien à perdre, c'est ça qui va se

passer avant qu'on se réajuste. Sauf que l'informatique... - C'est un moteur? - Un moteur...non, mais ce n'est pas un moteur, c'est pas vrai! Ce n'est

jamais le moteur l'informatique! On a beau dire...

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Espaces de la stratégie et TI 201

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- Mais qui est le moteur alors? C'étaient les succursales elles-mêmes?

- Oui. - Qui ont créé cette dynamique là en faveur d'un comportement

stratégique autonome. - Oui. La croissance des succursales...i l y a des succursales qui ont triplé

depuis cinq ans, triplé leurs actifs, triplé... Donc avec des gestionnaires qui se sont aguerris dans le temps, qui ne sont pas plus scolarisés que les autres gestionnaires de banque mais qui, en raison de leur économie, leur expérience, le défi de leur fonction, ont été amenés à se donner...

- ...de la marge de manoeuvre. - Oui».

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Espaces de la stratégie et TI 202

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Le profil des entrevues à la Banque de l'Est

Quel que soit le dossier abordé - le guichet automatique, le fichier central client

ou le système d'aide à la décision de groupe - il y a un pattern général qui se dessine.

L'espace vide est le plus présent dans toutes les questions concernant l'historique des

dossiers technologiques et leur lien avec la performance. Alors que le GA active

seulement des vignettes narratives qui relèvent de l'espace vide, le FCC sélectionne de

façon marquée l'espace programmatique.

Comme dans le cas de la Banque Métro, l'espace habité est inexistant. La

performance financière ainsi que les intentions stratégiques, autour des coûts et de la

différenciation, sont relativement très fortes dans le cas de la Banque de l'Est.

L'exigence d'architecture, ou le dossier d'intégration de la TI, est également

beaucoup plus présente dans le premier cas. À la Banque de l'Est, la fonction

informatique est puissante et très arrimée au sommet; il ne s'agit pas d'une filiale

autonome. Cet élément, associé à une tradition de fort leadership et de croissance

forcée, crée un double espace vide - pour la gestion des affaires et la gestion de

l'informatique - au sommet de l'organisation.

La Banque de l'Est semble être une bonne illustration de la configuration de

l'artefact. Cependant, le déploiement massif du FCC et la décentralisation du pouvoir

vers les régions et les succursales indique que la configuration de l'interface est elle

aussi en train de se construire.

L'abondance relative des vignettes narratives qui concernent les intentions

stratégiques nous indique le dossier des GA faisait bien partie des énoncés stratégiques

des gestionnaires. Il fallait servir le client au moyen d'automates pour baisser les coûts

de service au comptoir. La situation est relativement simple pour les banques qui

peuvent procéder par une série d'investissements discrets, mesurant les bénéfices des

automates tout en observant le «pattern» de distribution géographique des GA de la

concurrence. À la différence du fichier central client, les gestionnaires stratégiques

comme les responsables de l'informatique donnent aux guichets automatiques un sens

explicite et concret dans le développement des affaires.

Technologiquement, le développement des GA paraît, à l'issue de l'analyse des

entrevues, relativement isolé de toute problématique technique, comme la réalisation

d'une plate-forme intégrée de la TI. Les investissements sont discrets, les GA ont une

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Espaces de la stratégie et TI 203

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présence très physique, leur contrôle est aisé, le suivi des transactions effectuées est

automatique. Spontanément, les informateurs ne font pas de liens entre les GA et

d'autres applications de la TI.

L'analyse fine des entrevues réalisées à la Banque de l'Est et sur l'ensemble des

réponses à la question 1,1 (voir annexe D) nous permet de construire le modèle à la

figure 5.2. Il pourrait se lire ainsi : le sommet stratégique, légitimé à prendre des

décisions majeures, observe les nouveaux comportements de la clientèle des banques

concurrentes face à l'utilisation des GA. L'automatisation des transactions du client

devrait permettre de réduire les coûts et éventuellement de mieux se positionner. Le

sommet stratégique décide alors d'affecter les ressources et de procéder à l'installation

des GA.

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Espaces de la stratégie et TI 204

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Figure 5.2.

AFFAIRES

INTÉGRATIONCOHÉSION

STRATÉGIQUE

TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION

architecture

plate-forme plate-forme

architecture

PERFORMANCE

espace v ide espace programmatique

espace habité

processus culture organisation stratégie

clients f iliales marchés concurrents produits f ournisseurs

f inancière de positionnement

de capacité stratégique

solutions de la technologie de l'inf ormation pour

l'automatisation

légitimité outils

théories

La configuration de l'artefact autour du dossier des guichets automatiques

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Espaces de la stratégie et TI 205

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Pourquoi appeler cette configuration, configuration de l'artefact? Parce que les

banques veulent mettre en place non seulement une nouvelle technologie mais aussi un

nouvel espace de la stratégie. L'espace vide accompagne le déploiement du GA - du

moins dans les premiers mois sinon les premières années. La Banque de l'Est n'est pas

la seule à connaître cette configuration de l'artefact; la Banque Métro et la Banque

Mutuelle révèlent des configurations similaires.

- «La Banque a déjà amorcé des premières étapes dans ça, notamment par

la nouvelle structure, le tiers ou le quart des succursales qui a adopté une structure beaucoup plus orientée vers ça, où est-ce que le secteur service à la clientèle, cette partie opérations courantes est tout à fait séparé du secteur de développement des affaires».

Conclusion : comment se termine l'espace vide?

Les changements aux postes de la présidence générale et de la vice-présidence

informatique sont les signaux critiques de la fin de l'espace vide. Mais ces changements

de leadership - au profit de leaders plus consensuels et non-informaticiens - masque

l'émergence de deux nouvelles légitimités : l'une provient des cadres opérationnels et

l'autre des experts en analyse stratégique.

La nouvelle légitimité attribuée par différents informateurs aux cadres et au

personnel opérationnel ne fait que recouper les recherches récentes tant en Amérique

du Nord qu'en Europe ou au Japon : il y a de plus en plus de stratèges potentiels dans

une organisation50.

50Bourgeois et Brodwin (1984) peuvent nous aider à définir le nombre de personnes-stratèges. En cinq

modèles, ces auteurs peuplent, de façon toujours plus dense, l'environnement du stratège au sommet. Leur modèle 1

ne retient que le commandant (le"stratège au sommet"); le modèle 2 tient compte, d'une façon anonyme, de

l'ensemble de l'organisation; le modèle 3 tient compte des gestionnaires-clés (exécutifs et directeurs de division)

élaborant, avec le stratège au sommet, un consensus sur la stratégie à suivre; le modèle 4 considère chaque membre

de l'organisation comme devant être inspiré par la vision de stratège au sommet; le modèle 5 enfin, considère chaque

manager comme un manager stratégique, c'est-à-dire comme une source de nouvelles stratégies («to develop,

champion, and implement sound strategies»).

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Espaces de la stratégie et TI 206

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Vue d'en haut, cette émergence des responsables opérationnels crée un certain

désarroi :

- «Et ce désarroi est accentué par une nouvelle volonté du sommet de

limiter le pouvoir fonctionnel des gens de systèmes, de marketing etc... au profit d'une approche interfonctionnelle, plus horizontale, axée sur les produits-marchés.

Et là de plus en plus, peut-être que je vais vous l'apprendre, mais de

nouvelles structures à partir de dans un mois...Monsieur K nous a annoncé la chose : terminée la structure fonctionnelle! Nous serons dorénavant organisés autour de, je dirais, produits-services. Alors des équipes multidisciplinaires. Ça vient de confirmer ce qu'on était déjà...On n'était peut-être pas prêt à aller aussi loin que ça parce qu'on perd à peu près tous un secteur mais je pense qu'au niveau des esprits de plus en plus, on essayait d'aller chercher le morceau de l'autre pour avoir une vue intégrée.

- Vous serez organisés par piliers traditionnels? - Oui, c'est ça».

Les banques que nous avons observées ne pratiquent pas la planification

stratégique, si on entend par planification stratégique l'existence d'un «staff» de

planification, d'un processus formel de concertation de la base vers le sommet et du

sommet vers la base et d'un plan qui affecte des ressources précises à des activités bien

définies.

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Espaces de la stratégie et TI 207

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Nous sommes d'ailleurs surpris de constater que dans les banques observées, le

seul «vrai» plan de la banque, c'est le plan «systèmes» et ce depuis quelques années

seulement :

- «Vous travaillez plus en comités de direction, j'imagine, les différents dossiers?

- Oui, position, réaction... - Est-ce que l'informatique produit son plan elle-même? - Oui, c'est le seul plan stratégique de la banque, c'est l'informatique».

Ces nouvelles légitimités sont encore mal établies. Si elles écorchent le pouvoir

de l'informatique et mettent fin au double espace vide, elles ne changeront pas

fondamentalement la légitimité du sommet.

Il s'agit plutôt du sommet stratégique qui revoit ses alliances à la lumière des

performances passées, des contraintes du marché et des nouveaux dynamismes

présents dans l'organisation.

- «Les dernières années ça a été...comment faire pour structurer un peu la

gestion? C'est...bon. Maintenant c'est pour rendre le manager plus à l'aise avec la planification. Puis, le contrôle est revenu. Le contrôle est plus important. On n'avait plus de contrôle, on était riche dans l'opulence et là... la mondialisation, les concurrents, etc. C'est plus comme avant. À ce moment là, il faut suivre nos affaires. Donc la mesure devient importante».

Si, comme nous le verrons dans les chapitres suivants, les opérationnels tentent

de bâtir un espace programmatique ou un espace habité, ce sera avec le support du

sommet stratégique.

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Espaces de la stratégie et TI 208

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Chapitre 6 La Banque Métro et le dossier du fichier central client

«De toute façon, tu sais, je veux dire que tu

aies la plus grande capacité technologique de

distribution, les plus grands P.C. en succursale, les

gens n'arriveront pas à changer assez vite pour

absorber l'intégration de ça. Impossible! Impossible, à

moins d'investir aussi des millions dans la formation! »

[Entrevue avec un responsable des systèmes,

décembre 1990]

Introduction

La Banque Métro oeuvre dans le domaine de la banque-assurance. En assurance

de personnes, la banque répond aux besoins de sa clientèle en lui offrant une protection

financière en cas de cessation de revenus par suite d’invalidité, à la retraite ou au décès.

Elle offre également des services de gestion de fonds ainsi que des moyens permettant

de constituer un patrimoine.

Dans les autres secteurs de l’assurance, elle propose un large éventail de produits

financiers axés sur la protection des particuliers et des entreprises contre les sinistres de

nature physique ou financière. Elle offre un choix complet de services bancaires et

fiduciaires à ses clients particuliers et commerciaux. La banque est présente en

Amérique du Nord et en Europe.

La banque vise à distribuer des services de qualité supérieure par un réseau de

sociétés autonomes qui recherchent une rentabilité compétitive.

L'architecture des affaires

Cette première partie du chapitre présente au lecteur quelques défis

d'architecture des affaires qui ont été relevés par le management de la Banque Métro.

Dans une industrie changeante où les marchés visés relevaient tant de l'assurance que

des services bancaires, la direction de la banque a modifié à plusieurs reprises sa

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Espaces de la stratégie et TI 209

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stratégie, sa structure et l'organisation de ses activités pour maintenir sa cohésion

stratégique.

En 1984, la Banque Métro est créée : c'est une société de portefeuille qui détient la

plupart des participations dans les filiales de la banque et qui lui donne en matière de

financement les mêmes pouvoirs que toute autre entreprise.

L'entreprise a pour mandat de coordonner les activités des différentes sociétés de

la banque, de définir les politiques générales, de suivre des stratégies compatibles avec

une meilleure utilisation des ressources de la banque.

La Banque Métro observe la mise en place, aux États-Unis, au Canada et ailleurs

dans le monde, de grands réseaux de services financiers intégrés, souples et adaptés à

l’évolution des marchés, de même qu’à celle de la technologie. Les entreprises

américaines investissent massivement dans le développement de leurs réseaux de

distribution et pratiquent un marketing extrêmement dynamique de leurs produits en

constante évolution. En 1987, la Banque Métro fait l'acquisition de la Banque D.

La consolidation des activités dans tous les secteurs de même que l'intégration de

la Banque D aux activités de la Banque Métro ont été les principaux éléments à signaler

en 1988. La concurrence s'intensifie dans le secteur des services financiers et l'industrie

du courtage en valeurs mobilières est en grande partie absorbée par les banques à

charte. La nouvelle direction de la banque s'est attaquée en priorité à la révision de la

gamme de produits et à l'amélioration de la productivité, tandis que le krach de 1987

continuait à avoir des effets sur les affaires. En 1988 également, des progrès intéressants

ont été réalisés dans la mise en oeuvre de points de distribution de services financiers

diversifiés.

L'organigramme de la fin des années 80 illustre le rôle stratégique de la

technologie de l'information dans la structure de la Banque Métro. À l'avant-garde des

tendances en matière de décloisonnement, la Banque Métro mise sur ses réseaux de

distribution traditionnels et sur diverses approches novatrices afin d'offrir aux

consommateurs l'accès le plus efficace qui soit à toute la gamme de produits et services

financiers. Pour appuyer ces efforts, la Banque Métro a investi de façon importante

dans ses systèmes d'information et de communications.

En 1989, le bénéfice net consolidé a atteint 35,8 millions de dollars, en hausse de

35% par rapport à 1988. La Banque Métro continue de simplifier ses structures en

regroupant ses activités canadiennes en trois grands secteurs : l'assurance de personnes

et la gestion de fonds, l'assurance dommages ainsi que les services bancaires et

fiduciaires. Ce regroupement se veut une réponse à l'évolution des marchés des

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Espaces de la stratégie et TI 210

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services financiers; les consommateurs associant plus étroitement leurs besoins de

protection et leurs besoins d'épargne tandis que l'industrie des services financiers voit

se développer de grands ensembles où la taille devient le facteur clé de succès. Durant

la décennie 1980, les actifs de la Banque Métro passeront de 3 à 12 milliards de dollars et

à près de 18 milliards de dollars en comptant les actifs sous gestion.

Pour un responsable de la Banque Métro : «Le problème numéro 1 en est un de

coordination. Il faut absolument en faire, surtout au niveau de la technologie (qui représente des

dépenses de $30 millions annuellement) il faut rechercher des synergies, des économies

d’échelle».

À la fin des années 80, la Banque Métro se recentre dans ses activités de base que

sont la banque et l’assurance. En 1990, les équipes de direction portent une attention

particulière à la mise en oeuvre de méthodes de gestion visant à rehausser la qualité à

tous les niveaux. L'innovation est une préoccupation au niveau de la mise en marché

de nouveaux produits, de méthodes de distribution, du service à la clientèle et de la

technologie de l’information.

L'année 1990 voit la poursuite de la simplification de la Banque Métro : la banque

oeuvre désormais dans deux secteurs, l'assurance d'une part et la banque d'autre part.

Ce nouveau positionnement de la banque correspond d'ailleurs à une tendance

mondiale selon laquelle un nombre croissant d'importants groupes financiers oeuvrent

dans une industrie intégrée : la «BANQUE-ASSURANCE».

L'acquisition de la Banque D par la Banque Métro

En 1989, la Banque D réalise un bénéfice net de 34,4 millions de dollars, ce qui

représente une hausse de 53 % par rapport à 1988. L'actif de la banque s'établit alors à

5,3 milliards de dollars, soit une croissance de près de 9 % en un an. Le ratio des frais

d'exploitation en pourcentage de l'actif moyen a été réduit à 2,83 %, comparativement à

3 % en 1988.

La Banque D est une banque qui veut, par des services de qualité supérieure,

répondre à l’ensemble des besoins bancaires et financiers des particuliers et des

entreprises. La Banque D veut accélérer son rythme de croissance en élargissant sa

présence géographique, en diversifiant la gamme de ses produits et en tirant profit de

ses relations avec les autres membres de la Banque Métro.

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Espaces de la stratégie et TI 211

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En 1990 s’ajoutent dix succursales et 31 guichets automatiques pour un total de

140 succursales et de 140 guichets. La grande priorité de la Banque D pour les années à

venir est incontestablement le service à la clientèle. Un des objectifs pour 1991 est un

niveau d’efficacité de 0,68 $ de frais d’exploitation par dollar de revenu.

À la Banque D, les particuliers représentent 85% des dépôts à la fin de 1991; les

particuliers comptent également pour 70% du portefeuille de prêts. La Banque D est

surtout présente dans le prêt hypothécaire (plus de 4 milliards de dollars) et ensuite

dans les prêts personnels et les prêts commerciaux (chaque fois pour moins de 1milliard

de dollars).

Le succès de la carte de crédit de la Banque D (augmentation de 18% des

détenteurs en un an pour dépasser le cap des 100 000) a incité la banque à mettre en

oeuvre un projet de rapatriement du traitement des opérations effectué à l’extérieur.

Il y a à la Banque D une planification stratégique très forte, même s'il n’y a pas

une équipe de planification dédiée à la fabrication du plan. La planification est du type

«top-down» : le président et les premiers vice-présidents révisent régulièrement la

mission, les forces et les faiblesses de l’organisation et ils établissent des cibles

stratégiques. En fonction de cette analyse, des objectifs stratégiques sont établis par

secteur pour une durée de 3 à 5 ans. Le plan - qui comprend ces objectifs - est

documenté et diffusé aux niveaux hiérarchiques inférieurs. Depuis quelques années,

un groupe de planification et de contrôle dirigé par un V-P adjoint travaille à la banque.

De plus, l’exercice budgétaire annuel précise l’allocation des ressources.

La Banque D continue d’innover en terme de distribution de produits financiers.

C’est ainsi qu’une nouvelle succursale multi-services «Centre financier Banque D» a été

inaugurée en 1990. Cette succursale a la particularité d’offrir, en plus de la gamme

complète des produits bancaires traditionnels, une multitude de services non bancaires.

Ces services incluent l'assurance générale et l’assurance de personnes, les produits

fiduciaires et de transaction sur titres, les services de voyages et le courtage immobilier.

Le lancement de nouveaux produits se poursuivra en 1991, avec l’état de compte

consolidé. Par la présentation d’une vue «globale» sur l’état de ses relations avec la

banque, l'état de compte consolidé permettra au client de suivre l’ensemble de sa

situation financière de façon simple et efficace.

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Espaces de la stratégie et TI 212

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La réorganisation des activités à la Banque Métro

La banque veut favoriser davantage le rôle du directeur de la succursale dans la

distribution des services : tout ce qui concerne la vente, les clients et la qualité du

service. Il existe ainsi une capacité stratégique dans la capacité de choisir et d'attaquer

un segment de marché. Mais une succursale ne peut pas vendre un produit différent en

y accolant l’étiquette de la banque. Cependant, en Ontario, la gamme de produits est

un peu différente; les directeurs y exercent une certaine autonomie stratégique.

Le mode de distribution des produits à la banque est en très grande

transformation. Typiquement, la Banque a une grande expertise à gérer et à développer

des petites succursales; la règle y est de 4 à 5 guichets au comptoir. La banque continue

à développer cette expertise dans les petites succursales. Le «back office» a été sorti de

la succursale pour que les efforts se concentrent sur la vente et le service au client.

«Nous déployons de nouveaux outils - comme notre outil d’aide à la vente - pour développer une

plus grande polyvalence de nos représentants tout en conservant une présentation des produits

uniforme et efficace. »

Un important programme de qualité du service démarre en 1990. Cette initiative

vise quatre aspects particuliers de la qualité du service à la clientèle, soit : les produits,

le réseau, le personnel et le service après-vente. Le programme comporte cinq étapes.

Premièrement, les clients de chaque succursale sont contactés pour déterminer leurs

attentes quant à la qualité du service. Les résultats de ces entrevues sont ensuite

discutés avec le personnel en succursale afin d’élaborer un plan d’action et des

standards spécifiques de qualité du service. Enfin, un suivi est effectué par des «clients

fantômes» sélectionnés parmi la clientèle actuelle de la succursale et par des rencontres

régulières entre le personnel et les gestionnaires du programme.

La banque a lancé un important projet visant à équiper ses succursales de

nouveaux outils informatisés pour le support à la vente. Ce nouveau concept

permettra aux employés de répondre plus efficacement aux questions de la clientèle,

d’avoir un accès immédiat au dossier du client ainsi qu’à des formulaires informatisés,

tout en permettant de conseiller chaque client sur les meilleurs produits à utiliser afin

d’atteindre ses objectifs financiers.

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Espaces de la stratégie et TI 213

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Espaces de la stratégie et TI 214

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La technologie de l'information à la Banque Métro

Comme mentionné au chapitre premier, du côté de l'architecture de la

technologie de l'information, il faut concevoir les applications, les données et le réseau,

les standards et les interfaces, l'organisation et les habiletés dans le domaine de

l'informatique, le management et les processus de l'informatique ainsi que le niveau du

financement.

Au milieu des années 80, la Banque Métro crée la société Métro-TI pour

coordonner l’ensemble de ses efforts en technologie de l'information; Métro-TI, c’est un

partenariat entre toutes les succursales «banque et assurances»de la Banque Métro. Le

centre informatique est mis en place en 1987 avec une vision à long terme du

décloisonnement et une volonté de se positionner en tant que conglomérat financier à

l’avant-garde de la fabrication et de la distribution d’un ensemble de produits. Métro-

TI est plus particulièrement mis en place pour que la banque puisse faire le design de

nouveaux produits financiers.

Quels sont les projets de Métro-TI qui la guident dans le développement

d'applications et dans l'étude d'une architecture globale - notamment l'instauration d'un

plan technologique de 5 ans visant à identifier les projets de chacune des sociétés et à

créer des groupes de travail pour des projets communs - pour en arriver à l’intégration

des services financiers? Ce sont les projets suivants :

- 1. le développement d'une architecture globale que l’ensemble des sociétés

de la Banque doit respecter : un ensemble de documents visant à schématiser

l’ensemble des services financiers entre la fabrication, la distribution, la banque et le

consommateur;

- 2. la réalisation d'un projet de banque de données pour fin de marketing,

afin de segmenter et cibler la clientèle;

- 3. la réalisation d'un fichier client pour réunir toutes les données des

différentes sociétés et bien cerner la clientèle.

Quelles sont les grandes préoccupations en technologie de la Banque Métro?

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Espaces de la stratégie et TI 215

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- 1. réaliser un plan directeur en bonne et due forme, car les changements

sont trop rapides;

- 2. réaliser des systèmes à avantage compétitif : «comment fait-on ça?... il faut

trouver la formule! Le plan 5 ans n’était que du rattrapage plutôt que des investissements en

avantage compétitif... dans cet esprit, il faut continuer les «brainstorming» autour de

l’information marketing pour trouver... le morceau qui manque quelque part! »;

- 3. le fichier client est difficile à réaliser; il est difficile de se former une idée

juste;

- 4. travailler à l’informatisation du point de vente pour supporter les

représentants;

- 5. améliorer la sécurité globale de l’information, analyser les risques sur

l'actif en information;

- 6. évaluer les nouvelles technologies, le traitement de l’image, les systèmes

experts (exemple : prêt hypothécaire, analyse des besoins financiers; appréciation des

risques), la communication interne (les 150 micros en assurance-vie sont-ils bien utilisé

?);

- 7. le plus grand problème est le suivant : comment aller chercher les

bénéfices des produits installés? Réduire le «staff»? Également, la banque a beaucoup

d’outils technologiques mais il n'est pas sûr que l’utilisateur soit toujours là : il y a des

problèmes de formation, d’arrimage des stratégies d’entreprise avec l’informatique,

avec l’interface-usager.

Avant 1986, il y avait une absence totale de stratégie technologique, tous les

choix étaient faits à la pièce; avec la création de Métro-TI, une banque conseil fait la

gestion stratégique de la technologie de l’information. La mission est de gérer la TI et

de partager les ressources, il faut donc :

- sensibiliser les chefs

- avoir un réseau de données canadien

- standardiser les méthodologies

- éliminer l’outsourcing

- architecturer le développement

- à partir de 1987, créer un centre de traitement.

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Espaces de la stratégie et TI 216

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En 1988, un Premier V-P à l’informatique devient, après une carrière dans

l’assurance, chef de Métro-TI... pour rentabiliser le traitement informatique : «c’est une

question de survie pour Métro-TI : être rentable! » Ainsi chaque million de dollars

économisé en traitement représente 0,02 $ par action.

En 1990, la Banque Métro est toujours en cours de rationalisation (retrait du

courtage); la banque est passée de 160 à 215 succursales. L'actif - y compris sous

gestion - est de 17 milliards de dollars, on compte 43,7 millions de dollars de bénéfices

et 5 000 employés au Québec.

En 1992, un responsable de Métro-TI commente ainsi la situation :

- «Il aura fallu un an et demi pour qu’on se décide à regrouper l’ensemble

des compagnies. Les raisons de la création de Métro-TI sont en fait un pot-pourri. Nous avions une vision à long terme des ventes croisées entre les quatre piliers des services financiers; on était bien positionné; il fallait cependant commencer par demander à nos compagnies d’avoir des standards d’équipement (il y avait du NCR, de l’UNIVAC), de logiciel et on s’est orienté vers IBM qui était présent à 90% dans l’industrie des services financiers en Amérique du Nord. Tout était justifié par des raisons de synergie et d’économie d’échelle; nous voulions également améliorer nos ressources humaines - déjà compétentes - en les faisant travailler sur de plus grands mandats. »

La première réalisation fut le réseau voix - données :

- «Ensuite on a amené les gens à uniformiser les standards, les

technologies; je faisais cela pour le chef de la Banque Métro, Monsieur T, qui avait le rôle de mettre la Métro-TI sur pied; je devais donc harmoniser mes pairs qui sont des gens de technologie avec leur empire. Finalement, ça prenait un organisme pour mettre sur pied une architecture pour le fichier central client - que nous n’avons pas encore réalisé - mais nous avons fait une base de données marketing qui fonctionne très bien; on l’avait commencée dès 1976, la dernière version date de 1988.»

En 1987, Métro-TI évalue ses facilités, le réseau de télécommunications, ses

centres de traitement (deux des sociétés opéraient dans des centres externes et il y avait

trois centres au Canada) : la décision est prise de tout fusionner en un seul centre de

traitement. L’ensemble des raisons visaient les affaires, les ventes croisées, mais tout

cela est encore à venir! Ça ne s’est pas réalisé à cause des lois sur les services financiers,

mais ça arrivera, nous rejoindrons le reste du monde.

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Espaces de la stratégie et TI 217

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- «Le centre de traitement n’était cependant pas dans notre mandat original, loin de là! Mais quand on comparait nos niveaux de service, on s’apercevait que ça prenait une usine améliorée, qui a nécessité plus de 30 millions en 4 ans. Nos ambitions étaient trop hautes et non raisonnables, surtout elles n’étaient pas justifiées par un besoin d’affaire réaliste - à cause des lois, nous n’avons finalement pas de FCC universel et même si on en avait un, on n'aurait pas de bénéfices comparables aux exigences de développement, cela n’aurait pas valu le coup; en fait, on a besoin de FCC qui se parlent entre eux... et chaque compagnie a besoin d’un FCC, tout cela s’en vient. »

Plutôt que par le FCC universel, Métro-TI est beaucoup plus préoccupée par le

fait que les sociétés aient ou n'aient pas une architecture; il n’est pas question de

développer une architecture générique, comme IBM Europe essaie de le faire dans le

domaine de l’assurance...

- «Chez nous par exemple, on veut faire un exercice de planification

stratégique (se diversifier? désinvestir?) et IBM nous propose une architecture générique... où va-t-on avec cette approche? C’est une bande de comiques! Une architecture ça se fait de façon spécifique pour une entreprise ou pour un morceau d’entreprise, pas pour plus que ça, pas pour de grandes affaires; on a une petite banque et on essaie d’avoir des succès l’un après l’autre! » .

Après une année d’opération, le réseau intégré de la banque a permis des

économies de 700 000 $; les achats regroupés, des économies de 600 000 $ tandis que 7

millions de dollars d’économies sont anticipées au centre de traitement pour les trois

prochaines années.

- «Nous sommes confiants en la souplesse de notre structure

architecturale de travail qui pourra ainsi s’ajuster aux changements continuels des conditions d’affaires et aux priorités de nos compagnies membres à mesure que nous exécuterons nos plans »

Métro-TI apporte aux membres de la banque des avantages en ce qui touche la

réduction des coûts, l’orientation stratégique et l'assistance technique.

Le réseau supporte alors 1 900 terminaux au lieu de 1 500; l’architecture de la

technologie de la banque est complétée... et le cadre de ce travail semble répondre aux

besoins des sociétés membres et prendre en considération les besoins de l’ensemble des

services de marketing.

Cette année-là, les centres de traitement de l'assurance et de la banque ont été

fusionnés et se sont transportés dans de nouveaux locaux.

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Espaces de la stratégie et TI 218

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Métro-TI s’est dotée en 1989 d’une nouvelle mission et de nouveaux objectifs

stratégiques, principalement liés au contrôle des coûts mais aussi à la consolidation des

plans et des budgets de technologie afin d’en dégager une vision globale de la

technologie.

En 1989, le premier plan consolidé des sociétés membres en matière de

technologie est produit; l’échange d’information entre les micro-ordinateurs et

l’ordinateur central devient important, des modèles ont été fournis aux sociétés pour les

guider dans le choix des différents types de communications recommandés pour

rattacher les stations de travail à l’ordinateur central.

Le chiffre d’affaires consolidé de Métro-TI passe de 20 à 25 millions de dollars de

1989 à 1990; le coût par MIPS s’établit à 226 000 $; 3 500 écrans sont reliés à la centrale

qui compte 82 employés sans compter le personnel de la division orientations

stratégiques.

Les économies de coûts réalisées en 3 ans sont de l’ordre de 15 millions de dollars

plutôt que les 9 millions prévus initialement. La performance du centre a été comparée

à celles obtenues par une centaine de centres en Amérique du Nord. Le bilan de cette

comparaison réalisée par la société américaine «Real Decision Corporation» place

Métro-TI au deuxième rang pour les coûts les plus bas - ils sont inférieurs de 36% à la

moyenne des centres observés.

De nouveaux défis pointent à l’horizon pour Métro-TI :

- «L’année 1991 constituera un virage pour Métro-TI. Suite au succès

des premières années, nous devons désormais nous tourner vers demain. La technologie jouera un rôle plus critique dans la réalisation des stratégies d’affaires des compagnies membres de la banque, et sa gestion deviendra de plus en plus complexe. Le lien entre stratégies d’affaires, stratégies technologiques et stratégies organisationnelles ira donc en se renforçant. Pensons simplement à l’évolution technologique que présente le traitement distribué : cette nouvelle façon d’opérer pourrait nous amener à gérer à distance certains de nos services et ressources humaines, qui seraient désormais localisées chez nos clients. Cette extension du traitement obligera les employés à assumer plus de responsabilités et à être de plus en plus polyvalents pour faire face à la complexité de ces nouveaux modes d’opération./.../ (il faudra) assurer la convivialité de plusieurs petits centres de traitement reliés entre eux et rattachés à un centre de plus grande puissance.»

En plus de gérer un budget étroitement contrôlé et des coûts par MIPS en

décroissance, la Métro-TI veut se donner des mesures précises de productivité dans ses

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Espaces de la stratégie et TI 219

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activités de développement de logiciels. Ces mesures devront être uniformes à l’échelle

de la banque.

Les coûts technologiques ont connu au sein de la banque une croissance de 15%

et Métro-TI a continué de s’impliquer dans le conseil à la direction; les sociétés membres

de la banque ont accepté de s’aligner sur des standards en micro-informatique et de les

mettre en place pour 1997; finalement, un Conseil consultatif de la technologie,

composé des cadres supérieurs de la Métro-TI a été mis sur pied en 1990 et s’est réuni à

chaque trimestre pour suivre et participer à l’évolution des orientations technologiques.

C’est un forum de discussion qui contribue à consolider la stratégie technologique de la

banque. La mobilisation de toute l’entreprise au projet d’automatisation des opérations

rendra la banque plus compétitive et mieux alignée sur les stratégies de l’industrie en

traitement informatique; la standardisation de tous les environnements informatiques

est presque complétée, elle a pour but d’offrir aux clients de Métro-TI des logiciels, des

règles d’utilisation et de procédures identiques sur tous les systèmes d’exploitation.

- «La rationalisation des investissements technologiques supporte les

plans d’affaires de la Banque Métro. À l’intérieur de cette stratégie, notre rôle est de rendre disponible des technologies de plus en plus complexes, parfois difficiles à développer et à implanter et disons-le, pas toujours simples d’utilisation. Dans un tel contexte, les projets technologiques devront être de plus en plus éclatés en petits projets, pour en faciliter la gestion financière et en assurer le succès. Les risques rattachés aux méga projets compromettent trop souvent leur réalisation. »

En 1991, de nouveaux services en téléphonie et en micro-informatique sont

introduits; un examen attentif des dépenses technologiques autres que celles reliées au

traitement est effectué. Un diagnostic des pratiques de gestion dans les autres secteurs

comme le développement, l’entretien des applications, la micro-technologie et les

systèmes distribués est pratiqué. Les coûts totaux du centre de traitement sont encore

inférieurs de 27% à la moyenne des centres comparés en Amérique du Nord. Des

services de support et de formation en micro-informatique ont été mis en place.

Le budget consacré au traitement informatique ne représente que 39% du budget

technologique total de la banque dont Métro-TI ne contrôle que 22%. Les coûts

technologiques de la Banque Métro ont connu une augmentation considérable depuis

les dernières années, mais ils se sont stabilisés en 1991; une gestion renouvelée du

processus budgétaire a été amorcée en 1991 avec la participation des sociétés membres.

Il s’agit d’uniformiser les pratiques comptables en technologie et d’identifier les

activités dont les coûts unitaires peuvent être réduits. Il vise à redonner toute son

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Espaces de la stratégie et TI 220

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efficacité de gestion au budget informatique pour faciliter la prise de décisions sur les

niveaux d’investissements et les opportunités de réduction des coûts.

Le traitement unique et centralisé est maintenant défié par un mode de

traitement multiple. Désormais, le traitement centralisé, géré par Métro-TI, sera

juxtaposé au traitement local des sociétés membres, supporté par la micro-informatique.

- «Ainsi, la multiplication des ordinateurs personnels et l’interactivité

croissante des applications basées sur la micro-informatique nous obligent à relier les postes de travail individuels à des réseaux locaux, eux-mêmes reliés à la centrale. »

Une plate-forme technologique est en cours d’élaboration pour gérer la

complexité de tous ces équipements. Les processus de gestion comme les

infrastructures organisationnelle et technique doivent être revus.

- «Par ailleurs, le diagnostic réalisé en 1991 sur les pratiques et activités

de développement nous indique la nécessité de repenser la nature de la relation entre gens d’affaires et informaticiens. »

La complexité croissante de la TI augmente en effet les risques associés à

l’expansion et au remodelage continuel des systèmes d’information. La nouvelle

approche devrait se caractériser par l’utilisation d’équipes multidisciplinaires.

- «Ce nouveau mode d’action nous amènera à adopter une relation

«fournisseurs clients» entre partenaires d’affaires et informaticiens. Cette relation se vivra au jour le jour par l’implication systématique des usagers dans toutes les étapes d’élaboration de solutions informatiques ».

Un document de 1991 conclut :

- «Ce mode opérationnel constituera un changement culturel

d’importance pour plusieurs des compagnies membres. Pour assurer le succès de ce renouveau informatique, il est primordial que la haute direction s’engage à supporter activement ces nouvelles façons de faire.»

L'ensemble de la banque a concerté ses efforts pour analyser l'évolution des

besoins de la clientèle et en particulier de saisir les grandes tendances ayant cours afin

de créer un rapprochement entre la BANQUE et l'ASSURANCE en vue de mieux

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Espaces de la stratégie et TI 221

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répondre aux besoins du public. La banque est reconnue pour son esprit novateur dans

la création et la mise en marché rapide de nouveaux produits financiers adaptés aux

besoins évolutifs de sa clientèle.

Tous ces changements redéfinissent en profondeur la relation entre

informaticiens et gestionnaires, comme le laisse supposer un responsable de Métro-TI :

- «Je suis fatigué d’entendre parler de ces affaires-là d’open systems , de

closed systems, d’architecture globale ou générique! Moi-même, responsable de la TI, je suis tellement occupé que je n’ai pas d’ordinateur... je n’aurais pas le temps de l’ouvrir... alors que les gestionnaires sont devenus des spécialistes de la technologie de l’information! ».

L’informatique à la Banque D, filiale de la Banque Métro

Si Métro-TI est le centre de traitement de la banque, il ne représente pas pour

autant toute l’informatique de la banque : «Nous sommes heureux d’y participer pour autant

que les services soient concurrentiels ». Des économies d’échelle s’y sont matérialisées et

en atteignant une masse critique dans le traitement informatique, Métro-TI a attiré une

expertise qui aurait été plus difficile de trouver pour une entreprise isolée. Pour la

Banque Métro, Métro-TI règle les problèmes d’expansion :

- «Nous sommes capables d’absorber sans heurts des chocs de 30% ou

40% de croissance du volume d’activités. Cependant, dans les activités qui sont exécutées à Métro-TI, rien n’est facteur concurrentiel ou avantage distinctif de différentiation. Métro-TI n’enlève rien à la banque, car l’évolution des applications reste à faire. »

Métro-TI a développé avec les membres des visions d’«architecture cible»; ainsi

les supra modèles de traitement reflètent bien tout le domaine financier; tout est

développé en commun, les choix technologiques sont effectués en commun. La banque

peut y déroger, mais ce n’a jamais été une contrainte; ainsi, quand la Banque D décide

de «développer» au moyen de P.C. d’IBM dans les succursales, tout est conforme au

modèle d’architecture centrale.

À l’intérieur de la banque, il y a une vision partagée sur la décentralisation de la

responsabilité des systèmes. La banque a deux grands types de besoins : 1. les systèmes

opérationnels pour fabriquer les produits et 2. une informatique de gestion pour suivre,

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analyser, décider. Ce deuxième type de besoin est de plus en plus criant et pas très

développé :

- «Ainsi si nous avons des critères de continuité, d’intégrité de

performance pour privilégier un système uniforme et centralisé à travers la banque, au niveau de l’informatique de gestion, c’est la rapidité, la souplesse, la décentralisation complète de cette fonction-là qui importe. »

L'informatique de la banque choisit les outils, les analyse, les recommande et

conseille l’usager sur ces outils : ... «mais il faut protéger le système central! ». Les

directeurs de succursales, les gens de finances et de marketing s’impliquent beaucoup

comme usagers de l’informatique... plus que les gens de ressources humaines qui

comptent sur l’informatique opérationnelle dont le temps de réponse est très long.

L'espace programmatique : une deuxième interprétation de la cohésion stratégique et de l'intégration technologique

Selon un de nos informateurs, le concepteur d'architecture et de systèmes

d'information doit - plus que sur la stratégie - se baser sur une culture organisationnelle

pour comprendre l'organisation.

- «Donc pour vous il y a au coeur de l'architecture une culture

plutôt qu'une stratégie? - Oui. Parce que ce qu'on peut admettre ceci : une organisation a une

culture, et cette organisation va changer de culture à tous les 100 ans, mais elle sera peut-être amenée à revoir sa stratégie de 5 ans en 5 ans. Est-ce que je peux fonder une architecture sur la stratégie, si elle change de 5 ans en 5 ans? Tout n'est pas décidé encore...».

- «Il faut que l'implantation massive se fasse tant du point de vue de

l'organisation que du point de vue informatique. Ça c'est nouveau. On commence... ça fait un an à peu près que ça existe, ça va prendre au moins cinq ans un changement culturel, peut-être même dix ans.

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Au niveau culture, je dirais qu'il n'y a peut-être pas eu encore d'impact mais c'est un objectif très clair de changer cette culture là, d'embarquer dans la culture de base de développement des affaires, de service à la clientèle et de connaissance des besoins du client».

Les pressions sur les coûts, le contexte économique difficile mais surtout le

décloisonnement et la recherche d'un comportement stratégique local - au niveau de la

succursale - entraînent les organisations observées dans des changements culturels et

structurels. L'essentiel des modifications de structure est encore à venir. Si la Banque

de l'Est a entrepris, dès l'automne 1991, de mettre en place une structure régionale qui

rapproche la succursale d'un lieu de décision stratégique, la Banque Mutuelle envisage

encore différentes options pour restructurer son niveau de management d'entreprise.

Nous n'avons, durant nos entrevues et nos rencontres et échanges, pu qu'identifier ce

besoin de restructuration.

- «Et je ne sais pas si c'est lui qui a amené, on parle de solutionner le

problème de la poule et l'oeuf, c'est lui qui a amené... mais ça me semble évident qu'au niveau des FCC ou je dirais peut-être plus de façon globale le besoin de connaître le client, l'importance du client, qui nous obligeait à avoir un FCC a aussi eu en parallèle,... a eu d'autres impacts que ce soit au niveau de la structure, j'ai parlé tout à l'heure du mode de distribution de nos services à l'intérieur de la succursale, il y a un mode global de distribution des services, mais à l'intérieur de la succursale, on a changé notre façon d'offrir les services et l'organisation du travail relativement à la prestation du service a été changée en fonction de ça, en fonction du client».

Le déploiement massif d'un dossier de la représentation semble affaiblir la

fonction informatique. La première raison évoquée est celle-ci : dans le cas du FCC,

l'informatique ne livre pas directement de la performance (ex : réduction des coûts

comme avec le guichet automatique), mais un potentiel qui reste à être exploité, non pas

par l'informatique, mais bien par le secteur des affaires de la banque :

- «Tandis que le dossier fichier client intégré, immédiatement, c'est

du potentiel, mais qui doit être transformé par les personnes... - Exact, mais c'est dormant. Ça peut être dormant, tu peux avoir mis

tant de millions sur 5 ans pour développer tout un système : il est dormant. Ils ne l'utilisent pas. (les gens de succursales)

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C'est ainsi que la banque commence de plus en plus à réaliser que l'informatique, c'est seulement une «piece of the solution», que le gros morceau, c'e n'est pas l'informatique, c'est l'organisation. Ils ne sont pas habitués à dealer sur ce morceau là, ils sont habitués à dealer sur l'informatique. Donc, on a réfléchi sur notre stratégie de développement...».

Le déploiement massif du FCC implique la formation de milliers d'usagers à

travers les succursales et la prise en main de tout ce potentiel par des usagers experts

dans les succursales. Le savoir-faire informatique n'est plus confiné dans la fonction

informatique. Conséquence pratique d'un développement qui se fait avec un grand

nombre d'usagers : il y a moins d'informaticiens, au sens traditionnel de fabricant

d'applications en vase clos. C'est ce que souligne un responsable de l'informatique :

- «Si les succursales, les bureaux-chef, tout le monde se convertit

pratiquement aux technologies de l'information ça veut dire que pour vous c'est peut-être plus facile de vendre vos solutions?

- C'est ça. Puis il y a un peu moins d'informaticiens. Les vrais informaticiens, les informaticiens purs tout à l'heure on va les retrouver à bâtir des programmes, un programme d'hypothèque, le coeur d'un programme d'hypothèque, le coeur d'un programme d'épargne. On va leur demander de travailler avec les gens d'architecture pour concevoir comment les applications doivent se parler entre elles. Ils ne descendront plus fignoler le produit jusqu'en bas.

- OK. -Avant ça on avait des gens qui s'occupaient du réseau de

télécommunication, c'était des informaticiens. Maintenant on a des ingénieurs qui connaissent l'informatique, qui sont plus ouverts aux solutions nouvelles.

Il était un temps où on avait de la bataille même. L'informaticien voulait que la gestion des équipements ou la gestion du réseau fasse partie de l'application».

L'informaticien traditionnel diminue en nombre et en importance à cause d'un

transfert de savoir-faire vers l'usager qui va profiter d'interfaces et d'applications autant

que possibles conviviales; mais il est en perte de vitesse également à cause de

l'architecture intégrée des applications, des standards et des télécommunications qui se

met en place. L'informaticien est en difficulté face aux ingénieurs architectes de

systèmes en amont et face aux usagers en aval.

Du côté des usagers et de ceux qui les défendent au siège social, l'insatisfaction et

la frustration s'expriment et trouvent des appuis. Les guichets automatiques étaient

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une solution indéniable, mais le FCC concerne les usagers, déjà ensevelis sous les

rapports de gestion; ils veulent s'assurer que l'approche, cette fois, est conçue pour eux,

en fonction de leurs besoins et de leur façon de travailler. Ici encore l'informaticien

écope :

- «Le rapport informatique notamment, en tous cas pour les succursales,

c'est pour refléter ce qui s'est effectivement effectué comme transactions par client, par succursale et consolider un certain nombre d'informations. Aujourd'hui au moment où je vous parle chacune des succursales, quelle que soit sa grosseur... par jour il y a trente-neuf rapports qui rentrent. Trente-neuf rapports qui rentrent. Ce qui s'est passé, c'est qu'à chaque développement informatique...bon on développe le guichet automatique...bon...un rapport sur les guichets automatiques. On développe des nouvelles choses...rapport...rapport... Tout se rajoute. Au lieu de dire...bon le guichet automatique...prendre l'information qui est là et la mettre dans le rapport sur les opérations faites par les clients quotidiennement. Parce que c'est plus facile de faire ainsi.

Puis c'était la vision de projet par systèmes. Écoutez, à chaque informaticien son projet. Je ne me préoccupe pas de l'avenir de tout le monde, je ne préoccupe pas de l'utilisation de l'utilisateur...non...c'est l'usager d'abord...c'est bêtement l'usager. Bref ce n'est pas ça notre trouble. Bref, alors on essaie de s'y retrouver : juste pour supporter les activités courantes, il y a 117 rapports».

Même si le nouveau rapport de force qui s'installe au détriment de la fonction

informatique envoie un certain nombre d'informaticiens hors du siège social, vers les

bureaux régionaux, la crainte est grande que l'empire informatique ne soit pas mort :

- «Les informaticiens vont vouloir s'installer dans les bureaux régionaux,

ils vont vouloir refaire leur empire... ».

Cette migration d'un certain nombre d'informaticiens vers le terrain et les

usagers n'est qu'une partie des changements apportés à la fonction informatique. Au

nom du contrôle des coûts, la fonction informatique se voit contrainte de rentrer dans le

moule d'une fonction de gestion «ordinaire», avec la perte des privilèges et de statut qui

suivra :

- «Je dirais qu'au siège social, ce qui va rester - parce qu'il va rester

vraiment tout le traitement - il va rester beaucoup, avec un nouveau style de gestion.

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On a des normes, nous, en terme de salaires, en terme de classement de conditions de travail. C'est des choses qui n'étaient pas vécues ou appliquées à la centrale informatique. Parce que c'est un monde à part, parce que l'appareil sait bien où il réussit.51

C'est un peu comme si on ne comprenait tellement rien là dedans que là-bas on nous demandait (une augmentation de) cent ressources par année, moi je ne serais absolument pas d'accord avec ça, mais on demandait cent ressources par année et on ne questionnait pas ça. Par ailleurs, un secteur comme le nôtre demandait deux ressources par année et on nous demandait «Qu'est-ce que c'est ça?».

Parce que tout était plus...bon... Alors ne comprenant pas trop ce qui se passe, on a perdu le contrôle pas mal...sur pas mal de choses...pas mal...la gestion de pas mal de normes. Puis, je pense que c'est une nouvelle culture».

La prise de contrôle de la fonction informatique par des généralistes sera

pratiquée dans les deux grandes banques. Pas seulement pour mieux comprendre ce

qui s'y passe, mais aussi pour redonner le contrôle au sommet :

- «Si on voulait être une banque qui est capable de gérer ses affaires, ça

fait que là, la maturité commence à... dans ce sens là commence à s'éveiller, parce que jusqu'à tout récemment, l'informatique relevait directement du président, monsieur XXX, pendant deux ans. Donc ça a été très bien ça. Dans le sens où tous ces outils là ont pu être montés au comité d'administration de la banque sur une base régulière pour présenter des dossiers sur la concurrence, la stratégie, sur les issues sur des solutions à des problèmes d'affaires. Donc, on est vu comme un partenaire et pas comme un boulet jusqu'à un certain point même si ça coûte cher (rire) ça coûte cher, on y arrive... ».

- «Donc il y a un changement culturel que, moi, je vois déjà./.../ Donc, ce

n'est pas un informaticien... qui arrive plus comme un administrateur, qui arrive plus comme soucieux de donner un cadre de gestion, des indicateurs de gestion de stratégie.

Moi je dirais que l'ère de l'âge d'or est comme terminée. Et en plus la micro technologie... - Et en plus la décentralisation, l'expertise qui va se décentraliser. Le

contrôle des données va aller aux bureaux régionaux. Le développement

51 Comme le rappelle Virilio à propos des cités grecques: gouvernent

la cité ceux qui font avancer les navires.

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d'applications locales va être donné aux succursales ou aux bureaux régionaux. Ça, ça je dirais que le cycle est terminé».

Autant l'expertise de l'informatique lui permet de s'approprier plus de ressources

et plus de légitimité quand elle offre des solutions complètes, autant l'expertise des

différents niveaux hiérarchiques et des différentes fonctions dans la gestion des

données impose une nouvelle légitimité.

Les succursales de la Banque Mutuelle, par exemple, se sentent propriétaires des

données socio-démographiques qu'elles possèdent sur leurs clients. Elles ne voudraient

surtout pas que ces données profitent à la succursale voisine par le biais d'une base de

données centrale facilement accessible; elles voudraient encore moins que des filiales

profitent de ces données pour découvrir les membres qui détiennent de gros avoirs.

- «Le dossier client succursale dans mon sens à nous... c'est que va

devenir...va devenir primordial dans les cinq prochaines années. La banque est la seule institution qui n'a pas un dossier client (FCC) actuellement.

C'est la seule à ma connaissance. La Banque AAA vient de partir le sien, la Banque CCC en a déjà un depuis longtemps parce que c'est moi qui ai implanté leur système... alors je sais comment il est fait. Mais la banque n'en a pas. Elle n'en a pas pour deux... pour quelles raisons qu'elle n'en a pas? C'est premièrement, c'est comme je vous dis, c'est que chaque succursale ne veut pas partager ses données avec la succursale voisine».

En plus de menaces nouvelles sur sa légitimité (à travers la micro technologie, la

micropolitique qui entoure la gestion des données, l'intervention des ingénieurs, la

décentralisation de la fonction, le service obligatoire aux usagers), un dossier nouveau

émerge et prend une importance politique : le dossier de l'architecture des systèmes.

Les experts en architecture tentent de définir une cible à long terme qui intègre les

problématiques d'applications - qui doivent se «parler» - de standards logiques et

physiques - qui doivent rester compatibles - et de capacités de télécommunications qui

doivent être intégrées et puissantes.

Nous avons observé à ce sujet deux événements en apparence contradictoires

mais qui démontrent bien le nouvel enjeu politique. Une des banques observées fait

monter ce dossier au sommet de l'organisation, en passant par-dessus la fonction

informatique; une autre banque élimine l'équipe d'informaticiens qui y travaille.

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L'architecture devient un dossier sensible. Un informateur nous explique qu'un

directeur d'architecture est encombrant car il vient fixer un cadre au fonctionnement de

l'ensemble de la technologie de l'information dans l'entreprise. Un autre ajoute que la

direction générale veut que la fonction informatique redevienne ce qu'elle a été à ses

débuts : une service de codeurs, de personnes qui préparent des programmes.

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Des problèmes à l’interface TI/affaires : le marketing

Un dossier comme le FCC exige plus de face-à-face, d'échanges et de rencontres

entre le domaine de l'informatique et le domaine des affaires. À cause de l'implication

des usagers, de l'utilisation de la microtechnologie et de la gestion des données, la

fonction informatique doit - ou devrait - créer un partenariat plus efficace avec le

domaine des affaires. La raison de ce partenariat est la suivante : la performance, avec

ou sans applications informatiques, est générée par le domaine des affaires et par le

domaine des affaires seulement.

- «Ce sont deux cultures (affaires et informatique) différentes dans

l'entreprise. Et puis, il faut être en mesure de..de bien les gérer. Là actuellement il y a un déplacement important vers la microtechnologie. Puis la microtechnologie là, des gens qui ne sont pas des informaticiens commencent à l'utiliser. Moi, j'ai beaucoup d'espoir qu'en donnant aux succursales, aux institutions de la corporation de...de....de fignoler leurs produits, de jouer dans les bases de données pour faire des ciblages puis penser à certains produits qu'ils pourraient plus manipuler au niveau du milieu. J'ai beaucoup d'espoir qu'on va devenir plus économique, plus efficace puis qu'on va prendre du marché dans les années qui viennent.

J'ai confiance dans ça».

Dans le cas du FCC, la fonction marketing et les succursales sont les premières à

être concernées par le potentiel nouveau de l'application. L'application FCC va

transformer la pratique de la vente en succursale tout autant que l'approche

traditionnelle de la fonction marketing. Un informateur nous parle de micromarketing

réalisé à l'aide du FCC :

- «Je reviens avec l'étude de marché de la succursale. C'est l'accès de la succursale à un fichier central client dans lequel elle

aura elle-même des applications permettant de faire son développement sur micro-ordinateurs. Donc on appelle ça, nous, la décentralisation de la fonction marketing à l'intérieur de la succursale ou le micro marketing. La capacité, en tous les cas, de rendre le plus près possible du terrain les systèmes d'information, l'information requise pour coopérer.

On peut avoir deux voies : la première voie est une préoccupation globale et la deuxième voie est une préoccupation micro qui dit, effectivement, la succursale doit avoir en main une information suffisante pour opérer sur le terrain pas seulement une information financière et opérationnelle.

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Espaces de la stratégie et TI 230

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De rendre cette base de données là disponible et de la verser sur un savoir à la succursale même. Auquel savoir on grefferait des postes de travail qui permettraient d'analyser, d'exploiter effectivement sur des segments bien précis de produits, de services. Ce qu'on appelle, nous, la plate-forme informatisée de vente.

Ça, ce sont deux avenues qui s'offrent actuellement par rapport à ce qu'on a vu dans les dernières années. Avoir une vision globale, et deuxièmement, avoir une information suffisamment pointue pour la succursale et tous les outils pour opérer cette information. Ce sont deux avenues qui se présentent en même temps».

Le FCC issu des efforts de la centrale rend obsolètes les efforts de développement

- souvent réalisés «en cachette» de l'informatique52. La mise en route de l'application

FCC est aussi la mise en route d'un nouveau partenariat entre le marketing et

l'informatique.

La gestion des applications informatiques dans le domaine des affaires

Dans le système coopératif, les succursales se découvrent un nouveau pouvoir -

déjà évoqué plus haut : le pouvoir sur leurs données. Ainsi, le concept de FCC intégré

ne peut être mis en place dans une coopérative de crédit de la même façon que dans une

banque, où tous les comptes d'un client sont identifiés à travers tout le réseau de

succursales de la banque :

- «Alors...on avait conçu un système qui était compartimenté, mais même

à l'intérieur de la succursale on avait conçu un système tel que si une personne avait deux folios différents, ces deux folios là n'étaient pas...mis ensemble.

- On ne pouvait pas les consolider? - Jamais. Et c'est encore vrai aujourd'hui. /.../ Et l'idée c'était d'avoir

un fichier central client, un Customer Information File, un fichier client complet.

Les gens sont au (fait) de ça mais la première, les premières applications vont se faire à l'intérieur d'une succursale. On va pouvoir consolider un client à l'intérieur de la succursale.

- Avec sa succursale... mais pas avec la succursale d'à côté.

52 Comme le souligne un informateur, même si les politiques de

l'informatique étaient strictes vis-à-vis l'achat d'équipement, les contrats

de développements à l'extérieur, etc... "Dans une banque il y a toujours des

ressources discrétionnaires..."

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Espaces de la stratégie et TI 231

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- Mais si il y a un compte dans la succursale d'à côté, pas avec la succursale d'à côté. Mais technologiquement l'architecture, la hiérarchisation a été faite pour permettre ça.

- Mais il y a des décisions politiques à prendre... dans la banque».

Les succursales, ainsi enrichies de nouveaux pouvoirs et de nouveaux savoirs,

resteront des lieux d'affaires pour le client, alors que des points satellites de

distribution, éventuellement gérés par la succursale, favoriseront une distribution

automatisée des produits et services financiers.

- «Des succursales à deux ou trois employés ça ne s'opère pas, ça coûte

trop cher, donc on va sans doute s'orienter vers une version de petite unité automatisée où une personne pour ouvrir des comptes à peu près ou je ne sais pas trop comment là, des unités satellites qui gravitent autour d'une succursale principale et bon encore là c'est pas arrêté comme projet, on essaie d'en faire marcher une, le défi c'est bien plus de la faire marcher au point de vue opérationnel bien plus que stratégique».

Alors que l'automatisation de la succursale ne regardait - presque pas - le mode

de fonctionnement de la succursale, il en va autrement du fichier central client.

- «Mais là le défi auquel on fait face, c'est véritablement un défi de

déploiement, de formation, de démystification, de..., il amène nécessairement une réflexion profonde à revoir complètement la façon qu'on distribue nos produits.

Physiquement, ça va jusqu'à l'agencement physique des succursales en terme de postes de travail, en terme de caisses....un comptoir on as-tu encore besoin d'un comptoir?

- Partout... - Nos caissières : est-ce qu'il faut qu'elles ne fassent plus les transactions

qu’elles faisaient avant, puis qu'on enlève le comptoir puis qu'on fasse tous des petits cubicules pour recevoir les clients. On est dans ce bouillonnement-là actuellement. Ça modifie carrément la répartition des responsabilités puis la hiérarchie plus ou moins informelle qui peut exister à travers ces répartitions-là dans les succursales dans la mesure ou...Avant, bien parce qu'on n'avait pas d'outils pour supporter nos ventes.

On avait des gens qui étaient experts par produit. Puis là, on fait promener notre monde. Si tu veux une hypothèque vas voir le gars d'hypothèque, si tu veux un prêt personnel va voir le gars du prêt personnel. Là, on dit on veut plus de monde qui vende de tout, puis on veut justement favoriser la vente croisée.

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C'est plus difficile de favoriser la vente croisée quand il faut tu changes le gars de bureau pour passer du prêt hypothécaire au prêt personnel.

Puis le gars qui s'occupe des prêts hypothécaires ça va lui tenter moins de lui vendre d'autres choses si tu lui dis «vous autres vous vendez de tout». Mais là attention, c'est toute une autre histoire».

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Espaces de la stratégie et TI 233

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Une transformation de la façon de travailler

Avec l'intention d'étendre la mission de la banque à la distribution de produits et

services non bancaires se greffe une nouvelle intention : celle de prendre l'initiative de

vendre des produits au client plutôt que de l'attendre au guichet. La démarche doit

devenir pro-active.

- «Ça ( le fichier central client ) c'est très stratégique, ça c'est....et bien

d'ailleurs on invente pas....je veux dire.....comme tu l'as dit le fichier central client est répandu aux États-Unis....

- Le fichier central client c'est un dossier chaud? - C'est-à-dire, ça va avec tout le nouveau contexte bancaire. Les banques

étaient surtout des édifices qui ouvraient et fermaient à heures fixes. Et le client venait, puis il fallait lui ouvrir la porte pour lui dire «ben non, c'est fermé!». Mais là, les banques vont....veulent aller chercher des clients pour toutes sortes d'offres.»

Et ce nouveau comportement stratégique, en plus des changements culturels et

structurels, exige une transformation de la façon de concevoir le travail du personnel de

la succursale.

- «Est-ce qu'on est dans une situation organisationnelle qui touche

en profondeur le haut, le bas, les fonctions, qui remodèlent le travail? - Oui, oui. Le dossier client...ce n'est pas tant... le dossier client vient

supporter ou accélérer une démarche, déjà en cours, qui est fondamentalement bouleversante.

- Qui date de? - Qui date dans certaines succursales, qui date de trois ans, dans d'autres

de deux, dans d'autres de cinq. - Cinq ans maximum? - Oui...je dirais une constatation, une correction qu'il fallait changer

notre façon de faire. Être moins en attente, être moins passif».

Contrairement au guichet automatique qui est, en raison de son fonctionnement,

une solution au problème de l'achalandage aux guichets de la succursale, le FCC n'est

pas une solution prête à être «branchée»; ce n'est pas une solution au problème du

décloisonnement, c'est seulement un pas dans la bonne direction :

- «Parce que le, le fichier, le fichier local, le fichier membre au niveau de la

succursale, il n'est pas vendu comme un guichet automatique... Il est vendu dans

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Espaces de la stratégie et TI 234

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un concept de travail, de transformation de la façon de travailler. Là, c'est différent. C'est pour ça, parce qu'on ne se situe pas dans le même cadre.

- Le guichet, c'est comme une solution, on dit : on vous apporte une solution... Ici on dit : le problème c'est ça, on n'a pas de solution, mais on y travaille...

- Le guichet, c'est un appareil, c'est un service, c'est une présence de la banque, c'est pour ça que les directeurs de succursale en voulaient. Les gens leur disaient : comment ça, vous n'avez pas de guichet! Tu sais, c'est dans le fond ...... c'est un appareil. Un fichier là, c'est...

- C'est du matériel, oui! (Rem : pour équiper la plate-forme) - C'est du matériel au départ, mais c'est... c'est une façon de travailler,

de, c'est d'offrir une certaine qualité aux clients, de pouvoir se développer à partir de..., on va composer maintenant avec une dimension marketing dans les succursales, c'est ça qui est complètement différent».

Changer la façon de travailler pour les succursales, c'est un peu renverser la

vapeur! L'affectation des ressources doit se faire en priorité aux activités de vente et de

conseil et non plus aux activités courantes :

- «C'est-à-dire que l'effort d'une succursale qui était, à l'époque, très

opérationnel....70% des énergies d'une succursale...du personnel d'une succursale était vers les transactions. Donc, on dit il faut renverser.

Permettre que 70% des efforts de la succursale, toute la dynamique à l'intérieur de la succursale soit orientée vers une relation avec le client vers le service conseil. Une approche pro-active et ça suppose le déplacement des activités courantes sur des services automatisés.

Et au fil des ans, ce qu'on a dit, c'est qu'on a interprété comme étant 70% des transactions qui devaient être sur le guichet. Mais c'est de l'énergie de la succursale, toutes ses ressources, toutes ses énergies...70% doivent être sur une approche conseil avec tout ce que ça suppose comme support à la prise de décision. C'est-à-dire récupération par le service administratif de certaines fonctions qui étaient occupées par d'autres avant. Plate-forme informatisée à la succursale. Tout ce que ça suppose comme infrastructure de support. C'est dans ce sens là qu'il faut comprendre ces fameux 70%».

Les processus et contenus stratégiques

En comparant les réponses aux questions 1,1 (l'historique du dossier des guichets

automatiques) et 1,2 (l'historique du fichier central client) nous constatons une première

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différence. Alors que les processus stratégiques identifient un peu plus du tiers des

vignettes de la première question, ces mêmes processus identifient trois quarts des vignettes

du dossier du fichier central client. Est-ce parce que le dossier du FCC n'est pas arrivé au

même stade de mise en oeuvre que le dossier des guichets? Parce qu'il lui est postérieur

(le FCC est très récent)? Sans doute. Mais nous observons aussi que les vignettes

narratives qui identifient des intentions stratégiques sont peu fréquentes autour du FCC

(13% contre 38% pour les guichets).

Il semble que nous entrons dans des dimensions stratégiques plus complexes et

plus ambiguës que dans le cas du guichet automatique. C'est pour cela que nous

opposons la forme de l'automatisation à la forme de la représentation de la TI. À

l'intérieur des questions qui concernent le FCC, l'intention de réduire les coûts est à peu

près inexistante.

Nos informateurs envisagent le FCC comme un dossier technologique qui

permettra à leur organisation respective de compétitionner dans le secteur décloisonné

des services bancaires et financiers en connaissant bien leur clientèle et en modifiant

leur façon traditionnelle de travailler.

Un conglomérat financier comme la Banque Métro est conçu sur ce modèle

d'intégration des différents produits et services financiers. Il a d'ailleurs tenté le

premier d'offrir ces différents services et produits financiers dans une installation

physique, au siège social, qui regroupait les différents spécialistes.

- «L'expérience de la Banque Métro sur le guichet, même pas un guichet

unique, sur le fait qu'on est dans une même salle dans une même pièce, les différents spécialistes, on ne peut pas dire que ça a été un succès... retentissant.

L'idée de base est vraiment excellente, on y arrivera un jour, il y a encore du chemin à faire...».

L'objectif à la base du développement du fichier central client est le même qui a

guidé la Banque Métro : il s'agit d'atteindre le consommateur dans ses différents besoins

de produits et services financiers.

- «Notre objectif c'est d'avoir beaucoup plus que deux ou trois produits

par client. La moyenne est à peu près autour de ça. On peut vous vendre

l'assurance, on peut vous vendre n'importe quoi...on a le droit de tout faire. On

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Espaces de la stratégie et TI 236

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peut s'occuper de faire votre testament...tout. Ça fait que le milieu bancaire est en train de devenir plus un milieu financier. Puis je pense que l'avènement du fichier central client chez nous va nous aider beaucoup.

- Ça va être une base de données intégrée... - C'est une base... C'est une fortune à mettre. La fortune, c'est très petit

du côté développement c'est vraiment sur le déploiement, les équipements... les utilisations, des softwares. Ça fait qu'on travaille très fort à... On a poussé sur la banque pour arriver où on est aujourd'hui et là gens de marketing réalisent, les gens de produits réalisent ce qu'ils ont dans les mains».

Tant pour les banques que pour les caisses d'épargne et de crédit, le particulier

est devenu la source principale de la rentabilité. Les choix faits en faveur des

particuliers semblent irréversibles; même les banques à charte, plus orientées vers les

activités commerciales, se sont mises à soigner leurs clients particuliers :

- «Soixante-cinq pourcent de la rentabilité de la banque et des autres

institutions financières viennent du particulier, la masse... Si tu fais par exemple un dollar par client et si tu en as un million tu multiplies facilement... Si tu as mille, deux mille entreprises, tu restes au même point, il y en a (parmi les entreprises) qui veulent avoir tout et ne veulent rien payer, c'est toujours la même chose./.../

Donc, le particulier est important, le libre service est important, il est moins important... on le pense du moins à la banque, que la succursale traditionnelle où la relation continue d'avoir lieu, où la relation continue à s'établir».

Mais à quel client vendre un REÉR? À qui la marge de crédit? L'hypothèque? Qui

a besoin des services de courtage? Qui achèterait une assurance auto? Qui

«marcherait» dans une offre mixte? Une démarche pro-active doit partir

nécessairement d'une connaissance scientifique - autant que possible - du marché.

- «Je suis sûr et certain que si on veut améliorer certaines approches de

mise en marché à partir d'une analyse de la segmentation, si on possède la consommation de l'individu à partir uniquement de la lecture de la succursale et si la personne fait affaires avec deux ou trois succursales, ça ne donne pas le même segment....ça ne tombe pas dans le même segment.

- Il est mal analysé, mal ciblé. - Dans ce sens-là on a une problématique de connaître, du point de vue

marketing, le profil de l'individu...qui est-il, qu'est-ce qu'il consomme, qui est-il, qu'est-ce qu'il consomme... On ne demande pas de connaître la personne q u i e s

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t - i l mais de comprendre en terme de grand ensemble, de comprendre et de bien répondre.

Mais se pose le problème, je reviens avec l'étude, de marché de la succursale. La succursale, c'est une entreprise qui a une préoccupation de développement de son marché. Préoccupation qui devient intéressante partant de l'évolution du fichier client.

C'est l'accès de la succursale à un fichier client dans lequel elle aura elle-même des applications permettant de faire son développement sur sa plate-forme. Donc on appelle ça, nous, la décentralisation de la fonction marketing à l'intérieur de la succursale ou le micromarketing. La capacité, en tous les cas, de rendre le plus près possible du terrain les systèmes d'information, l'information requise pour travailler.»

Pour la Banque Mutuelle, la succursale doit évoluer de point de services courants

en point de service conseil et de vente (tout en offrant un maximum de services

courants automatisés).

- «Ça fait qu'on est en train de changer la façon de travailler. Ça va

libérer beaucoup de personnel que les gens de ressources humaines, de formation sont en train de travailler pour recycler soit dans la vente pour ses différentes (back office), etc. (i.e. l'automatisation du système comptable). Ça fait que l'image, l'image d'une succursale traditionnelle, est en train de se convertir d'une façon phénoménale où, lorsque vous entrez dans une succursale aujourd'hui puis vous voyez qu'il y a vingt-cinq employés et qu'il y en a juste trois pour servir à la caisse, c'est choquant pour le client, je n'ai jamais vu ça.

/.../ On était des gens de transactions pour devenir des vendeurs, pas des banquiers....

- ...des vendeurs et des gens de conseil, quelque chose comme ça? - Oui, oui. Des conseillers majeurs».

Comme nous l'avions observé pour les guichets automatiques, l'importance

stratégique de l'application doit être comprise à travers la forme de concentration des

ressources qu'elle met de l'avant.

La propriété

Comme le FCC contient des informations cruciales pour le développement de la

banque, la forme de propriété des ressources informatiques est favorisée ou paraît

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Espaces de la stratégie et TI 238

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favorisée. Actuellement, chacune des banques observées possède son propre centre de

traitement et emploie des centaines (plus de mille pour les plus grandes)

d'informaticiens. Les coûts de ces centrales informatiques se chiffrent annuellement à

au moins 200 millions de dollars annuellement pour les grandes banques.

Tout en restant dans la forme de la propriété de la ressource, la «microtisation»

(la migration des applications sur des micro-ordinateurs ou downsizing) est envisagée

par toutes les banques observées et mise en oeuvre plus ou moins rapidement. Ce choix

s'est effectué partout contre la politique traditionnelle de la centrale informatique, et, là

où elles le pouvaient, ce sont parfois les succursales qui ont donné le signal :

- «Alors, ce qui est arrivé parce qu'on a commencé à les rationaliser, tout

à coup on s'est rendu compte...alors qu'on pensait qu'on était bien correct...tollé! tollé!...là on se rend compte que les succursales ont développé des trucs. N'ayant pas ce qu'elles voulaient, elles utilisaient certains rapports qu'on croyait utile pour tel genre de choses et faisaient des croisements d'un rapport à un autre.

- En fonction des besoins il y a des succursales qui sont également équipées en informatique, qui se sont faits développer une application qui ressemble au FCC, qui n'est pas parfaite parce qu'elle n'est pas reliée à la centrale, et qui ont présenté ça aux autres succursales.

Et c'est là quand on a vu ça, qu'on a dit «il faut réagir et vite». Là, la décision de décentraliser s'est prise».

Le partenariat

La forme de concentration en propriété évolue vers la «microtisation» (le débat

politique autour des guichets en était plutôt un de localisation), mais ce n'est pas la

seule forme que nous observons autour du FCC. En ce qui regarde le développement

d'outils d'analyse du marché et des capacités de crédit du client, les banques se tournent

vers la sous-traitance ou l'impartition (outsourcing) :

- «On a fait un bon positionnement autour des applications, des produits

mais le reste d'informatique ne se suit pas. Donc, il faut réintégrer l'informatique puis c'est un gros changement.

- L'autre domaine...qui est nouveau depuis deux ou trois ans, qu'on délaissait sans s'en rendre compte mais qu'on doit gérer, c'est l'outsourcing. Moi, je vous ai dit tout à l'heure que j'ai donné un contrat à une firme de consultants puis j'ai demandé à IBM de me développer un produit. Je n'ai personne pour gérer ça. C'est de temps en temps mon gars d'opération, de temps

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en temps mon vice-président au développement, de temps en temps un directeur de la sécurité, mais je fais de l'outsourcing avec je ne sais pas combien de compagnies.

C'est phénoménal. Je dois gérer ça!».

Le réseau

Si nous retenons pour la définition de réseau, une forme de concentration de la

ressource informatique qui permet aux concurrents de se partager des ressources

communes en réduisant ainsi leurs coûts, cette forme de concentration est possible dans

l'avenir. De nombreuses conversations informelles avec différents acteurs de

l'informatique bancaire nous laissent penser que le jour n'est peut-être pas loin où les

banques, ou du moins certaines d'entre elles, partageront une seule centrale

informatique, sous forme d'une entreprise de service.

L'espace programmatique : une deuxième interprétation de la cohésion et de l'intégration

- «Au contraire, la succursale ne se sentait même pas... elles ne se sentent

même pas responsables : c'est un bidule qui est dans le sas d'entrée, qui n'appartient même pas à la succursale...

- A l'extérieur oui, - Ils voient une compagnie qui vient le remplir puis qui disparaît, il faut

envoyer des enveloppes le soir et puis balancer ça... ça ne leur appartient pas. Même ils n'ont même pas à nettoyer, à enlever les papiers, tout...Ils ne se sentent pas responsables jusqu'à tant que la vice-présidence responsable de la succursale décide que chaque succursale soit évaluée sur la propreté, sur la qualité du service, et sur les guichets!».

L'espace programmatique se bâtit moins au sommet - où nous retrouvons peu de

planification stratégique formelle - qu'à la tête des succursales et chez les managers

intermédiaires. Les banques découvrent ou redécouvrent qu'elles ont des centaines de

stratèges bien au fait des conditions locales du marché, les directeurs de succursales.

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Espaces de la stratégie et TI 240

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- «Je dirais qu'on a un certain avantage compétitif qui a été payant dans le temps et qu'on a perdu avec la technocratie..., je m'égare un peu...avec l'appareil technocratique, l'avantage compétitif qui est d'avoir des entreprises autonomes avec des entrepreneurs. Beaucoup de succursales profitent des entrepreneurs. Ici c'est que la banque ne peut pas. L'appareil technocratique, la normalisation, l'informatique ça a entraîné la normalisation...bon ...les stratégies qui viennent du haut...on attend. Actuellement on veut changer ça...de revenir un peu à l'ordre des choses».

C'est au cours des années 80 - seulement - que s'installent dans les états-majors

les équipes et les systèmes de veille systématique de la concurrence et de la technologie

:

- «Dans les années 1970-80, le suivi technologique de la concurrence

n'était pas un art qui était pratiqué. À ma connaissance on le fait maintenant... on le fait maintenant mais à ma connaissance ça date peut-être de deux ans, trois ans peut-être sur une base plus organisée...

- plus formelle... - La banque a fait un suivi sur tous nos compétiteurs et non compétiteurs,

sur à peu près tous les domaines qu'on peut imaginer. On accumule des données, on se constitue une banque d'informations qu'on ajoute, qu'on modifie , qu'on analyse et ... on se compare».

- «Le rapport informatique notamment, en tous cas pour les succursales,

c'est pour refléter ce qui s'est effectivement effectué comme transactions par client, par succursale et consolider un certain nombre d'informations. Aujourd'hui, au moment où je vous parle, chacune des succursales, quelle que soit leur grosseur, par jour il y a trente-neuf rapports qui rentrent. Trente-neuf qui rentrent».

Le côté très formel et non stratégique des informations peut conduire à l'échec :

- «On avait dans les années précédentes, à peu près, 4 ans de ça, on allait

chez la firme X, on leur donnait les bandes de données et puis eux autres, ils manipulaient tout ça et finalement ils imprimaient des cartons qui étaient envoyés dans les succursales. Le directeur de succursale, il reçoit une espèce de grosse boîte qui rentre un matin, dans ça tu as tous les clients sur des cartons dans l'ordre alphabétique, dessus tu as les services qui ont, ceux qu'ils n'ont pas... Là, tu travailles avec ça. La plupart des gens, jamais ils regardaient ça. Ils la laissaient là...».

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Espaces de la stratégie et TI 241

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Le travail de la fonction marketing dans l'apport de données stratégiques aux

succursales est à signaler :

- «Au point de vue SIM (Système d'information marketing), je dirais que

la principale fonction du SIM nous a permis de faire des profils de milieux de succursales, par exemple à l'automne on va informer chacune des succursales du profil de sa clientèle et du profil de son marché à partir d'achats de données externes qu'on va merger, qu'on va envoyer, les concurrents dans son marché ainsi de suite».

Les données issues des systèmes de contrôle et des systèmes d'information

marketing ou du FCC ne sont pas les seules à être utilisées. Grâce à la micro-

technologie, bien des succursales établissent elles-mêmes leurs objectifs, leur budget et

leurs points de contrôle. Ces systèmes locaux de report n'ont cependant pas été étudiés

dans le cadre de cette recherche.

La quantité de données à manipuler et la complexité des décisions à prendre

sont telles que l'organisation ne peut s'en tirer sans un système de planification plus ou

moins sophistiqué.

- «À ce moment là, dans les années 83, on a commencé à mettre sur pied

la planification stratégique. À mettre sur pied le secteur marketing et tranquillement pas vite l'information de gestion est devenue comme une nécessité. Elle est devenue comme un moyen. (On a vu) comment l'informatique ne répond pas à nos besoins en tant qu'information de gestion. ... Chez nous l'informatique les quinze premières années, les dix premières années elle a été tout simplement....

- ...transactionnelle. - ...transactionnelle. Mais pas du tout, c'était pas du tout de l'information

pour les gens qui analysaient les phénomènes dans le sens où on n'avait pas les informations requises pour voir ce qui se passait sur le terrain. L'information n'était pas faite pour ça».

Nos observations nous amènent à penser que l'espace vide qui a éclaté - le lien

entrepreneurial informatique/sommet stratégique - se recompose au sommet mais cette

fois sans l'informatique. Certaines des organisations observées n'ont pas de «staff» de

planification stratégique parce qu'elles ne croient pas dans ce concept.

- «La planification stratégique c'est le propre de l'Europe et de l'Asie!

Nous en Amérique du Nord, nous devons rendre des comptes tous les trois mois

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Espaces de la stratégie et TI 242

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aux investisseurs. On a de plus en plus de comptes à rendre aux investisseurs étrangers, aux fonds de pension et aux groupes d'assurance. Il nous faut donc un bilan aux trois mois. En ce sens là notre mission est bien simple : obtenir une rentabilité supérieure aux autres banques!».

Il y a maintien ou création d'un espace vide au sommet dans le sens où des

managers au sommet (le président entouré de trois ou quatre vice-présidents) se

rencontrent seuls pour décider des grandes orientations stratégiques et mettre au point

les stratégies-programmes comme le programme de qualité.

- «Il existe, à travers l'organisation, un grand projet QUALITÉ qui est

insufflé par le vice-président exécutif. Il y a trop de technocratie à différents niveaux, on cherche donc un rapport plus organique avec les succursales».

Toutes nos organisations, tant du côté des affaires que de l'informatique, sont

concernées par cette stratégie-programme de la qualité : meilleure qualité des

applications et des services informatiques surveillée par un directeur de la qualité,

confrontation des états-majors à un support de qualité aux unités opérationnelles,

service de qualité à offrir aux clients en succursales.

- «Je vais vous donner une idée de vers quoi on s'en va. La notion de

qualité...je ne parle pas de contrôle de qualité...la qualité devient une fonction. ... Il faut instaurer la notion de qualité dans notre pensée de l'informatique. D'avoir une mission de stabilité sur les systèmes à tous les jours, c'est bien beau mais quand ça ne «monte» pas, c'est parce que j'ai un problème. Si j'ai un problème c'est parce que ça été mal opéré, ou ça été mal développé, ou ça été mal architecturé. Donc, il faut instaurer la notion de qualité, pas juste aux gens qui sont en développement, mais à partir du moment où on prend une décision de faire de quoi. Les Japonais, s'ils font des bonnes voitures, c'est parce qu'ils les pensent comme du monde avant! ».

Les entrevues en profondeur, celles qui ont été enregistrées et transcrites, ont

opposé deux situations : soit qu'on dise ne pas pratiquer formellement la planification,

soit qu'on laisse entendre que tout le monde fait de la planification mais aussi que

personne n'est vraiment tenu de la mettre en oeuvre.

Quelle que soit la forme juridique de l'entreprise, le constat des informateurs est

identique : au sommet, pas ou plus question de se laisser porter par la planification

stratégique. Au contraire, les gestionnaires rencontrés veulent «donner de l'oxygène» à

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Espaces de la stratégie et TI 243

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l'organisation - ce qui veut dire laisser agir les succursales -, ils ou elles veulent faire de

la planification une «action créatrice», ils ou elles veulent bâtir une organisation axée

sur l'information pour permettre l'action. Beaucoup soulignent le rôle clé joué par le

temps : temps de réponse aux signaux du marché, temps d'adaptation, temps de

développement de nouveaux produits.

Nos informateurs-trices sont ainsi en accord avec la notion de planification pour

l'auto-renouvellement («self-renewal planning») tel que décrite par Chakravarthy (1984)

: cesser de compter sur les modèles analytiques et les rituels de la planification,

promouvoir la collaboration et compter sur ses propres forces; mais aussi, adopter un

focus plus serré en terme de produit-marché, segmenter en fonction des forces uniques

de l'entreprise, investir peu dans la recherche et développement et utiliser des managers

de première force.

- «Arrêtons de partir à droite et à gauche! Faisons cela! La recherche

technologique ne nous intéresse plus! C'est un gel pour les dépenses R/D (à propos de la carte à mémoire)».

- «Pour les appels d'offre en technologie, l'étude de faisabilité est

maintenant faite par des comptables! Auparavant, c'était une décision technique. Le dernier appel d'offre CPU était signé par des administrateurs seulement : ça met le stress chez le constructeur!».

La mise en place du plan informatique relève plus de la planification stratégique

traditionnelle. Les vice-présidents informatique reconnaissent que le manque de

planification a fait commettre des erreurs dans les années 80, à une époque où les

budgets étaient disponibles.

- «Comme on n'avait pas de planification stratégique, on a orienté (en

informatique) la Banque sur toutes sortes d'affaires... Actuellement on va mieux cibler et concentrer nos efforts; on va prendre des décisions d'affaires qui seront plus en faveur des opérationnels et moins en faveur du corporatif».

Depuis quelques années, les banques ont des plans d'informatique serrés et

bâtissent de nouvelles structures pour l'informatique tout en contenant ou en faisant

«fondre» les ressources qu'elle utilise. La sous-traitance est maintenant considérée par

toutes les banques observées pour contenir les coûts.

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Espaces de la stratégie et TI 244

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À un niveau plus opérationnel, la planification stratégique pour l'auto-

renouvellement doit être considérée au niveau des succursales les plus importantes. Il

n'est pas question, dans les entrevues formelles ni dans les entrevues de contrôle, de

mettre en place un puissant «staff» de planification au sommet - de céder à la pulsion

technocratique -, mais il est question, au contraire, de mieux planifier les activités locales

:

- «Je reviens au côté planification. On a une boîte en haut, en haut (dans

l'organigramme), «planification stratégique» et c'est un autre phénomène avec ce qui se passe dans ce que je vous ai expliqué tantôt comme étant la «décentralisation», le désir d'énoncer les stratégies au niveau local. Il va falloir retrouver, donner un autre sens à la planification. C'est-à-dire porter une attention particulière à cueillir les besoins et les harmoniser avec une lecture, je dirais globale, des grands phénomènes de marché et tout ça.

- Plus de coordination? - Oui c'est ça, c'est ça. Et même si on était un siège social sans pouvoir,

il demeure qu'on serait tenté par la pulsion technocratique. On a oublié des choses fondamentales parce qu'on ne les a pas arrêtées et là on les arrête, et c'est parfait».

Le nouveau sens à donner à la planification semble être la coordination de

l'action, des actions en temps réel qui permettent l'adaptation continue de l'organisation

à son environnement.

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Espaces de la stratégie et TI 245

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L'intégration de l'information et du management

Quand on décentralise, on devient une entreprise d'information : on utilise des

équipes interdisciplinaires comme support à l'action (ex : lancer de nouveaux produits)

et on doit envoyer les bonnes données (les extraits du FCC) à la succursale. Une partie

de l'entreprise devient donc une entreprise d'information et la performance

organisationnelle est plus dans le temps de réaction.

- «On avait les gens de ressources humaines...s'intéressaient aux coûts de

main-d'oeuvre, s'intéressaient aux opérations, s'intéressaient à la rationalisation, les opérations, à la productivité. Puis moi je m'intéressais à comment revoir le mode de fonctionnement dans la succursale pour favoriser le plus possible une approche nouvelle marketing. Donc, on était tous un peu dans un besoin d'informations intégrées. Et dès que c'est perçu, chacun essaie de se trafiquer des choses pour en arriver à ça. OK. ... Et là on me demande... on a déjà une espèce de tableau de bord pour les conseillers en ressources humaines, pour que, quand ils arrivent dans la succursale, ils aient quelques indicateurs. Là, les gens de succursale ne veulent pas avoir un tableau de bord en plus pour leurs conseillers en gestion. Alors, dans les bureaux chef, c'est le même phénomène de professionnels qui deviennent des généralistes, des conseillers en gestion.»

- «Quand vous avez plus de deux millions et demi de clients dans votre

fichier, ça prend des grosses centrales. Ça prend une capacité de disques extraordinaire. Là, les gens de marketing sont les seuls à l'utiliser. Comme ils pouvaient avoir accès à nos ordinateurs, soit par des transactions, des travaux qu'ils lançaient, on les a mis sur un ordinateur à part qui est le centre de l'information.»

Nous observons que le sens des dépenses importantes en intégration de systèmes

se trouve d'abord dans le support à des actions humaines (plus complexes aujourd'hui),

comme la vente croisée.

Les grandes banques et coopératives de crédit vivent cette intégration dans les

deux dimensions horizontale et verticale. Horizontalement, l'état-major doit devenir

véritablement interdisciplinaire, organisé en fonction de couples produits/marchés;

verticalement, il s'agit d'améliorer la communication et les mécanismes de coordination

entre la base opérationnelle et le sommet.

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Espaces de la stratégie et TI 246

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- «On a participé, le marketing, avec un directeur des projets spéciaux

qui a géré, pendant pratiquement un an ou 8 mois, un comité de travail visant à définir l'utilisation optimale du fichier central client. Donc, ça faisait intervenir les gens en informatique, des gens de différents niveaux dans le réseau de succursale, des gens de formation, des gens de marketing, des gens d'opération et système et des gens de produits.

Tous ces gens-là ont dû cheminer et faire un cheminement assez pénible je dois dire où d'une part il y avait des problèmes de manque d'information, il y avait des problèmes de communication gap je dirais où les gens à saveur technique avaient un niveau de langage qui n'était pas accessible pour les autres. Aussi, au niveau de l'information, au niveau de la connaissance de ce qui se passe dans le champ, on s'est aperçu après qu'on a eu parfois deux ou trois rencontres où on était partis sur la mauvaise piste et puis il a fallu tout à fait oublier les pistes qu'on avait déterminées».

Les extraits ci-dessus font référence à ce besoin de communication et

d'intégration horizontale. Plus concrètement, la Banque Mutuelle expérimente une

structure radicalement différente : des dizaines de postes de vice-présidents et

directeurs fonctionnels sont abolis, il ne reste qu'une vice-présidence réseau (où

travaillent des équipes pluridisciplinaires en fonction des couples produits/marchés),

une vice-présidence informatique en décroissance (et qui doit attendre la définition des

besoins informationnels de la vice-présidence réseau) et une vice-présidence à

l'administration interne.

Une autre organisation a également favorisé l'intégration verticale en créant une

vingtaine de directions régionales qui assurent les contacts avec les milieux d'affaires

régionaux et la communication entre les succursales, l'informatique et le sommet

stratégique.

Vers une configuration de l'interface au niveau des activités

Dans l'espace programmatique, les stratèges ne travaillent plus leur stratégie à

partir de leur vision, de leur pouvoir, de leurs actions sur les autres. La vision est

devenue construction d'un «fit» avec l'environnement à partir du repérage stratégique

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Espaces de la stratégie et TI 247

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et technologique de l'environnement; l'action directe du leader est - en partie -

remplacée par le plan (surtout pour l'informatique qui doit plus que jamais justifier ses

coûts) et les stratégies-programmes.

De nouveaux stratèges font leur entrée dans ce nouvel espace de la stratégie :

directeurs-trices régionaux, directeurs-trices des grosses succursales, nouveaux

directeurs, nouvelles directrices (ex : directeur de produit «plastique», directeur de la

qualité) ou vice-présidents ou présidentes d'un état-major pluridisciplinaire.

Le nouvel espace programmatique présente de nouvelles dimensions politique,

instrumentale et théorique. Mais il nous paraît être d'abord un nouvel espace

instrumental (plus de 70% des codes «EP») où les nouveaux pouvoirs et les nouvelles

théories sont encore mal définis.

Une des raisons de ce déséquilibre entre les dimensions de l'espace

programmatique (alors que l'espace vide présentait un relatif équilibre) réside dans le

niveau où cet espace se développe : surtout au niveau du management intermédiaire et

des directeurs de succursales (alors que presque toutes nos entrevues se sont déroulées

avec des vice-présidents-tes chargés-ées de fournir de nouveaux outils de gestion aux

succursales).

La dimension politique en succursale

- «Donc, on utilise maintenant une base de données et une plate-forme

technologique lui permettant l'exploitation. Lui permettant donc l'information de gestion par la succursale, c'est rendu là aussi, et ça les succursales le demandent. Celles qui sont le plus aux prises avec, je dirais un marché féroce, plus difficile, qui voient qu'on a besoin de plus en plus d'avoir un plan stratégique. Donc de ne plus gérer à l'oeil, mais d'avoir une stratégie arrêtée. Avoir des plans d'action, mettre dans le coup le personnel et y aller de façon très organisée. Alors ce qu'elles veulent, c'est une base de données qu'elles vont pouvoir exploiter elles-mêmes. Et les rapports, les rapports statistiques, je dois en avoir comme succursale pour assurer la continuité de certaines opérations. Il y a des rapports informatiques qui doivent continuer à être programmés et à être distribués dans la succursale. Sauf qu'il y a des rapports d'exploitation de données, ça laissez faire! «Donnez-moi ma base de données, donnez-moi des langages conviviaux et moi je vais l'exploiter ma base de données; donnez-moi une plate-forme technologique qui va me permettre d'ajouter des fonctionnalités que je juge importantes...bon....un agenda, un agenda de rappel des succursales. Ça, c'est l'avenir».

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Espaces de la stratégie et TI 248

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Politiquement, les succursales ont maintenant obtenu une certaine légitimité ou

une légitimité certaine (en fonction des organisations) pour définir et promulguer leur

propre stratégie sur le marché des particuliers et sur le marché des prêts d'affaires.

Tout cela suite au décloisonnement et à une concurrence de plus en plus dure.

La dimension instrumentale en succursale

Le code qui revient le plus dans les entrevues pour désigner la dimension

instrumentale de l'espace programmatique est celui de la formation ou des programmes

de formation.

- «Est-ce que ça veut dire que le siège social va développer une

politique globale de formation, de mise à jour? - Nous sommes actuellement en pleine turbulence à ce niveau là. On peut

dire une turbulence positive en ce sens que c'est juste de ramener toute l'organisation à un effort organisationnel pour réaliser ça (au niveau de la formation). Mais on pourrait dire que les trois dernières années, compte tenu de notre processus de fonctionnement, ça a été un environnement de travail où il s'est fait des travaux d'orientation, des discussions, des échanges... de la circulation de l'information. De manière démocratique ça a été beaucoup discuté et je pense que là on est dans une phase où les succursales disent «Là on est prêts. On est prêts...arrivez avec vos outils...ça presse».

Les moyens d'agir changent; des choix sont à faire en fonction de ressources plus

rares. Là où c'est possible, le processus de planification fonctionne, comme en

informatique :

- «C'est bien le fun tu sais, on en met deux fois plus (de guichets

automatiques), 10 millions! Mais si on met 10 millions là, on ne peut pas mettre de P.C. dans les succursales. On ne peut pas déployer, tout implanter, donc il y a des choix. Il y a des choix, très, très critiques, parce que là, dans notre plan stratégique, on a essayé de donner des dimensions à ça. On dit exemple, ce qui est le plus important, c'est l'efficience des opérations dans les succursales? Est-ce la qualité du service à la clientèle ? Ou le développement des affaires ? C'est dans quelle séquence qu'on doit le faire : t'es dans quoi? Et par où on commence? ».

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Espaces de la stratégie et TI 249

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Un autre instrument typique de l'espace programmatique en succursale, c'est

l'utilisation du FCC, non seulement par la fonction marketing au siège social, mais aussi

par la succursale :

- «Donc, vous avez un seul système de base de données qui permet de

créer ces relations-là entre différentes vues.... - C'est ça, c'est un logiciel qu'on avait acheté à l'époque. Alors, c'est le

début d'un dossier client. Ce n'est pas le dossier client dans la définition que vous lui avez donnée parce qu'il n'est pas encore enrichi de toute une série de données qui pourraient être socio-démographiques, de données sur d'autres produits pour en faire un outil de vente. Mais c'est un outil sur une base opérationnelle. OK., on n'a pas nous à faire des grandes recherches, si un client vient chez nous on a immédiatement un portrait de l'ensemble des produits qu'il détient chez nous».

Un autre élément décisif qui a été à la base de la transformation de l'espace vide -

dans lequel les succursales n'avaient qu'un rôle de figurant - en un espace

programmatique a été un nouvel outil, un nouvel instrument qui a permis à la

succursale de mieux se représenter dans son environnement : la microtechnologie.

Micro-ordinateurs, réseaux locaux, serveurs locaux et logiciels d'aide à la décision et à la

planification ont transformé l'espace de représentation de la succursale. De durs

combats politiques se sont d'ailleurs déroulés entre les sièges sociaux et les succursales

pour obtenir le déploiement local des microtechnologies.

- «Je voudrais rajouter quelque chose. Il faut dire qu'il y a eu quand

même certaines tentatives (concernant la micro-informatique). Tentatives, notamment de normalisation. Ça a causé énormément de difficultés. Et actuellement on va dans la décentralisation des bases de données.

- Sauf que c'était à l'étape de la centralisation. On avait une informatique qui était centralisée, tout le développement d'une succursale à l'autre devait, il devait être uniforme, uniforme... ça a causé des problèmes qu'on connaît là, dans ... L'orientation qui est prise actuellement, c'est vraiment la flexibilité. Tu mets à la succursale son information à elle, chez elle et après ça on la supporte pour le développement, et là on s'attend à répondre à leurs attentes et à pouvoir continuer avec celles qui le veulent».

En plus des programmes de formation aux technologies nouvelles, les

programmes de gestion du changement doivent voir le jour. Les tâches sont redéfinies

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Espaces de la stratégie et TI 250

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pour permettre un travail plus flexible. Vingt années d'ancienneté ne donnent plus le

privilège d'être le ou la spécialiste des prêts hypothécaires :

- «C'est entendu que la personne qui elle, bon ça fait 20 ans qu'elle est là,

puis elle a commencé aux dépôts, puis ça il n'y a pris 10 ans pour arriver aux prêts personnels puis un autre 5 ans pour arriver aux prêts hypothécaires. Puis là, elle est rendue là, ça fait rien qu'un an, puis toi t'arrives puis tu lui dis «ça existe plus, vous vendez de tout». Elle a bien de la misère à avaler ça. Mais c'est...le défi c'est de mettre en place justement le programme de communication puis de formation adéquat pour....pour former les gens justement puis les faire embarquer dans ce nouveau mode de fonctionnement là et le faire sans laisser d'ambiguïté puis sans laisser les gens devenir froissés de ça.

- On est dans ce bouillonnement là actuellement. Ça modifie carrément la répartition des responsabilités puis la hiérarchie plus ou moins informelle qui peut exister à travers ces répartitions là dans les succursales dans la mesure ou...avant bien parce qu'on avait pas d'outils pour supporter nos ventes. On avait des gens qui étaient experts par produit. Puis là, on fait promener notre monde. Si tu veux une hypothèque va voir le gars d'hypothèque, si tu veux un prêt personnel va voir le gars du prêt personnel. Là, on dit on veut plus de monde, ils vendent de tout, puis on veut justement favoriser la vente croisée. C'est plus difficile de favoriser la vente croisée quand il faut tu changes de gars de bureau pour passer du prêt hypothécaire au prêt personnel».

- «On a trituré la mode de la qualité totale et la preuve est à faire avec les

mêmes gens, les mêmes idées, la même formation, les mêmes oeillères qu'on va obtenir une fécondation différente... si on leur donne les moyens et qu'ils sont sérieux!».

Tous les outils pour reprogrammer les actions dans la succursale sont

développés au siège social ou au bureau chef. Quelques grosses succursales jouent bien

avec l'idée de se fournir elles-mêmes de logiciels ou de programmes de formation, mais

l'effort des sièges sociaux est patent pour instrumenter le nouvel espace

programmatique. Un des exemples de ce souci du siège social est la création d'un FCC

local pour la succursale et la mise en place d'une plate-forme informatisée de vente.

- «Avec cette plate-forme informatisée de vente là, on vient de... de rendre

accessible une expertise qui avait été aux sièges sociaux. Et là on avait cette ..., cette contrainte de technocrates qui parlent une langue, et qui reçoivent des mandats pour faire un tel type d'activité qui ne correspond pas aux préoccupations

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des gens qui sont «line». Et lorsqu'on vient de donner aux gens «line» presque des outils de travail que les gens «staff» ont à leur disposition. Là, on vient de parfaire ce que j'appelle moi un transfert d'expertise.

- Pour rapprocher la solution du problème? - Et avec un support naturellement des bureaux chef qui seront toujours

là finalement pour supporter les succursales et très, très vite, à mon avis, la succursale va aller très, très loin à ce moment là. Et je serais pas surpris moi de voir dans certaines succursales les directeurs du marketing, la fonction marketing, la fonction vente sous leur responsabilité».

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Espaces de la stratégie et TI 252

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La dimension théorique en succursale

En fonction de ce nous avons vu dans la littérature sur la recherche du «fit» ou la

recherche de l'ajustement réciproque de l'organisation à l'environnement, nous devrions

retrouver dans nos entrevues des unités de sens qui font état de cette dimension

théorique de l'espace programmatique. Or il n'en est à peu près rien. Les extraits que

nous retrouvons appartiennent en majorité à une entrevue de contrôle effectuée avec un

consultant «senior» dans le domaine de l'informatique bancaire. Il parle de simulation,

d'étapes de développement, du modèle de Nolan... Mais personne, à travers les

questions portant sur le FCC, ne révèle un modèle ou ne se réfère à un modèle

théorique précis. Au mieux, il est question de résoudre un puzzle technico-

organisationnel entre FCC et microtechnologie d'une part et formation du personnel

d'autre part. Mais comment seront définis les segments de marchés prioritaires,

comment seront fixées les priorités pour l'allocation de ces ressources en fonction des

objectifs? Qui définit les objectifs? Pour le moment, l'espace programmatique est

essentiellement instrumental.

- «Des comportements stratégiques au niveau de la succursale qui

vont être révélés... - Ah, mais c'est sûr! C'est ça. - Qui vont être révélés à travers ces outils-là. - C'est sûr, c'est officiel. Moi, je peux vous donnez un exemple dans la

campagne des régimes. Dans la campagne des régimes, j'ai acheté un régime dans une succursale de la banque. ... Le directeur de la succursale m'a appelé sur le champ et m'a dit «Tu as acheté ton régime. Pourquoi que tu achètes seulement un régime de 1000 $ et tu as le droit d'acheter un régime de 3500 $. L'autre régime, j'ai regardé dans le fichier et tu ne l'as pas pris encore?» Je lui ai dit «Veux-tu te mêler de tes affaires! ». J'avais l'intention de les acheter dans une autre succursale. Il me dit au même moment «Je veux juste que tu me donnes le OK. Je vais t'envoyer les formulaires par la poste et on va tout centraliser cela à la même place. Je deviens ton banquier, je m'occupe de toutes tes affaires».

- «Quand on regarde l'évolution dans l'organisation du dossier client

intégré, est-ce qu'on remarque des défis structurels, organisationnels, culturels, stratégiques qui sont différents ou qui sont plus ou moins similaires?

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Espaces de la stratégie et TI 253

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- Non...là le défi est très différent. Le focus est à la bonne place pour absorber puis bien exploiter ces outils-là. C'est justement plus cette nouvelle orientation là qui a été... on a vu cette orientation-là puis on a dit technologiquement, c'est elle le meilleur support qu'on puisse donner à cette direction là que la banque nous a donnée et c'est ça qui a donné naissance à la conception puis au développement de ces outils-là. C'est en support à ce changement d'orientation puis de philosophie-là que ce programme là a vu le jour, puis a été évidemment immédiatement acheté par l'organisation compte tenu de l'orientation qu'on voulait prendre. Mais là, le défi auquel on fait face c'est véritablement un défi de déploiement, de formation, de démystification, de... Lui (ce défi) amène nécessairement une réflexion profonde à revoir complètement la façon dont on distribue nos produits. Physiquement, ça va jusqu'à l'agencement physique des succursales en terme de postes de travail, en terme de caisses....un comptoir, a-t-on encore besoin d'un comptoir?».

Le test qualitatif de la configuration de l'interface

La configuration mixte de l'espace programmatique et d'un dossier crucial

comme le fichier client intégré est en train de se construire. Cette configuration ne peut

pas se calquer sur le fonctionnement politique, pratique et théorique des banques

actuelles : pour s'installer, cette configuration exige le changement.

Changement de légitimité d'abord. L'espace programmatique doit mettre de

l'avant un processus de planification stratégique moderne qui laisse aux succursales

une marge importante d'autonomie. L'impulsion ne doit plus venir de l'informatique et

des fournisseurs spécialisés : c'est aux gens de succursale, de marketing et, dans une

moindre mesure de planification stratégique, qu'il revient de mener les développements

dans ce domaine. La configuration mixte qui se met en place autour du fichier central

client est complexe (voir la figure 6.1.). C'est en fait une hiérarchie enchevêtrée où les

succursales doivent prendre des initiatives sur le marché à partir des données du fichier

central client tandis que les managers au sommet veulent conserver une cohérence

dans les stratégies déployées. La configuration est complexe aussi à cause du marché.

Ce dernier est décloisonné et, dans la mesure où des offres jointes de produits sont

possibles, les succursales doivent, par exemple, à l'aide du fichier central client,

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Espaces de la stratégie et TI 254

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marquer des points dans la vente d'assurances aussi bien que dans la vente

d'hypothèques.

L'offre de services conseil va exiger la réorganisation de la succursale au profit

des nouvelles activités de conseil qui devront bénéficier, avec les opérations courantes,

d'un environnement bureautique évolué et de nouvelles applications de type système

expert. La gestion des données a généré et génère encore beaucoup de problèmes sur

les ordinateurs centraux où les systèmes d'information ont été développés par produit.

L'approche client a conduit les informaticiens à mettre au point des plates-formes

«spaghetti», selon leur propre expression, tant l'adaptation aux nouveaux systèmes

d'information est mal supportée par l'ancienne technologie de la gestion des données. Il

y a ainsi changement d'outils informatiques aussi bien que d'outils de gestion.

L'initiative des succursales est applaudie; les directeurs de succursales doivent être des

entrepreneurs; la formation du personnel et son orientation vers la vente est accélérée,

une fonction marketing en oeuvre au sein même de la succursale est encouragée pour

les plus grosses succursales.

La théorie qui guide cette configuration mixte n'est plus la monnaie plastique ou

la banque de demain, c'est le «fit», réalisé localement, de la structure de la succursale,

du marché local et de la stratégie produit/marché.

La configuration est complexe et mouvante : elle concerne de façon inégale les

succursales et elle n'est pas toujours clairement soutenue par les ressources et la

légitimité du sommet. Cette configuration mixte crée de l'incertitude et de l'ambiguïté :

en son coeur, il n'y a plus de solution technologique toute prête comme le guichet

automatique, il y a seulement des données qui attendent, cette fois, une technologie de

l'organisation.

Figure 6.1.

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Espaces de la stratégie et TI 255

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PRÉSIDENTPLANIFICATION

STRATÉGIQUE

V-P

INFORMATIQUEV-P MARKETING V-P FINANCES V-P OPÉRATIONS

Axe principal dela gestion de la

TI pourla représentation

CLIENTSLe

fichier client intégré et l'espace programmatique

Nous allons voir ci-dessous comment la performance des dossiers des guichets

automatiques et du FCC est comprise différemment selon qu'il s'agit d'automatisation

(voir le chapitre 5 et l'annexe D) ou de représentation (voir ce chapitre 6 et l'annexe E).

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Espaces de la stratégie et TI 256

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Figure 6.3.

AFFAIRES

INTÉGRATIONCOHÉSION

STRATÉGIQUE

TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION

architecture

plate-forme plate-forme

architecture

PERFORMANCE

espace v ide espace programmatique

espace habité

légitimité outils

théories

solutions de la technologie de l'inf ormation pour

l'automatisation la représentation

l'interactionprocessus culture organisation stratégie

clients f iliales marchés concurrents produits f ournisseurs

plate-f orme intégrée

f inancière de positionnement

de capacité stratégique

Le

modèle de la configuration de l'interface

Avec les nouvelles réorganisations, l'informatique est cependant limitée en

ressources, et va vers une décroissance. L'effort est mis sur l'information - qui doit

circuler - et non plus sur l'informatique qui pouvait s'isoler dans son espace vide.

Ce besoin de circulation est bien illustré par les résultats de l'analyse

systématique des réponses aux questions portant sur l'historique et l'évolution du

dossier FCC (voir l'annexe E). La figure 6.2. pourrait se lire ainsi: les informateurs qui

parlent du FCC associent librement ce dossier à l'espace programmatique, aux

processus stratégiques, à l'exigence de l'intégration de la plate-forme électronique, et à

la performance de positionnement. Dans l'espace programmatique, c'est l'aspect

instrumental qui domine les autres aspects de la légitimité et des théories.

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Espaces de la stratégie et TI 257

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Comme nous l'avons déjà observé, l'espace vide se transforme sous la pression

des relations latérales qui sont forcées par le sommet et par la nouvelle intégration

verticale. Les nouvelles relations que l'informatique doit développer avec le marketing

reprogramment l'espace de représentation des informaticiens : ils y perdent de la

légitimité.

Les informaticiens ont dû laisser aller des responsabilités dans le domaine de la

conception et gestion de produits, la gestion des guichets et des TPV, la définition des

besoins... pour se concentrer sur les infrastructures, les plates-formes, et les

télécommunications.

Une autre raison à la transformation de l'espace vide vient des pressions

effectuées par les succursales qui développeent des comportements stratégiques locaux.

Conclusion

Une partie de nos informateurs soulignent la réduction des coûts comme étant la

contribution à la performance des guichets automatiques. Cette réponse est cohérente

avec Parker et Benson (1988) : comme la TI en général, les guichets automatiques ont

été justifiés par un retour important sur l'investissement par la suppression d'emplois

(ce qui ne s'est pas avéré exact dans les entreprises observées) et l'accélération les

transactions et les opérations.

Mais une autre réponse nous est souvent apportée : les guichets automatiques

coûtent cher aux banques. S'ils divisent par deux ou trois le coût d'une transaction, ils

multiplient également par deux ou trois le nombre des transactions de base effectuées

par le client. Les guichets automatiques n'ont pas réussi, au Québec, à faire faire par le

client les opérations courantes qu'il faisait auparavant au comptoir. La contribution du

guichet automatique à la performance se situe actuellement, pour ces managers, en

terme de positionnement, géographique et technologique, à travers une offre de

services courants automatisés et des services conseil personnalisés.

Tous nos informateurs décrivent comme cruciale pour la performance future de

leur organisation le succès du dossier du FCC dans les prochaines années. Si ce dossier

est perçu comme vital, les arguments en sa faveur sont parfois vagues : les

informateurs-trices ne soulignent plus l'impact sur les coûts comme ils ou elles le

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Espaces de la stratégie et TI 258

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faisaient pour le premier dossier. Les gestionnaires sont à la recherche de performance

en terme de positionnement de leurs produits et services. Dans une industrie

décloisonnée, les nouveaux circuits de distribution exigent une structuration des

données en fonction des clients. Le dossier d'information sur le consommateur (CIF,

pour Customer Information File ) doit alors permettre la vente croisée, la gestion des

relations avec le client, l'analyse de la profitabilité des différents segments du marché,

l'aide à la planification stratégique et la rédaction de rapports aux gestionnaires. Le

concept de CIF s'impose avec le réseau inter-organisationnel comme des outils

nouveaux pour la mise au point d'un avantage stratégique de différenciation.

La difficulté qu'ont les managers à formuler un impact précis du dossier fichier

client intégré sur la performance tient à la difficile exploitation du potentiel d'un fichier

client intégré : il devra en même temps assurer la croissance de l'entreprise, son

positionnement sur des segments précis et permettre une offre pro-active de produits et

de services par les succursales.

L'ensemble des réponses à la question 2,2 (qui porte exclusivement sur la

performance du FCC) se retrouve dans le tableau avec les résultats suivants : à peine

10% des vignettes traitent de performance financière (!), alors que la presque totalité des

vignettes traitent de positionnement et de capacité stratégique.

Voici un commentaire d'informateur qui utilise les concepts de la recherche :

- «De l'espace vide à l'espace programmatique, la justification de la

performance change. Auparavant la succursale était acheteuse d'une application informatisée si la rentabilité augmentait et si la tâche effectuée manuellement diminuait. Mais nous devons avoir un regard «marché», ceci explique la nouvelle orientation de la TI; tout est orienté autour de la relation d'affaires... car on nous a habitué à automatiser! La TI nous a desservi!».

Le FCC contribue à mettre en place un espace programmatique au niveau

opérationnel. Le nouveau personnel spécialisé dans la vente est touché : ce nouvel

espace doit lui donner des outils pour formuler rapidement une stratégie de vente

croisée au client qui a peu de temps et qui n'est pas prêt à reconsidérer ses choix. Le

directeur de la succursale profite également de ce nouvel espace qui lui permet de

mieux analyser son environnement compétitif. Le directeur régional - ou son

homologue - est également touché par le développement de ce nouvel espace : il peut

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Espaces de la stratégie et TI 259

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réagir de façon cohérente au niveau d'une région et fixer des priorités en fonction de la

situation régionale.

Toutes les entrevues formelles, les entrevues de contrôle et nos observations sur

le terrain témoignent de nombreuses réserves face à la construction de ce nouvel espace

programmatique. Les décideurs semblent ne pas concevoir qu'avec les nouveaux outils

doit venir une légitimité renforcée pour tous ceux et celles qui doivent, à leur niveau,

formuler et mettre en oeuvre la stratégie. De la même manière, la réflexion théorique

sur le positionnement à réaliser sur le marché semble évoluer difficilement. Le

directeur de succursale peut difficilement penser ses propres objectifs sans questionner

les objectifs de la banque.

Un troisième type d'espace de la stratégie, l'espace habité, suscite des options

nouvelles pour tout ce qui concerne la légitimité et la théorie sur la stratégie. C'est ce

que nous abordons dans le chapitre sept.

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Espaces de la stratégie et TI 260

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Espaces de la stratégie et TI 261

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Chapitre 7 La Banque Mutuelle et les dossiers de la technologie de l'information

«Le processus est très exigeant. On parle ici

du concept de la lourdeur du système décisionnel en

soi, n'importe qui... que ce soit la filiale ou n'importe

quel nouvel employé qui rentre a quelque chose à dire.

Ça dépasse la culture organisationnelle; on est pris

avec cet aspect démocratique fondamental.»

[Entrevue avec un responsable des systèmes,

printemps 1991]

Introduction

Le client d'une succursale de la Banque Mutuelle appartient à la classe moyenne;

il ne vient pas à la succursale pour des placements spécialisés. Ce marché de

convenance était un marché captif et peu payant : ce n’est plus vrai aujourd’hui. Ce

marché traditionnel continue d’assurer la stabilité de l’organisation. Dans beaucoup de

régions du Québec, les succursales vivent une concurrence moins vive qu'à Montréal.

De plus les directeurs des succursales se sentent surtout concernés par leur propre

entreprise.

La mauvaise conjoncture et la turbulence du début des années 1990 commencent

cependant à affecter le bilan de la Banque Mutuelle.

L'architecture des affaires

Au tout début des années 80, l'informatique n'est qu'une unité de support tandis

que la fonction marketing est encore absente de l'organigramme de la Banque (figure

7.1.).

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Espaces de la stratégie et TI 262

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Figure 7.1.

L'organigramme de la banque en 1981

En 1982, un secteur de marketing doit être mis en place et le système SAS, le

Système informatique qui supporte les succursales tombe en révision.

Figure 7.2.

L'organigramme de la banque en 1982

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Espaces de la stratégie et TI 263

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Un an plus tard, 1983 marque l’année de changements significatifs : c'est le début

de la planification stratégique et de la vice-présidence marketing (figure 7.3.). Le

sommet de la Banque Mutuelle compose un plan stratégique qui est à la fois un plan

social et un plan d’affaires; ce n’est pas un plan opérationnel. Il y a aussi un plan

stratégique des systèmes qui doit s'accorder au vaste plan socio-économique. Une

tension politique demeure entre la planification de la Banque Mutuelle dans son

ensemble et la planification des opérations qui relève du premier vice-président. Le

plan stratégique global est une aide au processus de planification stratégique local; il

contient une vision prospective.

À l’automne 1984, la Banque Mutuelle entreprenait la préparation d’un premier

plan marketing de trois ans. L’activité marketing exige alors une meilleure concertation

entre les différentes composantes de l'organisation.

Figure 7.3.

L'organigramme de la banque en 1984

Dans la pratique, la responsabilité de définir des objectifs communs à toutes les

unités d'affaires de l'organisation revient au siège de la Banque Mutuelle.

L'établissement des orientations et des priorités se fait toutefois dans le respect des

mécanismes démocratiques grâce à la délégation du pouvoir des membres et au moyen

de rencontres multiples à tous les niveaux, de sondages et de consultations, de

colloques, de réunions d'échange et de travail. Ainsi, les éléments essentiels des

décisions sont-ils, de façon générale, de fruit de larges consensus. Dans cet esprit la

Banque Mutuelle lance en 1988 une nouvelle activité de formation diffusée par câble et

par satellite.

En 1986, l'ensemble de l'organisation se définit d'abord comme un réseau intégré

de services financiers. Depuis la préparation d'un premier plan marketing de trois ans,

l'activité marketing se fait avec plus de cohérence, de dynamisme et de discipline, ce qui

exige une meilleure concertation entre les diverses composantes du réseau. Dans cette

perspective plusieurs nouveaux produits ont été mis en marché en 1986 : soient le RÉER

collectif, la marge de crédit personnelle, la nouvelle carte client ainsi qu'une nouvelle

carte de crédit.

En 1988, le siège social de la Banque Mutuelle - qui compte 2 245 employés -

dispose d’un plan stratégique (1987-1990); des plans plus opérationnels existent au

niveau des régions. La fonction marketing arrive à maturité tant au siège que dans les

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Espaces de la stratégie et TI 264

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régions. On utilise donc des analyses plus fines pour comprendre les attitudes des

consommateurs; on fonctionne avec des enquêtes téléphoniques; on dispose de données

sur les parts de marché et sur la perception des consommateurs... Le plan triénnal

1988-1990 prévoit des investissements de 100 millions de $ qui seront en grande partie

consacrés à la mise en disponibilité de nouveaux services et produits distribués par les

réseaux de télécommunication (les réseaux de transport des données et de la voix53

seront intégrés dans un seul réseau principal) pour permettre le décloisonnement (par

exemple, les échanges succursales - filiale spécialisée dans l'assurance-vie), le paiement

direct, la télématique, la télé-trésorerie, le courrier électronique et la disponibilité du

SAS en direct et en tout temps. En 1988, plus d'un million de détenteurs de la carte

client - qui fait aussi office de carte de débit - effectuent 35 millions de transactions aux

500 guichets automatiques de la Banque Mutuelle.

Le décloisonnement des produits et services représente le défi actuel des

institutions financières canadiennes, et comme le soutient le président de la Banque

Mutuelle : .

En 1989, la Banque Mutuelle se restructure en trois grandes sociétés de

portefeuille. Plus 3 500 personnes sont consultées en vue d'élaborer la planification

stratégique 1990-1992.

Figure 7.5.

L'organigramme de la banque mutuelle à la fin des années 80

En 1990, avec 2 260 employés au siège social, se posent de façon plus aiguë le

problème de coûts de structure de la Banque Mutuelle. Le conseil d’administration

décrète le gel des effectifs à l’échelle de l’organisation; la position du conseil est de

désinvestir dans les activités de convenance et de ne pas investir dans de nouvelles compétences

en conseil financier.

En 1990, la technologie est reconnue comme un support aux priorités

stratégiques de la Banque Mutuelle : . En vingt ans, de 1967 à 1987, la Banque Mutuelle

a atteint un niveau de un milliard de transactions par année mais de 1987 à 1992, ce

53Le réseau téléphonique comprend au début de 1988 plus de 5 000 lignes reliant au-delà de 17 000 postes à

travers le Québec.

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Espaces de la stratégie et TI 265

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total pourrait doubler et passer à deux milliards de transactions/année. Le nombre de

transactions/seconde passerait de 120 en 1985 à 1 000 transactions/seconde à la fin des

années 1990. Le temps réponse par transaction est de 3 secondes en 1992.

En 1990, environ 600 millions de transactions ont été traitées : 284.5 millions de

transactions automatisées (par guichet automatique : 212 millions; par dépôt-retrait

direct : 44 millions; par paiement direct 6 millions; autres : 21 millions) et 332 millions

de transactions non automatisées dont 182 millions effectuées au comptoir et 150

millions de chèques.

En 1988 débute le travail de modélisation et le nouveau plan d'architecture des

systèmes. La problématique de l’intégration de l’information de gestion à partir des

bases de données en finance, en gestion des ressources humaines et en marketing est

abordée.

Plus que jamais, la réforme du système informatique est rendue nécessaire par

l'interconnexion succursales-filiales qu'implique le décloisonnement. C'est pourquoi la

Banque Mutuelle se livre à une imposante refonte du système informatisé qui supporte

son réseau de distribution (SAS). Cette nouvelle infrastructure modulaire et évolutive

permettra de faire fonctionner le système 24 heures par jour, 7 jours par semaine,

d'intégrer de nouveaux services et d'y ajouter la fonction conseil et certaines fonctions

administratives.

L'année 1990 est aussi l'année d'un retournement majeur à la Banque Mutuelle :

l’organisation par marché. Outre le contexte économique difficile des années 1990, une

des raisons qui explique les changements de cap qui se décident au sommet est

l’arrivée à des postes décisionnels de directeurs généraux de succursale qui viennent y

représenter les régions : . Donc au sommet stratégique tout est changé :

Le travail sur la répartition ou le partage des responsabilités dans la Banque

Mutuelle est nécessaire car la structure actuelle coûte trop cher. Faut-il pour cela

supprimer le niveau corporatif ou faire fusionner des régions? L’objectif des réflexions

en cours - en plus de baisser les coûts - c’est d’éviter le cloisonnement, d’être plus alerte,

de réagir plus rapidement. La de la qualité totale peut être une partie de la réponse.

Figure 7.6.

-

L'organigramme de la banque au début des années 90

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Espaces de la stratégie et TI 266

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Dans un contexte de récession, la Banque Mutuelle veut réduire ses coûts; les

héros de l’heure sont ceux qui réduisent les coûts à court terme. Le risque étant qu’à la

reprise économique, l’entreprise soit démunie du côté des technologies.

Rapidement 32 postes de direction sont abolis et remplacés par 6 postes. Le

niveau corporatif se réorganise autour d’unités de produits/services; ainsi il n’y a plus

de fonctions marketing ou finance comme telles mais bien des unités de service aux

particuliers (marketing et vente, suivi des opérations et tarification), service aux

entreprises, service à la gestion (ressources humaines, qualité de service, formation,

immeubles), services automatisés et service de gestion des implantations.

La vice-présidence et la fonction informatique occupent une position moins

centrale que dans les années 1980 : le V-P informatique devient un fournisseur de

services à la vice-présidence réseau. Le personnel de l’informatique est invité à faire de

la réalisation plutôt que de l’analyse des besoins, ce qui se traduit par une attrition de

140 postes sur 840. Ainsi c’est le V-P réseau qui fait, en 1992, une offre de service aux

régions concernant l’informatique.

La première vice-présidence insuffle un grand projet qualité dans l’organisation.

Ce projet part d’un constat : il y a trop de technocratie à tous les niveaux, il faut

rechercher un rapport plus organique avec les succursales. Le contexte des années 1990

est différent. Le quasi-monopole est terminé. Le fonctionnement du siège de la Banque

Mutuelle et des régions doit être repensé; les succursales questionnent continuellement

les coûts des services qui leur sont offerts. Le sommet stratégique compare les coûts de

fonctionnement de l’organisation à ceux d’une banque qui aurait une taille équivalente :

les résultats questionnent sérieusement la technocratie qui s’est développée au cours

des années.

Pour un cadre supérieur : . Les résultats de l'informatique sont souvent

questionnés en assemblée annuelle : .

Au sommet, les années à venir sont remplies d’incertitude. Maintenant que les

décisions concernant la structure sont prises, la perception est que le pilotage se fait à

très court terme et que des changements sont encore à venir. Le début des années 90, ce

sont des années de gel budgétaire, et de gel des emplois tant au siège social que dans

les succursales; un gel également de la fonction recherche et développement, comme le

précise un cadre : . Pour contrôler ses coûts l’organisation mise sur un taux croissant

d’utilisation des services automatisés.

En 1992, avec 52 milliards $ d'actifs et plus de mille succursales, la Banque

Mutuelle compte 1 062 guichets, 7 000 terminaux et 14 500 TPV. Après une quinzaine

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Espaces de la stratégie et TI 267

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d'années d'investissements, les tentatives de refonte du système central ont donné de

maigres résultats. En 1987, les fonctionnalités offertes par le système informatique

central sont les mêmes qu'en 1968-69 : seuls des problèmes de volume ont été -

provisoirement - réglés. Les 150 consultants qui sont intervenus en 1984-1985 sont

finalement remplacés par du personnel de la Banque Mutuelle et en 1989 un plan

d'architecture est accepté par les autorités. Le projet de refonte le plus récent, SAS 2000

(un budget de 100 millions $), va compter de 450 à 350 personnes (vers la fin du projet)

et, pour accélérer le changement, deux vice-présidences distinctes sont mises en place :

la V-P systèmes et la V-P SAS 2000.

La technologie de l'information à la Banque Mutuelle

Les dirigeants de la Banque Mutuelle observent que la succursale devient

d’applications informatisées si leur rentabilité en profite directement, si l’importance

des tâches manuelles diminue et si l’ensemble est parfaitement automatisé. Cette vision

de la TI pour automatiser n’a pas favorisé une vision de la technologie plus orientée

vers le marché. Toute la nouvelle technologie de l’information est tournée vers la

relation d’affaires : .

L’informatique est devenue un empire «à cause d’une abdication des gestionnaires

non-informaticiens qui se sont fait avoir par un langage spécialisé, par une informatique jeune et

sans histoire face à la gestion traditionnelle, plus poussiéreuse : il y a eu un choc de cultures!

C’étaient des livrables clairement définis contre des secteurs mous; des entrepreneurs contre des .

Ce n’est pas juste l'informatique, c’est une couche de spécialistes... c’est le pouvoir de la magie...

l’informatique pour l’informatique éclate dans sa logique de coûts... aujourd’hui, le contexte

économique et financier nous oblige à revenir sur des choses fondamentales ».

À l’échelle de l’organisation, l’informatique est le seul endroit où on a accepté

une centralisation : .

Les télécommunications sont devenues plus stratégiques que les centrales

informatiques; bien sûr la gestion des comptes va rester dans la centrale, mais tout ce

qui est application autour de la gestion va changer. Ces changements se feront à travers

des alliances avec des concurrents parce que tout le monde paie des prix de fous aux

fournisseurs de logiciel et de matériel!

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Espaces de la stratégie et TI 268

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Une corporation, la TI-Banque Mutuelle, a été créée en 1981 pour offrir des

services de traitement informatique aux différentes composantes du Banque Mutuelle.

La corporation gère un vaste réseau de télécommunications raccordé à une centrale

informatique de grande capacité.

En 1983, les revenus de la corporation sont de près de 55 millions de $; elle

emploie 230 personnes; les dépôts ou retraits directs ainsi que les opérations aux

guichets automatiques comptent chacun pour cinq millions de transactions.

Une autre corporation, la TI-crédit Mutuelle, est responsable du fonctionnement

global des opérations de la carte de crédit. En 1983, 17 500 marchands ont adhéré à

cette carte. La TI-crédit compte 325 employés; le nombre de transactions s'établit à 12

millions et demi pour cette année.

En 1984, les revenus de la TI-Banque Mutuelle sont plus de 64 millions de $;

quatre ordinateurs de grande puissance sont ajoutés à la centrale. Les opérations

entièrement automatisées (dépôts ou retraits directs et guichets automatiques) montent

à plus de 17 millions contre 10 millions l'année précédente.

En février 1985, la filiale TI-crédit lance officiellement le terminal au point de

vente (TPV), utilisé cette même année par 1 200 marchands - d'abord comme terminal

de validation, tandis que 19 800 marchands adhèrent à la carte de la carte de crédit de la

Banque Mutuelle. En 1986, la TI-crédit compte 351 employés et le nombre de TPV

dépasse les 3 000.

L'autre corporation technologique, la TI-Banque Mutuelle, est intégrée à la

Banque Mutuelle. Elle devient la . En 1987, le nombre de TPV approche les 4 500 unités

installées chez les marchands.

L'architecture des grands réseaux relève de la Première vice-présidence Gestion

de l'information et réseaux. Sa raison d'être est d'assurer à la Banque Mutuelle la

disposition d'une technologie de pointe pour offrir aux membres des produits et

services compétitifs de qualité aux moindres coûts.

L'envergure de cette première vice-présidence Gestion de l'information et

réseaux est importante. En 1988, elle représente 700 employés (44 % de l'effectif de la

Banque Mutuelle) et son budget est de 129 M $ (65 % du budget total de la Banque

Mutuelle). La vice-présidence Gestion de l'information et réseaux se structure en trois

vice-présidences : la vice-présidence Évolution des systèmes de paiement, la vice-

présidence Développement et la vice-présidence Traitement.

La V-P Évolution des systèmes de paiement assure une planification intégrée des

plans directeurs et opérationnels, la coordination de leur réalisation, et leurs cohésion et

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Espaces de la stratégie et TI 269

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synchronisation avec la stratégie globale de la Banque Mutuelle. La V-P

Développement des systèmes conçoit l'architecture des réseaux et des systèmes

informatiques; un plan triennal de développement des systèmes est élaboré pour

encadrer les architectures systèmes et réseaux et évaluer les investissements requis. La

V-P Traitement des systèmes est responsable des opérations du centre de traitement des

données; elle gère les réseaux de télécommunication et opère le système SAS tout en

participant activement aux études d'opportunités technologiques.

En 1981, la Banque Mutuelle fait l’expérimentation du système de guichets

automatiques. La mainmise du sommet pour implanter les GA sur le territoire heurte le

rationnel des dirigeants de succursales. Le sommet ne pouvait pas prendre ce genre de

décision; il y a eu une très grande contestation. La vision du sommet était celle d’un

réseau optimal de convenance... mais les succursales ont dit : . La promotion des GA ne

s’est donc plus faite sur la base d’un service de dépannage en cas de nécessité mais elle

s’est faite sur la base de la convenance et d’une nouvelle relation avec le client. De 250

guichets en 4 ans, on passera à 1 000 guichets dans les années suivantes en conservant

une moyenne intéressante de 8 à 9 000 transactions par mois par guichet... ce qui a

rebondi sur le système informatique! Vers 1984-1985, le dossier des GA revient

entièrement aux succursales.

Actuellement environ 35 % des transactions sont automatisées et 20 % des

opérations aux terminaux de point de vente se font avec retrait de numéraire.

En 1983-84, une succursale fait ses propres essais d'une imprimante à livret.

Vers la configuration des architectes?

Au niveau du siège social, les fonctions Inspection et Systèmes étaient les deux

fonctions clés. Mais dans les faits, la balance du pouvoir penchait irrésistiblement du

côté des Systèmes. Surtout dans les années 1985-1990 qui furent une période de très

grande croissance pour la fonction informatique. Au début des années 1990, les

autorités en place ont convenu de minimiser cette puissance de l’informatique; il fallut

donc défaire ce qui était en place. L’informatique ne correspond plus, après 1990, qu'à

l’activité de réalisation, de codage alors que c’est la vice-présidence réseau qui parle aux

clients internes : c’est la vice-présidence réseau qui définit les besoins des régions et des

succursales.

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Espaces de la stratégie et TI 270

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Il y avait au début des années 1980 beaucoup de problèmes à l’informatique...

une société d’informatique américaine allait guérir tous les maux... tout en respectant

une gestion décentralisée des données propre aux succursales locales.

Historiquement la Banque Mutuelle a eu tendance à réaliser des systèmes qui

ont pris un temps de développement considérable et qui une fois implantés, ne

correspondaient pas tout à fait aux besoins des utilisateurs... comme le système

comptable qui nécessitait plusieurs années de réalisation à cause de la sophistication

recherchée et des exigences des usagers. La nouvelle infrastructure qui devait, en 1982-

1983, succéder au SAS traditionnel - le système informatique du réseau - devait

permettre une adaptation beaucoup plus rapide à l’évolution des marchés.

À l'époque, au début des années 80, un responsable à la direction des Méthodes

explique d'ailleurs dans le journal de l'entreprise que . Il continue : .

Cette vision des gens de Méthode, politiquement dévoués à l’idéal de

l'autonomie n'était pas celle des informaticiens. Pour un responsable des systèmes de

l’époque : . Et on ne prend pas de risque avec des monstres! .

À la recherche d'un progiciel compatible à leur vision des affaires, les gens de

Méthode découvrent une compagnie américaine qui travaille à l’élaboration d’un

système en cours d’implantation dans certaines banques américaines. Cette compagnie

offre le produit pour . CIS est un système de traitement en ligne qui traite les

transactions en temps réel. Dans un système en temps réel, on peut aller chercher

directement et immédiatement telle ou telle information alors que peu de données sont

disponibles en mode interactif dans le SAS de l’époque.

Pariant sur le succès de ce projet, la Banque Mutuelle crée un Groupe de

référence technique et investit beaucoup de ressources dans l’étude du projet. En plus

de permettre à la centrale de parler à plusieurs générations de terminaux, le progiciel

CIS prendrait en main la gestion du réseau local. À l’aide de nouveaux contrôleurs plus

petits, plus puissants et dotés de leur propre mémoire périphérique, le CIS permettrait à

la succursale locale d’avoir accès directement à des totaux de succursale, de contrôle, au

solde à date, et aux informations de la journée qui n’ont pas besoin de se rendre à la

centrale informatique. En somme, on cherche à décentraliser en faveur du traitement

local; des rapports pourront être produits localement; des banques de données externes

pourront être consultées directement par la succursale locale sans passer par la centrale.

Ainsi en quelques secondes, un caissier pourrait obtenir l’histoire d’une transaction ou

tout le dossier d’un client. Le premier SAS a automatisé la comptabilité des succursales

et a permis de systématiser des services; le nouveau SAS (à base de CIS) permettra de

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Espaces de la stratégie et TI 271

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suivre rapidement les besoins... s’il faut de nouveaux services, il permettra de rendre

disponible la plupart d’entre eux en quelques jours...

Le projet CIS ne se réalisera jamais. Après deux ans, les fonctionnalités avaient

peu évolué et la question de l’évolution de la centrale était devenue criante. C’est le

retour à la raison des informaticiens : . Un consultant ajoute : .

En 1985-86 une équipe d'informaticiens consultants s'attèle à la refonte technique

transactionnelle avec l'implantation du logiciel d'IBM, IMS; la refonte est uniquement

technologique, c’est une montée en puissance et la réalisation d’un certain

décloisonnement technique.

À cette période, dans un contexte de décloisonnement, le Fichier Central Client

(FCC) devient souhaitable. Mais les progrès sont lents pour de multiples raisons. En

1986, les responsables de la Banque Mutuelle constatent : . La firme Digital avait des

applications là-dessus, les succursales les avaient vues en démonstration et les gens de

marketing parlaient d’une gestion intégrée du dossier client pour pouvoir travailler par

segment de marché. Mais travailler à un dossier client à partir d'applications

cloisonnées et en l'absence d'une base de données relationnelle relève de l'architecture .

- - Et s'en servir. - Alors que les mille autres elles [les succursales] ne veulent même pas

rentrer d'informations. Alors même si on avait pensé à un fichier client centralisé et compte tenu que c'est eux nos patrons elles ont dit ...alors elles ne les donnent pas... alors on leur a dit on ne la donne pas c'est inutile de monter des systèmes au coût que ça représente pour une partie seulement . Donc il est préférable à ce moment là plutôt de décentraliser cette partie, si on veut, qui est propre à la succursale et de la faire exploiter par la succursale d'une façon rentable. Alors c'est inutile de faire rentrer un tas d'informations. /.../ Alors c'est impossible de trouver un consensus. Donc ce qu'on a fait, on en a fait une partie centrale celle sur laquelle tout le monde est d'accord et l'autre partie on l'a décentralisée puis on a dit à la succursale .

Cette réalité d'une autonomie locale défait bien des plans au sein de

l'informatique centrale. Mais après coup, ayant bien considéré les changements

organisationnels que suppose l'exploitation performante du FCC par une succursale ou

une succursale, les responsables se demandent si le bon choix n'est pas finalement la

décentralisation complète des données grâce aux micro-technologies (serveur et réseau

locaux). Cette approche exige que la succursale dispose - pour pratiquer la vente

croisée de produits et services financiers - de toutes les données localement, y compris

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Espaces de la stratégie et TI 272

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celles qui se trouvent chez les filiales de l'ensemble coopératif : surtout sociétés

d'assurance générale et d'assurance-vie et de fiducie.

- «Est-ce que par rapport à l'autonomie des succursales, leur sens

de la propriété de leurs données, est-ce que vous pouvez atteindre [vos objectifs de développer un FCC], est-ce que vous pouvez décréter que ça va marcher comme ça, ou bien est-ce que dans les faits ce n'est pas aussi simple que pour une banque , par exemple.

- Non je pense quasiment que ça fait appel à la même technologie dans le fond. /.../ C'est sûrement par rapport au décloisonnement, il faut le voir nous autres à l'inverse de ce que la banque... de la façon que la banque le voit. C'est à dire que chez nous, il faut que les informations soient accessibles, il faut que la succursale ait l'ensemble des informations qui sont contenues dans les sociétés filiales et non l'inverse. Ce ne sont pas les sociétés filiales qui doivent avoir les informations sur le client de succursale».

- «Alors si on veut que la succursale soit la porte d'entrée au

décloisonnement, aux quatre piliers, il faut nécessairement qu’elles puissent guider, informer, les guider vers la bonne personne. Actuellement ce que les gens ont, ce sont les catalogues, les brochures ou les listes de noms, puis ce n'est pas possible de travailler de même, c'est pas possible d'être efficaces. On peut donner des bons guides, mais bien guider, bien informer enfin on fait 3, 4 personnes dans une journée c'est pas possible. C'est essentiel que ces outils là de prise à la décision, d'information soient là».

Finalement la décentralisation complète semble avoir des avantages du côté du

développement de réseaux plus puissants de communication :

- «Parce qu'aller travailler dans une base centrale de façon interactive va de même... sur des données de cette longueur là, ce n'est pas économique du côté réseau. Quoique les réseaux se soient beaucoup améliorés dans les dernières deux, trois années. Les réseaux de télécommunications, les gros tuyaux maintenant nous permettent - mais il faut penser que ce n'est pas juste entre deux centrales - on ne peut pas envoyer un gros tuyau jusqu'à une succursale... hein... c'est... c'est encore du cuivre qui va à une succursale, ce sont des petits fils, ce sont des lignes lentes. Alors pour être en mesure d'avoir des gens au service conseil, des gens de marketing dans une succursale qui décident de cibler leur campagne REER par exemple, bien là ils ne peuvent pas travailler avec la centrale, ce n'est pas possible. Il faut qu'ils se fassent descendre ça localement puis qu'ils se programment... ils le font eux-mêmes... pour qu'ils puissent cibler leur clientèle».

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De gros travaux d’architecture sont entrepris par un groupe qui comptera près

de 50 personnes; finalement ce groupe Architecture sera aboli par la vice-présidence

Systèmes alors que les du nouveau noyau SAS 2000 restent à construire.

Qu'est-ce que cette nouvelle refonte, SAS 2000? En 1990, il y avait du rattrapage à

faire : il y avait 5 ans d’attente sur certains produits et tout le système était à refaire dans

son ensemble pour travailler efficacement en temps réel et décentraliser la gestion des

données. De 1985 à 1987, l'informatique avait travaillé à la révision du système en

direct; de 1987 à 1989 les grands dossiers concernaient de nouveaux produits comme le

compte à rendement croissant, les marges de crédit, le paiement direct et le nouveau

système comptable. La refonte qui s'initie en 1989 (le projet SAS 2000) suppose la

révision de l'ensemble du système informatique et la mise en place des infrastructures

nécessaires à l'évolution des succursales pour les dix prochaines années. Il s'agit de

permettre aux succursales de réaliser une offre pro-active de services à leurs membres

dans un contexte de relations d'affaires plus spécialisées.

Le projet SAS 2000 rendra disponible une plate-forme centrale et laissera les

régions faire le développement d’applications locales; en plus le siège social aura

dessiné l’infrastructure de communications.

Le projet SAS 2000 comprend deux grandes parties importantes : l'axe central et

l'axe local.

L'axe central comprend cinq grands projets d'infrastructure. Le premier projet

vise la simplification des programmes et l'élimination de la duplication de certaines

bases de données. En plus d'une redondance des données, la technologie des années

1990 imposait le traitement en double de toutes les opérations : en direct et en différé.

Dorénavant, toules transactions s'effectueront en temps réel (avec comme conséquence

immédiate que toute transaction devient effective au moment de son exécution), ce qui

est une étape clé pour permettre d'autres développements. D'autres améliorations

apportées à la plate-forme centrale concernent la mise en place d'un support

technologique pour le décloisonnement : des liens électroniques seront ainsi établis

entre la centrale et les sociétés filiales. Enfin le projet permettra l'accès à des bases de

données comparatives et aux statistiques d'opérations et le projet vise la rationalisation

de la distribution et des coûts des rapports.

Les grands projets fonctionnels consistent dans l'établissement des liens entre les

comptes d'un client pour obtenir son profil financier local par succursale, et ce en une

seule opération sur le terminal. Les succursales pourront par la suite développer des

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Espaces de la stratégie et TI 274

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applications pour compléter l'information sur le client, établir des liens entre ceux-ci et

automatiser la demande d'adhésion et la demande d'emprunt. Un autre projet vise

l'introduction de nouveaux services, la révision des services existants, la

personnalisation des services et leur tarification. D'autres projets vont permettre

d'ajuster les caractéristiques des produits et des services pour personnaliser une offre de

services.

L'axe local est la grande nouveauté des années 1990. Il rejoint par son ambition

de décentralisation et d'autonomie locale l'esprit de la refonte - non réalisée - des années

1982-83.

Le projet SAS local permet aux succursales de gérer l'ensemble du processus

concernant les applications locales et les équipements requis54. La base de données

locale sera mise à jour quotidiennement par la centrale; l'interaction avec les

applications développées dans les régions sera également possible.

Les investissements dans le SRC local doivent être effectués par les succursales et

il leur restera la responsabilité de mettre en place les conditions de réussite du SAS

local : mobilisation du personnel, formation des employés, identification des

informations requises pour connaître le client, réorganisation du travail, suivi de la

récupération des bénéfices et contrôle de la qualité de l'information.

La Banque Mutuelle se dirige - si tout se réalise comme prévu - vers une

technologie simple à utiliser, transparente, évolutive, facile à gérer par les usagers. Il ne

saurait plus y être question d'une centralisation du développement ou de l'information,

situation qui prévalait dans le passé.

La structure de fonctionnement de la vice-présidence SAS 2000 est souple, mobile

et composée de six groupes (voir figure 7.8.) qui sont en relation étroite avec les usagers.

La vice-présidence SAS 2000 adopte une structure de type , d'une durée de trois

ans, dans laquelle oeuvrent trois cents spécialistes, répartis en équipes multi-

disciplinaires, dont la composition varie selon les projets. Deux comités représentent

les usagers : le comité aviseur et le comité d'acceptation des systèmes.

Le comité aviseur relève du premier vice-président et se compose de six membres

du CA de la Banque. Ce comité établit les priorités de développement, assure le suivi

des budgets et prend les décisions en rapport avec les orientations de l'entreprise.

54La plate-forme locale est une plate-forme technologique qui comprend les éléments suivants: OS2 EE pour

le serveur; Token Ring pour le réseau local; DBM pour la base de données; DOS Windows pour les postes de travail

moyen de gamme et OS2/PM pour les postes de travail haut de gamme. Un lien direct entre la plate-forme locale et

la plate-forme centrale sera assuré: le contrôleur 4702 ne servira plus d'intermédiaire.

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Espaces de la stratégie et TI 275

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Figure 7.8.

Le fonctionnement du projet SAS 2000

Comme dans les autres unités, la vice-présidence SAS 2000 adhère

systématiquement à un vaste projet Qualité. Le souci de la Qualité exige la remise en

question des façons de faire. L'application du concept de qualité se fait à travers la

mobilisation du personnel, la satisfaction des besoins et la participation des clients, la

définition de nouveaux modes de fonctionnement.

La Banque Mutuelle comme la banque X, son concurrent principal, risquent

pourtant de ne plus être compétitifs sur une base de produits/services. Des discussions

progressent entre ces compétiteurs pour mettre sur pied un projet conjoint de centrale

informatique. Il y a auprès des cadres supérieurs de la Banque Mutuelle une certaine

volonté d’explorer cette direction mais les gens se sentent menacés de perdre des

morceaux de pouvoir advenant cette solution. Jusqu'à présent, la pratique d’Interac (le

consortium de mise en commun des guichets automatiques et des terminaux au point

de vente) est une pratique qui se fait en terrain neutre; personne n’est touché chez soi et

les concurrents y partagent une même compréhension de la menace que constituent les

réseaux de commutation des transactions des grands détaillants américains... Interac,

c’est une volonté commune de se défendre.

L’après SAS 2000 ou l’avenir des technologies et des systèmes une fois le projet

SAS 2000 terminé ne comporte aucune certitude. La technologie risque de ne plus avoir

de porte d’entrée dans l’organisation. Des cadres informaticiens prédisent un avenir

difficile pour les dossiers technologiques au sein de la Banque Mutuelle : .

GESTION

PLAN ETCONTROLE

CONCEPTION

ESSAIS

UTILISATEURS

RELATIONSCLIENTELEA

B

C

Réalisation de projets

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Espaces de la stratégie et TI 276

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Une nouvelle vision de la fonction informatique marque l’année 1990. Il s’agit

tout d’abord d’y faire respecter les normes de travail qui sont en vigueur partout

ailleurs dans l’organisation. Le rôle de l’information c’est maintenant de faire une offre

de service sur les besoins en informatique définis par la vice-présidence réseau; de faire

une offre chiffrée pour les coûts d’opération et de maintenance. Un système de

fonctionne sauf pour le développement des applications.

La Banque Mutuelle a décentralisé le développement dans les régions, avec des

résultats parfois mitigés; c’est en fait un pari qui est pris sur les capacités de

développement des régions.

Les investissements dans réseaux de télécommunication ont permis l'absorption

des effets du déploiement rapide des nouveaux produits et services. Ainsi la Banque

Mutuelle a-t-il pu entamer le décloisonnement des services fiannciers dès la fin de 1987,

devançant ainsi la concurrence. Deux nouveaux types de produits sont offerts à la

succursale cette année là : le régime d'assurance-vie et le service d'assurance automobile

et habitation. La popularité de ces produits est telle lors de leur lancement qu'elle a

déclenché une vaste campagne de lobbying par les concurrents!

L’approche conseil est mise de l'avant dès 1985 : 70 % des efforts d’une

succursale devraient porter sur l’approche conseil. En fait, vers 1984-1985, les

gestionnaires au sommet ont le souci de transférer de façon systématique les opérations

de succursale vers la machine et de penser au rôle conseil de la succursale dans une

offre intégrée et pro-active... qui voit des débuts de réalisation dans les années 1990.

Cette nouvelle vision de la succursale est aussi une transformation de son espace

physique : la fonction conseil exige un aspect plutôt que comptoir et la présence de tout

un appareillage pour les services de convenance, dont les guichets automatiques. C’est

un pas vers le concept d’une succursale semi-automatisée; les concurrents en ont des

prototypes, les succursales suivent une vision plus traditionnelle.

Dans les années 1990, la concurrence va se porter, au niveau de la succursale, sur

l’intangible : .

Le , c’est l’échange, un échange avec le client qui prend du temps; en plus il faut

aujourd’hui aller chercher le client, faire du marketing direct; communiquer avec des

gens qui ont un nom et un profil de comportement. Cette importance cruciale du

marketing impose une bonne connaissance de ce qu’il y a dans la base de données. Ces

données, pour un responsable du marketing : Tout cela est d’autant plus important

qu’à la mécanisation / automatisation (le transfert machine/machine : par exemple

d’une trieuse de chèques vers le traitement de l’image) s’est ajouté le libre service (le

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Espaces de la stratégie et TI 277

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transfert de la fonction de la caissière vers le client). Ainsi plus l’entreprise offre de la

convenance - plus automatisée et plus de libre service - plus elle augmente ses capacités

de convenance, plus elle éloigne l’individu. On observe ainsi un bassin important de

membres de la Banque Mutuelle qui dit . Ces gens là sont peut-être les précurseurs

d’un phénomène plus large : ils sont plus éduqués, mieux formés, aptes à consommer

des produits sophistiqués de placement... les succursales devraient être capables de les

aborder ainsi que tous les membres.

La notion d’offre intégrée est également importante, c’est un autre aiguillon! La

succursale doit aller chercher de la croissance par des produits plus spécialisés,

manufacturés par des filiales. Mais la technologie est loin en arrière de ce concept

d’offre intégrée. Même si on fait des caissiers des conseillers, la technologie en place

leur donne les moyens de consulter seize (16) produits, au début de 1992. En fait la

succursale dispose en terme d’épargne, d’assurances de prêts etc... d’une centaine de

produits. Plus une variété de services sur les mandats, les titres et le change. On

pourrait se rendre à 200/250 produits et services qui ont des frais variables et on

s’aperçoit qu’il y a toute une liste d’attente de produits qui ne sont pas encore entrés

dans le système informatique.

L'espace habité : une troisième interprétation de la cohésion et de l'intégration

Toutes les contributions qui montrent cet idéal de l'entreprise-stratège où chacun

est potentiellement initiateur de stratégies nouvelles passent par les notions de

légitimation () et d'autonomie. L'atelier d'assemblage automobile chez Toyota ou une

division produit chez 3M sont - à des degrés variés - autonomes. Les réflexions et les

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communications faites au colloque de Cerisy (1983) sur le thème de l'autonomie

appliquée à un sujet non-humain (par exemple l'ensemble d'une organisation)

s'accordent sur un point : l'autonomie est paradoxale. Et ce paradoxe s'énonce ainsi :

peut être autonome l'organisation (l'entreprise) qui place la source de sa propre identité à

l'extérieur d'elle-même.

Celui ou celle qui travaille de façon autonome dans une entreprise travaille pour

autre chose que des récompenses ou des craintes de punitions. La source de son travail

est dans le sentiment de réaliser un dessein extérieur à lui-même et extérieur à

l'organisation.55 Dans la banque nous n'avons pratiquement pas trouvé trace de ces

codes dans les entrevues qui portait sur les trois applications des guichets

automatiques, du fichier central client et des systèmes d'aide à la décision de groupe.

Nous avons par contre trouvé une quantité importante de ces codes dans nos entrevues

réalisées au sommet de la Banque Mutuelle.

Le processus est très exigeant. On parle ici du concept de la lourdeur du

système décisionnel en soi, n'importe qui... que ce soit la filiale ou n'importe quel nouvel employé qui rentre... [a quelque chose à dire]. Ça dépasse la culture organisationnelle; on est pris avec cet aspect démocratique fondamental.

Cette vision holistique commence par une façon de percevoir l'information sur l' .

Nous avons demandé à nos informateurs comment ils comprenaient l'utilité d'un

système d'aide à la prise de décision en groupe :

- Et comme on est une entreprise, une banque, c'est très délicat comme

dynamique, c'est très sensible politiquement. Puis en même temps on continue à vouloir être un réseau intégré, donc à présenter une image de grande entreprise cohérente. C'est très bien, on a beaucoup de contradictions. Mais il faudrait quelque chose qui objective et, moi, je vois ça comme ça . On pourrait par la suite qualifier les chiffres mais au moins [objectiver] l'information et ça c'est étourdissant.

Par contre, ... au niveau ici [celui du siège social] là... je vois difficilement

comment cela fonctionnerait, parce que n'importe quel scénario qui sortirait

55Manz (1986) insiste sur ce point: un des facteurs importants de motivation est le .Le fait que l'extériorité de

l'identité du sujet par rapport à lui-même soit la condition de l'autonomie est exprimé ainsi par Manz (1986): . Ainsi,

toujours selon Manz, une usine ayant comme devise se signalait par des travailleurs très motivés et engagés; les

organisations japonaises sont connues pour proposer des fins altruistes à leurs employés.

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Espaces de la stratégie et TI 279

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devrait être validé, devrait être validé dans le processus démocratique. Donc c'est, c'est ... ça n'avance à rien.

Si l'environnement est objectif, l'information qui vient de l'extérieur peut être

organisée en et va permettre au stratège d'adapter ses stratégies aux

menaces/opportunités de l'environnement. L'information est dans ce cas de nature

cybernétique : elle vient l'organisation sur l'environnement. Cette dimension est

supportée par la vignette qui mentionne le besoin d'objectiver, de regarder, de donner

l'effet, de situer le débat.

Si l'environnement est un environnement perçu, l'information provenant de

l'environnement vient tester, mettre à l'épreuve la capacité de jugement du manager.

C'est ainsi qu'il y a beaucoup de groupes de travail qui réunissent des représentants de filiales,

de succursales, de régions et des gens du siège social, qui se réunissent autour d'une

problématique.

Si dans l'espace vide, il n'est question que de la carte mentale du stratège au

sommet, dans l'espace programmatique de la réalité extérieure objective, dans l'espace

habité la carte du territoire doit être construite par l'ensemble des habitants de cet

espace : n'importe quel scénario qui sortirait devrait être validé, devoir être validé dans le

processus démocratique.

Que doivent faire le manager au sommet, et le collectif de stratèges, dans une

telle configuration? Il doit comprendre que la formation de stratégie se produit dans des

groupes et incorpore des perceptions, plutôt que des faits irréfutables.

Sans réduire la stratégie à un phénomène de groupe, sans nier le rôle

prépondérant du leader, la configuration de l'espace habité retient que la formation de

la stratégie se produit à l'intérieur d'un groupe, d'où l'importance de la notion

d'autonomie que nous avons déjà discutée.

Les personnes qui participent au fonctionnement d'un groupe (du groupe des

managers au sommet jusqu'aux groupes de contrôle de la qualité), doivent développer

des habiletés douces ou face aux habiletés dures56.

56Pascale et Athos (1981) retiennent du côté : les habiletés, l'équipe, le style et les grands objectifs (, , , et ),

tandis que du côté , ils retiennent les trois autres de stratégie, structure et système. Nonaka et Johansson (1985)

acceptent, tout en la jugeant insuffisante, cette prémisse de certaines habiletés personnelles qui favorisent un

management à la japonaise. Pour ces derniers auteurs, les doux ne sont pas seuls à caractériser un tel espace

organisationnel. La clé, c'est que ces habiletés font entrer l'environnement dans l'organisation. Un niveau élevé

de partage de l'information sur l'environnement mène à une meilleure qualité de l'information utilisée dans la prise

de décision et à une plus haute capacité de prise de décision. Pour Nonaka et Johansson (1985), les durs sont

impliqués au plus haut point dans l'exercice des habiletés douces.

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- «Mais on avait des gens dans l'organisation en organisation de

méthode, en comptabilité, en ressources humaines qui étaient des gens plus âgés, qui avaient vécu la période de comptabilité de succursale dans certains cas....qui ont vécu l'organisation, la croissance de l'organisation avec une idéologie coopérative. De l'autre côté, mon équipe [en informatique] c'était des gens qui sortaient de l'université et qui étaient souvent les plus brillants de leur classe. /.../ Le côté de l'informatique possédait le...la vigueur...possédait l'outil...puis ils contrôlaient l'outil /.../ Par contre ceux de l'autre côté avaient l'historique, avaient plus de...de feeling politique. Les gens de l'informatique n’ont aucun feeling politique. Alors ça faisait beau...des belles rencontres parfois».

Action autonome, mais action consensuelle. Car c'est le groupe qui agit en se

mettant d'accord sur les moyens de son action.

- - C'est un long cheminement! - C'est un long cheminement...bon...pour les succursales urbaines je

pense qu'on va avoir un autre pattern du réseau de distribution, tranquillement qui va prendre différentes formes, rationalisation soit formelle c'est-à-dire moins de succursales ou soit des échanges de succursales. Puis c'est un petit peu ça mais ce n'est pas formalisé comme voie. Il y a des succursales qui se sont ouvertes sur le marché commercial et il y a des succursales qui se sont données des experts en crédit commercial et qui tranquillement se spécialisent dans le crédit commercial. Et d'autres succursales qui tranquillement commencent à faire des ententes avec la succursale spécialisée.... C'est très formalisé tout en terme d'ententes de services mais informellement ça se vit. Il y a un réseau autre qui est en train d'émerger».

Dans l'espace habité, le consensus est fondamental et porte concrètement sur des

moyens; dans l'espace programmatique, le consensus porte sur des fins, sur une

mission, mais la mise en oeuvre n'a rien de consensuel, a priori.

Il y a convergence entre les chercheurs qui s'intéressent à la stratégie au-delà de

la conception du (l'espace vide) ou de la programmation de la stratégie (l'espace

programmatique) pour affirmer que la clé, pour créer des comportements stratégiques

autonomes, c'est, avec l'autonomie et l'entrée des informations sur l'environnement

dans l'organisation, la gestion du contexte.

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- «Donc ce qu'on a fait on en a fait une partie centrale [du fichier central client], celle sur laquelle tout le monde est d'accord et l'autre partie on l'a décentralisée puis on a dit à la succursale .

Pour Burgelman (1983), le concept de stratégie corporative représente . La

stratégie, comme articulation explicite des réussites passées, est un paradigme qui

définit un cadre de référence, qui trace une limite au contenu.

Pour conclure ce point sur le contexte, il est intéressant de constater que dans la

réorganisation récente de la banque de l'Est, l'implantation de 21 régions comprenant

leur propre responsable est conçue pour mettre en relation les gens d'affaire des régions

avec la banque; ils sont d'ailleurs membres d'une instance consultative de la banque.

C'est, a remarqué la banque, cette intégration à leur milieu social et d'affaire qui est

encore un avantage décisif de la Banque Mutuelle.

Au total, une cinquantaine de vignettes narratives traitent de légitimité et de

politique d'une façon propre à l'espace habité; nous retrouvons des extraits d'entrevues

qui indiquent l'existence de luttes pour le pouvoir et de processus électoraux à l'interne;

l'existence de groupes de travail, tables de concertation et de soutien du sommet au

pouvoir politique des succursales; nous retrouvons enfin et surtout la confirmation de

la légitimité des succursales et de la résistance politique au changement - vu des

responsables informatique et marketing - que cette légitimité peut engendrer.

- «C'est, c'est, c'est ça qui est aberrant un peu! Chaque région a son plan

de pénétration, chaque succursale suit le plan ou ne le suit pas. Alors dans certains cas ça peut paraître très anarchique, mais ils ont une grande capacité de s'adapter à leur milieu finalement».

Cet espace habité peut paraître souple, flexible, adaptatif par rapport à

l'environnement d'affaire. Mais il est aussi politiquement lourd : là où une banque vit

peu d'enjeux politiques dans la mise en place d'un fichier central client, les luttes autour

de la propriété des données et des applications se développent à travers l'organisation

coopérative.

- «Ça a commencé à peu près en 1988 qu'on a travaillé fort sur ça là. Et

l'idée c'était d'avoir un CIF, un Customer Information File, un fichier client complet. Et il y a des décisions politiques à prendre dans la Banque Mutuelle actuellement [pour arriver à développer le CIF]. Les gens sont au (fait) de ça mais la première, les premières applications vont se faire à l'intérieur d'une succursale.

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On va pouvoir consolider un client à l'intérieur de la succursale. S'il y a plus, s'il y a une succursale, une succursale on va consolider avec ...

- Avec sa succursale... mais pas avec la succursale d'à côté. - Mais s'il y a un compte dans la succursale d'à côté pas avec la

succursale d'à côté. Mais technologiquement l'architecture, la hiérarchisation a été faite pour permettre ça. Mais il y a des décisions politiques à prendre... dans la Banque Mutuelle. Lorsqu'on appuiera sur un numéro de folio, un numéro d'assurance sociale, est-ce qu'on voudra consolider les avoirs et les dettes d'un client dans 2,3,4 succursales, 2,3 régions?».

Le pouvoir de l'espace habité est le pouvoir d'expertise, de maîtrise, d'expérience,

de connaissances; il est relié à ce que Vogel (1979) a écrit sur le management japonais ().

À cet égard, il faut souligner le leadership que quelques succursales peuvent

développer collectivement pour mener à bien des stratégies locales ou régionales, de

façon autonome.

- - Elles [les succursales] s'entendent sur les taux, sur les, sur des éléments

de... qu'est-ce qu'on fait contre tel ou tel Trust qui vient de partir une campagne? Elles ont des, des... des rencontres... également sur : est-ce qu'on fait nos petites campagnes... de recrutement de membres, ou bien qu'est-ce qu'on fait dans l'habitation. Mais elles s'entendent sur un taux. Donc... elles sont dans un processus, à mon avis, de stratégie marketing. Effectivement, 4 prises et 5 prises avec le personnel. Ils se retrouvent souvent 5-6 autour d'une table. Est-ce qu'elles vont être supportées? Moi je, je vois peut-être un filon là [pour les systèmes d'aide à la décision de groupe]».

Cinquante-quatre vignettes illustrent l'aspect instrumental de l'espace habité :

comment, avec quels outils y travaille-t-on concrètement? Nos informateurs-trices

soulignent des changements de structure en faveur de l'autonomie des succursales; la

préparation, par le sommet, d'outils offerts aux succursales conformément à cette notion

d'autonomie - particulièrement la conception d'un FCC qui respecte la gestion locale

des données de la succursale; on souligne également la marge de manoeuvre de la

succursale, son emprise sur ses propres activités - c'est la succursale, par exemple, qui

achète et rentabilise son propre guichet automatique; on mentionne surtout des

pratiques d'action collective entre les succursales ou entre les régions, ce qui est un code

propre à l'espace habité.

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- - Les succursales le comprennent, les corporations le comprennent. Mais

qui va avoir le contrôle du fichier central?».

Les décideurs de la Banque Mutuelle parviendront-ils à s'entendre sur le

développement d'un fichier central client complété à l'échelle de la banque? Leur façon

de préparer une réponse est proche de ce fameux consensus à la japonaise. Une

vingtaine de vignettes désignent l'aspect théorique de l'espace habité : la recherche du

consensus entre les décideurs; l'émergence de stratégie comme phénomène normal dans

cette configuration et la manifestation d'une idéologie de la participation.

Cependant les vignettes qui décrivent l'espace habité n'excluent pas les espaces

vide et programmatique que nous avons traités dans les chapitres précédents. En fait,

autour des dossiers de la TI déployés massivement les deux ou - dans le cas de la

Banque Mutuelle - les trois types d'espace de la stratégie se retrouvent. Dans le cas de

la Banque Mutuelle, la configuration de pouvoir est complexe : il n'y a plus un seul

leader, mais un collectif de stratèges : les directeurs de succursales, de régions et de

filiales, sans oublier bien sûr le président et les conseils d'administration qui opèrent

aux différents niveaux.

À la différence avec les autres configurations de l'espace vide et de l'espace

programmatique, l'espace habité n'offre ni la vision a priori du leader, ni ne permet la

construction d'une théorie du avec l'environnement.

L'espace habité est un espace de création de sens entre les habitants au moyen de

l'interaction sociale. Chacun est convoqué à l'exercice du leadership; il n'y a pas de

programme inflexible mais seulement de l'engagement profond envers l'organisation, et

de l'expression publique sur des améliorations à apporter à la tâche, sur des variations

dans l'environnement ou sur la pré-décision ().

La théorie qui guide celle ou celui qui travaille dans cet espace est l'idéologie du

groupe ou de l'organisation. L'espace habité fonctionne, pour le gestionnaire et les

membres de l'organisation, dans un contexte de légitimisation (

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Le profil des entrevues à la Banque Mutuelle

La Banque Mutuelle est la seule organisation où nos informateurs ont

spontanément évoqué les solutions de la technologie de l'information pour l'interaction.

Le fichier central client concerne des données encore très codées : actuellement ce que les

gens ont ce sont les catalogues, les brochures ou les listes de noms. Mais des parties

d'entrevue ont porté sur la façon de communiquer entre acteurs et décideurs -

localement et au sommet - pour arriver à accélérer et à améliorer les décisions qui

doivent être prises à l'échelle de l'organisation. On ne parle plus ici d'informations très

codées mais de langage, outil de coordination des actions coopératives :

- «Ce nest pas un bureau-chef, nous ne sommes pas un bureau-chef! Je vois ça, moi, une organisation comme ça [comme celle des autres banques] chez nous là! On dit : . On dit, Messieurs, les décideurs, c'est nous autres. Mais c'est une pyramide inversée chez nous. Ce qui fait que s'il fallait se donner un système comme celui-là [un système d'aide à la prise de décision de groupe] /.../ moi je travaillerais beaucoup plus sur comment on va chercher les informations dans chacune de nos succursales pour qu'elles puissent influencer nos décisions. Alors, moi, je travaillerais beaucoup plus de ce sens là. C'est ça notre préoccupation. D'impliquer davantage...faire en sorte que les gens influencent davantage les décisions qui sont à prendre à d'autres niveaux. Et dans ce sens là, au niveau des télécommunications on a pensé des choses, on a vécu des expériences de communication par satelliteà l'échelle de l'organisation etc. Et ce qu'on imagine, c'est plus des situations qui vont nous permettre demain matin d'aller chercher des avis rapidement. Qu'il y ait une communication rapide.

- Des référendums instantanés? - Oui! Parce que c'est ça notre réalité».

- «Et dans ce sens-là, ce qui n'est pas clair, dans mon esprit, c'est de quelle façon, les systèmes qu'on peut envisager, donc mentionner, peuvent très bien s'intégrer dans un environnement où la démocratisation ... l'aspect démocratique de la prise de décisions est important. On n'est pas dans un cercle fermé où on retrouve ... 6, 7, 8 vice-présidents.

- Qui détiennent toute l'information. - Qui détiennent toute l'information et que finalement les actionnaires

ont à entériner. La prise de décision se fait sur une base démocratique. La plupart du temps sous forme de consensus. La plupart du temps... avec une majorité qui

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gagne, donc qui suit, et possiblement dans quelques cas avec... la capacité de «l'opting out". Je veux dire moi je n'embarque pas carrément. Et là on est véritablement dans un environnement démocratique. Le système de, d'aide à la prise de décision doit passer dans cet environnement là, dans ce cadre là, pour une adhésion, un vote... comme tel».

Les succursales de la Banque Mutuelle sont donc des entreprises prodondément

autonomes, mais pour autant en sont-elles arrivées à développer efficacement des

solutions de la technologie de l'information pour l'interaction?

- «Maintenant nous sommes à la troisième génération de l'utilisation de

la micro-technologie ici qui est celle des réseaux locaux indépendants de la centrale. Donc, relation avec la centrale pour les besoins centralisés... indépendant opérationnellement. C'est la seule [solution], c'est là-dessus qu'on s'en va. Je pense que les autres banques devront probablement aller dans cette approche là si elles veulent réellement que leurs succursales soient proactives et qu'elles soient capables de faire face à des spécialistes de services financiers. Parce que les groupes qu'on voit aujourd'hui délaissent la transaction de convenance, ça coûte des fortunes ces réseaux là. Ils vont s'attaquer plutôt à cibler des produits».

Les entrevues réalisées avec des informateurs-trices sont émaillées de références

à l'autonomie.

- «C'est l'autonomie...le mot autonomie c'est un mot clé dans la Banque

Mutuelle. Autonomie du client, l'autonomie de la succursale, l'autonomie des régions, l'autonomie du syndicat, l'autonomie du citoyen; ça va être la démocratie et puis bien des fois ça va à l'encontre de la démocratie. Je ne devrais pas le dire.

Mais c'est un mot important. Ça c'est notre fonctionnement».

La manie de l'autonomie freine les décisions majeures qui concernent

l'informatique centrale. Ensuite il faut explorer cette vignette : . Les succursales locales

et autonomes sont-elles, à leur niveau, de véritables espaces habités susceptibles de

flexibilité, d'apprentissage, de comportement stratégique face à la traditionnelle rigidité

de la succursale bancaire?

Conclusion

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Espaces de la stratégie et TI 286

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La Banque Mutuelle vit une révolution des mentalités; les besoins des

consommateurs sont fragmentés, la gamme des produits et services est très large, le

temps de réaction compte vraiment; le marketing doit être décentralisé vers les

succursales qui, en travaillant avec leurs propres bases de données, doivent devenir des

expertes dans leur marché. La notion de temps est tellement forte qu’elle explique la

disparition des fonctions traditionnelles (ressources humaines, marketing et finance) à

la Banque Mutuelle : l’expert dans le marché doit pouvoir rapidement mettre en branle

l’organisation pour qu’elle réagisse aux urgences perçues à la base. Dans cet esprit un

maximum d’expertise doit être transféré directement à la succursale, il faut

décentraliser et comme l’affirme un responsable du marketing . Ainsi le siège social se

voit comme un ensemble d’équipes inter-disciplinaires de support à l’action locale

(notamment pour les nouveaux produits); d’un autre côté, il redistribue l’information

sur les clients vers la succursale. L’ensemble doit permettre des réflexes plus rapides

parce que la rentabilité et la performance viennent maintenant du temps de réaction.

L'année 1992 devrait marquer la fin des problèmes de capacité et de flexibilité du

système informatique. L’informatique a vécu cette incapacité à satisfaire tout le monde

et chacun... En donnant récemment satisfaction aux succursales, a-t-elle travaillé pour le

marketing et pour les finances?

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Espaces de la stratégie et TI 287

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Espaces de la stratégie et TI 288

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Chapitre 8 Synthèse et discussion «Dépasser ces problèmes de la responsabilité

de l'architecte, ce n'est pas affirmer qu'il ne peut rien

faire; c'est /.../ éviter /.../ de faire assumer l'architecture

par un architecte, mais montrer qu'en un architecte le

concept se montre mais ne saurait se dévoiler.»

Henri Raymond, (1984 : 165-166).

«Ne croyez pas que ce que nous retenons le

mieux c'est ce que nous avons compris facilement. Au

contraire, ce qui est obscur nous accompagne

longtemps. Peut-être toute la vie.»

Michel Serres (entrevue au Devoir, le 19

novembre 1991).

Introduction

Notre recherche portait sur les liens entre la technologie de l'information et les

besoins stratégiques. Par besoin stratégique, nous entendions les besoins de développer

des capacités stratégiques nouvelles, des capacités d'innover, d'accélérer de cycle de

conception-fabrication-distribution et de réduire les coûts.

La technologie de l'information ne répond pas d'emblée à ces besoins. Depuis la

fin des années 80 d'ailleurs, la relation causale entre investissement en technologie de

l'information et performance est sérieusement questionnée tant par les académiciens

que par les gestionnaires.

Notre point de départ pour poser la question des liens entre besoins stratégiques

et technologie de l'information a été le suivant : sans chercher à modéliser une relation

causale, nous cherchions à comprendre comment les organisations se transforment pour

mettre leur management et leurs employés en situation de tirer profit des applications,

des solutions de la technologie de l'information.

La notion d'espace de la stratégie devenait alors centrale pour rendre compte de

cette transformation de la façon de concevoir, de formuler et de mettre en oeuvre la

stratégie, depuis la grande stratégie jusqu'à la tactique. Notre recherche a donc porté

sur les défis internes de transformation de l'espace de la stratégie associés à de

nouveaux déploiements massifs de la technologie de l'information. Les trois

applications, ou solutions, de la technologie de l'information retenues nous ont permis

de former des propositions de recherche.

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Espaces de la stratégie et TI 289

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Retour sur les propositions de recherche

Première proposition:

Les solutions de la technologie de l'information visant l'automatisation des activités et

des procédés et l'espace de la stratégie vide forment une configuration cohérente qui favorise la

réduction des coûts.

Dans la recherche, cette proposition a été opérationnalisée à partir des guichets

automatiques. Les guichets automatiques ont été considérés au début des années 80,

pendant quelques mois, comme des robots qui allaient permettre de "vider" la

succursale de ses employés. Leur déploiement résultait d'une vision du sommet qui

s'appuyait sur une vision stratégiquement "pauvre" de la succursale. Dans cette vision,

la succursale était un ensemble de coûts à contrôler et d'activités à automatiser ; à

l'extrême de cette position, les succursales sont de simples comptoirs alors que les

activités de "back-office" sont regroupées dans des centres régionaux pour des raisons

d'économie d'échelle.

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Espaces de la stratégie et TI 290

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Deuxième proposition:

Les solutions de la technologie de l'information visant la représentation et l'espace de la

stratégie programmatique forment une configuration cohérente qui favorise le positionnement de

l'entreprise.

Le déploiement du fichier central client (fichier central client) accompagne bien

une nouvelle vision stratégique de la succursale. La compétition de banque à banque se

joue sur des marchés locaux, eux-mêmes segmentés, et c'est le personnel de la

succursale (dirigeants, conseillers, experts et employés) qui détient la clé de

l'exploitation du potentiel de ces marchés locaux.

Le fichier central client est venu donner une réalité à cette configuration nouvelle

en soutenant la capacité locale d'analyser les marchés et de planifier une stratégie.

Troisième proposition:

Les solutions de la technologie de l'information visant l'interaction et l'espace de la

stratégie habité forment une configuration cohérente qui favorise la capacité d'innover.

Alors qu'en 1993, les solutions de la technologie de l'information pour soutenir

l'interaction se répandent dans les organisations bancaires canadiennes, il n'en allait pas

ainsi en 1990-91. Le courrier électronique, la bureautique intégrée, les systèmes d'aide à

la décision collective et la téléconférence viennent aujourd'hui soutenir le travail

d'équipe et permettre de repenser l'organisation du travail.

À cet égard, c'est seulement à la Banque Mutuelle que nous avons rencontré des

tentatives importantes de mise en oeuvre des solutions de la technologie de

l'information pour l'interaction, comme la téléconférence. Cette organisation

correspond bien à ce que nous avons appelé l'espace habité.

Avec toutes les réserves d'usage qui accompagnent le design de la recherche, les

trois propositions se sont vérifiées dans les faits. Elles n'épuisent pas cependant pas la

richesse et la complexité de la vie organisationnelle ni la rapidité des changements de la

technologie de l'information.

Les limites de la recherche

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Espaces de la stratégie et TI 291

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Les limites de la recherche relèvent de l'échantillonnage et des méthodes de

recherche utilisées. Ces limites doivent être comprises dans le cadre de la recherche

qualitative, à la fois inductive et déductive dans son déroulement, et relativement

exploratoire.

L'échantillonnage est qualitatif. Le chercheur a voulu étudier des entreprises

profondément différentes qui déployaient des applications semblables de la TI sur le

même marché. Les différences se retrouvent dans leurs structures, leurs stratégies, leur

existence légale (une banque coopérative, une banque filiale d'un conglomérat financier,

et une banque à actionnariat privé), leur histoire et leur culture. Ces différences étaient

nécessaires pour souligner des invariants mais aussi pour capter de la diversité dans la

façon de déployer massivement des solutions de la technologie de l'information. Ces

trois banques se concurrencent sur le même marché géographique, ce qui nous permet

de contrôler de la variance extérieure à la question de recherche.

La méthode des cas, classique en politiques générales et souhaitable en systèmes

d'information, nous a permis d'aller sur le terrain faire des entrevues et de travailler

avec les documents accessibles. L'écriture des cas a permis d'unifier autour de quatre

grands thèmes l'ensemble de ces données: la stratégie, la technologie de l'information,

l'avènement de la succursale stratégique et la réorganisation des activités. La force des

cas réside dans leur validité interne, leur faiblesse dans leur validité externe. Cela dit,

l'approche des cas est la seule qui ne fixe pas de limites ou de frontière a priori à la

découverte d'un phénomène tout en transformant le chercheur en instrument de

recherche de plus en plus informé et habile. Comme observateur attentif, nous n'étions

pas engagé dans une recherche-action. Par contre, nous avons toujours accepté

l'invitation des gestionnaires à échanger sur les objectifs, le cadre théorique et les

résultats attendus de la recherche.

Le seconde méthode, qui vient renforcer l'étude des cas, est l'entrevue en

profondeur suivie d'un codage qualitatif systématique. Cette deuxième méthode,

longue, pénible et coûteuse, a révélé des façons de penser le déploiement massif de la

technologie d el'information. Son apport est inestimable pour approcher des espaces de

représentation propres à chaque gestionnaire. L'utilisation systématique de codes pour

rendre compte des variations de sans a permis de réduire le volume des données, de

visualiser et de comparer, presque instantanément à cause de l'informatique, les

dossiers de la TI, les gestionnaires et les organisations. Autant la méthode des cas a

tendance à nous confiner à la réalité sensible des changements organisationnels, autant

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Espaces de la stratégie et TI 292

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les entrevues en profondeur ouvrent une porte vers la réalité moins sensible, mais tout

aussi importante, de la représentation et du modèle cognitif qui guide l'action. Le

codage des entrevues a été soumis à l'intervalidation de trois personnes : le chercheur,

assisté de deux étudiants ayant terminé leur deuxième cycle en gestion. Ces étudiants

avaient été auparavant initiés, formés et préparés à travailler avec le cadre théorique du

chercheur. La limite méthodologique de la deuxième approche n'est pas tellement dans

le nombre de personnes rencontrées (il y a en effet stagnation et saturation des codes

après une dizaine de personnes rencontrées) mais plutôt dans leur répartition, pour des

raisons hors du contrôle du chercheur. Les entrevues en profondeur ont été refusées -

pour des raisons de temps - à la Banque Métro sauf de la part d'un vice-président; elles

ont été moins difficiles à réaliser à la Banque de l'Est tandis que nous avons profité

d'une grande coopération des gestionnaires de la Bnaque Mutuelle.

Malgré ses difficultés de mise en oeuvre, l'intérêt des entrevues en profondeur

réside également dans la génération - validée - d'une banque de codes qualitatifs qui

permettent d'interpréter rigoureusement un discours sur le déploiement massif d'une

application de la TI. Menées de façon ouverte, rapide et spontanée, les entrevues en

profondeur (qui durent souvent près de deux heures) se révèlent très riches dans les

relations qu'elles font apparaître entre stratégie, technologie, environnement,

performance et espace de la stratégie. Ces codes, dérivés de la recherche, forment une

base solide pour des recherches futures dans le domaine.

Discussion autour des guichets automatiques

Spontanément, lors du tour d'horizon avec nos informateurs, le dossier des

guichets automatiques est relié à d'autres dossiers qui relèvent de l'automatisation. La

haute direction de ces trois organisations lie la problématique des guichets à

l'imprimante de livrets, aux systèmes vidéo de communication avec la clientèle sur le

site de la succursale, aux terminaux point de vente (ou POS pour Point Of Sale ), aux

liaisons téléphone-ordinateur à l'aide des boîtes vocales (audiotexte), à la télématique,

au paiement direct, au réseau partagé Interac et aux réseaux concurrents de transfert de

données initiés par les commerçants (voir annexe D).

Un même phénomène est à la base de ces solutions de la technologie de

l'information pour l'automatisation : les transactions des clients sont de moins en moins

initiées à partir d'un formulaire rempli par un employé mais de plus en plus initiées

électroniquement à partir d'une instruction donnée par le client au clavier d'un guichet

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Espaces de la stratégie et TI 293

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automatique, d'un terminal point de vente, d'un téléphone ou d'un micro-ordinateur.

Ces transactions impliquent d'autres intervenants que le client et son banquier : par

exemple, le marchand qui a vendu un bien ou un service au client et le banquier du

marchand. En attendant la diffusion de la carte à mémoire que le client pourra

recharger dans un guichet automatique, les guichets automatiques émettent déjà des

bons à dépenser (« script money» ) et impriment des cartes mensuelles pour le

transport public (carte CAM). Bientôt les banques compléteront leur stratégie d'offre

globale intégrée électroniquement en connectant directement les caisses enregistreuses

des marchands au détail à leurs ordinateurs centraux, comme ils le font déjà en

acheminant les commandes et en effectuant les paiements des grandes chaînes de

distribution par l'EDI (l'échange de données informatisé).

Un tel système d'information stratégique automatise, partiellement ou

complètement, des opérations et des transactions à l'intérieur ou entre des

organisations. D'un point de vue organisationnel, il se déploie dans une configuration

de l'artefact. Cette configuration est la synthèse techno-organisationnelle des solutions

de la technologie de l'information pour l'automatisation et de l'espace vide. La

légitimité du sommet stratégique, de la vice-présidence informatique et des

fournisseurs de la technologie de l'information jouent un rôle déterminant dans cette

configuration. Pour le sommet stratégique, un tel système est un moyen d'action qui

fait partie de leur stratégie de réduction des coûts et d'accélération des opérations. Ce

système est stratégique parce qu'il contribue directement à la performance, la plupart

du temps par la réduction des coûts. C'est précisément là que le bât blesse! Au-delà des

investissements discrets dans les guichets automatiques, les investissements massifs

requis par le déploiement d'une plate-forme intégrée de la TI ne contribuent pas à la

réduction des coûts des transactions. Ils contribuent cependant à automatiser un cycle

complet de transaction - comprenant les opérations de « back-office» - plutôt que la

seule partie de la transaction qui était effectuée au comptoir, tout en générant sans délai

de l'information de gestion.

Le guichet automatique comme investissement

Quand il est considéré, à la fin des années 1970, comme un nouveau moyen de

distribution de numéraire et de services financiers, le guichet automatique s'inscrit dans

une vision technologique (la banque de demain, la monnaie plastique...) tout en offrant

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Espaces de la stratégie et TI 294

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directement les trois caractéristiques d'un investissement de substitution, d'un

investissement discret, et d'une évaluation en coûts/bénéfices.

C'est un investissement de substitution (Benson et Parker, 1988) qui remplace ou

devrait remplacer de la main-d'oeuvre par une application automatisée. Les signes de

cette volonté se retrouvent dans le fait d'installer ces guichets automatiques comme si

ils étaient de simples machines à distribuer des billets de banque dans une succursale.

On les retrouve ainsi dans les vestibules de succursales de la Banque Mutuelle et non

pas disposés de façon à atteindre des zones d'achalandage mal desservies par le réseau

de succursales. Même si l'installation massive des guichets automatiques ne se traduit

pas par des mises à pied, les guichets automatiques diminuent l'embauche de nouveau

personnel tout en permettant une augmentation massive du volume des transactions.

C'est un investissement discret parce que chaque projet d'installation d'un

guichet automatique est un projet en soi qui peut être évalué selon ses propres coûts et

bénéfices. En fixant par exemple la barre des transactions à 8 000 par mois pour

atteindre la rentabilité, la banque traite les projets de guichet automatique - sur site ou

hors site - au cas par cas.

C'est un investissement fait sur la base d'une analyse coûts/bénéfices. Beaucoup

d'informateurs justifiaient le guichet automatique à partir d'un coût par transaction au

guichet (25 cents par exemple) comparé à un coût de transaction effectué par un

caissier (environ 1 $). Dans ce raisonnement, la rentabilité des guichets automatiques

doit augmenter avec le nombre des transactions qui seront transférées des guichets

traditionnels vers les guichets automatiques.

À l'arrivée, une dizaine d'années et plus des milliers de guichets automatiques

plus tard, la situation a bien changé. Il y a beaucoup plus de transactions qui émanent

des clients, mais les guichets automatiques n'en prennent qu'une partie limitée. Parce

que les guichets automatiques ont multiplié - peut-être par trois - le nombre de

transactions de retrait, beaucoup de transactions des guichets automatiques ne sont pas

seulement des transactions de transfert (où les banques espéraient un rapport de 4 à 1)

mais aussi des transactions nouvelles générées par l'usage des guichets automatiques.

Bon gré mal gré, les banques sont obligées de constater les limites d'un

investissement de substitution et d'envisager les guichets automatiques sous l'angle

d'un investissement complémentaire. Qu'est-ce qu'un investissement complémentaire?

C'est un investissement qui améliore la productivité et l'efficacité des employés dans les

activités existantes (idem : 103).

Page 295: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 295

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À l'entreprise alors de rechercher une valeur de restructuration des tâches ainsi

qu'une valeur d'accélération. La réorganisation du travail des caissiers en succursale

vers la tâche plus complexe de vente et de conseil crée de la valeur pour la banque par

le développement des affaires; à partir d'une relation de cause à effet entre l'usage du

guichet automatique et une utilisation des transferts électroniques de fonds, la banque

tire parti du temps et crée une valeur d'accélération.

Pour certaines banques, les guichets automatiques deviennent enfin un

investissement d'innovation. Ces banques considèrent moins leurs investissements en

guichets automatiques comme des investissements discrets que comme un

investissement massif dans le déploiement d'une ceinture électronique de guichets

automatiques susceptible de distribuer de nombreux services gouvernementaux ou

autres en plus de la distribution du numéraire et de fonctions de transfert, de simuler

(étude rapide d'une demande de prêt par un système expert) et d'interagir avec le client

(par exemple, la prise de rendez-vous). Les banques recherchent alors à travers

l'installation de guichets automatiques-kiosques d'information un avantage compétitif

susceptible de se traduire en résultats financiers. Si elles parviennent à transformer leur

secteur industriel, à renforcer leur position d'offre différentiée et à créer de nouvelles

activités, elles atteindront cet objectif.

À ce stade, investir dans un réseau dense de kiosques électroniques

d'information, c'est investir, de façon diffuse, dans une plate-forme électronique de

distribution. C'est un investissement qui tient sa justification dans des critères

intangibles ou quasi-intangibles, ce qui ne favorise pas une prise de décision fondée sur

l'analyse coûts/bénéfices.

La banque des années 1990 hésite à raisonner en terme de valeur transférée au

client plutôt qu'en terme de coûts. Elle doit décider de mener ou non la course à

l'avantage concurrentiel à partir des kiosques électroniques d'information ou se

contenter de les considérer comme une réponse compétitive aux nouvelles exigences du

secteur industriel. Elle doit examiner si ces investissements sont en alignement avec sa

stratégie; elle se doit d'exploiter l'information que les guichets automatiques/kiosques

d'information lui renvoie sur ses activités centrales.

Le guichet automatique comme solution de la technologie de l'information

En dix ans, le phénomène du déploiement des guichets automatiques est entré

dans une logique qui échappe en même temps à la simple analyse coûts/bénéfices, au

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Espaces de la stratégie et TI 296

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caractère discret du guichet automatique et à sa vocation de substituer de la technologie

à la main-d'oeuvre. Les guichets automatiques participent actuellement du

développement d'une plate-forme intégrée de la technologie de l'information. Les

nouveaux défis sont ceux de la maîtrise du temps, de la réponse précise aux besoins du

client et de la mise en place de nouvelles capacités de développement de produits et de

services.

La solution A (voir le chapitre 3) du départ est devenue une partie de la plate-

forme intégrée de la technologie de l'information. En participant avec les transferts

électroniques de fonds (TEF) à la mise en place d'une plate-forme intégrée de

distribution, les guichets automatiques doivent être considérés comme une partie de

cette plate-forme et non plus comme des investissements discrets. Intégrés à la plate-

forme existante - donc aux bases de données et aux postes de travail - les guichets

automatiques et kiosques électroniques d'information sont devenus des solutions de

type AR; des solutions dont la finalité est autant l'automatisation que la représentation

pour l'aide à la décision.

L'intégration des guichets automatiques comme élément d'une plate-forme

électronique de distribution a été clairement établie dans l'étude de cas et dans les

entrevues en profondeur. Par exemple, les informateurs questionnés sur l'historique

des guichets automatiques associent systématiquement dans leurs réponses d'autres

dossiers qui visent à la distribution électronique (voir discussion et schéma à l'annexe

D). Le guichet automatique n'est pas encore une solution ARI. Le guichet automatique

n'est pas fondé sur l'interaction entre les personnes, encore qu'il pourrait le devenir.

Ainsi on pourrait concevoir que le client qui fait une demande au guichet automatique

voit apparaître l'image d'un conseiller et que les deux puissent échanger à travers un

vidéo téléphone. À ce moment, l'espace de la stratégie dans lequel fonctionne le guichet

automatique (solution A) ou le guichet automatique/kiosque (solution AR) sera

questionné.

Le guichet automatique et l'espace de la stratégie

Plusieurs organisations tentent à opérer le guichet automatique dans l'espace

vide; pour ces organisations le guichet automatique n'est pas une source d'information

de gestion mais un simple moyen de favoriser les transactions de retrait de la clientèle

qui peuvent représenter jusqu'à 80% des opérations mensuelles d'un guichet

automatique. Moins de fonctions sont alors indispensables pour le client et les guichets

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Espaces de la stratégie et TI 297

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automatiques peuvent même redevenir des simples machines distributrices de billets.

Dans cette orientation, l'investissement en GA est un investissement de substitution

mesuré en coûts/bénéfices. La systématisation de cette approche coûts/bénéfices va

mener les banques à retirer les guichets automatiques non rentables. Là où ils ne

servent que dans un mode d'alignement sur les opérations d'une succursale, ils sont -

dans cette logique - inutiles. Les GA à l'ancienne (les distributeurs de billets) qui

fonctionnent en mode d'alignement dans l'espace vide ne passent pas l'épreuve des

coûts/bénéfices : ils génèrent des transactions qui coûtent cher sans apporter un impact

significatif au réseau de distribution de la banque.

Dans l'espace programmatique, les guichets automatiques servent à gérer mieux

la clientèle tout en donnant plus de fonctions au client. Il est important que le client s'en

serve intensivement pour des transactions multiples et variées. Les données générées

par le réseau des guichets automatiques (qui fait quoi, où et quand et avec quelle carte

d'accès) vont permettre aux analystes de la banque de mieux segmenter le marché et de

cibler des produits et des services.

Ce schéma - bien illustré par la Banque Mutuelle - peut fonctionner dans un

mode d'alignement, d'impact ou de plate-forme (qui par sa densité et son niveau

d'intégration est à la fois un arrimage en mode impact et en mode alignement). Dans

cette configuration, l'organisation va chercher une certaine valeur au moyen de son

information de gestion tout en détenant un avantage compétitif pour la distribution de

produits et de services complémentaires (comme des billets de spectacle, de métro ou

d'avion; la distribution de chèques d'assurance-chômage etc...) parce qu'elle peut offrir

des produits et des services sur un réseau qui couvre tout le territoire d'une province ou

de l'ensemble fédéral.

Discussion autour du fichier client intégré

A partir du moment où la technologie de l'information cesse d'être placée

exclusivement sous le contrôle de spécialistes en systèmes pour s'ouvrir sur les défis

internes57 et externes58 de la stratégie (Andrews, 1980), de nouveaux dossiers de la

57 Comme le passage d'une culture bureaucratisée à une culture proactive de vente, et le passage d'une

emphase traditionnelle sur les opérations à un focus sur la stratégie. 58 Comme le décloisonnement des quatre piliers des services financiers et la déréglementation qui favorisent

de nouveaux concurrents.

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Espaces de la stratégie et TI 298

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technologie de l'information apparaissent. Il s'agit pour les banques, à l'aide de la

technologie de l'information, de développer leur connaissance des clients actuels ou

futurs. Les applications de base sont essentiellement la base de données structurée

autour du dossier client ou Customer Information File, le télémarketing et tous les outils

d'analyse ou d'aide à l'analyse de ces données brutes pour affiner la segmentation du

marché et améliorer la planification stratégique.

Pour nos informateurs, ce dossier du fichier client intégré est distinct des dossiers

traditionnels de la technologie de l'information. Il y a cinq ans ou dix ans, selon les

organisations, ce dossier ne faisait l'objet d'aucune recherche ou tentative de

formulation. L'impulsion vient essentiellement des gestionnaires du marketing - un

gestionnaire nous dit : «Le marketing commence à trouver son espace dans la banque» -

qui veulent à leur disposition, et à la disposition des succursales, de l'information

complète sur les clients et le marché pour parfaire leur segmentation du marché. Dans

les entrevues, ce dossier est relié spontanément aux outils d'analyse de l'information

ainsi produite comme les systèmes d'aide à la prise de décision.

Toutefois, à la différence du dossier précédent, ce dossier questionne également

les logiciels actuels de gestion des données qui sont installés sur les systèmes centraux

(comme « IMS» d'IBM) et la capacité de ces systèmes de recevoir des systèmes

relationnels de gestion de bases de données (comme «DB2» d'IBM). Autant la

technologie de l'information pour l'automatisation questionne les interfaces avec le

client et les infrastructures de communication, autant la technologie de l'information

pour la représentation questionne la gestion des données dans l'organisation ainsi que

la production de l'information pour les gestionnaires, aux niveaux opérationnel et

administratif. Deux dynamiques distinctes sont à l'oeuvre et tentent de se rapprocher :

l'élaboration, par les gens du marketing, d'un système d'information marketing (SIM) et

la réécriture, par les informaticiens, des systèmes opérationnels (comptes chèques,

comptes d'épargne, hypothèques...) pour obtenir une vision intégrée des produits

détenus par un client.

Le fichier central client est un système d'information qui contribue à fabriquer un

contexte stratégique. Sans analyse de l'information, pas de segmentation des marchés

59Osterman (1991) cite les cas de deux usines de GM qui produisent des autos avec le même taux de défauts et le

même nombre d'heures par auto fabriquée. La différence entre les deux usines? L'une a été "modernisée": de

nouvelles technologies y ont été installées au coût de $ 650 millions. Mais cette modernisation ne s'est

accompagnée d'aucune innovation dans la gestion des ressources humaines (travail en équipe, flexibilité, cercles de

qualité, formation...). Au contraire, toujours selon Osterman, l'usine NUMMI (partenariat GM-Toyota) présente

d'excellentes performances avec peu d'investissements technologiques et beaucoup d'innovations dans la gestion de

la ressource humaine.

Page 299: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 299

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ni de plan d'action précisément dirigé. Le système d'information pour la représentation

(SI-R) va capter des données à la sortie des SI-A (SI pour l'automatisation) et mettre ces

données à la disposition des gestionnaires pour qu'elles deviennent de l'information

susceptible d'améliorer leur carte mentale du marché et d'en projeter des éléments sous

forme de plan.

Le fichier central client comme investissement

Quand les banques envisagent de décloisonner les applications centrales qui

étaient construites par produit pour intégrer en un fichier central unique les différents

fichiers clients bâtis pour chacune des applications (clients d'hypothèques, clients

d'épargne etc...), il n'est nullement question d'automatiser. Développer le fichier central

client, ce n'est pas un investissement de substitution, c'est d'emblée un investissement

complémentaire dont la valeur s'établit à partir de l'ensemble des effets qu'il diffuse et des

changements qu'il permet sur l'ensemble de l'organisation.

Investir 50 ou 100 millions de $ dans la réécriture des principales applications,

gérer les clients et les produits dans une base de données relationnelle et donc acquérir

les logiciels et le matériel nécessaire, ce n'est pas un investissement discret : c'est un

investissement massif et diffus.

C'est un investissement massif du point de vue des traitements : il ne sert à rien

de joindre le compte chèque et le compte épargne dans un SGBD relationnel en laissant

de côté une cinquantaine d'autres grands produits. La valeur du fichier central client

réside dans l'intégration des données et des informations détenues sur chacun des

clients pour générer les stratégies, les approches, les produits et services adéquats.

La figure 8.1 localise les impacts du développement du fichier central client et

des guichets automatiques sur l'infrastructure électronique de la banque. Le fichier

central client (avec la réécriture des applications) comme le guichet automatique (avec

les processeurs spécialisés dans le traitement en temps réel) ont un impact certain du

côté des traitements. La réorganisation massive des données est liée au développement

du fichier central client tandis que les transactions effectuées par l'intermédiaire des

guichets automatiques sont également mémorisées. Le réseau de télécommunication

est durement sollicité par l'explosion du nombre de transactions commandées à partir

des guichets automatiques; mais l'interrogation à distance du fichier central client, à

partir des succursales, impose également de lourdes contraintes au réseau de

télécommunications.

Page 300: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 300

_________________________________________________________________________

L'utilisation efficace du fichier central client exige le déploiement massif de

stations de travail dans les succursales pour fin de simulation et d'interrogation; ces

mêmes stations permettent l'interrogation des données générées par les transactions des

guichets automatiques.

Toutes les banques se dirigeant - à des allures variables - vers la mise en place

d'une plate-forme intégrée, c'est un investissement fait sur la base d'un rattrapage

concurrentiel.

Malgré le montant extrêmement important des investissements qu'il commande,

le fichier central client ne peut pas s'apprécier sur une base de coûts/bénéfices à cause

de l'intangibilité de la valeur de liaison, d'accélération et d'innovation qu'il déclenche.

Le fichier central client permet par exemple la confection d'un relevé mensuel unique

qui intègre toutes les opérations effectuées avec la banque (chèques, épargne,

hypothèque, placements...), ce qui est un service particulièrement innovateur.

Le fichier central client comme solution de la technologie de l'information

Les deux solutions contribuent à mettre la plate-forme au niveau d'une

intégration AR, sans qu'on puisse pour autant la qualifier de plate-forme ARI.

Figure 8.1.

Page 301: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 301

_________________________________________________________________________

La localisation des impacts de GA et de FCC dans le développement de la plate-forme intégrée

La figure 8.1. nous indique que le fichier central client évolue de solution A vers

la solution AR et la solution ARI. Le fichier central client n'est pas vraiment une

solution A; il faut cependant considérer que l'affectation d'un numéro unique au client

va permettre d'automatiser des opérations de mise à jour des fichiers clients tout en

permettant, par la réécriture des applications dorsales («backbone»), le développement

de nouveaux produits de type conjoint (assurance + hypothèque + compte chèque, par

exemple). Dans l'espace vide, les organisations jouent avec le potentiel du fichier

central client dans ces limites, dans le mode alignement (améliorer l'existant) ou dans le

mode impact (développer de nouveaux produits et éventuellement de nouveaux

marchés).

Dans l'espace programmatique, le fichier central client est utilisé

systématiquement par les gestionnaires du marketing dans les succursales ou au siège

social. Ces gestionnaires interrogent systématiquement le fichier central client pour

segmenter le marché et affiner leurs stratégies. Le fichier central client est disponible de

façon interactive sur des stations de travail qui permettent l'analyse et la simulation.

Dans l'espace habité, le fichier central client est une source d'information sur les

produits et les clients, un outil d'analyse et un outil de simulation entre le client et un ou

plusieurs conseillers (dans des domaines variés comme l'assurance, l'hypothèque, le

placement) qui cherchent ensemble à conclure une transaction complexe portant sur un

produit financier fait sur mesure. La Banque Metro a développé un outil qui approche

cette évolution du fichier central client.

Le système d'aide à la décision de groupe

Notre troisième proposition de recherche mettait en relation les solutions de la

technologie de l'information pour l'interaction, l'espace habité et le développement de

capacités stratégiques de flexibilité et d'innovation. Nous avons appelé cette

configuration, la configuration des architectes. Cette configuration est celle des

membres des différentes équipes opérationnelles de conception, de fabrication et de

distribution des produits et des services.

Page 302: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 302

_________________________________________________________________________

Le système d'information de type coopératif qui supporte le travail de groupe est

un système d'information distinct du système qui est l'objet de la stratégie et du système

qui construit un contexte stratégique. Cette troisième catégorie de système

d'information n'automatise pas de façon constante des opérations ou des transactions,

ne construit pas un contexte stratégique mais répond occasionnellement aux exigences

de concertation et de communication d'une situation cruciale comme la définition d'un

nouveau produit et de sa stratégie de mise en marché.

Le système d'information pour supporter l'interaction (SI-I) est un système qui

supporte la communication entre acteurs et décideurs tout en permettant l'accès aux

outils d'analyse et de simulation ainsi qu'aux informations lues à la sortie des SI-A.

L'application SI-I ne peut prendre son sens que dans un espace de la stratégie habité.

Sinon pourquoi les acteurs et décideurs attacheraient-ils de l'importance à définir

ensemble l'environnement (à construire ensemble une théorie sur l'environnement) et à

agir de façon consensuelle?

Dans notre recherche, la proposition sur la configuration des architectes est

soutenue par des données recueillies sur les cas plutôt que des entrevues en

profondeur, vu que le dossier des systèmes interactifs d'aide à la décision de groupe est

à toute fin pratique encore inexistant.

La façon dont les gens d'informatique et de gestion des produits s'organisent

pour développer des produits et innover continuellement est cruciale. Dans une des

organisations observées, le développement informatique - qui a toujours fait partie de l'

«empire» informatique - est passé avec «armes et bagages» dans une vice-présidence

axée sur les opérations comme la gestion des produits. Cette configuration est

différente de celle de l'interface. Il ne s'agit plus de créer des liens mais de travailler

ensemble sous une direction unique qui gère des ressources très importantes. La

nouvelle organisation des opérations nous indique que la pyramide organisationnelle

est en train de se transformer - non pas nécessairement en pyramide aplatie - mais en

pyramide techno-organisationnelle, ce que nous examinerons plus loin après avoir

réfléchi en terme de système d'information stratégique.

Page 303: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 303

_________________________________________________________________________

Synthèse

Si les trois configurations se vérifient, la troisième - la configuration des

architectes - est seulement en émergence alors que les deux autres - la configuration de

l'artefact et celle de l'interface - sont bien établies. Les configurations de l'artefact, de

l'interface et des architectes sont observables en même temps mais une dynamique,

propre à chacune des organisations, semble les conduire vers un thème unificateur.

Si la succursale - mais aussi la vice-présidence régionale, la fonction marketing, la

fonction système et la direction du réseau qui la soutiennent - devient une configuration

de l'interface, la technologie de l'information pour l'automatisation va devoir se

modeler, s'adapter à cette configuration. La succursale, longtemps archétype de

l'espace de la stratégie vide, tend à travailler dans l'espace programmatique et toutes

les solutions de la technologie de l'information doivent entrer dans cet espace. Ainsi les

guichets automatiques sont maintenant gérés et déployés par des responsables locaux

(au niveau des succursales et de la vice-présidence régionale); les guichets automatiques

génèrent des données qui servent à la planification locale; les guichets automatiques

peuvent devenir, avec l'évolution technologique (téléphonie ou vidéo), des moyens de

communication avec la succursale.

Si les guichets automatiques sont encore des moyens de réduire les coûts de

transaction, ils sont également devenus les éléments centraux dans l'offre de produits et

de services de la banque. Ainsi, avec le temps, les guichets automatiques sortent de la

configuration de l'artefact pour entrer dans la configuration de l'interface. La première

proposition voit alors sa validité limitée sévèrement dans le temps. C'est de façon

diachronique que ces changements de configuration apparaissent. Les guichets

automatiques tendent maintenant à appartenir à la configuration de l'interface pour des

raisons de cohésion stratégique et d'intégration technologique.

Page 304: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 304

_________________________________________________________________________

Le rôle des gestionnaires

L'articulation de ces deux exigences de cohésion stratégique et d'intégration

technologique appartient aux gestionnaires compétents dans les deux domaines à la

fois. Ces gestionnaires, par exemple, intègrent toujours les guichets automatiques dans

leur réflexion sur le fichier central client et réciproquement, de plus ils pensent en

même temps le déploiement d'un réseau électronique (les guichets automatiques et les

autres facilités du "tele-banking") et le déploiement d'un réseau physique (les

succursales et autres points de service). Ils réfléchissent stratégiquement à la

technologie de l'information et possèdent de cette technologie de l'information une

compréhension de plate-forme électronique intégrée. Le gestionnaire initié à

l'articulation des besoins stratégiques et de la technologie de l'information dira par

exemple :

«Je ne peux pas parler de guichets automatiques sans parler de fichier

central client, parce que c'est l'effort de réalisation du fichier central client qui nous permet d'émettre une véritable carte client. Je ne peux pas parler du fichier central client sans parler du guichets automatiques, parce que nos efforts de développement du fichier central client vont nous permettre de nous différencier par les produits et services que nous allons offrir sur les guichets automatiques».

Il dira aussi :

«Ce que nous voulons, c'est de faire progresser ensemble deux réseaux

complémentaires, celui des succursales et celui de la distribution électronique, tout en sachant que le développement de l'un a des impacts sur l'autre».

Les discours entendus et les pratiques observées nous portent à croire que

l'articulation de l'intégration technologique et de la cohésion stratégique est autant un

défi intellectuel pour chacun des gestionnaires concernés qu'un défi organisationnel.

Souvent nous avons entendu en marge des entrevues formelles :

«Cette banque là (toujours la même), elle est vraiment en avance sur nous

et sur toutes les autres. Elle a réussi ce fameux arrimage entre l'informatique et les affaires. Elle a eu des managers visionnaires».

Les différents contextes organisationnels

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Espaces de la stratégie et TI 305

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Les gestionnaires détiennent - intellectuellement d'abord - la clé de cet arrimage.

Nous avons observé à cet égard une grande uniformité de pensée à l'intérieur de

chacune des organisations. Le fait que les managers partagent une culture et vivent

dans un espace défini de la stratégie les porte à réagir de façon très semblable sur les

mêmes dossiers de la technologie de l'information. Quelle que soit leur formation ou

leur appartenance à une fonction organisationnelle, les gestionnaires semblent partager

un même modèle mental des solutions de la technologie de l'information. Nous avons

rencontré trop peu de gestionnaires lors d'entrevues en en profondeur pour faire de

cette observation une théorie, même locale. Cependant il faut rappeler que la force

d'une organisation - Pascale (1990) décrit par exemple des entreprises comme Honda et

IBM - vient plus de la confrontation de modèles différents que de la conformité a priori

autour d'un modèle connu.

Une autre observation intéressante est celle-ci: la compréhension des dossiers de

la technologie de l'information est consistante d'une organisation à l'autre, sauf pour ce

qui concerne les dimensions de l'espace de la stratégie qui apparaissent autour de ces

dossiers. L'association dans une même configuration des dimensions stratégiques,

environnementales, technologiques et financières est commune aux trois organisations

étudiées; elle pourrait être commune à travers l'industrie bancaire. La grande différence

réside dans les dimensions de légitimité, d'outils et de théories - ce que nous avons

appelé l'espace de la stratégie - qui se trouvent associées, dans les discours et dans la

pratique, aux différents dossiers.

Page 306: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 306

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La notion d'espace de la stratégie face à la réingénierie des affaires

Ainsi l'espace de la stratégie présent dans une organisation semble distinguer les

organisations entre elles tout en rapprochant les réponses des gestionnaires de chacune

des organisations. Nous l'avons observé pour les trois dossiers de la technologie de

l'information retenus dans la recherche : une application de la technologie de

l'information sera déployée et gérée, à son démarrage, selon l'espace de la stratégie qui

est dominant dans l'organisation. Cet espace de la stratégie est acte et relation. Il

permet un pattern de relations entre les personnes tout en contribuant à générer un

modèle du rôle de la technologie de l'information dans la stratégie de l'organisation. Ce

modèle permet alors de guider l'action jusqu'à ce que l'espace de la stratégie soit

questionné : parce qu'il produit un modèle qui génère peu de performance dans l'action

et/ou parce qu'il conduit à des relations peu efficaces entre les personnes ( en

favorisant, par exemple, le couplage sommet stratégique/V-P Systèmes alors qu'un

couplage gestion du réseau, informatique, marketing et planification stratégique est

requis par la situation).

Ces observations nous portent à conclure que la notion d'espace de

représentation de la stratégie, que nous avons décrit comme un espace social, est

essentielle à la compréhension de l'articulation de la cohésion stratégique à l'intégration

technologique. Cette articulation exige une configuration cohérente qui bouscule les

légitimités, les outils et les théories sur l'organisation. L'entreprise doit produire un

modèle adéquat du rôle de la technologie de l'information dans la stratégie et susciter

les relations interpersonnelles nouvelles pour permettre l'action, le travail intellectuel

sur le modèle et la transformation du contexte politique, instrumental et théorique.

En ce sens, la vague nouvelle de la réingénierie des organisations propose et

systématise, chez les chercheurs les plus radicaux, la mise en place d'un espace vide

dans l'organisation. La légitimité absolue du sommet, les outils de contrôle drastiques

et la réalisation de la vision décrétée au sommet construisent cet espace vide. Cet

espace est adéquat pour l'entrepreneur et il permet de mener à bien des changements

radicaux. Mais ce n'est pas un espace orienté vers l'apprentissage, l'initiative et

l'autonomie. Alors que les défis associés à l'utilisation du potentiel de la technologie de

l'information sont cruciaux, l'espace vide vient empêcher cet apprentissage. Les

tentatives de réingénierie sont nombreuses et leur taux d'échec phénoménal: l'espace

vide est le plus pauvre quand il s'agit de conjuguer cohésion stratégique avec

intégration technologique.

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Espaces de la stratégie et TI 307

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L'espace habité et la gestion des micro marchés

À la suite de nos résultats de recherche, nous pensons que la notion d'espace de

la stratégie permet de mieux saisir le développement moderne d'avantages

concurrentiels. Il y a en effet, à partir des cas et des entrevues en profondeur, un

modèle qui émerge pour la banque de détail: celui d'un réseau de succursales

autonomes parfaitement adapté à des marchés locaux très différents. C'est l'autonomie

stratégique de la succursale qui doit permettre de développer ces marchés locaux avec

les bons produits et les bons services. Le modèle de la succursale de la Banque

Mutuelle est d'ailleurs souvent cité en exemple à copier par les banques concurrentes.

La Banque Mutuelle est la seule des organisations observées à avoir développé

massivement un espace habité, au sens où cet espace est décrit dans le chapitre deux.

Ce n'est pas une configuration qui se développe au niveau de la succursale (la

succursale passe de l'espace vide à l'espace programmatique) mais bien au niveau du

fonctionnement de l'ensemble d'une organisation qui, en exploitant les technologies de

l'information pour l'interaction, susciterait les initiatives, les projets et les contributions

à la performance. Parce que l'espace habité est pensé uniquement comme espace

politique et non comme espace instrumental et théorique, il y a, à la Banque Mutuelle,

espace habité, mais pas nécessairement configuration des architectes.

Nous pensons que beaucoup de changements à l'échelle d'une organisation

devraient provenir de ces constatations. Quelle(s) configuration(s) (de l'artefact, de

l'interface ou des architectes) veut-on développer en rapport avec quelle plate-forme

des affaires et quelle plate-forme technologique? L'innovation dans les processus

devrait s'élargir à la réinvention de l'organisation.

Et le lien avec la performance?

Nous avons observé, de façon générale, une grande difficulté chez les

gestionnaires rencontrés à articuler des liens entre les solutions de la TI et la

performance. Ils ont en commun de penser que les guichets automatiques mènent à la

réduction ou du moins à l'évitement de coûts. Mais plus la discussion sur la

performance porte sur des dossiers visant à l'automatisation et l'interaction, moins le

gestionnaire comprend l'impact sur la performance. Les guichets automatiques sont

des investissements discrets qui sont, sans doute, contrôlés et suivis de façon excessive.

Page 308: LA TECHNOLOGIE DE L'INFORMATION AU COEUR DE L'ESPACE DE LA STRATÉGIE

Espaces de la stratégie et TI 308

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Les investissements dans le fichier central client se noient dans des investissements

dans la plate-forme logicielle, matérielle et de communication.

Sur le terrain, la performance n'est pas pensée en terme de performance d'une

configuration mixte et nous pensons que la réflexion des gestionnaires sur la

contribution directe de la TI conduit à une impasse. Les solutions de la technologie de

l'information qui sont massivement déployées permettent de construire des

configurations nouvelles et performantes. C'est ainsi que la discussion sur la

performance de la TI devrait se construire. Un expert en utilisation stratégique de la

technologie de l'information mentionnait récemment: "We need a framework and a

vocabulary not for computing but for competing" (Mullen, 1993). Et Mullen d'ajouter que

ce vocabulaire devait porter sur la culture et sur la politique. La notion d'espace de

représentation de la stratégie reste, à l'issue de cette recherche, une contribution

pertinente pour lier la technologie de l'information et l'organisation des affaires en vue

de développer des avantages concurrentiels.

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Espaces de la stratégie et TI 309

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Conclusion : trois types de systèmes d'information stratégiques

Tableau 8.1

Les systèmes stratégiques «objet», de contexte ou de situation

TYPES DE

SYSTÈMES

D'INFORMATION

STRATÉGIQUES

LE SYSTÈME,

OBJET DE LA

STRATÉGIE

LE SYSTÈME QUI

CONSTRUIT UN

CONTEXTE

STRATÉGIQUE

LE SYSTÈME QUI

CONDUIT À

ÉCLAIRCIR UNE

SITUATION

APPELLATION SI-OS

système d'information - objet

stratégique

SI-CS

système d'information -

contexte stratégique

SI-SS

système d'information -

situation stratégique

EXEMPLE guichet

automatique

[automatisation des

échanges de données]

fichier central client

[bases de données et

bases de textes accompagnées

d'outils d'analyse]

système d'aide à la

décision de groupe

[systèmes interactifs de communication]

PERFORMANCE contribution directe contribution

indirecte

contribution

occasionnelle

CONDITIONS DE

MISE EN OEUVRE

légitimité et action

du sommet

recherche du «fit»

sur les marchés

nécessité d'atteindre

une position consensuelle

CONFIGURATION

D'ENSEMBLE

L'ARTEFACT L'INTERFACE LES

ARCHITECTES

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Espaces de la stratégie et TI 310

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Qu'est-ce qu'un système d'information stratégique ou quand peut-on parler de la

maîtrise stratégique de la technologie de l'information? Suite à notre recherche, nous

considérons trois cas distincts. Le système d'information stratégique qui répond à ce

vocable appartient à l'une des trois catégories suivantes :

- le système d'information stratégique qui est directement objet de la stratégie: quel que

soit l'objet de la stratégie, il appartient à la stratégie (le plus souvent de réduction des

coûts). Ce sont selon les cas des SI interorganisationnels qui automatisent des liaisons

avec les clients (guichets automatiques), les fournisseurs ou les concurrents ou des SI

qui contribuent à l'automatisation des transactions et des opérations à l'intérieur de

l'organisation.

- le système d'information qui fabrique un contexte stratégique en analysant les

informations produites par les SI d'automatisation, en fournissant une aide à la

simulation, à la formulation ou au suivi de la stratégie dans sa mise en oeuvre. À ce

titre, il contribue à définir un espace de la stratégie programmatique outillé pour

planifier de façon flexible des actions à l'échelle globale ou locale.

- le système d'information qui supporte l'interaction stratégique lors d'une situation

cruciale et permet à un groupe d'acteurs et de décideurs de partager ensemble les

tenants et aboutissants de cette situation. Ce système est d'abord un système de

communication entre les personnes; ce système est de plus capable d'utiliser les

informations produites par les systèmes d'automatisation et de les examiner à l'aide des

systèmes d'information de simulation décrits ci-dessus.

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Espaces de la stratégie et TI 311

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Chapitre 9 Conclusion : l'artefact, l'interface et les architectes

«The importance of the role that structure

plays lies principally in the fact that structural variables

may be manipulated by top management.»

Joseph L. Bower (1986 : 59)

Introduction

La configuration de l'artefact

La mise en place d'une plate-forme électronique

Hammer (1990) rapporte le cas étonnant de la compagnie Ford qui s'aperçoit que

Mazda emploie 5 personnes pour gérer ses comptes à payer alors que Ford, elle, en

emploie près de 500 à cette tâche. Les responsables de Ford comprennent que les gains

à réaliser proviennent de la mise en place d'une plate-forme électronique semblable à

celle que Mazda a mise en place.

Avec ce concept de double plate-forme électronique intégrée, celle du

constructeur et celle du fournisseur (voir figure 9.1.), il n'y a plus de facturation en trois

ou quatre exemplaires ni de bons de réception.

Quand le fournisseur facture une livraison, il envoie électroniquement sa facture

(1) dans la base de données (bd sur la figure 9.1.) du constructeur. Quand cette donnée

sera validée par un message électronique provenant d'un employé à la réception des

marchandises (2) d'une des usines de Ford, un paiement (3) sera électroniquement émis

au bénéfice du fournisseur.

Il est entendu que cette plate-forme ne peut se mettre en place qu'à travers une

architecture intégrée des données, des traitements, des réseaux et des interfaces.

Venkatraman (1991 : 133) a examiné les facteurs qui favorisent ou qui freinent

l'intégration d'une plate-forme de la technologie de l'information. Le débat entre

centralisation et décentralisation, l'inertie organisationnelle et le manque de vision

stratégique freinent l'avènement de cette plate-forme tout comme, bien évidemment, les

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Espaces de la stratégie et TI 312

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coûts de cette intégration et l'incertitude technologique. Les facteurs favorables sont

l'existence d'une vision stratégique qui soutient l'intégration organisationnelle à partir

de la technologie de l'information ainsi que la centralité de la technologie de

l'information dans le contexte stratégique.

Figure 9.1.

L'intégration électronique des activités

(Adapté de Hammer, 1991)

Pour Venkatraman, la période d'intégration de la technologie de l'information est

pénible et coûteuse mais elle est la condition préalable à une profonde transformation

organisationnelle seule susceptible de générer de la valeur pour l'entreprise et pour le

client. En effet la plate-forme intégrée va permettre de reconfigurer les activités et les

processus d'affaires. Hammer (1990, 1993), Davenport et Short (1990, 1993) commencent à

systématiser cette approche. C'est la première gamme de transformations

organisationnelles. Une deuxième gamme, c'est la reconfiguration du réseau d'affaires de

la firme à partir du jeu de connection/déconnection qui devient possible - vers les

fournisseurs, les clients ou les concurrents - entre plates-formes intégrées. Une

troisième gamme de transformations découle de nouvelles ouvertures et opportunités

d'affaire susceptibles de modifier, plus ou moins radicalement, la mission de l'entreprise.

Ainsi l'intégration de la plate-forme électronique ne doit pas être comprise

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Espaces de la stratégie et TI 313

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comme une continuation du débat politique interne entre centralisation et

décentralisation pour fixer une structure organisationnelle mais comme une occasion

d'entreprendre changement sur changement à l'interne et à l'externe en vue de créer de

la valeur pour la firme et ses clients.

La configuration de l'interface

La relation avec le client contre la retraite vers la technologie

Dans ce nouveau contexte d'intégration électronique, le client peut souffrir de ne

pas être compris. Les décideurs qui partagent la vision d'une plate-forme intégrée de la

technologie de l'information ne comprennent pas que la création de valeur passe par

une série de longues et difficiles transformations organisationnelles (nouveaux

processus d'affaires, nouveaux réseaux, nouvelle mission) et se limitent à enfermer le

client dans une nasse électronique : le client risque de devenir un problème purement

électronique. Les banquiers cherchent à s'organiser pour le connecter à leur plate-forme

de distribution par le réseau des guichets automatiques/kiosques, le Videoway, le

téléphone, le fax, le micro-ordinateur et le terminal Alex. L'accès à la plate-forme

électronique de la banque par le client (figure 9.2.) est certainement intéressant pour les

deux agents économiques : la banque économise de la main-d'oeuvre et le client du

temps. Mais quand une banque développe un accès électronique à sa plate-forme, elle

prépare le client à accéder à d'autres plates-formes électroniques de la concurrence dès

qu'un produit ou un service lui sera plus favorable.

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Espaces de la stratégie et TI 314

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Figure 9.2.

Le client dans la configuration de l'artefact

Il n'y a pas de solution purement électronique à la relation avec le client.

L'aphorisme souvent partagé dans le milieu bancaire durant les années 1980 -

aujourd'hui la stratégie, c'est le système! - contribue à la création d'un marché

électronique. Un marché qui permet, comme les systèmes de réservation dans les

agences de voyage, de s'informer, de comparer, de faire affaires avec de nouveaux

offreurs de services et produits financiers.

Laisser le client dans la configuration de l'artefact telle que définie dans les

propositions de recherche ne se traduit pas nécessairement par une réduction des coûts.

Si l'on tient compte que derrière un guichet automatique, il y a une plate-forme intégrée

de la technologie de l'information (avec fichier central client, réseau intégré de

télécommunications, processeurs en temps réel, spécialistes de l'information et des

télécommunications et de multiples rapports de gestion) le coût de la transaction du

client n'est pas réduit, il est multiplié - selon un informateur de qualité - vingt fois! D'où

l'exigence d'une facturation des services en fonction de leur utilisation.

Ces réflexions sur les investissements recoupent de vieilles observations et

généralisations sur la technologie. Selznick (1957) nous a montré que l'organisation

faiblement dirigée avait tendance à battre en retraite vers la technologie («The retreat to

technology» dans les mots de Selznick). Mais cette leçon n'est pas intégrée par toutes

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Espaces de la stratégie et TI 315

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les organisations.59 La configuration de l'artefact est un vieux mythe tenace :

l'investissement exclusif dans la technologie (la retraite vers la technologie) sans

transformation en profondeur de l'organisation ne mène pas à la performance. Autant

l'école du management scientifique était vouée à l'échec en l'absence de l'école des

relations humaines, autant l'école de la création de valeur par la technologie de

l'information est condamnée sans l'apport d'une nouvelle école de la transformation

organisationnelle.

La configuration des architectes

La pyramide techno-organisationnelle

L'intégration de ces systèmes stratégiques et la montée de nouvelles

configurations - comme celles de l'interface et des architectes - questionne la structure

pyramidale traditionnelle.

La nouvelle pyramide n'est plus une pyramide fondée sur la hiérarchie de

commandement des organisés mais une pyramide fondée sur les nécessités du design

de produits et de services par des organisants. Les nécessités du design relèvent d'abord

d'un environnement concurrentiel difficile qui réduit dramatiquement la durée du cycle

de vie des produits. Une grande organisation doit savoir continuellement créer,

concevoir, spécifier, fabriquer et distribuer de nouveaux produits à partir des besoins

du client. Dans cette situation nouvelle, le management doit se définir non plus comme

un ensemble de décideurs et de contrôleurs mais comme des catalyseurs des efforts de

design. Souvent le management est ignorant - à divers degrés - des nouveaux savoirs et

savoir-faire qu'il faut mettre en oeuvre dans l'organisation. Autant le management peut

faire perdre leur temps à des experts de haut niveau qui travaillent en marketing et en

informatique, autant ces experts sont capables de s'auto-organiser dans un contexte

stratégique adapté, comme l'espace habité.

59Osterman (1991) cite les cas de deux usines de GM qui produisent des autos avec le même taux de défauts et le

même nombre d'heures par auto fabriquée. La différence entre les deux usines? L'une a été "modernisée": de

nouvelles technologies y ont été installées au coût de $ 650 millions. Mais cette modernisation ne s'est

accompagnée d'aucune innovation dans la gestion des ressources humaines (travail en équipe, flexibilité, cercles de

qualité, formation...). Au contraire, toujours selon Osterman, l'usine NUMMI (partenariat GM-Toyota) présente

d'excellentes performances avec peu d'investissements technologiques et beaucoup d'innovations dans la gestion de

la ressource humaine.

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Espaces de la stratégie et TI 316

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Figure 9.3.

La pyramide techno-organisationnelle

Dans l'entreprise qui utilise intensément les solutions de la technologie de

l'information, nous observons que la logique qui tend à prévaloir est une logique

d'assemblage de configurations mixtes de solution de la technologie de l'information et

d'espace de la stratégie plutôt qu'une simple logique de niveau hiérarchique de gestion.

La figure 9.3. illustre une telle situation où un même réseau intégré de communication

(symbolisé par le nuage) relie le sommet stratégique à une configuration qui conçoit et

fabrique les produits ainsi qu'à une configuration qui s'occupe de distribution à la

clientèle.

La mise en place d'une plate-forme électronique à l'échelle de l'organisation

accélère la création de configurations mixtes de la technologie de l'information et de

l'espace de la stratégie; de leur agencement dépendent les nouvelles structures

organisationnelles.

Trois raisons expliquent la pertinence de la notion d'espace de la stratégie pour

comprendre cette nouvelle pyramide techno-organisationnelle:

1. sa contribution à la compréhension de la transformation de l'organisation;

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Espaces de la stratégie et TI 317

_________________________________________________________________________

2. sa contribution à la compréhension de la déformation du concept de stratégie

dans l'organisation qui fait un usage intensif de la technologie de l'information;

3. sa contribution à la compréhension de la conformation de la fonction

informatique et télécommunications à cette situation nouvelle.

Nous terminons ce travail de recherche en examinant ces trois points.

Les transformations de l'organisation

Nous avons observé dans notre travail de recherche des configurations distinctes

de technologie de l'information et d'espaces de la stratégie autour d'activités. Par

exemple, la succursale peut devenir une vraie configuration de l'interface (quand elle

est vraiment orientée vers le conseil et débarrassée des activités de "back-office") ou vers

l'artefact (quand elle est entièrement automatisée). L'exemple de la fonction marketing

qui intègre les activités de développement informatique est un bon exemple de la

configuration des architectes. Ces architectes, informaticiens et gens du marketing,

deviennent les vrais "designers" de la gamme de produits et de services de la banque.

L'exemple de l'incroyable logistique externe des banques composée de terminaux au

point de vente, de guichets et kiosques automatiques, d'échange informatisé de

documents, de télématique et d'audiotexte fait de ces activités et des solutions de la

technologie de l'information qui les supportent une configuration de l'artefact.

Il nous semble que le sommet stratégique doit dans ce nouveau contexte pouvoir

gérer des configurations distinctes, aux logiques peu compatibles, plutôt que des

fonctions traditionnelles comme c'était le cas dans les bureaucraties: la finance, le

marketing, la distribution et les opérations de "back-office". Le sommet stratégique

devrait gérer ces trois configurations - aux frontières changeantes - selon trois logiques

ou trois thèmes: le design dans la configuration des architectes, la qualité dans la

configuration de l'interface et l'efficience dans la configuration de l'artefact.

Le design dans la configuration des architectes

De façon récurrente, la presse d'affaires insiste sur le rôle du design dans le succès

des entreprises. Il n'y a pas de magie dans le succès du design autre qu'une conception

intelligente du produit à partir des besoins précis du consommateur. Les exemples de

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Espaces de la stratégie et TI 318

_________________________________________________________________________

succès dans le design sont des exemples de collaboration étroite entre recherche et

développement, marketing et production. Ces succès ont lieu grâce à des interactions

multiples, à de l'autonomie dans l'action, à l'absence de théorie a priori sur le produit ou

le service qui doit émerger d'un consensus entre tous les acteurs et concepteurs.

Nonaka (1988) a très bien décrit un projet de nouveau véhicule chez Honda: sa

description est compatible avec ce que nous appelons l'espace habité.

La qualité dans la configuration de l'interface

La configuration de l'interface est une configuration mixte d'espace

programmatique et de solutions de la technologie de l'information pour la

représentation. Cette configuration se met en place autour des activités de vente et de

conseil en succursales. La logique ou le thème que doit jouer cette configuration est

celle de la qualité. L'objectif est de bien servir et de bien conseiller le client pour lui

vendre de nouveaux produits de la banque. Atteindre le consommateur plus en

profondeur exige une marque distinctive au niveau de la qualité, de la flexibilité et des

délais. Autant elle supporte l'interaction et contribue à la conception dans la

configuration des architectes, autant la technologie de l'information vient compléter la

représentation qu'ont les employés en succursale des besoins des clients et de l'offre de

produits et de services de la banque.

L'efficience dans la configuration de l'artefact

Si la flexibilité et le temps sont des notions présentes dans les trois configurations

décrites - on pourrait même poser que la flexibilité et le temps soient la cause de cette

transformation en configurations - l'efficience est propre à la configuration de l'artefact.

La configuration mixte de la technologie de l'information pour l'automatisation

s'installe autour des activités de logistique externe, de logistique interne et à des degrés

variables dans les opérations.

Des processus entre les configurations

Les activités de l'entreprise envahie par la technologie de l'information sont

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Espaces de la stratégie et TI 319

_________________________________________________________________________

transformées. Des configurations relativement homogènes s'installent au détriment des

structures traditionnelles - souvent en place depuis de nombreuses années. Le discours

actuel sur les cloisons à abattre entre les fonctions et les départements ainsi que sur les

étages à éliminer indiquent cette orientation vers la transparence structurelle. À la

manière d'un bureau à aire ouverte qui permet des arrangements nouveaux des postes

de travail, les structures fonctionnelles doivent être ouvertes - ou transparentes.

Le "redesign" des processus doit être interprété dans ce nouveau contexte de

configurations distinctes. Les processus qui se déroulent à l'intérieur d'une

configuration posent moins de problèmes que des processus qui se déroulent entre

deux ou trois configurations.

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Espaces de la stratégie et TI 320

_________________________________________________________________________

Les déformations du fonctionnement du concept de stratégie

Gérer des activités et des processus à l'intérieur d'une configuration est

relativement simple pour des raisons de cohérence interne: il y a dans chaque

configuration un fit entre technologie, activités et fonctionnement du concept de

stratégie. Il y a cependant, vu du sommet stratégique, une déformation du

fonctionnement du concept de stratégie. Une entreprise a une façon dominante de

concevoir et de mettre en oeuvre la stratégie: que ce soit le plan, la décision du sommet

ou l'émergence à partir des projets entrepris au niveau tactique.

La technologie de l'information, massivement implantée, vient déformer ce mode

dominant pour imposer des relations différentes entre les niveaux du concept de

stratégie en fonction des différentes configurations.

Prenons la configuration des architectes: on y retrouve une grande légitimité et

une grande expertise pour proposer des nouveaux produits et de nouveaux services.

Des projets issus de cette configuration peuvent transformer la stratégie de

l'organisation et questionner la grande stratégie (le niveau de l'identité et de la mission

organisationnelles).

La configuration de l'interface peut être l'objet d'une planification stratégique

classique - forces et faiblesses, menaces et opportunités - suivie d'une mise en oeuvre

encadrée par des programmes, comme le programme de qualité.

La configuration de l'artefact requiert des décisions directes et majeures du

sommet stratégique. Dans cette configuration, le développement et le maintien d'une

plate-forme intégrée de la technologie de l'information est prioritaire et ne peut être

l'affaire que du sommet.

La conformation de la fonction informatique

Tout ce qui est gestion des traitements, des données et des réseaux devrait être

pensé pour servir chacune des trois configurations. Il n'y a plus de situation simple et

unique autour de la technologie de l'information et il n'y a plus une bonne façon

d'arrimer la stratégie et les systèmes.

La configuration des architectes cherche à utiliser la technologie de l'information

pour concevoir de nouveaux produits, améliorer son processus de conception et créer

un impact sur les activités de l'entreprise, améliorant ainsi son positionnement.

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Espaces de la stratégie et TI 321

_________________________________________________________________________

La configuration de l'interface doit être supportée à partir de ces activités de

vente et de conseil; le mode d'alignement d'un plan technologie de l'information sur un

plan d'affaires correspond bien aux caractéristiques de cette configuration.

La configuration de l'artefact est d'abord une configuration technologique. La

façon d'y aborder la gestion de la technologie de l'information devrait privilégier la

compatibilité des plates-formes d'affaires et de technologie de l'information ainsi que

des deux architectures des affaires et de la technologie de l'information.

La plate-forme : une trajectoire technologique vers un territoire stratégique

Nous avons proposé dans le chapitre deux l'idée que la trajectoire du sommet

était associée à l'espace vide, et réciproquement. Nos observations recoupent d'autres

recherches qui vont dans ce sens : l'absence de plate-forme intégrée signale une faiblesse

dans les intentions stratégiques de la haute direction. En ce sens - comme aurait pu

l'écrire Chandler - la structure électronique suit la stratégie. Et cette infrastructure

électronique est aujourd'hui plus critique que la structure décrite habituellement dans

les manuels de design organisationnel : «Information architecture has replaced

organizational design, planning systems, and financial controls as the key to business design »

(Allen et Boynton, 1991 : 435).

La preuve de l'importance de l'intention stratégique du sommet réside dans le

fait que tous les grands systèmes stratégiques sont le résultat d'initiatives du sommet

dans le cadre d'une informatique centralisée. Les cas d'applications comme Otisline,

SABRE, le système ASAP d'American Hospital Supply, USAA, le Cash Management

Account de Merrill Lynch, Federal Express, Frito-Lay sont tous des efforts orientés vers

les communications qui sont conçus et gérés centralement (idem : 441).

En technologie de l'information comme en architecture, les grands architectes

d'une époque sont des personnes qui développent des trajectoires esthétiques nouvelles

pour transformer les organisations et redéfinir l'environnement. De plus, en

technologie de l'information, toutes les applications stratégiques sont de grandes

applications dorsales (ou «backbone») qui exigent un travail soutenu d'architecture.

Les entreprises qui peinent dans la réalisation de ces grandes plates-formes sont

des entreprises qui peinent tout autant dans le développement d'une intention

stratégique forte. La plate-forme intégrée est d'abord une oeuvre de la direction

générale.

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Espaces de la stratégie et TI 322

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La transparence des structures, la fin de la stratégie et le début de la grande stratégie

En nous risquant quelque peu au-delà des faits observés, nous pensons que la

transformation des organisations à partir de la technologie de l'information et la

déformation du fonctionnement du concept de stratégie entraîne les grandes entreprises

du secteur des services bancaires et financiers vers une situation nouvelle. Dans cette

situation nouvelle, ces entreprises devraient s'organiser autour de l'une des trois

configurations - les entreprises qui conservent ces trois configurations fortement

développées feront face à des défis majeurs de cohésion stratégique.

Quels seront les défis majeurs des grandes entreprises généralistes? La

transparence des structures, la fin de la stratégie comme exercice suffisant de définition

des grandes priorités et le début de la grande stratégie. Par grande stratégie, nous

entendons la dimension fondamentale de la stratégie qui est identité et mission. La

stratégie comme exercice de positionnement - au sens de stratégie générique - n'est plus

suffisante (n'est plus praticable) dans une organisation qui connaît des fonctionnements

très différents du concept de stratégie.

La stratégie risque d'émerger du niveau tactique, du couplage entre stratèges

appartenant aux différentes configurations de l'interface, des architectes et de l'artefact.

À moins que ces stratèges de l'émergence soient liés par une mission claire et forte, nous

voyons mal pourquoi ils se mettraient à partager leur information et à abattre les

structures qui retardent les processus de conception, de production et de distribution.

Vers une nouvelle vision de l'organisation

Nous commençons à disposer de données assez abondantes pour décrire ce qui

arrive aux organisations arrivées à un niveau critique d'intégration de leur plate-forme

électronique.

Ces données recoupent largement les cas qui sont régulièrement présentés dans

les revues spécialisées. Nous pouvons faire le point sur cette nouvelle vision de

l'organisation (voir la figure 9.4.) à partir du sommet stratégique, des exigences de

production, de distribution et de service à la clientèle.

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Espaces de la stratégie et TI 323

_________________________________________________________________________

Figure 9.4.

distr ibution électronique

relations avec le client

sommet st ratégique

LES ARC HITEC TESL'INTERFAC E

L'ARTEFAC Tt

coût s$

t t

posit ionnement%

innovation

%

design et fabrication des produit s

La pyramide techno-organisationnelle : le sommet, l'artefact, l'interface et les

architectes

Le sommet stratégique doit démontrer une intention forte de développer des

capacités stratégiques. Comme dans le cas du développement d'un nouveau véhicule

chez Honda (Nonaka, 1988), le sommet doit démontrer une intention stratégique forte

(Hamel et Prahalad, 1993) et être capable de comprendre ce qui se passe dans la «boîte

noire» où se développent de nouveaux produits. Le sommet doit également

encourager des communications intenses entre les fonctions traditionnelles et

développer de nouvelles façons de connaître les besoins des clients.

Au centre de cette réorganisation, il y a un processus de design intégré à la

gestion du cycle de vie des produits. C'est ce processus qui initie et perfectionne la

configuration des architectes. Les architectes sont les personnes qui connaissent très

bien les besoins du client, qui sont experts dans les technologies nouvelles, qui

maîtrisent les opérations de production et de distribution et qui, en partageant leur

savoir et leurs opinions, vont arriver à définir et à mettre en production de nouveaux

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Espaces de la stratégie et TI 324

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produits. Pour les banques, le produit va se traduire en nouvelles applications ou en

modifications aux applications existantes qu'il faudra mettre en production.

Autour de cette configuration des architectes, il y a une connaissance précise du

marché et un service de qualité au client. C'est la configuration de l'interface avec sa

maîtrise des données, de la simulation et de la prévision. Pour les banques, ceci

représente un réseau de succursales en relation permanente avec les experts en

marketing et qui dispose, sous une forme conviviale, des données indispensables à

l'élaboration de tactiques locales.

Partout s'étend une architecture cohérente de la technologie de l'information

autour de laquelle s'intègrent les opérations. Cette architecture permet d'étendre les

frontières de l'organisation et de créer des organisations « virtuelles».

Des liens entre les configurations sont développés et entretenus

systématiquement à partir de la configuration des architectes qui voit les spécialistes

des différentes fonctions travailler ensemble sur les nouveaux produits et les

améliorations à apporter aux produits existants. Si le sommet donne vie à ces

configurations par la force de ses intentions stratégiques, le rôle des managers

intermédiaires est critique pour la réalisation de ces intentions. Aussi ce n'est pas

l'aplatissement des organisations qui les rend performantes, c'est le travail critique

effectué par celles et ceux - les gestionnaires intermédiaires - qui interprètent le rêve du

sommet (Nonaka, 1988; Senge, 1990) pour en faire une réalité dans un contexte donné.

La question du comportement hiérarchique pour la pyramide organisationnelle,

c'est la question d'une cohérence dans le processus de prise de décision. La question du

comportement stratégique dans la pyramide techno-organisationnelle, c'est la question de

la maîtrise des exigences du design, de la production et de la distribution, et du service

dans des configurations cohérentes. Nous avons observé que les différentes

configurations existent à l'intérieur d'une même organisation, et c'est ce que la

littérature nous indique également.

Créer de la cohésion entre l'architecture des affaires et l'architecture de la

technologie de l'information, inspirer un arrangement, un alignement, une modification

des processus et des activités exige d'abord la mise en pratique de l'idée suivante : le

comportement stratégique de l'organisation envahie par la technologie de l'information

n'est pas unique, il est multiple.

Il y a des activités - principalement autour de la centrale et des réseaux - où

l'automatisation pure et simple indique le bon comportement. Il est d'autres activités -

comme la conception de produits - où l'exigence combinée du temps et du travail en

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Espaces de la stratégie et TI 325

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équipe impose l'établissement d'un contexte relativement autonome et hautement

interactif.

L'unité de gestion de la technologie de l'information n'est plus la fonction

informatique mais bien la plate-forme électronique qui permet la mise en place des

configurations mixtes de l'artefact, de l'interface et des architectes. Dans beaucoup

d'organisations cette plate-forme est en attente d'intentions stratégiques fortes et d'une

volonté de bâtir une oeuvre architecturale.

La vision pyramidale de l'organisation doit laisser la place à une vision par

configuration qui existent en même temps autour d'activités distinctes. Au sein de

chacune de ces configurations et d'une façon qui leur est particulièrement adaptée, les

activités et les processus d'affaires doivent être repensés à la lumière des raccourcis que

permet la plate-forme intégrée de la technologie de l'information.

Recherches futures

Les recherches à entreprendre pour compléter ce travail de recherche seraient les

suivantes :

- documenter, par l'étude de cas, l'existence des configurations présentées dans

cette recherche;

- tester, par des méthodes quantitatives, l'existence de ces configurations sur des

échantillons statistiques;

- suivre de près les expériences de réingénierie pour comprendre la cause de

leurs succès et échecs en fonction des configurations présentées;

- analyser l'évolution parallèle des processus de planification stratégique et des

systèmes dans le cadre de ces mêmes configurations de l'artefact, de l'interface et des

architectes;

- analyser l'évolution de l'organisation de la fonction informatique à partir des

configurations de la recherche;

- observer et comprendre le ou les nouveaux fonctionnements du concept de

stratégie dans les grandes organisations, dans les réseaux interorganistionnels et les

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Espaces de la stratégie et TI 326

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organisations «virtuelles».

Implications pour la gestion

Nous voyons au moins trois grandes implications pour les gestionnaires et pour

la gestion.

Premièrement, il faut aborder avec prudence le changement organisationnel.

Toute la «musique» actuelle autour du changement organisationnel semble commencer

par la note «ré» : pour réorganisation, pour réingénierie et pour restructuration. Or, nous

avons que les dimensions informelles - ou moins formelles - sont essentielles pour

comprendre le succès des entreprises. Ces dimensions sont politiques, instrumentales

et théoriques.

Deuxièmement, il faut se défier de l'organisation dite "horizontale". Sans

sommet stratégique, point d'ambition ou d'intention stratégique ni de réflexion sur les

changements dans l'environnement. Sans gestionnaires intermédiaires, personne ne

peut interpréter l'ambition stratégique et la traduire dans les systèmes opérationnels.

Troisièmement apparaît la technologie de l'information. À l'intérieur d'un espace

habité et en présence d'une ambition stratégique, sa contribution à la performance passe

par le déploiement d'une plate-forme conçue en fonction d'une cible architecturale de la

technologie de l'information. Cette plate-forme requiert des moyens centraux de

planification, de suivi et de contrôle.

Les conditions de l'oeuvre architecturale

Comme dans l'art architectural, la trajectoire vers l'oeuvre exige les

caractéristiques de l'espace vide : légitimité de représenter, outils adaptés et vision.

Dans les années 1980, les trois organisations observées ont connu - à des degrés

et pour des périodes diverses - un empire informatique puissant. La vice-présidence

informatique pesait plus que toutes les autres vice-présidences, se prenait parfois pour

la présidence quand se n'était pas le président lui-même qui se mêlait de diriger de

façon autocrate sa fonction informatique. Les conditions et l'exercice de la légitimité

étaient bien présentes.

Pour ce qui est du complexe d'outils (Raymond, 1984), l'ensemble des procédés et

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Espaces de la stratégie et TI 327

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des techniques qui permettent que l'idée de l'oeuvre devienne une oeuvre représentée,

nous pouvons penser que ces techniques n'étaient pas de nature stratégique.

Connaissant la similitude des infrastructures informatiques et la préférence de ces

organisations pour «Big Blue», nous pouvons raisonnablement penser que la méthode

de développement d'une architecture était BSP, c'est-à-dire une méthode classique

d'alignement (Wiseman, 1987). Nous n'avons pas cependant orienté notre recherche

vers une exploration systématique de l'évolution des fonctions informatiques et de leurs

méthodologies.

La vision du sommet est la troisième caractéristique de l'espace vide. Il

appartient au sommet d'affirmer la centralité de la question de la plate-forme de la

technologie de l'information dans le contexte stratégique de la firme (Venkatraman,

1991). Ce que nous retenons de nos entrevues au sommet, c'est que l'informatique n'a

pas été l'objet de l'attention de la haute direction à cause de l'oeuvre architecturale qu'elle

réclame mais elle a été l'objet de l'attention de la présidence à cause des coûts qu'elle

génère. La direction informatique a également été critiquée - et parfois condamnée - à

cause d'une architecture trop centralisée. Seule la Banque Métro qui a confié clairement

un mandat d'architecture et des moyens puissants à une équipe de gestionnaires de

l'informatique semble avoir maintenu un cap constant vers une cible architecturale. À

la Banque Mutuelle, le débat centralisation/décentralisation mobilise les énergies dans

un débat politique qui n'est plus celui de l'établissement d'une plate-forme intégrée. À

la Banque de l'Est, les contraintes des performances à court terme semblent accaparer

toute l'attention de la haute direction : ces contraintes semblent favoriser les

investissements de substitution.

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Espaces de la stratégie et TI 328

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