la tenue du violon a lepoque baroque - i - texte
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Université Paris I Panthéon-Sorbonne
UFR d’Histoire - Spécialité Histoire des Sciences et Histoire des Techniques
Master Histoire des Techniques
Mémoire de Master II Recherche
La tenue du violon à l’époque baroque
Volume I - Texte
Présenté par Cyril LACHEZE
Sous la direction de Anne-Françoise GARÇON
Année 2012-2013
Remerciements
Je souhaite exprimer ma gratitude à l’ensemble des personnes qui ont, d’une manière
ou d’une autre, contribué à permettre l’aboutissement de ce travail sur ces deux années de
Master :
Le professeur d’Histoire des Techniques, de l’Université Paris I, Anne-Françoise
Garçon, pour ses conseils fructueux et pour m’avoir confié un sujet correspondant
parfaitement à mon intérêt pour la musique ; de même les membres du jury qui seront chargés
d’évaluer ce mémoire, et notamment Julien Dubruque, musicologue et claveciniste, avec
lequel j’ai eu la chance de pouvoir échanger de façon très fructueuse, musicien baroque qui
partage ma vision de l’« historicité » de la musique ancienne.
Les différents professionnels que j’ai pu rencontrer et qui m’ont prodigué des conseils
variés et toujours avisés sur mon sujet, en particulier Nelly Poidevin, archetière baroque
certainement la plus réputée de France, et Anne Houssay, chercheuse en histoire des
techniques et restauratrice à la Cité de la Musique de Paris, qui m’ont toutes deux accueilli
avec beaucoup de sympathie.
Les professeurs successifs de violon, qui m’ont donné l’envie, parfois bien malgré
eux, de comprendre leurs choix techniques, particulièrement Patrick Boutelier, Agnès
Reverdy, Maryvonne Le Dizès, Akiko Nanashima et Jean Mouillère en violon classique, et
Hélène Schmitt en violon baroque.
Mes camarades de promotion, aussi bien en Histoire qu’en Archéologie, pour leur
présence, leur intérêt pour un sujet généralement sans rapport avec leurs propres recherches,
et pour le recul et l’auto-dérision que permet l’échange de points de vue.
Enfin, ma famille, qui m’a offert la chance de pouvoir suivre des études musicales de
haut niveau parallèlement à un cursus général, puis à un double parcours universitaire, et qui
supporte au quotidien les contraintes que cela entraîne.
Sommaire
Abréviations.................................................................................................... 7
Introduction................................................................................................... 8
I) Sources et bibliographie............................................................................13
A) Sources 13
1) Sources textuelles........................................................................... 13
2) Partitions.........................................................................................20
3) Iconographie................................................................................... 21
4) Instruments..................................................................................... 21
B ) Bibliographie 23
1) Bibliographie.................................................................................. 23
2) Webographie...................................................................................28
3) Discographie...................................................................................28
II) État de la recherche................................................................................. 29
A ) Des sources variées et complémentaires 29
B ) Une historio graphie restreinte 3 2
C ) Méthodologie et application 3 5
1
III) Un corpus partiel....................................................................................40
A) Des traités de différentes natures 4 0
1) Le XVIe siècle, la réduction en art.................................................. 40
2) La diversification du XVIIe siècle.................................................. 42
3) La spécificité anglaise.................................................................... 48
4) Le XVIIIe siècle, mise en place des « méthodes ».......................... 52
5) Les « méthodes » classiques...........................................................54
B ) Apports potentiels de l’iconographie 6 1
1) Tableaux religieux, représentation irréaliste ?................................61
a) Des techniques probablement imaginaires 61
b) Des positions plausibles 63
2) Les représentations réalistes........................................................... 63
a) Les professionnels et la cour 63
b) La haute société 65
c) La pratique populaire 68
3) Les illustrations techniques............................................................ 70
a) Les manuels du XVIIIe siècle 70
b) Les gravures décoratives 73
C ) Les périodes effectivement documentées 7 5
1) Moyen-Age et Renaissance : la piété italienne et allemande......... 75
2) Baroque ancien et moyen : l’âge d’or de la peinture flamande...... 76
3) Baroque tardif et classicisme : l’art de vivre à la française............ 78
2
IV) Étude archéologique de l’archet............................................................79
A) Un préalable indispensable 79
1) L’archet comme objet d’étude........................................................79
2) Les sources disponibles.................................................................. 81
3) État de l’art sur l’évolution de l’archet........................................... 84
a) Des premiers travaux à David Boyden 84
b) Les travaux plus récents 87
B ) Étude iconographique de l’archet 9 3
1) De l’archet long médiéval à l’archet court Renaissance................ 93
a) Le Moyen-Age, entre archets longs et courts 93
b) Une évolution précoce en Italie 95
c) Une Europe en retard ? 96
2) Le XVIIe siècle, un allongement progressif ?................................. 97
a) Le baroque ancien, la généralisation de l’archet
« français » en Italie 97
b) Le baroque moyen, l’archet « italien »... en Hollande 99
3) Du baroque au romantisme.............................................................101
a) Uniformisation du baroque tardif 101
b) Dernières évolutions du classicisme 103
C ) Implications de l’étude « archéologique » 10 4
1) Typo-chronologie modifiée............................................................ 104
2) Impact des archets sur la tenue....................................................... 107
3
V) Histoire technique de la tenue du violon baroque.................................110
A) Aperçu à travers l’historiographie 11 0
1) Le violon : une analyse floue..........................................................110
a) Le premier schéma par David Boyden 111
b) Jean-Paul Burgos : une synthèse actualisée 112
c) Études localisées 115
2) L’archet : tenue française, tenue italienne...................................... 117
a) David Boyden, l’imposition des deux tenues 117
b) Les études postérieures 118
B ) Le discours des traités 12 1
1) Le violon, une évolution plus chaotique que prévue...................... 121
a) Les premières indications 121
b) Le XVIIe siècle, une tenue basse 122
i) Une pratique généralisée...................................................122
ii) Lenton, la trace de Nicola Matteis................................... 124
iii) Prinner, une étonnante exception....................................126
c) Une évolution chaotique vers la tenue actuelle 128
i) Survivances de la tenue basse...........................................128
α/ Labadens, la clé pour la technique... du XVIIe siècle 128
β/ Survivances en Europe du Nord 131
γ/ Mozart, une évolution à regret 133
ii) La tenue haute : poser le menton ou non ?...................... 134
α/ Les attestations générales 134
β/ Une tenue « libre » tardivement 136
γ/ Poser le menton : à droite ou à gauche ? 137
2) L’archet, entre tenues « française » et « italienne »....................... 139
a/ Muffat et Corrette, aux origines des tenues
« française » et « italienne » 139
b/ La tenue « française », premier tiers du XVIIIe siècle 141
4
c/ La tenue « italienne », une description biaisée ? 143
i) Corrette, un cas quasiment unique.................................... 143
ii) La tenue « italienne » classique ?................................... 144
iii) L’évolution tardive vers une tenue moderne.................. 145
C) Réalisme technique des représentations iconographiques 147
1) Tenues à gauche du corps............................................................... 147
a) Les tenues habituelles 147
b) La tenue de ceinture 149
2) Tenues plus spécifiques.................................................................. 151
a) La tenue da spalla 151
b) La tenue en guitare 152
c) La tenue verticale 157
D ) Observations d’après l’iconographie 1 59
1) Le violon, des dynamiques complexes........................................... 159
a) Le Moyen-Age, une distinction régionale 159
i) L’Italie, déjà une tenue haute............................................159
ii) Quelques spécificités germaniques..................................163
iii) Le reste de l’Europe médiévale...................................... 166
b) Renaissance et premier baroque, une tenue basse 167
i) La Renaissance................................................................. 167
ii) Premier baroque...............................................................169
c) Le second baroque 171
d) Le XVIIIe siècle, vers la tenue moderne 173
i) Le baroque final................................................................ 174
ii) Classicisme...................................................................... 177
e) Conclusion sur le violon 178
2) L’archet, à travers tenues « française » et « italienne »..................180
a) Moyen-Age 180
b) Renaissance et premier baroque 181
c) Baroque moyen 182
5
d) Baroque récent et classicisme 184
e) Conclusion sur l’archet 186
E ) Des sources globalement synchrones 18 7
VI) Correspondances avec la musique........................................................ 192
A) Des évolutions liées à la musique ? 19 2
B ) Évolutions de la technique, évolutions de la musique 19 7
C ) Le cas de la musique populaire 20 0
VII) Les ruptures techniques, impacts de facteurs externes ?.................. 204
A) Cultures et techniques, cultures techniques 20 4
1) Les identités « italienne » et « française »......................................204
2) La place de l’Allemagne.................................................................206
3) La Hollande de 1635...................................................................... 208
B ) L’importance de l’événement particulier 21 0
1) Matteis, un impact possible............................................................ 210
2) Prinner, un critique isolé.................................................................211
3) Un mécanisme répandu en musique............................................... 212
Conclusion......................................................................................................217
Annexes (volume II)........................................................................................223
6
Abréviations
cf confer
cm centimètres
éd. édition
et al. et les autres
ff. folios
fig. figure
NC non connu
p. page
pp. pages
s.l. sans lieu
s.n. sans nom
s.p. sans pagination
v. vers
vol volume
7
Introduction
Le présent mémoire constitue la suite d’un travail entrepris en Master 1 portant sur la
tenue du violon et de l’archet à l’époque baroque. En effet, depuis les années 1970, un
courant de redécouverte du répertoire de cette époque, c'est-à-dire des XVIe au XVIIIe siècles,
s’est développé au sein de la musique classique, sa particularité étant d’utiliser une approche
« historiquement informée » : il ne s’agit pas à proprement parler de réaliser un travail
historique, mais d’essayer de retrouver les goûts, instruments et sonorités originaux, afin de
jouer les œuvres telles qu’elles ont potentiellement pu être entendues à leur époque. Le violon
n’échappe pas à la règle, et il s’agit de l’un des principaux instruments employés dans ce
mouvement « baroqueux », avec l’utilisation d’instruments (anciens ou non) réglés de
manière historique, et une technique ainsi qu’une interprétation correspondantes. Toutefois,
cette approche s’arrête en réalité généralement aux nécessités des artistes pour obtenir un
rendu « ancien », sans chercher à s’assurer de la validité historique absolue de celui-ci. Du
moins, les recherches peuvent être assez poussées en ce qui concerne l’interprétation, et dans
une moindre mesure pour les instruments. Par contre, dans le domaine de la technique pure,
les connaissances, ou du moins la pratique, s’arrêtent au strict minimum.
En effet, au moins pour ce qui est du violon et de son archet, la technique enseignée en
conservatoire et appliquée par la quasi-totalité des interprètes, quelle que soient la date et
l’origine du morceau qu’ils ont à jouer, est celle que l’on trouve décrite dans les traités du
milieu du XVIIIe siècle, soit une technique très tardive par rapport à l’époque considérée. Nous
nous focaliserons ici simplement sur la tenue de l’instrument, à savoir principalement : pour
le violon, l’endroit et la façon dont celui-ci est appuyé contre le corps ; pour l’archet
l’emplacement de la main et la manière de l’agripper ; ce qui est l’aspect le plus basique de la
tenue violonistique. Le manque de réflexion historique est criant pour cette thématique : la
tenue retenue est en général quasiment une tenue de violon actuelle, à la simple différence
que le menton n’est pas posé sur le violon, et que l’archet est un modèle baroque plus court et
plus léger, parfois tenu avec la main un peu plus avancée sur la baguette qu’actuellement.
8
Cette combinaison a été adoptée d’une part parce qu’elle est la mieux documentée dans les
traités d’époque (par les plus tardifs, qui sont à la fois les plus nombreux, les plus volumineux
et les plus lisibles), et d’autre part, voire surtout, car elle se rapproche suffisamment de la
tenue actuelle pour pouvoir être utilisée sans trop de difficulté par des musiciens presque
toujours de formation initiale « classique », entraînés sur des instruments et avec une
technique modernes. Même ainsi, la transition est d’ailleurs loin d’être aisée, ces quelques
modifications bouleversant déjà radicalement les habitudes au point d’empêcher totalement le
jeu dans un premier temps. Or, une simple visite dans un musée exposant des tableaux du
XVIIe siècle représentant des violonistes, permet de découvrir des positions qui n’ont aucun
rapport avec celles-ci : des instruments tenus très bas, contre l’épaule voire la poitrine, ou des
archets radicalement différents par leur forme et leur tenue.
Ces tenues « différentes » n’ont en réalité jamais été étudiées, ou presque : à part
quelques études ponctuelles et partielles, la seule synthèse à ce sujet date d’avant la
redécouverte de la musique baroque, et est actuellement largement dépassée, même si elle
reste une référence par la force des choses. De même, les musiciens s’y sont encore moins
souvent penchés que les universitaires : les violonistes ayant effectué des recherches sur cette
thématique se comptent sur les doigts d’une, ou peut-être deux mains, et un seul
enregistrement a été produit jusqu’alors revendiquant une telle recherche historique et une
tenue réellement « historiquement informée ». Or, nous avons pu démontrer, lors de notre
mémoire précédent, que l’analyse historique était en réalité très légère et avait finalement
presque certainement conduit à une importante erreur d’interprétation des sources, et à une
tenue « reconstituée » qui n’avait en fait aucun rapport avec la réalité historique. Afin
d’apporter un éclairage sur cette thématique totalement méconnue, voire ignorée, nous nous
proposons donc de tenter une synthèse des connaissances que les sources nous permettent
d’obtenir, entre l’apparition du violon au début du XVIe siècle, et même un peu avant pour
prendre en compte ses ancêtres directs, et la mise en place de la tenue actuelle dans la
deuxième moitié du XVIIIe siècle. Notre étude se limitera de fait à l’Europe occidentale, étant
la seule région du monde pour laquelle nous disposions de sources suffisantes (le violon s’est
également répandu en Europe orientale ainsi que dans les empires coloniaux, mais les sources
pour ces zones sont inexistantes dans l’état actuel de nos connaissances). Ce faisant, nous
nous plaçons dans un courant « extrême » du mouvement baroque, qui considère celui-ci
9
comme une démarche de reconstitution historique, quasiment archéologique, alors que la
grande majorité des musiciens baroques ne voient dans ce monde musical qu’une source
d’inspiration et de matière, pour produire une musique ancrée dans l’époque actuelle.
Toutefois, même si cette attitude « historicisante » est souvent décriée, parfois assez
violemment, elle nous semble indispensable pour une réelle compréhension en profondeur de
ce paysage technique et musical. Ceci implique également que nous sortions du cadre musical
pur, pour entrer de plain-pied dans le monde de l’histoire des techniques, notre recherche
appliquant plutôt une démarche historienne au monde de la musique, que l’inverse.
Pour ce faire, nous utilisons des sources variées, dont l’accès n’est possible qu’à
travers les nouvelles technologies, ce qui explique (ou peut expliquer) aussi pourquoi de telles
études n’ont pas été entreprises auparavant. En effet, si les sources textuelles, principalement
des traités techniques, sont connues depuis longtemps et massivement utilisées (nous donnons
en annexe 5 les citations utilisées dans cette étude), nous nous proposons ici de croiser celles-
ci avec des donnés issues de l’iconographie ; or, aucun recensement des œuvres montrant des
violons n’existe, et celui-ci n’a pu être mené que grâce aux énormes bases de données
d’images disponibles sur Internet. Par l’analyse de plusieurs de ces bases de données, nous
avons ainsi pu constituer un corpus (non exhaustif) de plusieurs centaines de références, dont
nous donnons les détails iconographiques utiles à notre propos également en annexe 11 et 12
(l’intégralité des œuvres étant regroupées sur le CD fourni dans la couverture). Nous incluons
d’ailleurs dans l’annexe 12 des représentations d’autres instruments à cordes frottées, qui ne
nous sont pas utiles dans notre recherche, mais qui pourraient éventuellement servir pour de
futures études sur le même sujet pour des instruments proches du violon. D’autre part, il faut
également souligner la mise à profit d’éléments d’ethnologie, ainsi que de partitions
musicales, elles aussi rendues disponibles par l’existence d’une base de données collaborative
sur Internet. Enfin, une telle étude n’est réalisable que si le chercheur est lui-même un
« technicien », autrement dit maîtrise lui-même son objet d’étude : en l’occurrence, nous
sommes nous-même violoniste (de formation classique et baroque), et pouvons donc mettre
en place un volet expérimental, afin de tester nos hypothèses ; ceci nous permet également de
repérer instinctivement les éléments importants pour la compréhension d’une tenue, ce qu’un
néophyte ne pourrait probablement pas réaliser, ou du moins de manière moins efficace.
10
Notre travail étant principalement axé sur « l’histoire technique » d’une technique,
nous l’organiserons autour de la recherche de la reconstitution de celle-ci. Cette histoire se
révèle également intéressante du point de vue de l’histoire de la « pensée technique », mais il
importe tout d’abord de bien comprendre son déroulement concret avant de réfléchir sur les
implications de celle-ci, aussi cette seconde approche sera beaucoup moins appuyée. Nous
proposons donc tout d’abord un état de l’art, reprenant les principaux éléments de notre
mémoire de Master I, indispensables pour comprendre la démonstration en elle-même. Dans
un second temps, nous détaillons les sources à notre disposition, aussi bien textuelles
qu’iconographiques, afin de cerner exactement les possibilités d’interprétation de cette
recherche. S’insère ensuite une étude archéologique de l’archet ; il s’agit ici d’un sujet
annexe, mais indispensable, qui lui-même n’est pas réellement traité dans l’iconographie,
quoique quelques facteurs s’y soient intéressés. En effet, si la question ne se pose pas
vraiment pour le violon, les évolutions de la tenue de l’archet sont par contre directement
liées aux modifications apportées à l’archet, considérables entre le XVIe et le XVIIIe siècle : il
importe donc de cerner celles-ci avant d’aborder la question de la tenue de l’archet. La
quatrième partie est le cœur de la réflexion, à savoir la reconstitution de l’histoire technique
de la tenue du violon puis de l’archet. Enfin, les deux dernières cherchent à établir des
interprétations, ou du moins des pistes de réflexions, quant aux relations de ces techniques
avec la musique (en évolution) qui leur est contemporaine, puis à dégager une interprétation
en termes de pensée technique de nos découvertes, se rattachant ainsi directement aux thèmes
propres à l’histoire des techniques.
Dans l’ensemble de ces réflexions, nous devons nous confronter à une disparité
extrêmement importante en termes de temps et de lieu. Le premier paramètre est résolu en
adoptant un découpage temporel propre à la musique, qui correspond bien, également, aux
observations d’ordre technique : Renaissance (1500-1580), Baroque ancien (1580-1630),
Baroque moyen (1630-1700), Baroque récent (1700-1750), Classicisme (1750-1800). Il va de
soi, comme on peut s’en douter à la vue de ces dates entières, que celui-ci est extrêmement
schématique et ne peut être employé qu’à titre indicatif. Globalement, le temps est donc
découpé en demi-siècles, le Baroque ancien étant décalé d’une vingtaine d’années en arrière ;
il va cependant de soi que, dans notre réflexion, nous distinguerons une chronologie beaucoup
plus détaillée, avec des séquences ne dépassant pas forcément la décennie. Le second
11
problème, celui de la spatialisation est plus difficile à résoudre ; en effet, les limites et la
dénomination des territoires ont considérablement varié entre le XVIe et le XVIIIe siècle,
rendant la gestion des noms de pays impossible ; d’autre part les frontières politiques ne sont
pas forcément pertinentes en histoire des techniques. Il faut également prendre en compte le
fait que les artistes ont souvent été assez mobiles, et que nous ne pouvons nous permettre de
rechercher pour nos centaines de références, la ville de résidence de chacun à l’époque où il a
réalisé l’œuvre qui nous intéresse. Faute de mieux, nous utilisons donc le découpage des pays
actuels, qui a l’avantage d’être plus agrégatif que celui de l’époque moderne, à défaut d’être
plus pertinent. Nous distinguons ainsi principalement l’Italie, l’Espagne, la France,
l’Allemagne, la Hollande et l’Angleterre, qu’il faut à chaque fois comprendre comme des
zones géographiques plus que comme les pays en eux-mêmes. De plus, nous désignons
certaines toiles comme suisses, bohémiennes, autrichiennes et belges : là encore, il faut plutôt
comprendre ces désignations comme l’indication d’un espace frontalier entre deux des
grandes régions citées précédemment. Par exemple, la « Belgique » n’a aucun sens à l’époque
moderne, mais nous pouvons la comprendre comme l’espace situé entre la France et les Pays-
Bas eux-mêmes, rattaché aux Pays-Bas jusqu’à la fin du XVIe siècle, puis formant les Pays-
Bas espagnols par opposition aux Provinces-Unies du Nord jusqu’au milieu du XVIIe siècle, et
enfin aux Pays-Bas autrichiens jusqu’à la fin de notre période d’étude, toujours en
considérant qu’aucune frontière nette n’y est attachée, mais plutôt une zone de rayonnement
indéfinissable.
Afin de faciliter la compréhension de certains termes techniques, nous fournissons en
Annexe 1 un lexique ; outre les annexes particulières à cette étude (3-8), une reproduction
complète des extraits de sources textuelles et iconographiques utilisées de manière plus
globale (9-12) ; enfin, les reproductions intégrales des œuvres en question, ainsi que notre
mémoire de Master 1, sont placés sur un CD joint à ce volume. Dans le cours du texte, nous
n’indiquons pas directement les références de l’iconographie, qui prendraient sinon beaucoup
trop de place et seraient illisibles, mais celles-ci peuvent être retrouvées sans difficulté en se
référant à la base de donnée et l’annexe correspondante ; la même observation est valable
pour les traités, dans les chapitres qui analysent ceux-ci. Les annexes suivent les chapitres de
la démonstration.
12
I) Sources et bibliographie
L’ensemble de ces sources a été décrite dans le mémoire précédent celui-ci1, un
résumé de ces observations étant proposé par la suite (cf. p. 29). Compte tenu de leur nombre
et de leur faible importance individuelle, il est plus utile, pour les sources imprimées et
l’iconographie, de se reporter aux annexes (9-12), qui en livrent des tableaux récapitulatifs
ainsi que les extraits utilisés.
A) Sources
1) Sources textuelles
Anonyme, APOLLO’S CABINET : OR THE MUSE’S DELIGHT. AN ACCURATE
COLLECTION OF ENGLISH and ITALIAN SONGS, CANTATAS and DUETTS, Set to
MUSIC for the Harpsichord, Violin, German-Flute, &c. WITH INSTRUCTIONS FOR THE
VOICE, VIOLIN, HARPSICHORD or SPINET, GERMAN-FLUTE, COMMON-FLUTE,
HAUTBOY, FRENCH-HORN, BASSON, and BASS-VIOLIN. ALSO, A Compleat Musical
DICTIONARY, And several HUNDRED ENGLISH, IRISH and SCOTS SONGS, Without the
MUSIC, Liverpool, John Sadler, 1756, 216 p.
ARBEAU, Thoinot, ORCHESOGRAPHIE, METODE, ET TEORIE EN FORME DE
DISCOVRS ET TABLATVRE POVR APPRENDRE A DANCER, BATTRE LE Tambour en
tout sorte & diuersité de batteries, Iouër du fifre & arigot, tirer des armes & escrimer, auec
autres honnestes exercices fort conuenables à la Ieunesse. AFFIN D’estre bien venue en
toute Ioyeuse compagnie & y monstrer sa dexteritè & agilité de corps, Lengres, Iehan des
Preyz, 1596 (1ère éd. 1589), 104 p.
1 LACHEZE, Cyril, La tenue du violon à l’époque baroque, Mémoire de Master I d’Histoire (dir. Anne-François Garçon), Paris, Université Paris I, 2012, pp. 8-59.
13
"B.", "T. ", THE COMPLEAT Musick-Master : BEING Plain, Easie, and Familiar RULES
for SINGING, and PLAYING On the most useful Instruments now in Vogue, according to the
Rudiments of Musick. Viz., VIOLIN, FLUTE, HAUT-BOY, BASS-VIOL, TREBLE-VIOL,
TENOR-VIOL. Containing likewise A great Variety of Choice Tunes, and fitted to each
Instrument, with Songs for two Voices. To which is added, a Scale of the Seven Keys of
Musick, shewing how to Transpose any Tune from one Key to another, London, William
Pearson, 1722, 72 p.
BEER, Johann, MUSICALIsche Discurse durch die Principia der Philosophie dedurcit, und in
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BREMNER, Robert, Some Thought on the Performance of Concert Music, Edinburgh,
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CORRETTE, Michel, L’ECOLE D’ORPHÉE. MÉTHODE Pour Apprendre facilement à joüer
DU VIOLON Dans le goût François et Italien ; Avec des Principes de Musique Et beaucoup
de Leçons à I, et II Violons. Ouvrage utile aux commençants et a ceux qui veulent parvenir à
l’execution des Sonates, Concerto, Pieces par accords Et Pieces a cordes Ravallées, Paris,
L’Auteur, Boivin et Le Clerc, 1738, 43 p.
CORRETTE, Michel, L’ART De se perfectionner dans le Violon. Ou l’on donne à étudier des
Leçons sur toutes les positions des quatre cordes du Violon et les différens coups d’archet.
Ces leçons où les doigts sont marqués dans les endroits difficiles, sont tirées des Sonates et
Concerto des meilleurs Auteurs Italiens et allemands &c. avec des préludes sur Chaque ton,
des points d’orgues, des tours de forces, des Menuets et Caprices avec des Variations et la
Basse. Cet Ouvrage faut la Suite de l’Ecole d’Orphée Méthode pour le Violon, Paris, Melle
Castagnery, 1782, 90 p.
14
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zu spielen sich wird unterfangen dörffen ; Aus Verschiedenen berühmten Musicis colligirt,
15
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deuis des accordz de Musique ; par forme de dialogue interrogatoire & responsif entre deux
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KIRCHER, Athanasius, Musurgia Universalis, sive Ars Magna consoni et dissoni in X libros
digesta. Qua Vniversa Sonorum doctrina, et Phylosophia, Musicaeque tam theoricae, quam
practicae scientia, summa varietate traditur ; admirandae Consoni, et Dissoni in mundo,
adeoque Universa Natura vires effectusque, vti noua, ita peregrina variorum speciminum
exhibitione ad singulares usus, tum in omnipoene facultate, tum potissimum in Philologia,
Mathematica, Physica, Mechanica, Medecina, Politica, Metaphysica, Theologia aperiuntur
et demonstrantur, Roma, Francisco Corbelletti, 1650, 2 vol.
KÜRZINGER, Ignaz, Getreuer Unterricht zum Singen mit Manieren, und die Violin zu spielen.
Zum Gebrauch und Nuzen der Anfänger ; zur Erleichterung der Herren Chorregenten,
Cantorn, Thurnermeistern, und andern, die sich mit Instruieren beschäftigen. Nebst einem
Alphabetischen Anhang der mehrsten Sachen, welche einem rechtschaffenen Sänger, oder
Instrumentisten zu wissen nöthig sind, Augsburg, Johann Jacob Lotter und Sohn, 1793 (1ère
éd. 1763), 95 p.
16
L’ABBÉ LE FILS (SAINT-SEVIN, Joseph-Barnabé), PRINCIPES DU VIOLON POUR
APPRENDRE LE DOIGTÉ DE CET INSTRUMENT, Et les différends Agréments dont il est
susceptible, Paris, Des Lauriers, 1772 (1ère éd. 1761), 81 p.
LABADENS, J., NOUVELLE METHODE POUR APPRENDRE à jouer du Violon, et à lire la
Musique ; enrichie de plusieurs Estampes en taille douce, Paris, Adresses Ordinaires de
Musique, 1772, 67 p.
LENTON, John, The Gentlemen’s Diversion, or The Violin Explained, Londres, Lenton, 1693,
NC.
LÖHLEIN, Georg, Anweisung zum Violinspielen, mit praktischen Beispielen und zur Uebung
mit vier une zwanzig kleinen Duetten erläutert, Leipzig und Züllichau, Waysenhausund
Frommannischen Buchhandlung, 1781 (1ère éd. 1774), 150 p.
MAJER, Joseph, MUSEUM MUSICUM THEORETICO PRACTICUM, das ist, Neu-eröffneter
Theoretischund Practischer Music-Saal, darinnen gelehret wird wie man sowohl die Vocalals
Instrumental-Music gründlich erlernen, auch die heut zu Tag üblichund gewöhnlichste,
blasend, schlagend und streichende Instrumenten in kurzer Zeit und compendieuser
Application in besondern Tabellen mit leichter Mühe begreifen könne. Nebst einem
Appendice derer anjeßo gebräuchlichstGriechischLateinischItaliänischund
Französischmusicalischen Kunst-Wörter nach Alphabetischer Ordnung eingerichtet und
erkläret. Zum nutzlichen Gebrauch aller und jeder Music-Liebhaber zusammen betragen und
mitgetheilet, Schwäbisch-Hall, Georg Michael Majer, 1732, 104 p.
MERCK, Daniel, COMPENDIUM MUSICÆ INSTRUMENTALIS CHELICÆ. Das ist :
Kurtzer Begriff, Welcher Gestalten Die Instrumental-Music auf der Violin, Pratschen, Viola
da Gamba, und Bass, gründlich und leicht zu erlernen seye. Der Jugend und andern
Liebhabern zu Gefallen aufgesetzt, und auf Begehren guter Freunde zu offentlichem Druck
befördert, Augsburg, Johann Christoph Wagner, 1695, s.p.
17
MERSENNE, Marin, HARMONIE VNIVERSELLE, CONTENANT LA THEORIE ET LA
PRATIQVE DE LA MVSIQVE, Où il est traité de la Nature des Sons, & des Mouuemens, des
Consonances, des Dissonances, des Genres, des Modes, de la Composition, de la Voix, des
Chants, & de toutes sortes d’Instrumens Harmoniques, Paris, Sebastien Cramoisy, 1636, 22
vol.
MERSENNE, Marin, SECONDE PARTIE DE L’HARMONIE VNIVERSELLE : CONTENANT
La Pratique des Consonances, & des Dissonances dans le Contrepoint figuré, La Methode
d’enseigner, & d’apprendre à chanter. L’Embellissement des Airs. La Musique Accentuelle.
La Rythmique, le Prosodie, & la Metrique Françoise. La maniere de chanter les Odes de
Pindare, & d’Horace. L’Vtilité de l’Harmonie, & plusieurs nouuelles Obseruations, tant
Physiques que Mathematiques : Auve deux Tables, l’vne des Propositions, & l’autres des
Matieres, Paris, Pierre Baillard, 1637, 798 p.
MOZART, Léopold, Versuch einer gründlichen Violinschule, entworfen und mit 4.
Kupfertafeln sammt einer Tabelle versehen, Augsburg, Johann Jacob Lotter, 1756, 264 p.
MOZART, Léopold, MÉTHODE RAISONNÉE Pour apprendre à Jouer du VIOLON, Paris, Le
Menu, 1770, 89 p.
MUFFAT, Georg, Suavoris Harmoniae Instrumentalis Hyporchematicae Florilegium
Secundum, Passau, Georg Adam Höller, 1698, NC.
NORTH, Roger, An Essay on Musicall Ayre, v.1715, 90 ff.
NORTH, Roger, The Musicall Gramarian, 1728, 181 ff.
PIGNOLET DE MONTECLAIR, Michel, MÉTHODE FACILE POUR APPRENDRE A JOÜER
DU VIOLON avec un Abregé des Principes de Musique necessaires pour cet Instrument,
Paris, l’Auteur, 1711, 24 p.
18
PLAYFORD, John, A BRIEF INTRODUCTION To the Skill of MUSICK. In two Books. The
First containes the General Grounds and Rules of MUSICK. The Second, Instructions for the
Viol and also for the Treble-Violin, Londres, William Goodbid, 1664, 192 p.
PRAETORIUS, Michael, SYNTAGMATIS MuSICI. TOMuS SECuNDuS. De
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Kunst, Wie man füglich und in kurtzer Zeit Choral und Figural singen, den General-Baß
tractiren, und Componiren lernen soll, Ulm, Wilhelm Kühne, 1687, 144 p.
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Londres, Richard Cotes et Willi Dugard, 1649, 837 p.
WALTHER, Johann, Musicalisches Lexicon, Leipzig, Wolffgang Deer, 1732, 659 p.
WEIGEL, Johann, Musikalisches Theatrum, Nurnberg, s.n., v.1715, s.p.
2) Partitions
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senza basso accompagnato, BWV 1005, manuscrit du compositeur, 1720, s.p.
BIBER, Heinrich, Battalia a 9, C 61, éd° urtext d’après le manuscrit du compositeur, 1673,
s.p.
CORELLI, Arcangelo, « Follia », Sonate a violino e violone o cimbalo. Parte seconda, op. 5,
Rome, Gasparo Pietra Santa , [v.1700], pp. 62-68.
CORELLI, Arcangelo, Concerti Grossi con duoi Violini e Violoncello di Concertino obligati e
duoi altri Violini, Viola e Basso di Concerto Grosso ad arbitrio, che si potranno radoppiare,
op. 6, Amsterdam, Estienne Roger, 1714, 34 p.
GAVINIES, Pierre, Sonatas for Violin and Basso Continuo, op. 3, Middleton, A-R Editions,
2002 (1ère éd. 1764), 59 p.
LECLAIR, Jean-Marie, « Sonata XII. Allegro ma non troppo », Premier livre de sonates a
violon seul avec la basse continue, op. 1, Paris, l’Auteur, 1723, pp. 70-75.
20
MATTEIS, Nicola, [Deux Fantasias pour violon solo], manuscrit, s.d., 4 p. Sächsische
Landesbibliothek Dresden, Mus 2045 / R1.
MERULA, Tarquinio, Canzoni overo sonate concertate per chiesa e camera, op. 12, Venice,
s.n., 1637, s.p.
PRAETORIUS, Michael, Terpsichore. Musarum Aoniarum, Wolfenbüttel, Michael Praetorius,
1612, s.p.
VERACINI, Francesco, Sonate Accademiche a Violino Solo e Basso, op. 2, London, l’Auteur,
1744, 91 p.
3) Iconographie
Afin de ne pas surcharger l’ouvrage avec une centaine de pages de sources pour
l’iconographie, nous renvoyons directement aux annexes 11 et 12. Ces mêmes sources y sont
données avec les extraits des oeuvres en question ; elles sont classées par pays puis par ordre
chronologique, un paragraphe spécifique étant réservées à celles dont la date n’est pas
assurée. Les traductions des titres sont personnelles.
4) Instruments
Instruments baroques :
Anonyme, Archet de violon, s.l., 1694, sculpture, bois, NC, NC.
21
FICKER, Christian Samuel, Violon, Markneukirchen, 1804, sculpture, bois, 59 x 20 x 9 cm,
collection Cyril Lacheze, Brétigny-sur-Orge.
RYDER, Craig, Archet de violon, Paris, 2006, sculpture, bois, 71 x 2,5 x 1 cm, collection Cyril
Lacheze, Brétigny-sur-Orge.
STRADIVARIUS, Antonio, Archet de violon, Crémone, v.1700, sculpture, bois, NC, NC.
La signature du violon, par Ficker en 1804, correspond probablement à sa
modification pour le transformer en un violon moderne adapté aux goûts romantiques :
l’instrument lui-même date sans doute du XVIIIe siècle. Il a été remis en condition
« originale » aux alentours de l’an 2000. L’archet de Craig Ryder est une copie d’un modèle
italien du milieu du XVIIIe siècle. Ces deux instruments ont été utilisés pour les
expérimentations.
Instruments modernes :
CUNIOT-HURY, Eugène, Archet de violon, Mirecourt, v.1900, sculpture, bois, 74,5 x 2,5 x 1
cm, collection Cyril Lacheze, Brétigny-sur-Orge.
MERMILLOT, Maurice, Violon, Paris, v.1885, sculpture, bois, 61 x 20,5 x 9 cm, collection
Cyril Lacheze, Brétigny-sur-Orge.
Ces deux instruments ont été utilisés pour les expérimentations.
22
B ) Bibliographie
1) Bibliographie
Guide des instruments anciens, Bruxelles, Ricercar, 2009, 200 p.
ABLITZER, Frédéric, DAUCHEZ, Nicolas, DALMONT, Jean-Pierre, POIDEVIN, Nelly,
« Mécanique de l’archet de violon. Lien entre évolution et répertoire musical », in :
Cinquième congrès interdisciplinaire de musicologie, Paris, manuscrit des auteurs, 2009, 7 p.
ASCHMANN, Rudolf, Das deutsche polyphone Violinspiel im 17. Jahrhundert. Ein Beitrag
zur Entwicklungsgeschichte des Violinspiels, Zürich, Speich Reproduktionsanstalt, 1962,
171 p.
BABITZ, Sol, Differences between 18th century and modern violin bowing, s.l., s.n., 1957,
22 p.
BACHMANN-GEISER, Brigitte, Studien zur Frühgeschichte der Violine, Bern, P. Haupt, 1974,
137 p.
BECKMANN, Gustav, Das Violinspiel in Deustchland vor 1700, Leipzig, Simrock, 1918, 85 p.
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Pascal, VERIN, Hélène (dirs.), Réduire en art. La technologie de la Renaissance aux
Lumières, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 2008, pp. 293-316.
23
BOCCARDI, Sandro, La musica antica, Milan, Jaca Book, 1994, 78 p.
BOUET, Jacques, « Déterminé ma non troppo. Une forme signifiante en pleine efflorescence
au Pays de l’Oach (Roumanie) revisité dans le sillage de Béla Bartók », Cahiers de musiques
traditionnelles, 17, 2004, pp. 161-182.
BOYDEN, David, « The Violin and its Technique in the 18th Century », The Musical Quaterly,
36, 1950, pp. 9-38.
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CHARLES-DOMINIQUE, Luc, Les ménétriers français sous l’ancien régime, Paris, Klinksieck,
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Purcell », Performance Practice Review, 8-1, 1995, pp. 54-66.
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et d’esthétique. Tome I, Paris, Delegrave, 1922, 435 p.
DELL’OLIO, Pepina, Bow construction and its influence on bowing technique in the
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eighteenth and nineteenth centuries, Tallahassee, Mémoire de l’Université d’Etat de Floride,
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Repertoirefragen bei Violinspielern zur Zeit Bibers », in WALTERSKIRCHEN, Gerhard (éd.),
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Kongresses, Salzburg 1994, Salzburg, Selke Verlag, 1997, pp. 132-146.
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FETIS, François-Joseph, Antoine Stradivari, luthier célèbre connu sous le nom de
Stradivarius. Précédé de recherches historiques et critiques sur l’origine et les
transformations des instruments à archet et suivi d’analyses théoriques sur l’archet et sur
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ZWANG, Gérard, L’oreille absolue et le diapason dit baroque, Paris, Richard-Masse, 1984,
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2) Webographie
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Territoires, 5’47’’, consulté le 15/05/2012.
http ://www.youtube.com/watch?v=41V-aaacOVk
WARZAWKI, Jean-Marc, « Prinner Johann Jacob », en ligne sur le site Musicologie.org,
consulté le 31/05/2013.
http ://www.musicologie.org/Biographies/p/prinner_johann_jacob.html
3) Discographie
Matteis. False consonances of melancholy, Gli Incogniti (violon Amandine Beyer), Paris,
Zig-zag Territoires, 2009, 40 pistes.
28
II) État de la recherche
A ) Des sources variées et complémentaires
S’inscrivant dans la continuité directe d’un mémoire de Master 11, le présent travail se
propose logiquement de poursuivre une étude déjà bien entamée, du moins au niveau de sa
définition. En particulier, les sources disponibles, si elles n’ont pas encore été analysées à
quelques exceptions près, nous sont déjà connues. La documentation la plus évidente dans le
cadre d’une recherche historique, et peut-être la plus précise ici, mais non la plus importante
quantitativement, est constituée par les sources écrites, prenant généralement l’aspect de
traités dans notre cas. Ce terme très générique s’applique à des écrits, généralement imprimés,
exposant de manière plus ou moins globale des principes musicaux et notamment des conseils
pratiques, voire des leçons, sur le jeu du violon, éventuellement accompagnés d’exemples
musicaux servant d’exercices. Ces documents, recensés, étudiés et parfois édités
spécifiquement depuis déjà plusieurs décennies, ne sont pas difficiles à identifier. En
considérant uniquement les traités apportant des informations, même extrêmement limitées,
sur la technique de jeu (en sachant que beaucoup ne le font pas), nous obtenons un corpus
d’une quinzaine d’ouvrages consacrés spécifiquement au violon, plus une vingtaine dont le
sujet est plus général. Ces écrits s’étendent sur une période allant de 1556 à 1782, en
Allemagne et en France dans la majorité des cas (avec quelques traités anglais redondants et
un espagnol), mais avec de larges zones d’ombre : typiquement, pour les XVIe et XVIIe siècles,
ils sont quasiment tous français avant 1650, et tous allemands ensuite. L’ensemble des
mentions techniques utiles à notre étude, que l’on peut en extraire, est donné en annexe 9.
1 LACHEZE, Cyril, La tenue du violon à l’époque baroque, Mémoire de Master I d’Histoire (dir. Anne-François Garçon), Paris, Université Paris I, 2012, 109 p.
29
D’autre part, et cette fois-ci de manière beaucoup plus importante quantitativement,
bien que la qualité des informations ne soit pas aussi élevée, l’autre grande catégorie de
sources à laquelle nous pouvons nous référer est constituée des documents iconographiques.
Dans la grande majorité des cas il s’agit de tableaux, parfois de fresques, de dessins ou de
gravures, pouvant traiter de sujets divers mais présentant, comme élément principal ou, plus
souvent, comme partie intégrante du décorum, un personnage jouant du violon. Après analyse
de la liste établie dans le cadre de notre mémoire de Master 1, nous pouvons proposer ainsi un
ensemble de plus de trois cent trente représentations individuelles d’instrumentistes, entre le
XIIIe et le XVIIIe siècle, dont un peu plus de deux-cents représentant effectivement des violons
à partir du XVIe siècle (et non des instruments apparentés mais non identiques comme on peut
en trouver pour les périodes antérieures). Là encore, l’échantillon n’est pas homogène
puisque certaines aires géographiques sont sous-représentées selon les périodes : la Hollande
monopolise par exemple une grande partie des sources du XVIIe siècle, alors que l’Angleterre
est surtout documentée pour le XVIIIe. L’ensemble de ces sources est là aussi donnée en
annexe, avec les détails des représentations permettant d’appréhender directement les
éléments qui nous intéressent (cf. Annexe 11).
Cependant, ces représentations dans lesquelles nous pouvons observer effectivement
des instrumentistes en train de jouer, et donc leurs gestes techniques, ne sont pas les seules à
pouvoir nous apporter des informations. De manière périphérique, il est également utile de
relever les occurrences de représentations d’instruments qui ne soient pas en position de jeu
(soit posés, soit dans les mains de l’instrumentiste mais non positionnés), afin d’augmenter la
taille du corpus dans le but d’observer les caractéristiques techniques de l’objet en lui-même ;
en particulier, ceci nous sera utile pour l’étude des modifications de la forme de l’archet au
cours de la période baroque (cf. p. 81). Ces sources supplémentaires, plus d’une centaine, sont
regroupées dans une annexe séparée, avec la même présentation que celle des instruments en
position de jeu (cf. Annexe 12). Enfin, nous adjoignons également à ces deux listes une
troisième, regroupant les représentations d’autres instruments à cordes frottées que nous
avons pu relever au cours de nos investigations : celle-ci ne nous sera pas utile pendant notre
recherche, mais peut éventuellement se révéler une base pour des études similaires sur
d’autres instruments de la famille du violon. Nous la proposons donc à titre indicatif, en
annexe 12.
30
Quelques autres types de sources sont également à prendre en considération, bien
qu’elles ne permettent pas cette fois d’inventaire à visée plus ou moins exhaustive. En
premier lieu, la musique elle-même, par l’intermédiaire des partitions qui la notent, est en lien
avec les procédés techniques mis en œuvre pour la produire. Il est donc bienvenu de prendre
en considération ce type de sources, mais il faut cependant admettre que la quantité de
documents ainsi représentée dépasse de loin toute possibilité d’appréhension globale. Seule la
connaissance préalable des morceaux les plus intéressants, ou éventuellement une recherche
précise sur un auteur ciblé d’une autre manière, saurait être envisagée : nous ne fournissons
donc pas de liste particulière pour les partitions, et indiquerons le cas échéant au moment de
la démonstration les références que nous utilisons.
Enfin, l’aspect archéologique de notre étude peut également être abordé, dans le sens
où il subsiste encore actuellement quelques instruments témoins de cette époque.
Malheureusement, la très grande majorité des violons baroques ont été modifiés au XIXe siècle
pour répondre aux goûts de l'époque, et ont donc perdu pour ainsi dire toutes les informations
qui pouvaient nous être utiles ; de plus, les archets ne peuvent eux pas être modifiés, et la
quasi-totalité des pièces antérieures à la fin du XVIIIe siècle ont donc été purement et
simplement détruites à la même période. Ainsi, les pièces susceptibles de nous éclairer se
comptent quasiment sur les doigts de la main, et il n’y a donc pas lieu d’en réaliser un
inventaire étant donné qu’elles sont déjà bien connues et que, ceci n’étant pas à proprement
parler notre sujet d’étude, nous n’avons pas entrepris de recherche visant à en découvrir de
nouvelles. Nous les énumérerons donc également, en particulier pour l’étude de l’évolution
de la forme de l’archet (cf. p. 81).
Les deux principales sources que nous nous proposons d’utiliser sont donc d’une part
les traités, et d’autre part l’iconographie. Il est à noter que celles-ci laissent toutes deux de
larges part d’ombre, et ne se complètent que dans une certaine mesure (par exemple la
Hollande, bien documentée iconographiquement, ne figure pas dans les traités). De même, si
les sources artistiques sont de loin les plus nombreuses, elles sont loin de fournir autant
d’informations que les sources écrites, du moins prises séparément. Enfin, il est à noter que si
les traités sont connus depuis longtemps et très bien exploités par l’historiographie, ce n’est
pas le cas des sources iconographiques, que nous allons à présent détailler plus précisément.
31
B ) Une historio graphie restreinte
L’historiographie concernant le violon baroque, ou ancien en général, est relativement
bien fournie si l’on s’en tient à des études globales, sans entrer dans le détail des points
abordés. En effet, alors que la musique antérieure à la première moitié du XVIIIe siècle ainsi
que ses codes ont été pratiquement oubliés dès la seconde moitié de ce même siècle, les
principaux noms de compositeurs, interprètes ou facteurs d’instruments sont restés en
mémoire, du moins chez les érudits du XIXe siècle se penchant sur l’histoire de la musique.
Ainsi, quelques études sur les instruments anciens parurent dès le milieu de ce siècle2,
accompagnées des premières redécouvertes concrètes de la musique allant avec3, mais sans
que les deux soient mis en lien ou qu’une quelconque recherche sur l’évolution du style ou de
la technique n’apparaisse lors des représentations. Au début du XXe siècle, sous l’impulsion
de Wanda Landowska4 ou encore d’Henri Casadesus5, commença à naître l’idée qu’il pourrait
être intéressant de rejouer la musique baroque sur des instruments d’époque, et non sur leurs
équivalents actuels au son souvent bien différent ; l’expérience fit cependant long feu puisque
les reconstructions d’alors, ne s’appuyant sur quasiment aucune recherche historique (faute
d’intérêt, de connaissances ou simplement par facilité), ne donnaient pas vraiment
satisfaction, et qu’aucune réflexion poussée sur la technique ou le style d’époque ne fut
entreprise. Les principales avancées du début du XXe siècle sont donc un élargissement
important du répertoire ancien connu, et pour notre domaine quelques études sur l’histoire du
violon, qui souvent se contentent de juxtaposer des biographies de compositeurs et
d’interprètes6, au mieux citent deux ou trois traités pour l’aspect technique sans critique ou
2 FETIS, François-Joseph, Antoine Stradivari, luthier célèbre connu sous le nom de Stradivarius. Précédé de recherches historiques et critiques sur l’origine et les transformations des instruments à archet et suivi d’analyses théoriques sur l’archet et sur François Tourte, auteur de ses derniers perfectionnements , Paris, Vuillaume, 1856, 128 p.
3 Félix Mendelssohn initie le processus en faisant rejouer pour la première fois depuis un siècle la Passion selon Saint Matthieu de Johann Sebastian Bach en 1829, puis l’oratorio Israël en Égypte de Georg Friedrich Händel en 1833.
4 EIGELDINGER, Jean-Jacques (dir.), Wanda Landowska et la renaissance de la musique ancienne, Arles, Actes Sud, 2011, 208 p.
5 LAMARQUE, Lucio (dir.), Encyclopédie de la musique, Paris, Le Livre de Poche, 2003, p. 133.6 MOSER, Andreas, MOSER, Hans Joachim, Geschichte des Violinspiels. Mit einer Einleitung : Das
Streichinstrumentalspiel im Mittelalter, Berlin, M. Hesse, 1923, 586 p.
32
mise en perspective (De Brossard et Muffat pour le violon7, Playford et Corrette pour
l’archet8), et se contentent d’indiquer que les sources iconographiques sont nombreuses mais
peu sûres9.
Il faut en fait attendre les années 1950 pour que certaines publications académiques
abordent ces questions de manière plus exhaustive. Les traités existants sont tout d’abord
listés de manière quasi-complète à l’occasion d’une thèse de la Sorbonne en 1955, sans plus
de synthèse qu’auparavant10, puis à partir de ce matériau quelques analyses plus poussées
apparaissent, dans les domaines théorique11, voire pratique avec les essais de Sol Babitz12. Le
point culminant de ces recherches est constitué par la publication en 1965 de l’ouvrage
majeur de David Boyden, The history of violin playing from its origins to 1761, qui reste
encore actuellement la référence pour ces questions et a été réédité quasiment tel quel en
199013. A la différence des précédentes, l’analyse est ici effectuée par phases chronologiques
puis par thématiques, et non par écoles ou juxtaposition de biographies, avec une réelle
réflexion, des sources nombreuses et une apparition, certes encore timide, des sources
iconographiques et « archéologiques » (les instruments anciens eux-mêmes). Il faut toutefois
bien noter que cet ouvrage, à quelques années près, est paru avant les premiers essais
concluants de jeu « historiquement informé », et ne bénéficiait donc aucunement des
expériences concrètes que celui-ci a apporté ; une quinzaine de pages est cependant dévolue à
la problématique qui nous intéresse, ce qui en fait une référence non négligeable.
7 PINCHERLE, Marc, La technique du violon chez les premiers sonatistes français (1695-1723), Paris, Publications de la revue S.I.M, 1911, p. 12.DE LA LAURENCIE, Lionel, L’école française de violon de Lully à Viotti. Etudes d’historique et d’esthétique. Tome I, Paris, Delegrave, 1922, pp. 31-32.BECKMANN, Gustav, Das Violinspiel in Deustchland vor 1700, Leipzig, Simrock, 1918, pp. 75-77.
8 idem, p. 20.idem, p. 34.
9 SAINT-GEORGE, Henry, The bow. Its history, manufacture and use, Londres, Cononiari LLC, 1922, p. 40.10 WIRSTA, Aristide, Ecoles de violon au XVIIIe siècle d’après les ouvrages didactiques, Paris, Thèse de la
Faculté des Lettres de Paris, 1955, 160 p.11 BOYDEN, David, « The Violin and its Technique in the 18th Century », The Musical Quaterly, 36, 1950,
pp. 9-38.ASCHMANN, Rudolf, Das deutsche polyphone Violinspiel im 17. Jahrhundert. Ein Beitrag zur Entwicklungsgeschichte des Violinspiels, Zürich, Speich Reproduktionsanstalt, 1962, 171 p.
12 BABITZ, Sol, Differences between 18th century and modern violin bowing, s.l., s.n., 1957, 22 p.13 BOYDEN, David, The history of violin playing from its origins to 1761 and its relationship to the violin and
violin music, Oxford, Oxford University Press, 1990 (1ère éd. 1965), 636 p.
33
En effet, bien que certains des ensembles moteurs du jeu sur instruments anciens,
comme le Concentus Musicus Wien, aient été créés dans les années 195014, ils sont restés
extrêmement marginaux jusqu’au scandale provoqué en 1971 par la sortie d’un disque de cet
ensemble interprétant pour la première fois des pièces extrêmement célèbres, à savoir des
cantates de Johann Sebastian Bach15. Les choix méthodologiques étant dès cette époque
parfaitement arrêtés et argumentés, quoique le rendu ait encore été brouillon puisque résultant
d’une expérience assez nouvelle, le violent débat initié à l’époque16 (et pas encore clos) a
permis aux « baroqueux » de se faire connaître et de gagner leur légitimité, à défaut d’une
adhésion générale très loin d’être acquise.
Ce n’est qu’à partir de cette époque que les publications concernant le jeu baroque ont
pu se multiplier et s’étoffer, à la fois en s’appuyant sur les avancées effectuées par les
interprètes à force de réflexions et de tâtonnements, et en profitant de la visibilité soudaine de
la discipline pour trouver éditeurs et lectorat. Cependant, la grande majorité des publications,
que nous avons détaillées dans le travail précédent celui-ci17, ne concernent pas notre sujet
d’étude, à savoir la technique de jeu : outre certaines études générales reprenant les mêmes
lignes que celle de David Boyden, en insistant parfois plus sur l’aspect iconographique,
jusqu’à dresser les premières listes de ce type de source18, on peut trouver prioritairement des
études ciblées sur des interprètes célèbres, des zones chrono-géographiques très précises, des
thématiques particulières, ou encore, un peu plus intéressant pour nous, l’évolution de
l’archet19. Pour le sujet qui nous intéresse en priorité, presque aucune publication ne peut nous
14 BOCCARDI, Sandro, La musica antica, Milan, Jaca Book, 1994, pp. 37-38.15 SCHULENBERG, David, Bach Perspectives. Volume 4 : The Music of J. S. Bach. Analysis and Interpretation,
Lincoln, University of Nebraska Press, 1999, pp. 182-183.16 ZWANG, Gérard, L’oreille absolue et le diapason dit baroque, Paris, Richard-Masse, 1984, 77 p.17 LACHEZE, Cyril, op. cit., pp. 67-69.18 BACHMANN-GEISER, Brigitte, Studien zur Frühgeschichte der Violine, Bern, P. Haupt, 1974, 137 p.19 Sur l’archet baroque proprement dit :
GETREAU, Florence, « Französische Bögen im 17. und 18. Jahrhundert. Dokumente und ikonografische Quellen », in FLEISCHHAUER, Günter et al. (éd.), Der Streichbogen. Entwicklung – Herstellung – Funktion. 16. Musikinstrumentenbau-Symposium in Michaelstein am 3. und 4. November 1995, Michaelstein, Stiftung Kloster Michaelstein, 1998, pp. 21-36.VITTU, Mathilde, L’archet. L’évolution de sa facture mise en rapport avec l’évolution de sa technique et la musique de violon, Paris, Mémoire de Maîtrise de l’Université Paris IV, 2002, 195 p.ABLITZER, Frédéric, DAUCHEZ, Nicolas, DALMONT, Jean-Pierre, POIDEVIN, Nelly, « Mécanique de l’archet de violon. Lien entre évolution et répertoire musical », in : Cinquième congrès interdisciplinaire de musicologie, Paris, manuscrit des auteurs, 7 p.
Plus spécifiquement sur la transition entre l’archet baroque et l’archet moderne :BOYDEN, David, « The violin bow in the 18th century », Early music, 8-2, 1980, pp. 199-212.RIEDER, Silvia, « Als plastisches Dekor zweckentfremdete Musikinstrumente. Eine Möglichkeit zur
34
éclairer : la seule étude généraliste est un petit article de Jean-Paul Burgos20 passé totalement
inaperçu dans l’historiographie, dont nous ne pouvons que regretter la brièveté (quatre pages
de texte environ). La seconde et dernière référence d’importance est un ouvrage d’excellente
qualité de Greta Moens-Haenen21, comportant une quarantaine de pages sur la tenue, mais se
limitant malheureusement à l’Allemagne du XVIIe siècle et ne proposant aucune étude
systématique de l’iconographie (quelques articles antérieurs du même auteur restent
également dans ces limites et n’apportent donc pas de complément).
Ainsi, bien que le violon baroque en général, ou même certains de ses aspects précis,
soient de mieux en mieux documentés à travers l’historiographie depuis les années 1970,
notre sujet de recherche reste un vide important dans les publications. La seule étude récente,
spécifique et généraliste est le court article de Jean-Paul Burgos ; seule l’Allemagne du XVIIe
siècle est bien documentée par Greta Moens-Haenen, et il faut sinon se tourner vers l’étude de
David Boyden, certes exhaustive, mais dépassée depuis trente ans. En outre, toutes ces
publications restent uniquement centrées sur les sources textuelles et éventuellement
musicales, et n’abordent en aucune manière une étude approfondie de l’iconographie :
l’historiographie utile disponible semble bien excessivement restreinte.
C ) Méthodologie et application
Étant données les lacunes importantes de l’historiographie dans notre domaine de
recherche, et après avoir établi dans le travail préliminaire une liste des sources à notre
disposition22, nous devons donc effectuer une analyse détaillée de celles-ci, consistant en
regionalen und zeitlichen Einordnung verschiedener Bogentypen ? », in FLEISCHHAUER, Günter et al. (éd.), Der Streichbogen. Entwicklung – Herstellung – Funktion. 16. Musikinstrumentenbau-Symposium in Michaelstein am 3. und 4. November 1995, Michaelstein, Stiftung Kloster Michaelstein, 1998, pp. 47-74.SELETZKY, Robert, « New light on the old bow, 1 », Early music, 32-2, 2004, pp. 286-301.DELL’OLIO, Pepina, Bow construction and its influence on bowing technique in the eighteenth and nineteenth centuries, Tallahassee, Mémoire de l’Université d’Etat de Floride, 2009, 90 p.
20 BURGOS, Jean-Paul, « « Des racleurs de contredanse ». Tenue et jeu du violon, aux XVIIe et XVIIIe siècles », Flûte à bec & instruments anciens, 16, octobre 1985, pp. 8-15.
21 MOENS-HAENEN, Greta, Deutsche Violintechnik im 17. Jahrhundert. Ein Handbuch zur Aufführungspraxis, Graz, Akademische Drucku. Verlagsanstalt, 2006, 240 p.
22 LACHEZE, Cyril, op.cit., pp. 9-17 ; 21-45.
35
particulier pour chaque mention ou représentation, selon la nature de la source, à établir les
gestes techniques représentés, à mettre en relation avec les lieux et dates auxquels se rattache
chaque attestation. Si ces éléments peuvent être appréhendés assez simplement pour les
sources textuelles, le grand nombre de sources iconographiques nous a mené à la réalisation
d’une base de données, en appliquant le modèle descriptif proposé lors des précédentes
recherches23. Celui-ci renseigne, pour le violon, la position générale dans laquelle il est tenu
(avec huit possibilités), ainsi que des indications complémentaires le cas échéant (menton
posé ou non, tenue horizontale ou plongeante, etc...) ; et pour l’archet, la position de la main
et le nombre de doigts posés sur la baguette, ainsi que la position du pouce (au-dessus ou en-
dessous de la mèche). Cet ensemble de descripteurs, bien que pouvant apparaître assez
sommaire, est amplement suffisant voire parfois trop précis pour certaines représentations (il
est par exemple souvent difficile de déterminer si le violon est tenu à la clavicule ou à
l’épaule, ou le nombre exact de doigts posés sur la baguette) : il servira donc pour des
analyses d’ensemble de l’iconographie, et nous reviendrons à l’occasion plus précisément sur
des représentations qui permettraient une plus grande acuité.
Il est également nécessaire d’effectuer une étude de l’évolution de l’archet en tant
qu’objet technique parallèlement à cette étude des gestes : en effet, si le violon a bien connu
des transformations importantes, celles-ci n’ont pas touché suffisamment les caractéristiques
principales de l’objet pour en influencer la tenue, mais au mieux des détails quant au mode de
jeu. Par contre, la forme de l’archet a radicalement changé selon les lieux et les époques, et,
qui plus est, de manière non uniforme. Les formes n’ont en effet jamais été stables depuis les
plus anciennes représentations connues pour l’époque médiévale, et les archets Renaissance
sont encore dérivés des modèles de la fin de cette époque. Quoique de nouvelles formes
soient apparues au XVIIe siècle, elles ne se sont stabilisées qu’au début du XVIIIe, pour de
nouveau se transformer radicalement avec la fin de la musique baroque dans la deuxième
moitié de ce siècle, et ne prendre leur aspect définitif, ou du moins actuel, qu’au début du
XIXe siècle. Or, ces configurations sont si diverses, avec des archets convexes ou concaves
selon les époques, ou encore avec une taille variant du simple au double, qu’elles influent
considérablement la tenue de l’objet : on ne peut donc comprendre cette tenue qu’en étudiant
les évolutions de l’archet parallèlement.
23 LACHEZE, Cyril, op.cit., pp. 75-77.
36
Il n’était bien sûr ni possible ni souhaitable d’effectuer une telle typologie, et encore
moins l’analyse qui doit s’ensuivre, dans l’étude de Master 1, bien que nous ayons rappelé à
cette occasion les grands traits couramment avancés dans le peu de bibliographie existante24
(en nous basant notamment sur la synthèse générale de Jean-Paul Burgos25). La tenue du
violon, d’abord haute, à l’imitation de celle des instruments de la fin du Moyen Âge, serait
redescendue au cours du XVIIe siècle pour venir graviter autour de l’épaule voire de la
poitrine, avant de remonter progressivement à la fin de ce siècle, sous l’influence du
développement du jeu soliste, qui requièrent une plus grande virtuosité, et de se fixer au
milieu du XVIIIe siècle dans une tenue quasiment actuelle (la dernière étape consistant à poser
en permanence le menton sur le violon, et non sporadiquement comme auparavant). Quant à
l’archet, il est admis que le XVIIIe connaît deux tenues, française avec le pouce sous la mèche,
et italienne avec la main avancée sur la baguette, le tout presque sur la seule foi du traité de
Michel Corrette de 173826 ; les auteurs ne s’avançant en général pas vraiment pour le XVIIe
siècle où aucune source textuelle aussi précise n’existe. Nous avions toutefois déjà fait
remarquer que l’observation des sources iconographiques montre une situation sans aucun
doute beaucoup plus complexe et contrastée, et que cette présentation ne peut au mieux
constituer qu’une approximation très grossière de la réalité, en admettant même qu’elle soit
exacte et non biaisée par les sources utilisées.
Pour finir, et éprouver les sources, problématiques et méthodologies, dégagées au
cours de notre étude, nous avions effectué une étude de cas sur le personnage de Nicola
Matteis, napolitain actif à Londres à la fin du XVIIe siècle. Ce violoniste fait en effet figure de
parfait exemple pour tester la réflexion que nous avons menée : à défaut d’avoir été
représenté le violon à la main, il a été décrit personnellement dans plusieurs textes du
chroniqueur londonien Roger North, ce qui est extrêmement rare27. De plus, la fin du XVIIe
24 LACHEZE, Cyril, op.cit., pp. 73-74.25 BURGOS, Jean-Paul, op.cit..26 CORRETTE, Michel, L’ECOLE D’ORPHÉE. MÉTHODE Pour Apprendre facilement à joüer DU VIOLON
Dans le goût François et Italien ; Avec des Principes de Musique Et beaucoup de Leçons à I, et II Violons. Ouvrage utile aux commençants et a ceux qui veulent parvenir à l’execution des Sonates, Concerto, Pieces par accords Et Pieces a cordes Ravallées, Paris, L’Auteur, Boivin et Le Clerc, 1738, p. 7.
27 NORTH, Roger, An Essay on Musicall Ayre, v.1715, 90 ffNORTH, Roger, The Musicall Gramarian, 1728, 181 ff.
37
siècle correspond à une période de publication de nombreux traités anglais à destination de la
bonne société désireuse de s’initier à la musique, et accompagnés de gravures représentant
des maîtres à danser : le style anglais général de l’époque peut donc être parfaitement retracé.
Enfin, nous possédons plusieurs partitions composées par Matteis, à la fois faciles à
destination de cette même bourgeoisie londonienne, et plus difficiles à destination de
professionnels du violon. Enfin, cette profusion de sources a attiré les auteurs actuels, qui ont
fait paraître une bibliographie assez conséquente relative à ce musicien28, et d’autre part a
donné lieu au premier essai d’enregistrement d’un disque avec restitution de la tenue
« historiquement informée »29, accompagné d’un livret et d’une interview dans lesquels
l’interprète Amandine Beyer explique sa démarche et ses conclusions30.
Nous avons ainsi pu démontrer que, d’après les indications de Roger North, Matteis
tenait son violon extrêmement bas selon les critères anglais, et même « presque contre sa
ceinture », le terme crucial étant qu’il le tenait « contre ses côtes courtes »31. A la fois les
traités et l’iconographie des maîtres à danser montrent clairement que la tenue standard en
Angleterre à la fin du XVIIe siècle était une tenue à l’épaule ou sur la poitrine32. Le traité de
Lenton en 1722 précise d’ailleurs qu’il ne faut pas le tenir sur la ceinture « à l’imitation des
italiens »33. La bibliographie existante, dans les cas où elle se risque à un essai
d’interprétation de ces données, n’est pas unanime, mais place la tenue de Matteis
approximativement au niveau de la poitrine, sans s’intéresser ni à la ceinture ni aux « côtes
courtes », et sans relever la contradiction entre le fait que la tenue de Matteis semblait
extrêmement basse alors que les sources anglaises montrent régulièrement une tenue de
poitrine34. Quant à Amandine Beyer, elle se contente d’indiquer que le sens des « côtes
28 Outre les auteurs des études générales qui s’y sont tous intéressés, on peut notamment citer :CYR, Mary, « Violin playing in late Seventeenth-Century England : Baltzar, Matteis, and Purcell », Performance Practice Review, 8-1, 1995, pp. 54-66.
29 Matteis. False consonances of melancholy, Gli Incogniti (violon Amandine Beyer), Paris, Zig-zag Territoires, 2009, 40 pistes.
30 BEYER, Amandine, Matteis. False consonances of melancholy, Paris, Zig-zag Territoires, 2009, 15 p.Gli Inconiti interprètent : Nicola Matteis, False Consonances of Melancholy, Zig-Zag Territoires, 5’47’’, consulté le 28/12/2012. http ://www.youtube.com/watch?v=41V-aaacOVk
31 BOYDEN, David, op. cit., p. 248.MOENS-HAENEN, Greta, op. cit., p. 42.
32 PLAYFORD, John, A BRIEF INTRODUCTION To the Skill of MUSICK. In two Books. The First containes the General Grounds and Rules of MUSICK. The Second, Instructions for the Viol and also for the Treble-Violin, Londres, William Goodbid, 1664, p. 109.
33 MOENS-HAENEN, Greta, ibidem.34 CYR, Mary, ibid., p. 61.
BURGOS, Jean-Paul, op. cit., p. 8.MOENS-HAENEN, Greta, ibid.
38
courtes », expression transformée par elle en « petite côte », est inconnu, et qu’il pourrait
donc s’agir de la clavicule, ce qui donne une tenue très basse (mais selon les critères actuels,
non selon les critères historiques, subtilité qu’elle ne semble pas prendre en compte).
Notre analyse s’est basée sur la simple observation que, si des anglais habitués à une
tenue de poitrine trouvaient celle de Matteis extrêmement basse, celle-ci devait se situer
logiquement aux alentours du ventre, ce qui correspond également avec les multiples
allusions à la ceinture, qui ainsi répétées peuvent difficilement être imputée à une exagération
flagrante de l’auteur. La confirmation nous est venue de la traduction du terme de « côtes
courtes », qui loin d’être obscur, est parfaitement connu dans les traités d’anatomie de
l’époque, et désigne les trois côtes les plus basses de la cage thoracique, « courtes » car non
reliées au sternum35. Ainsi, la tenue de Matteis peut être parfaitement située, sur ces trois
côtes soient sous la poitrine et juste au-dessus du ventre ; quoique cette position paraisse a
priori iconoclaste voire impossible par rapport aux pratiques actuelles, l’expérimentation sur
ses partitions a montré que celles-ci sont tout à fait exécutables avec cette tenue, et même
mieux qu’avec une tenue d’épaule ou de poitrine. Cet exemple, pourtant simple car bien
documenté, nous a ainsi permis de démontrer que les analyses fournies dans l’historiographie
pouvaient parfois être biaisées de manière assez flagrante, en l’occurrence par simple manque
de vue critique par rapport aux sources, à l’analyse ou même au recul vis à vis des habitudes
actuelles, en un mot par manque de pratique historienne.
Nous nous proposons donc dans le présent travail d’élargir ce type d’analyse à
l’ensemble des sources collectées ; avec une utilisation conjointe d’un nombre important de
données, de méthodologies variées et surtout d’une critique historique, qui, au vu des
conclusions de cette étude de cas, nous semble seule capable d’éviter les écueils d’une
analyse trop superficielle et orientée par des présupposés liés à la pratique actuelle.
35 VAN DEN SPIEGEL, Adrian, The Workes of that Famous Chirurgion Ambrose Parey, Londres, Richard Cotes et Willi Dugard, 1649, p. 108.
39
III) Un corpus partielAnnexes 3 et 4
A) Des traités de différentes natures
Les traités techniques de l’époque moderne, portant totalement ou en partie sur le jeu
du violon, constituent l’une de nos sources principales pour l’étude de la tenue de
l’instrument, puisque celle-ci y est parfois décrite. Ils couvrent la plus grande part de la
période qui nous intéresse puisque, si leur nombre croît dans le temps, ils existent depuis le
XVIe siècle. Toutefois, outre des questions de répartition temporelle et spatiale de ces traités,
qui ne nous renseignent que sur certaines zones géographiques à certaines périodes bien
précises1, il faut noter que leur contenu a varié selon les époques. En effet, principalement
pour des raisons culturelles, la conception d’un « traité » de quelque nature qu’il soit a varié
profondément entre le début et la fin de la période moderne, ce changement de nature des
sources influençant alors considérablement les probabilités d’y trouver des données utiles. Il
nous faut donc détailler les différents cas que l’on sera amené à rencontrer pour cette étude,
ceux-ci pouvant globalement être appréhendés selon leur siècle d’appartenance.
1) Le XVIe siècle, la réduction en art
Le principe de « réduction en art » est un mode d’écriture typique de l’époque
moderne et notamment du XVIe siècle, pouvant en particulier s’appliquer à la description de
disciplines artistiques telles que la danse2, l’escrime3, et bien sûr la musique. Il s’agit, dans le
1 La France dans la deuxième moitié du XVIe siècle et la première moitié du XVIIe siècle, mais les données sont très restreintes ; l’Allemagne et quelque peu l’Angleterre de la deuxième moitié du XVIIe siècle ; ces trois pays au XVIIIe siècle, auxquels on peut ajouter un traité espagnol.Voir : LACHEZE, Cyril, La tenue du violon à l’époque baroque, Mémoire de Master I d’Histoire (dir. Anne-François Garçon), Paris, Université Paris I, 2012, p. 19.
2 NORDERA, Marina, « La réduction de la danse en art (XVe-XVIIIe siècles) », in DUBOURG-GLATIGNY, Pascal, VERIN, Hélène (dirs.), Réduire en art. La technologie de la Renaissance aux Lumières, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 2008, pp. 269-289.
3 BIOIST, Pascal, « La réduction en art de l’escrime au XVIe siècle », in DUBOURG-GLATIGNY, Pascal, VERIN,
40
cadre d’un ouvrage écrit, de rassembler et ordonner des connaissances auparavant éparses4.
Cependant, une volonté de rationalisation sous-tend aussi ce processus, amenant l’auteur à
vouloir identifier de manière schématique les éléments les plus fondamentaux de sa
discipline, sans s’attarder beaucoup sur l’aspect pratique. Ainsi, dans la danse par exemple,
les traités de ce type accordent une large place à une approche mathématique du mouvement
et des pas, souvent arbitraire et totalement éloignée des besoins de la pratique5. Un tel
phénomène ne demande d’ailleurs qu’à être amplifié dans le cadre de la musique, puisque
celle-ci est traditionnellement rattachée au quadrivium, soit aux mathématiques.
De ce fait, puisque la réduction en art entend traiter de l’intégralité de l’art considéré,
les traités du XVIe siècle ne se contentent pas de traiter le violon ou n’importe quel autre
instrument, mais bien au contraire la musique en général. Les instruments constituant alors la
partie pratique du propos, on comprend donc qu’ils ne soient absolument pas un objet
d’intérêt pour les auteurs, qui préfèrent s’étendre longuement sur les aspects théoriques.
Ainsi, nous n’avons pas retenu la grande majorité des traités de cette époque, puisque ceux-ci
ne comportent souvent tout simplement pas de parties dédiées aux instruments, ou alors si
succinctes qu’elles ne contiennent aucune indication quant à la tenue. Dans les deux seuls
traités retenus pour l’étude car apportant quelques informations de ce point de vue,
l’Orchésographie de Thoinot Arbeau, paru en 1596, se contente d’une gravure représentant
un violoniste, mais sans indication écrite (il est vrai qu’il s’agit principalement d’un traité de
danse)6 ; cette absence de texte est d’autant plus regrettable qu’une petite explication
accompagne par contre les gravures de la flûte et du tambour.
Le seul écrit réellement utilisable est donc l’Épitomé musical de Philibert Jambe de
Fer, de 15567. Il s’agit de l’un des plus anciens traités connus en français (seuls trois le
Hélène (dirs.), Réduire en art. La technologie de la Renaissance aux Lumières, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 2008, pp. 293-316.
4 VERIN, Hélène, « Rédiger et réduire en art : un projet de rationalisation des pratiques », in DUBOURG-GLATIGNY, Pascal, VERIN, Hélène (dirs.), Réduire en art. La technologie de la Renaissance aux Lumières, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 2008, pp. 27-28.
5 NORDERA, Marina, op.cit., p. 271.6 ARBEAU, Thoinot, ORCHESOGRAPHIE, METODE, ET TEORIE EN FORME DE DISCOVRS ET
TABLATVRE POVR APPRENDRE A DANCER, BATTRE LE Tambour en tout sorte & diuersité de batteries, Iouër du fifre & arigot, tirer des armes & escrimer, auec autres honnestes exercices fort conuenables à la Ieunesse. AFFIN D’estre bien venue en toute Ioyeuse compagnie & y monstrer sa dexteritè & agilité de corps, Lengres, Iehan des Preyz, 1596 (1ère éd. 1589), p. 69.
7 JAMBE DE FER, Philibert, EPITOME MVSICAL DES TONS, SONS ET ACCORDZ, ES VOIX HVMAINES, FLEVSTES d’Alleman, Fleustes à neuf trous, Violes, & Violons. Item. Vn petit deuis des accordz de
41
précédant, écrits entre 1550 et 1554), qui fait une place exceptionnellement grande aux
instruments par rapport aux traités de l’époque, et décrit pour la première fois le violon. S’il
suit globalement la tradition de la réduction en art, en citant les traités antérieurs, et en
dédiant une large place à la théorie musicale, la seconde partie de son ouvrage est consacrée à
la description des flûtes traversière et à bec, de la viole de gambe et du violon. Cette
exception à la règle de la réduction en art musicale nous permet donc de disposer de la seule
indication écrite sur la tenue du violon au XVIe siècle, encore qu’il faille bien remarquer que
la description est sommaire et peu claire : il faut se référer à la partie sur la tenue de la basse
pour essayer de deviner comment pourrait se placer l’« écharpe » ou le « cordon » dont il est
fait état pour la tenue du violon.
2) La diversification du XVIIe siècle
Dans le domaine musical, particulièrement en France, la première moitié du XVIIe
marque un tournant important dans la nature des traités : en effet, la pensée de la réduction en
art n’a pas disparu, mais celle-ci se révèle de moins en moins adaptée aux demandes du
public et au traitement de l’information qui s’accumule de plus en plus avec la rédaction d’un
nombre croissant d’ouvrages. Ainsi, le traité de loin le plus fameux de ce demi-siècle est celui
de Mersenne, l’Harmonie universelle, paru en 1636-16378. La conception qui sous-tend cette
œuvre provient directement de la réduction en art du XVIe siècle. Comme le montre
longuement la table des matières, qui liste sur une trentaine de pages tous les éléments de la
musique que l’auteur se propose d’exposer en autant de chapitres, il s’agit toujours de donner
une approche globale de cet art, dont tous les éléments doivent être traités. On note également
que l’approche reste extrêmement théorique et même de plus en plus mathématique, puisque
Mersenne inclut des tableaux de nombres et des descriptions géométriques jusque dans sa
préface. En ce sens, ce traité semble prendre un tournant vers une rationalisation de la
Musique ; par forme de dialogue interrogatoire & responsif entre deux interlocuteurs. P. & I., Lyon, Michel du Bois, 1556, 60 p.
8 MERSENNE, Marin, HARMONIE VNIVERSELLE, CONTENANT LA THEORIE ET LA PRATIQVE DE LA MVSIQVE, Où il est traité de la Nature des Sons, & des Mouuemens, des Consonances, des Dissonances, des Genres, des Modes, de la Composition, de la Voix, des Chants, & de toutes sortes d’Instrumens Harmoniques, Paris, Sebastien Cramoisy, 1636, 793 p.
42
méthode « scientifique » qui sera exposée par Descartes dans son Discours de la méthode, au
même moment9. D’ailleurs, il apparaît assez clairement, à survoler l’ouvrage de Mersenne,
que le modèle de la réduction en art qu’il a tout de même tenté d’appliquer n’est plus
vraiment viable, puisque son ouvrage couvre rien moins qu’un millier et demi de pages !
Cependant, malgré cette taille démesurée qui lui permet de consacrer sept livres à la question
des instruments, soit quatorze pages pour le violon et sa famille (dans le quatrième livre des
instruments10), la question de la tenue n’est absolument pas abordée, preuve d’un divorce net
entre la théorie et la pratique puisqu’il n’aurait pas été difficile d’insérer quelques lignes sur
cet aspect pratique des plus basiques dans cet énorme ouvrage. Ainsi, un tel écrit semble à la
frontière de la réduction en art du XVIe siècle, des traités du XVIIe siècle suivant la méthode de
Descartes, vers lesquels il semble clairement s’engager, et d’un troisième type d’ouvrage que
nous allons définir.
Le second traité français de la première moitié du XVIIe siècle nous met en effet sur la
voie. Il s’agit du Traité des instruments de musique de Pierre Trichet, un manuscrit rédigé
vers 164011. Celui-ci reste encore plus ou moins dans la tradition décrite précédemment, en
citant abondamment les auteurs anciens et en abordant les instruments de manière
systématique. Toutefois, le style est simple et plus accessible que Mersenne, et surtout le
traité se focalise uniquement sur les instruments, ce qui marque une rupture majeure par
rapport au principe même de la réduction en art. Ainsi, si des influences de l’époque
précédente peuvent encore se faire sentir, il s’agit clairement d’un autre type d’écrit que ceux
du XVIe siècle, et il ne s’agit pas non plus d’un traité scientifique dans l’esprit de Descartes.
On pourrait donc presque dire que la pratique de la réduction en art a évolué ici vers une
forme plus accessible et concrète, qui n’est pas la pensée scientifique mathématisée du XVIIe
siècle et constitue donc une troisième forme d’ouvrage par rapport à ceux décrits auparavant.
Concrètement, dans les deux folios dédiés au violon, pas un seul tableau ou schéma
9 DESCARTES, René, DISCOURS DE LA METHODE. Pour bien conduire sa raison, & chercher la verité dans les sciences. Plus LA DIOPRIQUE. LES METEORES. ET LA GEOMETRIE. Qui sont des essais de cete METHODE, Leyde, Ian Maire, 1637, 156 p.
10 MERSENNE, Marin, SECONDE PARTIE DE L’HARMONIE VNIVERSELLE : CONTENANT La Pratique des Consonances, & des Dissonances dans le Contrepoint figuré, La Methode d’enseigner, & d’apprendre à chanter. L’Embellissement des Airs. La Musique Accentuelle. La Rythmique, le Prosodie, & la Metrique Françoise. La maniere de chanter les Odes de Pindare, & d’Horace. L’Vtilité de l’Harmonie, & plusieurs nouuelles Obseruations, tant Physiques que Mathematiques : Auve deux Tables, l’vne des Propositions, & l’autres des Matieres, Paris, Pierre Baillard, 1637, 798 p.
11 TRICHET, Pierre, Traité des instruments de musique, manuscrit, v.1640, 151 ff.
43
n’apparaît et la description est entièrement littérale : aspect général et mode de jeu,
construction, usage, instruments proches. Pour la problématique qui nous concerne, nous ne
pouvons en retenir que quelques mots, à savoir que le violon se tient « appuié contre l’espaule
gauche »12, ceci montrant que la description concrète de la technique n’est pas encore très
poussée.
Faute de disposer de traités français dans la seconde moitié du XVIIe siècle, il faut se
tourner vers les écrits allemands pour chercher les traces de l’évolution de la conception des
traités à cette époque. On y retrouve en réalité assez tôt les germes des modifications
amorcées en France à la même époque, en particulier dès 1618 avec l’Organographia de
Michael Praetorius13, encore que ce traité soit totalement isolé dans le XVIIe siècle allemand et
que nous ne puissions donc pas généraliser cette observation. Il s’agit en réalité d’un livre
monumental, les Syntagmatis musici, qui, dans l’esprit de l’époque, cherche à donner un
aperçu complet de la musique de son temps. Celui-ci, en trois tomes, est tout de même
nettement moins volumineux que le traité de Mersenne (qui ne paraîtra que vingt ans après).
Le plus important toutefois est que les thèmes retenus ne sont pas exactement ceux que l’on
pourrait attendre d’une réduction en art : le premier volume traite des aspects théoriques de la
musique mais aussi d’éléments plus inhabituels comme un essai de reconstitution de l’histoire
des différents instruments de musique ; le second volume est entièrement consacré aux
instruments contemporains de l’auteur ; et enfin le troisième, sur la manière d’écrire des
pièces, se penche là encore sur des aspects assez peu communs tels que les différentes formes
ou bien l’instrumentation. Pour en revenir au volumineux second volume (plus de 300 pages),
qui nous intéresse le plus, celui-ci est donc entièrement dédié à la question des instruments,
avec une approche certes encore très théorique, mais tout de même un peu plus orientée vers
les aspects concrets que ce qui pouvait s’écrire en France à la même époque. Si l’on excepte
toute la seconde moitié qui est exclusivement dédiée à l’orgue (sans doute parce que
Praetorius était lui-même organiste), le reste de ce livre se penche sur certains points
communs aux différents instruments, comme l’accord, puis à chaque instrument (ou parfois
famille d'instruments) en particulier. Certains, comme la viole de gambe, peuvent ainsi se voir
accorder plusieurs pages, avec une description très détaillée ; le violon, instrument
12 TRICHET, Pierre, idem, f.109.13 PRAETORIUS, Michael, SYNTAGMATIS MuSICI. TOMuS SECuNDuS. De ORGANOGRAPHIA,
Wolfenbüttel, Elias Holwein, 1618, 326 p.
44
relativement nouveau à l’époque, ne prend qu’une demi-page, avec encore peu de détails
concrets, mais sa tenue est tout de même précisée dans ces quelques lignes. Il ne faut
toutefois pas généraliser cette innovation à tous les traités allemands de l’époque, puisque
celui de Praetorius est le seul à se pencher quelque peu sur la tenue du violon. Par exemple,
en 1650, Athanasius Kircher publie encore un traité « complet » de réduction en art de la
musique dans la droite ligne de ceux du XVIe siècle, en dix livres dont un consacré aux
instruments, mais d’une manière totalement théorique14 ; il faut cependant souligner que, bien
qu’originaire de Thuringe, celui-ci était professeur à Rome depuis 15 ans à cette date, et était
peut-être plus influencé par les pratiques italiennes qu’allemandes15.
Faute de documentation, nous ne pouvons ensuite nous intéresser qu’à des écrits
allemands du dernier quart du siècle. Ceux-ci révèlent que le principe de réduction en art a
alors véritablement totalement disparu pour faire place à un type de traité fondamentalement
différent. Le manuscrit de Johann Jacob Prinner, rédigé en 1677, est à cet égard très
significatif16. Celui-ci n’est pas écrit en latin ou dans une langue vernaculaire « standardisée »
comme les précédents, mais dans un dialecte autrichien, sa diffusion s’en voulant
logiquement beaucoup moins « internationale » que les précédents s’il avait même été
imprimé17. Il ne s’agit toujours pas d’un traité dédié spécifiquement au violon, mais le
discours sur la musique est devenu beaucoup plus concret que précédemment, et pourrait se
rapprocher de ce que l’on trouve dans les manuels ou les théories de la musique actuels. De
plus, sur plusieurs pages consacrées au violon et aux instruments proches, on trouve
maintenant des schémas de doigtés en lieu et place des abstractions géométriques du XVIe
siècle ; quant au texte, celui-ci disserte à présent de la meilleure manière de jouer ou de tenir
l’instrument, sur un ton polémique, en citant comme référence non des auteurs anciens mais
des « virtuoses respectés » contemporains (probablement Johann Heinrich Schmelzer et
14 KIRCHER, Athanasius, Musurgia Universalis, sive Ars Magna consoni et dissoni in X libros digesta. Qua Vniversa Sonorum doctrina, et Phylosophia, Musicaeque tam theoricae, quam practicae scientia, summa varietate traditur ; admirandae Consoni, et Dissoni in mundo, adeoque Universa Natura vires effectusque, vti noua, ita peregrina variorum speciminum exhibitione ad singulares usus, tum in omnipoene facultate, tum potissimum in Philologia, Mathematica, Physica, Mechanica, Medecina, Politica, Metaphysica, Theologia aperiuntur et demonstrantur, Roma, Francisco Corbelletti, 1650, 2 vol.
15 LO SARDO, Eugenio, « Kircher’s Rome », in FINDLEN, Paula (éd.), Athanasius Kircher. The last man who knew everything, London, Routledge, 2004, pp. 49-60.
16 PRINNER, Johann, Musicalischer Schlissl, Salzburg, 1677, s.p.17 MOENS-HAENEN, Greta, Deutsche Violintechnik im 17. Jahrhundert. Ein Handbuch zur Aufführungspraxis,
Graz, Akademische Druck- u. Verlagsanstalt, 2006, p. 37
45
Heinrich Biber, qu’il connaissait peut-être personnellement18), et en donnant son propre avis
sur la question. Cet ouvrage semble ainsi hésiter entre un « manuel » et un « essai », mais
cette partie polémique reste exceptionnelle pour l’époque, les traités des années suivantes se
rapprochant cette fois clairement de manuels.
De fait, ceux de Daniel Speer en 168719 et de Georg Falck l’année suivante20, se
présentent sous une forme se voulant nettement facile d’approche, avec l’introduction de
chaque chapitre par une question rhétorique. Le thème central reste encore la théorie de la
musique, accompagnée d’un très grand nombre d’exemples musicaux qui réduisent d’autant
la place accordée à la discussion sur les instruments. Toutefois, bien qu’exposés à la fin des
deux volumes, ceux-ci sont tout de même abordés sous un angle relativement concret qui
permet de connaître leurs caractéristiques principales et en particulier leur tenue. Ces deux
écrits de la décennie 1680 peuvent donc être considérés comme des « théories de la
musique », à but purement pratique, à destination de qui voudrait apprendre les bases de cet
art. La partie instrumentale reste donc logiquement assez en retrait, non pour les mêmes
raisons qu’au XVIe siècle, où celle-ci n’était pas estimée comme importante pour le sujet, mais
plutôt parce qu’elle « devrait être montré[e] par un bon instructeur à son apprenti » pour
reprendre la formulation de Daniel Speer21 ; les quelques lignes qui y sont consacrées
l’abordent néanmoins clairement sous un angle pratique, et étudient les points théoriques
principaux, compréhensibles sans l’aide d’un professeur.
Enfin, la dernière décennie du siècle, voit l’apparition de ce qui pourrait presque
passer pour un traité spécifiquement dédié au violon, à travers la publication de Daniel Merck
en 169522. Il ne s’agit en réalité que d’un fascicule d’une vingtaine de pages, divisé en huit
18 MOENS-HAENEN, Greta, idem, p. 32.19 SPEER, Daniel, Grund-richtiger, kurtz, leicht und nöthiger Unterricht der Musikalischen Kunst, Wie man
füglich und in kurtzer Zeit Choral und Figural singen, den General-Baß tractiren, und Componiren lernen soll, Ulm, Wilhelm Kühne, 1687, 144 p.
20 FALCK, Georg, I. N. SS. T. IDEA BONI CANTORIS, das ist : Getreu und Gründliche Anleitung, Wie ein Music-Scholar, so wol im Singen, als auch auf andern Instrumentis Musicalibus in kurtzer Zeit so weit gebracht werden kan, daß er ein Stück mit-zusingen oder zu spielen sich wird unterfangen dörffen ; Aus Verschiedenen berühmten Musicis colligirt, und der Music-Liebenden Jugend zu sonderbahrer Lust-Erweck-und nutzlichen Begreiffung zusammen geschrieben, und heraus gegeben, Nürnberg, 1688, Wolffgang Moris Endter, 209 p.
21 SPEER, Daniel, idem, p. 191.22 MERCK, Daniel, COMPENDIUM MUSICÆ INSTRUMENTALIS CHELICÆ. Das ist : Kurtzer Begriff,
Welcher Gestalten Die Instrumental-Music auf der Violin, Pratschen, Viola da Gamba, und Bass, gründlich und leicht zu erlernen seye. Der Jugend und andern Liebhabern zu Gefallen aufgesetzt, und auf Begehren guter Freunde zu offentlichem Druck befördert, Augsburg, Johann Christoph Wagner, 1695, s.p.
46
chapitres, qui se veut d’après son avant-propos une première base pour apprendre la musique
instrumentale. A part les trois premiers chapitres, soit trois pages, qui présentent très
rapidement les bases de l’écriture de la musique, l’ensemble est en réalité globalement dédié
au violon ; même lorsque l’auteur introduit des notions théoriques plus générales dans la
suite, celles-ci sont mises en regard de la pratique au violon. On peut également trouver dans
ces quelques pages, outre une indication sur la tenue du violon et la même indication que
Daniel Speer quant au fait d’apprendre soi-même à se servir de l’archet, quelques exemples
de théorisations de gestes techniques, en l’occurrence des doigtés pour les démanchés : si
l’enchaînement proposé n’est pas celui que l’on indiquerait actuellement, ce qui est logique
puisque la technique employée n’est pas la même, l’idée et la présentation de l’exemple sont
rigoureusement identiques à ce que l’on trouve dans n’importe quel cahier d’exercices encore
de nos jours. Il semble donc bien qu’à travers l’ouvrage de Merck, l’on s’oriente clairement
vers un manuel de violon, qui n’a plus rien à voir avec une réduction en art, et qui n’est plus,
non plus, une théorie de la musique incorporant un chapitre dédié aux instruments. Le dernier
écrit du siècle, celui de Georg Muffat23, ne nous apporte pas beaucoup plus d’informations
puisqu’il s’agit d’un cas particulier, à savoir non un traité mais un avant-propos à une
partition. Si ceci n’enlève rien à l’intérêt technique des propos que l’on y trouve, il ne s’agit
pas de la même logique que les écrits précédents et nous pouvons donc difficilement proposer
de comparaison.
Ainsi, il semble bien que le XVIIe siècle ait été une période de diversification dans la
pensée technique des traités liés à la musique. Le début du siècle, en particulier en France,
reste encore globalement dans la lignée de la réduction en art du XVIe siècle. On voit
cependant émerger une scission dès les premières décennies, sans pour autant que les
nouvelles formes ne se présentent plus comme des synthèses de l’ensemble des connaissances
sur la musique. D’une part, certains auteurs s’engageant sur la voie d’une étude « pré-
scientifique » de la musique, ou plutôt du son, dans laquelle les aspects concrets de la
pratique musicale sont clairement exclus : on pourrait citer comme exemple le traité
d’« acoustique musicale » de Joseph Sauveur, publié en 170124. D’autres s’orientent au
23 MUFFAT, Georg, Suavoris Harmoniae Instrumentalis Hyporchematicae Florilegium Secundum, Passau, Georg Adam Höller, 1698, NC.
24 SAUVEUR, Joseph, PRINCIPES D’ACOUSTIQUE ET DE MUSIQUE, ou SYSTÊME GENERAL DES INTERVALLES DES SONS, et de son application à tous les Systêmes et à tous les Instrumens de Musique , Paris, s.n., 1701, 70 p.
47
contraire vers des publications beaucoup plus pratiques, destinées à servir de première
approche de la musique pour un public lettré, ou bien de support pour un enseignement lui-
même dispensé par un maître. Dans ce sens, la grande majorité des ouvrages de la seconde
moitié du XVIIe siècle, en particulier allemands, sont des « théories de la musique » qui
incluent quelques chapitres sur les instruments ; à la différence de la réduction en art, celles-ci
sont débarrassées des considérations mathématiques éloignées de la réalité de la pratique, et
se concentrent sur les éléments réellement utiles au musicien. Enfin, à l’extrême fin du siècle,
on voit apparaître en particulier à travers le fascicule de Daniel Merck une ébauche de
« manuel », spécifiquement dédiée au violon, qui regroupe à la fois les connaissances de
bases à maîtriser quant à l’instrument et quelques exemples musicaux permettant de s’exercer
concrètement.
Ces trois formes de traités sont globalement celles qui se sont perpétuées jusqu’à
aujourd’hui, avec une distinction nette entre ouvrages « savants », maintenant très diversifiés
dans leurs thèmes, théories de la musique donnant toutes les bases pour lire et comprendre la
musique, même si celles-ci doivent être travaillées avec un professeur, et « manuels », ou
plutôt « cahiers », regroupant les informations de base sur un instrument bien précis avec un
certain nombre d’exercices pratiques, à réaliser cette fois très clairement sous le contrôle d’un
maître. Ces différentes catégories devenant quasiment exclusives dès le début du XVIIIe siècle,
nous allons par la suite presque uniquement nous focaliser sur le troisième type de traités.
3) La spécificité anglaise
Cependant, avant de nous intéresser aux principaux traités du XVIIIe siècle, arrêtons-
nous quelque peu sur un cas particulier prenant place entre les deux périodes et obéissant à
une logique propre, à savoir les traités anglais de la seconde moitié du XVIIe siècle et de la
première moitié du XVIIIe. Le plus ancien se place encore plutôt dans la lignée des « théories
de la musique » allemandes de son temps : il s’agit de l’ouvrage de John Playford paru en
1654 et réédité dix-neuf fois jusqu’en 173025. D’après sa préface, il s’agit d’un ouvrage
25 PLAYFORD, John, A BRIEF INTRODUCTION To the Skill of MUSICK. In two Books. The First containes the General Grounds and Rules of MUSICK. The Second, Instructions for the Viol and also for the Treble-Violin, Londres, William Goodbid, 1664 (1ère éd. 1654), 192 p.
48
supposé instruire des bases de l’art musical, afin de parfaire son éducation. C’est donc sans
surprise que l’on y retrouve avant tout une importante partie dédiée aux principes généraux de
la musique, la première édition s’y limitant même uniquement ; toutefois, et il s’agit là d’une
particularité des traités anglais, l’auteur s’adresse quelquefois directement au lecteur (en
employant le pronom « you »), ceci dénotant clairement une volonté pédagogique. Par la
suite, et comme indiqué dans la préface de l’édition de 1664, l’auteur a rajouté des annexes
dédiées aux bases de l’application concrète de la musique, avec la voix, la viole de gambe ou
encore le violon. De fait, ces « suppléments » ont orienté la destination de l’ouvrage vers une
utilisation pratique, avec un point rapide sur les bases de l’instrument, et en premier lieu sur
sa tenue, puis quelques exemples musicaux susceptibles d’intéresser les lecteurs, à savoir
principalement des danses de cour.
Quelques décennies plus tard, en 1693, le traité de John Lenton inaugure ainsi
réellement la lignée des traités anglais basés sur le même modèle, dont il existe une demi-
douzaine d’occurrences jusqu’au milieu du XVIIIe siècle26. Le titre de celui de Lenton, The
Gentlemen’s Diversion, or The Violin Explained, est bien explicite : il s’agit clairement d’un
traité entièrement pratique, à destination des hommes de bonne société, et à des fins de
sociabilité à défaut d’un but réellement ludique (en tout cas pas dans le but de former des
professionnels). On y trouve donc d’une part des instructions concrètes et accessibles à tout
un chacun quant à la tenue de l’instrument et aux rudiments de son jeu, et d’autre part de
nombreuses partitions simples de musiques « en vogue ». Malgré la taille restreinte de
l’ouvrage, la tenue y est clairement décrite, toujours en s’adressant directement au lecteur
comme un maître pourrait le faire à son élève, et en détaillant les positions jugées mauvaises
que l’apprenti pourrait avoir observé par ailleurs (ici la tenue « des italiens », à savoir en
réalité de Matteis, cf. p. 212), opposées à la bonne posture.
Les traités anglais suivants reprennent très exactement la même structure, et se
recopient même parfois entre eux pour ce qui est des formulations, en faisant donc un groupe
uniforme très particulier dans le paysage des traités pour violon de l’époque. S’y ajoute
simplement certains instruments, comme dans l’ouvrage anonyme paru en 1722 THE
COMPLEAT Musick-Master27, lequel prend pour sujet d’étude non seulement le violon, mais
26 LENTON, John, The Gentlemen’s Diversion, or The Violin Explained, Londres, Lenton, 1693, NC.27 "B.", "T. ", THE COMPLEAT Musick-Master : BEING Plain, Easie, and Familiar RULES for SINGING,
49
aussi la viole, le hautbois et la flûte, à savoir les instruments les plus susceptibles d’être
pratiqués par la bourgeoisie du début du XVIIIe siècle. Dans la partie concernant le violon, on
trouve non seulement des indications précises quant à la tenue de celui-ci, mais aussi des
instructions quant aux caractéristiques techniques et à la tenue de l’archet, finissant ainsi de
traiter des prérequis indispensables à un jeu un minimum correct. Dans les traités suivants, à
savoir celui (non daté mais probablement publié vers 1735) de Robert Crome28 et l’anonyme
APOLLO’S CABINET de 175629, les mêmes logiques sont toujours utilisées, alors que les
conseils techniques prodigués changent légèrement au fil du temps (cf. p. 123).
Les écrits les plus tardifs s’étendent simplement à de plus en plus d’instruments, au
point d’atteindre des proportions considérables : celui de 1756 compte ainsi plus de 200
pages, puisque, outre le violon, la flûte (à bec) et le hautbois déjà cités (les violes étant
passées de mode au milieu du XVIIIe siècle), sont également étudiés la voix, le clavecin, la
flûte traversière, le cor, le basson et le violoncelle. Toutefois, les exemples musicaux
complets ont à présent disparu, et ont été remplacés par des explications sur des techniques
plus virtuoses que précédemment, par exemple les ornements. Ainsi, à l’extrême fin de
l’époque baroque, cette lignée des traités anglais, à destination d’une bonne société apprenant
la musique en amateur auprès de maîtres à danser et friande d’airs à danser, semble se perdre,
au profit de manuels destinés à une pratique plus virtuose et « professionnelle ». Elle rejoint
donc en ce sens la dernière catégorie de traités que nous allons à présent aborder, et à laquelle
se rattache pleinement l’ouvrage de l’italien Geminiani, publié à Londres en 175130 : les
méthodes de violon du XVIIIe siècle.
and PLAYING On the most useful Instruments now in Vogue, according to the Rudiments of Musick. Viz., VIOLIN, FLUTE, HAUT-BOY, BASS-VIOL, TREBLE-VIOL, TENOR-VIOL. Containing likewise A great Variety of Choice Tunes, and fitted to each Instrument, with Songs for two Voices. To which is added, a Scale of the Seven Keys of Musick, shewing how to Transpose any Tune from one Key to another, London, William Pearson, 1722, 72 p.
28 CROME, Robert, The FIDDLE New MODEL’D or a useful Introduction to the VIOLIN, Exemplify’d with familiar DIALOGUES, Londres, J. Thyler, v.1735, 70 p.
29 Anonyme, APOLLO’S CABINET : OR THE MUSE’S DELIGHT. AN ACCURATE COLLECTION OF ENGLISH and ITALIAN SONGS, CANTATAS and DUETTS, Set to MUSIC for the Harpsichord, Violin, German-Flute, &c. WITH INSTRUCTIONS FOR THE VOICE, VIOLIN, HARPSICHORD or SPINET, GERMAN-FLUTE, COMMON-FLUTE, HAUTBOY, FRENCH-HORN, BASSON, and BASS-VIOLIN. ALSO, A Compleat Musical DICTIONARY, And several HUNDRED ENGLISH, IRISH and SCOTS SONGS, Without the MUSIC, Liverpool, John Sadler, 1756, 216 p.
30 GEMINIANI, Francesco, The Art of Playing on the VIOLIN. Containing All the Rules necessary to attain to a Perfection on that Instrument, with great variety of Compositions, which will also be very useful to those who study the Violoncello, Harpsichord &c, London, John Johnson, 1751, 9+51 p.
50
4) Le XVIIIe siècle, mise en place des « méthodes »
Les traités du XVIIIe siècle, de loin les plus nombreux, sont ceux qui se rapprochent le
plus de ce que l’on pourrait qualifier d’un « traité de violon », bien qu’il s’agisse en réalité
plus de méthodes destinées à des musiciens de bon niveau, mais cherchant tout de même
avant tout, voire uniquement, des informations d’ordre pratique, que de « traités » à
proprement parler. Comme précédemment, et à deux exceptions près, ces ouvrages sont tous
français ou allemands, cette fois de manière contemporaine (quoique la première moitié du
siècle soit tout de même principalement documentée par des ouvrages français). Le terme de
« méthode » est probablement bien adapté pour décrire ce nouveau type d’écrits, puisqu’il
apparaît directement dans le titre de certains d’entre eux, et notamment le premier publié au
cours du XVIIIe siècle, en 1711, celui de Michel Pignolet de Montéclair31. A la différence des
ouvrages des siècles précédents, au titre souvent peu explicite, celui-ci est d’emblée bien
identifié en tant que « méthode facile de violon ». De fait, il est court (24 pages, dans un
format très étroit), et s’en tient strictement à ce programme. Chaque page traite, en quelques
lignes, d’un aspect du jeu, soit dans l’ordre : description de l’instrument, tenue et accord du
violon, tenue de l’archet, comment faire les notes, puis une série de quatorze pages
d’exercices et de théorie musicale très basique (juste assez pour pouvoir lire les partitions), et
enfin six pages de morceaux simples. Cette brochure, d’un prix assez abordable de 25 sous
(un peu plus d’une livre, une dépense raisonnable pour quelqu’un d’assez fortuné pour
s’intéresser à la musique « savante »), est donc bien une « méthode » qui regroupe la base de
l’enseignement du violon. Cependant, les morceaux et certains exercices, sans être
extrêmement difficiles, ne sont réalisables « proprement » qu’au bout de quelques années de
pratique, et il est hors de question que ce livre puisse servir d’unique base d’apprentissage
pendant plusieurs années compte tenu de sa petite taille (impliquant des commentaires et des
exemples très réduits). Ainsi, il est plus que probable que celui-ci, qui ne possède
malheureusement pas de préface explicative, soit conçu comme un « livret » ou un
« manuel » à parcourir accompagné d’un maître, et dans lequel la section la plus importante
serait celle des exercices, qui occupe d’ailleurs plus de la moitié des feuillets.
31 PIGNOLET DE MONTECLAIR, Michel, MÉTHODE FACILE POUR APPRENDRE A JOÜER DU VIOLON avec un Abregé des Principes de Musique necessaires pour cet Instrument, Paris, l’Auteur, 1711, 24 p.
51
Quasiment à la même date, on peut noter le traité manuscrit de Sébastien de
Brossart32 : celui-ci, non daté, n’est en réalité qu’un brouillon qui fut d’ailleurs précédemment
attribué à Montéclair si l’on en croit une note dans la marge de la première page. Cet écrit est
beaucoup plus savant que le précédent, et ne comporte pas (ou presque) de schémas ou de
musique. A la place, nous pouvons y lire des descriptions beaucoup plus poussées et
notamment des discussions à propos de certains points de technique dont l’exécution était
contestée. Cependant, bien que les indications de cet ouvrage nous soient utiles pour notre
recherche, le fait qu’il soit resté à l’état de brouillon et que l’on ne puisse même pas être
certain de son caractère achevé ne nous permet pas vraiment de tenter de le situer dans
l’évolution de la pensée technique à l’époque : tout au plus peut-on noter que l’ouvrage de de
Brossart est nettement plus intellectuel et évolué que celui de Montéclair, et cherche plus à
dresser un état des lieux de la technique du violon à destination d’un public connaisseur, qu’à
fournir des clés pour aider des débutants à faire leurs premiers pas dans la musique
instrumentale. Ces caractéristiques se retrouveront dans des traités plus tardifs, souvent
mêlées à celles précédemment évoquées concernant l’aspect purement pratique et éducatif
comme dans l’ouvrage de Montéclair.
Nous devons ensuite attendre la décennie 1730 pour disposer de nouveau de sources
utiles à notre propos. L’une d’elle est allemande, à savoir le traité de Joseph Majer de 173233.
Cet ouvrage fait semble-t-il figure d’exception, car il s’intègre assez mal dans la logique des
traités de son époque. Bien que sa longueur ne soit pas particulièrement remarquable, il
entend, comme son titre l’indique, donner des indications sur les aspects à la fois théoriques
et pratiques de la musique, et traiter dans cette seconde partie aussi bien la voix que
l’ensemble des instruments, ce qui correspondrait plus aux ouvrages types « théories de la
musique » de la seconde moitié du XVIIe siècle : on pourrait donc supposer que l’Allemagne
est restée dans ce schéma jusque dans le premier tiers voire la première moitié du XVIIIe
siècle, alors que la France aurait évolué vers les manuels. Toujours est-il que la partie
32 DE BROSSARD, Sébastien, [Fragments d’une méthode de violon], s.l., v. 1711, s.p.33 MAJER, Joseph, MUSEUM MUSICUM THEORETICO PRACTICUM, das ist, Neu-eröffneter
Theoretischund Practischer Music-Saal, darinnen gelehret wird wie man sowohl die Vocalals Instrumental-Music gründlich erlernen, auch die heut zu Tag üblichund gewöhnlichste, blasend, schlagend und streichende Instrumenten in kurzer Zeit und compendieuser Application in besondern Tabellen mit leichter Mühe begreifen könne. Nebst einem Appendice derer anjeßo gebräuchlichstGriechischLateinischItaliänischund Französischmusicalischen Kunst-Wörter nach Alphabetischer Ordnung eingerichtet und erkläret. Zum nutzlichen Gebrauch aller und jeder Music-Liebhaber zusammen betragen und mitgetheilet, Schwäbisch-Hall, Georg Michael Majer, 1732, 104 p.
52
concernant le violon est assez restreinte, avec trois pages de petit format, deux gammes sans
intérêt sur le plan violonistique, et une gravure de violon de très mauvaise qualité pour
l’époque, qui aurait plutôt sa place dans un ouvrage du début du siècle précédent. L’ouvrage
de Joseph Majer doit donc être regardé plutôt comme un reliquat de la pensée du XVIIe siècle
en matière de rédaction de traités sur la musique ou les instruments, soit réellement isolé soit
lié à son origine géographique germanique, et non comme un exemple de l’actualité dans ce
domaine.
En effet, en 1738, paraît en France l’une des plus célèbres « méthodes » pour violon,
ce qui confirme que ce type d’écrit est bien en passe de s’imposer à cette époque, et que celui
de Montéclair en 1711 n’est pas un cas isolé. L’École d’Orphée de Michel Corrette peut être
considérée comme un modèle du genre34. Il s’agit encore une fois textuellement, d’après le
titre puisqu’il n’y a pas de préface, d’une « méthode facile » pour violon, que l’on précise
« destinée aux débutants » (et accessoirement à des musiciens plus avancés), qui prend une
forme devenue ensuite canonique et déjà pressentie chez Montéclair ; les pages sont cette fois
grandes, chacune représentant un chapitre. Les six premières pages exposent encore les
principes de base de la musique, nécessaires à la lecture d’une partition. Les six suivantes
traitent de la technique du violon, à grand renfort d’exemples et d’illustrations : tenue du
violon, tenue de l’archet, étendue du violon, doigtés, ornements. Enfin, suivent presque trente
pages d’exemples, intitulés fort explicitement « Leçons pour apprendre à jouer », et l’ouvrage
se clôt sur deux pages de lexique bilingue. Il faut ici remarquer, d’une part, que tout l’ouvrage
est construit sur une comparaison, plus qu’une opposition, entre « goûts » français et italien,
et vise à apprendre à jouer aussi bien dans l’un que dans l’autre. Ceci pourrait refléter le goût
du public pour une façon italienne plus virtuose au début du XVIIIe siècle, laquelle a
effectivement pris plus d’influence dans la musique française de la fin du baroque que les
héritages du XVIIe siècle versaillais. D’autre part, les derniers exemples demandent clairement
une très bonne technique, surtout pour l’époque, le dernier étant présenté comme rien moins
qu’un « concerto », qui est en principe la pièce pour soliste virtuose par excellence. Encore
une fois, la présence d’un maître est ici indispensable, et il s’agit bien d’un manuel dans
lequel la partie réellement importante est contenue dans les exemples et exercices musicaux.
34 CORRETTE, Michel, L’ECOLE D’ORPHÉE. MÉTHODE Pour Apprendre facilement à joüer DU VIOLON Dans le goût François et Italien ; Avec des Principes de Musique Et beaucoup de Leçons à I, et II Violons. Ouvrage utile aux commençants et a ceux qui veulent parvenir à l’execution des Sonates, Concerto, Pieces par accords Et Pieces a cordes Ravallées, Paris, L’Auteur, Boivin et Le Clerc, 1738, 43 p.
53
La présence sous-entendue de ce maître est d’ailleurs ici évidente puisque, à propos des
tenues française et italienne de l’archet, l’auteur nous indique que « Ces deux façons de tenir
l’Archet sont également bonnes cela dépend du Maître qui enseigne ». Bien que les données
techniques sur la tenue et le jeu de l’instrument soient somme toute assez limitées, ce traité
peut être considéré comme l’archétype des suivants, qui reprennent tous plus ou moins les
mêmes principes. Ceux-ci sont toutefois situés dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, soit
plutôt à l’époque du classicisme, quoique les maîtres qui les ont écrits aient souvent été plutôt
assez âgés et en fin de carrière, et se soient référé à une technique plus ancienne qui pouvait
effectivement être baroque.
5) Les « méthodes » classiques
De fait, le premier traité à suivre celui de Michel Corrette, dans l’ordre chronologique,
est le plus célèbre des traités purement baroques, et de loin le principal étudié de nos jours,
notamment car il est le plus complet. Il s’agit du « monumental » (non par sa taille mais par
son contenu) ouvrage de l’italien Francesco Geminiani, publié à Londres en 175135. Celui-ci
n’est en réalité pas beaucoup plus imposant que les précédents, avec seulement une
soixantaine de pages, dont neuf consacrées au texte, suivies par 33 pages d’exemples et 18 de
« compositions » : on retrouve ici globalement le ratio déjà observé par ailleurs, avec environ
la moitié du traité réservé aux exemples, et un tiers dédié aux morceaux musicaux. La grande
nouveauté par rapport aux écrits de l’époque baroque proprement dite (puisque nous sommes
ici à la frontière entre le baroque et le classique, du moins en termes de grands découpages
chronologiques) est une orientation cette fois très nette uniquement sur la question du violon,
à l’exception de toute trace de théorie de la musique par exemple. La préface d’une demi-
page est claire sur les intentions de l’auteur : « Mais de l’imitation du coq, du coucou, de la
chouette […] et toutes les autres astuces appartenant plus aux professeurs d’illusions et
virtuoses qu’à l’art de la musique, les amoureux de cet art ne doivent rien espérer trouver de
la sorte dans ce livre. Mais je me flatte qu’ils y trouveront ce qui est nécessaire pour la
formation d’un honnête joueur de violon.36 ». Il s’agit donc bien de donner le nécessaire pour
35 GEMINIANI, Francesco, ibidem.36 « But as the imitating the Cock, Cuckoo, Owl […], and all other such Tricks rather belong to the Professors
54
une pratique courante du violon, mais sans se proposer d’enseigner l’ensemble de la musique.
Le texte est directement relié aux exemples musicaux sans introduction sur la manière de lire
ceux-ci ; on notera d’ailleurs que chaque chapitre est nommé « example », et correspond donc
à une légende ou une explication accompagnant l’exercice musical, et non le contraire. Le
premier « example », de loin le plus long puisqu’il couvre deux pages de texte d’un format
imposant, parcourt toute la technique de base du violon, divisée en cinq points. Les vingt-trois
autres couvrent pour ainsi dire toute la gamme des techniques de jeu à maîtriser pour devenir
professionnel, les derniers exercices étant à peu près identiques à ceux toujours pratiqués
actuellement par les étudiants de haut niveau technique ; de plus, les explications se font
beaucoup moins développées, certaines couvrant à peine deux lignes. Enfin, les
« compositions » sont de vrais morceaux d’un bon niveau, tel que l’on pourrait l’attendre
d’un professionnel, et sont à réaliser avec un accompagnement de basse continue (comme
plusieurs des exemples d’ailleurs). Ainsi, le traité de Geminiani est le vrai « manuel de
violon » : celui-ci se concentre uniquement sur cet instrument, et fournit des indications à la
fois complètes et condensées sur tous les éléments nécessaires au jeu. L’aspect le plus
important reste toutefois les exercices en eux-mêmes, et au vu de la progression très rapide
qui fait présenter, même sur le premier exercice, une difficulté technique pour débutant au
début de la page et un entraînement pour musicien confirmé à la fin, il est absolument évident
qu’il s’agit d’un support pour un cours donné par un professeur, comme un cahier d’exercices
actuel.
Cinq années plus tard seulement, en 1756, est paru le second traité d’importance
capitale pour l’étude de la technique du violon baroque, celui-ci actuellement connu même
par les musiciens non spécialisés (qui le voient souvent comme le seul traité permettant de se
pencher sur la question). Il s’agit du premier état du traité de Leopold Mozart (le père
d’Amadeus), lequel constitue une sorte de pendant en Allemagne du traité de référence de
Geminiani, écrit par un italien et publié en Angleterre37. L’ouvrage de Mozart, avec plus de
250 pages, est nettement plus volumineux que celui de Geminiani, et surtout nous y trouvons
certes de nombreux exemples illustrés par de courtes phrases musicales, mais aucun des
of Legerdemain and Posture-masters than to the Art of Musick, the Lovers of that Art are not to expect to find any thing of that Sort in this Book. But I flatter myself they will find in it whatever is Necessary for the Institution of a just and regular Performer on the Violin ». Traduction personnelle.
37 MOZART, Leopold, Versuch einer gründlichen Violinschule, entworfen und mit 4. Kupfertafeln sammt einer Tabelle versehen, Augsburg, Johann Jacob Lotter, 1756, 264 p.
55
exercices systématiques qui constituaient la moitié de l’ouvrage de Geminiani, et encore
moins de morceaux entiers. Par contre, les différentes techniques possibles, y compris très
virtuoses, sont extrêmement détaillées dans cet ouvrage, alors qu’elles n’étaient présentées
que de manière basique chez Geminiani. Il n’y a donc pas ici de volonté d’offrir des clés pour
un débutant de se former, mais plutôt de proposer une somme des techniques de jeu de violon
contemporaine : plutôt qu’un « manuel » ou une « méthode », nous nous trouvons donc en
présence d’un réel traité, à destination de professionnels maîtrisant déjà bien leur instrument,
et y trouvant de nouvelles idées, ou bien un référentiel. Il s’agit donc clairement d’un autre
type d’écrit, mais celui-ci est nettement plus isolé que les « manuels » tels l’ouvrage de
Geminiani, qui restent le type de source le plus courant dans la seconde moitié du XVIIIe
siècle ; il faut aussi prendre en compte le fait qu’il s’agit avant tout d’une recherche en vue de
la rédaction d’une méthode plus accessible, qui sera publiée en 1770 et s’accordera beaucoup
mieux avec les usages du moment (cf. p. 52).
De fait, le traité de Joseph de Herrando, paru la même année à Paris et seul écrit de
notre corpus laissé par un espagnol, s’inscrit dans la droite ligne de l’ouvrage de Michel
Corrette38. Ce sont toutefois les Principes du violon de l’Abbé le Fils (alias Joseph-Barnabé
Saint-Sévin), publiés pour la première fois en 1761, qui nous livrent l’exemple le plus clair de
la continuité du modèle de Geminiani39. Celui-ci ne comporte pas de préface mais son titre est
en lui-même assez explicite puisqu’il s’agit d’« apprendre » l’instrument, le catégorisant
immédiatement comme un livre d’instruction. L’ouvrage de L’Abbé Le Fils est d’une
longueur comparable à celui de Geminiani, et les logiques que l’on avait décelées dans celui-
ci y sont exacerbées : seule la première page est exempte d’exemples musicaux, concernant
simplement la tenue de l’instrument. Dès la seconde page, les explications ont presque
totalement disparu au profit d’exercices musicaux, une double-page d’exercices simples étant
suivie d’une série de petites études (morceaux de quelques lignes permettant de travailler une
difficulté technique particulière). Passé un certain niveau de difficulté, une nouvelle double-
page d’explications et d’exemples permet de passer à un problème technique plus complexe,
et est de nouveau suivie d’une série d’études. Les dernières explications, à la page 72, sont
38 DE HERRANDO, Joseph, Arte y puntual explicación del modo de tocar el violín. Para qualquiera que aprenda asi aficionado como Professor aprovechándos los maestros en la enseñanza de fus discípulos, con más brevedad y descanso, Paris, Joannes a Cruce, 1756, 70 p.
39 L’ABBÉ LE FILS (SAINT-SEVIN, Joseph-Barnabé), PRINCIPES DU VIOLON POUR APPRENDRE LE DOIGTÉ DE CET INSTRUMENT, Et les différends Agréments dont il est susceptible, Paris, Des Lauriers, 1772 (1ère éd. 1761), 81 p.
56
extrêmement complexes et ne correspondent à l’époque qu’à des morceaux virtuoses. Elles
sont suivies d’une dizaine de pages de morceaux plus importants permettant de « récapituler »
les différents principes, mais dont l’utilité n’est pas clairement définie par l’auteur et semble
en réalité peu évidente. On retrouve donc ici, poussées encore plus loin, les caractéristiques
des manuels de cette époque : un texte technique et concis, dédié à l’apprentissage, de très
nombreux exemples par difficulté progressive (du débutant à l’instrumentiste confirmé), et
enfin quelques morceaux dont la finalité n’est pas établie. La présence du professeur est
également manifeste par le fait que beaucoup des études sont écrites non pour un violon avec
basse, comme chez Geminiani, mais pour deux violons, le second étant très certainement
destiné au professeur qui accompagne son élève.
Les traités des deux décennies qui suivent sont finalement moins intéressants pour la
compréhension de leur évolution. En effet, l’ouvrage d’Ignaz Kürzinger, paru en Allemagne
en 1763, se rapproche plus de celui de Joseph Majer de 1732, qui lui-même renvoyait plutôt
aux traditions du XVIIe siècle qu’à celles du XVIIIe siècle français40. En effet, le premier quart
de l’ouvrage est dédié à une « théorie de la musique », le second concerne la pratique du
chant, et le dernier consiste en un imposant glossaire de termes musicaux. Le violon est donc
concentré dans une vingtaine de pages sous forme de dialogue, dans lesquelles chaque
paragraphe est introduit par une question. On y trouve de nombreux exemples musicaux, mais
ni exercices ou études, ni morceaux entiers, qui prendraient certainement trop de place. Ainsi,
si la présentation de la partie sur le violon est relativement à jour, quoique sans les exercices
eux-mêmes qui constituent le cœur des traités français de la même époque, l’insertion de
celle-ci dans un ensemble plus large, comprenant notamment une théorie de la musique, suit
un schéma nettement plus ancien et qui ne répond plus vraiment aux attentes de son temps,
obligeant notamment à raccourcir le traitement du sujet en ne présentant pas certains éléments
utiles comme les exercices. En France, quasiment en même temps, relevons l’article sur le
violon de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, qui inclut quelques indications sur la
tenue de l’instrument41. Toutefois, le contexte très particulier de ce texte, au sein d’une œuvre
40 KÜRZINGER, Ignaz, Getreuer Unterricht zum Singen mit Manieren, und die Violin zu spielen. Zum Gebrauch und Nuzen der Anfänger ; zur Erleichterung der Herren Chorregenten, Cantorn, Thurnermeistern, und andern, die sich mit Instruieren beschäftigen. Nebst einem Alphabetischen Anhang der mehrsten Sachen, welche einem rechtschaffenen Sänger, oder Instrumentisten zu wissen nöthig sind , Augsburg, Johann Jacob Lotter und Sohn, 1793 (1ère éd. 1763), 95 p.
41 DIDEROT, Denis, D’ALEMBERT, Jean (dir.), Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et
57
encyclopédique, n’en fait pas vraiment un traité sur le jeu du violon. En particulier, une part
importante de la description est réservée à l’instrument en tant qu’objet et à sa fabrication, ce
qui est totalement absent de toutes nos autres sources.
En 1770, il faut noter la publication du deuxième traité de Léopold Mozart, beaucoup
plus restreint que le précédent, et immédiatement traduit en français42. L’ouvrage de 1756
étant en réalité une recherche en vue de publier celui-ci, cela explique au moins en partie sa
présentation très peu habituelle pour un écrit du XVIIIe siècle (cf. p. 52). Dans cette version
achevée, qui compte moins de la moitié du nombre de pages de la première, le discours a été
sensiblement simplifié et de nombreux exemples ajoutés, pour en faire comme son titre
l’indique une « méthode (…) pour apprendre à jouer », donc un ouvrage totalement
didactique. On y retrouve la plupart des éléments courants dans les méthodes du moment, en
particulier une présentation en chapitres assez proche de celle de Geminiani, l’incorporation
de nombreux exemples, et la présence de douze duos de violons à la fin de l’ouvrage. D’autre
part, comme chez Geminiani également, mais surtout à l’image du traité de l’Abbé Le Fils,
les dernières « leçons » correspondent à un très bon niveau, l’ouvrage couvrant donc tout le
spectre des techniques qu’un musicien professionnel est censé maîtriser. Il faut bien
remarquer que l’on n’y trouve aucun exercice ou étude, mais seulement des petits exemples et
des morceaux entiers. Plus qu’une conception réellement différente dans l’ensemble, c’est
peut-être plutôt cette absence d’exercices intégrés qui marque la distinction entre les traités
allemands et leurs équivalents français à cette époque. Toutefois, le dernier traité allemand de
notre corpus, celui de Georg Löhlein publié en 1774, intègre enfin ces exercices comme il est
même précisé dans le titre43 : nous pouvons donc supposer que, dans le dernier quart du XVIIIe
siècle, l’écart entre pratiques française et allemande à eu tendance à se réduire, en
s’uniformisant sur le modèle alliant théorie et exemples, exercices ou études, puis petits
morceaux.
des métiers. Tome dix-septième, Paris, Le Breton, 1765, pp. 317-321.42 MOZART, Léopold, MÉTHODE RAISONNÉE Pour apprendre à Jouer du VIOLON, Paris, Le Menu, 1770,
89 p.43 LÖHLEIN, Georg, Anweisung zum Violinspielen, mit praktischen Beispielen und zur Uebung mit vier une
zwanzig kleinen Duetten erläutert, Leipzig und Züllichau, Waysenhausund Frommannischen Buchhandlung, 1781 (1ère éd. 1774), 150 p.
58
De fait, les ouvrages français restent globalement dans la même logique pendant la
décennie 1770 : la Méthode de Labadens, en 177244, et le Traité de Tarade en 177445, suivent
strictement le même enchaînement. Les deux dernières références de notre corpus, au début
de la décennie 1780, sont par contre toutes deux assez particulières et rentrent difficilement
dans cette logique. Ceci est particulièrement évident pour les informations fournies par Jean-
Benjamin de Laborde46, puisqu’il s’agit d’un article d’une sorte d’ « encyclopédie de la
musique », qui se rapprocherait donc plus de l’article de l’Encyclopédie de Diderot et
d’Alembert que de n’importe quel traité spécifique au violon. Enfin, notre dernière source,
publiée en 1782, est de nouveau un traité de Michel Corrette, comme celui l’École d’Orphée
de 173847. Il s’agit en réalité tout simplement d’une suite de celui-ci, ce qui est clairement
précisé dans le titre lui-même (des extraits de l’École d’Orphée sont d’ailleurs reproduits en
haut de chaque page de ce volume). En effet, le volume de 1738 se contentait d’une première
approche destinée aux débutants, afin d’apprendre les bases de la discipline. A l’inverse, le
nouveau traité s’attache à aborder les éléments techniques les plus difficiles, dont certains
appelés « tours de force » par l’auteur, que ce soit par souhait personnel de l’auteur, à cause
d’une demande de la clientèle, ou peut-être simplement parce que l’élévation du niveau
technique au XVIIIe siècle avait rendu le premier traité trop simple pour des musiciens
professionnels. A la différence de l’École d’Orphée, l’Art de se perfectionner suit cette fois la
présentation classique de la seconde moitié du siècle, avec des explications accompagnées
d’exemples, des études puis des morceaux, non en balayant toute la gamme des capacités
techniques du débutant au joueur confirmé, mais en se recentrant sur un jeu de haut niveau,
les premiers exemples reprenant à peu près celui des derniers de la méthode de 1738. En
conséquence, les morceaux placés à la fin ne sont plus des compositions de l’auteur réalisées
spécialement pour l’occasion, mais des extraits de pièces du répertoire, et notamment de
morceaux de virtuoses italiens. Nous pourrions donc considérer que ce deuxième traité de
44 LABADENS, J., NOUVELLE METHODE POUR APPRENDRE à jouer du Violon, et à lire la Musique ; enrichie de plusieurs Estampes en taille douce, Paris, Adresses Ordinaires de Musique, 1772, 67 p.
45 TARADE, Théodore-Jean, TRAITÉ DU VIOLON Ou Regles de cet Instrument A l’usage de ceux qui veulent en jouer avec la parfaite connoissance du Ton dans lequel on est, Paris, Girard, 1774, 66 p.
46 DE LABORDE, Jean-Benjamin, ESSAI SUR LA MUSIQUE ANCIENNE ET MODERNE. TOME PREMIER, Paris, Ph.-D. Pierres, 1780, pp. 356-359.
47 CORRETTE, Michel, L’ART De se perfectionner dans le Violon. Ou l’on donne à étudier des Leçons sur toutes les positions des quatre cordes du Violon et les différens coups d’archet. Ces leçons où les doigts sont marqués dans les endroits difficiles, sont tirées des Sonates et Concerto des meilleurs Auteurs Italiens et allemands &c. avec des préludes sur Chaque ton, des points d’orgues, des tours de forces, des Menuets et Caprices avec des Variations et la Basse. Cet Ouvrage faut la Suite de l’Ecole d’Orphée Méthode pour le Violon, Paris, Melle Castagnery, 1782, 90 p.
59
Corrette est le premier exemple d’un manuel qui ne soit plus généraliste mais destiné à des
violonistes d’un niveau avancé (ce qui, a posteriori, pourrait donc également s’appliquer à
l’École d’Orphée). Il ne s’agit pas encore là du modèle qui s’imposera à partir du XIXe siècle
et jusqu’à nos jours, où les exercices et les études (ou bien les compilations d’extraits du
répertoire) sont publiés séparément, avec une forte distinction par niveau48, mais nous
pouvons très clairement en voir les prémisses ici.
Ainsi, l’évolution des traités liés au violon qui composent notre corpus (et qui ne
représentent donc pas l’ensemble de la littérature mais seulement la partie comportant des
indications techniques quant à la tenue de l’instrument) semble assez complexe et recouvre en
tout cas une multitude de formes, en particulier en France et en Allemagne. Au XVIe siècle,
comme dans la plupart des autres « arts », les traités prennent la forme de réductions en art,
mais en remarquant bien que l’art est ici non le violon mais la musique en général. Dans ce
sens, les instruments, qui sont l’aspect pratique et le plus concret de la question, sont souvent
délaissés, et à plus forte raison le violon qui n’en est qu’au début de sa carrière et encore lié à
la pratique populaire. Au début du XVIIe siècle, ce modèle périclite pour s’orienter d’une part
vers des traités « savants », ne s’intéressant absolument pas à l’aspect pratique de la musique ;
et d’autre part vers des « manuels » traitant, au moins dans un premier temps, de tous les
aspects pratiques, à savoir la théorie de la musique et quelques instruments, et destinés à
servir de support à un enseignement dispensé par un maître. A quelques exceptions près, ce
modèle perdure jusqu’à la fin du siècle, avec une variante particulièrement simplifiée pour
une lignée de traités anglais se copiant entre eux jusqu’au milieu du siècle suivant. Au début
du XVIIIe siècle, alors que les traités allemands semblent poursuivre directement dans cette
logique, un certain changement intervient dans les ouvrages français, où la théorie se fait de
moins en moins présente pour se concentrer de plus en plus, puis totalement, sur l’instrument.
On voit également progressivement apparaître une structure commune, à savoir des
explications liées à des exemples musicaux, puis des exercices, et en fin d’ouvrage un certain
nombre de pièces plus développées. Cette forme sera également adoptée à la charnière de
l’époque classique, avec plusieurs traités français d’importance (Corrette, L’Abbé Le Fils),
48 Entre de nombreux autres, on pourrait pour les exercices se référer aux nombreux volumes publiés par les violonistes Otakar Ševčík et Henry Schradieck à la fin du XIXe siècle, spécialisés non seulement par niveau mais également par type de geste technique ; et pour les études aux très nombreux recueils du XIXe siècle (Dancla, Dont, Rode, Kreutzer, etc...), synthétisés en particulier par Pierre Doukan à travers des cahiers progressifs publiés dans la seconde moitié du XXe siècle.
60
auxquels il faut ajouter ceux de Leopold Mozart et de Francesco Geminiani. A la fin du
siècle, des subdivisions encore plus précises commencent à apparaître, avec une organisation
des traités par niveaux (débutants ou joueurs plus avancés), annonçant celle en vigueur à
partir du XIXe siècle avec, outre une hiérarchisation bien marquée par niveaux, une séparation
des exercices et des pièces musicales, qui prennent alors le nom d’« études ».
B ) Apports potentiels de l’iconographie
Après avoir détaillé les différents types de traités existant et leur contenu habituel,
nous pouvons nous pencher sur la seconde source principale de notre étude, à savoir
l’iconographie. Celle-ci, particulièrement riche, est listée par zone géographique puis date
dans une annexe spécifique (Annexe 11). De plus, nous l’avons analysée en prenant en
compte le type de scène représentée : religieuse ou mythologique, ou plutôt imaginaire ; ou
bien réaliste prise dans un milieu populaire, relativement aisé, ou encore à la cour. Ces
différentes catégories vont nous permettre d’apprécier les apports potentiels que l’on peut
attendre de l’iconographie, qui n’est pas plus complète que les textes mais peut se révéler au
moins partiellement complémentaire.
1) Tableaux religieux, représentation irréaliste ?
a) Des techniques probablement imaginaires
On pourrait partir du principe que les tableaux à sujet religieux, étant par nature peints
sans modèle historique, pourraient présenter des tenues d’instrument fantasmées. Or, il faut
noter que les peintres se sont forcément inspirés au moins de ce qu’ils connaissaient dans la
réalité, voire avaient des modèles vivants sous les yeux, et pouvaient donc tout aussi bien
représenter, par ce biais, la réalité technique de leur époque. Afin de chercher à faire la part
des choses et à apporter une solution à ce problème, qui concerne tout de même 182
documents sur 338, soit plus de la moitié, nous pouvons commencer par éliminer les
représentations techniques clairement irréalistes. Cette identification provient alors d’une
61
posture physiquement impossible, puisque si des représentations d’instruments
particulièrement incongrus existent, par exemple dans le Retable d’Isenheim de Matthias
Grünewald en 1512-1516, le geste technique figuré n’en est pas pour autant forcément
imaginaire (pour cet exemple, cf. p. 154). Le seul cas dans notre corpus d’un instrument
annulant totalement toute interprétation possible sur sa tenue est celui d’une gravure de
Bruegel, dans laquelle le musicien joue sur une sorte d’énorme mâchoire de bœuf qui lui
occupe du ventre jusqu’à l’épaule en position de jeu.
Si l’on excepte ce cas particulier, les seules représentations réellement improbables
sont celles, au nombre d’une dizaine, où le violoniste, ou plus souvent le vièliste, tient son
instrument non pas contre l’épaule mais sur elle, l’instrument dépassant en partie à côté, voire
derrière sa tête. Une telle position ne permettant aucunement une quelconque stabilité de
l’instrument, nous pouvons donc l’éliminer (d’autres positions douteuses existent mais sont
plus ou moins attestées par ailleurs et ne sont pas totalement irréalisables, ce qui ne permet
pas de les exclure définitivement). A part deux enluminures Suisses de la première moitié du
XIVe siècle, la quasi-totalité des représentations sont italiennes, et pour la plupart médiévales,
peut-être à cause d’une absence ou du moins d'une limite de l’usage de la perspective. Le XVe
siècle est ainsi particulièrement à mettre en cause, mais de telles représentations se retrouvent
également chez Raphaël et Cima da Conegliano, ainsi que dans un tableau de la première
moitié du XVIIe siècle représentant cette fois bien un violon, à la différence des précédents.
Ainsi, la quasi-totalité des représentations clairement improbables sont médiévales, ou
sinon datent du début de l’époque moderne, avant l’apparition du violon. Nous ne pouvons
donc pas partir du principe que les images religieuses sont toutes irréalistes, puisque celles
des XVIIe et XVIIIe siècles, et même du XVIe en général, semblent possibles, en particulier hors
d’Italie. D’ailleurs, la dizaine d’illustrations douteuses mises en évidence ne représente
absolument pas tout le corpus des époques antérieures à l’apparition du violon, et il n’est
même pas pensable d’avancer que les représentations médiévales soient toutes biaisées.
Toutefois, en sens inverse, cette cohabitation, ainsi que la présence, certes réduite, de
reliquats irréalistes au XVIIe siècle, ne nous permettent pas non plus de considérer comme des
preuves irréfutables les représentations religieuses ou mythologiques de l’époque baroque, du
moins sans critique préalable.
62
b) Des positions plausibles
Il n’est donc pour l’instant pas possible d’indiquer si le reste, ou du moins une partie
des représentations religieuses ou mythologiques est réaliste, et si oui dans quelle proportion.
Nous pouvons faire la remarque que, concrètement, il n’existe pas d’autre tenue du violon
dont les peintres aient pu s’inspirer pour les sujets religieux que les pratiques réelles des
milieux populaire, aisé ou professionnel, qui sont, elles, clairement représentées par ailleurs.
En particulier, il n’y a pas de pratique typique pour l’église dont les artistes auraient pu
s’inspirer pour les sujets religieux, les musiciens amenés à jouer dans les cérémonies
religieuses et les lieux sacrés étant les mêmes que dans la vie civile. On peut donc en déduire
que, si les représentations figurées sur les sujets religieux et mythologiques sont à peu près
exactes techniquement, elles doivent s’approcher au moins de l’une des catégories listées par
ailleurs, ce qui nous permettra de juger ou non de leur pertinence une fois que nous les aurons
analysées et comparées aux enseignements tirés des peintures réalistes.
2) Les représentations réalistes
a) Les professionnels et la cour
La représentation iconographique de la technique la plus aboutie doit logiquement être
celle des violonistes professionnels ; malheureusement, il n’existe pas de tableau, ou très peu,
où l’on voit jouer un musicien reconnu comme « virtuose ». Faute de mieux, si l’on veut
obtenir une image du jeu de violonistes bien formés, il faut donc se référer à des musiciens
susceptibles d’intervenir dans les ensembles se produisant dans des cours ou des institutions
religieuses importantes. Or, ces représentations sont assez rares, puisque nous en comptons à
peine une quinzaine sur l’ensemble de notre corpus. De plus, il faut prendre en compte le fait
que, notamment pour le XVIIIe siècle italien, il s’agit souvent de témoignages picturaux
d’orchestres dans des scènes très larges, ce qui interdit de discerner correctement le détail de
chaque instrumentiste et rend donc la source pour ainsi dire inutilisable. Seule une demi-
douzaine de représentations d’orchestres sont réellement utilisables car assez précises,
63
couvrant cette fois des lieux et des époques plus diversifiés : on y trouve ainsi des musiciens
des cours d’Elizabeth Ire et Charles II d’Angleterre, de Philippe V d’Espagne, ou encore du
duc Albert V de Bavière.
A ces représentations, il convient enfin de rajouter trois occurrences dans lesquelles
des musiciens, connus ou désignés comme étant des professionnels exerçant à la cour, sont
figurés en petit groupe et donc bien détaillés. La plus célèbre est celle de la famille Mozart,
réalisée lors de leur passage à Paris durant l’hiver 1763-1764, dans le cadre d’une tournée
européenne : le jeune Wolfgang Amadeus, alors âgé de huit ans, joue du clavecin tandis que
sa sœur Maria Anna chante ; le personnage le plus important pour nous est cependant le père
des deux enfants, le violoniste Leopold, qui a écrit les deux traités dont nous avons parlé
précédemment (cf. p. 52). A ce portrait de groupe bien connu, il faut en rajouter deux autres
de musiciens indiqués comme professionnels d’après le titre du tableau, même si le cadre
n’est pas explicitement celui de la cour ou de leur institution de rattachement : l’un comporte
un violoniste de la cour des Médicis à la fin du XVIIe siècle, et l’autre deux violonistes du
Christ’s College de Cambridge au XVIIIe siècle. Dans ce dernier, le violoniste de gauche est
Pieter Hellendaal, un violoniste et organiste d’origine hollandaise qui a publié un certain
nombre de compositions assez prisées de ses contemporains à l’époque classique49.
Ainsi, à partir de ces quelques représentations (desquelles nous avons préféré ôter un
tableau italien de 1506 représentant soi-disant la cour d’Isabelle d’Este, mais dans lequel
l’instrument du vièliste ne ressemble à rien de connu, ce qui le rapprocherait plutôt de
certains sujets mythologiques de ce point de vue), il sera difficile de dresser un réel aperçu de
l’évolution de la tenue dans les milieux professionnels. Tout au plus cette iconographie ne
nous permettra que d’obtenir des jalons très dispersés, qu’il conviendra de croiser avec les
sources textuelles, mais en gardant à l’esprit que celles-ci, si elles ont été écrites par des
musiciens professionnels, sont destinées à un public d’étudiants ou d’amateurs et ne reflètent
donc peut-être pas exactement la technique de leur auteur. Par contre, nous disposons des
partitions laissées par eux, ou du moins par leurs contemporains de niveau technique
comparable : il nous sera donc possible de nous appuyer sur celles-ci pour formuler des
hypothèses sur les choix techniques, ceux-ci pouvant avoir une influence sur les créations
musicales de leurs auteurs.
49 HAASNOOT, Leendert, Leven en werken van Pieter Hellendaal (1721-1799), La Hague, Albédon, 1983, 149 p.
64
b) La haute société
Si les musiciens professionnels sont assez peu documentés dans l’iconographie,
surtout si l’on ne prend en compte que les représentations réellement utilisables, les scènes de
la haute société (bourgeoisie ou aristocratie, le distinction n’étant probablement pas capitale
dans notre cas) sont beaucoup plus nombreuses, environ 80 sur l’ensemble de notre corpus. Il
s’agit globalement de tous les cas où les personnages ne sont manifestement pas
professionnels mais ont un niveau social qui leur a permis de prendre quelques cours
d’instrument : ce sont donc typiquement les destinataires de la majeure partie des traités
décrits précédemment. Il convient toutefois de prendre en compte le fait que, souvent, ceux-ci
sont eux-mêmes les commanditaires des tableaux dont nous disposons : dans ce sens, ce qui
est représenté n’est pas forcément la réalité exacte, mais plus précisément l’image que ces
personnes souhaitent donner d’elles-mêmes. Puisque la musique est le sujet, parfois central,
d’autant de représentations (notamment pendant l’époque baroque, cet effet semblant
s’atténuer dans la seconde moitié du XVIIIe siècle), celle-ci a manifestement un rôle de
marqueur social. Dans le cas où la pratique réelle des commanditaires ne serait pas forcément
très évoluée, ou que leur tenue pourrait rappeler celle d’un paysan, il n’est pas impossible que
le geste technique ait été « embelli » par l’artiste, par exemple pour donner l’impression
d’une technique plus virtuose et plus proche d’un professionnel, en un mot plus valorisante50.
Il faut donc garder cette limite en tête lors de l’étude de cette catégorie particulière
d’iconographie, tout en remarquant bien que cet « effet de source » est difficile voire
impossible à identifier, et que nous devrons beaucoup plus pragmatiquement nous fier à ce
qui est représenté, tout en sachant que cette vision peut être biaisée.
Contrairement aux scènes religieuses, les contextes bourgeois (ou associés) ne
correspondent en général qu’à l’époque moderne et non au Moyen Âge, ce qui est appréciable
puisque le violon n’existe qu’à partir du XVIe siècle. De plus, cette iconographie se retrouve
dans tous les pays, dans des proportions variables il est vrai. Sans trop de surprise, la
documentation la plus importante provient de la Hollande du XVIIe siècle, directement en lien
avec l’histoire de l’art à cette époque. En effet, cette période correspond au baroque flamand,
50 MOENS-HAENEN, Greta, idem, p. 35-36.
65
qui affectionne tout particulièrement les scènes de genre : il est donc tout à fait naturel d’y
retrouver des scènes de vie quotidienne, donc entre autres des situations dans lesquelles
apparaît la musique dans un cadre social ou familial (en tant que sujet principal ou non). La
même réflexion peut d’ailleurs aussi bien être effectuée pour les milieux aisés, qui nous
intéressent ici, que pour des contextes paysans que nous étudierons ensuite (cf. p. 69). Ce sont
donc pas moins de 36 références iconographiques qui nous permettent d’appréhender les
modalités de la technique violonistique des amateurs de la « haute société » en Hollande entre
1612 et 1681, soit plus d’un tableau toutes les deux années en moyenne.
La documentation est également relativement nombreuse pour la France, mais presque
uniquement pour le XVIIIe siècle, puisqu’un seul tableau documente le cœur du XVIIe siècle
dans les milieux sociaux aisés. Cette spécificité chronologique de la France, avec seize
représentations entre 1695 et 1768, soit tout de même plus d’une tous les cinq ans, est là
encore sans doute liée à l’histoire de l’art, puisque les peintres de l’époque des Lumières se
tournent alors à leur tour vers des scènes de genre mettant souvent en scène les
commanditaires du tableau, entraînant un phénomène similaire à celui observé en Hollande,
quoique plus tardif d’un siècle. Cependant, à la différence de la Hollande, il faut observer que
cette période, bien documentée par l’iconographie, correspond cette fois également à une
abondance de sources textuelles, qui, au moins pour certaines, sont destinées à cette
population d’amateurs fortunés. Il sera donc ici possible de comparer de manière très pratique
les deux types de sources, ce qui reste relativement rare dans l’ensemble de notre étude.
Outre la France, une documentation assez importante existe également en Italie,
composée d’une dizaine de tableaux, assez bien répartis dans le temps entre le début du XVIe
et la fin du XVIIIe siècle. Il ne sera ici de fait pas possible d’établir des comparaisons avec les
sources textuelles puisque celles-ci sont inexistantes, du moins en ce qui concerne la question
de la tenue : nous ne pouvons donc compter que sur cette iconographie pour reconstituer la
tenue des élites italiennes. Si la répartition chronologique de ces différentes peintures est
globalement homogène, il faut noter que les décennies 1610 à 1630 présentent un potentiel
informatif plus important, au détriment de la seconde moitié du XVIIe siècle et de la presque
totalité de la première moitié du XVIIIe. De fait, cinq tableaux prennent place dans ce court
laps de temps, dont un tous les deux ou trois ans à partir de 1615. Nous pouvons donc
66
considérer cette période comme une fenêtre particulièrement privilégiée pour la
compréhension de la musique « bourgeoise » italienne, d’autant plus précieuse que nous ne
disposons d’aucun texte contemporain et que ces représentations sont souvent de bonne
qualité et semble-t-il assez réalistes.
Dans les autres régions, les données sont par contre beaucoup plus restreintes, alors
même que celles disponibles pour la France ou l’Italie, bien que correctes, sont loin d’être
exhaustives. En Allemagne, on compte à peine plus d’une demi-douzaine d’œuvres utiles,
sachant que trois appartiennent au tournant des XVe et XVIe siècles et ne nous intéressent donc
pas directement. Les quatre autres, dont l’une comporte d’ailleurs trois violonistes, renvoient
par contre toutes au XVIIIe siècle, et en particulier sa seconde moitié. Nous ne disposerons
donc là encore d’informations que sur une période de temps bien déterminée, que nous
pourrons heureusement cette fois encore comparer avec les sources textuelles bien présentes
dans l’espace germanique au XVIIIe siècle, notamment par les traités de Leopold Mozart (cf.
p. 52)
Les dernières zones géographiques que nous pouvons prendre en considération pour
l’étude de la technique violonistique de la haute société sont en réalité extrêmement mal
documentées : il s’agit de l’Angleterre et de l’Espagne. L’Angleterre n’est documentée que
trois fois, dans la première moitié du XVIIIe siècle, ce qui correspond là encore opportunément
à une période pour laquelle plusieurs écrits sont connus ; il faut toutefois remarquer que ces
trois représentations sont plutôt satiriques et que leur réalisme peut donc être douteux, surtout
pour la première où le violoniste est un pendu... Quant à l’Espagne, de toute façon peu
présente dans l’ensemble des sources tant textuelles qu’iconographiques, on n'y relève qu’un
unique tableau en 1618.
Du point de vue iconographique, la musique de la bonne société est nettement plus
documentée que celle de la cour et des professionnels. Ceci est d’ailleurs appréciable puisque
la plupart des traités des XVIIe et XVIIIe siècles sont justement destinés à ce public, ce qui
permettra de comparer les deux types de sources dans les pays où elles existent en même
temps, à savoir principalement la France, l’Allemagne et dans une moindre mesure
l’Angleterre du XVIIIe siècle. D’autre part, si les sources textuelles sont quasiment limitées à
67
ces trois pays, l’iconographie nous apporte également des informations particulièrement
nombreuses sur la Hollande et l’Italie du XVIIe siècle (et d’autres époques également pour
cette dernière) ; dans ce cas, à défaut de pouvoir effectuer des recoupements entre les sources,
il faudra nous appuyer sur la quantité de celles-ci pour les analyser et en déduire les grandes
tendances de la technique du violon dans cette catégorie de la population.
c) La pratique populaire
La dernière catégorie définie dans l’iconographie est celle des représentations d’une
pratique populaire du violon. Moins nombreuses que les précédentes, elles sont tout de même
en nombre non négligeable avec une soixantaine d’occurrences. Cependant, à la différence de
celles figurant la haute société, celles-ci sont aux deux tiers concentrées sur une seule région,
à une seule époque, à savoir la Hollande du XVIIe siècle. En effet, 39 des tableaux concernés
proviennent de cette zone géographique, entre 1608 et 1684, soit une fréquence comparable à
celle des tableaux du type précédent à partir de 1623 (plus d’un tous les deux ans). La logique
de cette sur-représentation de la Hollande est évidemment la même que pour les scènes
bourgeoises, à savoir que les peintres du baroque hollandais, dans leur intérêt pour les scènes
de genre, se penchaient aussi bien sur les populations humbles que aisées. Toutefois, alors
que la représentation d’un violoniste de bonne société peut être biaisée s’il est également le
commanditaire du tableau et en cherchant à être vu comme plus professionnel qu’il ne l’est,
cette nuance n’a pas lieu d’être dans le cas d’une scène paysanne où les sujets ne peuvent pas
être les commanditaires. Par contre, à l’inverse, le peintre pourrait là avoir (volontairement ou
non) déformé la réalité pour donner à voir un jeu plus rustique (ou plus rustre) qu’il ne l’est
vraiment, pour accentuer le côté populaire de sa composition. Toutefois, ici comme
auparavant, une telle mise en garde ne peut rester que très théorique puisqu’il ne semble pas
vraiment possible de savoir si une telle déformation a effectivement pu avoir lieu sur un
tableau ou un autre, et le cas échéant dans quelle proportion. Nous devrons donc nous
contenter de ce qui est effectivement représenté, en supposant que le peintre n’a pas trop
déformé la réalité, tout en conservant à l’esprit le fait que rien ne prouve que cela soit
effectivement le cas.
68
Hors de Hollande, les autres régions sont beaucoup moins bien documentées ;
l’Angleterre reste tout de même relativement bien fournie avec presque une dizaine de
représentations, exclusivement au XVIIIe siècle. Il faut cependant noter que toutes sont des
gravures ou des peintures de William Hogarth, lequel est avant tout un caricaturiste : ainsi, la
plupart des scènes sont outrancières, et il est donc difficile d’affirmer qu’elles sont réalistes,
de la même manière que pour le pendu violoniste dont nous avons fait état précédemment (cf.
p. 70). Compte tenu de la nature très particulière de ces sources, les précautions
méthodologiques à prendre seront donc au moins aussi importantes, et probablement plus,
que pour les peintures hollandaises. En effet, alors que dans le cas précédent nous ne
pouvions que suspecter l’artiste d’avoir pris des libertés avec la réalité dans certaines œuvres,
sans pouvoir définir combien, lesquelles et dans quelles proportions, la probabilité est ici forte
pour absolument toutes les représentations. Dans ce sens, même si nous étudierons tout de
même ces données, puisque nous n’en avons pas d’autre en ce qui concerne le bas peuple
anglais, nous ne pourrons clairement pas nous y fier aveuglément et ne pourrons considérer
nos conclusions au mieux que comme des hypothèses de travail.
Les autres pays restent quant à eux peu ou quasiment pas documentés sur cet aspect.
L’Italie nous fournit encore trois représentations pour le XVIIIe siècle, dont deux bals
populaires montrant plusieurs instrumentistes, en plus d’un tableau du XVIIe siècle. C’est
également le cas pour l’Allemagne et la Bohême (ou plus globalement l’espace germanique)
entre la fin du XVIIe siècle et le début de la seconde moitié du XVIIIe. Enfin, la France du XVIIe
siècle et la Hollande du XVIe siècle ne sont documentées que par un tableau chacune. Ainsi,
ces sources restent extrêmement rares en ce qui concerne la musique populaire ; si elles
peuvent tout de même nous être fort utiles, comme nous le verrons en particulier dans le cas
du tableau français des frères Le Nain (cf. p. 154), il ne faut pas espérer en déduire un aperçu
global des pratiques populaires à ces époques. Ceci s’ajoutant au fait qu’aucun traité ne se
penche sur la question de la technique de ces personnes, il nous faut donc bien admettre que
de nombreuses zones d’ombres resteront sur cette question, hors des régions et des époques
les mieux documentées, à savoir la Hollande du XVIIe siècle, et à la limite l’Angleterre du
XVIIIe.
69
3) Les illustrations techniques
a) Les manuels du XVIIIe siècle
Outre les œuvres discutées auparavant, il est également possible de se baser sur un
dernier type de sources iconographiques, à savoir les gravures présentes dans les traités.
Celles-ci peuvent se diviser en deux catégories, à savoir d’une part les gravures réalisées dans
le but de montrer aussi précisément que possible le geste technique, que l’on trouve
principalement dans les manuels du XVIIIe siècle, et sur lesquelles peut s’appuyer le lecteur de
l’ouvrage pour sa propre pratique ; et d’autre part les images plus illustratives, qui n’ont pas a
priori pour vocation de donner une représentation exemplaire de la réalité, ou du moins même
d’un idéal. Nous considérons ici uniquement les images montrant l’instrument en position de
jeu ; en effet, l’ensemble des gravures tant représentatives que techniques sont beaucoup plus
nombreuses (par exemple, parmi de nombreux autres, dans le traité de Mersenne ou encore
dans l’Encyclopédie51), mais ne nous apportent pas d’informations pour notre étude.
Les figures techniques sont propres aux manuels du XVIIIe siècle, ce qui peut se
comprendre étant donné que ceux-ci sont les premiers à offrir une pensée didactique
réellement aboutie. Ainsi, elles sont utilisées pour montrer un exemple de bonne posture, et
correspondent donc tout à fait à notre problématique ; leur identification comme éléments
techniques, outre une bonne lisibilité, est liée à leur appel dans le texte auquel elles servent
d’illustration. Dans la majorité des cas, ces représentations se trouvent donc dans des traités
que nous avons déjà abordés pour les informations données textuellement, auxquelles ces
images sont donc liées. Le plus ancien de notre corpus est L’École d’Orphée de Michel
Corrette, à travers sa gravure de couverture qui représente un violoniste (possiblement
l’auteur lui-même) en train de jouer, assez près du lecteur pour pouvoir distinguer les détails
de sa tenue. Si cette gravure est également illustrative puisqu’elle est placée en tête du livre,
51 MERSENNE, Marin, idem, p. 178.DIDEROT, Denis, D’ALEMBERT, Jean (dir.), ibidem.
70
surmontant une maxime en vers, elle n’en est pas moins appelée comme référence dans le
paragraphe sur la tenue du violon52. De plus, au paragraphe suivant sur la tenue de l’archet,
outre la possibilité de se référer à cette même gravure alors que cela n’est pas explicitement
indiqué, l’auteur a ajouté un dessin d’un archet accompagné de lettres montrant les différentes
positions indiquées dans le texte, ce qui peut être considéré comme un dessin « technique »
puisque donnant à voir, même de manière non directe mais abstraite, la bonne position de la
main sur l’objet.
Le traité le plus complet concernant les illustrations techniques est cependant celui de
Mozart, dans sa première version. On retrouve, comme chez Corrette, un portrait de l’auteur
en train de jouer au début de l’ouvrage, qui est ensuite appelé dans le texte53. Mais ce n’est ici
pas la seule illustration, puisque, cette fois intégrées dans la partie sur la tenue de
l’instrument, on retrouve deux autres gravures semblables même si moins travaillées (en un
mot plus techniques, celles-ci ne possédant pas de decorum à la différence de la première).
Leopold Mozart faisant état de deux possibilités quant à la tenue du violon, l’illustration du
début correspond à l’une d’elle, et la première à l’intérieur du livre à la seconde. Quant à la
troisième image, elle représente une mauvaise position : nous disposons donc en quelque
sorte de l’intégralité des possibilités et non seulement de l’exemple « parfait », ce qui est en
fait bien un élément de l’apprentissage technique et non simplement une belle illustration. De
plus, une quatrième planche s’y ajoute quelques pages plus loin, pour la tenue de l’archet,
avec là encore le geste correct et une position mauvaise. Cette profusion de représentations, et
l’éventail de possibilités couvertes (tant bonnes que mauvaises), font donc bien de ce traité
une référence en ce qui concerne ces illustrations techniques. On peut toutefois remarquer
que, malgré cela, il s’agit d’un cas isolé même parmi les principaux traités de violon de la
seconde moitié du XVIIIe siècle : en effet, si les différentes éditions du traité de 1756, même
tardives, incluent ces représentations (celles-ci sont d’ailleurs mentionnées dans le titre, ce
qui montre leur caractère assez exceptionnel), elles sont évacuées de la méthode définitive de
177054, et le traité de Geminiani en 1751 n’en compte lui aucune, alors qu’il s’agit là encore
d’une référence55.
52 CORRETTE, Michel, idem, p. 7.53 MOZART, Leopold, idem, p. 53.54 MOZART, Leopold, ibidem.55 GEMINIANI, Francesco, ibidem.
71
Enfin, quelques autres traités intègrent encore une illustration technique à cette
époque : on relève notamment le cas de ceux de Labadens et Löhlein dans la décennie 177056.
Le premier insère, cette fois au cœur de l’ouvrage, deux planches dont les figures sont
numérotées et appelées dans le texte, la première plutôt pour détailler le matériel et la seconde
la posture générale, mais toutes deux étant largement assez précises pour servir d’illustration
à une tenue correcte. D’ailleurs, le texte fait référence à la tenue de l’instrument, non dans un
chapitre propre, mais dans le même paragraphe que l’organologie pour l’archet et que la
posture générale pour le violon, ce qui explique ce regroupement un peu particulier des
représentations. Dans Löhlein, par contre, il faut se satisfaire de deux petites gravures de
détail, et de qualité bien moindre, l’une montrant la position de la main gauche sur le manche
(et non la position du violon par rapport au corps), et l’autre la place de la main droite sur
l’archet, celui-ci étant d’ailleurs coupé à son extrémité. Bien que la réalisation et les
enseignements qu’il est possible d’en tirer soient décevants par rapport aux traités
contemporains, ces figures n’en sont pas moins intégrées au texte et appelées dans celui-ci, ce
qui en fait bien des représentations techniques.
Il faut enfin mentionner l’existence de deux planches pouvant éventuellement être
considérées comme des illustrations techniques dans l’édition de 1740 des Principes de
Violon de Pierre Dupont, un traité que nous n’avons pas mentionné précédemment car ne
présentant aucun indice clair sur la tenue de l’instrument57. Celui-ci inclut cependant deux
figures montrant une vue très rapprochée de la main gauche sur le manche, en principe pour
la position des doigts en fonction des notes à jouer, mais qui pourraient éventuellement
donner des indications sur la tenue. Ceci étant, les doigts sont représentés de manière dégagée
afin de laisser les schémas portés sur le manche bien visibles (en particulier le pouce placé
très en arrière, presque horizontalement), et ces gravures ne sont pas appelées dans le texte
pour la question de la tenue, ce qui ne nous permet pas d’affirmer leur nature réellement
technique.
56 LABADENS, J., idem, p. 15 ; 19.LÖHLEIN, Georg, idem, p. 16.
57 DUPONT, Pierre, PRINCIPES DE VIOLON PAR DEMANDES ET PAR REPONCE Par lequel toutes Personnes, pourront apprendre d’eux mêmes a Jouer, dudit Instrument, Paris, l’Autheur, 1718 (2 e édition 1740), 8 p.
72
Ainsi, un petit nombre de traités, généralement parmi les plus tardifs, nous permettent
d’avoir un aperçu visuel sans doute très réaliste de la tenue considérée comme correcte à la
fin de l’époque baroque et pendant la période classique. Toutefois, ces représentations restent
très marginales, et ne concernent pas forcément les traités les plus importants à l’exception de
celui de Leopold Mozart et, dans une moindre mesure, celui de Michel Corrette. Cependant, il
est possible d’ajouter à ces occurrences des illustrations plus décoratives, qui sont elles plus
nombreuses, mais à prendre avec beaucoup plus de précautions.
b) Les gravures décoratives
Ces gravures, au nombre d’une dizaine, se rencontrent en majorité au XVIIIe siècle, où
elles ornent habituellement la couverture des ouvrages, mais sans réalisme aussi poussé que
dans le cas du traité de Mozart, par exemple. Seules deux occurrences ont été relevées
auparavant : la plus ancienne est assez particulière puisqu’il s’agit de la seule référence au
violon dans l’Orchésographie de Thoinot Arbeau (qui est à la base un traité de danse, paru en
1589). On y trouve en effet quelques petits paragraphes sur le jeu du tambour ou encore de la
flûte, à chaque fois accompagnés par un personnage jouant de cet instrument (sans référence
explicite à la gravure dans le texte cependant) ; en ce qui concerne le violon, le texte n’y fait
pas réellement allusion mais on trouve tout de même un personnage en gravure58. Compte
tenu de la date très reculée de cette attestation et du manque de données dans les traités sur
cette période, nous pourrions donc presque considérer cette représentation au même titre que
les illustrations techniques décrites précédemment, du moins pour notre réflexion, puisque
son rôle n’était manifestement pas le même dans la pensée de l’auteur.
Le deuxième traité antérieur au XVIIIe siècle comportant une illustration d’un
violoniste en train de jouer est l’Institution harmonique de Salomon de Caus, un ouvrage
généraliste publié en 1614 et qui, comme la plupart des traités de l’époque, ne donne aucune
indication technique sur le violon et n’a donc pas été abordé auparavant59. On peut voir sur la
58 ARBEAU, Thoinot, idem, p. 69.59 DE CAUS, Salomon, INSTITVTION HARMONIQYE Divisée en deux parties. En la premiere sont monstrées
les proportions des intervalles harmoniques, et en la deuxiesme les compositions dicelles , Francfort, Jean Norton, 1615, 59 p.
73
couverture, parmi des personnages jouant de divers instruments de musique, un violoniste
placé très en retrait, qui n’a donc clairement pas pour but d’être mis en avant pour démontrer
la tenue à adopter. Il s’agit toutefois d’une source iconographique supplémentaire, ce qui
n’est pas négligeable, au moins pour des périodes peu documentées par ailleurs.
Au XVIIIe siècle, plusieurs ouvrages présentent une illustration similaire, également en
tête du volume : un ou des violoniste(s) intégré(s) à un orchestre, ou un ensemble de
personnages, peuvent ainsi être observés sur le traité de Montéclair en 171160, ou bien
également sur le Musicalisches Lexicon de Johann Walther, un dictionnaire paru en 173261.
Dans les deux cas, étant donné l’échelle des personnages, il semble difficile d’en tirer le
moindre enseignement très précis puisque la représentation reste peu détaillée. Dans ce sens,
la gravure du traité anonyme anglais Apollo’s cabinet, en 1756, est un peu plus prometteuse
puisqu’il s’agit d’un petit ensemble, chaque instrument étant assez détaillé et pouvant donc
fournir un peu plus d’informations62.
Enfin, quelques ouvrages montrent, toujours en couverture, un violoniste seul, mais
peu précis et non appelé dans le texte, ce qui ne permet pas de dire qu’il soit là réellement
pour montrer une bonne tenue mais plutôt simplement comme élément de décoration. Les
différentes éditions du traité de Pierre Dupont, en 1718 et 1740 (dont nous avons déjà parlé
pour celle de 1740) présentent ainsi un violoniste en couverture, le même dans les deux cas
d’ailleurs, mais petit et peu détaillé63. La même chose peut être dite, en un peu plus nuancée
puisque la représentation est là plus importante, du traité anglais de Prelleur paru en 173064.
Enfin, un cas un peu particulier est celui du second traité de Michel Corrette, en 178265 : en
effet, comme pour l’École d’Orphée, la couverture présente un personnage bien dessiné en
train de jouer du violon, dont on distingue convenablement la technique. Cependant, il ne
s’agit plus ici de l’auteur mais d’un jeune homme (Michel Corrette ayant lui 75 ans à cette
date), installé confortablement dans un intérieur bourgeois, son violon représenté de manière
très schématique (sans aucun effet de profondeur) et tenu d’une manière anatomiquement
douteuse puisqu’il ne semble pas reposer solidement sur une partie quelconque du corps.
60 PIGNOLET DE MONTECLAIR, Michel, ibidem.61 WALTHER, Johann, Musicalisches Lexicon, Leipzig, Wolffgang Deer, 1732, 659 p.62 Anonyme, ibidem.63 DUPONT, Pierre, ibidem.64 PRELLEUR, Peter, ibidem.65 CORRETTE, Michel, ibidem.
74
Nous pouvons donc supposer ici, sans certitude bien entendu, qu’il ne s’agit pas là d’une
illustration aussi technique que dans le cas de l’École d’Orphée (d’ailleurs, celle-ci n’est pas
appelée dans le texte à la différence de celle de 1738), mais plutôt d’une représentation
imagée du public type visé par cet ouvrage, effectuée par un graveur ne maîtrisant
manifestement pas trop la morphologie du violon et n’en ayant donc pas donné une image
vraiment réaliste (pas plus pour la tenue que pour l’instrument lui-même).
C ) Les périodes effectivement documentées
Malgré une relative abondance de sources, notamment iconographiques, il apparaît en
réalité que toutes les zones géographiques ne peuvent pas être documentées, et encore moins
si l’on prend en compte les différentes dates et milieux sociaux de référence. A partir des
résultats de notre première analyse des sources textuelles et iconographiques, lesquelles
constituent la plus grande partie de la documentation (on pourrait y ajouter les partitions pour
ce qui est de la musique professionnelle et éventuellement « bourgeoise », mais celles-ci sont
disponibles à peu près partout, à quelques exceptions près comme la Hollande du XVIIe
siècle), nous pouvons donc tenter de dresser un premier panorama des « secteurs » qui
pourront effectivement être étudiés, en comprenant un « secteur » comme le croisement d’une
région, d’un moment chronologique et d’un milieu social. Nous proposons ici une
classification par grandes périodes, soit globalement par siècle, pour faciliter la
compréhension.
1) Moyen-Age et Renaissance : la piété italienne et allemande
Le Moyen-Age et le XVIe siècle, qui renvoient principalement non au violon mais à ses
ancêtres et sortent donc plus ou moins de notre sujet d’étude, ne nous sont accessibles, de fait,
presque que par les sources iconographiques puisque les traités se penchant sur les
instruments, à plus forte raison au niveau de la technique de jeu, sont totalement absents au
75
Moyen-Age, et extrêmement rares à la Renaissance. Nous ne pourrons, pour cette période,
nous appuyer que sur une illustration et une courte mention issues de traités français de la
seconde moité du XVIe siècle. Pour ce qui est des sources iconographiques, le Moyen-Age est
uniquement documenté, du moins dans nos sources, par des œuvres aux thèmes religieux,
dont nous avons vu qu’elles pouvaient très bien être biaisées ; toutefois, faute de possibilités
de comparaison, nous ne pourrons réfléchir que sur cette base jusqu’au XVe siècle inclus,
principalement en Italie et en Allemagne, puisque ce sont les deux régions qui en concentrent
le plus, mais aussi un peu ailleurs, en Suisse par exemple.
Cette profusion de représentations religieuses en Italie et en Allemagne se poursuit à
la Renaissance, le tournant des XVe et XVIe siècles étant notamment particulièrement bien
fourni. A la même époque, nous pouvons également noter la présence de quelques tableaux
de ce type en Hollande et en Angleterre, ce qui nous donne donc un aperçu assez large
(auquel il manque cependant la France), tout en gardant à l’esprit que ces représentations
demandent à être prises avec beaucoup de prudence. Si l’on cherche à considérer des
peintures aux sujets profanes, ayant plus de chances d’être réalistes, on peut alors en noter un
certain nombre de la cour anglaise au XVIe siècle, ainsi que de la haute société italienne.
Ainsi, en croisant peintures profanes et traités, il devrait être possible d’obtenir un aperçu,
même succinct, de l’état de la technique dans les principales zones européennes à la
Renaissance, Allemagne exceptée. Compte tenu de la relative faiblesse de l’historiographie
concernant cette période ancienne, laquelle se limite habituellement aux traités français et aux
peintures sacrées italiennes66, ce corpus même peu étendu devrait donc permettre d’obtenir
des résultats nouveaux et intéressants.
2) Baroque ancien et moyen : l’âge d’or de la peinture flamande
Le XVIIe siècle, comme nous avons pu le voir, est nettement mieux documenté par les
sources textuelles, d’une part à cause de leur nombre croissant, et d’autre part par les
informations plus précises qu’elles nous apportent. Plus exactement, la première moitié du
66 BOYDEN, David, The history of violin playing from its origins to 1761 and its relationship to the violin and violin music, Oxford, Oxford University Press, 1990 (1ère éd. 1965), p. 73-77.
76
siècle reste encore relativement peu sourcée, avec uniquement deux traités français, mais la
seconde moitié voit la multiplication des ouvrages allemands et le début de la lignée des
livrets de danses typiquement anglais. Malheureusement, l’Allemagne ne présente quasiment
pas de représentations iconographiques pour cette période et nous ne pourrons donc pas
comparer les deux types de sources. Par contre, quelques représentations peuvent être
trouvées en France, certes en nombre limité, mais couvrant toutes les catégories sociales (et y
compris les sujets sacrés).
C’est la Hollande qui constitue la plus grande masse de documentation
iconographique pour le XVIIe siècle, avec quelques représentations sacrées dans la première
moitié de la période, mais surtout les très nombreuses scènes de genre prenant pour cadre
aussi bien des milieux paysans qu’aisés. Il est toutefois regrettable que cette documentation
excessivement abondante ne puisse être comparée à aucune source provenant de la même
région, puisqu’il n’y a pas de traité hollandais et que, fait pourtant assez rare, l’activité
musicale « savante » dans la Hollande de cette époque a été si faible que nous ne possédons
pas, ou extrêmement peu, de partitions correspondantes, en tout cas spécifiquement destinées
au violon.
Outre ces pôles principaux, il faut noter encore quelques attestations pour la cour
anglaise dans les premières décennies du siècle, dans la continuité de la période précédente,
des scènes de la bourgeoisie italienne, et surtout la prolongation des représentations sacrées
en Italie, avec également quelques occurrences en Espagne. Ainsi, à quelques exceptions
près, nous ne pourrons correctement traiter l’Allemagne et dans une moindre mesure
l’Angleterre et la France, principalement qu’à travers les sources textuelles, et la Hollande par
les données iconographiques. Ce sera malheureusement beaucoup plus difficile pour l’Italie
notamment, puisque nous n’y disposons d’aucun traité, et que la grande majorité des sources
sont religieuses.
77
3) Baroque tardif et classicisme : l’art de vivre à la française
La dernière période est le XVIIIe siècle, comprenant à la fois la fin de l’époque baroque
et la période classique. Concernant les sources textuelles, les trois grandes zones définies
précédemment sont assez documentées, à savoir l’Allemagne, l’Angleterre mais cette fois
particulièrement la France. Ceci est d’ailleurs spécialement intéressant puisque la France est
également bien représentée dans les sources iconographiques (du moins la première moitié, la
seconde étant globalement moins sourcée quelle que soit la zone géographiques considérée).
Ainsi, nous pourrons donc cette fois croiser à loisir les sources des deux natures pour un pays
donné, d’autant plus qu’à la diversité des milieux représentés répond un public visé assez
large si l’on considère l’ensemble de sources textuelles (destinées selon le cas à des amateurs,
mais aussi parfois plus à des professionnels ou du moins ayant un excellent niveau de
technicité).
D’ailleurs, les représentations concernent à cette époque tous les milieux sociaux non
seulement en France, mais également en Angleterre, en Allemagne et en Italie (toujours en
parallèle avec les thèmes sacrés dans les deux derniers cas), ce qui permettra de réaliser des
recoupements. Il faut cependant bien remarquer que ceci est principalement valable pour le
baroque final, autrement dit la première moitié du siècle, car les sources iconographiques se
font nettement plus rares pour le classicisme même si celui-ci est toujours documenté dans les
textes. Ainsi, nous ne pourrons vraiment avoir un aperçu quasiment complet de la technique
baroque (si l’on excepte des régions périphériques comme la Hollande qui n’est alors plus du
tout documentée) que dans la première moitié du XVIIIe siècle, soit à la fin de la période. C’est
d’ailleurs, entre autres, pour cette raison que cette époque est souvent prise comme unique
référence pour toute la période baroque, outre le fait que la technique est beaucoup plus
proche des standards actuels que celle du XVIIe siècle. Nous avons cependant pu établir qu’un
certain nombre de « secteurs chrono-socio-géographiques » étaient étudiables pour les
périodes antérieures, avec au moins un type de sources présent en nombre suffisant pour une
analyse assez approfondie : nous pourrons donc bien nous intéresser au baroque plus ancien,
voire à la Renaissance et au Moyen-Age, tout en restant conscient que les données et donc les
résultats resteront de fait beaucoup plus partiels pour ces périodes.
78
IV) Étude archéologique de l’archetAnnexe 5
A) Un préalable indispensable
1) L’archet comme objet d’étude
Comme nous l’avons mentionné lors du rappel de l’état de la recherche, il a été établi
lors des recherches précédant celle-ci que l’archet devrait être étudié en tant qu’objet
technique avant de s’intéresser au problème de sa tenue. En effet, si le violon n’a pas
réellement évolué entre le XVIe et le XVIIIe siècles en ce qui concerne les points cruciaux pour
sa tenue (ce qui ne sera par contre pas le cas à partir du XIXe siècle avec par exemple
l’apparition de la mentonnière), l’archet a, lui, subi de profondes transformations, ce depuis le
Moyen-Age jusqu’à l’époque classique incluse, la forme du début du XIXe siècle étant par
contre cette fois quasiment celle qu’on lui connaît actuellement. Or, ces modifications de
forme ont pu avoir une influence déterminante sur la tenue : en effet, elles concernent
principalement d’une part la cambrure de la baguette, passant globalement d’une forme
nettement convexe (tournée vers l’extérieur), à droite, voire concave (le milieu de la baguette
étant plus proche de la mèche que les extrémités) ; et d’autre part la longueur de l’objet, qui
peut plus que doubler d’une époque à l’autre (sachant que, si les archets les plus anciens sont
en général les plus courts, certains modèles médiévaux peuvent aussi être plus longs que les
modèles actuels).
De fait, ces évolutions dans le temps (et possibles dans l’espace ou le milieu social,
comme la tenue elle-même) peuvent avoir une influence sur la technique de jeu et ses
implications. Le cas le plus évident est lié à la longueur d’archet : en effet, deux archets tenus
79
de la même façon, à l’extrémité par exemple, n’impliqueront pas du tout les mêmes
possibilités de jeu si l’un est deux fois plus long que l’autre. Ceci implique que les
conclusions que nous pourrions tirer d’une étude du geste technique de la tenue risqueraient
d’être totalement faussées si cet aspect matériel n’était pas pris en compte.
Nous devons donc passer par une étude archéologique de l’archet avant de nous
pencher sur le geste technique qu’est sa tenue. Par « archéologique », nous n’entendons rien
qui soit lié à l’étude directe de l’objet en lui-même : en effet, les archets datant d’avant la
seconde moitié du XVIIIe siècle et encore existants se comptent sur les doigts d’une ou deux
mains, la plupart n’étant d’ailleurs même pas des archets de violon à proprement parler mais
d’autres instruments tombés en désuétude. En effet, alors que les violons baroques ont
quasiment tous été modifiés au début du XIXe siècle pour les faire correspondre aux nouveaux
goûts de l'époque, une telle opération est strictement impossible sur un archet (en particulier
parce que l’archet romantique, autrement dit moderne, est plus long que la grande majorité
des modèles baroques). Ainsi, à part de très rares modèles luxueux, l’immense majorité des
archets baroques ont été purement et simplement détruits au début du XIXe siècle, ou remisés
et oubliés sans qu’ils soient sortis de l’ombre depuis. Peut-être en reste-t-il encore dans des
greniers actuellement, mais ils ne sont dans ce cas pas connus des chercheurs et
professionnels de la musique, et ne peuvent donc pas nous servir.
Ainsi, nous entendons donc par étude « archéologique » l’étude de l’objet lui-même, à
travers ses caractéristiques physiques, sans que cela implique de passer par la manipulation
dudit objet. Comme pour le geste technique qui fait intervenir des sources variées, nous
recourrons donc principalement ici, outre les très rares attestations concrètes qui nous
serviront tout de même, aux mentions des traités et surtout à l’iconographie très abondante,
puisque en plus des tableaux qui nous servent déjà pour l’étude de la tenue, nous pouvons y
ajouter tous ceux qui montrent le violon et surtout l’archet non joués, soit entre les mains de
l’instrumentiste soit tout simplement en tant qu’élément du décor, posés sur une table ou
accrochés à un mur.
80
2) Les sources disponibles
Comme pour l’étude du geste technique, nous pouvons commencer par nous pencher
sur les sources textuelles pour trouver des informations sur l’évolution de l’archet en tant
qu’objet technique. En réalité, les mentions réellement écrites dans ces ouvrages sont très
rares : même l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert ne donne pas ses dimensions, par
exemple1. Nous ne pouvons guère trouver mieux que l’indication du manuel anglais édité par
Pearson en 1722, qui nous dit que l’archet est aussi long que l’instrument, soit une
soixantaine de centimètres environ, ou un peu moins2. Ainsi, ce sont surtout les illustrations
qui peuvent nous renseigner, en particulier les « dessins techniques » dont nous avons fait état
précédemment et qui sont censés être assez précis (cf. p. 71), mais aussi quelques gravures
des instruments seuls, par exemple dans l’ouvrage de Mersenne en 16363. Cependant, la
source textuelle perd alors toute sa spécificité et nous entrons en réalité dans le domaine de
l’iconographie.
Pourtant, quelques autres textes peuvent nous donner tout de même des indications,
mais il ne s’agit pas de traités. En effet, certains textes de la pratique, comme des inventaires
après décès par exemple, peuvent nous informer sur les dimensions des instruments (même
s’ils sont souvent plus instructifs sur leurs matériaux, une question qui ne nous concerne pas
vraiment ici). Également, une source clé pour cela est le manuscrit de James Talbot, un
recueil de notes anglais décrivant physiquement des instruments entre 1685 et 1701, qui
précise en particulier quelques longueurs d’archets4. Si cette source est très limitée dans le
temps et l’espace, elle n’en est pas moins intéressante et mérite d’être signalée et étudiée. De
1 DIDEROT, Denis, D’ALEMBERT, Jean (dir.), Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers. Tome dix-septième, Paris, Le Breton, 1765, 890 p.
2 "B.", "T. ", THE COMPLEAT Musick-Master : BEING Plain, Easie, and Familiar RULES for SINGING, and PLAYING On the most useful Instruments now in Vogue, according to the Rudiments of Musick. Viz., VIOLIN, FLUTE, HAUT-BOY, BASS-VIOL, TREBLE-VIOL, TENOR-VIOL. Containing likewise A great Variety of Choice Tunes, and fitted to each Instrument, with Songs for two Voices. To which is added, a Scale of the Seven Keys of Musick, shewing how to Transpose any Tune from one Key to another, London, William Pearson, 1722, p. 38.
3 MERSENNE, Marin, SECONDE PARTIE DE L’HARMONIE VNIVERSELLE : CONTENANT La Pratique des Consonances, & des Dissonances dans le Contrepoint figuré, La Methode d’enseigner, & d’apprendre à chanter. L’Embellissement des Airs. La Musique Accentuelle. La Rythmique, le Prosodie, & la Metrique Françoise. La maniere de chanter les Odes de Pindare, & d’Horace. L’Vtilité de l’Harmonie, & plusieurs nouuelles Obseruations, tant Physiques que Mathematiques : Auve deux Tables, l’vne des Propositions, & l’autres des Matieres, Paris, Pierre Baillard, 1637, p. 178.
4 TALBOT, James, [Manuscrit sans titre], v.1695, s.p.
81
fait, les données qu’il fournit en matière d’archets, de même que les informations recueillies
dans quelques autres sources textuelles, sont regroupées dans un article de l’archetière Nelly
Poidevin qui peut nous servir de référence actuelle5.
Parallèlement, la grande majorité de nos sources reste constituée par l’iconographie :
l’article de Nelly Poidevin y a d’ailleurs recours en grande partie pour reconstituer
l’historique de l’archet de violon. En plus des gravures présentes dans les traités, que nous
venons de mentionner, il est donc possible de réutiliser l’iconographie employée pour la tenue
du violon ; en tenant compte du fait que tous les documents ne permettent pas de percevoir
assez clairement l’archet pour en définir les caractéristiques, il reste presque exactement deux
centaines de représentations exploitables. Nous pouvons d’autre part y ajouter les
représentations d’instruments non en position de jeu, ce qui y ajoute presque une quarantaine
d’occurrences.
Logiquement, ces attestations ne couvrent pas plus l’ensemble des zones
géographiques, des périodes et des conditions sociales que pour l’étude de la technique de
jeu, d’autant que la distribution des sources supplémentaires, qui représentent donc à peine un
cinquième du corpus, est très proche de celle des documents que nous connaissions déjà.
Concrètement, plus d’une centaine de représentations sont italiennes, soit pas loin de la moitié
du corpus. Celles-ci sont en grande majorité religieuses, en particulier pour les XIVe-XVe et le
début du XVIIe siècles : cette distribution n’est pas particulièrement avantageuse pour nos
recherches puisque l’iconographie religieuse n’est pas forcément très réaliste, et de plus la
période médiévale sort plus ou moins de notre propos puisqu’il s’agit des instruments ayant
précédé le violon et non du violon lui-même. On peut toutefois trouver également un nombre
appréciable de représentations d’archets dans les milieux aisés italiens, toujours au tournant
des XVIe et XVIIe siècles, et également quelque peu au XVIIIe siècle.
La seconde zone géographique la plus documentée est la Hollande, là encore sans
surprise, avec une soixantaine d’occurrences. Outre un nombre tout de même intéressant de
peintures sacrées dans la deuxième moitié du XVe et au XVIe siècles, la très grande majorité
des représentations correspond bien sûr au XVIIe siècle, cette fois un peu plus largement que
5 POIDEVIN, Nelly, « A la pointe de... l’histoire de l’archet », L’AmiRéSol, n°9, 2009, pp. 51-61.
82
pour le geste technique, puisque les dates s’échelonnent de 1600 à 1711. Le milieu du siècle
est cependant toujours le plus documenté, et il faut également relever que les représentations
de milieux aisés sont ici nettement plus nombreuses que les scènes populaires. Ceci peut en
particulier s’expliquer par le fait que ces dernières sont souvent des scènes de fêtes, ou encore
de taverne, autrement dit de groupes assez larges, dans lesquels le violoniste n’est pas assez
détaillé pour que l’on puisse distinguer les caractéristiques de son archet. Par contre, dans les
milieux plus aisés, il s’agit plutôt de portraits, éventuellement en petits groupes, ou de natures
mortes, les deux cas plaçant les objets suffisamment proches pour pouvoir les observer en
détail.
Les autres régions, enfin, sont beaucoup moins documentées. En Allemagne, avec un
peu moins de trente tableaux, on pourra tout de même se pencher sur les œuvres sacrées pour
certaines époques bien précises, notamment le tournant des XVe et XVIe siècles. Les milieux
aisés sont également documentés à la même époque ainsi que vers le milieu du XVIIIe siècle.
Enfin, en France et en Angleterre où moins de vingt sources sont disponibles à chaque fois,
les observations resteront nécessairement très limitées. Dans le premier cas, à part un certain
nombre d’enluminures suisses de la première moitié du XIVe siècle, nous ne pourrons nous
intéresser qu’à la haute société de la première moitié du XVIIIe siècle, de même qu’en
Angleterre où un certain nombre de sources sont cependant également présentes pour les
milieux populaires à la même époque.
Ainsi, même si cela n’a rien de surprenant, il est évident que la documentation laisse
des zones d’ombres importantes pour qui cherche à comprendre l’évolution de l’archet à
l’époque baroque. Cependant, nous pourrons sans doute apporter tout de même quelques
informations supplémentaires par rapport aux éléments connus dans l’historiographie grâce à
ces sources iconographiques, car il est évident à la lecture des quelques travaux déjà existants
sur ce sujet que, si l’ensemble de ces périodes a été plus ou moins traité, les détails de milieu
social, ou même de zone géographique, sont rarement pris en compte, ce qui peut
potentiellement nuire à l’exactitude des interprétations par un risque de généralisation
excessive. Nous nous proposons donc de passer en revue les éléments avancés dans
l’historiographie existante, afin d’évaluer le niveau de précision atteint jusqu’à présent, et de
trouver des voies permettant éventuellement de l’améliorer.
83
3) État de l’art sur l’évolution de l’archet
a) Des premiers travaux à David Boyden
Ce que l’on peut considérer comme la plus ancienne étude sur l’évolution de l’archet,
et donc le point de départ de notre historiographie, est la publication de 1856 du critique et
historien de la musique François-Joseph Fétis, en collaboration avec le luthier Jean-Baptiste
Vuillaume, portant à la base sur le fameux luthier Stradivarius6. En réalité, la première moité
de l’ouvrage est consacrée à l’historique de l’instrument et de ses facteurs, et inclut une
planche présentant une sorte de schéma de l’évolution de l’archet : tous les vingt ou trente ans
est donné un profil de l’archet avec le nom d’un violoniste associé. Toutefois, comme l’a fait
remarquer dès 1896 Henry Saint-George dans son ouvrage sur l’archet7, outre que nous ne
connaissons souvent pas l’archet précis qu’utilisait tel ou tel violoniste, surtout pour le XVIIe
siècle, certains de ces profils ne correspondent pas vraiment à quoi que ce soit qui soit figuré
dans les sources, et de toute façon ne sont absolument pas reliés à une quelconque source.
Celui-ci, sans proposer non plus d’hypothèse alternative, remarque donc fort justement que
cette « classification » n’est certainement pas valable et que la réalité doit être beaucoup plus
variée.
Cependant, les autres publications de la première moitié du XXe siècle, quand elles ont
traité de l’aspect organologique de l’archet, n’ont fait que reprendre strictement le schéma de
Fétis, sans plus de critique. Le premier travail novateur est donc celui de David Boyden, dans
The History of Violin Playing, publié en 19658. Celui-ci propose un panorama complet des
connaissances de l’époque dans la totalité, ou presque, des domaines liés au violon baroque,
dont les aspects portant sur l’instrument lui-même ; le livre s’organise en chapitres couvrant
chacun un demi-siècle. Pour le XVIe siècle, David Boyden ne peut que supposer que les
archets de violon sont sensiblement identiques à ceux des vièles, rebec ou lira da braccio
6 FETIS, François-Joseph, Antoine Stradivari, luthier célèbre connu sous le nom de Stradivarius. Précédé de recherches historiques et critiques sur l’origine et les transformations des instruments à archet et suivi d’analyses théoriques sur l’archet et sur François Tourte, auteur de ses derniers perfectionnements , Paris, Vuillaume, 1856, 128 p.
7 SAINT-GEORGE, Henry, The bow. Its history, manufacture and use, Londres, Cononiari LLC, 1922, 107 p.8 BOYDEN, David, The history of violin playing from its origins to 1761 and its relationship to the violin and
violin music, Oxford, Oxford University Press, 1990 (1ère éd. 1965), 636 p.
84
contemporains, ceux de rebec ou destinés à la danse étant plus courts que ceux de lira. Ceux-
ci sont tous convexes, particulièrement au début du siècle même si cette caractéristique
s’atténue vers la fin de la période9.
Dans la première moitié du XVIIe siècle10, tout en remarquant que les archets peuvent
grandement varier d’un pays, voire d’un facteur à l’autre, il distingue globalement un archet
de danse court, qui d’après la gravure du traité de Mersenne mesurerait 36 à 38 centimètres
environ11 (contre un peu plus de 75 pour un archet actuel), et un archet plus long pour les
sonates italiennes. Ce dernier, correspondant à l’archet de la pochette chez Mersenne, ou bien
à celui représenté sur le tableau L’amour victorieux du Caravage en 160312, mesurerait plutôt
une cinquantaine de centimètres de longueur. Si ces archets sont globalement toujours
relativement convexes, ils tendent parfois à devenir droits, par exemple dans la Sainte Cécile
de Bernardo Cavallino, vers 1645. De plus, une tête embryonnaire commence à se distinguer
dans le traité de Mersenne et sur certains tableaux dès avant 1650.
La seconde moitié du XVIIe siècle, d’après David Boyden, est marquée par
l’accroissement des différences géographiques13. Les français auraient un archet court et droit,
les italiens long et droit, et les allemands toujours convexe, et de longueur variable. Pour ce
qui est de l’archet italien, quelques rares archets du tournant des XVIIe et XVIIIe siècle sont
encore conservés, à savoir principalement un exemplaire de 1694 et surtout un archet très
richement décoré fabriqué par Stradivarius vers 170014. Celui-ci mesure un peu plus de 70 cm
de longueur dont 60 pour la mèche ; d’après Roger North, Nicola Matteis (italien actif en
Angleterre) jouait sur un archet d’environ deux pieds de long15, ce qui concorde16. Ces archets
sont droits, avec une tête distincte préfigurant celle du début du XVIIIe siècle, et un bouton
clairement dessiné à l’autre extrémité, pouvant correspondre à une vis de tension. De plus,
quelques modèles très longs ont également été construits, probablement plus ou moins à titre
9 BOYDEN, David, idem, p. 45.10 BOYDEN, David, id., p. 112-115.11 MERSENNE, Marin, ibidem.12 BOYDEN, David, id., p. 46.13 BOYDEN, David, id., p. 206-210.14 Anonyme, Archet de violon, s.l., 1694, sculpture, bois, NC, NC.
STRADIVARIUS, Antonio, Archet de violon, Crémone, v.1700, sculpture, bois, NC, NC.15 Un pied correspondant à environ un tiers de mètre, soit un peu plus d’une trentaine de centimètres.16 NORTH, Roger, An Essay on Musicall Ayre, v.1715, 90 ff.
NORTH, Roger, The Musicall Gramarian, 1728, 181 ff.
85
expérimental. La chose est attestée par quelques textes pour la viole17, et pour le violon,
notamment par un portrait de Francesco Veracini sur l’édition de 1744 d’une de ses
compositions18 : sur cette gravure, son archet doit mesurer environ 70 cm rien que pour la
longueur de mèche, ce qui correspond à une longueur totale légèrement supérieure à celle des
archets actuels. Quant aux archets de danse de style français, ceux-ci sont effectivement
nettement plus cours : en se basant sur le traité (anglais) de Playford de 166419, ou encore sur
des peintures hollandaises, Boyden estime la longueur de sa mèche à environ 53 cm. Vers
1720, la gravure décorant une publication du violoniste allemand Weigel montre même un
archet, très convexe, d’environ cinq centimètres de moins20. Ces mesures seraient corroborées
par deux archets à crémaillère conservés à Vienne, mais sur lesquels il ne donne pas plus
d’informations, ou encore par les mesures fournies par Talbot dans l’Angleterre des alentours
de 170021 : celui-ci indique que l’archet mesure entre 60 et 70 cm, soit une mèche de 50 à 60
cm.
Ensuite, la première moitié du XVIIIe siècle marque une évolution nette vers l’archet
moderne, ou du moins ses prédécesseurs (l’ouvrage de Boyden ne couvrant pas la période
postérieure à 1761, l’époque classique n’est pas réellement renseignée)22. Apparemment,
l’archet français serait toujours plus court que l’italien, comme le note François Raguenet en
170223, mais compte tenu des évolutions assez nettes de cette époque, notamment en matière
stylistique, cette remarque n’est peut-être plus valable après les années 1720. Globalement, il
n’en reste pas moins que l’archet italien du début du XVIIIe est toujours plus long et droit,
voire même commence à devenir concave et à se voir doter d’une tête relativement moderne.
John Hawkins, dans une histoire de la musique datée de 1776, donne ainsi aux archets de
sonate de 1720 une longueur de 60 cm, contre 70 cm à son époque, sachant que l’archet
moyen serait plus court et le modèle français encore plus réduit24. Sur l’édition française de
17 BOYDEN, David, idem, p. 209.18 VERACINI, Francesco, Sonate Accademiche a Violino Solo e Basso, op. 2, London, l’Auteur, 1744, 91 p.19 PLAYFORD, John, A BRIEF INTRODUCTION To the Skill of MUSICK. In two Books. The First containes
the General Grounds and Rules of MUSICK. The Second, Instructions for the Viol and also for the Treble-Violin, Londres, William Goodbid, 1664, 192 p.
20 WEIGEL, Johann, Musikalisches Theatrum, Nurnberg, s.n., v.1715, s.p.21 TALBOT, James, ibidem.22 BOYDEN, David, idem, p. 324-329.23 RAGUENET, François, Paralele des Italiens & des François en ce qui regarde la musique et les Operas ,
Paris, Jean Moreau, 1702, 124 p.24 HAWKINS, John, A General History of the Science and Practice of Music, London, T. Payne and Son,
1776, 6 vol.
86
1752 du traité de Geminiani, la gravure d’un violoniste montre un archet droit d’environ 65
cm25. D’autre part, en Allemagne, outre la gravure de Weigel vers 1720, celles figurant sur les
traités de Mozart ou de Löhlein26, ou encore sur le Musikalisches Lexikon de Johann
Walther27, montrent un archet toujours convexe mais nettement moins qu’auparavant. Enfin,
dans le dernier quart du siècle, l’archet se standardise peu à peu dans une version presque
actuelle, sous l’influence d’une part des archetiers Cramer et Dodd en Angleterre, et d’autre
part, de manière indépendante, des frères Tourte en France (ceux-ci ont peut-être collaboré
avec le violoniste Viotti pour mettre au point cet archet, et c’est le fils de l’un d’entre eux qui
fixera « définitivement » les formes de l’archet actuel au début du XIXe siècle). Ainsi, les
modèles des frères Tourte, avec leur forme concave et leur tête quasiment identique à celle
des archets actuels, sont standardisés aux alentours de 75 cm de longueur avec une mèche de
65 cm.
b) Les travaux plus récents
Il existe en réalité assez peu de travaux de cette ampleur réalisés depuis lors, la plupart
des ouvrages traitant de cette question reprenant directement les analyses de David Boyden
(outre les articles de Boyden lui-même complétant son ouvrage de référence pour la fin du
XVIIIe siècle28), ou bien ne présentant pas de données vraiment étayées selon des critères
académiques. Par exemple, en 1983, Eduard Melkus dans son ouvrage Le Violon, présente
une sorte de version réactualisée du schéma de Fétis, et beaucoup plus intéressante, dans le
sens où il s’agit non pas de dessins mais d’une photographie de vrais archets d’époque rangés
par ordre chronologique29. Malheureusement, mis à part l’indication que ceux-ci sont
conservés au Musée des Beaux-Arts de Vienne (et comprennent donc manifestement les deux
25 GEMINIANI, Francesco, The Art of Playing on the VIOLIN. Containing All the Rules necessary to attain to a Perfection on that Instrument, with great variety of Compositions, which will also be very useful to those who study the Violoncello, Harpsichord &c, London, John Johnson, 1751, 9+51 p.
26 MOZART, Léopold, MÉTHODE RAISONNÉE Pour apprendre à Jouer du VIOLON, Paris, Le Menu, 1770, 89 p.LÖHLEIN, Georg, Anweisung zum Violinspielen, mit praktischen Beispielen und zur Uebung mit vier une zwanzig kleinen Duetten erläutert, Leipzig und Züllichau, Waysenhausund Frommannischen Buchhandlung, 1781 (1ère éd. 1774), p. 19.
27 WALTHER, Johann, Musicalisches Lexicon, Leipzig, Wolffgang Deer, 1732, 659 p.28 BOYDEN, David, « The violin bow in the 18th century », Early music, 8-2, 1980, pp. 199-212.29 MELKUS, Eduard, Le Violon. Une introduction à son histoire, à sa facture et à son jeu, Lausanne, Payot,
1972, p. 50.
87
archets à crémaillère cités par Boyden) et qu’ils s’étendent du XVIe au XVIIIe siècle, aucune
information n’est donnée sur leur provenance, leur date précise, ou même s’il s’agit
réellement d’archets de violon : en effet, il existe également des exemplaires conservés
d’archets de violes, par exemple, et il n’est pas forcément évident de faire la différence sur
une simple photographie. Ce document, très intéressant de prime abord, se révèle donc de fait
pour ainsi dire inutilisable.
D’autre part, même dans les travaux mieux documentés, l’attention s’est souvent
portée sur les dates extrêmes, mais non sur la période baroque elle-même. Nous possédons
donc quelques travaux sur l’époque de la naissance du violon, soit la Renaissance et
éventuellement le baroque ancien, une période dans laquelle la documentation est peu
nombreuse et difficile à exploiter30 ; et d’autre part, des ouvrages plus nombreux sur
l’apparition de l’archet moderne, qui prennent souvent en compte l’archet classique mais ne
s’intéressent pas, ou très peu et comme simple préquelle, à l’archet baroque, même tardif31. Il
n’existe donc finalement que deux ou trois travaux réellement complets sur l’ensemble de la
période : si l’on excepte un mémoire de Master II de l’Université Paris IV, en 2002, qui
reprend très exactement la démonstration et les conclusions de David Boyden32, nous pouvons
citer un article de Florence Gétreau datant de 199833, mais surtout les travaux de l’archetière
Nelly Poidevin qui résument et synthétisent bien l’ensemble de ces publications.
Nous pouvons en réalité citer trois articles plus ou moins complémentaires de cette
professionnelle de la reconstitution d’archets anciens : outre un premier article spécifique aux
données concernant les archets les plus anciens34, il faut surtout noter un écrit synthétique sur
l’ensemble de la période qui nous concerne voire un peu plus (de la Renaissance à l’archet
30 BACHMANN-GEISER, Brigitte, Studien zur Frühgeschichte der Violine, Bern, P. Haupt, 1974, 137 p.MOENS, Karel, « Die Frühgeschichte der Violine im Lichte neuerer Forschungen », in : Tage alter Musik in Herne vom 6. bis 9 Dezember 1984. Lauten-Harfen-Violinen, Köln, Pressestelle des Westdeutschen Rundfunks, 1984, pp. 53-86.
31 MILLANT, Bernard, RAFFIN, Jean-François, GAUDEFROY, Bernard, L’Archet. Tome 1 : Histoire de l’archet en France au dix-huitieme siecle, Paris, L’Archet, 2000, 215 p.
32 VITTU, Mathilde, L’archet. L’évolution de sa facture mise en rapport avec l’évolution de sa technique et la musique de violon, Paris, Mémoire de Maîtrise de l’Université Paris IV, 2002, 195 p.
33 GETREAU, Florence, « Französische Bögen im 17. und 18. Jahrhundert. Dokumente und ikonografische Quellen », in FLEISCHHAUER, Günter et al. (éd.), Der Streichbogen. Entwicklung – Herstellung – Funktion. 16. Musikinstrumentenbau-Symposium in Michaelstein am 3. und 4. November 1995, Michaelstein, Stiftung Kloster Michaelstein, 1998, pp. 21-36.
34 POIDEVIN, Nelly, « Premiers archets à travers l’iconographie », Musique et technique, n°4, 2009, pp. 109-124.
88
actuel en réalité)35, et enfin un dernier reprenant exactement les mêmes analyses (pour ne pas
dire les mêmes formulations), mais cette fois en lien avec l’évolution du répertoire et incluant
des mesures physiques voire « archéométriques »36. Nous ne nous attarderons donc pas sur ce
dernier, puisque pour la partie organologique il est exactement similaire au second. Dans le
premier article, sur les archets des premiers violons, Nelly Poidevin reprend globalement
l’analyse du David Boyden pour le XVIe siècle, mais en la précisant : les archets de violon
seraient effectivement à la base identiques à ceux des vièles, et plus précisément à deux
variantes (« en faucille » et « en demi-feuille »). Dans le courant du siècle apparaît également
un archet plus typique du violon, court et droit (mais sans tête), adapté à la danse ; ces archets
semblent s’allonger et s’affiner à la fin du siècle, notamment pour s’adapter à des formes
musicales plus mélodiques. Le besoin d’accroître la longueur de la mèche conduit au
développement des embryons de têtes, qui se mettront réellement en place au XVIIe siècle.
Les détails les plus importants sont donnés dans le second de ses articles, non
seulement pour l’ensemble de la période mais également pour le tout premier siècle, puisque
celui-ci apporte des précisions supplémentaires. Si les modèles les plus primitifs, équivalents
à ceux des vièles, ne sont pas vraiment abordés, on apprend que l’archet de danse de la
seconde moitié du XVIe siècle mesure 40 à 45 cm de longueur ; avec une taille aussi restreinte,
alliée à une certaine rigidité, la main droite est forcément placée à l’extrémité de l’archet pour
assurer un jeu un tant soit peu confortable.
Au début du XVIIe siècle, l’émergence d’un répertoire spécifique au violon, avec un
jeu soliste, a supposé une évolution de l’archet pour permettre plus de liberté au jeu de celui-
ci : les pièces de cette époque sont d’ailleurs plus exigeantes techniquement pour la main
droite que pour la main gauche. Ainsi, au tournant des deux siècles, la nécessité d’allonger la
mèche impliquera tout d’abord un forçage de la cambrure de l’archet à la pointe, comme on le
voit dans un tableau du Guerchin en 1616, puis l’apparition de la tête dans les années 1620.
Dans le même temps, l’archet gagne une dizaine de centimètres, pour arriver à 50 ou 60 cm
de longueur. Ces différentes modifications, appliquées à des archets toujours convexes, ont
ainsi contribué à éloigner la mèche de la baguette : la tenue dite « française », avec le pouce
35 POIDEVIN, Nelly, « A la pointe de... l’histoire de l’archet », L’AmiRéSol, n°9, 2009, pp. 51-61.36 ABLITZER, Frédéric, DAUCHEZ, Nicolas, DALMONT, Jean-Pierre, POIDEVIN, Nelly, « Mécanique de l’archet
de violon. Lien entre évolution et répertoire musical », in : Cinquième congrès interdisciplinaire de musicologie, Paris, manuscrit des auteurs, 2009, 7 p.
89
sous la hausse, aurait ainsi découlé de cette situation, car permettant d’empoigner plus
fermement la baguette et donc de mieux la contrôler, quitte à perdre quelque peu en
possibilités d’expression. Nelly Poidevin remarque d’ailleurs que cette tenue se rencontre sur
des tableaux italiens de la première moitié du XVIIe siècle, et des traités de toutes origines
dans le seconde moitié, et non simplement chez les français et les maîtres à danser comme
souvent répété dans l’historiographie.
Le manque de subtilité du son obtenu avec la tenue « française » (pouce sous la
hausse) aurait cependant amené les italiens à l’abandonner dans la seconde moitié du XVIIe
siècle, avec le développement de leurs sonates et surtout des concertos pour soliste, pour lui
préférer la tenue « italienne » avec le pouce sous la baguette. Toujours est-il que, comme
David Boyden l’avait déjà remarqué, les sources textuelles nous donnent pour cette période
quelques renseignements, notamment en Angleterre. Les renseignements tirés des écrits de
Talbot sont confirmés et précisés : dans la fourchette de 60 à 70 cm de longueur, les archets
de solistes sont au-dessus de 65 et ceux d’orchestre en-dessous, plutôt vers 60 même. Nelly
Poidevin fait tout de même remarquer que, si les archets conservés et ceux montrés dans
l’iconographie correspondent effectivement à la longueur indiquée pour les archets de soliste
(ce qui est logique puisqu’il s’agit du sujet principal des tableaux et que l’on conserve les plus
beaux archets), une autre source, donne une longueur de 50 cm pour les archets de Corelli au
tournant des XVIIe et XVIIIe siècles (il faut cependant noter que cette source date de 1777, soit
presque un siècle après son sujet)37, ce qui cette fois correspond avec les représentations de
l’orchestre de Lully.
A cette époque, il semble donc y avoir cohabitation d’archets longs, voire très longs
(80 cm) comme relaté par David Boyden à propos de Veracini (cf. p. 88), et d’archets restés
assez courts. De plus, afin d’accroître encore la longueur de la mèche, la tête s’est faite plus
clairement dessinée et haute, et la baguette, plus ou moins convexe près de la tête, a
commencé a devenir légèrement concave dans le reste de sa longueur, aboutissant à un profil
horizontal voire en S. D’autre part, afin de compenser l’augmentation du poids lié à
l’allongement de la baguette et au développement de la tête, les utilisateurs de ce type
d’archet, à savoir principalement les italiens, se sont mis à tenir la baguette à l’avant de la
37 BREMNER, Robert, Some Thought on the Performance of Concert Music, Edinburgh, Bremner, 1770, 7 p.
90
hausse. La tendance se serait inversée à partir des années 1730 avec le développement des
hausses mobiles incluant un mécanisme métallique à vis : celui-ci, en augmentant le poids de
la hausse, aurait corrigé le déséquilibre et permis de ramener la main vers celle-ci en profitant
ainsi de toute la longueur de la mèche. D’ailleurs, la baguette devient aussi plus fine vers la
pointe, ce qui participe à la même logique.
Enfin, l’article se penche sur les archets classiques et actuels (dits « modernes » pour
ces derniers) qui restent moins importants pour notre propos. Dans le dernier quart du XVIIIe
siècle, la volonté d’allongement a comme auparavant conduit à modifier encore la cambrure
de la baguette, maintenant concave, ainsi qu’à réviser cette fois en profondeur la forme de la
tête. Sans arriver directement à celle quasiment moderne de type Tourte, comme présenté par
David Boyden, les archets des années 1770 présentaient plutôt une tête en marteau, sous
l’influence de l’anglais Cramer. Celle-ci, très lourde, obligeait encore à une tenue de la main
droite assez avancée sur la baguette. En quelques décennies, elle sera supplantée par la tête
Tourte, plus légère, permettant de tenir l’archet directement au niveau de la hausse ;
l’introduction du bois de pernambouc au même moment, plus léger que les différentes
essences utilisées jusque-là, conclut également ce processus.
Ainsi, cet article peut être considéré comme la référence actuelle en ce qui concerne
l’organologie de l’archet baroque ; certes, celui-ci ne se livre pas à une étude exhaustive des
sources, n’en présente pas non plus de catalogue et ne contient aucune bibliographie, mais
l’on peut comprendre aisément, d’après les analyses, que l’ensemble de l’historiographie
existante sur le sujet, ou du moins les ouvrages les plus importants, ont été mis à profit. Il faut
aussi noter qu’une planche typologique est également fournie en annexe de cet article, plus ou
moins sur le modèle de celle de Fétis mais avec des dates, et surtout une évolution cette fois-
ci plus convaincante. On pourrait lui reprocher de ne pas être sourcée ni directement reliée à
l’article, mais l’on peut tout de même y reconnaître les principaux types d’archets discutés ci-
dessus : pour plus de facilité, nous leur avons attribué les numéros 1 à 13 (du plus ancien au
plus récent), sachant que le numéro 13 correspond à l’archet actuel que nous n’aurons
théoriquement pas besoin d’utiliser dans notre étude.
91
Les numéros 1 et 2 correspondent manifestement aux archets de vièle utilisés au début
de l’histoire du violon ; le premier, avec une cambrure unie, doit renvoyer au modèle en
« demi-feuille », et le second, avec un angle net entre la poignée et la baguette, au modèle
« en faucille ». Le type 3, un archet très court et presque droit, est le premier archet
spécifiquement pour violon, lequel s’allonge et se cambre à la pointe à la fin du XVIe siècle
pour donner le type 4 (on note d’ailleurs que la pointe de la baguette semble plonger sous la
mèche, ce qui constitue un caractère distinctif net). Le type 5 est un peu plus difficile à
attribuer par rapport au discours précédent : un peu moins grand que le 4, il possède une
courbure excessivement marquée à la pointe ; nous supposons qu’il correspond au
développement embryonnaire de la tête dans les années 1620. Le modèle 6 s’identifie quant à
lui sans difficulté à l’archet de danse employé pendant la majeure partie du XVIIe siècle (et
après en Allemagne, alors que la datation s’arrête ici à 1690, probablement en considérant
uniquement son usage en France), et le type 7, nettement plus long et très peu cambré, est
l’archet de sonate ou de concerto italien de la seconde moitié du XVIIe siècle. Les trois
suivants renvoient à l’allongement de la baguette et à la formation de la tête dans la première
moitié du XVIIIe siècle, même s’ils ne semblent pas avoir été clairement définis dans l’article :
le 8 est un type 7 plus long et quasiment droit, le 9 devient concave, avec une tête assez
marquée et peut-être une vis, et le 10 correspond à l’archet le plus abouti de la période
baroque, voire même plutôt un archet de l’époque classique fabriqué encore « à l’ancienne »
(il s’agit de l’archet standard utilisé en violon baroque actuellement, en parallèle avec une
technique datant sensiblement de la même époque). Enfin, le numéro 11, avec sa tête en
marteau et sa hausse à la découpe très reconnaissable, est indubitablement un archet Cramer,
tandis que le 12, presque actuel, ne peut être qu’un Tourte (père), soit les deux modèles
« expérimentaux » de la fin du XVIIIe siècle. Enfin, le type 13 est l’archet actuel, mis au point
par le fils Tourte au début du XIXe siècle et pratiquement inchangé depuis.
Comme nous avons pu le constater de nombreuses fois, cette typologie et les dates
données doivent rester purement indicatives, d’une part parce que les modèles peuvent varier
très fortement et ne sont à l’époque pas standardisés, et surtout parce que les datations
proposées ici partent manifestement principalement des sources italiennes et dans une
certaine mesure françaises, et ne peuvent pas rendre compte de la réalité en Allemagne, par
92
exemple : ainsi, sur l’exemple donné par Boyden du violoniste Weigel en 1720 (cf. p. 88),
celui-ci joue incontestablement sur un archet de type 6, peut-être un peu plus long, alors que
cette date correspondrait, selon la typologie, au type 8 qui n’a absolument rien à voir.
Cependant, pour ce qui est des formes en elles-mêmes, il semble difficile de faire mieux que
ce travail : pour notre analyse, nous chercherons donc à rattacher les archets observés à ces
types (tout en sachant d’une part que ceux-ci ne sont pas exhaustifs, et d’autre part que
certaines formes se ressemblent a priori beaucoup et qu’il n’est pas forcément aisé de les
distinguer sur un tableau), puis nous analyserons les répartitions chronologiques, spatiales et
sociales obtenues par ce moyen. Ceci, tout en se plaçant dans la continuité directe de cette
analyse typologique, devrait ainsi permettre d’en affiner l’aspect chronologique et d’y
introduire des variables supplémentaires. Il est à noter également que nous ajoutons un type 0
à cette typologie, correspondant à des archets très longs observables à l’époque médiévale ;
ces derniers sont certainement classables en plusieurs catégories, mais cette époque sortant
clairement de notre objet d’étude, nous n’entrerons pas particulièrement dans les détails.
B ) Étude iconographique de l’archet
1) De l’archet long médiéval à l’archet court Renaissance
a) Le Moyen-Age, entre archets longs et courts
Quoique quelques-unes de nos sources puissent remonter à des périodes plus reculées,
nous nous concentrons pour le Moyen-Age sur les XIVe et XVe siècles, à la fois les plus
documentés et les plus rapprochés de notre objet d’étude. Comme nous l’avons mis en valeur
pour le violon lui-même (cf. p. 77), la totalité de nos sources pour cette période sont de nature
sacrée, ce qui pourrait mettre en doute leur objectivité. Nous pouvons tout de même relever
un certain nombre de dynamiques à travers l’ensemble de l’Europe qui nous amènent à penser
que, à moins que tous les peintres et enlumineurs aient déformé leurs œuvres de la même
manière au même moment, ce qui est peu probable, certains grands processus doivent pouvoir
être appréhendés par ce biais.
93
La très grande majorité de nos sources provenant d’Italie, il semble logique de débuter
par l’analyse de cette région. On s’aperçoit alors que, pour nos sources les plus anciennes qui
sont malgré tout assez nombreuses (une quinzaine), l’objet technique utilisé en tant qu’archet,
au moins dans la première moitié du XIVe siècle, est systématiquement un archet très long, de
type 0 (cf. p. 106). Les premiers archets courts, qui correspondent globalement à ce que
seront les premiers archets de violon, ne semblent pas faire leur apparition dans la région
avant le dernier quart du XIVe siècle, époque pendant laquelle ils sont par contre les seuls
représentés. Les rares enluminures françaises et allemandes de la même époque confirment
cette impression, en ne montrant tout simplement aucun archet court avant le XVe siècle.
Toutefois, leur faible nombre nous invite à la prudence, et une enluminure Suisse d’environ
1320 montre un archet qui semble un peu plus court qu’à l’habitude : simple effet de
représentation ou réel précurseur de l’archet de type 1 ? Dans tous les cas, l’archet court ne
fait clairement son apparition dans nos sources qu’en 1372, et encore uniquement en Italie : il
s’agit donc d’un objet finalement assez récent.
Malgré l’absence de représentations françaises qui s’avère quelque peu handicapante,
le XVe siècle voit la situation évoluer, du moins dans certaines régions. En Italie, où les
sources sont toujours de très loin les plus nombreuses, l’archet court de type 1 (en « demi-
feuille ») cohabite avec l’archet long médiéval (type 0) depuis le dernier quart du XIVe et
pendant tout le XVe siècle, avec semble-t-il un peu plus d’archets courts. Cette cohabitation
s’éteint cependant avec la fin de ce siècle puisque, si quelques archets longs sont encore
attestés dans les cinq premières années du XVIe siècle (dont un apparemment dans un contexte
de cour et non plus religieux), le dernier, déjà manifestement totalement obsolète, est observé
dans nos sources en 1512. Il faut enfin remarquer que, même en Italie, l’archet de type 2
semble extrêmement rare voire inexistant avant le XVIe siècle, seul un exemplaire étant peut-
être observable, sans certitude, vers 1460.
A la même époque, l’Allemagne semble poursuivre sur sa lancée du XIVe siècle, avec
toujours uniquement des archets du type 0, mais il est vrai que nos sources restent
extrêmement rares dans cette zone géographique. La fin du siècle semble ainsi voir une
certaine diversification, puisque nous pouvons observer un archet de type de 1 vers 1497 dans
un contexte semble-t-il profane, et peut-être un de type 2 vers 1496. Enfin, une dernière
94
région apparaît à la fin de ce siècle, à savoir la Hollande, avec principalement des archets de
type 1, et aucun long ; la rareté des sources ne nous permet toutefois pas d’avancer que ceux-
ci n’y seraient pas présents. Pour finir sur ce siècle, il convient de remarquer l’existence en
Hollande et en Italie dans la décennie 1480, de deux archets qui se rapprocheraient au moins
autant du type 3 que des archets courts médiévaux. L’attestation hollandaise peut être
soumise à caution, dans le sens où l’angle de vue n’est pas optimal et où la différence n’est
tout de même pas flagrante. Toutefois, en Italie, dans le Concert de Laurenzo Costa (daté
entre 1485 et 1495), l’archet est parfaitement visible au premier plan, sur un petit instrument
qui pourrait être une pochette, dans un contexte réaliste qui plus est, et il est totalement
impossible de le confondre avec un modèle médiéval : il s’agit bien d’un archet de type 3,
comportant une hausse, ou du moins d’un « prototype » un peu anguleux. Le développement
de celui-ci n’est donc manifestement pas lié à l’émergence du violon mais a débuté quelques
temps auparavant (par contre les deux pourraient très bien découler d’une même logique
supérieure, comme une évolution générale des goûts musicaux et le développement d’une
musique instrumentale indépendante du chant).
b) Une évolution précoce en Italie
De fait, la Renaissance (prise dans son sens musicologique, soit environ la période
1500-1580) présente certes certaines nouveautés, mais poursuit aussi des schémas en place
auparavant. Les archets longs de type 0 disparaissent totalement dès les premières années du
XVIe siècle, mais il faut également souligner que les archets courts, de type 1 ou 2, ne sont pas
présents très longtemps non plus, du moins en Italie. En effet, le dernier archet de type 1 est
observé en 1522, et, dans les contextes religieux, les archets de type 2, très présents dans les
deux premières décennies du siècle (et peu avant, il s’agit donc probablement d’une forme
typique de cette période) disparaissent vers la même période. Cependant, les sources se
faisant en réalité peu nombreuses dans l’Italie du milieu du siècle, cela peut conduire à un
effet de source : de fait, un archet de type 2 est encore documenté en 1545 dans un contexte
aisé. Toujours est-il que, pour l’Italie, la date de 1530 proposée par Nelly Poidevin pour ces
archets « médiévaux » ne semble pas vraiment être celle de leur âge d’or, mais plutôt de leur
déclin38.
38 POIDEVIN, Nelly, ibidem.
95
Par ailleurs, il faut noter, comme relevé dans l’historiographie, le développement des
archets de type 3 à cette période ; confirmant par là l’observation de leur existence dès les
dernières années du XVe siècle, il faut bien remarquer que ceux-ci sont déjà assez
abondamment documentés avant l’apparition du violon : les trois premières occurrences en
Italie pour le XVIe siècle remontent à 1505, 1508 et 1510, là encore sans risque de confusion.
Ils sont représentés jusque dans les décennies 1560 et 1570, y compris dans des contextes
profanes.
Ainsi, si les principaux types d’archets utilisés au XVIe siècle semblent effectivement
correctement identifiés dans l’historiographie, il faudrait probablement reculer leurs datations
de quelques décennies, du moins en Italie : même dans les sources sacrées, qui pourraient être
facilement suspectées de ne pas être à jour, les archets courts « médiévaux » (en admettant
qu’ils le soient réellement, notamment pour le type 2) sont déjà en déclin vers 1530, et d’autre
part l’archet droit supposément destiné au violon existait en réalité presque certainement déjà
à la fin du XVe siècle, et de manière sûre dans les premières années du XVIe siècle, précédent
donc le développement du violon de quelques décennies.
c) Une Europe en retard ?
Cette évolution impressionnante, notamment pour sa précocité, ne semble pas
vraiment se ressentir dans le reste de l’Europe, bien que les sources soient un peu plus
importantes que pour la période précédente. L’Allemagne, relativement bien documentée
dans les deux premières décennies du siècle notamment, ne montre alors que des archets de
types 1 et 2, sans trace d’apparition du type 3 (qui n’y est d’ailleurs jamais aperçu quelle que
soit l’époque), que le contexte soit sacré ou profane (cour ou haute société). La situation est
exactement la même en Hollande, où l’on note toutefois la prédominance nette des archets de
type 1 jusque vers 1530, et leur remplacement par des types 2 sur le reste du siècle. On relève
même un archet de type 0 « égaré » dans une peinture de Bruegel l’Ancien vers 1562, mais il
est vrai que celui-ci est utilisé par un squelette personnifiant la Mort pour jouer d’un
instrument assez étrange, ce qui n’en fait clairement pas une source fiable.
96
Enfin, pour la France, la Suisse et l’Angleterre, les quelques attestations que nous
pouvons trouver confirment les analyses valables pour l’Allemagne et la Hollande. Ainsi, le
reste de l’Europe apparaît pendant la Renaissance nettement moins en pointe que l’Italie : la
date repère de 1530 pour les archets « médiévaux » y est totalement justifiée, et l’archet de
violon, de type 3, n’y apparaît tout simplement pas. On pourrait supposer que ceci soit dû à
une diffusion relativement faible du violon dans ces régions au XVIe siècle ; pourtant, la
première mention de violon se retrouve en Savoie dès 152339, le premier traité le citant, en
1556, est justement français, et l’on peut trouver un ménétrier local apte à l’enseigner en
Normandie en 156640. Ainsi, s’il peut s’agir d’un élément d’explication, cette hypothèse n’est
manifestement pas suffisante, sans que nous puissions forcément en formuler une autre.
2) Le XVIIe siècle, un allongement progressif ?
a) Le baroque ancien, la généralisation de l’archet « français » en Italie
La première période baroque, entre 1580 et 1630, voit de nouveau des transformations
assez importantes, dues d’après l’historiographie à l’adoption de nouvelles formes musicales
(cf. p. 86). De fait, les modifications les plus nettes prennent place en Italie (qui est aussi la
zone la mieux documentée), alors que les autres régions semblent plus « traditionnelles » ;
toutefois, le rythme de ces modifications n’est pas toujours exactement celui avancé par les
analystes.
En réalité, le changement de période musicale correspond clairement à une
modification totale des archets en Italie. Les anciens types, « médiévaux » bien sûr, mais
même l’archet court de type 3, ne sont absolument plus documentés après 1580 (à part peut-
être dans le fameux Concert de Lionello Spada en 1615, mais qui serait alors une exception).
A la place, on assiste, comme indiqué par Nelly Poidevin, à un allongement de la baguette et
un développement de têtes embryonnaires, qui amènent une apparition soudaine de nombreux
39 BOYDEN, David, op. cit., p. 21-29.40 LEROUX, Jean-François, Trésor de la musique traditionnelle dans le Perche, Rémalard, Fédération des Amis
du Perche, 2005, p. 61-62.
97
archets de type 4 dans les deux dernières décennies du XVIe siècle et de quelques types 5 au
début du XVIIe : la chronologie proposée est donc ici parfaitement respectée41. Par contre, les
archets de type 6, à savoir les fameux archets de danse courts, dits « français », typiques du
XVIIe siècle, semblent apparaître un peu plus tôt que la décennie 1620 et les sonates
auxquelles ils sont censés être liés : il semblerait en effet que celui du tableau l’Amour
victorieux de Caravage, en 1603, soit à rapprocher de cette forme, plutôt que du type 7
comme le voudrait David Boyden (ce qui de toute façon équivaudrait à une date encore plus
anormalement précoce par rapport aux estimations de Nelly Poidevin). L’archet de la Sainte
Cécile de Guido Reni, en 1606, pourrait bien aussi y être assimilé. Cependant, si les premiers
développements de cet archet « de danse » sont peut-être un peu plus anciens qu’annoncés,
leur réelle diffusion semble clairement bien intervenir dans la décennie 1620, date à laquelle
ils sont très bien attestés et presque hégémoniques, aussi bien dans les peintures religieuses
que profanes.
Le seul autre pays bien documenté pour cette époque du premier baroque, la Flandre,
confirme effectivement cette évolution. L’iconographie religieuse de la fin du XVIe siècle ne
la donne pourtant pas particulièrement en avance, puisque l’on n’y trouve aucun archet de
type 4, et toujours aucun de type 3, mais seulement les vieux modèles médiévaux qui ont
disparu depuis un certain temps déjà en Italie. Pourtant, que ces peintures soient en retard sur
les évolutions techniques ou qu’un changement brusque s’opère, la situation change
totalement au début du XVIIe siècle, quand les sujets deviennent uniquement profanes avec
l’entrée dans l’âge d’or hollandais. Si l’on excepte ce qui semble être un vieil archet de type 3
dans une scène paysanne en 1629, et quelques archets de type 4 ou 5 dans des cadres
bourgeois, la quasi-totalité des archets de paysans, comme la plus grande partie de ceux des
bourgeois, sont de type 6. On voit même apparaître sporadiquement, à partir de 1625,
quelques archets plus long, de type 7, dans les milieux aisés. Ainsi, si les musiciens
hollandais de cette époque ne nous ont pas laissé de traités, ou même de partitions pour
violon, ils n’en semblaient pas moins tout à fait en avance en ce qui concerne les nouveaux
modèles d’archet, au point même de représenter l’archet « italien », dédié à un jeu raffiné,
avant les italiens eux-mêmes (à plus forte raison parce que ceux-ci ne semblent pas vraiment
l’avoir représenté, cf. p. 81).
41 POIDEVIN, Nelly, ibidem.
98
Il paraît par contre plus difficile de se prononcer en ce qui concerne d’autres zones
géographiques, les sources concernant celles-ci étant très faibles. Si l’on accepte de raisonner
à partir de quelques tableaux, la France des années 1620 et 1630 ne semble pas avoir adopté
l’archet « français » puisque l’on y trouve des types 4. Une vue de la cour anglaise en 1580
montre un archet de type 3, ce qui n’est pas particulièrement étonnant. Par contre, certaines
observations sont plus inattendues, même s’il est vrai que les sources iconographiques sont
religieuses : on trouve ainsi ce qui semble être un archet de type 1, soit un modèle médiéval,
en Allemagne en 1600, et un autre en Espagne en 1605. Il est probable non pas que ces
régions aient été aussi peu avancées à cette époque, et mais qu’il s’agisse d’une déformation
du peintre qui a choisi de représenter – ou de réinventer – un modèle d’archet très ancien pour
son époque (peut-être simplement par préférence esthétique).
b) Le baroque moyen, l’archet « italien »... en Hollande
L’Italie est malheureusement peu documentée dans les deux derniers tiers du XVIIe
siècle, correspondant au baroque moyen. Cependant, les quelques sources à disposition
montrent une situation relativement stable par rapport à ce qu’elle était au baroque ancien :
les types d’archets utilisés sont les mêmes, sans adjonction de nouvelles formes, et
notamment le type 6, l’archet de danse français, semble toujours privilégié puisqu’il est
documenté à la fois dans les sources religieuses, celles de la cour et de la haute société. On ne
trouve par ailleurs pas de trace de l’archet plus long, dit « italien », qui est censé s’y
développer à cette époque42 ; le manque de sources ne permet absolument pas de nier son
existence, mais toujours est-il qu’il n’est manifestement pas implanté massivement.
Par contre, la région de loin la mieux documentée pour cette époque est la Flandre.
Celle-ci hérite au début de cette période d’une situation issue du baroque ancien, à savoir la
présence d’archets de types 6 et 7 dans la bourgeoisie, auxquels on peut rajouter le 5 pour les
paysans, et une préférence dans les deux cas pour le 6. Il s’agit donc d’une situation
comparable à celle de l’Italie, voire un peu plus « moderne » puisque l’archet long « italien »,
42 BOYDEN, David, ibidem.
99
numéroté 7, est ici présent. D’ailleurs, dès le troisième quart du siècle, celui-ci prend très
clairement l’ascendant sur les autres modèles en étant quasiment le seul documenté. Il garde
d’ailleurs cette position dominante jusqu’à la fin du siècle, même si les sources diminuent ;
on note toutefois, sur un portrait du luthier Johannes van Musschenbroek daté de 1685-1688,
un archet particulièrement long, qui pourrait bien correspondre à un type 8, l’archet presque
droit du tournant des XVIIe et XVIIIe siècles. Celui-ci est d’ailleurs représenté aux côtés du
type 7 dans les derniers tableaux de l’école hollandaise, dans les premières années du XVIIIe
siècle. Ainsi, les évolutions que l’on prête aux archets italiens dans la seconde moitié du XVIIe
siècle semblent en réalité tout à fait correspondre à ce qui se déroule non en Italie, mais bien
plutôt en Hollande.
Ceci pourrait d’ailleurs se ressentir également sur les régions proches : en effet,
l’Angleterre n’est pas vraiment documentée iconographiquement, mais l’on sait que Nicola
Matteis, dans les dernières décennies du siècle, jouait sur ce qui pourrait être un archet de
type 7, même si celui-ci devait logiquement venir d’Italie avec son propriétaire (cf. p. 38). Par
contre, les quelques représentations disponibles en France ou encore en Bohême dans les
mêmes années, dans des contextes respectivement aisé et populaire, montrent également des
archets de type 7. La dernière zone géographique pour laquelle nous possédons quelques
renseignement, l’Espagne, semble elle au même niveau que l’Italie : sur les deux
représentations (religieuses) correspondant dans notre corpus, l’une montre un type 6, mais
l’autre quelque chose qui ressemble avant tout à un type 0 ou peut-être 1 (comme déjà
rencontré en Espagne en 1605). Il est bien évident qu’un archet du XIVe ou XVe siècle ne peut
pas avoir survécu jusque vers 1660, aussi cette occurrence doit-elle nous rappeler les dangers
de l’utilisation d’une telle iconographie.
Ainsi, le XVIIe siècle, tel que nous le percevons à travers nos sources iconographiques,
montre une contradiction étonnante avec l’historiographie : la première moitié correspond
globalement avec les propositions des différents auteurs, notamment pour ce qui est de
l’évolution des archets vers le modèle « français », l’archet court pour la danse. Il faut
simplement noter que cette dynamique se voit surtout en Italie et non en France, mais les
sources sont trop partielles pour en tirer une conclusion. Par contre, dans la seconde moitié du
siècle, l’Italie est le seul pays assez documenté à ne pas adopter le fameux archet de sonate
100
« italien » ! Il pourrait évidemment s’agir là encore d’un effet de source puisque
l’iconographie italienne se fait alors assez rare, mais ces archets sont présents en France et
dans l’espace germanique pour lesquels on connaît encore moins de représentations. Par
contre, cet archet long est rapidement adopté par les Hollandais, aussi bien dans les classes
supérieures de la population que, semble-t-il, par les paysans, alors même que ceux-ci n’ont
pas vraiment de tradition de sonate et sont plutôt attachés à une musique de danse à la
française. D’ailleurs, l’archet de type 8, censé être également « italien », est lui aussi
documenté pour la première fois en Hollande dans notre corpus. On peut donc s’interroger,
d’une part si ces archets sont bien italiens d’origine, et d’autre part si leur adoption est
réellement en lien avec l’abandon de la danse au profit d’une musique plus virtuose : certes, il
semble peu probable que des concertos comme ceux de Corelli43 puissent être joués avec
aisance avec un archet de type 6, trop court, et un soliste qui souhaiterait les jouer
s’orienterait logiquement sur un archet de type 7 (quoique, comme remarqué précédemment,
les instrumentistes de l’orchestre de Corelli semblaient tout de même avoir un archet court,
cf. p. 92). Toutefois, les paysans hollandais, et même la bourgeoisie, n’avaient probablement
aucune utilité pratique à changer d’objet technique : peut-être ce changement est-il donc plus
dû à un effet de mode, qui aurait pu entraîner un meilleur approvisionnement et donc un coût
plus bas sur les archets longs ?
3) Du baroque au romantisme
a) Uniformisation du baroque tardif
Le XVIIIe siècle est globalement moins bien documenté dans notre corpus
iconographique que le XVIIe, ou du moins aucune zone géographique ne présente assez de
sources pour pouvoir tirer une conclusion relativement certaine à propos de son avancement
technique en matière d’archet. Nous ne pouvons donc raisonner, pour ce qui est de
l’iconographie, que sur des éléments assez limités.
43 CORELLI, Arcangelo, Concerti Grossi con duoi Violini e Violoncello di Concertino obligati e duoi altri Violini, Viola e Basso di Concerto Grosso ad arbitrio, che si potranno radoppiare, op. 6, Amsterdam, Estienne Roger, 1714, 34 p.
101
L’Italie présente encore des données relativement importantes, notamment à cause
d’un portrait de groupe daté de 1741. Ces quelques œuvres nous montrent exclusivement des
archets de type 8, ou peut-être 9 éventuellement, dans les milieux aisés de la première moitié
du XVIIIe siècle, ce qui correspond à peu près aux dates avancées dans l’historiographie, avec
un peu de retard tout de même. Par contre, le seul tableau disponible d’une scène populaire,
dans la seconde moitié de la décennie 1720, présente plutôt un archet de type 7, type qui
n’était même pas encore apparu avant 1700. Ainsi, si les milieux italien aisés semblent
effectivement plus ou moins avoir adopté les modèles d’archets qu’ils sont censés posséder,
cette évolution n’est pas vraiment généralisée en Italie. La situation semble sensiblement
identique dans les autres pays : en France, les très nombreuses représentations de milieux
aisés dans la décennie 1730 renvoient toutes à des types 8, ainsi que pour les quelques sujets
populaires ou sacrés à la même époque. En 1741, un dessin de Christophe Huet montre par
contre une pochette accompagnée d’un archet manifestement encore de type 6 ; il est vrai que
le violoniste est un singe, ce qui ne permet pas d’y apporter beaucoup de crédit.
L’Allemagne et l’Angleterre semblent par contre suivre une trajectoire quelque peu
différente. En Allemagne en effet, les archets du premier tiers du siècle sont de type 7, que les
peintures soient sacrées ou profanes, ce qui n’est pas particulièrement en pointe par rapport au
matériel disponible en Italie. Par contre, à Darmstadt vers 1750, un violoniste assez richement
habillé possède un archet de type 9 voire 10 : cette fois-ci, il s’agit donc d’un modèle tout à
fait d’actualité voire même particulièrement récent. La situation est relativement proche en
Angleterre, pour laquelle nous avons enfin des données plus nombreuses, du moins à partir du
second quart du siècle (il faut toutefois tenir compte du fait que, comme signalé
précédemment, la plupart sont des caricatures qu’il faut donc considérer avec précaution).
Quelques archets de danse, de type 6, peuvent être observés même assez tardivement,
jusqu’en 1741, dans les peintures religieuses ou de la haute société. Cependant, dès les années
1730, les archets relativement de type 8 semblent clairement prendre le pas sur ceux-ci (au
moins autant dans les milieux pauvres que dans les milieux aisés d’ailleurs), et une gravure de
1726 montre un archet très droit, qui pourrait correspondre plus ou moins au type 9, dans les
mains d’un mendiant.
102
b) Dernières évolutions du classicisme
Les données disponibles dans l’iconographie pour la seconde moitié du XVIIIe siècle
sont malheureusement encore plus parcimonieuses que pour l’époque baroque tardive ; on
peut pourtant y déceler un certain nombre de nouveautés qui trahissent clairement l’évolution
des archets vers les formes actuelles, même si les modèles d’archets classiques (types 11 et
12) sont en fait rarement représentés. Lors du passage de la famille Mozart à Paris, en 1764,
Leopold semble jouer avec un archet de type 9 d’après la gravure qui en a été faite, soit un
modèle censé être relativement ancien à cette date. La seule autre observation que nous
pouvons faire de ce modèle à cette époque est d’ailleurs à chercher du côté d’une gravure
anglaise de 1762, dans un contexte populaire. Cinq ans plus tard et toujours en Angleterre, les
musiciens professionnels ont plutôt l’air d’avoir opté pour un archet de type 10, qui sans être
encore classique représente la version la plus évoluée pour une forme encore baroque.
Finalement, les archets les plus récents de notre corpus sont ceux des trois violonistes
de la famille allemande Remy, en 1776 : ceux-ci sont long, droits et avec une tête résolument
moderne, ce qui les fait probablement correspondre à un modèle classique si la représentation
est exacte. Cependant, il semble difficile de les rattacher à un type précis : alors que l’archet
Tourte (type 12) n’est pas censé être disponible avant les années 1785, la tête de ces archets
ne semble pas non plus correspondre à un modèle Cramer (type 11). On pourrait alors émettre
l’hypothèse qu’il s’agit de modèles réalisés par (ou d’après) l’archetier anglais Edward
Dodd44 ; en effet, si ceux-ci ont des caractéristiques au moins aussi classiques que baroques,
leur tête reste plus proche de celle des modèles anciens (en beaucoup moins allongé tout de
même) que celle type Cramer.
Le manque de sources rend ainsi difficile l’appréciation de l’évolution de l’archet au
cours du XVIIIe siècle. Globalement, celle-ci semble avoir été correctement cernée par
l’historiographie, mais elle paraît parfois un peu plus chaotique que ce que l’on peut lire dans
certaines analyses, sans que nous puissions absolument confirmer ce point. En Italie et en
France, le second quart du siècle voit l’adoption des archets typiques du baroque tardif, ce qui
correspond effectivement aux données avancées par l’historiographie, du moins pour
44 MILLANT, Bernard, RAFFIN, Jean-François, GAUDEFROY, Bernard, L’Archet. Tome 1 : Histoire de l’archet en France au dix-huitieme siecle, Paris, L’Archet, 2000, 215 p.
103
certaines parties de la population ; au même moment, l’Allemagne et l’Angleterre semblent
rester plus longtemps attachées à des modèles un peu plus anciens, avant de faire
brusquement un bond dans les années 1730 vers des types très récents, éventuellement plus
qu’en Italie. Dans la seconde moitié du siècle, nous ne disposons pas vraiment de données
pour l’Italie, mais la France et l’Angleterre donnent l’impression de n’aborder les formes les
plus évoluées d’archet baroques qu’assez tardivement, au cours de la décennie 1760 alors que
ceux-ci sont censés exister depuis les années 1750. Enfin, la seule observation d’archets
réellement classiques, probablement des modèles Dodd, correspond à l’Allemagne des années
1770.
C ) Implications de l’étude « archéologique »
1) Typo-chronologie modifiée
Les analyses précédentes nous permettent ainsi de compléter celles effectuées dans
l’historiographie et notamment d’affiner la typo-chronologie proposée par Nelly Poidevin45.
Nous proposons donc ici une synthèse des observations effectuées, pouvant éventuellement
servir de référentiel notamment pour les analyses sur la tenue.
L’archet long médiéval, que l’on regroupe sous le type 0 bien que plusieurs variantes
en aient certainement existé, est attesté en Italie sans discontinuité entre le début du XIVe
siècle (et certainement avant) jusqu’aux premières années du XVIe siècle, principalement dans
des représentations sacrées. On le rencontre également ponctuellement en France, en Suisse et
en Allemagne.
L’archet de type 1, soit un archet médiéval court en forme de demi-feuille, est attesté
dans les peintures religieuses italiennes entre le milieu du XIVe siècle et le premier tiers du
XVIe siècle. Il est également attesté au même moment en Hollande, à partir du second tiers du
XVe siècle. En Allemagne (et dans une moindre mesure en France), la situation est semblable
mais on peut le retrouver de manière isolée jusque tardivement dans ce siècle, y compris dans
des contextes profanes aisés.
45 POIDEVIN, Nelly, ibid.
104
Le type 2, assez proche du précédent, est l’archet court médiéval « en faucille ». Il est
documenté en Italie dans le dernier tiers du XVe siècle et la première moitié du XVIe, avec un
pic assez net dans les premières années du siècle d’après les tableaux religieux. On le
retrouve à la même époque en Suisse, en Allemagne et en Angleterre. En Hollande, il semble
par contre succéder à l’archet de type 1, pendant toute la seconde moitié du XVIe siècle et
uniquement celle-ci.
L’archet de type 3, clairement différent car possédant une hausse, même
embryonnaire, est censé être lié au développement du violon. En réalité, on le rencontre en
Italie dès la dernière décennie du XVe siècle, ainsi que pendant tout le XVIe siècle, notamment
dans des milieux aisés : s’il a manifestement accompagné le développement du violon et
participe probablement de logiques similaires, il n’en est donc en tout cas certainement pas
une conséquence. A quelques exceptions près, comme en Angleterre ou en Hollande au
tournant des XVIe et XVIIe siècles, il ne semble pas documenté ailleurs.
Les types 4 et 5, peu documentés, correspondent au développement en deux phases de
la tête de l’archet au tournant des XVIe et XVIIe siècles. En Italie, on rencontre le premier dans
les quelques décennies précédant le changement de siècle et le second dans celles qui le
suivent, dans les tableaux religieux comme dans les milieux aisés voire professionnels. Par
ailleurs, on ne les retrouve qu’en France et en Hollande, les datations devant alors être
avancées d’une vingtaine d’années, voire plus en Hollande où le type 4 est bien documenté
dans la décennie 1620.
Le type 6 est l’archet court « standard » au XVIIe siècle, théoriquement plutôt relié à la
pratique de la danse et à la musique française. Nous n’en avons en réalité pas trouvé trace en
France à cette époque, mais il est vrai que la documentation pour cette région est très
partielle ; sa présence dans le traité de Mersenne en 1636 nous invite à penser qu’il y occupait
tout de même une certaine place. Il est par contre très bien implanté en Italie tout au long du
siècle, chez les amateurs comme chez les professionnels (bien que les sources pour le milieu
du siècle soient là encore peu nombreuses ; ceci expliquerait en tout cas la présence d’archets
courts dans l’orchestre de Corelli, cf. p. 92). Il se retrouve également massivement à la fois
105
dans les milieux populaires et bourgeois en Hollande, du moins dans la première moitié du
baroque moyen puisqu’il semble disparaître quasiment vers 1650, et totalement dès 1665. On
en retrouve finalement quelques attestations isolées chez la bourgeoisie française et anglaise
de la première moitié du XVIIIe siècle, ce qui peut correspondre avec sa mention dans les
traités anglais depuis la fin du XVIIe siècle.
Le type 7, quant à lui, est censé être l’archet de sonate italien de la seconde moitié du
XVIIe siècle ; nous n’en avons cependant pas observé dans notre iconographie en Italie. On
peut par contre en trouver quelques exemplaires en France (ce qui corrobore sa représentation
dans le traité de Mersenne aux côtés du précédent), en Allemagne et en Bohême, à la fin du
siècle voire au début du suivant, mais sa principale aire de diffusion est la Hollande. Il est en
effet employé par la bourgeoisie dès la fin des années 1620, et supplante clairement celui-ci
aussi bien dans les milieux humbles qu’aisés dans le dernier tiers du siècle. Ce type et le
précédent étant parfois aperçu dans l’Allemagne du début du XVIIIe siècle, on pourrait
expliquer son observation sur la gravure de Weigel en 172046 par une combinaison de la
courbure du type 6 et de la longueur du 7.
De manière similaire, les archets de type 8 (et suivants) ne semblent pas suivre tout à
fait l’évolution proposée dans l’historiographie. Il est censé prendre place en Italie au
tournant des XVIIe et XVIIIe siècles ; s’il apparaît bien en 1711 en Italie, il faut attendre en
réalité le milieu du siècle pour le voir assez massivement employé, dans les milieux aisés. Il
faut cependant supposer qu’il existait un peu avant, du moins sous une forme embryonnaire,
puisque l’archet de Stradivarius de 1700 peut se rattacher à ce type. La situation est
sensiblement la même en Angleterre, ainsi qu’en France mais avec une « explosion » plutôt
dans les années 1730. Enfin, il convient de remarquer que le seul endroit dans lequel cet
archet est documenté à la fin du XVIIe siècle est la Hollande.
Les archets de types 9 et 10 sont en réalité assez peu documentés : il s’agit des
derniers modèles baroques, développés dans le second tiers du XVIIIe siècle. La faiblesse de
notre corpus pour cette période ne nous permet pas de proposer de réel modèle pour la
datation de ceux-ci. En particulier, nous ne les connaissons pas en Italie, qui est censé être
46 WEIGEL, Johann, ibidem.
106
leur pays d’origine, mais nous n’avons en réalité pas de source iconographique pour cette
région après 1741 ; cependant l’archet du traité de Geminiani en 1752 (certes publié en
Angleterre) correspond à ces modèles47. On peut trouver des attestations isolées de modèle 9
en France en 1764, mais dans les mains de Leopold Mozart48 (donc un musicien professionnel
germanique, dont, d’ailleurs, l’archet présenté dans son traité correspond à ce modèle), d’un
type 10 en Allemagne en 1750, et des deux modèles en Angleterre aux mêmes époques,
sachant qu’un archet long qui pourrait s’apparenter au modèle 9 est déjà observé en 1726.
Enfin, le même constat s’impose pour les modèles classiques : nous ne connaissons
dans notre corpus que trois archets s’y rattachant, en 1776 en Allemagne, que nous avons
rapprochés du modèle 11. Toutefois, il ne s’agit pas d’archets à la manière de Cramer mais
plutôt à celle de Dodd, un peu plus ancienne, qui n’est pas répertoriée dans la typologie de
Nelly Poidevin.
2) Impact des archets sur la tenue
Comme nous avons pu le constater, les types d’archets rencontrés à travers la
documentation sont extrêmement nombreux, avec plus d’une dizaine de modèles principaux
même en regroupant des formes proches. De plus, beaucoup sont assez mal situés dans le
temps ou dans l’espace. Même parmi les mieux documentés, certains ont été mal datés dans
l’historiographie (en particulier pour le cas de l’archet de type 3, apparu quelques décennies
avant la date avancée habituellement et donc avant le violon qu’il est censé accompagner).
Réciproquement, certaines périodes restent totalement dans l’ombre par l’iconographie, par
manque de sources ou parce que celles-ci ne permettent pas de voir assez précisément l’objet,
ce qui arrive très souvent, et nous devons compléter l’analyse avec des sources textuelles
souvent assez peu précises et qui donnent des résultats parfois différents.
47 GEMINIANI, Francesco, ibidem.48 MOZART, Léopold, Versuch einer gründlichen Violinschule, entworfen und mit 4. Kupfertafeln sammt einer
Tabelle versehen, Augsburg, Johann Jacob Lotter, 1756, 264 p.
107
Or, comme il a déjà été indiqué dans la bibliographie, la forme de ces différents
archets peut influencer notablement sur leur tenue, soit en « forçant » un seul type de tenue,
soit en en permettant plusieurs qui seront choisies par les joueurs en fonction de leurs apports
et donc de l’effet recherché, lequel est directement lié aux goûts musicaux de chaque époque.
Plus précisément, tous les archets jusqu’au type 6 compris sont très courts (le type 0 est certes
long mais est tenu par une poignée qui se trouve toujours à l’extrémité de l’archet) : ceci
implique que, pour pouvoir jouer correctement et disposer d’assez de longueur de mèche pour
ne pas être embarrassé, le violoniste doit presque obligatoirement tenir son archet à
l’extrémité. Ceci expliquerait donc une tenue exclusivement à la hausse jusque vers le milieu
du XVIIe siècle, et il ne faudrait pas y voir un réel choix technique de la part de l’exécutant.
Inversement, il faudrait alors considérer toute observation d’une tenue d’une autre nature
comme une « anomalie » à inspecter spécifiquement.
Par contre, à partir du type 7, il devient possible de tenir les archets soit au niveau de
la hausse, soit avec la main plus avancée sur la baguette, dans des proportions variables. Plus
précisément, si l’on opte pour une tenue « à la française », même avec ce type de baguette,
soit avec le pouce sous l’archet et non entre la baguette et la mèche, il faut nécessairement
opter pour une tenue à la hausse. En effet, il n’est pas possible de poser le pouce directement
sur la mèche dans sa longueur, l’absence de support ne permettant aucune stabilité ; il faut
donc nécessairement poser le pouce en partie, voire totalement, sur la partie de la mèche en
contact avec la hausse. Ainsi, en particulier à la fin du XVIIe siècle où des archets longs et
courts cohabitent, il importe lors de l’observation d’une tenue à la hausse de vérifier le type
d’archet : il s’agit de la seule tenue possible sur un archet court, mais sur un modèle long elle
implique un choix d’une technique « à la française » ou d’un son plus « lourd » en ne
compensant pas le poids de la baguette. D’autre part, notamment sur les modèles du XVIIIe
siècle, la baguette est devenue assez longue pour permettre des variations dans une tenue
avancée : soit juste devant la hausse, soit plus loin comme le laisse entendre Corrette en
indiquant que les italiens tiennent la baguette au quart de sa longueur49. Il faut donc distinguer
là encore le modèle d’archet long et la place exacte de la main sur la baguette, puisqu’une
tenue peu avancée peut simplement avoir comme origine la volonté de compenser le poids de
49 CORRETTE, Michel, ibidem.
108
la tête devenue de plus en plus massive, alors qu’une tenue très engagée dénote beaucoup
plus certainement une recherche de légèreté extrême de l’archet, permettant une grande
virtuosité.
Ainsi, quelle que soit l’époque, et a fortiori le lieu ou le milieu social, il sera important
de corréler les tenues observées avec les types d’archets, puisqu’une tenue apparemment
identique peut avoir des implications très différentes selon l’archet utilisé, ou qu’à l’inverse il
peut être choisi d’utiliser deux tenues sur deux modèles différents pour obtenir un rendu
sonore proche. Ceci implique également, réciproquement, que les demandes des musiciens
pour une tenue modifiée ont pu influencer la conception des modèles d’archets : le cas est
connu pour Viotti qui aurait probablement aidé à mettre au point l’archet Tourte50, mais on
peut aussi imaginer que le développement rapide de plusieurs modèles d’archets longs après
un XVIIe siècle dominé sans trop de changements par les archets courts « à la française » (de
type 6) peut résulter d’une demande croissante pour une longueur de mèche accrue. De plus,
ces archets longs étant également jouables avec la main avancée, donc une position et un effet
proche de celui obtenu normalement sur les archets courts, ceci pourrait expliquer la
disparition assez rapide de ces derniers alors que les archets longs se répandaient (à part dans
le cas de la pochette qui reste une exception de par ses dimensions et son usage particulier).
50 MILLANT, Bernard, RAFFIN, Jean-François, GAUDEFROY, Bernard, ibidem.
109
V) Histoire technique de la tenue du violon baroqueAnnexes 6 et 7
A) Aperçu à travers l’historiographie
1) Le violon : une analyse floue
De manière similaire à l’archet en tant qu’objet technique, les analyses de la tenue à la
fois du violon et de l’archet restent relativement peu nombreuses dans l’historiographie, du
moins celles un minimum poussées. Les deux seules études générales sont celles de David
Boyden1, passablement datée, et le petit article de Jean-Paul Burgos2. Quelques autres
références permettent de compléter l’aperçu qui y est donné, mais toutes avec un restriction
du champ couvert. L’étude de Greta Moens-Haenen, très complète, ne correspond qu’à
l’espace germanique au XVIIe siècle3 ; celle de Brigitte Bachmann-Geiser au XVIe siècle4 ; et
celle de Janine Cizeron à la France du XVIIIe siècle et uniquement à partir des sources
textuelles5. Il faut éventuellement y ajouter également la thèse d’Aristide Wirsta en 19556,
mais celle-ci est très ancienne et ne fait que citer et paraphraser les différents traités existant
sans vraiment les analyser (ce qui était déjà une avancée remarquable à l’époque). Enfin, pour
ce qui est de l’archet, il faut principalement s’en remettre aux études déjà citées à propos de
l’aspect matériel de celui-ci. Ainsi, nous nous proposons en premier lieu de réaliser un état de
l’art des recherches concernant la tenue du violon, celle de l’archet étant détaillée par la suite
(cf. p. 182).
1 BOYDEN, David, The history of violin playing from its origins to 1761 and its relationship to the violin and violin music, Oxford, Oxford University Press, 1990 (1re éd. 1965), 636 p.
2 BURGOS, Jean-Paul, « « Des racleurs de contredanse ». Tenue et jeu du violon, aux XVIIe et XVIIIe siècles », Flûte à bec & instruments anciens, 16, octobre 1985, pp. 8-15.
3 MOENS-HAENEN, Greta, Deutsche Violintechnik im 17. Jahrhundert. Ein Handbuch zur Aufführungspraxis, Graz, Akademische Drucku. Verlagsanstalt, 2006, 240 p.
4 BACHMANN-GEISER, Brigitte, Studien zur Frühgeschichte der Violine, Bern, P. Haupt, 1974, 137 p.5 CIZERON, Janine, « La Technique violonistique d’après les traités baroques », in PENESCO, Anne (dir.),
Défense et illustration de la virtuosité, Lyon, PUL, 1996, pp. 63-80.6 WIRSTA, Aristide, Ecoles de violon au XVIIIe siècle d’après les ouvrages didactiques, Paris, Thèse de la
Faculté des Lettres de Paris, 1955, 160 p.
110
a) Le premier schéma par David Boyden
Dans la plus ancienne de ces études, à savoir la thèse d’Aristide Wirsta, les traités sont
en quelque sorte uniquement paraphrasés, sans analyse supplémentaire, et il suffit donc de
nous reporter à l’annexe présentant les sources textuelles pour retrouver les éléments cités
(sachant que l’auteur ne disposait quasiment que des traités du XVIIIe siècle). La première
réelle étude disponible est donc celle de David Boyden, comme pour l’archet. Mais, à la
différence de l’étude sur l’archet, l’auteur se montre ici assez peu détaillé dans son analyse,
qui semble reprendre toujours plus ou moins les mêmes éléments sans vraiment y dégager de
logique ou d’évolution claire. Il indique la présence dès le XVIe siècle, d’après
l’iconographie, d’une grande variété de tenues, entre la poitrine et le cou, héritées du jeu des
instruments médiévaux7 : celle de poitrine proviendrait de la tenue du rebec et serait plutôt
destinée à la danse, alors que les plus hautes seraient directement dérivées du jeu de la lira da
braccio, la tenue à l’épaule se situant entre les deux sans vraiment d’explication. Il fait
remarquer que les scènes de danses, avec la tenue basse, sont plutôt françaises et anglaises.
Pour les italiens, il suppose que ceux-ci préféraient la tenue haute comme après 1600, mais
remarque également que certains tableaux, comme les Noces de Cana de Véronèse, montrent
une tenue relativement basse en Italie. Enfin, pour les tenues hautes, il souligne que le menton
ne semble pas employé, même lorsque la main est en position haute sur le manche, comme
dans la Madone aux trois oranges de Gaudenzio Ferrari.
Malgré tout, à partir de cet aperçu initial relativement documenté, l’auteur semble
avoir beaucoup de mal à distinguer des évolutions nettes par la suite. Pour la première moitié
du XVIIe siècle, il indique juste que la situation est globalement la même8 : tenue au cou ou à
l’épaule en Italie pour des joueurs assez virtuoses, toujours sans poser le menton, et tenue
basse associée à la danse en France. La situation est censée ne guère changer dans la seconde
moitié du siècle9 : la plupart des traités, comme celui de Falck, décrivent une tenue à la
poitrine ou à l’épaule qui s’observe dans la scènes de danse et plutôt en France, en Hollande,
en Angleterre et en Allemagne ; les plus virtuoses préféreraient une tenue contre le cou, avec
7 BOYDEN, David, idem, p. 73-74.8 BOYDEN, David, id., p. 152-153.9 BOYDEN, David, id., p. 247-248.
111
éventuellement l’appui du menton. Enfin, on retrouverait encore exactement la même logique
dans la première moitié du XVIIIe siècle, avec probablement un emploi de plus en plus affirmé
du menton10. De fait, si Geminiani n’indique pas de poser le menton dans l’édition française
de son traité (en 1752), le violoniste qui y figure en couverture le fait bien, et l’information a
été rectifiée dans une édition allemande de 1782 où il est clairement stipulé que la tenue
utilise le menton. Montéclair propose peut-être la même solution en 1711, mais sa
formulation n’est pas claire ; Corrette en 1738 indique qu’il faut le poser quand on démanche
en arrière ; Crome vers 1735 préfère cette tenue à une plus basse (« sur la poitrine », que
Boyden interprète comme « sur l’épaule ») ; enfin De Herrando en 1756 indique également la
tenue avec le menton posé. Le cas de Leopold Mozart est lui un peu plus complexe puisque,
d’après l’auteur, il ne mentionne pas la tenue contre la poitrine mais cite celle à l’épaule en
précisant qu’elle n’est pas souhaitable, tout en recommandant finalement de tenir avec le
menton. Enfin, alors que tous ces auteurs indiquaient (ou sous-entendaient apparemment) de
poser le menton à droite du cordier, l’Abbé le Fils en 1761 tient lui un discours encore plus
« moderne » en stipulant de le poser à gauche du cordier : il s’agit là sensiblement de la tenue
actuelle, bien que des accessoires pour la faciliter aient été ajoutés à l’instrument depuis.
b) Jean-Paul Burgos : une synthèse actualisée
L’article de Jean-Paul Burgos, bien que court, permet d’avoir un deuxième aperçu un
peu plus récent de la perception de la tenue du violon11. Celui-ci développe aussi un axe
d’approche différent de celui de David Boyden, en ce sens qu’il a organisé sa démonstration
non par époque mais par type de technique.
La première est celle du violon tenu contre la poitrine : elle semblerait privilégiée tout
au long du XVIIe siècle alors même que, comme constaté auparavant, la tenue haute était déjà
parfaitement connue. A l’exception de Prinner, tous les auteurs de ce siècle conseillent cette
tenue (ou du moins une tenue d’épaule), en particulier dans les sources anglaises. Par contre,
à la différence de David Boyden, Jean-Paul Burgos note que certains des traités qui ne
10 BOYDEN, David, id., p. 367-371.11 BURGOS, Jean-Paul, ibidem.
112
mentionnent que cette tenue proposent parallèlement des exercices assez complexes,
demandant de monter assez haut dans les positions, montrant donc que celle-ci n’est pas
limitée à un jeu simple. Il cite par exemple le traité de Daniel Merck, en 1695, qui propose
des démanchés de la quatrième à la première position tout en recommandant de tenir le violon
« sous la poitrine ». De même, Prinner en 1677 s’érige contre cette technique, mais tout en
précisant que des « virtuoses réputés » l’utilisent, l’un de ces virtuoses étant probablement
Biber qu’il connaissait personnellement et dont la musique est techniquement extrêmement
difficile pour l’époque. Ainsi, cette position n’est probablement pas symptomatique d’un jeu
forcément rudimentaire.
Le type de tenue suivante, « sous la clavicule », est particulièrement discutée dans cet
article, certainement parce que le fait que la tenue d’époque puisse être assez différente de la
tenue actuelle n’était pas encore très bien accepté. La tenue contre la poitrine, ou tout autre
encore plus « excentrique », n’étant même pas envisagées, les discussions faisaient alors rage
autour de cette tenue « sous la clavicule », qui semblait déjà excessivement anormale et était
pourtant décrite dans le traité de Geminiani qui servait de référence : certains auteurs
essayaient donc d’expliquer, avec difficulté, que Geminiani décrivait bien une tenue actuelle
(contre le cou, au-dessus de la clavicule donc), et n’avait pas été clair dans sa formulation,
voire que son traité était apocryphe. Jean-Paul Burgos remarque donc que, outre le fait que
cet auteur soit tout de même assez clair, d’autres auteurs de la même époque, comme
Brossard, conseillaient la même chose, et que cette tenue peut être observée sur de nombreux
tableaux jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Le fait qu’il s’agirait d’une liberté des artistes ne
semble pas être soutenable puisque, d’une part certains peintres représentent cette tenue ou
celle au niveau du cou selon leur tableau, et d’autre part qu’elle est également représentée sur
des personnages en arrière-plan qu’il n’y aurait aucun intérêt à « contrefaire ». De plus, les
quelques traces concernant des artistes reconnus, par exemple un croquis du violoniste
Montanari (mort en 1730, premier violon à Saint-Pierre-de-Rome), montrent parfois cette
technique : pourtant, ce dernier a laissé des partitions montant jusqu’à la septième position, et
a d’ailleurs été élève de Corelli au même titre que Geminiani, ce qui pourrait laisser supposer
une technique semblable entre les deux élèves.
113
Enfin, pour la tenue du violon contre le cou, Jean-Paul Burgos juge utile (toujours
dans la logique des querelles de son époque) de bien repréciser que dans cette position,
connue depuis le XVIe siècle, le fait de poser le menton en permanence n’est apparu que dans
la seconde moitié du XVIIIe siècle. Il indique ainsi que, avant 1750, seuls les traités de Prinner,
Corrette et Crome en font mention, lesquels sont des ouvrages pour débutants. On remarquera
que Montéclair, cité par Boyden sans certitude, n’apparaît pas dans cette liste ; et on pourrait
rétorquer que d’une part le nombre de traités connus avant 1750 reste tout de même assez
limité, et surtout qu’il s’agit de toute façon toujours d’ouvrages pour débutants. Il propose
alors la date de 1756 comme « tournant » pour la documentation de cette technique, puisque
la même année paraissent les traits de Mozart et De Herrando, qui sont d’accord sur ce point,
et qui de plus seraient particulièrement importants car l’œuvre de violonistes renommés
(Herrando étant un élève de Corelli). On objectera cette fois que, au moins à notre époque,
Geminiani est au moins aussi renommé que De Herrando, et qu’il n’en fait pas état (alors que
son traité est publié seulement cinq ans auparavant). Jean-Paul Burgos note tout de même
que, à l’inverse de certaines affirmations de son époque, Mozart ne rejette pas pour autant la
tenue sans menton ; il ajoute d’ailleurs que, jusqu’en 1800, de nombreux violonistes
renommés ne conseilleront l’emploi du menton que pour démancher, voire le déconseilleront
purement et simplement. Pour finir, il remarque enfin que l’Abbé le Fils n’est pas si
« fondateur » que Boyden l’a proclamé avec sa position du menton à gauche du cordier et
appuyé en permanence, puisque ces mêmes violonistes du dernier quart du XVIIIe siècle, qui
ne posent pas ou peu le menton, le font tout de même placer à gauche, et que d’autre part
l’inventeur de la mentonnière dans les années 1830, Louis Spohr, placera celle-ci dans l’axe
du cordier (ce qui peut toujours se voir sur certains modèles de mentonnières actuellement
d’ailleurs). Ainsi, la position à gauche du cordier n’est ni acquise après l’Abbé le Fils, ni non
plus un corollaire d’une mutation « achevée » vers une tenue actuelle, mais plutôt une
préférence générale (et non absolue) à cette époque, quelle que soit la tenue exacte utilisée.
114
c) Études localisées
Les deux seules autres études susceptibles d’apporter des éléments supplémentaires
sont celles de Greta Moens-Haenen sur l’Allemagne du XVIIe siècle, et, dans une moindre
mesure, celle de Janine Cizeron pour la France du XVIIIe siècle. Il faut cependant noter que
seule la première étude se veut réellement complète, avec un type d’approche relativement
similaire au nôtre, utilisant certes moins l’iconographie, mais faisant intervenir des sources
écrites peut-être plus spécifiques (par exemple un chapitre de traité fustigeant les
« violoneux » de taverne, qui n’est pas un ouvrage technique, mais qui peut toujours être
utilisé pour connaître la technique des musiciens populaires, laquelle est généralement très
peu documentée). A l’inverse, Janine Cizeron ne se penche que sur les traités, certes avec une
analyse très poussée, mais de fait moins novatrice dans son approche que ce qui a déjà été
proposé dans l’historiographie. Nous présentons donc successivement les résultats de ces
deux études.
Dans le cas du travail de Greta Moens-Haenen12, nous nous concentrons
exclusivement sur l’aspect technique du propos : en effet, dans cet ouvrage impressionnant
sur le violon en Allemagne au XVIIe siècle, les aspects traités sont foisonnants, et la technique
(en général, pas uniquement la tenue), fait l’objet de réflexions très poussées sur des
implications sociales ou même personnelles. Si ces éléments peuvent s’avérer primordiaux
pour la compréhension, nous les exposerons dans une partie dédiée (cf. p. 206), mais nous
nous concentrons pour l’instant sur la question de la tenue en elle-même (qui n’est d’ailleurs
pas réellement séparée de l’analyse sociologique dans le plan du livre).
L’auteur précise immédiatement, de manière tout à fait pertinente mais qui pourrait
paraître « choquante », que la tenue « baroque » telle que pratiquée actuellement et enseignée
en conservatoire, date de la fin du XXe siècle, et ne constitue qu’une « reconstitution » basée
presque exclusivement sur deux sources, à savoir les traités de Mozart et Geminiani, tous
deux de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Ceci implique qu’elle n’a de fait aucune valeur
pour le XVIIe siècle, du moins sans élément supplémentaire dans ce sens. En reprenant les
sources contemporaines de son objet d’étude, principalement écrites, elle définit globalement
12 MOENS-HAENEN, Greta, op. cit., p. 32-36.
115
deux tenues, pour la seconde moitié du XVIIe siècle du moins : la tenue « sous la clavicule » à
la Geminiani, qui serait en usage en Italie, et celle au niveau du cou, où il est possible de
poser le menton, qui serait utilisée « au Nord des Alpes », autrement dit en Allemagne.
Pourtant, au début du XVIIe siècle, les Italiens auraient encore privilégié une tenue haute,
comme dans le Concert de Lionello Spada. La différence de l’évolution pourrait, sans
certitude, venir en partie du fait que le violon se serait professionnalisé plus rapidement en
Italie ; or, l’instrument professionnel auparavant aurait été le rebec, incitant ainsi les
violonistes à adopter une tenue basse comme au rebec. Cependant, comme en témoigne le
traité de Prinner, il est notable que la tenue puisse en réalité grandement varier d’un
instrumentiste à l’autre.
Enfin, du côté de la France, Janine Cizeron effectue, avant de parler du XVIIIe siècle,
une incursion vers le XVIIe siècle, même si celui-ci ne comporte pas vraiment de traité
utilisable (du moins pour la tenue) en France13. Au contraire des auteurs précédents, elle
constate l’existence de positions très peu orthodoxes, qui n’avaient encore jamais été
vraiment mentionnées. De fait, aucune analyse n’en est vraiment faite, mais la liste qu’elle
donne est explicite : on voit des violons tenus verticalement, comme une guitare (sur les
tableaux des frères Le Nain notamment), à la ceinture, ou bien dans les positions discutées
auparavant. La position sur la clavicule se généraliserait à partir de la seconde moitié du XVIIe
siècle, éventuellement en appuyant le coude gauche sur la cuisse, ou une table. Pour le XVIIIe,
la méthode de Montéclair, qui conseille de tenir le violon contre le cou, marquerait un
« retour en arrière », sans trop que l’on comprenne pourquoi. Enfin, ce serait l’Abbé Le Fils
qui mettrait enfin au point une « excellente technique », se distinguant même de Geminiani et
de Leopold Mozart en étant le premier à définir exactement la tenue du violon. Une telle
lecture assez téléologique peut surprendre. Il faut toutefois remarquer qu’il s’agit d’un article
paru dans un ouvrage sur la virtuosité, et que cette contribution, d’après son résumé dans
l’introduction, est censée montrer que « la technique violonistique a progressé pas à pas,
franchissant parfois lentement les étapes jusqu’à la difficile conquête de sa transcendance »...
Il n’est donc pas étonnant que celle-ci ne réponde pas forcément très bien aux critères
habituels des études en sciences humaines (et encore moins en histoire des techniques), qui
interdisent par défaut ce type de raisonnement.
13 CIZERON, Janine, op. cit., p. 67.
116
2) L’archet : tenue française, tenue italienne
a) David Boyden, l’imposition des deux tenues
Pour ce qui est de l’archet, de manière similaire au violon, la thèse d’Aristide Wirsta
n’apporte pour ainsi dire rien de neuf par rapport à ce que l’on peut lire directement dans les
traités ; nous nous penchons donc immédiatement sur les analyses de David Boyden. En
réalité, comme pour le violon, celui-ci éprouve quelques difficultés à dégager des schémas
d’évolutions, faute de données suffisamment analysées : en effet, puisqu’il se base
principalement sur les traités, il ne dispose que de très peu de données avant le XVIIIe siècle,
et se rabat faute de mieux sur l’iconographie qui n’est cependant pas analysée
systématiquement et ne peut donc fournir que des « impressions » générales. Ainsi, toute son
analyse tourne autour de la dualité entre tenues française (à la hausse, le pouce sous la mèche
et trois doigts sur le bois) et italienne (position variable, le pouce sous la baguette et les quatre
autres doigts posés), vraisemblablement sur la base du traité de Corrette.
Faute de sources, il suppose que ces tenues sont valables dès le XVIe siècle, la variante
française pour la danse, et l’italienne pour des musiques plus sérieuses14. Il remarque
simplement que la tenue française peut être aperçue déjà au XVe siècle, par exemple chez
Memling, et que les représentations d’une tenue plus ou moins italienne placent la main à la
hausse, mais que ceci devait être variable. Dans la première moitié du XVIIe siècle, ce schéma
est censé se poursuivre15. La tenue française ne se trouve pas qu’en France mais également en
Italie et ailleurs ; de plus, les archets courts sont tenus à la hausse alors que la main peut être
avancée sur les archets longs (en citant comme exemples ceux du XVIIIe siècle, soit un
anachronisme d’un siècle).
Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, l’existence de quelques sources textuelles lui
permet d’affiner quelque peu ses analyses, bien qu’il considère l’état de la technique de cette
époque comme étant dans la droite ligne des années précédentes16. Il semblerait que la tenue
italienne ait tendance à gagner sur la française, encore que cette dernière reste la tenue par
14 BOYDEN, David, id., p. 75-77.15 BOYDEN, David, id., p. 152-153.16 BOYDEN, David, id., p. 248-249.
117
défaut en France, en Angleterre (comme il est indiqué dans le traité de Playford notamment),
en Hollande et en partie en Allemagne. La tenue italienne reste surtout utilisée en Italie, ainsi
probablement que par les violonistes les plus virtuoses dans l’ensemble de l’Europe et
notamment en Allemagne (par exemple Matteis, en Angleterre, tient son archet à l’italienne).
La technique choisie semble en réalité beaucoup varier d’un musicien à l’autre : pour la tenue
italienne, Falck recommande par exemple de tenir l’archet à la hausse (concrètement, il parle
en réalité de la tenue française, avec le pouce sous la mèche, et l’auteur n’aurait donc pas du
le citer ici) mais l’iconographie montre souvent une baguette saisie quelques centimètres plus
loin, et les modèles d’archets à crémaillère, par exemple, interdisent de fait une tenue à la
hausse.
Enfin, l’analyse est toujours sensiblement la même pour le XVIIIe siècle, notamment
avec la description des deux tenues par Corrette17. Si celle-ci implique que la tenue française
était toujours courante en France au début du XVIIIe siècle, elle semblerait devenir obsolète à
partir de 1720 avec l’arrivée de la sonate en France, et définitivement dans la seconde moitié
du siècle, puisque l’Abbé le Fils ne la mentionne pas en 1761 et le second traité de Corrette
non plus (nous verrons plus loin qu’il s’agit peut-être ici d’un raccourci de l’auteur, cf.
p. 138). Toutefois, elle semble tout de même persister pour des instrumentistes amateurs
jusque assez tard dans le XVIIIe siècle, comme il est visible sur certains tableaux y compris
italiens. Enfin, pour la tenue italienne, l’endroit où se tient l’archet serait notamment fonction
de la puissance recherchée : de même que l’Abbé le Fils, Leopold Mozart, qui insiste
constamment sur la puissance du son, recommande de tenir à la hausse (et présente une
« mauvaise tenue » avec la main avancée) ; par contre Geminiani propose lui une main placée
assez haut sur la baguette.
b) Les études postérieures
Ainsi, l’analyse de David Boyden semble assez peu détaillée, et ne permet pas de
saisir réellement les évolutions de la tenue de l’archet : globalement, on comprend
principalement que pendant toute la Renaissance et l’époque baroque, voire plus ou moins le
17 BOYDEN, David, id., p. 371-374.
118
classicisme, cohabiteraient les tenues française et italienne, la première répandue un peu
partout et principalement pour la pratique amateur, la seconde plus spécifique à l’Italie et aux
professionnels. Or, cette fois, l’étude de Jean-Paul Burgos n’est pas vraiment plus poussée, ne
serait-ce que parce que l’article s’intéresse principalement au violon et que l’archet est donc
traité assez rapidement18 ; il y est par exemple très peu question de la tenue avant le XVIIIe
siècle. L’auteur remarque que les termes de tenues « française » et « italienne » ne doivent
pas conduire à une généralisation trop importante : s’il note, comme Boyden, que la tenue
française était toujours pratiquée au XVIIIe siècle (comme pour la tenue basse au violon), il
remarque cependant que le traité de Falck, qui la recommande, propose des exercices assez
complexes et qu’il ne s’agit donc pas simplement d’une tenue de « violoneux ». Quant à la
tenue italienne, celle-ci se serait d’abord développée en Angleterre à partir du XVIe et surtout
au XVIIe siècle, pour être introduite en Angleterre par Matteis dans les années 1670, d’après
Roger North, et ne serait arrivée en Allemagne qu’à la fin du XVIIe siècle si l’on en croit
Muffat qui, en 1698, indique toujours que la plupart des violonistes allemands suivent encore
la variante française. Quant à la France, la tenue italienne a dû y arriver au début du XVIIIe
siècle avec les sonates italiennes, pour être présentée sur un pied d’égalité avec la tenue
française par Corrette en 1738, mais elle ne l’a pas encore définitivement remplacée dans la
seconde moitié du XVIIIe siècle.
Les autres publications déjà citées à propos de la tenue du violon, plus spécifiques,
confirment globalement les observations précédentes, mais avec un angle d’approche parfois
un peu différent. Greta Moens-Haenen, pour le XVIIe siècle, considère ainsi que la tenue « à la
française » est en fait plutôt nord-européenne, comme la tenue du violon au niveau du cou, ce
qui expliquerait son développement dans la plupart des pays excepté l’Italie19. Elle relève
d’ailleurs avec justesse que, quel que soit le statut de la tenue italienne sur le continent, il
s’agissait en tout cas d’une nouveauté totale quand Matteis est arrivé en Angleterre dans les
années 1670. Le même type de remarque peut être formulé par rapport aux assertions de
Muffat, qui indique à l’extrême fin du XVIIe siècle que la tenue italienne est encore peu
répandue en France et en Allemagne. Quant à l’article de Janine Cizeron, on y retrouve les
mêmes problèmes d’approche téléologique que pour le violon : la technique d’archet serait
18 BURGOS, Jean-Paul, ibid.19 MOENS-HAENEN, Greta, idem, p. 55-64.
119
« extrêmement imprécise et imparfaite » jusqu’à la fin du XVIIe siècle20. Concrètement, la
tenue italienne serait celle des Italiens et la française celle des Français dès le XVIe siècle,
essaimant dans les autres pays d’Europe pour la française et en Allemagne pour l’italienne.
Enfin, au XVIIIe siècle, seul l’Abbé le Fils est vraiment mentionné, là encore plus ou moins en
tant que fondateur de la « vraie » technique de l’archet.
Pour finir, les indications données éventuellement par Nelly Poidevin sont assez
limitées puisque celle-ci étudie avant tout l’archet comme objet technique, et non les gestes
qui y sont associés21. Dans ce sens, les liens entre les tenues et les modèles d’archets sont
assez bien explicités, mais nous ne trouvons pas d’analyse de l’évolution de ces techniques
indépendamment de l’archet lui-même : nous renvoyons donc à l’étude « archéologique »
pour ces éléments (cf. p. 81). Ainsi, il apparaît à travers l’historiographie que la question de la
tenue de l’archet est très difficilement cernée. Ce sujet, encore moins traité dans les sources
textuelles que la tenue du violon, n’est réellement abordable par ce biais qu’au XVIIIe siècle ;
pour les périodes antérieures, il n’est possible de se référer quasiment qu’à l’iconographie,
mais celle-ci n’a pas été étudiée systématiquement, et surtout elle n’a été interprétée qu’avec
une grille de lecture qui est celle, principalement, du traité de Corrette, et qui peut donc
révéler des anachronismes problématiques22. Ainsi, nous nous proposons donc de reprendre
les données disponibles, d’abord à travers les sources textuelles (étant entendu que celles-ci
nous permettront difficilement de remonter plus loin que la fin du XVIIe siècle), puis par
l’iconographie, afin de disposer d’une base de travail plus étendue et effectuer une synthèse
intégrant mieux les différents types de sources et les subtilités qui peuvent en découler.
20 CIZERON, Janine, idem, p. 74-75.21 POIDEVIN, Nelly, « A la pointe de... l’histoire de l’archet », L’AmiRéSol, n°9, 2009, pp. 51-61.22 CORRETTE, Michel, op. cit.
120
B ) Le discours des traités
1) Le violon, une évolution plus chaotique que prévue
a) Les premières indications
Les premières indications quant à la tenue du violon, au XVIe siècle, sont uniquement
le fait de traités français, à savoir celui de Philibert Jambe de Fer en 1556, qui décrit
réellement l’instrument et quelque peu sa tenue, et dans une moindre mesure celui de Thoinot
Arbeau en 1589 où nous devons nous contenter d’une gravure. La description donnée par
Jambe de Fer quant à la tenue du violon peut paraître longue et complète ; il faut toutefois
tenir compte d’une part du fait qu’il traite non seulement du violon mais de toute sa famille,
et également de la nécessité à cette époque de bien faire comprendre au lecteur la différence
entre un violon, qui se tient avec les bras, et une viole qui se positionne entre les jambes
(même si elle a la taille d’un violon).
Dans la partie destinée à la famille du violon, deux instruments sont en réalité cités :
une basse, et une « viola da braccia ou violon ». Ce double nom pour le violon est
symptomatique de cette volonté de précision quant à l’utilisation technique des deux familles.
En effet, le terme de viola da braccio a été adopté au début de l’existence du violon pour le
distinguer des violes, ou viola da gamba, qui se tiennent entre les jambes (on retrouve
d’ailleurs cette dénomination jusque sur la page d’orchestration de l’Orfeo de Monteverdi en
1609). Cette précision est importante pour interpréter correctement l’indication de l’auteur
quant à la position générale : celui-ci indique en effet que l’instrument se tient « sur les
bras », ce qui pourrait laisser penser qu’il se tient au-dessus du niveau du bras, soit une tenue
assez haute. On comprend en réalité que l’auteur sous-entend que cet instrument se tient « sur
les bras [et non entre les genoux] » pour bien le distinguer des violes, sans impliquer
forcément une donnée sur la tenue en elle-même. D’ailleurs, l’emploi du pluriel à « bras » est
révélateur : concrètement, un violon ne peut pas se tenir sur les deux bras, il s’agit donc d’une
indication générale. La même réflexion, au début du XVIIe siècle, est réalisable à propos du
121
traité de Praetorius : après avoir également proposé les deux termes, il indique clairement que
le violon est dit « da braccio » parce qu’il est maintenu sur le bras, une causalité qui indique
là encore que cette « tenue » n’est qu’une information générale et non une indication
technique précise.
Par contre, il est précisé que certains musiciens tiennent leur violon avec une écharpe
ou un cordon ; ceci suppose que leur instrument, sans cet accessoire, serait impossible à
utiliser ou du moins trop peu stable pour être joué correctement. Ceci ne semble pas vraiment
correspondre avec les tenues habituelles du violon, contre le corps, qui sont toutes
relativement stables (et en tout cas cela ne correspond pas du tout à une tenue très haute et la
possibilité de poser le menton). S’il est difficile d’imaginer ce que Jambe de Fer entend
précisément par l’utilisation de cet accessoire et la tenue à laquelle il est associé, on peut
supposer qu’il s’agit d’une position peu commune, par exemple en travers de la poitrine. Il
convient toutefois de ne pas généraliser : puisque seuls « certains » se servent de cet artifice,
d’autres ne doivent pas en avoir besoin et donc adopter une tenue plus habituelle pour nous.
C’est d’ailleurs l’une de seules choses que l’on peut retenir de la gravure figurant dans le
traité de Thoinot Arbeau : le violoniste y tient son instrument à l’épaule, ou peut-être sur la
poitrine, assez plongeant, ce qui correspond dans tous les cas à une tenue assez basse mais qui
n’a rien de très différent des tenues habituelles du XVIIe siècle.
b) Le XVIIe siècle, une tenue basse
i) Une pratique généralisée
Si l’on excepte le traité de Praetorius, qui, comme nous l’avons vu, fourni des données
similaires à celles du traité de Jambe de Fer et se rapproche donc plutôt de la Renaissance
malgré sa date assez avancée (cf. p. 41), le premier seul ouvrage utile à notre propos pour la
première moitié du XVIIe siècle est celui de Pierre Trichet, déjà assez tardif puisqu’il remonte
aux alentours de 1740. Il s’agit également de la première mention précise de la tenue, et celle-
122
ci est sans ambiguïté : contre l’épaule gauche, ce qui correspond à la gravure de Thoinot
Arbeau et pourrait laisser supposer que les deux sources se placent dans une continuité, même
s’il est difficile de l’affirmer avec un demi-siècle d’écart non documenté (du moins par les
sources textuelles) entre les deux.
Pour le reste du siècle, la grande majorité des traités sont allemands, ce qui nous
donne un aperçu assez convaincant de la technique germanique dans la seconde moitié du
XVIIe siècle, ou plutôt de sa fin. Nous ne tenons pour l’instant pas compte du plus ancien, à
savoir le manuscrit de Prinner de 1677, lequel est particulièrement détaillé mais présente une
théorie hors-norme pour son époque, que nous détaillerons plus précisément dans une partie
séparée (cf. p. 128). Si l’on excepte cette source, nous disposons alors d’un corpus de trois
documents, répartis seulement sur les quinze dernières années du siècle (le traité de Muffat,
en 1695, ne traite que de la tenue de l’archet et pas de celle du violon) : a priori sans volonté
plus « internationale », ils sont unanimes pour recommander une tenue sur la poitrine. En
effet, Speer, en 1687, indique que la tenue du violon, comme celle de l’archet, doit être
enseignée par un professeur et n’a donc pas à figurer dans son ouvrage ; cependant, il se
trouve qu’il n’a pas parlé du fait de tenir le violon mais de le « placer sur la poitrine », ce qui
donne finalement bien cette indication, du moins de manière globale. Falck, l’année suivante,
est lui plus clair puisque le violon doit être posé « contre le sein gauche », soit également sur
la poitrine. Enfin, Merck en 1695 demande même à placer le violon « directement sous le sein
gauche » : on peut considérer qu’il s’agit également d’une tenue de poitrine, mais le fait qu’il
ait pris la peine de préciser « directement sous » et non simplement « sur » laisse entendre
que cette subtilité a son importance, et qu’il s’agit donc d’une tenue un peu plus basse que la
poitrine elle-même.
Enfin, parmi les traités anglais, nous nous concentrons pour l’instant sur celui de
Playford, paru en 1664 : en effet, l’autre, de Lenton, donne des indications plus spécifiques
que nous traiterons là encore dans une partie consacrée (cf. p. 126). Ce traité de Playford,
comme les précédents, fait état d’une tenue basse : le violon repose « sur le sein gauche, un
peu au-dessous de l’épaule ». Ceci correspond bien à une tenue de poitrine, peut-être un peu
plus haute que la normale si l’on prend en compte la deuxième incise de la citation. Toutefois,
elle ne contredit manifestement pas l’observation réalisée à partir de tous les autres traités, à
123
savoir que la tenue au XVIIe siècle, du moins en France, en Allemagne ou en Angleterre, est
préférentiellement basse, autour de la poitrine, avec éventuellement des variations pouvant
l’amener même un peu plus bas ou, au contraire, la faire remonter jusqu’à l’épaule.
ii) Lenton, la trace de Nicola Matteis
Le second traité anglais, celui de Lenton en 1693, présente une réflexion un peu plus
développée, qui mérite d’être considérée à part. En effet, la recommandation reste de tenir le
violon « vers la poitrine », ce qui correspond parfaitement aux autres indications relevées
précédemment et n’a donc rien de particulier. Par contre, deux autres options sont également
discutées dans ce traité, avant d’en venir à cette recommandation finale. D’une part, l’auteur
dit en premier lieu que lui-même a « l’habitude de tenir un instrument sous le menton ».
Ainsi, la tenue de poitrine semble convenir pour les amateurs que sont les lecteurs théoriques
de l’ouvrage, mais lui-même, membre de l’ensemble des vingt-quatre violons de la musique
royale entre 1681 et sa mort en 1719, donc professionnel de très haut niveau par rapport aux
standards anglais, avait opté pour une tenue haute. D’après sa formulation, on peut supposer
qu’il plaçait le violon au niveau de son cou, même s’il est difficile de dire si « sous son
menton » signifiait qu’il plaçait effectivement le menton sur le violon, ce qui serait très peu
commun pour l’époque, ou s’il s’agit simplement d’une paraphrase pour exprimer la tenue au
cou mais « libre », le menton non posé.
D’autre part, John Lenton met en garde contre une tenue extrême qui, selon lui, ne
convient pas à la musique anglaise, à savoir de placer l’instrument « aussi bas que la
ceinture », ce qui selon lui est une manière « imitée des Italiens ». Le fait que l’on puisse tenir
le violon aussi bas est remarquable, et l’on peut peut-être, sans certitude, le relier à la mention
de Merck en 1695 qui parlait de tenir le violon « sous la poitrine ». Toutefois, le plus
intéressant est la précision selon laquelle il s’agirait de la tenue des Italiens. Il faut noter que
cette tenue n’est jamais mentionnée dans d’autres traités, et surtout n’est que très rarement
représentée dans l’iconographie italienne (cf. p. 150). Certes, outre une occurrence à la fin du
XVe siècle, on la rencontre quatre fois entre 1599 et 1625, mais d’une part toutes ces
124
représentations proviennent de scènes religieuses, d’autre part les dates ne correspondent pas,
et pour finir ce nombre, même élevé, représente à peine un tiers des sources iconographiques
pour l’Italie de cette période. Il est donc très peu probable qu’une tenue aussi basse soit
utilisée en Italie à la fin du XVIIe siècle, ou en tout cas certainement pas de manière
généralisée.
Cependant, une autre source, qui n’est cette fois pas un traité, mentionne la même
tenue : il s’agit des écrits de Roger North à propos de Nicola Matteis, un virtuose napolitain
ayant fait carrière à Londres à la fin du XVIIe siècle. D’après deux mémoires de cet auteur23,
celui-ci « posa[i]t son instrument contre ses côtes courtes », ce qui était « très en-dehors de la
tenue commune », et d’autre part le posait « presque contre sa ceinture ». Nous avons étudié
en détails ce cas particulier lors du travail préliminaire à celui-ci, afin de tester nos
hypothèses méthodologiques : il s’avère que Matteis a été pris comme sujet pour le seul
disque actuellement enregistré revendiquant une tenue réellement historiquement informée,
mais que l’analyse historique n’a probablement pas été correctement menée, ce qui a conduit
à utiliser une tenue à la clavicule (en partant du principe que les « petites côtes »
correspondraient à ladite clavicule). En réalité, il s’avère que ces côtes sont en fait les côtes
flottantes, soit les trois côtes en bas de la cage thoracique, et que Matteis tenait donc bien son
violon extrêmement bas, sous la poitrine et effectivement presque sur la ceinture en exagérant
un peu. D’ailleurs, puisque la tenue à la clavicule ou à l’épaule semblait tout à fait commune
à cette époque en Angleterre, l’étonnement de North aurait été totalement incompréhensible si
Matteis avait également adopté cette tenue.
Toujours est-il que, Matteis étant le premier virtuose italien à se rendre en Angleterre
(le seul étranger réellement connu auparavant à Londres étant Thomas Baltzar, ayant eu un
parcours très similaire à celui de Matteis entre 1656 et 1663, mais originaire de Lübeck en
Schleswig-Holstein), Lenton ne pouvait quasiment avoir que lui en tête en 1693 en parlant de
la tenue des Italiens, puisqu’il ne connaissait vraisemblablement pas d’autre violoniste italien,
et certainement pas de ce niveau. Tant donné qu’il ne semble pas avoir été au courant que la
tenue de Matteis était totalement personnelle et ne correspondait absolument pas à la
technique courante en Italie, il a donc extrapolé son expérience avec Matteis pour faire des
23 NORTH, Roger, An Essay on Musicall Ayre, v.1715, 90 ff.NORTH, Roger, The Musicall Gramarian, 1728, 181 ff.
125
italiens le modèle de la mauvaise tenue (ce qu’il était important de préciser puisque, les
acheteurs potentiels de son recueil étant des amateurs fortunés, il y a de bonnes chances pour
que ceux-ci aient déjà assisté à une prestation de Matteis qui faisait grand bruit dans la
capitale, et auraient ainsi pu être tentés de suivre son exemple). Ainsi, lorsque Lenton décrit
la tenue « des italiens », il décrit en réalité presque certainement celle de Nicola Matteis, qui
est un cas tout à fait personnel et n’a probablement rien à voir avec les standards de la
péninsule (l’expérimentation montre d’ailleurs que les morceaux virtuoses de Matteis sont
plus simples à jouer en tenant le violon près de la ceinture qu’à l’épaule, la première variante
améliorant grandement les possibilités de démanché).
iii) Prinner, une étonnante exception
Il reste pour le XVIIe siècle à traiter de l’ouvrage manuscrit de Prinner, rédigé à
Salzburg en 1677 (dans un dialecte autrichien et avec une écriture très peu soignée). Cette
source est exceptionnelle pour étudier la tenue car le paragraphe (ou plutôt la phrase) qui est
consacré à cette thématique est d’une part très long, d’autre part très documenté, et enfin
présente une recommandation surprenante pour l’époque. En premier lieu, cette indication est
tout simplement celle d’une tenue actuelle, ou presque, puisqu’il s’agit de tenir le violon
« sous le menton », lequel doit être « maintenu fermement par le menton ». Il s’agit donc
d’une tenue haute avec la tête posée sur le violon en permanence, à savoir un modèle qui ne
se généralisera pas avant la seconde moitié du XVIIIe siècle. Il est difficile de comprendre
comment Prinner (qui à la base est organiste) en est venu à cette idée : une explication est
bien donnée mais elle semble brouillonne. Il a en effet recours à l’argument habituel de
l’impossibilité de réaliser des démanchés arrières sans tenir le violon, « à moins de tenir le
violon de la main droite », ce qui n’a aucun sens (il faudrait arrêter de jouer, prendre le violon
de la main droite, redescendre la main gauche et recommencer à jouer, le tout en plein milieu
de la mélodie puisque « plusieurs notes seraient alors manquées »...). Outre cette digression
pour le moins étonnante, même si l’argument lui-même est classique, il faut surtout
remarquer que Prinner précise juste après que des « virtuoses respectés » ne suivent pas cette
126
tenue, apparemment sans se faire la réflexion que ces virtuoses, s’ils en sont bien, n’ont donc
aucunement besoin de tenir en permanence le violon avec le menton pour réaliser leurs
démanchés. Toujours est-il que, s’il semble s’embrouiller dans ses explications, Prinner n’en
recommande pas moins une tenue totalement inédite à son époque et en avance d’un siècle,
qui ne sera de fait pas retenue au XVIIe siècle.
D’autre part, il faut également noter que Prinner nous explique aussi quelle est la
technique de ces « virtuoses reconnus » : contre la poitrine, soit la technique tout à fait
habituelle en Allemagne à cette époque. Or, Prinner n’attribue pas ce choix à l’environnement
technique de ces musiciens, mais au fait qu’ils auraient observé cette tenue sur « un tableau
où l’Ange joue du violon à Saint François » ; le seul tableau correspondant dans notre
iconographie, avec un titre semblable et une tenue de poitrine, est le Saint-François avec un
ange jouant du violon (tableau dont il existe plusieurs versions, le titre le plus habituel dans la
bibliographie française étant Saint-François en extase), peint par le Guercin en 1620. Il
s’agirait d’après Prinner d’une erreur de vouloir copier ce tableau parce que le peintre, ne s’y
connaissant probablement pas en matière de violon, ne représentait pas forcément une bonne
tenue, ce sur quoi nous ne pouvons lui donner tort (du moins sur le principe). Toutefois, ceci
n’explique pas pourquoi des virtuoses allemands des années 1670 auraient décidé d’adopter
une tenue mal adaptée à leurs besoins simplement pour l’avoir vue représentée sur un tableau
italien remontant à un demi-siècle auparavant... On peut éventuellement supposer que ces
« accusations », tout comme le développement assez incompréhensible relevé auparavant,
pourrait venir d’une volonté de dénigrer lesdits virtuoses, mais il ne peut s’agir que d’une
hypothèse que nous n’avons aucun moyen de vérifier.
Ceci étant, à défaut de connaître les relations de Prinner avec ces virtuoses vers 1670,
nous pouvons du moins probablement connaître l’identité de ceux-ci. En effet, il se trouve
que Prinner a été directement ou indirectement en contact avec les deux plus célèbres
violonistes d’Allemagne à l’époque : Johann Heinrich Schmelzer et son élève Heinrich Ignaz
Franz Biber. Il serait alors tout à fait logique que la tenue de poitrine décrite par Prinner soit
celle employée par ces deux violonistes. Ceci serait un point particulièrement important pour
la « reconstitution » de la tenue d’époque en condition de jeu : en effet, les partitions de ces
musiciens, et en particulier de Biber, comptent parmi les plus redoutables et les plus
127
techniquement difficiles du XVIIe siècle24. Une tenue de poitrine chez Biber permettrait ainsi
de démontrer la viabilité de ce choix technique même pour des morceaux extrêmement
difficiles, et la possibilité de fait de démancher sans problème avec une tenue basse (à
condition de retrouver le bon geste), et d’autre part il s’agirait de l’une des seules possibilités,
avec Matteis, d’attribuer formellement une technique précise à un violoniste donné, et non
des moindres, pour le XVIIe siècle. Toujours est-il que les relations connues entre ces trois
personnages ne permettent pas de valider notre hypothèse d’une volonté de dénigrement de la
part de Prinner, même si elles ne la contredisent pas réellement non plus : en effet, leur
principale interaction connue, à la fin des années 1670, a consisté pour Schmelzer à
recommander Prinner pour le poste de Maître de Chapelle de l’empereur Léopold Ier, lequel
poste venait justement d’être laissé vacant par Biber25. Si Prinner n’aura finalement pas le
poste, ce qui aurait pu entraîner une animosité entre eux dans la décennie 1680, cette
observation ne soutient pas vraiment le fait que l’organiste et les deux violonistes aient pu
être en froid au début des années 1670, à moins d’une réconciliation entre-temps, ce que nous
ne pouvons bien sûr aucunement vérifier.
c) Une évolution chaotique vers la tenue actuelle
i) Survivances de la tenue basse
α) Labadens, la clé pour la technique... du XVIIe siècle
Le reproche de Prinner à la tenue basse, comme celle formulée plus tard par les
théoriciens du XVIIIe siècle prônant une tenue haute, était principalement la difficulté à
réaliser un démanché en arrière, même si la chose est manifestement possible puisque des
violonistes comme Biber, dont la musique requiert fréquemment un tel geste, employaient
une tenue à la poitrine qui ne les gênait donc certainement pas. Toutefois, ceci n’expliquait en
rien comment ce geste était techniquement réalisable. En effet, si l’on ne tient pas le violon
24 BIBER, Heinrich, Battalia a 9, C 61, urtext d’après le manuscrit du compositeur, 1673, s.p.25 WARZAWKI, Jean-Marc, « Prinner Johann Jacob », en ligne sur le site Musicologie.org.
128
avec le menton, il est possible de réaliser un démanché ascendant sans trop de difficulté : la
main gauche monte en serrant légèrement le manche pendant son mouvement, appuyant ainsi
le violon contre le corps de l’instrumentiste et permettant de le stabiliser. Par contre, en
descendant, le mouvement de la main s’effectue dans l’autre sens et il n’est donc a priori pas
possible de stabiliser l’instrument en l’appuyant contre le corps, absolument pas tenu, ce qui
rend le démanché au mieux très difficile, voire tout simplement impossible.
La solution aurait été retrouvée, a priori par l’expérimentation, par Sol Babitz peu de
temps avant la parution du livre de David Boyden, du moins d’après ce dernier26. Une source
textuelle de 1772 nous en donne également la clé (Sol Babitz s’en étant peut-être inspiré bien
que Boyden n’en fasse pas état). La Méthode de Labadens n’est presque jamais citée dans
l’historiographie, et pour cause : à cette date très tardive, où tous les auteurs de traités
s’accordent à reconnaître la tenue basse comme dépassée voire l’ignorent simplement,
élément que les analystes du XXe siècle ne cessent de mettre en avant, Labadens ne fait état
que de celle-là, avec une description détaillée, en occultant totalement la tenue haute qu’il
devait pourtant bien connaître étant donné l’environnement technique de l’époque ; d’ailleurs,
la gravure qui accompagne ces explications montre une tenue très haute, au moins à l’épaule
voire au cou, qui contredit donc le texte.
Il est tout à fait important de signaler l’existence de ce traité et de ses spécifications :
ceci bat totalement en brèche l’idée souvent soutenue que la tenue de poitrine aurait été
complètement abandonnée dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Certes, il est probable que
Labadens ait été un violoniste vu comme utilisant une technique d’un autre âge à son époque,
puisque la tenue haute n’en restait pas moins manifestement presque totalement adoptée.
Nous ne pouvons malheureusement pas vraiment connaître les raisons pour lesquelles il serait
resté à cette tenue jusqu’à une date aussi tardive, puisque nous ne connaissons quasiment rien
de lui (même pas son prénom). Il faut simplement noter que son ouvrage est dédicacé au
violoniste Pierre Gaviniès, qui d’après la préface lui aurait donné des conseils pour la
rédaction ; celui-ci avait tendance à représenter plutôt une vieille école, avec des partitions
aux standards baroques plus que classiques (avec une basse continue chiffrée par exemple),
mais nous ne connaissons pas sa tenue27.
26 BOYDEN, David, op. cit., p. 155.27 GAVINIES, Pierre, Sonatas for Violin and Basso Continuo, op. 3, Middleton, A-R Editions, 2002 (1ère éd.
129
Concrètement, la méthode de démanché arrière proposée par Labadens, et appliquée
par Babitz et les instrumentistes baroques actuels (souvent sans en connaître l’origine),
consiste à jouer sur l’orientation de la main le long du manche. Habituellement, celle-ci est
relativement verticale, du moins dans les tenues assez récentes (la posture du XVIIe siècle
montre plutôt une main horizontale, contre le manche, mais cette tenue bloque certaines
possibilités de jeu et a donc progressivement été abandonnée). Ainsi, dans les positions
hautes, la main gauche est placée verticalement et collée contre la caisse de l’instrument. Pour
redescendre en tenant toujours l’instrument, au lieu de serrer le manche comme en montant, il
est alors possible de pousser sur la caisse, à condition de trouver le bon mouvement pour que
ceci n’empêche pas non plus la main de descendre. Or, seuls les doigts ont réellement besoin
de descendre : il faut donc coucher la main le long du manche, de façon à ce que les doigts
glissent effectivement en position plus basse, mais que le poignet reste collé contre la caisse
et puisse exercer une pression contre celle-ci. Ainsi, le violon est assez bien stabilisé pendant
le démanché. Ensuite, une fois les doigts correctement placés en première position, il suffit de
redresser la main pour ramener le poignet à la verticale des doigts et revenir à une vraie
position basse sur le manche (cf. Annexe 7, fig.14).
L’expérimentation démontre toutefois sans conteste que la tenue haute, en posant le
menton sur l’instrument lors des démanchés, reste beaucoup plus sûre que cette méthode de
« démanché rampant », comme l’appelle David Boyden, le violon étant alors beaucoup plus
stable, et ce geste très complexe et délicat à réaliser de la main gauche n’ayant plus de raison
d’être. Pourtant, l’emploi de cette technique permet d’expliquer comment tous les grands
virtuoses du XVIIe siècle (hors d’Italie du moins, à savoir Biber, Schmelzer et Matteis) dont
nous connaissons la tenue, pouvaient utiliser une tenue de poitrine voire encore plus basse,
tout en jouant une musique techniquement au moins aussi complexe, et probablement plus,
que celle ayant cours en Italie à la même époque. Ceci implique que la tenue basse ne peut
définitivement pas être considérée comme une technique pour violonistes amateurs (même
dans le cas où elle serait utilisée en priorité par eux), puisque certains des meilleurs virtuoses
du XVIIe siècle y avaient recours, pour jouer une musique complexe, même avec une tenue
actuelle.
1764), 59 p.
130
β) Survivances en Europe du Nord
Parallèlement à cette attestation très particulière, à la fois complète et très tardive,
quelques autres sources nous démontrent la persistance de cette technique dans l’Europe du
Nord, au moins dans le premier quart du XVIIIe siècle, soit une époque où il ne s’agit
probablement pas d’anachronismes isolés comme on pourrait le considérer pour les
indications de Labadens. En France, vers 1711, la méthode de Sébastien de Brossard
comporte deux passages proches sur la tenue du violon, le premier stipulant qu’il faut tenir
contre « l’estomac ou l’épaule gauche », et l’autre « contre l’épaulle gauche un peu au
dessous de la Joüe, ou plus bas ». Globalement, ceci correspond bien à une tenue basse,
même si l’« estomac » n’est peut-être pas à comprendre dans le sens d’une tenue extrême
comme celle de Matteis. Par contre, la mention de la « joue » prête à confusion : « en-dessous
de la joue » désignerait logiquement plutôt le cou ou la clavicule, ce qui signifierait que
« contre l’épaule gauche » serait à comprendre comme « sur l’épaule gauche », soit une tenue
haute. Nous ne pouvons pas vraiment écarter cette hypothèse, mais dans tous les cas l’auteur
précise bien que l’on peut aussi tenir plus bas, soit ce qui correspond bien à une tenue à
l’épaule ou sur la poitrine selon le cas.
En Allemagne, il faut mentionner le seul traité de notre corpus pour la première moitié
du siècle, à savoir celui de Majer en 1732. Les indications qu’il donne sont loin d’être aussi
détaillées que chez Labadens, mais n’en restent pas moins nettes : le violon est tenu sur la
poitrine, sans mention d’une autre technique. Il est donc clair que, dans l’Allemagne du début
du XVIIIe siècle, la tenue de poitrine n’a pas disparu, même si l’on ne peut pas dire non plus
qu’elle soit la seule (ce traité reste assez simple et ne couvre pas forcément toutes les
techniques possibles).
La même observation peut être effectuée pour l’Angleterre, pour les deux traités
connus de la première moitié du XVIIIe siècle. Par contre, dans ceux-ci, la possibilité d’opter
pour une tenue haute est également conseillée. Le premier, The Compleat Musick-Master
(anonyme), pourrait avoir été directement inspiré de Lenton, puisqu’on y retrouve les trois
même tenues. La position conseillée est toujours une tenue de poitrine ou d’épaule, puisque
131
l’auteur conseille de placer le violon « un peu au-dessus de [la] poitrine ». Il indique toutefois
deux postures qu’il qualifie de « mauvaise[s] habitude[s] », à savoir la tenue au cou ou à la
clavicule (la formulation exacte étant « sur l’épaule », il faut probablement comprendre « au-
dessus de l’épaule », d’une part parce qu’une position à l’épaule correspond justement plus ou
moins à celle qu’il recommande, et d’autre part parce qu’il aurait sinon marqué « contre » et
non « sur » l’épaule), et la tenue sur le « ventre ». La première est donc celle que Lenton
disait utiliser, ce qui prouve encore une fois qu’elle existait à cette époque en Angleterre
(l’auteur précise « comme certains le font » à propos de celle-ci), même si elle est ici décriée ;
et l’autre est à l’évidence celle de Matteis. L’auteur n’insiste pas vraiment sur cette deuxième,
à la différence de la première, comme s’il s’agissait d’une précision assez évidente ou bien
d’un souvenir de la tenue de Matteis, qui est en tout cas nettement moins courante que la
tenue haute. Dans tous les cas, on voit donc que toute la gamme des tenues entre le ventre et
le cou étaient connues en Angleterre dans les années 1720, mais que celle de poitrine était
toujours recommandée dans les traités.
Le second traité anglais, celui de Robert Crome, est plus difficile d’interprétation dans
sa formulation : on y lit en effet qu’il faut le placer « sur votre sein gauche, [mais] la
meilleure position étant de le tenir avec votre menton ». Or, il est impossible de placer le
violon « sur le sein », autrement dit sur la poitrine, et de le tenir dans le même temps avec le
menton, ce qui nécessite obligatoirement une tenue au cou. Deux possibilités s’offrent à nous
pour expliquer ce passage. Dans la première, le terme de « sein » est employé abusivement,
l’auteur voulant dire simplement qu’il fallait appuyer le violon du côté gauche du corps, sous-
entendant au niveau du cou, mais cette explication semble un peu trop complexe et l’on voit
mal pourquoi l’auteur aurait adopté une formulation aussi éloignée de ce qu’il voulait
réellement dire. L’autre possibilité est que les deux incises de la phrase renvoient à des
positions totalement différentes : Crome conseillerait ainsi de tenir le violon au niveau de la
poitrine, mais trouverait encore meilleur de le placer pour que le menton puisse le tenir, soit
au niveau du cou. Là encore, on comprend mal pourquoi il recommanderait une position pour
lui en préférer une autre immédiatement après, mais cette explication semble moins
improbable que la précédente. En admettant que celle-ci soit correcte, il faut donc en déduire
d’une part que, comme pour le traité précédent, la tenue de poitrine était toujours bien
répandue dans l’Angleterre du XVIIIe siècle, mais que, pour la première fois si l’on excepte la
132
mention de Prinner, et avant les grands théoriciens de la seconde moitié du siècle, il est
recommandé de poser le menton en permanence sur le violon. D’ailleurs, cette deuxième
observation reste valable quelle que soit l’hypothèse retenue quant au sens exact de la phrase ;
nous pouvons donc considérer comme acquis que, vers 1735, le fait de poser le menton en
permanence sur le violon était, sinon pratiqué, du moins proposé dans un traité assez
largement diffusé.
γ) Mozart, une évolution à regret
La dernière attestation de notre corpus pour une tenue basse se retrouve dans le traité
de Leopold Mozart, dans ses deux versions d’ailleurs (1756 et 1770). S’il ne s’agit pas de la
dernière apparition dans l’ordre chronologique, puisque le traité de Labadens date de 1772, on
peut considérer les écrits de Mozart comme une sorte de tournant. En effet, celui-ci décrit
successivement une tenue basse puis haute, en détaillant les points forts et faibles de chacune,
avant de donner une préférence pour la tenue haute. Toutefois, cette préférence semble
nuancée, ce qui en fait son importance. L’option de la tenue basse consiste à tenir le violon
« à hauteur de la poitrine » (ou « contre la poitrine » dans l’édition de 1770, ce qui revient au
même) ; il faut noter que la gravure qui y est associée et qui est d’ailleurs celle du frontispice
de l’ouvrage, montre en fait plutôt une tenue à la clavicule, mais l’écrit est assez explicite
dans les deux ouvrages pour supposer qu’il est bien ici question d’une tenue de poitrine, ou
peut-être d’épaule (ce qui pourrait expliquer l’impression que le violon est posé sur la
clavicule, les deux tenues n’étant pas forcément évidentes à distinguer).
Nous traiterons séparément des conseils donnés par Mozart en ce qui concerne la
tenue haute, mais il est intéressant de se pencher sur les raisons qui la lui ont fait adopter. En
réalité, ce choix ne semble pas découler vraiment de qualités intrinsèques de la tenue haute,
mais d’une solution de repli face aux difficultés induites par la tenue basse. Du reste, celle-ci
est a priori plutôt décrite en termes mélioratifs : « agréable et très tranquille », « naturelle »,
« aisée et confortable aux yeux de l’auditoire », ou bien « agréable à la vue des auditeurs »
dans l’édition de 1770. Le problème contrebalançant ces qualités est toujours celui du
133
démanché, mais il faut remarquer que Mozart indique que l’on peut surmonter cette difficulté
par « une longue pratique ». Autrement dit, la position haute n’est préférable que parce
qu’elle est « plus commode pour le Joueur », l’auteur ne la recommandant donc pas pour ses
qualités propres, mais simplement parce qu’elle est la seule viable pour un joueur n’ayant pas
assez de pratique pour maîtriser la tenue basse.
Mozart ne rejette donc absolument pas la tenue de poitrine dans le cas où un
instrumentiste parviendrait effectivement à la maîtriser, et lui prête au contraire de
nombreuses qualités ; il ne fait en quelque sorte que constater que, soit parce que le niveau
des instrumentistes a baissé, soit plus probablement parce que les morceaux sont de plus en
plus complexes, il devient de plus en plus difficile de jouer en tenue basse, et qu’il faut donc,
faute de mieux, passer à la tenue haute. Cette observation est importante car elle change
totalement le rapport de Leopold Mozart à cette modification de la technique : celui-ci n’est
pas vraiment un promoteur de la technique « moderne » comme de nombreux auteurs l’ont
vu, mais plutôt un fossoyeur forcé de l’ancienne technique basse, qu’il constate, peut-être à
regret, n’être plus adaptée à la musique de la seconde moitié du XVIIIe siècle.
ii) La tenue haute : poser le menton ou non ?
α) Les attestations générales
Les tenues hautes sont de deux types, à savoir contre la clavicule ou contre le cou :
seule la deuxième permet vraiment de stabiliser le violon avec le menton en permanence,
encore que ceci ne soit pas obligatoire. La plupart des traités préconisant une tenue haute
permettent de savoir, explicitement ou non, si l’auteur souhaite voir le menton tenir
l’instrument ou non. Seuls quelques-uns y font exception, notamment les plus anciens
mentionnant cette technique au début du XVIIIe siècle (on excepte bien sûr le cas particulier de
Prinner en 1677, cf. p. 128).
En effet, en 1711, le traité de Montéclair mentionne cette technique, sans précision
pour ce qui est du menton : Montéclair parle d’appuyer le violon « contre le Col sous la joüe
134
gauche », locution dans laquelle on peut voir que « sous la joue » désigne bien le cou, ce qui
n’est pas clair dans certains écrits. Au même moment d’ailleurs, de Brossard parle de deux
techniques comme nous venons de le voir précédemment, l’une clairement basse et l’autre
« contre l’épaulle gauche un peu au dessous de la Joüe » ; si l’on part du principe que la
formulation doit être comprise dans le même sens que chez Montéclair, et que le violon serait
donc en fait « sur » l’épaule gauche et non « contre », il s’agirait d’une deuxième indication
pour cette tenue haute. Dans les deux cas toutefois, rien n’est dit sur la position du menton, et
il est donc possible de supposer que celui-ci ne tient pas le violon, ce qui serait probablement
signalé sinon.
Nettement plus tardivement dans le siècle, on relève également la mention de
Geminiani de tenir « au-dessous de la Clavicule », autrement dit certainement contre la
clavicule. Quoique les attestations de cette époque renvoient pour beaucoup à un menton posé
sur le violon, ou du moins de plus en plus, rien n’indique que ce soit le cas ici, au contraire
même puisqu’il est difficile de poser le menton en permanence avec une tenue à la clavicule.
Il faut d’autre part remarquer que, dans la phrase suivante (à la base à propos de la main
gauche), Geminiani parle du violon « qui repose contre la poitrine ». Là encore, nous nous
trouvons donc dans une situation ambiguë : soit il s’agit d’un lapsus indiquant que la tenue
basse était encore très pratiquée, même si Geminiani n’en a pas parlé auparavant, soit il s’agit
d’une approximation, assez grossière toutefois, par laquelle l’auteur renverrait bien toujours à
la tenue à la clavicule. Les deux possibilités étant assez extrêmes, nous pouvons difficilement
trancher et pensons préférable de considérer que Geminiani fait tenir le violon à la clavicule,
en ne tenant pas vraiment compte de cette deuxième assertion.
Enfin, la dernière mention d’une tenue haute sans précision en ce qui concerne le
menton est celle, laconique, que donne Jean-Benjamin de Laborde en 1780 (dans un ouvrage
généraliste, ce qui peut expliquer ce manque de précision). Il faut poser le violon « sous le
menton » et « sur la clavicule gauche » : il s’agit manifestement d’une tenue au cou ; la
question tient plutôt à savoir si le terme « sous le menton » implique un contact ou non. Nous
serions tenté de répondre positivement dans le sens où la quasi-totalité des traités des années
1770 et 1780 sont favorables à une tenue avec le menton posé, mais nous ne pouvons pas
l’affirmer.
135
β) Une tenue « libre » tardivement
Fort heureusement, la plupart des traités précisent tout de même si le menton doit être
posé ou non, ce qui nous permet d’entrer un peu plus dans les détails. Il apparaît d’ailleurs
que la tenue « libre », sans poser la tête en permanence sur l’instrument, est utilisée assez
tardivement dans la plupart des pays (Italie exclue, du moins n’avons nous pas de sources à ce
propos), mais reste assez peu recommandée dans les traités. De fait, seules quatre sources en
font clairement état, dont les deux traités de Corrette qui sont en fait un doublon. Corrette, en
1738, est la première source à nous décrire de façon claire cette tenue, chronologiquement
parlant. En effet, il est évident que celui-ci ne fait pas tenir l’instrument avec la tête puisqu’il
précise « Il faut nécessairement poser le menton sur le Violon quand on veut démancher », ce
qui implique manifestement que le menton n’est pas posé en temps normal. Notons qu’il ne
dit pas si le violon est tenu contre le cou ou la clavicule, même si l’on peut supposer que le
violon doit être plutôt contre le cou puisqu’il est assez difficile de poser le menton avec une
tenue à la clavicule. Dans son second traité, en 1782, le passage est repris presque à
l’identique mais tout de même amendé, ce qui prouve qu’il ne s’agit pas d’une simple copie et
que les informations qu’il y donne y sont toujours réfléchies et considérées comme valides.
Le terme « nécessairement » est remplacé par « généralement » dans la phrase précédente, ce
qui est effectivement plus exact mais ne nous apporte pas vraiment d’information nouvelle.
Par contre, il nous indique cette fois que le violon « doit être posé entre le menton et le dessus
de la poitrine », ce qui confirme une tenue haute mais reste assez vague. Enfin, on apprend
que le menton doit être tourné du côté du bourdon, autrement dit à gauche du cordier, alors
même qu’il n’est pas posé en permanence. Ce détail, a priori peu important, sera utile par la
suite (cf. p. 139).
La tenue haute sans poser le menton était donc encore plus ou moins en vigueur en
France dans les années 1780. Sans être aussi récentes, les deux autres sources confirment
cette position en Angleterre et en Allemagne dans le troisième quart du XVIIIe siècle. En 1756,
le traité anonyme anglais Apollo’s Cabinet indique simplement de placer le violon « juste en-
dessous de la clavicule » : il s’agit sans problème d’une tenue à la clavicule, dans laquelle le
menton ne peut pas être posé en permanence. Enfin, en 1763 (et toujours dans les rééditions,
par exemple en 1793), le traité de Kürzinger en Allemagne ne parle pas directement de la
136
tenue mais indique les postures que le violoniste doit éviter ; parmi celles-ci, on relève que
« la tête ne doit pas reposer sur le violon, comme évanouie ». On pourrait considérer que cette
phrase signifie que la tête doit être posée fermement sur le violon, mais il est au moins aussi
probable que l’auteur considère l’action même de poser la tête comme correspondant à cette
impression d’ « évanouissement ». Ainsi, de ces différentes indications relativement claires,
même si quelques doutes subsistent, on peut en déduire que la tenue haute « libre » existait en
France, Angleterre et probablement Allemagne au moins jusque dans les années 1750 voire
1760 ; et on peut même remarquer que les rééditions de ces ouvrages, ou suite dans le cas de
Corrette, la mentionnaient encore dans les années 1790. Il s’agissait peut-être de conseils
assez anachroniques à cette époque, mais toujours est-il que l’idée de cette technique n’avait
donc pas forcément disparue.
γ) Poser le menton : à droite ou à gauche ?
La plupart des traités du XVIIIe siècle semblent ainsi recommander une tenue gardant
le menton posé en permanence, mais il faut remarquer que tous ces écrits, à l’exception de
celui de Robert Crome vers 1735 dont nous avons déjà fait mention (il cite cette tenue sans la
recommander, cf. p. 134), datent de la seconde moitié du siècle et plus précisément du
troisième quart. Le plus ancien est celui de Leopold Mozart en 1756 ; après avoir expliqué
que la tenue basse semblait préférable a priori mais qu’elle n’était plus adaptée à la musique
de l’époque (cf. p. 135), il décrit alors ce qu’il propose à la place : il indique clairement que
« le violon est maintenu sur le cou, de sorte que le fond repose sur l’épaule, et que le côté du
Mi ou la plus petite corde vient sous le menton ». Le terme « maintenu » laisse bien entendre
que le menton est posé en permanence, et, si la gravure correspondante n’est pas absolument
explicite, il est tout de même précisé ensuite que le violon reste ainsi « toujours immobile ». Il
semble donc bien s’agir d’une tenue avec le menton posé, du côté droit du cordier. Il faut
remarquer que la formulation a quelque peu changé dans le deuxième traité du même auteur,
en 1770 : le violon est « pos[é] sur la clavicule », ce qui revient fondamentalement au même,
et aucun indice ne laisse à penser que le menton soit posé, mais il semblerait étrange que
Mozart soit revenu sur cet élément qui s’est entre-temps répandu dans tous les traités. Par
contre, le menton est cette fois « du côté de la quatrième corde », à savoir du côté gauche du
cordier.
137
La même année que le premier traité de Mozart, en 1756, paraît celui de Joseph de
Herrando, le seul traité espagnol de notre corpus (bien qu’il ait été publié à Paris). Celui-ci
fait clairement état d’une tenue posée : « Le cordier doit venir sous le menton, étant tenu par
lui ». Cette formulation laisse entendre que le menton repose directement sur le cordier, donc
au milieu du violon, ce qui constitue un cas unique. En 1765, l’Encyclopédie de Diderot et
d’Alembert mentionne également cette tenue : le violon est placé « sous le menton » et « sur
la clavicule » (et non « contre » ou « sous »), ce qui correspond clairement à une tenue au
cou, mais surtout il faut « appuyer le menton » a un endroit repéré sur un schéma comme
étant à gauche du cordier. Le dernier traité assez clair sur la question, en Allemagne cette fois,
est celui de Löhlein en 1774 ; celui-ci indique en premier lieu de tenir le violon « contre
l’épaule gauche », ce qui induit a priori une tenue basse. Cependant, un long paragraphe est
consacré à expliquer que le menton doit être posé, et à discuter du meilleur côté du cordier : il
est donc évident qu’il s’agit d’une tenue haute avec le menton posé. Ce problème de
dénomination, où « contre l’épaule » vaut pour « contre le cou », a déjà été rencontré et
témoigne bien de la difficulté à appréhender correctement ce type d’énoncé technique.
Toujours est-il que Löhlein recommande lui aussi une tenue à gauche, arguant que le fait de
poser le menton à droite entraîne un « mauvais jeu » et fait dévier l’archet. Il appelle
d’ailleurs le lecteur à tester les deux possibilités, la différence se ressentant clairement d’après
lui. Concrètement, les musiciens actuels spécialisés en musique ancienne tiennent en fait
souvent le violon à droite, et cette assertion de Löhlein n’est peut-être pas justifiée.
Néanmoins, avec elle, il marque clairement une désapprobation pour un jeu à droite dans les
années 1770, dans une période où le jeu à gauche est nettement en train de se généraliser.
Enfin, il reste à traiter une dernière source dont nous n’avons fait état dans aucune des
parties précédentes, et qui est censée être une sorte de « fondatrice » de la technique moderne
d’après certains titres de la bibliographie, à savoir l’ouvrage de l’Abbé le Fils en 1761. Il
serait en effet le premier à indiquer une tenue posée du côté gauche, ce qui pourrait être vrai
d’après les analyses précédentes, la première source étudiée pour le moment et indiquant la
même technique étant l’Encyclopédie, en 1765. Mais avec une différence de quatre ans,
l’Abbé le Fils n’est certainement pas l’inventeur de cette technique comme il peut être
présenté, mais simplement le premier à en faire état. Il faut cependant remarquer un point
particulièrement problématique, dans le sens où il ne précise tout simplement pas que le
138
menton doit être posé... Le violon doit être posé sur la clavicule, ce qui correspond à une
tenue au cou effectivement moderne ; mais aucune gravure ne vient l’illustrer, et l’on sait
juste que le menton se trouve du côté gauche, sans précision, explicite ou implicite, quant au
fait qu’il soit posé ou non. Or, nous avons pu constater avec le second traité de Corrette que
l’auteur pouvait indiquer un côté pour le menton en ne le faisant pas poser en permanence : ce
côté peut donc n’être qu’une indication quant au positionnement général, et pour les moments
où la tête doit être posée pour cause de démanché. Ainsi, il n’y a en réalité aucun indice nous
permettant d’affirmer que l’Abbé le Fils décrit une technique « actuelle » et non exactement
la même que Corrette en 1782, à savoir libre avec le menton globalement à gauche : il
faudrait donc plutôt la ranger dans les cas indéterminés, en considérant que cette tenue
pourrait effectivement être posée, d’autant que l’Encyclopédie décrit celle-ci quasiment en
même temps à quelques années près, mais que nous n’en avons pas de preuve.
2) L’archet, entre tenues « française » et « italienne »
a) Muffat et Corrette, aux origines des tenues « française »
et « italienne »
Comme nous avons pu le constater précédemment, l’analyse de la tenue de l’archet est
habituellement structurée, pour quelque époque du baroque que ce soit, par l'opposition entre
tenue « française » et « italienne ». Il faut tout d’abord remarquer que les données dont nous
disposons d’après les sources textuelles sont toutes récentes : la très grande majorité des
traités qui s’intéressent effectivement à la tenue de l’archet datent de la seconde moitié du
XVIIIe siècle, seuls cinq (sur neuf) s’y penchent dans la première moitié de ce siècle, trois (sur
huit) dans la seconde moitié du XVIIe siècle, et aucun avant. L’analyse de la tenue de l’archet,
sur une grande partie de la période, devra donc faire appel pour beaucoup, voire uniquement,
aux sources iconographiques ; et il importe d’autre part de bien comprendre d’où vient cette
dichotomie entre tenues « française » et « italienne » pour évaluer à quelle point celle-ci est
applicable.
139
En réalité, seuls deux traités font réellement état de ces deux types de tenues, à savoir
celui de Muffat en 1698 et celui de Corrette en 1738, ce qui place cette distinction
relativement tôt par rapport à nos sources et ne peut donc pas être suspectée d’être une
invention tardive effectuée a posteriori (du moins par rapport au baroque récent et
éventuellement moyen). La description de Muffat est en réalité plutôt orientée vers l’archet
français, ce qui est logique puisque cette tenue est, d’après cette source du moins, adoptée par
la majorité des violonistes en Allemagne et en France (et avant tout en France, puisque ce
sont les allemands qui tiennent l’archet « comme les François »), qui sont les deux pays
auxquels ce traité s’intéresse en priorité. Elle est décrite de manière assez proche de ce que
l’historiographie indique généralement (et qui provient directement du traité de Corrette), à
savoir que la mèche est « serr[ée] avec le pouce », comprendre plutôt entre le pouce et la
hausse puisque la tenue n’est pas stable sinon, et que l’on place « les autres doits sur le dos de
l’archet ». Les descriptions de cette tenue parlent en général plutôt de seulement trois doigts
posés sur le bois, sans l’auriculaire, et non de tous les autres comme cela semble être le cas
ici ; cependant, la tenue française est surtout définie par le placement du pouce sous la mèche,
la description de Muffat correspond donc bien. Pour ce qui est de la tenue des italiens, celle-ci
est beaucoup moins bien décrite puisque l’on sait simplement qu’ils placent le pouce sous la
baguette, sans savoir à quelle distance de la hausse : il n’est donc pas possible d’affirmer qu’il
s’agit bien d’une tenue telle qu’on la décrit habituellement, avec la main très avancée sur la
baguette, mais cela reste tout à fait possible.
Le premier ouvrage de Michel Corrette, en 1738, reste donc la seule source à décrire
réellement les deux tenues, et à vrai dire l’origine de cette bipartition. Il ne donne pas non
plus de priorité ou de jugement qualitatif sur l’une ou sur l’autre, indiquant au contraire que
les deux sont valables et dépendent simplement du « maître qui enseigne » (et non de
l’emplacement géographique, même s’il précise par ailleurs les pays d’utilisation de chaque
méthode). De fait, ses descriptions des deux techniques correspondent forcément à la
définition que l’on en donne habituellement, étant donné que c’est à partir de son écrit
qu’elles ont été identifiées par les auteurs actuels. La tenue française est globalement décrite
de la même manière que chez Muffat, en précisant simplement que l’auriculaire n’est pas
posé. Par contre, pour la tenue italienne, il est précisé que la main se positionne aux trois
quarts de la baguette, le schéma correspondant confirmant effectivement cette indication. On
140
notera cependant que le violoniste représenté sur la gravure en frontispice, c’est-à-dire peut-
être Corrette lui-même opte lui pour une tenue hybride. Nous ne voyons pas le pouce, mais la
main est placée en avant de la hausse, ce qui l’empêche logiquement d’être sous la mèche,
mais est tout de même loin d’être avancée au quart de la baguette, au mieux au sixième, et il
semble que l’auriculaire n’est pas posé sur la baguette comme dans la tenue française, mais
au contraire en tenue italienne comme la définit lui-même l’auteur. Il est possible d’avancer
plusieurs hypothèses pour expliquer cette tenue non répertoriée : soit le dessin est erroné,
mais cela est peu probable étant donné qu’il est donné comme référence dans le paragraphe
sur la tenue du violon ; soit la tenue « italienne » n’est en fait pas avancée jusqu’au quart de
l’archet et il s’agit d’une exagération dans le texte, Corrette employant alors cette tenue
italienne sur la gravure ; soit encore il s’agit d’une sorte de tenue hybride entre les deux, qui
n’est pas à proprement parler décrite dans le texte. Si la première hypothèse semble peu
probable, il est par contre difficile de trancher entre les deux autres avec les seuls
informations intrinsèques du traité, et il faut comparer avec d’autres sources pour nous en
assurer.
b) La tenue « française », premier tiers du XVIIIe siècle
Dans cette optique, nous commençons par nous pencher sur les attestations claires de
tenue française, laquelle est simple à reconnaître, et nous permettra donc de définir
l’ensemble des cas litigieux quant à la tenue italienne. Celle-ci n’est en réalité clairement
documentée que dans la seconde moitié du XVIIe siècle et le premier quart du XVIIIe, si l’on
excepte le traité de Corrette. Ceci implique que la majorité des sources ne sont en réalité pas
françaises, étant donné que les écrits français sont encore proportionnellement assez rares à
cette époque par rapport à l’Allemagne ou à l’Angleterre.
La première mention est ainsi à trouver dans le traité de Playford, en 1664, dans une
formulation très claire : le pouce est posé sur la mèche « au niveau de la hausse », autrement
dit probablement sur la partie de la mèche qui touche la hausse, et trois doigts seulement sont
posés sur le bois, le quatrième étant donc libre, ce qui correspond parfaitement à la définition
141
de cette tenue d’après Corrette. En 1688, en Allemagne, Falck ne nous parle pas des doigts
sur la baguette mais nous indique d’appuyer sur la mèche avec le pouce « près de la hausse » :
nous pouvons supposer qu’il s’agit donc de le poser sur la mèche juste après la hausse, à un
endroit où celle-ci est encore assez ferme pour permettre une tenue stable. Il n’est peut-être
pas exactement question de la même tenue, mais celle-ci semble toujours répondre à la
définition de la tenue française, avec le pouce sous la mèche à proximité de la hausse. Majer,
en 1732, a repris exactement la même formulation, ce qui en fait le deuxième auteur le plus
tardif à la mentionner après Corrette, mais nous avons déjà vu que ses informations étaient
assez basiques et peut-être datées (cf. p. 53).
La première source française sur cette tenue n’apparaît finalement qu’en 1711, avec le
traité de Montéclair. La définition qu’il en donne est courte mais assez précise, mais ne
correspond pas tout à fait avec celle de Corrette : le pouce est bien sous la hausse, mais les
quatre autres doigts sont posés sur le bois, et pas seulement les trois premiers. Ceci confirme
donc clairement que les deux variantes semblent exister, même en France, et conforte la
possibilité que la description de Muffat implique bien la pose des quatre doigts sur le bois (cf.
p. 142). Enfin, la dernière source est de nouveau anglaise, avec The Compleat Musick-Master
en 1722 : là encore, la place de tous les doigts n’est pas détaillée, mais on apprend que le
pouce doit être placé à moitié sur la hausse et à moitié sous la mèche à la sortie de la hausse,
ce qui pourrait expliquer pourquoi les informations divergent sur ce point (chaque auteur
ayant simplifié dans un sens ou dans l’autre), ou bien montrant une synthèse tardive. Il est
probable que la première option soit plus réaliste : en effet, le principal intérêt de poser le
pouce sur la mèche est de pouvoir légèrement modifier la tension de celle-ci, sur des archets
n’ayant pas de hausse mobile. Or ceci est impossible si on place uniquement le pouce sur la
hausse ; et si on le place uniquement sur la mèche, la stabilité de l’archet risque d’être
compromise : il semble donc intéressant de le placer à moitié sur la hausse pour s’assurer
d’une bonne prise, et à moitié sur la mèche pour pouvoir effectivement agir sur la tension de
celle-ci.
142
c) La tenue « italienne », une description biaisée ?
i) Corrette, un cas quasiment unique
La description de la tenue italienne par Michel Corrette donnait une tenue prenant
place à environ un quart de la longueur de la baguette. Or, en considérant les archets les plus
courts documentés autour de 1700, et en ne prenant en compte que la longueur de la mèche
(50 cm, soit environ 10 cm de moins que celle de la baguette), ceci placerait la main à une
douzaine de centimètres de la hausse. Or, la plupart des textes nous présentent des données
chiffrées quant à la position de la main sur la baguette pour une tenue italienne ou apparentée
qui sont de un ou deux pouces, soit guère plus de cinq ou six centimètres au maximum. La
différence, dans le cas d’un objet technique comme un archet, est assez importante pour que
l’on puisse considérer qu’il s’agit de deux positions différentes, ou du moins de deux
variantes clairement séparées.
Il faut alors remarquer que la tenue italienne telle que décrite par Corrette, avec une
main très avancée, est très peu documentée hors de son traité : à vrai dire, la seule observation
que nous pouvons vraiment en faire est une gravure du traité de Mozart, qu’il ne décrit pas
mais qui est présentée comme une mauvaise tenue. Celle-ci semble volontairement déformée
pour montrer une position à l’évidence peu commode ; et la main a été placée nettement plus
en avant que sur la position « correcte » (dans laquelle elle est quelque peu avancée sur la
baguette mais juste devant la hausse). Ce détail montre que le fait d’avancer trop la main sur
la baguette devait exister au milieu du XVIIIe siècle, mais n’était pas (ou plus) considéré
comme correct.
Ainsi, il est possible que la tenue italienne avancée au quart de l’archet, comme la
décrit Corrette, ait effectivement existé dans la première moitié du XVIIIe siècle, mais elle
semble alors être très peu répandue : soit celui-ci préférait effectivement une tenue très
avancée, soit il peut aussi s’agir d’une façon de forcer le trait (consciemment ou non) pour
bien marquer la différence avec la tenue près de la hausse (chez Corrette comme chez Mozart
d’ailleurs), et une telle position n’aurait alors jamais vraiment existé. Dans ce cas, seul le
recours à l’iconographie, en multipliant les exemples, peut nous fournir des éléments
supplémentaires (cf. p. 149).
143
ii) La tenue « italienne » classique ?
Si l’on fait abstraction de ce problème de placement « extrême », il n’en reste pas
moins que la majorité des sources du XVIIIe siècle, et particulièrement de la seconde moitié,
documentent bien (dans toute l’Europe) une tenue que l’on pourrait qualifier d’« italienne », à
savoir une tenue quasiment identique à celle utilisée actuellement à la différence que la main
n’est pas placée sur la hausse mais plus ou moins avancée sur la baguette. Or, il semblerait
que, même si ces différences sont subtiles, l’on puisse suivre la mise en place progressive de
la main de plus en plus vers la hausse, du moins à travers quelques sources.
Bien évidemment, certains textes ne nous donnent absolument pas les détails
nécessaires, et nous permettent juste d’attester de la présence d’une tenue de type italienne.
Le plus évident est le cas des mémoires de Roger North à propos de Matteis28 : on y apprend
que celui-ci a été le premier à importer en Angleterre la façon de tenir l’archet en posant le
pouce sous la baguette et non sur le crin, autrement dit le premier à utiliser une tenue italienne
et non française, cette dernière semblant ainsi la seule utilisée en Angleterre avant la fin du
XVIIe siècle. La tenue de violon très basse de Matteis devait l’obliger à avancer relativement
sa main sur la baguette, puisque, bien que nous ne connaissions pas la longueur de celle-ci,
North nous signale que son archet était « très long », soit probablement un modèle de sonate
italien (type 7 de notre typologie, quand les anglais devaient plutôt posséder des types 6, cf.
p. 95) ; nous ne pouvons cependant que supposer que sa main était réellement très avancée.
Toujours en Angleterre, Crome vers 1735, et Geminiani en 1751, nous disent
simplement qu’il faut tenir l’archet « près de la hausse » ; là encore, il est difficile d’en
déduire une distance chiffrée. De fait, si jusqu’à quelques décennies auparavant les anglais
(cible privilégiée, voire unique, du traité de Crome) ne connaissaient que la tenue française, il
aurait plutôt fallu leur dire de tenir l’archet loin de la hausse pour obtenir une posture
italienne standard. Le fait d’indiquer « près de la hausse » signifie donc peut-être que la
distance entre les deux est assez courte.
28 NORTH, Roger, op. cit.
144
Par contre, quelques années plus tard, deux traités nous donnent une information
chiffrée et identique : il s’agit de l’Apollo’s Cabinet de 1756, et de l’article de l’Encyclopédie
de Diderot et d’Alembert en 1765. Ces deux sources nous indiquent que la main doit être
placée à environ deux pouces de la hausse (soit un peu plus de cinq centimètres29). Cette
indication reste peu précise, ne serait-ce que parce que l’on ne sait pas où est mesurée la
main, alors que l’écartement des doigts sur la baguette représente quasiment trois pouces.
C’est toutefois, parmi les mentions chiffrées, la plus importante que l’on puisse trouver, et
relativement ancienne par rapport aux autres : il semble donc que, même si la différence est
minime, la tenue italienne dans les années 1750 et 1760, au moins en France et en Angleterre,
était donc plus avancée qu’elle ne sera ensuite.
iii) L’évolution tardive vers une tenue moderne
De fait, l’autre source comportant des données chiffrées sur la position de la main, à
savoir le traité de Tarade en 1774, indique lui qu’il faut placer la main non plus à deux mais à
un pouce de la hausse, une différence d’à peine trois centimètres mais qui marque tout de
même une évolution en l’espace d’une décennie. D’ailleurs, plusieurs autres traités viennent
plus ou moins confirmer cette information, même s’ils ne présentent pas de données
chiffrées : en effet, les traités de l’Abbé le Fils en 1761, Mozart en 1770 et Corrette en 1782,
indiquent tous que l’auriculaire doit être posé vis-à-vis de la hausse, semblant sous-entendre
par là que les autres doigts ne le sont pas. Or, l’expérimentation montre qu’il est difficile de
faire arriver l’auriculaire sur la hausse en adoptant une tenue avancée comme celle décrite
pour les années 1750 et 1760 : cette tenue doit donc plus ou moins correspondre à celle
décrite par Tarade. On constate d’ailleurs que, si le traité de l’Abbé le Fils est encore
relativement ancien, les deux autres datent des décennies 1770 et 1780, ce qui confirme donc
une évolution chronologique. D’ailleurs, comme nous l’avons déjà fait remarquer pour un
autre élément, Corrette a totalement révisé ses propos entre ses deux traités, alors que les
indications qu’il donne en haut de page du second traité sont présentées graphiquement
comme étant simplement copiées sur le premier : il a donc bien fait attention à rectifier la
tenue extrêmement (voire abusivement) engagée sur la baguette indiquée en 1738 par quelque
chose de beaucoup plus rapproché et même en partie sur la hausse.
29 Le pouce peut avoir une longueur exacte variable selon les lieux et les époques, mais il est toujours compris entre 2,5 et 3 cm.
145
Enfin, quelques traités nous font voir une tenue qui pourrait presque être une
technique actuelle : il s’agirait de la même que la précédente, mais totalement au niveau de la
hausse. Le premier est celui de Leopold Mozart daté de 1756, où il est indiqué que l’archet
doit être tenu « dans sa partie la plus basse » ; toutefois, il semblerait étrange que Mozart
indique au milieu de la décennie 1750, donc très précocement, une tenue assez en avance sur
son temps, et revienne ensuite à une position plus « ancienne » quinze ans après. Il est donc
probable que la « partie la plus basse » ne soit qu’une simplification un peu excessive, et que
la main ne doive en fait pas être engagée sur la hausse, ou du moins pas totalement. Le même
type de remarque peut être fait concernant l’indication de Kürzinger en 1763, à savoir tenir
l’archet « autant que possible vers le bas ». En effet, il indique cette position en opposition à
« ten[ir] au milieu », une possibilité qui est manifestement improbable et qui ne relève que
d’une hyperbole pour qualifier une tenue très engagée (qui encore une fois devait donc
parfois se rencontrer). Dans ce sens, il est aussi très probable que « le plus bas possible » soit
également une hyperbole, qui indique simplement de tenir l’archet assez bas. La date du traité
ne plaide d’ailleurs pas pour une tenue actuelle, puisqu’il serait tout de même là encore très
en avance sur son temps : le traité de l’Abbé le Fils, déjà en avance pour prôner une tenue
simplement rapprochée de la hausse, n’était alors paru que depuis deux années.
Un dernier cas pourrait par contre plus correspondre à un premier exemple d’une
technique réellement « actuelle », comme pour la tenue du violon d’ailleurs : il s’agit du traité
de Löhlein, paru en 1774. Celui-ci reprend dans l’absolu l’expression de Kürzinger, à savoir
qu’il faut le tenir bas et non « vers le milieu » : on pourrait donc penser que ses indications
sont également susceptibles d’être excessives. Pourtant, il est nettement plus précis que son
prédécesseur puisqu’il recommande de tenir « avec le pouce et les deux premiers doigts, là où
la hausse s’arrête », autrement dit le pouce devrait pour ainsi dire être collé à la hausse. Or, il
s’agit précisément là de la tenue actuelle : le pouce est engagé dans le creux de la hausse,
entre la baguette et le départ de la mèche. Ainsi, même si le côté hyperbolique d’une partie de
sa formulation laisse planer un doute sur la validité de l’ensemble, peut-être Löhlein est-il
bien le premier, dans l’Allemagne des années 1770, à décrire une tenue moderne à la fois
pour le violon et pour l’archet (et non l’Abbé le Fils qui ne fait ni l’un ni l’autre, ou du moins
pas clairement, contrairement à ce qui peut être souvent lu dans la bibliographie).
146
C) Réalisme technique des représentations iconographiques
1) Tenues à gauche du corps
L’iconographie nous a permis de distinguer une dizaine de tenues différentes pour le
violon (sans prendre en compte les variantes), mais seule la moitié la plus courante est
habituellement présentée dans l’historiographie. Face aux attestations assez limitées des
autres, et à leur étrangeté (par rapport à la tenue actuelle, mais parfois même en tant que
telles), il est possible de s’interroger s’il est bien raisonnable de les considérer comme
potentiellement réalistes, ou si elles ne pourraient pas de fait être le fruit de l’imagination des
artistes puisque paraissant techniquement irréalisables. Il semblerait en fait qu’elles soient
toutes viables, d’autant plus qu’elles sont souvent documentées par l’ethnographie ; ceci ne
permet pas forcément de prouver qu’elles ont effectivement été utilisées à l’époque baroque,
mais du moins montre que ce serait éventuellement possible et que ces tenues peuvent bien
être considérées comme telles. Nous donnons donc ici les éléments en ce sens, principalement
issus de l’iconographie en elle-même mais aussi beaucoup de l’ethnographie et de
l’expérimentation.
a) Les tenues habituelles
Les tenues hautes, ainsi que les tenues d’épaule et de poitrine, sont largement connues
et admises comme des tenues historiques, même si les instrumentistes actuels les pratiquent
rarement. Elles sont parfois pratiquées dans des musiques traditionnelles européennes, ce qui
les rend assez visibles. Même si la tenue haute, à la manière du violon actuel, a tendance à
remplacer la tenue basse, elle est par exemple encore assez courante chez les joueurs de
hardingfele, un violon populaire norvégien (ou plutôt une vièle), presque identique au violon
baroque avec quatre cordes de sympathie supplémentaires, qui tiennent leur instrument
souvent à l’épaule voire plus bas30. Il faut noter tout de même que, malgré que leur existence
30 On pourra par exemple se référer au jeu de Kjellbjørn Karsrud, qui se produit entre autres au Valdres Folkemuseum, en Norvège.
147
ne soit pas mise en cause, leur réalisation est par contre souvent plus problématique, bien sûr
pour les musiciens non spécialisés en musique baroque (qui ne peuvent en général pas
vraiment jouer sans poser le menton sur l’instrument, donc ne peuvent pas réaliser même la
tenue baroque « standard » sans un minimum d’entraînement spécifique), et même pour les
musiciens baroques.
En effet, puisque la tenue pratiquée habituellement, au cou, permet de poser le menton
lors des démanchés arrière, beaucoup de musiciens ne s’entraînent pas vraiment au
« démanché rampant » décrite par Labadens et redécouverte par Sol Babitz (cf. p. 131) ; ils ne
peuvent donc pas démancher correctement en tenue basse, ce qui explique qu’ils considèrent
celle-ci comme réservée à des musiques simples, sans démanché ou presque31. Or, comme
nous l’avons déjà indiqué (cf. p. 115), de nombreux virtuoses du XVIIe siècle, et en particulier
Biber, jouaient dans ces positions basses et nous ont laissé des partitions demandant des
démanchés très importants : la solution est donc tout simplement une bonne habitude du
« démanché rampant », qui n’a rien de commun avec la méthode « académique » actuelle,
mais répond correctement au problème technique du démanché arrière. Quant au maintien et
à la stabilité du violon sans poser le menton, la solution est sensiblement la même que la
tenue soit au cou ou sur la clavicule, l’épaule ou la poitrine : le manche particulièrement gros
de l’époque baroque permet de l’agripper fermement et d’appuyer le violon contre le corps
avec assez peu d’effort, ce qui suffit en principe à garantir assez de stabilité pour pouvoir
jouer.
b) La tenue de ceinture
Le cas de la tenue de ceinture a déjà été traité dans l’étude précédant celle-ci, à propos
des techniques utilisées par Nicola Matteis. D’après les sources propres à ce dernier, celui-ci
aurait tenu son violon « presque contre sa ceinture » et « contre ses côtes courtes ». D’après
les traités de médecine du XVIIe siècle, il s’agit du terme anglais pour les « côtes flottantes », à
savoir les trois côtes les plus basses de la cage thoracique, dites « courtes » car non reliées au
sternum (il faut donc en déduire que la « ceinture » est une exagération, la tenue n’est tout de
31 BEYER, Amandine, Matteis. False consonances of melancholy, Paris, Zig-zag Territoires, 2009, 15 p.
148
même pas basse à ce point). Associé à d’autres éléments, relatifs eux à l’écart important entre
la tenue de Matteis et celle habituellement en usage en Angleterre à la même époque, nous
avons pu établir que ce violoniste tenait effectivement très probablement son violon au niveau
de ces côtes, soit au niveau du ventre ou un peu au-dessus de la ceinture32. L’existence de
cette tenue semble donc plus que probable d’après cette source, mais il serait bon d’une part
d’en trouver d’autres attestations, et d’autre part de vérifier sa faisabilité, qui ne semble pas
évidente de prime abord tellement le violon est placé loin des points de contact où il est
habituellement posé. Il faut d’autre part remarquer que les œuvres les plus difficiles de
Matteis (celles qu’il a probablement composées pour lui, et non celles qu’il a publiées à
destination des amateurs anglais, pour lesquelles il est connu et qui servent souvent de seule
référence le concernant) sont tout aussi ardues que celles de Biber et demandent elles aussi
des démanchés importants : sa tenue ne doit donc pas être contraignante sur le plan technique,
ou du moins des solutions doivent permettre d’effectuer des gestes techniques complexes.
Nous avons répertorié une dizaine de tenues dans l’iconographie qui pourraient
correspondre ; cependant, beaucoup sont à la limite entre une tenue clairement de poitrine et
une de ceinture : nous les écartons ici pour ne pas risquer de fonder notre réflexion sur des
tenues de poitrine un peu basses, mais sur d’indubitables tenues de ceinture. Celles-ci
semblent être au nombre de quatre seulement. Les deux plus anciennes montrent sans
conteste une tenue extrêmement basse, mais ne sont pas forcément exploitables dans notre
cas. En particulier, celle d’un retable allemand de Mathis Grünewald, entre 1512 et 1516,
correspond à un instrument très étrange et particulièrement imposant, et il n’est pas forcément
bon de se baser dessus. Dans Le bain des hommes de Dürer, en 1497, le joueur de rebec
l’utilise par contre de manière très claire et probablement réaliste, comme nous l’avons
montré par ailleurs (cf. p. 166) ; cependant, si cette gravure semble attester l’existence de
cette tenue pour un petit instrument à cordes, celui-ci n’est dans l’absolu pas un violon et il
peut être dangereux de chercher à généraliser l’observation.
Par contre, deux tableaux beaucoup plus récents sont nettement plus informatifs : il
s’agit de deux sources hollandaises, respectivement datées vers 1670 et 1680, dans un milieu
aisé. La tenue n’est pas forcément plus basse que dans les autres peintures de cette époque,
mais il s’agit ici de femmes. Or, de par leur morphologie, celles-ci ne peuvent pas utiliser une
32 LACHEZE, Cyril, op. cit., pp. 79-87.
149
réelle tenue de poitrine, ou alors très haute, et il est donc aisé de distinguer une éventuelle
tenue de ceinture : en effet, si une femme tient le violon sous sa poitrine, ceci correspond
globalement à l’emplacement des trois côtes flottantes, et donc à la définition même de la
tenue de ceinture d’après les sources textuelles. Puisque les deux personnages féminins
représentés dans ces sources hollandaises tiennent effectivement le violon sous leur poitrine,
nous en déduisons qu’il s’agit bien clairement de représentations de cette tenue, sensiblement
à l’époque où Matteis l’utilisait en Angleterre.
Enfin, il reste à comprendre comme une tenue aussi basse permet de réaliser les
difficultés techniques présentes dans les œuvres de Matteis, à savoir essentiellement monter
jusqu’en sixième position, en doubles ou triples cordes éventuellement33. Il s’avère en réalité
que cette tenue permet de le faire beaucoup plus aisément que celles d’épaule ou de poitrine.
En effet, le problème dans ce cas est de passer d’une position de main gauche dans laquelle le
contact entre le joueur et l’instrument pour enfoncer l’instrument contre le corps se fait par la
base des doigts, à une position dans laquelle c’est le poignet qui effectue cette pression, puis
inversement pour revenir dans la position initiale. Ainsi, une fois que le joueur a démanché de
troisième en première position par exemple, en allongeant la main, il doit ramener sa paume
verticalement pour retrouver un point de contact uniquement au niveau des doigts. Par contre,
dans une tenue très basse, le bras est étendu au maximum, ce qui ne permet en fait quasiment
pas de placer la main verticalement : celle-ci est ainsi presque toujours horizontale sous le
manche, y compris en première position (cette tenue s’observe aussi régulièrement à l’époque
médiévale ou même à la Renaissance pour des tenues hautes, mais elle est alors moins
performante qu’un placement de main vertical car elle amène à bloquer le coude contre le
corps). Or, puisque le bras est tendu en position de ceinture, le coude n’est pas collé contre le
corps et cette position étendue de la paume n’entrave pas la liberté de mouvement.
Finalement, pour passer de la troisième à la première position en tenue de ceinture, il suffit
donc d’étendre la main comme dans une position plus habituelle, puis cette fois d’y rester : le
mouvement le plus complexe est donc supprimé, et cette tenue se révèle finalement très
intéressante pour des morceaux virtuoses. Elle n’est certes pas aussi pratique qu’une tenue au
cou avec la possibilité de poser la tête, mais elle l’est en tout cas plus que les tenues de la
clavicule à la poitrine en passant par l’épaule.
33 MATTEIS, Nicola, [Deux Fantasias pour violon solo], manuscrit, s.d., 4 p.
150
2) Tenues plus spécifiques
Les trois autres tenues inhabituelles représentent en fait les cas les plus intéressants.
Elles sont pour ainsi dire inconnues des musiciens européens classiques (y compris
baroqueux), parce que très rarement représentées, jamais citées dans les sources textuelles, et
a priori absentes de la musique traditionnelle européenne (si l’on y jette un regard rapide du
moins, la réalité étant beaucoup plus nuancée comme nous allons le voir). Il convient de noter
immédiatement que, au contraire de la précédente par exemple, nous n’avons pas trouvé de
réel intérêt technique à ces tenues lors de l’expérimentation : peut-être facilitent-elles un
certain type de geste ou de mode de jeu, mais nous ne l’avons alors pas élucidé. Cela pourrait
éventuellement en partie expliquer pourquoi celles-ci sont aussi peu répandues, puisqu’elles
n’offrent pas d’avantage du point de vue technique sur les autres tenues, voire seraient plutôt
plus difficiles à utiliser pour un résultat moins probant. Les quelques personnes qui les
pratiqueraient pourraient ainsi être des autodidactes complets, ou bien simplement avoir
appris avec une personne qui elle-même pratiquerait cette tenue sans vraiment d’autre raison.
Toutefois, nous allons montrer ici que ces trois tenues (da spalla, en guitare et verticale) sont
d’une part documentées ethnographiquement, et d’autre part effectivement viables d’un point
de vue technique, ce qui accrédite l’idée que les quelques représentations qui en existent à
l’époque moderne ne sont pas simplement le fruit de l’imagination des peintres.
a) La tenue da spalla
Nous employons ce terme pour désigner en réalité un ensemble de tenues assez
diverses, mais qui ont toutes la particularité de faire reposer le violon aux alentours de
l’épaule droite, alors même que celui-ci est toujours dans la main gauche (il ne s’agit donc
pas d’une tenue de gaucher que l’on peut parfois observer, dans laquelle le violon serait à la
main droite). Il serait probablement possible de les différencier avec plus de sources, mais
nous n’en connaissons qu’une demi-douzaine dans notre corpus iconographique, ce qui est
trop peu pour définir des catégories. Toujours est-il que cette tenue semble a priori fort peu
agréable à jouer. D’après nos expérimentations, le violon n’est pas très stable, et il est
difficile de contrôler la place de l’archet sur les cordes (puisque la tête se retrouve derrière la
151
caisse du violon et non devant), ce qui nuit au son, mais il est tout de même possible de jouer
des morceaux simples dans cette position. Nous ne sommes pas parvenu à trouver de raison
qui expliquerait que certains instrumentistes aient choisi cette tenue. Cependant, celle-ci peut-
être observée ethnographiquement chez les musiciens tziganes, ou dans les campagnes
roumaines qui constituent l’un de leurs foyers d’origine (cf. Annexe 7-4, fig.22). De fait, cette
tenue est donc bien utilisable et adoptée par certains musiciens encore aujourd’hui ; nous
pouvons donc supposer que les quelques représentations qui la montrent à l’époque moderne
peuvent alors refléter son existence.
b) La tenue en guitare
La tenue en guitare est une position dans laquelle le violon est tenu sous le coude
droit, plus ou moins dans la position d’une guitare. Nous l’avons rencontré environ une
quinzaine de fois dans notre corpus, sous des formes assez diverses. Cependant, si nous ne
souhaitons prendre en compte que les représentations assez claires et ne présentant pas de
risque d’erreur, le corpus se réduit tout de même assez drastiquement. De très nombreuses
occurrences, notamment dans l’Allemagne des années 1510 et 1520, correspondent à des
angelots représentés en détails très petits, avec une tenue pas vraiment sous le coude et qui ne
semble pas pouvoir être stable : nous les avons d’ailleurs écarté de l’analyse des positions.
Quelques représentations sont un peu plus nettes, en Italie, Hollande et Angleterre au XVIe
siècle, mais il ne s’agit jamais de violon (et, par exemple, le violoniste hollandais n’est rien
d’autre qu’un squelette). Il nous reste finalement cinq tableaux assez précis et où l’instrument
est un violon, tous au XVIIe siècle. En Hollande, deux d’entre eux, en 1658 et 1665, montrent
en fait l’instrumentiste en train de s’accorder (avec la main sur les chevilles du violon), et il
n’est donc en fait pas réellement en position de jeu. Par contre, un troisième tableau
hollandais peint par Terborch, également en 1665, montre un violoniste attablé, qui semble
bien être en train de jouer dans cette position. Les deux autres attestations sont les deux
tableaux des frères Le Nain peints en 1630 et 1642.
152
La première œuvre est somme toute difficile d’interprétation, puisque le violoniste est
l’unique sujet du tableau mais représenté quasiment de profil (pour le corps du moins). Son
bras gauche repose sur une table, et l’on pourrait penser qu’il est simplement au repos avec le
violon sous le bras. Toutefois, certains détails montrent très clairement qu’il est bien en train
de jouer : les doigts de sa main gauche son crispés en l’air, alors qu’on les replie
habituellement sur les cordes lorsqu’on ne joue pas ; de plus, son archet semble être plaqué
contre les cordes, sa main droite le tient comme pour jouer, et surtout il le place sur la corde
près du talon, ce qui l’oblige à plier le coude droit et constitue un effort totalement inutile s’il
était au repos. En effet, dans ce cas il aurait probablement choisi de laisser choir son archet
plutôt que de le maintenir dressé ainsi, position qui est pénible au repos (alors qu’il ne faut
que quelques dixièmes de seconde pour passer d’un archet totalement au repos à une position
prête à jouer : il suffit de bloquer un doigt entre la baguette et la mèche, par exemple l’index,
et de provoquer une impulsion sur l’archet avec un autre doigt, en se servant du premier
comme pivot, l’archet tournant alors pour venir naturellement se placer en position). De plus,
même si pour une raison quelconque il avait voulu garder son archet dressé sans jouer, il
aurait probablement laissé reposer son bras droit sur sa jambe, et l’archet aurait alors été à la
pointe. Tous ces éléments nous montrent donc, presque sans doute possible, que ce
personnage est bien en train de jouer avec le violon sous le bras ; malheureusement, l’angle
ne nous permet pas de voir de quelle manière il le maintient.
Quant aux deux peintures des frères Le Nain, elles appellent globalement les mêmes
réflexions. La plus connue, et la seule qui ait été évoquée (à une seule occasion) dans
l’historiographie pour suggérer que cette tenue pourrait exister, est Le repas des paysans de
1642. On y voit un garçon, à l’arrière plan, semblant lui aussi jouer du violon en position de
guitare. Il est parfois dit dans l’historiographie que celui-ci se prépare à jouer (donc qu’il
serait en train de mettre le violon en place), mais sa tenue est en réalité exactement la même
que dans la peinture de Terborch : la main gauche tendue en position de jeu (seule l’extrémité
de ses doigts touche les cordes, ce que l’on ne fait quasiment jamais au repos), et de manière
semblable, son archet est dressé, contre les cordes et au talon. Ceci implique qu’il n’est sans
doute pas en train de se préparer à jouer : sa main gauche ne serait pas en place pour jouer si
le violon ne l’était pas, et son archet ne serait pas contre les cordes et certainement pas dans
cette position. Là encore, on peut donc considérer que ce garçon est bien en train de jouer
153
dans une tenue à la guitare, mais l’obscurité de cette partie du tableau ne permet pas vraiment
de distinguer les détails de sa tenue : tout au plus peut-on deviner qu’il tient son violon assez
haut, plus à hauteur du bras que de l’avant-bras, voire peut-être calé sous l’aisselle.
Le second tableau des frères Le Nain, les Trois jeunes paysans, n’est par contre jamais
cité, probablement parce qu’il est beaucoup moins connu, et peut-être également parce que
l’instrument n’est pas un violon mais une pochette. Cependant, alors que nous aurions
logiquement eu tendance à l’exclure de notre raisonnement étant donnée cette caractéristique,
nous le mettons tout de même à profit ici car c’est le seul tableau qui permet de distinguer
clairement cette tenue. Il est là encore indubitable que le personnage est en train de jouer :
outre qu’il est au milieu d’un groupe, les deux autres personnages chantant et jouant de la
guitare, on retrouve la même position de main gauche avec les doigts repliés de façon à ce
que seule l’extrémité touche la corde, et l’archet toujours dans cette position caractéristique
déjà soulignée sur les deux autres tableaux. Or, cette fois, on peut observer assez précisément
la tenue générale : l’extrémité de la pochette est calée un peu au-dessus du creux du bras, soit
contre le bras soit légèrement dessous. Celle-ci est placée à peu près horizontalement et
décollée du corps. Quant à l’archet, celui-ci est orienté vers l’épaule gauche du musicien. Ce
dernier élément diffère quelque peu du tableau précédent : si la position du violon semble
bien être la même, du moins d’après ce que l’on peut en voir, l’archet était orienté vers
l’épaule droite. Ainsi, soit il existe deux possibilités pour le placement de l’archet (une pour
le violon et l’autre pour la pochette peut-être ?), soit l’un des deux tableaux est approximatif
et il convient de déterminer lequel d’une autre manière.
En premier lieu, nous pouvons essayer de nous tourner vers l’ethnographie pour tenter
d’identifier des parallèles afin d’une part de vérifier que cette tenue est bien réaliste, et
d’autre part d’affiner notre compréhension de cette technique (notamment la manière de
stabiliser le violon et l’orientation de l’archet). Il est en réalité très rare des croiser cette
technique, et nous n’avons pas trouvé d’étude qui en fasse état. Par contre, nous l’avons
identifiée sur deux autres sources iconographiques. Il s’agit de deux photographies de
mariages percherons du début du XXe siècle, l’une en 1910 à Le Pin-la-Garenne (actuellement
dans le département de l’Orne), et l’autre non sourcée ni datée mais également percheronne et
datant sensiblement de la même époque (fig.24 et 26). Dans les deux cas, le « violoneux » a
154
été photographié avec la noce, et tient son violon en guitare. Les signes qui nous permettent
de le dire sont exactement les mêmes que dans les tableaux, tant au niveau de la tenue et de la
position de l’archet que de l’aspect de la main gauche, associés au fait que le violoneux fait
souvent semblant de jouer sur les photographies, en tenant habituellement son violon
normalement. Les deux musiciens (qui ne semblent pas être la même personne) adoptent une
tenue quasiment identique pour stabiliser le violon : celui-ci est appuyé contre le creux du
coude, plutôt au niveau du bras que de l’avant-bras. Par contre, ces deux documents ne nous
apportent pas de réponse quant à la tenue de l’archet, puisque chaque violoniste oriente son
archet vers une épaule différente, comme sur les tableaux ! Il faut donc supposer que les deux
techniques sont possibles, bien que celle où l’archet est orienté vers l’épaule droite (comme
dans Le repas des paysans) soit peut-être un peu plus probable, puisque nous voyons dans la
photographie non légendée que l’archet est alors bien perpendiculaire aux cordes, permettant
alors logiquement un son plus propre et plus puissant qu’avec l’autre technique.
Cette tenue est particulièrement difficile à retrouver par l’expérimentation, pour
plusieurs raisons. En premier lieu, il est difficile de stabiliser le violon comme nous pouvons
le voir sur les différentes sources iconographiques. Nous n’avons trouvé que deux solutions
qui permettent un jeu relativement aisé, mais aucune ne correspond exactement à ce qui est
représenté dans les sources d’époque ou dans l’ethnographie. La plus simple consiste à placer
le violon non contre le bras mais assez avancé, en le soutenant par une bandoulière passée
autour du cou ; cette position peut éventuellement être suggérée par les multiples tableaux
montrant le violon tenu contre la partie droite du corps mais non contre le bras, et par la
mention par Philibert Jambe de Fer de musiciens soutenant leur instrument avec « une
écharpe » ou « un cordon ». Or, il faut bien noter que tous ces tableaux sont douteux du point
de vue du réalisme, et qu’aucun ne représente une bandoulière. De plus, nous ne savons pas si
Jambe de Fer parle véritablement du violon ou d’un instrument plus gros de la même famille,
comme par exemple le violoncello da braccia qui est lui effectivement soutenu par une
bandoulière passée autour du cou jusqu’au XVIIIe siècle. Ainsi, nous n’avons pour ainsi dire
aucune preuve réelle de l’existence d’une telle tenue, et nous préférons douter de son
authenticité ; il faut pourtant remarquer qu’elle est assez agréable, puisque le bras droit n’a
pas à soutenir le violon et peut donc faire jouer l’archet très librement, en l’orientant vers
l’épaule gauche.
155
L’autre possibilité est nettement plus proche des représentations iconographiques,
mais ne correspond pas totalement non plus : il s’agit de caler le violon sous l’aisselle droite,
ce qui implique que le bras passe par-dessus la caisse, et laisse ainsi l’avant bras dégagé.
Cette tenue est très stable puisque le violon est plaqué contre le corps et maintenu sans
difficulté, et permet un jeu assez aisé grâce au dégagement du bras (l’archet est orienté vers
l’épaule droite). Cependant, aucune de nos sources ne montre le bras passant devant la caisse
du violon (ou du moins pas aussi franchement que lors de l’expérimentation), et il ne s’agit
donc probablement pas là non plus de la tenue exacte pratiquée à l’époque baroque.
En réalité, nous pouvons bien retrouver la même tenue que sur l’iconographie : il est
possible de jouer en plaquant le violon contre le bras et non sous lui, mais le résultat semble
nettement moins intéressant qu’avec les deux autres tenues. En effet, le violon repose tout de
même en partie sur l’avant-bras, et si l’on ne veut pas le faire bouger à chaque coup d’archet,
il faut le soutenir avec la main gauche, ce qui rend le jeu plus difficile. De plus, même ainsi,
la mobilité de l’avant-bras droit s’en trouve réduite, et les coups d’archets sont
automatiquement moins amples et moins puissants. Malgré ces défauts, il semble pourtant
bien que cette tenue soit celle qui corresponde le mieux à l’iconographie. La raison de sa
prévalence sur les deux autres reste inexpliquée à partir de nos expérimentations : peut-être
faut-il une certaine pratique dans la durée pour y voir apparaître des avantages, mais il faut
également prendre en compte deux autres facteurs. D’une part, nous ne disposions pour cette
expérimentation que d’un archet très long, de type 10, alors que les instrumentistes
représentés manipulent plutôt des archets de type 6, moins longs d’au moins un quart : il est
donc difficile de donner une idée exacte du jeu d’archet, puisqu’il faut alors tenir celui-ci
presque au milieu pour retrouver la même longueur utile et éviter de percuter l’épaule en
jouant. D’autre part, l’appréciation des résultats peut principalement être faite par la qualité
du son obtenu, mais il faut tout de même noter que les représentations que nous possédons de
cette tenue proviennent toutes de milieux pauvres. Or, comme les enquêtes ethnographiques
le suggèrent parfois, par exemple dans le Perche34, l’auditoire pouvait se satisfaire d’un rendu
sonore plutôt médiocre, que nous pourrions considérer comme un échec avec notre écoute du
XXIe siècle, la pureté et le beauté du son n’étant pas un objectif recherché comme chez les
34 LEROUX, Jean-François, op. cit., p. 21 ; 155.
156
musiciens classiques actuels (la même réflexion est sans doute valable pour la justesse : les
instruments à vents baroques sonnent pour certains toujours faux de par leur construction,
supposant donc que l’oreille des auditeurs de l’époque devait être plus tolérante que la nôtre).
Ainsi, il est possible que le son produit avec cette troisième tenue, que nous considérons
comme assez limité, ait suffit à l’époque. Ceci n’explique pas pourquoi elle aurait été préférée
à l’une des deux autres, qui semblent tout de même plus efficaces, mais permet du moins de
penser que cette « reconstitution » de la tenue en guitare est un minimum viable.
c) La tenue verticale
La tenue verticale, la dernière que nous ayons répertoriée, n’est représentée que quatre
fois dans notre corpus iconographique, mais comme précédemment, seuls deux tableaux sont
réellement utilisables. Les deux plus anciens, en Espagne (1390) et en Allemagne (1509),
représentent des anges avec respectivement un rebec et un instrument qui pourrait être une
lira da braccio, dans des tenues étranges. L’ange espagnol est debout et son instrument ne
semble reposer sur rien, et l’angelot allemand a une tenue tout aussi instable, qui pourrait
presque être en guitare, avec un archet presque parallèle aux cordes. Nous pouvons donc
considérer que ces deux représentations ne sont pas valables, d’autant qu’elles ne concernent
directement ni le violon ni même sa période. Il ne reste donc finalement que deux tableaux :
l’un d’eux, signé Guido Reni en 1606, représente Sainte Cécile, et l’autre est une scène de
société hollandaise peinte par Pieter de Hooch en 1677. Dans les deux cas, le violon est posé
sur une table, légèrement incliné vers la gauche, et l’archet est soit perpendiculaire aux cordes
dans le premier (donc incliné aussi), soit horizontal dans le second, avec une tenue d’archet
semblable à celle utilisée pour la viole de gambe et non pour le violoncelle ou le violon (la
main est sous l’archet et non au-dessus).
Cette tenue, peu représentée et bien sûr non citée dans les traités, pourrait également
être considérée comme fantaisiste a priori. Pourtant, il est assez notoire que de nombreuses
cultures musicales emploient de petits instruments à cordes verticalement, et en particulier la
musique arabe d’Afrique du Nord. Les instruments traditionnels peuvent être de formes très
157
variés, même s’ils sont souvent appelés collectivement « rebec » dans l’historiographie
occidentale ; cependant, avec la diffusion de violons à bas coût au XIXe siècle (souvent
produits presque en série à Mirecourt, dans les Vosges, et diffusés grâce au chemin de fer35),
et sans doute avec la colonisation française du Maghreb, ces instruments traditionnels ont eu
tendance à être remplacés par des violons européens, tout en conservant les techniques de jeu
ancestrales et parfois même le nom « rebec ».
Nous pourrions donc considérer que la tenue verticale représentée dans les tableaux du
XVIIe siècle est la même que celle employée encore aujourd’hui par certains musiciens arabes.
Il faut pourtant remarquer un détail crucial : ceux-ci jouent en posant le violon non sur une
table mais sur leur genou, et en tenant l’instrument réellement à la verticale et non incliné. En
faisant cela, le violon repose tout entier sur le bouton, soit un point unique dans l’axe de
l’instrument, autour duquel celui-ci peut pivoter. L’instrument est donc en équilibre, ce qui
permet de le faire pivoter avec la main gauche lorsque l’on souhaite changer de corde, tout en
laissant l’archet toujours plus ou moins dans la même position. Ceci appelle deux remarques :
d’une part, la main gauche est moins habile pour jouer les notes car elle doit aussi s’occuper
d’orienter et de maintenir le violon, et d’autre part, même ainsi, l’instrument reste
relativement peu stable et il arrive fréquemment que l’archet « accroche » la corde voisine de
celle qui est jouée si l’archet va trop vite. Ce problème est en fait contourné dans la musique
arabe car la mélodie est prioritairement jouée sur les cordes extrêmes : il est ainsi possible
d’exagérer la rotation du violon pour éloigner l’archet des cordes les plus à l’intérieur et ne
pas risquer de les toucher.
Malheureusement, ceci n’est pas valable pour la musique baroque occidentale. En
effet, si l’on peut éventuellement dire que le fait pour la main gauche de tenir le violon en
sacrifiant quelque peu la virtuosité n’est pas forcément trop grave, les morceaux n’étant pas
encore très exigeants, la mélodie recourt par contre massivement aux cordes centrales, ce qui
ne permettrait pas d’avoir un jeu propre. La solution à cette ambiguïté vient cette fois des
tableaux eux-mêmes : en effet, nous avons indiqué que dans les deux cas le violon est très
nettement incliné vers la gauche. Il ne repose donc pas sur le bouton mais sur l’éclisse, ou
plus exactement les bords de la table et du fond, ce qui lui procure un double point d’appui
35 LEROUX, Jean-François, idem, p.132-134.
158
qui le stabilise. L’expérimentation montre alors que, grâce à cette stabilité, il est possible de
jouer un peu plus rapidement à la main gauche, mais surtout d’améliorer notoirement la
précision de l’archet sur les cordes, d’autant que c’est maintenant lui qui pivote autour du
violon et non le violon qui pivote sous lui. Dans ce cas, la tenue baroque n’est donc
certainement pas celle que l’on retrouve dans l’ethnographie, mais une technique totalement
différente, quoique ressemblante en apparence. Le fait que le peintre, dans les deux cas, ait
représenté l’inclinaison du violon, qui constitue la clé de la fonctionnalité de cette tenue dans
la musique occidentale, montre d’ailleurs que celui-ci a dû effectivement observer cette
technique à l’œuvre et donc que celle-ci a existé. En effet, dans le cas contraire, il aurait plus
probablement représenté l’instrument totalement vertical, ce qui est plus facile à dessiner,
comme sur le tableau espagnol de 1390 (qui ne peut lui de toute façon pas être réaliste car le
rebec ne repose sur rien).
D ) Observations d’après l’iconographie
1) Le violon, des dynamiques complexes
a) Le Moyen-Age, une distinction régionale
i) L’Italie, déjà une tenue haute
Les tenues au Moyen-Age ne sont documentées dans notre corpus qu’à travers
l’iconographie religieuse. Celle-ci est relativement stable dans le temps, mais dépend par
contre de la zone géographique considérée : les régions italienne et germanique semblent
ainsi suivre des logiques assez radicalement différentes. Ainsi, en Italie, entre le XIVe siècle et
le premier quart du XVIe siècle, la tenue haute semble clairement être privilégiée, avec
toutefois quelques fluctuations à partir de la seconde moitié du XVe siècle.
159
Au XIVe siècle en effet, la situation est très homogène, sur plus d’une vingtaine
d’occurrences, dont les deux tiers montrent une tenue haute, où l’instrument n’est cependant
pas enfoncé dans le cou, ce qui correspondrait à une tenue à la clavicule. S’il ne s’agit pas
simplement d’une convention de représentation mais que ceci recouvre, au moins en partie,
une réalité historique, il est possible de remarquer que les caisses des vièles médiévales (ce
dont il s’agit ici, aucun instrument n’étant un rebec) sont généralement représentées très
épaisses, bien plus qu’un violon. Or, l’expérimentation montre qu’il n’est pas forcément aisé
de caler réellement un tel instrument entre l’épaule et le menton si l’on ne souhaite pas poser
celui-ci, car la caisse est souvent au moins aussi épaisse que la longueur du cou (du moins
dans les reconstitutions que l’on fait actuellement de ces instruments). Ainsi, si les musiciens
italiens du XIVe siècle souhaitaient adopter une tenue haute sans pour autant poser le menton
sur la vièle (et conserver ainsi plus de liberté de mouvement par exemple, voire pourquoi pas
la possibilité de chanter), il semblerait logique qu’ils aient opté pour une tenue à la clavicule.
Dans quelques rares cas, on peut observer que la vièle semble réellement enfoncée
dans le cou (bien qu’il soit difficile de l’affirmer avec certitude), sans pour autant que le
menton soit posé dessus, notamment chez Bernardo Daddi, mais dans un retable où le dessin
du vièliste semble tout de même assez naïf et pas forcément réaliste. Il faut par contre
mentionner le cas de la Madone d’Ambrogio Lorenzetti, vers 1335, où le dessin beaucoup
plus net laisserait là assez bien voir un instrument enfoncé, voire peut-être le menton posé
dessus. Il s’agit cependant d’un cas unique, et si cette tenue a pu exister, elle n’était
manifestement pas la plus répandue (du moins si ces représentations sont relativement
conformes à la réalité).
Enfin, un certain nombre de sources, répandues assez uniformément dans le temps,
montrent par contre une tenue plus basse, plutôt au niveau de l’épaule. On citera notamment
les fresques de Giotto di Bondone au début du siècle, le Triptyque de Bernardo Daddi entre
1338 et 1340, et peut-être une peinture de Stefano di Sant’Agnese en 1381, bien que cette
dernière attestation soit nettement moins évidente. Là encore bien sûr, nous ne pouvons être
certains que ces représentations soient réalistes, par exemple dans le cas de celles de di
Bondone : bien qu’une autre de ses œuvres, vers 1334, présente des tenues plus habituelles,
nous pourrions tout à fait imaginer que cet artiste avait simplement l’habitude de représenter
160
des musiciens tenant leur instrument bas. Toujours est-il qu’elles n’en restent pas moins aussi
rares que celles de tenue au cou dans l’iconographie de cette époque : si l’on se fie à notre
corpus, la tenue standard des vièles du XIVe siècle en Italie devait donc être à la clavicule.
La situation devient plus complexe à partir du XVe et jusqu’au début du XVIe siècle,
avec parfois d’importantes fluctuations par rapport à cette tenue « standard ». La situation est
en réalité encore relativement stable dans le deuxième quart du XVe siècle (nous ne disposons
pas de sources pour le premier quart), étant donné que toutes les attestations nous montrent
une tenue haute, en général sans que le violon soit enfoncé, ce qui correspond toujours à une
tenue à la clavicule. Toutefois, là encore quelques figurations nous montrent des instruments
qui semblent plus engagés sous la tête, sans que le menton ne soit posé, ce qui correspondrait
tout de même à des tenues au cou : un Tabernacle-reliquaire décoré par Fra Angelico vers
1430, qui montre une tenue très horizontale de l’instrument assez rare à cette époque (la vièle
est souvent plus ou moins tombante), peut-être un tableau de Di Bartolo en 1433, ainsi qu’un
autre, à nouveau assez clair, de Zanobi Strozzi en 1448-1450. Compte-tenu de la lisibilité et
crédibilité limitées de ces tableaux, cette subtilité reste cependant assez peu importante et ne
concerne pas la majorité des représentations : on peut donc encore considérer sans trop de
problème que la tenue à la clavicule était toujours la plus répandue en Italie dans la première
moitié du XVe siècle.
Par contre, la seconde moitié du siècle, allongée jusqu’en 1510, montre une variété
considérable dans les tenues documentées, sur plus d’une quarantaine de représentations, ce
qui peut en faire un assez bon indicateur. Les tenues hautes ne représentent plus que la moitié
des occurrences à cette époque, avec une présence plus nettement marquée dans les cinq
premières et les vingt dernières années de la seconde moitié du XVe siècle. Dans cette
vingtaine de tenues hautes, la très grande majorité reste de même nature que précédemment, à
savoir une tenue à la clavicule ; et encore une fois, seules trois représentations font penser à
une tenue au cou, toujours sans poser le menton. Toutefois, l’une est simplement un dessin,
ou plutôt un croquis, assez peu détaillé, une deuxième montre l’ange vièliste vu de trois-
quarts dos, ce qui n’aide pas l’identification et peut déformer quelque peu la perspective, et
161
enfin la troisième montre un très gros instrument, qui s’il a réellement existé dans ces
proportions n’est certainement pas un instrument soprano (donc un équivalent du violon),
mais plutôt alto voire ténor, avec une longueur et un poids qui obligent quasiment
l’instrumentiste à l’avancer au maximum sur son épaule.
Parallèlement, l’apparition de nombreuses tenues basses constitue une nouveauté,
même s’il est difficile de dire si elles ont effectivement émergé à cette époque, si elles
existaient auparavant mais n’ont commencé à être représentées qu’au XVe siècle, ou si elles
n’ont été qu’inventées par les artistes qui auraient cherché plus de diversité dans leurs œuvres.
De toute façon, il faut noter que ces tenues basses sont beaucoup plus marquées que les
quelques-unes que nous avons peut-être repérées pour les périodes précédentes. La moitié
sont des tenues d’épaule, en général incontestables, ce qui constitue une différence de taille
par rapport aux trois attestations du second quart du XVe siècle où aucune représentation n’est
vraiment claire. Presque autant de tenues de poitrine peuvent être observées, celles-ci n’étant
tout de même pas très marquées, l’une des plus basses pouvant être observée dans les
différentes versions de l’Ascension de Perugino. Il est donc éventuellement possible de les
assimiler à des tenues d’épaule assez basses (ce qui est une conséquence gênante mais
difficilement évitable du fait que les tenues potentielles forment un continuum qu’il est donc
dangereux, mais indispensable, de segmenter subjectivement). Cependant, même en
considérant qu’il s’agirait de tenues d’épaule basses, leur présence montre bien que les tenues
basses en général doivent être considérées comme bien utilisées à cette époque. D’ailleurs, un
dernier tableau peint en 1493, le Couronnement de la Vierge de Crivelli, montre un ange
tenant un rebec sous la poitrine : il s’agit assez clairement d’une tenue de ceinture, du type de
celle de Matteis (même si aucune comparaison directe des deux n’est possible compte tenu du
fossé de temps). Certes, ce cas est tout à fait unique en Italie puisqu’il ne sera plus observé
avant un siècle, et l’on pourrait alors croire en une fantaisie de l’artiste ; pourtant, cette tenue
est relativement fréquente dans l’espace germanique à la même période, et nous ne pouvons
donc pas forcément exclure un rapprochement entre les deux, même si ce peintre était établi
dans les Marches, en Italie centrale.
162
ii) Quelques spécificités germaniques
De fait, le paysage technique en Allemagne est un peu plus complexe que celui de
l’Italie. L’évolution globale est plus ou moins la même, mais démontre beaucoup moins de
stabilité, et une position du violon globalement plus basse. Jusque vers la fin du XVe siècle, la
situation est encore relativement comparable à celle de l’Italie, tout en sachant que les sources
sont quasiment inexistantes pour le XIVe siècle. Jusque vers 1500, les trois quarts des tenues
observées sont hautes, et même encore plus si l’on ne tient pas compte du dernier quart de
siècle qui semble un peu moins uniforme. Il faut toutefois remarquer que seule la moitié de
ces tenues hautes sont clairement à la clavicule, et notamment les trois plus anciennes, certes
étalées dans le temps (vers 1240 ; 1375-1383 ; 1395-1410) montrent plutôt une tenue au cou,
avec le violon enfoncé. Il n’est pas possible d’en être absolument certain : la seule source
pour laquelle nous pourrions l’affirmer avec une faible possibilité d’erreur étant la première,
sur laquelle on pourrait même supposer que le menton est posé (à la différence nette des deux
autres), mais le style ancien du dessin invite à la prudence, d’autant que l’instrument
représenté ne ressemble pas vraiment à quoi que ce soit de connu. En 1473, un autre ange
musicien semble tenir son instrument sous son cou, mais ce personnage fait en réalité partie
de l’encadrement du tableau, qui a été refait au début du XXe siècle par le sculpteur Alfred
Klem ; il est éventuellement possible que celui-ci se soit inspiré de sculptures d’époque, mais
nous n’en avons absolument aucune certitude, et préférons donc écarter cette représentation.
Parallèlement, quatre représentations, soit tout de même un quart du corpus avant le
XVIe siècle, montrent des tenues basses, ce qui en fait une particularité par rapport à l’Italie.
Certes, pour deux d’entre elles les personnages sont placés totalement au fond de retables, ce
qui rend les détails et donc leur tenue exacte très difficiles à distinguer, mais il semble bien
qu’il s’agisse de tenues d’épaule, en particulier pour l’une d’entre elle vers 1435. Par contre,
en 1444 et vers 1497, deux personnages utilisent très clairement une tenue de ceinture. La
première représentation est encore placée en arrière-plan d’une scène plus large, ce qui ne
permet pas de saisir les détails ; toutefois l’orientation de l’instrument nettement vers le haut
(alors que toutes les représentations de cette époque montrent des instruments au mieux
horizontaux, et en général largement plongeants) ne laisse aucun doute sur la tenue
163
représentée. Quant à la seconde source, il s’agit d’une gravure d’Albrecht Dürer où le joueur
de rebec est très clairement visible, torse nu qui plus est, ce qui permet de s’assurer qu’il tient
bien son instrument vers le bas de sa poitrine (on pourrait considérer qu’il s’agit d’une tenue
de poitrine, mais là encore l’instrument est orienté vers le haut, ce qui fait plutôt pencher pour
une tenue de ceinture assez haute). De plus, la scène n’est pas à proprement parler profane,
mais pas non plus sacrée : il faudrait plutôt la voir comme moralisatrice. Il faut remarquer que
Dürer est très précis dans les détails concrets qui n’auraient peut-être pas lieu d’être sur une
peinture religieuse : les agrafes de liaison en fer entre les pierres, la chope à couvercle de l’un
des hommes, ou encore le mode d’assemblage de la charpente. Dans ce sens, nous pouvons
espérer que les autres détails soient tout aussi précis, et que cette tenue doit donc bien être
« authentique » et non imaginaire : nous retrouvons ici la tenue basse du rebec mentionnée
dans l’historiographie, à la différence que celle-ci n’est souvent pas présentée comme aussi
basse, mais simplement à l’épaule ou à la poitrine.
Pour correspondre avec l’analyse en Italie, nous pouvons ajouter au XVe siècle le
premier quart du XVIe siècle (plus une source en 1528, aucune autre n’étant ensuite observée
avant 1568). Cette période compte treize documents, dont pas un seul ne présente une tenue
haute : l’évolution observée en Italie à cette période se confirme donc, et en nettement plus
prononcée, puisque l’Italie est passée de la quasi-totalité à environ la moitié de tenues hautes,
alors que l’Allemagne a elle évolué de un peu plus de la moitié à aucune tenue haute. De plus,
en Allemagne, ces tenues basses sont extrêmement variées, couvrant la quasi-totalité de la
gamme recensée, ainsi que certaines autres « exceptionnelles ». On retrouve tout de même,
sans surprise, des tenues déjà rencontrées dans les deux tiers des cas. Quatre représentations
correspondent ainsi à des tenues d’épaule, dont une gravure de 1516-1519 qui, quoique
fantasmagorique, représente des personnages semblant bien contemporains, et qui est donc
peut-être particulièrement digne de confiance. De même, trois représentations correspondent
à une tenue de poitrine, cette fois clairement visible et différentiable de la tenue d’épaule, en
particulier dans un dessin d’Albrecht Dürer de la période 1500-1515. Nous pouvons
remarquer que, sur un dessin de Cranach l’Ancien de 1527 ou 1528, l’instrumentiste est une
femme : la vièle est alors tenue au-dessus de la poitrine et non en-dessous, comme ce que l’on
pourra voir plus tardivement, au XVIIe siècle, dans le cas d’une tenue de ceinture chez un
personnage féminin (cf. p. 150). Enfin, il existe une représentation à cette époque d’une tenue
164
de ceinture, sur le Retable d’Isenheim, mais comme nous l’avons déjà indiqué par ailleurs (cf.
p. 63) la scène semblant globalement assez peu réaliste, avec des instruments caricaturaux,
nous ne pouvons assurer du réalisme de la représentation technique.
Pour finir, il est intéressant de constater qu’un tiers des représentations renvoient à des
tenues que nous n’avons encore jamais rencontrées, et qui, à quelques exceptions près (cf.
p. 112) l’apparaissent jamais dans l’historiographie car non mentionnées dans les traités plus
tardifs. En particulier, quatre personnages tiennent leur instrument plus ou moins comme une
guitare, sous ou vers le bras droit. Deux angelots respectivement peint et dessiné en 1510,
l’un avec un rebec et l’autre avec une vièle, ne sont pas excessivement précis, et l’on pourrait
à la limite imaginer des tenues de ceinture ; cependant celles-ci serait extrêmement étranges,
avec des instruments totalement déportés sur la partie droite du corps. Il est vrai que l’on ne
comprend pas trop comment ceux-ci sont tenus : peut-être le premier le pose-t-il sur lui
puisqu’il est assis (ce qui pourrait aussi correspondre dans ce sens à une tenue verticale), et
l’autre recourt-il à des lanières que l’on pourrait deviner derrière l’instrument ? Toujours est-
il que sur le Retable de la famille Artelschofen, en 1514, le doute n’est pas permis, et on voit
très bien que l’angelot tient son instrument comme une guitare (on pourrait aussi rétorquer
que l’instrument semble présenter un rond central, et pourrait donc effectivement être une
sorte de guitare, ou une citole, à laquelle le peintre aurait pris la liberté d’adjoindre un archet,
sans se référer à une réalité concrète). Enfin, en 1521, une dessin de Dürer montre une fois de
plus un ange avec une petit vièle dans cette position, là encore assez clairement, bien que l’on
ne comprenne pas trop comme tient l’instrument. Ainsi, même si aucune de ces
représentations n’est totalement convaincante, leur grand nombre doit tout de même trahir
une réalité sous-jacente. Enfin, un angelot dessiné encore par Dürer, en 1509, tient son
instrument verticalement ou presque, ce qui constituerait encore une nouvelle technique
« non-orthodoxe », si tant est que la représentation soit réaliste, ce qui n’est ici pas du tout
évident.
165
iii) Le reste de l’Europe médiévale
Les autres régions d’Europe à cette époque sont beaucoup moins documentées, voire
pas du tout dans certains cas. La Suisse présente le cas le plus intéressant ; en effet, sur trois
personnages représentés dans des enluminures entre 1320 et 1340 environ, l’un d’eux utilise
une tenue de clavicule parfaitement habituelle, mais les deux autres adoptent la tenue da
spalla. Certes, le dessin semble très approximatif et l’on ne comprend pas très bien comment
les instruments peuvent tenir en place (ceux-ci semblent dépasser en arrière de la tête, comme
remarqué précédemment pour certaines formes de tenues hautes). Il est pourtant clair que ces
deux instrumentistes, tout en jouant normalement avec le bras gauche, font reposer leurs
vièles sur leur épaule droite, ce qui constitue une forme technique encore inconnue jusque-là.
La quatrième et dernière source iconographique pour cette région date, elle, de 1515, avec
une tenue à l’épaule, qui correspond donc tout à fait à ce qui peut se trouver dans le reste de
l’Europe à la même époque.
Le même type d’observation est d’autre part réalisable dans les régions non encore
citées : en particulier, quelques sources existent pour la Hollande à partir de la fin du XVe
siècle et jusque dans le premier quart du XVIe siècle, qui suivent également le même schéma
(un peu plus de la moitié de tenues basses entre 1483 et 1524, pour huit sources). Les tenues
hautes sont toutes à la clavicule, et, bien que l’une d’elle apparaisse en 1524, les deux autres
renvoient à la fin du XVe siècle. Au début du XVIe siècle, qui semble donc clairement
s’orienter sur une tenue basse, les tenues d’épaule et de poitrine apparaissent en nombre égal,
même si elles sont souvent difficilement distinguables avec certitude : la logique est donc
globalement la même dans les Flandres qu’en Allemagne. D’autre part, en France, nous
observons une tenue à la clavicule en 1315, et une tenue de poitrine très nette en 1460 bien
que le personnage soit en grande partie caché à l’arrière d’une scène. En Angleterre, la
première source disponible, très précoce en 1220, est également une tenue à la clavicule. Il
reste enfin à mentionner la seule source espagnole avant le XVIIe siècle, remontant à 1390 : un
ange y est représenté jouant du rebec dans une tenue verticale sans aucune ambiguïté,
contrairement à ce qui a pu être observé par ailleurs. Ainsi, toutes les tenues que nous avons
répertoriées dans notre typologie semblaient être connues au Moyen-Age et dans les
166
premières années du XVIe siècle, avec semble-t-il un glissement général des tenues hautes vers
les tenues basses autour des années 1500, probablement plus marqué en Allemagne qu’en
Italie (ou du moins ces dernières se rencontraient déjà plus en Allemagne au XVe siècle alors
qu’elles étaient extrêmement rares en Italien).
b) Renaissance et premier baroque, une tenue basse
i) La Renaissance
L’Italie du début du XVIe siècle montrait un visage partagé entre les tenues hautes et
basses, principalement la clavicule et l’épaule, plus ou mois à égalité entre les deux, et
provenant d’une évolution d’une situation antérieure où la tenue haute prévalait très
clairement. La Renaissance voit la confirmation de ce changement pour arriver à une
prédominance de la tenue basse dans le courant du XVIe siècle, toujours principalement à
partir des sources religieuses. Cependant, il semblerait qu’une sorte d’« intermède » ait pris
place dans la décennie 1510, que nous pouvons difficilement expliquer (il faut remarquer que
la logique médiévale s’arrête en Allemagne vers 1520, peut-être faudrait-il alors aussi voir
cette décennie comme la fin de la période médiévale en Italie). Toujours est-il que, de 1511 à
1522, l’intégralité des neuf attestations recensées (dont une dans un contexte profane)
montrent une tenue à la clavicule. Celle-ci semble parfois un peu haute ou basse par rapport à
la moyenne, mais il est en tout cas manifeste qu’il s’agit toujours d’une tenue haute, ce qui
tranche totalement avec la logique entamée dès la fin du XVe siècle, qui voit plutôt un recul de
cette technique.
Après cet intermède cependant, le paysage technique italien des deuxième et troisième
quarts du XVIe siècle, soit de la Renaissance proprement dite, revient dans une logique de
tenue basse (avec quelques exceptions). Les deux tiers des représentations montrent une tenue
d’épaule, qui semble être la tenue standard pour cette époque ; ceci est d’ailleurs en
167
particulier valable pour les fresques de Gaudenzio Ferrari, qui constituent les premières
sources iconographiques pour le violon proprement dit, à partir de 1529 et dans la décennie
1530. On ne recense que deux tenues hautes, sur la clavicule, dont l’une d’elle montre le
personnage vu de dos, ce qui en complique la lecture comme déjà relevé auparavant à propos
d’une autre représentation. Les deux seules représentations profanes de cette époque montrent
par contre des tenues différentes : une lira da braccio est dépeinte par Véronèse comme tenue
sur la poitrine dans la décennie 1540, ce qui n’est pas encore très exceptionnel, mais surtout
on peut voir une tenue en guitare sur une œuvre de 1528-1530. Il faut toutefois remarquer que
l’instrument semble particulièrement gros et qu’il pourrait s’agir d’une viole de gambe, dans
une position tout aussi peu habituelle que pour un violon, mais qui est également représentée
ainsi en deux exemplaires dans les Noces de Cana de Véronèse, un peu plus tardivement.
Les autres régions, Allemagne comprise, sont malheureusement assez peu
documentées pour la Renaissance ; seule la Hollande fournit encore des sources en nombre
relativement élevé. Le second quart du XVIe siècle n’y est absolument pas représenté, mais
nous disposons tout de même de cinq tableaux pour le troisième quart de siècle. Là encore, à
l’exception du premier qui montre une tenue à la clavicule, tous se réfèrent à des tenues
basses, à savoir principalement de poitrine. Il faut tout de même noter un tableau de Bruegel
avec une tenue en guitare, mais comme nous l’avons déjà fait remarquer (cf. p. 154), il s’agit
d’un instrument étrange avec un squelette comme musicien, ce qui jette un sérieux doute sur
le réalisme de cette toile.
Quant aux autres espaces européens, ils se fondent semble-t-il assez bien dans ce
paysage de tenue basse intégrant parfois une tenue à la clavicule. On retrouve effectivement
cette tenue à la clavicule en France en 1568, alors que la même année un bal à la cour du Duc
de Bavière montre trois musiciens appliquant tous une tenue d’épaule. Enfin, Holbein le
Jeune (allemand mais réfugié à Londres depuis sept ans), en 1533, dessine assez clairement
une tenue qui semble être en guitare, ou éventuellement de ceinture. Ainsi, la tenue à la
Renaissance est beaucoup plus diversifiée qu’avant, mais globalement toute l’Europe semble
adopter prioritairement une tenue basse, y compris l’Italie, du moins après les années 1520.
168
ii) Premier baroque
Comme pour la Renaissance, le premier baroque reste une période assez mal connue
par l’iconographie, à part pour l’Italie (toujours principalement avec les peintures religieuses),
et à l’exception notable de la Hollande qui entre alors dans un âge d’or pour la peinture et
fournit un nombre considérable de sources à partir du début du XVIIe siècle. L’Italie elle-
même n’est en fait réellement documentée qu’entre les dernières années du XVIe siècle et
environ 1630, ce qui ne nous fournit aucune source pour le début du baroque, dans les années
1580. Nous disposons cependant d’une vingtaine d’attestations entre 1593 et 1635
(auxquelles on peut en ajouter deux isolées en 1576 et 1645), avec notamment un nombre un
peu plus important que précédemment de scènes situées dans le cadre profane de la haute
société italienne. Les tenues hautes restent toujours très rares : à peine un quart, toujours à la
clavicule, mais cette fois plus clairement visibles, et, de fait, réellement avec un violon,
puisque celui-ci est à présent quasiment le seul instrument utilisé.
Les tenues basses, quant à elles, sont toujours extrêmement variées et intègrent
également des tenues « exotiques ». La tenue d’épaule est toujours la plus représentée, avec
six occurrences, ce qui en fait toujours la « tenue » standard pour cette époque, d’autant
qu’elle apparaît clairement dans deux sujets profanes, un tableau du Gercin vers 1617 encore
peu détaillé, mais surtout comme sujet principal d’une toile anonyme d’environ 1620,
accompagné d’une nature morte qui tend à prouver que la représentation est bien réaliste.
Cependant, avec quatre occurrences chacune, les tenues de poitrine et de ceinture sont
également très présentes, et même plus qu’à la Renaissance. Là encore, on retrouve celle de
poitrine dans des tableaux profanes dont le réalisme n’est pas douteux, en particulier le
Concert de Mattia Preti dans la décennie 1630. Enfin, il faut relever, outre un tableau de 1606
représentant Sainte Cécile avec un violon bien visible en position verticale, particulièrement
important pour la définition de cette tenue (cf. p. 159), trois autres assez proches représentées
sur trois tableaux de la fin du XVIe siècle, dont un profane. Nous avons considéré que leur
tenue était da spalla, mais il s’agit plutôt d’une hybridation : les violons sont ici tous placés
du côté droit du corps, mais souvent plus dans la position d’une tenue de guitare que da
spalla, sans jamais être pour autant plaqués par le coude droit. Or, il est impossible de garder
169
le violon dans une telle position puisqu’il n’est absolument pas maintenu en place, et l’archet
n’est de plus jamais représenté perpendiculaire aux cordes mais au contraire presque
parallèle, ce qui ne permet pas de tirer le moindre son de l’instrument. Dans ce sens, nous
préférons donc considérer que ces trois représentations ne sont pas vraiment réalistes, même
si elles peuvent traduire de manière déformée l’existence d’une tenue da spalla ou en guitare
à cette époque.
A la même époque, la Hollande est l’autre grand pôle pour lequel nous disposons de
sources abondantes, du moins à partir du XVIIe siècle. Il est difficile de définir clairement une
date de fin pour cette période dans la région, étant donné que les sources sont toujours aussi
présentes dans la suite du siècle, et qu’il n’y a pas d’évolution absolument évidente.
Cependant, nous retenons ici 1635 comme dernière date pour le premier baroque, car la
distribution statistique des tenues évolue quelque peu ensuite. Le corpus correspondant ainsi
au premier baroque hollandais, réparti entre 1595 et 1635, comptabilise alors pas moins de
trente-quatre références, soit presque une par année en moyenne, et la plupart du temps pour
des sujets profanes, avec presque autant de scènes paysannes que de peintures de la haute
société. Globalement, les tenues hautes existent mais en nombre proportionnellement très
réduit : on ne relève que quatre tenues à la clavicule, dont une sur un sujet religieux, deux
extrêmement difficiles à analyser dans les détails au fond des tableaux des Sens de Brueghel
en 1618, et enfin la dernière dans une scène paysanne de Van Ostade en 1635, avec un style
assez torturé et peu précis typique de cet artiste. Nous pouvons même relever deux tableaux,
cette fois un peu plus précis, où le violon semble être probablement enfoncé dans le cou (sans
que la tête ne soit posée). Si ces différentes attestations de tenues hautes, même peu précises,
doivent tout de même refléter l’existence de ce type de technique à l’époque, celle-ci semblait
donc très minoritaire.
Par ailleurs, les tenues d’épaule et de poitrine semblent en nombre identique au
premier abord. Pourtant, il est utile d’entrer ici plus dans le détail : en effet, pour la tenue
d’épaule, seuls deux tableaux de scène de vie paysanne en font état, pour neuf de la
bourgeoisie (auxquels il faut rajouter quatre tableaux religieux). A l’inverse, la tenue de
poitrine est répartie de manière absolument équitable entre les deux « classes sociales », avec
également une attestation à la cour. La grande majorité de ces attestations datent des années
170
1620 et de la première moitié des années 1630 (les tableaux religieux occupant une place
importante comme auparavant), et il n’est pas vraiment possible d’observer une évolution
temporelle dans un temps aussi court. Toutefois, la répartition statistique est caractéristique :
la tenue de poitrine est commune à tous, alors que celle d’épaule est plus clairement réservée
aux « amateurs éclairés ». Il est important de garder ce modèle en mémoire (auquel on peut
ajouter l’absence apparente de tenues de ceinture ou autres), car il est amené à évoluer très
clairement passée la date de 1635.
La seule autre région européenne relativement bien représentée à cette période est la
France, si l’on considère les mêmes dates qu’en Hollande. Cependant, il s’avère que la
logique des représentations après 1630 se rapporte plutôt à celle du milieu du siècle et du
second baroque, et nous ne considérons donc dans le baroque ancien que deux tableaux
religieux, avec respectivement une tenue à la clavicule et une autre da spalla. Peu précise,
celle-ci montre un instrument assez imposant qui ressemblerait plus à un violoncello da
spalla, (l’instrument basse qui nous sert de référence pour la définition cette tenue), qu’à un
violon, et nous préférons donc ne pas y accorder trop de crédit. Par ailleurs, les autres régions
européennes restent par contre mal documentées. On relève simplement des tenues d’épaule
sur des tableaux religieux en Espagne, Allemagne, Belgique et Angleterre (entendue dans le
sens d’une région située entre la France et la Hollande), une tenue de poitrine sur une œuvre
profane en Espagne et une sacrée en Belgique, ou encore une tenue en guitare dans cette
dernière région. En Angleterre, quelques représentations de bals de cours nous montrent à la
fois des tenues de clavicule, poitrine et ceinture, l’ensemble révélant une hétérogénéité
nettement plus forte que ce que l’on peut observer notamment en Hollande.
c) Le second baroque
La seule région véritablement bien documentée pour la seconde moitié du XVIIe siècle
est la Hollande, où nous avons considéré qu’une deuxième phase technique débutait aux
alentours de 1635. En effet, avec uniquement des représentations profanes à une exception
près, la cinquantaine de sources entre 1636 et 1684 offre de nouveau une opportunité
extrêmement intéressante d’effectuer des analyses fines sur la tenue employée suivant la
171
population concernée. Les tenues hautes restent de toute manière en nombre faible à cette
époque, bien que proportionnellement un peu plus nombreuses que durant le premier
baroque : on en recense presque une dizaine, équitablement réparties entre les milieux
populaires et aisés, ainsi qu’à la cour et dans l’unique œuvre religieuse. A l’exception d’une
scène de 1656 où l’instrument est presque certainement tenu au cou, il ne s’agit toujours que
de tenue à la clavicule. De plus, toutes ces attestations ou presque interviennent entre 1650 et
1663, soit tout à fait au milieu de notre période : il pourrait peut-être s’agir d’une fluctuation
localisée dans le temps, privilégiant un peu plus des tenues hautes sur une décennie, mais il
ne s’agit en tout cas pas d’une évolution générale puisque les instrumentistes de la fin du
siècle reviennent ensuite à une tenue basse.
L’élément le plus intéressant est l’évolution des deux tenues principales du premier
baroque hollandais, à savoir celles de poitrine et d’épaule. Elles restent toujours les plus
pratiquées, mais dans des proportions totalement modifiées à partir de 1635. La tenue
d’épaule devient brusquement beaucoup plus représentée, avec vingt-quatre attestations,
contre seulement dix pour la tenue de poitrine ; il ne s’agit d’ailleurs probablement pas d’une
évolution progressive, puisque les deux tenues sont présentes sur toute la période considérée
et dans des proportions assez stables. Cette modification entre les deux tenues est
accompagnée également d’un changement dans la répartition de celles-ci selon les « classes
sociales ». En effet, la tenue de poitrine reste relativement indifférenciée dans son attribution,
comme au premier baroque ; celle d’épaule par contre se trouve cette fois trois fois sur quatre
dans des milieux populaires, alors qu’elle était beaucoup plus présente dans la bourgeoisie
auparavant. Il est vrai qu’un certain effet de source peut jouer, dans le sens où les milieux
aisés étaient un peu plus représentés que les paysans au début du siècle et que la tendance
s’est ensuite inversée, mais cela n’explique pas seul ce changement, puisque pour la tenue de
poitrine le ratio est resté identique voire a quelque peu basculé à l’avantage de la bourgeoisie.
Si les personnes aisées n’ont pas forcément trop modifié leurs habitudes, les classes les moins
favorisées se sont donc par contre beaucoup plus orientées sur une tenue d’épaule que sur une
de poitrine dans le second baroque, sans que nous puissions vraiment expliquer ce
changement (le propre du monde paysan étant ici de n’être documenté quasiment que par
l’iconographie, qui nous fournit au mieux des données mais pas vraiment de pistes
d’explication).
172
Enfin, on ne rencontre toujours que très peu d’autres tenues, avec seulement deux à la
ceinture, qui nous seront utiles pour la définition même de celle-ci (cf. p. 150), et une
verticale pour laquelle on peut faire la même remarque (cf. p. 159). En-dehors de ces
dernières, il est surtout important de noter les quatre tenues en guitare, autant dans les milieux
humbles que aisés. Celles-ci sont assez particulières, car elles sont bien lisibles mais montrent
clairement le violoniste en train de s’accorder dans trois des cas, ce qui ne permet pas de dire
qu’il jouait effectivement de cette manière. Par contre, Le violoniste de Gerard Terborch, vers
1665, est lui bien en train de jouer, et fournit ainsi encore une fois une information cruciale
pour la définition de cette tenue (cf. p. 154). Ainsi, même si ces techniques peu courantes
restent rares dans la Hollande du XVIIe siècle, du moins en position claire de jeu, la précision
de la peinture flamande en a fait des indices extrêmement importants pour la compréhension
de celles-ci, par ailleurs peu, et souvent mal, documentées.
La seule autre région sur laquelle nous puissions faire quelques analyses est la France,
puisque l’Italie n’est, pour une fois, quasiment pas documentée à cette époque. Nous avons
précédemment indiqué que la transition technique entre premier et second baroque en France
se situait plus aux alentours de 1630 que de 1635, même si la différence peut paraître minime
et est peut-être quelque peu futile (d’autant que la représentation des tableaux n’est sans doute
pas exactement en synchronisme avec celle de la réalité technique). Toutefois, il faut bien
noter que les tenues de clavicule et da spalla, documentées (du moins pour la première)
depuis le Moyen-Age jusqu’à la décennie 1620, disparaissent totalement jusqu’aux dernières
années du XVIIe siècle. La seconde moitié du siècle est en fait peu documentée : une
représentation en 1695 se rattache assez nettement à la période suivante, et la seule autre en
1676 est une vue d’ensemble d’un ballet, dans laquelle les violons se devinent, mais sans
pouvoir rien dire sur leur tenue. Nous disposons donc finalement d’une demi-douzaine de
sources entre 1630 et 1645, également réparties entre milieux populaires, bourgeois et
représentations religieuses. Or, une distinction importante s’opère entre ces différents
groupes : les deux sujets sacrés montrent des tenues de poitrine, de même que l’un des
profanes en milieu aisé, tandis que l’autre montre une tenue d’épaule. Ces observations ne
sont pas particulièrement étonnantes par rapport à la Hollande de la même époque, par
exemple. Par contre, les deux représentations de paysans montrent une tenue en guitare assez
173
claire, en position de jeu. Il est vrai que les deux sont attribuées au frères Le Nain, qui ont pu
(ou du moins celui qui a effectivement peint ces tableaux, qui n’est pas identifié
formellement) « transposer » le même personnage d’une œuvre à l’autre. Dans tous les cas,
Le repas des paysans de 1642 est une source majeure pour l’étude de cette tenue
(principalement à cause de la notoriété du tableau, la représentation étant en elle-même assez
peu lisible), l’autre tableau de 1630 étant encore plus explicite : ils sont donc mis
abondamment à profit dans la définition de cette technique, et confirment quasiment sans
aucun doute, que cette tenue déjà bien attestée en Hollande, pour étrange qu’elle nous
paraisse, était bien pratiquée au XVIIe siècle.
Enfin, le même type de tenues se retrouve, sans surprise, dans les autres régions
beaucoup moins bien documentées. Les représentations religieuses concentrent les quelques
attestations de tenue haute (à la clavicule), en Espagne et en Allemagne. Pour les tenues
basses, l’épaule est assez logiquement la position la plus adoptée, que ce soit dans les
tableaux religieux italiens, espagnols ou belges, ou dans les cours italiennes. Enfin, les deux
seules représentations populaires sont des tenues de poitrine, en Belgique ainsi que sur un
célèbre tableau peint en Bohême en 1695, soit à une date encore très tardive.
d) Le XVIIIe siècle, vers la tenue moderne
i) Le baroque final
La première moitié du XVIIIe siècle est enfin une période assez bien documentée dans
de nombreuses régions, même si le nombre de sources disponibles n’atteint jamais ce qu’il est
pour le XVIIe siècle hollandais ou même les XVe et XVIe siècles italiens. Ainsi, à la fois l’Italie,
la France, l’Angleterre et éventuellement l’Allemagne peuvent faire l’objet d’une analyse
assez spécifique. Il est d’autre part difficile d’établir une limite claire entre le baroque final et
le classicisme : nous pourrions suivre l’année donnée (sans trop d’explication) par David
174
Boyden, à savoir 176136, mais l’analyse de ces sources iconographiques semble plutôt
montrer une rupture exactement au milieu du siècle, notamment en Allemagne, et nous
considérerons donc l’année 1750 comme le début de la période classique pour la tenue du
violon (division qui reste, somme, toute très théorique et arbitraire, et ne vise qu’à simplifier
l’analyse).
Globalement, seules trois tenues sont encore documentées, à savoir la tenue d’épaule,
et surtout les tenues hautes qui font un retour remarquable, aussi bien à la clavicule que de
plus en plus au cou. En Italie, les trois se rencontrent dans la première moitié du XVIIIe siècle.
La tenue d’épaule est en fait toujours assez répandue dans la société, d’après le peu de
documentation que nous en avons, puisqu’on la rencontre en 1700 sur un tableau religieux et
en 1728 dans une scène populaire, ce qui ne nous surprendra pas trop d’après les analyses qui
en sont habituellement faites dans l’historiographie (une tenue avant tout, voire uniquement,
populaire), mais on la rencontre également en 1741 dans une scène de concert assez opulente.
D’ailleurs, trois violons sont représentés sur ce tableau, dont celui avec une tenue à l’épaule,
mais les deux autres adoptent des tenues hautes, ce qui montre que la tenue basse pouvait à
l’occasion cohabiter avec des techniques vues comme plus « modernes ». Effectivement, la
tenue haute est tout de même la plus répandue dans la haute société et même à la cour ; on
rencontre toutefois aussi bien des tenues de clavicule que de cou (du moins à partir de 1741,
nos sources étant trop rares avant), ce qui, bien que le menton ne soit pas encore posé, montre
un développement assez rapide de ces techniques au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles.
En France, les représentations se font nettement plus nombreuses à la même époque :
on en compte une quinzaine entre 1695 et le milieu du siècle. Presque toutes renvoient à la
bourgeoisie parisienne, à l’exception des deux dernières : il s’agit en effet de « singeries » de
Christophe Huet, dans lesquelles tous les personnages sont des animaux, et que nous avons
classé faute de mieux dans les œuvres « religieuses » (dans le sens d’imaginaires). Cependant,
ces deux tableaux ne sont en fait pas différents des autres dans la technique présentée. Toutes
les attestations sont en effet des tenues hautes, à l’exception de deux, vers 1717 et en 1737,
qui montrent plutôt des tenues d’épaule ; tout en remarquant que la représentation n’est pas
claire dans le premier cas. Par contre, le second montre en fait deux violonistes, l’autre ayant
36 BOYDEN, David, op. cit.
175
une technique beaucoup plus « moderne », ce qui tendrait à montrer que la représentation est
assez crédible (mais le cadre est orientalisant, et il pourrait donc aussi s’agir d’un motif
d’exotisme). Pour ce qui est des tenues hautes, elles restent en majorité des tenues à la
clavicule, comme déjà remarqué en Italie. Nous ne notons que trois tenues au cou, le menton
n’étant jamais posé. Ainsi, dans la France du début du XVIIIe siècle, la tenue haute semble très
largement généralisée, mais principalement à la clavicule, ce qui n’en fait toujours pas une
tenue « actuelle ».
En Angleterre, sept sources sont disponibles dans le second quart du XVIIIe siècle (le
premier n’est pas représenté), autant populaires que bourgeoises. Ce nombre relativement
faible ne permet pas vraiment de distinguer les deux milieux sociaux, et il faut également
préciser que la quasi-totalité de ces documents sont dus à William Hogarth, un caricaturiste.
Dans les milieux populaires, on note toujours une attestation d’une tenue à l’épaule, mais
surtout des tenues à la clavicule dans deux cas et au cou dans un, sans facteur chronologique à
part peut-être que la tenue basse est la plus ancienne représentée. Quant aux milieux aisés, on
y trouve exactement la même répartition, sans tenue basse ; et dans tous les cas, la tenue au
cou montre la tête non posée. Ainsi, comme en France, il semblerait que la tenue « standard »,
apparemment quelle que soit le niveau social du violoniste, soit donc à la clavicule, mais sans
que nous puissions réellement l’affirmer étant donné le faible nombre de sources.
Parmi les autres régions, seule l’Allemagne présente encore quelques sources quelque
peu conséquentes, avec deux fresques de Cosmas Asam, l’une religieuse et l’autre profane,
présentant chacune deux musiciens. L’un des deux de la fresque profane est trop caché pour
pouvoir identifier sa tenue, mais son coéquipier utilise une tenue d’épaule. Quant aux deux
musiciens de la fresque sacrée, ils emploient une tenue au cou, toujours avec le menton non
posé. Enfin, un violoniste de la cour espagnole en 1743 a recours à une tenue à la clavicule.
176
ii) Classicisme
Le classicisme, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, est paradoxalement une
période très peu documentée par l’iconographie, avec moins d’une trentaine de sources.
D’ailleurs, presque aucune ne couvre le dernier quart du siècle, ce qui nous prive de fait de
données concernant la période clé d’évolution vers la tenue « actuelle ». Assez logiquement,
seules les principales régions européennes sont documentées, en quantité à peu près égales
pour toutes, mais jamais avec plus de huit sources par zone, ce qui rend les analyses difficiles
et de fait assez peu fiables. Toutefois, le développement d’une tenue quasiment moderne se
fait tout de même clairement sentir, et la standardisation de plus en plus évidente de la
technique facilite son appréhension. Par exemple, en Allemagne qui est la zone la mieux
documentée, toutes les représentations jusqu’en 1766, quelle que soit la classe sociale
représentée, sont des tenues au cou avec la tête non posée ; à l’inverse, les trois dernières, qui
se réfèrent à un même tableau de 1776, montrent toutes le menton posé à droite du cordier. La
situation est sensiblement la même en Angleterre, quoique un peu plus marquée (peut-être
parce qu’il s’agit ici toujours d’un milieu populaire) : sur les quatre sources de la décennie
1750, trois montrent une tenue à la clavicule et la dernière au cou avec la tête non posée. On
peut y ajouter une représentation isolée d’une tenue à l’épaule en 1762, mais il faut surtout
noter qu’en 1767, certes à la cour cette fois, on aperçoit une tenue quasiment actuelle, avec la
tête posée à gauche du cordier.
Le paysage technique est par contre un peu plus complexe en Italie et en France, peut-
être à cause des influences réciproques des tenues européennes assez généralisées et des
spécificités italiennes, si tant est qu’elles aient réellement existé. Ainsi, pour l’Italie, les
milieux populaires utilisent aussi bien des tenues à la clavicule qu’au cou, tandis que la
bourgeoisie joue également à la clavicule, mais aussi à l’épaule d’après une toile de 1756. Les
derniers documents connus, dans les années 1770 et 1780, montrent toujours une tenue à la
clavicule, ce qui aurait tendance à indiquer que la tenue « actuelle » n’était pas si répandue
dans l’Italie de la fin du XVIIIe siècle, même si nos sources sont trop partielles pour pouvoir
l’affirmer. Enfin, les cinq représentations françaises, toutes dans la décennie 1760 et
renvoyant toujours principalement à des milieux aisés, font voir aussi bien des tenues à
177
l’épaule, à la clavicule ou au cou. D’ailleurs, il faut noter que sur les deux tenues au cou
connues, celle observée dans un contexte professionnel correspond à la tête non posée, alors
qu’une autre, dans un contexte amateur en 1768, semble plutôt montrer le menton posé.
e) Conclusion sur le violon
Ainsi, l’image donnée dans l’historiographie apparaît comme assez simpliste au regard
des sources iconographiques. Celle-ci se bornait globalement à attribuer une tenue assez haute
aux instrumentistes jusqu’au XVIe siècle, lesquels seraient ensuite passés à une tenue basse
(d’épaule ou de poitrine) au début du baroque, pour remonter progressivement jusqu’à une
tenue à la clavicule puis rapidement au cou au XVIIIe siècle. Certes, on pourrait considérer que
les lacunes et les éventuelles inexactitudes dans l’iconographie ne permettent pas d’avoir une
vision très précise, mais il faut tout de même considérer que les XVIe et XVIIe siècles,
probablement les plus litigieux par rapport à cette interprétation traditionnelle, sont aussi les
plus mal documentés dans les sources textuelles, qui sont quasiment les seules utilisées.
La fin du Moyen-Age correspond effectivement à une tenue globalement haute, du
moins en Italie. Le XIVe siècle italien montre en effet principalement des tenues à la clavicule,
et éventuellement au cou ou à l’épaule. Par la suite, au XVe siècle (surtout dans la seconde
moitié) et début du XVIe, la situation se diversifie notablement, avec seulement la moitié de
tenues hautes, toujours à la clavicule en général. La moitié des tenues basses sont en général
des tenues d’épaule, mais on note également l’apparition de tenues de poitrine. En
Allemagne, la situation semble proche jusqu’à la fin du XVe siècle, peut-être avec un peu plus
de tenues au cou, et surtout également quelques tenues basses. Par contre, dans les deux
premières décennies du XVIe siècle, nous ne voyons que des tenues basses, ou même en
guitare ou verticale.
Assez logiquement, la tenue est donc réellement basse à la Renaissance, environ dans
les deuxième et troisième quarts du XVIe siècle. A part un apparent regain d’intérêt,
difficilement explicable, pour la tenue à la clavicule en Italie dans la décennie 1510, la tenue
178
standard à cette époque dans la péninsule est toujours celle d’épaule. Les autres régions
européennes sont très peu documentées, mais on peut noter une certaine prédominance de la
tenue de poitrine en Hollande.
Le premier baroque est toujours assez peu renseigné, en particulier pour la fin du XVIe
siècle. En Italie, les trois quarts des tenues sont toujours basses, avec toujours en premier lieu
la tenue d’épaule ; les tenues de poitrine et de ceinture étant tout de même assez présentes
également. Par contre, la région la plus foisonnante est la Hollande avec un nombre
impressionnant d’œuvres disponibles. Jusqu’en 1635 (et même après), les tenues hautes sont
là aussi très rares. Le plus intéressant se trouve dans les tenues d’épaule et de poitrine : la
première semble particulièrement prisée par la bourgeoisie et non par les paysans, alors que la
seconde est autant pratiquée par les deux catégories sociales.
Pour le second baroque, la Hollande est de fait le seul pays réellement documenté, et,
si l’on peut éventuellement y voir un peu plus de tenues hautes que précédemment, celles-ci
restent tout de même largement minoritaires. Par contre, il est notable que la tenue d’épaule
devient beaucoup plus pratiquée (à l’inverse de celle de poitrine), assez brusquement après
1635 et non progressivement. D’autre part, cette tenue d’épaule est cette fois plébiscitée par
les populations modestes, alors que la tenue de poitrine est toujours équitablement répartie
entre les deux catégories de population, une inversion que nous pouvons difficilement
expliquer en l’absence de traités ou même de partitions pour violon dans ce pays au XVIIe
siècle. La seule autre région quelque peu connue est la France : les tenues d’épaule et de
poitrine sont représentées dans les milieux aisés (peut-être plus la première), mais les deux
tableaux existants pour la paysannerie montrent des tenues en guitare, peut-être parce que les
deux ont été peints par le même artiste.
Le baroque final, dans la première moitié du XVIIIe siècle, est enfin une période
nettement plus documentée, dans plusieurs pays. En Italie, la tenue d’épaule est toujours
répandue, mais les tenues hautes sont maintenant les plus courantes, aussi bien à la clavicule
qu’au cou (sans poser la tête), comme souvent relevé dans l’historiographie. De même, en
France et en Angleterre, la tenue haute est aussi presque la seule représentée, mais surtout à la
clavicule.
179
Quant à l’époque classique, dans la seconde moitié du siècle (et principalement le
troisième quart puisque les dernières décennies ne sont quasiment pas documentées), on
assiste à la mise en place d’une tenue plus moderne, mais sans non plus voir apparaître la
tenue actuelle, ou du moins pas massivement. En Angleterre par exemple, la tenue reste pour
beaucoup à la clavicule au milieu du siècle, mais l’Allemagne montre une progression vers le
cou avec le menton non posé jusque vers 1770, puis avec la tête posée à droite du cordier. Au
même moment, on relève une tenue actuelle, avec la tête à gauche du cordier, en Angleterre.
Par contre, en Italie et peut-être en France, on continue à jouer beaucoup à la clavicule jusque
dans les années 1770 voire 1780 : la tenue « actuelle » semble ainsi plutôt être un produit de
l’Europe du Nord que des régions sous influence italienne, qui sont censées en être à l’origine
d’après de nombreux auteurs.
2) L’archet, à travers tenues « française » et « italienne »
a) Moyen-Age
L’analyse de la tenue de l’archet au Moyen-Age est de fait simplifiée à cause des
contraintes imposées par les modèles d’archets possédant une poignée et forçant donc la tenue
à l’extrémité (que nous avons indiqué comme étant la hausse par simplicité, sachant que les
archets de types 0 à 2 ne possèdent justement pas de hausse mais une poignée). Ainsi, en
Italie, du début du XIVe siècle au milieu des années 1360, l’archet n’est serré entre les doigts
qu’à hauteur de la hausse, avec indifféremment trois ou quatre doigts posés sur la baguette.
Les quelques sources à la fin de ce siècle montrent par contre plus une tenue légèrement
avancée, mais celle-ci coïncide avec l’apparition de l’archet de type 1 : la poignée est alors
prise à sa jonction avec la baguette elle-même, ce qui n’en fait pas réellement une tenue
avancée sur la baguette, mais simplement pas en plein sur la poignée comme auparavant.
D’ailleurs, cette représentation particulière doit peut-être être liée à la nouveauté de cet archet
qui aurait entraîné un temps d’adaptation de la part des peintres. En effet, dès le début du XVe
180
siècle et jusqu’au milieu du XVIe siècle au moins, la tenue restera ensuite presque toujours à la
hausse avec trois ou quatre doigts sur la baguette, rarement deux, et juste quelques rares
exceptions engagées, et ce, quel que soit le modèle utilisé (de 0 à 2, y compris même les
premiers types 3) ; on note cependant un flottement dans le positionnement du pouce, puisque
celui-ci, d’après les rares sources qui permettent de l’observer, est indifféremment situé sous
la baguette ou sous le crin. Ainsi, au contraire de la tenue du violon, celle de l’archet est
restée très stable tout au long du Moyen-Age, malgré les changements de modèles, et ne sera
à vrai dire pas vraiment modifiée non plus par le passage à la Renaissance ; il faut dire que les
archets courts, comme nous l’avons déjà remarqué (cf. p. 95), permettent difficilement une
autre tenue qu’à la hausse.
La même réflexion s’applique globalement pour l’Allemagne, avec là encore, comme
pour la tenue du violon, un peu moins d’homogénéité qu’en Italie. Jusque dans les premières
années du XVIe siècle, la situation est exactement la même, avec presque uniquement des
tenues à la hausse, généralement avec trois ou quatre doigts, parfois deux, et ce, quel que soit
le type d’archet (rappelons d’ailleurs que l’archet de type 3 n’est pas documenté en
Allemagne, et que nous ne parlons donc que d’archets à poignée). Toutefois, à partir de 1510
environ jusqu’au milieu du siècle, on trouve autant de tenues à la hausse qu’engagées,
toujours sur des archets de type 1 : cette observation tendrait à montrer qu’il y a bien deux
tenues possibles pour ces archets, et que la nouveauté entraînant un temps de flottement dans
les représentations, invoquée pour l’Italie, si elle reste probablement une explication possible
à ces changements de position, ne doit pas être la seule explication à ces différences et doit
cacher également des modifications bien réelles. Les autres pays quelque peu documentés, à
savoir la France, la Suisse et l’Angleterre, ne nous sont ici d’aucun secours puisqu’ils ne
montrent que des tenues à la hausse, quelle que soit la date et le modèle d’archet.
b) Renaissance et premier baroque
La seule région réellement documentée pour la tenue de l’archet, à la Renaissance, est
l’Italie. Le paysage technique semble extrêmement homogène : en effet, à l’exception d’une
tenue engagée liée à une tenue en guitare en 1529, absolument toutes les représentations
181
montrent une tenue à la hausse, ce qui est en réalité logique puisque les archets sont toujours
des types 2 ou 3 courts. De fait, la tenue en Italie à la Renaissance n’est en rien différente de
ce qu’elle était auparavant, puisque les archets utilisés ne permettent de toute façon quasiment
aucun changement technique sur ce point. La situation est exactement la même en Hollande
où quelques sources sont également disponibles ; dans ces deux pays, le pouce est toujours
placé sous la hausse et la mèche selon les quelques attestations disponibles. On ne rencontre
des tenues engagées qu’en France et en Allemagne, mais le corpus y est tellement faible (pas
plus de trois représentations) que nous ne pouvons en tirer de conclusion.
Pour le premier baroque, les régions documentées sont, comme pour le violon, l’Italie
et la Hollande, qui dans les deux cas semblent encore se placer dans la droite ligne des
époques médiévale et Renaissance, et pour cause puisque les archets longs n’existent pas
encore (cf. p. 95). Ainsi, à une exception près, tous les archets italiens, comme hollandais ou
anglais, sont toujours serrés au niveau de la hausse quel que soit leur modèle, avec trois ou
quatre doigts sur le bois et le pouce sous la hausse. Là encore, quelques contre-exemples
proviennent d’Espagne, d’Allemagne ou de Belgique, avec des tenues engagées, voire
presque clairement sur la baguette (vers 1600 en Allemagne), mais il ne s’agit encore que de
cas très isolés impossibles à généraliser à l’échelle d’une région.
c) Baroque moyen
Pendant le baroque moyen, le pays fournissant bien sûr le plus d’informations est la
Hollande. Toutefois, les autres pays, en particulier l’Italie et la France, mais aussi
l’Angleterre par exemple, offrent également un peu de documentation qui dessine un contexte
assez homogène pouvant servir de point de comparaison. Il faut garder à l’esprit que les
archets de cette époque sont des types 6 dans ces pays, en particulier pour l’Italie où le type 7
plus long, qui est censé y trouver son origine, ne semble en réalité pas vraiment représenté.
De fait, la tenue y est encore presque toujours à la hausse avec le pouce sous la hausse, soit
une tenue « à la française », bien que la main semble avancer quelque peu en Italie dans la
décennie 1680. On voit donc encore ici une pratique assez proche des précédentes, les
182
modifications éventuelles n’étant pas produites par la tenue mais plutôt par l’allongement de
l’archet, le type 6, même court, restant tout de même plus long que les archets de la
Renaissance et du premier baroque.
Par contre, en Hollande, quelques évolutions peuvent être remarquées, en particulier
autour de la même date que pour le violon. En effet, jusqu’en 1635, les archets sont pour la
grande majorité de type 6, impliquant par là une tenue à la hausse, comme en Italie. Entre
1635 et 1650, malgré l’apparition de quelques archets de types 7, l’objet lui-même n’a pas
réellement changé (ou plutôt son type n’est souvent pas reconnaissable), mais les tenues
engagées deviennent brusquement au moins aussi nombreuses que celles à la hausse, pourtant
sans corrélation manifeste avec le milieu social ou la tenue de violon adoptée. De plus, d’une
tenue à trois ou quatre doigts sur la baguette, on passe tout aussi brusquement à deux ou trois
doigts, soit une tenue très proche de la tenue « française ». Il semble donc qu’il s’agisse
réellement d’une évolution globale de la technique, qui ne soit pas vraiment liée à un autre
élément extérieur (ou du moins dans ceux que nous étudions, la musique jouée pourrait, par
contre, avoir elle changé en même temps).
Enfin, entre 1650 et 1685, les archets de type 7 deviennent presque les seuls utilisés,
l’unique exception étant un type 6 en 1664. Le ratio entre les deux tenues reste lui presque
stable, augmentant même un peu en faveur de la tenue engagée, et toujours sans rapport
apparent avec d’autres paramètres. On remarque d’autre part qu’aucune tenue « italienne »
n’apparaît, avec la main clairement avancée sur la baguette, à part encore une fois dans le cas
d’une tenue en guitare. De plus, on ne relève toujours que deux ou trois doigts posés, mais
presque à chaque fois dans le cas d’une tenue légèrement avancée, ce qui peut encore
correspondre à la limite à une tenue « française ». Ainsi, il pourrait bien sembler que cette
dualité et le choix d’une tenue sur la hausse ou un peu avancée soit liée à l’adoption d’un
archet plus long, mais il faut remarquer que la tenue a changé quinze ans avant l’archet : on
peut donc émettre l’hypothèse que, contrairement à ce que l’historiographie aurait tendance à
indiquer, c’est une modification de la tenue (pour une raison peu claire) qui aurait plutôt
entraîné une évolution de l’archet, et non l’inverse.
183
d) Baroque récent et classicisme
Pour la période du baroque récent, entendu comme l’exacte première moitié du XVIIIe
siècle comme pour le violon, tous les principaux pays possèdent des sources quant à la tenue
de l’archet. On voit alors apparaître les tenues « courantes » de l’archet, qui sont assez
logiquement les seules documentées dans les traités, qui datent majoritairement de cette
époque, et qui sont donc souvent les seules citées dans l’historiographie sans vraiment
prendre en compte la dimension temporelle.
En Italie, les archets passent du type 6 ou au type 7 dans le premier tiers du siècle,
puis au type 8, soit un allongement notoire qui permet la mise en application d’une plus
grande variété de tenues puisque ces archets peuvent aussi bien être tenus à la hausse qu’avec
la main clairement avancée sur la baguette. Ainsi, les tenues du premiers tiers du siècle sont
toujours à la hausse ou engagées (avec apparemment plutôt le pouce sous la baguette que sous
la hausse, donc une tenue « italienne »), et dans les années 1740 on ne trouve par contre que
des tenues engagées, voire avancées sur la baguette. La vraie tenue « italienne » ne semble
donc se mettre en place qu’au début du XVIIIe siècle, voire dans le courant de la première
moitié de celui-ci, et n’est apparemment pas particulièrement ancienne au moment où les
différents auteurs de traités la décrivent.
On observe d’ailleurs effectivement une distinction nette avec la France qui
correspond plus ou moins à celle décrite dans les traités. En effet, si les amateurs français
possèdent des archets au moins aussi longs que ceux des italiens (le type 7 est connu dès 1695
en France, et les archets répertoriés dans la première moitié du XVIIIe siècle sont presque
exclusivement de type 8), la tenue engagée est presque totalement absente, comme à plus
forte raison celle avancée. Tous les violonistes représentés, ou presque, tiennent leur archet à
la hausse, ce qui correspond bien à la tenue « française ». Par contre, il est généralement
difficile de voir leur pouce (la seule observation claire le place bien sous la hausse, mais une
seule occurrence reste bien trop peu pour généraliser), et en général les instrumentistes
semblent plutôt avoir tendance à laisser les quatre doigts sur la baguette, et non seulement
trois comme décrit dans le traité de Corrette par exemple. Ainsi, le choix technique des
184
musiciens français est clairement différent de celui des italiens, pour le même archet, même
s’il ne s’agit peut-être pas exactement de la tenue « française » décrite dans les traités
contemporains.
Il semblerait d’ailleurs que cette tenue soit une spécificité française, car le reste de
l’Europe semble plutôt devoir être rattachée à la manière italienne. L’Angleterre, documentée
dans le second quart du siècle, possède également le même modèle d’archet long de type 8,
au moins à partir de 1730. Or, aussi bien dans les milieux populaires que bourgeois, la tenue
est presque toujours engagée, avec semble-t-il plutôt trois doigts sur la baguette (d’après
l’observation de deux tableaux seulement), et nous n’avons aucune indication quant au pouce.
Si l’absence de tenues vraiment avancées (à une exception près) ne nous permet pas d’y voir
une exacte reproduction du modèle italien, il ne semble pas non plus s’agir d’une technique
française, mais plutôt d’une entre-deux (tout en gardant à l’esprit que les représentations
anglaises sont des caricatures). Quant à l’Allemagne, nous ne pouvons nous baser que sur
quatre représentations, toutes avec un archet de type 7 relativement long ; dans tous les cas
toutefois, la tenue est avancée, avec trois doigts sur le bois, ce qui correspondrait donc à une
technique italienne, même si les sources sont trop peu nombreuses pour généraliser.
A l’époque classique, nous possédons toujours des sources pour ces quatre régions,
mais à peine aussi nombreuses. En Italie, les quelques peintures de la seconde moitié du
XVIIIe siècle ne sont pas assez précises pour déterminer le type d’archet employé, ainsi que la
tenue. Dans les rares cas où celle-ci est observable, elle semble être à la hausse, notamment à
partir de la décennie 1770, ce qui traduit peut-être le développement de la tenue actuelle avec
une main revenant à la hausse, toujours sur des archets longs. La même réflexion est valable
en France dans la décennie 1760 : le seul archet analysable est de type 9, la tenue est toujours
à la hausse avec quatre doigts sur le bois et le pouce à la baguette, soit une tenue sensiblement
actuelle.
La vision est cependant un peu différente en Allemagne et en Angleterre. Dans le
premier cas, les archets sont parmi les plus modernes représentés dans l’iconographie (type
10 et 11), mais la tenue est variable dans les décennies 1750 et 1760, hésitant entre tenue à la
hausse ou engagée. Enfin, dans la peinture la plus récente en 1776, montrant clairement des
185
violonistes disposant d’archets classiques type Dodd (cf. p. 105), ceux-ci les tiennent
manifestement dans une position « italienne », avec la main au moins au quart de la baguette.
Il semble peu probable que cette tenue soit totalement inventée, étant donné que ce tableau est
globalement réaliste, et même si nous pouvons éventuellement supposer que le trait ait été
forcé, il faut bien en déduire que la tenue « actuelle » n’était au mieux qu’imparfaitement
implantée en Allemagne dans la décennie 1770. De même, en Angleterre, la première partie
du siècle voit majoritairement l’emploi de tenues engagées avec des archets de type 8, ce qui
se confirme dans la décennie 1750 où on voit même apparaître un certain nombre de tenues
clairement avancées sur la baguette. La main ne recule ensuite qu’après 1760, avec des
archets plus modernes (types 9 et 10), saisis d’une main simplement engagée, voire
totalement à la hausse, dans un contexte professionnel.
e) Conclusion sur l’archet
Là encore, comme pour les violons, on retrouve donc certaines logiques techniques
mises en avant dans l’historiographie, mais qui appellent souvent à être nuancées, et on peut
relever des dynamiques qui ne sont, par contre, pas documentées. Les archets courts, seuls
existants jusqu’à l’époque baroque, ont entraîné de fait une tenue à la hausse, du Moyen-Age
jusqu’au XVIe siècle inclus, voire au début du XVIIe siècle, l’évolution de l’archet (de plus en
plus long tout en restant assez court) ayant nettement plus d’impact que la tenue elle-même.
Seuls les archets de type 1 étaient parfois serrés à la jonction entre la poignée et la baguette
elle-même, soit une tenue que l’on pourrait, à la limite, qualifier d’« engagée », notamment
dans la deuxième moitié du XVIe siècle en Allemagne. Ainsi, au début du XVIIe siècle, la tenue
plus tard définie comme « française » était quasiment la seule utilisée, aussi bien en France
qu’ailleurs et notamment en Italie, avec une tenue à la hausse, le pouce sous la mèche et trois
ou quatre doigts sur le bois.
Pendant le baroque moyen, où les archets restent courts (de type 6) dans la plupart des
pays y compris l’Italie, le tenue « à la française » est toujours largement répandue, même si la
main avance quelque peu à la fin du siècle en Italie. Par contre, en Hollande, la tenue est la
même jusque vers 1635, mais les tenues engagées se font brusquement beaucoup plus
186
nombreuses après cette date (chez les bourgeois comme chez les paysans), alors même que
l’archet est toujours assez court. Enfin, à partir de 1650, l’archet suit ce mouvement en
passant majoritairement à des types 7, avec des tenues toujours variées, mais aucune tenue
« italienne » avec la main réellement avancée sur la baguette.
Les archets ne s’allongent vraiment en Italie et ailleurs que dans la première moitié du
XVIIIe siècle : on voit alors la main avancer également, dans le même temps, en Italie et en
Allemagne, pour ne voir une généralisation de la tenue « italienne » que vers le milieu du
siècle. Dans le même temps, et en accord avec les sources textuelles, la France dispose des
mêmes modèles d’archets mais garde une tenue « française », à la hausse, avec cependant
plus souvent quatre doigts sur la baguette que trois. Quant à l’Angleterre, elle semble dans
une position intermédiaire puisque l’archet est habituellement tenu serré devant la hausse,
mais ni directement dessus comme pour la tenue « française », ni clairement au-delà comme
pour la tenue « italienne ». Quant à la seconde moitié du siècle, elle voit le recul progressif de
la main avec l’apparition de tenues plus ou moins actuelles dans les années 1760 en France et
1770 en Italie et probablement en Angleterre. En Allemagne cependant, la situation reste
assez variable, au moins jusqu’à cette époque, et l’on peut trouver des tenues très avancées,
même avec des archets Dodd classiques, dans les années 1770.
E ) Des sources globalement synchrones
Après avoir analysé successivement les tenues à la fois du violon et de l’archet, à
travers les sources textuelles puis iconographiques, nous pouvons donc tenter d’effectuer une
synthèse des deux, en comparant les résultats des deux types de documentation. Il est en
réalité difficile de réaliser ce travail avant le XVIIe voire le XVIIIe siècle, les sources textuelles
étant inexistantes au Moyen Age et encore très rares au XVIe siècle. Pour la Renaissance, nous
pouvons donc simplement remarquer que l’usage d’une bandoulière, indiqué par Philibert
Jambe de Fer, n’est absolument pas documenté. Les sources iconographiques, pour l’Italie
principalement et quelque peu pour la Hollande, montrent une tenue principalement à
187
l’épaule, et éventuellement à la poitrine ; celle-ci est toujours observée pour le premier
baroque, ce qui correspond donc à la gravure du traité de Thoinot Arbeau. En ce qui concerne
cette période, du XVIe et du début du XVIIe siècle, notre analyse de croisement des sources ne
peut guère aller beaucoup plus loin. En particulier, il nous est impossible de tenter des
parallèles avec l’iconographie de la Hollande du début du siècle, faute de sources textuelles.
Pour le baroque moyen, nous disposons de plus de possibilités, mais il faut bien
constater que les deux types de sources ne correspondent pas forcément aux mêmes pays.
Concrètement, nous disposons de sources textuelles pour la France, l’Allemagne et
l’Angleterre, mais de l’iconographie uniquement pour la France et la Hollande. En France, les
deux sources correspondent : le traité de Trichet, vers 1740, indique une tenue d’épaule, qui
est observée d’après l’iconographie chez la bourgeoisie française de l’époque. Pour les autres
pays, nous avons relevé que les tenues les plus pratiquées en Hollande étaient celles d’épaule
et dans une moindre mesure de poitrine à cette époque. Ceci correspond avec le traité
français, ainsi que les sources anglaises et allemandes, encore que ces deux dernières aient
plutôt tendance à privilégier la tenue de poitrine que celle d’épaule. Il semblerait donc, en
admettant que l’évolution en Hollande soit transposable dans les autres pays, ce qui n’est pas
sûr, que l’iconographie ait quelque peu anticipé les évolutions visibles dans les traités.
Le baroque final, dans la première moitié du XVIIIe siècle, voit enfin apparaître assez
de sources textuelles pour permettre des comparaisons, et des sources, aussi bien textuelles
qu’iconographiques relativement bien réparties à l’échelle de l’Europe (bien qu’elles
commencent à devenir moins nombreuses que précédemment). D’après ces dernières, on
trouve encore en Italie la tenue d’épaule, mais on adopte de préférence une tenue haute (à la
clavicule ou au cou) ; quant à la France et à l’Angleterre, on y trouve principalement une
tenue au cou ; et nous ne possédons malheureusement pas de traité Italien pour cette époque.
Même si nous excluons l’ouvrage de Labadens, qui prône encore une tenue basse en 1772,
cette technique reste tout de même souvent indiquée dans les traités pour le baroque tardif.
Par exemple, de Brossard en 1711 (en France) l’a l’air de parler que de tenue basse, et Majer
en 1732 (en Allemagne) indique une tenue de poitrine. Toutefois, Montéclair, en 1711
également, semble plutôt prôner une tenue haute, et Corrette en 1738 fait état d’une tenue au
cou. Quant aux traités anglais de cette époque, ils donnent le choix entre les deux. Ainsi, les
188
sources textuelles et iconographiques se rejoignent pour indiquer un passage d’une tenue
basse vers une tenue haute à cette époque, mais là encore, la transition semble globalement
actée dans les images, alors même que les textes sont partagés.
Enfin, pour l’époque classique, la tenue actuelle n’apparaît que tardivement d’après
l’iconographie : en Europe du Nord, on passe de la clavicule au cou un peu avant les années
1770, mais seulement quelques années plus tard en France et en Italie. De plus, la tête posée
n’est surtout documentée qu’en Allemagne, dans nos dernières sources, et encore le menton
est-il placé à droite du cordier. Dans les textes, la tenue basse n’est en fait pas encore tout à
fait enterrée dans le troisième quart du siècle, puisque Leopold Mozart en fait encore état
jusqu’en 1770. Toutefois, de l’avis même de celui-ci dès 1756, la tenue haute est tout de
même adoptée, éventuellement à la clavicule (Geminiani semble du même avis en 1751). La
tenue au cou semble pourtant se répandre également dès les années 1750, la tête pouvant
rester libre quasiment jusqu’au changement de siècle en Allemagne (avec Kürzinger). Dans le
même temps, certains auteurs recommandent même de poser le menton, mais tous à droite du
cordier ; le premier à recommander de la placer à gauche étant Löhlein, en 1774. Ainsi, cette
fois, les textes semblent en avance sur l’iconographie ; la différence n’est pas plus grande
qu’une décennie ou deux certes, ce qui est très peu avec des sources aussi lacunaires, mais
elle mérite tout de même d’être notée puisque les représentations existantes étaient
auparavant plutôt en avance. Peut-être une meilleure circulation des idées et des informations,
voire des hommes, à cette époque, a-t-elle pu aider à garder les traités plus à jour que ce
qu’ils n’étaient auparavant, alors même que la technique changeait assez rapidement ?
Pour ce qui est de l’archet, nous ne possédons pas de source textuelle avant l’extrême
fin du XVIIe siècle, ce qui nous empêche donc de fait de tenter des comparaisons sur les deux
tiers de notre période environ. A cette époque, d’après l’iconographie, l’archet en général
court et donc tenu à la hausse pendant la plus grande partie du siècle, commence à la fois à
s’allonger et à être serré plus en avant sur la baguette. Toutefois, la tenue « italienne », avec la
main assez avancée, ne se généralise en Italie et en Allemagne qu’au milieu du XVIIIe siècle,
alors que la France conserve une tenue plus ou moins « française », et que l’Angleterre se
place dans une position intermédiaire. De fait, ces tenues « française » et « italienne » ont été
définies principalement à partir du traité de Corrette de 1738 (avec toutefois une description
189
exagérée de la tenue italienne, qui ne se retrouve quasiment nulle part ailleurs), encore que
Muffat en ait déjà plus ou moins fait état en 1698 : leur période de développement concorde
donc dans les deux types de sources. La tenue « française », ou du moins à la hausse, semble
toutefois bien la plus ancienne puisque nous la retrouvons à la fois dans l’iconographie et
dans les traités anglais et allemands du XVIIe siècle. Les textes français, allemands et anglais
la citent ensuite jusqu’à la fin des années 1730. Quant à la tenue italienne, nous savons que
Matteis l’utilisait en Angleterre à la fin du XVIIe siècle, mais il s’agissait d’un cas isolé. Celle-
ci n’est réellement documentée qu’à partir des années 1730 et surtout 1750, dans les traités
anglais et allemands, avec une main bien avancée sur la baguette. Ainsi, les textes rejoignent
donc là encore l’iconographie : la tenue italienne ne semble bien se généraliser que vers le
milieu du XVIIIe siècle, soit à l’extrême fin de la période baroque.
Quant à la seconde moitié du siècle, à l’époque classique, on voit dans l’iconographie
la main reculer sur la baguette dans les pays ayant adopté la tenue « italienne ». Ainsi, dans
les années 1760 en France, et 1770 dans les autres régions, la tenue est devenue plus ou moins
actuelle. Il faut toutefois noter que des tenues très avancées pouvaient encore être rencontrées
en Allemagne dans les années 1770, avec des archets classiques pourtant. D’après les textes,
la tenue italienne bien avancée, mise en place dans les années 1750 n’a effectivement pas été
utilisée très longtemps, au mieux jusque dans les années 1760. Dès cette décennie et jusqu’au
début des années 1780, plusieurs traités français ou allemands ont ainsi présenté toujours une
tenue avancée, mais moins que précédemment, la main étant simplement placée juste devant
la hausse. Malgré quelques cas tangents en Allemagne dans les années 1750 et 1760, la
première description assurée d’une tenue réellement « actuelle » semble intervenir également
chez Löhlein en 1774. Nous retrouvons donc bien là une évolution dans le même sens entre
les deux documentations, malgré quelques décalages inévitables, étant donné le faible nombre
de sources.
Ainsi, à quelques décalages près, les sources textuelles et iconographiques semblent
donc bien globalement cohérentes sur l’ensemble de la période. Il ne faut cependant pas en
déduire que les sources textuelles peuvent être utilisées seules, comme elles l’ont
généralement été dans l’historiographie : en effet, si elles pourraient à la limite suffire pour
les périodes et les régions qu’elles documentent, elles laissent de nombreuses zones d’ombre,
190
et en particulier la quasi-totalité des XVIe et XVIIe siècles, ou même l’Italie du XVIIIe siècle.
Même l’iconographie n’est d’ailleurs pas suffisante pour combler celles-ci, mais il s’agit
souvent de la seule source disponible. Ainsi, à défaut de pouvoir connaître absolument toute
l’histoire de la technique violonistique dans l’ensemble de l’Europe à l’époque baroque, avec
ces deux types de documentations, l’iconographie permet tout de même d’aborder des
espaces-temps qui seraient, sinon, totalement occultés.
191
VI) Correspondances avec la musiqueAnnexe 8
A) Des évolutions liées à la musique ?
Une fois ces différentes techniques identifiées, nous pouvons alors nous demander
quelles ont été les raisons de cette évolution. La piste la plus évidente est bien sûr celle de la
musique : ces tenues servant à jouer des morceaux, il serait logique qu’elles évoluent si les
pièces à jouer changeaient également, tout comme pour l’archet d’ailleurs. Nous pouvons
donc nous pencher sur les différentes ruptures ou périodes d’évolution rapide pour chercher à
comprendre la raison de ces modifications.
La première grande rupture intervient à la fin du XVe et au début du XVIe siècle, les
instruments étant auparavant tenu en position haute, et ensuite préférentiellement en position
basse. Il est assez difficile de tenter de lier cette évolution à celle des morceaux joués,
puisqu’il n’en restent pas qui soient parvenus jusqu’à nous. Cependant, cette période
correspond au début de la pratique de la musique instrumentale à proprement parler. Nous
connaissons assez mal les conditions du jeu instrumental à la fin du Moyen Age, mais il est
en tout cas assuré que les instruments servaient à accompagner un chant, souvent simplement
en le doublant (dans le cadre de la musique « savante » s’entend, non pour des fêtes
villageoises)1. Dans ce sens, la musique médiévale n’était donc pas pensée pour les
instruments et ne cherchait donc logiquement pas à utiliser leurs possibilités de virtuosité,
encore que nous pourrions supposer que les musiciens étaient susceptibles d’ajouter des
ornementations à la ligne de chant original. A la Renaissance, le langage musical évolue,
même s’il garde des racines médiévales, et quelques œuvres pour instruments seuls font leur
apparition (mais principalement limitées à l’orgue, au luth et dans une moindre mesure à la
1 LAMARQUE, Lucio (dir.), Encyclopédie de la musique, Paris, Le Livre de Poche, 2003, p. 800-801.
192
viole)2. Dans tous les cas, le violon, généralement considéré comme un instrument populaire3,
ne fait pas partie de ces instruments solistes. Ainsi, les modifications observées dans la tenue
à cette époque sont plus probablement le fait de l’évolution des instruments eux-mêmes :
nous avons vu que les grosses vièles médiévales avaient tendance à disparaître au profit de la
lira da braccio, mais surtout du rebec, puis du violon. Or, les premières sont des instruments
lourds et imposants qui demandent à être fermement maintenus, si possible en position haute
pour pouvoir les faire reposer sur l’épaule ; par contre, le rebec et le violon sont des
instruments maniables et légers, qu’il est possible de jouer aussi bien en position haute que
basse. Ainsi, si la tenue basse a paru plus agréable, comme le ressentait toujours Leopold
Mozart au milieu du XVIIIe siècle, il semble assez logique que les musiciens aient profité du
changement d’instrument (lui-même lié à la musique bien sûr) pour modifier leur tenue.
Pour le baroque ancien, nous avons vu qu’il n’y avait pas vraiment d’évolution
technique par rapport à la Renaissance : la tenue reste basse et l’archet, toujours court, tenu à
la hausse. Par contre, cet archet a changé, puisque nous sommes passés des types 1 et 2,
directement hérités de l’époque médiévale, à des types 3 voire plus, pour en arriver au type 6
au début du XVIIe siècle. Or, l’archet de type 3, cette fois clairement spécifique au violon, est
apparu globalement au moment où cet instrument s’est structuré, ou du moins quelques
décennies après. On peut trouver la raison de cette évolution dans la musique elle-même : en
effet, à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle, les compositeurs ont commencé à écrire
massivement de la musique uniquement instrumentale, parfois en tâtonnant, comme en
témoignent à la fois le nom et la forme totalement libre du ricercare. Cette fois, le violon a
joué un rôle prédominant, en particulier en tant qu’instrument « haut » dans la sonate en trio
(deux violons et une basse continue). Cette forme du ricercare, premier pas vers une
technique plus virtuose ayant plus tard amené le développement de nouvelles formes
musicales, a ainsi obligé les violonistes à développer (ou faire développer par les facteurs) un
matériel plus spécifique et adapté à leur instrument, et donc un archet clairement pour violon.
La tenue évolue par contre avec l’entrée dans le second baroque, notamment en Italie
et surtout en Hollande autour de 1635 : le violon est de plus en plus utilisé à l’épaule et non à
la poitrine. Parallèlement, entre 1635 et 1650, l’archet est de plus en plus tenu avec la main
2 LAMARQUE, Lucio (dir.), idem, p. 921-922.3 Guide des instruments anciens, Bruxelles, Ricercar, 2009, pp. 25-26.
193
avancée, puis il s’allonge lui-même dans la seconde moitié du siècle. Il est malheureusement
impossible de se baser sur la musique hollandaise, qui serait pourtant la plus appropriée
puisque ces évolutions sont surtout observées dans cette région : il n’existe pas en effet de
compositeur hollandais ayant écrit spécifiquement pour violon à cette époque, et d’ailleurs la
musique hollandaise du XVIIe siècle reste assez rare à part dans quelques cas bien précis. Or,
en élargissant l’analyse à l’Europe en général, et notamment en Italie où l’évolution semble
en partie comparable (sans vraie évolution de l’archet cependant), on s’aperçoit que les
années 1630 correspondent au développement de nouveaux types de sonates à partir de la
sonate à trois, à savoir les sonates « de chambre » et « d’église », par exemple avec Tarquinio
Merula4. Si celles-ci sont arrivées jusqu’en Hollande, ce qui n’est pas assuré, on pourrait alors
comprendre pourquoi la tenue serait modifiée, les musiciens recherchant plus de virtuosité en
tenant leur archet plus proche du centre de gravité (ce qui facilite les changements de corde
rapides et le contrôle de l’archet de manière générale). De plus, la sonate ne commence
réellement à prendre son aspect définitif (toujours en Italie) que dans la seconde moitié du
XVIIe siècle, de même que le concerto pour instrument soliste, ou que les pièces très virtuoses
des compositeurs germaniques comme Schmelzer, Biber ou Walther5. Ceci pourrait alors
expliquer pourquoi l’archet aurait eu tendance à s’allonger, ce type de musique requérant
souvent des sons soutenus plus longtemps (donc des longueurs de mèche plus grandes) que
dans les sonates du premier baroque. De plus, la tenue basse du violon devait peut-être
commencer à devenir instable pour ces musiques, ce qui pourrait expliquer pourquoi les
instrumentistes auraient alors eu tendance à remonter à l’épaule (et pourquoi Prinner
réclamerait une tenue au cou). Cependant, il ne s’agit probablement pas de la seule raison,
d’une part parce que les meilleurs violonistes dont nous connaissons la tenue jouaient tous
extrêmement bas (Biber sur la poitrine et Matteis encore plus bas), et d’autre part parce que
ce mouvement de montée du violon s’observe aussi en Hollande chez les paysans, lesquels
n’étaient certainement pas concernés par les nouveautés de la musique « savante ». Ainsi, si
les nouvelles formes musicales peuvent peut-être, en partie, expliquer ces évolutions, elles
n’en sont certainement pas la seule raison.
4 MERULA, Tarquinio, Canzoni overo sonate concertate per chiesa e camera, op.12, Venice, s.n., 1637, s.p.5 BIBER, Heinrich, Battalia a 9, C 61, urtext d’après le manuscrit du compositeur, 1673, s.p.
194
Le XVIIIe siècle correspond sans doute aux transformations les plus notables. En effet,
alors que l’archet s’allonge considérablement, la tenue « italienne » se répand pour devenir
particulièrement pratiquée au milieu du siècle, au point de supplanter souvent totalement la
tenue « française ». Dans le même temps, la tenue haute, à la clavicule puis au cou, remplace
très clairement les tenues basses. Il ne s’agit pas encore de la tenue actuelle, mais de la mise
en place rapide de la tenue « baroque », utilisée par les musiciens de notre époque, qui
correspond donc principalement au paysage technique des dernières décennies de la période
baroque. Or, cette même première moitié de siècle correspond effectivement à des
changements assez radicaux dans les goûts musicaux, qui ont tendance à se standardiser et
abandonner le côté « expérimental » et « spontané » que l’on pouvait leur connaître au XVIIe
siècle. Les controverses de cette époque entre Anciens et Modernes sont d’ailleurs
particulièrement révélatrices6, la multiplication des cours et des cercles de particuliers, qui
trouvent un intérêt à la musique instrumentale, faisant nettement évoluer les perceptions. Sous
l’influence du goût « galant », on cherche en effet maintenant plus à retranscrire des
sentiments que des phénomènes naturels réalistes ou des constructions mathématiques comme
on le faisait jusque-là. Concrètement, la musique instrumentale fait à présent la part belle aux
instruments solistes développant une virtuosité maximale : d’une part à travers le concerto
dont il s’agit de l’essence même et qui avait commencé à se développer à la fin du XVIIe
siècle, mais également la sonate qui perd son caractère collectif du siècle précédent pour
devenir également plus soliste (soit parce que la basse ne fait plus qu’accompagner
l’instrument haut, soit parce que ce dernier est réellement seul). Au milieu du siècle, les
sonates en solo sont même devenues plus techniques que les concertos, au point qu’elles
peuvent toujours être considérées comme des tours de force à l’heure actuelle, alors même
que la technique moderne les rend bien plus aisées à interpréter7. Or, il devient absolument
nécessaire pour exécuter ce type d’œuvres de disposer d’un archet long (pour les tenues) mais
également léger (cette musique requiert souvent des changements de corde très rapprochés) :
il semble donc logique de rallonger l’archet pour gagner en longueur de mèche, mais aussi
d’avancer un peu la main pour se rapprocher du centre de gravité et ainsi « alléger »
6 RAGUENET, François, Paralele des Italiens & des François en ce qui regarde la musique et les Operas , Paris, Jean Moreau, 1702, 124 p.
7 On peut par exemple citer le violoniste Pietro Locatelli, italien établi à Amsterdam entre 1729 et sa mort en 1764 : celui-ci a produit des oeuvres de tous types, des vieilles sonata da camera aux concertos et aux sonates en soliste, toutes complexes, mais ses concerti de l’opus 3 (dit L’Arte del violino), parus en 1733, intègrent des « caprices » où le violon est totalement seul et qui font toujours parti des pièces de démonstration technique proposées en concert par les virtuoses actuels.
195
virtuellement le poids de la baguette, ce qui explique les archets longs et la tenue
« italienne ». D’autre part, il est également de plus en plus indispensable de pouvoir stabiliser
au maximum le violon, et rapidement, de poser le menton dans les démanchés : la technique
du démanché rampant est en effet trop lente pour les démanchés rapides nécessaires dans ces
pièces, et il faut tenir le violon autrement pour laisser à la main gauche toute liberté pour
changer de position presque instantanément. Ceci explique donc l’abandon rapide des tenues
basses au profil des tenues hautes, et en particulier de la tenue au cou, même si le menton n’a
pas été immédiatement posé en permanence, puisque utile, à l’origine, seulement dans les
démanchés.
Enfin, la seconde moitié du siècle voit progressivement l’apparition d’une tenue
« moderne », bien que celle-ci ne fut pas concrétisée avant au moins les années 1770, voire
1780. Concrètement, la main droite a tendance à revenir sur la hausse, toujours avec un archet
long (qui par contre se transforme pour devenir un archet classique et non plus baroque), et
d’autre part la tenue au cou est clairement généralisée et le menton commence à être posé, à
droite puis à gauche du cordier. De fait, les évolutions de la musique constatées au début du
siècle se concrétisent à cette époque dans le style classique ; il n’est pas vraiment possible de
trouver une influence directe de la pensée des Lumières sur la musique, comme certains
auteurs ont pu le proposer, mais l’évolution des deux semble tout de même aller de pair8. En
particulier, alors que les formes musicales du début du siècle étaient encore parfois instables
puisque relativement nouvelles, elles se solidifient dans la seconde moitié : la sonate et le
concerto, auparavant de composition variable, se structurent selon une logique qui ne
changera pas jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle au moins. De plus, les écoles italienne
et française perdent en dynamisme à cette époque, ce qui contribue à unifier les goûts
européens autour des pratiques viennoises (emmenées par Mozart et Haydn en particulier).
Au niveau violonistique, il s’agit donc à présent d’assurer une maîtrise technique parfaite
d’un style qui est, par contre, plus épuré que précédemment. Ainsi, la stabilité de l’instrument
et le rôle unique dévolu à la main gauche par le fait de poser en permanence le menton sur le
violon intéressent les artistes, qui y perdent certes les possibilités de jeu « non académiques »
des époques précédentes, mais celles-ci ne sont justement plus recherchées voire
déconseillées. De même, à l’archet, la longueur semble convenable et il n’est alors plus
8 LAMARQUE, Lucio (dir.), id., p. 930.
196
besoin de le rallonger ; par contre, les archets baroques sont moins puissants à la pointe qu’au
talon, une caractéristique gênante dans la musique classique où le son doit être le plus
homogène possible. Pour pallier cela, on redresse ainsi la tête de l’instrument, ce qui permet
une distribution plus verticale du poids sur la mèche à la pointe et un meilleur contrôle. Il
semble donc bien qu’au XVIIIe siècle, et en particulier à la période classique, les évolutions de
la musique aient guidé les changements techniques, aussi bien dans les gestes que dans les
instruments eux-mêmes. Il s’agit là d’une distinction importante avec les périodes
précédentes, pour lesquelles les modifications de la musique n’avaient pas autant
d’importance sur la définition de la technique, qui semblait répondre à des logiques plus
propres à elle-même.
B ) Évolutions de la technique, évolutions de la musique
De fait, il faut d’ailleurs remarquer que la technique reste parfois immuable alors
même que l’évolution de la musique aurait plutôt tendance à entraîner les instrumentistes à en
changer. L’exemple le plus parlant en est la tenue de poitrine utilisée apparemment par Biber
et Schmelzer, si nos analyses (et celles de certains auteurs avant nous) sont correctes. Nous
avons constaté précédemment que celle-ci ne devait pas les empêcher d’effectuer des gestes
techniques complexes, sans quoi ils n’auraient pas pu jouer leur propre musique. Ceci étant,
l’expérimentation montre tout de même que ces musiques, et en particulier celle de Biber,
sont bien plus faciles à jouer avec le violon tenu au cou, pour pouvoir poser le menton dans
certains démanchés. En effet, le démanché rampant nécessite un peu de temps et de liberté
pour être exécuté : dans la plupart des morceaux du XVIIe siècle, il est généralement possible
de trouver un silence, une note à vide ou une tenue, peu de temps après un démanché arrière
(quand celui-ci est manifestement nécessaire du moins), qui offrent un répit permettant de
remettre correctement la main en place. Par contre, si ce cas de figure se rencontre encore
chez Biber, il n’est pas systématique, et il peut parfois être nécessaire de replacer la main sans
temps réellement dédié à cela, et donc en continuant de jouer9. Ce geste reste tout de même
faisable, d’autant qu’il est généralement requis dans des passages assez lents, mais il constitue
une limite quant aux possibilité techniques avec la tenue basse. Ces démanchés seraient déjà
9 BIBER, Heinrich, Battalia a 9, C 61, urtext d’après le manuscrit du compositeur, 1673, s.p.
197
nettement plus faciles à réaliser en tenue haute, et il est impossible de les exécuter à plus
haute vitesse encore, comme celles indiquées dans certaines compositions du XVIIIe siècle.
Ainsi, il semble que l’état de la technique parmi les solistes soit plutôt en retard qu’en avance
sur la moyenne, même si elle n’est pas « périmée » non plus : on pourrait probablement
expliquer cela par le fait qu’ils ont souvent appris à jouer très tôt, avec une certaine technique,
qu’ils ont perfectionnée pour arriver à leur niveau de virtuosité, et qu’ils n’ont donc aucun
intérêt à changer pour eux-mêmes, alors qu’un débutant aurait tout intérêt à apprendre avec
les techniques plus récentes.
Le même mécanisme peut probablement être observé au milieu du XVIIIe siècle,
encore que l’on ne traite pas ici forcément de la tenue réelle des violonistes reconnus, mais
plutôt de celle qu’ils conseillent aux apprentis, et qui n’est pas forcément exactement la
même. Toujours est-il que nous voyons réellement s’implanter les tenues et les archets
classiques dans les années 1770, du moins pour ce qui est de leur adoption généralisée.
Comme on a pu le constater avec la tenue à l’italienne d’archets Dodd en Allemagne, certains
gestes remontant au milieu du siècle peuvent encore être observés à cette époque, même avec
le matériel le plus récent. Or, ces évolutions sont censées correspondre à un nouveau type de
musique, dite « classique » ; il faut noter que celle-ci est en réalité apparue dès la décennie
1750, avec le « style galant » qui n’est pas encore purement classique mais s’en rapproche
déjà plus que du baroque tardif. Ainsi, si le style musical n’est pas encore tout à fait arrêté, le
son recherché est sensiblement le même vers 1750 qu’il le sera dans toute la seconde moitié
du siècle. Pourtant, ces années 1750 correspondent justement à l’apogée de la technique
baroque, avec une tenue très avancée sur des archets dans la droite ligne de ceux de la
première moitié du siècle, simplement plus longs, et l’ensemble technique (violon et archet)
classique n’est apparu que plus d’une, voire deux, décennies après. Certes, ce laps de temps
reste assez court au regard de notre période (et des sources qui ne permettent pas une
précision chronologique très fine), mais il semble bien là aussi, qu’un certain décalage existe
entre le moment où une technique semble devenir dépassée et celui où elle est effectivement
modifiée ou remplacée.
D’autre part, nous pouvons également nous interroger si, à l’inverse, la technique ne
pourrait pas également être un facteur d’évolution de la musique, au moins dans certains cas.
198
L’hypothèse semble peu probable dans le cas de la musique du XVIIIe siècle, ou de la seconde
moitié du XVIIe, puisque nous venons de voir que la logique était plutôt inverse ; il faut
toutefois remarquer que la musique n’aurait peut-être pas évolué autant si la technique n’avait
pas su s’adapter aussi vite, les deux restant donc étroitement liés. Par contre, pour la
Renaissance et le premier baroque, il ne semble pas que la musique ait réellement influencé la
technique, et les quelques évolutions constatées sont plutôt le fruit de modifications dans la
facture des instruments. Par contre, peut-être ces modifications des instruments ont-elles pu
avoir un impact sur la musique jouée ? Il est difficile de répondre à cette question pour des
périodes aussi anciennes, en particulier par manque de sources. Cependant, nous pouvons tout
de même souligner que l’évolution de l’archet semble cette fois précéder quelque peu le
développement de nouveaux idiomes musicaux : l’archet de type 3, principalement utilisé à la
Renaissance, apparaît en fait à la fin du XVe siècle, et de même l’archet de type 6 apparaît
peut-être dès les premières années du XVIIe siècle, alors qu’il est plutôt associé à une pratique
plus tardive. Même le violon, qui connaît ses lettres de noblesse à partir de la fin du XVIe
siècle, voit le jour en réalité un demi-siècle avant. Dans ce cas, il semble donc bien que le
nouvel instrument ait précédé la musique qui l’a réellement mis en valeur. On peut donc
émettre l’hypothèse qu’à cette époque, les musiciens avaient peut-être plus tendance à profiter
des innovations en matière d’objets techniques, éventuellement juste conçues comme des
formes expérimentales par les luthiers, pour sélectionner les plus intéressants et développer
un répertoire permettant de les exploiter. En particulier, le violon a d’abord été utilisé comme
la vièle, et souffrait d’un manque manifeste de reconnaissance, avant que les compositeurs ne
finissent par lui trouver de l’intérêt et à en faire un instrument particulièrement prisé par la
création d’un répertoire spécifique. Cette démarche semble donc plus typique des périodes
anciennes, même si son existence est sans doute moins assurée que le mécanisme inverse, au
XVIIIe siècle. Il faut pourtant remarquer qu’elle n’a pas entièrement disparu ensuite : en
particulier, le piano était à l’origine une création de l’extrême fin du XVIIe siècle, attesté pour
la première fois en 1698, mais qui n’a pas vraiment rencontré de succès à l’origine10. Or, les
perfectionnements de l’instrument, alliés au changement des goûts au XVIIIe siècle, lui ont
permis d’être remarqué progressivement par les instrumentistes (par exemple, le facteur
Silbermann présenta un de ses instruments à Johann Sebastian Bach dans les années 1730,
lequel n’eut pas vraiment de succès auprès du compositeur, mais celui-ci se montra par contre
10 PIZZI, Mario, Histoire du piano de 1700 à 1950, Chambéry, M. Pizzi, 1983, 314 p.
199
plus enthousiaste devant une version améliorée en 1747). Finalement, la deuxième moitié du
XVIIIe siècle vit l’adoption généralisé de cet instrument, qui existait en fait depuis plus d’un
demi-siècle mais qui ne correspondait pas jusque-là à la musique de son temps. Par contre,
lorsque le luthier viennois Johann Georg Stauffer conçut l’arpeggione en 1823, une sorte de
croisement entre un violoncelle et une guitare, seules deux œuvres furent écrites pour cet
instrument, avant qu’il ne tombe dans l’oubli, montrant par là que cette dynamique ne
fonctionne pas systématiquement11.
C ) Le cas de la musique populaire
Ces différentes observations ne sont cependant valables que pour la musique
« savante », à savoir celle pratiquée par les professionnels et les amateurs fortunés. Il reste
toutefois une troisième catégorie sociologique, celle du reste du peuple (en particulier rural),
abondamment citée jusqu’ici mais qui reste totalement en-dehors des circuits de diffusion des
musiques « savantes », se focalisant principalement sur des musiques simples, en particulier à
danser. Il est donc impossible de chercher à analyser l’évolution de leurs techniques par
rapport à la musique que nous connaissons dans les partitions, puisque celles-ci n’étaient pas
utilisées par cette partie de la population. Nous ne possédons pas de traces musicales de la
musique populaire, du moins écrites par les musiciens eux-mêmes, avant des périodes très
récentes, puisque la notation musicale leur était totalement inconnue. Les seules sources en
notre possession, pour appréhender cette musique, sont ainsi, d’une part les thèmes transmis
par tradition orale, mais il est souvent difficile d’en préciser les dates et origines dans les cas
(plus rares qu’on ne pourrait le penser) où ils sont antérieurs au XIXe siècle ; et d’autre part
des mélodies qui ont été transcrites, pour différentes raisons, par des compositeurs. On en
retrouve parfois dans des recueils, par exemple Terpsichore Musarum de l’allemand Michael
Praetorius, publié en 161212 : les très nombreuses danses que l’on y découvre sont peut-être
un peu retravaillées, notamment pour les passer à quatre voix, mais il s’agit originellement de
danses paysannes. D’autre part, certains thèmes à l’origine populaires ont été intégrés dans la
11 LAMARQUE, Lucio (dir.), id., p.28.12 PRAETORIUS, Michael, Terpsichore. Musarum Aoniarum, Wolfenbüttel, Michael Praetorius, 1612, s.p.
200
musique « savante » et retravaillés par les compositeurs, mais sans perdre la connaissance de
leur forme d’origine. C’est par exemple le cas des nombreuses basses d’improvisation des
XVIe et XVIIe siècles, avec parmi les plus célèbres la Folia, une danse portugaise de la fin du
Moyen-Age, dont l’« arrangement » le plus connu actuellement est celui de Corelli en 170013,
ou encore la Romanesca, un thème espagnol dont la variante la plus connue actuellement est
la chanson anglaise Greensleeves, datée du XVIe siècle.
Dans tous les cas, la difficulté technique est assez commune : certes, les formes ont
évolué, et les thèmes peuvent être plus ou moins ornementés, mais le jeu ne nécessite
généralement pas de démanché, alors qu’il peut éventuellement recourir à des coups d’archets
rapides mais courts, pour lesquels un archet de type 6 pourrait être très bien adapté. Ainsi, du
point de vue de la technicité, il n’y a, a priori, pas de différence fondamentale entre les
musiques à danser de la fin du Moyen Age, ou du moins de la Renaissance, la musique que
devaient jouer les paysans représentés dans les tableaux des XVIIe et XVIIIe siècle, et la
musique « folklorique » actuelle, dont l’un des meilleurs exemples est la musique
« celtique ». Les morceaux et sonorités ne sont pas les mêmes, mais un violoniste capable de
jouer l’un de ces styles pourrait probablement s’adapter aux autres sans réelle difficulté, et
surtout sans avoir besoin de modifier sa technique. Les modifications de la technique
violonistique de ces catégories sociales ne sont donc probablement pas à comprendre en
termes de rapports avec la musique.
La question de la technique de ces musiciens est très peu traitée dans
l’historiographie : en effet, ceux-ci sont invisibles dans les traités, et, l’iconographie étant
souvent choisie pour illustrer, ou au mieux approfondir, les déductions effectuées à partir des
sources textuelles, les représentations de paysans ne sont pas prises en compte (ou
uniquement lorsqu’elles correspondent à ce qui est indiqué dans les traités, même si ceux-ci
ne sont pas censés s’y appliquer, et en tout cas pas en tant que telles). La seule étude à se
pencher sur cette problématique est celle de Greta Moens-Haenen14 (à laquelle on peut
rajouter un article de Thomas Drescher15, mais qui ne traite pas vraiment de la tenue), à
13 CORELLI, Arcangelo, « Follia », Sonate a violino e violone o cimbalo. Parte seconda, op. 5, Rome, Gasparo Pietra Santa , [v.1700], pp. 62-68.
14 MOENS-HAENEN, Greta, op. cit., p. 47-51.15 DRESCHER, Thomas, « Bierfidler, Kunstgeiger, Virtuosen. Soziale Schichtung und Repertoirefragen bei
Violinspielern zur Zeit Bibers », in WALTERSKIRCHEN, Gerhard (éd.), Heinrich Franz Biber. Kirchenund Instrumentalmusik. Kongressbericht des H.I.F. Biber-Kongresses, Salzburg 1994, Salzburg, Selke Verlag,
201
travers ce que Johann Beer16 appelait en 1719 les Bierfidlern, soit littéralement les
« violonistes de bière » ou par extension « violonistes de taverne ». Cependant, cette étude,
même si elle est particulièrement poussée, se cantonne tout de même en priorité aux sources
textuelles ; or, le Musicalische Discurse de Johann Beer est un ouvrage général sur la
musique, avec des considérations très théoriques, et le chapitre sur les « violoneux » (souvent
originaires de Pologne) ne sert en réalité pas à décrire ceux-ci, mais à démontrer « leurs
erreurs », comme il l’indique lui-même d’emblée. Leur tenue n’est donc pas réellement
décrite, mais plutôt leur présentation de manière générale, afin de les dénigrer. Ainsi, le
discours développé dans l’étude de Greta Moens-Haenen reste assez général, puisqu’il
n’existe pas vraiment de source écrite, et que même les sources iconographiques sont rares
pour l’Allemagne du XVIIe siècle qui est sa principale zone chrono-géographique. D’après
elle, la tenue de ces « violoneux » serait simplement une tenue basse avec un archet court, de
type 6, soit celle qui est représentée sur les tableaux hollandais de la même époque.
Or, nous avons relevé auparavant que les bourgeois hollandais du XVIIe siècle
pouvaient en réalité fort bien adopter exactement la même technique, et que, d’autre part,
celle-ci ne se rencontre absolument pas à certaines époques, preuve que la tenue a dû évoluer
aussi dans les milieux les moins aisés. D’après notre corpus iconographique (qui ne couvre
pratiquement que les XVIIe et XVIIIe siècles pour les milieux populaires, avec une soixantaine
d’occurrences), la tenue populaire est majoritairement, au XVIIe siècle, à la poitrine avec un
archet de type 6 serré à la hausse jusque vers 1635, soit la description donnée par Greta
Moens-Haenene ; puis principalement d’épaule avec un archet de type 6 et une tenue engagée
jusqu’en 1650 ; et enfin dans la seconde partie du siècle des tenues variées aussi bien pour le
violon (avec des tenues basses mais aussi à la clavicule) que pour l’archet, celui-ci étant à
présent de type 7. Pour le XVIIIe siècle, la tenue du violon est presque toujours à la clavicule
ou au cou (mais le menton non posé dans ce cas), avec un archet de type 8 généralement tenu
avec la main engagée. Ceci étant, la documentation étant de fait majoritairement hollandaise
pour le XVIIe siècle, et anglaise ou un peu italienne pour le XVIIIe, cet aperçu n’est pas
forcément valable pour toute l’Europe, et reflète surtout des variations locales (ce qui est
évident pour la hollande du XVIIe siècle).
1997, pp. 132-146.16 BEER, Johann, MUSICALIsche Discurse durch die Principia der Philosophie dedurcit, und in gewisse
Capitel eingerbeilt, Deren Innhalt nach der Borrede zu finden. Nebst einem Anhang von eben diesem Aurore, genannt der Musicalische Krieg zwischen der Composition und der Harmonie, Nürnberg, Peter Conrad Monath, 1719, 216 p.
202
Dans tous les cas, il est tout de même clair que la technique des « violoneux » a tout
autant évolué que celle des musiciens plus confirmés, et globalement dans le même sens bien
que certaines distinctions puissent apparaître (le menton n’est pas exemple jamais posé au
XVIIIe siècle). Pourtant, ceux-ci n’avaient aucune raison de modifier leur manière de faire
pour jouer des morceaux plus complexes, la musique qu’ils jouaient ne requérant a priori pas
de nouveautés techniques, même si elle évoluait : d’ailleurs, les musiciens jouant
actuellement des musiques apparentées (soit réellement traditionnelles, soit intégrant des
éléments folkloriques dans des musiques plus actuelles) jouent encore couramment avec la
main avancée sur l’archet, et parfois avec une tenue du violon basse17. Pour expliquer cette
évolution de la technique sans raison liée à la musique, nous pouvons donc émettre
l’hypothèse que celle-ci s’est faite par mimétisme : en effet, le fait que ces musiciens ne
soient pas du même « monde » social que les amateurs fortunés ne les empêchaient pas
forcément de les côtoyer à l’occasion, comme on peut d’ailleurs le voir sur certains tableaux
hollandais dans lesquels un ou deux personnages aisés viennent visiter une fête populaire.
L’existence d’un « roi des violons » en France à la même époque, chef tout à fait officiel de la
corporation des ménétriers, accrédite d’ailleurs cette idée, surtout quand l’on sait que ce titre
est un office et que ses détenteurs au XVIIe siècle étaient tous musiciens professionnels à la
cour18. Dans ce sens, il aurait pu être avantageux socialement parlant, pour les musiciens
populaires, de chercher à imiter la manière de faire des groupes sociaux plus puissants, ce qui
expliquerait pourquoi les deux techniques évoluent globalement de pair, avec éventuellement
quelques différences. Par exemple, la tenue d’épaule est finalement adoptée beaucoup plus
massivement par les paysans que par les bourgeois d’après l’iconographie hollandaise
correspondant au baroque moyen : il suffirait que quelques-uns aient modifié leur façon de
faire en s’inspirant d’une nouveauté observée dans des milieux plus aisés pour que les autres
aient suivi la transformation, alors que dans le même temps seuls les amateurs en ressentant le
besoin ont effectivement changé de technique. Il ne s’agit bien sûr que d’une hypothèse de
travail, mais elle pourrait au moins expliquer ces changements apparemment peu logiques
dans la technique des classes populaires.
17 On pourra observer la technique des violonistes de « musiques extrêmes », dont les morceaux requièrent souvent un minimum de technique et ne sont jamais joués en play-back : Jaakko Lemmetty de Korpiklaani (Finlande) ou encore Meri Tadic de Eluveitie (Suisse) par exemple.
18 CHARLES-DOMINIQUE, Luc, Les ménétriers français sous l’ancien régime, Paris, Klinksieck, 1994, 335 p.
203
VII) Les ruptures techniques, impacts de facteurs externes ?
Nous avons pu constater tout au long de notre étude un certain nombre de dynamiques
dans l’évolution des techniques violonistiques au cours de l’époque moderne, montrant selon
les cas, des évolutions plus ou moins rapides, des périodes de stabilisation, ou au contraire
des ruptures assez nettes, ces différents éléments n’étant pas tous explicables (ou du moins
pas entièrement) par leur relation à la musique. Ainsi, si les évolutions techniques
relativement progressives peuvent en général être reliées à des évolutions dans la musique,
même s’il ne s’agit pas forcément du seul facteur, il est plus difficile d’expliquer certaines
persistances, ou à l’inverse des changements plus brutaux, alors même que la musique a
tendance à évoluer en permanence et de manière assez régulière. Nous pouvons donc poser la
question de l’existence d’une part de « cultures techniques » qui stabiliseraient une technique
alors même que la musique qu’elle sert évolue dans le même temps, et d’autre part de
« ruptures techniques » qui seraient peut-être plus liées à des événements ponctuels qu’à des
évolutions musicales.
A) Cultures et techniques, cultures techniques
1) Les identités « italienne » et « française »
En premier lieu, l’existence de deux cultures techniques « italienne » et « française »,
quoique probablement un peu trop mise en avant dans l’historiographie par rapport à sa
réalité historique, n’en est tout de même pas pour autant négligeable. Si la tenue du violon ne
montre en réalité pas trop de différences entre les deux pays, il est par contre notable que,
pour l’archet, à partir d’une tenue uniforme à la hausse, de fait commune, car liée aux archets
courts au XVIIe siècle, les traditions française et italienne se sont très clairement différenciées
au XVIIIe siècle. Pourtant, les sonates virtuoses sont apparues relativement rapidement au
XVIIIe siècle dans les deux pays, et, si le style différent (plus léger chez les italiens) peut
204
éventuellement expliquer en partie la différence de technique, cette divergence de « goût » ne
semble pas constituer à elle seule une raison suffisante pour le creusement de ce fossé
technique entre les deux pays.
Par contre, il faut remarquer que la gestion de la musique en France a toujours été
beaucoup plus centralisée qu’en Italie au XVIIe et pendant une grande partie du XVIIIe siècle.
En effet, au moins pendant le XVIIe siècle, la musique « savante » française était très
largement concentrée à Versailles, et éventuellement à Paris, sachant que la corporation des
ménétriers était dirigée, comme nous l’avons vu, par un musicien de la cour. Or, cette
corporation était censée être la seule à pouvoir former et encadrer des musiciens
professionnels, qui eux-mêmes étaient théoriquement les seuls habilités à jouer de la musique
en public (y compris dans les milieux ruraux). Bien sûr, il va de soi qu’une pratique non
encadrée a dû également prospérer, mais ceci montre la hiérarchie stricte de la musique
française, dont la tête était à Versailles et qui rayonnait assez profondément dans la société.
De ce fait, les violonistes de la cour n’ont peut-être pas « défini » la tenue adoptée dans toute
la France, mais il est possible qu’ils l’aient influencée. D’autre part, au XVIIIe siècle, cette
architecture était toujours en place même si elle apparaissait comme de plus en plus dépassée
(la ménestrandise n’a été abolie qu’en 1776) ; de plus, la pratique amateur se développait
dans les salons parisiens, mais les violonistes professionnels intervenant dans ce cadre
exerçaient à la cour, et les amateurs la fréquentaient, donc la logique restait toujours plus ou
moins la même, avec une direction générale donnée par les musiciens royaux.
A l’inverse, en Italie, le morcellement politique de la région impliquait la coexistence
d’une multitude de cours, dont aucune ne pouvait faire imposer son autorité aux autres en la
matière. Les tendances techniques émergentes ne pouvaient donc qu’être le fruit d’une
adaptation au nouveau discours musical et d’une « concertation » (consciente ou non) entre
les musiciens. Ainsi, il serait peut-être possible d’expliquer la divergence technique observée
à partir du début du XVIIIe siècle entre la France et l’Italie par une organisation différente des
réseaux de sa diffusion : l’Italie aurait pu s’adapter librement aux nouvelles formes musicales
(et l’on voit d’ailleurs que la tenue de l’archet n’est en réalité pas vraiment standardisée),
alors qu’en France la « suprématie » des musiciens professionnels de la cour aurait peut-être
plus orienté la technique de l’ensemble du pays dans une même direction, ce qui peut se
205
constater à travers une technique assez homogène. Or, la musique française de cour étant
restée principalement une musique à danser au moins jusqu’à la mort de Louis XIV au début
du XVIIIe siècle, il est possible que les musiciens la pratiquant n’aient pas souhaité modifier la
tenue qu’ils utilisaient déjà au XVIIe siècle pour un répertoire semblable, même en adoptant
les nouveaux modèles d’archet. Il ne s’agit bien sûr là encore que d’une hypothèse, mais elle
pourrait peut-être expliquer en partie cette évolution différentielle.
2) La place de l’Allemagne
Si l’Italie et la France semblent posséder chacune une culture technique propre, au
moins pour la première moitié du XVIIIe siècle (puisque le matériel des époques précédentes
ne permettait pas vraiment de choix dans les tenues employées, et que la technique a eu
tendance à s’uniformiser au cours de la période classique), ainsi que l’Angleterre dans une
certaine mesure, il n’est pas vraiment possible de dire la même chose pour l’espace
germanique. En effet, dès le XVIe siècle, la tenue allemande pour le violon était extrêmement
variée, alors qu’en Italie elle restait principalement sur l’épaule et la clavicule ; de même
l’archet de type médiéval est souvent montré avec une tenue quelque peu avancée, au
contraire de l’Italie où il restait presque toujours clairement serré par la poignée. Il peut certes
s’agir de licences des peintres, mais il semble tout de même bien que le paysage technique
n’était pas aussi standardisé qu’en Italie à la même époque. Pour le XVIIe siècle, les sources
sont relativement rares, mais on y trouvait une tenue d’archet globalement française, d’après
Muffat, avec des virtuoses adoptant une position très basse pour le violon, et d’un autre côté
quelques remises en cause très radicales (proposant des tenues de violon beaucoup plus
hautes que ce qui se pratiquait en Italie à la même époque), comme chez Prinner. Par contre,
au XVIIIe siècle, l’Allemagne s’avère assez pionnière dans l’adoption de nouveaux modèles
d’archet, et peut se révéler très contrastée dans ses choix techniques quant à la tenue : on y
trouve ainsi principalement des tenues de violon hautes, mais des exemples comme celui de
Mozart nous montrent que la tenue basse n’était pas pour autant oubliée, et d’autre part
l’archet pouvait aussi bien être saisi d’une main très avancée, tout à fait à l’italienne, qu’à la
hausse.
206
Ainsi, l’Allemagne ne semble pas avoir réellement une culture uniforme (même en
admettant que celle-ci ne lui soit pas propre), puisque à de nombreuses périodes on peut
observer une certaine diversité dans les tenues employées. Il ne s’agit toutefois pas non plus
d’une région sans réelle « ligne directrice » technique puisqu’on peut également observer
parfois des périodes plus homogènes, mais qui ne se calquent pas toujours sur le même pays
(la tenue de l’archet en particulier est proche, voire identique, à la tenue française à la fin du
XVIIe siècle, mais tend plus vers une technique italienne dans la première moitié du XVIIIe
siècle). Il ne semble cependant pas pertinent de vouloir chercher la cause (ou au moins une
des causes) de ces rapprochements dans le domaine politique. En effet, en admettant même
qu’il s’agisse réellement d’une proximité technique « consciente » (comme le laisserait plus
ou moins supposer le texte de Muffat), et non de coïncidences, celle-ci n’a pas de logique par
rapport au contexte politique de l’époque. En effet, à la fin du XVIIe siècle, le Saint-Empire
s’opposait à la France, tout comme la plupart des autres pays européens, notamment au sein
de la ligue d’Augsbourg. Il n’y a donc probablement aucune raison pour que cette adoption de
techniques « françaises » soit le fait d’une volonté politique, même indirecte. De même, il ne
semble pas y avoir de relation particulière entre les pays germaniques et italiens au XVIIIe
siècle, qui permettrait d’expliquer la ressemblance de leurs cultures techniques musicales.
Pourtant, malgré une situation politique peu favorable, il faut souligner que le « goût
français » a eu tendance à s’imposer à toute l’Europe à cette époque, l’exemple le plus
frappant en étant l’architecture avec la reproduction de châteaux du style de Versailles
jusqu’en Russie en passant par l’Allemagne, d’autres domaines comme par exemple la
littérature n’échappant pas à cette influence. Il est ainsi possible, même si le centre le plus
dynamique pour les formes musicales à la fin du XVIIe siècle était l’Italie, que la technique de
jeu ait, elle, plutôt rayonné à partir de la France ; ceci expliquerait alors pourquoi une région
comme l’Allemagne, ne possédant apparemment pas de culture technique forte auparavant
dans ce domaine, ait eu tendance à adopter un style français plutôt qu’italien pendant le
baroque moyen. A l’inverse, au XVIIIe siècle, les compositions allemandes (en particulier les
sonates) ont un style particulier à cette région, mais dans lequel on retrouve plus souvent des
influences italiennes que françaises. Il est donc possible, pour cette époque où l’influence
française sur les arts se faisait un peu moins évidente, que le développement de nouvelles
207
formes musicales italiennes, qui d’ailleurs rayonnaient également en France, ait orienté les
instrumentistes plus vers l’Italie que vers la France, bien que nous ayons vu que les tenues
étaient encore très diversifiées. Ainsi, même si ces explications ne peuvent être que des
hypothèses, il semble en tout cas que l’Allemagne soit un creuset technique, ajoutant à ses
propres spécificités des influences de l’une ou l’autre région voisine, au contraire de la France
et de l’Italie qui paraissent plutôt s’être chacune repliée sur son environnement technique
jusqu’au moins au début, voire au milieu XVIIIe siècle.
3) La Hollande de 1635
Le cas de la Hollande du XVIIe siècle est lui assez particulier ; en effet, on y trouve un
modèle technique globalement assez stable, avec une tenue basse du violon, et une tenue de
l’archet généralement à la hausse. Néanmoins, après 1635, celle-ci a tendance à se modifier,
avec un violon remontant de la poitrine à l’épaule, et une tenue de l’archet plus avancée dans
certains cas. Or, à moins qu’il ne s’agisse d’un effet de sources, ce qui semble relativement
peu probable étant donné que leur fréquence est relativement stable depuis les années 1620,
voire 1610, jusqu’aux années 1670, avec des styles et sujets similaires, la modification subite
du paysage technique au milieu des années 1630 interroge quelque peu. Il ne s’agit pas d’une
rupture à proprement parler, la technique restant globalement la même, mais des ajustements
assez significatifs, survenant en à peine une décennie. Cette date correspond bien, plus au
moins, au passage du baroque ancien au baroque moyen, et des modifications peuvent
également se ressentir dans d’autres zones géographiques, mais elles ne semblent pas aussi
notables (il faut cependant noter que l’on ne dispose pas de beaucoup de sources en-dehors de
la Hollande : cette observation doit donc être considérée avec prudence).
Il est là encore difficile de trouver des propositions pour expliquer ce changement
technique. Nous pouvons faire la remarque que, à cette époque, la zone de la « Hollande »
était en réalité divisée en deux entités, à savoir les Pays-Bas espagnols au Sud, et les
Provinces-Unies au Nord, une république séparatiste d’où sont issus la plupart des peintures
figurant dans notre corpus iconographique. De fait, en guerre depuis la sécession des
Provinces-Unies en 1581 (et même avant, l’année 1568 étant considérée comme le début de
208
cette Guerre de Quatre-Vingts ans), ces deux entités le sont restées jusqu’en 1648, lorsque
cette guerre s’est terminée en même temps que la guerre de Trente Ans dans laquelle elle
s’était fondue. De plus, entre 1609 et 1621, une trêve avait permis un certain redressement de
la région.
Nous ne connaissons pas l’environnement technique des Pays-Bas espagnols à cette
époque : nous pourrions nous baser sur les sources clairement originaires de cette région (que
nous avons indiquées comme « Belges »), mais celles-ci sont peu nombreuses. Ou bien, en
supposant que le fait d’être regroupées dans l’empire des Habsbourg d’Espagne aurait permis
une circulation des techniques entre les régions et une certaine uniformité (ce qui n’a rien de
certain), nous aurions pu utiliser les sources espagnoles, mais celles-ci sont tout aussi rares ;
ou enfin, les sources italiennes, un peu plus nombreuses, mais elles renvoient surtout au Nord
de la péninsule, alors que seul le Sud appartient à la couronne espagnole. Ainsi, aucune
source ne permet de connaître la technique violonistique aux Pays-Bas espagnols ; toutefois,
toutes les possibilités évoquées (et en particulier l’iconographie « belge »), même peu
exploitables, renvoient l’image d’une tenue plutôt haute, bien que l’archet soit toujours saisi
majoritairement à la hausse (ce qui est logique puisque celui-ci est court).
Nous pourrions alors éventuellement supposer que, à l’occasion de la guerre, ou peut-
être plus vraisemblablement de la période de paix dans la seconde décennie du XVIIe siècle,
une technique un peu différente aurait pu être observée chez les musiciens du Nord auprès de
leurs voisins du Sud, et que, après un petit temps d’« intégration » (une décennie ou un peu
plus), ces derniers aient modifié leur propre technique : on note d’ailleurs que, si la tenue à
l’épaule se fait réellement plus présente vers 1635, elle est dans l’absolu documentée à partir
de la décennie 1610, tout comme la tenue à la clavicule qui apparaît sporadiquement
d’ailleurs, et uniquement dans la bourgeoisie (qui était la plus à même de voyager ou de se
tenir au courant des nouveautés) jusqu’à la fin des années 1620. Il ne s’agit là encore que
d’une hypothèse, mais elle permettrait d’apporter un élément d’explication à cette
modification technique assez intrigante dans la Hollande de la décennie 1630.
209
B ) L’importance de l’événement particulier
1) Matteis, un impact possible
Parallèlement aux situations évoquées précédemment, où les cultures techniques
étaient soit séparées assez hermétiquement, soit en contact leur permettant d’évoluer par
assimilation de certains éléments, on peut aussi relever dans certains cas l’impact (au moins
possible, cela étant difficile à établir avec certitude) d’un événement particulier sur
l’évolution technique. En comparaison avec les autres domaines techniques où l’on peut
parler de telles dynamiques (avec des inventeurs ou des innovateurs « isolés »), il convient
bien sûr de ne pas considérer ces événements à l’image d’une « histoire-bataille » de la
technique, mais plutôt comme résultats d’un ensemble de conditions qui ont abouti
ponctuellement en une innovation, la nouveauté « isolée » étant donc profondément reliée à
un contexte sous-jacent souvent moins visible. Malgré cela, ce type d’innovations contraste
tout de même avec les mouvements « de fond » décrits auparavant.
L’un des exemples les plus évidents est celui de Matteis, décrit en détail dans la
recherche préparatoire à ce travail. D’après les écrits de North1, celui-ci aurait importé en
Angleterre des tenues inédites, aussi bien pour le violon que pour l’archet. Dans le premier
cas, sa tenue à la ceinture n’a manifestement pas séduit puisqu’elle n’est pas plus documentée
après qu’avant la fin du XVIIe siècle, et les quelques mentions que nous en trouvons dans des
sources textuelles (chez Lenton et dans The Compleat Musick-Master) sont toutes négatives
et la mentionnent simplement pour préciser de ne pas l’imiter. Par contre, North semble
indiquer que l’arrivée de Matteis aurait réellement eu un impact sur la tenue de l’archet en
Angleterre (et peut-être sur l’archet lui-même par extension ?). Concrètement, les traités
anglais ont continué à recommander une tenue « française », à la hausse, jusqu’au milieu du
XVIIIe siècle, et cette indication doit probablement être nuancée. Cependant, dès la plus
ancienne source iconographique de notre corpus pour l’Angleterre du XVIIIe siècle, soit en
1724 (le hiatus dans le premier quart du siècle étant ici regrettable), la tenue de l’archet est
effectivement engagée, dans un contexte bourgeois, et l’observation peut être étendue au
peuple dès 1730.
1 NORTH, Roger, op. cit.
210
Tant donnée la zone d’ombre dans les sources, et le fait que les textes favorisent une
tenue française (toutefois ceux-ci datent de 1722 et environ 1735, soit une période où
l’iconographie nous indique que la tenue italienne était en réalité adoptée, ce qui amène à
penser que ces textes n’étaient plus vraiment à jour), il n’est pas possible d’affirmer que
l’adoption de la tenue « italienne » en Angleterre soit réellement l’œuvre de Matteis (d’autant
plus que nous n’avons également que très peu de sources pour le XVIIe siècle). Pourtant,
l’adoption uniforme d’une tenue d’archet avancée en Angleterre au XVIIIe siècle, alors que ce
pays était plutôt un bastion de la tenue française auparavant, et que les français tenaient
toujours à la hausse à cette époque, laisse tout de même supposer un changement assez
radical vers la fin du XVIIe ou le début du XVIIIe siècle, qui pourrait bien être lié au passage de
Matteis ; même s’il ne s’agit sans doute pas de la seule raison, l’arrivée en Angleterre de
musiciens étrangers ayant pu jouer aussi (par exemple avec l’organiste et claveciniste
allemand Georg Friedrich Haendel, établi en Angleterre à partir de la décennie 1710, après un
séjour de quatre ans en Italie2).
2) Prinner, un critique isolé
Encore plus marquante est la diatribe de Prinner en 1677, à la différence que celle-ci
n’a manifestement pas été suivie d’effet ; il faut dire que les modifications qu’il proposait
n’étaient même pas réellement adoptées un siècle après, et qu’il devait donc apparaître
comme extrêmement en avance sur son temps (autrement dit excentrique pour ses
contemporains qui ne pouvaient, de fait, pas savoir que ses recommandations allaient
finalement été adoptées massivement à partir de la fin du XVIIIe siècle). Cet exemple permet
de montrer l’existence de personnes s’inscrivant en opposition à une technique déjà existante,
alors même que (ou parce que ?) l’espace germanique a toujours été assez ouvert à différentes
possibilités techniques, même lorsque l’une d’elles se dégageait plus particulièrement. De
plus, outre le fait de proposer une technique résolument novatrice, Prinner n’a pas hésité à
critiquer vertement des virtuoses renommés, alors que lui-même était organiste et, s’il savait
2 LANG, Paul Henry, George Frideric Händel, Mineola, Dover Publications, 1966, 731 p.
211
peut-être jouer du violon comme beaucoup de musiciens de l’époque (celui-ci étant, avec
l’orgue, l’un des instruments incontournables à l’époque baroque, comme le piano pour nous
depuis le XIXe siècle), il n’avait probablement aucunement le niveau technique pour rivaliser
avec Schmelzer ou Biber.
Certes, son traité n’a jamais été édité, et sa technique pas mise en pratique avant la
seconde moitié du XVIIIe siècle, ce qui nous amène à penser que sa remise en cause n’a jamais
eu de succès, si ce n’est peut-être dans un cercle restreint qui pourrait très bien ne jamais
avoir été documenté. Toutefois, nous avons ici un bon exemple d’invention, à opposer à une
innovation : Prinner, en 1677, semble être un inventeur. Il a en effet imaginé une technique
entièrement nouvelle par rapport à ce qui se pratiquait auparavant, qui n’était apparemment
pas vraiment utile dans l’environnement technique de l’époque, voire peut-être malvenue :
elle n’a ainsi rencontré aucun succès. Par contre, l’évolution générale de la technique, ainsi
que les multiples traités en faisant mention, montrent que l’émergence de cette tenue au
milieu du XVIIIe siècle était, elle, une innovation. Nous ne pouvons pas lui attribuer un
« inventeur », mais elle résulte manifestement d’une adaptation d’une tenue préexistante (la
tenue au cou en ne posant le menton que pour démancher) à un besoin technique en évolution
(stabiliser le violon en permanence) : celle-ci, adaptée aux besoins du moment, probablement
forgée par eux, a donc rencontré un succès important, sans doute pas immédiat, mais en tout
cas durable, puisque nous l’utilisons toujours actuellement dans la musique « savante ».
3) Un mécanisme répandu en musique
Qu’il s’agisse d’inventions ou d’innovations, cette importance de l’événement
ponctuel sur l’évolution de la technique n’est en réalité pas isolé en musique, seules les
innovations étant habituellement conservées (ce qui est en quelque sorte leur définition
même). Ce phénomène est principalement visible à travers les instruments, ou parties
d’instruments, compris comme objets techniques. En particulier, les transformations induites
dans le jeu du violon par les évolutions techniques de la fin du XVIIIe siècle ont amené des
besoins nouveaux, qui ont parfois été résolus par des « inventions » individuelles,
212
immédiatement adoptées car adaptées à leur environnement technique, et sont donc de fait
devenues des innovations. Nous avons déjà traité de l’archet Tourte (type 12) par exemple :
malgré l’existence à des dates légèrement antérieures d’archets du même type en Angleterre
(types Dodd et Cramer), la version française a été développée indépendamment, avec l’aide
possible du violoniste Viotti, et sans vraiment réemployer d’éléments des modèles baroques,
contrairement aux évolutions de l’archet entre le XVIe et la première moitié du XVIIIe siècle3.
Un peu plus tardivement, au début du XIXe siècle, il s’est avéré que l’habitude, maintenant
prise par tous, de poser le menton sur l’instrument, pouvait entraîner des problèmes de
confort et endommager le vernis du violon : la mentonnière vint pallier à ces deux problèmes,
et il semble qu’elle ait été développée par le violoniste allemand Ludwig Spohr, sans que l’on
connaisse d’« ébauches » préexistantes (du moins pas de manière assurée, quelques
représentations isolées dans les siècles précédents étant parfois douteuses)4. Pour citer un
dernier exemple, le piano, dont nous avons déjà parlé, était une invention du facteur italien
Bartolomeo Cristofori à la fin du XVIIe siècle, mais, non abouti et surtout inadapté au
répertoire de l’époque, il ne rencontra alors aucun succès. Il a fallu un article du critique
Scipione Maffei en 1709, des perfectionnements successifs (notamment de Johann Gottfried
Silbermann), pour qu’il commence à être véritablement remarqué au milieu du siècle,
devenant alors une réelle innovation, qui a continué à être perfectionnée jusqu’au début du
XIXe siècle (notamment en lien avec la production grandissante d’acier et de fonte pour
fabriquer respectivement les cordes et le cadre).
A l’inverse, certaines inventions sont restées totalement éphémères, souvent parce que
totalement inefficaces. C’est le cas, par exemple, de l’arpeggione que nous avons mentionné
précédemment : créé en 1823, il s’agit d’un instrument se tenant globalement comme un
violoncelle baroque (ce qui n’était pas trop gênant puisque la pique ne s’est généralisée qu’au
cours du XIXe siècle), mais avec six cordes et des frettes. Autrement dit, à part une forme plus
proche de la guitare et un archet de violoncelle romantique, ses principales caractéristiques
sont celles d’une viole de gambe, instrument qui avait justement disparu un demi-siècle
auparavant, car n’étant plus adapté à la musique de l’époque. De fait, l’arpeggione n’a donc
3 MILLANT, Bernard, RAFFIN, Jean-François, GAUDEFROY, Bernard, L’Archet. Tome 1 : Histoire de l’archet en France au dix-huitieme siecle, Paris, L’Archet, 2000, 215 p.
4 GOASDOUE, Rémi, « L’art du violon, aperçu historique d’une pratique raisonnée », in BRIL, Blandine, ROUX, Valentine (dir.), Le geste technique. Réflexions méthodologiques et anthropologiques, Aix-en-Provence, Université de Provence, 2002, p. 75.
213
pas séduit car ne correspondant d’emblée pas aux standards d’alors. Avec un répertoire connu
constitué de deux œuvres, l’arpeggione est donc immédiatement tombé dans l’oubli.
Cependant, quelques cas sont plus complexes : il s’agit d’innovations qui sont assez
rapidement tombées dans l’oubli, ou du moins dans une utilisation très ponctuelle, après une
brève période de succès, qu’on ne peut pas réellement qualifier d’inventions, mais qui
semblent occuper une place intermédiaire. Par exemple, plusieurs instruments inventés dans
la seconde moitié du XIXe siècle ont connu ce sort, comme le sarrussophone5 : celui-ci a été
mis au point en 1856 par Pierre-Auguste Sarrus, avec le même objectif que le saxophone mis
au point une décennie auparavant et avec lequel il partage de nombreuses caractéristiques, à
savoir pallier le manque d’instruments très graves dans les fanfares militaires. Cependant, la
concurrence a fait que seule la famille des saxophones a réellement été adoptée, et les
dernières pièces pour sarrussophones semblent remonter aux années 1950. Ainsi, avec
seulement un siècle d’une utilisation modérée, on ne peut peut-être pas dire que le
sarrussophone soit une réelle innovation, mais il a manifestement eu une importance toute
autre que l’arpeggione par exemple. Le même type de réflexion peut porter sur les ondes
Martenot6 : il s’agit d’un instrument électronique très complexe, se jouant principalement à
l’aide d’un clavier, présenté en 1928 et qui a aussitôt connu un engouement important. Or, le
modèle le plus récent remonte à 1975, il n’est plus produit depuis 1988 et ne peut d’ailleurs
même plus vraiment être réparé depuis la mort de son inventeur, les derniers exemplaires
encore en état se détériorant lentement. Là encore, la durée d’existence courte de
l’instrument, mais son répertoire de 1500 œuvres environ tout de même, le placent dans une
position intermédiaire. Toutefois, il a, lui, été succédé par l’ondéa, ce qui en fait peut-être
plus un premier maillon dans une chaîne d’innovation ou une lignée technique (celle des
instruments électroniques à clavier et ruban) qu’une réelle innovation en tant que telle.
Enfin, certaines techniques de jeu violonistique développées au XVIIe siècle
(différentes de la tenue) peuvent également être vues comme un cas particulier assez
intéressant. En effet, les compositeurs du baroque moyen ont expérimenté de nombreux
modes de jeu peu habituels, dont nous retrouvons la trace dans les partitions elles-mêmes
5 TIFFOU, Augustin, Le Basson en France au XIXe siècle. Facture, théorie et répertoire, Paris, L’Harmattan, 2010, pp. 138-141.
6 HOLMES, Thom, Electronic and experimental music. Technology, music, and culture, London, Routledge, 2008, pp. 25-27.
214
(ceux-ci sont généralement trop ponctuels pour être indiqués dans les traités, et le
compositeur explique lui-même l’effet recherché dans sa musique). Par exemple, si on peut
considérer une musique de Biber comme la Battalia, une pièce pour un ensemble de cordes
écrite en 1673, et imitant une bataille comme son nom l’indique7 ; celle-ci est
particulièrement révélatrice des moyens peu orthodoxes mis en application pour obtenir des
sonorités rappelant celles d’un combat. On y trouve entre autres un jeu avec le bois de
l’archet (col legno), des pizzicatos particuliers, à savoir réalisés avec la main gauche ou bien
en faisant claquer la corde sur la touche (pizz Bartók), le fait de glisser une feuille de papier
entre la touche et les cordes, ou encore, bien qu’il ne s’agisse pas ici de technique
instrumentale mais d’une forme d’écriture, une polytonalité et une absence d’harmonie
produisant une cacophonie volontaire.
Or, les trois premières techniques violonistiques, ainsi que la polytonalité ont ensuite
presque totalement disparu pour n’être « redécouvertes » au mieux qu’à la fin du XIXe siècle
voire au XXe siècle, par des compositeurs n’ayant pas conscience que ces modes de jeu
avaient déjà existé puisque la musique du XVIIe siècle était alors totalement oubliée. Le nom
du troisième pizzicato est d’ailleurs révélateur, puisqu’il renvoie au compositeur Béla Bartók
qui l’a popularisé dans la première moitié du XXe siècle. D’autre part, certaines de ces
techniques n’ont en fait jamais été réutilisées par la suite, bien qu’il est vrai qu’elles étaient
également anecdotiques déjà au XVIIe siècle : c’est le cas de la feuille glissée sous les cordes
par exemple. On peut également citer l’utilisation du pouce de la main gauche pour jouer
certaines notes au violon : cette technique est couramment utilisée au violoncelle mais jamais
au violon, et apparaîtrait même parfaitement « contre-nature » à un violoniste actuel.
Pourtant, il est possible que Johann Sebastian Bach l’ait pratiquée, car un accord dans ses
Sonates et Partitas pour violon seul, en 1720, ne peut être réalisé qu’avec elle8 (mais il est
aussi possible qu’il ne s’agisse que d’une simplification d’écriture et que l’accord doive en
fait être divisé en deux, Bach n’ayant rien spécifié et cette autre pratique étant courante à
l’époque baroque). Toutefois, si cette occurrence chez Bach n’est pas assurée, l’emploi du
pouce est par contre parfaitement avéré dans des œuvres des violonistes français Louis
Francœur ou Jean-Marie Leclair, à la même époque ou un peu après, qui eux ont clairement
7 BIBER, Heinrich, Battalia a 9, C 61, urtext d’après le manuscrit du compositeur, 1673, s.p.8 BACH, Johann Sebastian, « Sonata 3za a violino solo senza basso. Fuga », Sei Solo a violino senza basso
accompagnato, BWV 1005, manuscrit du compositeur, 1720, s.p.
215
marqué sur la partition que ce mode de jeu devait être employé9.
Ainsi, ces techniques très particulières de jeu du violon pourraient être vues comme un
exemple typique de ce lien très étroit entre une technique nouvelle et son « environnement »,
conditionnant son adoption ou non en tant qu’innovation. Dans un contexte de recherche de
nouvelles sonorités et d’intérêt pour une musique très descriptive, ces techniques ont été
adoptées sans difficulté au XVIIe siècle et jusqu’au début du XVIIIe. Elles sont ensuite tombées
dans l’oubli, n’étant plus requises dans les nouveaux styles musicaux classique et romantique,
et pas non plus adaptées au jeu académique développé à ce moment-là, pour réapparaître
finalement très récemment lorsque la musique « moderne » (dans le sens musicologique,
c’est-à-dire à la fin du XIXe et au début du XXe siècle) et contemporaine ont recherché de
nouveau des sonorités inaccoutumées, tout en se souciant moins du respect des normes
édictées auparavant. Toutefois, peut-être la technique possède-t-elle également une certaine
autonomie sous cet aspect : en effet, l’idée de glisser une feuille de papier sous les cordes
n’est pas évidente a priori, et parce qu’elle n’ait pas été réemployée dans la musique
contemporaine n’est probablement pas le fait qu’elle n’y soit pas adaptée (le type de bruit
produit ou l’idée même de modifier ainsi l’instrument seraient au contraire bien en accord
avec les concepts de ce mouvement musical), mais peut-être parce que personne n’a encore
pensé à la « redécouvrir ». Il semble donc que la technique musicale, sous un aspect a priori
extrêmement spécialisé, puisse en fait être un laboratoire intéressant quant à l’évolution des
techniques, notamment si l’on sort du cadre de la tenue, déjà assez riche d’enseignements,
pour évoquer la technique de jeu de façon plus générale.
9 CYR, Mary, Style and Performance for Bowed String Instruments in French Baroque Music , Farnham, Ashgate Publishing, 2012, p.130.
216
Conclusion
A partir du corpus et des sources rassemblés lors de notre étude de Master I, nous
avons pu proposer une reconstitution relativement complète, du point de vue de l’histoire
technique des techniques, de la tenue du violon et de l’archet entre le XVIe et le XVIIIe siècles.
Du moins, s’il est évident que de nombreuses lacunes subsistent, avec des siècles entiers non
documentés, ou quasiment pas, pour certaines régions, celles-ci sont dues à des vides dans les
sources existantes connues actuellement, et nous pouvons considérer que l’ensemble du
corpus potentiel a été traité ici. Il est évident que notre base de données iconographiques n’est
pas complète, mais le grand nombre de représentations analysées nous autorise tout de même
à la considérer comme statistiquement représentative, même si des précisions supplémentaires
seraient sans doutes bienvenues.
Concrètement, les conclusions générales des quelques auteurs à s’être penchés sur ces
questions n’ont pas lieu d’être infirmées, mais nous pouvons toutefois y apporter, selon les
cas, des nuances ou des précisions importantes. Sans revenir plus sur le détail technique, que
nous avons déjà résumé auparavant, et dont nous donnons un tableau récapitulatif synthétique
à l’extrême (cf. Annexe 6), destiné à un usage tout à fait pratique par des interprètes, nous
pouvons tout de même rappeler certains points. En premier lieu, les dates d’introduction de
certains archets anciens doivent être remontées dans le temps, apparaissant parfois plusieurs
décennies avant les époques indiquées dans la bibliographie. En particulier, le premier archet
« de violon » (de type 3 dans notre typologie) est en réalité apparu au moins trente ans avant
cet instrument, et non en même temps. A l’inverse, les archets les plus récents ne semblent
pas être adoptés immédiatement aux dates proposées dans l’historiographie, car celles-ci sont
en fait plutôt celles de la conception des archets et non de leur adoption réelle par les
musiciens. En second lieu, l’analyse de l’iconographie nous amène à préciser un critère de
« pertinence » des représentations selon leur sujet : les peintures religieuses montrent ainsi
parfois des tenues totalement aberrantes, qui conduisent à regarder d’un œil particulièrement
critique l’ensemble de ce corpus, même lorsqu’il semble plausible. Troisièmement, en ce qui
concerne notre objet d’étude lui-même, il s’avère que les tenues vues comme « italienne » et
« française », autrement dit liées respectivement à la sonate et à la danse, sont en réalité des
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reconstructions à partir de mentions de traités du XVIIIe siècle, qui ne s’appliquent pas
vraiment auparavant (ou même au baroque final), ou du moins imparfaitement.
Ainsi, si la tenue française (archet au talon et tenue basse du violon) est bien
régulièrement employée en France, elle l’est aussi dans une grande majorité de pays jusqu’au
XVIIe siècle, en particulier parce que les archets courts ne laissaient pas le choix aux
violonistes. Ensuite, au XVIIIe siècle, la tenue « italienne » (archet saisi avec la main avancée
et violon placé haut) est surtout observée en Allemagne, alors que l’Italie apparaît plutôt
comme un mélange de différentes cultures. Ainsi, il faut donc se méfier des désignations
données par les « contemporains » (surtout lorsque ceux-ci ont en réalité plusieurs décennies
de décalage par rapport aux éléments qu’ils commentent), puisque ces descriptions provenant
d’un ou deux auteurs seulement, ont depuis parcouru toute la bibliographie sans vraiment de
recul critique (et à la limite notre propre travail puisque nous employons bien, par
simplification, les termes de « tenue française » et « tenue italienne »). Enfin, quelques tenues
très spéciales ont pu être observées, peut-être plus liées à des cas particuliers, mais souvent
confirmées par l’ethnographie ou l’expérimentation : très bas sur le ventre, sous le bras ou
contre l’épaule droite, ou encore verticalement.
Il faut enfin remarquer des liens réalisables à partir de ces observations, avec des
domaines de recherche plus généraux : entre autres, il est possible de trouver un certain
nombre de rapports étroits entre ces évolutions techniques et les évolutions de la musique,
mais ceux-ci n’expliquent clairement pas toutes les modifications observées, par exemple en
Hollande dans la décennie 1630. Ainsi, nous revenons plus certainement ici aux
problématiques de l’histoire des techniques, avec une certaine autonomie de la technique,
pouvant s’organiser en lignées techniques, ou se comprendre par les notions d’invention et
d’innovation, mais ces concepts sont particulièrement délicats à appréhender ici, l’histoire
technique de la tenue, que nous avons pu reconstituer, restant un peu trop partielle pour s’y
prêter correctement. Toutefois, l’évolution des traités musicaux est un cas assez exemplaire :
on peut en effet observer, à partir des ouvrages de réduction en art du XVIe siècle, communs à
de nombreuses branches des techniques et abondamment étudiés, la naissance progressive de
« manuels » qui existent toujours actuellement, sorte de recueils d’exercices pratiques à
réaliser sous la conduite directe d’un professeur, et agrémentés d’un léger apparat technique
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rédigé, qui n’est en fait que très peu utilisé car le professeur est justement là pour l’enseigner.
Or, ce type d’écrit est lui assez peu étudié par l’histoire des techniques, et mériterait
probablement une certaine attention.
Ce type d’étude apparaît comme novateur dans le domaine de la musique ancienne,
notamment parce qu’il implique un positionnement épistémologique peu suivi, avec un
rapport très important entre la musique et une recherche historique appliquée. Il peut
certainement fournir des résultats intéressants, et il ne fait aucun doute que les techniques
décrites ici, jamais pratiquées par les musiciens professionnels pour certaines, pourraient
apporter un angle d’approche totalement différent sur le jeu du violon baroque, si du moins
les musiciens s’y intéressaient. Il serait tout à fait envisageable de porter ce même
raisonnement sur d’autres instruments : nous pensons aux autres cordes, pour lesquelles nous
avons relevé quelques sources iconographiques en plus de notre corpus propre, mais aussi par
exemple aux vents. L’exemple le plus évident est celui de la trompette (qui relève cette fois
plus d’une résistance épistémologique des musiciens que d’une réelle lacune historique) :
nous savons en effet par toutes les sources disponibles que les trompettes de cette époque ne
disposaient pas de trous, et que les différentes notes étaient obtenues par un jeu
d’harmoniques pouvant se révéler assez hasardeux. Or, se basant sur un unique tableau
pouvant suggérer, avec beaucoup de volonté, que la main de l’instrumentiste soit cachée de
manière à boucher des trous, la quasi-totalité des trompettistes baroques utilisent des
trompettes à trous, qui permettent d’augmenter considérablement la justesse et la propreté du
son pour le faire correspondre aux standards actuels, mais en perdant beaucoup des
caractéristiques du son et du jeu de la trompette naturelle (en plus de sa justesse
approximative qui fait justement sa caractéristique). Cependant, comme nous l’avons précisé
dès l’introduction, ce type d’étude n’est réalisable correctement que si le chercheur est lui-
même musicien, et joue de l’instrument qu’il étudie : en tant que violoniste, nous ne pourrions
ainsi absolument pas déchiffrer les éléments importants à considérer sur une trompette, ou
même sur un autre instrument de la famille du violon, comme le violoncelle. Il serait donc
souhaitable que des spécialistes des différents instruments réalisent, ou par leur collaboration
contribuent à réaliser, le même type de recherche, chacun dans son domaine de compétence,
afin d’obtenir des résultats probants et un réel référentiel pour la tenue historique des autres
instruments.
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D’autre part, ce sujet pourrait également trouver une extension dans le domaine de
l’histoire des techniques. Il trouve, comme nous l’avons vu, des échos dans les questions de
l’innovation et de l’invention, mais nos connaissances semblent un peu limitées pour
effectuer un réel travail dans ce sens, à moins de considérer plusieurs arts et non seulement la
musique (ou plusieurs instruments). Plus intéressante est la question de l’évolution des
traités : en effet, l’évolution des ouvrages de réduction en art vers des manuels est assez
rarement observée par l’histoire des techniques. Il s’agit en effet surtout de recueils
d’exercices, la particularité de la musique par rapport aux autres arts étant qu’elle est
« écrite », et doit donc être véhiculée par un support imprimé quant à son fond, en plus des
connaissances du maître, qui sait, lui, comme la réaliser mais peut difficilement transmettre
toute la musique à son élève (la chose est en réalité possible, puisque de nombreux musiciens
ne savent tout simplement pas lire la musique, mais l’écriture facilite grandement le transfert
de compétences de ce point de vue).
Cette étude constitue cependant un bon exemple d’« histoire appliquée », et
d’interaction entre différents domaines a priori fort différents. Nous l’avons en effet
entreprise, à l’origine, dans un but purement pratique, puisque cherchant à rétablir dans notre
jeu du violon des techniques réellement historiques, mais ne trouvant aucune bibliographie
sur la question, ne donnant même qu’une synthèse probante des résultats à défaut de l’étude
elle-même. Ainsi, cette recherche est ancrée dans l’application, et nous appliquerons donc
directement ses résultats dans les occasions de « reconstitution » que sont les concerts de
musique ancienne. Cependant, elle n’a pu être menée qu’avec des méthodologies et des
problématiques historiennes, ce qui la rattache de plein pied à l’histoire des techniques, dont
on a vu que certaines problématiques et systèmes explicatifs lui étaient parfaitement
applicables. L’emploi intensif des nouvelles technologies, et plus précisément de l’Internet
collaboratif, est également une piste de réflexion qui nous semble intéressante pour les
recherches de ces prochaines décennies. Celui-ci permet en effet d’accéder instantanément à
des quantités jamais vues de données, réparties sur toute la planète, mais suppose parfois (en
particulier lorsque aucune institution ne s’y intéresse) la participation de bénévoles et de
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passionnés, qui contribuent à des projets collaboratifs et ouverts, de leur plein gré et sans
compensation, et qui ne sauront probablement jamais que leur travail a pu servir à des
recherches universitaires : une telle situation semble ouvrir tout un pan de réflexion nouveau
quant aux recherches universitaires sur des sujets transdisciplinaires et à corpus « ouvert » tel
celui-ci.
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