la terre et les paysans en amérique latine || un cas de prolétarisation rurale : l’inquilino

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Presses Universitaires du Mirail Un cas de prolétarisation rurale : l’inquilino Author(s): Roberto SANTANA Source: Cahiers du monde hispanique et luso-brésilien, No. 28, La terre et les paysans en Amérique Latine (1977), pp. 73-90 Published by: Presses Universitaires du Mirail Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40850451 . Accessed: 18/06/2014 13:53 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires du Mirail is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cahiers du monde hispanique et luso-brésilien. http://www.jstor.org This content downloaded from 185.44.78.31 on Wed, 18 Jun 2014 13:53:16 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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Un cas de prolétarisation rurale : l’inquilinoAuthor(s): Roberto SANTANASource: Cahiers du monde hispanique et luso-brésilien, No. 28, La terre et les paysans enAmérique Latine (1977), pp. 73-90Published by: Presses Universitaires du MirailStable URL: http://www.jstor.org/stable/40850451 .

Accessed: 18/06/2014 13:53

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Un cas de prolétarisation rurale : r 'inquilino

PAR

Roberto SANTANA Université de Toulouse-Le Mirai l.

Les formes d'expansion de {'inquilinaje et du métayage, et à plus forte raison la place qu'ils occupent dans le développement du capi- talisme agraire chilien, posent un problème à ce jour mal éclairci dans les écrits consacrés aux questions rurales.

Ainsi, l'inquilino, travailleur traditionnel des grands domaines, et dont nous allons parler dans cet article nous y est représenté sous des traits qui correspondent davantage aux périodes révolues de l'évolution rurale qu'à son développement contemporain.

Les écrits qui prétendent dresser un bilan de la réforme agraire, pèchent par manque de profondeur dans l'analyse d'une agriculture de grandes exploitations marquées par des rapports capitalistes à divers niveaux : ceci multiplie les points contradictoires.

Dans le but de donner une explication juste des contradictions nées de la réforme agraire, on remonte souvent à un univers agraire dominé par des rapports précapitalistes s'exerçant dans le cadre des latifundia, pour arriver même, à la limite, à suggérer l'inexis- tence dans notre pays d'un quelconque prolétariat agricole. Celui-ci ne correspondrait, au fond, qu'à « l'expression mythique d'une force qui n'était encore qu'un devenir 0) ».

(1) CIESA (Centre International d'Etude des Structures Agraires), La réforme agraire chilienne pendant l'Unité Populaire. Montpellier, 1975, T. I, p. 218.

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74 C. DE ■ CARAVELLE

Le comportement du paysannat bénéficiant de la réforme agraire (secteur réformé) sera interprété à travers ce prisme qui interdit toute vision claire du problème des stratégies d'intervention, de leurs vertus et de leurs limites. Les conclusions sont lourdes d'impli- cations politiques graves. De nombreux problèmes posés sont faci- lement résolus dès lors qu'on admet, sans se poser de questions, que les bénéficiaires de la réforme agraire venaient « d'une économie paysanne semi-autarcique », complémentaire du latifundium; qu'ils ne connaissaient pas, sauf exception, la division sociale du travail propre aux grandes unités agricoles. Enfin, ces origines ne pou- vaient pas empêcher le développement, parmi ces travailleurs de la terre, « d'inclinations naturelles » qui les auraient amené à repro- duire dans un premier temps les conditions de l'asentamiento démo- crate-chrétien, pour passer dans un deuxième temps, et en dépit des efforts officiels, à une organisation de la production favorable au développement de l'exploitation individuelle. En somme, un proces- sus on ne peut plus logique, si les choses s'étaient bien déroulées ainsi.

Au fond, les écrits présentant un bilan de la réforme agraire lais- sent subsister sur le caractère du développement agraire chilien jusqu'aux années 1960, la même confusion qui caractérise l'argumen- tation du Comité Interaméricain de Développement Agraire CIDA (base des projets et des lois sur la réforme agraire) et partant, renon- cent, de notre avis, à faire un effort de critique sur les stratégies agraires. Cet effort supposerait qu'on appréciât le caractère du lati- fundium en y incluant le problème de la capitalisation (en relation avec les autres types d'exploitation),) mais aussi qu'on donnât une définition plus stricte des rapports de production. C'est sous ce dernier aspect que nous allons envisager le problème de Vinquili- naje, tant pour ce qui est de son caractère que pour ce qui est de son importance véritable.

LE PROBLÈME DE L'INQUILINAJE

Nous n'allons revenir, quant à nous, ni sur l'histoire, ni sur l'ana- lyse comparative avec d'autres institutions éventuellement voisi- nes de Yinquilinaje, Nous centrerons notre intérêt sur deux aspects qui, passés inaperçus, nous paraissent cependant revêtir la plus grande importance.

- La question de l'homogénéité ou de la différenciation interne de Yinquilinaje.

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PROLÉTARISATION RURALE : 'J « INQUILINO » 75

- La signification de V inquilinaje qui s'est développé au sud du pays, en particulier dans la région de colonisation.

Avant d'aborder le premier point, quelques constatations : tout d'abord la pauvreté de la recherche sur Yinquilinaje contempo- rain (2), probablement ressentie par les auteurs du rapport CID A. En deuxième lieu, la méthodologie selon laquelle ce sujet a été traité par les tenants de la réforme agraire. C'est ainsi que le rapport CIDA, dans la partie consacrée a Yinquilinaje, a été dressé à partir d'études de cas très particuliers et qu'on ne peut pas généraliser, soit qu'il leur manque des traits de références à des univers complets, soit que leur contexte de localisation ne puisse faire l'objet de généralisation.

Un système homogène ou fortement différencié ?

Ainsi, la longue description de Yinquilinaje dans le Chili Central (c'est justement le plus complexe) est fondée sur les sources concer- nant deux fundos de montagne étudiés dans les années 1955-1956 dans la vallée de 1' Aconcagua (3). Telle est la description qui appa- raît dans le rapport du Comité Interaméricain de Développement agricole appelé ci-dessous rapport CIDA, description qui n'a pas suscité de commentaires à ce jour.

Première remarque, il s'agissait de deux fundos de montagne axés principalement sur l'élevage, avec utilisation complémentaire de pâturages d'été dont l'abondance permettait d'être relativement généreux dans l'attribution des droits de pacage aux inquilinos. En réalité voilà en quoi consistaient, pour l'essentiel, les privilèges qui permettaient à certain inquilinos de disposer d'un certain capital en têtes de bétail. C'est un type de latifundium géographiquement mar- ginal que Ton retrouve tout au long de la Cordillère andine centrale. La situation des fundos géographiquement marginaux de la Cordil- lère de la côte est cependant foncièrement différente : dans les pro- vinces de Colchagua et Curico, dans les grands fundos il fallait au moins de 4 à 6 hectares pour nourrir une tête de bétail ovin, exigence déterminante dans la limitation des droits de pacage. En réalité, il n'y avait pas un inquilino qui possédait un troupeau.

Seconde remarque, la différenciation interne dans Yinquilinaje des fundos de montagne a bien été énoncée dans l'exposé de Baraona,

(2) II faut attendre la réforme agraire pour que VInstituto de Capacitación para la Investigación de! la reforma agraria (ICIRA) réalise quelques recherches ponctuelles, dont les plus connues sont celles de Ramirez, Pablo et de Schejtman, Alexander.

(3) Baraona, R., Aranda, X. et Santana, R., Valle de Putaendo, estudio de estructura agraria. Santiago, Editorial Universitaria, 1961, p. 223 et suiv.

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76 C. DE CARAVELLE

mais celui-ci n'a rendu compte ni de sa signification, ni de sa stratifi- cation, ni de ses contradiction internes. Il y avait 115 inquilinos dans l'un des fundos, 40 dans l'autre; l'enquête publiée dans l'étude porte sur 15 inquilinos et malgré la faiblesse de l'échantillon on peut facilement remarquer l'existence d'une forte différenciation interne dont le droit de pacage paraît être la clef de voûte.

Il est donc surprenant que les auteurs du Rapport CIDA aient décidé, de façon pour le moins expéditive, de s'en tenir à la seule couche privilégiée des inquilinos des fundos de montagne de la pro- vince d' Aconcagua pour caractériser tout Vinquilinaje du Chili Cen- tral. Dès lors les inquilinos (et de même le haut personnel) ont au Chili Central certaines caractéristiques, bien spécifiques de la région :

a) ce sont des salariés qui reçoivent, en fonction de leur travail une certaine quantité d'argent et de produits,

b) ce sont de petits chefs d'entreprise, producteurs sur les terres qu'ils ont reçues à charge de remplir certaines obligations,

c) ce sont des pourvoyeurs en main d'œuvre puisqu'ils ont pour obligation de fournir un quota de travail au fundo ou à Yhacienda : ce sera le leur, celui de leur famille ou afuerinos qu'ils paieront. Ces deux dernières caractéristiques varient cependant à proximité de la limite sud où Vinquilino ne fournit pas d'autre main-d'œuvre que la sienne et n'a pas de ce fait, la possibilité de « mettre un journa- lier » pour le remplacer. Ainsi, le système de relations entre inqui- linos et autres salariés qu'on soulignait comme étant propre au centre du Chili se simplifie et la notion d'inquilino est dès lors beaucoup plus proche de celle de salarié pur et simple (4). De l'ho- mogénéité générique (celle de Vinquilinaje) on passe rapidement à l'homogénéité géographique.

A en juger par ce texte, pour trouver un type ai inquilinaje distinct de celui des couches supérieures des travailleurs montagnards d' Aconcagua, il fallait en 1966, se porter à la limite du Chili Central. De nombreuses sources de l'époque et en particulier les « rapports d'expropriation » préparés par CORA sont en contradiction flagrante avec l'image des inquilinos précédemment donnée. Il serait facile d'user de la méthode des cas pour réfuter les thèses du CIDA : il nous suffirait, pour ce faire, de nous en tenir au cas du fundo El Es- corial, département de Buin, à 60 km seulement de Santiago, où cinq années après ce texte « seuls les inquilinos et les employés avaient

(4) CIDA (Comité Interamericano de Desarrollo Agrícola), Chile : tenencia de la tierra y desarrollo socio-economico del sector agricola. Santiago. Santiago, 1966, p. 54.

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PROLÉTARISATION RURALE : L* « INQUILINO » 77

le droit à des avantages en nature (produits alimentaires) équiva- lent à 1/8 d'hectare sur le domaine ». Ayant eu l'occasion de connaître ce fundo avant « l'intervention », nous pouvons dire que quelques inquilinos recevaient effectivement 1/8 d'ha de terre et parfois un peu plus tandis que la majorité recevait l'équivalent en produits (5).

Il est certain que ce cas isolé aurait la même valeur de généralisa- tion que les cas de la vallée supérieure de l'Aconcagua invoqués, mais tout autre est, à notre avis, la signification d'une recherche menée en vue d'une thèse de doctorat aux U.S.A. (Martin, 1960) et qui pré- sente, à notre connaissance, la seule typologie de Yinquilinaje au Chili Central, obtenue à partir d'un traitement statistique et carto- graphique. A la vérité, il nous a toujours paru curieux que cette étude n'ait pas été commentée plus longuement par les auteurs du rapport CID A. Elle ne devait probablement pas être adaptable à un schéma préconçu.

Elle a été réalisée au cours de l'année 1953-1954 dans quelques communes de la plaine.de Maipo, dans la province de Santiago, zone considérée par l'auteur comme « représentative de la principale région agricole du Chili Central » (6) et elle a le mérite de décrire de façon exhaustive les systèmes de travail agricole existants, et de distinguer ses diverses variétés.

Uinquilinaje traditionnel qui serait le type le plus « pur » de la vieille institution a été décrit en ces termes par Martin : « les inquili- nos recevaient une maison pour le familleur, un lopin de terre de 1/4 d'hectare attenant à la maison » ou « une parcelle des pacages du fundo » lorsque l'espace environnant était trop réduit. Le droit de pacage était généralement limité à deux bêtes et de nombreux inqui- linos n'en possédaient aucune. Voici une autre affirmation non moins significative : « sur leur lopin, ils cultivent principalement du maïs, des haricots, des pommes de terre et des légumes verts pour la consommation familiale » . Finalement, le salaire monétaire s'élevait à 50 pesos par jour, alors que le salaire minimum agricole pour la province de Santiago était de 100 pesos (année 1954), et que le salaire effectivement perçu par les ouvriers agricoles était en fait inférieur (de 25 à 30 %) au salaire fixé officiellement, conséquence du rapport de force entre les propriétaires et les ouvriers agricoles.

(5) Voir volume Annexes de l'étude CIESA. (6) Cette phrase de Martin se rapporte plus particulièrement au secteur Nord

de la zone méditerranéenne, c'est-à-dire aux provinces d'Aconcagua, Valparaiso, Santiago et O'Higgins : Martin, G.E., La subdivision de la tierra en Chile Central. Santiago, 1960.

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7S C. DE CARAVELLE

C'est à propos de ce type d'inquilino que Martin émet des obser- vations qui nous semblent avoir plus d'importance que celle que l'auteur leur accorde dans son texte. En effet, il a bien établi l'exis- tence d'une catégorie particulière d'inquilino (dont le statut peut paraître ambigu) lorsqu'il met à part un groupe de travailleurs qui étaient dans la catégorie supérieure du système, c'est-à-dire les contremaîtres et les différents spécialistes : vachers, maréchal-fer- rant, mécanicien, magasinier, jardinier, etc., c'est-à-dire les tra- vailleurs qui dans l'exemple cité du fundo El Escorial prennent le nom bien spécifique « d'inquilinos especialistas » que l'on veut dif- férencier de ceux que nous avons appelés « inquilinos communs ».

Martin dit de ces inquilinos spécialistes qu'ils reçoivent tous une meilleure habitation, davantage de droit au pacage et parfois un salaire plus élevé. Que beaucoup d'entr'eux ont un cheval et que les valets peuvent posséder jusqu'à 5 vaches.

Malheureusement, et sans doute parce qu'on se réfère à Yinqui- linaje comme à un univers homogène, il n'y a pas d'autres sources qui permettent de rendre compte plus précisément des relations entre les deux couches sociales d'inquilinos. Dans les écrits chiliens sur l'agriculture, ces spécialistes sont, soit confondus dans la masse des inquilinos, soit situés sans hésitation parmi le personnel de surveil- lance, d'administration et de techniciens : c'est là que le recense- ment les range.

Et cependant, il est bien évident qu'il existe une couche de tra- vailleurs, inquilinos certes, très différents de l'inquilino commun et dont on peut dire à coup sûr que ce sont de petits chefs d'entreprise qui non seulement accumulent un certain capital à partir d'une petite économie familiale, mais encore exploitent souvent le travail d'autrui, notamment sous forme de métayage. Les rubriques « petit producteur » et parfois aussi « recruteur de main d'œuvre » dont nous parle le CIDA sont précisément des attributions de cette strate supérieure de Yinquilinage, dont font partie aussi certains inquilinos métayers.

Producteurs cependant, non point que le leit-motiv du propriétaire soit la rente foncière mais parce que l'exploitation capitaliste avait besoin d'un contingent sûr de ces « officiers supérieurs » qui durant le processus du travail commandent dans les entreprises capitalis- tes au nom du capital, selon les propres termes de Marx (7).

En réalité, s'il fallait chercher, en termes de rapports de produc- tion un sens à cette couche de travailleurs privilégiés des grandes exploitations, il faudrait dire que leur position dans le système les

(7) Marx, K., Le Capital. Editions Sociales, Paris, 1973, Livre Premier, T. I. p. 24.

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plaçait sur la voie qui permet d'accéder à la petite bourgeoisie rurale, à travers les mécanismes de la rente-travail.

Quant aux inquilinos communs, pris dans le seul rapport contrac- tuel travail/salaire, comment ne pas voir en eux, au contraire, ce « prolétariat rural, la classe des ouvriers salariés possédant un lot de terre concédé » mais empêchés d'aller au-delà du stade de la sub- sistance (8). La différence n'est rien de moins qu'une rupture quali- tative décisive dans les rapports de production intérieurs aux latifun- dia. Et là, nous touchons à un point décisif dans l'interprétation de Vinquilinage contemporain, celui de savoir si Yinquilino commun dont nous parlons ici constitue une simple dégradation de la forme historique originelle, et dans ce cas, la longue évolution serait uni- dimensionnelle, ou s'il s'agit au contraire de l'apparition de formes nouvelles qui révèlent un changement qualitatif du contenu du contrat agraire. C'est une question-clef pour interpréter le proces- sus de prolétarisation de Vinquilinaje ».

L'apparition d'une nouvelle forme d'inquilinaje au XIXe siècle.

Le problème de différenciation dans Vinquilinaje n'a pas attiré l'attention des rares auteurs qui se sont occupés de ce mode de tra- vail au XXe siècle. Me Bride fournit une information inestimable pour la décade des années 20, mais n'y fait point référence; même Martin se trompe en voyant dans « Vinquilinaje traditionnel » celui qui « s'est développé au cours des siècles dans les grandes proprié- tés du Chili Central ».

L'accroissement que montrent les statistiques de 1920 et de 1940 (Vinquilinaje passe approximativement de 80 000 travailleurs à plus de 105 000) est passé complètement inaperçu sous l'aspect du nou- veau mode de fonctionnement de l'institution dans une telle con- joncture. Il faut donc pour savoir quelque chose, avoir recours aux recherches historiques sur la seconde moitié du siècle dernier, effec- tuées ces dernières années. Plutôt que la dégradation d'une seule et même institution datant du XVIIIe siècle, le siècle dernier voit naître un double processus : transformation, dans le sens de la prolé- tarisation de cet inquilinaje originel, mais aussi, dans la seconde moitié du siècle, irruption d'un nouveau type d'inquilinos issus des peones des haciendas, processus qui prend le caractère d'un défer- lement « d'inquilinisation » et qui prédomine largement sur Vinqui- linaje originel.

(8) Lénine, Le développement du capitalisme en Russie. Editions Sociales, Paris, 1974, chap. 2, p. 151 et suivantes.

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Les recherches de Bauer (9) montrent l'apparition à l'occasion de l'expansion de l'agriculture céréalière après 1850, d'une nouvelle population d'inquilinos, beaucoup plus nombreuse que celle qui avait régné dans les haciendas d'élevage jusqu'à la première moitié du siècle. Le processus est le suivant : « à mesure que les besoins en main-d'œuvre, satisfaits jusqu'alors par les premiers inquilinos, augmentaient, de nouveaux furent installés et reçurent de petits lots. Cette extension de Yinquilinaje sous une forme modifiée eut lieu tout particulièrement en 1870-1880. Un manuel de gestion bien connu, à l'usage des dirigeants d'exploitations agricoles, parle de Vinquilino-ouwier, pourvu d'une habitation et d'un lopin de terre n'excédant pas 40 varas (35 yards environ) de côté pour l'exploita- tion d'une basse-cour et d'un potager lorsqu'il y a de l'eau » (p. 1076).

De nombreux ouvriers agricoles, toujours selon Bauer, préfèrent alors traiter directement avec les exploitations plutôt que de travail- ler pour le compte des anciens inquilinos. On mesure l'importance de cette nouvelle « inquilinisation » à travers l'exemple de l'hacienda Viluco, au Sud de Santiago où plus de 200 ouvriers reçurent chacun une maison entourée d'une demi cuadra de terrain pour en faire un potager (3/4 d'hectare).

Enfin, se rendant compte de la juxtaposition de l'ancien inquilinaje et du nouveau, Bauer l'exprime en ces termes : inquilino « de meil- leure classe » ou de « première classe » ou encore inquilino « cava- lier » pour désigner la catégorie traditionnelle qui reste la catégorie supérieure et d'autre part « inquilino ouvrier » ou « inquilino fan- tassin » qui semble être l'image la plus expressive de ce nouveau type de salarié agricole.

Bauer ne fait que rendre^compte de la mutation qualitative fonda- mentale dans les rapports de production. Au cours de cette vague « d'inquilinisation », de grands contingents d'« ouvriers » jus- qu'alors travailleurs saisonniers ou occasionnels, deviennent des tra- vailleurs permanents des grandes haciendas.

Nous n'avons plus affaire alors à 1'« inquilino qui a des terres en fermage dont il paie le bail par son travail » dont nous parle Gon- gora (10) seul inquilino connu jusqu'à la moitié du XIXe. Il s'agit de l'apparition du salarié permanent des grandes haciendas.

(9) Bauer, Arnold, Chilean rural labour in the nineteen century. Berkeley, Center for Latin American Studies, Reprint n° 392, 1974, p. 1075 et suivantes.

(10) Gongora, Mario, El origen de los inquilinos de Chile Central. Santiago, Editorial Universitaria, 1960.

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En tout cas, cette nouvelle forme à' inquilina je allait se différen- cier de la première en ceci que l'étendue de la terre cédée ne per- mettait pas de dépasser le stade de la subsistance de la famille du travailleur, mais en assurait une partie. Dans le cadre du nouveau contrat agraire, la reproduction de la force de travail dans les lati- fundia allait être assurée par un salaire inférieur à la valeur de la force de travail et par une prolongation de la journée ouvrable : sur le propre lopin de Yinquilino {regalia de tierra ou ración). La pro- duction de subsistance qui s'est réalisée sur ce lopin prend entière- ment place dans le cadre des rapports de production qui engendrent le profit capitaliste. L' inquilinaje qui naît dans la seconde moitié du XIXe s'inscrit d'emblée dans le contexte des relations capital-travail, c'est-à-dire que le nouveau contrat agraire établit un rapport pro- pre à engendrer le profit capitaliste. Martin a bien constaté l'exis- tence des limites de cette production de subsistance chez les héri- tiers directs des inquilinos peones dont parle Bauer, qu'il appelle, lui, « inquilinos traditionnels ». Il remarque que ce type d'inquilino, était obligé de travailler 52 semaines par an, à raison de 6 journées de 8 heures par semaine et que s'il est vrai qu'il avait la possibilité d'envoyer un « remplaçant », son fils peut-être ou un « proche », il reste que la plupart du temps, le manque de ressources monétai- res l'obligeait à sacrifier le potager individuel pour avoir deux ren- trées d'argent ou davantage. Du fait du temps de travail exigé d'une part, de la carence d'équipement et de l'exiguïté du lopin d'autre part, la production de subsistance était bloquée, pour Yinquilino com- mun.

A partir de là, la différenciation entre inquilinos sera graduelle, sans changements fondamentaux, selon l'importance relative des attributions de lopins et des salaires versés aux travailleurs. La grande différenciation observée au siècle dernier aura à nouveau jusqu'à un certain point sa réplique au milieu du XXe siècle, sous forme d'opposition entre la couche supérieure de Yinquilinaje et Yinquilinaje commun.

Différenciation et prolétarisation des inquilinos.

Le développement limité du capitalisme agraire, étroitement lié au processus de subdivision de la terre, va en effet, transformer Yin- quilinaje commun.

La regalia a servi de voile pour masquer la prolétarisation de « Yin- quilino traditionnel » dont parle Martin; celui-ci s'efface presque

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82 C. DE CARAVELLE

complètement, dès qu'il s'agit des autres variétés d'inquilinaje qu'il a répertoriées. C'est seulement là qu'on peut parler de formes pro- gressivement issues d'un même type, l'une ou l'autre dominant une exploitation selon la subdivision de la propriété, ou de la spécialisa- tion de la production. C'est ainsi que dans la cartographie de Martin, on peut observer les différenciations; les types « non tradition- nels » sont :

- « Yinquilinaje modifié », où l'on privait Yinquilino des droits de pacage à moins qu'on lui refuse toute parcelle de terre fixe et per- manente pour son usage personnel;

- le * semi-inquilinaje », le lopin de terre n'est plus fixe et le droit de pacage a disparu. Parfois Yinquilino conserve une petite par- celle de terre dans les champs du fundo et il garde presque toujours son habitation;

- enfin, Yinquilinaje partiel » : on n'attribue à Yinquilino qu'une habitation pour sa famille et un salaire net. Tout droit à la terre ou au pacage est supprimé et de ce fait il n'y a plus d'inquilinaje traditionnel. Mais, et voilà qui est révélateur, « on appelle toujours inquilinos ces travailleurs et eux continuent à appeler le proprié- taire 'patron' ».

Il est impossible de quantifier cette différenciation interne et cette carence a entraîné une représentation de Yinquilinaje comme une entité homogène et valable pour au moins tout le Chili Central. Le caractère permanent de Yinquilinaje tout au long du siècle, et même jusqu'à la veille de la réforme agraire, recouvre cependant une prolétarisation en profondeur, car tel est bien le sens de cette fameuse différenciation.

La prolétarisation ne consiste pas, comme on a pu le penser, en une transformation du producteur inquilino-f ermier en salarié agri- cole mais bien dans le fait que FínqruíZíno-salarié agricole a connu une diminution de ses possibilités de produire pour sa subsistance (réduction des droits de pacage et des regalias de terre sans pour autant augmenter corrélativement, la fraction monétaire de son salaire. D'où une diminution des salaires réels dont ont rendu compte divers auteurs. Comment cela a-t-il été possible ?

Disons seulement que les conditions de pléthore de main d'œuvre caractéristiques du XXe siècle, les conditions dans lesquelles s'effec- tuent la subdivision de la terre et la spécialisation des cultures après 1930 font que les chefs d'entreprise agricole avaient intérêt à mini- miser le rôle de ces regalias destinées à la subsistance. Et tandis que grâce à l'appui des sympathisants politiques ou des alliés du pay- sannat, les inquilinos gardaient ici ou là un lopin de plus en plus

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PROLÉTARISATION RURALE : L* « INQUILINO » 83

réduit pour leur subsistance, leur salaire réel se détériorait. Le prix de la force de travail s'écartait de sa valeur effective.

Par delà Yinquilinaje prétendument homogène ou tacitement admis comme tel, nous découvrons une réalité bien différente : sché- matiquement, ce sont trois situations différentes selon le type de domaine :

- une couche minoritaire d'inquilinos en situation de salariés comme personnel d'encadrement, mais en même temps en position de producteurs (soit comme métayers, soit par leur travail) ou de commerçants;

- un groupe important de salariés : les inquilinos traditionnels; - le groupe le plus nombreux formé d'inquilinos appartenant

aux différentes formes de transition vers un salariat « intégral ». Comment comptabiliser toutes ces observations lorsqu'on a affaire

à un grand domaine de rente, à un latifundium de type de production féodal, semi-féodal ou simplement pré-capitaliste Où découvrir les petites exploitations artisanales qui fournissent des productions déterminées dont le volume total sera commercialisé par le proprié- taire ? Où est la dynamique propre à une petite économie paysanne ?

Quant à nous, nous sommes tentés de voir dans tout cela la pré- sence de la fameuse « multitude d'ouvriers fonctionnant en même temps sous le commandement du même capital, dans le même espace (ou si l'on veut, dans le même champ) en vue de produire le même genre de marchandises » qui pour Karl Marx constituait le point de départ historique de toute production capitaliste (u). L'analyse des grandes exploitations chiliennes ne fait que renforcer ce point de vue.

En effet, on a remarqué depuis longtemps une division technique du travail qui correspond à la diversification des structures de pro- ductions et en même temps aux nécessités de contrôle du processus du travail dont chaque membre de la collectivité se voit affecter une partie plus ou moins spécialisée. Observateur attentif et qui eut faci- lement accès aux grandes haciendas de son époque, Mac Bride a bien noté ce phénomène : « On a un tableau vivant de l'organisation sociale lorsqu'on voit de bon matin ces majordomes avec leurs équipes respectives réunis pour recevoir les instructions de l'admi- nistrateur ou du propriétaire lui-même, pour se disperser ensuite vers leurs postes de travail : la laiterie, le canal d'irrigation, les luzernières, les champs de blé, la vigne, les pâturages de montagne, la

(11) Marx, K., op. cit., p. 16.

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84 C. DE CARAVELLE

zone à reboiser après coupe, la réfection des chemins ou la cons- truction des habitations (12).

Un diagramme du rapport CIDA {p. 51) présenté à titre d'exemple nous donne la situation récente, encore pour un fundo de montagne en Aconcagua, mais dans la commune de Santa Maria cette fois. Deux aspects apparaissent dans ce graphique : d'une part, la stricte spécialisation des travaux de surveillance et de contrôle, d'autre part la formation d'équipes spécialisées selon les saisons à partir de la masse de travailleurs de l'unité de production : équipes de labours, d'élevage au pâturage, équipes d'étable, section des conduc- teurs de tracteurs.

On sait que ce n'est que dans les stades les plus avancés de l'indus- trialisation de l'agriculture que le travail revêtira ses formes les plus complexes, en même temps que se produira une diminution quantitative du collectif de travail, mais cela n'enlève rien de sa valeur à notre cas, où le travailleur participe à une division du travail qui correspond à une exploitation capitaliste.

Enfin il semble opportun de rappeler à ce propos que « le mode fondamental de la production capitaliste, c'est la coopération dont la forme rudimentale tout en contenant le germe de formes plus complexes, ne reparaît pas seulement dans celle-ci comme un de leurs éléments, mais se maintient aussi à côté d'elles comme mode particulier » (13).

Les doutes qui pourraient subsister quant à l'interprétation dont nous traçons les contours, tendent à s'estomper complètement quand on analyse le sens des luttes des inquilinos dans les dernires décen- nies.

INQUILINOS ET SALARIÉS DANS LE SUD DU CHILI

On a traité le problème de la main d'œuvre inquilina dans le Chili central et dans le Chili méridional avec une égale confusion. Mais tandis que dans le premier cas on insiste sur les traits non capitalis- tes dans les contrats de travail, dans le second, c'est l'inverse : pour bien purifier un développement agricole qui serait dû à l'implanta- tion d'un mode de production capitaliste dominant caractérisé par la prédominance du salariat, l'intensification agricole, un fonction-

(12) Me. Bride, Jorge, Chile : su tierra y su gente. Santiago, ICIRA, 1970, p. 124.

(13) Marx, K., op. cit. p. 27.

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PROLÉTARISATION RURALE : l' « INQUILINO » 85

nement pour le marché intérieur, etc. Le capitalisme « pur » de la région des Lacs devait être avant tout libéré d'un inquilinaje gênant.

Le texte ci-dessous du rapport CIDA a eu pour effet que toute une série de travaux ultérieurs ont sous estimé la place occupée par Vin- quilino au sein de la force de travail. « Le salarié agricole a généra- lement sa maison dans l'exploitation, dans laquelle il travaille selon un type ̂inquilinaje distinct de celui du Chili Central. Les différen- ces les plus marquantes sont : portion de salaire venant de la rega- lia plus restreinte à Valdivia que dans le Chili Central, et l'absence de travailleurs connus sous le nom de « remplaçant » et « obligé ». Pour ce qui est des regalias, il n'existe pas dans cette région de lots attribués dans les potreros comme c'est la coutume dans le Chili Central. Le droit de pacage est également moins fréquent. Mais il est vrai que les salariés ont droit à une habitation avec enclos et à une certaine quantité de produits agricoles, particulièrement du blé, et des pommes de terre, outre la laine » (14).

La différence principale est donc l'absence supposée de regalia puisque c'est à ce propos et sur le droit de pacage qu'a porté la dis- cussion sur le caractère de Yinquilinaje. Or, la sous-estimation statis- tique est évidente : tandis que dans le Chili Central, les lots représen- taient 6,3 % des terres cultivées en 1955, dans la région des Lacs ce chiffre atteignait 8,5 % (il s'agit dans les deux cas de terre en culture annuelle). Si l'on ajoute à cela que le poids relatif à Yinquilinaje était à peine un peu moindre que dans le Chili Central, il semble évident que la superficie correspondant aux regalias était importante. Appeler ceux-ci « enclos » comme le texte de CIDA ne change rien à l'affaire. Il n'y a malheureusement pas dans ce travail d'autre infor- mation concrète propre à permettre une quelconque généralisa- tion {«).

Ervin a cependant bien perçu le rôle de Yinquilino auquel il consa- cre plusieurs pages. Dans le tableau ci-dessous, on peut voir que les inquilinos étaient représentés dans ces exploitations capitalistes de tailles différentes tant propriétés individuelles que Sociétés Anony- mes, et quel que soit le type ou le degré de spécialisation de la pro- duction. Encore que le nombre des inquilinos n'ait pas été noté dans tous les cas, tout comme celui d'autres salariés du reste, les don- nées recueillies n'en montrent pas moins toute l'importance de Yin- quilinaje. Quant à la dimension des terres cédées, l'enquête d'Ervin est bien incomplète : nous n'y trouvons que deux exemples, où les inquilinos recevaient entre 1 et 2 hectares.

(14) CIDA, op. cit. p. 104. (15) CIDA, op. cit. p. 111.

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86 C. DE CARAVELLE

Tableau n° 1

EXPLOITATIONS DE L'ENQUETE DE ERVIN

Exploitation Spécialisation Province ficie en Inquilinos Travailleurs

hectares autres

r Colhco iv Production _r Valdivia ... . 1000 . AAA 31 Pas d.e r Colhco iv .... delait Valdivia _r ... . 1000 . AAA

(1 à 2 ha) rensei" gnements

Allipen Laiterie et

(Société) cultures diverses Valdivia 400 20 » intensives

Peñaflor .... Embouche Valdivia 1 339 n,on , » precise

Miraflores. . . Porcins Valdivia 200 9 20

Quisquelelfún. Lait Osorno 600 .*}$*, 20 (1 a 2 na)

Fundo Pas de

Esperanza. V . Lait et blé Llanquihue 350 picase Drnéç*sé rensei-

V . picase gnements

El Rincón . . . JjJ JJJé°n de Osorno 244 4 10

Hacienda ... Nuble- Production de Q 2ò0m m m

Rupanco lait, céréales (Société) . .

Source : ERVIN, R., Land use in Southern middle Chile. 1954.

Mais précisons le poids spécifique de Yinquilinaje en repérant sa place dans l'ensemble de la main d'œuvre salariée : d'une part son poids est à peu près le même au Chili Central et dans le Sud, d'autre part l'évolution est assez semblable ici et là dans les années 1950 et 1960.

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PROLÉTARISATION RURALE : L* « INQUILINO » 87

Tableau n° 2

TAUX DE DIMINUTION DES INQUILINOS PAR RAPPORT AUX AUTRES SALARIES (1955-1965)

Pourcentage Pourcentage d'inquilinos coinquilinos Diminution

1965 1955

Chili 21,9 31,4 -9,5 Chili Central 23,0 32,4 - 9,4

Concepción et La Frontera . . 22,8 32,1 - 9,3 Los Lagos et Chiloé 21,5 30,5 - 9,0

Source : 1965 - Recensement de l'élevage et de l'agriculture. 1955 - Rapport CIDA.

Si nous insistons sur l'analogie entre Chili Central et région des Lacs, c'est seulement parce qu'il s'agirait là de deux pôles représen- tatifs des niveaux de capitalisme très différents, ou de « modes de production » différents, si l'on en croit les écrits agraires du pays. Il est certain que les chiffres de la région de la Frontera ressemblent encore plus à ceux de la région située juste au nord. On sait que l'implantation agricole à la Frontera est encore plus récente que dans les Lacs et a été le fait d'éléments dont les traditions agri- coles étaient très hétérogènes.

Mais la similitude apparaît également dans certains traits qui per- mettent de définir le système de travail. Si l'on considère par exem- ple l'importance du personnel d'administration et de surveillance dans les exploitations, on est surpris par le parallélisme des chiffres obtenus dans deux régions qu'on s'est toujours plu à opposer. En 1955, aussi bien dans le Chili Central que dans la région des Lacs pour chaque membre de ce personnel supérieur, il y avait 6 sala- riés de tous ordres. En 1965 ce dernier chiffre pour les deux mêmes régions s'élève à 13 salariés. C'est-à-dire que l'écart entre les deux catégories s'est creusé dans les mêmes conditions pour les deux régions.

La différence fondamentale serait que dans le Sud, ce personnel encadrait une main d'œuvre principalement permanente, ce qui permettait un contrôle beaucoup plus efficace de la force de travail et partant un haut niveau d'exploitation du salarié.

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SS C. DE CARAVELLE

Tableau n° 3

POURCENTAGES RELATIFS DE LA FORGE DE TRAVAIL PERMANENTE ET NON PERMANENTE

DANS LES EXPLOITATIONS, 1965

Ch'I* Concepción Chili nli Central

Ch'I* et La Los Lagos Central Frontera

Travaileurs | permanents . . . 51,8 48,4 61,0 61,5

Travailleurs non- permanents. . . 48,2 51,6 39,0 38,5

Total 100,0 100,0 100,0 100,0

Source : Recensement de l'Agriculture et de l'élevage (1965).

Goussault a bien résumé les conditions de travail et de la vie des salariés permanents à partir des données de CIDA pour la province de Valdivia. Mais il a insisté sur la prédominance du statut de, salarié « pur » et sur l'absence de regalia de terres, condition essen- tielle à la promotion de Yinquilino comme petit producteur mar- chand (16).

Quant à nous, nous pensons que si dans l'ensemble, Yinquilinaje de la région des Lacs est le plus voisin de 1'« inquilinaje commun » du Chili Central, et n'a pas engendré de « couche supérieure », ce n'est pas faute du lopin de terre à usage familial mais parce qu'il se trouvait assujeti à d'autres restrictions. La soumission à un encadre- ment plus rigoureux facilité par la gestion directe du chef d'entre- prise et par la structure même de la force de travail, n'est pas la moindre. Et elle dépend étroitement des spécialisations de produc- tion propres au Sud dont le type d'agriculture exigeait une différen- ciation technique moins poussée et par là-même une plus grande homogénéité dans le recrutement.

L'autre facteur important est constitué sans doute par l'absence d'attrait du marché. Celui-ci était en effet trop pauvre pour écou- ler les produits de la grande agriculture et trop fortement lié à l'acti- vité d'une petite agriculture assez répandue dans les trois provinces.

(16) Goussault, Y., Crise et réforme des structures agraires. Le cas chilien et ses applications méthodologiques. Paris. Thèse de doctorat d'Etat, Université de Paris I, 1973, p. 304.

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PROLÉTARISATION RURALE : l' « INQUILINO » 89

Si ce stimulant avait existé, l'effort du travail familial aurait fait le reste. Tout ceci a empêché la formation d'une couche supérieure d'inquilinos tendant objectivement à devenir agriculteurs indépen- dants. Les deux ou trois cas de ce genre de promotion qu'il nous a été donné de connaître pendant plusieurs années passées dans la province de Llanquilhue ont toujours coïncidé avec un poste d'ou- vrier qualifié (conducteur de tracteur) et partant, avec des privi- lèges sous forme de droit de pacage.

***

En conclusion, l'institution de Yinquilinaje présente pour le moins deux contenus nettement distincts du point de vue des rapports de production et, par conséquent, une double composante sociale.

Le refus de prendre en compte de cette dualité essentielle, enlève- rait toute validité à une analyse des stratégies agraires concernant Yinquilinaje.

Il était impossible de développer dans les limites du présent arti- cle l'étude des comportements sociaux de Yinquilinaje au cours du processus de la réforme agraire et nous nous contentons d'indiquer qu'à cet égard aussi on se trouve devant deux attitudes différentes.

En effet, la formule de Y asentamiento créée par le gouvernement démocrate chrétien s'est révélée un cadre parfaitement adapté pour le groupe minoritaire des inquilinos qui, bénéficiant de certains pri- vilèges, constituaient la couche supérieure de travailleurs de l'exploi- tation, dans la mesure où cette formule visait à asseoir sur cette base sociale une « voie paysanne » de la réforme agraire. De fait, les membres de cette couche supérieure de travailleurs avaient démon- tré une certaine capacité d'ascension sociale. Ils obtenaient une indépendance relative en se transformant en métayers ou fer- miers, en accédant à la propriété de petites parcelles ou encore en créant de petits commerces ruraux.

Mais cette possibilité d'ascension disparaissait quand s'atténuaient ou s'effaçaient les privilèges limités de la couche supérieure. Les inquilinos ordinaires - qui étaient la majorité - n'étaient en somme que des salariés agricoles qui n'avaient pas vocation à la petite économie paysanne. Aussi les réponses divergèrent-elles. La couche supérieure suivant une évolution logique s'inséra dans la voie qui lui était offerte. Les autres répondirent de façon diverse mais avec un haut pourcentage de refus à la « voie paysanne ».

En 1968 et 1969 les salariés de la campagne, y compris les inqui- linos communs, offrent une résistance notoire. Ils se refusent à suivre le chemin de ceux qu'ils désignent comme les « nouveaux

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patrons ». Dans les années suivantes, un abîme les sépare qui révèle pleinement la vigueur des contradictions, émoussée jusque-là par la force du système de domination qui pesait sur la campagne. Le gouvernement de l'Unité Populaire dut prendre en charge le problème posé par les quelques milliers de travailleurs de la couche supérieure repoussés par la majorité des salariés agricoles en fonc- tion de leurs contradictions de classe.

Une fois rejetée la formule de Y asentamiento, les inquilinos ordi- naires présentaient un front moins homogène en réponse à la ques- tion de la collectivisation de la terre. Les indices à notre portée nous conduisent à penser que les options des inquilinos étaient essentiel- lement déterminées par le contexte extérieur : les influences politi- ques qui s'exerçaient, les types d'intervention de l'Etat dans l'agri- culture, la conjoncture économique qui pesait sur le processus dif- ficile de transformation du système de propriété et de travail à la campagne.

Il est clair qu'il existe durant ces années une prédisposition de cette partie des inquilinos à suivre des voies très différentes de celles proposées par ceux qu'avaient voulu voir dans l'ensemble de Yinqui- linaje un fonds social favorable de façon déterminée à la petite éco- nomie paysanne. Le démontre par exemple une thèse de doctorat (USA) : 50 % des inquilinos, à peu près, du Chili central sont favora- bles à la collectivisation de la terre, un pourcentage similaire à celui des autres ouvriers agricoles (17).

Cette réponse concernant la collectivisation est d'autant plus significative que l'enquête fut réalisée dans un contexte politique extrêmement confus : pas de décision officielle quant aux nouvelles formes d'organisation de la production, une campagne intense de l'opposition contre toute tentative de socialisation, impopularité de l'appareil de l'Etat chargé d'intervenir dans le secteur agraire.

6T (17) Rosene Garcia-Huidobro, F., Attitudes toward collectivization held by

Chilean campesinos. Wisconsin, Land Tenure Center Newsletter, Number 5, january-march 1976, pp. 6-24.

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