la transmission conventionnelle des cr ances · thŁse pour le doctorat en droit prØparØe sous la...
TRANSCRIPT
-
UNIVERSITE PARIS X NANTERRE
U.F.R. DE SCIENCES JURIDIQUES, ADMINISTRATIVES ET POLITIQUES
LA TRANSMISSION CONVENTIONNELLE DES CREANCES
Thse pour le doctorat en droit prpare sous la direction de
Monsieur le Professeur Thierry BONNEAU
Prsente et soutenue publiquement
le 26 septembre 2001
par
Frdric LEPLAT
Membres du jury :
Monsieur Thierry BONNEAU
Professeur lUniversit Panthon-Assas (Paris II)
Madame France CASTRES SAINT-MARTIN-DRUMMOND
Professeur lUniversit Panthon-Assas (Paris II)
Madame Marie-Nolle JOBARD-BACHELLIER
Professeur lUniversit Paris X Nanterre
Monsieur Laurent RUET
Professeur lUniversit Paris X Nanterre
Monsieur Philippe SIMLER
Professeur lUniversit Robert-Schuman (Strasbourg III)
-
2
SOMMAIRE
SOMMAIRE........................................................................................................ 2
INTRODUCTION................................................................................................ 3
PREMIERE PARTIE LEXISTENCE DE LA CATEGORIE ........................... 18
Titre 1 La distinction artificielle entre les modes de transmission ......... 21
CHAPITRE 1 LHISTOIRE DUNE DISTINCTION ACCIDENTELLE............................. 23
CHAPITRE 2 LA PORTEE LIMITEE DE LA DISTINCTION EN DROIT POSITIF .............. 90
Titre 2 La convergence des modes de transmission ............................. 166
CHAPITRE 1 DE LEGE LATA, DES ESPECES DUN MEME GENRE........................ 170
CHAPITRE 2 DE LEGE FERENDA, LOPPORTUNITE DUNE UNIFICATION.............. 227
SECONDE PARTIE LE REGIME................................................................ 282
Titre 1 - Le rgime commun des modes de transmission......................... 284
CHAPITRE 1 LA NEUTRALITE DES MODES DE TRANSMISSION DANS LES RAPPORTS
ENTRE LES PARTIES ........................................................................................... 286
CHAPITRE 2 LUNITE DE LEFFET TRANSLATIF................................................ 380
Titre 2 Le rgime propre chaque mode de transmission .................... 497
CHAPITRE 1 LES DIFFERENCES INHERENTES AU MODE DE TRANSMISSION ....... 499
CHAPITRE 2 LES DIFFERENCES ETRANGERES AU MODE DE TRANSMISSION ...... 578
CONCLUSION ............................................................................................... 651
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................ 653
-
3
1 Ouvrages .............................................................................................. 653
3 Articles .................................................................................................. 689
ANNEXE EXTRAITS DE TEXTES ANTERIEURS A LA CODIFICATION ........................ 745
INDEX .............................................................................................................. 757
-
4
INTRODUCTION
-
5
1. Lautonomie de la cession, de la ngociation et de la subrogation. La
transmission conventionnelle des crances ou, plus largement, la transmission
des crances, appartient premire vue aux institutions consacres par le droit
positif. La doctrine regroupe dj la cession de crance 1, la ngociation 2 et la
subrogation 3 sous cet intitul 4. Mais cette classification nemporte pas de
consquences. Elle demeure un cadre artificiel lintrieur duquel chaque mode
de transmission conserve son autonomie.
Lappartenance de la cession de crance, de la ngociation et de la subrogation
une mme catgorie juridique se justifie principalement par lhistoire 5. A
lintransmissibilit de la crance, sous lancien droit, succde sa transmissibilit,
partir du Code civil. Lobligation est constitue par le fait promis, apprci au
point de vue de sa valeur pcuniaire 6. Ce dnominateur commun lobjet de la
cession, de la ngociation, et de la subrogation 7 renferme le germe de leur
1 La cession dsigne la convention par laquelle un crancier (le cdant) transmet son contractant (le cessionnaire), la crance sur le dbiteur (le cd).
2 La ngociation, transmet la crance avec le titre qui la constate. La transmission du titre dsigne au dbiteur son nouveau crancier.
3 La subrogation dsignera exclusivement dans ces dveloppements la subrogation consentie par le crancier (le subrogeant) qui transmet la crance au contractant (le subrog) sur le fondement dun paiement.
4 Cette classification a pour la premire fois t propose par GAUDEMET (Thorie gnrale des obligations, Sirey, 1965, rimpression de l'dition de 1937, p 449 et s.).
Elle est gnralement reprise par la doctrine contemporaine qui distingue le plus souvent lintrieure de la cession, la cession rgie par le Code civil et la cession dont les formalits sont simplifies, notamment la ngociation : v. notamment : A. BENABENT, Droit civil, Les obligations, Montchrestien, 7e d., n 721, p 449 et s. ; J. CARBONNIER, Droit civil, t.4, Les obligations, PUF, 22e d., 2000, n 314, p 555 et s. ; LARROUMET, Les obligations, t. 4, par J. FRANOIS, 2000, n 337 ; G. MARTY et P. RAYNAUD, Droit civil, Les obligations, Sirey, 1989, n 348 ; F. TERRE, PH. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil, Les obligations, Dalloz, 7e d., 1999, n 1173, p 1063 et s.
5 V. notamment E. GAUDEMET, Thorie gnrale des obligations, Sirey, 1965, rimpression de l'dition de 1937, p 449.
Comp. E. FRAUD, La notion de transfert de crance, Rev. rech. juri. 1998-3. 817. Il tablit un rapprochement entre ces modes de transmission en constatant quils ne modifient pas la cause de lobligation transmise. Mais il est ds lors oblig de considrer que lacceptation dune lettre de change est une renonciation et non un nouvel engagement.
6 R. SALEILLES, Etude sur la thorie gnrale de lobligation daprs le premier projet de Code civil pour lempire Allemand, Paris. 3me d. 1925, n 80.
Sur la proprit des crances V. notamment le dbat entre et J. DABIN, Une nouvelle dfinition du droit rel, Rev. trim. dr. civ. 1962. 20 et S. GINOSSAR, Pour une meilleure dfinition du droit rel et du droit personnel, Rev. trim. dr. civ. 1962. 573.
7 A. BENABENT, op. cit., Montchrestien, 7e d., n 721, p 449 ; J. CARBONNIER, op. cit., PUF, 22e d., 2000, n 314, p 555 ; G. MARTY et P. RAYNAUD, op. cit., 1989, n 348 ; M. PLANIOL et G. RIPERT, op. cit., n 1105 ; F. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, op. cit., Dalloz, 7e d., 1999, n 1173, p 1063.
-
6
loignement. La transmission des crances perd en effet son originalit lorsque la
crance est assimile un bien 8. Comme les autres biens, la crance se
transmet par leffet des conventions. La doctrine recherche alors la nature de la
cession, de la ngociation, et de la subrogation dans lintention des parties 9 et en
dduit une diffrence de rgime.
Un esprit diffrent animerait chacun de ces modes de transmission. Selon la
doctrine classique, la cession, consentie en contrepartie dun prix, poursuit une
finalit spculative alors que la subrogation, consentie en contrepartie du
paiement de la dette dautrui serait un service dami 10. La ngociation transmet la
crance plus rapidement et avec une plus grande scurit que la cession 11 ; cette
scurit, lie la forme du titre, se justifie pour certains par la notion dacte
abstrait 12. Mais ces diffrences sestompent. Lopposition classique entre la
8 F. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, op cit., 7e d., 1999, n 1173, p 1063. Ils notent que lobligation envisage comme un bien ne mriterait pas une tude particulire si ce nest par rfrence aux difficults qui furent poses pour sa transmission. La cession de crance est frquemment tudie loccasion des contrats spciaux. Lorsquelle est tudie dans le rgime gnral de lobligation, le regroupement des techniques de transmission dbute alors par un rappel historique de lopration.
9 V. A propos de la distinction entre la cession et la subrogation C. DEMOLOMBE, op. cit., n 385, p 330 : Ce nest donc pas au sens littral des termes, que lon doit sattacher. Cest la commune intention des parties, rvle par le caractre intrinsque de lopration Ce quil faut rechercher surtout, cest si lopration a t faite dans lintrt du crancier, ou dans lintrt du dbiteur. Dans le premier cas, on doit tre port penser que lacte a le caractre dune cession ; tandis que cest le caractre dun payement avec subrogation, qui doit tre prsum dans le second cas . E. GAUDEMET, op. cit., p 471 : cest l une dlicate question dinterprtation de volont .
10 C. AUBRY et C. RAU, Cours de droit civil franais, t. 4, Paris, 5e d., par G. RAU et Ch. FALCIMAIGNE, 1878, 321. Le but principal de la subrogation est la libration du dbiteur envers le crancier originaire. Alors que celui de la cession serait la vente et lacquisition de la crance. C. DEMOLOMBE, op. cit., n 323, p 269. F. MOURLON, op. cit., p VIII. Le payement avec subrogation nest pas une spculation ; cest un bon office et p 178 si le payement est fait par un tiers dans son intrt particulier et avec subrogation aux droits du crancier : lopration nest plus un payement ; ce nest mme pas un payement avec subrogation ; cest une cession dguise sous lapparence trompeuse dun payement subrogatoire . M. PLANIOL et G. RIPERT, op. cit., p 655, n 1245. Lopposition fondamentale dordre conomique tablie entre la cession et la subrogation, si elle rpond la ralit dans un certain nombre de cas, que la loi a considrs comme typiques, nest pas commande par la situation de fait. Lesprit de systme est venu ici dformer laspect vritable des choses ; mais, au n 1520, p 579, la cession de crance nous apparat comme un acte de spculation, tandis que la subrogation est lauxiliaire dun bienfait ; elle facilite la ralisation dune pense gnreuse, en garantissant au capitalise, qui vient au secours dun dbiteur obr, le remboursement de son avance .
11 J. CARBONNIER, op. cit., n 317, p 563 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, Cours de droit civil, Les contrats spciaux, Cujas, 10e d., 1997, n 1250, p 749 ; G. MARTY, P. RAYNAUD et P. JESTAZ, op. cit., n 371 ; F. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, op. cit., Dalloz, 7e d., 1999, n 1201, p 1084.
12 J. BOUTERON et L. LACOUR, Prcis de droit commercial, t. 2, Dalloz, 3e d., 1925, n 1171bis, p 14 Lobligation cambiaire est une obligation littrale ou formelle , la lettre de change nest pas seulement un titre formel : cest aussi un titre abstrait, autonome, qui se suffit lui-mme, sans quil y ait lieu den rechercher la cause . M. JEANTIN, P. LE CANNU, Instruments de paiement et de
-
7
cession de crance, une opration spculative, et la subrogation, un service dami,
ne convainc plus 13. La doctrine saccorde pour ne plus analyser la subrogation
comme une fiction drogeant leffet extinctif du paiement, tout en refusant de
lassimiler sans rserve la cession de crance 14. Les auteurs se rsignent
justifier la ngociation par les impratifs de scurit et de rapidit du commerce
alors que ce mode de transmission est sorti du cadre des relations commerciales
sans perdre son efficacit.
Les doutes entourant la nature juridique des modes de transmission contrastent
avec les diffrences fermement tablies entre leur rgimes 15. La cession se
caractrise par lopposabilit des exceptions ; le cd peut opposer au
cessionnaire les mmes exceptions quau cdant. Le rgime de la ngociation se
distingue par linopposabilit des exceptions ; le dbiteur ne peut pas opposer au
nouveau crancier les exceptions quil pouvait opposer lancien crancier.
Lopposabilit des exceptions rapproche la subrogation de la cession, mais la
subrogation se caractrise par lexigence dun paiement qui dtermine notamment
le moment et lampleur de la transmission.
Finalement, de la vision objective de lobligation assimile un bien, ressort
une pluralit de modes autonomes de transmission des crances.
2. Lunit des modes de transmission. En revanche, lunit renat en adoptant
une conception subjective de lobligation. La crance dsigne le ct actif dun lien
de droit entre deux personnes. La transmission des crances introduit un tiers,
layant cause 16, dans le lien dobligation 17. Lorsque la transmission est issue
dune convention entre lauteur et layant cause, la force obligatoire de ce contrat
crdit - Entreprises en difficult, Dalloz, 5e d., 1999, n 254, p 151. Le formalisme cambiaire cr par la loi suscite une apparence qui donne la lettre de change une valeur qui lui est propre et est indpendante de sa cause . E. PUTMAN, op. cit., n 2, p 18. Larchtype des effets de commerce, la lettre de change, est formaliste et abstraite .
13 V. infra note 437 14 Au XIXe sicle, cette prsentation dominait en doctrine, V. infra n 70. 15 Sur la corrlation ncessaire entre le rgime et la nature dune institution V. J.-L. BERGEL,
Varit de nature (gale) diffrence de rgime, Rev. trim. dr. civ. 1984. 255. 16 Le terme dayant cause est la traduction littrale de lexpression latine utilise par DUMOULIN
habens causam. Elle implique une succession dune personne aux droits dune autre (A. WEILL, Le principe de la relativit des conventions en droit priv franais, thse, Dalloz, 1938, n 60, p 107).
17 V. Ch. LARROUMET, Les oprations juridiques trois personnes en droit priv, thse Bordeaux, 1968, n 7.
-
8
ne suffit pas justifier latteinte leffet relatif de lobligation 18. En effet, bien que
le dbiteur ne consente pas lopration 19, celle-ci opre un changement de
crancier 20. Leffet caractristique de la transmission conventionnelle des
crances ne se situe donc pas dans les rapports entre les parties 21, mais dans les
rapports respectifs de celles-ci avec le dbiteur.
Les diffrences entre la cession, la ngociation, et la subrogation occultent
leurs traits communs qui se dduisent de leur appartenance la catgorie plus
vaste forme par la transmission conventionnelle des crances. En raison de sa
source, la transmission conventionnelle des crances prsente loriginalit de
droger leffet relatif du lien dobligation sans augmenter le poids de la dette la
charge du dbiteur. Cette exception leffet relatif du lien dobligation ne se justifie
que dans la mesure o la substitution de crancier ne nuit pas au dbiteur et se
distingue ainsi de la cession de contrat 22. Par leffet de la transmission
18 P. CHAUMETTE, La subrogation sans paiement, Rev. trim. dr. civ. 1986. 33, spc. n 6. La subrogation personnelle constitue une exception au principe de leffet relatif des conventions, puisque la substitution des personnes permet un tiers au contrat de remplacer lun des contractants . Comp. J. GHESTIN, La distinction entre les parties et les tiers au contrat, JCP. 1992. I. 3628, spc. n 17. Lauteur prfre se rfrer une extension de lopposabilit de la convention de cession.
19 Quel que soit le mode de transmission, le consentement du dbiteur est inutile. Lorsque la crance est transmise par une cession, le dbiteur est un tiers lacte (article 1689
du Code civil). La signification de la cession, une notification par acte dhuissier, suffit faire produire la cession ses effets lgard du dbiteur (articles 1690 et 1691 du Code civil). En ce sens A. BENABENT, Droit civil, Les obligations, Montchrestien, 7e d., n 727, p 453 ; J. CARBONNIER, t.4, op. cit., n 316, Ph. MALAURIE et L. AYNES, Cours de droit civil, Les contrats spciaux, Cujas, 10e d., n 1219, p 735 ; G. MARTY, P. RAYNAUD et P. JESTAZ, op. cit., n 352 ; F. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil, Les obligations, Dalloz, 7e d., 1999, n 1182, p 1070.
De mme, lendossement de la lettre de change requiert seulement la signature de lendosseur (article L. 511-8, ancien article 117 Code commerce) et sa remise l endossataire . Larticle L. 512-3 (ancien article 185) du Code de commerce sur le billet ordre renvoie larticle L. 511-8 (ancien 117) du Code de commerce sur lendossement de la lettre de change.
Quant la subrogation consentie par le crancier, larticle 1250-1 numre ses conditions de validit. Il ne mentionne pas le consentement du dbiteur V. par exemple Civ. I, 23 octobre 1984, Bull. civ. n 276 ; JCP d. E 1984. I.13955.
20 A. GHOZI, La modification de l'obligation par la volont des parties (Etude de droit civil franais), thse, LGDJ, 1980, prface D. TALLON ; A. SERIAUX, Droit des obligations, 2e d., PUF, Droit fondamental, 1998, n 168, p 614. La transmission opre incontestablement une certaine modification du lien originaire car le dbiteur nest plus tenu envers le mme crancier . Aussi, consacre-t-il un chapitre la modification du lien dobligation dcoup en deux sections respectivement intitules La modification par transmission du lien dobligation et La modification par transformation du lien dobligation .
21 Rappr. M. PLANIOL et G. RIPERT, op. cit., p 656, n 1246. A propos de la distinction entre la cession et la subrogation les deux oprations peuvent aisment intervenir lune et lautre dans des situations analogues et en vue de buts trs voisins, sinon identiques .
22 En labsence de dispositions contraire, le consentement du cd est ncessaire
-
9
conventionnelle des crances, seul le crancier change alors que la crance se
conserve. La transmission conventionnelle des crances se distingue ainsi des
oprations attributives telles que la dlgation crant ncessairement une
nouvelle obligation en raison dun accord entre le crancier et le dbiteur de la
nouvelle obligation. Elle se distingue galement du mandat qui ne peut oprer un
changement de crancier.
Chaque mode de transmission se caractrise par une atteinte leffet relatif du
lien dobligation oprant un changement de crancier sans modifier ltendue de
lengagement du dbiteur. Chaque mode de transmission surmonte diffremment
lobstacle de la relativit du lien dobligation. La cession de crance tend la force
obligatoire de la convention entre le cdant et le cessionnaire afin dimposer au
cd la substitution de crancier. La ngociation droge galement la relativit
du lien dobligation car il nexiste pas daccord de volont entre chaque porteur du
titre et le dbiteur. Par leffet dune clause ordre ou au porteur ou par lmission
dun titre nominatif, le dbiteur accepte par avance de reconnatre la qualit
dayant cause la personne qui lui sera dsigne conformment aux stipulations
du titre ngociable. La clause investit un tiers, layant cause, du droit dexiger
lexcution de lobligation. Enfin, la subrogation occulte latteinte la relativit du
lien dobligation inhrente la transmission conventionnelle des crances. La
subrogation affecte la crance du subrogeant au remboursement du subrog qui
sacquitte de son montant. Par leffet de cette affectation, la crance se transmet
au subrog qui peut ainsi exercer une action rcursoire contre le dbiteur.
Ainsi, la cession, la ngociation et la subrogation prsentent les caractristiques
essentielles de la transmission conventionnelle des crances en drogeant la
relativit du lien dobligation afin doprer un changement de crancier sans
augmenter lengagement du dbiteur. Ds lors, la question se pose de savoir sil
faut maintenir lautonomie de la cession, de la ngociation et de la subrogation ou
reconnatre lexistence de la transmission conventionnelle des crances.
Rappr. Civ. I, 6 juin 2000, Bull. civ., n 173 ; D. 2001, 1346, note D. KRAJESKI ; JCP 2000. IV. n 2306 ; RTD Com. 2000, 571, obs. J. MESTRE et B. FRAGES ; Defrnois 2000, art. 37237, n 69. 1125, obs. P. DELEBECQUE (Le fait quun contrat ait t conclu en considratin de la personne du contractant ne fait pas obstace ce que les droits et obligations de ce dernier soient transfrs un tiers ds lors que lautre partie y a consenti).
Contra. L. AYNES, La cession de contrat, thse, Economica, 1984, prface Ph. Malaurie
-
10
3. Un rapprochement rcent. Actuellement, un rapprochement entre la cession,
la ngociation et la subrogation se dessine en lgislation, en doctrine et en
pratique.
Le lgislateur favorise ce rapprochement. La loi du 2 janvier 1981, codifie
larticle L. 313-23 et suivants du Code montaire et financier, a ainsi cr une
cession 23 produisant des effets comparables lendossement de la lettre de
change. Lorsque le cd accepte la cession de crance professionnelle, le
cessionnaire jouit de la mme protection que celle reconnue au porteur dune
lettre de change accepte 24. Linopposabilit des exceptions nest plus lapanage
des titres ngociables.
En doctrine, un rapprochement entre la cession, la ngociation et la subrogation
se constate galement. Les tudes portant sur des principes ou des institutions
plus vastes rvlent des caractristiques communes. Tel est par exemple le cas
de la thse de Monsieur LARROUMET sur les oprations juridiques trois
personnes 25, du cours de RAYNAUD sur les conventions ayant pour objet une
obligation 26 ou des thses rcentes sur lopposabilit des conventions ou de leur
effet relatif 27. Le rapprochement se peroit galement loccasion des tudes
portant sur certains aspects de la transmission conventionnelle des crances.
Ainsi, la thse de Madame PARDOEL 28 sur les conflits de lois en matire de
cession de crance englobe la subrogation consentie par le crancier. Il ressort de
la comparaison du droit franais et allemand entreprise par Madame CASHIN-
23 Th. BONNEAU, Droit bancaire, Montchrestien, 4e d., 2001, n 582, p 378 et s. M. DE JUGLART et B. IPPOLITO, op. cit., n 283 ; G. RIPERT et R. ROBLOT, Trait de droit commercial, t. 2, LGDJ, 16e d., 2000, n 2428-1, p 452 ; J.-L. RIVES-LANGE et M. CONTAMINE-RAYNAUD, op. cit., n 526.
24 Larticle L. 313-29 du Code montaire et financier (ancien article 6 de la loi du 2 janvier 1981) est formul dans des termes identiques ceux de larticle L. 511-12 (ancien article 121) du Code de commerce.
25 Ch. LARROUMET, Les oprations juridiques trois personnes en droit priv, thse, Bordeaux, 1968.
26 P. RAYNAUD, Les contrats ayant pour objet une obligation, Cours de DEA, Les Cours de droit, 1977.
27 F. BERTRAND, L'opposabilit du contrat aux tiers, thse, Paris II, 1979 ; J. DUCLOS, L'opposabilit (Essai d'une thorie gnrale), thse, LGDJ, 1984, prface D. Martin ; Y. FLOUR, L'effet des contrats l'gard des tiers en droit international priv, thse, Paris II, 1977 ; J.-L. GOUTAL, Essai sur le principe de l'effet relatif du contrat, thse, LGDJ, 1981, prface H. BATIFFOL.
28 D. PARDOL, Les conflits de lois en matire de cession de crance, thse, LGDJ, 1997, prface P. LAGARDE.
-
11
RITHAINE 29. Il apparat enfin dans le domaine voisin des garanties
conventionnelles sur crances tudies par Monsieur LEGEAIS 30. Le
rapprochement entre les modes de transmission se peroit surtout loccasion
des monographies sur la ngociation ou la subrogation. Ainsi, Monsieur CAUSSE
qualifie la transmission des titres ngociables 31 de cession de contrat, aprs avoir
tabli de nombreux rapprochements avec la cession de crance. Quant
Monsieur DESPAQUIS 32, il justifie le rgime de lobligation cambiaire par un
quilibre entre le droit commun des obligations et lapparence. Enfin, Monsieur
ENDREO 33 analyse la transmission de la provision dune lettre de change laide
de la cession de crance. En dernier lieu, la rcente thse de Monsieur NIZARD 34
confirme que le titre ngociable nest pas un simple instrumentum, mais quil
permet, en chappant aux lourdes formalits de larticles 1690 du Code civil, de
faciliter le transport simplifi du droit quil constate. A propos de la subrogation,
Monsieur MESTRE 35 a fermement tabli que ce procd ne repose pas sur une
fiction permettant exceptionnellement la survie de la crance teinte par le
paiement du subrog 36. La subrogation, comme la cession, ralise une
29 E. CASHIN-RITHAINE, Les cessions contractuelles de crances de sommes dargent dans les relations civiles et commerciales franco-allemandes, LGDJ, 2000, Prface F. RANIEREI, Avant-propos F . JACQUOT.
30 D. LEGEAIS, Les garanties conventionnelles sur crances, thse, Economica, 1986, prface P. REMY et Avant-propos de J. STOUFFLET.
31 H. CAUSSE, Les titre ngociables (Essai sur le contrat ngociable), thse, Litec, 1993, prface B. TEYSSIE.
32 J.-M. DESPAQUIS, L'obligation cambiaire- Essai sur la nature de l'obligation cambiaire, thse, Reims, 1996.
33 G. ENDREO, La provision, garantie du payement de la lettre de change, thse, Nantes, 1980. 34 F. NIZARD, La notion de titre ngociable, thse, Paris II, 2000, Dr 21, 2001, T 001
(http://www.droit21.com). 35 J. MESTRE, La subrogation personnelle, thse, LGDJ, 1979, prface P. KAYSER, n 639 ;
p 698. Pourquoi ne pas admettre que la subrogation personnelle, rglemente au niveau du paiement, soit en ralit une cession de crance qui seffectue, de manire originale sur le fondement dun paiement ? . Nanmoins, les exceptions gnrales que ces juges dans le silence des textes, ont apportes leffet translatif, loin de contredire cette analyse, viennent la renforcer, en mme temps que la complter. Elles rvlent, en effet loriginalit de linstitution quant au fondement juridique de la transmission de la crance .
Ce rapprochement entre la subrogation et la cession est notamment admis par Ph. MALAURIE et L. AYNES, op. cit, Cujas, 10e d., n 1206, p 721. La subrogation est davantage devenue un mode de transfert de la crance, li au paiement .
36 Parmi les auteurs analysant la subrogation comme une fiction ou une exception lextinction de la crance aprs le paiement : G. BAUDRY-LACANTINERIE et L. BARDE, Trait thorique et pratique de droit civil, Des obligations, t. 12, Paris, 1902, n 1516, p 574. La subrogation est une fiction juridique, par suite de laquelle une crance, paye avec des deniers fournis par un tiers et par consquent teinte par rapport au crancier, est rpute subsister avec tous ses accessoires au profit de ce tiers, afin dassurer lefficacit de son recours pour le remboursement des fonds quil
-
12
transmission de la crance. A partir de ce rapprochement, Monsieur MOULOUNGI 37
conteste linterdiction du profit dans la subrogation, lune de ses diffrences par
rapport la cession.
En pratique, le rapprochement entre la cession, la ngociation et la subrogation
se constate galement. Le choix du mode de transmission dpend moins de sa
nature ou de ses effets caractristiques que dun bilan cot-avantage 38.
Laffacturage offre un exemple o la subrogation se substitue une cession.
Laffacturage ralise une opration de crdit lorsquun client transmet ses
crances terme son affactureur, en contrepartie dun paiement immdiat. A
cette fin, laffactureur utilise la subrogation, alors que cette transmission dune
crance en contrepartie de lobligation den payer le prix caractrise normalement
la cession de crance. La subrogation savre cependant plus avantageuse.
Lopposabilit de la transmission aux tiers ne requiert pas laccomplissement des
formalits onreuses de la cession de crance rgie par le Code civil. Cependant,
la subrogation prsente linconvnient de limiter lampleur de la transmission au
montant du paiement effectu par le subrog. Laffactureur ne pourrait pas se
rmunrer du crdit consenti son client en lui versant une somme infrieure la
valeur nominale de la crance transmise. La pratique a nanmoins remdi cet
inconvnient. Laffactureur sacquitte du montant total de la crance mais impute
a verss . C. DEMOLOMBE, Trait des contrats ou des obligations conventionnelles en gnral, t. 1, Paris, 1868, n 315, p 262. La subrogation, ce nest pas la vrit ; cest la fiction. Ce nest pas le droit pur ; cest lquit. Il est vrai ! . GAUTHIER, Trait de la subrogation de personnes, Paris, 1853, n 8, p 5. Ce nest que par une drogation la rigueur du droit que le paiement peut, en certain cas, et au moyen de la subrogation, faire revivre au profit de celui qui paie les droits du crancier originaire . F. LAURENT, Principes de droit civil, t. 18, Paris, 3e d. 1878, n 6, p 16. La fiction tablie dans lintrt du subrog, consiste en ceci, cest quil est cens avoir plutt achet la crance que lavoir pay. La subrogation est donc une cession fictive . F. MOURLON, Trait thorique et pratique des subrogations personnelles, Paris, 1848, p VIII. Le paiement avec subrogation est une opration double face. Entre le subrog et le dbiteur ou ses ayants cause, cest une cession fictive par suite de laquelle le tiers dont largent a servi la libration du dbiteur succde tous les droits quavait le crancier originaire. Entre le subrog et le subrogeant, cest un payement extinctif de la dette . M. PLANIOL et G. RIPERT, Trait pratique de droit civil franais, t. 7, LGDJ, 2e d., avec P. ESMEIN, J. RADOUANT,1954, n 1219, p 626. La subrogation est donc linstitution juridique en vertu de laquelle la crance paye par le tiers subsiste son profit et lui est transmise avec tous ses accessoires, bien quelle soit considre comme teinte par rapport au crancier . Mais les auteurs cartent lide de fiction, la subrogation repose sur des besoins pratiques vidents, il vaut mieux se contenter de lanalyser (p 652, n 1244).
37 C. MOULOUNGI, L'admissibilit du profit dans la subrogation, thse, LGDJ, 1995, prface F. GRUA.
38 E. PUTMAN, Droit des affaires, t. 4, Moyens de paiement et de crdit, PUF, Thmis droit priv, 1995, n 4.
-
13
immdiatement une commission 39. Ainsi, il est subrog dans la totalit de la
crance en ne dcaissant quune partie de son montant.
4. Un rapprochement utile. Ce rapprochement amorc entre la cession, la
ngociation et la subrogation mrite d'tre systmatis. En effet, une thorie
gnrale des modes de transmission rpond aux interrogations actuellement
suscites par leur mutation. Les procds rcemment crs par la loi comportent
des zones dombre, faute de sinsrer parfaitement lintrieur de lun des trois
modes de transmission connus 40. Les procds plus anciens voluent. La
dmatrialisation des valeurs mobilires, impose par la loi, remet en cause
linopposabilit des exceptions traditionnellement lie linstrumentum en papier
des titres ngociables 41. La dmatrialisation des effets de commerce, souhaite
par la pratique 42, semble difficilement ralisable. Le droit cambiaire est peu
compatible avec les nouvelles technologies note Monsieur BONNEAU loccasion
dun arrt de la Cour de cassation qui refuse dassimiler une cl informatique la
signature dun effet de commerce 43.
Par ailleurs, une thorie gnrale des modes de transmission complte le
rgime de la cession, de la ngociation et de la subrogation en prcisant le
principe et les limites de la transposition des rgles dgages loccasion de
chacun de ces modes de transmission. Autrement dit, la catgorie juridique de la
transmission conventionnelle des crances tablit un droit commun de la cession,
de la ngociation et de la subrogation 44.
39 Th. BONNEAU, op. cit., n 579, p 376 ; M. DE JUGLART et B. IPPOLITO, Trait de, Montchrestien, 3e d., par L. M. MARTIN, 1991, n 294 ; J.-L. RIVES-LANGE et M. CONTAMINE-RAYNAUD, op. cit., Dalloz, 6e d., 1995, n 585.
Comp. les doutes quant la validit de lopration M. VASSEUR, Droit et conomie bancaire, Les oprations de banque, Fasc. 1, Les cours de droit, 4e d., 1987-1987, p 308.
40 V. par exemple la loi du 25 juin 1999 et ses dcrets du 29 juillet et 3 aot 1999 organisant le refinancement des tablissements accordant des prts immobiliers. Ces textes sont codifis aux articles L. 515 et suivants du Code montaire et financier. Sur ce nouveau mode de mobilisation des crances : Th. BONNEAU, Droit bancaire, Montchrestien, 4e d., 2001, n 843, p 570 et s.
41 Sur les consquences de la dmatrialisation lgard de la notion de valeur mobilire A. REYGROBELLET, La notion de valeur mobilire, thse, Paris II, 1995, n 978 et s.
42 V. M. VASSEUR, La lettre de change-relev, de l'influence de l'informatique sur le droit, Rev. trim. dr. com. 1975. 203.
43 Th. BONNEAU, note sous Com., 26 novembre 1996, JCP d. E, 1997. II. 906, n 7. 44 Elle permet ainsi dtablir un droit commun de la ngociation alors que lattention se
concentre habituellement sur certaines formes rglementes de ce mode de transmission, telle la lettre de change
-
14
5. Linadaptation de la cession de crance. Mais la prsence de plusieurs
techniques pour atteindre le mme objectif surprend. Elle rvle linadaptation de
la cession de crance rgie par le Code civil. Ce jugement de valeur contribue
pourtant la comprhension de la transmission conventionnelle des crances
dont ltude implique une rupture pistmologique entre le droit et sa
connaissance 45.
Le droit se prsente formellement comme une pyramide de normes 46. Chaque
norme dicte un impratif hypothtique dont la validit se dduit du rattachement
lordonnancement juridique. La conformit de la norme aux valeurs
fondamentales lgitime la contrainte exerce 47. Lensemble forme un systme
autonome vis--vis des autres systmes sociaux, bien quils voluent chacun sous
linfluence de leurs actions rciproques 48. La procdure dmocratique devrait
Sur lutilit dun droit commun : J. GHESTIN, La transmission des obligations en droit positif franais, LGDJ. 1980. in Travaux des IX Journes d'tudes juridiques J. DABIN. spc. p 79. Il constate propos des titres ngociables que leur thorie gnrale reste faire en droit franais . Le mme constat est fait pour le droit belge par M. FONTAINE, La transmission des obligations de lege ferenda, LGDJ. 1980. in Travaux des IX Journes d'tudes juridiques J. DABIN. 611, spc. p 639. En revanche, une telle thorie existe en Suisse (Code suisse des obligations articles 965 1155) et en Italie (Code civil italien articles 1992 2027).
45 V. sur ces deux ples P. AMSELEK, Elments d'une dfinition de la recherche juridique, 297. La recherche se dploie dans une double direction, en vue de fonder la fois le statut de lobjet de recherche et le statut de lactivit de recherche tourn vers cet objet
Les thories de la connaissance du droit suscitent un regain dintrt V. notamment C. ATIAS, Epistmologie juridique, PUF, 1985 ; X. LAGARDE, Rflexion critique sur le droit de la preuve, thse, LGDJ, 1994, prface J. GHESTIN, n 1, p 1 qui part du constat quil ny a pas de science purement empirique du droit pour en dduire la ncessit de dgager les concepts ncessaires pour aborder le droit positif de manire scientifique .
Cet appel la science lissue dune rflexion sur les mthodes de la connaissance juridique nest pas sans prcdent (V. le mouvement de la libre recherche scientifique et notamment F. GENY, Science et technique en droit priv positif, Sirey, t. 1, 1914 ; F. GENY, Mthode d'interprtation et sources en droit priv positif, t. 1, LGDJ, 1996, rimpression de l'dition de 1919).
46 H. KELSEN, Thorie pure du droit, Trad de la 2e d. De la Reine Rechtslehre par Ch. Eisenmann, Dalloz, 1962, p 299 et s.
47 Comp. H. KELSEN se contente dune lgitimit formelle : le jugement de valeur objectif nonce soit quune conduite effective est conforme une norme considre comme objectivement valable et est en ce sens bonne soit quune conduite effective contredit une telle norme et est en ce sens mauvaise, cest dire contraire une valeur H. KELSEN, op. cit., p 23.
Cette vision restrictive chasse lide de justice que PERELMAN rintroduit : Nous sommes amens distinguer trois lments dans la justice : la valeur qui la fonde, la rgle qui lnonce, lacte qui la ralise . De mme quun acte juste est relatif la rgle, la rgle juste sera relative aux valeurs qui servent de fondement au systme normatif (Ch. PERELMAN, Justice et Raison, 2e d. Universit de Bruxelles, 1972 ; B. HUISMAN et F. RIBES, Les philosophes et le droit - Les grands textes philosophiques sur le droit, Bordas, 1988, p 330).
48 La thorie des systmes est gnralement attribue au biologiste LUDWIG von BERTALANFFY, lauteur de General system Theory publi en 1968. Cette thorie stend depuis lensemble des
-
15
assurer la rgulation du systme juridique par rapport aux autres systmes
sociaux, et garantir ainsi sa rationalit et sa lgitimit 49. Mais ce schma idal
reflte imparfaitement le droit positif. Les normes reposent sur des valeurs
ncessairement relatives et imparfaites 50. En outre, la modification de
lordonnancement juridique requiert une dcision ; rien ne garantit la rgulation du
systme juridique. Face linaction du lgislateur, linterprte ne jouit que dune
libert encadre ; au-del du Code civil, mais par le Code civil 51.
La connaissance du droit se heurte des obstacles qui lui sont propres 52.
Dune part, le droit se prsente apparemment sous la forme dun ensemble
organis de propositions. Dautre part, des organes habilits disposent du
monopole de la cration et de linterprtation des normes lissue dune
procdure qui en garantit la lgitimit. Au monopole de la contrainte lgitime
rpondrait le monopole de la connaissance lgitime 53. Tel nest pas le cas. Le
domaines de la connaissance et spcialement lconomie v. J.-L. LE MOIGNE, La thorie du systme gnral, Thorie de la modlisation, PUF, 4e d., 1994.
Sa transposition au droit a principalement t tente par des auteurs allemands dont N. LUHMANN (En langue franaise v. Lunit du systme juridique, APD, 1986, p 163) et G. TEUBNER (Deux ouvrages sont traduits : G. TEUBNER, Le droit : un systme autopotique, PUF, Trad. de l'all. par G. Maier et N. Boucquey, 1993 ; G. TEUBNER, Droit et rflexivit - L'auto-rfrence en droit et dans l'organisation, LGDJ, 1994, trad. de l'allemand par N. Boucquey). Lide de systme a galement fait lobjet du tome 31 des Archives de philosophie du droit (1986), intitul Le systme juridique avec larticle de Ch. GRZEGORCZYK, Evaluation critique du paradigme systmique dans la science du droit, ainsi que plusieurs publications en franais parmi lesquelles v. : N. BOBBIO, Nouvelle rflexions sur les normes primaires et secondaires, in La rgle de droit, Bruylant, 1971 ; J.-L. LE MOIGNE, Le systmes juridiques sont-ils passibles d'une reprsentation systmique ?, Rev. rech. juri. 1985-1. 155 ; P. ORIANNE, Introduction au systme juridique, Bruylant, 1982 ; M. VAN DE KERCHOVE et F. OST, Le systme juridique entre ordre et dsordre, PUF, 1988, ORIANNE, Introduction au systme juridique, Bruylant, 1982 ; M. VAN DE KERCHOVE et F. OST, Le systme juridique entre ordre et dsordre, PUF, 1988.
Ces thories inspirent de nombreux auteurs comme C. ATIAS, op. cit., n 86, p 168, n 97, p 191 ; J.-L. BERGEL, Thorie gnrale du droit, Dalloz, 1999, 3e d., n 8, p 8.
49 J. HABERMAS, Droit et dmocration - Entre faits et normes, Gallimard, NRF essais, 1992, trad. de l'allemand, 1997, Dans cet ouvrage, lauteur applique au phnomne juridique le concept de discussion au centre de son uvre. La lgitim de la contrainte suppose que les citoyens puissent tout moment se concevoir comme les auteurs du droit auquel ils sont soumis.
50 Ch. PERELMAN, op. cit. , 1972 ; B. HUISMAN et F. RIBES, op. cit., p 331. Toute valeur tant ncessairement arbitraire, il nexiste pas de justice absolue, entirement fonde sur la raison
51 SALEILLES, Prface F. GENY, Mthode d'interprtation et sources en droit priv positif, t. 1, LGDJ, 1996, rimpression de l'dition de 1919.
52 C. ATIAS, op. cit., n 13, p 20 A propos des obstacles la reconaissance dune pistmologie juridique : Ou bien il ny pas de connaissance du droit : ou bien cette connaissance na rien de scientifique .
53 V. sur lencadrement de lenseignement du droit au XIXe : J.-L. HALPERIN, Histoire du droit priv franais depuis 1804, PUF, 1996, n 24, p 49 et s. La loi du 22 ventse an XII (13 mars 1804) donne lEtat le monopole de lenseignement juridique, les professeurs prtent un serment dobissance, ils exercent sous la surveillance dinspecteurs gnraux.
-
16
droit se distingue de sa connaissance. Le droit est lobjet de la science juridique.
La connaissance du droit construit une explication rationnelle qui ne prjuge pas
de la cohrence du phnomne juridique 54, mais impose au contraire den
douter 55. Lobjectivit nat de la rupture entre lobjet et le sujet, autrement dit,
entre le droit et sa connaissance 56. Si la pratique du droit est un art, sa
connaissance nen demeure pas moins une science. La rupture entre le droit et sa
connaissance nimpose cependant pas dabandonner le raisonnement juridique
traditionnel ; le droit connat dj une rigoureuse mthode danalyse, mme si
cette mthode, tourne vers lapplication des normes, napprhende que
partiellement la complexit du systme juridique 57 ; la loi nexprime pas tout le
droit. La diversit des sources du droit autorise la multiplication des points de vue
et des approches 58. En proposant une explication rationnelle du phnomne
juridique, la connaissance du droit rejoint ainsi, par dautres voies, les
proccupations des acteurs de la scne juridique la recherche de cohrence et
de prvisibilit.
Ces prmices dictent la mthode retenue pour tudier la transmission
conventionnelle des crances. La cohrence du systme juridique supposerait
qu lunit de la nature de la transmission conventionnelle des crances
corresponde lunit de son rgime. A priori, les dispositions du Code civil rgissant
la cession de crance se prsentent comme le droit commun de la transmission
conventionnelle des crances. Mais lopposabilit de la cession de crance exige
une signification ou une acceptation par acte authentique. Ces formalits
54 Lexpression de phnomne du droit, par opposition science du droit, est emprunte J. CARBONNIER, Droit civil, t. 1, Introduction, PUF, 26e d., 1999, n 3, p 19.
55 Friedrich A. HAYEK, Droit, lgislation et libert, t. 1 Rgles et ordre, PUF, Quadrige, 1973, Trad. En 1980 par R. AUDOUIN, p 6 Nombre dinstitutions de la socit qui sont des conditions indispensables la poursuite efficace de nos buts conscients sont en fait le rsultat de coutumes, dhabitudes, de pratiques qui nont ni t inventes, ni ne sont observes afin dobtenir des buts de cette nature .
56 Comp. X. LAGARDE, thse prcite. 57 Deux tendances existent en pistmologie : le rductionnisme (le centre de gravit est le
sujet, le complexe peut se ramener au simple), lantirductionnisme (le centre de gravit est lobjet et sa structure, le complexe ne peut se ramener au simple).
Lide de systme juridique carte une approche rductionniste. Il ny a pas de phnomnes simples ; le phnomne est un tissu de relations (G. BACHELARD, Le nouvel esprit scientifique, PUF, Quadrige, 1er d. 1934, 5e d. 1995, p 143).
58 M. CARBONNIER travers les notes dhistoire, de thorie juridique, de sociologie, de politique lgislative et de pratique judiciaire de ses manuels de droit civil marque un net intrt pour les sciences auxiliaires du droit.
-
17
anachroniques, onreuses, et inadaptes la sauvegarde des intrts quelles
sont censes protger forment un obstacle injustifiable la transmission
conventionnelle des crances. Larticle 1690 du Code civil, directement inspir de
lancien droit, na jamais t rform la diffrence de son homologue belge 59.
Ladaptation du systme juridique a emprunt dautres voies : accessoirement, par
la multiplication de dispositions lgislatives cartant ponctuellement le rgime du
Code civil, principalement, par le recours deux autres modes de transmission, la
ngociation et la subrogation, permettant datteindre le mme objectif que la
cession de crance tout en chappant aux formalits de larticle 1690 du Code
civil.
6. Lexistence et le rgime de la transmission conventionnelle des
crances. La cession, la ngociation et la subrogation appartiennent ainsi une
catgorie plus vaste, la transmission conventionnelle des crances. La seule
justification de la distinction entre les modes de transmission est la ncessit
d'chapper aux contraintes du droit commun de la cession de crance. Ni
lhistoire, ni la fonction de la cession, de la ngociation ou de la subrogation
nautorise dautres diffrences entre les modes de transmission. En revanche, la
cession, la ngociation et la subrogation prsentent une nature juridique commune
et un rgime commun dduit de ladage nemo plus juris (nul ne peut transmettre
autrui plus de droit quil nen a 60). En effet, linopposabilit des exceptions
frquemment associe la ngociation nest pas lie au mode de transmission,
mais lengagement souscrit par le dbiteur qui forme lobjet de la transmission.
Lapparence renforce par ailleurs la protection des tiers. Ainsi, linopposabilit des
exceptions est lie la nature de la crance transmise et non au mode de
transmission. Lengagement du dbiteur nest jamais aggrav sans son
consentement 61. Ainsi, la cession, la ngociation et la subrogation poursuivant et
ralisant le mme objectif peuvent utilement tre rassembles.
59 Loi du 6 juillet 1994 sur laquelle v. Rev. trim. dr. civ. 1996. 60 Trad. H. ROLAND et L. BOYER, Adages du droit franais, Litec, 3e d., 1992, n 328, p 382. 61 Quel que soit le mode de transmission choisi, le porteur dun effet de commerce bnficie de
linopposabilit des exceptions. Il profite par exemple de la mme protection lorsque la crance lui est transmise par lendossement du titre ou par une subrogation.
-
18
Ainsi, lexistence de la catgorie forme par la transmission conventionnelle
des crances (Premire partie), correspond un rgime transcendant la diversit
des modes de transmission (Seconde partie).
-
19
Premire partie Lexistence de
la catgorie
-
20
7. Lvolution des catgories juridiques. La qualification consiste classer une
donne dans une catgorie juridique pour lui faire produire un effet de droit 62. Elle
porte essentiellement sur des faits, rattachs aux prsupposs dune rgle
juridique, afin de dire le droit applicable au cas concret. Une dmarche analogue
peut galement sappliquer aux normes juridiques afin de les rattacher des
catgories gnrales, et permettre ainsi den prciser le rgime 63.
Rationnellement, llaboration des catgories prcde lapplication dun rgime ;
mais le rgime rejaillit en ralit sur leur dlimitation. Laffirmation se vrifie
loccasion de la qualification des faits 64 ; elle vaut galement pour la qualification
des normes 65. Cette influence du rgime sur les catgories juridiques modifie leur
physionomie et leur place au sein du systme juridique, assurant ainsi leur
volution en labsence dintervention du lgislateur. La transmission
conventionnelle des crances rpond ce schma.
8. La transmission conventionnelle des crances, catgorie juridique. La loi
ne consacre pas expressment une catgorie regroupant la cession, la
ngociation et la subrogation. Pour admettre la transmission conventionnelle des
crances en dehors des cas expressment prvus par les Codes, la doctrine 66
sest essentiellement efforce den nier loriginalit : les crances, comme tous les
biens, se transmettent par leffet dune convention. Paradoxalement, ce consensus
autour de lexistence de lopration nuit aujourdhui aux principaux modes de
62 Rappr. B. ANCEL, Qualification, Enc. Dall. Int. 1998, spc. n 1. Le mot qualification dsigne le raisonnement par suite duquel on dcide que tel fait ou telle srie de faits relve du champ dapplication dune rgle de droit dtermine et dune seule .
63 J.-L. BERGEL, op. cit., n 181. Pour tablir des concepts, il faut partir de lobservation du droit positif et des ralits sociales Les rsultats de cette observation et les critres qui sen sont dgags sont traduit en concepts par voie dinduction. On en vient alors ranger les phnomnes et les notions juridique de mme nature en catgories auxquelles sattachent, par voie de consquence, certaines rgles propres. Cette catgorisation repose sur des traits constants .
64 F. TERRE, L'influence de la volont individuelle sur les qualifications, thse, LGDJ, 1956, n 6, p 6. Cest pour atteindre un but donn que parties et juge utilisent une qualification dtermine .
65 Sur lapproche fonctionnelle des catgories juridiques v. notamment P. LAGARDE, Recherches sur l'ordre public en droit international priv, thse, Paris, 1957; VEDEL, La juridiction comptente pour prvenir, faire cesser ou rparer la voie de fait administrative, JCP. 1950. I. 851 .
Les notions conceptuelles peuvent recevoir une dfinition complte selon les critres logiques et leur contenu est abstraitement dtermin une fois pour toutes . Les notions fonctionnelles procdent directement dune fonction qui leur confre seule une vritable unit (VEDEL, art. prcit, n 4).
66 Sur lassimilation de la crance un bien ds le dbut du XIX v. infra n 66.
-
21
transmission. Les frontires entre la cession, la ngociation, et la subrogation
restent incertaines. De laveu de nombreux auteurs 67, les critres distinguant
traditionnellement la cession de la subrogation ne convainquent plus ; le
scepticisme sinstalle face la profusion des thories contradictoires sur la nature
des titres ngociables 68.
Lapparente diversit des modes de transmission masque leur appartenance
la catgorie juridique plus vaste forme par la transmission conventionnelle des
crances. La cession, la ngociation et la subrogation ont pour seul objectif
dassurer la transmission conventionnelle des crances. Le systme juridique sest
adapt lentrave gnre par les formalits du droit commun de la cession de
crance grce des techniques de substitution. Le seul objectif de la distinction
entre la cession, la ngociation et la subrogation est de soustraire la transmission
conventionnelle des crances aux formalits de larticle 1690 du Code civil.
La cession, la ngociation et la subrogation ralisent la mme opration. La
distinction artificielle entre ces modes de transmission (Titre 1) ne saurait masquer
leur convergence (Titre 2).
67 V. notamment A. BENABENT, op. cit., n 724, p 452 propos de diffrence entre la cession et la subrogation, cette dualit est en elle-mme une difficult.. ces deux techniques ont des lments en commun et des points divergents sans vritable explication rationnelle .
J. FLOUR ET J.-L. AUBERT, Droit civil, Les obligations, t. 3, Le rapport d'obligation, Armand Colin, 1999, n 392, p 241 Dans une section sur la comparaison entre la subrogation et la cession de crance, les auteurs concluent que les deux mcanismes sont spars par des diffrences qui tiennent une volution historique diffrente, plus quelles ne sont imposes par la logique. Celle-ci aurait plutt command dunifier cession de crance et subrogation consentie par le crancier .
68 V. infra n 259 et s.
-
22
Titre 1 La distinction artificielle entre
les modes de transmission
-
23
9. La pluralit de techniques au service dun mme objectif. Lhistoire montre
que les codificateurs ont rompu non intentionnellement le mouvement de
rapprochement entre les modes de transmission conventionnelle des crances
qui stait antrieurement dgag. Lexgse constate la distinction entre la
cession, la ngociation et la subrogation introduite par la codification et tente de la
justifier en associant un objectif diffrent chacun de ces modes de
transmission 69. Nanmoins, ces diffrences ne convainquent plus la doctrine
contemporaine ; plusieurs techniques poursuivent le mme objectif 70.
En effet, la distinction entre les modes de transmission a aujourdhui pour seul
objectif de soustraire lopration aux formalits anachroniques et inutilement
contraignantes de larticle 1690 du Code civil. La cession, la ngociation et la
subrogation sont des techniques neutres et substituables les unes aux autres afin
de raliser une substitution de crancier dans le lien dobligation.
La distinction entre les modes de transmission accidentellement introduite lors
de la Codification (Chapitre 1) na aujourdhui quune porte limite en droit positif
(Chapitre 2).
69 V. infra n 65. 70 V. infra n 88.
-
24
CHAPITRE 1 LHISTOIRE DUNE DISTINCTION ACCIDENTELLE
10. La rupture. Les historiens attachent aujourdhui une grande importance aux
ruptures 71. La codification napolonienne marque une rupture dans lhistoire de la
transmission conventionnelle des crances. Elle rompt fortuitement le
rapprochement entre la cession, la ngociation et la subrogation.
Avant 1804, le dogme de lintransmissibilit des crances prvaut. Ainsi,
POTHIER considre quune crance tant un droit personnel du crancier, un droit
inhrent sa personne, elle ne peut pas, ne considrer que la subtilit du droit,
se transporter une autre personne 72. Nanmoins, des procds de substitution
contournent cet obstacle. La cession de crance et la ngociation proviennent
respectivement du droit romain et du droit germanique o elles palliaient
lintransmissibilit des crances. Elles tendent se fondre au cours de lancien
droit franais. Par ailleurs, jusquau Code civil, rien ne distingue la subrogation
consentie par le crancier de la cession de crance ; la seule forme de
subrogation qui existe depuis le droit romain est une transmission impose au
crancier.
Le Code civil admet sans rserve la transmission conventionnelle des
crances. Mais au lieu dachever le rapprochement des diffrents modes de
transmission, la codification en consacre plusieurs formes. A ct de la cession de
crance, le Code civil admet galement la subrogation consentie par le crancier,
71 Sur les ruptures structurales v. notamment F. BRAUDEL, Ecrits sur lhistoire, Flammarion, 1969, p 131, M. FOUCAULT, Larchologie du savoir, Bibliothque des sciences humaines, Gallimard, 1969, p 12 et s.
72 POTHIER, Trait du contrat de vente, in Oeuvres compltes, Paris, red. par Rogron et Firbach, 1835, 551, p 755.
-
25
et le Code de commerce traite de lendossement des lettres de change et billets
ordre.
Trois institutions ne peuvent avoir la mme nature juridique. Puisque le Code
civil admet la transmission conventionnelle des crances loccasion de la
cession, la doctrine sattache alors la distinguer de la ngociation et de la
subrogation. Dans un premier temps, les auteurs soulignent les diffrences entre
les modes de transmission, mais les critres dgags sont aujourdhui
abandonns.
Ainsi, lhistoire des modes de transmission conventionnelle des crances
montre que leur rapprochement (Section 1) est accidentellement interrompu par la
codification (Section 2), bien que la doctrine tende dsormais revenir sur cette
distinction (Section 3).
Section 1 Le rapprochement antrieur la codification
11. Lassimilation du droit germanique par le droit romain. Avant la
codification, ni lancien droit franais, ni les systmes juridiques qui le prcdent
nadmettent la transmission conventionnelle des crances. Les modes
contemporains de transmission sont issus des techniques de substitution
destines contourner lobstacle de lintransmissibilit des crances. Lvolution
des modes de transmission sous lancien droit aurait d conduire leur unification
au moment de la codification.
La distinction actuellement opre entre la cession, la ngociation et la
subrogation ne peut se prvaloir de la tradition historique. Lopposition entre la
cession et la subrogation consentie par le crancier nexiste pas avant la
codification. La cession tend assimiler la ngociation. En effet, aprs les
invasions, les procds de transmission issus du droit romain et de lancien droit
germanique coexistent dans lancien droit franais, mais les institutions romaines
tendent absorber les institutions germaniques. La ngociation conserve
nanmoins une partie de son originalit en sincorporant aux usages commerciaux
qui jouissent jusqu la Rvolution dune significative autonomie.
-
26
Les modes contemporains de transmission des crances proviennent de deux
systmes juridiques ( 1) qui tendent sunifier sous lancien droit franais ( 2).
1 Les deux origines des modes de transmission
12. Lopposition entre le droit romain et lancien droit germanique. Les deux
principaux systmes juridiques lorigine de lancien droit franais utilisent des
techniques de transmission diffrentes. En droit romain, le crancier occupe le
rle principal dans les contrats ; il accomplit ainsi les solennits exiges. En
revanche, dans lancien droit germanique, le dbiteur occupe une place
prpondrante ; sa promesse forme lessence du contrat 73. Ds lors, pour
remdier lintransmissibilit des crances, le droit romain recherche des
procds de substitution du ct du crancier (A) alors que lancien droit
germanique les situe du ct du dbiteur (B). Cette dualit se retrouvera sous
lancien droit franais o elle tendra cependant sestomper.
A Lunit de la cession et de la subrogation en droit romain
13. Lintransmissibilit des crances. Le droit romain ne distingue pas la
cession de crance et la subrogation consentie par le crancier. La subrogation
dsigne une cession force de crance. Afin de limiter les risques de contresens
inhrents linterprtation dun systme juridique loign dans le temps, les
procds romains lorigine de la cession et de la subrogation doivent
pralablement tre replacs dans leur contexte 74.
Bien que les noms de cession et de subrogation seront employs, ils ne
dsignent pas en droit romains de vritable procds de transmission. En effet, ce
systme juridique ignore le droit de crance et, a fortiori, sa transmission
conventionnelle. Des classifications, telles que celle tablie par GAUS qui range
les obligations parmi les biens incorporels, ne doivent pas induire en erreur. Dans
73 A. WAHL, Trait thorique et pratique des titres au porteur franais et trangers, Paris, 1891, n 36, p 34.
74 La philosophie grec influenant de ce systme juridique concoure limiter les risques de contresens. Sur linfluence de la philosophie grecque en droit romain v. M. VILLEY, Leon d'histoire de la philosophie du droit, Dalloz, 1962, p 30.
-
27
la pense antique, le cosmos est fini et hirarchiquement ordonn 75. De son
observation se dduit un modle harmonieux des rapports sociaux. La justice
sassigne pour objectif de respecter, et de restaurer lquilibre chaque fois quun
dsordre la troubl ; de rtablir les proportions 76. Le droit se dcouvre avec une
prcision mathmatique 77. Lobligation joue un rle essentiel pour rtablir cette
harmonie. En revanche, elle ne confre aucune prrogative comparable un droit
subjectif. Lobjet dun trait de droit, comme celui des institutes de GAIUS, est de
dcrire ce monde vu juridiquement. Il suffit de reprendre, dans cette description
objective, le plan trs simple usit dans la science grecque . Le plan de ces
institutes oppose les choses aux personnes. Puis, au sein des choses relevant du
droit humain, GAIUS spare les biens corporels, des biens incorporels comprenant
les obligations 78. Il ne faut cependant pas se mprendre sur les similitudes avec
notre systme juridique. Lobligation ne confre pas un droit subjectif au crancier.
De mme que la proprit est une puissance personnelle 79 et intransmissible 80
sur les biens ; les crances forment exclusivement le ct actif dun lien de droit
entre deux personnes.
14. Droit romain et les interprtations modernes tournes vers le droit positif.
Sil existe autant de faons daborder le pass que dattitudes en face du
prsent 81, la distinction entre les procds lorigine de la cession de crance et
75 A. KOYRE, From the Closed World to the Infinite Universe, Baltimore, 1957. Trad. Du monde clos lunivers infini, Paris, 1962.
76 M. VILLEY, op. cit., p 28. 77 ARISTOTE se sert des mathmatiques de PYTHAGORE pour formuler les principes de la justice
rparatrice ou commutative. Lgal qui tient le milieu entre lun et lautre, est ce que nous appelons le juste ; et, en rsum le juste qui a pour objet de redresser les torts, est le milieu entre la perte ou la souffrance de lun et le profit de lautre (ARISTOTE, Ethique Nicomaque, Le livre de poche, 1992, Trad. J. B. Saint-Hilaire, Livre V, Chap. IV).
78 GAIUS, Institutes, texte tabli et traduit par J. Reinach, Paris, 1950, Second Comm., n 12. Les choses sont ou corporelles ou incorporelles . Sont incorporelles les choses quon ne peut toucher, telles que les choses qui consistent en un droit, comme une succession, un usufruit, les obligations, de quelque manire quelles aient t contractes.
79 F. ZENATI et Th. REVET, Les biens, PUF, Droit fondamental, 2e d. 1997, p 122. 80 Seul les biens se transmettent F. ZENATI, op. cit., p 143 La thorie du transfert de proprit
est largement tributaire de celle de la nature de la proprit. Si on l'analyse la proprit comme un bien aprs lavoir incorpore dans son objet, force est den dduire que la transmission de la chose emporte celle du droit et que le droit de lacqureur nest autre que celui de lalinateur. Si lon analyse au contraire la proprit comme un lien attachant un bien une personne et indissociable de cette dernire, force est den dduire que la transmission concerne le seul bien et quelle consiste dans lextinction et la constitution simultanes de deux prrogatives en la personne des parties. Cette dernire conception nest que la rplique de celle du droit romain .
81 F. BRAUDEL, Ecrits sur lhistoire, Flammarion, 1969, p 97.
-
28
de la subrogation en offre un excellent exemple. Aux risques de contresens
inhrents lanciennet du droit romain sajoutent les risques de confusion entre
ce droit et son interprtation comme source de droit positif jusqu laube du XXe
sicle. Son enseignement en France ne poursuit officiellement un objectif
purement historique qu partir de 1895 82. Surtout, jusqu la codification de 1900,
les pandectes 83 forment le droit commun subsidiairement applicable en
Allemagne 84. La distinction entre la cession de crance et la subrogation
napparat que dans les interprtations du droit romain par la doctrine germanique
au XIXe sicle afin de lintroduire dans le droit positif allemand.
En ralit, la cession se distingue en droit romain de la subrogation par sa
source et non par ses effets. La cession a pour objectif de transmettre
conventionnellement une crance (1) alors que la subrogation impose au
crancier de transmettre ses droits (2).
1 La cession
15. Novatio et procuratio in rem suam. Le ct actif de lobligation ne se
dtache pas de la personne du crancier. Le droit romain nadmet pas la
transmission des crances 85. Nanmoins, GAIUS atteste de lexistence de deux
procds de substitution 86 : la novatio par changement de crancier qui existe
82 Dcret du 30 avril 1895 cit par E. CUQ, Les institutions des romains, t. 2, Paris, 1902, dans sa prface.
83 Le terme latin dsigne selon le dictionnaire latin-franais de F. GAFIO, Hachette, 1934, V. Pandectes, les compilations des traits des principaux jurisconsultes romains effectue sous lempereur Justinien .
84 R. SALEILLES, Etude sur la thorie gnrale de l'obligation d'aprs le premier projet de code civil pour l'empire allemand, LGDJ, 3e d., 1925, n 2. dont lauteur contribue sa diffusion en France.
85 P. F. GIRARD, Manuel lmentaire de droit romain, Paris, 8e d. Par F. Senn, 1929, p 776. 86 GAIUS traite du 18 au 39 de lalination et de ses diverses formes pour les diverses
espces de biens. Aprs avoir cit, comme mode daliner les choses corporelles, il passe lexamen des choses incorporelles, et arriv aux crances. Daprs GAIUS 2, 38, 39 : Obligationes quoquo modo contractae nihil eorum recipiunt. Nam quod mihi ab aliquo debetur, id si velim tibi deberi, nullo eorum modo, quibus res corpalese ad alium transferuntut, id effecere possum. Sed opus est ut jubente me tu abeo stipuleris ; quae res efficit, ut a me liberetur et incipiat teneri ; quae dicitur novatio obligationis. Sine hac vero novatione, non poteris tua nomine agere ; sed debes ex persona mea, quasi cognitor aut procurator meus, experiri ( Si je veux que ma crance devienne la votre, je ne pourrait oprer ce transfert par lun des modes usits pour transfrer les choses corporelles, mais il faudra que, sur mon ordre, vous stipuliez de mon dbiteur une novation ou que vous le poursuiviez en justice ma place Trad. par P. GIDE, Etudes sur la novation et le transport
-
29
ds la priode des actions de la loi 87 (a) et la procuratio in rem suam (b) qui se
dveloppe partir de lpoque des procdures formulaires 88, directement
lorigine de la cession de crance.
a - La novatio
16. La novatio par changement de crancier. La premire technique utilise
pour transmettre des crances fut la novation par changement de crancier
(novatio). Sur lordre de son crancier, le dbiteur promet de donner au nouveau
crancier ce quil doit lancien. La porte de ce procd de substitution fut
dbattue.
17. Ressemblance entre la novatio et la cession. A lpoque classique, leffet de
la novatio se limite une transformation de lobligation 89. Dailleurs, le droit de
cette poque nadmet pas la novation par changement dobjet 90. En effet, la
novatio sert rsoudre les questions suscites par la succession de deux
conventions entre les mmes personnes et portant sur la mme chose 91. La
novatio teint lancienne obligation et ne laisse subsister que la nouvelle. Estimant
que la novatio ne peut pas crer une nouvelle obligation, mais seulement
transformer la forme dune obligation prexistante 92, GIDE en dduit que le droit
des crances, Paris, 1879, p 240 Comp. Les obligations, de quelque manire quelle aient t contractes, nadmettent aucun de ces modes dalination. En effet, si je veux que ce qui mest d par un tiers te soit d, nous ne pouvons obtenir ce rsultat par aucun des modes dalination des choses corporelles. Ce quil faut, cest sur mont invitation, tu stipules du tiers, ce qui a pour effet de le librer de ses obligations mon gard et de lengager vis vis de toi : cest ce quon appelle une novation dobligation. Sans cette novation, tu ne pourras actionner en ton propre nom, et tu dois procder de mon chef, comme si tu tais mon connaisseur ou mon procureur, GAIUS, Institutes, texte tabli et traduit par J. Reinach, Paris).
87 Ces procdures formalistes reposent ncessairement sur une loi. Elles nexistent quen nombre limit (P. F. GIRARD, op. cit., p 1025 et s.).
88 Cette priode souvre par la loi Aebutia date du milieu du IIe sicle av. J.-C (J.-P. LEVY, Histoire des obligations, Les cours de droit, 1995, p 5). Le procs est li par le magistrat lui-mme qui en rdige le programme pour le juge. Le magistrat qui a le pouvoir daccorder laction sollicite par le demandeur ou dadmettre lexception rclame par le dfendeur. (P. F. GIRARD, op. cit., p 1055 et s.).
89 J.-P. LEVY, op. cit., p 187 cite ULPIEN (D. 46, 2, 1, pr.) qui dfinit ainsi la novation : prioris debiti in aliam obligationem transfusio atque translatio (le transfert dune dette antrieure dans une nouvelle obligation).
90 J.-P. LEVY, op. cit., p 187. La novation par changement de personne ne parat dailleurs admise quen droit prtorien.
91 J.-P. LEVY, op. cit., p 188. 92 P. GIDE, op. cit., p 9.
-
30
romain admet la cession de crance : Aujourdhui les deux ides de novation et
de cession sont, non seulement distinctes, mais incompatibles ; elles se
confondaient en droit romain 93.
18. Diffrences entre la novatio et la cession. Bien que lopinion de GIDE reflte
apparemment la prsentation de lopration propose par GAIUS 94, ce dernier na
pas t repris dans la compilation de JUSTINIEN. Surtout, la novatio produit un effet
trs diffrent dune cession. GIDE le reconnat 95. Non seulement la novatio
requiert le consentement du dbiteur, mais elle se distingue en outre dune
vritable transmission par ses effets. Certes, la novatio donne au cessionnaire une
crance qui a le mme objet que lancienne. Mais, le dbiteur perd la possibilit de
se prvaloir des exceptions qui affectent lancienne obligation sil ne dclare pas
expressment les rserver. Par ailleurs, la novation ne transmet pas en principe
les accessoires de lancienne obligation. De mme, le bnfice de la mise en
demeure qui faisait courir les intrts de lancienne obligation ne peut plus tre
invoqu 96. La novatio prive toujours le dbiteur de la facult dopposer une
exception de compensation ou de dol 97, la caution doit ritrer son
engagement 98. GIDE reconnat ces diffrences.
19. Conclusion. Finalement, la novatio apparat aux yeux des auteurs romains et
de GIDE comme un mode de transmission des crances, mais cette qualification
ne se justifie pas au regard des critres actuels de lopration. En tout tat de
cause, la notion de droit subjectif est inconnue du droit romain. Aussi, la novatio
dsigne-t-elle seulement un procd de substitution destin remdier
lintransmissibilit des crances. Elle est rapidement supplante par la procuratio
in rem suam directement lorigine de la cession de crance.
93 P. GIDE, op. cit., p V. 94 Selon GIDE lerreur consiste traduire obligationes nihil eorum recipiunt par les
obligations ne sont susceptibles daucune espce de transfert . Alors que GAIUS dclare seulement inapplicables les formes de transfert des biens corporels (P. GIDE, op. cit., p 240 texte et note 1).
95 P. GIDE, op. cit., p 14. La cession de crances au temps des Romains ressemblait fort peu... ce quelle est de nos jours .
96 P. F. GIRARD, op. cit., p 778. 97 P. GIDE, op. cit., p 263. 98 P. GIDE, op. cit., p 269.
-
31
b La procuratio in rem suam
20. La procuratio in rem suam la fin de la Rpublique. Au terme de son
volution, un second procd de substitution, la procuratio in rem suam, se
rapproche le plus dune vritable cession. Il apparat lpoque de la procdure
formulaire, en mme temps que la reprsentation en justice 99. La procuratio in
rem suam dsigne un mandat judiciaire 100 donn par le cdant au cessionnaire
afin dexiger le paiement de la crance. Le cdant dispense le cessionnaire de lui
rtrocder les sommes ainsi obtenues. Ce procd ne requiert pas le
consentement du dbiteur, contrairement la novatio.
La procuratio in rem suam comporte nanmoins des risques. Ainsi, la
rvocation ou le dcs du cdant mettent un terme au mandat. Pour consolider
ses droits, le cessionnaire doit engager la procdure formulaire au nom du cdant.
La litis contestatio 101 fixe alors les termes du litige 102. Le nom du cdant figure
dans lintentio de la formule dlivre par le magistrat 103, mais la condamnation est
prononce au nom du cessionnaire 104.
Le recours la litis contestatio ne supprime pas tous les inconvnients de la
procuratio in rem suam. A ses dbuts, ce procd ne concerne que des crances
chues, il est ferm aux personnes ne pouvant pas ester en justice ou plaider pour
99 A cette poque, le Prteur tend lapplication des formules de la loi par une formule avec transposition de personnes. Il transfre dune personne une autre le bnfice ou la charge dune obligation dduite en justice : il lui suffit de remplacer dans la condamnatio le nom de la personne qui figure dans lintentio comme sujet actif ou passif du droit, par celui de la personne qui doit avoir le bnfice ou la charge de lobligation (E. CUQ, op. cit., p 735).
100 Il existe deux sortes de reprsentants : le cognitor constitu en prsence de ladversaire et en termes sacramentels et le procurator qui a dabord t un administrateur gnral des biens dautrui, puis un mandataire charg dune mission spciale (P. F. GIRARD, op. cit., p 1089 et 1090, note 2).
101 P. F. GIRARD, op. cit., p 1072. La procdure formulaire se droule schmatiquement en deux tapes, la premire sous lhospice dun magistrat, et la seconde, dun juge. Un principe de division interdit au magistrat de statuer. La premire phase de linstance sachve par la litis contestatio, une sorte de novation judiciaire qui fixe le litige. Le magistrat dlivre une formule nommant le juge et lui indiquant sa tche sous forme conditionnelle. Ainsi, le magistrat demande au juge de vrifier si quelque chose existe, et, selon le cas, dabsoudre ou de condamner.
102 P. F. GIRARD, op. cit., p 1074. En effet, le juge ne connat que la formule dlivre par le magistrat et doit se placer lpoque laquelle elle est dlivre pour statuer sur le litige.
103 P. F. GIRARD, op. cit., p 1078 Lintentio est la partie de la formule o figure la prtention du demandeur .
104 E. CUQ, op. cit., p 748.
-
32
autrui, et exige, sous peine de dchance, quune fois le procs ouvert, un
jugement soit rendu dans le dlai de 18 mois de premption de linstance 105.
21. La procuration in rem suam sous lEmpire. Sous lEmpire, lefficacit de la
procuratio in rem suam se renforce, mais de nouvelles restrictions apparaissent.
Les rformes consolident le droit du cessionnaire. Dune part, elles lui
accordent une action utile lorsquil ne dispose pas, ou plus, des actions du cdant,
les actiones mandatae 106. Le bnfice de laction utile 107 est dabord consacr
en matire de transmission titre universel, puis loccasion de la vente dune
hrdit, et enfin, en matire de transmission des crances titre particulier 108.
Une constitution de GORDIEN III 109 accorde au cessionnaire une action utile
lorsque le cdant dcde ou rvoque le mandat. Le cessionnaire exerce cette
action en son nom, la diffrence de laction tire du mandat qui est exerce au
nom du cdant 110. Le recours un mandat ne semble ds lors plus utile : lorsque
le negotium oblige le crancier cder ses droits, le cessionnaire dispose toujours
dune action utile 111. Dautre part, la consolidation des droits du cessionnaire se
manifeste par les limites apportes la rvocation du mandat. Une constitution de
GORDIEN III 112 remplace la litis contestatio par la denunciatio 113 ou par la
reconnaissance manant du dbiteur qui rsulte dun paiement partiel entre les
mains du nouveau crancier 114. Ces procds protgent notamment le
105 P. F. GIRARD, op. cit., p 779 texte et note 1. 106 P. F. GIRARD, op. cit., p 780. 107 V. sur cette action infra n 22. 108 P. GIDE, op. cit., p 334 et s ; R. SALEILLES, op. cit., p 66, note 1. 109 C.4, 10, De O. et A., 1, cit par J.-P. LEVY, op. cit., p 185 qui la date de lanne 243. Selon
P. F. GIRARD, op. cit., p 780 note 1. La situation en cas de rvocation est prvue par un texte dULPIEN, D., 3, 3 De proc., 55 qui ne parat cependant pas maner de ce jurisconsulte.
110 P. F. GIRARD, op. cit., p 780 note 1 ; WINDSCHEID cit par R. SALEILLES, op. cit., p 67, note 2. 111 V. propos de la vente isole dune crance et de la dot constitue laide dune crance
VALERIEN et GALIEN, C., 4, 10, De O et A., 2 (E. CUQ, op. cit., p 780 note 4). 112 C.,8,41, De. nov., 3 : Si delegatio non est interpositae debitoris tui ac proptera actiones
apud te remanserunt, quamvis creditori tuo adversus eum solutionis causa mandaveris actiones, tamen, antequam lis contestur vel aliquid ex debito accipiat vel debitori tuo denutiaverit, exigere a debitore tuo debitam quantitatem non vetaris et eo modo tui creditoris exactionem contre eum inhibere .
Ce texte dat de lanne 240 est attribu GORDIEN III (J.-P. LEVY, op. cit., p 185). Comp. les doutes quant la date du texte en raison dune interpolation (P. F. GIRARD, op. cit., p 781, note 2).
113 J.-P. LEVY, op. cit., p 185. Le crancier se rend chez le dbiteur accompagn de tmoins afin de conserver la preuve de la denunciatio.
114 P. F. GIRARD, op. cit., p 781.
-
33
cessionnaire contre le risque dun paiement effectu entre les mains du cdant ou
dune remise de dette.
Mais les constitutions impriales posent des limites spciales, puis gnrales,
la procuratio in rem suam pour lutter contre les abus constats. Ainsi, JUSTINIEN
interdit, sous peine de dchance, quune personne protge cde sa crance
son tuteur ou son curateur 115. Lorsque la cession nest pas consentie titre
gratuit ou titre de dation en payement, ANASTASE offre au dbiteur la facult de
se librer en remboursant au cessionnaire le prix quil a pay 116, et, pour djouer
les fraudes cette rglementation qui consisteraient acheter seulement une
partie de la crance puis sen faire donner le surplus, JUSTINIEN dcide que la
cession sera dans cette hypothse rpute faite titre onreux pour le tout 117.
22. Action utile et action directe. Au terme de lvolution du droit romain, la
question se pose de savoir si la transmission des crances fut admise. Cette
question agita les pandectistes allemands jusqu la fin du XIXe sicle. La rponse
dpend de lopposition entre laction directe et laction utile.
Le cessionnaire dispose toujours contre le dbiteur de laction utile. Le
cessionnaire exerce cette action en son nom. En revanche, le cessionnaire ne
dispose de laction directe que sil a obtenu au pralable un mandat du cdant. Le
cessionnaire exerce cette action directe au nom du cdant. Cette distinction entre
laction directe et laction utile apparat lpoque classique 118. Elle se maintient
au Bas-Empire, bien quelle ne prsente plus cette poque quun intrt
historique 119. En effet, lutilisation des formules est abolie ; la sparation entre le
magistrat et le juge disparat ; dsormais le magistrat juge le procs. Si le cdant
exerce laction directe, le cessionnaire peut la paralyser par voie dexception grce
laction utile 120. En tout tat de cause, thoriquement le droit reste lancien
115 E. CUQ, op. cit., p 846. 116 E. CUQ, op. cit., p 846. 117 E. CUQ, op. cit., p 846. 118 A lpoque classique, laction utile dsigne laction cre par le Prteur pour tendre
lapplication des formules de la loi. Le Prteur consacre une telle action dans un cas analogue celui prvu par la loi bien quune condition requise manque. La formule ainsi tendue par une fiction est qualifie dutile, par opposition la formule directe ou vulgaire (E. CUQ, op. cit., p 735).
119 E. CUQ, op. cit., p 871. 120 R. SALEILLES, op. cit., p 66.
-
34
crancier, le principe de lintransmissibilit est sauf 121. Selon DONNEAU, la
cession ninvestit le cessionnaire que dun droit sur lmolument de la crance,
mais non de la qualit du cdant 122. Ainsi, la cession du prix de vente permet au
cessionnaire dexiger un paiement de lacheteur, mais le cdant conserve la
qualit de vendeur. La majorit des romanistes allemands estiment que les
crances ne se transmettent pas en droit romain 123.
23. Conclusion. Finalement, bien que lintransmissibilit des crances prvale en
droit romain, la novatio, puis la procuratio in rem suam servent de techniques de
substitution. Cette dernire donnera directement naissance la cession de
crance. Il nexiste ainsi quune seule technique voisine de la transmission
conventionnelle des crances en droit romain, la procuratio in rem suam. La
subrogation ne se distingue pas de la cession de crance ; elle ne dsigne pas un
mode de transmission distinct.
2 La subrogation
24. La cession dactions et successio in locum creditoris. Le terme
subrogation nexiste pas en droit romain ; il remonte lpoque des bnfices du
droit canonique 124 et dsigne la succession dune personne aux droits dune
autre 125. Nanmoins, la subrogation nat de la fusion de deux institutions du droit
romain, la cession dactions 126 et la successio in locum 127, qui rassemblent la
plupart des hypothses de subrogation lgale actuellement admises 128. Il nexiste
pas en droit romain une subrogation consentie par le crancier. Seule la
121 R. SALEILLES, op. cit., p 67. 122 R. SALEILLES, op. cit., p 69. 123 R. SALEILLES, op. cit., p 70. 124 Le bnfice ecclsiastique est un patrimoine attach une dignit ecclsiastique (Le
Nouveau petit Robert, V. Bnfice). 125 Ph. RENUSSON, Trait de la subrogation de ceux qui succdent au lieu et place des
cranciers, Paris, 3e d., M. DCCXXIII, Chap. I, n VIII. 126 P. F. GIRARD, op. cit., p 832, note 3 ; J. MESTRE, thse prcite, n 12 et s., p 22 et s. 127 Littralement, prendre la place de [quelquun], succder quelquun. 128 Comp. J. MESTRE, thse prcite, n 12, p 22 et s. Il prsente la subrogation comme une
institution inacheve en droit Romain et gnralise sous lancien droit. De nouveaux cas de subrogation apparaissent effectivement sous lancien droit dans des situation que le droit romain ne pouvait envisager comme la subrogation de celui qui sacquitte dune lettre de change ou de la communaut ayant pay la dette dun conjoint.
-
35
procuratio in rem suam se rapproche de la transmission conventionnelle des
crances. Ni la cession daction, ni la succession in locum creditoris ne sont
lorigine de la subrogation consentie par le crancier.
Les techniques lorigine de la subrogation dsignent exclusivement des
hypothses o la transmission simpose au crancier (a) ; le droit romain ne
distinguant pas la subrogation consentie par le crancier de la cession de crance
(b).
a Les cas de subrogation impose au crancier
25. Des cessions imposes par la loi ou le juge. Bien quelle soient prsentes
comme des institutions lorigine de la subrogation, la cession dactions (a1)
comme la successio in locum (a2) dsignent des hypothses o la transmission
est impose au crancier par la loi ou par le juge.
a1 La cession daction
26. Les recours du tiers solvens. La cession dactions 129 se rencontre
loccasion du paiement de la dette dautrui. Le tiers solvens qui sacquitte de la
dette dautrui dispose dune action rcursoire contre le dbiteur fonde sur le
mandat (action mandati) ou sur la gestion daffaire (action negotiorum gestorum
contraria) 130. Ces actions se rvlent cependant inefficaces en cas dinsolvabilit
du dbiteur. La cession des actions du crancier au tiers solvens remdie ce
risque. Aprs le paiement par le tiers solvens, laction en paiement ne prsente
plus dutilit pour le crancier garanti. En revanche, cette action est utile au tiers
lorsquelle est garantie par un privilge, un gage ou une hypothque 131. Mais
deux obstacles sopposent la transmission. Dune part, le paiement par le tiers
129 La cession dactions na pas directement de rapport avec le bnfice de la cession dactions consacre par le Code civil en matire de cautionnement par larticle 2037 du Code civil qui apparat en Italie au XIV sicle (J. BRISSAUD, Cours d'histoire gnrale du droit franais public et priv, Paris, red. par Brissaud de l'ouvr. de 1898-1904, p 539, note 4).
130 P. F. GIRARD, op. cit., p 809 propos des actions de la caution. 131 P. F. GIRARD, op. cit., p 809.
-
36
teint la crance et ses accessoires. Dautre part, rien noblige le crancier
transmettre ses droits.
27. La transmission de la crance impose. Les jurisconsultes 132 surmontent
ces obstacles. Comme la crance peut tre vendue pour un prix gal son
montant nominal, nimporte qui, mme au dbiteur, et qualors le paiement du
prix nteint pas la crance vendue, ils ont conclu de l que lacte du fidjusseur
qui paie sa dette en demandant la cession des actions doit sanalyser en une
opration de ce genre 133. Il ne reste plus qu imposer au crancier la
transmission de ses droits la caution.
Le crancier commet un dol sil refuse de cder sa crance la caution.
Comme toutes les exceptions, le dol ncarte pas directement la prtention de
ladversaire, mais repose sur un fait distinct qui paralyse laction. Lorsque le juge
admet lexception, il se contente de paralyser laction du demandeur 134. Le
bnfice de la cession dactions profite toux ceux qui doivent payer la dette
dautrui : la caution 135, le codbiteur solidaire 136, ou le tiers dtenteur de
limmeuble hypothqu 137.
28. Conclusion. La cession daction nest pas un mode autonome de transmission
conventionnelle des crances. Elle ne se distingue de la procuratio in rem suam
que par sa source. La cession daction impose seulement au crancier de
transmettre ses droits au tiers solvens qui sacquitte de la dette la place du
dbiteur afin de lui confrer les avantages attachs la crance.
132 Le bnfice de la cession dactions est dj connu de JULIEN, D., h., t., 17, pr. PAPINIEN, D., 21, 2, De evict., 65 mentionne lexception de dol en cas de refus du crancier de cder ses droits.
PAUL, D., h. t., 36 semble admettre que la cession puisse tre demande aprs le paiement alors que selon MODESTIN, D., 46, 3, De solut., 76, la cession doit tre faite ou convenue avant le paiement.
133 P. F. GIRARD, op. cit., p 810. 134 P. F. GIRARD, op. cit., p 1094-1095. 135 P. F. GIRARD, op. cit., p 810. 136 P. F. GIRARD, op. cit., p 792, note 3. 137 P. F. GIRARD, op. cit., p 832.
-
37
a2 - La successio in locum
29. Les cas de successio in locum creditoris 138. La successio in locum
sappuie sur le mme mcanisme que la cession dactions, mais elle joue
principalement en prsence de crances hypothcaires. Lhypothque ne
prsente plus dintrt pour le crancier garanti aprs le paiement de la dette,
mais cette sret savre de la plus grande utilit pour le tiers qui sacquitte de la
dette 139.
Ainsi, la crance hypothcaire se transmet 140 : celui qui prte une somme
dargent destine payer le crancier hypothcaire 141, lacqureur dun
immeuble hypothqu qui en paye le prix entre les mains du crancier
hypothcaire 142, au crancier hypothcaire qui dsintresse un autre crancier
hypothcaire 143, et, en cas de novation par changement de dbiteur, au crancier
qui conserve ainsi son rang lorsque la nouvelle crance est garantie par
lhypothque qui garantissait dj lancienne crance 144.
Lorsqu'un crancier hypothcaire dsintresse un autre crancier hypothcaire,
le jus offrendae pecuniae 145 permet de contraindre celui-ci accepter le
paiement 146. La dchance de laction hypothcaire sanctionne le refus
daccepter le paiement car, dans ce cas, la dette ne sest pas teinte par la faute
du crancier hypothcaire 147. La nature de la successio in locum fait lobjet dune
controverse.
30. Transmission de la crance, de lhypothque ou du rang ? Une opinion
ne en Allemagne au XIXe sicle 148, introduite en France par LABBE 149, et depuis
138 V. C.8, 18 (19). 139 P. F. GIRARD, op. cit., p 832. 140 E. CUQ, op. cit., p 833. 141 D. 20, 3, Quae res. pig