la vie associative n°24 - accompagner le changement

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La Vie Associative n°24 - Accompagner le changement

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  • n 24 fvrier 2016lemouvementassociatif.orgLe magazine du Mouvement associatif

    Les associations au cur d'une grande transition

    Anticiper les dfis de demain pour gagner en libert

    La rflexion stratgique comme outil de la dcision

    AccompAgner Le chAngement

  • JE NE DONNE PAS POUR LE CANCER, PAS POUR LA PLANETE,

    PAS AUX SANS-ABRIS.

    JE DONNE AUX TROIS A LA FOIS.

    LA FONDATION DE TOUTES LES CAUSESRecherche mdicale, urgences, enfance, prcarit, grand ge, culture, environnement... la Fondation de France, chaque donateur peut soutenir plusieurs causes la fois ou choisir celle qui lui tient le plus cur. Dcouvrez toutes nos actions sur fondationdefrance.org

  • n23 octobre 2015 La VIe assocIatIVe 3

    N otre monde change. Rvolution num-rique, volution du rapport des indivi-dus au travail et transformation de la chaine de cration de valeur sont les prmices de la tran-sition vers un nouveau modle de production. Paralllement, la crise dmocratique et l'affai-blissement des institutions politiques appellent une reconfiguration de la faon de faire et de penser l'action publique. Dans ce contexte,

    une multitude d'alternatives mergent, souvent issues de la socit civile. Les associations, comme lieux d'expression citoyenne, sont au cur de ces dynamiques de changement. Elles permettent aux citoyens de dpasser l'indignation en s'engageant et en prenant des initiatives pour agir sans attendre. Mais il ne suffit pas de dposer des statuts associatifs pour faire vivre l'esprit de la loi de 1901 et les associations doivent, elles-mmes, changer pour prendre en compte les volutions des attentes de leurs parties-prenantes et de leur environnement. Les associa-tions d'aujourd'hui ne ressemblent pas celles d'hier ; c'est une vi-dence. Il y a 20 ans, on ne s'y engageait pas de la mme faon et on n'y travaillait pas comme aujourd'hui. Leurs rgles de fonction-nement, leurs outils de gestion et les codes sociaux entre acteurs n'taient pas les mmes. On sait quel point tout changement comporte un risque et a un cot. La conduite du changement est un exercice prilleux qui mrite qu'on y investisse des ressources et qui peut tre accompa-gn. Il doit permettre aux associations de se projeter dans une vi-sion d'avenir, avec mthode. Pour autant, cet impratif de change-ment ne doit pas nous faire cder un volutionnisme rducteur, qui consisterait nous adapter , dans un contexte de contraintes croissantes. Les associations sont en prsence de choix ouverts.Aborder le changement sans dterminisme, tel est le fil conducteur de ce numro. Il prsente un large panorama d'acteurs et d'outils qui accompagnent les transformations du monde associatif. Car il n'y a pas de modle d'avenir uniforme. L'enjeu pour les associa-tions ? Inventer des modes de fonctionnement efficaces, en coh-rence avec les enjeux socitaux auxquels elles rpondent.

    Les associations ont le choixdito de Nadia Bellaoui, prsidente du Mouvement associatif

    Directrice de la publicationNadia Bellaoui

    Responsable de la rdactionFrdrique Pfrunder

    Mise en page Le Mouvementassociatif et Hlne Spoladore

    Ont particip ce numroL'quipe du Mouvement associatif (Marie Lamy, Elodie Weber, Lucile Thiebot, Marion Boinot, Claire Bizet) et Yannick Blanc, Philippe Jahshan, Denis Pansu, Coline Vanneroy, Elizabeth Pacaud, Patrick Bertrand, Isabelle Gougenheim, Simon Cottin-Marx, GenivreFranois, CcileDauvel, Caroline Germain, Gilles Bonnenfant, tienne Fiessinger, Emmanuelle Besanon, BrunodeReviers.

    MaquetteJonathan Debauve

    IllustrationsMerci aux photographes et illustrateurs CC de FlickR

    Publication ralise avec le soutien de la DJEPVA (Direction de la jeunesse de l'ducation populaire et de la vie associative).

    Nos partenaires, le Crdit Coopratif, le Groupe Chque Djeuner, Chorum, la Fondation de France et la Macif, nous soutiennent au titre du mcnat d'entreprise pour le dveloppement d'un mouvement associatif organis, autonome et d'intrt gnral.

    Vous pouvez commander ce numro par mail [email protected] ou sur notre site lemouvementassociatif.org

    Publication dite

    par Le Mouvement associatif

    28 place Saint-Georges 75009 Paris 0140368010 [email protected] lemouvementassociatif.org

    ISSN: 1761- 9149 Dpt lgal parution dite en 3500 exemplaires

    Impression: Chevillon Imprimeur 0386656569

  • 4 La VIe assocIatIVe fvrier 2016 n24

    n 24Un monde en trAnsItIon 5

    Les associations au cur d'une grande transition 6Ttes de rseau : le changement, c'est maintenant ? 8Anticiper les dfis de demain pour gagner en libert 10Repenser son organisation avec le numrique 12

    ILs AccompAgnent LechAngement 14

    Un tiers-lieu pour booster les projets associatifs 15Quand des bnvoles apportent leur regard extrieur 17Un label pour optimiser ses pratiques 20Le DLA, un coup de pouce pour les associations 22Accompagner les rseaux dans la rorganisation territoriale : l'exemple du DLA rgional de Normandie 24La rflexion stratgique comme outil d'aide la dcision 26 Le conseil commence l o la thorie s'arrte 27

    des oUtILs de mIse en moUVement 29

    L'observation locale, un pralable indispensable 30La recherche scientifique pour stimuler les innovations 31Une approche alternative de l'analyse d'impact 33

    DItO: Les assOcIatIOns Ont Le chOIx 3

  • n24 fvrier 2016 La VIe assocIatIVe 5

    L a rapidit des changements actuels rend difficile l'adoption d'un regard rflexif global sur ce qui se passe. D'autant que la sduction de la nouveaut limite notre approche critrique des volutions. Pourtant, obser-ver et analyser les transitions est une condition pour crer du sens et donner une vision. D'o l'importance d'identi-fier o rside l'immuable et o se situe le changement pour mesurer les impacts sur le monde associatif demain.

    Un monde en transition

    n 24 fvrier 2016 La VIe assocIatIve 5

  • 6 La VIe assocIatIVe fvrier 2016 n24

    Un monde en transition

    Les associations au cur d'une grande transitionPaR YannIck BLanc, PRsIDent De La FOnDa

    La Grande Transition1 est la rsultante de quatre transitions simultanes qui entrent en rsonance. La transition cologique : nous prenons collectivement conscience des limites physiques de la plante, que ce soit en termes de ressources, de biodiversit ou de rsilience au rchauffement climatique. Cette prise de conscience a dj commenc modifier les compor-tements et les stratgies de nombreux acteurs, com-mencer par les entreprises et les consommateurs. Sa traduction en capacit d'action collective soulve de redoutables dfis qui mettent en exergue l'obsolescence des organisations politiques.

    Malgr l'ampleur de l'enjeu et sa capacit mobilisatrice, la forme parti politique s'avre totalement inadapte la cause cologique. une autre chelle, les grandes confrences sur le climat n'ont, jusqu'ici, pas donn de rsultats significatifs. La question cologique nous oblige renouveler profondment les leviers d'action. Mais c'est aussi notre vision du monde qui change radi-calement et, pour la premire fois, l'chelle plantaire. Nous sommes la premire gnration devoir imaginer le futur dans un monde fini et menac d'puisement. La mauvaise conscience avec laquelle nous portons notre dette envers les gnrations futures nous interdit toute

    1. Pierre Veltz, La Grande Transition. La France dans le monde qui vient, d. du Seuil, 2008.

    arrogance. Avoir une vision du monde ne consiste plus faire prvaloir une doctrine mais proposer des solu-tions.

    espace mondialis et temps acclr

    La transition conomique se manifeste, dans un espace dsormais mondialis, selon trois axes majeurs : l'hyper-trophie de la sphre financire, devenue un systme de rente universelle dont les porte-parole les plus lucides de l'conomie librale reconnaissent qu'elle asphyxie toute l'conomie ; la destruction des systmes sculaires d'conomie publique (fiscalit, investissement, protec-tion sociale) a atteint un degr irrversible ; la cration de valeur se diffracte : elle chappe l'unit de produc-tion (l'entreprise) et se rpartit sur des chanes de valeur combinant la production de biens, de services, d'infor-mation, de connaissances, d'externalits, et dont la ma-trise devient l'enjeu central de stratgies conomiques.

    La transition conomique est travaille par deux ten-dances antagoniques : celle de l'hyper-concurrence (marchandisation outrance, concurrence par les prix, innovations disruptives, etc.) et celle de la coopration systmique (cosystmes industriels, conomie de par-tage, conomie collaborative, open source).

    Le trait dominant de ces dernires annes est l'acclration et l'accentuation des mutations que nous avions repres lors de travaux de prospective. Parmi nos interlocuteurs, le dsarroi se double d'une amre dception devant l'inconsquence et l'impuissance du politique. Mais la perception du caractre irrversible des mutations est plus nette. Toujours aussi inquiets, les acteurs associatifs sont disponibles pour de nouvelles perspectives stratgiques, mais la plupart d'entre eux peinent cependant les noncer.

  • n24 fvrier 2016 La VIe assocIatIVe 7

    La transition numrique impacte la totalit des aspects de l'activit humaine : elle dplace les repres de la pro-duction et de la transmission de connaissances, elle modifie notre rapport au temps et l'espace, elle cre de nouveaux enjeux de pouvoir, elle acclre et reconfigure sans cesse les condi-tions de formation et de disparition des communauts hu-maines, elle dplace les limites entre le public et le priv, la sociabilit et l'inti-mit. Le numrique n'est pas seulement un ensemble d'outils, il est devenu la force de structuration de la civilisation matrielle. La civilisation num-rique mergente branle tous les piliers de la socit : le travail, l'accs aux informations et aux connaissances, l'ducation, la mdecine, la proprit et la circulation des biens culturels et jusqu' notre faon de faire connaissance les uns avec les autres.

    nouvelles rgles de gouvernance

    La transition institutionnelle est marque par le dclin des institutions dmocratiques conues au XIXe sicle (assembles reprsentatives, tats souverains, partis po-litiques) et par l'mergence de nouvelles modalits de revendication et d'action collective (Indigns, Occupy, tiers-lieux, rseaux sociaux) et de rgulation (exigences thiques, autorits indpendantes). Mais elle travaille aussi le trfonds de la socit avec les mutations de la famille et de la sexualit, l'volution des cycles de vie, la mobilit des populations. Nous avons dj chang notre faon de faire connaissance, de faire socit et d'agir en-semble mais nous ne savons pas encore nous reprsenter ces nouvelles faons de faire.

    Le fait associatif, dans sa diversit, est au cur des quatre transitions : les associations institues, les collectifs, les rseaux, se constituent en communauts d'action pour se donner un pouvoir d'agir face aux enjeux des quatre

    transitions. Cette capacit d'initiative, prsente sur les territoires, dans les milieux professionnels, dans les rseaux de l'univers numrique, reste cependant fragile,

    disperse et financi-rement dpendante, faute d'un langage commun et d'une vision stratgique par-tage. Les techniques d'organisation asso-ciative du XXe sicle, inspires des prin-cipes de la dmocratie reprsentative et des appareils politiques, ne rpondent plus aux besoins et aux attentes correspondant aux formes nouvelles de l'engagement, qu'il soit bnvole, profes-sionnel ou les deux la fois. Les communau-

    ts d'action et les associations qui les animent doivent imaginer de nouvelles rgles de gouvernance.

    Dans les quatre transitions, l'conomie des biens com-muns (ressources naturelles, production de connais-sances, donnes publiques, biens communs culturels et numriques) est en passe de renouveler en profondeur l'ide mme de richesse. La reconnaissance du rle jou par l'conomie sociale et solidaire va dans ce sens et peut donc tre considre comme un acquis politique. Mais le traitement par la loi de l'ESS comme un secteur sta-tutaire de l'conomie la condamne un rle suppltif, celui des activits de rparation et de compensation de l'conomie de la performance financire. Dans la tran-sition cologique-conomique, l'ESS ne peut jouer son rle pionnier que si elle s'mancipe de cette fonction subalterne.

    Notre conviction est que la matrice associative est nces-saire au dveloppement du pouvoir d'agir des citoyens, des acteurs conomiques, des communauts d'action dans le contexte des quatre transitions. Nous consid-rons le passage d'une dmocratie de la reprsentation une dmocratie de l'initiative et du pouvoir d'agir comme l'enjeu politique commun des associations et des acteurs de l'ESS.

  • 8 La VIe assocIatIVe fvrier 2016 n24

    Un monde en transition

    ttes de rseau: le changement, c'est maintenant?PaR MaRIe LaMY, ResPOnsaBLe Des PROgRaMMes aU MOUveMent assOcIatIF

    Les regroupements des associations en rseaux et fdrations ont fortement contribu la vitalit et la force des associations tout au long du XXe sicle. Touchs par de multiples crises, ils font l'objet d'une dfiance croissante exprime autant par leur base sociale que par leurs partenaires. Un contexte qui les oblige aujourd'hui raffirmer leur identit et revoir les services qu'ils apportent leurs membres.

    Dcentralisation et privatisation des ressources

    Un des principaux facteurs de dstabilisation des fdrations rside dans les mouvements de dcentra-lisation et de dconcentration de l'action publique. Historiquement, les principaux regroupements fd-ratifs se sont constitus en rapport l'tat central avec comme objectif d'laborer une parole collective. Aujourd'hui, ils sont confronts l'autonomisation de leur base sociale du fait du poids pris par les pouvoirs publics locaux et europens. Ce contexte les oblige s'interroger sur la manire dont ils peuvent articuler

    agir local et penser global . Consquemment cette volution, les financements nationaux, trs structurants pour ces rseaux, se sont effrits. Le dsengagement de l'tat les conduit revoir leur modle conomique et leur organisation. Le dveloppement des rgulations marchandes et la multiplication des appels d'offres accentuent les concurrences entre associations et fragilisent les dynamiques de cooprations interassociatives. En termes de modle conomique, le mouve-ment de privatisation des ressources associatives n'est pas facile grer pour des ttes de rseaux dont l'activit commerciale est limite. La mobi-lisation de mcnat leur est difficile, leur impact social tant indirect. Le modle conomique des ttes de rseau doit tre repens.

    horizontalit et numrique

    Ces dernires annes, l'tat et les collectivits territo-riales ont multipli les dispositifs de soutien la vie as-sociative (DLA, maisons des associations, point d'appui la vie associative, CRIB, etc.) ; cette offre concurrence directement les appuis que les fdrations apportent leurs membres et brouille les cartes du paysage de l'accompagnement associatif, historiquement principa-lement pris en charge par les rseaux. Par ailleurs, les formes d'engagement ont fortement volu et remis en cause des systmes hirarchiques pyramidaux. La culture d'engagement qui a prsid l'instauration des

  • n24 fvrier 206 La VIe assocIatIVe 9

    rseaux a volu. De nouvelles dynamiques citoyennes plus horizontales, plus phmres et exigeantes vis--vis des rsultats mergent. Le besoin d'investissement dans des actions plus concrtes, avec des effets immdiats et visibles, s'inscrit difficilement dans un projet collectif institutionnel, comme le cadre des fdrations. Enfin, le dveloppement des technologies de l'information et de la communication bouscule les fdrations. Internet et les rseaux sociaux facilitent l'accs aux ressources et l'information, rendant leur plus-value moins vidente. Les technologies collaboratives portent en elles de nouvelles manires de s'associer et de cooprer qui de-mandent tre prises en compte par les ttes de rseaux.

    choix internes fragilisants

    Mais cette dstabilisation ne tient pas qu' l'environne-ment externe de ces rseaux. Elle rsulte aussi d'options prises ces dernires annes. Certaines fdrations se sont focalises sur le dveloppement de services appor-ts leurs membres, au dtriment de la ncessit de faire vivre leur projet militant. Or, ces fonctions sont facilement concurrences. Sans compter la profession-nalisation massive des associations qui fait courir aux fdrations le risque de devenir des organisations ges-tionnaires, n'autorisant pas le bnvolat militant. Par ailleurs, l'organisation des ttes de rseaux en plusieurs

    entits indpendantes juridiquement a rendu difficile les approches stratgiques, et les rorganisations terri-toriales n'ont gure t anticipes.

    s'ouvrir et anticiper les changements

    Dans ce contexte, de nombreux rseaux ont pris conscience de l'enjeu d'voluer et se sont mis en mou-vement. En tmoignent la multitude de chantiers stra-tgiques et de refondation1 qu'ils ont engags pour relever ces dfis. Pour certains, la rponse consiste faire vivre et promouvoir davantage leur identit poli-tique de manire revivifier les engagements de leurs membres. Pour renforcer la dynamique ascendante de certains rseaux, le recours des pratiques participa-

    tives de mobilisation locale, fondes sur une forte capa-cit d'coute et de transmission, est envisag. L'enjeu est aussi d'amliorer l'accueil des nouvelles associa-tions membres et de favoriser l'appropriation du projet associatif par les diffrentes parties prenantes. D'autres s'engagent dans une ouverture plus grande, dans une logique de coopration et d'outils mutualiss. Pour faire face la reconfiguration territoriale, certains repensent leur prsence l'chelon infradpartemental, rgional ou europen. Pour sortir de la logique uniquement ges-tionnaire de services aux membres, les outils et les ser-vices qu'ils leur apportent sont rinterrogs et repenss en fonction des besoins2.

    Si le chantier ne fait que s'ouvrir pour certains et que le dfi relever est immense, la prise de conscience de la ncessit de passer un cap a gagn du terrain. Et une conviction semble de plus en plus partage : la rflexion stratgique et l'anticipation, s'ils demandent une prise de recul et du temps, sont prfrables aux mesures d'adap-tation.

    1. Cf. Article Anticiper les dfis de demain pour gagner en libert , pages 10-11.2. Cf. Article Un tiers-lieu pour booster les projets associatifs , pages 15-16.

    Pour certains rseaux, la rponse consiste faire vivre et promouvoir davantage leur identit politique de manire revivifier l'engagement de leurs membres. D'autres s'engagent dans une ouverture plus grande, dans une logique de coopration et d'outils mutualiss.

  • 10 La VIe assocIatIVe fvrier 2016 n24

    anticiper les dfis de demain pour gagner en libert

    Reprer et qualifier les dfis futurs, c'est se donner les chances de matriser les changements oprer et de les transformer en opportunits de dveloppement. Consciente de l'ampleur de l'impact de la transition actuelle sur les ONG, la plateforme de coordination des ONG franaises, Coordination SUD, a opt pour une mthode de prospective comme pralable la dfinition de sa stratgie. Le Mouvement associatif a interrog son prsident Philippe Jahshan.

    Un monde en transition

    PourquoiCoordination SUD se lance-t-elle dans une dmarche prospective aujourd'hui?

    Coordination SUD a ft ses 20 ans en dcembre 2014. Si nous pouvons amplement nous fliciter du chemin parcouru, les acquis du pass ne suffisent pas pour bien apprhender l'avenir. Celui-ci s'crit avec une gram-maire complexe dont la lecture s'avre de plus en plus brouille. Avant de nous engager dans un nouveau plan stratgique, il nous est apparu important de projeter les futurs possibles qui se prsentent nous pour mieux positionner notre rflexion.

    quels enjeux la dmarche rpond-elle et quel est l'objectif vis?

    Le sentiment de vivre une priode de profonde transi-tion est en effet vivace. De nombreux faits indiquent que le changement qui arrive est suffisamment puissant et multiforme pour transformer structurellement l'envi-ronnement des ONG. Cela se confirmera-t-il ? Cela mrite au moins que l'on y prenne garde et que l'on fasse un effort de dcryptage pour comprendre. Les ONG sont frontalement confrontes ces bouleversements : la multiplication des crises, la remise en cause d'une cer-taine forme d'action publique, avec en miroir de nou-velles conqutes par des intrts privs, la rvision de nos paradigmes et de nos systmes de rfrence Le dfi, c'est aussi celui de la prennit conomique de nos organisations. Notre secteur n'a cess de crotre durant les 20 dernires annes. Pour autant, le bilan ne doit pas

    cacher nos fragilits. Une trs grande majorit d'ONG connat des difficults financires, et notre poids au niveau mondial reste trs relatif. Pour faire face cette situation, les ONG s'engagent de plus en plus dans une hybridation de leurs ressources et de leurs missions, allant mme jusqu' une hybridation des modle juri-diques. Oui, notre secteur semble bien tre au devant d'une priode o son rle historique, son identit, ses valeurs, ses combats, son modle conomique et ses mtiers seront interrogs. C'est pour toutes ces raisons que cet exercice a t engag.

    Quelle est la mthode choisie pour mener ce chantier?

    Afin d'apporter un regard dtach, parfois dcal, un groupe semi-externe a t compos (personnes res-sources, instances, membres et salaris). S'inspirant de publications franaises et internationales, le groupe a men son cheminement en 6 mois et en 5 tapes. Aprs avoir identifi les champs thmatiques structurants pour sa rflexion (1re tape), il a longuement dbattu des ten-dances fortes (2e tape), c'est--dire des orientations

    Pour viter que l'avenir ne s'impose nous, l'alerte prospective devrait tre plus rgulire.

  • n24 fvrier 2016 La VIe assocIatIVe 11

    considres comme fortement probables pour 2030. L'obsolescence de la reprsentation Nord-Sud, l'accl-ration des flux migratoires, les impacts de la rarfaction des ressources sont des exemples d'volutions juges quasi inluctables. Ces tendances sont toutefois influen-ces par des ruptures (3e tape), plus incertaines, qui peuvent entrainer une diversit de scnarios (4e tape) parfois contradictoires. Notre monde sera-t-il celui du rgne des socits civiles unies ? Opposera-t-il tats et intrts privs ces socits civiles qui devraient alors se rfugier dans une certaine clandestinit ? Ou consacrera-t-il les alliances plus consensuelles autour d'enjeux mon-diaux ? Ces scnarios ne constituent pas des situations telles qu'elles adviendront, mais des histoires-outils des-tins faire merger des dfis pour les ONG (5e tape).

    Comment les membres de Coordination SUD sont-il impliqus dans la dmarche?

    Tout d'abord, des membres ont particip au groupe de travail. Ensuite, le conseil d'administration a t runi trois reprises pour ragir et travailler sur la matire produite par le groupe. Enfin, l'ensemble des membres a t runi en assemble gnrale au cours de laquelle les projections prospectives ont t discutes. De faon col-lective, ils ont ensuite tabli des choix sur les chantiers qu'ils jugeaient plus ou moins prioritaires et urgents apprhender pour l'avenir.

    Il appartient dsormais au conseil d'administration de mettre cela en ordre et de proposer des orientations stratgiques majeures pour Coordination SUD. Les membres seront de nouveau consults deux reprises au printemps 2016 pour amender, approfondir et vali-der les orientations du conseil.

    Qu'en attendez-vous en termes de rsultats? Quels types de changements sont envisags?

    Les rflexions issues de notre prospective assoiront donc notre future stratgie. Mais au-del de cette production, l'exercice nous apprend que l'alerte prospective devrait tre plus rgulire, afin de garder ce temps d'avance in-dispensable pour viter que l'avenir ne s'impose nous. Pour redonner souffle au dynamisme qui nous carac-trise et prserver le pouvoir fondamental d'anticiper, d'adhrer ou de rsister ce qui se prpare. Pour nous ai-der enfin projeter une Coordination SUD renouvele, modernise, renforce et prte rpondre aux dfis de demain. Une projection dans des avenirs possibles com-porte en elle-mme l'immense avantage de sortir de soi et de ses contraintes immdiates et individuelles. Cela devrait faciliter la consolidation d'une vision commune de ce qu'il est ncessaire de faire et, par consquent, ren-forcer l'identit collective de notre plate-forme.

  • 12 La VIe assocIatIVe fvrier 2016 n24

    Repenser son organisation avec le numriquePaR DenIs PansU, PRsIDent De L'assOcIatIOn RsOLUtIOns et cOORDInateUR De La FOnDatIOn aFnIc POUR La sOLIDaRIt nUMRIqUe

    Le numrique n'est pas qu'un outil ;c'est un moyen de repenser l'organisation de l'association par un fonctionnement plus fluide en renforant la dmocratie. Le sujet est la fois trs oprationnel et stratgique, tous les membres d'une association sont donc concerns par les choix qui dicteront son utilisation.

    Un monde en transition

    La numrisation de la socit a mis en lumire le fait que l'information est une matire premire au mme titre que le ptrole. Nous sommes acteurs d'une socit informationnelle , la fois utilisateurs et producteurs. Le tlphone mobile est en passe de devenir l'interface numrique universelle ! Cela nous conduit organiser diffremment nos actions et nos relations.

    Ces consquences sont visibles au-del de laction individuelle, elles s'tendent la gestion des organi-sations et, plus particulirement, la vie associative. Elles modifient la faon de fabriquer l'information pour les adhrents ou encore le mode d'engagement des membres actifs. Le numrique multiplie les canaux dinformation (messagerie, blog, rseaux sociaux, etc.), les niveaux de lecture (SMS, tweet, photos, vidos, etc.) et lintensit de lengagement (immdiat, ponctuel, r-gulier, durable). Les technologies numriques ont for-tement volu, la technique sadapte enfin aux besoins de l'utilisateur.

    Aprs les outils, les acteurs du numrique ont labor des services puis des plateformes sur lesquels d'autres acteurs inventent des solutions. Les plateformes de fi-nancement participatif en sont l'illustration, combinant site de dialogue, base de donnes de contributeurs et sys-tme de paiement. Les associations utilisatrices de plate-formes en ligne peuvent ainsi aisment grer moindre cot et mieux affecter les ressources disponibles.

    Le rseau ouvert

    Internet est un rseau ouvert : il offre la libert pour un individu d'entrer et de sortir quand il le souhaite, quel que soit son positionnement social, idologique ou spi-rituel. Il permet de contribuer selon ses possibilits, son rythme. Bien sr, le cadre associatif le permet aussi, c'est dans sa nature ! Considrons justement le rseau ouvert comme un vecteur, dans sa facult partager l'information, impliquer de nouvelles personnes et relier des acteurs d'univers et de gographies diffrents. Un autre bnfice du numrique est de pouvoir conci-lier communication synchrone et asynchrone ; cela pro-cure la facult de s'exprimer quand on le peut et c'est un garant dmocratique du dbat que de pouvoir le faire en diffr et distance. Au-del des usages individuels, le rseau ouvert est aujourd'hui vital pour le monde associatif dans la mesure o il permet de redynamiser le modle fdratif. Ces deux dimensions doivent tre aujourd'hui associes : la fdration sans le rseau est

    Internet, via son rseau ouvert, permet de repenser le modle fdratif.

  • n24 fvrier 2016 La VIe assocIatIVe 13

    une structure rigide et lente ; le rseau sans la fdration, c'est la jungle. Le numrique fluidifie et dcloisonne.

    Insatisfait des modalits de vote habituelles, des acteurs du logiciel libre ont appliqu la mthode de Condorcet1 pour renforcer la dmocratie au sein de leur organisa-tion ; sans le numrique, cette mthode tait jusque-l inapplicable car trop paperassire. Par la suite, ils ont mme test le vote continu, constatant que le dbat merge aprs le vote ! Ces apports du numrique pointent le fait qu'il nous faut dpasser la question de l'outillage pour le concevoir comme un moyen de re-penser l'association.

    Le systme d'information

    Lorsque l'on fait la somme des services utiliss couram-ment dans une association (site web, blog, photothque, vidothque, documents et agendas partags, cartogra-phie, rseaux sociaux, enqute, paiement, etc.), nous constatons le grand nombre de services en ligne utiliss. La quantit de paramtres rgler pour optimiser leur fonctionnement avec nos outils (tlphones, tablettes, ordinateurs, etc.) est impressionnante. La plupart du temps, leur gestion est empirique, issue de dcouvertes

    1. Systme de vote dans lequel l'unique vainqueur est celui, s'il existe, qui, compar tour tour tous les autres candidats, s'avrerait chaque fois tre le candidat prfr.

    successives qui s'additionnent. De nouvelles mthodes d'organisation sont la porte des associations, particu-lirement le dveloppement agile qui permet de prendre trs vite en compte les besoins des utilisateurs et de ma-triser les cots et les dlais d'un dveloppement infor-matique. Extrapoler ce type de mthode issue du num-rique peut constituer une opportunit pour rpartir la responsabilit. C'est ce qui inspire l'holacratie. Le pilo-tage des serveurs informatiques constitue un autre sujet d'attention. Des quipes sont l'uvre pour donner aux petites organisations la possibilit de grer leurs propres serveurs avec des logiciels libres et redevenir totalement matresses de leurs donnes. Les experts seront bien sr ncessaires, mais ils pourront se concentrer sur des tches la hauteur de leurs comptences. Cela rpondra dans un futur proche aux risques vcus dans nos soci-ts, lis l'intgrit des donnes personnelles et la pr-servation des liberts publiques.

    Tout cela, c'est ce qu'on appelle un systme d'informa-tion, cela implique de choisir et de grer les outils, les canaux, les flux d'information et les services en ligne qui rpondent aux besoins de l'association, mais sur-tout de dcider de ceux qui sont en phase avec la phi-losophie du projet associatif que l'on porte. C'est un sujet trop vital pour le confier aux seuls techniciens, c'est un sujet trop stratgique pour le laisser au seul conseil d'administration.

  • C 'est dsormais quelque chose de bien compris : le changement se gre, s'accom-pagne. Face aux enjeux d'volution, de nombreux acteurs de l'accompagnement sont apparus dans le paysage associatif ces dernires annes. Venant complter l'appui traditionnel des rseaux leurs membres et s'ajoutant aux dispositifs publics existants, ces nouveaux acteurs affichent leur souci de privilgier le sur-mesure sur toute autre mthode type ou plaque . La connaissance de ces acteurs, de leurs pratiques et de leur philo-sophie est une condition pour que les associations ne subissent pas le changement mais s'en saisissent comme une opportunit.

    Ils accompagnent lechangement

    14 La VIe assocIatIVe fvrier 2016 n 24

  • Accompagner leurs membres dans leur dveloppement constitue une des raisons d'tre historique des rseaux. Pour permettre certaines associations tudiantes de dployer leur potentiel, le rseau Animafac a cr un incubateur dans ses locaux. Coline Vanneroy, dlgue gnrale du rseau, nous en explique le fonctionnement.

    Pourquoi avoir choisi de dvelopper un tiers-lieu au sein d'Animafac ?

    L'univers associatif tudiant regorge de projets inno-vants. Il est aussi marqu par un fort turn-over en son sein : la mobilit sociale et gographique des tudiants est telle que des projets naissent, meurent, voluent en profondeur, dans un processus de rgnration continu. Certaines associations ont cependant des perspectives de dveloppement particulires. Celles-ci tiennent la nature du projet qui, par son impact, va trs vite trouver son public, et la volont des fondateurs de s'y consacrer pleinement pour donner une chance leur projet de se prenniser. De nombreuses questions se posent alors sur la structura-tion du projet et, terme, sur la stratgie de dveloppement. L'objectif du tiers-lieu associatif que nous avons cr est donc de reprer ces projets fort potentiel qui ont pour objectif de professionnaliser leur structure, et de faire essaimer leurs innovations sur de nouveaux territoires et de les accompagner durant cette priode charnire.

    Quel type d'associations trouve-t-on l'Arsenal? Quels sont leurs besoins d'appui?

    Les six associations que nous accueillons ont des th-matiques d'actions trs diffrentes, l'image du rseau Animafac dans son ensemble : la Cravate solidaire ralise des collectes de tenues professionnelles auprs

    des entreprises et des particuliers pour les mettre dis-position de personnes en recherche d'emploi qui n'ont pas les moyens de se les payer ; Gnration cobayes sensibilise les 15-35 ans la prsence des perturbateurs endocriniens dans notre quotidien en parlant de sexua-lit ; In Focus mobilise une communaut de bnvoles professionnels de la communication pour aider les associations et ONG parler et faire parler de leurs projets ; Craquartier travaille auprs de jeunes dcro-

    cheurs du 19e arrondissement de Paris afin de les remettre dans une dynamique d'apprentissage par l'action, en s'appuyant sur les artisans du territoire et des cours en ligne (MOOC), donnant lieu des certifi-cations Les problmatiques auxquelles ces associations font face peuvent tre assez diffrentes car elles ne sont pas toutes au mme stade de dveloppement ou n'ont pas la mme histoire. Quelques thmatiques reviennent cependant systmatiquement,

    car les mmes questions se posent lorsqu'un projet, qui a dmarr petit, prend une toute autre ampleur : quel modle d'organisation territoriale adopter ? Faut-il faire voluer notre gouvernance ? Vers quel modle conomique faut-il tendre ? Comment construire un rseau partenarial et institutionnel durable ? Il y a ga-lement des demandes d'appui plus techniques qui vont de la relecture d'un dossier de demande de subvention au relais de trsorerie, en passant par la transmission de modles de document (convention de partenariat, plan de trsorerie, contrat de travail, etc.).

    Un tiers-lieu pour booster les projets associatifs

    ils accompagnent le changement

    n24 fvrier 2016 La VIe assocIatIVe 15

  • 16 La VIe assocIatIVe octobre 2015 n23

    Ce tiers-lieu est une bonne illustration de ce que peut apporter une tte de rseau ses membres.

    Qu'apportez-vous aux associations prsentes dans le tiers-lieu ?

    Je dirais que l'Arsenal est une bonne illustration de ce que peut apporter une tte de rseau ses membres. Animafac leur fait bnficier des comptences et de l'expertise que le rseau a pu dvelopper depuis 20 ans et qui lui ont permis de devenir un interlocuteur iden-tifi et reconnu sur les questions de vie tudiante, de jeunesse et de vie associative. Concrtement, au-del de bureaux et de salles de runion, nous organisons rgulirement des ateliers de formation dans les do-maines de la communication, de la gestion adminis-trative et financire, et du pilotage stratgique, qui per-mettent aux associations de monter en comptences. Nous organisons galement des espaces de discussion et d'change de pratiques entre les associations ac-cueillies : comment telle association organise sa gou-vernance ? Pourquoi ? Avec quels apports et quelles limites ? Avoir la vision la plus large possible de ce qui peut se faire, c'est se donner les chances de trouver le

    modle qui correspond le mieux son association un moment prcis de son dveloppement. En dehors des cadres collectifs, une charge de mission assure un suivi personnalis de chacun des projets. C'est fonda-mental pour valuer au mieux les besoins des associa-tions, qui voluent rapidement, et leur apporter des solutions.

    On voit se dvelopper de nombreux tiers lieux. Quelle est la spcificit d'un tiers-lieu associatif comme l'Arsenal?

    L'Arsenal est un lieu de libert et d'exprimentation qui tient plus de la coloc' que de l'incubateur classique. Les liens entre les associations sont devenus trs forts, ce que vient sans doute renforcer la proximit gn-rationnelle - nous accueillons des projets associatifs ports et grs par des jeunes. La convivialit et l'mu-lation collective tirent l'ensemble de nos projets vers le haut. L'Arsenal n'est pas pour autant un lieu ferm. Nous accueillons rgulirement d'autres associations et acteurs de l'ESS, et nous y organisons des vne-ments ouverts tous. Enfin, nous assumons volontiers de dfinir ce tiers-lieu comme un espace militant, en ce qu'il favorise et encourage l'mergence de jeunes diri-geants associatifs susceptibles de renouveler les cadres de la socit civile.

  • n24 fvrier 2016 La VIe assocIatIVe 17

    Se rendre utile, c'est ce qui conduit certains bnvoles vouloir mettre leur savoir-faire disposition d'une association le temps d'une mission. l'heure o les associations ont faire face de nombreux changements, cet apport ponctuel de comptences pointues peut s'avrer trs utile et permettre certaines de passer un cap dans leur dveloppement. Pour comprendre les ressorts de ce bnvolat de comptences et ses effets sur les structures accompagnes, Le Mouvement associatif a interrog Elizabeth Pacaud, rfrente vie associative France Bnvolat, et Patrick Bertrand, prsident et fondateur de Passerelles & Comptences.

    ils accompagnent le changement

    En quoi le bnvolat de comptences est-il un outil d'accompagnement des associations dans les changements auxquels elles doivent faire face?

    Elizabeth Pacaud : Les associations doivent faire face de nombreux changements : volution de leurs mo-dles conomiques, transition numrique, volution du cadre lgal et des moyens de communication. Cette adaptation aux changements est ncessaire pour exister. Encore faut-il que les associations aient conscience de la ncessit du changement ! Cette prise de conscience

    n'est pas le plus difficile, c'est le passage l'acte qui est problmatique. Face aux rsistances au changement, il faut mener un travail pralable pour rassurer avant de faire appel aux comptences internes ou externes pour les accompagner. Le bnvolat de comptences vient en complment des bnvoles rguliers pour apporter

    une expertise spcifique externe un moment donn. C'est un bnvolat attractif : il est simple et plus souple que le mcnat de comptences qui est dfini dans un cadre strict (nombre d'heures ou de jours ddis).

    Patrick Bertrand : Les associations sont soumises de fortes tensions : besoins sociaux croissants, dsengage-ment des pouvoirs publics et diminution des ressources, contraintes normatives de plus en plus complexes. Dans ce contexte, les bnvoles peuvent apporter aux associations leur regard neuf et bienveillant et/ou leurs comptences. Ils aident ces dernires relever certains dfis et les accompagnent dans leurs volutions.

    Passerelles & Comptences dmultiplie aujourd'hui des modalits de bnvolat de comptences, qui n'exis-taient pas il y a cinq ans. Par exemple, le bnvolat de mission lorsqu'une association identifie un besoin de comptences et est mise en relation avec une personne correspondant ces comptences. Cette dmarche de-mande une rflexion stratgique pralable.

    Il y a aussi le bnvolat d'accompagnement lorsqu'un bnvole accompagne une association sur une longue priode, avec un rendez-vous par mois permettant l'association de poser des questions et de prendre du recul. P&CClic permet une association d'avoir accs

    Un des risques est de penser que le modle des entreprises serait la solution.

    quand des bnvoles apportent leur regard extrieur

  • une comptence prcise d'un bnvole distance au cours d'changes tlphoniques. Enfin, la bourse aux experts consiste en une journe thmatique o les associations peuvent rencontrer, par crneau d'une heure, des experts prsents qui dbroussaillent leurs problmatiques. L'association Probono et Passerelles & Comptences ont aussi dvelopp le bnvolat mara-thon : pendant une priode qui va d'une demi-jour-ne une journe, une quipe de quatre cinq experts est mobilise pour travailler sur une problmatique identifie par une association. Chacune de ces formes de bnvolat de comptences est clairement un outil d'accompagnement aux changements.

    Quels types d'associations font le plus appel ces dispositifs? Pourquoi?

    EP : Pour France Bnvolat, ce sont principalement des petites associations de tous les secteurs qui font appel des comptences spcifiques pour pauler leurs quipes en place. Les associations plus importantes recourent da-vantage Passerelles & Comptences ou l'association Pro Bono. Certaines associations prfrent passer par les comptences des bnvoles en interne, quelqu'un de la maison , car il est prfrable de connatre le rseau et la culture de l'association pour mettre en place des dynamiques de changements.

    18 La VIe assocIatIVe fvrier 2016 n24

  • PB : P&C intervient auprs de tout type d'associations de solidarit aussi bien locales, majoritairement de pe-tite taille, qu'auprs de grandes associations. Les com-ptences les plus demandes concernent la communi-cation/marketing/graphisme (1/3 des demandes), la stratgie/organisation gnrale (1/5), puis viennent les ressources humaines, la gestion de projet et l'informa-tique.

    Rencontrent-elles des difficults mobiliser des bnvoles par leurs propres moyens?

    EP : Certaines associations ont le rflexe d'aller recher-cher les comptences en externe, sans mme faire le bilan des comptences internes des salaris et/ou des bnvoles.

    PB : Les associations font appel du bnvolat de com-ptences pour de bonnes autant que de moins bonnes raisons. Certaines n'ont pas envie de se poser des ques-tions et cherchent tout de suite des comptences ex-ternes. Au contraire, il est important de prendre le temps d'examiner les comptences internes. Dans certains cas, l'association a seulement besoin de quelqu'un qui l'aide bien comprendre son problme avec un regard ext-rieur et bienveillant.

    Ce type de bnvolat est-il en dveloppement? Pour quelles raisons?

    EP : Il est difficile d'valuer si le bnvolat de comp-tences se dveloppe. Une chose est sre, le dveloppe-ment de partenariats entre des associations et des entre-prises est un facteur facilitant.

    PB : Il y a une demande croissante pour ce type de bn-volat. Chez P&C, le nombre des demandes des associa-tions a plus que doubl entre 2013 et 2015, passant de 400 900. On trouve aussi de plus en plus d'acteurs sur ce type de bnvolat. Pour finir, le nombre de bnvoles proposant leurs comptences est en constante augmen-tation.

    Quel est le profil et la motivation des bnvoles qui s'engagent de cette manire?

    EP : Ces bnvoles veulent agir ponctuellement auprs d'associations, sans s'engager sur le long terme. Ils n'ont pas ncessairement le temps de chercher l'associa-tion dans laquelle il pourrait s'impliquer, raison pour laquelle ils font appel des intermdiaires. Les deman-

    deurs d'emploi et les jeunes sont nombreux rechercher ce type de bnvolat pour exercer leurs comptences, passer de la thorie la pratique et tre valoris.

    PB : En trs grande majorit, ces bnvoles viennent pour partager leurs comptences au service d'une cause et se rendre utiles. Ce sont 80 % des actifs (50 % de salaris, 20 % leur compte, 10 % au chmage) et 20 % sont des retraits. Certains sont dans une dmarche d'engagement long terme, mais cherchent, travers une mission, le lieu de leur engagement idal

    Quels sont les effets produits par le bnvolat de comptences?

    EP : Le bnvolat de comptences peut tre trs positif, encore faut-il que l'association soit prpare en amont accueillir un bnvole ponctuel, lui donner tous les lments dont il a besoin et l'accompagner. Il s'agit d'une dmarche qui se prpare.

    PB : Selon une de nos tudes, 88 % des missions sont utiles sur le moyen et long terme, et 85 % des missions ont eu un impact bnfique auprs des bnficiaires. Les effets portent principalement sur l'amlioration des ou-tils et des process de l'association, puis sur la visibilit du projet associatif et son volution (notamment en termes de gouvernance).

    Quels sont les risques de ce type de bnvolat et comment les viter?

    EP : Dans certains cas, le bnvolat de comptences ne peut fonctionner : manque de prparation en amont, pas de continuit entre la mission de bnvole et le suivi du projet par la suite avec l'quipe et les bnvoles rgu-liers, rejet par certains salaris et bnvoles des propo-sitions, outils mis en place trop complexes et non utili-ss, etc. Il y a galement le risque de calquer des modle issus des entreprises.

    PB : Un des risques est de penser que le modle des entreprises serait la solution. Or la solution est dans la confrontation des modles. Les associations ont beau-coup apprendre aux entreprises sur leur fcondit , mais l'inverse est aussi vrai sur l'apport en termes d'effi-cacit des entreprises. Le second risque est l'instrumen-talisation du bnvolat. J'ai une urgence traiter et j'utilise le bnvole comme un prestataire. . Le rle de P&C est justement d'accompagner le bnvole dans son engagement dans l'association et d'viter la manipula-tion.

    n24 fvrier 2016 La VIe assocIatIVe 19

  • 20 La VIe assocIatIVe fvrier 2016 n24

    Quels sont les besoins d'appui que vous avez reprs au sein du monde associatif?

    Au dbut des annes 2000, les fondateurs d'Ideas ont identifi un besoin aigu de renforcement des capacits des associations et des fondations. Ces organisations sont de plus en plus sollicites et actives pour rpondre aux besoins ns des crises successives, tout en tant confrontes une recherche de financements plus ar-due. Aussi, Ideas s'est-elle attache construire, avec les associations, mais galement avec les philanthropes et les experts du contrle et de l'audit, une rponse ce besoin, sous la forme d'un rfrentiel labor de faon collaborative et d'une dmarche d'accompagnement b-nvole. Pour faire face aux changements l'uvre dans le secteur associatif, les associations ont besoin d'appui dans tous les aspects de leur organisation : gouvernance, gestion financire, mais aussi pilotage et valuation de leurs actions. Ce sont les trois thmes du Guide Ideas des bonnes pratiques, mis en ligne et librement acces-sible ds 2008 sur notre site. Ces thmes permettent d'aborder les besoins d'appui constats sur le terrain tels que le renouvellement et la revitalisation des organes di-rigeants, l'laboration et la (r-)criture d'un plan strat-gique, la prise en compte des risques auxquels une asso-ciation est confronte, l'adaptation de la stratgie et des rgles de fonctionnement, l'introduction d'une culture de l'valuation de l'impact de l'action

    Quelles sont les modalits d'accompagnement adoptes par Ideas pour y rpondre?

    La mthode exprime dans le Guide des bonnes pra-

    tiques permet aux associations et fondations qui le souhaitent d'interroger leur mode de fonctionnement de faon trs complte. Ideas propose une approche globale et un modle structurant original, fond sur un accompagnement bnvole et durable. Il n'y a pas de seuil budgtaire exig pour entamer ce processus, ds lors que l'objet social relve du domaine de la solidarit.

    La premire tape consiste en un travail d'analyse documentaire et d'entretiens avec les dirigeants et les membres de l'association. Elle permet de poser un dia-gnostic et de souligner les points forts de l'organisation mais galement d'identifier les points d'amlioration au regard des 120 indicateurs du Guide Ideas. De ce dia-gnostic dcoule une dmarche d'optimisation, formali-se par une convention, qui recense les chantiers me-ner, leur calendrier et le rle des conseillers bnvoles pour chacun d'eux.

    L'accompagnement (diagnostic et optimisation) est conduit sur cette base par une quipe compose de deux bnvoles, parmi la centaine aujourd'hui actifs auprs d'Ideas. Une attention toute particulire est porte au recrutement de nos conseillers bnvoles, leur for-

    Un label pour optimiser ses pratiques

    Pour amliorer l'impact des associations bnficiant de dons, l'association Ideas a mis en place une dmarche d'accompagnement originale, fonde sur l'appui personnalis d'une quipe de bnvoles et donnant lieu une labellisation. Sa prsidente, Isabelle Gougenheim, nous en explique le principe.

    ils accompagnent le changement

    L'accompagnement permet de renforcer la crdibilit de l'organisme accompagn.

  • n24 fvrier 2016 La VIe assocIatIVe 21

    mation l'outil et la mthodologie d'Ideas, et ils sont rgulirement runis lors d'ateliers thmatiques varis. La diversit des profils et des parcours nous permet de composer des quipes aux profils complmentaires, adapts chaque accompagnement, dont la dure varie de 8 18 mois environ.

    Quelle est la plus-value de cette mthodologie d'accompagnement pour les associations?

    Ce dispositif, approfondi et trs progressif, permet aux associations et fondations de bien s'approprier des outils et d'acqurir des comptences nouvelles. Cette approche de la gouvernance, selon une mthode structure et claire, constitue une tape fondamentale pour renforcer la crdibilit de l'organisme accompagn, pour assurer sa prennit et garantir la confiance de l'ensemble de ses partenaires.

    La dmarche Ideas s'articule sur une stratgie d'optimi-sation des pratiques, labore dans un dialogue appro-fondi. Il ne s'agit pas d'un contrle supplmentaire et unilatral ! Par ailleurs, cette dmarche peut concerner des organismes trs divers, dans leurs champs d'inter-vention comme dans leur volume d'activits ou leur dure d'existence : association ancienne et active, qui cherche anticiper un changement de gouvernance (d-part du fondateur par exemple), formaliser des proces-

    sus non crits ; association confronte une tape de son dveloppement, un changement d'chelle ou une implantation rgionale ou internatio-nale ; recherche de nouveaux parte-naires et ncessit d'une transparence accrue les motivations sont mul-tiples, et la souplesse de la dmarche suivie par Ideas permet de proposer des rponses adaptes.

    En quoi cette dmarche est-elle adapte l'esprit associatif?

    Ideas porte une attention particulire la gestion dsintresse, du point de vue thique, rglementaire et fis-cal. Une gouvernance exigeante doit reposer sur un projet clair et trans-parent (vision, valeurs, missions) et garantir la cohrence entre la ralit des activits de terrain et les besoins des bnficiaires.

    L'laboration d'un document strat-gique, qui structure les missions et activits, permet de bien positionner l'association dans son environnement et de dvelopper sa capacit d'anticipation. Cette pos-ture stratgique est un vrai atout pour les associations ; elle est trs apprcie dans la recherche de financements, publics ou privs. l'issue de cette phase d'accompa-gnement, et aprs l'intervention d'un contrle indpen-dant externe, l'association peut se prsenter devant un comit label autonome, qui pourra lui attribuer le label Ideas attestant du respect des bonnes pratiques, sur la base des 120 indicateurs du guide.

    Comment garantissez-vous la qualit des accompagnements raliss?

    Ideas se doit de proposer aux associations qui s'engagent dans ce processus un accompagnement homogne et de trs bon niveau. Nous apportons un soin tout par-ticulier au choix des conseillers bnvoles et veillons maintenir des liens troits et permanents avec eux. Ils peuvent ainsi, chaque tape, s'appuyer sur les com-ptences de notre petite quipe permanente. Ideas doit galement garantir une indpendance de la dcision du comit label, qui dcide sous l'autorit de son prsident, de l'attribution initiale et du renouvellement du label, aprs 4 ans. Ces points sont prvus dans les statuts et le rglement intrieur.

  • Le DLa, un coup de pouce pour les associations

    Depuis 2002, le dispositif local d'accompagnement joue un rle d'appui aux associations employeuses en participant annuellement la consolidation et la structuration de prs de 7000 d'entre elles. Simon Cottin-Marx (LATTS, universit Paris-Est), qui ralise une thse sur l'impact du dispositif, a accept de nous en livrer les premiers enseignements.

    ils accompagnent le changement

    Vous avez commenc une thse il y a deux ans sur le dispositif local d'accompagnement (DLA), pourriez-vous partager avec nous vos principaux rsultats?

    Le DLA propose aux associations employeuses (et plus largement aux structures de l'ESS) de bnficier gratuitement d'un accompagnement pour consolider leur modle conomique et prenniser leurs emplois. Concrtement, le charg-e de mission DLA ralise le diagnostic d'une association volontaire puis, quand c'est pertinent, commande une prestation afin d'aider la structure se consolider. Cette seconde partie de l'accompagnement est confie un consultant ; il peut intervenir sur de nombreux aspects, comme la gestion, le projet associatif, le modle conomique, la communi-cation, etc.

    Une partie de mon travail de recherche a t consacre l'analyse de l'impact du DLA. Pour cela, j'ai notam-ment tudi une quarantaine de structures. Bien que chaque association soit spcifique et que l'on observe des diffrences selon les secteurs, globalement le DLA a marche : les objectifs officiels sont atteints. Le dispositif participe consolider l'emploi et le modle conomique des structures, en amliorant la gestion des associations et en donnant ses membres, bnvoles et/ou salaris, des outils permettant d'avoir une meilleure visibilit sur leurs activits. Il les aide aussi mieux connatre leur ter-ritoire, les opportunits saisir, etc.

    Le DLA est un coup de pouce pour les associations?

    Dans la priode de vache maigre que nous connais-sons, le DLA accompagne les associations pour qu'elles s'accommodent du retrait, ou en tout cas de l'incertitude, des financements publics. Il facilite aussi leur adaptation au modle plus concurrentiel qui s'impose elles. Bien sr, le dispositif ne fait pas de miracle, mais c'est un vrai plus pour les associations. J'ai aussi pu observer que le DLA pousse les associations, sans les contraindre, respecter le droit du travail (conventions collectives, GRH) mais galement la loi 1901 en les amenant notamment avoir des administrateurs actifs et motivs. Le DLA rveille les dynamiques collectives au sein des structures, remobi-lise les membres au service du projet associatif et de la sauvegarde des emplois.

    Pourriez-vous nous donner un exemple?

    J'ai rencontr une structure de l'insertion par l'activit conomique d'une vingtaine de salaris. Elle avait des difficults conomiques et risquait le dpt de bilan. L'intervention du consultant DLA a permis de rendre visibles les problmes structurels du modle cono-mique de l'association. En mettant en place une comp-tabilit analytique, et surtout en formant la direction s'en servir, les postes de dpenses dficitaires ont pu tre identifis. L'organisation du travail a aussi t re-

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    vue : plus rigoureuse, l'association a cess de perdre de l'argent. L'accompagnement a aussi permis d'envisager un nouveau plan de dveloppement. L'entre des outils de gestion dans la structure a t bnfique pour tout le monde : l'information sur l'activit de la structure a t mieux partage avec les salaris et les bnvoles, et tous se sont remobiliss pour sortir la structure de l'ornire. Voil un accompagnement racont trs brivement.

    Ce qui tait intressant dans ce cas, comme dans d'autres, c'est que l'accompagnement a fonctionn parce qu'il a t ralis volontairement par la structure. Quand ce n'est pas le cas, tout le monde perd son temps. Un autre lment que je trouve particulirement intressant dans les associations que j'ai tudies, c'est que la ques-tion de la sauvegarde de l'emploi est centrale, au moins autant que le projet associatif de la structure.

    Est-ce le DLA qui est responsable de cet effet?

    Oui et non. Le DLA amne les associations prendre en compte la question de l'emploi, en faire une finalit au mme titre que le projet collectif, mais ce phnomne dpasse le dispositif.

    Depuis les annes 1980, les associations sont marques par une dynamique de salarisation : elles sont porteuses d'un nombre croissant d'emplois. Cette situation est en partie le rsultat d'un fort volontarisme des politiques publiques : les pouvoirs publics ont fait des associations un outil dans leur lutte contre le chmage, elles sont devenues un rceptacle de publics insrer. La multi-plication des contrats aids a particip faire entrer certaines associations en conomie , les a transfor-mes en ce que Matthieu Hly appelle des entreprises associatives . Dans ces structures, la dimension co-nomique et la dimension emploi sont au moins aussi importantes que la dimension politique.

    Pour conclure, je dirais que les pouvoirs publics aident aujourd'hui davantage les associations pour leur conte-nu en emplois que pour leur projet associatif. Cela n'est pas neutre pour les associations : l'emploi est dornavant autant un moyen pour atteindre leurs objectifs qu'une fin en soi. Autrement dit, il semble que la prservation des emplois et la cration de nouveaux postes fassent aujourd'hui pleinement partie du projet social des asso-ciations employeuses. Et quand, comme aujourd'hui, la crise conomique touche les associations, celles-ci se re-trouvent sous tension, doivent parfois aligner leur projet associatif et conomique sur les attentes du march qu'il soit public ou priv pour sauver ces emplois. Avec le risque de perdre leurs spcificits associatives, de se transformer en simple prestataire et/ou en entreprises associatives au fonctionnement calqu sur le modle des entreprises prives.

    Pour aller plus loin : Sylvre Angot, Simon Cottin-Marx, Accompagner les associations. De l'ducation populaire aux politiques de l'emploi., Mouvements 1/2015 (n 81), p.60-69.

    Les pouvoirs publics aident aujourd'hui davantage les associations pour leur contenu en emplois que pour leur projet associatif.

  • accompagner les rseaux dans la rorganisation territoriale: l'exemple du DLa rgional de normandie

    Comment avez-vous eu l'ide de proposer cet accompagnement aux rseaux normands?

    Nous avions beaucoup de demandes d'accompagne-ment, mais ne disposions pas des fonds ncessaires pour accompagner tout le monde. Nous ne souhai-tions pas avoir tablir des critres pour prioriser les demandes. Nous nous sommes rapprochs du Mouvement associatif, galement pilote du DLA en Normandie, et de quelques rseaux pour rflchir une rponse : deux journes d'accompagnement col-lectif ont t proposes aux rseaux. Entre dbut 2015 et la mise en uvre en novembre, nous avons consa-cr beaucoup de temps au montage de ces deux jour-nes. Ce travail, avant tout partenarial, s'est fait avec le Mouvement associatif, ses adhrents, les pilotes du dispositif et les rseaux de l'insertion par l'activit co-nomique.

    Quels seront, de votre point de vue, les changements entrans par cette rforme et comment le DLA peut-il accompagner ces changements?

    C'est un changement de fond et il est difficile au-jourd'hui pour nous qui sommes sur le terrain d'en

    mesurer vraiment tous les impacts. C'est la raison pour laquelle, nous avons construit ces deux jours en consa-crant une demi-journe la mise en contexte avec des apports du Mouvement associatif national et d'un expert des politiques publiques territoriales, suivie de trois demi-journes d'accompagnement au sens clas-sique du DLA. Nous avons assez vite peru que cette rforme aurait des rpercussions trs importantes, plusieurs niveaux et sur diffrents chelons : impacts sur les financements, sur la gouvernance des rseaux et de leurs membres, mais aussi sur leur relation avec leurs partenaires et leurs usagers... Nous sentions qu'il y aurait des remontes des associations locales, impac-tes par les fusions des intercommunalits et les trans-ferts de comptences, et nous pensions utile d'aider les rseaux anticiper leurs propres problmatiques et les demandes de leurs adhrents. Nous voulions apporter des lments d'clairage et un regard structur sur la rforme pour aider prendre du recul, mais aussi des

    Nous avons besoin de ttes de rseaux organises et fortes.

    ils accompagnent le changement

    La recomposition territoriale en cours et la mise en place de treize nouvelles grandes rgions bouscule l'organisation des rseaux associatifs. Les chargs de mission rgionaux du dispositif local d'accompagnement (DLA) font face de nombreuses demandes des ttes de rseaux qui souhaitent tre accompagnes dans leur rorganisation. En Normandie, une rponse originale a t construite conjointement par les deux DLA rgionaux, en partenariat avec le Mouvement associatif. Retour sur la dmarche avec GenivreFranois, charge de mission DLAR la CRESS Basse-Normandie, et CcileDauvel, charge de mission DLAR Haute-Normandie Active.

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    solutions oprationnelles pour enclencher les change-ments. De ce fait, les deux journes se sont construites comme un accompagnement collectif DLA : les homo-logues des deux rgions ont t invits y participer ensemble. Pour les rseaux, cela a t une bonne oppor-tunit pour faire connaissance et pour travailler leur processus de rapprochement. Pour nous, DLAR de deux rgions, cela nous a permis de commencer travailler ensemble !

    Mais a ne s'est pas fait tout seul : nous avons eu convaincre nos pilotes de la lgitimit du DLA rgional se positionner sur un sujet comme celui-ci. Le rle du DLAR n'est pas d'accompagner au coup par coup mais d'apporter des rponses structurantes pour le territoire, d'aider construire des stratgies collectives, le plus sou-vent sur une entre sectorielle. Les ttes de rseau sont nos interlocuteurs pour construire des approches sec-torielles pertinentes, nous avons besoin qu'elles soient organises et fortes.

    Quel bilan tirez-vous de cette premire journe d'accompagnement?

    La matine a t centre autour d'interventions d'ex-perts : nous avons mobilis la chaire Territoires et mu-tations de l'action publique de l'universit de sciences politiques de Rennes pour une lecture globale de la rforme, le Mouvement associatif pour son analyse sur

    les impacts en matire de vie associative, France Active pour ses travaux sur les cooprations et les fusions. L'animatrice des changes avait pour consigne de sus-citer le dbat et la participation. Nous voulions que les associations ne se sentent plus crases par cette r-forme, mais se demandent comment agir ensemble, sur leur territoire et dans leur structure ; qu'elles retrouvent du souffle. De ce point de vue, la table ronde a t une russite, les dbats ont t riches et les retours des asso-ciations trs positifs.

    Sur le deuxime temps, plus technique, anim par un prestataire habitu des interventions DLA, nous sommes plus partags. Nous avions un groupe de taille importante (prs d'une trentaine de structures) trs htrogne (taille des structures, profil des parti-cipants, secteurs, tat d'avancement dans le processus de rapprochement avec l'homologue, etc.) ce qui n'a pas facilit l'animation ni l'appropriation des outils, mme s'il est trop tt pour faire un bilan. De plus, les associations semblaient parfois en attente de solutions cl en main qu'il n'est pas possible d'apporter d'o peut-tre une relative dception de la part de certains par-ticipants. Aujourd'hui nous rflchissons, si les crdits le permettent, complter en 2016 ces deux jours par des journes thmatiques, toujours en partenariat avec le Mouvement associatif et ses membres, les rseaux de l'insertion par l'activit conomique, nos pilotes et en collaboration avec les DLA dpartementaux.

  • 26 La VIe assocIatIVe octobre 2015 n23

    La rflexion stratgique comme outil d'aide la dcision

    C'est un exercice complexe que de tenter une dfinition claire et partage de l'accompagnement la rflexion stratgique . Et pour cause, comme tous les vocables la mode, le terme de stratgie est victime de son succs. Accommod toutes les sauces et selon les gots de cha-cun, il est souvent confondu avec des notions cousines telles que l'organisation ou le management, quand il n'est pas purement et simplement galvaud et au final large-ment incompris. Comment, dans ce cas, trier le bon grain de l'ivraie et rendre la stratgie ses lettres de noblesse ? Pour tenter de relever le dfi, commenons avec pragma-tisme par le commencement. Que nous dit Wikipdia ? La stratgie est un ensemble d'actions coordonnes menes en vue d'atteindre un but prcis . Dfinition des plus larges qui mrite d'tre prcise. C'est donc bien volontiers que les spcialistes et les professionnels lui adjoignent un complment d'objet destin l'clai-rer. On parlera ainsi de stratgie marketing, de stratgie commerciale ou bien encore de stratgie de partenariat. Autant de notions intressantes, mais dans lesquelles les dirigeants associatifs se retrouvent peu, ou pas assez. Car une fois la stratgie morcele et dcoupe en spcialits, que reste-t-il de la vision d'ensemble ? De cette vision qui permet de tout prendre en compte pour mieux dcider ?

    Tout prendre en compte pour mieux dcider . Voil qui pourrait constituer un dbut de piste pour dfinir la stratgie ou tout au moins lui rendre son S majuscule. Appelons une mtaphore maritime la rescousse. On pourrait dire de la stratgie qu'elle est la fois le cap

    qu'on fixe, les moyens dont on se dote (tels que le type de navire, l'quipage, etc.) et le rythme de la traverse ; autant d'lments de choix plus ou moins complexes en fonction des risques de la route maritime, des marges de manuvre disposition et de ce pour quoi initial. L'accompagnement la stratgie, c'est donc d'abord un regard externe permettant aux dcideurs de prendre la hauteur de vue ncessaire pour : s'assurer de la cohrence globale des choix pour les-quels ils ont opt. Prenons le cas de l'expdition mari-time scientifique au ple Nord : brise-glace ou corvette seront sans doute plus adapts que catamaran ou paque-bot ; ordonnancer les questions, entre premires et se-condes (mais non secondaires !). Reprenons notre ex-pdition arctique : la question de sa temporalit est cl pour dfinir les moyens - t ou hiver ? clairer les chemins envisageables et dessiner des sce-narii. Si nous suivons notre mtaphore : expdition de longue dure avec brise-glace ou expdition rapide d't en corvette

    L'accompagnement la rflexion stratgique est donc une aide la dcision d'autant plus utile que les prvi-sions sont au gros temps et que les routes maritimes sont peu balises. En amenant le regard du commandant de bord sur les questions essentielles, et en dportant son regard sur l'ensemble des possibles, l'accompagnement stratgique a pour enjeu cl de redonner du pouvoir d'agir aux dirigeants, jamais de ne dcider leur place !

    ils accompagnent le changement

    L'ADASI est une association but non lucratif, cofonde fin 2014 par Le Mouvement associatif, L'Avise, Le RAMEAU et Consult'in France. Son objet social est de favoriser la consolidation et le dveloppement des projets d'intrt gnral par la mise disposition et le transfert de comptences en matire de rflexion stratgique. Dans le cadre de ses missions, l'ADASI publiera, en juin 2016, un guide pratique de rflexion stratgique destination des dirigeants associatifs. Caroline Germain, sa dlgue gnrale, nous explique ce qu'est l'accompagnement la rflexion stratgique.

  • Nous ne sommes pas l pour faire la stratgie des dirigeants leur place, mais pour la questionner.

    n23 octobre 2015 La VIe assocIatIVe 27

    Le conseil commence l o la thorie s'arrte

    ils accompagnent le changement

    Quelles sont les caractristiques d'Eurogroup Consulting?

    GB / EF : Eurogroup Consulting est un jeune adulte de 33 ans, dont les caractristiques sont incarnes dans notre manifeste et oui, un manifeste qui dbute par un

    mot cl : mobiliser . Mobiliser notre capacit d'coute ; en-tendre ce que chaque dirigeant nous demande ; dcrypter son vritable besoin. Et donc accep-ter l'infinie diversit des attentes et des problmatiques. Nous ne sommes pas l pour faire la stra-tgie des dirigeants leur place, mais pour la questionner ! Un autre mot cl est faire avec . Lorsque nous accompagnons

    un plan stratgique ou un projet d'organisation, notre logique de rflexion-construction est bottom up, et notre critre d'apprciation repose d'abord sur la capa-

    cit des hommes et des femmes le mettre en uvre. C'est plus long, plus complexe mais aussi plus prenne. Enfin, notre ind-pendance est galement une ca-ractristique forte : le capital est dtenu par les associs et ouvert aux salaris. Personne ne nous demande nos chiffres tous les mois, nous nous les imposons, et surtout, nous sommes libres :

    libres de nos choix, libres de dire oui ou non, libres de nos recommandations.

    Lorsqu'on est un cabinet en stratgie, organisation et management, que veut dire conduire le changement?

    Conduire le changement, c'est avant tout embarquer les gens ! Ce n'est pas un hasard si nous avons choisi l'art

    de la mobilisation pour signature. Nous ralisons un mtier d'artisans dans un monde industriel. Et nous travaillons d'ailleurs valoriser cet art par la mise en place d'une formation certifiante. De manire plus prag-matique, conduire le changement, c'est accompagner la transformation sur deux plans : le plan oprationnel (la manire de faire), et le plan humain (la manire dont les choses se passent, se vivent, se conoivent). Si on ne travaille que sur un plan, on est vite dans la recette et les dfis ont peu de chance d'tre relevs. Quatre grandes tapes caractrisent cette faon faire : entendre (pas seu-lement couter !), pour s'approprier et faire sien ce que

    Eurogroup Consulting est un cabinet de conseil en stratgie, organisation et management. Pionnier dans la mise en place du mcnat de comptences, il y a 15 ans, avec Eurogroup autrement, il compte prs de 300consultants en France et s'insre dans un dispositif international permettant de mobiliser prs de 1200 consultants dans 30pays. Gilles Bonnenfant, son prsident, et tienne Fiessinger, associ, nous donnent leur point de vue de praticiens sur la conduite du changement.

    tienne Fiessinger

    gilles BonnenFant

  • 28 La VIe assocIatIVe fvrier 2016 n24

    l'autre dit ; concevoir, et surtout concevoir ensemble, car il ne s'agit pas d'appliquer des mthodes toutes faites ; agir, parce que le consultant n'est pas l juste pour dire ce qu'il faut faire, mais aussi pour tre dans l'action aux cts de ceux qui font ; et enfin valuer, pour tre capable de regarder honntement ce qu'on fait, re-connatre ventuellement que l'on se trompe ou que l'on s'est tromp, se fliciter pour ce qui marche et pouvoir partir librement c'est--dire rendre les cls, toutes les cls au client.

    De votre regard de praticien, quels sont les facteurs de russite d'une conduite du changement?

    Russir la conduite du changement, c'est russir une alchimie complexe entre donner du rythme et prendre du temps. De notre fentre, les dirigeants sont de plus en plus sensibles aux subtilits du tempo, la ncessi-t de ne laisser personne sur le bord de la route. Dans le mme temps, nous constatons que la rsistance au changement est de plus en plus forte dans un contexte de plus en plus anxiogne. Russir le changement c'est prendre conscience que la conduite du changement est un continuum. Le changement ne peut pas tre seule-ment li un projet (laboration d'un plan stratgique, fusion, mise en place d'outils informatiques, etc.). C'est un processus d'volution continue qui doit tre favoris par des dispositifs managriaux et humains adapts. La conduite du changement ne doit pas tre uniquement l'affaire d'une gouvernance ou d'un cabinet externe mais un processus de la vie de toute organisation.

    Quel est le positionnement d'Eurogroup Consulting vis--vis du monde associatif?

    Le monde associatif a beaucoup mut ces 20 dernires annes. Nous observons ces mutations via Eurogroup Autrement. Depuis 15 ans, nous ralisons du mcnat de comptences par le biais d'un appel projets qui nous permet de slectionner des projets d'intrt gnral, et de les accompagner pour une priode de 6 mois. Pour cela, nous mettons disposition une quipe complte de conseil de 2 3 personnes. Ce monde nous apparat comme clairement part (gouvernance, missions, mo-dle conomique, etc.). Au-del du mcnat, nous met-tons aussi nos comptences disposition des organisa-tions qui en ont les moyens, dans un business model tout fait classique. Ce positionnement est prcieux pour nous. Nous voyons quel point c'est attractif pour nos quipes de travailler dans ce secteur. Cela permet aussi nos consultants d'avoir les pieds sur terre, de mettre mal toute arrogance, cela nous rend plus humbles, et l'humilit dans le conseil est un secret de longvit.

    La capacit d'innovation sociale est l'une des spcificits du milieu associatif. Quelle place un cabinet comme le vtre peut avoir dans l'mergence de l'innovation ?

    Eurogroup Consulting a vocation embrasser tous les secteurs d'activits, publics et privs, mais aussi toutes les fonctions (marketing, ressources humaines). Cette transversalit nous donne une capacit faire des pas-serelles intressantes entre diffrents mondes et faire rsonner des problmatiques de manire indite. La capacit crer des liens, l'effet catalyseur et la capacit d'entranement du cabinet : voil trois fondamentaux dans l'accompagnement l'innovation. Enfin, rappe-lons-nous que le conseil, c'est d'abord une rencontre, et non d'abord une mthode ! Certes, nous ne sommes pas des surfeurs qui abordons les problmatiques en freestyle mais nous ne sommes pas non plus des mthodistes. Notre crdo : le conseil commence l o la thorie s'arrte

    La conduite du changement, c'est russir une alchimie complexe entre donner du rythme et prendre du temps.

  • 29 La VIe assocIatIVe fvrier 2016 n24

    S i l'diction d'une nouvelle rgle, la mise en place de nouveaux modes opratoires, la mise en uvre d'un nouvel outil ne suffisent pas matriser les changements, certaines postures en facilitent tout de mme la conduite. Parmi celles-ci, les dmarches d'observation, le transfert de pratiques ou de connaissances, ou encore les tudes d'im-pact qualitatives peuvent orienter de faon plus pertinente les changements oprs par les associations.

    Des outils de mise en mouvement

    n24 fvrier 2016 La VIe assocIatIVe 29

  • L'observation locale, un pralable indispensable

    des oUtils de mise en moUvement

    Les Maisons des associations, de par leur vocation, sont au coeur de la vie associative locale. Du fait de leurs missions, c'est tout naturellement qu'un nombre tou-jours croissant de Maisons des associations ressent le besoin de mieux connatre l'environnement associatif local. Tout d'abord, pour prendre la mesure du chan-gement et de son impact sur les territoires, mais ga-lement pour se donner de bons outils pour agir. Une observation rgulire et prcise est ncessaire au niveau local pour anticiper les transformations. C'est bien en ayant repr ces volu-tions, les nouveaux besoins, mais aussi les nouvelles difficults auxquelles sont confrontes les associations que les Maisons des associations et leurs partenaires peuvent assurer leur mis-sion avec plus d'efficacit.

    Les donnes quantitatives sur les asso-ciations sont certes indispensables. Mais elles ne suffisent pas rendre compte de ce qui bouge. Un suivi rgu-lier de la vie associative ncessite d'analyser non seule-ment l'existant mais aussi les dynamiques d'volution : les nouvelles formes d'organisation, les nouveaux pro-fils de militants, ainsi que les volutions affectant les ressources humaines (bnvolat et salariat) et finan-cires. Sans oublier non plus la relation avec le monde associatif non institu (collectifs, groupes de personnes) qui constitue le terreau d'une capacit d'intervention collective. La collecte de ces connaissances poursuit plusieurs buts : fournir aux acteurs locaux les outils et les moyens de raction ncessaires aux changements

    venir, permettre, par la connaissance de l'volution du tissu associatif, une meilleure prise en compte de l'im-pact de son action, anticiper les besoins des associations et participer la mise en uvre de politiques locales adaptes; Enfin, par effet domino, la dmarche permet de nourrir le projet associatif des structures d'aide la vie associative. L'observation de la vie associative locale

    ne peut tre la proprit d'un rseau ou d'une collectivit. Tous ceux qui s'int-ressent l'volution du monde associa-tif sont concerns : les acteurs publics, les rseaux associatifs, les universits sans oublier, en premier lieu, les acteurs associatifs eux-mmes. C'est pourquoi la dmarche des OLVA est ouverte et participative.

    Force et de constater que les don-nes recueillies peuvent tre un excel-lent matriau de rflexion, que ce soit pour redfinir une politique d'aide aux associations ou pour orienter de faon plus pertinente l'action de

    conseil et d'accompagnement des porteurs de projets. L'observation peut aussi alimenter la rflexion sur le sens de l'engagement associatif, l'volution des pra-tiques de gouvernance, et permet d'tudier l'mergence de regroupements informels, comme en tmoignent les monographies issues de certains OLVA.

    Pour en savoir plus: www.maisonsdesassociations.fr

    Tous les jours, des associations se crent pendant que d'autres disparaissent avec de multiples consquences et de nombreuses nuances sur les territoires. Faire merger une connaissance partage des ralits associatives locales est pourtant indispensable pour prendre la mesure des volutions, pour en comprendre le sens et en tirer les enseignements. Les observatoires locaux de la vie associative (OLVA) mis en place par le Rseau national des maisons d'associations (RNMA) rpondent en partie ces enjeux.

    30 La VIe assocIatIVe fvrier 2016 n24

  • Le changement oprer n'est pas seulement du ct des acteurs mais aussi des institutions.

    La recherche scientifique pour stimuler les innovations

    des oUtils de mise en moUvement

    Comment tes-vous passs d'une posture de chercheur une posture d'accompagnateur?

    L'Institut Godin est un centre de transfert dont l'une des modalits d'intervention relve de l'accompagne-ment. Le transfert consiste se nourrir de la recherche pour crer des outils oprationnels pour les structures de terrain. L'objectif est que les structures s'approprient suffisamment les travaux et les outils pour en avoir une utilisation autonome. Mais on sait trs bien que cela de-mande un accompagnement et un suivi dans le temps. Il est aussi intressant pour nous de voir comment vo-luent les structures qui s'inscrivent dans une dmarche de transfert. Nous ne sommes ni un centre de recherche ni une structure d'accompagnement proprement par-ler : nous puisons dans ces deux activits. La spcificit du transfert, par rapport d'autres formes d'accompa-gnement, est qu'il s'appuie sur une matire scientifique.

    Quels sont les outils que vous dveloppez et en quoi peuvent-ils participer changer les structures?

    Nous avons commenc par travailler sur les pratiques solidaires. Les acteurs de l'ESS revendiquent des va-leurs, nous voulions apprhender comment, de manire concrte, ces valeurs se traduisent par des pratiques. Nous avons donc construit un tableau de bord pour permettre aux structures de reprer et d'identifier ces pratiques, en matire de gouvernance, de relation au territoire, de modle conomique Cette analyse passe

    par un questionnement qui peut effectivement amener la structure faire voluer certains aspects de son fonc-tionnement. Si les structures peuvent changer, il nous parait important de mettre aussi en avant le fait qu'elles sont elles-mmes porteuses de changements pour la socit. Or, cela semble insuffisamment pris en compte

    et mal reconnu. Pour le dire simplement, le change-ment oprer n'est pas seulement du ct des acteurs mais aussi des institutions. Nous avons dvelopp des travaux sur l'innovation sociale, avec l'ide de proposer une vision largie de cette notion qui ne s'arrte pas la question de la nouveaut, mais qui permette de valo-riser d'autres apports. Nous avons galement cherch agir sur le cadre ; comment, du ct des institutionnels, mettre en place des conditions qui rendent l'innovation sociale possible et/ou la favorisent.

    Les structures avec lesquelles nous travaillons sont por-teuses d'initiatives. Nous avons dvelopp des outils permettant de mieux qualifier en quoi ces initiatives sont porteuses de changement pour les usagers, le ter-

    Cr en 2007 l'initiative des acteurs de l'ESS en rgion Picardie, l'Institut Jean-Baptiste Godin est le premier centre de transfert en pratiques solidaires et innovation sociale de France. Ses activits sont structures autour de deux grands axes: la recherche et dveloppement et les diffrentes formes de transfert. Emmanuelle Besanon, docteure en conomie et charge de mission l'Institut Godin depuis 2009, nous explique en quoi les outils de la recherche peuvent tres transfrs aux acteurs pour faire natre des changements.

    n24 fvrier 2016 La VIe assocIatIVe 31

  • ritoire, les institutions... Ces outils sont destins aux acteurs pour les aider valoriser leurs actions, mais ils peuvent aussi accompagner la rflexion des dcideurs, en vue de faire voluer les politiques publiques.

    Comment travaillez-vous concrtement avec les structures que vous accompagnez?

    Nous aidons les porteurs de projet mettre en avant les lments porteurs d'innovation sociale dans leurs pra-tiques et dans le projet. Quand il est au stade d'ide, il s'agit d'identifier un potentiel en termes d'innovation so-ciale, de le valoriser auprs des dcideurs et de rflchir la faon dont on prserve ce potentiel tous les stades de la mise en uvre. Nous les outillons en ce sens. Cela les amne aussi se poser des questions qu'ils ne s'taient pas poses, considrer des lments qu'ils n'avaient pas forcment pris en compte ou formaliss. Le travail que nous faisons ensemble leur permet de structurer la faon dont ils prsentent leur projet, de s'approprier un vocabulaire scientifique ou institutionnel, de mettre des mots sur leurs pratiques. Cette approche permet aussi de requestionner des projets plus anciens. Nous avons par exemple travaill avec un centre social, ce qui nous a amen questionner le contexte d'mergence du pro-jet des centres sociaux, contexte qui a fortement vo-

    lu ! Quand ils sont apparus, les centres sociaux taient porteurs d'un changement bnfique pour les usagers et pour les institutions. Comment peuvent-ils conti-nuer tre porteur de changements dans le contexte actuel ? Quels sont les leviers ? Ce travail les a conduits requestionner la place des bnficiaires et faire voluer concrtement leurs pratiques pour rpondre cet enjeu. L'organisation, les modes d'intervention ont t repen-ss. Nous intervenons aussi pour permettre un partage de ces notions entre les salaris et les bnvoles.

    Enfin, se pose la question de la diffusion de l'innova-tion sociale : comment un projet innovant, qui rpond des besoins ou des aspirations, peut-il tre essaim dans d'autres territoires ? Il est trs important de ne pas contraindre les structures un changement qui ne serait pas ce quoi elles aspirent. On ne peut pas imposer un changement par le haut, il faut rflchir des mthodes de diffusion qui soient cohrentes avec les pratiques des acteurs et avec le territoire.

    32 La VIe assocIatIVe fvrier 2016 n24

  • n24 fvrier 2016 La VIe assocIatIVe 33

    Une approche alternative de l'analyse d'impact

    des oUtils de mise en moUvement

    On ne peut s'engager dans un processus de changement sans avoir de cap. Pour aider les acteurs s'interroger sur leur vision d'un futur commun et sur leurs positions respectives, lassociation F3E a dvelopp un ensemble d'outils et de mthodes pour planifier, suivre et valuer des actions avec pour but final d'accompagner les processus de changement. Bruno de Reviers, charg de mission production et changes de connaissances au sein de F3E, en dtaille les grandes lignes.

    Vous avez engag il y a quelques annes une rflexion sur l'accompagnement des processus de changements complexes. Pourriez-vous nous en dire plus?

    Dans la dmarche que nous avons engage, il ne faut pas comprendre l'accompagnement du changement uni-quement comme l'volution des associations au niveau interne. L'objectif est de s'intresser d'abord aux volu-tions du contexte dans lequel s'insrent les associations, puis de voir dans quelle mesure celles-ci contribuent ces volutions, aux cts des autres parties prenantes sur les territoires. On dcale le regard en essayant de regar-der l'cosystme dans lequel se situent les associations, celles-ci n'tant qu'une pice du puzzle. Entre 2011 et 2013, dans le cadre de ses activits de recherche-action, le F3E a initi plusieurs rflexions collectives avec ses membres, puis constitu des groupes de travail autour de sujets divers : le renforcement des capacits, l'analyse de l'impact, les dynamiques pluri-acteurs, mais tous pr-sentaient une mme caractristique : celle de s'intresser avant tout des dynamiques trs qualitatives. Depuis des annes dj, l'essentiel de leur travail consiste accompagner de tels processus de changement, savoir des dynamiques d'acteurs sans lesquelles aucun dve-loppement n'est possible. Les rflexions de ces groupes de travail ont alors converg vers une attente commune : comment mieux planifier, suivre et valuer des inter-ventions visant accompagner ce type de processus ? En partant du constat que les outils mthodologiques clas-siques, en particulier les tudes d'impact, ne permettent que trs partiellement de rpondre cet enjeu, l'un des groupes de travail s'est pench sur des approches alter-natives dj dveloppes dans le monde anglo-saxon.

    Nous les avons analyses, confrontes la pratique de nos membres, ce qui nous a permis d'aboutir la pro-duction d'un guide Agir pour le changement (F3E-COTA, 2014).

    Avez-vous un exemple concret de dmarche engage sur ce sujet?

    Oui, partir de la production de ce guide et des attentes exprimes par les membres des diffrents groupes de travail, l'ide est ne de tester la dmarche. C'est dans ce contexte que le programme PRISME a t mis en place en 2014. 13 ONG et une collectivit ont t mobilises dans un projet, chacune avec leurs partenaires, pour tes-ter une approche oriente sur le changement. 15 expri-mentations ont ainsi t lances dans 10 pays diffrents

    et sur diverses thmatiques (gouvernance d'un service communal de l'eau, dveloppement local, renforcement des capacits d'un rseau). Ce programme a t conu en 3 volets : test de la mthode grandeur nature , capi-talisation collective, diffusion dans son organisation et dans le secteur. Le premier volet a dbut en juillet 2014 et s'est cltur en dcembre 2015, il a consist mettre en place un dispositif de planification et de suivi-valuation

    La culture de l'valuation n'est pas trs dveloppe en France par rapport au monde anglo-saxon.

  • orient sur le changement, sur chacun des 15 terrains d'exprimentation. Durant cette phase, un travail de capitalisation approfondi a t ralis sur la faon d'ani-mer les ateliers destins concevoir un tel dispositif, en fonction des diffrents contextes. La seconde phase du programme PRISME est prvue partir de 2016 sur une dure de 3 ans, pour accompagner la mise en uvre du suivi-valuation, et capitaliser sur les ajuste-ments qui seront oprs. Au lancement de la dmarche, l'enjeu tait d'valuer la qualit de l'action engage via le suivi-valuation, mais nous nous sommes rendus compte que l'une des plus-values ressortant fortement de cette premire phase tait de fdrer l'ensemble des acteurs impliqus dans un projet, autour de la dfinition de stratgies dpassant le cadre strict du projet. On se projette sur le long terme, sur une conception plus poli-tique, sur des valeurs communes, on fdre des acteurs autour d'une vision politique partage au-del du projet. Puis on travaille collectivement sur une rpartition des rles entre les diffrents acteurs, et des feuilles de route pour chacun vers la vision de long terme.

    De votre point de vue, pourquoi ce type d'outil n'est pas trs dvelopp en France, mais plutt dans les pays anglo-saxons?

    Difficile de rpondre cela. Nous avons constat que l'approche dveloppe en milieu francophone dans le cadre du PRISME mettait trs fortement en avant la volont de fdrer des acteurs autour d'une vision com-mune. L'approche anglo-saxonne dveloppe dans la littrature met da