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12-9-22 LACAN, AIMEE, JASPERS - EDUARDO MAHIEU - Cercle Henri Ey 1/15 eduardo.mahieu.free.fr/Cercle Ey/Seminaire/lacan-jaspers.htm , AIMEE, Eduardo Mahieu, 20 juin 2002 PROGRAMME DU SEMINAIRE PAGE D'ACCUEIL Notre séminaire s'est déroulé cette année sur la problématique du cas princeps. Cette histoire du cas princeps pourrait laisser penser à la rencontre occasionnelle et fulgurante entre deux sujets, le médecin et son patient, et puis que de cette rencontre jaillit le cas princeps comme le David jaillit du marbre brut de Michellange, éternel et atemporel. Il n'en est rien, pensons nous. Il n'y a pas de fumée sans feu. Pas de cas princeps sans théorie princeps, car comme Lacan le dit dans sa thèse: "C'est le postulat qui crée la science et la doctrine le fait". Le cas princeps se situe du côté du concret . Ce concret, dont la référence que nous prenons pour aborder la thèse de Lacan n'est pas gratuite. Elle est dans la thèse même, car Lacan avec Ey et peu d'autres, ont été les premiers à saisir ce qui, à travers l'œuvre de Georges Politzer, voulait dire psychologie concrète. Nous retrouvons les frémissements de cette psychologie concrète de Politzer jusque dans Encore... Lacan en a toujours poursuivi son projet. Alors qu'est-ce que ce concret dont le cas vient à être sa réalité? Ce n'est rien d'autre que le postulat matérialiste qui traverse l'œuvre de Lacan et qui prend ses sources chez Marx: "le concret est concret parce qu'il est la synthèse de nombreuses déterminations, donc unité de la diversité". Rien de mieux que cette phrase pour définir notre propos sur le cas princeps en psychiatrie, et sur les rapports qu'entretiennent le cas Aimée de Lacan et l'œuvre de Karl Jaspers. Car nous pensons qu'il existent des liens très étroits entre la construction du cas princeps d'Aimée et les notions élaborées par Jaspers quelques années auparavant. Passons alors au concret et tentons de démêler quelques unes de ces nombreuses déterminations, sans prétendre à aucune exhaustivité. Jean Allouch, Elizabeth Roudinesco, François Leguil, Georges Lantéri-Laura, Bertrand Ogilvie, des auteurs qui se sont penchés sur la problématique de la thèse de Lacan, sur les rapports avec ses inspirations doctrinales, sur la portée de la thèse et sa postérité dans la psychiatrie française, n'arrivent pas aux mêmes conclusions. Ils ne partent certes pas des mêmes prémisses. Ainsi Roudinesco, qui dans Histoire de la Psychanalyse en France réussit à parler de le Thèse de Lacan sans nommer Jaspers, elle évoque plutôt les noms de Kraepelin, Bleuler, Freud et donne une importance forte au nom de Georges Politzer, l'inventeur de la psychologie concrète. Tandis que Allouche, qui coïncide avec Roudinesco pour citer quelques noms, ajoute Jaspers mais ne dit pas un mot de Politzer! Leguil est lui attentif au liens entre Lacan et son ami Ey, et puis aussi entre Jaspers et Heidegger. Nous pourrions continuer cette liste, Claude, Clérambault, Kretschmer, etc., mais elle est très, très longue. Cette fois-ci, nous allons nous limiter aux liens entre Jaspers et Lacan, avant, pendant et après sa Thèse. Nous prendrons appui sur les travaux que nous venons de citer, mais notre hypothèse de base est quelque chose de son aventure jaspersienne a accompagné Lacan pendant une bonne période de son œuvre. LE CONTEXTE EPISTEMOLOGIQUE ALLEMAND Rentrons donc dans le sujet et prenons notre point de départ dans l'épistémologie allemande du 19ème siècle. A ce moment, la science en Allemagne est dominé par le serment physicaliste pour qui comprendre la nature c'est la comprendre en termes mécaniques. La plupart des physiologues de la puissante école allemande sont d'accord avec Helmholtz sur l'essentiel: le

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12-9-22 LACAN, AIMEE, JASPERS - EDUARDO MAHIEU - Cercle Henri Ey

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,

AIMEE,

Eduardo Mahieu, 20 juin 2002 PROGRAMME DU SEMINAIRE

PAGE D'ACCUEIL

Notre séminaire s'est déroulé cette année sur la problématique du cas princeps. Cette histoire ducas princeps pourrait laisser penser à la rencontre occasionnelle et fulgurante entre deux sujets,

le médecin et son patient, et puis que de cette rencontre jaillit le cas princeps comme le Davidjaillit du marbre brut de Michellange, éternel et atemporel. Il n'en est rien, pensons nous. Il n'y apas de fumée sans feu. Pas de cas princeps sans théorie princeps, car comme Lacan le dit danssa thèse: "C'est le postulat qui crée la science et la doctrine le fait".

Le cas princeps se situe du côté du concret. Ce concret, dont la référence que nous prenons pouraborder la thèse de Lacan n'est pas gratuite. Elle est dans la thèse même, car Lacan avec Ey etpeu d'autres, ont été les premiers à saisir ce qui, à travers l'œuvre de Georges Politzer, voulaitdire psychologie concrète. Nous retrouvons les frémissements de cette psychologie concrète dePolitzer jusque dans Encore... Lacan en a toujours poursuivi son projet.

Alors qu'est-ce que ce concret dont le cas vient à être sa réalité? Ce n'est rien d'autre que lepostulat matérialiste qui traverse l'œuvre de Lacan et qui prend ses sources chez Marx: "leconcret est concret parce qu'il est la synthèse de nombreuses déterminations, donc unité de ladiversité". Rien de mieux que cette phrase pour définir notre propos sur le cas princeps enpsychiatrie, et sur les rapports qu'entretiennent le cas Aimée de Lacan et l'œuvre de KarlJaspers. Car nous pensons qu'il existent des liens très étroits entre la construction du casprinceps d'Aimée et les notions élaborées par Jaspers quelques années auparavant.

Passons alors au concret et tentons de démêler quelques unes de ces nombreusesdéterminations, sans prétendre à aucune exhaustivité. Jean Allouch, Elizabeth Roudinesco,François Leguil, Georges Lantéri-Laura, Bertrand Ogilvie, des auteurs qui se sont penchés sur laproblématique de la thèse de Lacan, sur les rapports avec ses inspirations doctrinales, sur laportée de la thèse et sa postérité dans la psychiatrie française, n'arrivent pas aux mêmesconclusions. Ils ne partent certes pas des mêmes prémisses. Ainsi Roudinesco, qui dans Histoirede la Psychanalyse en France réussit à parler de le Thèse de Lacan sans nommer Jaspers, elleévoque plutôt les noms de Kraepelin, Bleuler, Freud et donne une importance forte au nom deGeorges Politzer, l'inventeur de la psychologie concrète. Tandis que Allouche, qui coïncide avecRoudinesco pour citer quelques noms, ajoute Jaspers mais ne dit pas un mot de Politzer! Leguilest lui attentif au liens entre Lacan et son ami Ey, et puis aussi entre Jaspers et Heidegger. Nouspourrions continuer cette liste, Claude, Clérambault, Kretschmer, etc., mais elle est très, trèslongue. Cette fois-ci, nous allons nous limiter aux liens entre Jaspers et Lacan, avant, pendant etaprès sa Thèse. Nous prendrons appui sur les travaux que nous venons de citer, mais notrehypothèse de base est quelque chose de son aventure jaspersienne a accompagné Lacan

pendant une bonne période de son œuvre.

LE CONTEXTE EPISTEMOLOGIQUE ALLEMAND

Rentrons donc dans le sujet et prenons notre point de départ dans l'épistémologie allemande du19ème siècle. A ce moment, la science en Allemagne est dominé par le serment physicalistepour qui comprendre la nature c'est la comprendre en termes mécaniques. La plupart desphysiologues de la puissante école allemande sont d'accord avec Helmholtz sur l'essentiel: le

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physiologues de la puissante école allemande sont d'accord avec Helmholtz sur l'essentiel: lefonctionnement physico-chimique de l'être vivant est soumis aux mêmes lois que la matièreinanimée, et doit être étudié dans les mêmes termes. En 1842, Du Bois-Reymond énonce sonserment : "Brücke et moi avions pris l'engagement solennel d'imposer cette vérité, à savoir que

seules les forces physiques et chimiques à l'exclusion de toute autre, agissent dans

l'organisme. Dans le cas que ces forces ne peuvent encore expliquer, il faut s'attacher àdécouvrir le mode spécifique ou la forme de leur action, en utilisant la méthode physico-

mathématique". C'est la charte commune des physiciens et physiologues qui se groupent en

1845 dans la Berliner Physikalische Gesellschaft. Le postulat pourrait être la cause à tout prix!Bien entendu, une cause physique. Mais d'un autre bord, celui des humanités, une réponse se fait

jour. Dans ce contexte, deux mot clés s'opposent: expliquer (erklären) et comprendre (verstehen).C'est Johann Gustav Droysen (1808-1884), l'un des rénovateurs de l'historiographie allemande

du 19ème siècle) qui introduit cette distinction dès 1854. Ce sont les historiens qui abordent lespremiers la question de l'herméneutique comme spécifiant un savoir propre, qui prolongeait unetradition qui elle-même s'alimentait dans l'herméneutique théologique du début du siècle avecSchleiermacher. Ce savoir est celui du sens, où la causalité physique n'a pas de place. Déjàavec Rickert et Windelband, se trouve tracée une délimitation déterminante entre "sciences de laculture" et "sciences de la nature", "sciences nomothétiques" et "sciences idiographiques". Vers

1883, au moment où Freud amorce sa pratique médicale, éclate le Methodenstreit (querelle desméthodes) concernant cette oppositions que Dilthey approfondit pour démarquer les "scienceshumaines" à la fois des positivistes, mais aussi avec toute philosophie de la nature. Sonprogramme est de se doter d'une méthode scientifique capable de fonder l'autonomie dessciences humaines, tour à tour, des sciences de la nature et de la métaphysique et lespiritualisme.

Méthodologiquement c'est l'Einfühlung qui lui permet d'avoir accès à ordre de connaissances.Einfühlung est l'intuition esthétique en tant que ressentiment d'un "voir" dans l'ordre du sentiment,et plus généralement c'est l'intuition vécue de ce qu'éprouve l'autre dans ses états affectifs.Connaissance par les causes et connaissances par le sens semblent donc s'excluremutuellement. C'est dans ce contexte épistémologique que Jaspers mûrit progressivement saPsychopathologie Générale.

L'HOMME, KARL JASPERS

Jaspers nous a laissé une autobiographie à tonalité plusintimiste et puis une autre plus philosophique. Dans le titrede la première s'entrevoit déjà que cette querelle entre lescauses et le sens traverse non seulement son œuvre, maisaussi sa vie: Entre voluntad y destino.Né le 23 février 1883

à Oldenburg, Allemagne, non loin de la mer du nord, il estfils d'un juriste et suit dès 1901 des études de Droit àHeidelberg. Le choix de sa carrière se voit déterminé parsa maladie d'enfance: Jaspers souffrait des stasesbronchiques et d'insuffisance cardiaque secondaire, etlorsqu'il était âgé de 18 ans il lit dans un traité de Virchowcomment le malade succombe à l'âge de 30 ans, suite àune suppuration générale.

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En 1902 Jaspers abandonne le Droit et commence ses études de médecine à Berlin, qu'il finit en1909 à Heidelberg en se spécialisant en psychiatrie. En l910 se marie avec Gertrud Mayer, choixqui va s'avérer lourd de conséquences pour sa destinée. Il commence à travailler commepsychiatre de 1908 à 1915 à la clinique psychiatrie d'Heidelberg comme "assistant bénévole ensciences", car sa santé lui interdit d'être titulaire. Il nous a laissé une description de ce mondepsychiatrique dans son Autobiographie Philosophique qui nous donne une idée de l'ambianceintellectuelle et scientifique dans laquelle il baignait. En 1909 soutient sa thèse de médecine

Heimweh und Verbrechen (Nostalgie et criminalité), et puis il prépare lentement autre travail dethèse plus ambitieux. Contraint à choisir entre quitter Heidelberg pour soutenir sa thèse auprèsde grands maîtres comme Kraepelin, ou bien rester à Heidelberg et soutenir sa thèse dans autrechamp du monde universitaire, il choisit cette dernière option. En 1913 il publie auprès de la

Faculté des lettres, en psychologie, l'Allgemeine Psychopathologie qui, ironie du destin, le ferabasculer du milieu médical au monde philosophique. Désormais il n'aura plus de contacts avec laclinique. Cependant la Psychopathologie Générale va marquer le milieu psychiatrique allemandet des auteurs comme Westertrep, Neisser et Kraepelin même accueillent ses idées et luidonnent suite. Ce texte sera fondateur de la dite école d'Heidelberg qui comptera parmi sesmembres illustres à rien de moins que Kurt Schneider.

A partir de 1921 il accède à la chaire de philosophie à l'Université d'Heidelberg, mais à partir de1933 et l'arrivée d'Hitler au pouvoir, Jaspers, dont sa femme est juive, est écarté de la directionde l'Université d'Heidelberg. En 1942 il obtient l'autorisation de quitter l'Allemagne avec lacondition de rendre sa femme aux autorités, ce qu'il refuse. Dans l'après guerre il veut participerde plein à la reconstruction de l'Université allemande. Mais les idées qu'il propose ne sont pasaccueillies sans réticences dans le monde universitaire, soucieux de tourner vite la page del'histoire. Ainsi, il propose la dénazification totale de l'université dans un texte Die Idee der

Universität. Puis il souhaite étendre la tâche à l'ensemble de la société et écrit La culpabilité

allemande. Mais en 1948, déçu par la nouvelle situation politique s'exile en Suisse où il continuel'enseignement et se montre toujours critique envers la construction de la RFA. Dans ce contexteen 1967 adopte la nationalité suisse et meurt en 1969 à Bâle.

LE CONTEXTE PSYCHIATRIQUE FRANCAIS D'APRES GUERRE

Que se passe-t-il en France après la publication de la Psychopathologie Générale? Lantéri-Lauranous présente le monde psychiatrique de l'entre deux guerres comme un univers teinté dexénophobie et antisémitisme. Les idées psychiatriques allemandes pâtissent de cettexénophobie.. Nous retrouvons cependant une opposition entre deux courants. Un courant issu dela psychiatrie classique du 19ème siècle, qui trouve ses représentants avec Clérambault,

Delmas, Georges Dumas, etc. Nous pourrions le définir comme le courant chauvin. Ils est partisande la notion de dégénérescence et des doctrines constitutionalistes plus ou moins organicistes etmécanicistes. L'autre, pourrait être incarné par Henri Claude. Ainsi, deux grands Maîtres de la psychiatriefrançaise se trouvent confrontés: Gaëtan Gatien de Clérambault à l'Infirmerie du Dépot et HenriClaude à Sainte Anne.

Chez ce dernier, bien plus ouvert aux tendances psychodynamiques en provenance de paysgermanophones, Autriche, Suisse, Allemagne, se forge progressivement ce que deviendra plustard la psychiatrie dynamique à la française. C'est dans son service - précédé par GeorgesHeuyer, certes - que les premiers psychanalystes mettent pied dans le monde psychiatrique.Sockolnicka, Lafforgue, Hesnard entre autres ouvriront le première consultation psychanalytiquedans un service de psychiatrie.

Claude accueille aussi les notionsbleulériennes concernant laschizophrénie et ouvre à EugèneMinkowski les portes deL'Encéphale pour expliquer aupublic français ces nouvellesconceptions. La phénoménologie

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conceptions. La phénoménologiese fraye un chemin et tout cegroupe, psychanalystes etphénoménologues formeront lenoyau de la Société de L'EvolutionPsychiatrique. La figure de Claudedevient tellement incontournabledans la scène française que mêmeFreud doit composer avec saprésence. "Front ignare et air buté",telle est la description que faitBreton de ce grand patron. C'estdans son service que futhospitalisée Nadja, l'héroïneschizophrène qui paye d'un granddélire dissociatif le regardémerveillé que le chef de files dusurréalisme jette sur elle. Parmi lajeune garde, dans son service fontses armes Henri Ey, JacquesLacan, Daniel Lagache, HenriEllemberger, etc.

RECEPTION DE L'ALLEGEMEINE PSYCHOPATHOLOGIE

Comment tout ce monde reçoit les idées de la Psychopathologie Générale? Il nous semblepouvoir dire que la thèse de Jacques Lacan constitue la première référence écrite à l'œuvre deJaspers de la part de la psychiatrie française. Entre 1913 et 1932, 19 ans se sont écoulés sans

que l'ouvrage de Jaspers n'ait la moindre répercussion en France. Même Eugène Minkowski n'en

fait aucune référence dans son ouvrage de 1927 La Schizophrénie. Comment peut s'expliquercet oubli? D'abord il y a eu la guerre. Et puis, après 1919 nous avons déjà dit avec quelle difficultéles notions allemandes - outre celles de kraepelin - trouvaient un écho en France. Et puis, nousavons vu qu'après 1913, Jaspers abandonne le champ de la psychopathologie pour se consacrerà celui de la philosophie. C'est donc sans surprise que nous voyons les milieu philosophique s'enfaire les premiers échos.

La traduction de la Psychopathologie Générale date de 1928, alors qu'elle était à sa troisièmeédition allemande. C'est le fait de deux personnages, A. Kastler et J. Mendousse.

Le premier, né en Alsace en 1902 alors que celle-ci est annexée par l'Allemagne. En 1921 ilrejoint les rangs de l'Ecole Normale Supérieure. Sont ses camarades de promotion, Paul Nizan,Jean Paul Sartre, entre autres (et pas des moindres Canguilhem Aron), mais aussi DanielLagache qui pourrait prétendre aussi au titre de premier - et dernier? - jaspersien de lapsychiatrie française.

Lagache va partager nombreux centre d'intérêt avec Lacan : lajalousie, la paranoïa, Jaspers, et aussi Aimée qu'il varencontrer à Sainte Anne à la même période que Lacan. PourKastler, la traduction de la Psychopathologie Générale relèvede l'accident de parcours, car par la suite il prendra la route dela recherche et en 1966 reçoit le Prix Nobel de physique. Lesplus importants et les plus nombreux des travaux d'AlfredKastler se rapportent à l'étude des interactions des radiationsélectromagnétiques (ondes hertziennes et ondes lumineuses)avec les atomes et les molécules qui constituent la matière.Entre comprendre et expliquer ce personnage brillant et

complexe choisit l'erklärung.

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complexe choisit l'erklärung.

Sartre et Paul Nizan supervisent la traduction. P. Nizan suivit la voie de la littérature et dumarxisme ce qui lui coûta la vie en 1940.

Nous ne pouvons faire autrement que supposer que Daniel Lagache eut été associé auxdiscussions pour cette traduction avec ses camarades de promotion. L'intérêt commun de seshommes pour le monde de la folie trouvait son centre de gravité dans la présentation de maladesde Georges Dumas, que ce groupe fréquentait en même temps que Lacan. De cette promotionde normaliens, Lagache sera le seul à suivre des études médicales, et lorsqu'il devient interne ilpassera aussi par le service de Henri Claude. C'est pendant son internat qu'il va rencontrerMargueritte, comme nous le rappelle Jean Allouch, plus tard célèbre en tant que l'Aimée deLacan. Elle se retrouve comme centre d'intérêt des deux seuls psychiatres ayant une bonneconnaissance de l'œuvre de Jaspers au moment où le livre vient de paraître en France!

LACAN, PREMIER JASPERSIEN DE FRANCE?

Si nous supposons à Lagache une bonne connaissance de Jaspers, ce n'est plus qu'unehypothèse vraisemblable. Lacan est le seul a nous laisser un témoignage écrit. Mais il s'agit d'unehistoire de nœuds, comme toute bonne histoire. Leguil, dans son bref mais très précieux travailsur les liens entre Lacan et Jaspers nous dit que l'empreinte de l'œuvre de Jaspers sur Lacan aété, le plus souvent sous-estimée. On ne dirait pas assez que les première réflexionspsychiatriques de Jacques Lacan doivent "tout ou presque" à la pensée de Jaspers. Mais Leguilsignale aussi les intrications et avatars entre la pensée de Ey et de Lacan autour de ce sujet.Lacan rend hommage dans sa thèse à un texte d'Henri Ey publié en 1932, centre sur laproblématique de la causalité en psychiatrie. Ce texte est "La notion d'automatisme enpsychiatre". Texte inventif qui anticipe selon Leguil de 30 ans les développements du séminaire

entre tuchè et automaton. Leguil a raison pour dire que ce texte n'est pas jaspersien car Ey dansce texte s'insurge contre l'organicisme que transporte la notion d'automatisme puisqu'il rate le faitpathologique en son essence: "ce qu'il y a au fond de la notion de psychisme c'est la signification,c'est une finalité, une intention". Par contre, la méthode analytique risquerait elle de manquer ladimension étiologique que seule sait offrir ce qui se présente comme une butée, une rupture dansla chaîne d'une finalité indéfinie du sens. Ey oppose donc la causalité mécanique àl'indétermination du sens.

Donc ni vertsehen ni erklärung. Mais il nerecourt pas à Jaspers. Ey tentera plus tardune solution avec la notion d'écart organo-clinique.Lacan lui répond dans la thèse"Nous tenons à souligner expressément surce fond doctrinal des deux séries causalespropres aux phénomènes psychogéniques,par où nous nous opposons au fauxparallélisme à la Taine, notre entier accordavec notre ami le docteur Henri Ey. Il aexprimé les mêmes vues dans un article sur"La notion d'automatisme en psychiatrie"[...]. Mais depuis longtemps dans nosentretiens avec lui nous avons trouvé lemeilleur appui et le meilleur contrôle d'unepensée qui se cherche: quelqu'un à quiparler". Mais il possède déjà la

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parler". Mais il possède déjà laconnaissance d'une doctrine qui luipermettra d'essayer une sortie à cetteaporie, et qui n'est pas la même que son

ami: les relations de compréhension.

Nous avons déjà signalé que hormis l'hypothèse d'une connaissance de la part de Lagache, nousn'avons pas rencontré dans le survol que nous avons fait de la littérature des références explicitesà Jaspers dans les travaux psychiatriques français de l'époque. Lacan serait le premier de tous.Et il l'est dans le tourbillon des deux années que suivent la publication de la traduction de laPsychopathologie Générale. Car, même dans les travaux de Lacan d'avant la thèse, nous netrouvons aucune référence à Jaspers. La rencontre semble avoir été fulgurante, tout autant que larencontre avec Aimée, car tout cela se passe a peu près dans le même temps. Tout au plus nouspouvons lire dans le texte qui précède de justesse la soutenance et la publication de la thèse, "La

structure des psychoses paranoïaques" un embryon de cette empreinte que Jaspers s'apprête àlaisser dans l'œuvre de Lacan, si nous suivons notre hypothèse. Lacan utilise la terme de"structure", terme qu'il emprunte à la phénoménologie de Minkowski, comme il le dira plu tarddans le compte rendu qu'il a écrit pour Le temps vécu, mais il va situer l'essence de cettestructure paranoïaque dans la discontinuité. Ceci lui semble le point de rupture avec les doctrinesconstitutionnalistes qui, du coup, son les plus psychogénétistes et idéalistes de toutes. Lacan n'endémordra jamais de son matérialisme affirmé à plusieurs reprises. Nous verrons quelle

importance croissante nous donnons dans notre travail à cette idée de discontinuité, au point quenous en ferons le mot clé des rapports de Lacan avec Jaspers après la thèse. Dans ce texte de1931, la notion de structure lui semble critique car on y saisit "la discontinuité d'avec lapsychologie normale, et la discontinuité entre eux, de ces états qu'avec les professeur Claude,qui les a de nouveau rapproché des états paranoïdes pour mieux les définir, nous désignons dunom de psychoses paranoïaques". Nous connaissons tous la réaction de Clérambault à lapublication de cet article, qui pourtant en note disait plus loin en référence à son Maître: "auquelnous devons autant tant en matière qu'en méthode, qu'il nous faudrait, pour ne point risquer d'êtreplagiaire, lui faire hommage de chacun de nos termes". Les deux hommages accolés dans lemême article, c'est trop!

Nous pouvons déjà à partir de là dire que Lacan est un homme infidèle, et que cela compteradans le mode avec lequel nous appréhenderons sa conversion jaspersienne. Roudinesco retracele parcours pour le moins éclectique de Lacan dans ces années là. Il fréquente la présentation demalades de Georges Dumas (à qui il dédie son article sur les sœurs Papin) reconnu comme unanti-freudien primaire, Gaëtan Gatien de Clérambault qui ignore tout de Freud, et Henri Claudedont nous avons déjà parlé et de qui Clérambault disait péjorativement qu'il tentait de se faire unnom avec deux prénoms...

Mais Lacan reste éclectique sur d'autres domaines. En 1929, il était l'amant de Marie-ThérèseBergerot, une veuve de quinze ans plus âgée que lui. Il vivait au rez-de-chaussée d'un immeublede la rue de la Pompe, dans le 16ème. Puis il tombe amoureux de la polonaise OlesiaSienkiewicz. La plupart du temps, Lacan dormait à l'hôpital où Olesia venait le rejoindre. C'estcette dernière qui dans son appartement de l'Ile Saint Louis tape à la machine la thèse de Lacanoù Lacan vient la rencontrer souvent. De son côté Marie Thérèse apporta une importantecontribution financière à l'impression du texte. Les deux se voient remerciés dans la thèse même:la dédicace à M.T.B. se voit suivie d'une citation en grec: "Je ne serais pas devenu ce que je suissans son assistance". Puis à la fin de l'introduction, Mme O.S. se voit remercié parmi ceux quil'ont aidé avec la part matérielle et ingrate de son travail. Autant d'aimées de Lacan... Cesaspects amusants n'ont rien d'anecdotique puisque nous pensons que Lacan est de la mêmefidélité envers les auteurs cités et qui guident sa pensée dans sa thèse: pour le moin multiples etdiverse. C'est ainsi que nous pensons les rapports qu'il va à entretenir avec les notions qui lesortiront de l'impasse et qui lui permettront de prendre quelques longueurs d'avance sur sescamarades. Ainsi, la question de savoir à quel moment de sa vie et de son œuvre Lacan quitteraJaspers, savoir s'il l'est toujours ou pas tout à fait nous paraissent relever du même type dequestionnement que de celui de savoir à qui de toutes ces femmes Lacan a été le plus fidèle:

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questionnement que de celui de savoir à qui de toutes ces femmes Lacan a été le plus fidèle:sans intérêt. Notre intérêt va plutôt se fixer sur cette empreinte dont parlait Leguil.

LA NOTION DE COMPREHENSION

La référence de Lacan à Jaspers, en tout cas, apparaît massive, et ce dès l'introduction à propos

des relations de compréhension: "où s'exprime la commune mesure des conduites humaines".Lacan prend le binôme jaspersien comprendre-expliquer comme une base méthodologique pourl'étude de sa thèse. A ce binôme se surajoute une triade développement-réaction-processus, des

concepts bien plus cliniques et qui entretiennent des rapports étroits avec les deux premiers.

Très rapidement, qu'est-ce qu'on entend par compréhension? Lantéri-Laura nous propose unedéfinition bien concise: "nous comprenons intuitivement de tels cas, dans la mesure où tout leurdéveloppement nous paraît aussi clair que le développement des sentiments humains habituels".C'est-à-dire là où notre identification affective (einfühlung) à l'autre nous permet de comprendreses sentiments. Nous sommes dans le domaine du développement, d'une certaine normalité, carnous vivons spontanément dans une compréhension interhumaine avant que nous construisons lamoindre réflexion sur son compte, car nous vivons dans un monde humain et nous nouons avecles autres des rapports, nous partageons des projets, nous nous parlons. Impossible d'yéchapper à la compréhension. C'est le propre d'un certain type de lien social, l'aliénation debase: "tu me comprends? Oui, je te comprends!". Cette notion se met en série donc avec celle de

développement, de continuité, de normalité. Evidemment cette notion c'est un leurre, mais unleurre bien réel. Comment ne pas être fou de la folie de tout le monde? Cela serait être fou par unautre tour de folie que de n'être pas fou de cette compréhensions, pourrions nous dire avecPascal.

Et bien, cette notion de compréhension et l'einfühlung qui l'accompagne reçoit déjà des réservesclaires et précises de la part de Lacan. Voyons cela de plus près: "En effet, dit Lacan, ces étatssuccessifs de la personnalité ne sont pas séparés par des ruptures pures et simples, mais leur

évolution, et les passages de l'un dans l'autre, sont pour nous observateurs, compréhensibles",mais il s'empresse d'ajouter "même si nous n'allons pas jusqu'à y participer affectivement". Etvers la fin de sa thèse : "Comprendre, nous entendons par là donner leur sens humain auxconduites que nous observons chez nos malades, aux phénomènes mentaux qu'ils nousprésentent. Certes, c'est là une méthode d'analyse qui est en elle trop tentante pour ne pointprésenter de graves dangers d'illusions. Mais qu'on sache bien que, si la méthode fait usage derapports significatifs [...] leur application à la détermination d'un fait donné peut être régie par des

critères purement objectifs, de nature à la garder de toute contamination par les illusions, ellesmêmes repérées, de la projection affective". Nous saisissons tout de suite la distance que prendLacan par rapport à cette notion de compréhension et en particulier à sa méthodologie:l'einfühlung, cette identification affective qui lui apparaît comme une illusion. D'autant plus que

lorsque nous lisons la définition de Jaspers elle apparaît comme fondamentale: "Compréhensionrationnelle et compréhension affective. La première n'est pas vraiment psychologique, mais

simple constatation des contenus rationnels que possède la pensée d'un individu, par exemplela compréhension des rapports logiques d'un système délirant. La compréhension affective est lavéritable compréhension de la vie psychique elle-même".

Lacan a sa propre définition des relations de compréhension: "Nous ne craindrons pas de nousconfier à certains rapports de compréhension, s'ils nous permettent de saisir une phénomènemental comme la psychose paranoïaque, qui se présente comme un tout, positif et organisé, etnon comme une succession de phénomènes mentaux élémentaires, issus des troublesdissociatifs". Compréhension qui ne correspond déjà plus tout à fait à sa définition jaspersienne.

LA NOTION DE PROCESSUS

Mais c'est surtout la notion de processus qui retiendra son attention. Cette notion qui introduit unefoncière discontinuité dans ces relations de compréhension. Lacan le dit sans ambages: "Leconcept majeur est celui de processus psychique". Car c'est avec ce concept qu'il comptes'opposer aux doctrines constitutionalistes et mécanicistes de ceux qui proposent undéveloppement de la personnalité à la Génil Perrin pour expliquer la paranoïa. C'est ce concept

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développement de la personnalité à la Génil Perrin pour expliquer la paranoïa. C'est ce conceptqui introduit la notion de discontinuité que Lacan signalait déjà dans son texte de 1931, et aussi

c'est ce concept avec lequel il va dépasser la dichotomie que lui propose Henri Ey en 1932.

Et fait le plus intéressant, ce concept Lacan va le chercher dans un texte de Jaspers qui date de1910 et c'est de là que proviendrons les plus longues citations de toute la thèse et non pas de laPsychopatholgie Générale! Ce texte, jamais traduit en français jusqu'à ce jour, est seulementaccessible par la traduction des paragraphes que Lacan fait pour la thèse. Il s'agit de"Eifersuchtswhan. Ein Beitrag zur Frage, Entiwiklung einer Parsönlichkeit oder Prozess?", publiédans Zeitschrift für die gesamte Neurologie und Psychiatrie, bd. I, 1910 (il existe une traduction àl'espagnol). Nous pourrions traduire son titre par "Délire de jalousie. Contribution au problème:développement d'une personnalité ou procès?". Lacan le traite dans le chapitre 4 de sa thèse,chapitre clé pour nos développements ici, et qui porte comme titre "Conceptions de la psychoseparanoïaque comme déterminée par un processus organique". Ce texte de Jaspers, ainsi que saPsychopathologie Générale eut un écho certain parmi les auteurs allemands que Lacan va citer,en commençant par Kraepelin lui même, mais aussi d'autres auteurs majeurs de la thèse:Westertrep, Neisser, et d'autres. Dans ce texte, Jaspers s'attache à saisir les différences entreprocessus et développement à partir de l'exemple de la jalousie. Mais, cette notion de processusprésente une grande difficulté: elle englobe des notions fort distinctes et pourtant tellement de foisconfondues: le processus physico-psychotique et le processus psychique. Nous voyons quecette confusion peut se renforcer ave l'intitulé du chapitre que donne Lacan. C'est surtout la notionde processus psychique qui va attirer toute l'attention de Lacan car il introduit une notion dediscontinuité sans faire référence à aucune étiologie organique, et puis il présente descaractéristiques cliniques facilement distinguables du processus physico-psychotique, termeavec lequel on désigne des troubles grossièrement organiques. Lacan rapporte le tableau deJaspers où il compare les caractéristiques cliniques du développement de la personnalité, leprocessus psychique et le processus physico-psychotique. Et il nous donne sa propre définitionde la chose: "Le processus psychique s'oppose directement au développement de la

personnalité, qui est toujours exprimable en relations de compréhension. Il introduit dans lapersonnalité un élément nouveau et hétérogène. A partir de l'introduction de cet élément, une

nouvelle synthèse mentale se forme, une nouvelle personnalité soumise de nouveau aux relationsde compréhension. Le processus psychique s'oppose ainsi par ailleurs au décours desprocessus organiques dont la base est une lésion cérébrale: ceux-ci en effet sont toujoursaccompagnés de désagrégation mentale". Les caractéristiques essentielles de ce processuspsychique Lacan les résume: un changement de la vie psychique, qui n'est accompagnéed'aucune désagrégation de la vie mentale. Il détermine une nouvelle vie psychique qui restepartiellement accessible à la compréhension normale et partiellement lui demeure impénétrable.Le point fort se trouve là: dans l'introduction de la discontinuité, que Lacan plus tard assimilera àla notion de cause, qui n'est pas causalité physique ou organique et qui n'est pasl'indétermination infinie du sens dont parlait Ey. Comme un cheval de Troie, cette discontinuité vaamener avec elle la notion de cause sur le terrain du sens, par le biais de la signification.

Mais voyons quelle est la définition de Jaspers dans laPsychopathologie Générale: "Quand, au milieu del'évolution naturelle de la vie, se produit un changementpsychique tout à fait nouveau, il se peut que l'on ait affaireà une phase. Mais si le changement est durable, lephénomène est appelé processus. [Il] s'oppose par uncaractère général aux processus cérébraux. Ce caractèreest un changement de la vie psychique qui n'est

accompagné d'aucune désagrégation de la vie mentaleet dans lequel entrent comme élément une foule de

relations compréhensibles. Nous ne connaissons pas lescauses d'un semblable processus. Alors que dans lesprocessus organiques, les phénomènes mentaux sont aupoint de vue psychologique dans une confusion complète,ici, au contraire, plus on approfondit le cas étudié, et pluson trouve de relations conscientes. [...] Dans les formes les

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on trouve de relations conscientes. [...] Dans les formes lesmoins graves, l'évolution du sujet se poursuit comme si àun moment donné se trouvait une discontinuité brusque dudéveloppement". Lacan trouve donc là de quoi réfléchir en

termes explicatifs, donc de cause, d'erklärung, sans avoirbesoin de se rabattre sur une causalité organique.

A quelles caractéristiques cliniques pouvons nous reconnaître donc ce processus? Lantéri-Laurasignale que nous nous heurtons en ce point à une discontinuité dans la biographie. Ce point, quenous verrons plus tard, Lacan le baptise de sa célèbre expression "point fécond" (1), quideviendra par la suite moment fécond. Cet échec de la compréhension ne peut s'expliquer quepar la mise en jeu d'un facteur hétérogène à la compréhension. Evidemment ce point est crucial,car l'hétérogénéité l'est pour la compréhension et non pour l'histoire du sujet. Lacan ne dit pasque ce processus soit indéterminée. Il est bel et bien déterminé, et c'est en faisant appel à lathéorie freudienne qu'il mettra au point sa théorie de la triple causalité, si bien analysée parBertrand Ogilvie: la cause occasionnelle constituée par le processus organique quoique non

spécifiques, la cause efficiente, soit celle qui détermine la structure et la permanence dessymptômes à reconnaître dans les conflits vitaux, et enfin la cause spécifique de la réaction de la

psychose. Alors, discontinuité et hétérogénéité, deux notions qui prenant leur origine dans leprocessus de Jaspers, reviendront tout au long de la pensée de Lacan pour évoquer la notion decause.

MOMENT FECOND, PHENOMENES ELEMENTAIRES

Comment ce processus, notion psychopathologique, se traduit cliniquement dans le langage dela psychiatrie? A quoi est-il identifiable ce processus psychique? A rien d'autre qu'à sadiscontinuité. Discontinuité du sens, dit Lantéri-Laura. Le processus est l'efficace de quelquechose qui est entièrement étranger à la compréhension. C'est un non-sens s'opposant à lacompréhension. L'essentiel du processus dépend de tout ce qui appartient au non-sens parrapport à la compréhension banale. Ce point et ses rapports à la signification étaient déjà fortbien précisés dans la Psychopathologie Générale lorsque Jaspers décrit ce qu'il appelle lesexpériences délirantes primaires. Ces problèmes méritent pour Jaspers la dénomination dedélire de signification, tant cet aspect caractérise ces phénomènes. Symptômes irréductibles àtoute compréhension, dit aussi primaires. Nous savons la fortune que ces conceptions deJaspers eurent dans la psychiatrie mondiale, principalement à partir des développements de sonélève Kurt Schneider et de l'impact des symptômes de premier rang dans les critères du DSM III.En France tout autre est leur destinée. D'un côté Henri Ey s'en servira dans ses travaux sur labouffée délirante aiguë et les rapports de la dissolution de la conscience face au récit délirant.

Inspiré par Westertrep, Lacan signale dans la thèse que notre interrogatoire devra, à partir decette notion de processus, s'attacher tout spécialement à préciser les expériences initiales quiont déterminé le délire: "On s'apercevra alors toujours qu'elles ont présenté tout d'abord uncaractère énigmatique". Puis de Neisser, il va retenir ce phénomène de surgissement d'une

signification personnelle dans ces moments féconds. Signification qui deviendra signification designification en 1946. Nous le voyons, le problème de la signification est au premier plan, et ill'est pour signaler son caractère de non-sens pour la compréhension, que ce soit celle dupsychiatre ou celle du patient. La perplexité de ce dernier est là pour le souligner. Lacan dit queloin de montrer un développement psychologique régulier, "cet examen leur révèle que lesmoments de l'évolution où se crée le délire, les points féconds de la psychose" constituent desmoments de discontinuité à l'image du processus organique.

Il est à noter que Lacan va y adjoindre la notion de Chaslin, la discordance, pour donner un autrecaractère clinique supplémentaire audit processus. Tout d'abord il établit les liens entre cetterupture des relations de compréhension et la discordance disant que sans cette nouvelle

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rupture des relations de compréhension et la discordance disant que sans cette nouvelleconception du trouble mental n'aurait pu être dégagée cette réalité clinique, la schizophrénie. Puis

il signale "Il est hors de doute qu'il existe des faits fréquents, où une poussée fugace desymptômes schizophréniques a précédé de quelques années l'apparition d'une psychoseparanoïaque qui s'établit et qui dure". Autrement dit, le processus représenta à minima ou àmaxima un phénomène de discordance dans ces relations de compréhension. "Il est évident qu'àmesure que les recherches progresseront vers des formes plus discordantes de la psychose, enpassant des formes paranoïaques aux formes paranoïdes, la compréhensibilité et la cohérenceconceptuelle, la communicabilité sociale de la psychose se révéleront de plus en plus réduites etdifficiles à saisir". Cette mise en série, cette continuité établie dans le champ clinique despsychoses à partir de la notion de processus et de son corollaire clinique, la discordance, lui seracritiqué par son ami Henri Ey, qui a été le premier à réagir aux doctrines exposés dans la thèsedans un compte-rendu écrit dans l'Encéphale, avant même sa publication: "Remarquonscependant que le mouvement amorcé par Lacan ne tendrait à rien de moins que de"paranoïdiser" la paranoïa, à faire de celle-ci un degré léger des formes paranoïdes. Peut être làun correctif devrait introduit à cette extension, qui restaurerait la dichotomie classique entre étatsparanoïaques et états paranoïdes".

Cette continuité dans la discontinuité est ce qui va lui permettre de mettre en série lesphénomènes élémentaires, ceux décrits par l'école allemande, et l'automatisme mental de sonmaître Clérambault, qui se trouvent abordés dans ce même chapitre 4 de ma thèse. Plus tard,dans le Séminaire sur Les psychoses il revient sur ce nœud. Entre temps, depuis 1946,Clérambault est devenu son "seul maître". Alors il peut dire: "Le mérite de Clérambault est d'en

avoir montré le caractère idéiquement neutre, ce qui veut dire dans son langage que c'est enpleine discordance avec les affections du sujet, qu'aucun mécanisme affectif ne suffit à l'expliquer,et dans le notre, que c'est structural". Ainsi de compréhension en processus et de déclenchementen phénomène élémentaire cette lignée se situera au centre des élaborations cliniqueslacaniennes. Nous souscrivons entièrement à l'analyse que fait François Sauvagnat surl'importance de cette question dans l'abord lacanien: "J. Lacan a donné à l'expression"phénomènes élémentaires" au moins trois connotations : 1) La possibilité d'isoler dessymptômes qui soient pathognomoniques, même s'ils sont éventuellement assez discrets. 2) Lamise en évidence de symptômes minimaux qui, d'une certaine façon, résument l'ensemble de laproblématique délirante ultérieure. 3) Ces symptômes minimaux seraient également capables dedonner des indications concernant les modes de stabilisations qui sont envisageables pour unpatient donné. Nous n'insisterons pas sur l'importance de cette problématique dans notre champ,puisqu'elle est fondatrice de la conception lacanienne du traitement des psychoses".

ACCUEIL DE LA THESE

Quel accueil reçut la thèse et ses nouveautés dans le milieu psychiatrique français? Tout d'abordc'est Henri Ey qui réagit à l'introduction de Jaspers dans la thèse. Nous avons déjà évoqué lecompte rendu qu'il rédige pour l'Encéphale où il note cet ordre de déterminisme introduit par lanotion de compréhension. Puis, c'est dans son livre Hallucinations et Délire publié en 1934 dansle chapitre sur La notion d'automatisme où il reprend et modifie son texte de 1932, qu'il ajoute en

note de bas de page sa lecture des relations de compréhension: "C'est croyons nous, le senspropre de la thèse de notre ami Jacques Lacan, La paranoïa dans ses rapports avec lapersonnalité qui a bien voulu affirmer de son côté la solidarité de nos conceptions". Retour de

gentillesse. Ensuite, Paul Guiraud écrit en 1933 un compte rendu dans les Annales médico-psychologiques, mais aucune référence aux notions jaspersiennes n'est relevé. Roudinesco noteavec raison, que le milieu psychiatrique français n'accuse pas réception des thèses introduitespar Lacan en 1932. C'est essentiellement dans le milieu surréaliste et marxiste que la thèsetrouve ses louanges. Des matérialistes inspirés de la psychologie concrète de Politzer accueillentdans leur sein la thèse de Lacan. Paul Nizan dans L'Humanité, Crevel dans Le suréalisme au

service de la révolution, Paul Eluard, etc. Consacré matérialiste dans un tel contexte, Lacaninfléchit sa terminologie et accentue le caractère politzérien de ses premières réflexions. Ce sera

visible dans l'article écrit dans le Minotaure sur le soeurs Papin et jusques y compris dans Lescomplexes familiaux, dont l'arrière plan du texte d'Engels L'origine de la famille, la propriété

privé et de l'état est palpable. Lacan parle alors de "révolution théorique", de "civilisation

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bourgeoise", de "superstructure idéologique", de "besoins" et d'"anthropologie". Désormais,Jaspers ne sera plus cité jusqu'aux années 50.

LA CRITIQUE DE LA COMPREHENSION

Dans les années 50 Lacan fera une critique très acerbe de la notion de compréhension. Nousavons déjà vu dans la thèse, que cette notion ce n'était pas ce qui retenait le plus son attention.Entre temps, Jaspers déjà philosophe existentialiste, commence une progressive controverseavec Heidegger, controverse que les années de nazisme et même l'après guerre ne cesseront decreuser. La pensée de Heidegger devient cependant de plus en plus influente, et Lacan n'yéchappera pas. Il y certainement des raisons propres à l'évolution de la pensée de Jaspers,comme l'indique François Leguil qui expliquent cet ostracisme lacanien, dont certainement lespositions très anti-freudiennes et anti-marxistes de ce dernier. En 1955, les références de Lacanà Jaspers seront extrêmement critiques et pour certaines trop acérées. Après 1953, Lacans'embarque avec Lagache et Dolto dans la formation de la Société Française de Psychanalyse.Mais Lagache, prenant de plus en plus inspiration sur les thèses de Jaspers, devient centre descritiques de Lacan, qui tient l'opposition compréhension-sens-liberté face au déterminisme de lacause comme une des raisons de la déviation postfreudienne de l'égopsychologie. Alors Lacanne veut certainement pas se voir confondu avec les thèses qu'avance Lagache. C'est lacompréhension qui sera au centre du débat, car l'opposition comprendre/expliquer a reprisbeaucoup de force dans les débats. Nous pouvons lire dans les Ecrits les expressions que Lacanutilisa pour s'y référer: "Néfaste antinomie de Jaspers", "Formes bâtardes", "catégorienauséeuse". Les attaques de Lacan à cette notion de la compréhension se portent à la limite del'invective et témoignent, pour Leguil, d'une sensibilité amère. La critique de Lacan "vise un auteurdont les positions et le niveau critique sont certes devenus plus obtus que détestables, mais elles'adresse à un homme qui, par sa vie, ne semble pas mériter tant d'indignité", se demandeLeguil. Alors, il livre une hypothèse intéressante: il se demande s'il n'y a pas chez Lacan "lorsqu'ilétrille Jaspers, comme une conjuration lancée vers lui même, vers le guide choisi pour sespremiers pas quand il était psychiatre". Lacan a tout lancé par la borde? Le philosophique est entrain de prendre le pas sur le clinique? Qu'en est-il devenu ce processus, le fleuron de sa thèse?

POSTERITE DU PROCESSUS PSYCHIQUE CHEZ LACAN

Nous pensons que cette notion de processus laisse sa trace dans les développements du Lacandes années 50. Prenons appui sur le travail que Lantéri-Laura consacre à cette pérennité de lanotion de processus dans l'œuvre de Lacan, pour soutenir notre hypothèse. Nous avons vucomment la notion de processus psychique, opposée à processus physico-psychotique,opposition que Lacan extrait de l'œuvre de Jaspers, garantissait l'existence de la catégorie de lacausalité, de l'hétérogène, sans nécessité de faire intervenir l'organique, tout en l'opposant à lacompréhension, elle aussi psychogenèse, mais psychogenèse génétique. Remarquons queLacan dans sa thèse n'utilise pas le terme psychogenèse, mais psychogénique, voulant parcette différence marquer des distinctions claires. Cette psychogénie est justement ce qui est liéau processus psychique. Elle reste dans le domaine de l'erklärung, face à celui du verstehen.Ceci est explicite en 1932. L'explication, la cause, est ce qui fait trou dans le sens de lacompréhension jaspersienne, et qu'il appelle le processus psychique, par lequel il marque sesdistances avec le processus physico-psychotique, autrement dit l'organicisme. La causalitéd'alors est versé au dossier des hypothèses freudiennes classiques: fixation, régression, etc.

En 1946, Lacan reprend le débat avec Henri Ey. Son texte s'appelle rien de moins que "Propossur la causalité psychique". Henri Ey construit sa notion d'écart organo-clinique avec laquelle iltente de sortir de la dichotomie jaspersienne comprendre-expliquer. Mais force est de constaterqu'Henri Ey garde la notion de psychogenèse dans son sens jaspersien de compréhension, c'està dire de sens indéterminé, de développement et de normalité, et qu'il rejette tout de même lacausalité de la folie dans une causalité organique. "Comment dès lors ne pas s'étonner que, ditLacan, si bien prévenu contre l'entraînement de fonder sur une hypothèse neurologique le "miragede l'hallucination conçue comme une sensation anormale", il s'empresse de fonder sur unehypothèse semblable ce qu'il appelle "l'erreur fondamentale" du délire, [...] il n'hésite pas à yplacer lui-même le phénomène de la croyance délirante, considérée comme phénomène dedéficit?". Il reprend à sa charge la tâche de faire ressortir la causalité essentielle de la folie, sans

tomber dans le mécanicisme partes extra partes. De nouveau Lacan convoque sa thèse, il s'en

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tomber dans le mécanicisme partes extra partes. De nouveau Lacan convoque sa thèse, il s'enremet aux phénomènes élémentaires et à l'automatisme mental de Clérambault, pour rappelerque l'essentiel dans ces phénomènes est le fait qu'ils visent personnellement le sujet, et quelorsque le sujet n'a plus moyen de les formuler, "sa perplexité nous manifeste encore en lui unebéance interrogative" Et s'il postule que la folie est vécue toute dans le registre du sens, c'estbien dans le non-sens de cette béance qui frappe le sujet où se manifeste la causalité essentiellede la folie. La discordance entre l'être et l'idéal qui caractérise la folie - nous voyons encore unefois apparaître le mot de Chaslin - est rejeté, existentialisme oblige, dans "une insondabledécision de l'être" reliant causalité et responsabilité. Et ce à partir des phénomènesélémentaires. Certes, cette présentation "élémentaire" de sa thèse choquait ceux quicomprenaient la psychogenèse dans son sens jarspersien de compréhension, car elle pouvait - eteffectivement elle a souvent été à tort comprise - être prise pour du mécanicisme. Lacan se doitalors de préciser ce point, et c'est pour nous dire que ce point de départ pris dans sa thèse n'apas été abandonné, mais au contraire, approfondi: "Certaines résistances que nous avons purencontrer à comprendre dans une thèse psychogénétique la présentation "élémentaire", de cesmoments, nous paraissent se résoudre actuellement dans l'approfondissement que cette thèse apris chez nous ultérieurement". La thèse dont Lacan fait référence, et qui était celle de sa Thèse,n'est rien d'autre que celle du processus psychique, approfondie et remanié, certes.

Pour marquer encore plus ces différences avec cette compréhension devenue presque synonymede psychogenèse, en 1956 Lacan dira pur et simplement que le secret de la psychanalyse estqu'il n'y a pas de psychogenèse. Encore une fois, il s'agit du tandem comprehension-développement-psychogenèse héritée de Jaspers: "Le progrès majeur de la psychiatrie depuisl'introduction de ce mouvement d'investigation qui s'appelle la psychanalyse, a consisté, croit-on,a restituer le sens dans la chaîne des phénomènes. Cela n'est pas faux en soi. Mais ce qui est

faux, c'est de s'imaginer que le sens dont il s'agit, c'est ce qui se comprend". Il s'agit toujours derestituer un sens, mais l'essentiel de l'opération tient à séparer cette restitution du sens de lacompréhension.

C'est dans ces années que Lacan va à conceptualiser sa notion de forclusion. Et cette forclusionn'est rien d'autre que la discontinuité dans le registre symbolique de la signification paternelle.Les métaphores de discontinuité, de la chaîne signifiante, ou au contraire du déchaînement del'imaginaire, du trou, du vide de signification, nous rapprochent toujours de la notion de processuspsychique et de cette idée centrale de discontinuité qui suit comme un fil rouge depuis son textede 1931, et dont certainement l'inspiration qui provient du texte de Jaspers n'est pas oubliée.

Au contraire, elle est tellement présente, que lorsque Lacanen 1958 écrit sa Question préliminaire se voit obligé de sedémarquer nettement de Jaspers. A partir du célèbreexemple de la patiente qui entend le "Truie!" Lacan affirmeque pour que l'hallucination auditive fasse irruption dans leréel, il suffit qu'elle se présente comme il est habituel, sous laforme de la chaîne brisée. Cette relation entre le sujet et lesignifiant se rencontre dès l'aspect des phénomènes. Cedépart du concret, du phénomène dit Lacan, convenablementpoursuivi, retrouverait toujours ce point, comme ce fut le caspour lui dans sa thèse. Et ici, il affirme: "Nulle part en effet laconception fallacieuse d'un processus psychique au sens deJaspers, dont le symptôme ne serait que l'indice, n'est plushors de propos que dans l'abord de la psychose, parce quenulle part le symptôme, si on sait le lire, n'est plus clairementarticulé dans la structure elle-même". Si nos arrêtons notrecitation ici, nous pourrions dire, c'en est fini de Jaspers et dubien-aimé processus. Nous avons fait fausse route.

Mais reprenons la citation jusqu'au bout, et gardons en tête l'hypothèse de Leguil. Et s'il ne s'agitpas d'autre chose que d'une dénégation? "Ce qui nous imposera de définir ce processus par lesdéterminants les plus radicaux de la relation de l'homme au signifiant". Et puis, qu'est ce que la

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déterminants les plus radicaux de la relation de l'homme au signifiant". Et puis, qu'est ce que ladénégation sinon la négation de la négation? L'aufhebung hégélienne, "Aufheben" qui, comme ledit Hegel, a dans la langue deux sens: "garder", "conserver", et en même temps "faire cesser","mettre fin à...".

RSI EN DEBAT

Dans les années 70, Lacan inaugure une autre clinique de la psychose, celle des nœudsborroméens et des suppléances. Il s'agit d'un outil clinique plus apte à saisir la continuité dans lastructure psychotique, que la discontinuité du modèle des années 50. Le paradigme n'est plusSchreber, mais Joyce. Pour Allouch cela signe une rupture complète avec la notion de processus.Cependant François Sauvagnat postule que Lacan élabore ce modèle justement pour mieuxrendre compte de ce phénomène élémentaire central de la schizophrénie, la discordance deChaslin, et que nous l'avons vu, Lacan mettait en première loge dans cette histoire des liens entrele processus de Jaspers et les phénomènes élémentaires. Mais ici, c'est un tout autre débat qui

s'ouvre. Continuité, discontinuité ou aufhebung, c'est-à-dire continuité dans la discontinuité?

Quoi qu'il en soit, il est possible de faire une lecture des notions lacaniennes de la psychose,

prenant comme point de référence la notion de processus de Karl Jaspers, ce qui était notrepropos du début. Le cas princeps d'Aimée permit cette rencontre, mais, en outre à travers elle, lapsychiatrie française rencontra au début des années '30 les thèses de Jaspers. Nous sommestout à fait dans la veine de ce que nous proposait Thierry Trémine pour cet année: "le casprinceps est d’abord celui qui inaugure une nouvelle manière de décrire, de comprendre".Jaspers était déjà là.

TABLEAU 1

VERSTEHEN

COMPRENDREVS.

ERKLARUNGEXPLIQUER

Le sens

L'Einfühlung L'homogène La continuité

DILTHEY

JASPERS

Les causes L'hétérogène

La discontinuité

DEVELOPPEMENT VS. PROCESSUS

LACAN

PROCESSUS PSYCHIQUE

PROCESSUS

VS. PHYSICO-

PSYCHOTIQUE

Liberté

Forclusion

Déclenchement

Phénomènes

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Normalité

Névrose

Phénomènesélémentaires

Moment fécond

LA CAUSALITEPSYCHIQUE

Organisme

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NOTE Il est amusant de voir que sur ce point la notion de fidélité se retrouve encore une fois

nouée à cette histoire. En 1932 Lacan parle de "point fécond". Le premier à reprendre à

son compte cette expression, moment fécond, est Henri Ey en 1946, dans un texte écriten espagnol, et il l'attribue sans ambiguïtés à Lacan. Puis en cette même année 1946 à

Bonneval, Lacan, reprend cette notion "qu'on veut bien m'attribuer", pour parler

probablement de Ey. Dans son séminiare sur Les psychoses, en 1956, il dit d'abord "il

me semble, mais je ne suis pas sûr" que c'est une expression bien à lui. Mais Ey, en 1973en note de bas de page de son Traité des Hallucinations dira de cette notion qu'il ne

peux pas s'assurer qu'elle ne leur soit pas commune...

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