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126 Ann. Endocrinol., 2005 ; 66, 2 : 126-128 © Masson, Paris, 2005 SIXIÈMES RENCONTRES NATIONALES DES INTERNES EN ENDOCRINOLOGIE L’AMP KINASE (AMP-ACTIVATED PROTEIN KINASE) Emmanuelle Lecornet-Sokol Hôpital Cochin-Saint Vincent de Paul, Paris. D’après les communications de F. Foufelle, F. Andreelli et G.A. Rutter lors du « Forum fondamental » animé par R. Burcelin — Congrès annuel de l’ALFEDIAM, « Diabète-Nice 2004 », 23-27 mars 2004. RÔLES MÉTABOLIQUES DE L’AMP KINASE (F. FOUFELLE, PARIS) Toute cellule doit continuellement maintenir un taux élevé d’ATP/ADP pour survivre. L’élévation du taux AMP/ATP signifie que le statut énergétique de la cellule est compromis : une cascade de kinases va être activée sous l’initiative de l’AMP-activated protein kinase (AMPK). Décrite pour la première fois en 1973, l’AMPK est un complexe hétéromérique composé d’une sous-unité cataly- tique α et de deux sous-unités régulatrices : β (qui contient un site de liaison au glycogène) et γ . On décrit deux iso- formes de la sous-unité alpha : α 1 est présent dans le tissu adipeux et le foie ; α 2 dans le muscle et le foie. L’hypoxie, la contraction musculaire, le stress cellulaire, entraînent l’élévation du taux d’AMP. La fixation de l’AMP sur l’AMPK entraîne son activation par sa phos- phorylation par une autre kinase appelée AMPK kinase ou LKB1. L’AMPK kinase est constitutionnellement active et joue un rôle dans d’autres voies métaboliques [9]. La mutation de son gène est responsable du syndrome de Peutz-Jeghers, associé à des polypes cutanéo-muqueux, des hamartomes intestinaux et des tumeurs multiples. L’AMPK active une cascade de voies métaboliques : — augmentation du transport de glucose dans les cel- lules musculaires par le biais de NOS et par l’augmenta- tion de l’expression du gène GLUT4 [6, 12]. — augmentation de l’oxydation des acides gras au ni- veau musculaire et hépatique, en inhibant l’action du malonyl-coA qui empêche la pénétration de l’acyl-coA dans la mitochondrie. — inhibition de la production hépatique de glucose, par des voies mal connues : in vitro, une action sur la PEPC kinase a pu être décrite [14]. Certaines études sur les cellules musculaires du rat et de l’homme ont montré que l’AMPK est activée par la metformine et par l’adiponectine [4, 10, 13]. APPORT DES MODÈLES ANIMAUX (F. ANDREELLI, PARIS) Chez le rat sauvage et chez le rat obèse Zucker où il existe une insulino-résistance, la perfusion d’AICAR (5- aminoimidazole-4-carboxamide-1-β-D-ribufuranoside), agent pharmacologique stimulant l’AMPK, augmente le transport de glucose musculaire et diminue la produc- tion hépatique de glucose [14-16]. Zhou et al. ont observé chez des rats traités par met- formine que l’augmentation du transport de glucose est corrélée à l’activation de l’AMPK, tandis que l’expression de SREBP-1 et d’autres enzymes de la lipogenèse est in- hibée [10]. La diminution de l’activité de l’AMPK dans des cellules musculaires de souris entraîne une diminution du trans- port cellulaire de glucose, de la synthèse de glycogène et de la resynthèse post-exercice, sans altération de la signalisation de l’insuline [17, 18]. Des modèles de souris transgéniques surexprimant le gène de l’AMPK, ont développé des anomalies muscu- laires cardiaques, de type syndrome de Wolff-Parkinson- White [19]. Afin d’étudier les rôles des 2 isoformes α 1 et α 2, des modèles de souris KO (invalidation totale du gène codant la sous-unité catalytique) ont été créés. Les mo- dèles de souris KO-α 1 ont des glycémies à jeun et post- prandiales normales, tout comme leur tolérance au glucose et leur insulinémie. Les souris KO-α 2 ont des glycémies post-prandiales élevées, une intolérance au glucose et une carence insulinique, Viollet et al. ont re- trouvé que cette insulinorésistance est associée à une altération de la synthèse du glycogène musculaire [21]. Certaines équipes ont effectué le KO-α 2 dans l’hypo- thalamus : on observe une diminution de la synthèse de glycogène musculaire et de la synthèse d’insuline, la stimulation de l’AMPK intra-cérébrale aurait un rôle majeur dans le contrôle du métabolisme périphérique [20, 21]. Il semble que la sous-unité α 2 de l’AMPK soit activée non seulement par la metformine et AICAR, mais également par la leptine et l’adiponectine. RÔLE DE L’AMPK DANS LES CELLULES BÊTA DES ÎLOTS DE LANGERHANS (G.A. RUTTER, BRISTOL, UK) L’activité de l’insuline est inversement corrélée à l’activité de l’AMPK : l’inhibition de l’AMPK par le glucose est essentielle pour l’activation de la sécrétion d’insuline par le glucose, elle pourrait contribuer à la régulation de l’ex- pression du gène de la pré-proinsuline [23]. La surexpres-

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Page 1: L’amp kinase (amp-activated protein kinase)

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Ann. Endocrinol., 2005 ; 66, 2 : 126-128 © Masson, Paris, 2005

SIXIÈMES RENCONTRES NATIONALESDES INTERNES EN ENDOCRINOLOGIE

L’AMP KINASE (AMP-ACTIVATED PROTEIN KINASE)

Emmanuelle Lecornet-Sokol

Hôpital Cochin-Saint Vincent de Paul, Paris.

D’après les communications de F. Foufelle, F. Andreelli et G.A. Rutter lors du « Forum fondamental » animé par R. Burcelin — Congrèsannuel de l’ALFEDIAM, « Diabète-Nice 2004 », 23-27 mars 2004.

RÔLES MÉTABOLIQUES DE L’AMP KINASE(F. FOUFELLE, PARIS)

Toute cellule doit continuellement maintenir un tauxélevé d’ATP/ADP pour survivre. L’élévation du tauxAMP/ATP signifie que le statut énergétique de la celluleest compromis : une cascade de kinases va être activéesous l’initiative de l’AMP-activated protein kinase (AMPK).

Décrite pour la première fois en 1973, l’AMPK est uncomplexe hétéromérique composé d’une sous-unité cataly-tique α et de deux sous-unités régulatrices : β (qui contientun site de liaison au glycogène) et γ. On décrit deux iso-formes de la sous-unité alpha : α 1 est présent dans letissu adipeux et le foie ; α 2 dans le muscle et le foie.

L’hypoxie, la contraction musculaire, le stress cellulaire,entraînent l’élévation du taux d’AMP. La fixation del’AMP sur l’AMPK entraîne son activation par sa phos-phorylation par une autre kinase appelée AMPK kinaseou LKB1. L’AMPK kinase est constitutionnellement activeet joue un rôle dans d’autres voies métaboliques [9]. Lamutation de son gène est responsable du syndrome dePeutz-Jeghers, associé à des polypes cutanéo-muqueux,des hamartomes intestinaux et des tumeurs multiples.

L’AMPK active une cascade de voies métaboliques :— augmentation du transport de glucose dans les cel-lules musculaires par le biais de NOS et par l’augmenta-tion de l’expression du gène GLUT4 [6, 12].— augmentation de l’oxydation des acides gras au ni-veau musculaire et hépatique, en inhibant l’action dumalonyl-coA qui empêche la pénétration de l’acyl-coAdans la mitochondrie.— inhibition de la production hépatique de glucose,par des voies mal connues : in vitro, une action sur laPEPC kinase a pu être décrite [14].

Certaines études sur les cellules musculaires du rat etde l’homme ont montré que l’AMPK est activée par lametformine et par l’adiponectine [4, 10, 13].

APPORT DES MODÈLES ANIMAUX (F. ANDREELLI, PARIS)

Chez le rat sauvage et chez le rat obèse Zucker où ilexiste une insulino-résistance, la perfusion d’AICAR (5-aminoimidazole-4-carboxamide-1-β-D-ribufuranoside),

agent pharmacologique stimulant l’AMPK, augmente letransport de glucose musculaire et diminue la produc-tion hépatique de glucose [14-16].

Zhou et al. ont observé chez des rats traités par met-formine que l’augmentation du transport de glucose estcorrélée à l’activation de l’AMPK, tandis que l’expressionde SREBP-1 et d’autres enzymes de la lipogenèse est in-hibée [10].

La diminution de l’activité de l’AMPK dans des cellulesmusculaires de souris entraîne une diminution du trans-port cellulaire de glucose, de la synthèse de glycogèneet de la resynthèse post-exercice, sans altération de lasignalisation de l’insuline [17, 18].

Des modèles de souris transgéniques surexprimant legène de l’AMPK, ont développé des anomalies muscu-laires cardiaques, de type syndrome de Wolff-Parkinson-White [19].

Afin d’étudier les rôles des 2 isoformes α 1 et α 2,des modèles de souris KO (invalidation totale du gènecodant la sous-unité catalytique) ont été créés. Les mo-dèles de souris KO-α1 ont des glycémies à jeun et post-prandiales normales, tout comme leur tolérance auglucose et leur insulinémie. Les souris KO-α 2 ont desglycémies post-prandiales élevées, une intolérance auglucose et une carence insulinique, Viollet et al. ont re-trouvé que cette insulinorésistance est associée à unealtération de la synthèse du glycogène musculaire [21].Certaines équipes ont effectué le KO-α 2 dans l’hypo-thalamus : on observe une diminution de la synthèsede glycogène musculaire et de la synthèse d’insuline, lastimulation de l’AMPK intra-cérébrale aurait un rôlemajeur dans le contrôle du métabolisme périphérique[20, 21]. Il semble que la sous-unité α 2 de l’AMPK soitactivée non seulement par la metformine et AICAR,mais également par la leptine et l’adiponectine.

RÔLE DE L’AMPK DANS LES CELLULES BÊTA DES ÎLOTS DE LANGERHANS (G.A. RUTTER, BRISTOL, UK)

L’activité de l’insuline est inversement corrélée à l’activitéde l’AMPK : l’inhibition de l’AMPK par le glucose estessentielle pour l’activation de la sécrétion d’insuline parle glucose, elle pourrait contribuer à la régulation de l’ex-pression du gène de la pré-proinsuline [23]. La surexpres-

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sion de l’AMPK diminue les mouvements des vésiculesinduits par le glucose, le nombre de vésicules accolées àla membrane, l’inhibition des tubulines se fait par l’inter-médiaire des modifications des concentrations de calciumintra-cytoplasmique [22].

Selon Leclerc et al., au niveau de la cellule pancréati-que MIN6 de souris et de l’homme, la metformine ré-gule l’activité de l’AMPK, en la stimulant, elle diminuela sécrétion d’insuline [24].

RÔLE DE L’AMP KINASE HÉPATIQUE(F. ANDREELLI, PARIS)

Afin d’étudier le rôle de l’AMPK au niveau hépatique,des modèles de souris avec délétion spécifique d’organeont été créés par F. Andreelli et son groupe. Quatre gé-notypes ont ainsi été étudiés en parallèle, par une explo-ration métabolique in vivo :— souris contrôles α 1+/+, α 2+/+ : sensibilité à l’insulinenormale ;— souris α 1–/– : élévation de la sensibilité à l’insuline(diminution de l’insulinémie à jeun, amélioration de lasensibilité au glucose, diminution des acides gras libreset des triglycérides) ;— souris α 2hép–/– : insulinorésistance (augmentationde l’insulinémie à jeun, intolérance au glucose, augmen-tation des acides gras libres et des triglycérides) par aug-mentation de la production hépatique de glucose, maisla sensibilité hépatique de l’insuline est normale ;— souris α 1α 2hép–/– : sensibilité à l’insuline normale,taux d’acides gras libres et de triglycérides normaux.

Deux hypothèses peuvent expliquer ce dernier phéno-type : soit, il existe une balance régulant les isoformes α1 etα2 au niveau hépatique, soit la délétion α1 entraîne des ef-fets extra-hépatiques qui vont améliorer l’action hépatiquede α2.

CONCLUSION

Les voies métaboliques où intervient l’AMPK pourraientdevenir de nouvelles cibles pharmacologiques dans letraitement du diabète.

RÉFÉRENCES

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