l’observatoire de la fashiontech...1 l’observatoire de la fashiontech i la mode et le luxe ont...

4
1 L’OBSERVATOIRE DE LA FASHIONTECH i la mode et le luxe ont toujours cultivé une réputation de maisons traditionnelles dotées d’une forte culture d’entreprise, ce n’est pas pour autant que ces mêmes mai- sons ne s’ouvrent pas aux jeunes pousses. Dans les années 2000, le groupe Pinault mettait la main sur Alexander McQueen et Stella McCartney, des griffes qui, dix ans plus tard, ont chacune dépassé la cen- taine de millions d’euros de chiffre d’affaires et sont désormais rentables. En 2013, les médias se faisaient l’écho de la course au rachat de startups entre LVMH et Kering, les deux géants français du luxe. A l’époque, le premier était entré au capital du coutu- rier français Maxime Simoëns puis dans celui du créateur britannique de chaussures haut de gamme Nicholas Kirkwood. Dans le même temps, le second annonçait des prises de participation dans les marques de l’Ecossais Christopher Kane et de l’Amé- ricain Altuzarra, les deux créateurs ayant pour point commun d’avoir moins de trente ans. Cette capacité de jeunes entreprises à séduire les grandes marques se retrouve-t-elle au niveau non plus de la création mais de la fabrication ? Les enseignes de la mode et du luxe semblent moins enclines à investir dans ces très nombreuses star- tups qui veulent révolutionner le textile ou la conception. Il existe en fait une certaine méfiance vis-à-vis de ces nouveaux acteurs, une méfiance par- ticulièrement prégnante dans ce secteur, et particulièrement en France, mais qu’il convient de dépasser au plus vite. La fashion tech, délaissée par les grands groupes de la mode et du luxe ? Alors que les jeunes créateurs demeurent un mar- ché attractif, les startups de la fashion tech semblent moins attirer les grands groupes de la mode et du luxe. Au regard des Simoëns, Kane et Altuzarra, com- bien de jeunes entreprises technologiques parviennent-elles elles aussi à se rattacher à un grand groupe et ainsi, selon l’expression du numéro deux de Louis Vuitton, au moment du rachat de Kirkwood, de «repousser encore davantage les fron- tières de la créativité» ? Pourtant, les outils numériques et les nouveaux textiles se diffusent par- tout dans les vêtements, les accessoires et les magasins : ces solutions ont besoin d’être testées à grande échelle par les nouveaux acteurs qui les développent, tandis que les acteurs établis ont, eux, besoin de développer rapidement et efficacement des programmes innovants pour rester dans la course. Mais un blocage demeure pour ce qui concerne la fabrication : de façon archétypale, la plateforme de e-commerce Asos – toute jeune qu’elle soit – a précisé, lors de l’ouverture de son accélérateur, ne pas être intéressée par «la wearable tech, le fashion design ou l’impression 3D». Les incubateurs demeurent cependant le principal point de rencontre entre startups et grands groupes dans la mode et le luxe. Ces dernières années, les marques de vêtement ont multiplié les initiatives dans ce domaine. Les pépinières d’entreprise s’ouvrent pour les créateurs, les commerçants tout comme pour la manufacture. Avec TechStars, Le mot d’open innovation est à la mode pour tout le monde… sauf pour la mode ! Derrière ce concept théorisé par Henry Chesbrough, il y a l’idée que les entreprises gagnent à ouvrir leur R&D à de nouveaux acteurs qui leur apporteront une vision et une fraîcheur qu’elles ne peuvent avoir en interne. Dès lors, les grands groupes multiplient les partenariats avec des startups. Mais dans notre secteur pourtant riche en grands groupes et en startups, rares sont ceux qui franchissent le pas : avec «Look Forward», Showroomprivé est une exception plutôt que la norme – et encore de la part d’un grand groupe à peine âgé de dix ans… L’aléa créatif fait peur aux financiers, comme l’explique Isabelle Ginestet-Naudin pour Bpifrance, mais la même crainte se retrouve concernant les innovations technologiques dans les textiles. La France de la mode et du luxe doit surmonter ces réticences au plus vite, car nos voisins ne nous attendront pas ! GRAND ANGLE ÉDITO «Pour s'adapter le plus rapidement possible à un monde en mouvement, les grosses sociétés du secteur doivent travailler avec des startups.» MODE ET LUXE : LES GRANDS GROUPES ONT-ILS PEUR DES STARTUPS ? «Startups et grands groupes : un échange gagnant-gagnant» Chantal Fouqué, Directrice de La Fabrique N°3 - Juillet 2016 Regards sur les tendances technos de la mode et de la décoration S

Upload: others

Post on 06-Jun-2020

2 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

1

L’OBSERVATOIREDE LA FASHIONTECH

i la mode et le luxe ont toujours cultivé une réputation de maisons traditionnelles dotées d’une forte culture d’entreprise, ce n’est pas pour autant que ces mêmes mai-

sons ne s’ouvrent pas aux jeunes pousses. Dans les années 2000, le groupe Pinault mettait la main sur Alexander McQueen et Stella McCartney, des griffes qui, dix ans plus tard, ont chacune dépassé la cen-taine de millions d’euros de chiffre d’affaires et sont désormais rentables. En 2013, les médias se faisaient l’écho de la course au rachat de startups entre LVMH et Kering, les deux géants français du luxe. A l’époque, le premier était entré au capital du coutu-rier français Maxime Simoëns puis dans celui du créateur britannique de chaussures haut de gamme Nicholas Kirkwood. Dans le même temps, le second annonçait des prises de participation dans les marques de l’Ecossais Christopher Kane et de l’Amé-ricain Altuzarra, les deux créateurs ayant pour point commun d’avoir moins de trente ans.Cette capacité de jeunes entreprises à séduire les grandes marques se retrouve-t-elle au niveau non plus de la création mais de la fabrication ? Les enseignes de la mode et du luxe semblent moins enclines à investir dans ces très nombreuses star-tups qui veulent révolutionner le textile ou la conception. Il existe en fait une certaine méfiance

vis-à-vis de ces nouveaux acteurs, une méfiance par-ticulièrement prégnante dans ce secteur, et particulièrement en France, mais qu’il convient de dépasser au plus vite.

La fashion tech, délaissée par les grands groupes de la mode et du luxe ?

Alors que les jeunes créateurs demeurent un mar-ché attractif, les startups de la fashion tech semblent moins attirer les grands groupes de la mode et du luxe. Au regard des Simoëns, Kane et Altuzarra, com-bien de jeunes entreprises technologiques parviennent-elles elles aussi à se rattacher à un grand groupe et ainsi, selon l’expression du numéro deux de Louis Vuitton, au moment du rachat de Kirkwood, de «repousser encore davantage les fron-tières de la créativité»  ? Pourtant, les outils numériques et les nouveaux textiles se diffusent par-tout dans les vêtements, les accessoires et les magasins : ces solutions ont besoin d’être testées à grande échelle par les nouveaux acteurs qui les développent, tandis que les acteurs établis ont, eux, besoin de développer rapidement et efficacement des programmes innovants pour rester dans la course. Mais un blocage demeure pour ce qui concerne la fabrication : de façon archétypale, la plateforme de e-commerce Asos – toute jeune qu’elle soit – a précisé, lors de l’ouverture de son accélérateur, ne pas être intéressée par «la wearable tech, le fashion design ou l’impression 3D».Les incubateurs demeurent cependant le principal point de rencontre entre startups et grands groupes dans la mode et le luxe. Ces dernières années, les marques de vêtement ont multiplié les initiatives dans ce domaine. Les pépinières d’entreprise s’ouvrent pour les créateurs, les commerçants tout comme pour la manufacture. Avec TechStars,

Le mot d’open innovation est à la mode pour tout le monde… sauf pour la mode ! Derrière ce concept théorisé par Henry Chesbrough, il y a l’idée que les entreprises gagnent à ouvrir leur R&D à de nouveaux acteurs qui leur apporteront une vision et une fraîcheur qu’elles ne peuvent avoir en interne. Dès lors, les grands groupes multiplient les partenariats avec des startups. Mais dans notre secteur pourtant riche en grands groupes et en startups, rares sont ceux qui franchissent le pas : avec «Look Forward», Showroomprivé est une exception plutôt que la norme – et encore de la part d’un grand groupe à peine âgé de dix ans… L’aléa créatif fait peur aux financiers, comme l’explique Isabelle Ginestet-Naudin pour Bpifrance, mais la même crainte se retrouve concernant les innovations technologiques dans les textiles. La France de la mode et du luxe doit surmonter ces réticences au plus vite, car nos voisins ne nous attendront pas !

GRAND ANGLE ÉDITO

«Pour s'adapter le plus rapidement possible à un monde en mouvement, les grosses sociétés du secteur doivent travailler avec des startups.»

MODE ET LUXE : LES GRANDS GROUPES ONT-ILS PEUR DES STARTUPS ?

«Startups et grands groupes : un échange gagnant-gagnant»

Chantal Fouqué, Directrice de La Fabrique

LE LABN°3 - Juillet 2016

Regards sur les tendances technos de la mode et de la décoration

S

2

Nike a été un des précurseurs pour favoriser le développement d’entreprises technologiques dont les produits s’adressent aux athlètes. En France, la grande marque américaine a participé à la création du Tremplin, un incubateur de startups dédiées au sport. C’est aussi à tra-vers une association – avec le fonds d’investissement Plug and Play – que le groupe Galeries Lafayette a ouvert un espace entièrement dédié aux métiers de la mode et du commerce. Si Beaumanoir a lancé son accélérateur de start-up, Silicon B, spécialisé dans le commerce connecté, le textile a également sa place dans ces nouveaux projets : l’entreprise britannique Topshop a ainsi créé son propre programme, axé sur le «mentoring» et le conseil, avec l’ambition de permettre à des startups de développer des produits intelligents associant textile et technologie.

Culture du secret, incertitude industrielle, réticence au changement

La mode et le luxe sont connus pour leur culture du secret. Cette culture fait pour ainsi dire partie intégrante de la stratégie marke-ting de ces groupes, qui doit permettre de garantir l’image d’exclusivité et d’authenticité de la marque. Kering et H&M sont de bons exemples de la diffé-rence d’approche entre le prêt-à-porter de luxe et grand public : en mars 2015, tous deux ont lancé un partenariat avec la startup britannique Worn Again, afin d’introduire dans la produc-tion et le recyclage des vêtements une nouvelle source de matières premières à faible impact environnemental. Si H&M a finalement annoncé investir dans cette startup en avril 2016, Kering ne s’est pas exprimé sur le sujet. Cette tendance se retrouve

même au niveau des startups : classé parmi les 50 premières startups françaises par L’Express en 2015, l’auto-proclamé «tailleur 2.0», Pernac – entretemps renommé My Tailor Corner –, a lui refusé de communi-quer le chiffre de sa dernière levée de fonds, en juin 2016.Par ailleurs, les investisseurs ont des difficultés à évaluer la capacité des nouvelles technologies à s’imposer dans la mode et le luxe. En 2013, Enrico Beltramini, le fondateur de FTA Capital, expliquait au Wall Street Journal que les investisseurs avaient encore du mal à s’acclimater à la fashion tech au-delà du e-commerce, qui absorbe près des deux tiers des financements du secteur au détriment des technologies «wearable». «Faute d’une connaissance de l’histoire de la mode, expliquait l’ancien directeur exécutif de Gucci, les entrepreneurs de la fashion tech ont ten-dance à surestimer leur perception de l’impact d’une technologie sur l’industrie». En creux, il ressort de cette analyse qu’il est aujourd’hui dif-ficile de savoir quelle technologie de transformation du vêtement rencontrera son public plus qu’une autre. En effet, si un Menlook, plate-forme de vente de la mode masculine en ligne, n’a pas eu de difficultés

à lever 23 millions d’euros fin 2014 et à racheter son concurrent alle-mand l’année suivante, un Fitle, qui permet de tester virtuellement une sélection de vêtements, devait se contenter de passer par Kickstarter. Cette incertitude industrielle va naturellement de pair avec une certaine réticence au changement. Cette problématique est au cœur de l’open innovation : faire admettre aux entreprises installées qu’il est plus pro-fitable pour elles d’accompagner le changement que de s’y opposer, quitte à ce qu’elles perdent à court terme une partie de leurs revenus. Si elles sont conscientes qu’il est dans leur intérêt de se moderniser, il y a une même difficulté à numériser les canaux de distribution que la fabrication. Sur la vente en ligne, les revenus des grandes maisons sont encore trop dépendants de l’achat traditionnel dans les magasins pour pouvoir se tourner complètement vers Internet. Sur la fabrication, Jacques Bungert affirmait encore en 2014 que «fabriquer des robes c'est avant tout une affaire de tissus». Le PDG de Courrèges déclarait ainsi : «le cœur de ce métier est entre les mains des couturières, il n'est pas numérique».

L’urgence d’un changement de mentalité

Il serait faux de penser que la mode et le luxe tournent le dos à l’inno-vation. Hermès apparaît régulièrement parmi les entreprises les plus innovantes au monde (classé 22e par Forbes en 2015) et s’est particu-lièrement signalée l’an passé en s’associant à l’Apple Watch. En 2014, Kering a conclu un partenariat de cinq ans avec le Centre for Sustainable Fashion (CSF) du London College of Fashion (LCF) pour promouvoir le stylisme et l’innovation durables dans l’industrie de la mode. En 2015, Bernard Arnault, à la tête du premier groupe de luxe au monde, consi-dérait même que, malgré sa taille, «le groupe LVMH devrait être géré comme une start-up». De plus, les initiatives sont légion… dans d’autres domaines que la mode ! Chanel participe ainsi au «Neuilly Lab» destiné aux entrepreneurs innovants des nouveaux médias, LVMH a ouvert Hélios, 18 000 mètres carrés pour les 250 chercheurs du groupe, aux-quels ont accès des chercheurs extérieurs, des startups et des PME qui peuvent y être accueillies temporairement pour conduire leurs projets. De son côté, L’Oréal a récemment annoncé qu’il allait investir plusieurs millions d'euros pour soutenir un incubateur dédié à la «Beauty Tech», Founders Factory.Cependant, la transformation peut et doit être accélérée. Les grands groupes ont montré qu’ils étaient capables d’agir pour innover, il leur reste à aller plus loin. Le risque est limité financièrement, mais aussi techniquement puisque précisément la collaboration avec les startups est destinée à permettre aux grands groupes de disposer d’une struc-ture ad hoc dont l’horizontalité et l’agilité garantissent la force d’adaptation et de réactivité. Au-delà de ça, il s’agit d’une nécessité, ainsi que l’affirmait la secrétaire d’Etat au numérique, Axelle Lemaire, en juillet 2014 : «les entreprises du luxe hexagonales ont fait face avec brio à deux révolutions industrielles : le passage au marché de masse et la mondialisation. Pour s'adapter le plus rapidement possible à un monde en mouvement, les grosses sociétés du secteur doivent travailler avec des startups. C'est de ces petites structures que vient l'innovation rapide». Car cette tendance a bien été assimilée par d’autres acteurs : après tout, le Fashion Lab, incubateur dédié aux créateurs de mode, a été lancé par… Dassault Systèmes, un acteur plus connu pour sa compétence dans le domaine militaire que dans la mode. Mais, à l’heure du numérique, cha-cun sait qu’il n’y a plus de frontières : la conceptualisation 3D peut être aussi utile aux aviateurs qu’aux couturiers, comme Julien Fournié qui a été un des premiers créateurs à s’associer au Fashion Lab !

GRAND ANGLE

La créativité des startups et des étudiants de nos écoles favorisera sans doute l’émergence de rapprochements avec les grandes maisons de luxe français. On en veut pour exemple, le kimono connecté relaxant Kanwa créé par des élèves ingénieurs ESIEE Paris et des étudiantes de La Fabrique qui rencontre déjà un écho élogieux.

3

VU PAR...

«DANS LA MODE, LES IDÉES PEUVENT VENIR DE TOUTE PART»

Showrooprive.com est né en 2006, de la rencontre de la mode et du digital, de deux hommes David Dayan, entrepreneur dans le milieu du déstockage et du détail de vêtements, et Thierry Petit, entrepreneur de l’Internet, et de leurs expertises respec-tives. Nous étions donc dans une position privilégiée pour observer deux tendances : d’un côté, une envie de nos plus de 1500 marques et retailers partenaires d’innover dans leur offre et leur distribution, et de l’autre, du côté digital, énormément

d’initiatives qui pouvaient impacter leur business model et représenter de nouvelles sources de croissance.Nous avons donc décidé de bâtir le projet «Look Forward», un accélérateur et incuba-teur destiné aux startups qui changent la façon de concevoir, produire et distribuer la mode. «Look Forward» existe depuis un an. Il compte aujourd’hui neuf startups incubées, qui relèvent de la fashion tech mais aussi du shopping tech. Le second appel à candidatures, à destination de star-tups qui ont déjà leur «proof of concept», est ouvert jusqu’à fin septembre.Ce projet répond à un double objectif, le premier interne, le second externe. Il nous faut d’abord être au cœur de l’innovation et garder notre esprit startup, ce qui est une gageure pour un groupe qui compte aujourd’hui plus de 800 salariés avec une présence dans neuf pays. Les membres de notre comex et les managers – directeurs juridique, financier, marketing, big data, etc. – font du consulting et accompagnent les startups, ce qui crée une véritable ému-lation dans l’entreprise, en les obligeant à se mettre dans la peau d’une startup ! C’est un moyen efficace de les challenger tout en assurant une veille du marché. Par ailleurs, cela permet d’ouvrir le champ des pos-sibles à nos marques partenaires sur les mutations de la « shopping et fashion tech ».Cette démarche s’applique à tous les sec-teurs car l’innovation et les idées peuvent aujourd’hui changer n’importe quel business model. Mais la mode a ceci de particulier qu’en tant que secteur créatif, les idées peuvent venir de toute part  :

l’impression 3D est un bon exemple de ce foisonnement où des individus qui ne sont pas forcément issus de la mode peuvent imaginer des solutions qui impactent toute l’industrie. L’enjeu d’accompagnement est alors encore plus important.En lançant le programme il y a un an, nous avons pris le parti de ne pas investir direc-tement dans les startups, ni même de prélever – comme le font la plupart des incubateurs – un pourcentage de leurs revenus futurs. Pour le moment, nous nous concentrons essentiellement sur l’accélé-ration en fournissant gratuitement des locaux, du consulting, un pool de services négociés pour eux avec nos partenaires et en mettant en relation les startups certes avec des fonds d’investissement mais aussi avec des potentiels clients. C’est aussi dans cet esprit que nous avons organisé une remise de prix et un «fashion tech festival», destiné à mettre en valeur toutes les initia-tives qui changent la façon d’appréhender la mode et le retail. La première édition a eu lieu en février 2016, à la Gaité Lyrique.Les premiers résultats sont très positifs et encourageants ! Tout d’abord : nos startups vont bien. AskAnna qui fait de la recom-mandation sociale autour du shopping a levé 320 000 euros, Igloo 500 000 euros, De Rigueur a été récompensé par un CES Innovation Award au Consumer Electronic Show de Las Vegas 2016… Nos collabora-teurs sont très heureux également de partager leurs expériences et d’apporter leur grain de sel à la réussite de nos star-tups. Enfin, un de nos clients, un grand groupe, devrait très prochainement colla-borer avec une de nos pépites…

Irache Martinez est la directrice de la marque de Showroomprivé, un acteur du e-commerce innovant, en forte croissance et spécialisé dans la mode. Depuis octobre 2015, Showroomprive accueille de jeunes startups dans ses locaux de la Plaine-Saint- Denis, à travers le programme « Look Forward ».

«Cette démarche s’applique à tous les secteurs car l’innovation et les idées peuvent aujourd’hui changer n’importe quel business model.»

4Crédit photo. Publication de La Fabrique – document non contractuel

INNOVATIONS

VALORISER LES USINES QUI PRODUISENT ET LES CRÉATEURS QUI INVENTENTIsabelle Ginestet-Naudin est la directrice des fonds dédiés aux industries créatives chez Bpifrance, la banque publique d’investissement.

Que propose Bpifrance pour les startups de la mode et du luxe ?En 2009 Bpifrance a repris en gestion la société d’investissements Mode et finance, créée pour soutenir les jeunes entreprises créatives du secteur de la mode et du luxe (prêt-à-porter, accessoires, maroquinerie, chaussures, parfums, cosmétiques, horloge-rie, joaillerie, textile de maison, etc.). Nous ciblons les entreprises dont la valeur ajoutée est d’abord le talent créatif. Ainsi en 2015, Bpifrance a pris des participations minori-taires dans la société Lemaire, fondée par l’ancien directeur artistique d’Hermès, dans Officine Générale, ce qui a permis à cette der-nière de développer ses boutiques en propre, dans la marque de chaussures haut-de-gamme Adieu ou encore dans Roseanna. Cependant, la première initiative en la matière remonte à 2005, à l’époque avec la Caisse des dépôts sous l’égide de CDC Entreprises, avec le fonds Patrimoine et Création pour financer les entreprises des secteurs de la musique, de l’édition, de la production audiovisuelle, du cinéma et des marques patrimoniales de luxe. Le premier fonds de 40 millions d’euros a été suivi par un second, en 2011, doté de 45 mil-lions d’euros. Enfin, en 2013, a été lancé le Fonds pour les Savoir Faire d’excellence, un fonds de capital développement de 20 mil-lions d'euros dédié aux entreprises artisanales et industrielles disposant d’un savoir-faire rare et issu de l’expérience manufacturière, qui

investit notamment à ce titre dans le secteur de la décoration.

La présence de Bpifrance illustre-t-elle une défaillance des acteurs privés à financer ces nouveaux acteurs ?La présence de Bpifrance sur ce marché se justifie pleinement : nous déployons une politique volontariste sur un segment qui est peu ou pas assez couvert par le secteur privé. L’investisseur public a un rôle à jouer pour faciliter le développement d’entreprises patri-moniales françaises qui participent au rayonnement du savoir-faire français au-delà des frontières. Le secteur est en effet confronté à une réelle difficulté dans sa recherche de financement : dans la mode, les plateformes de vente en ligne ou les plateformes collabo-ratives parviennent à lever régulièrement des fonds importants pour financer leur dévelop-pement, en dépit d’un parti pris créatif parfois mineur. L’enjeu est très différent pour les créa-teurs : les banques et les investisseurs ont plus de mal à prendre en compte l’aléa créatif que l’aléa technologique, d’autant que le retour sur investissement n’est pas le même que celui des startups technologiques. Notre action doit en quelque sorte viser non pas les tuyaux mais ce qu’on met dans le tuyau ! Sans cela, c’est un geste, un savoir-faire, un talent français qui vont disparaître…

Quelles sont les perspectives pour ce secteur ? L’ensemble des fonds que je coordonne représente 140 millions d’euros, ce qui n’est pas extraordinaire, au regard des ordres de grandeur qui prévalent dans certains fonds

de Bpifrance. Cependant, il y a une vraie prise de conscience de l’importance de ces industries créatives dont la valeur ajoutée est de 104 milliards d’euros, soit 5,3 % du PIB. C’est ce qu’a rappelé Nicolas Dufourcq, le directeur général de Bpifrance, à l’occasion de la deuxième édition de l’évènement Bpifrance Inno Generation en mai dernier : on parle beaucoup de la «French tech» mais celle-ci est indissociable de la «French fab» et de la «French touch» ; autrement dit, à côté de la technologie, il faut absolument valoriser nos usines, qui produisent, et nos créateurs, qui inventent. On voit bouger les choses : on sent nette-ment que la mentalité des créatifs évolue, l’esprit est aujourd’hui beaucoup plus entre-preneurial. Il nous reste à convaincre les grandes maisons qu’il est aussi dans leur intérêt de se rapprocher des jeunes struc-tures. La France reste encore très marquée par son histoire et sa tradition, qui sont indé-niablement des atouts formidables dans les secteurs de la mode et du luxe, mais qui rendent moins facile la cohabitation avec les nouvelles générations. A l’étranger, les acteurs sont plus décomplexés  : un Tory Burch, né en 2005, fait aujourd’hui 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires. Même à échelle comparable, une telle «success story» n’a pas encore les moyens d’exister en France ! Je crois beaucoup à la fertilisation croisée des idées, au dialogue commun entre les créa-tifs, historiques et nouveaux. Nous avons les talents, nous créons l’impulsion, à nous maintenant de la transformer non plus en une opportunité mais en une réalité pour l’ensemble des acteurs des industries créatives.

«L’investisseur public a un rôle à jouer pour faciliter le développement d’entreprises patrimoniales françaises qui participent au rayonnement du savoir-faire français au-delà des frontières.»