le déni de la complexité en douleur chronique : la part psychique maltraitée

3
Communication Le de ´ ni de la complexite ´ en douleur chronique : la part psychique maltraite ´e The denial of the complexity of chronic pain: Poorly treated mental part Martine Derzelle Institut Jean-Godinot, 1, avenue du Ge ´ne ´ral-Koenig, 51056 Reims cedex, France 1. Introduction Si, par son enseignement, la me ´ decine moderne a pour but de former des praticiens capables de comprendre avant de traiter [2], il serait sans doute important de s’interroger sur certaines de ´ rives re ´ ductrices. L’enseignement est essentiellement de ´ coupe ´ en certificats correspondant chacun a ` une spe ´ cialite ´, voire a ` un organe, par exemple le foie, le cœur. Ainsi le jeune apprenti me ´ decin valide du savoir acquis anne ´ e apre ` s anne ´ e : la cardiologie, la rhumatologie, la neurologie, etc. Ses succe ` s aux examens le confortent dans la conviction de ce savoir acquis. Ces examens Annales Me ´ dico-Psychologiques 172 (2014) 136–138 INFO ARTICLE Historique de l’article : Disponible sur Internet le 12 fe ´ vrier 2014 Mots cle ´s : Attitude du professionnel Douleur Efficacite ´ Prise en charge Souffrance psychique Keywords: Care management Cost-benefit analysis Professional attitude Pain Psychical pain RE ´ SUME ´ Les patients douloureux chroniques veulent fre ´ quemment obtenir du praticien un diagnostic et des traitements qui les confortent dans leur conviction d’organicite ´ afin de se prote ´ ger d’une prise de conscience difficile et douloureuse. Il est donc pertinent d’e ´voquer une ve ´ ritable collusion entre cette demande et les nombreuses de ´ rives re ´ ductrices de la me ´ decine moderne, bien propres a ` souvent faire le choix du de ´ ni de la complexite ´ des variables de ´ pendantes (psychologiques, sociales et environne- mentales) dans la prise en charge des soins. Les obstacles e ´ piste ´ mologiques marquant les limites du savoir et du pouvoir me ´ dical redoublent ici le clivage des patients d’un autre clivage rendant plus difficile encore le glissement de la conviction organique vers le « psyche ´ -soma ». Masquage langagier par des diagnostics somatiques, glissements se ´ mantiques et conceptuels de la de ´ finition de la douleur vers une « maladie » autorisant un abord purement somatique sont autant de modalite ´s de « ratage » de la subjectivite ´ ... Leur exposition des patients a ` un risque de chronicisation doit-elle e ˆtre range ´ e du co ˆte ´ de la maltraitance ou de l’iatroge ´nie ? Le choix du de ´ ni de certains pour se prote ´ ger de toute souffrance e ´ thique justifie-t-il la prise de risques pour les patients en me ˆme temps qu’un cou ˆ t social non ne ´ gligeable dont nous devons e ´ galement tenir compte ? ß 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´ serve ´ s. ABSTRACT Patients with chronic pain often want to obtain a diagnosis and treatments from a practitioner that supports them in their conviction of organicity in order to protect themselves against difficult and painful concerns. Therefore, it is pertinent to evoke a real collusion between the request and the numerous reductive derivatives of modern medicine, often clearly choosing denial of the complexity of variable dependants (psychological, social and environmental) when providing care services. The epistemological obstacles marking the limits of the knowledge and medical abilities redouble here the gap of the patients of another gap, making a shift of an organic conviction versus a ‘‘somato-psychic’’ one even more difficult. A linguistic masking through somatic diagnoses, semantic and conceptual shifts with regard to the definition of pain versus a ‘‘disease’’, allowing a purely somatic access, are just as much modalities of a ‘‘failure’’ of subjectivity... Has an exposure of patients at risk of their conditions becoming chronic to be classified as poor treatment or as a form of iatrogenitics? Does a choice of denial of some in order to protect themselves against all ethical suffering justify the risk-taking of patients as well as a significant social cost that we also have to take into account? ß 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Adresses e-mail : [email protected], [email protected] Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com 0003-4487/$ – see front matter ß 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´ serve ´s. http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2014.01.009

Upload: martine

Post on 30-Dec-2016

215 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Le déni de la complexité en douleur chronique : la part psychique maltraitée

Annales Medico-Psychologiques 172 (2014) 136–138

Disponible en ligne sur

ScienceDirectwww.sciencedirect.com

Communication

Le deni de la complexite en douleur ch

ronique : la part psychique maltraitee

The denial of the complexity of chronic pain: Poorly treated mental part

Martine Derzelle

Institut Jean-Godinot, 1, avenue du General-Koenig, 51056 Reims cedex, France

I N F O A R T I C L E

Historique de l’article :

Disponible sur Internet le 12 fevrier 2014

Mots cles :

Attitude du professionnel

Douleur

Efficacite

Prise en charge

Souffrance psychique

Keywords:

Care management

Cost-benefit analysis

Professional attitude

Pain

Psychical pain

R E S U M E

Les patients douloureux chroniques veulent frequemment obtenir du praticien un diagnostic et des

traitements qui les confortent dans leur conviction d’organicite afin de se proteger d’une prise de

conscience difficile et douloureuse. Il est donc pertinent d’evoquer une veritable collusion entre cette

demande et les nombreuses derives reductrices de la medecine moderne, bien propres a souvent faire le

choix du deni de la complexite des variables dependantes (psychologiques, sociales et environne-

mentales) dans la prise en charge des soins. Les obstacles epistemologiques marquant les limites du

savoir et du pouvoir medical redoublent ici le clivage des patients d’un autre clivage rendant plus difficile

encore le glissement de la conviction organique vers le « psyche-soma ». Masquage langagier par des

diagnostics somatiques, glissements semantiques et conceptuels de la definition de la douleur vers une

« maladie » autorisant un abord purement somatique sont autant de modalites de « ratage » de la

subjectivite. . . Leur exposition des patients a un risque de chronicisation doit-elle etre rangee du cote de

la maltraitance ou de l’iatrogenie ? Le choix du deni de certains pour se proteger de toute souffrance

ethique justifie-t-il la prise de risques pour les patients en meme temps qu’un cout social non negligeable

dont nous devons egalement tenir compte ?

� 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

A B S T R A C T

Patients with chronic pain often want to obtain a diagnosis and treatments from a practitioner that

supports them in their conviction of organicity in order to protect themselves against difficult and

painful concerns. Therefore, it is pertinent to evoke a real collusion between the request and the

numerous reductive derivatives of modern medicine, often clearly choosing denial of the complexity of

variable dependants (psychological, social and environmental) when providing care services. The

epistemological obstacles marking the limits of the knowledge and medical abilities redouble here the

gap of the patients of another gap, making a shift of an organic conviction versus a ‘‘somato-psychic’’ one

even more difficult. A linguistic masking through somatic diagnoses, semantic and conceptual shifts with

regard to the definition of pain versus a ‘‘disease’’, allowing a purely somatic access, are just as much

modalities of a ‘‘failure’’ of subjectivity. . . Has an exposure of patients at risk of their conditions becoming

chronic to be classified as poor treatment or as a form of iatrogenitics? Does a choice of denial of some in

order to protect themselves against all ethical suffering justify the risk-taking of patients as well as a

significant social cost that we also have to take into account?

� 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

1. Introduction

Si, par son enseignement, la medecine moderne a pour but deformer des praticiens capables de comprendre avant de traiter [2],

Adresses e-mail : [email protected],

[email protected]

0003-4487/$ – see front matter � 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2014.01.009

il serait sans doute important de s’interroger sur certaines derivesreductrices. L’enseignement est essentiellement decoupe encertificats correspondant chacun a une specialite, voire a unorgane, par exemple le foie, le cœur. Ainsi le jeune apprentimedecin valide du savoir acquis annee apres annee : la cardiologie,la rhumatologie, la neurologie, etc. Ses succes aux examens leconfortent dans la conviction de ce savoir acquis. Ces examens

Page 2: Le déni de la complexité en douleur chronique : la part psychique maltraitée

M. Derzelle / Annales Medico-Psychologiques 172 (2014) 136–138 137

modelent son raisonnement qui obeit a la linearite stricte du cadrebiomedical. C’est ce que chacun peut entendre sous la consigne sisouvent repetee : « signes – diagnostic – traitement » [3]. Cettelinearite se retrouve aussi dans les « guidelines » proposant desetapes d’ascensions therapeutiques en cas d’echec ou d’arretinopine du precedent traitement.

2. En douleur chronique : comment depasser les clivages ?

Il en est ainsi des differents paliers de traitements antalgiquesdefinis par l’Organisation Mondiale de la Sante (OMS) qui,debutant par le paracetamol, conduisent progressivement lespatients douloureux vers la morphine [1]. Ce n’est malheureuse-ment encore trop souvent que lorsque la morphine s’avereinefficace que le patient est adresse vers une consultationpluridisciplinaire dite « douleur chronique rebelle », du nomd’un concept repris dans le Plan Douleur 2006–2010. C’est la unejolie facon d’oublier que si les patients continuent a se plaindre deleurs douleurs, c’est peut-etre que certains ont ete mal evalues et/ou mal traites [4,7]. C’est aussi « valider » par-la meme les limitesde cette medecine lineaire qui propose d’emblee d’aborder lespatients sous l’angle somatique pur puis, en cas de « resistance » ousi le patient devient « rebelle », de pratiquer un abordpluridisciplinaire tenant compte de la complexite. Mais combiende temps s’est ecoule entre le debut de la prise en charge de laplainte par l’omnipraticien et l’arrivee du patient dans uneconsultation specialisee ? Est-ce que ce temps n’a pas favorise lachronicisation de la plainte pour la rendre « rebelle », et est-ce quecette consultation specialisee est dotee des moyens pour assurerdes prises en charge suivant les regles de l’art ? N’est-ce pas nonplus la non-prise en compte des variables psychologiques etsociales, comme le proposent les Recommandations de la HauteAutorite de Sante (HAS) concernant « l’evaluation et la prise encharge des plaintes douloureuses en ambulatoire », qui serait al’origine de cette chronicisation relevant plus d’une forme demaltraitance que d’iatrogenie ? Le praticien a pourtant laconviction d’avoir suivi les regles recommandees ; cette convictionest issue de son apprentissage. Si l’orientation vers la consultationspecialisee est faite par un medecin, c’est encore souvent le patientqui sollicite ce dernier devant la persistance de la douleur etl’inefficacite des traitements [16]. Celui qui recoit le patient a lacharge d’interroger ce dernier sur la facon dont son confrere aenvisage ce « passage de mains ». Le medecin traitant a-t-il accru leclivage ou a-t-il parle de cette consultation pluridisciplinairespecialisee comme le moyen d’une evaluation plus globale et d’uneouverture a la complexite des intrications somato-psychiques ?

3. La medecine moderne ne favorise-t-elle pas le clivage ?

Pour transmettre, l’enseignement tend a simplifier le contenudu message. L’enseignement recherche la linearite et sa conduite.Ces modeles, issus de la logique grecque, ont l’immense avantaged’etre « rassurants ». Ils sont souvent adaptes a la logique pratiquede nombreux actes medicaux. Force est de constater que lalinearite ne permet pas d’aborder la prise en soin des patientsporteurs de pathologies complexes. Or, la plainte douloureuse est,par sa definition meme, celle de l’International Association for theStudy of Pain (IASP), fruit d’une composante somatique et affective.« La douleur », selon cette definition, « est une experiencesensorielle et emotionnelle desagreable liee a des lesionstissulaires reelles ou decrites en des termes evoquant de telleslesions ». Si la composante somatique peut s’analyser sans sedepartir du modele biomedical, celui de la linearite, les intricationssomato-psychiques echappent a cette logique reductrice [5,11–13]. Jusqu’a la fin des etudes, l’enseignement de la medecine ne

forme pas a l’abord des situations complexes, bien au contraire. Cetenseignement est l’exemple meme du clivage non seulementpsyche-soma mais aussi fonctions physiologiques par fonctions,appareil par appareil. Si ce mode d’enseignement trouve sajustification dans l’apport des connaissances, il lui manque de nepas y adjoindre la notion de limites. Il est adapte au traitement despathologies simples mais ne fonctionne pas des que viennents’intriquer des variables issues des champs differents.

En consequence, plus s’impose la necessite d’entreprendre une« revolution culturelle » visant a abolir l’apprentissage de lamedecine d’organes et la suprematie de l’Evidence Based Medicine(EBM) afin de reintegrer les dimensions issues des scienceshumaines, plus certains praticiens resistent. . . Pourquoi unpraticien devrait-il etre depourvu de reactions archaıques visanta simplifier ce qui ne l’est pas et a ignorer l’importance de ce qu’ilne connaıt pas ? Humain comme ses patients, le sermentd’Hippocrate ne le protege en rien du deni. . .

4. Glissements semantiques et conceptuels

Cette « resistance », nous qui nous interessons aux patientsdouloureux chroniques, nous en sommes temoins, que ce soit dansle champ des neurosciences ou dans celui de certains algologues.En ce qui concerne les chercheurs en neurosciences, la« resistance » est, somme toute, assez normale. Avancant pas apas aux rythmes des decouvertes validees par la preuvescientifique, ils ne peuvent tenir compte des variables psycholo-giques, sociales et environnementales. Leur champ de competencerisque d’etre celui de la neurophysiologie et des voies de la douleur,ils n’ont que de rares opportunites a etre confrontes a la pratiqueclinique et ne sont donc en rien « dangereux » pour les patients.Seules leurs derives projectives hors du champ de la preuvepeuvent induire le medecin clinicien et le jeune etudiant dansl’espoir d’une simplification des modeles complexes et d’unesolution medicamenteuse et technique a l’ensemble des plaintesdouloureuses chroniques. Comme un historien ne peut s’autoriserl’emploi du mot « aujourd’hui », le chercheur devrait garder pour luises convictions quant aux resultats a venir de la recherche et ne pasextrapoler ce qui est prouve a ce qui pourrait l’etre, evitant ainsique certains praticiens confortent leurs patients douloureux dansl’idee que rien ne peut etre fait de mieux aujourd’hui et qu’il fautattendre l’avancee de la Science medicale et de ses outils.

Il est facile d’etablir un rapprochement entre les limites dumodele de l’Evidence Based Medicine (EBM) et celles des modeleseconomiques. Tous, nous constatons l’effondrement du systemebancaire et savons que son origine est notamment dans l’absencede prise en compte de certaines variables dans les modeles despeculations. Les economistes ont oublie que leurs calculsfonctionnent mais ne repondent pas a toutes les situations : lesconsequences en sont catastrophiques. La tourmente actuelle, fruitde certains « oublis » des facteurs de risques, est entretenue etamplifiee par deux reactions humaines, trop humaines : la perte deconfiance et la panique. Puissent les economistes en tenir compte !

En prenant comme modele celui des theories cognitivistes, leplus lineaire d’entre tous les modeles, nous pouvons evoquer que laforme structurelle de l’enseignement de la medecine, animee par lesouci de fractionner pour simplifier son apprentissage, peut induireun renforcement des mecanismes de clivage chez les cliniciens.

L’homme en bonne sante, futur malade, ne connaıt de lamedecine et de la maladie que ce qu’il en entend dans les mediasou ce qu’il en lit dans les ouvrages de vulgarisation. Cesinformations sont le plus souvent extremement parcellaires etce qu’en entend l’auditeur, ce qu’en lit le lecteur est simplifie, plus« linearise » encore dans des relations de cause a effet. Comme il enest de tout enseignement, pour comprendre, pour transmettre,

Page 3: Le déni de la complexité en douleur chronique : la part psychique maltraitée

M. Derzelle / Annales Medico-Psychologiques 172 (2014) 136–138138

l’homme a besoin de simplifier. Pour mieux se faire comprendre,l’homme utilise la metaphore si puissante mais parfois si. . .

reductrice. . .

5. Le choix du deni : maltraitance ou iatrogenie ?

Le deni de tout ce qui n’est pas prouve scientifiquement et lesdecoupages multiples par fonctions et organes font sans doute quela medecine moderne est manifestement handicapee dans l’aborddes pathologies complexes somato-psychiques. Confronte dans sapratique quotidienne aux succes therapeutiques autant qu’auxechecs des « guidelines » internationales, chaque praticien doitelaborer sa propre strategie pour eviter la souffrance. En effet,lorsqu’il prend conscience que ce que les Maıtres lui ont enseignene permet pas de trouver une strategie therapeutique dans toutesles situations, lorsqu’il est confronte aux limites du modelebiomedical, le clinicien est confronte aux limites de son savoir et deson pouvoir. Cette confrontation peut engendrer un sentiment depeur que le praticien tente de resoudre. Cette situation renvoie leclinicien vers son rapport a ceux qui lui ont apporte le savoirmedical. Se profile derriere l’image de ses Maıtres celle de sesparents a qui il doit ses premiers enseignements. Etre capable dereperer les insuffisances de ses Maıtres, de les critiquer, c’estpouvoir critiquer l’autorite, comme celle de ses parents. Confrontedans cette situation a l’inefficacite d’un modele ignorant des lienspsyche-soma, le role du praticien est d’elaborer, consciemment ounon, le choix d’une strategie [8].

Cette strategie peut etre celle du deni, reduisant l’etiologie de laplainte douloureuse a sa composante organique en introduisant lesconcepts de « facteurs algogenes », somatiques et neurophysio-logiques et de facteurs « pro-algogenes », les variables psycholo-giques, sociales et environnementales. Ainsi s’etablit un nouveauclivage, faisant fi de la definition reputee consensuelle del’International Association for the Study of Pain (IASP), parl’entremise d’un procede langagier charge de masquer momenta-nement la complexite [3,6,14]. La partie noble de la plainte seraiteffectivement celle qui a un lien direct avec les facteurs algogeneset le travail de l’algologue se limiterait au traitement de cesfacteurs algogenes. De la a proposer que la douleur ne soit plusconsideree comme un symptome mais comme une maladie, il n’y aqu’un pas que les adeptes du deni sont prets a faire avec un risquefort des consequences pour les patients [10,15]. La ou il seraitnecessaire d’amener le patient a depasser les clivages, de tellesstrategies de deni vont l’y precipiter plus encore. Elles n’auraientcomme consequences que de limiter l’evaluation et le traitementde la douleur aux facteurs algogenes et, seulement en cas deresistance therapeutique et d’echec, d’ouvrir l’evaluation a celledes facteurs pro-algogenes. Que le praticien non specialiste dutraitement de la douleur puisse se refugier dans le deni de lacomplexite faute d’avoir ete forme a son abord, a la rigueur, maisque ce nouveau modele de clivage emerge du milieu meme desalgologues laisse pantois et est fortement critiquable.

L’autre strategie peut etre celle de l’ouverture a l’inconnu et lamise en commun des competences par la lecture d’ouvrages et pardes enseignements abordant les liens psyche-soma et la prise ensoins des patients porteurs de pathologies complexes. Cet autrechoix strategique incite le praticien a faire face plutot que de fuirdans le deni. Il peut egalement integrer une equipe pluridiscipli-naire d’evaluation et de traitement de la douleur. L’ouverture a la

complexite et a la conscience des limites du modele biomedicalexclusif est un critere indispensable au bon fonctionnement de lapluridisciplinarite.

En outre, psychologues et psychiatres doivent, pour leur part,faire un mouvement vers la comprehension de ce qui est issu d’unesouffrance d’organes et de systemes. Les uns, issus de la sciencemedicale, et les autres, qui n’ont pas toujours du corps reel uneconnaissance tres precise, n’ont pas la meme formation. Mais lesdeux formations specialisees dans les troubles mentaux et leurabord ont tendance a renvoyer aux somaticiens la prise en chargeexclusive des maladies somatiques. Cette tendance est, la encore,une forme de clivage [9].

6. Conclusion

Ainsi pouvons-nous conclure que, face a des patients doulou-reux chroniques, bien assures dans leur conviction d’une causeexclusivement organique a leurs douleurs, negligeant tout ce quiserait de l’ordre de la souffrance morale, bref totalement clives, leschoix, eux-memes totalement clives de la medecine moderne, nepeuvent les accompagner dans un processus therapeutiquepermettant de depasser les clivages [16].

Dans ce contexte, les soignants des structures douleur setrouvent face a l’enjeu d’adapter la prise en charge au fonctionne-ment que, pour toutes les raisons evoquees, le patient presente. Lebut est bien entendu de faire evoluer ce dernier vers des positionsplus souples, c’est-a-dire de l’amener a depasser le clivage soma-psyche, pour accepter et integrer, autant que ses defenses le luipermettent, la dimension psychique de sa douleur.

Declaration d’interets

L’auteur declare ne pas avoir de conflits d’interets en relationavec cet article.

References

[1] Bannwarth B. Antalgiques : paliers de l’OMS et niveau d’efficacite. Presse Med1997;26:1443.

[2] Baszanger I. Entre comprendre et soigner. Les debuts des centres de la douleuren France. Paris: Rapport CNRS-MIRE; 1987.

[3] Clavreul J. L’ordre medical. Paris: Le Seuil; 1978: 83–6.[4] Constantin-Kuntz M, Dousse M. « Psy » et somaticiens sur les structures

douleurs : une collaboration a l’epreuve des moyens. Paris: Enquete nationalesomato-psy (ENSP); 2008.

[5] Dejours C. Le corps entre biologie et psychanalyse. Essai d’interpretationcomparee. Paris: Payot; 1986.

[6] Derzelle M. Categorie nosographique et iatrogenie. Douleur Analg2008;21:149–53.

[7] Derzelle M. Histoire d’une deception ? Rev Parlementaire 2004;16.[8] Dousse M. Douleur, maltraitance et iatrogenie. Douleur Analg 2008;21:

157–62.[9] Dousse M. Le psychiatre et la memoire. In: Ferragut E, editor. Emotion et

memoire. Le corps et la souffrance. Paris: Masson; 2004. p. 21–31.[10] Dousse M. La clinique, une etape incontournable du projet therapeutique. In:

Ferragut E, editor. Therapies de la douleur. Paris: Masson; 2002. p. 56–73.[11] Ferragut E. Therapies de la douleur, ouvrage collectif. Paris: Masson; 2002.[12] Ferragut E. Psychopathologie de la douleur ouvrage collectif. Paris: Masson;

2001.[13] Ferragut E. La dimension de la souffrance chez le malade douloureux chro-

nique ouvrage collectif. Paris: Masson; 1995.[14] Gori R. La preuve par la parole. Paris: PUF; 1996.[15] Haut Comite de la Sante Publique. Violence et sante. Paris: ENSP Editions; 2004.[16] Sirven R, Ferragut E. Revivre apres la souffrance. Les patients prennent la

parole. Montpellier: Editions de l’IPM; 2012.